Les grands chantiers de cherbourg

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Les grands chantiers de cherbourg
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Un démonstrateur de
l’économie de l’hydrogène
Normandie
Les grands
chantiers
de Cherbourg
Faire de la Manche un
« démonstrateur territorial
de l’économie de l’hydrogène »,
c’est l’objectif d’Énergie Hydro
Data 2020, créé en 2013
à l’initiative du département
de la Manche. Cette association
rassemble des entreprises
(Air liquide, Areva, Siemens,
DCNS…) et des collectivités
locales pour créer de la valeur
sur le territoire en produisant
de grands volumes d’hydrogène
à partir de l’électricité bas
carbone. Bruno Cairon,
un membre d’Énergie Hydro
Data 2020, rappelle le principe
de l’électrolyse de l’eau pour
la production d’hydrogène :
« On casse la molécule d’eau
(H2O) avec le passage d’un
courant électrique entre
Investissements dans le nucléaire, contrats de
sous-marins et projets pour l’hydrolien et l’éolien
offshore se multiplient dans le Nord-Cotentin.
De notre correspondante, Claire Garnier
ur la presqu’île du Cotentin, à Cherbourg (Manche),
les vents sont porteurs pour la construction navale
et les énergies marines renouvelables. « Nous
bénéficions d’un alignement assez exceptionnel des planètes
ces dernières années », s’enflamme le maire (PS) de la ville,
Benoît Arrivé. DCNS-Cherbourg, le site du groupe DCNS
spécialisé dans la construction de sous-marins (2 100 salariés), est appelé à devenir le centre nerveux du programme
de douze gros sous-marins destinés à la Marine australienne,
des navires dérivés des Barracuda à propulsion nucléaire en
cours de construction pour la Marine nationale. Le contrat
négocié avec l’Australie prévoit que quelque quatre millions
d’heures de travail seront confiées à DCNS, dont une grosse
part au site de Cherbourg.
« Il y a plus de cent ans que l’on fabrique des sous-marins
sur ce site. Cela crée une expertise », rappelle volontiers
Hervé Guillou, le PDG de DCNS. Situé dans l’enceinte de
l’arsenal, sur le port militaire, le chantier cherbourgeois a
notamment mis à l’eau « Le Redoutable », en 1967. Le premier sous-marin nucléaire français se visite désormais non
loin de l’endroit où il a été construit, dans une cale sèche de
la Cité de la mer, le musée consacré à l’aventure de l’homme
sous la mer. À Cherbourg, DCNS, détenu à 63 % par l’État,
est engagé dans une autre aventure, civile celle-là. Il se
prépare à fabriquer des hydroliennes. À quelques encablures
de la ville, entre le cap de la Hague et l’île anglo-normande
d’Aurigny, se trouve le raz Blanchard, l’un
des courants de marée côtiers les plus
puissants du monde.
S
Le potentiel d’énergie du raz Blanchard,
nommé ainsi, dit-on, parce que l’on y voit
souvent de l’écume blanche, équivaut à
plus de 3 gigawatts, presque l’équivalent
de deux réacteurs nucléaires EPR. DCNS
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DCNS évalue à quatre millions d’heures de travail la construction des
sous-marins qui seront vendus à l’Australie.
associé à EDF d’un côté et General Electric (GE) associé à
Engie de l’autre doivent chacun y installer à l’horizon 2018
leurs hydroliennes pilotes : sept pour DCNS (2 mégawatts),
quatre pour GE (1,4 mégawatt). DCNS compte déposer
prochainement un permis de construire pour un premier
hall d’assemblage sur le port de Cherbourg. Cet atelier,
d’une capacité de 25 hydroliennes, accueillera les machines
pilotes puis les premières machines commerciales. D’autres
ateliers suivront, en fonction de la taille des futures fermes
hydroliennes dans le raz Blanchard et des commandes pour
le projet britannique situé au large d’Aurigny.
DCNS table prudemment sur 50 à 150 hydroliennes
par an. La fourchette est large, comme l’est l’estimation
du nombre d’emplois pour la construction, puis la maintenance des turbines : des dizaines voire des centaines.
En attendant, les équipes se préparent au défi technique
de l’assemblage du rotor (partie tournante) et du stator (partie statique) de
l’hydrolienne. « Il faut assembler ces
deux pièces énormes de 16 mètres de
diamètre avec un degré de précision de
quelques ­millimètres à peine », se plaît
C’est le nombre de sous-marins
à expliquer Thierry ­Kalanquin, le direcqui ont été fabriqués à Cherbourg
teur de la d
­ ivision énergie et infrastrucdepuis 1899.
tures marines de DCNS. Les turbines
seront connectées à une sous-station
électrique sous-marine avant d’être branchées sur la nouvelle ligne à très haute tension Cotentin-Maine construite
pour le futur EPR de Flamanville.
Un territoire doté d’atouts majeurs
107
D.R.
50 à 150 hydroliennes par an
deux électrodes pour récupérer
de l’oxygène et de l’hydrogène. »
L’hydrogène produit est
« compressible, stable durant
sa phase de stockage et
propre ». Son utilisation comme
carburant commence
à devenir réalité. Le conseil
départemental possède une
flotte de 17 véhicules à
hydrogène et une stationservice et a lancé d’autres
projets de stations à Cherbourg
et à l’aéroport de CherbourgMaupertus. Une station de
grande capacité est également
prévue pour alimenter
cinq premiers bus à Cherbourg.
Des vélos à hydrogène et de
petites stations de distribution
seront prochainement déployés
à Cherbourg et Saint-Lô. ❚❚
Ce réseau électrique de forte puissance et les infrastructures
portuaires font partie des atouts du territoire. « En Écosse, il
n’y a pas le port de Cherbourg, pas de ligne à haute tension »,
souligne Philippe Bas, le président (LR) du département de la
Manche, faisant allusion au parc hydrolien MeyGen, au nord
de l’Écosse. Cherbourg joue aussi la carte de l’éolien offshore
avec GE associé à EDF. Jérôme Pécresse, le président de la
division énergies renouvelables de GE, a confirmé la construction par ses partenaires d’une usine de pales et d’une usine
de mâts pour les éoliennes offshore de Courseulles-sur-Mer
(Calvados), de Fécamp (Seine-Maritime) et de Saint-Nazaire
(Loire-Atlantique). Un partenaire d’EDF doit, de son côté,
installer un site d’assemblage d’éoliennes.
Sans attendre, Ports normands associés (PNA), le propriétaire et gestionnaire des ports de Cherbourg et de Caen, a lancé
dès 2013 les investissements nécessaires pour accueillir ces
nouvelles industries qui réclament de l’espace et des quais
pouvant supporter des charges très lourdes. Le programme
d’un montant de 100 millions d’euros comprend une extension du port de Cherbourg sur 39 hectares gagnés en partie
sur la mer. PNA va par ailleurs participer au développement
l’usine nouvelle i n° 3474 i 23 JUIN 2016
du chantier naval des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), spécialiste des patrouilleurs et de corvettes. Il
aménagera un espace sur le port, pour un total de 25 millions
d’euros, afin que CMN puisse se doter d’une nouvelle usine.
Celle-ci devrait être opérationnelle en 2019, au terme d’un
investissement de 70 à 80 millions d’euros.
À 25 kilomètres de Cherbourg, des chantiers d’envergure
attendent aussi la centrale nucléaire de Flamanville, dotée de
deux réacteurs de 1 300 mégawatts, qui emploie 800 salariés. Le « grand carénage », destiné à prolonger la durée de
vie des réacteurs pour au moins dix ans, doit commencer
en 2018, avec des investissements de l’ordre de 700 à
800 millions d’euros. Le réacteur numéro 3, l’EPR, d’une
puissance de 1 650 mégawatts, devrait démarrer fin 2018
avec six ans de retard, pour une facture désormais estimée
à 10,5 milliards d’euros, soit le triple du coût initial. Ce
chantier emploie aujourd’hui 900 salariés d’EDF, auxquels
s’ajoutent 3 800 salariés d’entreprises partenaires, dont la
moitié provenant du bassin d’emploi local.
À droite comme à gauche, les élus du Nord-Cotentin ne
veulent pas avoir à choisir entre énergie nucléaire et énergies
renouvelables. « Je n’oppose pas les énergies entre elles,
martèle Benoît Arrivé. Je les associe autour du thème de
l’électricité décarbonée. » Le maire de Cherbourg défend un
« mix énergétique associant le nucléaire, l’éolien offshore,
l’hydrolien et la filière hydrogène ». ❚❚
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