11,50M, La solitude du tireur de penalty • BEN LYTTLETON • 8

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11,50M, La solitude du tireur de penalty • BEN LYTTLETON • 8
11,50M, La solitude du tireur de penalty • BEN LYTTLETON • 8 Janvier
Quelques temps forts
Au moment où ces lignes sont écrites, le
meilleur gardien en activité sur les penalties est,
au regard de tous les chiffres, Mickaël Landreau,
avec seize arrêts en 603 apparition en Ligue 1 . Si
on veut parler des tirs au but, on peut parler d’une
spécialité, avec vingt-trois arrêts pour trente-neuf
encaissés, soit un taux de réussite adverse de 62%
face à lui. « Malgré ma petite taille, j’adorais les
penalties », dit-il. Avant chaque match, il recevait des
données statistiques sur les tireurs adverses mais
n’y accordait pas beaucoup d’attention, préférant
visualiser intérieurement l’arrêt à venir avant même
la frappe et s’en remettre à son instinct. « Je n’ai pas
de secret. J’ai arrêté des frappes de joueurs que je
ne connaissais pas et en ai encaissées de la part
de joueurs que je connaissais. C’est un combat de
boxe, un duel. J’aime ça. L’intimidation fait partie
du package. » Landreau, l’expert en penalty qui
deviendra tireur : cette histoire peut être racontée
en se concentrant sur trois matches et trois dates.
1. Bastia 0 Nantes 0, 2 octobre 1996,
Ligue 1
Landreau est le bébé de la famille. Son frère,
Vincent, a douze ans de plus que lui. Vincent évolue
au poste de gardien dans leur village d’Arthon-enRetz. Petit, Mickaël l’observe et le copie. Même s’il
joue au tennis à un bon niveau, Landreau choisit
le football. Il rejoint le centre de formation de
Nantes à l’âge de treize ans. L’un de ses premiers
entraîneurs y est Christophe Lollichon.
Trois ans plus tard, une cascade de blessures
le propulse en équipe première. David Marraud
et Dominique Casagrande sont indisponibles. Eric
Loussouarn, le troisième gardien, est en petite
forme et coupable sur quelques buts. Il y a bien une
quatrième option possible avec Jean-Louis Garcia,
l’entraîneur des gardiens, qui a rendu service en
Ligue des champions contre le Bayer Leverkusen.
L’entraîneur Jean-Claude Suaudeau, l’une des
grandes figures de la fonction dans le football
français, a cette phrase désormais fameuse après
une nouvelle bourde de Loussouarn : « Mercredi à
Bastia, c’est le gamin qui joue! »
Landreau a dix-sept ans. Nantes se débat
dans le bas du tableau. Dans le vestiaire, avant
la rencontre, ses partenaires sont inquiets et le
préviennent notamment du caractère sans pitié
des supporters bastiais. « Toute la journée, je me
suis senti bien, très serein », se souvient-il pourtant.
Le directeur sportif Robert Budzynski affirme même
que Landreau aura contribué à rendre l’équipe plus
forte mentalement.
C’est un match tendu, disputé dans une
atmosphère qui ne l’est pas moins. Au cours de
la seconde période, Landreau arrête un penalty
de Lubomir Moravcik et permet à son équipe de
repartir avec un point. « Le calme qu’il a affiché
contre un joueur d’expérience comme Moravcik a
rendu la soirée spéciale pour quiconque a assisté à
ce spectacle » dit Budzynski.
Avec ce résultat nul, Nantes démarre réellement
sa saison, comme le montre un 7-0 contre Nice
lors du match suivant. Landreau conservera sa
place pour dix saisons. Il deviendra le capitaine de
l’équipe à dix-neuf ans.
2. Paris Saint-Germain 2 Nantes 3,
8 Décembre 2002, Premier tour de la
Coupe de la Ligue
Nantes remporte deux Coupes de France
consécutives en 1999 et 2000, et dans les deux cas,
Landreau a apporté une forte contribution lors de
diverses séances de tirs au but, contre le PSG et
Gueugnon. Il est le capitaine de l’équipe vainqueur
de la finale de 2000 et suscite l’admiration de tous
quand il invite le capitaine de l’équipe adverse,
Reginald Becque, à soulever le trophée avec
lui. Nous sommes l’année où Calais, équipe de
quatrième niveau, atteint la finale. C’est elle qui
mène à la mi-temps. La victoire de Nantes ne se
dessine pas avant l’ultime minute et un penalty
d’Antoine Sibierski. Landreau s’en va trouver
Becque et lui dit : « Je vais te proposer quelque
chose, mais avant que je fasse, sache que ce n’est
pas de la condescendance, ne te pollue pas la tête
avec une idée pareille. Je pense que vous avez
réalisé quelque chose d’exceptionnel. J’ai vraiment
envie que tu viennes soulever le trophée avec moi.
» Après avoir consulté son coach et ses partenaires,
Becque dit d’accord.
Nantes est champion de France en 2001.
Landreau joue un rôle central dans ce succès. Il
impressionne Alex Ferguson lors de l’incroyable
match nul ramené d’Old Trafford par Nantes en
Ligue des champions, en février 2002. 1-1 contre
Manchester United ! A l’été 2001, Landreau écarte
l’idée d’un transfert à Barcelone en se souvenant
des maigres références des joueurs français au
Camp Nou. Un an avant la Coupe du monde 2002,
il souhaite par ailleurs sécuriser sa place dans le
groupe des vingt-trois, ce que d’ailleurs il ne fera
pas, Roger Lemerre lui préférant Grégory Coupet.
Dans ce match contre le PSG, Nantes mène
lors de ce qui constitue un vrai match de Coupe au
Parc des Princes. C’est alors que Ronaldinho, pour
sa deuxième saison en Europe, obtient un penalty
à cinq minutes de la fin. Landreau a prévu ce qu’il
ferait si cette hypothèse devait se présenter. Il
exécute son plan et se place dans le but quasiment
au niveau du poteau droit. Tout le côté gauche
de son but est grand ouvert pour Ronaldinho. «
Je savais qu’il était un très bon tireur et je voulais
essayer de l’embrouiller. Pour moi, la clef, ce n’était
pas de savoir où j’allais planter mes crampons,
c’était plus sa course d’élan, sa position, et tout
ce qu’il avait réalisé dans le passé. C’est aussi un
duel psychologique. Plus j’arrêtais de penalties,
plus j’étais craint. Mais le vrai challenge reste de
convaincre le tireur de placer le ballon là où vous
le souhaitez. »
Au moment où Ronaldinho prend son élan, Landreau
étend son bras vers le côté gauche déserté, il s’accroupit
comme s’il était prêt à se jeter. Puis Landreau stoppe sa
course, reste à côté de son poteau, et Ronaldinho lui délivre
littéralement le ballon dans les bras. « J’ai voulu essayé
quelque chose de différent et ça a marché. On a dit que
j’étais un génie, mais ça n’a rien à voir avec ça. Il faut juste
tenter sa chance. » Ronaldinho, assommé, en reste bouche
bée.
3. Nantes 1 Sochaux 1, 16 avril 2004, finale
de la Coupe de la Ligue (victoire de Sochaux
5-4 aux tirs au but)
Nantes a battu Auxerre 4-1 aux tirs au but en demi-finale
pour se retrouver là, un match que Lollichon, le premier
entraîneur de Landreau, avait observé aux côtés de Petr
Cech depuis les tribunes. Dans le passé, Lollichon avait fait
travailler sa détente à Landreau, en le conduisant tous les
lundis matin à 7 heures à une séance de trampoline. Durant
le match, il fit signe à Landreau qu’il jouait trop profond.
Celui-ci le vit et ajusta son positionnement. « Christophe
aura été l’entraîneur qui a eu l’impact le plus important sur
moi », dit Landreau. Contre Auxerre, Landreau fut encore
décisif, arrêtant les tirs de Djibril Cissé et Cyril Jeunechamp.
Il inscrivit aussi le penalty qui sécurisait la place de Nantes
en finale. Le premier de sa carrière.
En finale contre Sochaux, il y a 1-1 à l’issue de la
prolongation et 3-3 aux tirs au but après cinq frappes des
deux côtés. Mort subite. Souleymane Diawara et Sylvain
Armand marquent l’un et l’autre. 4-4. Echec de Maxence
Flachez pour Sochaux. C’est au tour de Landreau, septième
tireur de son équipe. En jeu : le trophée. « J’étais certain que
le type de frappe que j’avais choisi était le plus efficace » ditil. « Je pensais que Teddy Richert imaginerait que je tirerais
fort à sa droite. Je m’étais préparé à faire ce que j’allais faire.
J’y réfléchissais depuis la demi-finale contre Auxerre, où
j’avais inscrit le tir décisif. D’un seul coup, la mission n’était
plus d’arrêter les frappes mais d’en mettre une. J’étais
en recherche constante d’idées nouvelles. Il est dans ma
nature d’aller au bout et de prendre des risques. » Voici
comment Landreau, pour le deuxième penalty de sa carrière
professionnelle, en finale de la Coupe de la Ligue au Stade
de France, tente une panenka. « Je l’ai bien dissimulée. Il y
avait 80.000 personnes au Stade de France. Le seul qui n’a
pas eu l’effet de surprise, c’est Richert. » Le gardien sochalien
reste sur ses appuis et se saisit du ballon. Juste après, Benoit
Pedretti marque, Pascal Delhommeau non. Nantes a perdu
sa finale.
« Je ne sais pas si j’étais le seul à l’avoir vu, mais j’étais
le plus près de l’action, en tout cas, sourit Teddy Richert,
dix ans après. Dans ces cas-là, un gardien essaie de piocher
des indices dans la course d’élan, la position du corps et la
vitesse de la course. Landreau a pris beaucoup d’élan, c’est
vrai, mais il a ralenti subitement sur le dernier mètre. Cela
voulait dire qu’il avait une intention précise mais que cette
intention n’était pas de frapper fort sur un côté. A partir
de ce moment-là, je n’avais plus à plonger mais à essayer
de comprendre ce qu’il voulait. J’ai attendu le moment de
l’impact. Après, le ballon m’arrive dans les mains, le mérite
n’est pas là. Tout va très vite dans ces situations, surtout avec
un tel enjeu, mais il faut décider d’y aller ou pas en devinant
ce que le tireur veut faire. »
Richert n’a jamais considéré que cette frappe était une
forme de suffisance de la part de Landreau. Comme le
gardien nantais, il considère que c’était une simple stratégie
de tir. « J’ai lu une fois qu’on m’avait fait dire que c’était un
manque d’humilité mais c’est faux. La panenka est un geste
technique comme un autre, une façon de marquer offerte au
tireurs parmi une palette. Beaucoup de joueurs le prouvent,
régulièrement. » Et Richert ne fait pas non plus partie de ces
gardiens qui considèrent que ne pas plonger sur un penalty
est un choix lourd. C’est une option égale aux autres. Parfois
efficace, parfois non. « Un jour Youssouf Hadji m’a mis une
panenka après que j’ai plongé. Il l’avait bien masquée. » Mais
en 2007, rester droit sur ses appuis permet encore à Richert
de ramener une coupe à Sochaux, la vraie Coupe de France
cette fois, en finale contre Marseille. « C’était Ronald Zubar
qui tirait. J’ai compris à sa course qu’il ne voulait pas frapper
en puissance. J’ai attendu de voir de quel côté ça partait et
j’ai eu raison parce que le tir n’était pas très appuyé. »
Richert n’a jamais reparlé à Landreau de la panenka
de 2004, même s’il se sont croisés ensuite. « En revanche
j’en parle beaucoup à mes jeunes gardiens, dit celui qui
supervise la formation à ce poste pour le compte du Toulouse
Football Club. Je leur demande de choisir ce qu’ils font en
fonction des indices qu’ils puisent dans la course du tireur.
Je veux qu’ils m’expliquent pourquoi ils ont pris telle ou telle
décision. » Ou comment manipuler une foule d’informations
en quelques fractions de secondes.
Landreau, après son échec, livre ce commentaire :
« Je me sens vraiment responsable mais je ne suis
pas le seul à avoir raté. Ce tir ne va pas me changer.
Il correspond à ma personnalité. Je ne peux pas dire
que je ne le tenterai plus jamais. On cherche toujours
à surprendre l’adversaire. Et je suis catégorique sur le
fait que c’est la meilleure façon de marquer : neuf fois
sur dix, un penalty plein axe est synonyme de but.
J’ai l’entière responsabilité de ce raté mais le club ne
dépend pas de ma seule personne. Je suis un membre
de l’équipe, avec mes copains, nous avons atteint la
finale tous ensemble. La seule chose qui m’emmerde,
c’est qu’on n’ait pas gagné le trophée. »