Tranches de vie avec les seropos
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Tranches de vie avec les seropos
Tranches de vie avec les seropos Tous ensemble, soutenons nos malades du Sida Laten we allen onze aids-patienten steunen All together to support the victims of AIDS Banso elongo tosalisa babeli na biso ya sida Bonso pamwe twambulwisha basami betu badi ne sida Beto nyoso sadisa bambefo na beto ya sida Sisi wote tusayidiye wagonjwa wetu wa ukimwi Twese hamwe dufashe abarwayi bacu ba Sida Témoignages C Jeanne Gapiya Niyonzima | ANSS Burundi À l’issue de la troisième Convention nationale de la lutte contre le sida organisée à l’Hôtel de ville de Paris par Sidaction, l’association a attribué le prix International 2006 à Madame Jeanne Gapiya ette brochure est le fruit d’une sélection de témoignages obtenus après un croisé de regards lors d’entretiens, de rencontres, de débats, d’échanges courriels. Ces témoignages brisent le silence et lèvent le voile sur les différentes facettes du sida. Sachez que vos témoignages sont essentiels pour que le monde sache, que nul n’ignore le vécu de discrimination, de stigmatisation, de culpabilisation, d’injustice dans le déni, l’indifférence et l’intolérance que subissent les personnes vivant avec le VIH/Sida, ici et ailleurs. Dites au monde entier, le courage et l’énergie qu’il vous a fallu pour arracher votre droit à la vie, la force et la détermination pour affronter vos difficultés dans l’observance d’un traitement lourds, les effets secondaires qui altèrent votre silhouette, votre qualité de vie. Racontez au monde comment se passe votre prise en charge médicale et psycho sociale. Et surtout n’oubliez pas de témoigner de notre bonheur de vaincre la maladie, notre bonheur de profiter de la vie, d’aimer et d’être aimé, d’avoir des enfants, de pourvoir les élever ; prendre nos petits enfants dans les bras et vieillir même avec le VIH. N’hésitez pas à envoyer vos témoignages à : [email protected] http://echos.doublej-webdesign.be/ Act up-Paris 2 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs Plus vous prendrez la parole, plus vous serez forte Nous avons besoin de vos témoignages et d’articles sur la question des soins, des traitements et des actions d’advocacy. Ecrivez à Beri : [email protected] ou à Sue : [email protected] Le VIH/sida : une guerre contre les femmes Alice Welbourn, ancienne Présidente de la Communauté Internationale des Femmes vivant avec le VIH/sida (ICW International Community of Women living with HIV/AIDS), est une activiste internationale militant pour les droits des femmes et la lutte contre le VIH/sida dénonce la féminisation du Sida. HCNLS Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 3 La difficulté de faire valoir ses Je m’appelle Judith, j’ai 56 ans. Je suis arrivée en Belgique il y a 11 ans, dans des circonstances mêlant étroitement raisons de guerre et problèmes de santé. Je cumule donc les difficultés liées à l’exil et au sida. L’exil m’a coupée de tout : mon environnement familial, social, professionnel et géographique. Du jour au lendemain je suis passée du statut de cadre à celui d’assistée, dans un pays qui, par la force des événements est devenu le mien. Je n’y avais jamais vécu auparavant, ni même envisagé d’y vivre. J’avais encore moins pensé mourir loin des miens, éparpillés dans le monde entier, sans l’avoir choisi. C’est une situation effrayante, une souffrance indescriptible, d’être ainsi séparé de tout ce qui a jusque là peuplé votre univers. N’appartenir à aucun noyau familial, devenir tout doucement une étrangère aux yeux de ceux qui vous étaient proches. C’est presque invivable, parfois. C’est là que j’ai compris le sens des mots « apatride » et « isolement ». Le sida m’a volé ma santé, ma vitalité, ma jeunesse. Il m’a plongée dans un monde d’incertitude, d’angoisse, de douleur, d’insécurité physique, mentale et de profonde solitude, où la vie et la mort se chevauchent, dans chaque geste de la vie quotidienne. L’enchevêtrement de la vie et de la mort, est inexplicable à ceux qui ne l’ont pas vécu. C’est sans doute ce qui cause l’isolement. Réflexion faite, on est toujours seul dans la souffrance. Ce duo explosif d’exil et de sida, fait le lit de toutes les discriminations, du déni des droits les plus élémentaires. 4 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs Lors de mon évacuation forcée en octobre 1996, sortie trop tôt de l’hôpital pour m’enfuir, effrayée et chassée de mon propre pays, j’ai été spoliée de la moitié d’une somme négociée, arrachée à la hâte à mon employeur. J’en avais désespérément besoin, pour financer ma fuite vers l’inconnu. C’est dans ces conditions surréalistes, que je suis arrivée en Belgique en novembre 1996 avec comme bagages un jean’s et cinq T-shirt. J’ai aussitôt entrepris des soins médicaux onéreux en ambulatoire ainsi que mes démarches de demande d’asile. Un mois plus tard, durant la période des fêtes, épuisée, à peine remise de ma cavale et de ma dernière hospitalisation, je me suis retrouvée aux urgences pour une méningite mal soignée. J’avais dû interrompre le traitement pour fuir. Les médicaments qui auraient pu m’aider n’étaient plus à ma portée. Au cours de l’hospitalisation, médecins et comptables se succédaient à mon chevet. Les uns, visiblement préoccupés par mon état me prodiguaient des soins. Les autres me réclamaient une caution hebdomadaire de 200.000 FB que je ne pouvais pas trouver du fond de mon lit. Au bout de deux mois d’hospitalisation, ne pouvant plus rien pour moi, on me renvoya chez moi, aveugle et paralysée, avec une dette de plus de deux millions de francs belges pour les soins reçus. Ce fut un cauchemar. Ma famille à l’étranger fut poursuivie pour régler cette dette dont j’étais dans l’incapacité physique de m’acquitter. Ces factures furent envoyées à mon employeur en Afrique. Il ne daigna pas répondre, même pour dire qu’il refusait de les régler. Elles furent aussi transmises au CPAS de ma commune que le Tribunal du travail condamna à payer. Une action en justice entamée dans mon pays condamnait également mon employeur à régler ces frais. droits Le témoignage de Judith J’étais trop faible pour m’en occuper, et laissai le gouvernement belge régler cette affaire, dont l’injustice me dépassait. Quant à la somme spoliée à la veille de mon évacuation forcée par mon employeur, elle me reste toujours à travers la gorge et mes courriers de réclamations sont jusqu’à ce jour restés sans réponses. Le plus surprenant est ce silence qui vous donne presque l’impression de ne plus exister, d’être enterrée vivant. Deux ans après le premier procès, je retournais au Tribunal du travail pour la remise en question de mon handicap par un médecin expert du Ministère de la santé qui, sans se donner la peine de m’ausculter, trouva que j’avais trop bonne mine pour une malade de sida. Ce fut une horreur absolue de prouver ma bonne foi, devant un expert médical désigné par le Tribunal du travail, en présence de ce médecin expert du Ministère de la santé, de l’assistante sociale de la Ligue Braille, de mon jeune avocat. Les rapports médicaux fournis par l’infectiologue, le diabétologue, l’ophtalmologue et l’expertise du kinésithérapeute, ne suffirent pas à convaincre. On se demande comment un médecin peut remettre en cause la crédibilité de ses confrères. Il me fallut baisser mon pantalon, pour prouver ce qui était bien spécifié dans les rapports du kiné et de l’inféctiologue, à savoir l’état désastreux de mes jambes déformées par la paralysie et les effets secondaires des médicaments. Tant d’efforts, d’ humiliations pour faire valoir son droit au statut d’handicapée… Je ne crois pas que je pourrai refaire valoir mes droits dans ces conditions, ni de me défaire de ma colère et de ma révolte pour ces traitements dégradants. Sans le soutien de mon jeune avocat, de mon médecin, de mon kiné et de l’assistante sociale, j’aurais sûrement baissé les bras avant mon pantalon. Nous n’aurions pas gagné ce procès. Ceci pour démontrer la difficulté de faire valoir ses droits en tant que personne exilée vivant avec le VIH, puisque nous n’avons même plus de considération en tant qu’ être humain responsable. Avec le sida nous perdons notre statut d’adulte responsable, le respect dû à l’humain. Avec l’exil notre autonomie, notre statut social et le respect qui va avec. Pour la plupart d’entre nous, nous sommes des survivants du sida. Après avoir vaincu la mort, fait le deuil de notre deuil, on nous reconnaît certes « le droit à la vie », mais pas « le droit de vivre ». Nous sommes dépossédés même de notre maladie, du sida… Devant ces discriminations conscientes ou inconscientes, visibles ou invisibles, très souvent sournoises, comment pourrions nous faire valoir nos droits sans avoir le « droit d’exister » ? Comme le dit si bien Aminata Traore : Il n’y a pas dépossession plus grave que celle qui interdit à un sujet l’accès à la question qui le concerne Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 5 Le cri de douleur de Dany Chers(es) compatriotes, Le sida vient de tuer encore une personne de notre entourage. Ma douleur est profonde car je me suis donnée pour devoir chaque jour de sensibiliser, de prévenir, de rappeler au gens que le sida existe et qu’il continue à faire des ravages dans notre communauté. Comment, nous qui vivons en Europe, où les traitements sont disponibles pour tous, pouvons-nous mourir encore de cette maladie faute de soins ? La méconnaissance de la maladie, le manque d’information, le rejet par la société des personnes séropositives est encore chose courante dans notre milieu. Créons la différence chers amis, traitons le sida comme toute autre maladie. Ne traitons pas les personnes vivant avec le Virus comme des pestiférés car le SIDA N’EST PAS UNE MALADIE CONTAGIEUSE mais LE SIDA EST UNE MALADIE TRANSMISSIBLE. Rejeter les malades, tout en restant sexuellement irresponsable ne vous protège pas. Malgré mon engagement jour et nuit, voilà que je perds un proche, à qui j’ai toujours parlé de la maladie sans savoir qu’il en était victime. Cet ami n’a jamais réussi à vaincre la honte de son état pour s’ouvrir à moi et se faire traiter. Pendant ce temps ce mal l’a rongé durant des années, et a fini par avoir raison de lui trop tôt… Vous, la société, je vous accuse d’être aussi responsables de cette mort inutile et évitable.Votre mauvaise attitude vis à vis de la personne contaminée par le virus du sida est le seul responsable de ce drame. Maintenant que mon ami est mort, les spéculations vont aller bon train sur les causes de sa mort. Nul ne saura jamais la vérité avec certitude sur cette mort, car la famille et les proches vont s’emmurer dans le silence, les demivérités ou le mensonge. Et un tabou va se créer autour de cette mort prématurée. Pendant ce temps le SIDA lui, continuera à agir, se propager, nous exterminer, méthodiquement et systématiquement. Qu’est-ce qui ne va pas dans cette société? J’ai mal. Pourquoi tant d’incompréhension ? Combien de temps allons-nous encore laisser le sida avoir le dernier mot dans nos vies ? Levons nous et ensemble créons la différence en vulgarisant le sida. Ne nous enfermons plus dans la honte, ne nous laissons plus emmurer dans le « qu’en dira-t-on ». N’ayons plus peur d’en parler pour ceux qui sont malades et de suivre le traitement. Pour vous qui êtes sains protégez-vous ; arrêter de juger ; arrêter de condamner les personnes atteintes car le SIDA est déjà une peine à perpétuité. Ne rajoutez pas à la souffrance physique, la torture morale. Soyons sexuellement responsables de nos actes. Dany www.libiki.org 6 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs River Huston s’exprime au nom de la gent féminine séropositive 10 choses que vous ignorez à propos du VIH et des femmes Il existe une multitude de suppositions à propos des femmes atteintes du VIH, du genre : nous formons rapidement une dépendance ou nous manquons de jugement lorsqu’il s’agit de choisir un partenaire. Certaines, voire toutes ces hypothèses, peuvent se révéler vraies pour certaines d’entre nous, et puis alors? Comme n’importe quel groupe, nous sommes des individus et faisons partie de la catégorie des femmes séropositives. Nous venons de tous les milieux et avons des origines ethniques, religieuses et socio-économiques différentes, ce qui rend notre histoire unique. Une chose est certaine à propos de nous : le VIH est un problème de nature médicale et non pas un adjectif qui nous décrit. 1 Nous ne sommes ni héroïques, ni courageuses ni braves. Nous essayons simplement de vivre de notre mieux. Un héros est une personne qui entre dans un édifice en flammes pour sauver une femme en fauteuil roulant ou qui plonge dans l’eau pour sauver un enfant de la noyade. On a dit de moi que j’étais héroïque, courageuse et brave depuis le début, mais en vérité je trouve que chaque femme vivant avec le VIH que j’ai rencontrée ne laisse pas le virus définir, détruire ou dévaster sa vie et qu’il ne s’agit en fait que d’une femme forte qui vit sa vie au meilleur de ses capacités. En faisant de moi une héroïne, vous me placez sur un piédestal duquel je suis certaine de tomber. 2 Nous pouvons encore avoir une belle sexualité. Je dois tout d’abord me remettre de ce qu’on dit être le sexe sécuritaire, en commençant par le condom pour femme. Lorsqu’il est finalement en place, vous ne voulez plus baiser, vous voulez un Valium. La deuxième place des atrocités va à la digue dentaire. Et soit dit en passant, je n’ai vraiment pas envie qu’on me touche avec des gants en latex. La sexualité, c’est beaucoup plus que le coït et les relations bucco-génitales. Au bout du compte, ma sexualité s’est améliorée parce que j’ai appris à communiquer en parlant du sexe sécuritaire et en explorant d’autres options, comme les jouets, les fantasmes et les costumes. 3 Nous pouvons avoir une vie bien remplie, y compris une carrière. C’est un choix que je peux faire. L’accès au traitement m’a permis d’avoir un avenir, qui comprend des objectifs de carrière à long terme. River Huston est poète, journaliste et artiste lauréate. Elle est l’auteur de cinq livres, dont A Positive Life: Portraits of Women Living with HIV. Vision Positive Volume 7, Numéro 2 4 Nous pouvons donner naissance à des enfants séronégatifs. Le savoir médical a grandement réduit le risque de transmettre le virus à mes enfants et m’a donné la possibilité de les voir grandir et devenir adultes. 5 Nous ne sommes pas le visage du VIH. Je n’ai pas besoin d’être la tête d’affiche d’une maladie. Que je le dévoile publiquement ou non, je ne suis pas définie par ma maladie. Le VIH est un virus, et je suis pas mal plus jolie que ça. 6 Nous recherchons toujours un peu de romance. J’ai besoin d’être traitée avec respect et adoration et de recevoir des cadeaux. Le VIH n’a pas fait disparaître mon désir d’être courtisée et charmée. 7 Notre partenaire peut être séronégatif. La plupart des gens présument que mon mari est séropositif. J’ai des nouvelles pour eux : il est négatif et le VIH joue un rôle très mineur dans notre vie. Les femmes séropositives n’excluent pas les partenaires séropositifs, mais ne se limitent pas exclusivement à ce groupe. 8 Nous pouvons vivre le moment présent. Le VIH n’est pas un cadeau; si ce l’était, je m’empresserais de le retourner au magasin. Il m’a toutefois montré à ne pas m’attarder sur le passé et à ne pas m’inquiéter de l’avenir. Nous allons tous mourir un jour ou l’autre. Je sens maintenant que je dois vivre ma vie pleinement à chaque jour, alors je ne songe pas à la musique qui jouera lors de mon service commémoratif. 9 Nous n’avons pas à nous contenter de quoi que ce soit. Je ne suis pas de la « marchandise endommagée ». Je suis une femme formidable, sexy et séduisante. Je peux choisir la personne avec qui je partage ma vie. Je n’ai pas à vivre avec un partenaire qui me maltraite, qui n’a pas un bon emploi ou qui ne me convient vraiment pas parce que personne d’autre ne veut de moi. 10 Nous sommes heureuses. Le fait d’être séropositive ne doit pas compromettre mon bonheur. J’ai le droit à une vie heureuse. J’ai accepté le fait d’avoir un virus dans le sang qui me cause des problèmes, mais qui peut être géré. Je peux vivre ma vie, qui comprend beaucoup de rires, des amis, une famille et du bonheur. Je vis en supplémentaire et j’apprécie chacune de mes magnifiques minutes. Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 7 Extrait de lettre de séropo Chère Collègue, … A vrai dire nous sommes un peu désenchantés visà-vis de cette vie autour de nous avec tout ce qui se passe et surtout toute l’incompréhension, l’ignorance, le manque de professionnalisme, l’approximation avec lesquels on se débat tous le jours. Il va de soi que quand on est porteur d’une maladie sexuellement transmissible et en plus mortelle et qu’on peut tenter d’endiguer mais seulement pour une petite « élite », le mur susmentionné devient infranchissable. Juste pour te dire… le premier médecin que j’ai vu quand on m’a appris ma séropositivité, à la suite d’une intervention chirurgicale où on m’avait testée à mon insu, voulait absolument savoir comment j’avais attrapé le virus, avec combien de personnes j’avais couché, si par hasard je n’étais pas pute et pour finir, comme il n’étais pas satisfait, il a commencé à m’interroger sur les habitudes sexuelles de mon partenaire, combien de fois, avec qui, si il se droguait et si il fréquentait habituellement des prostituées. Exaspérée par son interrogatoire, je lui ai dit que d’habitude je ne passais pas mon temps cachée dans son caleçon pour voir où il mettait sa queue ! NOTE : est-ce que par hasard les médecins sous la forme de l’intérêt médical assouvissent leur fantasmes sexuels ? En plus de ça, il a ajouté qu’il se devait d’être tout à fait sincère avec moi et que donc pour la maladie en question il n’y avait pour l’instant que l’AZT comme médicament, qu’il n’était pas sensé guérir mais juste ralentir la maladie et que mes chances de vie se situaient, si je ne développais pas immédiatement le SIDA, entre 7 et 12 ans de vie. Après ces propos « réconfortants », l’idée d’avoir une vie affective et sexuelles n’effleurait même pas de loin l’antichambre de mes pensées. 8 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs La peur de contaminer une autre personne, de lui donner la mort, le poids de la responsabilité de cacher le virus, la peur de l’exclusion, de l’étiquetage, la peur d’être malade et invalide, tous des arguments qui tour à tour ou même tous ensemble ont sapé mes envies sexuelles. Et pendant des années je me suis limitée à donner toute mon affection à ma fille en espérant de vivre au moins aussi longtemps possible que la durée des ses études et j’ai regardé les hommes et l’amour avec un triste détachement, une sorte de « supériorité métaphysique », un peu comme un « je suis au delà de cette fièvre terrienne qui me touche simplement comme réflexion intellectuelle ». J’avais mis tout dans le sac, pas seulement la vie sexuelle mais aussi tout ce qui allait avec. Il me restait ma mission à accomplir et j’aurais pu après me retrancher dans une vie monastique. C’est en fréquentant l’association Groupe Sida Genève que j’ai rencontré d’autres personnes comme moi, qui tout en étant « banalement » en dehors des fameux groupes à risque se retrouvait à devoir gérer un virus aussi incommode que le VIH. NOTE : parce que t’as jamais entendu autant de brouhaha pour d’autres virus qui pourtant sont aussi dangereux et même plus virulents ? Mis à part ça, j’ai commencé par là à rechercher et à retrouver une vie affective. Je me suis retournée vers des amitiés homosexuelles, des hommes avec lesquels je pouvais me permettre d’exprimer l’amour qui était en moi, d’être intime avec une personne sans qu’on s’embrouille dans une relation sexuelle. Mais j’étais encore très loin de penser que j’étais « normale » et que donc je pouvais exiger d’avoir une vie « normale » avec des sentiments et des pulsions tout à fait « normaux ». C’est pour cela qu’une fois je me suis faite insulter par un soi-disant hétéro « normal » : tant qu’on est resté à la relation sociale tout allait pour le mieux, il m’a même démontré son fort intérêt, mais dès que à séropo je lui ai annoncé la couleur il s’est littéralement enfoui. Pour être un fils de médecin, frère et beau-frère de médecins et lui-même physicien chercheur, c’est plutôt décevant. NOTE : comme toi, moi aussi j’ai rencontré les plus obtus dans le milieu spécialisé. Est-ce un hasard ? Je ne manquais pas d’informations, au contraire j’étais une assidue du GSG et j’ai reçu aussi une formation pour accompagner d’autres personnes beaucoup plus malades que moi. Cela m’a permis d’être certaine sur ce que je pouvais et ne pouvais pas faire. C’était le côté psychologique qui boitait. Je me suis laissée peutêtre entraîner par la vague des « culpabilisants » ou des « pitoyables » qui ne s’est pas encore essoufflée puisque je rencontre toujours et encore des médecins qui s’intéressent à la manière de ma contamination. Je me sentais responsable de mon manque de respect envers moi pour ne m’être pas protégée au bon moment et je voyais dans le regard de certains professionnels et membres d’associations un vague, quand ce n’était pas un intense, sentiment de pitié. NOTE : j’ai été avec C à Arc-en-ciel à Paris qui se défini une association pour séropos et malades du Sida. Pour accéder aux activités du genre séances de massage, conférences d’information, groupes de parole (il y a un groupe de femmes), il faut être membres et pour savoir si on est aptes à être membres, il faut avoir un entretien pendant lequel ils te posent un tas de questions, entre autres si tu es séropo, depuis quand, comment tu l’as attrapé, ta situation sociale, économique, etc. Juste pour ne pas te sentir classé ! Après une longue et pénible période de travail psychologique je suis parvenue à m’estimer un peu mieux que ce que les images stéréotypées sur les séropos me renvoyaient. J’ai commencé à penser que j’étais normale et que je devais commencer à faire des rencontres. Je suis passée par une agence et j’ai rencontré des hommes « très bien » mais à mille lieus de distance de mon monde. Je m’étais vraiment détachée de la fièvre terrienne et je ne voyais pas ce que je pouvais bien conclure avec ces hommes-là. C’est en lisant la quantité d’annonces que d’autres séropos mettaient dans un magazine associatif, que je me suis aperçue que dans mon monde à moi je pouvais rencontrer plein de gens comme moi qui désiraient partager de l’amitié, de l’amour et du sexe et ils le disaient et ils l’écrivaient. C’est comme ça que C et moi nous nous sommes mariés. Autant te dire que nous sommes passés par toutes sortes de difficultés vis-à-vis de la sexualité. Tous ce qu’on a entendu comme interdit pendant des années de la part du corps médical y est passé.Y compris l’effet des médicaments qui, malgré la réticence des médecins à l’admettre, s’est avéré être une des causes du manque de désir et de toutes les difficultés qui en découlent, donc aussi d’avoir un partenaire. La peur de se laisser aller et de se recontaminer était au dessus de tout ; mais quel acte sexuel peut passer par un contrôle de soi-même ? Et même notre désir d’enfant y est passé : du « mais vous êtes fous de vouloir faire un enfant », jusqu’au « pour le faire vous pouvez avoir des rapports sexuels comme tous le monde ; vous ne risquez pas de vous surcontaminer » ! NOTE : qui nous dit la vérité sur contamination et surcontamination ? Qui transmet à qui et quand, vu que dans certains couples qui ont des rapports sexuels sans protection on trouve sérodiscordance depuis des années ? Selon la loi française vaut le principe de précaution, comme pour la vache folle. Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 9 Désir d’enfant A 17 ans, j’ai appris simultanément ma séropositivité et ma grossesse. Le seul homme que j’avais connu dans ma courte vie et dont j’étais follement amoureuse avait 35 ans : le double de mon âge. Pour m’éloigner de lui ma mère m’avait envoyé en Europe pour y poursuivre mes études. Peine perdue, car je l’ai revu lors d’un passage en Europe. C’est sans doute à ce moment là qu’il m’a mise enceinte et peut être contaminée. Dans ma naïveté de gamine qui découvre l’amour et le sexe pour la première fois, je ne faisais aucun lien de causes à effets entre l’acte sexuel et grossesse encore moins contamination.Tout cela était bien confus et enfoui dans mon inconscient. L’idée d’une probable grossesse ne m’avait même pas effleurée et des MST encore moins. De plus, comme on peut l’être à cet âge, j’étais crédule et naïve, j’éprouvais tant d’amour et tellement occupée à mon bonheur que rien n’aurait pu gâcher. Lorsque à la suite d’un léger malaise à l’école, le médecin m’apprit sans ménagement, en même temps ma grossesse et ma séropositivité, j’ai eu la frousse de ma vie. Je fus tellement terrifiée et terrorisée que je pris le premier avion pour l’Afrique pour mourir auprès de ma mère alors que le salut se trouvait ici. Malgré ses questions insistantes sur les raisons de mon retour précipité, je n’osais rien lui avouer. Le traumatisme encore vivace de mon oncle mourant du sida dans des conditions surréalistes : rejeté par sa famille, ses amis, ses collègues, déshérité par mon grand père, abandonné par sa femme. Ces souvenirs me hantaient et bloquaient mon besoin de me confier. Il n’y avait que mon grand frère resté à Bruxelles qui connaissait ma situation 10 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs et avec qui je partageais mon désespoir et mon pessimisme. Dans mon hystérie de pensées morbides, je lui avais laissé une facture de téléphone de presque 100.000 FB qu’il a eu du mal à digérer et à rembourser. J’ai fini par me faire avorter dans la clandestinité et suite à une déchirure de l’utérus ma mère m’a fait hospitalisé et appris ma grossesse. Elle ignorait encore ma séropositivité qui risquait de l’anéantir. Moi même, je culpabilisais énormément en songeant au chagrin que j’allais lui causer. C’était comme si je lui plantais un couteau dans ses entrailles. De son côté, elle et le gynéco me réservaient une bien mauvaise nouvelle : d’après le diagnostic du médecin, après cet avortement sauvage, je ne pourrai plus avoir d’enfants. Après beaucoup de larmes partagées avec ma mère, je me suis consolée en me disant que dans ma situation ce n’était peut être pas plus mal. J’étais très perturbée et complètement déboussolée par tout ce qui m’arrivait. Je gardais pour moi mon gros secret sans pouvoir le partager et je multipliais les bêtises pour donner le change. C’est ainsi que sans savoir comment, je me suis retrouvée de nouveau enceinte. Comme la plupart des kinoises, nous confondions l’interruption de grossesse avec une contraception et n’utilisions aucun contraceptif. Mais après ma douloureuse expérience d’interruption de grossesse et le verdict du gynéco, la perspective de cette grossesse fut pour moi comme un signe du destin, une seconde chance. Je me disais que même si je devais y laisser ma peau, cet enfant qui grandissait en moi me survivrait. J’ai donc vécu ma grossesse avec beaucoup de gratitude et de sérénité. J’ai mis au monde dans des conditions normales un beau petit garçon en bonne santé âgé de 10 ans aujourd’hui. A 17 ans, j’ai appris simultanément ma séropositivité et ma grossesse. Dès que je l’ai tenu dans mes bras, un sentiment indéfinissable de plénitude a envahi mon coeur et l’envie de vivre pour le voir grandir s’est renforcée. Ma mère soupçonnait sûrement mon secret, elle en avait été sûrement informée par le gynéco, mais les « non dits » avaient la dent dure chez nous et tacitement, nous n’abordions jamais ce sujet. Nous nous contentions de partager le bonheur de voir grandir ce petit bout de chou qui nous comblait par sa beauté, sa vivacité, son intelligence et sa bonne santé. Malheureusement, au bout de cinq ans, les premiers symptômes du sida se sont manifestés. Dans l’entre-temps, je m’étais bien documentée car j’avais la volonté de vivre pour m’occuper de mon fils. Je suis allée consulter avec confiance les spécialistes de mon pays qui m’ont ballottée de l’un à l’autre sans vraiment me prendre en charge malgré ma possibilité de paiement. Découragée et déjà mal en point, j’ai donc fini par abandonner mon petit garçon à ma mère pour m’expatrier à la poursuite des médicaments. Après quelques années difficiles de péripéties administratives indescriptibles, j’ai réussi à stabiliser ma santé, à faire venir mon petit garçon, j’ai trouvé du travail et je me suis même mariée. Un court mariage où j’ai réussi à convaincre mon mari séronégatif de me faire un autre enfant. Nous avons entamé ensemble le programme de grossesse assistée au Centre de référence où je suis suivie mais notre mariage n’a pas survécu à la peur ; à la substitution de son rôle de concepteur par une éprouvette et à la manipulation de la science qui réduit le mâle à un simple donneur. Désireuse de concevoir ce bébé, j’ai poursuivi ma démarche de grossesse assistée avec mon nouveau conjoint qui s’est montré plus compréhensif. Après le deuxième essai, j’ai été enceinte et dès le troisième mois, j’ai dû arrêter mon travail de peur de faire une fausse couche. J’ai mis au monde prématurément par césarienne un deuxième petit garçon. Il est né avec une jaunisse et était si minuscule et si fragile que c’était un vrai déchirement pour moi de le voir avec tous ces tuyaux et de rentrer chez moi en le laissant à l’hôpital. J’étais terrifiée à l’idée de ne pas le retrouver là à ma prochaine visite et je n’arrivais plus à m’endormir. Je trouvais cruel qu’on ne m’autorise pas à rester auprès mon bébé qui avait sûrement besoin de moi. Je culpabilisais aussi à la pensée que c’était de ma faute si ce bébé était né avant terme, s’il souffrait et j’appréhendais sa sérologie. Si ma mère n’était pas venue me soutenir, je crois que j’aurais fait une dépression. Au bout de quelques semaines d’angoisse, nous sommes rentrés à la maison. Mon bébé va bien, il a pris du poids et grandit admirablement entouré de l’amour de son frère qu’il reconnaît dès qu’il rentre de l’école. Les quatre examens de dépistage n’ont révélé aucune trace de VIH. Je retrouve tout doucement ma joie de vivre, ma foi dans l’avenir et mes angoisses s’éloignent. En regardant mes deux enfants, je me sens comblée avec un sentiment de plénitude et une folle envie d’avoir une petite fille pour clôturer la série. Propos recueillis par Judith Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 11 Et vous, que faites-v Ma contribution dans la lutte contre le sida ? Informer, Sensibiliser, Prévenir Engagée également dans la lutte contre le Sida J’essaie tant bien que mal de sensibiliser au détour d’une conversation (en famille, entre amis, au travail) sur le bien-fondé de l’usage du préservatif ainsi que sur la nécessité d’avoir des rapports sexuels responsables. Mon engagement auprès des séropos ? Un choix, un devoir, une responsabilité Encore aujourd’hui au sein d’AFEDE asbl, lors de nos campagnes de sensibilisation, nous n’hésitons pas à mettre en évidence la corrélation qui existe entre la violence faite aux femmes et la pandémie du Sida : la violence limitant la possibilité qu’on les femmes de se protéger contre l’infection. Nous luttons afin que les survivantes recouvrent leur dignité et leur intégrité, en dénonçant les violences sexuelles mais aussi en sensibilisant à la prise de conscience afin de les prévenir. Après des années d’intense sensibilisation, nous développons des moyens pour leur redonner le goût de lutter au-delà de la survie pour devenir des actrices de changement et de développement dans leur communauté. Mais nous avons conscience d’un facteur essentiel : sans justice, il n’y a pas de paix et de développement possibles! La photographe bénévole du Projet Matonge contribue à la lutte contre la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH Nous croyons à l’impact d’une prise en charge communautaire et une prévention de proxmité Les arv soignent, les amis « d’ Echos séropos ici et d’ailleurs » aussi Maddy Tiembe [email protected] http://afedeasbl.blogspot. com/ www.afede.net Le HCNLS, Mali, nous rappelle que nous sommes tous concernés 12 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs vous contre le Sida ? La foi réconforte mais ne soigne pas le sida : un traitement, le miracle aurait pu s’accomplir Lettre ouverte à Amina Chère Amina, L’accueil toujours enjoué de la doyenne de « La petite colline » Nos relais communautaires luttent contre « la séro ignorance » Les pays du Nord et du Sud « ensemble contre le sida » Pauline Kompany, Coordinatrice de VIPOT ONG « Vie pour tous » a porté la voix du Sud à Toronto Montreal se mobilise pour « Echos seropos d’ici et d’ailleurs » Je tiens à vous remercier pour l’espace que vous accordé aux témoignages des femmes séropositives. Cette initiative est encourageante pour les femmes qui, hier se cachaient, étaient pointées du doigt, voyaient leurs rêves brisés…, aujourd’hui témoignent à visage découvert, se mobilisent à travers des associations pour aider, conseiller et montrer aux personnes séropositives que la VIE vaut la peine d’être vécue jusqu’au bout. A travers leurs témoignages, qu’elles soient chrétiennes, agnostiques ou athées, leur dénominateur commun est leur détermination à regarder le problème en face et à réagir après une phase de déprime à l’annonce du diagnostic. Je salue leur courage, en dépit de diverses barrières ( rejets, préjugés, humiliations…), elles gagnent difficilement du terrain dans leur combat. Elles méritent notre soutien quelle qu’en soit la forme. Continuez à être avec elles dans leur lancée. Je vous remercie. Marie-Louise Peti Nzako Pour plus d’infos, lire l’article aux pages 26 et 28 de AMINA/juin 2007. Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 13 Sans papiers, sans existence Je vis en Belgique depuis 2004 où j’ai décidé de rester définitivement pour des raisons médicales. Auparavant, je venais chaque année en vacances chez ma soeur mariée et j’en profitais pour faire mes contrôles. Dans mon pays, je travaillais aux Nations Unies et c’est après une mission en Tanzanie, en 1999, que mon Sida, déjà déclaré, à été diagnostiqué suite à une méningite. Je suis resté hospitalisé trois mois. Heureusement, les Nations Unies venaient de voter une loi de prise en charge médicale globale à 100 % en hospitalisation et 80 % en ambulatoire. Je fus parmi les premiers à bénéficier de cette mesure. Mes supérieurs ont été réellement compréhensifs et j’ai donc directement commencé la trithérapie dont je payais 20%. J’ai aussi repris mon travail après ma convalescence. Ils ont aménagé mon temps de travail pour que je me remette rapidement. Je leur en étais très reconnaissant. Je n’ai jamais su quand, comment et par qui j’ai été contaminé et à vrai dire je m’en fichais un peu. J’étais un garçon plutôt rangé sans histoires croustillantes avec les femmes ou autres papillonnages féminins. J’avais perdu ma fiancée cinq ans plus tôt dans un accident de voiture et je n’en étais pas encore complètement remis. Je devais maintenant faire le deuil de mon désir de ne plus fonder une famille et d’avoir des enfants et cela me fendait réellement le cœur. Dans mon souvenir, j’ai toujours été entouré d’enfants et j’étais très proche de mes neveux et nièces. J’imaginais mal renoncer aux joies de la paternité, de la famille et de partir sans marquer mon passage sur terre. 14 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs Les premières années de traitement se sont relativement bien passées et je tolérais les médicaments sans aucun problème jusqu’au jour où mon traitement a été perturbé par une interruption due à une mission de service prolongée plus que prévue. Mon médecin a dû directement changer mon traitement et les effets secondaires du nouveau traitement n’ont pas tardé à se manifester surtout par des neuropathies qui sont devenues insupportables durant mon séjour ici. Ma soeur et son mari médecin, inquiets, ont donc refusé de me laisser partir dans cet état sachant qu’ils étaient la seule famille qui me restait. Je me suis laissé convaincre et j’ai obtenu une mise en disponibilité provisoire d’un an à mon service. Mon état se détériorait de jour en jour et cela nous confortait dans l’idée que nous avions fait le bon choix. Ma soeur croyait qu’obtenir un permis de séjour était juste une petite formalité mais cela a vite viré au cauchemar. A ce jour, après de nombreuses démarches, interventions juridiques, menaces de suspension d’aide médicale, harcèlements administratifs, je viens d’obtenir un visa de séjour d’un an renouvelable grâce aux associations que je fréquente assidûment depuis deux ans… Mon soulagement est sans nom. Dans ma culture, vivre sous le même toit que ma soeur et son mari est quelque chose d’inimaginable. Tout moderne que je sois et bien qu’installé confortablement, j’éprouvais un grand malaise que je n’arrivais pas à surmonter et je culpabilisais d’autant que mon beau frère, les enfants et ma soeur se montraient tous respectueux, gentils, prévenants et toujours prêts à me rendre la vie agréable. Je restais des heures assis dans Je m’appelle Pascal, j’ai 46 ans et j’ai le sida. ma chambre désespéré, désemparé sans oser en sortir à cause de mes convictions culturelles qui me taraudaient et par peur de gêner. De plus, depuis l’âge de 18 ans j’ai toujours été financièrement indépendant avec ma propre maison, mon propre véhicule, mon salaire ne devant rendre de comptes à personne et avec la responsabilité d’une famille élargie, je portais même soutien à certains nécessiteux. Je me retrouvais dans une situation de dépendance totalement inconnue pour moi. J’ai donc pris la décision unilatérale de retourner dans mon pays et j’ai entamé les démarches pour retrouver du travail là bas. J’ai pu obtenir des promesses de travail et mon état de santé étant plus ou moins stabilisé, il ne restait qu’à fixer la date pour repartir. J’étais convaincu que je ne pouvais pas vivre pire, ni tomber plus bas. J’étais prêt à mourir chez moi plutôt que d’être traité plus longtemps de « sans papiers » et de « sans existence ». Les médecins, les assistantes sociales, les amis, ma famille m’exhortaient tous à une patience qui m’avait lâché et que je n’avais plus. De son côté, ma soeur heureuse et soulagée de m’avoir auprès d’elle pour s’occuper de moi comprenait mal ce malaise, ce fossé culturel qu’elle en était presque vexée. J’essayais de me rendre utile autant que je le pouvais les courses, le jardin, les véhicules etc… sans pour autant être soulagé… Depuis que j’ai obtenu mon permis de séjour c’est comme si un grand poids m’était enlevé. J’ai réussi à trouver un logement provisoire il est vrai, j’ai une promesse de travail et je sens l’espoir renaître avec ma dignité retrouvée avec mon identité. Quand je joue ou que je prends dans mes bras les bébés de ma nièce; je sens un grand bonheur envahir mon coeur. Je me surprends à rêver d’une vie d’une famille que je fondrais avec une femme, des enfants et je ressens tout l’amour qu’un rescapé de sida qui a flirter avec la mort peut avoir pour la vie et pour une famille. Mais dans un an le cauchemar devrat-il recommencer ? J’étais prêt à mourir chez moi plutôt que d’être traité plus longtemps de « sans papiers » et de « sans existence ». Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 15 Veuve du Sida Je suis une veuve de 50 ans et je n’ai pas le sida Mon mari est décédé du sida il y a cinq ans en me laissant un adolescent en quête de réponses que je ne sais pas lui donner. Le plus difficile dans notre deuil est de ne pas comprendre ce qui s’est réellement passé et d’avoir raté quelques épisodes de notre vie avec mon époux. Ce n’est qu’à la veille de sa mort, après avoir fait durant des mois le tour des guérisseurs et médecins, qu’au bout de compte, j’ai appris que mon mari avait le sida. Dans l’état critique où il se trouvait j’ai dû prendre sur moi pour le soigner, le rassurer et l’accompagner jusqu’à la mort. Ce fut très dur pour moi. Le deuil que je porte toujours est celui de nos quinze ans de vie commune. Je m’abîme à remuer des questions sans réponses sur notre mariage, son engagement envers moi et son fils : quand, comment et par qui a t il été contaminé. J’ai fouillé dans ses affaires, discuté avec son médecin, ses amis, sans trouver de réponse satisfaisante. 16 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs Après son décès j’étais effondrée de douleur, d’incompréhension et infiniment seule. Sous la pression de ma famille, j’ai subi des tests de dépistage dont je n’étais pas prête à assumer les résultats. Je me suis sentie humiliée de cette invasion familiale dans mon intimité sous prétexte du souci pour moi. Les tests se sont avérés négatifs mais ça n’avait aucune espèce importance personne n’y a crû. Et moi, je ne me suis pas sentie soulagée pour autant. Tout le monde est persuadé que je suis séropositive et je me sens fatiguée de me justifier. Je les laisse m’épier attendant le jour où la maladie se déclarera. Je vis avec le sida sans en être contaminée. Il a investi sournoisement ma vie et en a fait un enfer. Mon fils n’en parle jamais et semble avoir réussi à oublier ; moi, je ne sais comment m’en défaire et je m’investis dans la lutte contre la stigmatisation. Propos recueillis par Judith Les orphelins du Sida Je suis atteinte de Sida, Mon ex-mari est mort de sida, Sa femme est morte de sida, La petite sœur de sa femme est morte de sida, Le grand frère de sa femme est mort de sida, Ma propre sœur vient de mourir de sida. Ma meilleure amie est morte de sida, Mon voisin est mort de sida, Sa femme est atteinte de sida, Ses deux derniers enfants sont atteints de sida, Le frère de ma collègue est mort de sida, Et je peux continuer ma liste longtemps encore… Une lugubre et sinistre chaîne que n’importe qui peut reprendre plus longue ou plus courte, qu’importe… c’est devenu la tragédie du quotidien dans certaines parties du monde que bien des gens méconnaissent encore. Pourtant le sida n’est pas héréditaire, n’est pas une fatalité mais comment convaincre et rassurer les enfants orphelins ou presque orphelins qui n’ont plus l’innocence, ni l’insouciance de leur âge. Ils guettent et se posent mille et une questions… Des heures entières, ils s’interrogent, quand ils voient que le matin papa ne peut plus aller au travail, que maman tousse de plus en plus fort ou devient de plus en plus faible. J’essaie d’imaginer le drame de nos enfants qui voient peu à peu, jour après jour, la vie se vider des veines de leurs parents sans qu’aucune explication ne leur soit donnée. Confusément, ils sentent qu’ils sont en danger. Ils éprouvent une angoisse irraisonnée sans savoir vers qui ils peuvent se tourner. Ils pensent qu’ils vont se retrouver ainsi, seuls, sans parents, sans protection, sans lendemain, sans explication, et sans personne à qui confier leur peur d’enfant. Il est terrifiant de se retrouver si vite adulte et de devoir affronter, seul, la vie. Ils ne comprennent pas les insinuations, les tracasseries scolaires et administratives. Ils cherchent Hollywood va immortaliser Nkosi Johnson, en portant à l’écran la vie de cet orphelin sud-africain, né séropositif, dont le plaidoyer en faveur des malades du sida avait ému la planète et fait de lui un symbole de la lutte contre le virus qui ravage son pays. quelqu’un pour les prendre dans les bras pour leur donner un peu de chaleur, un peu de tendresse, une oreille attentive et affectueuse pour écouter les petits bobos, les premiers chagrins d’amour apaiser leurs tourments et donner des conseils pour commencer dans la vie. Actuellement, on demande aux personnes saines d’avoir un comportement sexuel responsable mais on n’insiste pas assez auprès de ceux qui sont malades sur le fait qu’ils doivent préparer les jeunes très vulnérables qui resteront après eux et dans la mesure du possible les préparer à leur absence afin de leur éviter incompréhension, désarroi, désolation et désespoir. Il est déjà si dur de perdre ceux qu’on aime mais s’il faut, en plus, en justifier les raisons, c’est presque insupportable pour un enfant à qui on n’a rien confié rien appris sur la maladie. Il faut parler aux enfants, ne pas leur mentir, ne rien dissimuler. Il faut essayer de les préparer à votre départ dans la mesure du possible, les diriger vers une famille d’accueil déjà de votre vivant. Le plus important ce n’est pas le temps que nous passons sur cette terre mais ce que l’on y fait. Et quand on a la chance de fonder une famille, d’avoir des enfants, de les voir grandir, de pouvoir leur parler, même quand ils ne semblent pas vous écouter, dites vous, qu’un jour, quand vous ne serez plus là, tout ce qui leur paraissait divagations remontera en surface dans leur mémoire. Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 17 Ma plus belle histoire de Sida Fin décembre 1997, je suis retournée en Afrique en espérant y mourir. Mon état de santé et de faiblesse était tel que rien que le voyage pouvait avoir raison de mes dernières forces. Mais après douze heures de vol, j’ai fini par arriver à destination. Ma sœur, son mari, les enfants ainsi que leurs amis, bien qu’effarés par mon aspect, semblaient soulagés et heureux de me revoir. Ma nièce à l’époque devait avoir 13 ans,. Elle prit mes valises et me dirigea vers la chambre de sa sœur absente, pour que je m’y repose, je la vis défaire spontanément ma valise et ranger mes vêtements dans la garde-robe et consciencieusement classer dans une commode mes tonnes de médicaments. Puis, elle s’arrêta sur un livre Canadien sur le Sida, elle se mit à le feuilleter attentivement ensuite elle se tourna vers moi pour me demander si elle pouvait le lire… J’étais tellement impressionnée par son intérêt et son sérieux que je la laissais emprunter le livre qu’en fait, j’avais ramené pour son père médecin ainsi que d’autres documentations. Deux jours après, en rentrant de l’école elle m’informa qu’elle avait trouvé un sujet pour son exposé, elle voulait parler du Sida. Toujours surprise je ne fis aucun commentaire mais je la voyais chaque soir à la même heure venir me demander discrètement si j’avais pris mes médicaments ou si je voulais qu’elle me les amène… Il s’établit une sorte de complicité tacite : elle gérait mes médicaments et mes heures de repas, consciente que j’étais en plus diabétique et moi je me faisais un plaisir d’obéir. Une nuit vers 23 heures, je la trouvai au salon 18 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs alors qu’elle avait cours le lendemain. Je voulus savoir pour quelle raison elle n’allait pas dormir. Elle me dit qu’elle attendait son papa pour lui demander de corriger son exposé mais surtout pour qu’il lui donne certaines précisions qu’elle n’avait pas trouvé dans le livre, sur le pourcentage d’enfants contaminés à la naissance. Elle me tendit son exposé qui était fait simplement, méthodiquement avec des mots d’enfants. C’était clair, concis et pourtant très perspicace et d’une belle sensibilité. L’introduction attirait l’attention de ses camarades sur le fait que dans chaque famille, dans chaque foyer, parmi les proches, on rencontre des malades du Sida. À la radio, à la télévision, dans les journaux on parle du sida, on ne peut donc plus l’ignorer. Elle poursuivait par la définition du VIH et de la séropositivité, puis par les moyens de contaminations, les méthodes de prévention et de dépistage, les soins, l’hygiène de vie et la prise en charge sociale. En conclusion, elle exhortait ses petits camarades non seulement à faire attention pour ne pas être contaminé par le sida mais aussi à aider les proches atteints par ce virus à garder espoir et attendre avec eux qu’un médicament soit trouvé. J’ai perçu cela comme un message d’encouragement et de compréhension. Par ce petit devoir, elle m’a fait comprendre qu’elle était consciente dans sa gravité, dans sa totalité du terrible mal qui me rongeait, mais qu’elle m’acceptait et me soutenait de tout son amour d’enfant. C’est à partir de ce moment là, je crois que j’ai réellement repris confiance : ces mots d’enfants tellement simples et affectueux, avaient fait tomber toute ma frayeur pour affronter l’extérieur avec ses préjugés et son intolérance. Elle m’a donné la force de me battre et de ne pas me sentir comme un paria. Je suis retournée revigorée par cette compréhension chaleureuse, ce soutien inattendu des jeunes aussi bien que des adultes, de quelques membres de ma famille et de mes amis. Je suis restée en correspondance avec ma nièce et trois ans après lorsque je l’ai revue, elle s’intéressait tout autant au Sida et s’inquiétait de savoir comment elle pouvait aborder ce sujet avec son ami qui venait de perdre sa mère. Elle pensait que le père pouvait être contaminé mais ne savait pas vers qui se tourner pour les soins. Cette prise de conscience m’a profondément touchée car je pense que le droit et le devoir d’ingérence même s’ils demandent du courage doivent être appliqués par tout un chacun. Ce n’est que dans ses conditions de clarté de langage, de conscience collective que nous pourrons en partie vaincre l’épidémie. C’est le sida qu’il faut exclure, pas les séropositifs www.aides.org Faites vos dons au compte n°310-1480763-47 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 19 Le sida m’a apporté plus qu’ Le sida, on y pense une fois pas an, le 1er décembre. Eux, ils le vivent tous les jours. Eux, c’est Judith, 52 ans, originaire du Congo, touchée depuis plus de 25 ans ; Eric (Improvisi), 43 ans, qui vient de Nice, contaminé voici 15 ans aussi et Jérôme (Gayzal), un jeune hennuyer de 27 ans qui fut infecté à 21 ans. Ils vivent à Bruxelles, des jours qui leurs semblent souvent comptés, toujours précieux. Chacun a son histoire, son regard sur la maladie. Ils ont un point commun : le sida leur a apporté plus qu’il leur a pris… Dans les années ’80, Eric vivait près de Nice. Il a vu mourir cousins et cousines, copains et copines de son village, avant d’apprendre qu’il avait lui-même « le sida », selon les termes du médecin qui n’a pas su, à l’époque, distinguer la séropositivité de la maladie. Il est vrai qu’alors l’information ne circulait guère et les traitements étaient quasi-inexistants. Depuis, Eric est devenu un spécialiste. Il sait dans sa mémoire et dans sa chair la liste des générations de médicaments, leurs effets secondaires et celle, interminable, des maladies opportunes. C’est pour ça qu’on l’appelle « le miraculé ». Dix fois, il a été « en phase terminale ». Dix fois, il s’est relevé. A la même époque, Judith a appris sa séropositivité au Congo à l’occasion d’un banal examen médical d’embauche. « J’avais beau vivre dans le milieu privilégié d’un centre médical, j’ai pris la nouvelle comme un arrêt de mort, explique-telle. Alors, j’ai passivement attendu la fin ». Pendant qu’Eric, sûr de mourir lui aussi, s’offrait une grosse déprime de six mois, loin de sa femme et de ses deux enfants, Judith s’est évertuée à gérer 20 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs le quotidien pour que sa fille soit indépendante le jour où elle tomberait malade. « Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, ni comment ça m’était arrivé. J’avais juste un sentiment d’incompréhension, d’impuissance et d’injustice ». Fin des années ‘90, Jérôme connaissait bien le Sida. Issu d’une famille de médecins, homosexuel, il a « grandi avec une capote dans la tête », comme il dit. Pourtant, il a suffi d’une fois, d’un rapport sexuel non protégé, pour que tout bascule. Mais à l’inverse d’Eric, il n’a pas plongé dans la dépression. « En sortant de chez le médecin, j’ai juste eu l’impression que je venais d’ouvrir les yeux, comme si je naissais à nouveau. C’est dommage qu’il faille un coup pareil, mais le sida m’a fait passer la quatrième vitesse ». Vivre à 200 à l’heure Il a fallu trois ans à Eric pour « accepter l’idée de mourir ». Mais une fois ce travail accompli, il a eu le sentiment que plus rien ne l’arrêtait. Il a commencé à vivre à 200 à l’heure. « J’ai fait ce que je n’aurais pas fait si je n’avais pas été malade », dit-il, simplement. A la fois changer de vie, concevoir un troisième enfant - contre l’avis des médecins mais après avoir pris des tonnes d’informations - défendre ses droits devant les tribunaux, étudier la législation sociale, pour mieux s’aider soi-même et puis les autres. Arrivée en Belgique fin 1996, Malade, presque aveugle et invalide, Judith était candidate à l’euthanasie, avant de se rendre compte « que c’était encore plus difficile de mourir que de vivre ». et s’est investie. « Avant j’étais douillette. Je suis devenue endurante. Le sida m’a appris à m’apprécier et à apprécier les autres. Et un jour, je me suis dit : merde, la vie vaut quand même la peine d’être vécue et j’allais passer à côté des choses essentielles. Elle a la certitude que le Sida lui apporté beaucoup plus qu’il ne lui appris car il il m’a pris lui a donné un autre regard sur le monde La même phrase émaille le discours de Jérôme. « Je m’en serais bien passé mais je me rends compte que le sida me fait goûter à chaque moment de la vie. Désormais, je ne peux plus passer à côté des gens. J’ai compris que pour bien vivre avec le sida, il faut bien vivre sa vie. Faire des projets, et les mettre en œuvre. Ne pas reporter les choses au lendemain. Parler de la maladie, faire tomber les tabous. C’est comme pour l’homosexualité, plus on informe, plus on chasse les peurs et l’intolérance. » Des tabous qui tuent Car les tabous ont la vie dure. Jérôme n’a pas encore « trouvé l’occasion » de dire sa séropositivité au boulot. Judith a été harcelée par un médecin chef qui ne tolérait pas avoir une malade dans son équipe. Eric s’est vu refouler de quatre hôpitaux où l’on refusait de soigner une plaie parce qu’il était infecté. Ca, ce sont les « enfoirés » comme les appelle Judith ; ces personnes qui décident de diminuer votre pension de handicapé parce qu’à l’occasion d’une rémission vous semblez aller mieux ou qui refusent de vous envoyer des papiers de mutuelle alors que vous êtes sur votre lit de mort. « Ces combats là m’ont plus tué que ma maladie renchérit Eric. Mais si tu ne le fais pas, les autres ne le feront jamais ». Et les progrès médicaux n’ont rien arrangé aux tabous. De plus en plus de jeunes ne se protègent plus. Ils croient que la maladie se guérit avec la tri-thérapie. Le « barebacking », ce choix délibéré du sexe sans capote, même avec des séropositifs, est passé au rang de mode dans certains milieux. Eric en sait quelque chose. Plusieurs fois il a été sollicité pour ce genre de relation. Sa réponse est toute faite aux personnes qui prennent des risques : « je leur propose de prendre, pendant un seul jour, la masse de médicaments que nous devons avaler chaque jour. » Les malades sont là-bas et les médicaments ici Eric parcourt les bureaux d’avocats pour aider Antoinette, malade elle aussi, mais sans papiers, à bout de ressources et de courage. Pendant ce temps, Judith aide l’asbl Projet Matongé à organiser le concert « Solidaires » en soutien aux personnes touchées par le sida. Le concert se déroulera le 29 novembre, à la salle Lumen, deux jours avant la journée mondiale officielle, comme s’il y avait les malades officiels et les autres. Judith s’emporte. Elle ne comprend pas. « Les malades sont là, en Afrique mais les médicaments sont ici, en Europe. Et après ça, on s’étonne que les gens viennent en Belgique à tout prix ! Chercher les médicaments là où ils sont : « le voyage qui sauve, mais à quel prix ??? » Pour Judith, Eric et Jérôme, témoigner, c’est combattre les tabous et la peur… Par Olivier Lambert Bruxelles Zone 2 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 21 La séropositivité est un sac que vous por Interview de Nathalie Thiry dans Victor du 25 novembre 2006 Comment les séropositifs viventils leur maladie aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé ? Le regard de la société est-il différent ? Rencontre avec Nathalie Thiry qui accompagne depuis plus de vingt ans des personnes infectées par le virus HIV. Infirmière au sein de l’équipe pluridisciplinaire du Centre de prise en charge HIV des Cliniques universitaires Saint-Luc, Nathalie Thiry suit l’évolution des 700 patients qui tentent de mener la vie la plus normale possible. En dépit de la rigueur du traitement et surtout des barrières que la société dresse devant eux. 22 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs Les séropositifs vivent-ils mieux leur statut aujourd’hui ? En général, oui. Des anciens séropositifs sont toujours parmi nous. Ça tient du miracle. Ils vivent donc d’autant mieux leur statut. L’arrivée de la trithérapie a énormément changé la vie, le vécu et l’avenir des séropositifs. Ça fait vingt ans que je suis avec eux. Au début, l’annonce de la maladie ne leur laissait souvent plus que deux ans à vivre. Notre rôle au sein de cette équipe est d’encourager les patients. On connaît bien le virus aujourd’hui, on sait que la vie ne s’arrête pas. Il y a la possibilité de travailler, de faire des projets. On se verra encore pendant des années. En dehors de l’hôpital, c’est différent, c’est toujours très difficile de parler de la séropositivité. C’est une maladie liée à la sexualité, le grand public apporte son jugement : « Mais qu’est-ce qu’elle a fait pour l’attraper ? » C’est lourd de ne pas pouvoir en parler et de le garder pour soi. Vis-à-vis de ça, nous sommes démunis car nous ne pouvons pas aller trouver l’entourage. C’est un gros souci, même au niveau médical, on rencontre des blocages. Une personne qui a le courage de la transparence peut voir les portes tez toujours avec vous Monique, le Restaurant Inzia et tous les amis se mobilisent pour financer la revue gratuite Echos Séropos d’ici et d’ailleurs se fermer devant elle. Les anciens séropositifs le vivent mieux, car il faut du temps pour arriver à gérer ça et à passer au-dessus d’un dentiste qui refuse de vous soigner. Même si les choses bougent, l’acceptation est encore difficile par le grand public. Souscrire une assurance-vie, passer un entretien d’embauche restent des épreuves. Je dis aux patients : « La séropositivité, c’est un sac que vous portez toujours avec vous. Il peut être léger et rempli de bons souvenirs et parfois, il est lourd à porter et alors, nous, on est là pour l’alléger. » Est-ce plus difficile pour les femmes ? Apprendre à vivre sa séropositivité n’est évident pour personne. Pour les femmes, la composante culturelle interfère sur le vécu. Dans le milieu africain, par exemple, la femme a rarement son mot à dire et est écrasée par le pouvoir de l’homme. Quand elle apprend sa séropositivité, ça fait surgir des questions sur la fidélité du mari, sur ce qui s’est passé avant. Et ensuite, ce n’est pas toujours facile d’imposer l’usage du préservatif à l’homme. Si elles ont des enfants et qu’ils sont négatifs, elles ne veulent pas dire qu’elles portent le virus. Ca soulève bien des questions qu’elles n’ont pas toujours envie d’aborder en consultation. Par Gilles Bechet Restaurant INZIA 37 rue de la Paix 1050 Bruxelles Act up-Paris Echos Séropos d’ici et d’ailleurs 23 Revue Echo Séropos d’ici et d’ailleurs I Éditeur responsable : Judith Bisumbu I Rédaction : blog (adres- se ci-dessus) & Jude I Mise en page : Catherine Ruelle [email protected] I Impression : Panthère Avec le soutien du Ministère de la Communauté française de Belgique 24 Echos Séropos d’ici et d’ailleurs