Etude subjective / objective d`instruments de musique : application à

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Etude subjective / objective d`instruments de musique : application à
Etude subjective / objective d’instruments de
musique : application à la conception
centrée sur l’utilisateur
Jean-François Petiot(*), Yoann Fouchard (**), Emilie Poirson (***), Joël Gilbert (****)
(*) : Maître de conférences, (**) : Elève ingénieur 3ème année, (***) : Doctorante
Institut de Recherche en Communications et Cybernétique de Nantes (UMR CNRS 6597), Ecole
Centrale de Nantes, 1, Rue de la Noë, BP 92101, 44321 NANTES, France. Tel : 33 2 40 37 69 59
Fax : 33 2 40 37 69 30 ; [email protected] ;
[email protected] ; [email protected]
(****) : CR CNRS, Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Maine
UMR CNRS 6613, Av. O. Messiaen, 72085 Le Mans Cedex 9, France.
[email protected]
RÉSUMÉ
Dédiée principalement au goût et à l’odorat, l’analyse sensorielle est aujourd’hui progressivement
appliquée à tous les sens mis en jeu dans la perception d’un objet. Dans cet article, on s’intéresse à la
facture d’instruments de musique, pour laquelle les sensations de l’utilisateur sont primordiales et
doivent être intégrées lors de la conception/amélioration d’un instrument. Dans un premier temps,
nous avons mené une étude subjective sur une famille de trompettes en utilisant un panel d’experts et
les outils classiques de l’analyse sensorielle. Ensuite, nous avons réalisé une étude objective des
instruments par la mesure physique d’une grandeur caractéristique : l’impédance d’entrée. Enfin, nous
avons utilisé l’analyse de données pour mettre en regard les évaluations subjectives et objectives, afin
d’en déduire des règles utiles pour la conception. Nous présentons ici la démarche que nous avons
mise au point pour l’entraînement du panel d’experts, la méthode de création de la famille
d’instruments, et les premières conclusions concernant les règles de conception que nous avons
déduites.
MOTS-CLÉS
Analyse sensorielle, conception de produit centrée utilisateur, évaluation subjective, acoustique musicale.
1 INTRODUCTION
Depuis quelques années, plusieurs courants de recherche proposent d’intégrer les préférences et
perceptions de l’utilisateur lors de la conception du produit (conception orientée client, ingénierie
anthropocentrée) (Duchamp, 1999), (Petiot, 2004). L’industrie alimentaire étudie depuis longtemps
ces liens entre caractéristiques physiques du produit et perceptions (Evaluation sensorielle, 1998).
Dédiée principalement au goût et à l’odorat, l’analyse sensorielle est aujourd’hui progressivement
appliquée à tous les sens mis en jeu dans la perception d’un objet (Bassereau & Le Coq, 1995). Au
Japon, de nombreux travaux sur le Kansei engineering (Nagamachi, 1995) sont centrés sur le design
de formes et proposent d’utiliser les outils de l’intelligence artificielle pour intégrer les ressentis de
l’utilisateur dans le processus de conception.
Notre travail se situe dans ce cadre. Nous présentons dans cet article l’approche expérimentale
que nous avons mise au point pour réaliser une conception « centrée sur l’utilisateur ». Cette
démarche, qui peut être appliquée à tout type de produit pour lequel les aspects perçus, émotionnels,
voire symboliques, sont primordiaux, est présentée sur un exemple qui concerne la facture
d’instruments de musique de type cuivre (trompette). En effet, pour ce type de produits, les sensations
et évaluations subjectives du musicien pilotent la conception et doivent être intégrées lors des phases
de conception/amélioration. Plusieurs études, couplant une analyse subjective et objective, ont été
réalisées par le passé (Pratt & Bowsher, 1978, 1979). Dans une précédente étude (Petiot & al. 2003),
nous avons réalisé des tests d’écoute pour étudier l’influence de la profondeur de l’embouchure d’une
trompette sur le son perçu.
Dans cet article, nous présentons une étude subjective sur une famille de trompettes en utilisant
un panel d’experts et les outils classiques de l’analyse sensorielle (descripteurs – procédures
d’évaluation). Cette étude, décrite dans la section 2, nous a permis d’obtenir une évaluation subjective
d’une famille d’instruments en vérifiant les qualités de cette mesure. La section 3 présente l’étude
objective réalisée, à savoir la mesure d’une caractéristique primordiale en acoustique des cuivres :
l’impédance d’entrée.
En section 4, nous présentons les outils de l’analyse de données (analyse en composantes
principales, régressions linéaires) que nous avons utilisés pour mettre en regard les évaluations
subjectives et objectives, afin d’en déduire des règles utiles pour la conception. Nous nous sommes
focalisés sur un attribut subjectif particulier des trompettes : la justesse. Les conclusions et
perspectives sur la suite de ce travail sont finalement présentées en section 5.
2 ETUDE SUBJECTIVE D’UNE FAMILLE D’INSTRUMENTS
2.1 Préambule : fonctionnement des instruments de type « cuivres »
Appartenant à la famille des instruments à vent, les cuivres sont des instruments pour lesquels
une pression Pa(t) et un débit d'air créés par l'instrumentiste déstabilisent un élément « mécanique »
(les lèvres du musicien), ce qui provoque l'excitation de la colonne d'air contenue à l'intérieur de
l'instrument (figure 1). Ces variations de pression sont ensuite propagées dans l’air ambiant par
l’intermédiaire du pavillon, créant des pressions acoustiques Pext(t), donc un son audible à l’extérieur
de l’instrument.
résonateur
source excitateur
Branche
Pa(t)
Pe(t)
Ue(t)
Pext(t)
pavillon
Figure 1 : source, excitateur et résonateur
Différentes notes peuvent être obtenues, en changeant les caractéristiques mécaniques des lèvres
(le « masque » du musicien), et/ou la géométrie interne de l’instrument (par l’intermédiaire d’une
coulisse dans le cas du trombone, ou de pistons mettant en service des longueurs additionnelles dans le
cas de la trompette). Les principales variables de conception de l’instrument, qui conditionnent la
perception de sa qualité par le musicien, sont :
• La géométrie interne du résonateur, appelée « perce » ; c’est la variable principale. Le
comportement acoustique du résonateur est très fortement influencé par la forme intérieure
du résonateur,
• L’état de surface interne, qui génère des pertes,
• La qualité et rigidité des assemblages,
• La nature du matériau et de son moyen de mise en forme, qui peuvent conditionner des
vibrations de parois éventuellement influentes,
• Les jeux internes, qui conditionnent l’étanchéité du résonateur.
Parmi toutes ces variables, nous avons choisi d’étudier l’influence de la forme interne du résonateur
sur la qualité de l’instrument.
2.2 Génération d’une famille d’instruments
Afin de créer une famille de trompettes dont le comportement en situation de jeu est très
différent, nous avons travaillé sur une partie du résonateur très influente sur le comportement
acoustique : la branche d’embouchure. C’est une partie grossièrement conique, située entre
l’embouchure et la coulisse d’accord (voir figure 1).
En se basant sur la mesure de profils internes de branches existantes (mesure à l’aide de calibres)
(Buick & al., 2002), nous avons conçu une branche composée de 4 parties démontables, dont le profil
interne de chaque partie est paramétrable (Figure 2).
embout
Pièce 1
coulisse
Pièce 2
Pièce 3
Pièce 4
Figure 2 : exemple de branche d’embouchure
Une branche d’embouchure complète est constituée de 6 pièces filetées (filetage M16, pas =1) :
- la pièce « embout » qui reçoit l’embouchure,
- 4 pièces, « repérées de « Pièce 1 » à « Pièce 4 », dont la géométrie interne diffère,
- la pièce « coulisse » qui reçoit la coulisse d’accord de la trompette.
Plusieurs Pièces 1 à Pièces 4, de géométries internes différentes, et permettant en les assemblant
de générer plusieurs profils internes, ont été fabriquées. Les différents profils internes fabriqués et
utilisés pour les tests sont représentés figure 3. Pour faire les tests, on utilise une même trompette
(modèle Bach, pavillon 43), sur laquelle on monte les différentes branches, codées par une
combinaison de 4 lettres (par ex. CHMQ), chaque pièce étant codée par une lettre gravée en surface
afin que l’examinateur puisse les reconnaître. En revanche, les experts ne peuvent les distinguer et ne
connaissent pas le type de branche qu’ils testent, ce qui est très important pour pouvoir tester la
fiabilité des mesures sensorielles.
Profils prototypes branches d'embouchures
(Trompette en Bb)
Diamètre (mm)
13
12
11
CHMQ
10
AAAE
9
DKOS
IFJN
8
0
50
100
150
200
250
Longueur (mm)
Figure 3 : profils des 4 branches d’embouchures utilisées pour les tests
1. Branche codée CHMQ : copie de la branche du commerce « Bach-argent »
2. Branche codée DKOS : section à conicité variable, continue et croissante sur les trois premiers
tronçons et conique inversée sur la dernière partie de la branche
3. Branche codée AAAE : section cylindrique et constante sur les trois premiers tronçons puis
conique ouverte sur la dernière partie de la branche
4. Branche codée IFJN : section à conicité variable, avec des discontinuités de section.
2.3 Entraînement du panel d’experts.
2.3.1 Elaboration du profil sensoriel
Avant de pouvoir effectuer les premières séries de tests, il est primordial de s’accorder sur la
définition des principales dimensions de la qualité d’un cuivre à l’aide de termes adaptés : les
descripteurs sensoriels. Chaque descripteur doit être pertinent, précis et discriminant. La liste des
descripteurs doit être exhaustive et formée de termes indépendants, afin d’établir le profil sensoriel du
produit qui constitue une véritable carte d’identité de celui-ci, soulignant ses caractéristiques
particulières. Il est ainsi plus aisé de comparer deux produits de même nature.
Cette étape est essentielle car il faut bien veiller à ne pas éliminer ou oublier des descripteurs
importants pour caractériser complètement le produit, et à l’inverse il ne faudrait en aucun cas garder
des descripteurs qui seraient redondants ou non discriminants.
La première partie de l’étude a donc consisté à définir ces descripteurs dans le cas des
trompettes. Pour cela, on a proposé à des musiciens professionnels un exercice de verbalisation libre,
sous forme d’essai-discussion ouverte autour d’un ensemble d’instruments de qualité très variée. Puis,
nous avons associé à chaque descripteur retenu un certain nombre de procédures permettant leur
évaluation sur une échelle d’intensité (tableau 1).
Descripteur
Définition
Justesse Position relative des partiels les uns/aux autres
Test du mi Ecart de hauteur entre le mi(0) et le doigté factice mi
Echelle
faux / juste
faible / important
Centrage
Capacité de l'instrument à se recentrer sur la note si on
l'attaque légèrement à côté
mauvais / bon
Réponse
Procédures
arpège
mi(0)/mi(12)
Attaque du
sol4
Capacité de l'instrument à jouer immédiatement
mauvaise / bonne
détaché
Grave
Médium
Aigu
Palette sonore : Aptitude de l'instrument à produire
différentes variétés de sons
restreinte / grande
pp, mf, ff
Timbre
Sonorité propre à chaque instrument
mat / brillant
comparaison/
référence
Tableau 1: Liste des descripteurs retenus pour le test
2.3.2 Formation du jury d’experts
Une partie importante de l’étude a consisté à entraîner un jury d’experts à « noter » un produit
selon chaque descripteur. Pour cela, on effectue d’abord des séances d’entraînement sur des
instruments dits « préparés » (avec nos branches fabriquées), avant de faire des évaluations sur des
instruments du commerce.
Notre panel d’experts est constitué de 10 trompettistes professionnels (professeurs en
conservatoire ou Ecoles de musiques) qui ont tous une excellente maîtrise de l’instrument et une très
bonne connaissance de ses aspects techniques. Il est néanmoins impératif de vérifier leur aptitude à
exercer le rôle de jury. Les qualités requises afin de leur permettre de réaliser des jugements fiables en
l’absence d’échantillons de référence sont les suivantes : une bonne mémoire sensorielle à long terme
– une bonne constance des jugements (répétabilité) – disponibilité et motivation pour l’entraînement –
une acuité particulière lors du classement de produits.
2.3.3 Déroulement de la première campagne de tests
Lors de la première séance, pour chaque trompette présentée, chaque expert doit noter chaque
descripteur sur une échelle d’intensité non structurée (i.e. non graduée). Pour y parvenir, la séance est
divisée en deux parties :
• Une première phase consiste à expliquer le descripteur à l’expert, en lui présentant des
trompettes caractéristiques des points extrêmes de l’échelle (points d’ancrages), de façon à
être bien certain que l’expert a compris ce qu’il va devoir juger et comment il va devoir noter,
• La seconde phase constitue le test : on présente les unes après les autres 4 trompettes, avec
trois réplications, avec un plan de présentation défini au préalable, l’expert n’ayant pas
connaissance du plan. On teste ainsi sa répétabilité de jugement.
Il est conseillé à chaque expert de ne pas jouer plus de cinq minutes sur chaque instrument
pour garder et capter son impression première afin qu’il ne s’habitue pas à l’instrument et afin de
pallier également des phénomènes de lassitude. Dans de telles conditions, la séance, qui implique 4
produits en 3 réplications (12 évaluations) dure environ 1heure.
2.4 Analyse des résultats
• Le premier résultat concerne la répétabilité des experts : on calcule l’écart type de chaque
expert sur chaque descripteur. Si cet écart type est grand, il faudra inviter l’expert à en prendre
conscience et à travailler sur le(s) descripteur(s) concerné(s) au cours des séances suivantes.
• On effectue ensuite pour chaque descripteur une analyse de la variance à un facteur, qui
permet de voir, grâce au test du F de Fischer Snedecor (Gouet & Philippeau, 2000), si chaque
expert individuellement parvient à discriminer les produits présentés sur le descripteur. Si tel
est le cas, on regarde si une tendance se dégage dans le classement des 4 produits par les
experts concernés sur ce descripteur. Sinon, 5 cas sont à examiner et à prendre en compte : ou
l’expert n’a pas su discriminer les produits selon le descripteur en question, ou bien l’expert
n’a pas été répétable dans son jugement, ou bien la procédure proposée ne permettait pas de
discriminer les produits selon ce descripteur, ou bien le descripteur lui-même est à remettre en
cause, ou finalement les produits présentés sont très similaires sur le descripteur proposé. La
significativité au seuil de 5% de chaque expert sur chaque descripteur est représentée par les
cases grisées du tableau 2.
Justesse
Test mi
Centrage Réponse
Grave
Medium
Aigu
Timbre
Expert 1
Expert 2
Expert 3
Expert 4
Expert 5
Expert 6
Expert 7
Expert 8
Expert 9
Expert 10
Tableau 2. récapitulatif des tests de significativité de l’analyse de la variance à un facteur
On s’aperçoit par exemple ici que le test est non significatif pour trois de nos experts sur le
descripteur de justesse, et significatif pour 7 d’entre eux. Après examen des notes de justesse, on peut
dire que ceci est dû essentiellement à un écart-type trop important chez les experts dont le test est non
significatif. On peut conclure qu’il y a un « effet produit » concernant la justesse.
Pour les autres critères, trop peu de tests sont significatifs : il faut donc à nouveau entraîner les
experts sur ces descripteurs, ou remettre en cause les procédures d’évaluation, pour amener les experts
à améliorer leur performances lors de prochaines évaluations.
Parallèlement, on effectue une analyse de la variance à deux facteurs qui teste (toujours pour un
descripteur donné) « l’effet produit », « l’effet expert » et l’interaction produits–experts. La
significativité des tests au seuil de 5% est représentée par les cases grisées du tableau 3.
Ici, on remarque que sauf pour le descripteur « justesse », l’interaction produits-experts est
toujours non significative. Ce premier résultat, important en analyse sensorielle, est très intéressant
pour un premier entraînement. Cela signifie que les experts forment un ensemble plutôt homogène et
apprécient de la même manière les dissimilarités entre produits.
« L’effet expert » est toujours significatif, ce qui indique que les experts apprécient
différemment les produits (utilisation d’échelles différentes).
D’autre part, bien que peu d’effet produit ait été constaté en analyse individuelle, on constate un
effet produit sur cinq de nos huit descripteurs : le brassage des notes individuelles rend l’effet produit
significatif sur l’ensemble du panel, et justifie l’existence dudit panel.
Justesse
Test mi
Centrage Réponse
Grave
Medium
Aigu
Timbre
Effet Produits
Effet Experts
Produit x Expert
Tableau 3 : récapitulatif des tests de significativité de l’analyse de la variance à deux facteurs
2.5 Evaluation subjective de la justesse
Pour obtenir un score de justesse de chaque instrument, une première méthode consiste à faire
brutalement la moyenne des notes de chaque expert. Cette méthode est discutable car elle donne un
poids identique à tous les experts, en particulier ceux qui sont très discordants par rapport au groupe.
Pour obtenir un score de justesse qui tienne compte de la proximité de chaque note d’expert au
reste du groupe, nous avons employé une méthode basée sur l’étude de la matrice des corrélations.
A partir de la matrice N[10 ;12] des notes attribuées par chacun des 10 experts sur le
descripteur justesse pour les 12 instruments, nous avons calculé la matrice des corrélations entre
chaque expert. Le terme générique de cette matrice est le coefficient de Pearson, suivant l’expression :
Coefficient de Pearson entre deux Experts E1 et E2 :
RE1E2 =
cov(E1/ E2)
var(E1)*var(E2)
Le vecteur propre associé à la plus grande valeur propre de cette matrice de corrélations nous
donne un vecteur de poids, Uλmax = [p1…p10], qui représente le poids pi de chaque expert dans sa
contribution à un score unique de justesse (technique identique à l’analyse en composante principale).
Le score global de justesse, SGlobal , s’obtient en faisant la somme des notes de chaque expert,
pondérées par le coefficient multiplicatif correspondant, et en faisant la moyenne sur les 3 réplications.
S = [s1…s12] : vecteur des scores des 12 trompettes
α +3
SGlobal = 1 ∑si
3 i =α +1
S = Uλmax * N
, avec α ∈ {0,1,2,3} selon la branche étudiée {AAAE, DKOS, IFJN, CHMQ}
Cette méthode permet ainsi de prendre en compte la contribution de tous les experts, tout en
leur accordant à chacun un certain degré de confiance, fonction de leur discordance par rapport à
l’ensemble du panel. Les scores de justesse des 4 trompettes, obtenus par cette méthode, sont les
suivants.
JAAAE = 7.4
JDKOS = 22.2
JIFJN = 20.8
JCHMQ = 25
On peut remarquer que la branche CHMQ, qui est une copie d’une branche du commerce, obtient le
meilleur score (les autres branches ont volontairement des géométries totalement atypiques). Ce
résultat laisse supposer que notre panel d’expert a fourni une information de qualité.
3 ETUDE OBJECTIVE DE LA FAMILLE D’INSTRUMENTS
3.1 Impédance d’entrée Ze
Le résonateur, supposé linéaire, est caractérisé par son impédance d’entrée Ze, c’est à dire sa
fonction de transfert entre le débit entrant et la pression à l’entrée.
Ze(jω)=
Pe(jω)
Ue(jω)
(1)
Pour certaines formes simples de la perce, l’impédance acoustique peut être déterminée
analytiquement ou numériquement. Pour des instruments réels, on a recours à la mesure de
l’impédance acoustique Ze (Caussé & al., 1984). Cette mesure est une donnée incontournable de la
caractérisation d’un cuivre. Elle donne l’amplitude de sa réponse acoustique à une excitation donnée
(réponse en oscillations forcées). Il apparaît plusieurs fréquences privilégiées qui sont les partiels du
résonateur, pour lesquels on a un maximum (pic) d’impédance (figure 4).
Ze (j ω ) =
Amplitude (dB)
10
10
10
d'entrée
Pe (j ωImpédance
)
Pe (j ωZe
)
Ze (j ω ) =
Ue (j ω )
Ue (j ω )
BACH IFJN
8
7
6
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
Fréquence (Hz)
Figure 4 : impédance d’entrée mesurée d’une trompette
3.2 Mesures d’impédances
L’impédance d’entrée des 4 trompettes proposées lors des tests subjectifs a été mesurée à l’aide
du dispositif BIAS (BIAS 5.1, 2003), à l’ITEMM1, en utilisant la même embouchure (Yamaha 15B4).
La fréquence des pics d’impédances, du partiel n°2 au partiel n°12, est donnée dans le tableau 4.
Fréquences de résonance de Ze (Hz)
Type fmax(2) fmax(3) fmax(4) fmax(5) fmax(6) fmax(7) fmax(8) fmax(9) fmax(10) fmax(11) fmax(12)
AAAE 231,5 342 455 583 704 808 907,5 1036 1162 1279
1396
DKOS 229,5 350 471,5 592 703 813,5 920,5 1035 1157 1279
1410
CHMQ 231 350,5 470 590,5 702,5 814,5 924 1038 1158 1278
1405
IFJN 230 347,5 465 589 702,5 807,5 910 1033 1156 1282
1405
10-6
HSD HSDn
85
76
42
93
1,86
1,72
0,94
1,60
Tableau 4 : Fréquences de résonance des pics d’impédance, HSD et HSDn pour chaque trompette.
Par expérience, on sait que la fréquence de jeu de l’instrument est fortement conditionnée par les
fréquences de résonances (« partiels ») de l’instrument. Il est admis que l’oscillation est favorisée à
une fréquence pour laquelle l’impédance d’entrée est grande, et quelle est aussi favorisée si
l’impédance est grande pour les harmoniques de cette fréquence (Benade & Gans, 1968).
Essentiellement pour des considérations de justesse, de timbre, et de facilité d’émission, on admet
donc que les partiels du résonateur2 doivent se rapprocher au mieux d’une série harmonique. Nous
proposons donc de vérifier dans quelles mesures cette hypothèse est valable, en tentant d’expliquer la
notation subjective de justesse par les valeurs des fréquences des partiels.
4 RESULTATS
4.1 Corrélation justesse/facteur d’inharmonicité
Le premier indicateur monodimensionel, classique dans la littérature (Pratt & Bowsher, 1979),
que nous avons extrait de la courbe d’impédance Ze est le facteur d’inharmonicité, caractérisé par les
valeurs HSD (Harmonic Standard Deviation sans pondération) ou HSDn (avec pondération) :
12
HSD =
∑ (fmax(i) − f1moy)
i=2
12
∑ (i . f
)
1moy 2
i =2
1
2
(fmax (i) − f1moy )2
∑
i
HSDn = i = 2 12
avec f1moy =
2
∑ (i.f1moy)
12
i=2
Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique, Le Mans.
Sans considérer le premier partiel qui n’est en pratique jamais joué sur la trompette
12
∑
i=2
(fmax (i))
i
11
Les valeurs des HSD et HSDn pour chaque trompette sont présentés dans le tableau 4. Les
figures 5 et 6 représentent la corrélation entre le score de justesse et les indicateurs HSD et HSDn
respectivement. Comme prévu, on constate bien une tendance à une corrélation négative entre les deux
variables. Néanmoins, en particulier pour le HSD, l’ajustement est mauvais. Le HSD ne semble pas
être un indicateur fiable pour interpréter la justesse.
corrélation justesse/inharmonicité
30
CHMQ
20
AAAE
10
DKOS
0
0,E+00
IFJN
5,E-05
Justesse
Justesse
corrélation justesse/inharmonicité
1,E-04
30
CHMQ
20
AAAE
10
DKOS
0
0,E+00
IFJN
Inharmonicité (HSD)
1,E-06
2,E-06
Inharmonicité (HSDn)
Figure 6 : Corrélation justesse/HSD
Figure 5 : Corrélation justesse/HSD
4.2 Analyse en composantes principales
Plutôt que de résumer l’information contenue dans le tableau 4 (4 individus (les 4 trompettes) et
11 variables (les fmax(i), i = 2 à 12)) avec un seul facteur (HSD ou HSDn), on peut utiliser les
techniques de traitement de données de type analyse en composantes principales (ACP) pour révéler
les facteurs prépondérants sous jacents à ces données.
Une ACP normée sur le tableau de données formé des individus (les 4 trompettes) et des 5
variables fmax(3) / fmax(2), fmax(4) / fmax(2), fmax(5) / fmax(4), fmax(6) / fmax(4), fmax(8) / fmax(4) conduit au
plan factoriel présenté figure 7.
Idéal
1
ID
f8/f4
Inertie F2 : 19%
0.5
0
CHMQ
f3/f2
AAAE
f4/f2 DKOS
f6/f4
IFJN
-0.5
f5/f4
-1
Inertie F1 : 80%
-1
-0.5
0
0.5
1
1.5
Figure 7 : représentation des individus et des variables dans le plan principal
Afin de pouvoir expliquer plus facilement ce plan principal, un individu supplémentaire ID,
correspondant à une trompette « virtuelle » pour laquelle les fréquences de résonances sont
exactement harmoniques, est ajouté à ce tableau de données (tableau 5).
fmax(3)/ fmax(2) fmax(4)/ fmax(2) fmax(5)/ fmax(4) fmax(6)/ fmax(4) fmax(8)/ fmax(4)
AAAE
1,48
1,97
1,28
1,55
1,99
DKOS
1,53
2,05
1,26
1,49
1,95
CHMQ
1,52
2,03
1,26
1,49
1,97
IFJN
1,51
2,02
1,27
1,51
1,96
ID
1,50
2,00
1,25
1,50
2,00
Tableau 5 : rapports des fréquences de résonance utilisés pour expliquer l’attribut « justesse ».
Le choix de ces variables se justifie par le fait que l’on souhaite « associer » aux principaux
intervalles musicaux testés par le musicien un rapport de fréquence sensé en évaluer la « justesse » (à
la quinte on associe les rapports fmax(3) / fmax(2) et fmax(6) / fmax(4), à l’octave fmax(4) / fmax(2) et fmax(8) /
fmax(4), à la tierce fmax(5) / fmax(4)).
Ensuite, on peut construire un modèle permettant d’interpréter le score de justesse J en fonction de la
position dans le plan factoriel. On propose un modèle quadratique du type :
Ji = a.F1i + b.F2i + c.(F1i2 + F2i2) + d
(2)
Les estimateurs de a, b, c et d, obtenus par la méthode des moindres carrés (régression linéaire
multiple) sont donnés dans le tableau 6.
a
-3,41
b
7
c
-3,5
d
24
R2
1
Tableau 6 : coefficients de la régression linéaire multiple
Le coefficient de détermination R2 de la régression vaut évidemment 1 puisque la régression
est réalisée avec 4 observations et il y a 4 inconnues (a, b, c, d). Néanmoins, même si l’on ne dispose
pas de degrés de liberté supplémentaires pour étudier la significativité de la régression, ceci permet de
tirer des conclusion intéressantes en traçant sur le plan principal (figure 7) le point idéal,
correspondant au point extremum du paraboloïde de révolution donné par l’équation (2) (point de
coordonnées (-a/2c ; -b/2c)). Il s’agit ici d’un idéal positif (maximum de justesse), qui indique que,
selon nos données, l’optimum de justesse se trouverait à la position du point « Idéal ».
Les valeurs de rapports de fréquence qui correspondraient à ce positionnement dans le plan
principal sont donnés tableau 7.
fmax(3)/ fmax(2) fmax(4)/ fmax(2) fmax(5)/ fmax(4) fmax(6)/ fmax(4) fmax(8)/ fmax(4)
Idéal
1,52
2,03
1,24
1,49
1,98
Tableau 7 : rapports des fréquences de résonance de l’instrument « idéal ».
Il faut noter qu’il n’est pas surprenant que l’instrument « idéal » ne corresponde pas à l’instrument ID
(correspondant à des rapports de fréquence rigoureusement harmonique). En effet, la justesse est un
attribut éminemment subjectif et il est illusoire de la définir avec des mesures physiques objectives.
Les accordeurs de piano le savent bien et n’accordent jamais à l’accordeur sous peine d’un résultat
déplorable. Seule une approche du type de celle que l’on présente peut faire le lien entre des
caractéristiques subjectives et objectives.
Cette première étude sur l’attribut « justesse » d’une trompette nous a permis de présenter la
méthode et de spécifier un objectif en terme de cahier des charges (le tableau 7). La suite de l’étude
consistera a utiliser des modèles acoustiques reliant la géométrie de l’instrument aux fréquences de
résonances de l’impédance. Ceux ci donneront in fine des valeurs pour les variables de conception de
l’instrument (la géométrie interne).
5 CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
Dans cet article, nous avons présenté une méthodologie d’étude qui permet de prendre en
compte directement les perceptions et sensations de l’utilisateur pour piloter la conception.
Cette méthodologie est basée sur les techniques de l’analyse sensorielle, avec la constitution
d’un panel d’experts, la définition de descripteurs et de procédures d’évaluation. Cette approche nous
permet tout d’abord de fiabiliser les données subjectives, résultats d’évaluation.
La méthode est ensuite appliquée à la conception d’un instrument de musique de type cuivre, et
est basée sur la réalisation de mesures objectives d’impédance d’entrée des résonateurs.
Nous avons proposé enfin une analyse de corrélation entre un attribut subjectif, la justesse, et
des mesures objectives (certains rapports de fréquence de résonance). Les résultats obtenus sont très
encourageants. Une conception d’un nouvel instrument, basé sur des spécifications obtenues à partir
de notre étude, est possible.
Dans de prochains travaux, nous étudierons d’autres attributs subjectifs (réponse, timbre,
centrage,…). Afin d’étudier la significativité des corrélations, ces études utiliseront plusieurs
instruments. Les techniques de simulations sonores par modèles physiques, en cours de
développement, seront aussi utilisées afin de tester les performances subjectives d’un instrument sur
un prototype virtuel.
6 REMERCIEMENTS
Merci à Philippe Courcoux, Maître de conférences à l’ENITIAA de Nantes, pour sa collaboration
sur l’analyse sensorielle et à Jacques Geffriaud, de l’Ecole Centrale de Nantes, pour la fabrication des
branches d’embouchures, à nos 10 experts, J-C.Baulin, C.Belz, L.Boillereaux, P.Bosseau, P.Corcuff,
S.Grimault, J-J.Metz, Y.Neveu, P.Pineau et S.Scoubart ainsi qu’à Woodwind&Brasswind (Christophe
Chauvin) pour le prêt de la trompette à branche et pavillon démontable.
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