Guts Of Darkness - Le webzine des musiques sombres et

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Guts Of Darkness - Le webzine des musiques sombres et
Guts Of Darkness
Le webzine des musiques sombres et expérimentales : rock, jazz,
progressif, metal, electro, hardcore...
mai 2009
Vous pouvez retrouvez nos chroniques et nos articles sur www.gutsofdarkness.com
© 2000 - 2009
Un sommaire de ce document est disponible à la fin.
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Les chroniques
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RETURN TO FOREVER : Romantic Warrior
Chronique réalisée par Hellman
Les sons de claviers de Chick Corea étaient déjà très datés sur les précédentes publications de Return to
Forever. Des claviéristes de cette scène jazz rock, il fût sans doute celui qui fit le moins de recherche au niveau
des textures et des timbres, se contentant finalement de ce que la technologie pouvait lui mettre à porter de
main sans trop se poser de questions. En somme, l'anti-thèse du boulot de Joe Zawinul (Weather Report), bien
que celui-ci accordait lui aussi une importance non négligeable aux dernières avancées dans le domaine. Mais
pour un résultat autrement différent. Corea va plus loin que Jan Hammer (Mahavishnu Orchestra) dans ses
choix, et c'est en cela sans doute qu'il fût à même de séduire un plus large public, le public progressif s'entend.
À ce titre, "Romantic Warrior" ne fait plus de mystère sur ses prétentions. De l'esthétique de sa pochette aux
intitulés eux-mêmes ("Medieval Overture", "The Magician", "Duel of The Jester and The Tyrant"), le projet
semble étudié pour plaire tout particulièrement à cette frange de leur auditoire. Car si cela ne se limitait qu'à la
surface des choses, c'eut été bien là un procédé bien vicieux. Les titres cités, mais pas que eux, "Majestic
Dance" aussi par exemple, possèdent non seulement cette sonorité propre à l'esthétique progressive mais
déploient également un style d'écriture qui n'a finalement plus grand chose à voir avec le jazz. Constitué plutôt
d'une multitude de thèmes s'enchevêtrant les uns dans les autres, certaines parties étant même développées
en canon, le tout débouche sur une forme étrange et unique en son genre, sorte de Gentle Giant véloce dopé
aux anabolisants. Publié en 1976, "Romantic Warrior" demeure à ce jour l'album le plus populaire de Return to
Forever. On avait bien besoin des punks pour tenter de nous faire oublier tout ça...
Note : 3/6
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RETURN TO FOREVER : Musicmagic
Chronique réalisée par Hellman
Quelle étrange stratégie a du encore traverser l'esprit du claviériste italo-américain Chick Corea pour que
celui-ci nous délivre "Musicmagic", véritable chant du cygne, qui voit littéralement Return to Forever se tirer
une balle dans le pied ? Si "Romantic Warrior" avait de quoi rivaliser avec la fureur du Mahavishnu Orchestra
deuxième époque, le split définitif du groupe à la suite du bancal "Inner Worlds" leur ouvrait un large boulevard
dans lequel il leur suffisait de s'engouffrer. "Musicmagic" s'impose comme un terrible acte manqué puisque
Return to Forever connaît de profonds chamboulements intérieurs : les éternels résidents Corea et Clarke
s'entourent d'une toute nouvelle équipe avec, à leur tête, la claviériste Gayle Moran, ex-Mahavishnu Orchestra
et accessoirement madame Chick Corea à la ville, ainsi que le saxophoniste Joe Farrell, faisant ainsi son grand
retour, mais pas seul, puisqu'il est accompagné de pas moins de quatre autres souffleurs ! On le devine, Return
to Forever se rêve un avenir plus orchestral, plus flamboyant encore, estimant peut-être qu'après avoir singé
tant de fois "Birds of Fire", il était temps de s'attaquer à "Apocalypse" ou "Visions of The Emerald Beyond"... La
guitare, qui avait été un des facteurs déterminants de changement dans l'esthétique du groupe, est chassée,
remplacée ça et là par de grotesques effets au synthétiseur. Mais plus encore, c'est le chant limite mielleux de
Moran, et celui poussif de Corea et Clarke, qui nous prennent à la gorge. Une chose est sûre ; on ne pourra pas
leur reprocher de ne pas être original cette fois. Il sera malgré tout difficile de faire contre mauvaise fortune bon
coeur, Return to Forever ayant les yeux plus gros que le ventre en nous proposant un mélange finalement bien
indigeste de jazz rock fusion baroque à la complexité excessive et autres mièvreries soul.
Note : 2/6
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RETURN TO FOREVER : Live
Chronique réalisée par Hellman
L'épineux problème soulevé par cet enregistrement en concert, c'est qu'il met un terme à la brêve histoire de
Return to Forever en se focalisant sur sa dernière publication studio, le controversé "Musicmagic" qui, il faut
bien le reconnaître, est le disque le plus atypique délivré par Corea et les siens. Alors, de deux choses l'une :
soit on considère que s'attarder sur ce live posthume n'en vaut vraiment pas la peine car il n'est absolument
pas représentatif de ce à quoi nous avait habitué le groupe. Soit on prend le pli de l'orientation à contre-courant
engagée par Chick Corea et on essaye de se fondre et de s'isoler dans cette bulle spatio-temporelle musicale,
en chassant de notre esprit toutes formes d'à prioris. Ironiquement, comme pour corser le tout, il se fait que cet
album existe en deux éditions distinctes : une version simple, et une version double, celle soumise à la
présente chronique, qui, en son temps, se présentait sous forme de luxueux coffret comprenant pas moins de 4
vinyls ! Imaginez le calvaire. Il y a, dès lors, de bonnes raisons de s'interroger sur la pertinence d'une telle
démarche puisque, même dans sa version longue, pas un seul titre de leur répertoire passé n'est présenté, pas
un ! Seul "Musicmagic", sauvagement écartelé au point d'atteindre les deux heures trente là où il ne faisait
royalement que quarante minutes en studio, semble avoir le droit de citer. Cela nous donne des abérrations
telles que "The Endless Night" dans une version dépassant les vingt minutes à elle seule. Bien entendu, la
sélection regorge de moments de bravoures individuels, de solii en veux-tu m'as-tu vu en voilà pour ton grade,
le groupe s'avérant être tout bonnement irréprochable en terme d'exécution. Et finalement c'est bien là la
moindre des choses, sans quoi l'écoute de cet album n'aurait sans doute pas le moindre intérêt.
Note : 2/6
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RETURN TO FOREVER : Returns
Chronique réalisée par Hellman
Corea et Clarke avaient pendant très longtemps soutenu l'idée que jamais au grand jamais Return to Forever ne
se reformerait. On ne pouvait que les féliciter pour leur incroyable sens de la dévotion en nous évitant ainsi de
bien pénibles quart d'heures. Ils auront tenu parole pendant longtemps. Pendant exactement vingt ans. Après
des carrières solo bien remplies faites de fortunes diverses, Return to Forever refait donc surface à l'été 2008
au Festival Jazz de Montreux dans sa formation la plus célébrée, en compagnie donc de Lenny White et Al Di
Meola. Le résultat de cette réunion ponctuelle n'est autre que ce double live, "Returns" ("Return to Forever
Returns", rien que ça ; difficile de s'imaginer pouvoir s'acquitter d'un groupe avec un nom pareil), qui n'a pour
seul réel intérêt que de devenir de facto l'unique live officiel de la formation classique, puisque le groupe se fait
un plaisir de se dégraisser les doigts sur les titres les plus emblématiques de leur glorieux répertoire, se
concentrant essentiellement sur des titres issus des albums "Where Have I Known You Before", "No Mystery"
et "Romantic Warrior". Quelques rares escapades sur "Light As A Feather" à travers "500 Miles High", pourtant
développé pour un tout autre line-up, mais aussi "Hymn of The Seventh Galaxy" où Al Di Meola peut désormais
apporter son propre éclairage sur les solii flamboyants autrefois délivrés par Bill Connors. "Returns" nous
rappelle que Return to Forever a depuis toujours été un groupe de virtuoses. Pour les virtuoses. À une
moyenne d'âge à situer entre soixante et cinquante-cinq ans, il faut croire que la technique, ça conserve.
"Returns", comme beaucoup de live, reste de l'ordre du purement anecdotique. Cependant, il comblera d'aise
les fans de toujours ainsi que les amateurs déclarés de prouesses techniques. Et dans les deux cas, ça fait pas
mal de monde.
Note : 3/6
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ZOMBI : Spirit Animal
Chronique réalisée par Hellman
Les duos, c’est décidément très tendance. Grâce aux progrès accomplis en terme d’enregistrement, il est
désormais possible de faire en nombre réduit ce qu'il était autrefois impossible d'envisager avec un minimum
de quatre ou cinq participants. C’est important de le souligner car, dans une certaine mesure, la méthode
utilisée est aussi à l’origine de la musique qui en découle. Car si on a besoin d'un procédé pour créer, le
procédé lui-même induit la création. Février 2009, Zombi vient défendre "Spirit Animal", leur troisième album
studio. Mais le cheval de bataille du groupe, cela reste la scène. Leurs titres doivent pouvoir être reproduits en
concert. Si Zombi est post-rock, c’est finalement par accident ; ses longueurs, ses boucles qui tournent un
certain temps avant d’embrayer sur autre chose, c’est peut-être aussi le temps nécessaire aux musiciens pour
ne pas perdre leurs repères quand ils jonglent entre basse, guitare, claviers et batterie. Moore et Paterra
alternent donc les rôles en manipulant chacun à leur tour les claviers numériques façon "Oxygene" pour
littéralement noyer l'auditeur sous une vague de boucles interminables aux mesures impaires ("Spirit Warrior"),
induisant par conséquent un effet hypnotique auquel il est difficile de résister. La longue plage titre de quatorze
minutes, très aérienne, introduit pour la première fois de timides notes de guitares, laissant entrevoir les
perspectives d'un avenir peut-être plus dense pour Zombi. C'est finalement la plage la plus surprenante du
disque, se déployant, majestueuse, sur un tapis de synthétiseurs glacés. Pour le reste, Zombi poursuit
fièrement sa mise en perspective d'un rock instrumental nourri aux seins des musiques progressives et des
musiques de films. Pas nécessairement en deça de "Surface to Air", mais pas non plus un grand bon en avant...
Note : 4/6
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ROACH (Steve) : A DEEPER SILENCE
Chronique réalisée par Phaedream
Ambiant et planant, A Deeper Silence est une belle introspection musicale dans le monde enchanteur de
l’obscurité des âmes tourmentées. Ondes cérébrales par dessus ondes cérébrales, cette dernière œuvre
atonique de Steve Roach flotte comme une invasion sonore, poussant les limites de la réflexion et de la
relaxation jusqu’aux confins de nos territoires nocturnes. Amphibique, caverneuse et spectrale, la musique
passive du synthésiste américain plane dans les profondeurs abyssales de notre subconscient avec une
étrange poésie linéaire, donnant à A Deeper Silence un relief sonore bien particulier. Tout au long des 74
minutes, les doux murmures des âmes synthétisées, tantôt douces parfois fantomatiques, s’entrecroisent dans
un labyrinthe musical vague où les tonalités serpentent un monde de relaxation intense.
Un morceau de plus de 73 minutes de musique planante, ambiante qui progresse subtilement, tel un sommeil
paisible, il n’y a que le maître de l’ambiant lourd et textural qui peut y arriver. Et Roach étonnera toujours en
moulant une musique ambiante aux structures vastes et permutantes, ajoutant une profondeur vivante où les
modulations subtiles nous entraînent vers un sommeil pacifique. A Deeper Silence un album intensément
ambiant, aussi puissant que Structure from Silence.
Note : 4/6
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ROACH (Steve) : LANDMASS
Chronique réalisée par Phaedream
Malgré toutes ses réalisations, sa longue carrière, près de 70 albums solos, et un style musical hermétique,
Steve Roach poursuit son exploration sonore avec un doigté qui étonne et séduit toujours. Enregistré en Mai
2007 dans les studios du Star’s End (poste de radio à Philadelphie) Landmass est un autre surprenant voyage
musical de Steve Roach parmi les sphères cosmo-tribaux d’une musique très personnelle qui s’étend entre
Western Spaces et Dreamtime Return. Un voyage continuel, séparé en 7 segments qui nous donne cette
impression de déjà entendu, mais avec une approche plus chirurgicale, témoin de la recherche constante de
Steve Roach pour l’exploration et l’exploitation des sonorités ambigües sur des structures autant passives
qu’actives.
Des poussières et des vents désertiques s’amènent Transmigration sur rythme flou qui circule en boucles
minimalismes. Tout en douceur, la musique nous subjugue vers un mode cosmique tribal bien solitaire au
synthésiste Américain. De fins accords de guitares se moulent à des discrètes percussions tribales qui créent
une cadence arythmique sur une ligne de basse en cascade enveloppée d’un synthé filtrant des ondes célestes
qui prolifèrent autour d’une sphère musicale étrangement intense. Un mouvement charismatique qui s’évanouit
dans les vapes morphiques de Cerulean Blue Sky Over a Seared Desert Wasteland et de ses lourds
bourdonnements résonnants. Un autre monde nous y attend. Bruits étranges qui entourent un synthé aux
lourdes nappes, Cerulean Blue Sky Over a Seared Desert Wasteland s’anime sur des percussions tribales qui
contrastent un mouvement aux lentes ondes enveloppantes, agrippées de lourdes réverbérations
ensorcelantes. Les percussions palpitent un tempo encore plus nerveux, intense qui se perd dans un tourbillon
de synthé enveloppant hurlant sa possession dans une atmosphère de cataclysme latent, où ululements de
vautours n’augurent rien de bien complaisant. On se croirait dans l’étrange univers de Stephen King et de ses
Tours Sombres.
Monuments of Memory et Alluvial Plain sont 2 titres aux mouvements linéaires atonaux, réflexions des lourds
vents qui filtrent leurs sonorités parmi les hautes stèles désertiques. Des mouvements très intenses qui
emplissent les tympans avec une sonorité riche. C’est aussi une longue introduction au nerveux
Trancemigration qui sautille dans une faune sonore propre à Roach. Mouvement séquentiel palpitant, avec ses
synthés excessivement enveloppants et aux souffles étrangement fantomatiques qui circulent parmi des effets
sonores indisciplinés dans cette croissance rythmique que l’on retrouve sur Stormsturge et Proof Positive.
Stars Begin vient clore cette anarchie éolienne avec un doux mouvement serein, aux sonorités arides sur un
synthé qui clame ses frasques venteuses vers une finale de plus en plus muette.
Steve Roach se réinvente à chaque nouvel opus. Quoique nous sommes tous familiers avec ses œuvres et ses
sonorités, nous restons toujours fascinés par ses métamorphoses sonores qui séduisent, même lorsqu’il
exploite la puissance des vents désertiques. Landmass est un solide album qui maille rythmes tribaux, nerveux
et chaotiques aux beaux espaces tranquilles qui séduisent par leurs profondeurs sonores.
Note : 5/6
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JANDEK : Ready For The House
Chronique réalisée par Dioneo
L’ennui. Plutôt que de le détruire, de le prendre à partie ou bien d’en faire de l’art, Jandek a choisi de le
balancer, comme ça, tel quel. Sans chercher à rien adoucir, embellir, sublimer. De ne rien lui opposer, cajoleries
ou résistance. Dans cet abandon il se pose, au fond de sa maison (Houston, Texas, ça vous excite ?). Avec
juste une guitare, un seul micro probablement. Il enclenche le magnéto puis laisse couler le rien. Ou alors,
peut-être pas. Peut-être a-t-il tout planifié, travaillé à sa manière bizarre chacun de ces chansons, jusqu’à ce
qu’elle atteigne leur forme accomplie - toute latitude à cet égard laissée à son seul jugement. Difficile à dire.
D’où les sort-il ces accords mal foutus, malsonnants, malvenus ? Que doivent-ils au hasard ? Est il désaccordé
? Autrement accordé ? Touche-t-il au moins, une fois l’an, aux clés de l’instrument ? Et cette voix… Atone,
détachée de tout ce qui est dehors, obnubilée par sa tâche – quelle qu’elle puisse bien être... Il y a ces textes
aussi, abstraits, incernables et plats, comme un parler automatique. Au fil d’un esprit qui divague autours des
pas grand-choses, des jours, des murs, des fantasmes vagues et des frustrations… Dérangeants tout pareil,
avec leurs détails malséants, leurs concordances moches à nos propres fatigues. Encore une fois, tout ça
pourrait aussi bien être le fruit d’une stratégie, une construction délibérément bancale, contrefaite,
malignement et patiemment. C’est certain, le personnage peut agacer autant que fasciner. Sa légende a quelque
chose d’artificiel, de fabriqué, peut-être, d’un peu trop parfaite dans sa claustration. Ce type entretient le
mystère depuis plus de trente ans, on aurait bien le droit de trouver que le truc s’émousse à l'usage. Pourtant,
au-delà des cachotteries qui font les cultes, quelque chose accroche. L’oreille et le battement de cœur
manquant, celui qu’on saute par saisissement ou lassitude, par négligence. Il y a dans ces plaintes exsangues
une obstination, une passion défaite mais tenace qui forcent le respect. À bien y écouter, à se laisser gagner
par cet engourdissement, tout n’est pas d’un seul tirant. La monotonie est bien là, irréfutable ; mais dans son
air confiné, appauvri en oxygène, des nuances se détectent. Aussi rudimentaires soient ses techniques, ses
demis arpèges, ses placages, ses accords indigents -un seul par chanson, presque tout du long, encore est-il
difficile de juger si la variation est même aussi ample-, il est certain qu’elles doivent peu à une errance aléatoire
des doigts sur les cordes. Elles cheminent sans grâce mais avec cette effrayante précision -de celles qu’on
aime pas reconnaître- ce sens du rythme rampant, dérangeant qui est le sceau des Obsessionnels. Et puis à
bien y écouter, le tempo varie au noyau même des chansons, souligné mais à peine du pouce ou de la paume
sur la table d'harmonie (...). Rendant encore plus pernicieux leur nébuleux propos. La voix non plus, une fois
l’oreille acquise à sa cause, n’est pas si monocorde. Ses écarts de diction, de volume, aussi minimes
puissent-ils d’abord paraître, portent tour à tour indifférence, dégoût, peurs mal définies, tentatives rentrés,
ironie éteinte, colère sèche et impuissante trop bien scellée sous le couvercle pour atteindre à l’explosif. Oui, il
y a bien dans ces lambeaux une force d’attraction morne et… Captivante, en effet. On finit même par entendre
les césures, là où sont coupées et remontées les bandes. Et puis ce dernier morceau qui aligne -ô miracle- une
suite d’accords plus énergiquement pincés… Oh, si peu ! Mais qui semble d’un tel contraste au bout de cette
litanie d’hypnoses liquides, stagnantes, tièdes et troubles. Et qui s'interrompt, comme de juste, avant d'en avoir
fini. Intrigant, oui, sans conteste... Reste que ce disque a ses heures dédiées ; et que celles-ci sont plutôt rares.
En état de bonheur, de désir, d’appétits, on le rejettera, presque à coup sûr ; comme une somme de vides
néfastes, inutiles, sans recours. En déprime latente, en souffrance précise, on n'osera trop y venir, de peur d’y
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sombrer ou d’y trouver un simple reflet ; sans apaisement, sans solution. Sans questions. Lui convient
seulement, peut-être, cet état morose de l’indécidable, quand la volonté cale et que les ouvertures deviennent
béances. Dans ces cas-là, l’objet fait charge. On peut s’étendre, dos contre son sol et attendre que son poids
nous entraîne. Par dessus la rambarde ou tout au fond du puits, ou bien de l’opiacé qui conviendra le mieux,
peu importe. Ou alors l’attention flottante se grèvera, se gorgera d’une telle irritation, d’une terreur du gouffre si
diffuse que jaillira l’impulsion, le besoin d’ouvrir en grand, de renier ses murs. Dans ces instants-là, ce disque
est... On ne dira pas un chef d’œuvre non, le terme ferait bien peu sens. Mais quelque chose d’irréductible. En
toute autre occasion, il ne sera qu’un boîtier, inerte sur sa planche. La logique commune voudrait donc, par
recoupements, qu’il écope de la moyenne. Mais qui donc se soucie des moyennes et du Moyen ? Et puis qui,
encore, des communes logiques ?
Note : 4/6
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JANDEK : Linving In A Moon So Blue
Chronique réalisée par Dioneo
Ce type est un malaise. Inexplicable, insupportable et magnétique. Comme tous les Grand Obnubilés son
œuvre -facilité de langage- a quelque chose de déroutant. Parce qu’on a beau y entendre toujours la même
chose, on finit toujours par y déceler -ruse de la perception qui ne sait se satisfaire de l’éternel similaire ?- des
variations, une évolution, des phases, des étapes. Des reliefs, même. Parce qu’on a beau avoir ses préférences,
on ne peut s’empêcher de soupçonner qu’en ces grands continuums à l’inquiétante cohérence, il n’est pas plus
d’une idée à peine. Reprise sans cesse, étirée, comprimée. Fixe. Comme quelques autres, donc, Jandek défie le
goût, le discernement. Chaque album laisse à craindre, à redouter, à espérer la lassitude et l'égarement,
l’abstraction totale du dépaysement ou l’épuisante familiarité, en proportions indéterminables. Indéniablement,
Living in a Moon so Blue relève du même patron que le tout premier acte, ce Ready for the House sorti quatre
ans plus tôt de nulle part - c’est à dire d’une de ces résidence pavillonnaires de l’Amérique blanche la plus
cloîtrée. Sans conteste, après trois albums de plus, celui-ci continue à creuser le même sillon. Mais il ne fait
pas de doute, non plus, que quelque chose avance. Mal ou remède, la question peut se poser, légitimement.
Celui-là semble encore plus dérangé. En se heurtant aux limites de sa manie, en s’y enfonçant, Jandek se
charge d’une tension, d’un énervement qui n’était pas alors aussi palpables. La voix semble vouloir briser cette
ligne qui l’asservit, l’enferme, la guide sans but apparent, d'historiette aride en scène désolée. Il semble bien
qu’il n’en puisse plus. La guitare se fait moins implacablement répétitive, aussi. Les espèces d’accords,
toujours tordus et inharmonieux, dérapent, quittent la mesure, se délitant même parfois en des semblants (ou
tentatives) de solo. De toute évidence le jeu et le chant –mais oui, on dirait bien qu’il essaye de chanter- tendent
à se rapprocher d’un blues très rudimentaire, grossier, fruste, douloureux. Jandek craque. Toujours désespéré,
insondablement triste, éreinté par l’inaction mais peut-être moins neurasthénique, moins indifférent. Comme si
lui même s’irritait d’explorer ou d’éluder sans fin les nœuds et les trous de cette vie dont, au final, il ne nous a
jamais livré le moindre indice. Cette froide colère, si tant est qu’ils s’agisse bien de ça, peut faire touche.
L’agacement, aussi, peut faire contagion. Cette index-ci du catalogue vous secouera plus qu’un autre,
peut-être. Il est probable que sa substance puisse mettre à mal toute velléité d’apaisement… Peut-être aussi
vous rebutera-t-il : d’emblée, et durablement. C’est possible. On peut aussi le préférer, parce que procédant du
même geste, de la même insoupçonnable nécessité, mais en poussant la logique de la chose à sa dernière
extrémité, au tout premier de son auteur. Et puis l’instant d’après on voudra le fuir, il nous chassera, on voudra
s’en défaire d’une secousse… Étrange stimulation. C’est là le vrai mystère de ces œuvres sans issue, orbitant
sans fin sur leur axe. Leur charme, aussi, insidieux, inquiétant : que dans leur Innombrable et leur
Obsessionnel, nous y retrouvons nos petits. Et que parmi ceux-là, nous avouons nos Favoris.
Note : 5/6
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JANDEK : Interstellar Discussion
Chronique réalisée par Dioneo
Allons bon. Voilà qu’il s’est déniché une batterie. Et un ampli. Est-ce vraiment une bonne nouvelle ? La donne
va-t-elle s’en voir changée, peu ou prou ? Y’aura-t-il explosion ? De tempo ? De fusibles? Écoutons… Bon.
C’est peu dire que Jandek, sur les toms et les caisses, n’a rien d’un virtuose. On avait fini par se faire à son
style particulier (pour le moins), tant pour le chant que sur le manche. Mais là… Plus que primaire, sa manière
sur les fûts est brutale, sans précaution, chaotique. Effroyable, voilà le mot. Et de fait toute sa musique s’en
voit affectée, en profondeur. Son jeu de guitare -pour cette fois branchée, donc- se fait erratique, furieux,
aléatoire. Cacophonique. Très différent, finalement, des étranges accords (?) auquel il nous avait jusqu’alors,
en quelque sorte habitué. Pour être honnête, elle nous propulse en plein asile, cette version électrique. Avec
l’harmonica qui vrille les tempes, chaque instrument qui joue sa partie sans se soucier de la panique ambiante,
absorbé dans sa fuite propre. Et puis Jandek hurle, cette fois. Il semble que sa voix (et certaines de ses lignes :
They call You the Sun…) veuille pousser jusqu’à l’incantation, l’invocation. De quoi ? Qui voudrait le savoir ! On
dirait bien qu’il ait mis la main sur une reverb, aussi, qu’il pousse sans trop de finesse. Et puis qu’il soit en
verve d’un espèce d’humour même, au moins dans ses titres (Why Did I Change A Word In The Last Song, qui
suit un morceau ou rien d’autre n’est dit, en substance, que ‘Hey’). Un doute émerge, en fait : et si ce type
s’amusait, -enfin ? depuis toujours à notre insu ? à SON insu ?-. S'il jouait de sa folie ? Tout de suite la
question s’estompe tant ce foutoir déboussolé vibre d'un branle de libération, éclat de rire un peu effrayé par
son propre bruit mais qui jubile du tournis qu’il se donne et qui gagne d'autres têtes. Et puis soudain, tout
redevient comme avant. Retour abrupt à l’acoustique. Aux accords qui en sont à peine mais se jouent comme
tels. Cette espèce de folk improbable, d’aucune contrée plus étendue que le périmètre d’un chambre à coucher
(avec un lit pour une seule personne). C’est vrai, les textes restent contaminés par la folie de cette première
partie en roue libre. Rarement ils auront sonné aussi dérangé (Rifle in the closet, Ha ha…). Mais avec
l’affolement, l’excitation retombe. L’attention n’accroche plus. On a l’impression -c’est finalement et
bizarrement assez rare- que Jandek se met à ‘faire du Jandek’. Ses astuces tordues nous intriguent moins (‘a
rifle in the closet is just the name of the song’…). On n’y croit plus tellement. On laisse filer. Arrive alors le
dernier index. Et voilà qu’il se met à jouer une seule note. Et que de nouveau -c’est inconcevable !- on se
retrouve en fascination. Et l’on se reprend à jeter un œil au catalogue de Corwood Industries… Il reste encore
d’autres Jandek. Beaucoup. Vraiment beaucoup. Ce type n’en a jamais fini. Ce type nous veut quelque chose.
On ne saura jamais quoi. Ce type fera toujours un peu peur… Cette dernière plage, de nouveau intrigante,
s’appelle Kick. On se prend à espérer qu’il se remette à taper.
Note : 3/6
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BIG COCKY MAN SINWELDI : Is Europe dying ?
Chronique réalisée par Twilight
Commençons par la réthorique des 'à priori'...A priori, avec un nom pareil, on ne se douterait pas que Big
Cocky Sinweldi joue du dark folk; à priori, qui se soucie encore des questions de culture européenne alors que
l'âge d'or du genre semble en pleine perte de vitesse ? Une chose est sûre, ce disque est une belle réussite; le
groupe, un duo, nous propose une forme assez dépouillée et mélancolique de dark folk évoquant parfois de
lointains échos de Strength through joy, Oraison ou Darwood, le côté froid de ces derniers en moins. L'émotion
est en effet une composante essentielle de la qualité de l'album; pas réellement de tonalité martiale agressive,
pas de posture trop affectée mais des lignes simples et pures, un peu triste, soutenues adroitement par une
basse ou un clavier et survolée d'un chant nappé d'un léger halo, sans oublier quelques samples mais sans
excès. En fait, je suis personnellement plutôt admiratif quant à l'atmosphère qui se dégage de 'Is Europe dying
?'; pas toujours facile dans le style de se démarquer, surtout à l'aube d'une jeune carrière...Hé bien, Big Coky
Man Sinweldi, sans forcément beaucoup de moyens, s'en tirent de manière très honorable et il ne m'a pas fallu
longtemps pour me laisser captiver par ce spleen à la fois brumeux et paisible. Plutôt agréable de voir que la
beauté du dark folk n'est pas simplement défendue par les grands noms du genre, bonne chance à ce nouveau
projet ! 4,5/6
Note : 4/6
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MIKAMI (Kan) : Juw
Chronique réalisée par Dioneo
L’époque aimait ces jeux cruels et ambigus. Chaque jour, elle réveillait l’un de ses morts et lui soufflait : Il est
trop tard, tu peux te rendormir… Mikami n’a pas sommeil. Hors ses eaux territoriales, on prétend qu’il jouerait
du blues. Les ondes nationales, un temps, lui firent florès. Et puis plus rien, dix ans durant. Alors advint un
homme de goût, qui plus est de quelque influence (Hideo Ikeezumi, esprit frappeur du label PSF), désireux
d’ouvrir encore, à cette bouche, à ces six cordes, un micro et quelques pistes. En fait de blues, cette musique
est ailleurs. Qu’elle emprunte à la Noire Amérique, comme en passant, quelques techniques, pickings, accords
ou motifs, cela peut s'entendre. Sa substance, toutefois, est autre. Lui, sans jamais tarir, s'en remet au vieil
Enka. Un genre jadis populaire, s’écoulant partout, au cœur des villes et aux périphéries. Kyrielle de chansons
aujourd’hui oubliées, toutes adornées de regrets, d’absences, de séparations. Toutes ces idoles graves aux
parures légères, qui égrainaient en de sages romances la nostalgie d’autres légendes, ô combien plus
anciennes. Lais des femmes de cour, amours dénouées dans les sous-préfectures. C’est bien cette mélancolie,
ce sentiment poignant du manque ; cette douleur tapie de l’arrachement, qui cicatrise alors que pulsent les
tissus ; cette obscure tristesse que l’on voudrait garder, chérir au creux du corps, parce qu’elle porte en elle
une part ineffable de ce qui n’est plus. Mais ce sont d’autres temps. Les rues en sont plus dures, et les fleuves
souillés. Le pas de Mikami, son jeu, sa voix, marquent un rythme plus lourd, attaquent plus pesamment le
revêtement de la route. Comme épuisé de cheminer sans cesse. Son art emprunte, certes, aux complaintes
déchues, toute leur douceur d’alcool tiède. Mais il lui faut pousser plus fort, plus dru, plus rude. Le son de la
guitare a quelque chose de râpeux, d’essentiel. Sans amplification excessive, sans effets magnifiants, il est tout
d’un matière brute, dense, opaque. Le jeu en est tout en brisures, glissements et blocages. En modes mineurs.
En syncopes, parfois asymétriques. En accélérations, en roulements coupés nets quand ils touchent l’acmé. En
cassures précises, exactes, maîtrisées. Et puis l’instant d’après, ce sont des accords ouverts, amples,
vigoureux, qui ébranlent l’air alentour. Le timbre de la voix, profonde, toute vibrante de puissance alanguie, a
cette présence, cette solidité abîmée, éraillée, qu’on avait pressenti à la vue de cet masse d'homme, point jeune
mais campé, au physique touchant de docker taciturne. Sa subtilité, en revanche, étonne. La richesse, aussi, de
ses moyens. De cette racine, de sa lignée choisie, le chanteur laisse grandir cette voix de poitrine éplorée, qui
envahit l’espace en vagues concentriques ; il amplifie la vibration, dilate son volume afin qu’elle franchisse les
tumultes ambiants ; pour qu’elle pénètre les consciences étouffées, engourdies de béton, poissées de
monoxyde. Ailleurs, il semble qu’il emprunte à d’autres traditions ; du drame, de la tragédie ; au nô, peut-être,
au kabuki, à leurs récitatifs psalmodiés ; au plus lointain kejak balinais, avec ses longues phrases glissées et
gutturales, ses arcanes mythologiques ; et puis, en profondeur, aux grondements des sectes bouddhiques.
Chaque chanson semble porter -pour autant qu’on s’en remette aux traductions- une histoire singulière, tout
emprunte d’un mystère pragmatique et inquiétant, préoccupant. Récits aux contours abstraits mais aux détails
effrayants, impitoyablement… modernes. Clochards métaphysiques, qui couchent à des porches pisseux.
Confusion des sens qui prennent le printemps pour l’hiver. Inadaptation. Réclusion de cellule, de logis, tout au
fond des quartiers à sueur. Les attachements impossibles, cet isolement de l’exil en pleine foule. La pâleur
blême qui s'immisce, quand s’éloigne au fil des jours le souvenir de l’être cher, des lacs et des cieux adorés.
Autant de scènes psalmodiées, jetées en rires douloureux, comprimés ; arrachées du fond des poumons, aux
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confins, parfois, d’une terreur qui passe en nous ; aux mots d’une poésie étrange, d’abord déstabilisante tant
elle semble décousue ; une fois saisie, d’un cohérence redoutable. Ces chants, certes, sont implorations ; cris
de détresse, on peut le soupçonner ; y brûlent les tourments, toujours inapaisés, des passions violentes et
ruinées ; jamais, pourtant, ils n’en cèdent au sordide. Du fond de la défaite palpitent le désir, inassouvi, sans
terme, privé de but mais pas de direction ; vers les vivants, toujours, qui dédaignent les spectres ; après la fin
subsiste l’attraction… Et l’on dit que certains, parmi les Revenus, de leurs larmes offertes enluminaient la terre.
Note : 5/6
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D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Produkt der Deutsch-Americanicchen
Freundschaft
Chronique réalisée par dariev stands
Fatigué de mater toujours les mêmes reportages désespérants sur l’holocauste et de maudire le genre humain
? Fatigué, tout simplement ? J’ai peut-être trouvé le disque qui correspond à ton humeur, ô interlocuteur
improbable. C’est pas un disque d’ailleurs, c’est un Produit, avec son beau numéro de série… c'est bel et bien
resté coincé sous les ruines du Krautrock, seulement c’est pas d’la Cosmische musik : ici, ça sent le charbon,
le cambouis, et la sueur. Les papes de la boîte à rythme testostéronée, les empereurs du synthé torse-poil et du
tout électronique sont ici chopés sur le vif dans les steppes calcinées de l’Allemagne de l’est… Faut le faire :
les inventeurs de l’EBM capturés live en studio avec un son bien roots dont même les pires renégats du garage
US n’auraient pas voulu, usinant des rythmes motorik complètement à l’est (à l’est de tout, en fait), gratouillant
saturations et lignes de basse atonales, en bref, je vous fais pas de dessin : un son méconnaissable, totalement
inédit à cette époque où le lo-fi était encore loin d’être un concept. On pense très souvent aux Chrome, qui
auraient pu piquer pas mal d’éléments de leur son ici, également un peu à Faust et à Neu, mais c’est tout.
Deutsch-Americanicchen Freundschaft (ils n’abrègeront leur nom qu’avec Alles ist gut) n’est pas votre ami et
ça s’entend. Ces types semblent jouer dans une cave la peur au ventre, par petites tranches de 20-30 secondes,
comme si la police de la pensée était à leurs trousses. En fait, tout l’album n’est constitué que de courts
succédanés de jams plus ou moins improvisées en studio, sans paroles ni structure. Parfois ça coupe au
milieu, parfois ça revient, il y a même 30 secondes de silence au milieu. Ca se passe dans le légendaire antre de
Conny Plank - fameux sorcier de studio du label Brain - qui semble n’avoir fait aucune production ici. Le son
est sec, hyper crade, voire franchement mauvais, probablement capté par un seul et même micro. Certains
moments sont plus intenses que d’autres, comme ce plan bien violent au début de la face B où on peut
entendre l’un des musiciens crier, comme emporté par la fureur de cette batterie démoniaque, comme un
Christian Vander qui aurait perdu son bras dans un raid de Panzer... Certes, ce disque est difficile à cerner,
perturbant, surtout pour qui croit connaître la chanson d’avance, mais il dégage une ambiance de crypte
désaffectée complètement géniale, forcément renforcée par la pochette ovniesque au possible (les photos
évoquant la seconde guerre mondiale au verso sont pas sympas du tout). On descend dans la mine à un
rythme martial contempler la déchéance industrielle, et croyez-moi, ça pue les mauvaises vibes la-dedans. On
imagine assez aisément les 4 mecs se venger sur leurs instruments dans un espace trop exigu qui leur aurait
porté sur les nerfs. Le chaînon manquant indispensable entre le Krautrock, musique free et sauvage des
années 70, et l’Electro Body Music, musique de backroom à l’œil torve des années 80.
Note : 5/6
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I.CORAX : Spectral Metabolism
Chronique réalisée par Wotzenknecht
C'est la nature toute entière qui vibrait étrangement, ce jour-là. Elle savait qu'on avait rendez-vous. Ca a
commencé par un ondoiement différent des autres. Vu de la rive, on aurait dit que l'eau était devenue une
surface caoutchouteuse sur laquelle certains seraient tentés de marcher. Seulement là, j'étais venu pour autre
chose. Pour passer en dessous. Soulever la surface, dépasser les mouvements pour saisir - à défaut de
pénétrer totalement - les forces latentes du monde d'à-côté. Les spectres n'ont pas de langage : ils émettent
des signes et génèrent des formes. Ils provoquent les courants. Ce jour-là, je me noyais dans les lactations de
la Nature. L'eau devint courant et je n'étais plus que feuille morte. Les oiseaux comme spectateurs, les spectres
comme guides et les puissances élémentales : révélées. Ce sont les mêmes énergies qui soutiennent et font
vibrer les champs de fleurs tout comme la lave en fusion. Le torrent rigoureux pousse jusqu'à l'abstraction. La
nature à coeur ouvert, bruyante mais inintelligible, viscérale, communiquant avec qui veut bien l'entendre. Il
fallait que je me laisse porter. Laisser de côté son égo, son vécu, oublier "moi" et devenir "nous". Nous, forces
brûlantes, tisons ardents noyés dans une rivière glaciale. Il fallait que je prenne froid, car si la Vie est chaleur
ses échos sont entropiques et ses structures parfaitement inhospitalières. Niflheim a beau enfermer le germe
de la Renaissance, sa surface n'en est pas moins impraticable sans un guide pour nous tenir la main. Dans la
Nature, je n'aurai plus peur de prendre froid. Mes guides savent être patients et sous la surface de l'eau, je
saurai les retrouver ; car après ce vertige terrestre, c'est dans des contrées cosmiques bien plus opaques qu'ils
m'ont offert de les rejoindre.
Note : 5/6
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D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Die kleinen und die bösen
Chronique réalisée par dariev stands
Die Kleinen und Die Bösen. Vision manichéenne émanant de la guerre froide dont la tension était encore à son
comble en cette rouge année 1980. La façon dont l’imagerie communiste russe est ici détournée n’a rien à voir
avec les excentricités graphiques d’un Fœtus où la fascination des futurs garçons coiffeurs de la synth-pop…
Les similitudes dans la démarche seraient plutôt à chercher du côté de Laibach, qui faisait ses débuts au même
moment. A l’orée des années 80, quelque chose est en train de bouger en Europe. C’est le début des paroles
imprimées en plusieurs langues sur les pochettes intérieures – ici, allemand, anglais et espagnol – volonté de
pluralité qui disparaîtra avec le format vynile… Le quatuor
Deutsch-Americanicchen Freundschaft (pas encore un duo) continue ici d’enregistrer sous l’égide de Conny
Plank, bien qu’une face soit entièrement consacrée à un live craspec "enregistré par accident"… Un nouveau
bienfaiteur se penche sur eux, en la personne de Daniel Miller, friand de nouveaux sons electro et politiques,
qui les signe sur Mute pour cet album. Le groupe de Produkt est méconnaissable : la voix malade de
Delgado-Lopez a fait son apparition et les jams insalubres ont laissé place à une espèce de post-punk bien
retors, bruitiste au possible, réduisant les structures au minimum syndical pour balancer sa rage… L’entrée en
matière du disque semble reprendre là où Produkt s’était arrêté, mais on sent rapidement la colère froide
monter en eux. Sur Co Co Pino, c’est un SS défroqué exilé in Uruguay qui harangue une fille de joie de sa voix
hystérique... On n’aimerait pas l’avoir en face de soi, et voir son visage suant se contorsionner tandis que la
rythmique tressaute horriblement. Il reviendra quelques fois à la charge avec sa Lola, laissant éclater ce qui
ressemble bien à un dégoût terminal de la gent féminine. Les lyrics sont particulièrement intéressants,
politiques, d’un érotisme cru, sans complaisance aucune, évoquant fortement les couleurs dégueulasses et les
angles coupants des peintres de Die Brücke. Le malaise se renforce encore un peu plus quand le maniaque
Delgado-Lopez se met à chanter doucement sur fond d’alarmes et de synthés en train de fondre en direct (Ich
gebe dir ein stück von mir, "je te donne un morceau de moi", non merci !), avant de conclure la face A sur le
génial De Panne, véritable jet de bile envoyé au visage de la Pop music, que le groupe semble vouer aux
gémonies ("Nous sommes les putes de la pop music, les vaches sacrées de la pop music"). La Face B n’est
qu’un grand cri désorganisé, jeté à toute vitesse sans se soucier de l’impact des paroles ("Die lustigen Stiefel
marchieren über polen" répété à l’envie… je laisse aux germanophones le soin de traduire). Le côté bruitiste du
groupe revient ici invariablement à la charge, rappelant quels terroristes sonores ils étaient. La contorsion
synthétique de La Bamba qui clot l’album, façon Devo, annonce déjà le riff de synthé de Der Mussolini, ce qui
tendrait à appuyer l’idée que le groupe évolue au sein de ses albums, et que les 3 peuvent être envisagés
comme une suite (ils sont tous viscéralement différents les uns des autres…). Pourtant le groupe deviendra
duo et se renommera D.A.F. peu après ce disque. Quittant l’anonymat total de Dusseldörf, ils déménagent à
Londres courant 1980, opérant alors un changement de cap radical à l’image de la décennie qui débute : Leur
musique, souvent qualifiée par le groupe lui-même de "Musique du corps pour des mouvements compliqués",
délaisse toute sonorité krautrock où lo-fi pour se tourner résolument vers l’Electro Body Music, genre dont ils
seront les pionniers. En attendant, voici un bon disque pour faire fuir les éventuels pique-assiettes de chez
vous.
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Note : 5/6
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FONDLECORPSE : Creaturegore
Chronique réalisée par yog sothoth
Tranquilles, les gars de Fondlecorpse… formé en 1996, et surement trop occupés depuis à se gaver de films
gores de B-ième catégorie (ce qui nous vaut une superbe cover en mosaïque de Zombies, évidemment, mais
aussi de Critters, Gremlins et autres Serial killer tomatoes from outer space), le groupe batave sort enfin son
premier album, qui fait suite au très prometteur EP paru l’an dernier…et qui rend largement honneur à son
artwork ! On patauge ici dans le Death Metal largement imprégné de culture Gore, avec comme point de mire le
traditionnel trio d’influences des groupes estampillés Razorback records : Carcass / Necrophagia / Impetigo.
Les habitués des prods du label ne seront donc pas déçus, "Creaturegore" avoine son lot de riffs Death
speedés qui vous rappellerons forcement quelque chose, contrebalancés par quelques parties bien visqueuses
et (ça c’est carrément plus fun) des parties de lead guitares avec un feeling très série B, ambiance "machin of
the dead" tellement présente que sur les intros de "Pillage burn kill" et "The hermit", on attend presque la voix
off qui nous annoncerait une invasion de zombies dans le trou du cul du Texas et la fin du monde imminente.
Fort de ces éléments, le disque se révèle terriblement accrocheur, jouant la carte du bourrin / second degré / 0
prise de tête, sans tomber dans le bovin (pas de prod dégueu, pas d’abus de samples obscurs à la con, chant
"naturellement" gras…), et finalement un (tout petit) peu plus fin que la moyenne… On notera également
l'habituelle liste de guests, traditionnelle chez les groupes Razorback, et dont les prestations sont totalement
anecdotiques. Rien de très nouveau donc, mais assurément un disque à intégrer aux playlists de vos soirée
"bière / Carpenter / bière / Death metal / bière / Romero», succès garanti !
Note : 4/6
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SHARK TABOO : The Cage
Chronique réalisée par Twilight
Là, je me fais vraiment plaisir; Shark Taboo fait partie de ces trop nombreuses formations connues des seuls
passionnés et spécialistes et c'est vraiment dommage. C'est par l'intermédiaire d'une compilation,
'Slaughtered', que j'ai découvert le morceau 'Cage' et le coup de foudre a été immédiat. Fondé aux débuts des
années 80, le groupe a existé en dépit des changements de line-up jusqu'au début des 90's où il a sorti son seul
cd, 'Rock, sex, God', qui témoignait d'une évolution plus rock malgré quelques restes gothiques, avant de
splitter. Pour en revenir à ce single sorti en 1985, ni la pochette ni l'extrait de paroles, 'Imprisonned for life for
an imaginary crime', ne laissent planer de doute, il s'agit d'une composition contre la vivisection, et quel
morceaux ! Il est vrai que les Shark Taboo n'ont jamais hésité à s'engager dans leurs textes, ce qui les place
dans la tradition post punk goth que l'on qualifiait de 'positive punk' faute de mieux. le titre éponyme est
construit sur une alternance de passages syncopés et de parties plus rapides ainsi que sur une dualité vocale,
John assurant le couplet, Gill le refrain; j'aime beaucoup l'ambiance avec sa touche hantée, ces quelques échos
accusateurs et la touche de clavier merveilleusement utilisée. C'est d'ailleurs une
constante sur les trois chansons: un chant féminin presque désespéré mais avec une touche de colère et de
flamboyance dans le timbre; un clavier en arrière-plan toujours là au bon moment pour renforcer le feeling du
morceau. Mélodiquement, c'est très fort, la rythmique a quelque chose de puisant sans sonner tribale pour
autant; pour hasarder quelques comparaisons, je citerais XMal Deutschland, Blood and Roses, voir même
Siouxsie and the Banshees à leurs débuts. Pas la moindre faiblesse, trois pièces indispensables !
Note : 6/6
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PPF : La Belle France, 1900
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Oh tiens, des anarchistes à l'ancienne. Ils ont même ressorti Jossot des tiroirs de la tradition anti-étatique
français, c'est dire dans quelle lignée ils se situent. D'ailleurs, le livret ne parle que de ça, puisqu'il loue la
grandeur d'un certain Georges Darien dont les textes sont déclamés avec moulte véhémence tout au long de
l'album. Si on est en droit de s'interroger sur le fait de reprendre des idées politiques décontextualisées pour en
faire une thématique qui pousse aujourd'hui un peu à rire, la musique n'en est pas moins prenante et
savamment orchestrée. De la bonne came politico-industrielle de la première école, dépouillée façon "less is
more" avec ce qu'il faut de vrombissements pour la cage thoracique et le reste en diverses boucles modulées
et/ou saturées. Combien de fois me suis-je envoyé le monstrueux titre d'ouverture et ses déclarations ultra
patriotiques totalement désuètes (n'allez pas me faire croire qu'avec un objet aussi esthétisant que propre
musicalement, les PPF sont sérieux lorsqu'ils jettent des chaises à la gueule des spectateurs dans une salle de
MJC)... En fait, c'est cela qui rend le tout assez jouissif : les PPF pensent l'oppression étatique actuelle digne
d'une réanimation des vieux étendards oubliés depuis un siècle. Dès lors, quoi de plus old-school ? Du
power-electronics centenaire sur des sonorités entre Suicide/Fad Gadget pour le penchant pop et TG/SPK dans
les moments les plus durs, je dis oui ! Rendez-nous Zo d'Axa et sa "Feuille" : Dix assassinats pour un sou !
Note : 4/6
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GREEN VELVET : Whatever
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Je n'étais pas franchement au courant des agissements de Green Velvet avant de découvrir cette chose,
considérée comme son essai le plus sombre. Glauque, il l'est pour sûr. Glauque comme un noir nourri à la
Detroit techno qui découvre le versant européen de la désincarnation électronique, écoles belges et allemandes
en tête. Ca nous donne du Chicago gloomcore, à mi-chemin entre la sécheresse de K.Hand et la psychorigidité
de Nitzer Ebb ou Kraftwerk. On est emporté dans un urbanisme moite et claustro dans lequel Curtis court avec
assurance, propose et consomme, danse, chante, consomme encore et nous hypnotise comme le joueur de
flûte. Les rythmiques claquent dans l'air avec la fausse candeur de Kraftwerk mais le véritable et implacable
orgueil de l'EBM tandis que Curtis se joue de nous avec la fierté d'un type qui vient de bouffer deux courants
pour n'en faire qu'un seul : celui de la nuit sans lendemain. On entre dans la boîte comme pour un suicide rituel
: blanche, puis dancefloor. Jusqu'à extinction. Les images tournent sans fin comme les façades d'immeuble se
succèdent : au rythme des lampadaires. Et le voilà qui nous parle encore de drogues, de racisme et d'inégalités
alors que notre cerveau s'est éteint depuis le premier titre. Hé, renoi, envoie la tek. Tu sais le faire comme
personne. Le rythme, les machines : tu sais chanter la puanteur de ce monde déshumanisé. Tu sais tout mettre
en musique. Les noirs sont les poètes du monde. Ils savent et sauront toujours transcender le pire pour en faire
de l'or. Et toi, pauvre blanc, tu sniffes ta couleur et tu y retournes. Tu crois que tu sais apprécier ce
détournement à sa juste valeur, alors que c'est juste le déni de culpabilité qui fait remuer tes fesses. Bon sang,
on danse sur le son du vide, parce qu'un petit malin a décidé que ça en valait la peine. Techno, qu'on dit. Mais
là, le Green Velvet, il lui a redonné son lustre d'antan. La vraie techno pue. Annihile. Empoisonne.
Poétiquement. Retourne donc prendre un rail, mec. Techno, qu'on dit. La nuit sera longue. Whatever.
Note : 4/6
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THE GUN CLUB : Death party
Chronique réalisée par dariev stands
Considéré par beaucoup comme le plus grand disque du Gun Club, cet EP, 3ème sortie significative du groupe,
les représente en tout cas au pic de leur forme musicale, offrant à l’auditeur un Jeffrey Lee Pierce en pleine
possession de ses moyens, pas encore aviné 24h sur 24 ni déprimé par les départs successifs de son groupe
qui feront du Gun Club un groupe maudit malgré lui… Non, ici c’est encore la folie de la jeunesse qui prime sur
le blues des grands anciens, puisque le couple Chris Stein/Debbie Harry (de Blondie) veille encore au grain,
soutien indéfectible de notre JLP, caliméro des enfers qui hantera tant les rêves d’un certain Bertrand…
Certains verront d’ailleurs des liens entre son histoire à lui et les paroles de Jeffrey, toujours habitées de
personnages désespérés, tueurs fous aux yeux de verre, au regard éteint, martyrisant d’innocentes jeunes filles
dans leurs caves… Le plus fou c’est que ce sont des reprises ! JLP, porté par la même foi en l’archéologie 50’s
que ses confrères des Cramps, avait été exhumer les pires confessions vinyliques du sud profond, passées à la
moulinette psychobilly-blues-goth sur ce qui était à la base un 45 tours 3 titres et qui finira par un EP 5 titres,
avant d’être agrémenté d’une réédition cd aux bonus brisant un peu la cohérence avec deux originaux (Fire Of
Love, Run through the jungle) et un inédit bien trouvé (un Strange Fruit à la gueule cassée). Quoi qu’il en soit,
sur chaque titre, le son de guitare est froissé et imbibé, la production tout à fait substantielle, et la ferveur
chamanique jamais vue depuis Jim Morrison, auquel on pense maintes fois sur ce disque ; d’abord via le nom
de la nouvelle bassiste, Patricia Morrison, puis via le train fantôme tex-mex de Come Back Jim. La meilleure du
lot restera The Lie, où le Gun Club trouve enfin une dynamique propre, un groove, porté à bout de bras par les
vocalises lunaires d’un chanteur décidément au sommet de son art. Mais ne négligeons pas la chanson titre,
marathon pour soirées goth préfigurant les Pixies, torturée jusqu’à la lie dans sa version concert : ivre mort,
Jeffrey Lee Pierce étire la chanson jusqu’à 10 minutes de piano-bar chaotique, tandis que Patricia Morrison uniquement présente sur les lives - imprime sans discontinuer des lignes de basse infernales, noyées dans un
bruit qui ne laisse ni répit ni espoir. Avant d’en arriver à la moitié, certains des musiciens commencent à perdre
la boule et semblent jouer un bout de Purple Haze. On raconte que certains soirs, à la fin du morceau, Pierce
avait déjà vidé une bouteille de rouge. Sur d’autres titres, il s’essaye au piano, porté par des musiciens solides,
dont Dee Pop, batteur des Bush Tetras, au jeu pas forcément reconnaissable ici. Surprise partie des bas-fonds,
célébration de la viscosité, désespoir pendu au goulot de la bouteille de bourbon que Pierce ne lâchait jamais,
tentative désespérée d’exorciser ses vieux démons avec pour seul gris-gris de vieux standards délaissés des
années 50, crise de paranoïa aigue, se réveiller ligoté avec des bleus partout et un flingue chargé posé sur la
table de nuit, c’est tout ça, Death Party.
Note : 5/6
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THOMAS NÖLA ET SON ORCHESTRE : Vanity is a sin !
Chronique réalisée par Twilight
'Dis-moi, fiston, je viens de voir ce cd dans ta collection, Thomas Nöla et son orchestre...Tu crois qu'on pourrait
les engager pour la fête d'anniversaire de Tantine ?' 'Heu, maman, tu as regardé la pochette et le livret ? Tu
auras la réponse...' Vous aimez les excentriques ? Ca tombe bien, Thomas l'Américain en est un. Croisement
improbable entre Nick Cave ('Sunday with Jacky'), Michael Moynihan et Nick Grey, l'homme nous propose un
étrange cabaret minimaliste aux ambiances vénéneuses tel qu'on les trouve chez Novy Svet ou Nick Grey and
the Random Orchestra...Atypique et difficilement classable, sa musique crée ses propres codes, tissant des
nappes, empruntant de-ci de-là quelques lignes de violon, une poignée de notes psychédéliques au theremin,
ajoutant des percussions en carton pâte, une larme de guitare bluesy, un peu de choeurs féminins, le tout
survolé par sa voix nappée d'un étrange halo dans une ambiance faussement low-fi. Pas foncièrement
authentiques mais sincères, avant-gardistes sans s'éloigner du traditionnel, mélancoliques sans dédaigner
l'humour noir, ses compositions séduisent comme autant d'illusions qui scintillent et tournoient pour se
réinventer sous diverses formes à l'image de cet Américain à la sensibilité européenne; l'auditeur est invité
dans un étrange théâtre de marionnettes pour humains où l'on boit de l'absinthe assis sur un banc de bois avec
à ses côtés un mannequin en costume de soirée barbouillé de sang, des fleurs séchées partout et même des
crucifixs aux murs à côté d'un vieux cornet à piston. Ce disque a quelque chose d'hypnotique, presque
monotone, comme une ivresse imperceptible qui gagne lentement et stimule l'imagination de manière
vaguement inquiétante. Dandy classieux, Thomas est un musicien imprévisible, un peu magicien, un peu
arnaqueur, le genre de personnage qui ne laisse pas indifférent. Je doute pourtant qu'il convienne pour animer
la fête pour les 80 ans de Tantine...
Note : 4/6
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HARVEY & PARISH (JOHN) (PJ) : A Woman A Man Walked By
Chronique réalisée par Hellman
Ceux qui avaient trouvé impénétrable "Dance Hall at Louse Point", leur précédente collaboration il y a treize ans
déjà, ne risquent pas de faire un meilleur accueil au dernier né du duo Polly Jean Harvey et John Parish, bien
que celui-ci soit radicalement différent dans l’approche. Le single "Black Hearted Love" qui ouvre l’album est
un appât trompeur auquel il est difficile de résister, simple et immédiat comme ce qui décorait "Stories from
The City, Stories from the Sea". En fait, bien loin du carnaval de masques grotesques et d’histoires hantées qui
constituent la colonne vertébrale de ce "A Woman A Man Walked by" pour le moins déroutant. Sans se vautrer
dans la démonstration pure et simple, il est évident que John Parish, l'auteur, a tenté ici de tirer le meilleur
partie de PJ Harvey, l’interprète, lui concoctant des décors en carton pâte où elle peut prendre la pause et
incarner toute une galerie de personnages hauts en couleurs aux traits qu'on trouvera parfois quelques peu
forcés ("April"). Ce qui a pour effet d’aboutir à un album totalement schizophrène, sorte de résumé de carrière
de la brune ténébreuse. Tantôt mère, tantôt pute, tantôt sainte. Ceux qui avaient succombé aux charmes du tout
dernier "White Chalk" retrouveront la même délicatesse introvertie sur des titres comme "The Soldier" ou
"Passionless, Pointless" alors que "Pig Will Not" ou la plage titre, eux, renoueraient plutôt avec l’attitude
désinvolte et rageuse de "Rid of Me". On ressortira de l’album sans pouvoir se dire que s'en dégage l'un ou
l'autre titre en particulier. Mais on y retournera tout de même, intrigué par cette atmosphère étouffante qui fait
de "A Woman A Man Walked by" l’album le moins conformiste que Polly Jean Harvey nous ait offert depuis très
longtemps.
Note : 5/6
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LEECH : The Stolen View
Chronique réalisée par Hellman
Décrire la musique de Leech comme du post rock est ma foi assez réducteur. Surtout que ça fait un moment
déjà que post rock ne veut plus rien dire ... Du post rock sans le côté arty branchouille des canadiens de
Godspeed ou Explosions In The Sky. Du post rock, oui mais aussi sans ce vague à l’âme toujours sur la brèche,
et presque obligatoire, des écossais de Mogwai. On aimerait bien situer les suisses de Leech quelque part entre
les deux, mais ils ont leur truc à eux, créant leur propre niche, celle d’un rock instrumental qui ne fait rien pour
dissimuler le fait qu'il soit finalement bien plus écrit et construit que ce à quoi le genre nous a habitué. Si la
musique de "The Stolen View" s’amuse bien évidemment avec les contrastes, on sent toutefois très nettement
que Leech ne se laisse pas volontiers porter par la musique : il la domine et lui dicte sa loi, forçant quand bon
lui semble l’auditeur à plonger dans la léthargie la plus totale par le biais de nappes de claviers minimalistes
pour ensuite le réveiller progressivement à coups de gros riffs de guitares aux signatures rythmiques
obsédantes et sauvagement contrariées ("The Man with The Hammer", "Totem & Tabu"). Des coups de sang
peu nombreux mais bien placés. Au final, un post rock un peu différent, un peu plus mâture, qui aurait pris au
lion un peu de sa sagesse et un soupçon de sa férocité, voguant entre noise rock pur et dur et math rock
calibré.
Note : 4/6
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LONG DISTANCE CALLING : Avoid The Light
Chronique réalisée par Hellman
Tiens, c'est amusant ; je viens de vous parler de Leech, un groupe suisse qui verse dans une forme de post
rock contrarié, toutes guitares devant. Or il se fait que, l’an dernier, Long Distance Calling, groupe allemand de
la même trempe dont je m'apprête à vous parler, a participé à un split ep en leur compagnie et, le hasard faisant
souvent bien les choses, ils sortent quasi au même moment "Avoid The Light", leur tout nouvel album. On
aurait voulu le faire exprès qu’on n’y serait pas parvenu. Alors, bien qu’ils partagent la même approche, la
même grammaire, et convoitent sans doute d'une manière ou d'une autre le même public, tout oppose ces deux
formations en ce qui concerne les critères esthétiques. Là où Leech se veut sale et baveux, Long Distance
Calling est über clean et surproduit. Là où Leech s’amuse à brouiller les pistes avec des morceaux à tiroirs
pourris de riffs revêches, Long Distance Calling suit fidèlement les balises imposées par le genre adopté avec
une assiduité remarquable mais aussi un manque de passion flagrant. Les plages, pourtant pas si longue que
ça compte tenu des critères en vigueur, traînent souvent des pieds et finissent personnellement par me lasser.
C'est un simple constat et, après tout aussi, affaire de culture : de toute évidence, Leech s’adresse plutôt aux
amateurs de musiques indépendantes et alternatives alors que Long Distance Calling semble vouloir faire de
l’oeil aux metal heads et autres progueux barbus et binoclards. Faites votre choix, y en aura pour tout le
monde.
Note : 3/6
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MORKOBOT : Morto
Chronique réalisée par Hellman
Les mecs de Morkobot sont loins. Ils se sont inventés toute une mythologie pour justifier leur musique qui ne
ressemble à aucune autre, si ce n’est l’expression un peu gauche d’une vénération sans bornes pour la
musique à travers toutes ses manifestations, ce compris le bruit. Oui, le bruit. Car Morkobot est bruyant. Oh
combien. On a un peu l'impression de prendre le train en marche quand débute l'album : le groupe est déjà en
cinquième et semble faire tourner son moteur depuis quelques temps déjà. Un bruit indistinct, brouillon,
bouillie de chair et de métal sortie d'un implacable broyeur. Mais les italiens n'en oublient pas pour autant de
nuancer leurs propos en créant des espaces propices à des atmosphères plus sereines, du moins plus
facilement identifiables pour le commun des mortels, avec toujours cette tension latente. Dommage que la
production du disque souffre d'un réel manque de poids, une donne essentielle pour qui désire pratiquer ce
genre de musique sans compromissions. Conçu comme le troisième et ultime chapitre d’une obscure trilogie
entamée avec leur album éponyme, puis poursuivi par "Mostro", l'ultime "Morto" enfonce le clou d’une
démarche qui n’aime pas s’embarrasser de choses futiles pour s’atteler à la destruction méthodique de tout
résidu de fluide cérébro-spinal. Les formes éclatent et explosent, Morkobot se vautrant dans trois morceaux
mastoc qui oscillent entre dix et vingt minutes chacun pour un bad trip aux confins des mondes chahutés des
Mono et autres Lightning Bolt. Objet musical non identifié.
Note : 4/6
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TARTUFI : Nests of Waves and Wire
Chronique réalisée par Hellman
De ma bouche restée ouverte s’éparpillent des guirlandes d’étoiles que l’écoute de "Nests of Waves and Wire"
aura enfanté. Non content de nous avoir délivré il y a quelques mois le superbe premier effort studio de Sholi
(je vous en avais parlé), Southern Records confirme une fois de plus tout le talent qui est le sien à dégoter de
jeunes talents en nous proposant une autre production dont la débordante créativité s’apparente à un puit sans
fonds dans lequel il me tarde de me perdre à nouveau. Les Tartufi sont un duo de magiciens californiens.
Magiciens parce qu’ils parviennent à créer une musique qui semble être jouée par un groupe de quatre ou cinq
personnes au moins. Magiciens parce que, sous leur chapeau, se cache un monde merveilleux où il n’y a pas
que blanche colombe, foulards colorés ou lapin nain, mais aussi tout un univers baroque et onirique qui
foisonne de toute part. Aux boucles lancinantes de guitares et de chant, prodiguées par ce vilain petit canard à
moustache qu’est Lynne Angel, sorte de Renate Knaupe (Amon Düül II) du siècle nouveau, s’ajoute le travail
percussif (xylophone et batterie essentiellement) de son copain barbu Brian Gorman. Tartufi fait preuve d’une
très grande inventivité en terme de texture sonore, abattant un travail colossal à même d'être reproduit sur
scène. Dans les détours de leurs compositions qui prennent vie mailles après mailles, on perçoit les échos de
Tortoise, Cocteau Twins ou les contemporains The Dodos, Hella voire même Battles, ne serait-ce qu'en raison
du procédé. Mais quand on se laisse porter par des titres fabuleux comme "Engineering" ou "Church of
Hanging Leaders", nous ne sommes pas loin de croire que Tartufi fait bien mieux que tous ces groupes réunis
en sublimant tous ces langages pour créer le sien, unique en son genre, contemplatif et nerveux, énergique et
merveilleux à la fois. La musique a ceci de fantastique qu’elle est la seule à pouvoir transcender les genres et
en révéler des angles insoupçonnés alors que on pensait avoir déjà tout dit et tout exploré. Preuve par
l’exemple.
Note : 5/6
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AIRSCULPTURE : Doom Bar
Chronique réalisée par Phaedream
Disponible en format téléchargeable sur le site de MusicZeit, Doom Bar marque une nouvelle orientation
musicale pour Air Sculpture. Groupe ayant toujours privilégié une approche de composition de style
improvisée, soit en concert ou en studio, le trio Anglais s’est plutôt appliqué à créer un univers sonore
discordant où l’ambiant toise des prérogatives sonores instables. Le résultat n’est pas banal, quoique plus près
des structures anti musicales que mélodieuses, Doom Bar est un audacieux voyage musical en plein cœur d’un
délire schizophrénique qui gruge tous les sens.
Bien installé sur 2 pièces quasi identiques, Doom Bar ouvre les sonorités avec une approche amphibique aux
réverbérations troublantes. Des accords de piano circulent dans cette sphère instable, couplant bribes
doucereuses à des intercades sonores d’une ‘’métallicité’’ provocante qui traînasse sur des clapotis que l’on ne
peut discerner d’un monde humain, extra terrestérial ou simplement inexistant. C’est dans une noirceur
rebiffante, digne d’une station lunaire où des milliers de coléoptères grenouillent en apesanteur que le
mouvement valse, où voix, chuchotements, bruits éclectiques font de ce 11ième opus du trio Anglais une
étrange ode schizophrénique à la folie claustrophobique. Parmi cette cacophonie astrale réside de beaux élans
mellotronnées qui se dandinent sur des tam-tams hypnotiques, mais enveloppées d’une sirène qui roucoule
dans une ambiance lourde et menaçante. Une atmosphère de condamné saisie de tous côtés par des
bizarreries sonores tantôt clémentes, tantôt intempestives.
Bien plus un exercice de style musical à sonorité complexe que tout autre genre, Doom Bar se distingue par la
complexité de son évolution. Absolument rien n’est prévisible. Ainsi l’auditeur est plongé dans un univers
ambiant où la folie caustique est palpable à chaque recoin sonore, avec ses sonorités gutturales, ses synthés
aux lourdes vapes agressantes et ses percussions enclumés qui battent sur une démesure provocante et
démentielle, empêchant le repos de l’âme avec une torture industrielle bigarrée. Loin d’être totalement
iconoclaste, cette folie repentante contient une étrange douceur qui crèche en arrière plan, derrière cette
violence sonore ambiante. Un film d’horreur qui bouffe une proie virginale qui s’écoute et se sent à mesure que
les 63 minutes s’égrènent, la pièce titre risquant dans marquer plus d’un. À écouter en haute définition pour en
saisir tous les effets, mais à éviter totalement si la schizophrénie vous guette.
Note : 4/6
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SCHNITZLER (Conrad) : Conviction
Chronique réalisée par Phaedream
Nous voilà aux portes de l’art contemporain. Aux portes d’une musique extrême où la mélodie n’a pas de prise
sur le charme, encore moins sur l’accessibilité. Conviction est un opus lourd où la cristallisation sonore laisse
des empreintes indélébiles sur des tympans pourtant bien accoutumée à n’importe quelle invasion sonore.
C’est avec une lourdeur de mécanique industrielle que s’ouvre Conviction. Une lourde réverbération truffée de
piaffements d’oiseux métalliques accompagnent un martèlement bigorné dans un panorama sonore strident. Mi
bête mi robot, Stealth Passage avance à coup d’enclumes sur un rythme croissant où le métal fait la cour à une
étrange harmonie androïde, sur des rythmes aussi incongrus que dynamiques. De la techno stridente où la
frénésie robotique perce le mur des rythmes d’une façon copulatoire, sans verser dans l’inceste phraseur.
Comme une épine métallique stigmatisée de mille et une sonorités et d’autant de coups de gourdin, Conviction
épouse une structure aux rythmes juxtaposés qui peut trouver de brefs moments de quiétude, entrecoupé
d’une folie iconoclaste qui est la panacée de Conrad Schnitzer.
Métal sur métal, ça frotte, ça déchire, comme si l’instinct musical était un prétexte à un bourrage sonore
insipide. Pourtant, tout se tient. Au travers ce dédale cacophonique, on constate la progression de Conviction
sur des éléments d’une douceur jazzée, mais rarement éthérée. La violence sonore reprend toujours de la
vigueur pour assommer l’auditeur par l’ardeur métallique qui enveloppe cette structure abstraite. Même les
moments ‘’ambiants’’, sont teintés d’une violence retenue qui enlève toute proportion sentimentale à cette
œuvre extrêmement magnétisée de Schnitzer.
Pour ceux que le métal tordu, sur des rythmes aux antipodes harmonieux, n’effraie pas, Conviction vous est
tout désigné. Pour les autres, vous aurez compris que cet énième album de Mr Schnitzer passe par une énorme
compréhension de l’art musical abstrait.
Note : 4/6
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KHANATE : Clean hands go foul
Chronique réalisée par saïmone
L’autre con nous avait prévenus : "maintenant on fait du Fushitsusha". Maintenant ça voulait dire qu’on était
mort. Et qu’on n’avait plus rien à perdre ; ou quand le verbe être se conjugue à l’infinitude du temps et de
l’espace. Un espace qui s’écroule sur ses propres fondations, un temps qui ne s’écroule pas, qui s’étire et se
rapetisse à la fois, à la fois en avant et en arrière, qui tombe sur l’espace qui s’étire et se rapetisse à la fois. Le
son qui prend forme là dedans, à quoi tu t’attendais ? Y’a que la voix pour te dire où t’es, sachant que t’es
jamais là où tu t’attends – on n’en sort pas, hein ? Je crois que j’ai rarement entendu un son de guitare aussi
"crochaoua". Comme si le manche n’avait pas de longueur précise, et que les cordes pouvaient muter selon les
coups que tu lui donnais. Rien à voir avec le plastique, plutôt la gravité et la physique quantique, la théorie M,
appelée théorie des cordes tiens, tu crois que c’est un hasard ? Parce que la contradiction ne se trouve pas
forcément dans l’espace qui se trouve entre l’emo et le free jazz. Je crois qu’on commence à y toucher, là. Ces
notes impossibles, viscérales, mais d’un corps sans organes... On n’en sort vraiment pas… quand tu crois
pouvoir t’accrocher à quelque chose, ça glisse des mains ; le rythme, mon Dieu, mein Gott, my God ! C’est
aussi aride qu’une gorge à dormir la bouche ouverte. Et ça devient collant au gré des sécrétions. Fushitsusha,
Allegorical Misunderstanding bien entendu. On t’avait privé de tes quatre sens sauf le toucher. Plongé dans le
noir des yeux et des oreilles et du nez, tu sentais juste la lame pénétrer dans ton foie avec une lenteur
insoutenable.
Note : 6/6
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NONSTOP : J'ai rien compris mais je suis d'accord
Chronique réalisée par saïmone
Le retour infini de la chose sur elle-même. Mais quand l’image la remplace, il se passe quoi ? On prend ses
rêves pour des réalités. Fredo Roman lui n’en est jamais sorti. Il sait plus si c’est un cauchemar, ou un mauvais
rêve. A essayer de se réveiller les yeux fermés. Somnambule, il parle pendant son sommeil. Des histoires de
vengeance, d’arbitres maudits, de poissons rouges, de pendus. Parfois tout ça à la fois, parfois rien. Des
slogans scandés comme un robot, de la viande stupide qui se prend en tant que telle. Un flow parfois niais,
comme pour justifier son innocence. Sauf que ça fout mal à l’aise, sur des sons cheap. "Comme une odeur de
merguez dans une boutique Hermès" ; un coup de tatane dans les boules avec le sourire vicelard d’un enfant.
On chie dans la rue la main posée sur un chewing-gum. Fredo attaque dur sur tous les fronts genre sarcasme
en fin de vie et nous met à genoux pour qu'on suce son beat frénétique. Il comble l’espace entre Programme et
Didier Super, Spoke Orkestra et Ich Bin, Glu et Noir Désir - y’a même Serge qui fait de la guitare sur quelques
pistes. Malgré ça, on est dans l’homogène anxiogène au gaz hilarant, le retour de Nonstop sur lui-même, avec
les mêmes travers des formules parfois un peu faciles, des instrus electro parfois un peu passée. Et que les
bons morceaux sont tellement bons qui fait qu’on n’écoute qu’eux ("viande de robot", "plus on me rassure et
plus je crie", "on va vous simplifier la vie" qui fait grave penser au génial titre de Diabologum "une histoire de
séduction" ; ou encore le bourrin "arbitre enculé" tout bonnement galvanisant). On imagine Raskolnikov chez
Patrick Sebastien, Patrick Sebastien chez Jacques Lacan, Jacques Lacan avant-centre de l'OM, Franck Ribery
dans les chants de Maldoror, Isidore Ducasse à la bourse de Paris. Un constat tellement brutal qu’il en faire rire
nerveusement, "la dénonciation est un devoir républicain". Et pendant ce temps là la Joconde elle sourit… NB:
cet enculé de disque devient meilleur à chaque écoute, comme un super saiyen. Et les morceaux agaçants
d'hier deviennent les préférés de demain. Point A, Point Barre.
Note : 5/6
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EINSTURZENDE NEUBAUTEN : Silence is sexy
Chronique réalisée par dariev stands
Dernier tango à Berlin. Faux-double album aux allures de manifeste pro-silence, faussement prétentieux et axé
art contemporain, Silence is Sexy est en réalité l’une des portes d’entrées les plus intéressantes à la très
difficile discographie d’Einstürzende Neubauten. Les quadras devenus cultes et adulés un peu partout
cherchaient-ils ici à se réinventer en réalisant le disque le plus doux et le plus minimaliste possible ? Il souffle
ici un air de bien-être inexplicable, sauf peut-être via ce titre tout à fait inattendu pour un groupe aussi
amoureux du raffut des machines. La fin d’un monde, ou bien la fin du monde tout court ? Tout, de l’artwork
mystérieux et envoûtant à l’agencement iconoclaste des titres, semble montrer un Neubauten qui remet en jeu
la couronne qu’on lui a - un peu vite – attribuée. La chanson d’ouverture, Sabrina, et encore plus son clip
dérangeant et lynchien (à voir absolument) met les pendules à l’heure d’emblée : ceci est un album CLASSE.
Blixa Bargeld croone comme s’il avait fait ça toute sa vie sur un arrangement génial et ténébreux, délaissant les
sirènes de la jeunesse pour embrasser pleinement toutes les richesses que l’age mûr a à lui offrir. Et jusqu’à
Dingsaller, litanie de marins ivres en villégiature dans un cabaret berlinois, menée à un rythme surréaliste et
finissant en bacchanale vocale maîtrisée, il n’y a pratiquement aucune faute de goût. On regrettera peut-être la
très étrange poussée uptempo de Newtons et de Zampano, mais après cela, on entre délicieusement – une fois
l’album apprivoisé – dans un demi-sommeil, comme caressé par la musique. Sur cet album, Einsturzende
Neubauten ne sonne plus vraiment urbain. Le bruit et les grincements ont été supplantés par les hauteurs d’un
sommeil céleste, et quelque chose de beaucoup plus ancien semble avoir ressurgi, comme si les murs et les
métaux s’étaient soudain mis à parler, à raconter leur histoire, et à imposer une tension dramatique et
romantique sur presque 90 minutes. Le cœur du disque, allant de Heaven is of honey à Musentango, est une
classe flânerie bohémienne sur les berges du Spree, tandis que le crépuscule recrache ses derniers embruns
de nostalgie… Si au départ, tout l’album déconcerte passablement, voire agace, comme bon nombre des
sorties Neubautiennes, le charme distillé par ces 5 titres d’une distinction toute européenne et old-school opère
bel et bien. On ne louera jamais assez les qualités d’ambassadeur sensuel et décadent de la langue allemande
de Blixa Bargeld, illuminant l’album de sa voix immédiatement reconnaissable. Beauty et Der Befindlichkeit des
Landes sont de superbes méditations poétiques qui n’ont rien à envier à un bon disque de chanson française
ou de Jazz, évoquant la quête esthétique d’un Huysmans ou d’un Baudelaire, ainsi que la "mélancolie qui
s’étend sur la ville, puis sur le pays". Et puis il y a Total Eclipse of The Sun, gaulé comme du Massive Attack
qu’on aurait figé dans le marbre, à l’abri du temps. Dommage que les deux longs titres brisent un peu une
cohérence déjà fragilisée, comme avec l’insupportable gémissement de Pelikanol (vilain tic du groupe) qui
termine l’album sur trois insolents points de suspension, ce qui soulève pas mal de questions quant à l’utilité
et le rôle de ce CD2, certes réservé à l’édition limitée... Album d’été, de canicule, à déguster au balcon, un verre
de vin blanc ou une clope à la main…
Note : 5/6
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SLEEPING DOGS WAKE : Up !
Chronique réalisée par Twilight
C'est tout de même incroyable comme l'évolution de certains groupes sonne de manière naturelle...Deux
albums bruts pour disséquer la matière organique et en extraire des bribes de beauté d'une puissance
incroyable. Une fois cette lumière révelée, il s'agissait encore de la polir sans lui enlever son éclat sombre et
c'est avec 'Up! ' que commence le travail. Si nous sommes encore loin de la touche éthérée de 'Sugar kisses', la
musique sonne de manière plus contrôlée, notamment au niveau de la guitare, moins chaotique. Miracle ?
Toujours est-il que cette orientation mélodique non seulement ne modifie pas foncièrement la démarche du duo
(en passe de devenir un quatuor) mais sublime son potentiel. La voix de Karin est plus que jamais mise en
valeur et si l'obscurité qui voilait les compositions a perdu de son caractère direct, elle y gagne en sensualité;
autre élément à affirmer une place plus marquée: la rythmique; le jeu de basse,
simple, lourd est efficace est mis en avant au mixage, parfait complément de la batterie. Tous deux mènent le
jeu tandis que la guitare gronde et se terre comme une bête fauve tapie qui frappe par à coups tranchants avant
de se fondre à nouveau dans l'arrière-fond pour mieux attaquer, un peu à l'image des choeurs de Robert. Pas
de réelle faiblesse au cours de cet album qui nous dévoile les Sleeping Dogs Wake comme un papillon noir
s'extrayant de sa chrysalide obscure pour sublimer davantage l'éclat de ses ailes...'Sugar kisses' confirmera.
Note : 5/6
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NAVICON TORTURE TECHNOLOGIES : Vtervs
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Plus tu te refuses à y retourner et plus ça t’appelle. Des disques-spirales comme ceux-là, il faut s’en méfier. Les
aimer n’est pas bon signe. C’est comme un souffle d’une voix au plus profond de soi, que l’on tente d’oublier
comme on ignorerait ses acouphènes pour s’aider à dormir. Et puis, les évènements aidant, on cède à l’appel et
on répond présent. Navicon Torture Technologies est à IRM ce que Maska Genetik est à November Novelet :
son impasse totale. Du nihilisme en barre de fer, des gens qui crient, des machines qui hurlent et un piège
claustrophobique qui s’abaisse de titre en titre. En plus de cela, NTT s’octroie le luxe de mélodies. De la
mélodie aussi gaie que les artistes précités, jouée sur des synthés infectés et enflés comme un Tetsuo qui
passerait par là. Putain, quel piège. NTT ne fait pas dans la dentelle, ça non. Et pourtant, il écrase avec
précision et le fait là où ça fait mal. NTT pue la dépression, la haine et pousse à l’inexistence. Suffit d’appuyer
sur la gachette, Leech s’occupe du reste. C’est bruyant comme SKM-ETR, c’est pesant comme Mental
Destruction, mais NTT est unique par son usage de drones organiques qui s’étalent comme des ressacs de
pâte, par ses lignes rouges et ses assemblages de saturations diverses sur fond de beat vaguement power
noise. Mais là, j’ai envie de dire qu’on s’en fout de toutes ces comparaisons. NTT c’est le point de craquage où
l’on se fendrait bien de retourner dans l’utérus de sa mère pour finir aux chiottes plutôt qu’à la maternité, c’est
sa frustration saupoudrée de sadisme agrandi à la loupe, c’est l’esprit du gamin pervers de Subliminal qui
rêverait de voir l’univers brûler sous ses yeux pour ne pas avoir à penser sa propre condition pathétique. C’est
la forme qui supplante le fond, au point où l’on comprend toutes les paroles sans même discerner un seul mot
sous le flot de hurlements analogiques. Leech ne fait pas du power electronics comme tout le monde, il le fait
même comme personne, il le fait comme le futur le voudrait, il le fait comme le viol de l’inconscient collectif le
voudrait : tellement noir qu’il en est cauchemardesque, obsédant, magnifique et ce sans aucune porte de sortie.
Note : 5/6
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MASKA GENETIK : Quarantine
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Petit enfant qui aurait aimé être. Le bonheur tient à peu de chose et tel un rollercoaster, plus la pente est haute
et plus la chute est rapide. Chez Maska Genetik, le bonheur, on a un peu laissé tomber. On est plus affairé à
redécorer sa cellule. Les murs sont confortables, quelqu’un les a tapissés de matelas… C’était pourtant pas si
difficile d’être heureux, il suffisait de faire comme les parents nous avait appris, chercher le bonheur et ne pas
se laisser entraîner par la chute… Mais petit enfant avait les bras trop faibles, les ongles trop rongés et n’a pas
pu s’accrocher sur les parois, la pente l’a emporté, il a même laissé tomber l’idée de mourir, on lui en a
empêché… Vivre, alors, mais pour y voir quoi ? Les parois de sa cellule devenue univers, ce paradigme sans
météo, cette nuit mentale perpétuelle ? Les médicaments ont des jolies couleurs… ça lui fait travailler les
yeux… les lancer en l’air, puis tenter de les retrouver sous le lit, parce que trop faible pour les rattraper dans la
bouche… en quarantaine, qu’ils l’ont mis… on le traite bien, juste qu’il s’ennuie un peu… quarante jours ?
quarante ans ? pourquoi quarante, après tout… il a compté bien plus de carreaux au plafond… Il joue avec ses
rêves, il compte les rats, il compte les moutons de poussière… parfois, il compte les cafards qu’il voit rentrer
sous sa peau… il finira bien par oublier ce qui n’est pas, comme disparaissent peu à peu toute son imagination
et ses souvenirs d’un ailleurs… Cellule, nuit, matelas, secondes qui s’égrainent… nuit, nuit, nuit… le désespoir
beau, tranquille et totalement confiné, comme écouter la résonance d’une chaise en fer lancée au milieu d’une
cantine désaffectée…
Note : 6/6
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SUBLIMINAL : Coping
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Fils du Roi de l’Enfer, mes jeux d’enfant étaient des jeux diaboliques. Au début, il y eut le démembrement de
lézard… « Lézard, lézard, joli bébé lézard / Lézard, lézard, joli bébé lézard / J’te coupe les pattes et tu d’viens un
serpent ! / J’te coupe la queue et tu d’viens un ver ! » … le broyage d’insectes à la meule, puis la cuisson de
chats… l’explosion de grenouilles à la pierre… Ah l’imagination enfantine…le plumage de corbeaux… je ne
sortais jamais sans mon attirail. Après ces jeux sans lendemain, je m’empressais de dessiner ce que j’avais fait
pendant la journée. Mon père, ma mère, toute cette violence quotidienne n’était pas si négative, au contraire
c’était plutôt une sorte d’extase car durant ces petites séances sanglantes, je trouvais discrètement mon
inspiration pour mes futures peintures. Bien que ma mère adorait me battre, elle ne disait rien devant la
violence de mon père.[…] Mais après un certain temps, je me suis ennuyé et les toutes les visions se sont
arrêtées. Je n’avais plus aucune idée pour mes œuvres d’art. « Ah ! Si seulement la maison de ces crétins de
voisins pouvait brûler, je pourrai en faire un excellent tableau…. J’ai une idée ! Hé hé… une très bonne idée ! »
C’était le modèle réduit du Roi des Enfers qui m’avait engendré dans le ventre de ma mère. Je l’ai consacré
avec le sang de mes victimes. Alors, ce démon abreuvé de sang frais devint rouge vif, puis commença à
légèrement scintiller d’une lueur rose pâle… sans tarder, j’ai prié le Roi des Enfers… « Faites en sorte que la
maison de ces crétins brûle, et n’oublie pas de les faire tordre de douleur. Qu’ils meurent dans d’atroces
souffrances ! La maison ! La famille ! Toit doit être réduit en cendres ! Brûle ! Brûle ! Brûle tout ! » (Hideshi
Hino, ‘Panorama de l’Enfer’)
Note : 4/6
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STUPOR : Tristitia
Chronique réalisée par Wotzenknecht
V’la le dark ambient à l’ancienne, juste comme on l’aime, grand et implicite comme du Archon Satani et exempt
de ralentis grégoriens ou prétentions pseudo-cosmiques – juste des drones métalliques qui s’entrechoquent ou
s’interpénètrent pour mieux nous laisser choir dans leurs vibrations acousmatiques et des choses qui cognent
telles des trotteuses démesurées prenant la température du monde. Ya du monstre qui respire, aussi, du genre
qui donne tout de suite envie d’éteindre histoire de mieux voir sa silhouette – et parce que je n’ai pas encore
cité les vieux Megaptera, il y a aussi deux-trois samples qui décalquent la réalité comme un paysage médical
qui nous pousse lentement et sûrement dans le creux de la vague abstraite – le néant, ce vieux copain, apparaît
soudain comme l’envers du décor, poussant l’illusion paradoxale de l’écho jusqu’à son extrémité : quid d’une
réverbération alors qu’il n’y a aucune paroi ? A moins qu’il ne s’agisse de notre propre cage mentale, celle qui
fait la moitié du boulot dans ce genre de disque psychotropique, Le genre de mauvais trip dans lequel il fait de
plus en plus chaud malgré un calme relatif, comme les essais les plus noirs d’Erik Jarl, ‘Negative/Rotation’ en
tête, en variante métis, moitié M.Stravöstrand moitié A.Happapuro. Et je ne vous dirai même pas comment le
disque se termine trop bien, pour peu qu’on ait l’imagination débordante. Vertigineux, certes, grouillant, encore
plus. Le jeu c’est de savoir de quoi.
Note : 4/6
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ARCHON SATANI : The Righteous Way to Completion
Chronique réalisée par Wotzenknecht
LE disque-trip par excellence, peut-être le plus poussé d’Archon Satani – L’album qui te dit de lâcher du lest
sur toutes tes préoccupations, qui te prend la main et t’invite à le suivre, mais pour aller où, bon sang ? Le
sang, oui, il y en a partout dans le livret, plus exactement on y voit des cellules rouges se promener dans un
vaisseau comme si c’était là la route à suivre dans la brume indistincte entre espace et corps, les percussions
organiques ouvrent la voie aux plus réticents et une fois à l’intérieur c’est toujours la même chose, cette
sensation de piège qui nous étreint dans lequel mieux vaut ne pas paniquer – écoute ton corps chanter le
silence, écoute cette fausse quiétude d’un organisme délaissé par un esprit déjà ailleurs, à moins qu’il ne
s’agisse de soi-même, en abyme de sa propre conscience – cavalcade holistique ? Ta présence a été sentie, à
défaut d’avoir été ressentie : les percussions reviennent, du plus profond de ce magma statique et sourd, pour
mieux souligner la fondamentale différence entre ton esprit étriqué et la grandeur de la puissance Vitale
révélée. Au cœur de ton cœur, tu écoutes cette machine systémique cogner et endommager sa prison osseuse
– ‘Ca’ veut sortir. ‘Ca’ veut transcender sa condition, retourner dans la brume indéterminée, suivre à
l’aveuglette une autre voie, la Vraie Voie – mais sans ta volonté le vide reprendra forme, le temps aura raison du
chemin ; comme à chaque fois Archon Satani n’offre qu’une direction, libre à toi de la prendre ou non – alors
dans le meilleur des cas tu reviendras sur le seuil de ta conscience sans avoir fait de mauvaise rencontre,
sinon ce sont les serpents invisibles qui auront raison de toi, imbécile que tu es de n’avoir pas redressé l’Arbre
de Vie pour les laisser s’y enrouler. Indicible, prégnant, pénétrant – The Righteous Way to Completion est tout
cela et un grand no man’s land à la fois dans lequel Dieu reconnaîtra les siens tandis que les autres se perdront
pour de bon dans l’épais brouillard qui l’entoure.
Note : 5/6
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NEPTUNE : Gong lake
Chronique réalisée par dariev stands
So, come up to the lab… And see what’s on the slab... S’il fallait donner un exemple de ces surprises qui vous
font encore et toujours croire à la musique même en période de vaches maigres, ce Gong Lake serait la pièce
parfaite. Un tel disque ne devrait même pas exister. Nous ne le méritons pas. Quoique, à l’heure où la peur est
reine, une galette telle que celle-là est un document précieux. Car Neptune explore le royaume de tes peurs,
cher lecteur. Mais qui sont ces gusses, avant tout ? Ils ont tout du groupe imaginaire, fantasmé par le
boulimique de musiques expérimentales en mal de perversions… Pensez-donc : 3 gusses de Boston, la ville la
plus européenne de la côte ouest, qui ne jouent que sur instruments de leur propre confection fabriqués à partir
de métaux récupérés et soudés… Des guitares au manche en forme de cimeterre, des cymbales en forme de
shuriken ou de scies circulaires, ce genre de choses. Ce ne sont plus des instruments à ce stade, ce sont des
armes pour tribu barbare post-apocalyptique. On pense à Harry Partch, aux Pixies (à cause de la ville), et puis
rien du tout. Neptune ne ressemble à que d’alle. Ce sont les groupes cultes de demain qui ressembleront à
Neptune. On les avait déjà repérés via un fameux split avec One Second Riot, mais rien n’aurait pu préparer à
un tel électrochoc. Bordel, ce truc vous chope par les deux oreilles et ne laisse qu’un tas de copeaux fumants
et rougeoyants derrière son passage. Dès l’intro sournoise en forme d’avalanche de détritus instantanée, on
sait qu’on ne va pas s’en remettre… Batterie sèche et rustique, bien 90’s, jouant les rythmiques les plus
malades et les plus indécemment VILES qui soient, voix enfiévrée et murmurée, surnageant à peine au milieu
du maelström instrumental, riffs post-punks décharnés, où plutôt : squelettes de riffs post-punk rongés par
l’acide. Car Gong Lake, en plus d’être la merde la plus sauvage, crade, malsaine et tout ce que vous voulez
depuis des plombes, se paie le luxe d’être un album-concept autour de la pollution, et surtout la pollution
maritime, où chaque titre évoque une couleur et un type de pollution. Paris Green, par exemple, c’est le nom
d’une couleur de papier peint joyeusement cancérigène, très à la mode il fut un temps. Bref, tout comme il vaut
mieux ne pas penser à ce genre de nuisances « cachées », il vaut mieux se foutre du concept et se contenter de
kiffer sa reum sur cet album. Car ça ne ressemble à rien, rien du tout… Ca bourdonne, ça déraille, ça gigote, ça
s’emballe n’importe quand au mépris de la logique et des structures, bref, ça bute. On pourrait analyser le jeu
de David Boucher, le batteur qui portait bien son nom (c'est une véritable boucherie à l'intérieur...), et y voir du
Pere Ubu, du Zeuhl, du Dale Crover, du Weasel Walter, du Zach Hill… Mais ça ne servirait à rien car tout le reste
(grattes, effets, percussions, que sais-je !!) est un fatras ignoble et insaisissable, tout en restant relativement
minimaliste (y’a rarement plus de 4 « éléments » à la fois). Aucune importance de toutes façons puisque vous
allez serrer comme il se doit à l’écoute. Neptune, dieu de la mer, après une ribambelle de minis, splits, singles
et lp’s tous plus erratiques et barrés les uns que les autres, a décidé de nous recracher à la gueule tous les
déchets qu’on lui balance depuis des lustres sans vergogne… La frousse aux trousses, comme Spirou et
Fantasio, nous sommes lancés à pleine vitesse sur des structures brinquebalantes, on s’imagine traverser un
cimetière de bateaux, furetant entre les carcasses éventrées des pétroliers, inhalant les vapeurs toxiques
s’échappant des bidons… Les grondements des synthés ou des guitares baryton sont ici des nappes aux
teintes irisées flottant à la surface de l’eau, et leurs dissonances se révèleront bien vite hautement corrosives et
toxiques. Gong Lake obsède, martèle le corps et vide la tête, et finit par brûler tout stress et toute anxiété dans
sa marmite obscène. A l’heure où tout groupe de hardcore ou de noise rock met du synthé crunchy et du
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pouet-pouet post-punk dans son vin, Neptune définit tout simplement un style, à base de sueur, de moteurs
défectueux et de friches industrielles. Dégoutant.
Note : 6/6
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JAD WIO : Sex Magik
Chronique réalisée par Twilight
Certains personnages auront traversé cette vie comme des météores, destins obscurs parfois tragiques
achevés avant d'avoir débuté et condamnés à l'anonymat. C'est le cas de la Polonaise Diana Orlow alias Lilith
Von Sirius, courtisane de luxe, écrivain, danseuse, modèle, actrice, occultiste, fauchée à 27 ans et à l'histoire de
laquelle s'intéresse ici Jad Wio. Ce disque suit donc le fil rouge de sa vie, ses rapports au sexe, à la douleur
mais également à la magie et sa quête de réponses, de savoir, au travers de la beauté et de la souffrance.
Délaissant quelque peu la pop décadente de leur précédent opus, le duo renoue avec une forme plus directe et
électrique, mélange de glam et de rock gothique. Sulfureuse incursion au milieu des alcôves de cuir parmi les
odeurs d'encens, de sang et de foutre, la musique et les textes se veulent aussi une plongée derrière le miroir,
un regard dans l'intimité d'une femme à qui le destin n'aura pas fait de cadeau. L'écriture est donc ici invitée de
prestige avec des pièces de la plume de Lilith elle-même ('Loups', 'Sans début ni fin') et un Bortek au mieux de
sa forme, jouant des mots avec une certaine pudeur malgré la difficulté de certaines situations ('Monnaie
vivante', '666 Magik') et surtout avec classe. Si des chansons
comme 'Das ist' ou 'Les habitudes n'existent pas' ont une touche pêchue et électrisante, d'autres se font
presque intimes ('Monnaie vivante', 'Sans début ni fin'). La noirceur reste omniprésente, ainsi sur 'Début ni fin'
avec ses guitares malsaines et son rythme discret mais tribal, pareil sur 'Loups', sulfureux à souhait dont les
volutes crissantes évoquent la transe mystique entre plaisir et peine. Du début à la fin du disque, on
sent les artistes touchés par le personnage auquel 'Sex magik' est un véritable hommage. D'un point de vue
purement musical, preuve est faite que le retour de Jad Wio n'avait rien d'une farce...Un talent intact.
Note : 5/6
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JANDEK : Six and six
Chronique réalisée par saïmone
"Chassez le naturel, il revient au galop"... J'ai jamais compris ; c'est quoi le naturel ? Le rôle qu'on joue est-il
plus naturel que le naturel qu'on cache avec le rôle, qui devient donc notre image dite "naturelle", puisque
vraisemblablement, personne n'aura bité que c'est ton rôle, à part toi, et encore, et que si jamais ton naturel
faisait surface, t'arriverais à lui faire endosser un rôle dont tu n'aurais même pas conscience ? C'est un peu
compliqué tout ça... Et c'est pas plus facile de différencier la solitude et l'ennui. Je crois d'ailleurs qu'elles
fonctionnent ensemble ; mais peu importe ; la grande question, c'est de savoir jusqu'où cette solitude est
palpable, jusqu'où on y compatit, sauver les apparences, tout ça. Sentir les limites de cet ennui et de cette
solitude. Je crois pas qu'on puisse illustrer ça mieux que Jandek, qui a passé ces 30 dernières années à
réaliser 40 fois le même album d'une solitude confondante, sans savoir chanter, sans savoir jouer de guitare,
tout seul dans sa piaule, brutalement raw, avec la reverb qui te fait sentir que y'a rien à 30 bornes à la ronde, les
dissonances, fausses notes continuelles, la voix sur le fil, usée, chuchotée, timide, seule... blanche et vide. Le
plus gros pan d'une intimité dévoilée aussi simplement, ça laisse rêveur ; alors c'était aussi simple, que ça ?
Cette histoire de naturel là, c'est ça ? Se montrer le plus vulnérable possible, le plus misérable, une timidité
telle qu'elle en devient une honte ? Quand t'écoutes Jandek, y'a comme un putain de malaise autour de toi ;
l'échine qui se hérisse, la sensation de froid dans le bide, la tête qui tombe, les yeux dans le vide, fixer un
au-delà de rien ; la grosse flippe de ta vie, ouais: alors ça ressemble à ça, le naturel ? Elle ressemble à ça, ma
solitude ? On va donc faire comme si de rien n'était, ou plutôt, non, on va pas arrêter d'en parler, pour faire
comme si elle n'existait pas. Parce que je suis pas du tout prêt à voir ça, et vous non plus ; alors je crois que je
vais continuer à jouer cette foultitude de rôles qui m'agacent autant que vous, mais grâce auxquels on me
connait ; non, à travers lesquels on me connait: c'est vraiment mieux comme ça.
Note : 6/6
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ODDJOBS : Expose negative
Chronique réalisée par saïmone
Le son de l'abandon, le son de la trahison. Le flow est rapide, trébuchant, essoufflé, ivre, il regarde le ciel en
marchant, en fermant les yeux et en marchant, la paume des mains ouvertes en martelant le rythme entre son
pouce et son majeur, les yeux rivés dans le noir, à marcher, vite, trop vite, sous la pluie, le coeur qui bat, trop
vite, les dents serrées mais incapable de la moindre once de haine ; la colère, c'est autre chose, ça vient des
tripes, c'est de l'instantané, le coup de sang, immédiat et plein d'éclat, théâtral et vain. Ici on serre les dents,
ouais, mais on réfléchit, à toute vitesse ; on encaisse les coups, sans colère, sans haine, on encaisse tout, dans
l'estomac, on ravale ses larmes comme une mère de famille trop habituée aux corvées ; comme si l'habitude
nous avait tué de l'intérieur; comme si la colère ne se réduisait qu'à l'honneur. Tu te surprends à taper le sprint,
sans raison, courir pour se laver, se laver des pensées là, et gueuler de toute tes forces sans émettre de son ;
tu voudrais parler à tes amis, tu leur racontes ta vie, tes malheurs, tes histoires d'amour ratées, ton ennui, les
petits vides quotidiens qui font que tu t'es pas encore jeté par dessus un pont; et puis en fait tu vois que tes
amis ils sont pas là et que tu parles tout seul dans la rue depuis une heure. T'avais pas remarqué que tu étais
saoul, le long d'un trottoir tu t'étais arrêté pour réfléchir mais tu sais déjà plus à quoi, là haut ça se percute, ça
se heurte, t'arrives à rien, lâche l'affaire, tu commences à avoir cette chaleur dans les tempes, celle qui fait
claquer ton tympan au rythme du palpitant et qui colle des douleurs dans la nuque, avec ce petit grésillement
vicieux qui résonne en continu, strident, agaçant mais si attachant; un signe que t'es pas encore devenu fou –
ou alors le contraire, on s'en fout, ça n'a jamais eu d'importance ; tout va trop vite pour y réfléchir, le spleen est
emporté par une vague géante, ta tristesse n'a pas le temps d'attacher, trop de choses à faire, et rien en même
temps ; plein d'idées, rien de concret, ça glisse, attrape, relâche, te laisse sur le carreau, te relève par la main
avant de te laisser retomber de plus belle sur le bitume souillé par la salive et le sang, la tienne, le tiens, le
blanc-bec loser coincé entre le béton et le fleuve, qui s'écroule lamentablement, encore et encore, pas rasé, pas
lavé, à haranguer le passant, pour quoi déjà ?
Note : 5/6
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GRIDLINK : Amber Gray
Chronique réalisée par saïmone
Sonic boom. Geekcore, Neo-geo speedcore, brutal manic shooter, samurai shodown fatalitycore, j'en passe et
des meilleures...
Gridlink, c'est le nouveau groupe de Jon Chang, et ce serait con de changer de trajectoire depuis les
impossibles Discordance Axis. D'ailleurs, les gaziers ils savent d'où ils viennent - Mortalized, ça poutre.
2600 coups secondes, hadoken supersonique avec fury pleine, kido explosif dans la paume, yoga flame par
derrière... On pousse le côté ninja commando jusqu'aux ultimes limites, tout va très très vite, attaques de
shuriken, égorgements dans l'ombre, sauts de 3 m et combats rapproché avec un maximum de coups en
fourbe. Sauf qu'au lieu du traditionnel collant noir à cagoule, c'est une vestapatch' qui traine sur la carcasse du
jaune: thrash attitude dans le futur, Izo en mode sulfateuse à 1600 puissance tu vides la barre d'énergie.
Quand t'as usé le paddle sur le pixel, que ton pouce est déjà mort et que t'avais pas joué depuis longtemps, ça
revient vite, les souvenirs, les attaques spéciales, les musiques, ça te rendrait nostalgique pour un peu, on y
reprend goût, à cette saloperie.
Sauf qu'on te la fait pas, à toi, et que des comme ça, t'en a déjà vu des pires ; et c'est bien là tout le problème:
on devient trop fort et on le finit trop facilement.
Note : 5/6
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STUMPFF (Tommi) : Terror II
Chronique réalisée par Twilight
Un punk allemand fait connaissance avec un musicien belge qui lui présente la scène EBM de son pays; séduit,
il quitte son groupe pour se lancer en solo et développer un style particulier et personnel mêlant ces deux
influences. Comme tout pionnier, Tommi Stumpff n'aura jamais la reconnaissance qu'il aurait mérité malgré une
poignée d'albums efficaces dont ce 'Terror II' sorti en 1989. Le véritable talent de notre Allemand est de
surprendre, de développer ce que l'on n'attend pas...Influences EBM certes mais sa musique ne se résume pas
uniquement à faire danser; de la rage punk ? Oui mais dans l'intensité, pas forcément dans la violence. Et
quelle diversité ! 'German beat' avec sa touche symphonique et sa rythmique martiale a un petit arrière-goût de
Laibach tandis que 'La lueur' se fait plus tranquille, presque mélancolique, atmosphère présente également sur
'Niemals mehr'. N'oublions pas le magnifique 'Le chien andalou', très EBM dans ses lignes mais chanté d'une
manière punky, pareil pour 'Eliminator'. 'Robots kill the Japanese' échappe à toutes ces étiquettes par des
constructions qui ne sont pas sans évoquer Klinik, quant à 'Eliminator', il oeuvre dans une voie similaire en
renforçant l'aspect malsain. Autre caractéristique, une certaine économie de notes qui permet à l'artiste de
flirter avec quelques aspects de la minimal wave, l'aspect froid en moins, la touche grinçante en plus ('Meine
Sklavin', 'Extrême'). Faut-il nuancer le propos ? On peut admettre que certaines sonorités ont pris un coup de
vieux mais au final, ce disque tient plutôt bien l'épreuve du temps et son efficacité demeure intacte.
Note : 4/6
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SHE WANTS REVENGE : This is forever
Chronique réalisée par Twilight
Yi et Yang raté ? 'This is forever' apparaît comme le frère sombre de 'She wants revenge', or à l'écoute, il se
dévoile moins torturé. Je n'ai pas dit qu'il était joyeux non plus; en réalité, plus que de noir, je parlerais de gris
avec ce que cela implique de bon et de négatif. Allons-y avec le positif: une atmosphère mélancolique flirtant
allègrement avec Interpol et Depeche Mode ('It's just begun'), voir Psychedelic Furs, qui est loin d'être
désagréable; quelques belles mélodies sympa ('This is the end', 'It's just begun', Replacement' ou encore
'Pretend the world has ended', plus sombre) mais globalement, il est difficile de se défaire de l'idée que ce
disque étouffe à l'ombre de son grand frère. Malgré les réussites mentionnées, un halo monotone l'empêche de
se révéler pleinement; les alchimies qui fonctionnaient auparavant (boîte minimale, basse marquée, quelques
sonorités froides, chant entre Interpol et Peter Murphy junior,...) ne remplissent plus le contrat de manière aussi
absolue. Le précédent opus cueillait l'auditeur sans même lui laisser le temps de se poser la question quant à
savoir si She wants Revenge avait quelque chose de fondamental à apporter au milieu des Interpol, Editors et
autres Bloc Party. Ici la magie n'opère pas de manière si immédiate laissant le temps de ruminer les faiblesses
des morceaux. Soyons justes, le duo se rattrape clairement à partir de 'It's just begun' mais le début était plutôt
poussif. Si She wants revenge s'en tire cette fois-ci, il est clair que le troisième album aura valeur de test;
souhaitons que les musiciens prennent le temps de l'affiner car lorsque l'on en vient à dire poliment d'un
disque qu'il est peu long, ce n'est jamais bon signe...3,5/6
Note : 3/6
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FROESE (Edgar W.) : MACULA TRANSFER
Chronique réalisée par Phaedream
Voici un petit chef d’œuvre qui est passé presqu’inaperçu. Endisqué sur Brain Records, à l’époque où
Tangerine Dream enregistrait Stratosfear, Macula Transfer est devenu un objet de litige et de collection. Réalisé
initialement pour le marché Allemand, ce 4ième opus d’Edgar Froese (Electronic Dreams étant une collection)
n’était disponible que par importation. Brain/Metronome cessant toute activité, Macula Transfer devint une
pièce de collection reprise en format cd par Manikin, sans l’autorisation de Froese, en 1998. Les 1 000 copies
écoulées, Manikin cessait d’en imprimer, ajoutant ainsi plus de valeur aux premiers pressages de Brain et de
Manikin. Même si Virgin possédait les droits sur les œuvres solos de Froese, Macula Transfer restait sur les
tablettes jusqu’à ce qu’Edgar repris ses œuvres vers 2003, avec un léger remixage et une Froesiation typique
du renard argenté. Voilà pour la courte histoire derrière MT.
Par contre l’œuvre démontrait hors de tout doute l’influence de Froese sur la musique de son mythique trio.
Selon Edgar, Macula Transfer fut composé hors des sentiers musicaux du Dream qui sortait de l’expérience
Ricochet pour étonner le monde de la MÉ progressive avec le brillant Stratosfear. Sauf que les visions d’Edgar
étaient déjà à l’ère de Sorcerer et même de Force Majeure qui sera réalisé 2 ans plus tard. Bref, Edgar préparait
sa vision musicale que l’on retrouvera sur Pinacles et Stuntman, de même que sur la bouillante tournée Nord
Américaine de 1977. Cette réédition de Eastgate est bien faite et recrée les atmosphères très mellotronnée de
l’œuvre originale.
OS 452 profite d’une ouverture éthérée où les accords de claviers résonnent dans un firmament feutré. Tôt, les
séquences galopent sur une chevauchée stratifiée d’un synthé aux ondes Frosiennes. Comme toujours, le
mellotron est omniprésent et Froese y moule quelques riffs d’une guitare effacée, mais dont l’effet est toujours
senti, parmi des chœurs séraphiques. Une guitare aux fuzz bouclés, cernée des strates hermétiques d’un
synthé apocalyptique et d’un mellotron poétique sur des cadences somme toutes aléatoires mais dont les
enchevêtrements soudent un rythme constant. AF 765 présente un rythme entrecroisé qui bat une mesure
soutenue. Toujours nuancé, feutré la musique reste céleste, voire atmosphérique, sur un séquenceur aux
palpitations mesurées où mellotron, ondes éthérées et synthés vocalisés enveloppent une guitare qui fignole
ses solos dans un brouillard musical poétique. Un très beau titre à atmosphère Force Majeure.
Nettement plus névrotique, PA 701 est assise sur une intro très éthérée avant d’exploser sur des séquences
nerveuses et sautillantes. Nous sommes en pleine séance de Sorcerer avec des pulsations rapides et des vents
des dunes qui soufflent sur synthé symphonique, qui graduellement dirige PA 701 vers une finale
doucereusement tempérée. La dextérité du mellotron de Froese se fait sentir sur le flottant et cosmique
Quantas 611, un titre qui nous ramène aux nébulosités des premières œuvres de TD. IF 810 est un joli prélude à
Stuntman avec son tempo sautillant, drapé d’un synthé très lyrique et d’un superbe mellotron qui se love à une
structure rythmique assez entraînante.
Macula Transfer est un incontournable dans la discographie d’Edgar Froese. Une œuvre qui survole
admirablement bien l’évolution de son groupe phare, mais aussi de sa musique qui devient de plus en plus
créative, vivante tout en conservant cette approche typiquement nébuleuse à Edgar. Un très très bon album,
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sans failles aucune. Un 5 boules et demi sur 6….
Note : 5/6
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THE SINYX : Britain is a mausoleum
Chronique réalisée par Twilight
Groupe d'anarcho-punk fondé en 1979, les Sinyx splitteront en 1985 non sans avoir semé trois démos et un
mini: schéma classique, multiples changements de line-up, départ des membres fondateurs...Tout ce
matériel se trouve donc réédité en un seul cd avec en bonus quelques morceaux capturés lors d'un concert de
1980. Musicalement, rien de fondamentalement révolutionnaire, voilà du bon anarcho-punk assez classique,
lourd (mmm, la basse) et sombre dans le son, rythmé, sans être trop rapide avec, et c'est ce que j'apprécie, des
vocaux pas trop rocailleux encore que les premiers enregistrements prouveraient le contraire. Les textes sont
fortement engagés et typiques des préoccupations de l'époque quant au chômage, la guerre, le nucléaire, d'où
un chant mixé en avant mais sans excès. Se dégage une sorte de transe presque hypnotique qui compense à
mon avis un manque de mélodies vraiment marquantes; chaque chanson est bonne mais on peine à trouver la
pièce qui se détache du reste. 'Britain is a mausoleum' est donc une compilation à appréhender plutôt comme
un ensemble pour révéler son efficacité. La qualité du son ? Bonne sur les deux dernières démons, un peu
moins sur la première et plus aléatoire pour les enregistrements live. Au final, une galette croustillante pour les
amateurs de punk torturé avec quelques moments de bravoure ('Death to decadence', 'Britain is a mausoleum',
'The plague' , 'Mark of the beast' ou 'Camouflage').
Note : 4/6
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SLEEPING DOGS WAKE : Under the stars
Chronique réalisée par Twilight
Les meilleures choses ont une fin, avec 'Under the stars', les Sleeping Dogs Wake nous livrent leur dernier
album. C'est bien. Ah bon ? Oui, certains groupes savent s'arrêter à temps et nos Anglais font partie de ceux-là,
non pas que ce dernier essai soit mauvais, au contraire, mais à l'analyse de leur discographie, on saisit une
logique d'évolution qui aurait pu s'arrêter au magnifique 'Sugar kisses'. Vraiment ? Pas tout à fait en réalité car
cela aurait été admettre une certaine banalité, celle du combo brut qui glisse vers une musique plus sensible et
raffinée, or les Sleeping Dogs Wake ne sont pas une formation banale et 'Under the stars' leur permet de le
démontrer. Ce disque, sans renouer entièrement avec les ambiances de 'Threnody' ou 'Understanding' s'en
rapproche pourtant. Le ton général est moins heavenly et plus sombre, sans retourner à la violence organique;
il se dévoile comme une sorte de condensé des possibilités du groupe. La voix de Karin est toujours aussi
magnifique et s'offre encore quelques belles incursions heavenly ('Prescelly'); d'autres titres sont plus pêchus
('Spiderbilly', 'Under the stars', Monkey'), sans compter quelques preuves que le trio peut explorer encore de
nouvelles voies, ainsi un 'The wheel', inquiétant, ambient, tout en nappes avec la touche hypnotique de sa
percussion en boucle, ou 'Spring is a songbird cascading into a summer of dreams' sonnant comme une forme
de cabaret jazzy un brin discordante...Je ne puis ne pas mentionner le beau et oriental 'The jaldi' ou 'Monkey'
qui surprend par son côté limite psychobilly niveau arrangements (pas sonorités)...Petit plaisir que s'offre le
groupe ? Possible, considérez l'humour de la pochette, toujours est-il que ce cinquième opus achève de
brillante façon une carrière sans faiblesse.
Note : 5/6
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DPERD : Regalerò il mio tempo
Chronique réalisée par Twilight
DPERD, un duo Italien dont les deux musiciens jouaient ensemble au sein de Fear of the storm; ils nous
proposent ici une dark wave mélancolique et aérienne, propice à la rêverie, en évitant adroitement la carte du
trop heavenly de par une rythmique héritée de la cold wave. On songe bien entendu aux Cocteau Twins ('Come
sarà) mais 'Regalero il mio tempo' est en réalité bien plus diversifié que cela. Ecoutez 'Per tutto quello', sans la
rythmique, on flirte presque avec une forme de cabaret jazzy, quant aux roulements et à la basse de 'Il buono, il
brutto et l'oscuro'', ils ne sont pas sans évoquer 'Hanging garden' des Cure, avant que le piano et la guitare ne
viennent brouiller les pistes. De la période Fear of the storm, DPERD n'a pas perdu un goût pour l'orgue que
l'on retrouve sur les beaux 'Cuore malato' , 'Dimentica' (le chant de Valeria y est particulièrement envoûtant),
'Piango' ou le titre éponyme, quatre de mes morceaux favoris. Vous l'aurez compris, 'Regalerò il mio tempo' est
un disque subtilement travaillé, un brin aérien, sans perdre une touche obscure. Les chansons sont bien
tournées et l'aspect mélodique se révèle séduisant. On pourrait certes reprocher une forme de linéarité des
atmosphères mais d'un autre côté, ce sont elles qui posent ce climat brumeux et triste, intimiste, à l'image de la
pochette; sans compter que le duo explore une palette d'ambiance aussi large que possible dans les limites de
ce concept. Une belle découverte en ce qui me concerne et le chant de Valeria est réellement superbe. Un
conseil pour terminer, zappez l'horrible douzième piste et son essai technoïdo-electro qui pourrait gâcher le
charme de l'écoute ! 4,5/6
Note : 4/6
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EAT YOUR MAKE UP : Things as they should be
Chronique réalisée par Twilight
En voilà un que j'aurais dû chroniquer depuis des lustres, surtout qu'on a craint un moment que le groupe ne
splitte sans l'avoir sorti. Ouf, il est là, il est bon, c'est déjà un point de réglé. Premier changement à signaler (ce
n'était pas un secret pour ceux qui les avait vus en concert), Eat your make up fonctionne à deux voix puisque
La Isa, soeur de Plag, a définitivement rejoint l'équipe. Son timbre légèrement grave, couplé à celui, désespéré,
de son frère, renforce l'aspect hanté des atmosphères. Musicalement, 'Things as they should be' s'inscrit
totalement dans la lignée de son prédécesseur, du deathrock made in USA inspiré par Christian Death et
Shadow Project (la ressemblance est parfois stupéfiante). C'est drôlement bien fichu, c'est grinçant, lourd, noir,
pêchu, organique, sincère jusqu'au bout des ongles mais néanmoins un brin moins personnel que sur 'First
dinner' où quelques trouvailles spécifiques affirmaient l'identité des Français par rapport aux influences.
Niveau production, c'est plus cru, avec le chant légèrement distant, d'où la note fantômatique mentionnée
précédemment, renforcée particulièrement sur certains passages ('Hymn from Mars', 'Memories'). Parmi les
moments forts, je retiendrai 'Never forever' porté de puissante manière par la voix de La Isa, 'Libellules' pour
ses riffs tranchants, 'Things as they should be' et surtout 'Misfortunes' pour la mélodie, sans oublier 'Je ne sais
comment je dure' avec un texte de Christine de Pisan (1364-1431). Beau testament; ceux qui n'aimaient pas Eat
your make up ne vont pas changer d'avis, ceux qui déploraient leur manque d'originalité non plus; pour ceux
qui connaissent leur passion pour le deathrock et leur sincérité, ce dernier opus rappellera tous les excellents
moments passé à leurs concerts.
Note : 4/6
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COIL : ...And the Ambulance died in his Arms
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Histoire de couper court aux discussions avant d’entamer les chroniques des live de Coil, ce disque enregistré
à l’occasion du festival All Tomorrow’s Parties de 2003 (dont les commissaires n’étaient autre qu’Autechre) est
indiscutablement celui qui possède le meilleur son, c’est du moins le seul qui semble avoir été enregistré en
prise directe. La petite histoire autour de ce concert, si triste et belle soit-elle, vaut aussi le mérite d’être contée
pour mieux cerner le pourquoi d’un live aussi chaleureux et touchant. Nous sommes un an avant le tragique
accident de John Balance et celui-ci s’est séparé de Peter Christopherson, ce dernier ne pouvant plus
supporter de vivre avec un alcoolique dépressif passant ses journées à boire et rester allongé dans un état de
torpeur permanent. Si John trouvait la force de monter encore sur scène (et de ne pas trop boire avant), c’était
surtout pour pouvoir porter les costumes que ses amis lui confectionnaient sur mesure, ce qui lui redonnait
son étrange capacité à côtoyer le sublime et le magique entre deux amnésies éthyliques. Ces costumes,
comme ceux que l’on retrouve sur les couvertures de la série de live (ceux-ci créés par David Cabaret), ont
donc une importance toute particulière : sans eux, beaucoup de concerts n’auraient simplement pas pu avoir
lieu… Pour le concert d’ATP, John était vêtu d’une robe cousue par Ian Johnstone et était sobre depuis
quelques jours – il le fait même remarquer entre deux titres : « There’s no alcohol in my blood at the moment at
all. –Liar ! –I’m not a liar ! Well, I am a liar but i’m not lying about that ! » Le contact avec le public est très
chaleureux, et la setlist plutôt calme et mélancolique et comme d’habitude, partiellement inédite ou improvisée :
deux versions du ‘Triple Sun’ (que l’on retrouvera sur ‘The Ape of Naples’), une étrange fresque passablement
ésotérique et expérimentale ‘Snow Falls into Military Temple’ qui rappelle ‘I am the Green Child’ sur ‘Constant
Shallowness…’ dans une variante proche des expérimentations électroniques des années 50’s avec John pris
de glossolalie… et un autre titre qui mérite sa petite anecdote : ‘A slip in the Marylebone Road’ dans lequel
John raconte comment deux inconnus lui ont volé son carnet de notes précieuses, ce qui d’après un interview
de Christopherson n’était autre qu’une métaphore pour un autre delirium, qui l’a amené à se retrouver ivre mort
et amnésique sur cette fameuse route. Le dernier mot, il est pour le titre qui rend cet enregistrement totalement
indispensable, c’est l’immense interprétation de ‘The Dreamer is still Asleep’, ici avec une préquelle dans lequel
John récite des mantras en boucle sur les ambulances, les physiciens, les somnambules, jusqu’à ce que tous
ses mots se mélangent, avant de doucement converger vers l’hypnotique et fascinante ballade électronique qui
clôturait le premier ‘Musick to Play in the Dark’. John n’était pas un chanteur, c’était un conteur, et son
humanité est ici plus que palpable, ainsi que sa grande incapacité à vivre entre ces instants de grâce lunaire. Il
dépose ses mots sur les bidouillages électroniques de ses confrères – accompagnés par Tom Edwards aux
marimbas - qui eux génèrent des tapis de velours s’élevant à l’unisson, emportant le public et l’univers tout
entier dans un état irréel où tout devient alors évident et simple, nocturne, éphémère et fragile, en un mot,
magique.
Note : 5/6
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COIL : The Restitution of Decayed Intelligence
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Pour clôturer l’excellente série ‘Lactamase’ (du label Beta-Lactam Ring) composée de douze vinyles 10’’ très
limités (et un jour chroniqués, vous devez commencer à me connaître) comprenant entre autres la participation
de Tony Conrad, Edward Ka-Spel, Troum, Volcano The Bear et autres figures plus confidentielles mais non
moins talentueuse de la scène expérimentale actuelle, Coil propose son essai le plus proche des musiques
électroacoustiques savantes, rendant ainsi un hommage indirect à Tod Dockstader, Iannis Xenakis et autres
figures de proue de l’expérimentation sonique. Et à partir d’une musique aride et austère, Coil va nous offrir
quelque chose de terriblement érotique, tactile, (haptique même, bisou à Gilles Deleuze) avec deux longues
pièces qui tirent leurs sonorités de ‘The Remote Wiever pt II’ mais ici totalement filtrées, réinterprétées son par
son et piste par piste. Cela donne un espèce de tunnel biomécanique rempli de cliquetis et grésillements
acousmatiques qui vont et viennent sur une respiration de basse traitée et qui avance avec une assurance
totale. La "chose" tourne sur elle-même en cadence comme une construction de Tinguely, à mi-chemin entre un
automate rouillé et un organisme qui digère, pour un résultat impressionnant de maîtrise et de maturité – RIEN
n’est laissé au hasard, chaque son semble être là pour activer un nerf spécifique, et nos poils se hérissent
comme si notre cerveau était soumis à une expérience qui étudie les effets des impulsions électriques infligées
sur telle ou telle synapse. Pas une tonalité ni l’once d’une mélodie vient influer sur notre affect ; l’objet est juste
totalement plastique et physique, provocant et surprenant. La seconde partie est un peu dans l’ombre de la
première puisqu’elle semble suivre un mouvement plus stable, comme s’il s’agissait de la même entité mais
exténuée et poursuivant son chemin sans la motivation pour relever la tête. Un objet totalement extraterrestre
donc, aussi indiscernable que sa pochette, impressionnant de maîtrise et loin de se laisser enfermer dans un
genre ou même une raison d’être spécifique.
Note : 4/6
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EMBRYO : Opal
Chronique réalisée par Hellman
À y regarder de plus près, l'histoire découle rarement d'une démarche empirique. On nous dira qu'il est
d'ailleurs souvent toujours trop tard pour vérifier les faits. Mais parfois on n'a tout simplement pas la curiosité
nécessaire pour remettre en cause ce qui a été préétabli. Car les faits sont là : on nous parle de Amon Düül II,
on nous parle de Can, de Faust ... On nous parle rarement d'Embryo ! Pourtant, le groupe du
multi-instrumentiste Christian Burchard, transfuge de Amon Düül II précisément, n'a jamais jeté l'éponge en
quarante ans de carrière et continue, bon pied bon oeil, à nous délivrer une musique originale pétrie du
sentiment de liberté inspiré par le rock psychédélique et le jazz, mais plus particulièrement identifiable pour
son intérêt véritable envers les cultures musicales étrangères. Sur "Opal", cet apport caractéristique ne
transparaît pas encore, et ce n'est pas encore pour tout de suite ; Embryo se découvrira cet attrait au fil des
ans. Ce qui n'empêche pas le groupe allemand de nous délivrer un premier disque studio tout bonnement
exceptionnel, capable de tenir la dragée haute face à n'importe lequel des groupes concurrents de l'époque.
Kraüt rock parce que allemand, Embryo est avant tout psychédélique, comme purent l'être Agitation Free, Guru
Guru ou Amon Düül II, mais sans doute avec une pointe jazz nettement plus marquée, assurée par la présence
d'Edgar Hofmann, élément incontournable de la formation germanique, à la fois violoniste, percussioniste et
saxophoniste. Avec la réédition cd incluant, entre autres, le titre "Laüft", longue suite de plus de vingt cinq
minutes, "Opal" tend à prendre encore plus d'ampleur, si ce n'est que le titre en question s'apparente
davantage à une longue improvisation peu inspirée où saxophone et batterie mènent la danse et tournent en
rond, là où le disque, comme publié à l'origine, apparaissait comme un condensé inventif et toujours sur la
brêche, capable d'audaces rock ("Opal", "End of Soul") et d'expérimentations en tout genres ("Revolution",
"Got No Time").
Note : 4/6
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EMBRYO : Rache
Chronique réalisée par Hellman
"Revolution is the only way"... On y croyait encore en 1971 à cette révolution. Le monde auquel aspire Embryo,
à défaut de pouvoir le vivre et le respirer, Burchard et les siens auront vite mis le pied à l'étrier pour le rendre
palpable ... sur disque. "Rache" ("vengeance" en allemand) est en effet un disque qui n'y va pas par quatre
chemins. Embryo semble plus que jamais déterminé dans son exploration de la musique à 360°. Il n'y a pas de
réelle direction, d'image globale à en tirer ; juste un désir impérieux de faire vivre la musique au travers de
plages instrumentales souvent nerveuses, en tout cas toujours extrêmement denses et génereuses en matière
de recherche sonores au niveau des textures, beaucoup plus que ne l'était déjà "Opal". Burchard multiplie les
pistes, assurant batterie et claviers ; des claviers nauséeux et chimériques qui prennent une place accrue dans
l'univers d'Embryo, plongeant des titres comme "Revenge" ou le politiquement éloquent "Spain Yes, Franco
Finished" dans un univers parallèle où gravité et attraction perdent toute leur influence. La flûte passionnée de
Hansi Fischer sur des morceaux comme "Tausendfüssler", "Time" ou "Change" apporte quant à elle un petit
côté Tullesque qui ne dépareille pas l'ensemble. Rugueux comme le blues, halluciné comme le psyché, "Rache"
est un album en deux temps, où l'intensité grimpe de titres en titres pour, peu à peu, redescendre vers de plus
paisibles horizons, paliers par paliers, avec d'abord "Try to Be" puis "Change", s'effaçant face au soleil
couchant, comme le suggère sa pochette. À moins qu'il ne soit en train de se lever ? À noter que les titres
inédits "Tabarinman's Return 1 & 2" ont été enregistré en public en 1991 avec une formation renouvellée autour
de Geoff Goodman, James Jackson, Hermann Breuer, Franz Böntgen et Dieter Serfas, titres qui, en dépit de leur
qualité d'impro, n'ont, par conséquent, absolument rien à voir avec l'atmosphère développée sur l'album
"Rache".
Note : 5/6
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EMBRYO : Father, Son and Holy Ghosts
Chronique réalisée par Hellman
De toute évidence, 1972 fût une année bien remplie pour Embryo, ne serait-ce qu'en terme de créativité. La
légende raconte que de leur session studio à Munich en mars de cette même année sortiront pas moins de trois
albums qui forgeront un peu plus encore l'identité du groupe allemand. Dans un souci de cohérence tout à leur
honneur, les titres retenus pour "Father, Son and Holy Ghosts" regroupent ceux qui font l'impasse sur le
clavier, si bien que les éléments solistes sont cette fois-ci la guitare de Siegfried Schwab (transfuge du
Wolfgang Dauner's Etcetera) et le décidément toujours pertinent Edgar Hoffman, qu'il empoigne son sax ou son
violon. Le bassiste Dave King fait aussi un travail particulièrement remarquable, assurant une base solide au
son chaud et rond autour de laquelle tout le groupe va pouvoir graviter en confiance ("The Special Trip", "King
Insano"). Sans que le terme en lui-même soit galvaudé, on peut d'ores et déjà parler de fusion, fusion de genres
s'entend. La première face conserve donc l'aspect énergique de "Rache" mais dans un rendu qui se veut plus
efficace, moins nébuleux. Une ligne droite toujours tendue. La seconde face, elle, calme le jeu et introduit
progressivement une multitude d'éléments percussifs, les plus notables étant le vibraphone et le marimba,
donnant lieu à de splendides questions/réponses entre Dave King et Christian Burchard. À ce stade, "Father,
Son and Holy Ghosts" revêt un aspect plus posé et méditatif qui n'enlève rien au charme du collectif allemand,
ouvrant ainsi la voie vers une terre de rencontres où tout reste encore à explorer. La réunion de ces divers
éléments permettent à Embryo de réaliser avec "Father, Son and Holy Ghosts" un nouvel album des plus
intéressants, un troisième réalisation de haute tenue d'affilée, où les perspectives se voient sans cesse
démultipliées. Et dire qu'à cet instant le groupe n'a pas encore livré le meilleur de lui-même ...
Note : 4/6
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EMBRYO : Steig Aus
Chronique réalisée par Hellman
Si la culture hippie est à l'origine de la vulgarisation des musiques du monde, peu de groupes pop ont vraiment
tenté de bâtir un pont entre les genres. On écoutait Richie Havens et Joan Baez. Chacun dans leur coin. On
écoutait Ravi Shankar. On écoutait Crosby, Stills, Nash & Young, sans se douter un seul instant que le
télescopage de toutes ces formes d'expression pouvait déboucher sur une nouvelle conception musicale.
Curieusement, deux groupes allemands se sont sérieusement penchés sur la question avec, cependant, des
points de vue radicalement différents : les contemplatifs Popol Vuh et ... les exubérants Embryo. L'état d'esprit
qui règne sur "Steig Aus" est en bien des points semblable à celui développé sur leur prédécesseur, "Father,
Son and Holy Ghosts", mais le groupe connait ici quelques réajustements de personnel qui vont quelque peu
changer la donne. Roman Bunka est sans conteste plus discret que ne l'était Siegfried Schwab à la guitare,
mais c'est avant tout pour son jeu au saz que ses services ont été réquisitionnés. Mais il y a aussi et surtout
l'apport de deux claviéristes en les personnes de Jimmy Jackson à l'orgue, et le célèbre pianiste américain Mal
Waldron, exilé en Allemagne depuis 1965, et qui s'essaye pour la toute première fois au clavier électrique ! Tout
ce beau monde réuni autour des indéfectibles Christian Burchard et Edgar Hoffman, soutenu par les bassistes
Dave King et Jörg Evers, signe de concert un vibrant manifeste de fusion psyché jazz world ; comment le dire
autrement ? "Radio Marrakesh" est une troublante expérience : ses volutes arabisantes repris par le saz sont
vite rattrapées par les marimbas avant que l'orgue et le reste du groupe ne suive sur un rythme endiablé, créant
une atmosphère d'une rare étrangeté. Enchassé à mi-parcours, "Dreaming Girls" a des airs de Sun Ra. Enfin,
l'album se conclut sur une version éclatée et hallucinante de "Call", cinq fois plus longue que celle parue à
l'origine sur leur tout premier album, et bientôt repris à son propre compte par Mal Waldron lui-même sur un de
ses albums solos ! C'est dire.
Note : 4/6
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EMBRYO : Rocksession
Chronique réalisée par Hellman
La radicalité des sons et des arrangements prodigués sur "Steig Aus" ne trouvent pas leur écho sur
"Rocksession". Cela ne fait pas pour autant de ce nouvel album d'Embryo un complet étranger, que du
contraire ! Avec une formation inchangée à une exception près (la réintégration de Siegfried Schwab au poste
de guitariste), il se dégage de "Rocksession" une sérénité et une assurance qui mettent d'emblée en confiance.
Nous sommes en terrain conquis. "A Place to Go" démarre timidement, installant son rythme syncopé avec une
rare assiduité. À cet instant, on se dit que le Can de "Ege Bamyasi" n'est plus vraiment loin. Le titre s'emballe
en bout de course mais, quatre minutes au compteur, il ne s'agissait que d'une mise en bouche. C'est alors que
survient "Entrances", sans doute la plus automatiquement séduisante des longues plages écrites par le groupe
en ces premières années. L'aspect résolument funky de ce morceau nous fait songer au Miles Davis de "On The
Corner", la trompette wah-wah en moins. Percussions, batterie et basse tracent la route alors que claviers,
orgue, saxophone et guitares se relaient à tour de rôles pour une série de solii jamais ennuyants. "Warm
Canto" et "Dirge" tout particulièrement apparaissent comme des morceaux mâtures, réfléchis, s'écartant sans
jamais toutefois le renier du côté impro jam qui généralement caractérise la grande majorité de leurs
compositions. On est d'autant plus séduit que les mélodies déployées glissent sur nous avec nonchalance. Une
naturelle évidence. Edgar Hofmann troque alors son saxophone pour nous écrire encore quelques poignantes
phrases au violon alors que Burchard n'oublie pas de faire résonner ses marimbas pour créer cette atmosphère
à la résonnance trouble. Le fin de mot de l'histoire, c'est que, contrairement aux apparences, "Rocksession" est
un album plutôt laid back eu égard à l'énoncé. Il n'en demeure pas moins un des tous grands albums d'un
groupe allemand injustement mésestimé dont la discographie complète s'avère être exemplaire, à de rares
exceptions près.
Note : 5/6
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GHOSTING : Lips like red
Chronique réalisée par Twilight
Je me suis toujours demandé jusqu'à quel point Ghosting prenait du recul avec son art; franchement, vous
avez vu cette pochette ? Il fallait oser, d'autant que je ne décèle pas la moindre trace d'humour et les
soupçonne fortement d'avoir pris ça très au sérieux. Je m'autorise donc un 'ah ah ah' cruel et moqueur. Cela
dit, Ghosting, c'est aussi mon petit plaisir coupable, ma kitscherie sucrée, agréable mais un peu collante et
dont il ne faut pas abuser. Ce disque, je le voulais surtout pour son côté horreur carton-pâte, notamment 'The
cage' découvert sur un des volumes de 'What sweet music they make'...Fabuleuse, cette chanson avec sa
touche marche funèbre du pauvre et ses cordes synthétiques. J'avoue pourtant m'être trouvé face à quelques
belles surprises, notamment une reprise de l'excellent 'Ad nauseam' de Fad gadget plutôt bien relooké entre
percussions agressives et mélodrame Draculesque; 'Heal me' m'a séduit également par sa touche froide, un
brin désincarnée, 'Revelge' de même pour l'ambiance marche militaire décalée...Au delà des clichés mal dosés,
Ghosting surprend, démontre de plus en plus d'assurance et de personnalité, construit une musique bien plus
originale qu'il n'y paraît mais qui ne colle pas vraiment à leur image de vilains gothiques noirs. 'Lips like red'
développe plutôt des climats baroques, décalés, kistch et sulfureux à la fois, appelle parfois un sourire
moqueur (les vocaux de Sascha sur 'Ad Infinitum'), séduit par l'accroche pop des mélodies ('Bombed the
world', 'Evil dance', 'Spell' où le chant de Diana fait merveille). Comparons ce disque à un film de la Hammer, le
génie en moins; ça reste agréable même si l'hémoglobine ressemble à du jus de betterave et que les crocs des
vampires sont en plastique, on peut apprécier à condition de prendre cette comédie au second degré...exercice
auquel j'aime me livrer parfois.
Note : 4/6
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COMPILATIONS - DIVERS : Irritants
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Attention les filles : Wotzenknecht s’est racheté un walkman… je sens que vais faire fureur cet été avec mon
gros machin ! C’est aussi l’occasion de dépoussiérer les bonnes vieilles K7 pour pouvoir les écouter sans avoir
à faire des branchements sombres et expérimentaux de partout dans la maison, le tape deck étant relié à l’ordi
et nullement à l’ampli, bref on s’en fout de ma vie, direction ‘Irritants’, petite compile 100% suédoise avec un
inédit efficace mais sans surprise d’IRM qui a fait bien mieux, Regim (Johanna Rosenqvist d’Institut) pour
quelque chose de très raw et lo-fi, la demoiselle étant férue de noise fait maison, avec de l’électroménager et
autres… Plus impressionnant, l’offrande d’Ochu avec ses échos et delay à outrance (pensez Allegory Chapel
Ltd, et si vous ne voyez pas de quoi je parle, réclamez-moi une chronique) ainsi qu’un duo harsh noise entre
Sewer Election & Treriksröret qui défouraille à défaut de défricher. La face B est plus problématique car si
l’ambient pleine de field recordings de Moljebka Pvlse est somme toute agréable et écoutable, elle laisse quand
même l’impression d’avoir été faite sans idée ni recherche approfondie, un peu comme tout Moljebka Pvlse en
fait. Une compilation dispensable donc, qui comprend son lot d’éclate mais ne changera la vie de personne.
Note : 3/6
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COIL : Time Machines
Chronique réalisée par Wotzenknecht
De la drogue, de la drogue et encore de la drogue. ‘Time Machines’ n’est pas composé sous drogue : C’EST de
la drogue. Plus exactement, il s’agit de quatre simulacres sonores sensés replonger l’auditeur dans l’état induit
par les psychotropes dont les alcaloïdes donnent le nom aux titres. Si tout cela n’est nullement scientifique
(même si on est très proche des fameuses ‘drogues auditives’ bourrées d’ondes aux effets incertains qui font
débat sur le net), ça n’est pas moins addictif et terriblement immersif. D’aucuns diraient que c’est même là
l’exercice le plus réussi de Coil dans le sens où ils savent se montrer à la hauteur de leur talent sur un exercice
risqué (quatre drones quasi-statiques pour 73 minutes de musique, c’est sans pitié pour les tâcherons du
genre). Lentement mais sûrement, les nappes caoutchouteuses et acides se composent et s’allongent autour
d’une respiration analogique proche de Hive Mind. Tout le reste n’est que micro-intervalles, déplacements
imperceptibles des drones en stéréo, sons électroniques ralentis jusqu’à faire vibrer chaque pic comme un
ressort étiré à l’extrême. L’écoute au casque est particulièrement réjouissante surtout si celui-ci descend sous
les 20Hz (la sensation claustrophobique est décuplée), mais on peut tout autant apprécier ‘Time Machines’ au
milieu d’une foule – effet ‘confinement spatio-temporel’ garanti. Le sous-titre de l’œuvre, ‘4 tones to facilitate
travel through time’ joue sur le fait que les hallucinogènes altèrent non seulement l’espace mais aussi la
perception du temps, permettant de replonger dans le passer ou d’entrevoir le futur – breaking open the head…
quant à celui qui l’essaiera en complément aux drogues concernées, qu’il m’écrive pour m’en dire des
nouvelles. Attention à ne pas choir dans le trou noir de la pochette, trou qui réapparaîtra sur un certain nombre
de sorties après Time Machines, comme si la brèche était définitivement ouverte...
Note : 5/6
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THE DAUGHTERS OF BRISTOL : Voyage
Chronique réalisée par Twilight
The Daughters of Bristol nous viennent de la patrie de Nirvana, soit Seattle, mais officient dans un genre
fondamentalement différent puisque leurs influences sont nettement plus européennes; elles sont rapidement
identifiables, à commencer par les Sisters of Mercy qui déterminent le timbre caverneux, la boîte à rythmes
froide, mais les musiciens citent également David Bowie, ce qui se ressent effectivement ans certains accents
du chant ('Sweet lies'). A première écoute, le groupe sonne comme une pure copie de la bande à Eldritch
('Velvet curtains') et il m'a fallu quelques écoutes concentrées pour apprécier tout leur potentiel. Où donc se
situe-t-il ? Dans les atmosphères pour commencer. Les Filles de Bristol pratiquent en effet un gothic rock
sombre qui n'est pas sans rappeler les ambiances des premiers Garden of Delight. L'instrumental 'Mary death'
est une bonne entrée en la matière: basse lourde et minimale, rythme hâché et sec, riffs de guitare
mélodiques...Technique que l'on retrouve sur la plupart des compositions, encore que sur 'Give rise' les sons
soient plus sales et proches de Red Lorry Yellow Lorry. Ce climat noir, légèrement
étouffant, est plutôt jouissif. Signalons en outre des mélodies efficaces, mes préférences allant clairement à
'Take you away' plus lent mais envoûtant avec son petit clavier fantômatique en arrière-fond et 'Voyage' pour sa
touche désespéré. Ce mini, musicalement, ne contient d'ailleurs pas de réelle faiblesse, si ce n'est un manque
certain de personnalité; à vous de voir si vous souhaitez ou non passer outre...
Note : 4/6
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A 3 DANS LES WC : 1978-1980
Chronique réalisée par Twilight
Cinq A 3 dans les WC...Reno, Janine, Eric, Gégène et Jeannot...Et voilà qu'en 1978, on leur demande d'ouvrir un
festival de rock avec Téléphone, Starshooter, Bijoux, eux qui n'ont jamais encore donné de concert !
'Provocateur et original' titrera la presse, marquant ainsi le début d'une carrière éphémère mais sulfureuse
jusqu'en en 1984 où le combo mettra fin à ses jours. Cette compilation nous propose un retour aux deux
premières années; nous découvrons ainsi un groupe punk atypique avec clavier pratiquant une critique
vitriolée de la société derrière des textes emplis d'un humour bien personnel. Ca ne vous rappelle pas un peu
les Stranglers ? Nous n'en sommes pas si loin. A 3 dans les WC se démarque de par l'apport des sonorités
synthétiques mais aussi par la diversité des ambiances. 'Contagion' dégage ainsi un arrière-goût de minimal
wave allemande alors que 'A 3 dans les WC' s'engage dans une voie totalement punk; 'Moderne' sonne plus
glauque et flirte presque avec le post punk goth, quant à l'excellent 'Captain Valium', on dirait du punk déconne,
genre pré-Elmer Food Beat, exception faite des paroles nettement plus grinçantes qu'elle n'y paraissent. Cette
alchimie particulière naît d'une fusion entre une basse lourde, des rythmes punky, des claviers new wave et de
guitares alternant entre froideur et psychédélisme. A noter des bonus, notamment la face B de 'Contagion' et
une version de 'Captain Valium' avec Pat Kebra (Oberkampf) à la guitare. Pourquoi ces deux années
uniquement ? En 1980, le combo se rebaptisera WC3. Profitez-en donc pour redécouvrir la genèse de cette
formation atypique entre Taxi Girl, Starshooter et Les Stranglers et surtout ne tirez pas la chasse après écoute !
Note : 5/6
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SMITH (Elliott) : S/t
Chronique réalisée par dariev stands
Tant a été dit sur Elliott Smith. Sorte de Nick Drake post-atomique désenchanté, conteur de l'apathie et de la
lassitude la plus douloureuse, il reste aujourd'hui encore, et restera probablement à jamais, une énigme. Qu'est
ce qui a poussé un type à coucher sur bandes des sentiments aussi ambigus, aussi cruellement mélancoliques,
et à dévoiler un univers aussi hérmétique, mais paradoxalement aussi universel, aussi hors du temps ? La
Mélancolie est une bile cosmopolite, et ce n'est pas la morne chape de peur de l'autre et de réclusion qui s'abat
sur le monde qui fera penser le contraire... Du coup, même un gamin en haillons du midwest peut parler à tout
le monde avec ses comptines dépressives. Elliott Smith c'est avant tout un jeu de guitare tout en subtilités, une
production toujours extremement bien pensée, et une voix monocorde, pâle, sussurée, presque absente, mais
qui parviens malgré tout à prendre aux tripes... L'homme est définitivement seul sur son île dans ces douze
plages 100% acoustiques et dépouillées, mais celle de Neil Young (On the Beach, album souffrant et délétère)
se dessine en filigrane à l'horizon; les jours de beau soleil... Comme lorsque ces drones d'harmonica viennent
mourir lentement à vos pieds, comme des bouts de papiers jetés depuis la fenêtre, lors d'un après midi jaune et
ennuyeux à en mourir (Alphabet Town entre autres). Ce n'est pas beau, c'est juste douloureusement,
épineusement vrai. Smith chante des histoires d'errances au milieu des lotissements sans âme, le cerveau
embué (St Hides Heaven), des histoires de trahison, d'incommunicabilités et de ressentiment (la merveille
Needle in the hay, qui illustrait une scène de suicide burlesque dans « La Famille Tene119aum »), le tout traversé
par des résidus d'amours impossibles (le poignant texte de The Biggest Lie). Tout cela est plutôt impudique, et
on a tout sauf l'impression que l'auteur se soulage en se séparant de ses chansons... Il suffit d'écouter
Christian Brothers, révélatrice d'un esprit contrarié et bouillonnant. Il s'en dégage un malaise digne des
grandes heures lysergiques de Love... Pas un hasard après tout, cet album a la réputation d'être habité par le
spectre de l'heroïne, ce que dément l'auteur. Un drug album, donc ? A prendre avec des pincettes à mon
humble avis, vu le flou total entourant l'artiste... Rappelons qu'on a également longtemps considéré ce disque
comme un premier album, et c'est probablement l'illusion que Smith voulait donner, sauf qu'il y eut le receuil de
démos Roman Candle et quelques albums du groupe Heatmiser avant... Quoi qu'il en soit, ce disque est une
perle, et ce en dépit d'une deuxième moitié sensiblement en deça, qui peine un peu à retrouver l'évidence et la
limpidité de titres comme Clementine et Single File, très mélodique et en apparence désuets. Ils sont en réalité
aiguisés pour vous charcuter le coeur, et vous mettre à nu, comme pour vous ramener à l'odeur de ces rues
que vous connaissez trop bien, arpentées sans but précis, traînant votre isolement sur le dos.
Note : 5/6
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BERNSTEIN (Steven) : Diaspora hollywood
Chronique réalisée par dariev stands
Un homme qui sait s’entourer, que ce Steven Bernstein. Le leader de Sex Mob aime la bonne compagnie, même
sur ses travaux solos. Publiés sur Tzadik, ces albums, souvent en rupture avec la brutalité erratique de ses
œuvres de pionnier de la Knitting Factory (Un club dont le nom reviendra souvent en ces pages, véritable
temple de la déjante jazz/noise/ect… new-yorkaise), s’intègrent dans la grande entreprise de relecture de la
musique traditionnelle juive lancée par John Zorn durant les années 90 (Radical Jewish Culture, que ça
s'appelle... comme j'aime faire chier, je note que si on remplace Jewish par Muslim, hop, tiens ça serait sans
doute censuré, c'est marrant). A l’inépuisable série des Masada de ce-dernier répond la série des Diaspora de
Steven Bernstein, 4 albums (le dernier est sorti en 2008) principalement constitués de traditionnels juifs
revisités avec élégance et raffinement extrême. Bien loin des furibardes collaborations du trompettiste, les 11
morceaux proposés fleurent bon la nostalgie cuivrée et la vieille classe façon banquette en cuir au fond de la
cadillac. Que ce soit les traditionnels, relativement peu transformés pour du Tzadik, où les compos de
Bernstein, sensiblement plus portées sur l’improvisation, on nage dans un Hollywood fantasmé, lynchien, en
haut duquel est perché le studio d’une pièce de Woody Jackson III, utilisé par Bernstein pour mettre en boîte
cet album en 3 jours. Il n’était bien entendu pas seul, et le pedigree du line-up fait se pourlécher les babines :
Danny Frankel, ex-batteur des Flying Karamazov Brothers et du Kamikaze Ground Crew, faisant partie du
backing band de KD Lang, tout comme David Pilch, bassiste de Bill Frisell, les deux se retrouvant au sein du
groupe de Cal Tjader, à l'instar de DJ Bonebrake (batteur de X et de Steroïd Maximus, excusez du peu) résident
au Temple Bar… J’en oublierai presque le saxophoniste, intelligemment baptisé… Pablo Calogero !! On est pas
sorti de l’auberge, comme dirait George Abitbol (ou était-ce mon grand-père ?). Tout ce beau monde gravite
autour des scènes Jazz avant-garde de Chicago et de NYC, de la Knitting Factory voire du peintre Basquiat, et
si je me permet un tel name-dropping c’est bel et bien parce que leur présence sur disque est un gage de
qualité. Pas forcément de surprise, mais de qualité. L'homme a aussi fricoté avec les Lounge Lizards lors de
leur reformation, mais ceci est une autre histoire, que je vous conterai un jour prochain...
Note : 4/6
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LIZA N'ELIAZ : Liza N'Eliaz
Chronique réalisée par dariev stands
Les anthologies Uncivilized World, c’est un peu comme les compils Soul Jazz : souvent parfait et exhaustif, à
chaque fois indispensable pour qui s’intéresse au style couvert. Soyez surs que j’en parlerais le plus
possible… Uncivilized World, donc, explore la techno pure et dure, que ce soit par le versant américain ou
européen, comme ici avec Liza N’Eliaz, dont tous les morceaux jamais réalisés sont compilés ici. Tout y est,
même les cultes featurings avec Dj Dano (le fameux tube de rave Energy Boost) ou Laurent Hô (CTRL 3,
boucherie précise et infatigable). Pas tellement de secret : la musique de Liza N’Eliaz, tout comme celle de
Manu Le Malin, vous choppe dans un coin et vous bourrine comme il se doit, sans discontinuer, façon 32 hit
combo (gardez le cd 3 pour la surprise de la fin, cela dit). On peut y voir une intense beauté après quelques
écoutes, tout comme on peut y rester complètement hermétique, mais une chose est sûre : personne n’aura
l’idée de laisser tourner cette musique en fond pour avoir l’air cool en faisant autre chose… Ce qui frappe ici,
c’est la variété et l’incroyable richesse de mélodies et de sons du style Liza N’Eliaz. Ceux qui voient le hardcore
comme un genre nihiliste et monomaniaque seront déstabilisés : ici forniquent joyeusement frissons jungle,
samples délirants, panique breakbeat, et giclées d’acid incontrôlées. Chacun des 3 cds renferme son tour de
force de 10 minutes… Loopera, celui du cd 1, s’enfonce dans une Jungle mâtinée de samples confus que
n’aurait pas reniée Aaron Funk. A Track, sur le cd 2, l’aurait plutôt séduit par son ambiance malsaine et
éprouvante pour les nerfs, qui rappelle que la techno hardcore, c’est aussi une perte d’innocence brutale et
sans retour. Une innocence encore belle et bien présente sur TV Waves, le morceau de bravoure qui clôt le cd3
ainsi que la compil, où la joie de vivre un peu primitive qui anime la techno (et la techno-pop, qui existait avant
cette dernière) explose au grand jour. La voix sous hélium de Liza a du chien, incontestablement. On pense aux
gimmicks favoris de Prodigy (sur certaines track du cd 2 particulièrement), ici lâchés dans un canevas ultra
serré comme des super-balles rebondissant sur les murs en béton armé. On l’entendra beaucoup plus sur le
génial 3ème CD, cadeau ultime après cette avalanche de perles hardcore et hard-tech (hardtek comme disent
les punkach’). Il regroupe tous les travaux "non-hardcore" de Liza, ce qui inclue aussi bien le génial EP bleep
techno chroniqué ici-bas que les hallucinants caprices synth-pop qui défilent à partir de Blue & Red City. C’est
kitsch, 80’s à mort, mais surtout complètement fou (Y’a des Nuages, mon dieu !) et foisonnant de basses
slappées über-funky ! Beaucoup n’ont du y voire qu’un délire anodin : grossière erreur, au vu de l’aspect très
travaillé de ces morceaux. Décrire un ovni pareil relève de l’impossible, mais disons qu’on pourrait penser à un
Mr Bungle période California défoncé à l’hélium en permanence qui aurait fait son affaire à Duran Duran sur une
plage belge… Où à une Grace Jones à l’envers : petite, blanche, toute seule aux commandes dans son
minuscule studio mal chauffé, et à la voix de souris. Pour le reste, c’est du grand carnage sans temps mort,
ultra varié et catchy pour le genre, dont Liza N’Eliaz est la rolls royce. Le hardcore, dans sa dynamique, obéit
exactement à la même dictature du tempo que le black metal : c’est un jeu de montées d’adrénalines et de
breaks imposants, trous noirs de calme avant la tempête qui ne servent qu’à mieux ménager un gros rush de
roulements de batterie ou de bpm saturés 3 secondes plus tard… L’auditeur un tant soi peu accoutumé au
genre saura exactement à quel moment guetter l’accalmie, et à quel moment s’attendre à un emballement censé
lui retourner la tête, comme dans un bon vieux rollercoaster qu’on referait des dizaines de fois, inlassablement
grisé par un mécanisme vieux comme le monde. On touche ici au noyau dur de cette musique (qui ne s’appelle
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pas "noyau dur" pour rien), un va et vient violent aux antipodes du swing ou du groove des musiques noires,
rappelant qu’il s’agit de son avant d’être de la musique, de sensations physiques avant d’être auditives, de
transe immédiate avant la moindre mémorisation. Prenez In The Nightside Eclipse, de Emperor, par exemple : il
répond exactement aux mêmes fulgurances, aux mêmes tables de la loi. C’est une musique qui se passe de
tout commentaire, de toute réflexion, offrant à celui qui s’y abandonne un oubli total du monde extérieur et une
concentration de l’attention toute entière sur ce qui sort des écouteurs.
Note : 5/6
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2METHYLBULBE1OL : 6 months
Chronique réalisée par dariev stands
2methylbulbelol (abdoullah !) est un jeune ( ?) artiste dont on ne sait foutre rien, si ce n’est qu’il s’agit ici de son
premier EP 4 titres, sorti sur un net label du nom de Abyssa… Il pratique une musique tout à fait impersonnelle
mais en même temps plutôt intéressante car extrêmement chargée en détails, une musique dont on ne sait plus
très bien si elle représente un reliquat de la fin des années 90 où une tendance éternellement trop futuriste pour
le grand public, encore et toujours fidèles aux demi-mesures et à la pop. Je veux parler de l’electronica, ici
particulièrement soignée, constellée de glitches métalliques et de claviers amniotiques typiques d’Aphex Twin
(aïe, encore lui). Tous les morceaux ont des joyeux noms de médicaments (de quoi donner des idées de tags à
certains) et s’écoutent sans déplaisir, il y a même un vrai potentiel dans ces multiples couches de
pianos-jouets, de beats concrets et légers comme des balles de ping-pong et de samples incongrus tapissant le
fond du mix. Mais c’est à ça qu’on s’arrêtera : un potentiel. Pas d’identité précise à déclarer. Un médicament
encore un peu trop générique à mon goût, donc.
Note : 3/6
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COIL : The Remote Viewer
Chronique réalisée par Wotzenknecht
The Remote Viewer est une symphonie pour l’Eveil dans sa totalité. Sa magistrale ouverture s’apparente autant
à un lever de soleil qu’à une pleine lune venant s’amarrer dans le ciel : il fonctionne comme un déploiement de
sons et de sens qui viennent se superposer les uns aux autres, depuis la fameuse et grandiose mélodie
synthétique, véritable récurrence tout au long de l’album, jusqu’à la basse ronde et enveloppante puis, plus
loin, l’apparition de ce qui semble être une cornemuse venant parfaire un paysage électroacoustique d’une rare
délicatesse. C’est une véritable fresque romantique (dans le sens académique du terme) et électronique qui
s’installe avec toute la subtilité de l’électronica-glitch, qui ne changera peu ou prou ses mélodies pour mieux
évoluer de l’intérieur. Coil semble ici faire bien plus que de l’expérimentation sensible : ils composent
véritablement un rituel, une offrande pour le cycle du temps qui passe, fait naître le monde, le fait évoluer avant
de le ravaler sur lui-même. De la même façon, ils offraient leurs musiques à la nuit (‘Musick To Play In The
Dark’), aux saisons (‘Moon’s Milk in Four Phases’, bientôt chroniqué) comme à l’espace (‘Astral Disaster’) ;
c’est ici le cycle de vie qui semble au cœur de ce système où toutes les émotions, de la plus tendre à la plus
solennelle, viennent s’entrechoquer dans ces cinq variations sur le même thème, allant de l’electro-ambient
séquencée à des divergences plus risquées (comme cette mystérieuse incursion organique-abstraite de la pt.II
qui sera approfondie sur 'The Restitution of Decayed Intelligence' ou à l'inverse ces percussions qui font peu à
peu leur apparition, donnant avec le chant de cornemuse un air de Corvus Corax en plus épique et déployé)
dans une fluidité qui laisse pantois. Immense, touchant, sensible et accessible pour toutes les oreilles, et aussi
un des rares disques du groupe à être encore distribué : vous feriez une grave erreur en passant à côté.
Note : 5/6
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KOEPPER (Jeffrey) : RADIATE
Chronique réalisée par Phaedream
Enregistré lors d’une prestation en concert au célèbre The Gatherings à Philadelphie le 14 Avril 2008, Radiate
est ni plus ni moins qu’une forme de ‘’greatest hits’’ de Jeffrey Koepper. Ce concert célébrait la sortie du
superbe Sequenteria, dont nous retrouvons 8 titres, les 2 autres titres proviennent des albums Momentium
(Byzantine Machine) et un album à paraître plus tard, Luminosity (Rising Sun). Joué sur équipement
entièrement analogue, Radiate a été masterisé par un grand ami de Koepper, Steve Roach.
C’est seul et entouré de sa vaste panoplie d’instruments analogues que Jeffrey Koepper entame ce concert
avec Blue Sector, Astral Projection et Timeline de Sequenteria. La musique coule telle une douce poésie
analogue avec une atmosphère qui dépeint avec justesse la profondeur de Sequenteria. Byzantine Machine
(pièce qui ouvre Momentium) remplace le ténébreux et bouillant Near Machinery avec une superbe cohésion
rythme nerveux et pulsation réverbérante. Un titre qui s’incorpore bien dans cet univers analogue où les
rythmes entrecroisés se couplent à merveille sur des moments plus éthérés et atmosphériques que Koepper
manipule avec une main de maître.
Un album en concert, Radiate est une superbe interprétation de Sequenteria, et non une copie conforme.
Jeffrey Koepper étend plus son champ atmosphérique et est plus mordant dans ses embrasements rythmiques.
Un bel album qui ravira ceux qui possède Sequenteria et une excellente façon de découvrir un artiste dont la
musique est un croisement entre Jean Michel Jarre et Steve Roach. Tout simplement délicieux je lui colle 51/2
boules sur 6.
Note : 5/6
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KOEPPER (Jeffrey) : LUMINOSITY
Chronique réalisée par Phaedream
Luminosity marque une nouvelle approche musicale dans la carrière de Jeffrey Koepper. Plus ambiant, avec
une belle profondeur atmosphérique, ce dernier opus du synthésiste américain démontre sa progression dans
un univers musical capricieux. Comme sur ses œuvres antérieures JK utilise que de l’équipement analogique,
mais cette fois-ci il explore un peu plus les frontières des atmosphères ténébreuses, un peu comme si l’homme
aurait eu un besoin inné de se redéfinir.
De doux arpèges solitaires façonnent une étrange mélodie hypnotique en ouverture de Reflection. De fines
percussions dessinent un rythme doux, sillonnant une romance nocturne fascinante et très introspective parmi
des débris sonores réverbérants, rappelant l’œuvre de son mentor sur Reflections in Suspension du
soporifique Structures from Silence. Light and Truth poursuit cette quête de réflexion nébuleuse avec un titre
ambiant qui dégage des ondes sonores parcimonieuses. Ondes de songes d’une nuit de solitaire. Artifacts est
une splendide ode ténébreuse à saveur TD des années Phaedra. Une mouvance mellotronnée capte l’imaginaire
fantomatique qui se développe en une lente procession animée de percussions hypnotiquement lancinantes.
Une merveilleuse flûte mellotronnée accompagne ce sombre cortège qui est un véritable petit bijou musical.
Winter Space progresse lentement parmi des cercles sonores hypnotiques qui croissent dans une atmosphère
irradiante de réverbérations et de lamentations intrigantes. De douces notes flottantes bercent cette nébulosité
avec un doigté hésitant.
Life Clock est le berceau rythmique de Luminosity. Intro lourde et sombre qui languit dans un statisme
caustique, le mouvement prend vie avec des accords secs qui traversent une sphéroïdale atmosphérique avec
force, dégageant une mélodie synthétisée qui trempe dans une ambiance truffée d’effets sonores galactiques.
Emitter accentue l’approche cadencée avec un synthé aux boucles harmonieuses, sur des accords sautillants
et des percussions entraînantes. Transmission est LA pièce sur Luminosity. Titre au développement complexe,
le tout débute dans une brumeuse nébulosité avant qu’une séquence lourde et circulaire n’encercle le
mouvement, traçant un rythme hésitant qui se subdivise dans un carrousel séquencé très musical. Un très bon
titre qui coalise atmosphère, rythme et mélodie dans un contexte alambiqué qui charme à la mesure de sa
progression. De la belle musique, même avec une structure peu encline à une appréciation instantannée. Une
rivière aux clapotis prismatiques ouvre le l’auguste Dusk Till Dawn. Ode sombre et spectrale, Dusk Till Dawn
flotte dans une mer morte avec ses accords aux pulsations arythmiques et son mellotron aux ondes lugubres.
Rising Sun ramène un fin rayonnement cadencé avec une approche séquentielle en cascade, façonnant une
douce harmonie qui étale toute sa splendeur avec de belles strates synthétisées. Hypnotique et mélodieux, il
clôture un album étrangement envoûtant où Jeffrey Koepper nous fait vibrer à la mesure de ses émotions.
Note : 4/6
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EMBRYO : We Keep On
Chronique réalisée par Hellman
"We Keep On", comme s'il fallait se rassurer sur un changement de cap ... Pour l'heure, le seul changement à
noter est, encore et toujours, de l'ordre de la cuisine interne. Le sixième Embryo est un des rares disques où le
saxophoniste/violoniste Edgar Hoffman n'est pas crédité (il sera également absent des sessions
"Apo-Calypso"). Il est remplacé par le sopraphoniste américain Charlie Mariano avec qui le groupe va entamer
une fructueuse collaboration. Après Mal Waldron, Embryo, qui semble décidément ne rien se refuser, réussit
donc à se payer les services d'un autre jazzman confirmé. Et Mariano est tout simplement brillant tout au long
de l'album, foutant littéralement le feu à chacune de ses interventions. Le chant refait son apparition sur "Don't
Come Tomorrow", seule entorse à la règle, et, pour couronner le tout, Roman Bunka réintègre son poste en
chassant cette fois définitivement Siegfried Schwab. "We Keep On" paraît sous licence BASF et semble jouir
d'une production plus précise, plus claire. Dieter Dierks est passé par là. Par contre, à l'heure de la réédition cd,
à moins de reprogrammer intégralement l'ordre des titres, il nous est difficile de revivre l'expérience de ce
disque tel qu'il fût publié à l'époque puisque, outre l'ajout de deux généreux bonus (dont un "Ticket to India" de
seize minutes tout simplement prodigieux), c'est toute la playlist de l'album qui a été revue et corrigée ! Du
coup, les deux derniers titres deviennent les deux premiers, et ceux qui furent les deux premiers les deux
derniers. Je m'explique : "No Place to Go", longue plage énergique sensée donner le coup d'envoi de l'album
clôture désormais celui-ci, faisant dès lors office de splendide apothéose. Finalement, ce n'est peut-être pas
plus mal puisque cela fonctionne assez bien sous cet angle. Ainsi, c'est à présent à "Abdul Malek" que revient
l'honneur d'ouvrir les hostilités, titre qui, à l'instar de "Ethna Ethna Abu Lele", "Hackbrett Dance" ou encore
"Flute and Saz", tend à démontrer que, plus que jamais, c'est l'influence de l'Orient qui guide la destinée de ce
disque. Ainsi que celle d'Embryo.
Note : 6/6
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EMBRYO : Surfin'
Chronique réalisée par Hellman
Par la force des choses, Embryo saura évoluer avec son temps. Le groupe allemand ne cèdera jamais à la
nostalgie tout en restant toujours fidèle et intègre à leur propre vision de la musique. Quoi qu'on en dise.
"Surfin'" a cette mauvaise réputation de mauvais album, tout simplement parce que les longues envolées
psychédéliques auxquelles le groupe nous avait habitué depuis leurs tous premiers pas, encore plus si on
prend en considération "Laüft", le copieux inédit de vingt-six minutes issus des sessions "Opal", sont réduits
comme peau de chagrin ... Dire cela, c'est faire fi des dix minutes magiques de folie percussive qui illuminent
"Dance of Some Broken Glasses". Mais il est vrai aussi que Embryo sort d'une période brillante, enchaînant les
uns derrière les autres des albums tout simplement exceptionnels, culminant avec le fabuleusement inespéré
"We Keep On". En ce sens, la suite ne pouvait que décevoir. Car le groupe, en somme, était contraint à passer à
autre chose. Le claviériste Dieter Miekautsch aura donc fait un passage éclair au sein du groupe (il réapparaîtra
sur "Bad Heads and Bad Cats"). Pour le reste, le line-up reste inchangé avec la venue d'un nouveau membre
permanent, le bassiste Uwe Müllrich, et le retour d'Edgar Hoffman qui va pouvoir croiser le fer avec Charlie
Mariano. Autant dire que l'affiche est alléchante. Mais parce que Embryo revoit ses prétentions à la baisse, qu'il
met, de fait, momentanément de côté toutes traces de son intérêt singulier pour les musiques du monde et
parce que, enfin, il recentre son discours sur quelque chose d'un tant soit peu plus abordable, rêvant
ouvertement d'un succès public aidé par un chant qui se révèle finalement envahissant à bien des égards,
"Surfin'" renoue plus que de raison avec les aspects les plus funky de leur musique ; une direction assumée au
travers du syncopé "You Can Turn Me On" ou des entraînants "Music of Today", "Surfin'" ou "New Ridin'",
empruntant des gimmicks à James Brown lui-même. "Surfin'" n'est pas un mauvais album. C'est juste un moins
bon album. De quoi se souvenir que personne n'est parfait. Pas même Embryo.
Note : 3/6
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EMBRYO : Bad Heads and Bad Cats
Chronique réalisée par Hellman
Certains des éléments qu'on pouvait fort justement reprocher à "Surfin'" se retrouvent également sur "Bad
Heads and Bad Cats". À commencer par cette furieuse tendance à simplifier leur discours pour tomber dans les
poncifs du jazz funk le plus bateau. "Layed Back" et "Road Song" en sont les exemples concrets, exercices de
style quelque peu stériles, souvent soutenus par le chant, ce qui nous maintient d'autant plus à l'écart des
portions de rêveries qu'Embryo est pourtant toujours capable de nous prodiguer. Car tout n'a pas été oublié : le
groupe se reprend sans plus tarder sur "Nina Kupenda", longue plage qui va puiser son influence majeure dans
les protests songs de Max Roach et Abbey Lincoln à la sauce Embryo, c'est à dire avec des percussions
omniprésentes et un Charlie Mariano qui prend un pied indéniable à constamment repousser les limites de son
propre instrument. Autre moment fort, "Kiondyke Netti" et son jardin suspendu de claviers s'enlassant autour
des piliers rythmiques érigés par la basse et la batterie, possèdant ce côté ouateux si caractéristique des
premiers Weather Report. "Bad Heads", "After The Rain" et "Tag X", chacun dans leur genre, que ce soit pop,
jazz ou expérimental, semblent, eux, bien futiles. Il y a donc bel et bien à boire et à manger sur ce "Bad Heads
and Bad Cats" qui, après "Surfin'", laisse à penser qu'Embryo est vraisemblablement entré dans une période
artistiquement moins aboutie. Peut définitivement mieux faire. Soulignons tout de même encore le bel effort du
label espagnol Disconforme qui se montre une nouvelle fois très généreux en nous proposant un inédit de
dix-sept minutes, "Human Contact", prolongeant l'écoute du disque dans de plus agréables dispositions, en
dépit sans doute de quelques longueurs inutiles. Des bonus comme ça, on en veut bien tous les jours.
Note : 3/6
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EMBRYO : Apo-calypso
Chronique réalisée par Hellman
Le rock aux développements progressifs de "Break Into Pieces" fait d'Embryo un groupe décidément
imprévisible. Le chant de Roman Bunka (si c'est bien lui qu'il s'agit) au timbre voilé et rugueux chasse de notre
esprit les vocalises de la douce Maria Archer présente sur "Bad Heads and Bad Cats". Tout se passe comme si,
de disques en disques, on redécouvrait à chaque fois un groupe différent .... C'est plutôt déstabilisant quand,
de tout cela, on essaye d'en extraire une identité insécable. Sauf que "Apo-Calypso" permet peut-être de mieux
saisir que la force d'Embryo réside avant tout dans l'intention qui est donnée. Le vaguement bluesy "Endless
Feeling", toujours chanté, puis le swinguant "Together" nous font subitement entrevoir que l'approche de
Christian Burchard s'apparente à celui du Zappa de "Apostrophe". La comparaison est flatteuse. Un point
commun, et non des moindres, est la présence de ce vibraphone jonglant avec les notes sur des rythmiques
funk. Des trois albums controversés réalisés par Embryo, celui-ci est sans conteste le plus déstabilisant de
tous puisqu'il est celui qui s'écarte fondamentalement de toutes les lignes de conduite que le groupe s'était
imposé. De plus, l'absence remarquée de Edgar Hoffman et Charlie Mariano ôte toute la puissance lyrique que
les deux saxophonistes développaient en règle général. La guitare wah wah de Bunka reste en retrait pour
mettre mieux en valeur les prouesses de Michael Wehmeyer aux claviers ("Amnesty Total"). Comme c'était déjà
le cas pour "Dance of Some Broken Glasses" sur "Surfin'", ou pour "Nina Kupenda" sur "Bad Heads and Bad
Cats", le groupe concentre toutes ses aspirations altermondialistes sur un seul et même titre, en l'occurence ici
"Getalongwithasong", tout auréolé de la présence du célèbre percussioniste Trilok Gurtu, et de sa propre mère
Shoba Gurtu au chant d'inspiration indienne.
Note : 3/6
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EMBRYO : Reise
Chronique réalisée par Hellman
"Reise" signale le retour en grande forme d'Embryo. Un Embryo inspiré. Un Embryo qui, surtout, aura pris le
temps nécessaire pour mettre la touche finale au successeur du très mitigé "Apo-Calypso". Avant d'en entamer
la critique, il est important de préciser que cet album, double à l'origine, a été amputé de trois titres, "Paki
Funk", "Maharaj" et "Lassie, Lassie", lors de son transfert sur support cd. Ainsi peut-on constater pour ceux
qui en doutait encore que la démarche derrière ces rééditions varie d'un label à l'autre. Schneeball n'est pas
Disconforme. "Reise" s'écoute comme un carnet de voyage. C'est d'ailleurs ce qu'il est ; un carnet de voyage
("Reise" en allemand veut dire voyage). Embryo se recentre alors autour des dernières fortes personnalités
ayant intégré le groupe, y compris le vétéran Edgar Hoffman. Pourtant, le saxophoniste se fait à peine entendre.
Rien d'étonnant à cela : le groupe s'entoure d'un nombre impressionnant de musiciens de retour de son périple
indien. Ce sont sur leurs épaules que reposent toute l'architecture du disque à l'ambiance si fragile,
développant des thèmes empruntés aux folklores locaux ou adaptant leur instrumentation pour se glisser dans
des habits plus à même de correspondre aux canons du format plus conventionnel de la musique pop. Ainsi,
s'opposent des titres strictement traditionnels dans la forme ("Anar Anar", "Chan Delawar Khan", "Kurdistan",
"Rog de Quadamuna Achna", "Hymalaya Radio") à des tentatives réussies d'hybridation de genre où l'apport
étranger n'a pas pour vocation une simple ornementation de façade ("Lost Scooters", "Kurdistan", "Far East",
"Farid"). Dans les deux cas, le résultat est tout simplement superbe, le choix d'instrumentation se complétant à
merveille grâce à de multiples combinaisons impliquant guitare, saz, saxophone, marimba et tabla. Finalement,
ce sont les derniers vestiges encore présents d'un passé kraut rock (le pêchu "Es Ist Wie Es Ist", chanté en
allemand et le progressif "Strasse Nach Asien") qui finissent par apparaître comme seuls éléments incongrus
de ce nouvel album. Avec "Reise", Embryo effectue donc le grand saut et réalise pleinement l'ambition qui fût la
sienne depuis toujours, sans être passé par la case transition. Un disque audacieux, d'une grande intelligence
et d'un rare talent. À la lumière de cette nouvelle réalisation, on peut désormais appréhender la trilogie
d'albums studios aux accointances jazz funk qui l'ont précédé sous un angle nouveau ; celui d'un ultime tour
d'honneur pour un genre musical que le groupe savait qu'il était sur le point d'abandonner.
Note : 6/6
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KEIJI HAINO & TATSUYA YOSHIDA : New rap
Chronique réalisée par dariev stands
Et maintenant, commençons un peu la série des New Japan de Tzadik, si vous le voulez bien. Oui, beaucoup
sont déjà référencées sur le site, mais beaucoup restent à faire, et tout comme pour les discographies de ces
deux hommes d’exception, c’est à un travail de longue haleine que je m’attelle. Mais il faut bien dire que – pour
les New Japan du moins - c’est souvent l’éclate totale. Les musiciens de la scène expé japonaise sont en
général tellement barrés et impudiques qu’ils en désamorcent le côté parfois trop sérieux qu’il peut leur arriver
de vouloir se donner. Ce New Rap par exemple, avec ses titres en hommage aux noms de rues de New York,
avait tout l’air d’un projet assez froid et austère. L’idée étant repiquée au Downtown Lullaby de Zorn, on
s’attendait à un album enregistré en plein cœur de New York, pas loin des quartiers généraux de Tzadik (east
10th street)… Même pas, nos deux fous ont été dans le New Jersey pour leur méfait ! Et inutile de dire que le
côté « vieux jazz cool » de Downtown Lullaby n’avait pas la moindre chance d’exister ici. New Rap est une
collection d’impros déstructurées au possible, colériques, sans concession ni squelette, bien que le jeu de
Yoshida impose une certaine densité rythmique (en fait, c’est juste pieuvre-land, voilà !). Batterie omniprésente
disais-je, guitare esquissant des motifs moins carnassiers que d’habitude, parfois étonnants dans leur
harmonie bruitiste et convulsive (les remarquables saillies de Lower East Side), et bien entendu cette voix
d’oiseau préhistorique, inhumaine, incomparable, relativement discrète ici, avis aux allergiques, c’est peut être
la bonne occasion de se désensibiliser. On pense quand même reconnaître quelques accents jazz par-ci par-là
(East Village, ce qui tendrait à prouver que les titres ne sont pas cent pour cent anodins), même si tout semble
survenir dans le désordre le plus total. Maintenir un tel niveau de chaos sur plusieurs minutes (parfois jusqu’à
la dizaine !) dans un même morceau est une sacrée gageure, mais pourtant ils y arrivent. Impossible de prédire
la seconde suivante, comme lorsque le sieur Haino fait souffler son ouragan de dieu ancestral au milieu de
Chinatown, morceau instrumental si l’on excepte cette irruption. D’ailleurs, excepté Canal Street, Lower east
side et West Broadway, sur lesquels Haino délivre son numéro de cris distordus d’archéoptéryx défendant ses
œufs, ce disque s’écoute presque comme un disque de musiciens. On est plus proche des musiques
improvisées sauvages et redoutables à la Takayanagi que du Zeuhl cher à tonton Yoshida, quand même. A
écouter pour se gratter l’intérieur du cerveau, là ou vous ne saviez même pas que ça pouvait vous démanger.
Note : 4/6
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CRASS : Christ, the bootleg
Chronique réalisée par Twilight
'Christ-the bootleg' est un enregistrement pirate capturé en 1984 lors de la tournée finale de CRASS et sorti en
1989 en une édition vinyl limitée de 1000 copies. Contacté, le groupe donnera son accord pour une réédition en
1997 et un prix conseillé figure même sur la pochette pour que le cd reste abordable. Une chose est certaine,
ces enregistrements live sont un document unique; il y avait certes eu la face B de 'Christ-the album' mais
l'avantage de celui-ci est qu'il propose un aperçu complet des possibilités du combo. Il y a évidemment le côté
punk brut mais pas uniquement avec notamment 'Yes sir, I will' avec son final au piano, l'intro de 'Smash the
mac' et ses collages d'extraits radio et de fréquences distordues dans une ambiance purement industrielle, une
version démente de 'Darling' avec vocaux féminins totalement barrés...Bref, c'est une vision complète de tout
ce qui fait CRASS qui est ici présentée, qui plus est avec un son très correct. Plus que jamais, la colère de
Steve Ignorant et sa bande résonne comme un cri, un appel à la réflexion qui prend dans cette dimension live
une profondeur particulièrement prenante. Un achat indispensable pour compléter votre collection de
CRASSeries...
Note : 5/6
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TANGERINE DREAM : ELECTRONIC MEDITATION
Chronique réalisée par Phaedream
Enfin vous allez dire, Phaedream se decide à chroniquer les premières œuvres de Tangerine Dream. Composé
dès la formation du Dream, Electronic Meditation est tout, sauf un album électronique. En fait on pourrait le
qualifier du premier album électronique punk qui à la base n’était qu’un pur jam session dans une usine
désaffectée de Berlin à l’automne 69. Flairant la probabilité d’un Pink Floyd Allemand, les dirigeants de Ohr en
ont fait le tout 1ier album de Tangerine Dream.
Un bric-à brac sonore qui se vautre dans un tumulte psychédélique avec d’étonnants passages mélodieux.
Orgues déviantes sur percussions aussi aléatoires que célestes, le violoncelle de Schnitzer mord dans
l’ouverture très ambiante et flottante de Genesis. Ici, le rythme est absent, la musique abstraite. Un quintet qui
se cherche et qui accorde ses instruments avant que l’avalanche de percussion ne percute le rythme
‘’aborigènement ‘’ psychédélique de Genesis qui devient plus lourd, malgré la belle flûte de Thomas Keyserling.
Journey Through A Burning Brain se met en branle sur la finale cacophonique de Genesis. Ici, Edgar explore
les sonorités de ses guitares. Titre qui devient plus poétique, à saveur très Floydienne avec une orgue qui se
moule aux incisives des cordes de Froese. Hallucinatoire et assez incoercible après un bon pétard. Les
sonorités ambiantes oscillent entre les orgues dérapantes qui se redressent en sinuosité fantomatique.
Journey Through A Burning Brain s’embrase sur un rythme souple et discordant où les guitares crachent un
venin rock sur un jeu de percussions surprenant de Schulze alors que la flûte instaure un climat de jungle.
Totalement fou, mais étonnamment attirant, Journey Through A Burning Brain est l’égale des sessions
d’Ummagumma de Pink Floyd. Cold Smoke est de la fumée hallucinatoire digne d’une prise de LSD. Intro
doucereuse avec une orgue planante, le morceau est constamment abrutissé par des cordes sèches d’un
violon délirant et un Schulze démoniaque à la batterie, alors que l’orgue reste toujours placidement en
harmonie avec une quête solitaire, exclut de la désharmonie du quintet. Étrange et anti musical, il en reste tout
de même de bons passages, surtout lorsque les solos de Froese déchirent un mur d’acier, dans un délire
innovateur pré progressif. À apprivoiser tout doucement….Ashes to Ashes est un genre de blues
psychédélique, trituré de l’esprit machiavélique de Conrad Schnitzler excellent dans l’art de façonné d’étranges
effets sonores. Resurrection boucle la boucle avec une intro très pastorale qui flotte dans des délires vocaux,
avant de reprendre une lourdeur sinueuse et paresseuse, moulant l’intro de Genesis.
Electronic Meditation n’est pas un album facile à apprivoiser. On me dirait que c’est une symphonique
cacophonique que j’acquiescerais. Par contre on sent clairement l’influence d’un Pink Floyd de l’ère A
Saucerful of Secrets et Ummagumma.Mais plus loin dans les détails, on entend clairement les premiers pas de
Rubycon et Phaedra. Un gros 4 boules, mais je suis sûr que les fans de la 1ière heure vont rehausser le boulier
:-)
Note : 4/6
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KING TUBBY : King Tubby meets Roots Radics / Dangerous Dub
Chronique réalisée par dariev stands
C’est un peu, je l’avoue, pour contrer cette légende urbaine souvent relayée que j’attaque la montagne dub par
le versant King Tubby : non, Lee ‘Scratch’ Perry n’est pas l’inventeur du genre, même si sa discographie sera
elle aussi épluchée ici même avec minutie (drôle de dédale…). King Tubby fut le premier, à la toute fin des
années 60, à expérimenter ce genre de sons en Soundsystem, bien qu'il se soit spécialisé dans la relecture de
chansons, ou plutôt de "riddims" déjà existants. C’est après sa (més)aventure à New-York (gunshots in the
dancehalls, dit le livret, on dirait un titre des specials…) qu’il enregistra les morceaux de ce disque, avec son
groupe maison, les Roots Radics – vétérans du circuit Dancehall - épaulé par son label "Sharp Axe". Le résultat
s’appelle Dangerous Dub, en hommage au ghetto de West Kingston dans lequel se trouvait le bunker de Tubby,
duquel il ne faisait pas bon sortir après minuit, à priori… On est donc convié a découvrir un dub ultra basique
(ni cuivres, ni voix), véritable définition des bases du genre (même si Tubby a enregistré pas mal de trucs avant
celui-là), agrémenté de quelques perles un peu plus barrées de la tête en bonus. Tâte donc de ces basses
profondes et vibrionnantes sur Hungry Belly Dub, relecture de "Bandulo", un vieux reggae. D’autres classiques
du genre sont ici remodelés en studio (en laboratoire, est on tenté d’écrire), comme Heavenless, sous le titre Up
Town Special, et Shank-I-Sheck, devenu Earthquake Shake. Ok, ce dub-là n’est pas encore tout à fait sombre,
mais niveau expérimental, il faut déguster la mandale dans la gueule qu’est London Bridge Special et ses
fulgurances de percussions compressées et "délayées" par un Jah Screw en grande forme, acolyte de Tubby
ayant semble-t-il été plus royaliste que le Roi sur ce disque (comprenez qu’il semble avoir joué un rôle plus
important que le maître himself). Ça s’écoute bien fort tout ça, pour mieux se laisser surprendre par les effets.
La basse de Flabba Holt est la définition même d’une basse dub : coulante, puissante, massant nos oreilles sur
un tapis de percussions et de claviers reggae torturés par les effets de studio imposés par le producteur. Il faut
l’écouter, cette basse, littéralement chanter sur Rice Grain Rock, et imposer son roulement continu sur tout
l’album. Quitte à ne pas échapper au plus grand travers du dub "classique" : la répétition. Beaucoup de
morceaux se ressemblent à s’y méprendre, ce qui n’est pas forcément un mal pour l’auditeur pris dans le trip
limite autiste de cette musique. L’occasion de se rappeler que ces morceaux ont été pensés pour servir
d’instrus aux grands toasters de ce monde comme U-Roy, avant d’être regroupés en album…
Note : 4/6
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CYRUS : Inversion
Chronique réalisée par dariev stands
Etat civil : Mark Ernestus et Moritz Von Oswald. Nationalité : Allemande. Nom de code : Cyrus. Label : Basic
Channel. C’est sur le modèle des radicaux Underground Resistance de Detroit que s’est construit la nébuleuse
Basic Channel, dans l’autre capitale de la techno (Berlin). Pas d’apparitions publiques, pas d’interviews, peu de
visuels, et de multiples sous-labels pour brouiller les pistes, en réalité commandés par les deux mêmes
personnes (Chain Reaction, Rhythm & Sound, Maurizio et Burial Mix). Si le message politique est absent pour
ces deux blanc becs discrets, ils peuvent se vanter d’égaler la bande à Mad Mike niveau influence souterraine à
long terme. On parle même de contamination ici, tant cette musique semble corrompue par un champignon qui
se serait logé dans les sillons mêmes du vynile. Là où les pionniers de Detroit et Chicago sous-traitaient
eux-mêmes la fabrication en usine de leur maxis, utilisant tout le caoutchouc qui leur tombait sous la main
comme matière première, Basic Channel cultive volontairement des maxis au son boursouflé, malade, prévu
pour évoluer et pour gagner en grain en vieillissant. L’importance des craquements et du souffle, omniprésents
ici, explique pourquoi ils tenaient à tout pris à favoriser le format vynile, le cd mettant à la trappe tout ce travail
sur la densité du son. Paradoxalement, c’est sur un système de son performant que le son Basic Channel
prendra toute sa profondeur. En fait de morceaux, on parlerait plus ici de boucles répétées ad libitum, autant
qu’il reste de la place sur le maxi. Inversion est l’un des titres les plus noirs du label, vibration non identifiée,
extra-terrestre, striée de 909. Presence se révèle d’emblée plus accessible que cette ténébreuse face A. On y
retrouve les résidus de claviers clairs issus du dub chers au duo, qui brillaient par leur absence (d’où le titre ?)
sur Inversion. Sauf que le début d’harmonie esquissé ici finit par sonner faux lors de la deuxième moitié de la
track, comme si sa vitesse avait été légèrement altérée, le tout sur fond de percussions en crécelle
ininterrompues, comme une pluie extrêmement dense entendue à travers un vieux téléphone. Les deux titres,
précisons-le, figurent en version éditée sur les deux compils cd de Basic Channel, Presence sur la blanche, la
1ere, et Inversion sur la noire, sortie plus récemment. A écouter, ne serait-ce que pour découvrir la
transcription musicale du mot "ascétique".
Note : 4/6
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69db : Dragoon dub
Chronique réalisée par dariev stands
Il est assez facile de deviner, à l’écoute de ce Dragoon Dub, le défi que s’était fixé 69db (ex-Spiral Tribe, si si)
lors de sa conception : usiner un dub qui se danserait, un dub pour fin de free parties, durci aux beats glacés
posés à même les basses fumantes, sans autre couche intermédiaire que quelques effets pyrotechniques. Les
morceaux sont longs, taillés pour la piste de danse, sauf quand il se parent de trop de breaks pour être
honnête, mais des bombinettes comme Sunglasses for a Rainy Day et Givin’up to time ne pardonnent pas aux
mollets travoltesques. Ça joue serré comme dans un bon vieux electro-funk des années 80 (Afrika Bambaataa,
etc…), le tout avec un son numérique et moderne, sans oublier d’être crade, même si pour du dub on aurait
aimé un peu plus de grain. Don’t give up (remix) envoie de la drum’n’bass ultra sèche et efficace sur des
basses dub bien rondes, unissant ces deux musiques si proches, l’une résolument urbaine, l’autre plus
campagnarde et "roots". Evidemment, la mixture dub / électronique peut renvoyer à l’écurie Basic Channel, qui
est d’ailleurs quasiment invoquée sur le classieux très riche Look to the positive, plus downtempo, plus posé
que le reste du disque, qui était jusqu’ici assez foufou, sans prendre le temps de réellement développer son
propos. Il se coule par la suite dans une tranquille progression electronica, toujours gorgée d’effets mais hélas
pêchant par une trop grande linéarité. C’est d’autant plus dommage que 69db fait preuve d’une précision
chirurgicale et d’un art certain pour les basses caoutchouteuses à souhait (illustré par l’excellent Growing
Effect qui clôt le disque).
Note : 3/6
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VENETIAN SNARES : Sabbath dubs
Chronique réalisée par dariev stands
Je vous vois venir : "eh, c’est trop tard pour le poisson d’avril !". Eh bien sachez, tas de mécréants, que ce maxi
2 titres existe bel et bien. Oui, Aaron Funk, décidément soucieux de se montrer digne de son nom de famille, a
remixé pour vous 2 chansons de Black Sabbath, et pas des moindres ! L’hymne éponyme est ici transcendé, et
je pèse mes mots, et ultra dansable avec ça (les deux faces restent dans la soixantaine de BPM). La voix
mortifiasse d’Ozzy barbote dans un puits de reverb sans fond, c’est une vraie messe noire sub-aquatique, pour
sorcières amphibiennes vivant dans des cavernes océaniques. Le son est extraordinaire, spacieux, hanté,
délesté des riffs doom de Iommi mais lourdement chargé par les sons gabber chers à Venetian Snares. Toute la
dynamique et la progression de l’originale est respectée, mais c’est incontestablement un morceau de dub que
l’on écoute, planant et ultra-produit, quoique dépourvu de tout gimmick sonnant jamaïcain. A écouter au moins
une fois dans sa vie. Même traitement pour Electric Funeral, un peu moins convainquant quoique plus vicieux –
il faut entendre cette basse crapoteuse jouer le riff principal comme de l’eau tremblotante au fond d’un verre
durant un séisme. Dommage qu’il n’ait pas remixé Sweet Leaf, on était en plein dans le thème. Une preuve de
plus que le Canadien dissémine un humour féroce sur toute sa production, malgré ses disques un peu
"borderline". Le disque idéal pour rouler un pétard, au cas ou la pochette n’ait pas déjà été assez explicite.
Note : 5/6
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DUB SYNDICATE : Echomania
Chronique réalisée par dariev stands
On est parfois tenté, avec l’avalanche de musiques chiantes qui se réclament du genre en France, de se
prévaloir d’un ennui assuré en évitant soigneusement tout disque ou artiste contenant le mot "dub"…
Déplorable erreur. Le dub a été inventé en Jamaïque, et si, à l’instar du reggae, il s’est immédiatement exporté
(bien que totalement inexistant médiatiquement), il ne faut pas oublier que la petite île n’a jamais cessé de
produire d’excellentes galettes dub, au mépris des modes qui vont et qui viennent. Prenons ce Echomania,
production de 93 à l’emballage épuré et énigmatique (ça ressemble à une démo, mais c’en est très loin). Des
musiciens d’horizons très divers qui se retrouvent tous en Jamaïque pour enregistrer un album de dub pur,
seulement agrémenté d’une production et d’effets modernes. Presque pas d’électronique ici, mais quelques
invités surprise, comme le encore méconnu Talvin Singh - qui jouait des tablas partout où on le demandait à
l’époque - et le mc en colère Michael Franti (au flow posé sur No No, qui reprend le vieux reggae du même nom
de Dawn Penn) ; sans oublier le gourou Lee Scratch Perry, aussi vénéré que Halie Selassié soniquement
parlant, qui vient annôner de son accent jamaïcain reconnaissable entre mille sur Dubbing Psycho Thriller
(prononcer "thrillahhh") et Dubaddisababa (rien à voir avec le vieux classique des Skatalites). Le titre 2001 Love
étonne par son sample de voix "tonight let’s all make love in london" (issu d’un documentaire du même nom
sur le Pink Floyd et le londres psyché de 67, hommage ?) puis s’interrompt à mi-chemin pour un passage
incroyable de triturages concrets à la Lee Perry, typique du dub mais éternellement surprenant, à ranger non
loin du Bike de Pink Floyd, ce qui boucle la boucle ! Au final, un bien curieux mélange de synthés typés "early
nineties", de piano reggae pur et dur, de tablas au timbre intemporel, et d’effets de studio utilisant tout l’attirail
technologique disponible en 93… Accessible et extrêmement plaisant en cette vague de chaleur.
Note : 4/6
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LEE 'SCRATCH' PERRY : On the wire
Chronique réalisée par dariev stands
Pour clôturer cette petite session dub printanière, il fallait bien une chronique du géo trouvetout du genre,
souvent considéré (et avec raison) comme le saint-patron des transes enfumées et des dubs étirés sur de
longues minutes. Cet album rempli jusqu’à la moelle en regorge, contrairement à la plupart de ses travaux
cultes des années 70, d’où son intérêt, et d’où sa présence en guise d’intro de la tortueuse production
discographique de l’homme. Car On the Wire peut sembler un choix curieux : il s’agit d’un disque enregistré en
1988 - entre son album avec le Dub Syndicate et son exil en Suisse - mais jamais sorti, exhumé de l’oubli par
Trojan en 2000, longtemps après ce qui est jugé être l’age d’or de Lee Perry (en gros, avant qu’il ne foute le feu
à son studio Black Ark, en 83). Pourtant, On the Wire reste la mise en bouche idéale à l’univers du producteur.
Plein d’intros tarabiscotées, de passages oniriques, et de sons étrangers dont on ne sait pas toujours s’il s’agit
de samples ou de bruits captés en studio. Le son particulièrement clean pour du dub, et à fortiori du Lee Perry,
permet à l’auditeur novice d’apprivoiser ce foisonnement caché derrière l’apparente simplicité des morceaux…
Fin des années 80 oblige. Cela dit, à part un son de batterie il est vrai imbuvable et 80’s, pas de gimmick
rédhibitoire à l’horizon. La plupart des chansons n’en sont pas vraiment, on parle plutôt de longues transes
répétitives et hypnotiques, peuplées de sons bizarres, spectres tropicaux dont seul Perry a le secret. Exodus, la
deuxième piste, marque aussitôt l’esprit par sa relecture audacieuse du standard de Marley, auquel Perry n’a
pourtant pas participé… Le riff tourne en boucle, sublimé par sa science vaudou : idéal pour débuter le genre.
Les titres suivants se voudront plus guillerets, voire drôles (la voix du maître n’a jamais changée, toujours
aussi habitée et cartoonesque), avec une autre relecture d’un vieux Marley, moins intéressante (Keep on
Moving). Jusqu’à Seaside, la véritable chanson du disque, totalement irrésistible, qui vient couronner ce
sympathique album (pas le plus sombrex du bonhomme, ni représentatif, vous l’aurez compris) de dub
vaporeux mâtiné de reggae très chaloupé, marque de fabrique de l’école Perry, moins portée sur les basses
que son principal « rival », King Tubby. Un disque très « welcoming » comme on dirait en anglais. Quant à ceux
qui ne croient pas aux prédications de marabout du vieil homme, on leur dira seulement : ce disque a été
réédité par Sanctuary le 11 septembre 2001…
Note : 4/6
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ENO (Brian) : Apollo : Atmospheres and Soundtracks
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Il ne faut pas beaucoup de temps pour que l’alchimie s’opère : avec ‘Apollo’, on file instantanément dans les
étoiles. La force évocatrice de Brian Eno est telle que sa musique, si dépouillée soit-elle, provoque les sens de
façon totalement inédite ( du moins pour l’époque) et génère chez l’auditeur des images mentales nouvelles ou
connotées – car en l’occurrence il s’agit de bandes sonores destinées à accompagner des vidéos, cette fois
empruntes du mystère lié au voyage spatial. Eno comme tant d’autres faisait partie de ces jeunes rivés à leurs
écrans lors du premier pas de l’homme sur la Lune (1969) – mais il était déjà frustré par la quantité de
bavardage journalistique qui selon lui gâchait la beauté et la singularité du spectacle qui s’opérait devant les
yeux de millions de semblables. En 1982, Le cinéaste Al Reinert lui a alors proposé de composer la bande-son
d’un film uniquement constitué d’images des missions des navettes Apollo – sans aucune voix que les
interventions sporadiques des cosmonautes. Et c’est fort de son expérience acquise avec sa série « Ambient »
qu’Eno, accompagné de son frère Roger et de Daniel Lanois va composer une épure musicale de l’immensité
des paysages cosmologiques avec l’aide de ses synthétiseurs extrêmement traités et réverbérés, comme sur le
célèbre ‘An Ending’ et ses vocaux totalement irréels ou encore ‘Stars’, véritable ode spatiale d’une pureté
mélancolique à couper le souffle ; mais aussi des sonorités totalement inédites, parfois méconnaissables (le
traitement dark-ambient de grincements ou bandes comme sur ‘The Secret Place’), des nappes ultra-basses
rappelant les moteurs de fusée tel qu’on peut les imaginer faire vrombir les cabines des navettes… et surprise,
plusieurs adjonctions de guitares, ce qui m’amène à parler de la seconde partie et du quatuor un peu particulier
allant de ‘Silver Morning’ à ‘Always Returning’ qui avec leurs sonorités country type ‘cow-boy dans l’espace’
détonnent un peu par rapport à la première moitié. Selon Eno, ce côté « à la conquête de l’Ouest » était voulu
pour justement faire l’analogie avec la découverte de l’inconnu, qu’il soit géographique ou spatial, tel un
hommage aux pionniers de tous types… si cette explication m’a paru un brin facile (surtout connaissant la
pertinence du bonhomme en temps normal), force est d’avouer qu’elle ne jure pas de trop, évitant peut-être à
l’album de s’enliser dans une seule formule. D’autant qu’il revient à la charge sur son final dont il a déjà été
question. Si les ingrédients de base étaient déjà tous connus, Eno nous prouve avec ‘Apollo’ si besoin était
toute l’étendue des possibilité de l’ambient – ce qui amènera un paquet de monde à courir derrière cet album,
qui allié à Ambient 4 esquissent à eux deux les discographies d’un bon paquet d’artistes, de Robert Rich à
Deathprod en passant par Biosphere, Alio Die… ainsi que Coil, et maintenant qu’‘Apollo’ a atterri dans la base
du site, je vais enfin pouvoir parler sérieusement de leur cycle offert aux phases du soleil.
Note : 5/6
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COIL : Spring Equinox
Chronique réalisée par Wotzenknecht
A l’aube du printemps de 1998, un objet étrange arrive dans les circuits de distribution de World Serpent : le
premier mini-album de Coil dédié aux phases saisonnières. ‘Spring Equinox’ resterait donc disponible à la
vente jusqu’à l'équinoxe de 1999, puis viendrait l'offrande pour le solstice d'été disponible durant un an et ainsi
de suite. ‘Time Machines’ venant de sortir ainsi que peu de temps avant, l’étrange ‘Black Light District’, Coil a
décidé d’inscrire cet EP dans la même veine éthérée, mais ici plus proche d’’Apollo’ de Brian Eno dans une
version totalement mystique. Les deux plages n’en font qu’une (pas de nomenclature, drones identiques), la
première laissant l’auditeur se perdre dans ses multitudes de couches superposées d’orgue électronique
surplombant des vocalises monotones rappelant sans rougir certains rituels tibétains ; et sur la seconde une
guitare discrète vient s’ajouter au mélange, mais c’est surtout la participation bienvenue des cordes du violon
électrique de Bill Breeze (que l’on aura le plaisir de réentendre par la suite) qui fait la différence puisqu’elle
viennent surélever la hauteur déjà astrale de ces drones hallucinés. Malgré sa singularité totale, ‘Spring
Equinox’ restera une ouverture du cycle un brin trop courte, mais laissant augurer le meilleur – et qui tiendra
cette promesse.
Note : 4/6
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COIL : Summer Solstice
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Le 21 juin, le soleil est au plus haut de sa révolution et c’est là que la nuit est la plus courte. C’est aussi
l’occasion de célébrer le solstice d’été sous des augures plus ardentes que l’équinoxe de printemps. ‘Bee
Stings’ commence sur une ligne de violon électrique, John récite un texte qui m’échappe totalement, surtout
que celui-ci se brouille en effets et filtres divers tandis qu’un rythme semblable à un battement cardiaque vient
s’ajouter dans la ronde. Retour aux musiques astrales expérimentales avec le très complexe
‘Glowworms/Waveforms’ presque atonal et rempli de grésillements divers tandis que John et un drone pressant
se partagent le haut de l’affiche – glitch spatial poétique ? Une des mes pièces préférées, sinon MA préférée de
tout le cycle, j’ai nommé ‘Summer Substructures’ nous emmène très haut dans les étoiles, une nuit d’été où le
ciel est dégagé et les structures stellaires totalement visibles – la voix spectrale de John plane cette fois entre
mille réverbérations et les réponses du violon – sa voix est telle qu’elle le sera sur The Dreamer is Still Asleep,
sauf qu’elle est ici déphasée, perdue dans l’espace, sans point focal, en pleine dérive… et dire qu’après cela,
certains me demandent encore pourquoi je considère l’astrophysique comme une religion… le retour à la
réalité se fait de façon brutale et désagréable avec le brasier solaire de ‘A Warning from the Sun (for Fritz)’,
aussi bruitiste et irritant que le titre précédent était cosmique et calme et dédié à un ami s’étant donné la mort
en mai de l’année en question. Mieux vaut le considérer comme un coup de soleil (le titre, pas l’ami) car sinon
j’aurai peine à le considérer dans son contraste avec le reste. Plus que trois mois avant l’équinoxe de
l’automne…
Note : 5/6
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COIL : Autumn Equinox
Chronique réalisée par Wotzenknecht
L’été touche à sa fin, le vent apporte son lot d’esprits venant reprendre le contrôle des Nuits et c’est par un
appel totalement extraterrestre que s’ouvre ce mini – un son électronique granouillant (je n’ai pas trouvé mieux)
offre un pont entre quelques incantations et un cri sylvestre semblant venir d’un animal sacré indien qui
annoncerait la nouvelle à toute la Nature. Second titre, l’ambiance change drastiquement – une lettre d’amour
de John pour Rose, totalement éthéré, entouré de mélodies descendantes et de voix hachurées donnant à
l’ensemble une teinte funèbre mais lumineuse, envoûtant à souhait, et proche des sonorités des ‘Musick to play
in the Dark alors à venir. « Let’s see which way the Winter Wind blows... » Le vent et l’espace, voilà ce qui
remplit le titre ‘Switches’ qui bien que ne faisant pas l’unanimité par son côté très dépouillé m'asphyxie
pleinement à chaque écoute – à décrire, c’est une espèce de couloir aérien grisâtre et indéterminé dans lequel
s’opèrent une série de compressions/décompressions sonores brutales qui nous mènent à ce monstrueux
‘Auto-Asphyxiating Hierophant’ dont la grandeur toute lovecraftienne n’a d’égale que son inquiétante étrangeté
– Sur un tambour piétinant, Rose et John semblent réciter quelque chose au téléphone avec la ferveur d’un
David Tibet parlant d’apocalypse tandis que des dissonances de violon alourdissent un ciel pourpre, orageux,
menaçant… mais le ciel finit par se dégager et c’est en toute quiétude que l’on termine le voyage cosmique par
une nouvelle pièce qui rappelle furieusement ‘Apollo’ (vous comprenez à présent pourquoi il fallait que j’en
parle avant cette série…), j’ai nommé le splendide hybride électro-acoustique ‘Amethyst Deceivers’ qui sera le
mycète le plus réinterprété en live, et qui réapparaîtra sous une mouture encore plus addictive sur ‘The Ape of
Naples’. Une ligne de basse roule en fond tandis qu’une guitare dont les vibrations sont extrêmement précises
nous emporte dans un univers nocturne calme, entouré d’un synthé et de notre couple vocal hachés menus
sous les effets psychédéliques… rhaaa…
Note : 5/6
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COIL : Winter Solstice
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Toutes les belles choses ont une fin, et malgré le retard dans la distribution c’était bien au solstice d’hiver de
1998 que cet EP était dédié – Les chœurs d’enfant du ‘White Rai119ow’ esquissent quant à eux les traits de
‘Musick to play in the Dark’ avant de se faire décomposer par des effets psychédéliques prenant le pas sur le
morceau jusqu’à le réduire à un chaos absolu. ‘North’ est sans doute le morceau le plus difficile d’accès, étant
essentiellement composé de superpositions de sons ralentis jusqu’à en faire trembler les ondes dans leurs
intervalles. Ca cogne de façon rythmée comme ça le fera sur ‘The Restitution of Decayed Intelligence II’, c’est à
dire inéluctablement mais un peu platement une fois que l’on a cerné le mode opératoire. Retour aux drones
mystiques de l’équinoxe du printemps pour ‘Magnetic North’ qui reprend la formule du son quasi-statique
autour duquel gravitent la voix de John et quelques glitchs et autres mélodies éparses – cette fois avec un
feeling beaucoup plus glacial, hiver oblige, avec notamment plein de petits cliquetis et l’usage d’une voix moins
gutturale et plus murmurée. On a même le droit à un cantique de Noël, extrêmement proche de ce que fera
Fovea Hex un peu plus tard – des chœurs féminins superposés, sur fond de drones religieux… Ainsi s’achève
ce cycle cosmologique dont les contrastes et la variété laisse pantois, Coil prouvant si besoin était sa capacité
à se renouveler à chaque sortie sans jamais trahir la profonde magie inhérente à leur musique – après tout,
John Balance ne vouait-il pas déjà un culte à la Lune depuis son enfance ?
Note : 4/6
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COIL : Moon's Milk (in four phases)
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Les dieux l’ont rêvé, Coil l’a fait : Rééditer son cycle saisonnier de 1998 en un seul double digipack comprenant
donc ‘Spring Equinox’ et ‘Summer Solstice’ sur un CD, ‘Autumn Equinox’ et ‘Winter Solstice’ sur l’autre
(référez-vous aux chroniques distinctes pour en savoir plus). Ajoutez à cela une bonus track à la fin du premier
(en l’occurrence, une des nombreuses version live d’’Amethyst Deceivers’), de bien beaux visuels abstraits et
un prix ridiculement élevé (rareté oblige) sur toutes les bonnes plateformes de commerce en ligne et vous
saurez à quel point cet objet est à posséder absolument du moins pour ceux qui ne possèdent pas déjà la série
en CDs individuels, ne serait-ce que par confort ; c’est toujours plus pratique de tout avoir sur un double que
de courir après ses Eps et jongler d’un CD à l’autre… sans compter les trois cent et quelques chanceux qui
l’ont eu à l’époque avec un bonus disc, apparaissant aujourd’hui sur eBay aussi souvent que la comète de
Halley dans le ciel...
Note : 6/6
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COIL : Moon's Milk (in four phases) bonus disc
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Le cinquième EP de la quadrilogie... mystérieux CDr fourni uniquement avec la réédition des ‘Moon’s Milk in
Four Phases’ vendues sur la mailorder de Coil dont les malheureux acheteurs ont du attendre trois mois avant
de le voir pointer son nez, ce bonus disc tient pourtant toutes ses promesses de clôture grandiose dans la
même veine que les précédents, mais dans une version plus leste et étalée – seul ‘Copal’ nous ramène aux
pièces plus rituelles des débuts, impossible de ne pas penser à ‘How to Destroy Angels’ dans une version plus
visuelle, moins abstraite – mon dieu, ces réverbérations infinies - "Looking upon it with a sense of dread…"
nous entonne Balance avant de surgir de l’autre enceinte quelques secondes plus tard - "Gazing upon it with a
sense of dread… - il continuera à nous parler de cuisson d’oiseaux, à faire des bruits de mastication, avant de
nous laisser choir dans les résonances de cymbales qui n’en finissent plus. ‘The Coppice Meat’ nous ramène
au violon électrique de Bill Breeze mélangé à un synthé immense et statique, sur lequel John récite une
superbe prose d’Angus MacLise. Retour dans le cosmos avec ‘Ü pel’ purement instrumental rappelant les
digressions spatiales de l’électronique des années 70, sur lequel le violon revient pour un phrasé tremblotant,
hasardeux, sublime car à deux doigts du faux pas – tout cela convergera vers un final tout en douceur
rappelant Autechre dans cette façon de peaufiner ses sorties… on ressort de ce petit bijou plus qu’émerveillé :
je dirai simplement grandi.
Note : 5/6
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THEATRE OF ICE : Life is a wild and scarey thing
Chronique réalisée par Twilight
1978, Les Bleeding Hearts se forment dans le Nevada autour des frères Johnson; leur spécialité ? Un intérêt
marqué pour tout ce qui touche l'horreur. D'ailleurs, vite rebaptisés Theater of ice, ils enregistreront près de la
moitié de leurs albums dans des maisons ou des lieux hantés jusqu'en 1985 où le groupe envisage de splitter,
non sans avoir bouté le feu à leurs feuilles de paroles, bandes et autres photos liées à leur travail. Bien que
certains de leurs frères aient déménagé dans d'autres états, Brent (le chanteur) et Johnny (le guitariste),
encouragés par les ventes de leur ultime opus, prolongeront la formation. J'arrête-là l'historique mais vous
aurez compris que nous tenons-là une authentique bande de passionnés (fêlés ?). Certains voient en eux les
précurseurs du deathrock, les musiciens se déclarant à la base plutôt comme fan de Throbbing Gristle,
Chrome, Iron Butterfly (dont ils reprennent d'ailleurs 'Garden of Evil') ou Blue Oyster Cult. Cette passion dans
une démarche centrée autour du macabre évoque volontiers celle des Mighty Sphincter mais là s'arrête la
comparaison car musicalement les deux formations ne se ressemblent pas forcément. D'ailleurs, comment
définir Theatre of Ice musicalement, eux qui n'ont cessé de varier les approches autour de la même philosophie
? Ce n'est pas cette excellente compilation qui répondra à cette question puisque nous trouvons aussi bien des
ambiances cold wave ('A cool dark place') que deathrock (l'excellent 'Bonfire', ma favorite), sans oublier un 'El
soundo mondo' très orienté mariachi ou 'Theatre of ice' plus expérimental avec ses collages d'extraits de films,
ses bruits bizarres, ses voix déformées et son climat hanté. Ajoutez dans tout cela des touches gothabilly, des
pointes de hard rock et quelques moments plus calmes ('Christina') mais ça ne suffira pas car malgré la
diversité des approches musicales, on sent à chaque fois la spécificité de l'univers Theatre of Ice. D'ailleurs en
dehors de la reprise de Iron Butterfly, on en trouve une autre des Residents, ce qui ne surprend pas
foncièrement, et une des Who...Si certaines pièces dégagent un feeling glauque, d'autres sonnent plutôt
barrées et mordantes que véritablement sombres, mais est-on jamais sûr ? Bref, Theatre of Ice, un groupe
atypique mais passionnant, culte dans son genre puisque forcément ses albums ne sont pas évidents à trouver
à moins de commander aux USA, mais aussi un homme passionné, Brent Johnson, qui a surmonté les
changements de line-up, les événements bizarres autour de son combo (les lumières qui s'éteignent et des
gémissements qui s'élèvent alors que Theatre of Ice donne un concert près d'un ancien abattoir, des fans
hardocre qui enlève le musiciens,...) pour suivre encore les mêmes thématiques autour de l'au-delà et le
macabre. Personnellement, je suis fan et je ne puis que recommander cette croustillante compilation qui
propose une belle sélection des possibilités du groupe...Pas de doute, il y a du fantôme dans ses notes-là, mon
bon monsieur.
Note : 5/6
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HARLOTS OF BEYOND : Lake of faeries
Chronique réalisée par Twilight
Qu'arrive-t-il lorsqu'un groupe goth old school se laisse rattraper par ses influences Stooges ? Un album de
blues punk gras et sombre parcouru de-ci de-là de frissons gothiques, voir psychédéliques...Les Finlandais de
Harlots of Beyond totalisent déjà pas mal d'années de carrière au compteur mais relativement peu
d'enregistrements et 'Lake of faeries' compte comme leur premier cd. Le premier élément qui frappe, c'est le
chant de Aarnie Lehtinen, sorte de croisement entre Jim Thirlwell (Foetus) et John Neff (Bluebob); viennent
ensuite ces étranges orchestrations bluesy torves et lancinantes qui évoquent justement certains relents de
Bluebob, se faisant tour à tour plus enragées ou plus expérimentales. Ca sent l'authentique, les baraques en
planches, les rues poussiéreuses, les bordels miteux et les bars louches...probablement le travail soigné sur
les atmosphères, qu'il s'agisse des orgues psychédéliques de 'Castillo de Naipes', des bruits bizarres (des
drogues ?) et des feulements de guitare de l'instrumental 'L'Escalier du Paradis')...le côté punk rock blues avec
guitares sales et choeurs féminins évoquant également volontiers Dead Moon; l'héritage gothic rock, peu
présent, se rappelant à notre bon souvenir sur 'Midget throwing contest'. Sûr qu'avec une pochette pareille, on
n'attendait pas forcément ce genre de sonorités mais force est de reconnaître que le tout sonne cohérent,
spontané...Une musique écorchée et mystique suggérant les belles heures des Stooges, des Dead Boys, de
Johnny Cash, voir même Tom Waits ou les Cramps à déguster le soir avec une bonne bouteille de gnôle.
Note : 4/6
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HARLOTS OF BEYOND : Castillo de Naipes
Chronique réalisée par Twilight
Comme j'ai commandé mon exemplaire de leur album, 'Lake of faeries', directement en Finlande, j'ai profité
d'inclure dans mon paquet ce mini sorti l'an dernier. En réalité, cet achat est plus que dispensable. On trouve
en introduction, une pièce instrumentale courte, plutôt ambient, pas désagréable certes mais bon, elle donne
faim plutôt que de nourrir...d'autant que suit un autre instrumental, 'Deus ex Machina' qui susciterait de ma part
les mêmes commentaires: un rythme légèrement tribal, des effets de guitare, le tout très court. 'Castillo de
Napipes' est déjà présent sur l'album. La seule nouveauté est 'Hijos de puta', titre plus dispensable, très punk
dans la mélodie, presque black metal sur la voix, très chaotique et sans intérêt. Franchement, je ne vois pas la
raison d'être de cette sortie qui ne dure pas même dix minutes et qui sent le remplissage à plein nez; exprimer
l'amour de Aarni Lehtinen pour l'Espagne ? On le savait déjà...
Note : 2/6
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COMPILATIONS - DIVERS : Goa Spirit 2 : Hard Psychedelic Trance
Chronique réalisée par Wotzenknecht
Sur Guts of Darkness, la trance goa sait se faire discrète. Quatre disques du genre chroniqués en deux ans, on
peut dire que j'élague... mais quand elle y est, elle frappe fort. Allons-y gaiement : ‘Goa spirit 2’ est la meilleure
compilation goa que vous ne pourrez jamais trouver. Pas un seul titre moins que très bon, certains dépassant
l’excellence – c’est dans leur richesse et leur capacité à nous emmener très haut, très vite et très loin avec des
éléments connus d’avance (titres longs et rapides, rythmique trance en 16/4 et 32/4, TB-303, TR-909, nappes
mélodiques et effets psychédéliques en pagaille) que leur qualité peut se juger. Organique, spatial, ascendant,
sans relâche – le rythme est lancé dès le premier titre d’Infernal Machine (derrière ce nom se cachent
Hallucinogen & Green Nuns of the Revolution, excusez du peu), après une étrange intro faite d’une vieille
chansonnette hachée – et la qualité va crescendo, depuis le titre magique de Shakta & Moonweed sur fond de
raga, celui plus stable de Sheyba ou les digressions plus psytrance (moins de mélodies, plus d’acid) de Shakta
en solo (‘Amber Mantra’, tunnel psychédélique crépusculaire) jusqu’au monstrueux et relativement connu ‘Acid
Tester’ d’Ominus avec ses ponts de malade en montagnes russes de hi-hat – « Sounds become disengaged ».
Un peu en deçà dans ce premier CD, Der Dritte Raum totalement atonal, tournant uniquement sur un kick/bass
et des congas… Le second CD part déjà gagnant avec le gigantesque voyage d’Etnica, fidèle à sa qualité
constante – c’est sans compter sur les valeurs sûres telles que Doof qui nous offre deux histoires totalement
différentes mais tout aussi envoûtantes, ‘Born Again’ flirtant même avec la hard trance. Retour dans l’espace
avec l’enchaînement implacable d’Unconscious Collective, proche des premières années de la goa, plus
mélodique que réellement impétueux et le second titre d’Infernal Machine qui lui file tout droit vers les étoiles
dans un mouvement ascensionnel inexorable – vol en croisière avec X-Dream et l’inarrêtable ‘Elektron Bender’
de Technossomy – ce n’est qu’Astral Projection, projet le plus célèbre de trance goa mais toujours un peu plus
simpliste et cheesy que tant d’autres qui nous rappelle à notre propre condition pour mieux nous abandonner à
nouveau dans ‘Brain in the Box’ de Chakra qui quant à lui nous projette définitivement haut, haut, vers d’autres
horizons où le temps, l’espace et Dieu ne font plus qu’un avec notre être pulvérisé : Hard. Psychedelic. Trance.
Note : 6/6
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BARDO POND : Dragonfly
Chronique réalisée par dariev stands
Bardo Pond est un sacré groupe de crevards psychédéliques. Du genre de ceux qui poussent le genre dans ses
derniers retranchements, sans aucun respect pour vos pauvres petits neurones émoustillés. Là où le Brian
Jonestown Massacre marie Shoegaze avec acid rock west coast et folk prophétique des 60’s, Bardo Pond
propose un mariage de force : cette petite vierge effarouchée de shoegaze se voit maquée avec toute la smala
des bâtards du psychédélisme : space rock 70’s, dreampop saturée des années 80, stoner sans rémission des
années 90, tout y passe. J’aurai pu vous parler de l’épastrouillant album Amanita, de 96. Mais j’ai choisi de
commencer en douceur avec ce single sorti en 94, alors que le monde n’avait que peu d’intérêt pour ce genre
de loufdingues. La recette du son bardo pond est déjà là : un même riff répété jusqu’à plus soif, puis tordu et
gondolé à volonté, contre lesquels vient se lover la voix sensuelle, vénéneuse, diaphane et surtout …
DEFONCEE de la chanteuse, qui pose direct l’ambiance sur un Dragonfly qui coule dans nos oreilles comme un
nectar insalubre mais divin. Blues Tune porte fort bien son nom : il s’agit d’une reprise d’un vieux blues, mais
eux ne se rappellent plus duquel il s’agit (trop spaced out…), et franchement, nous non plus. Ça riffe mastoc, le
batteur fait du freeform tranquillement, et le feeling bluesy est bel et bien là, enterré sous les tonnes d’effets…
Sur un morceau comme ça, Bardo Pond est au blues ce que Eyehategod est au hardcore : une version
ultra-barrée, traînant un lourd cortège de tumeurs derrière-elle, un truc hallucinant, à ne plus retrouver ses
petits. Et dire que pendant ce temps-là, on nous rabâche les oreilles avec Mazzy Star.
Note : 4/6
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DARLINGS' CABINET OF SUNDRY HORROR : S/t
Chronique réalisée par dariev stands
Derrière ce patronyme ubuesque à la Eighties B-line Matchbox Disaster (qu’ils peuvent rappeler à l’occasion) se
cache une toute jeune et fringante formation américaine, qui se réclame de groupes en périphérie du genre
gothique comme les Birthday party, les Cramps, où encore les Violent Femmes. Une chose est sûre : ils
méritent de faire parler d’eux, avec leurs chansons ouvertement bâties autour d’un orgue d’halloween au son
chaleureux et pittoresque, limite 60’s… C’est au magasin Ciel Rouge que je dois cette étonnante découverte,
symbole d’une scène goth US éternellement vibrante et vivace. Le début du cd séduit immédiatement de par
son emphase théâtrale et ce fameux son d’orgue poussé à son paroxysme… Un clapotis de machine à écrire
sert de canevas rythmique à The knives are out tonight, qui incorpore cris de ghoules apeurées dans une
ambiance film d’horreur bon enfant.
I am the blackest of plagues cumule un beat afro à la Adam & The Ants avec la démesure d’une voix à la Nick
Cave (voire Jon Spencer !) qui mue instantanément en jeune punkette sous amphés (du coup on pense à Pussy
Galore, gagné !). Tous les titres sont réussis, entre jerk hanté et humour caverneux, non sans rappeler la
juvénile ardeur des groupes post-punks à synthés/claviers qui éclosent en ce moment un peu partout (au nord
de l’angleterre aussi). Une savoureuse démo, certes pas encore mûre au niveau du songwriting, mais qui
promet pas mal de futures aventures aux pays des nouvelles de Irving Washington et Edgar Allan Poe…
Note : 4/6
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BIONIGHT : THE ART OF FRIENDSHIP
Chronique réalisée par Phaedream
Après un excellent premier opus en Egoheart, Bionight s’est engouffré dans un style plus ésotérique, plus près
du New Age. The Art of Friendship, 5ième opus du duo Italien, réinstalle Bionight sur les origines
d’Egoheart….avec une touche plus romantique et une rythmique plus endiablée. Premier album d’une trilogie,
The Art of Friendship entrecroise les styles qui vont de l’électronique lourd, mélodieux à saveur prog rock, par
moment très rock, avec un faible zest d’une Berlin School refoulée dans ses bastions miroitants.
Angélique, Visione ouvre sur de fins chœurs cosmiques qui se moulent à un beau mouvement séquentiel aux
cadences altérées par des rythmes impromptus. Un titre étrange, difficile à cerner qui transcende les frontières
d’une MÉ moderne avec de lointains effluves d’une Berlin School. The Art of Friendship démarre en douceur.
De fins arpèges solitaires faisant la cour au cosmos, avec de beaux arrangements orchestraux. Une orgue
fantomatique mord cette berceuse sur un lourd mouvement séquentiel. La batterie explose et le synthé épouse
les formes d’une guitare aux riffs lourds et traînants, enjoignant un cercle synthétisé d’une lourdeur sauvage et
très rock. Du Deep Purple électronique. Meditation in Yosemity rejoint un peu plus les terroirs d’une MÉ. Une
belle intro où les accords scintillent sur un séquenceur gambadeur. Entre le rythme et l’atmosphérique, le
mouvement reste ambiguë et conserve une beauté chimérique qui évolue sur un rythme plus insistant, sans
jamais s’évader de son sentier rêvasseur. Complexe et beau, c’est un des titres qui se rapprochent le plus près
d’une Berlin School aux intonations entre Schulze et TD. Avec un titre semblable, on doit s’attendre à ce que
Magma chauffe la cabane. Eh bien c’est le cas. Lourd tourbillon séquencé qui tourbillonne sur un clavier aux
accords nerveux, Magma est d’une lourdeur cataclysmique, mais conserve toujours cette approche mélodieuse
qui est si chère à nos compères Italiens. J’aime bien la fonte de l’énergie magmatique qui se calme sous de
fines notes d’une harpe désillusionnée et d’un synthé agonisant. Lourd, étourdissant et puissant Magma
démontre toute la puissance sonore de Bionight. Sorridimi est dans la même veine, quoique moins tempétueux
et plus exalté. Léger Apnea sautille avec des accords cristallins ceinturés d’un synthé à la fois lyrique et
méphistique. Une cadence en cascade qui tourbillonne comme un véritable carrousel aux prismes poétiques.
Crystal Mist est à l’image de son titre. Un brouillard de cristal qui s’évapore doucement au travers maints
arpèges aux harmonies romanesques. Beau, parfait pour se laisser séduire par les souffles de Morphée. On
ferme les yeux et on se laisse transporter par une vague cosmique teintée d’une nostalgie qui remue de vieilles
cendres. J’aime bien ce retour de Bionight dans les cercles magiques de la MÉ. Sans être un album génial The
Art of Friendship réunit tous les éléments d’un album idéal pour tenter les oreilles vers un nouvel art musical.
Un beau 4 boules.
Note : 4/6
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BIONIGHT : THE RAIN IS OVER
Chronique réalisée par Phaedream
Deuxième album de la trilogie Bionight, The Rain is Over continue là où The Art of Friendship s’était arrêté.
Une intro lugubre aux ondes réverbérantes ouvre Ice. Fantomatique, le synthé accentue l’effet d’inquiétude qui
se fractionne sur des séquences nerveuses, donnant un rythme chaotique à un titre qui n’a rien de glacial.
Synthé enveloppant, chassant l’effet spectral initial, et percussions avalanchées, Ice bouscule le rythme sur
une approche prog rock avec de gros solos de guitares synthétisées. Triste et nostalgique, The Rain is Over
nous amène totalement à l’opposé de l’explosive entrée qu’est Ice. Une belle mélodie qui flotte sur des arpèges
en spirales et un synthé flûté et lyrique, qui effleure un petit côté légèrement chthonien teinté d’un effluve
orientale. Un beau morceau tendre où le mellotron est particulièrement mouvant. Si le côté oriental vous attire,
Mind Flight saura vous charmer, quoique je lui trouve un penchant nettement New Age. Alpha Circus se déroule
en cascade spiralée. Une douce danse aux accords hoquetés qui épousent une séquence avec une cadence en
cascade sur un synthé tendrement poétique. Doux tourbillon séquencé qui s’entortille sur un autre plus
synthétisée, drapant une texture sonore riche et mélodieuse, avec des effluves qui ressemblent à du TD des
années Miramar, solos de synthé en plus. Un très bon titre de MÉ. Sans réel mouvement Effort est digne d’un
orage électro statique électronique. Séquenceurs houleux sur synthés respectant une harmonie déchirée entre
l’abstrait et le concret, Effort finit par épouser une tangente valseuse imprévue qui en fait tout son charme. Un
autre beau moment sur The Rain is Over. After the Storm (Effort) nous plonge dans un univers ambiant où une
grosse orgue austère vogue dans un cosmos sombre. Lourd et teinté d’une obscurité lyrique, le mouvement se
draine dans les plaines galactiques. Charmant et planant. Walking Along the River est un autre étonnant
morceau qui frétille sur un séquenceur en cascade qui établit sa rythmique sur un axe sphéroïdal. Une ivresse
sonore qui tourbillonne sur un superbe synthé aux odes cosmiques, surpassant les rêveries de Tomita.
Superbe morceau. Une étrange marche militaire pave la voie à BIOhearT. Un synthé roucoule sur cette
déambulation hallucinatoire, ouvrant toute grandes les portes à une lourde séquence rotative qui enrobe le
mouvement d’une cascade ambulante. Percussions éparses, mellotron enveloppant sur synthé chaotique, le
duo Italien réussit à soutirer une mélodie de ce mouvement désordonné. Un autre petit bijou qui conclut l’album
le plus déroutant et complexe de Bionight.
The Rain is Over est un très bon album de MÉ et ça fait du bien d’entendre du Bionight aussi créatif et
audacieux. Ce duo Italien à l’art de séduire avec des compositions teintées de romantisme qui emprunte les
sentiers des années analogues, avec une touche avant-gardiste propre à la culture musicale Italienne. The Rain
is Over est tout simplement superbe.
Note : 5/6
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BIONIGHT : BACK TO ORION
Chronique réalisée par Phaedream
Back To Orion est le 3ième volet de la trilogie Bionight. Ici, comme sur The Rain is Over, les deux compères
offrent un album eurythmique où les effluves d’une Berlin School rétro marinent avec une modernité digitale et
une approche prog rock, sans jamais altérer la fusion d’une mélodie teintée d’un romantisme nostalgique qui
anime ces deux amis de longue date.
Les premiers accords de Return to Earth nous mettent en appétit. De fins arpèges hésitants flottent dans une
nébulosité synthétisée, avant de fondre en un mouvement séquentiel sphéroïdal où le rythme se moule à un
synthé harmonieux. Entre le cosmos poétique et les plaines désertiques d’un western spaghetti, Bionight
dessine une structure musicale semi cosmique, semi progressive. Percussions roulantes, synthés aux
vocalises éthérées et à la mélodie accrochante, Return to Orion ouvre Back to Orion avec harmonie et rythme.
Sinus Iridium est plus spatial. Un beau carrousel d’accords tournoie hypnotiquement, comme un doux boléro
cosmique, sur un synthé mélancolique. Statique, le mouvement n’en demeure pas moins intéressant jusqu’à ce
qu’une batterie et une lourde basse lui confère un mouvement sensuel saisissant sur un synthé aux souffles
fantomatiques. Un très beau morceau. Purement ambiant, Floating Thoughts coule avec une fantaisie cosmique
empreint de nostalgie. Moon Rocks porte bien son titre avec une solide approche rythmique où voix célestes
accompagnent un synthé harmonieux. Du Space Art version 2009. Un bon morceau qui attire l’attention assez
rapidement, tout comme le bouillant Falling et ses séquences névrotiques dans un univers cosmique bien
structuré. Plus complexe, Little Gravity multiplie les accords séquentiels en un tourbillon staccato, appuyé d’un
synthé aux souffles discrets. Une ligne de basse et des effets sonores cosmiques viennent enrober ce
mouvement statique qui fraye sur une séquence en cascade. Pièce épique de Back to Orion, Ride on the Moon
nous introduit dans les différentes sphères de la MÉ où le planant côtoie les rythmes percutants. Derrière un
synthé solitaire et ondulant se dessine une séquence aux sautillements frénétiques. Paradoxe rythmique
particulier, l’intro progresse au travers un synthé aux ondes symphoniques, cernées par une ligne de basse
assez ‘’bluesy’’ et des percussions débridées, alors que des chœurs mellotronnés tentent de percer cette
muraille sonore désordonnée. Nous sommes dans une sphère de jazz électronique qui, tranquillement,
s’atténue pour revisiter les voies spatiales et reprendre une rythmique plus pondérée mais toujours aussi
harmonieuse. Un beau 4 1/2 boules...
Note : 4/6
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EMBRYO : Life
Chronique réalisée par Hellman
Le seul album en concert que Embryo ait jamais publié au cours des années soixante-dix n'a pas fait l'objet
d'une réédition cd. En tout cas, pas à ma connaissance. Il s'appelait tout simplement "Live" et tentait de rendre
justice à sa manière aux compositions écrites par le groupe autour de "Surfin'" et "Apo-Calypso". Pari difficile
mais pas impossible quant on connaît le potentiel d'Embryo. Paru en 1977, il n'est toutefois pas à confondre
avec "Life", objet de la présente chronique, sorti, lui, trois ans plus tard et qui s'attarde plutôt sur les derniers
travaux du groupe au sortir de "Reise". Seul le fantastique "Cello Cello" aura les honneurs d'une interprétation
publique, les autres titres étant inédits. C'est, concrètement, la mise en pratique de la formidable émulation
qu'Embryo était parvenu à accomplir entre les quatre murs du studio dans le contexte d'un concert, face à un
public, conquis ne serait-ce déjà que par la démarche. Accompagné d'une douzaine de musiciens indiens, le
très emblématique Karnataka College of Percussions, le groupe allemand dissipe toutes dernières traces de
velleité pop. "Life" est un album de musique du monde, ça ne fait pas un pli. Et il enchantera tout
particulièrement les amoureux de musique indienne. Ou pour ceux qui ne s'y sont pas encore risqués, les
amateurs de Shakti. Des claquements des mains aux mantras typiques, en passant par les obligatoires tablas,
et l'épatant jeu de question/réponse ("Tala Tarangini"), tout y est. Sans la présence ponctuelle du vibraphone
de Christian Burchard, comme sur "Telisirama", ou du saxophone de Charlie Mariano ("Marokkanische
seeräuber"), il serait tout bonnement impossible de reconnaître Embryo. Un cas d'usurpation qui fait réfléchir.
Car, ce qu'il faut retenir, c'est que l'amour de Burchard pour les musiques du monde étant tellement sincère, et
l'homme tellement humble, qu'il aura été même jusqu'à sacrifier l'identité de son propre groupe pour mettre en
valeur les choses auxquelles il croit. Une attitude et une démarche qui forcent le respect.
Note : 5/6
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EMBRYO : La Blama Sparozzi
Chronique réalisée par Hellman
Étonnants Embryo qui, après "Reise", enchaînent avec un second double album d'affilée fin 1982 ; j'ai nommé
"La Blama Sparozzi" ! Peu de groupes se sont risqués à une entreprise aussi casse-gueule, tout bonnement
non viable sur un plan strictement commercial. Mais Embryo s'en moque, c'est évident. Tout comme pour son
illustre prédécesseur, Burchard préfère reculer pour mieux sauter et ainsi préparer le terrain à un album qui se
doit d'être ambitieux, nourri lui aussi des nombreux voyages qui emmèneront cette fois le groupe aux confins
de l'Afghanistan et au pied des pyramides de Gizeh. La barrière psychologique des années quatre-vingt a été
franchie et, avec elle, celle des sons synthétiques qui, ici, répondent aux normes alors en vigueur. Ainsi,
"Albart" ouvre cette nouvelle collection de chansons sur un format pop original, boîteux, étrange, où batterie
électronique et synthétiseurs prennent une place importante. Après "Reise" et l'impressionnant "Life", on aurait
pu croire que le groupe allemand allait s'enfoncer plus avant dans l'exploration des cultures étrangères dans un
souci de mimétisme poussé à son paroxysme. Mais "La Blama Sparozzi" s'évertue à en prendre l'exact
contrepied ! Même si le disque regorge lui aussi d'influences diverses, soutenu par une liste toujours aussi
impressionnante de musiciens, Embryo tente cette fois de faire sien des éléments caractéristiques de la
musique arabe pour l'inclure dans une musique décomplexée, peu soucieuse des critères de genres, mais
désormais bien loin de l'esthétique psychédélique ou jazz (quelques exceptions tout de même avec,
notamment, "Zapata Pasteta" ou "Cimbaleros" enregistré en concert à Munich). Les exemples abondent et la
collision des genres est, dans l'ensemble, plutôt réussie (à titre d'exemple, "Cimbalero" ou la plage titre).
Néanmoins, la relative distance avec laquelle tout cela est executé, le manque de chaleur évident induit par
certains passages instrumentaux, alors modernes mais qui sonnent aujourd'hui terriblement désuets, tout cela
donne une impression de fourre-tout pas toujours très cohérent, et relativement laborieux à s'enfiler d'une
seule traite. Avec "La Blama Sparozzi", Embryo s'approche peut-être sans le savoir du discours plus complexe
et intellectualisé tenu par quelques unes des plus importantes figures de la scène R.I.O., à commencer par les
suédois Samla Mammas Manna, voire leurs compatriotes Faust. Quoi qu'il en soit, on ne peut pas enlever à "La
Blama Sparozzi" la grande originalité dont il fait preuve. Un album, et un groupe, qui ne ressemblent
décidément à aucun autre.
Note : 4/6
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EMBRYO : For Eva
Chronique réalisée par Hellman
Dans la salve de rééditions dont a pu jouir Embryo par l'entremise du label espagnol Disconforme, certaines
publications constituent de véritables curiosités. Un des documents les plus extraordinaires est sans aucun
doute ce "For Eva", issu de concerts donnés par un quartette qui tournait alors en Allemagne et en Autriche.
On y retrouve un jeune Christian Burchard au seul vibraphone, et un autre de ses complices au sein du collectif
Amon Düül, ami de toujours, le batteur Dieter Serfas. En fonction des titres, la contrebasse est tenue par
Reinhard Knieper, Dieter Gewissler ou Lothar Meid, autre futur Amon Düül II. Et le pianiste, nul autre que Mal
Waldron. Oui, déjà. D'ailleurs, la présente formation tournait à l'époque sous le seul nom de Waldron ; ce n'est
que pour les besoins de cette réédition cd qu'on a cru bon présenter "For Eva" sous l'étendard d'Embryo. En
soi, c'est une erreur. En tout cas, cela nous permet de comprendre que les nombreuses connexions qui relient
Embryo à la scène jazz n'étaient pas purement fortuites et que si Burchard connaissait des gens comme
Waldron et, plus tard, Mariano, ce n'était pas par le seul fruit du hasard ; Burchard a joué pendant plus de deux
ans dans le quartette européen de Mal Waldron quand celui-ci décida de s'exiler en Allemagne d'abord, en
Belgique ensuite. Ce sont des choses qui comptent. Mais rapidement on s'aperçoit que ce disque de pur jazz
(sept des neufs titres de l'album sont signés par le pianiste américain) n'a absolument rien à voir avec l'univers
d'Embryo. Par la force des choses, on pense à Lionel Hampton ou mieux, à Walt Dickerson plutôt qu'à Bobby
Hutcherson, puisqu'il s'agit d'un jazz swing sans réel désir de franchir les barrières ou de briser les
conventions. Après cela, il sera difficile de nier l'évidence, "For Eva" rétablissant une vérité historique, même si
le moyen utilisé à cette fin n'était peut-être pas le plus approprié et risque à court terme de générer une certaine
confusion.
Note : 3/6
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EMBRYO : Invisible Documents
Chronique réalisée par Hellman
"Invisible Documents" vient combler le manque de témoignage en concert existant couvrant la période la plus
fabuleuse d'Embryo. C'est à dire juste après "We Keep On". Ou juste avant la petite baisse de régime qui
surviendra avec la parution "Surfin'", question de points de vue. Enregistré à Hambourg en 1974, ce double cd
nous apporte tout ce qui nous a toujours été refusé ou caché jusqu'ici : à savoir, Embryo dans un état second.
Embryo qui se lâche dans d'interminables improvisations. Faites le compte vous-mêmes : cinq titres répartis
sur deux disques, dont deux morceaux dépassant allègrement la demi-heure ... Qui plus est, tous inédits ! Bien
entendu, on ne pourra faire croire à personne que "Invisible Documents" ne comporte pas des longueurs. Il en
regorge. Mais la parution de ce concert exceptionnel doit être vécu dans son ensemble pour en apprécier tout
le sel. Il faut pouvoir se laisser pénétrer par l'énergie qui anime le groupe pour vraiment se laisser porter par la
musique. De longues mises en place, des ambiances qui se bâtissent patiemment comme un jeu de
construction où chaque pièce du puzzle participe à l'équilibre de l'ensemble. Parfois un manque de justesse et
de régularité, le prix à payer quand on mise tout sur la spontanéité, mais rien de fâcheux à vrai dire. Et puis
c'est aussi là le témoignage d'une fidélité et d'une honnêteté sans égal que beaucoup devraient prendre en
exemple. Le plus incroyable encore dans tout ça, c'est que la version d'Embryo qui se produit lors de cette
représentation unique ne comporte que quatre membres, dont trois fondamentaux : autour du bassiste Norbert
Dömling, un nouveau, on retrouve comme de bien entendu le vibraphoniste, batteur et leader Christian
Burchard, le saxophoniste Edgar Hofmann et le guitariste Roman Bunka, particulièrement à la fête sur cet
enregistrement. C'est risqué et aventureux. Ça voyage sans jamais être ennuyeux. Presque une leçon.
Note : 4/6
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EMBRYO : Bremen 1971
Chronique réalisée par Hellman
Contrairement à l'album archive "Invisible Documents" paru en 1999 sur Disconforme en même temps que la
réédition d'une grande partie de leur catalogue, "Bremen 1971" nous propose de faire connaissance avec un
jeune Embryo qui n'en est alors qu'à son second disque studio. C'est précisément de la tournée promotionnelle
de "Rache" dont il s'agit puisque tous les titres de cette publication Garden of Delights sont issus de l'album
précité. L'occasion rêvée d'entendre comment le groupe allemand défendait ses compositions sur scène.
Comme on pouvait s'y attendre, et compte tenu du bagage des musiciens, c'est sans crainte qu'ils
s'embarquent dans une prise de risque toute mesurée où Embryo s'amuse à étirer des thèmes écrits et pensés
afin d'en donner des interprétations multiples et variées. "Try to Be" est cinq fois plus long que sur disque, et
donne le la d'un concert enregistré par Radio Bremen, à qui on doit déjà bon nombre de redécouvertes de
retransmissions radiophoniques (Soft Machine entre autres). Le groupe est chaud bouillant : il enchaîne sans
discontinuer les trois premiers titres avec un égal bonheur pendant près d'une demi-heure. Le public en
redemande. Le groupe donne sans compter. La deuxième partie du concert s'attarde sur l'interprétation de
"Spain yes, Franco finished", à présent deux fois plus long que sur disque. Soit une nouvelle demi-heure de
digressions en tous genres à l'énergie toujours aussi hautement communicative. Quelques remarques tout de
même qui abondent dans ce sens : en l'absence de claviers, la musique d'Embryo revêt un aspect plus
hargneux. Le duo Hofmann/Fischer, respectivement au saxophone et à la flûte, donnant lieu à des
échauffourées qui consolident cette lointaine parenté avec un jeune Jethro Tull qui aurait mangé du tigre.
"Bremen 1971" n'est donc pas qu'une publication posthume bassement opportuniste ; elle apporte un éclairage
supplémentaire et tout à fait pertinent à l'image globale de ce groupe injustement resté dans l'ombre.
Note : 4/6
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TANGERINE DREAM : ALPHA CENTAURI
Chronique réalisée par Phaedream
Gutsiens, gutsiennes, ça fait un bail que je vous parle de MÉ, de musique spatiale, eh bien voici le tout premier
opus de musique électronique atmosphérique, de ’’spacemusic’’: Alpha Centauri.
Après l’expérimental Electronic Meditation, Tangerine Dream est amputé de 2 membres; Schnitzler et Schulze.
Edgar Froese ne démord pas et continue son exploration des sons et de ses ambigüités. Il recrute tour à tour
Chris Franke et Steve Schroeder pour reformer le Dream. Le nouveau trio introduit les premières mesures du
synthé VCS 3, que Pink Floyd utilisera sur Dark Side of the Moon quelques deux ans plus tard. Plus structuré
qu’Electronic Meditation, Alpha Centauri se distingue par une approche plus approfondie des orgues que
Froese et compagnie ont eu le loisir d’expérimenter durant 3 semaines, tout juste avant d’entreprendre la
superbe aventure musicale de Tangerine Dream.
De lointains accords de guitares pavent la voie à Sunrise in the Third System. Un sourd bourdonnement
enroule cette intro où les orgues flottent dans une atmosphère à la fois méphistique et céleste. Mouvement
flottant et spatial, Sunrise in the Third System tergiverse dans les limbes cérébraux avec une douceur
morphique. L’expérimentation sonore devient plus complexe avec l’intro de Fly and Collision of Comas Sola.
Des oscillations caustiques mordent les tympans, virevoltant en cercles imparfaits, laissant trainer une poudre
sonore qui enfouit les premières mesures d’accords de guitares timides et d’un orgue grelotant. L’intensité
cacophonique diminuant, on est saisi par une approche mélodieuse traditionnelle avec une orgue plus éthérée,
quoique lourde, accompagnée d’une flûte rêveuse. Sous des tonnerres cosmiques, le mouvement devient plus
rock avec une superbe prestation de Franke qui déroule ses peaux avec fureur, n’obstruant en aucun instant la
flûte d’ Udo Denne119ourg. Une des premières bonnes pièces structurées de TD qui tangue entre les
atmosphères d’Ummagumma, de Pink Floyd, et de Green Desert. La pièce titre est un sublime mélange de MÉ et
de prog rock. Des cymbales flottantes introduisent une faune sonore hétéroclite planante, mais intense,
plongeant l’auditeur dans le curieux monde musical de Floyd sur Saucerful Of Secrets, synthé VCS 3 en plus.
Un univers sonore qui resplendit sous une belle utilisation de la flûte et de chœurs célestes, dans un cosmos
sombre et atonal, un peu comme si une aurore boréale pourrait sonoriser ses permutations. Un petit bijou
musical pour les purs et durs amateurs de musique progressive qui emprunte les sentiers aléatoires d’une MÉ
naissante.
Note : 5/6
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SYNDROMEDA : The Twilight Conjunction
Chronique réalisée par Phaedream
The Twilight Conjunction est le 18ième album du musicien Belge et le 1ier à paraître sur le label Américain
Ricochet Dream. Une édition limitée à 300 copies, The Twilight Conjunction est un bel opus d’une MÉ de style
Berlin School qui oscille entre l’univers des longs solos synthétisés de Klaus Schulze et des séquences
animées d’une lourdeur méphistophélique de Tangerine Dream et Redshift. Le tout rehaussé d’effets sonores
aussi diaprés qu’une musique aux structures progressives.
Inside the Lophophora ouvre The Twilight Conjunction avec force et fureur. Un séquenceur au rythme effréné
ouvre le mouvement auquel s’ajoute des chœurs moulants, un synthé enveloppant et aux solos torsadés. Une
autre séquence aux bondissements en cascade surdimensionne la cadence. Le rythme sautille dans une
rotation circulaire où des ventouses d’une pieuvre chimérique qui se meut sur des solos de synthé digne d’un
Schulze des années 70. Quoique constant, le rythme traverse quelques brefs passages ambiants pour rebondir
avec plus de lourdeur et une approche séquentielle plus mordante. Un long titre complexe et imprévisible qui
charmera les amateurs de Berlin School tempétueuse. No, Not Scared Of You offre une longue ouverture
ambiante où les ondes synthétisées flottent fantomatiquement. Un univers musical saisi d’effets sonores
intrigants qui, tranquillement, s’anime sur un séquenceur au pas lourd. Un séquenceur qui s’allège sur une
cadence entrecroisée, avant d’offrir un tempo galopant ceinturé de superbes strates onctueuses. Sombre et
noirci le rythme s’accentue prenant des tangentes stochastiques, entre du gros Redshift et du Tangerine Dream
des années Phaedra. The Vulture offre une similarité structurelle, sauf que le mouvement séquentiel qui
embarque vers la 4ième minute est totalement hallucinant. Sous des solos de synthé spectraux, la marche
séquencée offre un mouvement échotique aléatoire, enchérissant sur cette étrange ode fantomatique. Un
superbe moment qui vous clouera sur votre fauteuil. Plus synthétisé que séquencé, Looking At You offre une
ouverture plus directe, mais avec un tempo plus léger, présentant un rythme chaotique aux directions
imprévisibles, mais constamment entraînant. First Dream clôture sur une note plus ambiante, plus éthérée. Un
beau morceau où des chœurs angéliques flirtent avec un mellotron aux doux mouvements éoliens et un synthé
très mélodieux. Une douce séquence vient appuyer la quiétude de First Dream qui dort sous des solos
synthétisés plus morphiques que caustiques. Une belle façon de terminer un surprenant album où les rythmes
s’entrecroisent dans un délire musical bien structuré, faisant de The Twilight Conjunction de Syndromeda un
incontournable pour les fans de Tangerine Dream et Redshift. Une agréable surprise de Ricochet Dream., qui
mérite que l’on creuse un peu plus la carrière de Syndromeda. Un petit conseil, faites vite avant que les
300mcopies soient écoulées.
Note : 5/6
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Informations
Vous pouvez retrouvez nos chroniques et nos articles sur www.gutsofdarkness.com.
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Table des matières
Les chroniques ........................................................................................................................................................................... 3
RETURN TO FOREVER : Romantic Warrior .................................................................................................................. 4
RETURN TO FOREVER : Musicmagic............................................................................................................................ 5
RETURN TO FOREVER : Live ........................................................................................................................................ 6
RETURN TO FOREVER : Returns................................................................................................................................... 7
ZOMBI : Spirit Animal ...................................................................................................................................................... 8
ROACH (Steve) : A DEEPER SILENCE.......................................................................................................................... 9
ROACH (Steve) : LANDMASS ...................................................................................................................................... 10
JANDEK : Ready For The House .................................................................................................................................... 11
JANDEK : Linving In A Moon So Blue .......................................................................................................................... 13
JANDEK : Interstellar Discussion ................................................................................................................................... 14
BIG COCKY MAN SINWELDI : Is Europe dying ? ...................................................................................................... 15
MIKAMI (Kan) : Juw....................................................................................................................................................... 16
D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Produkt der Deutsch-Americanicchen Freundschaft.... 18
I.CORAX : Spectral Metabolism ..................................................................................................................................... 19
D.A.F. (DEUTSCH AMERIKANISHE FREUNDSCHAFT) : Die kleinen und die bösen ............................................ 20
FONDLECORPSE : Creaturegore ................................................................................................................................... 22
SHARK TABOO : The Cage ........................................................................................................................................... 23
PPF : La Belle France, 1900............................................................................................................................................. 24
GREEN VELVET : Whatever ......................................................................................................................................... 25
THE GUN CLUB : Death party ....................................................................................................................................... 26
THOMAS NÖLA ET SON ORCHESTRE : Vanity is a sin ! ......................................................................................... 27
HARVEY & PARISH (JOHN) (PJ) : A Woman A Man Walked By.............................................................................. 28
LEECH : The Stolen View............................................................................................................................................... 29
LONG DISTANCE CALLING : Avoid The Light.......................................................................................................... 30
MORKOBOT : Morto ...................................................................................................................................................... 31
TARTUFI : Nests of Waves and Wire ............................................................................................................................. 32
AIRSCULPTURE : Doom Bar ........................................................................................................................................ 33
SCHNITZLER (Conrad) : Conviction ............................................................................................................................. 34
KHANATE : Clean hands go foul ................................................................................................................................... 35
NONSTOP : J'ai rien compris mais je suis d'accord ........................................................................................................ 36
EINSTURZENDE NEUBAUTEN : Silence is sexy........................................................................................................ 37
SLEEPING DOGS WAKE : Up !.................................................................................................................................... 38
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NAVICON TORTURE TECHNOLOGIES : Vtervs....................................................................................................... 39
MASKA GENETIK : Quarantine .................................................................................................................................... 40
SUBLIMINAL : Coping .................................................................................................................................................. 41
STUPOR : Tristitia........................................................................................................................................................... 42
ARCHON SATANI : The Righteous Way to Completion .............................................................................................. 43
NEPTUNE : Gong lake .................................................................................................................................................... 44
JAD WIO : Sex Magik ..................................................................................................................................................... 46
JANDEK : Six and six...................................................................................................................................................... 47
ODDJOBS : Expose negative........................................................................................................................................... 48
GRIDLINK : Amber Gray ............................................................................................................................................... 49
STUMPFF (Tommi) : Terror II........................................................................................................................................ 50
SHE WANTS REVENGE : This is forever ..................................................................................................................... 51
FROESE (Edgar W.) : MACULA TRANSFER .............................................................................................................. 52
THE SINYX : Britain is a mausoleum............................................................................................................................. 54
SLEEPING DOGS WAKE : Under the stars................................................................................................................... 55
DPERD : Regalerò il mio tempo...................................................................................................................................... 56
EAT YOUR MAKE UP : Things as they should be ........................................................................................................ 57
COIL : ...And the Ambulance died in his Arms............................................................................................................... 58
COIL : The Restitution of Decayed Intelligence.............................................................................................................. 59
EMBRYO : Opal .............................................................................................................................................................. 60
EMBRYO : Rache............................................................................................................................................................ 61
EMBRYO : Father, Son and Holy Ghosts ....................................................................................................................... 62
EMBRYO : Steig Aus ...................................................................................................................................................... 63
EMBRYO : Rocksession.................................................................................................................................................. 64
GHOSTING : Lips like red .............................................................................................................................................. 65
COMPILATIONS - DIVERS : Irritants........................................................................................................................... 66
COIL : Time Machines..................................................................................................................................................... 67
THE DAUGHTERS OF BRISTOL : Voyage.................................................................................................................. 68
A 3 DANS LES WC : 1978-1980 .................................................................................................................................... 69
SMITH (Elliott) : S/t ........................................................................................................................................................ 70
BERNSTEIN (Steven) : Diaspora hollywood.................................................................................................................. 71
LIZA N'ELIAZ : Liza N'Eliaz.......................................................................................................................................... 72
2METHYLBULBE1OL : 6 months ................................................................................................................................. 74
COIL : The Remote Viewer ............................................................................................................................................. 75
KOEPPER (Jeffrey) : RADIATE..................................................................................................................................... 76
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KOEPPER (Jeffrey) : LUMINOSITY ............................................................................................................................. 77
EMBRYO : We Keep On................................................................................................................................................. 78
EMBRYO : Surfin' ........................................................................................................................................................... 79
EMBRYO : Bad Heads and Bad Cats .............................................................................................................................. 80
EMBRYO : Apo-calypso ................................................................................................................................................. 81
EMBRYO : Reise............................................................................................................................................................. 82
KEIJI HAINO & TATSUYA YOSHIDA : New rap ....................................................................................................... 83
CRASS : Christ, the bootleg............................................................................................................................................. 84
TANGERINE DREAM : ELECTRONIC MEDITATION.............................................................................................. 85
KING TUBBY : King Tubby meets Roots Radics / Dangerous Dub .............................................................................. 86
CYRUS : Inversion .......................................................................................................................................................... 87
69db : Dragoon dub.......................................................................................................................................................... 88
VENETIAN SNARES : Sabbath dubs............................................................................................................................. 89
DUB SYNDICATE : Echomania..................................................................................................................................... 90
LEE 'SCRATCH' PERRY : On the wire.......................................................................................................................... 91
ENO (Brian) : Apollo : Atmospheres and Soundtracks ................................................................................................... 92
COIL : Spring Equinox .................................................................................................................................................... 93
COIL : Summer Solstice .................................................................................................................................................. 94
COIL : Autumn Equinox.................................................................................................................................................. 95
COIL : Winter Solstice..................................................................................................................................................... 96
COIL : Moon's Milk (in four phases)............................................................................................................................... 97
COIL : Moon's Milk (in four phases) bonus disc............................................................................................................. 98
THEATRE OF ICE : Life is a wild and scarey thing....................................................................................................... 99
HARLOTS OF BEYOND : Lake of faeries................................................................................................................... 100
HARLOTS OF BEYOND : Castillo de Naipes ............................................................................................................. 101
COMPILATIONS - DIVERS : Goa Spirit 2 : Hard Psychedelic Trance ...................................................................... 102
BARDO POND : Dragonfly........................................................................................................................................... 103
DARLINGS' CABINET OF SUNDRY HORROR : S/t ................................................................................................ 104
BIONIGHT : THE ART OF FRIENDSHIP................................................................................................................... 105
BIONIGHT : THE RAIN IS OVER............................................................................................................................... 106
BIONIGHT : BACK TO ORION .................................................................................................................................. 107
EMBRYO : Life ............................................................................................................................................................. 108
EMBRYO : La Blama Sparozzi ..................................................................................................................................... 109
EMBRYO : For Eva ....................................................................................................................................................... 110
EMBRYO : Invisible Documents................................................................................................................................... 111
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EMBRYO : Bremen 1971 .............................................................................................................................................. 112
TANGERINE DREAM : ALPHA CENTAURI ............................................................................................................ 113
SYNDROMEDA : The Twilight Conjunction............................................................................................................... 114
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