Faire des SES avec Star Wars
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Faire des SES avec Star Wars
Star Wars et l’évolution des rôles sexués dans la société « Si on laisse pas faire les bonnes femmes, on peut s'en sortir » Han Solo, épisode 4 Longtemps, les différences de comportement entre les hommes et les femmes ont paru naturelles. De par leur morphologie différente, les hommes et les femmes ne pouvaient avoir que des rôles différents dans la société : à l'homme la recherche de nourriture dans un premier temps, puis plus généralement le travail à l'extérieur du foyer dans un deuxième temps, et à la femme le travail domestique. Les grandes religions monothéistes sont venues justifier cette naturalisation des rapports sexués. Ainsi, dans la Genèse, lorsqu'elle Adam et Ève transgressent l'interdit divin de ne pas manger du « fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (à ce sujet, la bible ne fait nullement référence à une pomme, qui est née d'une tradition ultérieure), ils sont punis par Dieu, et cette punition serait à l'origine de cette différence sexuée des rôles. Ainsi, lorsque Dieu s’aperçoit de la faute commise par Adam et Eve, voici la sanction qu’il impose à la femme : « J'augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi » ! Les sociologues, quant à eux, n'ont eu de cesse de montrer qu'il n'y avait rien de naturel dans cette différence. Les hommes ne sont pas naturellement courageux, les femmes ne sont pas naturellement émotives et sensibles. Les hommes n'aiment pas naturellement l'humour plus grivois que les femmes, ni les films d'action plus que les romans à l'eau de rose, ni le football plus que le patinage artistique. Ces différences de goût, de comportement, de caractère, il faut les trouver dans un processus de socialisation sexuellement différencié, à partir duquel les petits garçons et les petites filles intériorisent dès le plus jeune âge des attitudes socialement considérées comme masculines ou féminines. L'exemple des catalogues de jouets est à ce sujet très parlant : d'abord une partie « rose » pour « jouets de filles », avec des dinettes, des fers à repasser et des aspirateurs ; ensuite une partie « bleu » pour « jouets de garçons », avec des jouets d'action. De même, les contes et légendes enfantines montrent le plus souvent des jeunes filles belles mais terriblement gourdes qui ne trouvent leur salut que par l'intervention du prince charmant… Cependant, le XXe siècle a connu une évolution notable -bien qu’encore loin d'être complète !- des rapports entre les hommes et les femmes, sous l'influence de divers facteurs : les facteurs économiques, d'abord, avec la tertiarisation des emplois qui a permis l'augmentation du taux d'activité des femmes ; mais surtout des facteurs sociaux, avec la diminution de la pratique religieuse, qui a levé les interdits sur l'activité féminine, et une évolution globale des moeurs, liée entre autres à la scolarisation obligatoire des filles, qui a amené les femmes à réclamer de nouveaux droits et a refuser la répétition traditionnelle des rôles sociétaux entre les sexes. Si de réelles évolutions ont eu lieu, des différences notables existent encore, aussi bien en termes de salaires, d'accès aux postes à responsabilité, de taux de chômage ou encore de répartition des tâches domestiques, les femmes continuant à en prendre la plus grande part dans toutes les enquêtes statistiques réalisées par l'INSEE. Les rapports hommes femmes sont vus dans la saga principalement à travers deux prisme : celui du rapport Anakin/padmé dans la prélogie, et celui du rapport Han/leïa dans la trilogie originelle. L'originalité de Star wars est d'avoir été l'une des premières sagas tout public à mettre en avant une héroïne active et courageuse, et ce faisant à donner aux femmes un rôle différent de celui qu'elles tenaient dans les contes traditionnels. Au départ pourtant, c'était loin d'être gagné… Ainsi, dans la trilogie originelle, le premier couple rencontré est celui constitué d’oncle Owen et de tante Béru, qui sont ceux qui ont élevés Luke depuis sa naissance. Le rapport est typique du rapport hommes femmes traditionnel : tante Renaud Chartoire Faire des SES avec Star Wars Contact : chartoire @aol.com Béru prépare à manger tandis que son mari travaille lui à l'extérieur du foyer domestique (en l'occurrence, il est « cultivateur d'humidité »). De même, le canevas narratif de départ est tout ce qu'il y a de plus classique : la princesse, emprisonné par le « méchant », ne doit son salut qu'à l'arrivée du « prince charmant » venu la délivrer. Dans l'épisode quatre, on ne sait pas au départ qui, de Luke ou de Han, remplit réellement ce rôle. Il est indéniable que Luke est amoureux de la princesse : lorsqu'il découvre le son hologramme au début du film, il la trouve belle, puis accepte un baiser de sa part lorsqu'ils échappent aux Stormtroopers en sautant au-dessus d'un précipice. Enfin, il cherche à couper toute véhélité de Han de séduire la princesse, en répondant par la négative à sa question, lors de la sortie de l’Etoile Noire, concernant la possibilité d’une romance entre lui et la princesse (« Tu crois qu’une princesse, et un zigoto comme moi ?… » « Non ! » répond alors immédiatement Luke). Si Luke est a priori le prototype du prince charmant, ce ne sera finalement pas lui qui endossera ce rôle. Il y a en effet une incompatibilité génétique entre lui et Leia : dans l'épisode six, ils découvriront qu'ils sont en fait frères et sœurs. Mais en fait, dès l'épisode cinq, à l'exception d'un baiser très appuyé de Leïa au début du film (baiser qui d'ailleurs n'est en rien une marque d'affection envers Luke mais est simplement un défi lancé à Han pour lui montrer que s'il veut la conquérir il devra la séduire), Luke, entièrement tourné vers sa formation de Jedi, semble avoir déjà pris ses distances affectives avec Leïa. Non, le véritable « prince charmant », c'est Han Solo. Au départ, ses relations avec Leia sont traditionnelles : à lui le rôle du macho, à elle celle de l'écervelée. Ainsi, dans l'épisode quatre, il dit : « si on laisse pas faire les bonnes femmes, on peut s'en sortir ». De même, il marque une distance envers la princesse, pour bien montrer son statut de dominant ; s'il la sauve, c'est au départ uniquement pour l'argent : « C’est fini pour moi, fillette. Je m’en contrefiche de votre rébellion et je m’en contrefiche aussi de vous, princesse. Ce que je demande, c’est d’être bien payé, moi, c’est le fric qui m’intéresse », et à propos de la princesse il se contente de dire : « Epatante cette fille… j’la démolis ou je tombe amoureux, c’est tout l’un ou tout l’autre ! » Dans l’épisode cinq, on retrouve cette domination masculine dans deux scènes : tout d’abord, dans une scène où Han Solo tente de séduire définitivement Leïa avec une technique de drague dans la lignée du machisme le plus traditionnel, laissant Leïa dans une attitude tout ce qu’il y a de plus passive : Han - Votre honneur, je veux juste vous aider un peu, vous ne voyez donc pas ? Leïa- Voulez-vous s’il vous plaît ne plus m’appeler comme ça ? Han- Oui, Leïa Leïa- Vous rendez les choses si difficiles parfois… Han- Vous avez raison… mais vous pourriez être plus gentille, vous aussi… admettez, il y a des moments où vous me trouvez très bien Leïa- De temps en temps, oui, c’est possible, quand vous ne vous conduisez pas comme un vaurien (Han se rapproche de Leïa et lui prend la main) Han- Un vaurien ? Un vaurien ? J’adore ce nom là (Han lui caresse la main) Leïa- Cessez de faire ça Han- De faire quoi ? Leïa- Faire ça ! Elles sont sales Han- Les miennes sont sales aussi… n’ayez pas peur Leïa- J’ai peur ? Han- Vous tremblez Leïa- Mais non, je ne tremble pas ! (Il approche ses lèvres de celle de Leïa) Han- Je vous plaît car je suis un vaurien, et qu’il n’y a pas de vaurien dans votre vie Leïa- J’aime les gens gentils, c’est vrai… Renaud Chartoire Faire des SES avec Star Wars Contact : chartoire @aol.com Han- Je suis en gentil vaurien… (Et là, il l’embrasse) Mais l’un des dialogues les plus connus de Star Wars est sans conteste celui se trouvant dans la seconde scène nous intéressant ici. Peu avant de se faire cryogéniser par l’Empire pour être ensuite livré à Jabba le Hutt, Han Solo, qui risque bien de vivre là ses derniers instants de liberté, entend Leïa lui lancer : « Je t’aime ! » ; ce à quoi il répond, sur un air blasé, le désormais mythique : « Je sais ». Aujourd’hui, l’histoire de ce dialogue est bien connue ; dans le scénario original, il devait répondre un plus traditionnel « Moi aussi ». Mais en tournant la scène, le réalisateur, Irvin Kershner, trouvait qu’elle ne fonctionnait pas. Il a alors dit à Harrison Ford d’improviser et de sortir ce qui lui viendrait à l’esprit. C’est alors cette réplique qui a été retenue. Elle représente pourtant le summum du machisme et de la goujaterie, symbolisant bien là l’état des rapports hommes/femmes dans les sociétés traditionnelles. Pour autant, l’originalité de Star Wars est de montrer à travers le comportement de la princesse Leïa l’évolution des rapports hommes/femmes que nous avons précédemment présentée : de dominée, la princesse va progressivement reprendre le dessus et devenir à son tour dominatrice. Le véritable symbole de ce retournement se situe dans l’épisode six. Vers la fin du film, Leïa et Han se retrouvent dans une situation quasiment désespérée… quasiment car Leïa cache un pistolet laser qui va les sauver. Le voyant, Han lui exprime sa gratitude en lui disant : « Je t’aime »… et par un amusant retournement de situation, Leïa lui répond… « Je sais », officialisant ainsi le renversement de rapport de force entre les deux protagonistes, et par extension, entre les deux sexes ! De même, à la toute fin du film, c’est cette fois-ci Leïa qui va prendre l’initiative d’embrasser Han, ce dernier faisant preuve pour l’occasion d’une niaiserie que l’on aurait traditionnellement pu qu’imputer à une femme, car il ne comprend manifestement rien à la situation, comme le rapporte leur dialogue : Han- (s’adressant à Leïa en parlant de Luke) Vous l’aimez, n’est-ce pas ? Leïa- Oui Han- Très bien. Oh, je comprends… quand il reviendra, je ne vous gênerai plus… Leïa- (soupirant) Non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez… c’est mon frère ! Et là, elle prend son visage entre ses mains et l’embrasse, faisant définitivement basculer le rapport de forces traditionnel entre les hommes et les femmes, puisque c’est elle qui est à l’origine du baiser ! D’une manière générale, Leïa est une héroïne active qui est aux antipodes des héroïnes des contes traditionnels. Et si la situation de départ dans l’épisode quatre est archétypale au sens où c’est le « prince charmant » qui vient la délivrer, il n’empêche qu’elle ne tombe pas spontanément dans ses bras, marquant même une distance qui vient illustrer son désir d’autonomie face à la gente masculine : « C’est une fière opération ! Alors comme cela vous n’aviez même pas de plan pour ressortir ? », ou encore, toujours dans le même épisode : « Maintenant, c’est moi qui prend les choses en main ». L’autre couple majeur de la saga est celui constitué par Anakin et Padmé dans la prélogie. Là, les choses sont plus complexes et pour tout dire moins intéressantes d’un point de vue sociologique. En effet, dans l’épisode un, la différence d’âge entre les deux protagonistes, et le fait qu’Anakin ne soit qu’un enfant âgé de 10 ans, interdit de fait tout rapport affectif, quand bien même Anakin semble être un enfant précoce dans l’expression de ses sentiments. Mais indépendamment de ce rapport, on retrouve dans cet épisode, ainsi que dans le suivant, une héroïne active et indépendante telle que Leïa a pu l’être dans la trilogie. Mais là où dans la trilogie Leïa symbolisait la montée en puissance du désir d’indépendance des femmes, il en est tout autrement ici ; Padmé, tombée à son tour amoureuse de Anakin, va progressivement perdre ses prérogatives, étant même prête à laisser tomber ses activités professionnelles – en l’occurrence sénatrice de Naboo- pour pouvoir pleinement vivre son amour : « Anakin, je n’ai besoin que de ton amour…repars avec moi, nous Renaud Chartoire Faire des SES avec Star Wars Contact : chartoire @aol.com élèverons notre enfant ensemble ». Et sa fin, où elle choisit de mourir par amour, et où ses derniers mots sont à l’attention de son mari –« il y a encore du bon en lui »- font d’elle à l’arrivée le symbole d’une femme ayant sacrifié son autonomie au profit d’une vie familiale dans laquelle elle aura été dans une situation de dominée. Renaud Chartoire Faire des SES avec Star Wars Contact : chartoire @aol.com
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