Hors-Série Horlogerie

Transcription

Hors-Série Horlogerie
HORLOGERIE
SMARTWATCHES VS MONTRES MÉDITATIVES
DES CADRANS
COMME DES TABLEAUX
À L’HEURE DE JAMES BOND
DENIS HAYOUN
Ce hors-série ne peut être vendu séparément Le Temps Samedi 21 mars 2015
DE BETHUNE SOUS LA LOUPE
LE TEMPS VINTAGE
2
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
ÉDITO
Le monde de l’horlogerie
n’en est pas à sa première
révolution, mais depuis la
crise du quartz dans les années 70, les horlogers ont su
mettre leurs atouts en avant
et redonner le goût des montres mécaniques non seulement à ceux qui ne l’avaient
plus, mais surtout à ceux qui
ne l’avaient jamais eu.
Certaines maisons créent des
garde-temps qui viennent
titiller le statut d’objets d’art.
Ils sont le fruit d’un savoirfaire ancestral, ils sont une
ode à la beauté et à la poésie,
et cela suffirait presque pour
justifier leur existence (lire
p. 12 et 30).
En découvrant en avantpremière le travail
minutieux d’un glypticiengraveur, qui a fait naître tout
un paysage sur un cadran
(lire p. 35), j’ai tellement
envie de leur donner raison
de croire, comme le prince
Michtine, dans L’Idiot de
Dostoïevski que «la beauté
sauvera le monde».
4
Plug-in Time
Les montres connectées: une révolution.
Par Vincent Daveau
8
Le temps relatif
Les horlogers s’interrogent sur le temps, la manière de se
le réapproprier, la façon de ralentir le rythme du quotidien.
DR
Par Isabelle Cerboneschi
4 Montres connectées
10
L’heure mise à nu
Montres squelettes: plongée au cœur de la fine mécanique.
Par Vincent Daveau
12
Vintage
Des modèles du passé réinventés.
Par Géraldine Schönenberg
18
De Bethune, une classe à part
Visite d’une manufacture pas comme les autres.
Par Pierre Chambonnet. Reportage photographique: Véronique Botteron
VAN CLEEF&ARPELS
La plupart des horlogers ne
les ont pas vues venir. Jusqu’à ce qu’une étude révèle
qu’il s’est vendu près de
5 millions de smartwatches
l’an passé à travers le monde
selon une estimation Canalys, soit environ un cinquième de la production
totale de l’horlogerie à
quartz suisse, ce marché
affichant une croissance de
près de 900% en 2014 (lire
p. 4). Ça pousse à réfléchir.
SOMMAIRE
20
La course contre le temps
L’engouement pour les chronographes va croissant.
Par Vincent Daveau
22
12 Inspiration vintage
La collection d’un agent secret
Dans le prochain James Bond – «Spectre» – 007 portera à
son poignet une Omega. Mais tel n’a pas toujours été le cas.
Par Catherine Cochard
24
Tudorcréesonpremiercalibreautomatique
La marque lance un garde-temps technique équipé, pour
la première fois, d’un calibre automatique maison. Exclusif.
Par Vincent Daveau
VÉRONIQUE BOTTERON
Par Isabelle Cerboneschi
Face à la déferlante de montres connectées, les horlogers, les manufactures, les
marques cherchent à trouver
leur place et à la garder (lire
p. 44). Il y a ceux qui s’engagent dans la bataille. Et puis
il y a les autres, qui répondent autrement, qui parient
sur l’art horloger dans ce
qu’il a de plus pur (lire
p. 18), qui pensent que la
valeur d’une montre ne peut
se réduire à la simple fonction de donner l’heure. Ils
s’interrogent sur la notion
même du «temps», sur la
nécessité d’en rester maître,
et ces réflexions s’incarnent
dans des pièces hautement
symboliques auxquelles on
s’attache pour des raisons
irrationnelles (lire p. 8).
18 De Bethune
26
Vienne la nuit sonne l’heure
Les marques rivalisent d’ingéniosité pour dépasser
les 65 décibels avec leurs montres à répétition minutes.
Par Vincent Daveau
28
L’éloge de la simplicité
Jusqu’où peut-on pousser l’épure?
Par Isabelle Cerboneschi
30
Un bracelet comme un brocart
Nous avons suivi la naissance du bracelet de la montre
«Traditionnelle ovale» de Piaget. Coulisses de l’art.
Par Isabelle Cerboneschi. Photos: Véronique Botteron
DR
FRÉDÉRIC LUCA LANDI
Changerd’ère
35
Toute la poésie du monde sur un cadran
Les paravents de Coromandel du 31 rue Cambon ont inspiré
à Chanel une collection de montres Métier d’art. Exclusif.
Reportage: Isabelle Cerboneschi. Photographies: Véronique Botteron
24 Calibre Tudor
38
Incitation au voyage
GMT, Heures du monde, Heure universelle.
Par Vincent Daveau
40
Montre de la Collection Métiers
d’Art Mécaniques Gravées,
Vacheron Constantin.
Mouvement entièrement gravé
main recto verso (taille-douce
et champlevé) avec motif «feuilles
d’acanthe». Calibre mécanique
à remontage manuel 4400/1.
Développé et manufacturé
par Vacheron Constantin.
Certifié Poinçon de Genève.
Environ 65 heures de réserve
de marche. Boîtier en platine.
En arrière-fond, des mines brutes
de graphite issues des ateliers
genevois de la maison Caran
d’Ache. Filées au diamètre désiré,
elles attendent leur cuisson
et leur trempe dans un bain de cire.
Etape de fabrication
de la montre Mademoiselle Privé
de Chanel, dont la scène est inspirée
des paravents de Coromandel.
Sur l’image, travail de gravure
de l’or beige, un alliage spécifique
conçu pour Chanel. Le motif
est dessiné sur une plaque en or,
gravé avec une pointe sèche
et découpé avec une scie.
Tourbillons et régulateurs d’exception
Le tour de la question.
Par vincent Daveau
42
44
Les montres tiennent salon
Par Vincent Daveau
L’horlogerie à l’écoute du web social
Les marques sont toujours plus nombreuses à s’en remettre
aux «big datas» pour affiner leur stratégie marketing
et leur approche clientèle. Explications.
Par Catherine Cochard
46
Carla Bruni
Qu’avez-vous fait de vos rêves d’enfant?
Par Isabelle Cerboneschi
Editeur Le Temps SA
Place Cornavin 3
CH – 1201 Genève
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d’administration
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Administrateur délégué
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déléguée aux hors-séries
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Catherine Cochard
Vincent Daveau
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Denis Hayoun
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Réalisation, graphisme
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ISSN: 1423-3967
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Sony SmartWatch 3:
un produit digital
connecté, taillé pour
le sport et proposé
en différentes
finitions, dont l’acier.
Ecran TFT LCD
résistant à l’eau
et multifonctions.
Connectable aux
smartphones.
CONNEXION
Naturellement attendues
avec une certaine défiance
de la part du marché
horloger traditionnel
et avec une impatience
non feinte du côté
des consommateurs,
les montres connectées
de nouvelle génération
sont à l’aube d’une
révolution dans la façon
de concevoir le temps
qui passe. Par Vincent Daveau
Alpina Smartwatch: montre connectée
analogique avec calibre Al-285 à quartz.
Multifonctions dont analyse d’activités
et de sommeil avec mode d’optimisation.
Coach adaptatif. Restauration
des données possible.
L
PHOTOS: DR
es montres connectées ne
sont pas une vraie nouveauté. Si la vente de près
de 300 000 smartwatches
en 2012 n’avait pas fait
grand bruit, la croissance
estimée par l’institut Canalys, de
près de 900% du nombre de pièces
vendues en 2014, a de quoi faire
blêmir les maisons horlogères habituées depuis maintenant quarante ans à n’avoir aucune concurrence sérieuse dans leur secteur.
La prise de conscience qu’il s’est
vendu près de 5 millions de smartwatches l’an passé à travers le
monde (estimation Canalys), soit
environ un quart de la production
totale de l’horlogerie à quartz
suisse, a engendré un électrochoc.
Pour l’essentiel des CEO des entreprises horlogères helvétiques sondés, les garde-temps mécaniques
ne sont pas menacés par ces nouveaux produits. En revanche, tous
admettent que les marques fabriquant des montres premier prix,
surtout à quartz, sont directement
dans le collimateur des puissants
groupes industriels de l’univers de
la téléphonie ou des médias connectés (Apple, Samsung, Sony,
Google…).
La force de ces derniers, comme
le souligne Jean-Christophe Babin, l’ancien CEO de TAG Heuer et
l’actuel patron de Bvlgari, est de
«disposer de l’environnement
technologique et des moyens économiques pour engager de coûteux développements. Aux deux
bouts de la chaîne, ils seront les
grands vainqueurs de cette révolution impliquant un changement de comportement dans la
façon d’appréhender le temps et
la communication entre les personnes.» Cette compétition qui va
réellement débuter cette année va
confronter les fabricants de téléphones comme d’instruments de
communication à une foule
d’autres intervenants dont le seul
moyen de pénétrer ce nouveau
Casio G’MIX
GBA-400-1A9ER:
G-Shock en polymère
ultra-résistant avec
fonction bluetooth
pour interaction avec
le smartphone, analyse
et reconnaissance
de l’ambiance musicale
«soundhound»,
fonction de contrôle
de la musique
sur le smartphone.
Mykronoz ZeSplash: montre connectée
amphibie. L’instrument reste connecté à son
outil «maître» dans toutes les conditions.
Ecran tactile, micro-intégré et haut-parleur.
Extension «outdoor» de la tablette
ou du smartphone. Swiss made.
marché est l’acquisition de processeurs, de plateformes technologiques et de firmware, de logiciels et de composants de
communication, auprès de sociétés hyperspécialisées américaines
ou asiatiques. Clairement, dans ce
duel ressemblant à celui de la fin
des années 70, qui avait vu s’affronter pour la maîtrise du temps,
les fabricants d’électronique
comme IBM, Texas Instruments,
Seiko-Epson, Casio et les horlogers traditionnels, les participants
ne jouent pas à armes égales.
Les forces en présence
Dans un monde de plus en plus
interconnecté, ce nouveau type
d’accessoires capables de donner
l’heure et l’accès à une multitude
d’applications risque de s’imposer
à tous. Comme le relève Peter Stas,
le propriétaire du Groupe Frédérique Constant qui présente cinq
modèles connectés à Bâle (lire LT
du 27.02), «le phénomène des
smartwatches, objets transgénérationnels, ne peut plus être relégué au rang de produits branchés
à destination des technophiles».
Leur présence risque de s’imposer
naturellement aux cadres des entreprises comme le téléphone
portable, qui est devenu une nécessité au point que personne
n’envisage aujourd’hui de pouvoir
s’en passer.
Plutôt que d’ignorer les bouleversements apportés par cette
technologie qui en appellera
d’autres, quelques marques horlogères sont passées à l’action. On
notera qu’à l’heure où est écrit cet
article les seules à avoir effectivement présenté un instrument déjà
disponible ou prochainement accessible sur le marché (à partir
d’avril) sont Montblanc (avec l’eStrap, son bracelet connecté lancé
en janvier dernier), Frédérique
Constant, Alpina, Mondaine,
> Suite en page 6
Frédérique Constant
Horological Smartwatch:
montre en acier plaqué or
avec fonction d’affichage
analogique. Technologie
MotionX®. Multifonctions
via le poussoir intégré
dans la couronne.
Durée de vie de la pile:
deux ans environ.
Commutable avec
smartwatch. Alarme, cycle
de sommeil, coaching,
capteur d’activités, etc.
PLUG-IN TIME
4
Swatch Touch ZERO
ONE: montre connectée
et tactile avec fonction
beach-volley, interactivité
avec multifonctions grâce
à l’application installée
sur le smartphone
de son propriétaire.
6
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Samsung Gear: montre à écran incurvé Super
Amoled 2.0 connexion 3G, Wifi et Bluetooth.
Bracelet personnalisable Capteur UV,
programmable et Apps téléchargeables.
> Suite de la page 4
Casio, Swatch avec la Swatch
Touch Zero One, TAG Heuer et
Breitling. Pour ces marques,
comme pour Hyetis, Mychronoz
avec Zewath, Guess, Kenneth Cole
ou Apple qui s’apprêtent, elles
aussi, à lancer un produit, (on attend forcément Tissot sur ce marché), les montres connectées sont
le premier pas d’un mode de communication global et par conséquent multicanal. Ces outils, qui
sont en contact direct avec la peau
du porteur, offrent à ces derniers
non seulement un nouveau
moyen d’interaction avec le
monde qui les entoure mais aussi
un outil leur permettant de développer un autre rapport avec leur
propre corps (consommation
énergétique, nombre de pas, etc.)
à travers sa gestion par une interface pratiquement bionique.
La stratégie du caméléon
PHOTOS: DR
Pour Peter Stas, l’avenir passe
clairement par la montre. «D’ici
deux ou trois ans, a-t-il dit lors
du lancement de sa première
montre connectée en février dernier, une partie non négligeable
pour ne pas dire l’essentiel des
quelque 20 millions de montres
à quartz suisses produites par an
seront d’une façon ou d’une
autre des instruments connectés
aux smartphones.» Jean-Claude
Biver, longtemps étranger à ce
concept, a récemment reconnu
avoir saisi la réalité incontournable de ce procédé comme il était
apparu évident à LVMH que
manquer ce tournant décisif
dans l’univers de la mesure du
temps était trop risqué.
A découvrir les nouveautés, on
devine la course du temps futur
suivre deux axes principaux. Le
premier vise une clientèle captive,
qui cherchera dans ces nouveaux
outils le moyen d’optimiser son
temps et de rester reliée en permanence à son environnement
connu. Son choix se portera sur des
modèles qui, dotés de cadrans LCD
haute définition et tactiles, seront
un relais du téléphone (mail, SMS,
appel entrant, programmateur divers) muni aussi de fonctions contribuant à améliorer la santé. C’est
partiellement le choix fait par Jérôme Lambert, le CEO de Montblanc. Pour lui, le fait de séparer les
produits purement horlogers et
l’objet connecté que représente le
module e-Strap limite la problématique de l’obsolescence programmée de ce type d’outils appelés à être utilisés sans modération.
Le CEO soulignait que, si Montblanc ne dispose pas d’un environnement technologique bien à elle,
elle possède un réseau de distribution très puissant lui permettant, à
l’instar d’Apple, de tirer son épingle du jeu. Et Jérôme Lambert
d’ajouter que «l’implantation de
cet accessoire parmi les aficionados de belle horlogerie sera
d’autant plus aisée qu’il n’y a pas de
sacrifice à faire avec le e-Strap puisqu’il est pensé pour se porter avec
une montre mécanique».
L’autre voie en matière de
connexion horlogère est celle empruntée par le Groupe Frédérique
Constant. Dans ce cas précis, la
montre ayant un aspect traditionnel vise plutôt des fonctions dédiées à ceux que les sociologues
appellent les hyper-narcissiques
déjà «branchés» à l’univers virtuel
et aux communications dématérialisées à travers tous les outils
mis à leur disposition (Facebook,
Instagram, Twitter, etc.). La montre sera plutôt un capteur qu’un
transmetteur. Elle saisira les
moindres faits et gestes de son
porteur et les traduira sur le téléphone en graphiques, statistiques
et alertes éventuelles.
Au final, le monde horloger a
pris conscience que cette technologie était incontournable et qu’elle
devait se faire une place entre la
pure mécanique et les instruments
à quartz. Personne ne peut prédire
qui va pâtir de son arrivée, ni
même si cette technologie va encore fragmenter un marché déjà
fragilisé par la crise mondiale. Une
chose est certaine: pour s’imposer,
elle doit être facile d’emploi et véritablement utile. La bataille pour le
contrôle du marché a commencé
et va inciter les marques à dépenser des sommes considérables
pour créer des infrastructures
flexibles optimisant des fonctionnalités en tout genre, utiles ou non,
mais assurément de plus en plus
délirantes pour capter l’attention
d’un public dans l’attente de miracles électroniques que seule
aujourd’hui l’alimentation énergétique viendra sans doute contrarier. A moins bien entendu que la
pure mécanique apporte un jour
une solution technique.
Montblanc UrbanSpeed e-Strap:
un chronographe mécanique
Timewalker associé à un module
électronique e-Strap développé
par Montblanc. Multifonctions,
capteur de mouvement. Connecté
au téléphone. Pilote la musique
et affichage SMS et appels.
Apple Watch: montre en acier, aluminium ou en
or massif doté d’un écran tactile haute définition
avec bracelets interchangeables. Multifonctions,
programmable et interactive. La montre est
compatible avec iPhone 5 et modèles ultérieurs
et peut être personnalisée avec les Apps
disponibles sur iTunes.
Kenneth Cole Connect™: montre connectée au
smartphone. Synchronisation horaire et affichage
de messages pour les appels téléphoniques,
e-mail ou SMS. Fonction chronographe. Contrôle
musical et selfies. Fonctionne sur batterie
classique. Différentes finitions possibles.
Mondaine Helvetica N 1 Horological
Smartwatch: montre Swiss made avec module
analogique multifonctions exploitant la technologie
MotionX®. Basée sur une technologie mise au point
par MMT (Peter Stas, président) et actionnée
par un module quartz multi-moteurs suisse.
Multifonctions et connectée sur les smartphones.
8
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
CARPE DIEM
Quandlarelativité
Tandis que les montres connectées font le buzz,
les horlogers s’interrogent sur le
temps, la manière de se le réapproprier, la façon de ralentir le rythme du
quotidien. Certains réussissent
même à traduire la nécessité de
faire une pause à travers des
garde-temps qui nous rappellent de vivre chaque
minute intensément.
Par Isabelle Cerboneschi
L’Occhio dell’Anima, Consolata
Radicati di Primeglio. Toile ronde
de 90 cm de diamètre, 2014,
acrylique et vernis sur toile.
«O
n voit à
peu près
l’heure
qu’il
est.»
Quand
Michel Parmigiani a proféré cette
phrase surréaliste pendant le dernier Salon international de la
haute horlogerie (SIHH), au sujet
de l’une de ses dernières créations,
une montre époustouflante de
précision, une heure passante
avec répétition minutes, une
complication horlogère à plus de
200 000 francs, il s’en est suivi une
certaine qualité de silence. Puis
des éclats de rire. Sa création était
un magnifique pied de nez à toutes ces montres connectées qui déferlent sur le marché (lire p. 4), ces
machines truffées d’applications
qui vont nous voler notre temps
tout en nous donnant l’heure accessoirement.
Or donc Michel Parmigiani,
maître horloger à Fleurier,
s’amuse à créer des garde-temps
mécaniques hypersophistiqués
sur lesquels on lit l’heure «à peu
près», une heure qui prend son
temps, qui passe à travers un guichet en forme de croissant. On n’y
voit qu’une heure à la fois. «On ne
peut pas se projeter dans le futur
puisque les autres heures n’existent pas encore. Et on ne peut pas
revenir dans le passé puisque celle
qui est visible suit son cours, souligne l’horloger. On ne voit que le
présent. C’est une montre très
«carpe diem». Elle ne stresse pas.
Elle nous rappelle d’apprécier le
moment. On constate très bien
sur cette montre que le temps est
relatif.»
Si Michel Parmigiani aime
s’abîmer dans le temps présent, et
ne révèle qu’une seule heure à la
fois, Thierry Stern, le président de
Patek Philippe, a un faible pour la
minute. «Elle est intéressante, car
ce sont les derniers petits instants
que l’on a pour soi. L’heure scande
les rendez-vous. La seconde passe
trop vite, je n’y pense pas, mais la
minute est toujours là à nous taquiner. On peut la calculer dans sa
tête: «Il me reste trois minutes.»
On peut décider de rester coucher
ces trois dernières minutes. Ces
petits moments font la vie de tous
les jours. Ce n’est pas l’heure que
l’on chasse, mais la minute: elle
représente les derniers instants de
liberté.»
«Carpe diem», cette fameuse locution latine qui invite à cueillir le
jour présent sans se soucier du
lendemain semble être paradoxalement le moteur de quelques patrons horlogers. Karl Friedrich
Scheufele, le coprésident de Chopard, a d’ailleurs fait créer un jardin zen il y a cinq ans entre deux
bâtiments de la manufacture, à
Meyrin. Pour cet amateur de vitesse et de courses automobiles,
cela surprend. «Je suis aussi amateur du sujet «temps», relève-t-il.
Et je m’arrête volontiers dans la
journée devant ce jardin. C’est un
ralentissement, un petit instant
de contemplation: cela me permet de savourer le moment.»
Ralentir le temps. Depuis
quand les horlogers et les patrons
de manufacture s’inquiètent-ils
de ralentir le temps? Depuis qu’on
évoque la menace d’une invasion
de montres connectées? Il y a un
monde, toute une perception du
monde, et du temps qui sépare
une montre manufacture, traditionnelle, et ces outils truffés d’applications. Comme l’analysait très
justement Grégory Pons dans Business Montres du 26 janvier dernier: «Apple ne vend pas des produits mais des services de
connexion au monde, à la culture
ou à la vie professionnelle. On en
déduira que la future Apple
Watch n’est pas une concurrente
directe des montres suisses, mais
le grand levier de connexion […]
de tous à tout. […] Les Suisses se
battent pour des garde-temps
physiques, les Américains (demain les Coréens de Samsung)
pour des relations virtuelles au
macro-système numérique global
d’un monde d’objets connectés.»
Et comment faire face à ces objets sinon avec d’autres objets qui
dépassent leur fonction utilitaire,
pour s’approcher précautionneusement du statut d’œuvre d’art?
«Est-ce qu’on a besoin de toutes
ces informations qui seront don-
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Patek Philippe Grande
Complication réf. 5951: ce chronographe
monopoussoir au boîtier coussin gravé
main en platine emporte un calibre manuel
référence CHR 27-525 PS Q associant
les complications de chronographe,
rattrapante et quantième perpétuel
avec affichage du jour, de la date,
du mois, de l’année bissextile
et des phases de lune.
Parmigiani Toric Capitole
Wave: une parure en or rose
de 45 mm pour une montre
d’exception dont le mécanisme
de répétition minutes fait appel
à des timbres cathédrale originaux
«serpents» avec deux sons.
Cadran en nacre pour l’affichage
et motif en vagues pour
ce «modèle unique».
dutemps
s’inscrit
Jaeger-LeCoultre Duomètre
Sphérotourbillon Moon:
La ronde chaloupée
de ce tourbillon paré d’or gris
laisse imaginer cet organe
réglant sous l’emprise
de quelques célestes énergies
comme celle de la Lune
qui se dévoile au cadran.
Il parvient, grâce à son spiral
cylindrique, à atteindre
une précision hors pair.
nées par les montres connectées?
s’interroge Karl Friedrich Scheufele. Est-ce vraiment ce que l’on
veut? Je trouve reposant de regarder une montre qui vous indique
juste l’heure, d’une manière très
calme, au lieu d’avoir un objet qui
a le potentiel inouï de vous voler
votre temps! Avec une belle montre, vous prenez le contre-pied de
ce qui est en train de se passer
autour de vous. Vous ne devenez
pas dépendant de certains prestataires. Un regard jeté sur votre
garde-temps ne sera pas enregistré dans des datas, ce geste ne regarde que vous, l’objet fonctionne
avec le mouvement de votre poignet, n’a pas besoin d’être rechargé, les fonctions n’ont pas besoin d’être «updatées». La montre
n’est connectée qu’à vous-même.»
Cette relation à soi-même, ce
temps qui sait nous parler à nous
et à personne d’autre, c’est justement une voie qu’a empruntée
Louis Vuitton lorsque la marque a
lancé en 2011 la montre Tambour
Répétition Minutes qui sonnait
l’heure de son lieu de vie. «Elle fait
PHOTOS: DR
suruncadran
Louis Vuitton Escale
Minute Repeater Worldtime:
cette montre en or rose
au mécanisme élaboré
et mis au point par les horlogers
de la Manufacture du Temps
propose de donner des couleurs
au voyage et, à la demande,
de dire l’heure du lieu
d’origine en musique.
toujours partie de la collection,
d’ailleurs, souligne Hamdi Chatti,
le directeur Montres et Joaillerie
de Louis Vuitton. C’est la montre
du voyageur romantique. Vous
partez de Genève, vous arrivez à
New York, vous corrigez l’heure,
et pour savoir celle de Genève,
vous actionnez le poussoir et elle
sonne le «home time». On ne peut
que l’entendre, pas le voir.» A l’occasion de Baselworld 2015, Louis
Vuitton a choisi de marier une
fonction Heure universelle et une
Répétition minutes. Avec ce modèle inspiré du modèle Escale
Worldtime lancé l’an dernier, on
peut voir l’heure qu’il est à Genève, ou bien la faire sonner. Il y a
quelque chose de profondément
personnel dans cette indication
de l’heure. «Le «home time» ne
regarde que moi, explique Hamdi
Chatti. C’est mon heure. Quand
on l’écoute, ce n’est pas la même
sensation que quand on la voit.
C’est beaucoup plus doux. A chaque fois qu’on l’entend, cela nous
rappelle la maison. Parce que ce
son particulier, lié à l’heure de
chez soi, réveille un sentiment. En
revanche, la voir ne génère rien.
L’œil analyse les données horaires
de manière rationnelle, tandis
que le son, c’est comme une musique qui nous rappelle un endroit.»
Quand un client débourse plusieurs dizaines, plusieurs centaines de milliers de francs pour un
garde-temps, est-il sensible à la dimension symbolique de ces
montres-là? «Certains collectionneurs, oui, confiait Daniel Riedo,
le CEO de la manufacture JaegerLeCoultre, en janvier dernier, lors
du SIHH. J’ai un client qui porte
une très grande complication. Il
gère toute la journée de multiples
usines et il m’explique que son
moment de pause dans la journée,
quand il a besoin de se concentrer,
de redescendre en lui, c’est quand
il prend sa montre et qu’il regarde
le Sphérotourbillon en action. Ça
le calme, le fait descendre dans
l’extrêmement petit, avant de lui
permettre de repartir sur des choses plus larges. Un peu comme
une méditation.»
9
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
TRANSPARENCE
L’heure
miseànu
L’engouement pour les montres squelettes
va croissant, il correspond au plaisir du public
de plonger au cœur de la fine mécanique.
Montre de poche Tissot Bridgeport:
boîtier en acier de type savonnette.
Mouvement manuel squelette.
Cet art n’est pas nouveau, mais
s’est généralisé dans le courant du
XIXe siècle avec l’apparition des
montres à destination du marché
chinois produites en particulier
dans le Val-de-Travers. Plus tard, le
travail de squelettage réalisé par
quelques grandes maisons sur
certains mouvements des montres de poche ultra-plates a suscité
l’intérêt de quelques dandys motivés à l’idée de se démarquer. La
généralisation des fonds transparents, qui a permis aux amateurs
de profiter des finitions de leurs
mouvements de montre, a retardé
momentanément l’engouement
du public pour les pièces squelettes. Les artisans qui en produisaient ont longtemps travaillé à
l’ancienne en ornant de motifs
floraux les parties conservées des
mouvements comme pour masquer une nudité dont les auteurs
avaient presque honte.
Depuis quelques années, les
marques, conscientes du potentiel
des montres squelettes, travaillent
leurs produits afin que les découpages aient des lignes plus modernes. Piaget a donné le ton avec l’Altiplano Squelette et l’on retrouve
en partie cette approche contemporaine dans le travail réalisé sur
l’Emperador Coussin 1270S. A sa
façon, le travail arachnéen destiné
à sublimer la transparence au
cœur des calibres des montres Excalibur Squelette de Roger Dubuis
prouve que le talent des artisans
est pratiquement sans limite. Ces
approches à la fois plus dynamiques et plus sensuelles font
concurrence aux méthodes anciennes. Aussi, même une maison
comme Parmigiani Fleurier, que
l’on sait attachée à la tradition et au
nombre d’or, façonne aujourd’hui
la matière des ponts et de la platine
de la Tonda 1950 Squelette de manière à ce que l’art s’exprime à travers un style en phase avec son époque. Dans ce cas, ce travail de
découpe du métal n’est plus seule-
Beat) ses cadrans et quelques
autres composants pour laisser
voir le balancier de ses mouvements mécaniques ou le tourbillon de ses calibres de manufacture. Dans le même esprit, Zenith,
depuis l’ère marquée par la direction de Thierry Nataf entre 2001 et
2009, propose à son catalogue des
chronographes aux cadrans plus
ou moins ajourés, destinés à mettre en valeur certains composants
du fascinant calibre El Primero,
dont le fameux balancier vibrant à
36000 alternances par heure.
Cartier Astrotourbillon Squelette
Calibre manuel 9461MC: boîtier
en or gris de 47 mm et tourbillon
spécifique. Edition limitée
à 100 exemplaires.
Parmigiani Fleurier Tonda 1950
Squelette: boîtier de 39 mm en or
rose, calibre automatique squelette
avec cadran saphir dépoli.
Hamilton Jazzmaster Viewmatic
Skeleton: boîtier en acier inoxydable,
mouvement mécanique à remontage
automatique partiellement ajouré.
Roger Dubuis Excalibur
Automatique Squelette: boîtier en or
rose de 42 mm et calibre ultra-ajouré
avec microrotor évidé.
Piaget Emperador Coussin 1270S:
montre automatique en or blanc
ou or rose de 46,5 mm de diamètre.
Artya Son of a Gun «Roulette
Russe»: montre en acier de 44 mm
de diamètre. Calibre manuel
squelette avec cadran
squelette «barillet».
Ajourage ou squelettage?
Il arrive que l’on confonde le squelettage et l’ajourage. S’en remettant au Berner, le célèbre dictionnaire professionnel illustré de
l’horlogerie, pour savoir ce que recouvre l’une ou l’autre technique
on découvre la définition du verbe
ajourer: «Pratiquer des ouvertures. Ajourer un pont, une platine
dans un but technique ou pour
faire des montres squelettes.» On
retiendra
donc
qu’ajourer
consiste à produire des trous en
vue de faire des composants ainsi
travaillés une montre squelette.
Ces montres dotées de larges
ouvertures destinées à mettre en
exergue certains composants du
mouvement sont-elles des montres
squelettes
ou
des
garde-temps ajourés? La question
se posait entre certains spécialistes de savoir si la Ralph Lauren
Sporting Squelette présentée lors
du dernier SIHH portait justement son titre de squelette ou s’il
s’agissait d’un intéressant ajourage d’un calibre IWC? La problématique est identique pour la Hamilton Jazzmaster Viewmatic
Skeleton. Pour certains, cette
montre est bien de la famille des
squelettes, pour d’autres, comme
pour la version un peu «trash»
d’Artya intitulée «Roulette Russe»,
il s’agit d’une pièce commerciale
dont la mécanique a été largement ajourée pour donner le
change. La question pour la Hublot Classic Fusion Aeromoon a
moins lieu d’être, car le cadran
transparent révèle la face externe
de la platine sur laquelle se trouvent des composants retravaillés
et ajourés pour renforcer la profondeur de champ et offrir aux
amateurs de compositions mécaniques complexes une vue sur le
subtil agencement de cames et de
rouages permettant d’afficher
l’heure, le jour, le mois, la date et
les phases de lune.
Certaines maisons font des
ajourages suggestifs une marque
de fabrique. Frédérique Constant
découpe depuis dix ans révolus
(2014 était l’anniversaire des Heart
R
L’art du squelettage
ment un exercice de style, mais l’expression d’un art à part entière.
Cet Art, une maison comme
Cartier sait admirablement bien
le manier. Elle s’est fait une spécialité de la transparence absolue
avec ses pendules mystérieuses et
reproduit cet exploit de faire du
vide un terrain d’expression de
l’heure en laissant au cœur de la
Rotonde Astrotourbillon Squelette Calibre 9461MC juste l’essentiel pour faire que la montre fonctionne tout en semblant léviter.
Dans ce domaine, la manufacture
Vacheron Constantin a su faire
œuvre utile en proposant Métier
d’Art Arca, une nouvelle collection
de 12 pendules uniques qui, toutes réalisées en cristal de roche,
abritent un mouvement mécanique à remontage manuel présentant une architecture épurée à
l’extrême semblant léviter au
cœur même de la matière.
OS: D
E
n matière d’effeuillage
horloger, les marques ont
chacune leurs secrets. Si
certaines se sont fait une
spécialité des découpages
savants au cœur des mouvements pour permettre aux collectionneurs de plonger dans leurs
entrailles, d’autres découvrent depuis peu l’intérêt du public pour les
artifices permettant à l’œil de pénétrer au cœur de l’insondable, de
toucher du regard la magie d’un
calibre mécanique. Au temps jadis,
les montres pouvaient s’ouvrir et
les mouvements, montés sur charnières à la boîte, être observés de
près, laissant le soin à la poussière
de faire son œuvre. Avec l’arrivée
des montres mécaniques dotées de
fond saphir, les amateurs ont eu
tout loisir d’étudier les mouvements dont ils ne parvenaient pas à
percer le secret. Il a fallu aux marques repousser les limites de la
transparence pour répondre aux
attentes des adeptes de plus en plus
éduqués en matière d’horlogerie.
Par Vincent Daveau
PHOT
10
Breguet Tradition Automatique
Seconde Rétrograde 7097: boîtier en
or blanc et calibre automatique avec
rotor inspiré des masses oscillantes
des montres perpétuelles du siècle
des Lumières.
Ralph Lauren Sporting Automotive
Squelette 45 mm: boîtier de 45 mm
en acier noirci. Calibre manuel
squelette sur base IWC.
Mettre à nu la mécanique
La solution ultime n’est pas de découper toujours plus de métal
pour ajourer au maximum les
composants afin de laisser voir les
pièces en mouvement du mécanisme, mais de créer des calibres
spécifiques, construits de telle façon qu’il soit possible à l’œil de
voir, côté cadran, les principaux
composants de la montre. La tendance est encore balbutiante,
mais l’arrivée d’un modèle
comme la Maurice Lacroix Gravity
dans le cercle des garde-temps
ayant une construction de mouvement original permet d’imaginer
que l’on verra de plus en plus ce
type d’instruments au sein des
marques désireuses d’attirer à elles les amateurs de belles mécaniques.
Ce mode d’expression horloger
a son charme et a été plébiscité
par les marques les plus en vue sur
le marché. Breguet, qui fête cette
année le 10e anniversaire de la
Tradition avec le modèle Tradition
Automatique Seconde Rétrograde, rappelle que la mise à nue
mécanique, par la création d’un
nouveau genre de mouvement
consistant à mettre en scène les
organes constitutifs au-dessus de
la platine, n’est finalement pas
une tendance très ancienne,
même si l’architecture des calibres de la marque s’inspire de
ceux créés par Abraham Louis Breguet. Dans cette pièce, l’équilibre
visuel orchestré par la symétrie
des ponts est accentué par des décors aux lignes pures qui s’inspirent des montres à souscription
ou des premières montres automatiques dont la masse oscillante
de ce modèle reprend la forme générale.
La valorisation de la mécanique
d’une montre-bracelet vue du cadran, comme on observe celle
d’une montre de poche par le fond
de la cuvette, possède ce petit quelque chose de génial qu’a su également exploiter la manufacture
Audemars Piguet dans sa collection Millenary. Les puristes diront
que l’architecture de cette construction s’inspire un peu des «Hebdomas», ces oignons à longue réserve de marche dotés de
balanciers visibles par le cadran,
typiques du début du XXe siècle.
Toutefois, la mécanique est ici
aussi bien mise à nue et fait l’objet
d’une théâtralisation ayant pour
seul objectif de contenter l’amateur de belles mécaniques désireux
de pouvoir, à volonté, plonger les
yeux au cœur de sa montre.
12
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
VINTAGE
Leretour
desfiguresdestyle
Elles marquent une époque, distillent un art de vivre et reviennent
en force dans l’air du temps. Histoire d’icônes horlogères.
Par Géraldine Schönenberg
1935
2015
& ARPELS
ARCHIVES VAN CLEEF & ARPELS
VAN CLEEF
Ci-dessus: dessin de montre Cadenas
en platine et diamants, circa 1936.
A droite: le modèle de 2015. Cadenas
sertie en or blanc et dont le dessus
de la boîte est orné de diamants
en serti neige.
A
vec son bracelet double
chaîne serpent évoquant des câbles, son attache puissante et son
boîtier de forme pyramidale, la
Cadenas née en 1935, à la fin de la
période Art déco, s’inscrit dans le
courant moderniste, ode à l’industrialisation. C’était l’époque
où chez Van Cleef & Arpels, les
pendules étaient architecturées
comme des gratte-ciels, les bijoux se nommaient «Pylônes» ou
«Roulement à billes» et l’on mettait en exergue ce côté mécanique jusque dans leur conception.
Tel le bracelet Ludo, maillage de
motifs en forme d’hexagone avec
au centre de chaque chaînon un
serti étoilé, de rubis, de saphir ou
d’émeraude. Les femmes s’émancipaient et le montraient. Tamara
de Lempicka se représentait dans
un autoportrait au volant d’une
Bugatti. Chez Van Cleef & Arpels
apparaissaient des montres à
ailettes et l’on créait la première
minaudière, boîte rectangulaire
contenant ce dont une femme
avait besoin pour sortir.
ARCHIVES VAN CLEEF & ARPELS
ALFRED EISENSTAEDT/THE LIFE PICTURE COLLECTION/GETTY IMAGES
La Cadenas
de Van Cleef & Arpels,
emblème des Temps
Modernes
Ci-dessus de haut en bas: la duchesse de Windsor
lors de sa première visite officielle aux Etats-Unis
en 1941. Elle porte la Cadenas par-dessus ses longs
gants. Pancarte de commande de la montre
toute sertie offerte à Wallis Simpson par le roi
Edouard VIII un an avant son abdication.
La légende veut que la duchesse de Windsor ait inspiré la
création de la Cadenas à Renée
Puissant, fille du couple fondateur et directrice artistique de la
maison entre 1926 et 1942, date
de son décès. Catherine Cariou,
directrice du Patrimoine chez Van
Cleef & Arpels, évoque cette tradition orale. «Elle me vient de Jac-
ques Arpels, petit-fils du couple
fondateur. La duchesse de Windsor était une grande cliente de la
maison. Gravitant dans le milieu
des surréalistes, elle avait des
idées extravagantes. Elle connaissait Dalí, Elsa Schiaparelli, qui est
la première à avoir utilisé une fermeture éclair sur une robe, et la
duchesse de Windsor a inspiré le
collier Zip. Le principe d’une fermeture éclair étant de cacher
quelque chose, elle a pris le contre-pied de cette fonction utilitaire en la faisant ouvrir et porter
en collier.»
La montre Cadenas, dont l’appellation date de 1937, après être
née sans nom et s’être nommée
Agrafe en 1936, porte en elle cette
idée de détournement de la fonction. Plus exactement, elle représente une sorte d’oxymore horloger: dérober au regard tout en
s’exhibant fièrement. Le côté mystérieux réside dans la manière de
lire l’heure subrepticement lorsqu’on se trouve en public. Car à
cette époque-là, même si une
femme affichait librement sa sé-
duction, s’enquérir de l’heure était
une prérogative masculine. «Le
boîtier incliné permettait de regarder l’heure discrètement. Les
femmes étaient émancipées, mais
jusqu’à une certaine limite. Pour
une femme, dans les années 30,
s’en préoccuper, surtout le soir,
n’était pas bien vu», révèle Catherine Cariou.
Mais de la même manière
qu’un parfum sillage étoffe une
personnalité, arborer une montre
Cadenas à son poignet désigne
une femme puissante. «Lors de
l’exposition sur la montre Cadenas et son univers au SIHH, une
grande collectionneuse qui en
possède plusieurs me disait que
c’est une montre pour une femme
de caractère, ce qu’elle est ellemême», dit l’experte. Avant elle,
les actrices Paulette Godard (l’héroïne des Temps modernes) ou
Merle Oberon, la Maharani de Baroda, ont été d’illustres propriétaires de ce garde-temps bijou à la
symbolique amoureuse forte,
celle de l’attachement, du lien exclusif. Quant à la duchesse de
Windsor, elle reçut en cadeau de
son mari un modèle en platine
entièrement serti de diamants. Estimée entre 46 000 et 50 000
francs suisses, la montre a été adjugée pour 362 000 francs aux enchères chez Sotheby’s le 17 mai
2011 à Genève.
Emblématique dans l’histoire
de Van Cleef & Arpels, la Cadenas a
rencontré le succès dès sa création
et a été régulièrement relancée,
dans les années 70, 80 et 90.
Considérée comme la signature
de la maison, elle est rééditée depuis les années 2000, date de l’acquisition de Van Cleef & Arpels
par le groupe Richemont. En
2015, le cadran est devenu un peu
plus grand par souci de lisibilité.
«Nous avons souhaité qu’elle accède au statut de montre, que ce
ne soit plus seulement un bijou
qui donne l’heure», déclare la directrice du Patrimoine. «Même si
la façon de la consulter est très
intime. Personne d’autre que celle
qui la porte au poignet ou quelqu’un de proche ne peut y lire
l’heure.»
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
FABIEN CRUCHON
1967 2015
TONY RYSER
La «Traditionnelle
ovale» de Piaget,
l’élégance insouciante
des «sixties»
A
ssociée à Jackie Kennedy
qui la repéra dans la devanture d’une boutique
de Californie un jour de
1967, cette montre joaillière symbolise tout le savoir-faire de la maison avec son bracelet en or façon
«mur de briques» et son décor extérieur guilloché «écorce d’arbre»
ainsi que son cadran de pierre
dure. Une alliance de l’or et de la
couleur (cadran de jade, émeraudes à midi, 3h, 6h et 9h) qui est un
des traits identitaires de la marque.
Ainsi que l’explique Alain Borgeaud, responsable du Patrimoine
Piaget: «L’association du travail de
l’or et de la couleur est très emblématique. Ce qui nous caractérise,
c’est cette combinaison des différents traitements de l’or: martelé,
poli, guilloché, etc. Dans les années
60-70, nos bracelets ont ce raffinement tant du point de vue structurel que visuel. Nous avons voulu
conserver ce savoir-faire histori-
Ci-dessus de gauche à droite:
l’affiche publicitaire de 1967
présentant plusieurs variantes
de sertissage et de cadrans de pierre
fine. Le modèle choisi par Jackie
Kennedy: cadran de jade et lunette
sertie de diamants et de quatre
émeraudes, bracelet en or jaune.
Le modèle «Traditionnelle ovale»
de 2015 dans sa version or blanc
serti de diamants.
que qui nous est propre en termes
de fabrications de bracelet or. Celui de la montre de Jackie Kennedy
est appelé Palace: le guilloché se
fait à la main au burin ou à
l’échoppe qui entaille la matière
sur toute la longueur. Yves Piaget
me disait qu’à l’époque la maison
employait 40 personnes qui ne faisaient que du décor de bracelet, ce
qui donne l’échelle du succès de ce
style de montre.»
Le modèle qui a tapé dans l’œil
de Jackie n’était pas une pièce unique, c’était un grand classique de la
maison qui était «customisable». Ce
que montre l’affiche publicitaire de
1967 où une élégante croqueuse de
diamants hésite entre plusieurs
versions aux cadrans de pierre fine,
sertissage et bracelets différents.
«J’ai retrouvé dans un journal de
Palm Beach de la fin des années 60
une photo représentant des femmes de la bonne société en robes du
soir dans un salon d’une sublime
demeure, et toutes portent une
montre Piaget, c’était le must de
l’époque», ajoute Alain Borgeaud.
Malheureusement aucun témoignage photographique de Jackie
Kennedy portant la «Traditionnelle
ovale». Peut-être est-ce dû au fait
qu’elle portait en soirée de longs
gants qui montaient jusqu’aux
coudes? Ou alors parce qu’elle
aimait surtout les bijoux fantaisie
trouvés en grand nombre dans ses
effets personnels lors de la vente de
1996 durant laquelle Piaget a racheté le modèle de 1967.
«Dans ces années-là, il y avait cet
esprit «jet-society», cet art de vivre
très glamour. Cette montre évoque
cette élégance que véhiculaient les
happy few de Palm Spring ou Palm
Beach. D’autres marques ont essayé d’imiter les cadrans de pierre
dure de Piaget mais en utilisant la
laque. Le savoir-faire est en effet
très spécifique, fabriquer un cadran de 0,7 mm d’épaisseur n’est
pas à la portée de n’importe qui»,
déclare
Alain
Borgeaud.
Aujourd’hui plus que jamais, la
maison puise dans ses racines.
«Depuis le début des années 2000,
une attention particulière a été
portée à la pérennisation des codes stylistiques et des savoir-faire
maison qui leur sont liés.» Comme
la «Traditionnelle ovale», modèle
joaillier intemporel. Car une montre reste, chez Piaget, «un bijou qui
donne l’heure», selon le responsable du Patrimoine. Quelquefois,
cadran et lunette sont conçus sur
le même motif, ce qu’on appelle
«l’intégration complète».
La montre de Jackie ne portait
pas de nom au moment de sa création, comme aucune autre montre
avant 1990. Les dirigeants de
l’époque souhaitant que l’on
achète tout simplement «une Piaget».
A l’inverse d’aujourd’hui où l’on
donne une appellation évocatrice
à chaque nouveauté, censée raconter une histoire. «A l’époque,
on n’était pas du tout aussi axé
marketing, ajoute Alain Borgeaud. Ce qui comptait c’était le
moment présent, on dessinait une
montre, on la vendait et on pensait à la suivante.»
La «Traditionnelle ovale» est
rééditée cette année dans l’esprit
des années 60, celui d’une «élégance destinée à durer», selon le
responsable du Patrimoine (lire le
reportage sur la fabrication du
bracelet p. 30).
LaCrashdeCartier,
l’autodérisiondudandy
aucœurdu«Swinging
London»
ARCHIVES CARTIER LONDRES © CARTIER
«O
Dessin original de la Crash, circa 1967.
n ne connaît que
la légende orale,
le récit interne à
la maison. A Londres dans les années 60, connues
comme une période extrêmement créative pour la maison en
termes de forme horlogère, un
client aurait apporté sa montre
qui aurait été abîmée lors d’un accident de voiture. On dit que le
modèle était une Tank et non de
forme ovale comme l’est la Crash.
Jean-Jacques Cartier, qui était à la
tête de la maison à l’époque était
un passionné de formes horlogères et n’avait de cesse que d’en inventer de nouvelles. Certaines, fameuses, ont été créées par Cartier
Londres sous son égide, notamment la Pebble (qui signifie «galet») mais aussi les montres maxiovales», explique Pierre Rainero,
directeur de l’image et du style
chez Cartier. Si l’on suggère un parallèle avec les montres molles de
Dalí, l’expert s’étonne: «Elle n’est
pas molle du tout. Il y a comme
> Suite en page 14
13
14
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
1967 2015
une cassure sur le côté droit audessous du remontoir. Les pointes
tout en haut à la droite du bracelet
présentent aussi un angle vif. La
première montre ovale chez Cartier date des années 50 et est
connue sous le nom de Baignoire.
On pourrait penser que c’est une
Baignoire traditionnelle qui a été
accidentée.»
On imagine pourtant que le
contexte culturel du Swinging
London était un peu psychédélique… Mais Pierre Rainero voit
dans la conception de la Crash cet
esprit anglais tourné vers le dandysme, cette élégance très singulière. Et surtout le témoignage du
sens artistique de la lignée des
Cartier. Petit retour sur son histoire: «Depuis le début du XXe,
même à la fin du XIXe, la maison
avait ses propres ateliers de dessin
que ce soit à Paris, à Londres ou à
New York. Alors que la filiale de
Londres a été créée par Pierre Cartier, né en 1878, c’est son frère Jacques qui a pris sa suite. Jean-Jacques, le créateur de la Crash, était
son fils. Ils avaient tous des responsabilités créatives et commerciales. Dans les années 30, on a
qualifié les frères d’«artistes marchands». La préoccupation stylis-
tique et créative de la maison Cartier est très singulière, que ce soit
en joaillerie ou en horlogerie, et
notamment dans la montre de
forme, c’est ce qui caractérise la
maison. Car avant Cartier, les
montres étaient rondes. Cartier a
introduit la montre-bracelet dessinée pour être portée au poignet,
en 1904, date de création de la
montre Santos que Louis Cartier a
offerte à son ami Santos Dumont:
une forme carrée à angles arrondis dont les attaches sont en prolongement de la boîte. C’était révolutionnaire et n’avait jamais été
fait auparavant.»
La Crash dénote l’esprit d’une
époque mêlé à celui de la maison,
un jeu spirituel avec les canons du
classicisme et de l’épure. Pierre
Rainero ajoute: «Comme disait le
philosophe Jankélévitch, «l’ironiste joue avec les valeurs parce
qu’il croit aux valeurs». Ainsi est
née la Crash, vision de dandy qui
pose un œil particulier sur sa propre élégance.
Même si elle est aujourd’hui
portée par les femmes, ce qu’autorisent son boîtier de 45 mm de
hauteur et sa version joaillière,
elle reste un modèle prisé des collectionneurs. «Les Editions Assouline viennent de publier Les collections impossibles et la Crash est en
Ci-contre de gauche à droite:
le modèle historique de la Crash
de 1967 avec l’inscription
«Cartier London» sur le cadran.
Le modèle de 2015:
Crash Squelette, Calibre 9618 MC.
Squelettage des ponts en forme
de chiffres romains.
couverture. Cela montre à quel
point cette montre est une icône
du style», relève Pierre Rainero.
Le directeur de l’image et du
style évoque une justification plus
profonde à cette forme cabossée:
l’idée d’aller chercher la beauté
dans des endroits où on ne l’attend pas, y compris dans un objet
accidenté. «Je ferais un parallèle
avec cette volonté chez Cartier de
mettre de la beauté dans des objets usuels, tels une vis ou un clou
et de les transformer en bijou.»
Ajoutant que «la perception de
beauté n’est pas liée justement
aujourd’hui à la symétrie et à des
standards. On joue avec en faisant
évoluer les proportions, les volumes, les lignes. En cela cette montre a marqué un pas. C’est une
montre philosophique. On accepte aujourd’hui qu’il y ait des
accidents dans la matière.»
Aujourd’hui, la Crash est rééditée en 67 exemplaires, allusion à
N. WELSH, CARTIER COLLECTION © CARTIER
> Suite de la page 13
sa date de création, 1967. Elle
avait été rééditée au début des
années 90, mais la grande nouveauté 2015 c’est son mouvement
squelette très particulier car les
chiffres romains, chers à Cartier
dans son vocabulaire esthétique,
constituent la platine, partie intégrante du mouvement lui-
1963
même. «C’est une sorte de complication, non pas horlogère au
sens traditionnel du terme, il n’y
a pas une fonction particulière,
mais c’est un défi esthétique et
manufacturier, de par l’accident
de la boîte, les chiffres étant euxmêmes déformés», explique
Pierre Rainero.
2015
PHO
TOS:
D
R
Ci-contre de gauche
à droite: modèles
originaux de 1963
et la réédition 2015:
Chronographe Calibre
18 avec deux compteurs
à 3h et à 9h et logo
«Heuer».
DR
LaCarreradeTAGHeuer,
instrumentdenavigation
pourpilotesdecourse
Affiche des années 60 annonçant la course automobile Carrera Panamericana
qui traverse le Mexique du nord au sud sur 3000 km.
E
n 1963, Jack Heuer, arrièrepetit-fils du fondateur et
fan de courses automobiles
était à la tête de l’entreprise.
Il souhaitait se démarquer des
chronos du début des années 60
peu lisibles avec leurs nombreux
compteurs et leur petite taille, les
pilotes automobiles ne disposant
pas d’un instrument très pratique
à leur poignet. Jack Heuer était
particulièrement intéressé à développer ce type de pièce. Il dessina donc un cadran un peu plus
grand qui comportait un rehaut
(pièce circulaire le surplombant)
afin d’augmenter la lisibilité de la
pièce et plaça deux petits compteurs à 3 h et à 9 h, l’un pour les
secondes courantes et l’autre
pour le chrono. Avec des boutons
poussoirs sur le côté très faciles à
manipuler. Dans une seconde
version, pour en optimiser encore la lecture, il la fit réaliser en
contraste, cadran noir avec
compteurs blancs, ce qui vaudra
à la pièce le surnom de «panda».
Quant à l’appellation de la
montre, Carrera, elle a été donnée
en référence à la course mythique
qui traverse le Mexique du nord au
sud sur plus de 3000 km, la Carrera
Panamericana. Elle se courait dans
les années 50 puis fut interdite, car
entachée de mort. Mais Jack Heuer
avait tenu à baptiser sa création en
hommage aux frères Rodriguez,
qui l’avaient initié à la course automobile, eux-mêmes ayant participé à la Carrera Panamericana. En
2014, lors de l’édition courue avec
des voitures d’époque, TAG Heuer
était partenaire de l’équipe
conduite par le pilote Erik Comas.
Celui-ci portait un modèle contemporain au poignet mais avait
aussi embarqué dans sa Studeba-
ker comme un talisman une Carrera d’époque, pour tisser un lien
fort avec le passé.
Depuis les années 60, la collection a évolué avec des rééditions
lors des anniversaires importants.
Cette année, la ligne s’enrichit de
deux modèles dans l’esprit de la
Carrera de 1963-1964 avec son
logo Heuer. La boîte saphir,
comme un couvercle de verre,
donne au garde-temps un côté
plus aérien, le cadran se voyant en
profondeur, ce qui reprend le design de l’époque. Les index sont en
relief, posés à la main et facettés,
et le cadran comporte un guichet
de date.
En 2015, une telle réédition répond à la volonté de la maison de
mettre en exergue son patrimoine. Estimant que la connotation «jeune» de la marque ne doit
pas occulter son héritage et qu’il
est important de se souvenir de sa
longue histoire, la maison Heuer
ayant été fondée en 1860 et ayant
un lien avec le sport depuis son
origine. Et de rappeler qu’en 1963,
c’était dans cet esprit de performance qu’avaient été conçues les
pièces dessinées par Jack Heuer.
18
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
MANUFACTURE
DeBethune,
uneclasseàpart
En sublimant les acquis du passé par sa grande maîtrise technique et esthétique, De Bethune prépare l’avenir. Inclassable,
la jeune marque défend la philosophie des origines: elle innove sans cesse, pour prolonger la vision de ses fondateurs.
Visite d’une manufacture pas comme les autres. Par Pierre Chambonnet. Reportage photographique: Véronique Botteron
C’
est là. Juste après
«Chez Claude», à
deux pas de la
«menuiserie Joseph». Là que sévissent deux inclassables de la haute horlogerie et
leurs équipes: Denis Flageollet et
David Zanetta. La manufacture De
Bethune, une soixantaine de personnes qui composent une planète
à part, dans le Jura vaudois. La
Chaux, un hameau posé sur des pâturages glacés au milieu des bois.
Nous sommes début janvier, à
1000 mètres d’altitude seulement
et pourtant à des sommets. Loin du
vacarme de la plaine, nous sommes
montés voir des maniaques de la
belle ouvrage, des obsédés du Beau
et du bien fait, qui officient dans
l’air pur de la montagne.
Il s’agit d’un de ces jours comme
seul le Jura en produit. Un balcon
sur la vallée éclairée par un soleil à
l’avant-goût de printemps, le tout
saupoudré de neige juste ce qu’il
faut. A l’entrée du site de La Chaux –
une bâtisse qui abrite le siège de la
recherche et du développement de
la jeune marque indépendante –,
le décor est champêtre, l’ambiance
familiale. Un employé, baguette
sous le bras, nous précède. Soudain, le coin-coin d’un canard: la
sonnerie du portable du patron,
qui ramène sans cesse l’horloger
des sommets aux contingences de
la plaine. En bas, dans l’agitation
du monde, se prépare le SIHH, le
grand raout genevois des marchands d’heures de prestige.
Nous faisons connaissance avec
Denis Flageollet, que l’on trouve au
bout de quelques nuits blanches,
dans l’excitation qui précède le Salon où la marque va présenter, en
marge de l’événement, ses nou-
«La tradition horlogère
c’est de faire comme
l’ont fait les pères,
c’est-à-dire d’innover
sans cesse.»
Denis Flageollet
veautés du moment. Et sans doute
marquer, encore une fois, les esprits. Aiguille d’or du Grand Prix de
l’horlogerie de Genève en 2011, la
société De Bethune a vu le jour en
2002 et déjà créé une vingtaine de
calibres maison qui animent des
mini-séries et nombre de pièces
uniques. Changements de dernière minute, tension à son comble, phase extatique de la création.
Le maître horloger nous reçoit en
l’absence de son double, le cofondateur de la marque. David Zanetta, l’esthète, l’expert visionnaire,
l’encyclopédiste, est en villégiature
plus au sud, quelque part sans
doute en train d’admirer des
cailloux rares.
Denis Flageollet, des mains de
paysan animées par des doigts de
ballerine. Un manuel aux extrémités calleuses, greffées sur une âme
d’artiste. Un horloger, avec une
mémoire et une vision. Un poète
du temps, au sens étymologique
du terme (du grec «poieo», «je fabrique»). Un regard clair, catégorie
bleu-rêveur. Un nez d’aristocrate.
De la noblesse, on en trouve effectivement chez De Bethune.
D’abord dans le nom de la marque
(le patronyme d’un érudit à particule – une grande famille française
–, qui a fait évoluer l’échappement
sur les pendules au siècle des Lumières). Dans leur fief jurassien,
ces aristocrates de l’horlogerie ont
deux châteaux: la recherche et le
développement ainsi que les pièces uniques à La Chaux, et 3kilomètres plus loin, la manufacture
pour les (petites) séries, à l’Auberson. En tout, entre 400 et 500 pièces par an. Un étendard, aussi, qui
claque. Celui de l’innovation, de la
qualité et du beau. Et comme chez
tous les nobles, une devise: «Ne pas
faire plus, mais mieux.»
Ici, on défend une vision de
l’horlogerie, une vraie philosophie; celle des pères fondateurs, à
savoir la maîtrise d’un art en perpétuel mouvement. Un savoir-faire
antique au service d’une innovation constante (lire interview ciaprès). «Pour nous, la tradition
horlogère n’est pas de faire de
l’horlogerie traditionnelle, résume
Denis Flageollet. La tradition horlogère, c’est de faire comme l’ont
fait les pères, c’est-à-dire d’innover
sans cesse.» Dont acte.
Déformées par le prisme du
marketing omniprésent, les ima-
Au premier plan, Denis Flageollet; en arrière-plan, Close up sur le cadran de la DB28 Maxichrono.
ges que l’on se fait de l’horlogerie
sont trompeuses. D’un côté, les
campagnes publicitaires léchées à
gros budget qui font croire à des
momies travaillant avec des outils
antédiluviens, à un culte passéiste
pour des montres fossiles. De
l’autre, des jouets-gadgets-ultrafuturistes qui exploitent le hightech comme autant de coups marketing
pour
gonfler
les
dividendes. Chez De Bethune, la
réalité de l’horlogerie est ailleurs.
Elle s’appuie sur le passé pour
mieux inventer l’avenir.
On voit beaucoup d’exclusifs à
la manufacture. Mais que l’on ne
s’y trompe pas. Derrière ces matériaux inhabituels (météorite) ou
récents (titane, silicium et zirconium en tête), bat le cœur de l’horlogerie véritable: celle de chronomètres toujours plus inventifs et
plus fiables – ces «outils», au sens
noble, de la mesure du temps.
Embrayage absolu, balancier
spiral thermocompensé, résonique (lire ci-dessous)… Pièces métier d’art, tourbillon en silicium et
titane, seconde morte, quantième
De gauche à droite: Calibre DB2144 de la DB28 Digitale. Côtes De Bethune. Calibre DB2039 de la DB29 Maxichrono Tourbillon, Prix de la montre chronographe GPHG 2014.
perpétuel en une seule pièce, parée de zirconium couleur ébène…
Les merveilles sont pléthoriques.
Avec un catalogue de haute horlogerie qui force l’admiration et une
recherche permanente de la qualité – technique et esthétique –, on
ne peut que songer à la devise de
Bayard. «Sans peur, sans reproche», et surtout sans concessions.
«En cas de commandes spéciales,
nous discutons à l’interne pour savoir si nous restons dans le cadre
de notre vision du métier, avant
d’accepter, ou de refuser», explique Denis Flageollet.
Cette «Dream Watch» dont la
boîte a été taillée dans les scories
du métal d’une météorite? Un
coup marketing? L’émotion subite
et furtive dans l’œil du maître horloger indique que la question rebute. Tout comme l’aspect promotionnel de son activité: «La seule
chose qui nous guide est notre
plaisir, et notre curiosité liée à
l’amour des matériaux. Nous
aimons par-dessus tout, David et
moi, découvrir tout ce que l’on
peut tirer d’une matière. On aime
essayer, s’amuser. J’ai besoin de
toucher le matériau, de le travailler. Dès qu’il y a un morceau de
quoi que ce soit qui nous passe
entre les mains, on a envie de voir si
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
«Pour passer
du balancier spiral
de Huygens à ce qui
se fait aujourd’hui,
les horlogers ont mis
trois cents ans.»
De Bethune DB28GS: boîtier
en titane grade 5 satiné
de 44 mm de diamètre et anses
mobiles. Calibre DB2115
à remontage manuel doté
de 6 jours de réserve
de marche. Etanche à 100 m.
Sur bracelet en caoutchouc.
Denis Flageollet
d’un doigt ganté de cuir, sur une
meule en buis. Des manipulations
d’équilibriste.
Sébastien, lui, est dans la lune. Il
a le regard fixé sur une boule, de la
taille d’un grain de poivre.
L’ouvrier manipule avec la plus
grande précaution la sphère qui va
devenir le satellite de la Terre dans
une montre phase de lune en trois
dimensions. A la chaleur de sa
lampe à alcool, il est en train de
bleuir l’astre miniature. Les deux
demi-sphères collées et polies,
l’une en palladium, l’autre en acier,
réagissent différemment à la
flamme. La partie acier s’oxyde et
prend cette teinte bleu-violet aux
nuances et à la profondeur incomparables. «C’est magique, mais très
difficile, sourit l’employé. Le gros
Ci-contre de haut en bas:
Assemblage du calibre DB2115
de la DB28GS.
Tourbillon 30 De Bethune ultraléger
en silicium/titane 36 000 a/h.
on peut en faire une montre!»
«Nous sommes des artisans avant
tout, complétera plus tard Laurent
Belot, le responsable de la production des modèles de série. Nous ne
sommes pas des businessmen. Ce
n’est certainement pas le cas de Denis en tout cas. C’est un puriste, un
passionné.»
Parquets qui grincent, prototypes en nombre. A La Chaux, où il
vit et travaille, l’horloger français
d’origine passe sans cesse de son
bureau à son atelier avec en permanence une multitude de projets et d’idées en tête. Denis Flageollet saute de son écran et de la
conception assistée par ordinateur en 3D à ses outils, pour explorer, tester, développer. Le tout à
partir de dessins griffonnés sur un
coin de table en compagnie de David Zanetta.
A la manufacture de l’Auberson, à quelques kilomètres des bureaux de recherche, personne
pour admirer la vue. On s’affaire,
sans prêter attention au monde
extérieur. 90% des pièces sont fabriquées sur place. Une décolleteuse maison assure depuis un an
la quasi-totale autonomie: «La fabrication des pièces, c’est la base,
note Laurent Belot, le responsable. Pour avoir la main sur la qualité, de A à Z, et pouvoir tout
contrôler en permanence et en
temps réel, on doit faire nous-mêmes, au maximum.»
Anglage, polissage, traitement
des surfaces… Un travail de titan
et d’orfèvre, entièrement effectué
à la main. Devant nous, un pont de
chrono entre une paire de mains
expertes: il faudra entre cinq et six
heures pour l’angler. Autre maniaquerie: la décoration des pièces en «côtes de Bethune». L’une
des signatures de la marque: on
fait se rejoindre les côtes au centre
de la pièce en une seule ligne.
Aussi le polissage à plat: comme
sur ces supports pour les triples
pare-chutes, polis un à un du bout
souci c’est qu’à la moindre micropoussière, il faut recommencer
tout le travail, depuis le polissage…»
A côté, Aurore, elle, est une
chasseuse d’étoiles. Elle s’affaire
sur ce qui deviendra un tourbillon
joaillerie. Sur le cadran en titane
poli puis bleui, elle vient chasser
les étoiles de la voûte céleste: 90
micro-trous ébavurés à la main de
diamètres différents dans lesquels
elle glisse une goupille en or. Chez
De Bethune, d’un employé à
l’autre, ce sont des heures et des
heures de perfectionnisme qui
s’additionnent les unes aux autres
dans des proportions affolantes.
Avec à chaque étape le couperet
du contrôle qualité. «Nous, on ne
se rend pas compte, on est dedans,
philosophe Laurent Belot. On fait
nos cadrans à la main, ça nous
paraît banal. Comme de passer
cinq heures sur une aiguille…»
Autre frisson pour le visiteur: le
montage des tourbillons en titane
et silicium. Une opération sensible
du fait de la fragilité du silicium
dans sa manipulation; mais le gage
au final d’une pièce ultrarésistante
car ultralégère. Comme la fabrication des balanciers: 0,0680 millième de gramme de titane auquel
on greffe des ogives d’équilibrage.
La maison fabrique aussi ses propres balanciers en silicium.
Face à une telle panoplie de
savoir-faire, et tant de pièces d’art,
on a juste l’envie de s’asseoir, là, et
de profiter de l’air et de la lumière,
sans se demander de quel plissement hercynien est né le paysage,
ni ce qu’il y a de l’autre côté de la
montagne. Savourer. La même
émotion que l’on éprouve devant
une œuvre d’art. Celle qui n’appelle pas de commentaire.
De l’histoire, de la science, de la
culture, l’amour des Arts, de la
mécanique et du travail. Finalement peut-être est-ce chez un
homme de Lettres qu’il faut chercher une tentative de définition,
pour qualifier le binôme créateur
et les équipes inclassables De
Bethune. Rabelais, un autre géant,
le Tiers Livre: «[…] folz comme poëtes, et resveurs comme philosophes.»
«Dépasserlescachotterieshorlogères»
Denis Flageollet,
le cofondateur
de la marque, explique
la vision de l’horlogerie
de De Bethune
ce qui se fait aujourd’hui, les
horlogers ont mis trois cents ans.
La technologie actuelle offre
d’immenses possibilités. Nous
devons les utiliser. Nous le devons
à nos pères. Breguet, Berthoud et
les autres auraient adoré avoir de
tels outils et possibilités.
Le Temps: «Tradition et innovation»,
est-ce la philosophie De Bethune?
Denis Flageollet: Absolument. C’est
le credo des horlogers, la raison
d’être du métier. La culture du
passé et l’adaptation permanente
aux connaissances techniques et
technologiques du moment.
Notre but est de réaliser l’instrument horloger le plus pertinent,
tant dans sa technologie que dans
son esthétique. Cet esprit d’innovation des débuts, qui a accompagné tout le siècle des Lumières,
c’est une chose que l’horlogerie a
hélas fini par oublier.
La pratique du métier
a donc changé?
Avant, beaucoup de choses
étaient du domaine de l’institution. Aujourd’hui, grâce à des
caméras haute vitesse par exemple, on peut constater et mesurer
les phénomènes en laboratoire.
On n’est pas plus intelligents que
les anciens, mais on a cette
chance d’avoir un point de vue
différent et donc de pouvoir
réfléchir différemment. Et aussi
d’aller plus rapidement au but. Il
faut en profiter.
Tout n’a-t-il pas déjà été inventé
dans le domaine?
Nous avons aujourd’hui des
technologies à disposition qui
nous viennent d’autres industries
et qui nous permettent de développer l’horlogerie mécanique de
façon exceptionnelle. Je pense à
l’industrie aéronautique par
exemple. Si on peut aussi bien
travailler le titane aujourd’hui
c’est grâce entre autres à ce qui a
été fait dans le secteur médical
depuis les années 90. L’industrie
électronique aussi: la maîtrise du
silicium vient de là. Ce n’est pas
une invention horlogère.
C’est une question d’outils
et de matériaux avant tout?
Pas uniquement. Mais pour passer
du balancier spiral de Huygens à
Faudrait-il carrément faire table
rase du passé?
Sûrement pas. Prenons l’exemple
de notre Maxichrono (Prix du
meilleur chronographe 2014 au
Grand Prix d’Horlogerie de Genève, ndlr). Cinq aiguilles au
centre pour une vraie lisibilité,
une lecture de temps long, le tout
sans les risques de saut habituels.
Il fallait pour cela revoir complètement le principe du chronographe et son architecture. Nous
avons retravaillé sur tout ce qui
existait, en gardant les embrayages à pignons oscillants et à bascule, qui fonctionnent bien. Mais
on en a développé un nouveau,
l’embrayage absolu, pour le compteur de secondes. On ne jette pas la
technologie existante. On innove
seulement quand c’est nécessaire.
Souvent en open source.
Certaines de vos idées ne sont pas
protégées. C’est donc la logique
d’innovation pure qui prévaut
sur la logique commerciale?
Absolument. Si Huygens à
l’époque n’avait pas laissé son
spiral à la disposition de tout le
monde, l’horlogerie n’en serait
pas où elle est. Même chose pour
la recherche scientifique en
général. A un moment donné, il
faut dépasser cet esprit de
cachotteries horlogères
habituelles, s’ouvrir l’esprit et
partager, pour progresser.
C’est ce que vous préconisez pour
la «résonique». De quoi s’agit-il?
C’est de la recherche fondamentale. Nous ne visons pas la production d’une pièce spécifique
dans ce domaine. Nous cherchons à faire avancer les choses,
découvrir et préparer le futur. La
résonique s’intéresse au développement d’un nouveau type d’organe réglant, en rupture avec le
système du balancier spiral traditionnel.
Comment cela fonctionne-t-il?
Cela fait intervenir la haute fréquence: plus la fréquence d’un
calibre est haute et moins ce
dernier est perturbé par les chocs
que génère le port d’une montre
au poignet. Mais au-delà de 5 Hz,
on s’expose à des risques d’usure
prématurée des composants.
C’est là toute la difficulté. Pour
avoir des fréquences 10 à 100 fois
supérieures, il faut une plus
grande qualité d’oscillateur, un
meilleur rendement de l’échappement. Mais aussi de faibles
amplitudes, pour garantir une
réserve de marche suffisante à
une montre-bracelet.
Concrètement?
Un oscillateur quel qu’il soit fonctionne comme un pendule. Si ce
dernier est totalement libre, il est
parfaitement isochrone, quelle
que soit son amplitude. Dès qu’on
commence à l’asservir avec un
échappement, il n’est plus isochrone. On exerce une contrainte
dessus, il y a donc de facto une
moins bonne régulation.
La résonique revient à asservir
le moins possible l’oscillateur?
Exactement. Avec la résonique,
on travaille sur un système
d’échappement magnétique qui
entraîne l’oscillateur en le
laissant libre jusqu’à la troisième
oscillation. On le laisse sans
contrainte bien plus longtemps
que dans n’importe quel objet
horloger mécanique actuel. On
cherche à agir sur l’oscillateur le
moins possible, pour le
contraindre le moins possible.
On cherche à augmenter pour
cela sa fréquence au maximum,
tout en sécurisant son
échappement.
Est-ce que le milieu s’intéresse
à vos recherches fondamentales?
La résonique est une perspective
extrêmement intéressante. Mais
elle n’a de loin pas été comprise
par tout le monde, bien que tous
nos travaux soient entièrement
accessibles. Nous pensions à un
moment que le milieu horloger
allait participer de façon à ce
qu’on puisse développer la chose
ensemble, mais ce n’est pas le cas.
Certains suivent de près nos
travaux, mais personne n’est
encore venu en discuter avec
nous…
Propos recueillis par P. C.
19
20
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Ralph Lauren Collection Sporting
45 mm Automotive Chronographe:
boîtier en acier, cadran bois.
Panerai Luminor 1950 3 days Chrono
Flyback Automatic Ceramica 44 mm:
boîtier en céramique et calibre automatique.
Louis Vuitton Tambour éVolution Chronographe GMT in Black: boîtier en Black MMC
noir de 45 mm et calibre automatique.
Piaget Altiplano chronographe GMT:
boîtier en or rose avec calibre manuel
GMT et flyback.
Tissot PRS 516: boîtier en acier
étanche à 100 m, calibre
automatique.
CHRONOGRAPHES
LA COURSE
Le chronographe semble
ne plus avoir de secret
pour personne.
Pourtant, certaines
de ses fonctionnalités
sont encore aujourd’hui
trop souvent ignorées.
Voici, grâce à quelques
nouveautés
remarquables, l’occasion
de rappeler certains
de ses grands principes
de fonctionnement.
Breitling Transocean Chronograph
1915: boîtier en acier et calibre de
chronographe manuel B14 Certifié
COSC.
Par Vincent Daveau
PHOTOS: DR
D
epuis 1821 et l’invention par Nicolas
Rieussec d’un gardetemps baptisé par
ses soins «chronographe» parce qu’il
affichait les temps courts en apposant sur un cadran en émail
une goutte d’encre, le monde a
basculé, avec frénésie, dans la
course à la précision. Les horlogers passionnés ont alors fait
appel à toutes sortes de développements techniques pour améliorer les rendements de ce garde-temps. Et comme l’innovation
est la raison d’être du métier, il
sera possible de constater avec
quelques pièces présentées pendant les salons à quel point modernité et tradition peuvent se
combiner pour offrir de nouveaux débouchés à des montres
spécialisées dont on croit trop
souvent le fonctionnement figé
dans le temps.
Question de poussoirs
A force de les avoir sous les yeux,
on finit souvent par croire que
certaines inventions existent depuis les origines de l’horlogerie. Il
n’en est rien. C’est ce que souligne,
cette année, la maison Breitling
avec son chronographe Transocean Chronograph 1915. Cette
pièce à remontage manuel certifié chronomètre par le COSC et
éditée en série limitée dispose
d’un seul poussoir de chrono
placé à 2 heures.
Il rappelle ainsi qu’avant 1915,
cet organe permettant de lancer,
d’arrêter et de remettre à zéro les
mesures de temps se trouvait systématiquement dans la couronne
de remontoir. En le plaçant à cet
Vacheron Constantin Harmony Chronographe Grande
Complication Ultra-plat: boîtier en platine et calibre automatique
avec complication rattrapante. Edité à dix exemplaires.
endroit, la marque au «B» ailé le
rendait plus aisé à manipuler de
l’index. Cette localisation préfigurait également la mise au point, à
partir de 1923, d’un second poussoir placé, lui, dans la couronne de
remontoir.
Ainsi équipé de deux poussoirs, celui-ci permettait aux fabricants de séparer les fonctions
de mise en marche/arrêt (poussoir à 2 heures) et celle de remise à
zéro ou d’intégrer une complication de rattrapante à leur chrono.
On notera que ce n’est qu’à partir
de 1934 et toujours à l’initiative
de Breitling que le second
poussoir de chrono sera placé à 4
heures. Cette disposition qu’emploie la majorité des marques, y
compris les plus jeunes comme
Louis Vuitton pour son chronographe Tambour éVolution GMT
in Black ou Montblanc pour la
collection TimeWalker est, de
toutes, la plus efficace et la plus
pratique. Toutefois, certaines
marques, comme Panerai avec la
Luminor Chronographe Flyback
Ceramica, optent pour un positionnement sur le flanc gauche
du boîtier. Ici, ce choix est imposé
par des questions d’ordre technique, le fonctionnement demeurant identique.
Du bon usage de la rattrapante
Souvent, le fait qu’il y ait plus de
deux poussoirs sur la carrure d’un
chronographe laisse supposer la
présence de la complication de rattrapante, mise au point dans sa
forme actuelle vers 1880. Exceptionnelle de nos jours, mais assez
courante durant la première moitié du XXe siècle, cette construction extrêmement complexe à fabriquer avait de multiples usages
tant dans l’industrie que dans le
sport. Grâce à la présence d’une seconde trotteuse dont la marche
pouvait être interrompue à volonté en pressant un poussoir spécifique, on pouvait multiplier les
possibilités de mesure d’un chronographe. Ainsi, dans la pratique,
il est possible grâce à une rattrapante de mesurer un événement
nécessitant de relever les temps intermédiaires d’une action en cours,
mais également de relever les performances ou la durée de deux actions ayant le même début, mais
pas nécessairement la même fin.
Cette année, et depuis dix ans,
cette complication se fait rare
chez les horlogers. C’est dommage, car de par son esthétique et
le haut niveau de technicité demandé de la part des horlogers
pour la réaliser, la rattrapante est
très appréciée des puristes. C’est
sans doute pour cette raison que
Bulgari la présente dans son Tourbillon Chronographe Rattrapante
cal. DR8300 paré d’un boîtier double ellipse en or rose. Et que la
manufacture Vacheron Constantin a choisi de l’intégrer à son
chronographe Harmony Ultra
Thin Grande Complication, une
nouvelle famille de montres lancée pour les 260 ans de la marque.
On notera au dos de ce gardetemps la présence d’un calibre original. Fini avec soin et estampillé
Poinçon de Genève, ce cœur exceptionnel laisse voir, par la glace
saphir de fond et en l’absence de
masse oscillante visible pour le remontage automatique, tous les
organes destinés à la complication de rattrapante: une roue à
colonne spécifique, la pince dédiée à l’immobilisation de la roue
de trotteuse de rattrapante et les
ressorts de rappel de cette dernière lui permettant de s’effacer
sous l’aiguille de chrono principale quand elle n’est pas utilisée.
Lâcher l’embrayage
Durant des décennies, pour ne pas
dire des siècles, les horlogers ont
principalement utilisé pour les
chronographes de leur fabrication
le mode de construction mis au
point en 1862 par l’horloger suisse
Adolphe Nicole. Son invention majeure permettant la remise à zéro
des aiguilles était associée à un mécanisme de transmission de la
force du rouage principal à la roue
de chronographe, que les constructeurs d’aujourd’hui appellent
un embrayage latéral. Les puristes
lui reprochent d’être à l’origine du
petit saut de la pointe de l’aiguille
de chrono qu’il est possible de remarquer au démarrage d’une mesure. C’est infime, mais le signe que
le calibre est effectivement équipé
d’un embrayage traditionnel.
Pour éviter cette corruption potentielle des chronométrages,
quelques horlogers visionnaires
ont mis au point, dès 1892, un mécanisme inspiré de celui des automobiles qui, agissant verticalement et par friction, remplace
graduellement depuis la fin des
années 60 la bascule se déplaçant
tangentiellement. Retenu par les
ingénieurs lors de la mise au point
des nouveaux calibres de chronographe qui ont fleuri ces dernières
années, cet embrayage se retrouve
aujourd’hui dans un grand nombre de créations contemporaines.
Il est ainsi présent au cœur du
chronographe Rotonde de Cartier,
du chronographe à Quantième
Perpétuel Edition 75e anniversaire
d’IWC. Même des instruments plébiscités pour leur finesse comme le
Chronographe Altiplano présenté
par Piaget en est doté. Le calibre
automatique mis au point par
Jaeger-LeCoultre et utilisé par
Ralph Lauren en est également
équipé tout comme en est doté le
chrono Panerai Luminor 1950 3
Days Flyback Automatic. Précis,
très résistant aux chocs comme
aux vibrations et pratiquement
inusable, il trouve parfaitement sa
place au cœur des mouvements de
qualité, car il prend finalement
peu de place et se montre d’une
efficacité à toute épreuve.
C’est automatique
Les premiers chronographes
automatiques ont été présentés
en 1969. Au nombre de quatre,
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Longines Chronographe Pulsomètre
monopoussoir: boîtier acier 40 mm.
Calibre automatique L788.2.
Cartier Rotonde de Cartier
chronographe 40 mm: boîtier en acier,
calibre automatique 1904-CH MC.
Audemars Piguet Tourbillon
Chronographe Royal Oak Offshore
Automatique: boîtier de 44 mm en carbone
forgé®; calibre automatique à tourbillon.
contre le temps
PUBLICITÉ
TAG Heuer Carrera
Chronographe 39 mm:
boîtier en acier de 39 mm,
calibre automatique.
les marques Zenith, Breitling,
TAG Heuer et Seiko proposaient
leur vision du remontage automatique pour un même type
d’instrument. Deux maisons faisaient appel à des masses oscillantes traditionnelles tournant par le centre sur 360°. Les
deux autres optaient pour une
solution faisant appel à un micro-rotor.
Aujourd’hui, ces deux modes de
remontage se partagent l’essentiel
du marché, mais depuis peu, on
note l’arrivée d’une troisième option faisant appel à une masse oscillante tournant, elle aussi, sur
360°, mais à la périphérie du calibre. Ce mode de construction que
l’on retrouve au cœur du nouveau
chronographe Royal Oak Offshore
Tourbillon Chronographe Automatique et visible côté cadran,
sous le chemin de fer de minuterie
opportunément transparent, est
également présent chez Vacheron
Constantin. En effet, la manufacture qui célèbre son 260e anniversaire a fait le choix d’offrir aux dix
collectionneurs qui auront la
chance d’acquérir cette pièce la
possibilité de profiter des finitions
de ce calibre d’exception. Pour y
parvenir tout en offrant une souplesse d’utilisation garantie par la
présence d’un mécanisme permettant le remontage automatique du
mouvement au gré des mouvements du bras, les horlogers et ingénieurs de la plus ancienne manufacture genevoise à n’avoir
jamais cessé ses activités ont opté
pour une construction originale
faisant appel à une masse en or
gravée main, gravitant à la périphérie du mouvement. Ainsi équipés, les mouvements peuvent avoir
un mode de fonctionnement contemporain tout en restant visuellement traditionnels.
Avoir la bonne échelle
L’utilisation d’un chronographe
est conditionnée en partie par les
moyens qu’il offre de pouvoir
mesurer des actions qui ne sont
pas toutes directement liées au
temps, mais dont le temps permet le calcul précis. Ainsi, s’il
s’agit de compter la durée de
cuisson des œufs, un simple
chrono fera l’affaire, tout comme
il suffira pour évaluer le temps
mis par un athlète pour boucler
un tour de piste. Maintenant,
pour mesurer d’autres événements ou des actions ciblées, il
est parfois nécessaire au porteur
du chronographe de disposer
d’une échelle permettant de convertir le temps en différentes informations utiles. Ainsi, l’échelle
télémétrique graduée en kilomètres, présente cette année sur le
cadran du chrono Carrera Automatique de 39 mm au dessin très
rétro proposé par TAG Heuer, servira aux randonneurs pour mesurer à quelle distance est tombée
la foudre. Mais les chronographes peuvent également porter
une échelle tachymétrique destinée à mesurer la vitesse d’un véhicule sur une distance d’un kilomètre comme on en voit sur le
dernier chrono Tissot PRS 516 ou
le chrono Newport Yacht Club
Automatique de Michel Herbelin. Il existe également une
échelle dite pulsométrique qui
sert aux médecins pour relever le
pouls des patients avec précision
en n’ayant à compter que leurs 30
premières pulsations.
Bulgari DR tourbillon Chrono
Rattrapante: boîtier à double ellipse en or
rose et calibre DR 8300 de chronographe
manuel à rattrapante.
IWC Portugieser Calendrier Perpétuel
Digital Date et Mois Edition 75th
Anniversary: boîtier en platine
et calibre automatique 89801.
21
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
007
La collection de montres
d’un agent secret
Ci-dessous, la Rolex Oyster
Perpetual Submariner
surnommée «James Bond»
par les collectionneurs qu’on
retrouve ci-contre au poignet
de Sean Connery dans
«Dr. No» en 1962.
SCREEN PROD/PHOTONONSTOP
Le prochain James Bond – «Spectre» – sortira en novembre 2015
avec le taiseux Daniel Craig dans le rôle de l’espion et l’excellent
Christoph Waltz dans celui du méchant. Une fois encore,
double zéro sept portera à son poignet une Omega.
Mais tel n’a pas toujours été le cas. Par Catherine Cochard
– Rolex?
– Omega.
– Magnifique.
E
xtrait d’une discussion –
de haut vol! – entre la vénéneuse Vesper et James
Bond dans le film Casino
Royale, ces trois lignes
tiennent plus de la publicité que de la narration. Il ne s’agit
pas d’éléments nécessaires à
l’avancée du récit, le spectateur
peut très bien s’en passer. Mais à
l’heure d’aujourd’hui, les marques rivalisent d’ingéniosité pour
s’insinuer dans les conversations
et dans tout ce qui peut toucher
un maximum de personnes. «Rien
de plus normal», rétorquent les
professionnels de la commercialisation de l’espace visuel à disposition, à l’instar de Marina Wollheim Araoz de Propaganda GEM à
Genève, une société spécialisée
dans le placement de produit
dans les films, les séries ou encore
les clips vidéo. «Si je prenais une
caméra et que je me promenais en
ville pendant cinq minutes, je suis
persuadée que sur les images filmées apparaîtraient plus de publicités que dans la majeure partie
de ce qu’on peut voir au cinéma.»
C’est possible. Mais de là à
pénétrer le scénario d’un longmétrage, c’est assez fort de la part
d’Omega. «Je vous promets
qu’Omega n’était pas au courant,
affirme son président Stephen Urquhart. Les producteurs ont décidé seuls et on m’a seulement dit,
à l’époque, que j’allais être agréablement surpris…»
Si dans Spectre, le nouvel opus
des aventures de double zéro sept
sur les écrans dès novembre 2015,
Daniel Craig portera au poignet et
dans toutes les occasions une
Omega, l’histoire d’amour entre la
saga cinématographique et la
marque de Bienne dure depuis
bien plus longtemps que toutes
les liaisons de James Bond mises
bout à bout. C’est en 1995 que la
marque s’associe pour la première
fois à l’espion, sous l’égide de JeanClaude Biver alors membre du comité de direction de Swatch
Group, dont la mission première
était de redresser la maison horlogère. «A l’époque, notre objectif
était de rendre la marque désirable auprès des jeunes, soit des personnes âgées de 20 à 40 ans, se
souvient l’actuel président du
conseil d’administration de Hublot. Une des assistantes marketing de la maison m’a dit que le
tournage d’un nouveau James
Bond allait commencer et que ce
serait un moyen d’approcher cette
nouvelle génération. Ma première
réaction fut de lui dire que 007
c’était dépassé et bon pour les
vieux!» A la décharge de JeanClaude Biver, Permis de Tuer, alors
le dernier James Bond sorti en
1989, n’était pas le plus réussi de
DR
22
la série, Timothy Dalton n’étant
pas parvenu à s’élever au rang de
sex-symbol, contrairement à Sean
Connery ou Roger Moore au
même emploi.
«L’employée est revenue à la
charge deux autres fois avec son
idée de s’associer au nouveau James Bond. Je lui disais à chaque
fois non.» Mais l’insistance de l’assistante finit par faire douter JeanClaude Biver. «Je me suis dit que
c’était peut-être moi qui étais
vieux et qu’à la place de refuser
catégoriquement sa proposition,
je ferais mieux d’y réfléchir un peu
plus sérieusement.» Tant et si bien
Pour «Skyfall» (2012), Daniel Craig
portait une Omega. Sur cette image,
on reconnaît en toile de fond lstanbul
où ont été tournées les premières
scènes du film.
que quelques semaines plus tard,
il rencontre à Los Angeles les producteurs d’Universal Studio en
vue d’un placement de produit
dans GoldenEye, le nouvel épisode
de la saga qui sortira en 1995.
«Mais je ne voulais pas me contenter de mettre une Omega au poignet de Pierce Brosnan, je voulais
pouvoir le dire – des semaines
avant que le film n’arrive sur les
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Le nouveau modèle Omega
Seamaster Aqua Terra 150M.
Une édition limitée à 15007
exemplaires dont le cadran
décline en motif les armoiries
de Bond. On retrouve également
le blason familial à la pointe
de la trotteuse.
Dans «Vivre et laisser
mourir» (1973),
Roger Moore incarne 007.
Il dispose d’une Rolex ainsi
que d’une Pulsar à quartz.
DANJAQ/EON/UA/THE KOBAL COLLECTION
Ci-dessous: la Seiko
aperçue dans «L’espion
qui m’aimait» (1977).
«Les sommes que nous
engageons sur ces
actions correspondent
au budget normal
investi pour tout
lancement d’un
nouveau modèle
de montre»
écrans et dans le monde entier –
par des communiqués, des conférences de presse et des publicités.
Je ne pouvais prendre le risque
que la moitié des spectateurs
manquent mon produit à l’écran:
il fallait que toute personne qui se
rende au cinéma pour voir le nouveau James Bond connaisse –
avant même d’être assis – la marque de la montre du héros.»
L’accord conclu avec les producteurs de James Bond comprend au final bien plus qu’un
simple insert de produit. Omega
obtient le droit de communiquer
sur sa participation au film pendant six mois avant et après la sortie, les photographies tirées du
long-métrage et le droit de les exploiter commercialement ainsi
que les rushes pour réaliser un
spot à diffuser dans les salles de
cinéma et sur les chaînes de télévision. «Il ne s’agit pas d’un placement de produit classique puisqu’Omega ne donne pas d’argent
pour qu’une montre apparaisse à
l’écran, développe Stephen Urquhart. Avec nos modèles inspirés
par James Bond ou portés par lui,
nous parlons du film, nous lui faisons ainsi de la publicité. En retour, durant sa promotion nous
sommes présents et visibles.» Un
échange «win-win», comme disent les pros. «Les sommes que
nous engageons sur ces actions
correspondent au budget normal
investi pour tout lancement d’un
nouveau modèle de montre.»
Si l’idylle dure depuis 1995,
James Bond s’était entiché aupa-
ravant d’autres garde-temps
d’autres marques qu’Omega. A
l’instar de Rolex, qui fait savoir
que la maison n’avait pas d’association officielle avec le personnage et que sa présence dans les
livres d’Ian Fleming – les ouvrages dont s’inspire la saga cinématographique – relève du seul
choix de l’auteur. Le site lesrhabilleurs.com, qui s’intéresse à
l’actualité des montres, s’était du
reste amusé à dresser la liste des
différentes conquêtes horlogè-
SEAN CONNERY, SON
COMBISHORT ET SA
ROLEX SUBMARINER
res de 007. Ainsi, on apprend
que dans Goldfinger (1964) –
comme dans James Bond contre
Dr. No (1962) ou Bons Baisers de
Russie (1963) – Sean Connery assortit son combishort en éponge
bleu pâle à un modèle Rolex Submariner.
Dans Opération Tonnerre (1965),
il échange son modèle fétiche de
la marque à la couronne contre
une Breitling que lui fournit Q et
qui possède un détecteur de radioactivité pour découvrir les missiles nucléaires dérobés par Spectre. Puis retour aux premières
amours horlogères, par exemple
dans On ne vit que deux fois (1967)
et Au service secret de Sa Majesté
(1969), des films dans lesquels
c’est une Rolex qui brille au poignet de l’agent secret.
Plus tard, en 1973, dans Vivre et
laisser mourir, on aperçoit une Pulsar à quartz qui fait office de
réveille-matin et marque radicalement le changement de décennie
par son design jadis futuriste,
aujourd’hui rétro-futuriste.
Dès la fin des années 70, c’est le
japonais Seiko qui squatte le poignet de 007, comme dans L’espion
qui m’aimait (1977), Moonraker
(1979, une montre «augmentée»
d’un détonateur de charge relié
par câble), Rien que pour vos yeux
(1981, avec un téléscripteur à affichage double, d’une part, analogique et, de l’autre, à cristaux liquides) ou encore dans Octopussy
(1983, deux modèles de la marque dont un à la pointe de la recherche technologique puisque
proposant carrément un écran de
télévision embarqué).
Ces exemples d’avant l’ère
Omega illustrent bien l’évolution
du placement de produit au cinéma. D’une insertion plus ou
moins discrète dans les images
d’un film, on est passé à une stratégie de marketing et communication pesant des millions de dollars.
«Quand une marque ne se contente pas simplement d’un placement de produit mais qu’en plus
elle utilise la composante émotionnelle du film pour communiquer,
c’est ce qu’on appelle dans le jargon
une activation, développe Marina
Wollheim Araoz. A partir de l’histoire du long-métrage, elle raconte
la sienne.»
23
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Ci-contre de gauche à droite:
Calibre Tudor 390 FEF pour Tudor. Mis au point
par la Fabrique d’Ebauche Fleurier. Intégré aux collections
de la marque à partir de 1952, ce cœur automatique,
précis et robuste, a été proposé en version dorée
et rhodiée.
Calibre Tudor de manufacture référencé MT5621.
Mouvement automatique à remontage automatique
bidirectionnel de 33,8 mm de diamètre. 6,5 mm
d’épaisseur. Fréquence: 4 Hz; 70 heures de réserve
de marche; Certifié COSC avec balancier
à inertie variable et spiral silicium amagnétique.
EXCLUSIF
Tudorcréesonpremier
calibreautomatique
L
La marque ayant un bouclier pour emblème lance
un garde-temps technique accessible équipé,
pour la première fois, d’un calibre automatique maison.
a montre en général, et
plus
particulièrement
masculine, véhicule une
foule d’informations sur
la personnalité de ceux
qui en ont fait le choix. Et
ce, du fait que les instruments de
mesure du temps sont, depuis
quelques siècles, le seul bijou
qu’un homme peut décemment
porter sans susciter d’autre interrogation que celles ayant trait au
choix du modèle observé.
Par Vincent Daveau
Une montre
pour rêver d’aventure
Face au besoin de se démarquer
toujours plus de la concurrence, le
choix d’un dessin pertinent pour
un garde-temps est essentiel, car il
est la première aspérité qui accroche le regard et permet à la marque
d’imprimer visuellement la destination de l’objet. Tant qu’il y aura
des hommes qui rêvent d’aventure
et de grands espaces, il y aura de la
place pour des montres qui symbolisent cet appel du large. Tudor a
fait le choix de lancer North Flag,
une nouvelle montre technique,
robuste et fiable, taillée pour affronter la réalité de la nature brute
et s’imposer comme un outil qui
ne connaît de frontières que celles
de l’imagination ainsi que le courage de son porteur et dotée du
premier calibre maison. Une manière de s’affranchir de la maison
mère Rolex. Pour écrire la légende
de cette nouvelle référence dans la
déjà riche collection Tudor, la marque a choisi un terrain de jeu encore pratiquement vierge: celui
des Pôles, des glaciers, des zones
géographiques les plus froides de
la planète. En retenant comme lieu
d’inspiration ces étendues reculées
que seules les expéditions visitent
et où personne ne vit durablement, la maison, fondée le
17 février1926 par Hans Wilsdorf,
a opté pour un positionnement radical. Son dessin tendu et son calibre maison permettront à Tudor
de s’inscrire dans le cercle très
fermé des manufactures.
Désir d’émancipation
On dit que le matériel ne fait pas les
héros, mais il n’y a pas d’exploit
réfléchi, de victoires ou d’expéditions réussies sans une intense préparation et un choix de produits
de qualité sélectionnés pour être
les plus adaptés à la mission. La
North Flag est donc la première
montre Tudor à être équipée d’un
mouvement développé et produit
en propre par la marque. Ce nouveau mouvement inscrit dans le
processus de reconstruction de Tudor est la partie visible d’un projet
industriel de grande envergure
2461 et AS Cal.1895. Ensuite, la référence ETA 2483 s’impose à partir
de 1969. Elle se voit supplantée en
1976 par le calibre ETA 2776, luimême remplacé à partir de 1987,
par le calibre ETA 2824-2.
Un calibre qui émancipe
PHOTOS: DR
24
destiné à offrir une plus grande indépendance à la maison. L’entreprise, dont la production en
grande série n’a débuté qu’en
1946, a saisi l’importance de proposer des produits robustes aux
sportifs désireux de porter une
montre ayant un bouclier pour
blason. Consciente du caractère
crucial de devoir disposer de calibres robustes et précis, la marque
a, jusqu’à présent, fait appel à différents fabricants pour motoriser ses
collections et a sélectionné les
mouvements génériques les plus
fiables. On retiendra parmi les références à remontage automatique le Cal. 390 apparu à partir de
1952. Conçu par la Fabrique
d’Ebauche de Fleurier (FEF) et spécialement modifié pour Tudor (finitions, antichocs et rotor spécifique
communément
appelé
«Papillon» en raison de sa forme
originale). A partir de 1962 seront
également utilisés les calibres ETA
Ci-dessus: les deux versions
de la Tudor North Flag sur fond
de cascade de glace. Existe
en version acier sur bracelet acier
et en version acier sur bracelet
cuir noir piqué jaune avec
doublure jaune. Le fond du boîtier
étanche à 100 m est ouvert et
permet de découvrir les finitions
du calibre au rotor ajouré.
Montage avec boucle déployante
de sécurité. Tudor North Flag:
à partir de 3400 francs.
La collection Tudor, reposant sur
deux piliers principaux que sont
l’héritage et la technologie, arrive
donc cette année et pour la première fois de son histoire avec un
calibre automatique réalisé à l’interne. Développé et produit selon
un cahier des charges très exigeant,
le nouveau mouvement baptisé Tudor MT5621 va équiper dans un
premier temps le modèle North
Flag. Ce cœur se pare de ponts présentant des finitions techniques argentées mates obtenues par sablage. Elles confèrent à ce calibre
disposant de 70 heures de réserve
de marche une impression de robustesse, augmentée par la présence d’un pont traversant pour
son balancier à inertie variable.
Battant à la fréquence de 28800
alt./heure (4 Hz) grâce à son spiral
en silicium, il se paie le luxe d’être,
pour la première fois chez Tudor,
garanti par un certificat de chronomètre édité par le COSC (Contrôle
officiel suisse des chronomètres).
Redoutablement efficace, ce
mouvement s’observe par le fond
transparent du boîtier monobloc
de 40 mm de diamètre, réalisé en
acier 316L. Du boîtier aux angles
droits et à la surface satinée de la
North Flag, on retiendra son design aux connotations «scientifiques». Les angles droits de la carrure de la montre North Flag sont
amortis par la présence d’une lunette bi-matière associant la céramique pour la tranche à l’acier satiné pour le dessus. Cette première
pièce de manufacture Tudor présente un sobre et très lisible cadran
noir mat avec aiguille d’heure «flèche», minuterie bâton et trotteuse
centrale jaune à la pointe surdimensionnée, dispose également
d’une date à sautoir instantané à
3 heures, d’un utile indicateur de
réserve de marche à 9heures et
d’un stop seconde permettant de
régler la montre avec précision. Cet
ensemble très cohérent, disponible en bracelet acier à fermoir déployant de sécurité ou sur cuir surpiqué fermé au poignet par une
boucle déployante, fait partie de
ces instruments taillés pour accompagner une expédition polaire comme cela fut le cas dans les
années 50 lorsque les membres de
la British North Greenland Expedition (1952-54) emportèrent des
Tudor Oyster Prince dans les froids
arctiques.
26
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Les garde-temps à répétition
minutes ont ceci de fascinant
qu’ils disent en musique le
talent de leurs concepteurs, la
puissance de leurs propriétaires
et la poésie du temps qui passe.
Cette année, les marques
rivalisent d’ingéniosité pour
donner le ton et dépasser les
65 décibels avec leurs montres
musiciennes. Par Vincent Daveau
LE CHANT DU TEMPS
I
l faudra un jour renoncer aux
légendes et finir par admettre
que, depuis leur invention au
XVIIe siècle, les montres dotées
d’une complication de répétitions n’avaient pas pour principale destination de donner l’heure
la nuit. Elles pouvaient effectivement instruire leur propriétaire de
l’heure dans des carrosses ou dans
les antichambres des palais aux
couloirs mal éclairés, mais avaient
avant tout pour rôle d’informer, en
bonne société, les auditeurs à proximité, de la puissance économique
de leurs possesseurs. Les choses
n’ont pas beaucoup changé.
Si le rôle de ces instruments
n’était que d’informer leur propriétaire de l’heure qu’il est sans qu’il
soit nécessaire de la lire, les horlogers auraient plutôt fait des montres à tact, car cette technique est
plus susceptible de transmettre l’information horaire correctement.
Mais l’heure chantée en notes est
fortement associée à une dimension de pouvoir. Ce pouvoir-là, elle
le tient de ce que les ordres religieux ont, durant des siècles en Occident, dicté le rythme de la vie des
hommes à grands coups de cloches.
Avec l’avènement des horloges, les
villes se sont, à leur tour, emparées
de ce pouvoir et ont opposé au
temps rythmé par les saisons celui
né de la science. Cet étrange attachement à l’heure sonnée explique
qu’aujourd’hui encore les montres
à répétition minutes occupent le
sommet de la pyramide en matière
de luxe chez les amateurs occidentaux, tandis que les clients issus
d’autres cultures sont plus sensibles
à des mises en valeur mécaniques
visuellement plus démonstratives.
Animer la complication
de sonnerie
La prise de conscience de cet état de
fait incite aujourd’hui les marques à
proposer des répétitions minutes
intégrant une dimension démonstrative dans leur construction, faute
souvent de parvenir à les faire sonner avec suffisamment de puissance
pour attirer l’attention d’un large
auditoire. Depuis l’utilisation des
fonds transparents, il est possible
de voir les petits marteaux et le ralentisseur à inertie entrer en action
une fois la pièce enclenchée. Toutefois, il faut pour cela avoir ôté la
montre de son poignet. La démarche de se défaire de sa montre pour
expliquer un mystère mécanique
n’a de sens qu’en société.
Faute donc de parvenir à arracher au garde-temps un son clair et
puissant audible à distance, les horlogers ont pris le parti de l’enrichir
d’une dimension plus théâtrale.
Cela permet également d’élargir le
cercle des consommateurs que
seuls les mécanismes mobiles
comme les tourbillons ou les automates attirent. Cela explique les
choix faits par quelques maisons
comme Cartier avec sa Rotonde
Grande Complication Quantième
Perpétuel, Tourbillon et Répétition
Minutes d’ajourer le cadran pour
laisser voir les mécanismes de sonnerie. D’autres ajoutent à cette magnifique complication des éléments mobiles pour maximiser le
rendu musical ou faire oublier sa
faible puissance. La manufacture
Ulysse Nardin a pris cette option
pour valoriser le sublime mécanisme de sa montre Hannibal Westminster Carillon Tourbillon Jaquemarts. La maison Jaquet Droz, par
tradition attachée aux automates, a
conçu la Bird Repeater pour le plaisir des yeux.
La guerre des décibels
Mais pour quelques horlogers passionnés, la quête ultime en matière
de montres à sonnerie, c’est la puissance du son. Leur but: parvenir à
leur faire passer le cap des 65 décibels qu’elles atteignent plus ou
moins toutes, aujourd’hui. Pour aller au-delà, certains acousticiens
conseillent de travailler les harmoniques et le rapport entre le poids et
le volume du boîtier. Mais il serait
trop simple de limiter un résultat
subjectif et auditif à ces seuls points,
car interfèrent sur le son émis plusieurs éléments: la matière du boîtier, celle des timbres, la force et la
vitesse de frappe des marteaux, le
silence du ralentisseur inertiel et le
bruit ambiant dans lequel baigne la
montre musicienne.
Cette année, quelques solutions
se dessinent pour donner du sens à
des sonneries dont la puissance
n’est pas exceptionnelle. Louis Vuitton a fait le choix avec sa montre
Escale Répétition Minutes Worldtime de lui faire sonner l’heure du
«home time» (lieu d’où l’on vient)
plutôt que celle affichée, en voyage,
par les aiguilles. Dans ces conditions, la délicatesse du son émis devient un avantage car ainsi il ne dérange pas les autres passagers d’un
vol, en cas d’usage. On retiendra
aussi l’option de A. Lange & Söhne
qui, avec la Zeitwerk Minute Repeater, a choisi de placer les marteaux
et les timbres par-dessus le cadran
pour permettre au son de se répandre plus aisément. Cependant,
l’amateur retiendra surtout d’elle
son mode de sonnerie décimal, qui
favorise le comptage même lorsque
le son n’est pas très audible.
Mais en matière de son, c’est indéniablement Audemars Piguet
qui, au SIHH, a fait grand bruit avec
sa montre Royal OAk Concept. Cette
pièce en titane travaillée comme un
instrument de lutherie doté d’un
mécanisme de répétition minutes
possède un son scientifiquement
amélioré en termes de volume, de
timbre, de tonalités et d’harmonie.
Au final, sa qualité phonique est
telle qu’elle s’impose comme un
concept sonore à part entière, une
sorte d’étalon en matière de musicalité. Avec ce garde-temps dont nul
ne sait actuellement comment le
son parvient à se répandre dans l’air
avec tant de force, Audemars Piguet
a fait la démonstration que l’impossible est possible et que cette montre est un vrai instrument de musique donnant l’heure à la demande.
PHOTOS: DR
Viennelanuit
sonnel’heure…
Ci-dessus de haut en bas dans le sens
des aiguilles d’une montre:
Louis Vuitton Escale Répétition
Minutes Worldtime. Boîtier en or rose
de 44 mm. Répétition minutes calée
sur le «home time», autrement
dit l’heure du lieu de départ.
Cartier Montre Rotonde Grande
Complication Calibre 9406MC.
Boîtier en platine. Calibre squelette
automatique avec quantième
perpétuel, répétition minutes
et tourbillon volant. Poinçon de Genève.
Ulysse Nardin Répétition Minutes
Hannibal Westminster Carillon
Tourbillon Jaquemarts. Boîtier en platine
de 44 mm. Calibre UN-78 avec
répétition minutes sur quatre timbres
pour jouer l’air de Westminster et avec
personnages mobiles au cadran en
granit véritable. Trente exemplaires.
Jaquet Droz The Bird Repeater Geneva.
Boîtier en or rouge. 47 mm. Calibre
à sonnerie et automates. Mouvement
automatique JD RMA88.
Huit exemplaires.
Audemars Piguet Royal Oak Concept
RD#1. Boîtier en titane de 44 mm.
Calibre de manufacture à remontage
manuel avec répétition minutes ultrasonore, tourbillon et chronographe.
A. Lange & Söhne Zeitwerk Répétition
Minutes. Boîtier en platine de 44,2 mm.
Calibre manuel avec répétition minutes
et sonnerie décimale donnant: cinq
coups doubles pour les dizaines,
neuf sons aigus pour les unités.
Douze sons graves pour les heures).
Franc Vila Tourbillon Répétition
Minutes. Boîtier en or rose ou platine.
Calibre manuel avec répétition minutes
et tourbillon volant. Armement
par la lunette. Etanche à 100 m.
Calibre nu Référence 9406MC
de la grande complication de Cartier.
On voit les râteaux à 6 heures,
l’étoile des minutes au centre et le
microrotor du système de remontage
automatique signé, à 2 heures.
28
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Patek Philippe: toute la simplicité d’une grande
complication avec la référence 5370 grande
complication de Patek Philippe. Pour abriter son
nouveau calibre CHR 29-535 PS (avec chronographe
à rattrapante à deux poussoirs compteur 30 minutes
instantané, petite seconde et remontage manuel),
Patek Philippe a dessiné un boîtier en platine aux
courbes élégantes, rehaussé par une couronne
de style turban et un cadran en émail véritable noir.
ESSENCE
Jusqu’où peut-on aller dans l’épure?
Oter jusqu’à ce qu’il ne reste que l’essentiel,
soit, mais qu’est-ce qui est essentiel
dans une montre? Les horlogers se font
une certaine idée du minimalisme.
Slim d’Hermès: avec son boîtier en acier
au dessin épuré et ses chiffres originaux créés par le
graphiste Philippe Apeloig, cette montre est dotée
d’un calibre automatique de manufacture H1950.
Par Isabelle Cerboneschi
«D
PHOTOS: DR
Greubel Forsey Tourbillon 24 secondes Vision: doté
d’un tourbillon à rotation rapide, boîtier en or gris,
indication sectorielle de la réserve de marche
chronométrique de 72 heures.
Chopard L.U.C XPS Fairmined: fabriquée à
seulement 250 exemplaires, cette pièce de 39,5 mm
réalisée avec un or rose 100% éthique est servie
par un calibre mécanique automatique
(L.U.C 96.12-L), certifié chronomètre par le COSC.
Clé de Cartier: animée par un calibre mécanique
à remontage automatique de manufacture 1847MC,
cette montre de 40 mm en or rose 18 carats
inaugure une nouvelle collection.
onner
une identité
à
quelque
chose de
simple
c’est compliqué», dit Philippe Delhotal, directeur développement et
création de La Montre Hermès,
avant même de dévoiler la nouvelle collection «Slim». Ces montres sont le résultat de la rencontre en une pièce des années 50,
découverte au Conservatoire de la
maison, et un mouvement extraplat mis à disposition par Vaucher. Il aura fallu trois ans de développement pour arriver à un
modèle simplissime et pourtant
assez identitaire. Mais difficile de
dire à quoi tient cette identité.
«C’est une histoire de proportions,
souligne
Philippe
Delhotal.
L’identité chez Hermès, on la retrouve aussi dans la typographie.
Nous avons cherché quelqu’un
qui puisse transmettre cela sur un
cadran. Et nous avons trouvé un
designer graphique et typographe qui n’avait aucune connaissance horlogère: Philippe Apeloig.» Son mandat? Dessiner les
chiffres qui courent tout autour
de la montre et lui donnent une
identité particulière, très Hermès.
«C’est très difficile de créer des
chiffres: c’est un alphabet, relève
Philippe Delhotal. Tout est une
question d’équilibre. Et de proportion. L’œil est très critique.»
L’œil en effet est très critique et
relève la moindre des anomalies,
le moindre déséquilibre dans
l’agencement des chiffres. C’est
sans doute pour cela qu’Edouard
Meylan, le CEO de Moser Watch
Holding, a renoncé aux chiffres. Et
aux index. Il a poussé le concept
jusqu’à ôter le maximum d’informations sur sa montre, jusqu’au
logo. «Cette montre, on l’a appelée
la «No Name». On a cherché à rendre le modèle le plus pur possible:
heures, minutes, avec une seconde au centre. C’est un modèle
très traditionnel doté d’un mouvement à remontage manuel, avec
3 à 5 jours de réserve de marche. Et
sur notre cadran fumé, qui est devenu la signature de Moser, on a
enlevé les index et le logo. On doit
retrouver la beauté de l’objet, sans
être obligé de mettre un nom de
marque dessus.»
C’est un peu le principe des sacs
Bottega Venetta, qui n’affichent
aucun logo mais qui sont reconnaissables immédiatement grâce
au travail du cuir tressé, le fameux
«intrecciato». Mais la marque Moser, créée en 1828 et qui a disparu
en 1979, exhumée en 2002, puis
rachetée en 2012 par MELB Holding, possède-t-elle une image
suffisamment forte pour que son
cadran soit reconnaissable au premier coup d’œil? Edouard Meylan
le pense. «On est une marque qui
se revendique rare, pour des personnes initiées. On fait tout nousmêmes. Je voulais ôter le logo, car
c’est cela le luxe: quand le produit
parle par lui-même. Je me suis
même posé la question de ne laisser que la seconde au centre. En
faire un objet qui montre le temps
qui passe, sans donner l’heure.
Mais on me l’a déconseillé.»
Quand on lui demande pourquoi
il n’a pas songé plutôt à ôter la
seconde, ce qui aurait été moins
inutile, il marque une réticence.
«On fait de beaux mouvements et
la seconde montre le cœur qui bat.
Une montre heure-minutes, j’ai
l’impression qu’elle est morte: il
n’y a rien qui bouge. On ne perçoit
pas le temps qui passe.»
Ce n’est pas l’avis de Karl Friedrich Scheufele, Coprésident de
Chopard qui aimerait bien, lui,
pouvoir se passer des secondes.
C’est ce qu’il a d’ailleurs fait avec la
montre XP lancée en 2007 sous ce
slogan «Less is More». Cette année,
à l’occasion de Baselworld, Chopard lance une nouvelle XP en or
Fairmined, un or «durable» acheté
à un prix plus élevé à des communautés minières en collaboration
avec l’ONG sud-américaine Alliance for Responsible Mining
(ARM, ndlr), dotée d’un mouvement L.U.C mais avec une petite seconde. «Toutes nos montres dotées
d’un mouvement L.U.C sont censées être certifiées chronomètres.
Or pour obtenir un certificat COSC,
nous devons avoir une petite seconde. Pour la précision. La seule
exception à la règle est la première
XP, qui possède le même mouvement, mais qui n’a pas de certificat.» L’inclination naturelle du coprésident de Chopard l’amènerait
volontiers à se priver de cette contrainte. «La plus simple expression
d’une montre, ce sont les deux
aiguilles, dit-il. Ce sont des objets
qui me fascinent, tout autant que
peuvent me captiver des pièces
hautement compliquées qui comportent de multiples indicateurs.
La simplicité est un jeu de proportions, de taille, de relation entre les
aiguilles et le boîtier. Chaque élément prend beaucoup plus d’importance, car vous ne voyez plus
qu’eux. Mis en relation, ils doivent
être en harmonie. C’est en cela que
réside la complexité.»
«La simplicité dépend aussi de
l’identité de la marque, souligne
Thierry Stern, président de Patek
Oris Thelonius Monk Edition Limitée:
cette montre automatique au cadran bleu nuit célèbre
l’incomparable talent de l’un des plus grands pianistes
et compositeurs américains de jazz.
A. Lange & Söhne Lange 1: sorte d’étalon horloger
en matière d’épure, cette montre en or rose
de 38,5 mm de diamètre mue par un calibre
manuel de référence offre 70 heures
de réserve de marche.
Philippe. Certaines doivent faire
compliqué, car elles sont perçues
comme telles. La mission de Patek
Philippe, c’est de faire des montres
pures et lisibles, plates et compliquées. Ce n’est pas forcément ce
que vous entendez par «simple».
Pour faire quelque chose de simple, il faut que ce soit parfait. C’est
ça, le challenge. On va toujours
essayer de trouver des astuces
pour ne pas vous montrer que cela
a été compliqué à concevoir. Par
exemple un quantième annuel,
qui est ardu à fabriquer, mais qui
a l’air simple, est une de nos
meilleures ventes parce qu’il est
pratique à utiliser et aisé à lire.» La
lisibilité, chez Patek Philippe, est
l’un des attributs de la simplicité.
«La montre doit pouvoir être lue
en une seconde. Et lorsque l’on
dessine le visage d’une pièce, il
faut être très précis. Mais lorsque
le client prend une loupe et re-
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Baume & Mercier Classima: montre en acier
avec cadran guilloché lignes trois aiguilles et date,
servie par un calibre automatique visible
par le fond transparent.
LESS IS
MORE
garde sa montre, il doit pouvoir
voir tous les petits détails de finition qui ne se révèlent pas forcément au premier coup d’œil. C’est
la sobriété qui prime: la complexité, vous la découvrez après.»
La simplicité permet de mettre en
valeur la qualité des finitions
aussi. «On met en valeur la capacité des polisseurs, des gens qui
ont usiné la boîte, poursuit
Thierry Stern. Quand tout est simple, la moindre erreur se voit.»
On peut ôter jusqu’à ce qu’il ne
reste que l’essentiel. Mais qu’est-ce
que l’essentiel, en horlogerie? «Je
pourrais imaginer un cadran pur,
sans aiguilles avec un échappement derrière qui bat, relève
Edouard Meylan. Mais ça deviendrait un concept: on en ferait une,
on ouvrirait la réflexion, et on n’en
vendrait pas.» Une montre sans
aiguilles, c’est peut-être pousser le
bouchon un peu loin. Comme
l’avait fait d’ailleurs Romain Jérôme en 2008 avec sa Day & Night,
un tourbillon sans aiguilles qui
n’avait d’autre utilité que d’avoir
fait parler de lui.
«Je serais le premier à faire une
montre simple, ronde, très belle,
mais je pense que cela n’aiderait
pas Patek Philippe, relève Thierry
Stern. La plus simple des montres,
finalement, c’est une montre
squelette, puisqu’il ne reste presque plus rien. Mais dans ce cas, la
complexité se trouve dans le
mouvement. Je crois que le plus
loin que l’on soit allé dans la sobriété, c’est la montre Calatrava,
qui est néanmoins reconnaissable aux clous de Paris sur la lunette et à la forme des aiguilles.
Ça, c’est ma limite.»
La simplicité, extrême, chez
Greubel Forsey, c’est notamment
de renoncer à créer des boîtiers
asymétriques avec des proémi-
nences qui en suivent les contours
et de créer un modèle dans un
boîtier plus fin, avec un tourbillon
et trois aiguilles. Un modèle élémentaire. «Avec le Tourbillon
24 secondes Vision, nous avons
voulu faire un cadran qui semble
relativement sobre à distance, explique Stephen Forsey, cofondateur de la marque. Mais quand on
le regarde de plus près, on découvre qu’il s’agit d’un cadran en trois
parties. Le centre est assez simple
avec le logo, la partie médiane
avec les index des heures et la petite seconde, et l’extérieur c’est le
tour de minuterie. Il a fallu deux
mois d’élaboration pour faire ce
cadran. Nous avons dû trouver un
alliage d’or 18 carats qui passe au
four afin de pouvoir faire les index
en émail grand feu. Il faut compter entre 7 et 10 passages au four
pour obtenir un glacé final parfait. Le cadran est adouci à la
Girard-Perregaux 1966: cette pièce fine
d’horlogerie proposée en or rose est animée
par un calibre automatique de manufacture visible
par le fond transparent.
H. Moser & Cie Concept Watch White Gold Fumé:
oblitérer de son cadran le nom même de la marque
est osé dans un monde où le «branding» est établi
en mode de consommation. Seulement la sobriété
du dessin de son boîtier en or blanc associée
à son cadran fumé caractéristique signe
l’appartenance de cette pièce à la famille des montres
de la petite manufacture.
main, avec une pierre: impossible
de sabler, car la pression ferait
sauter l’émail.» Chez Greubel Forsey, on n’a pas tout à fait renoncé
aux protubérances qui valent signature: le tourbillon effectue sa
rotation à l’intérieur d’un globe
façonné dans la glace saphir qui
émerge et vient se poser sur le
creux du poignet situé juste après
la tête du cubitus. On ne sent pas
du tout ce dôme qui met le tourbillon en majesté. Quant au pont
du tourbillon, il a la forme d’une
voûte en plein cintre.
Les montres Greubel Forsey
sont destinées à des collectionneurs sensibles à la qualité poussée à son paroxysme. Raison aussi
pour laquelle Stephen Forsey
n’aime pas parler de prix. Il préfère utiliser le mot «valeur». Et
donc la valeur de ce Tourbillon
24 secondes Vision, qui sera édité
en 22 exemplaires, atteint
290 000 francs. D’un certain point
de vue, c’est leur modèle «entrée
de gamme». Chaque modèle nécessite six mois de travail. «Nos
clients ont une culture horlogère,
souligne Stephen Forsey. Ils sont
passionnés, ils sont prêts à prendre deux jours d’un agenda
chargé pour venir nous voir à
La Chaux-de-Fonds. On leur fait
visiter le Musée de l’horlogerie, le
Théâtre italien, la villa de Le Corbusier, pour leur faire comprendre comment l’horlogerie a pu se
développer à 1000 m d’altitude. Et
j’espère que lorsqu’ils regardent
leur montre, ça les pousse à réfléchir à tout ce travail fait main qui
a donné naissance à ce cadran, au
calme extrême nécessaire. Et
peut-être vont-ils se souvenir qu’il
faut rester zen dans la vie quoi
qu’il advienne, et qu’il faut réfléchir à chacune des actions que l’on
accomplit.»
29
30
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
MÉTIER D’ART
Unbracelet
commeunbrocart
Montre traditionnelle ovale 27x22 mm, en or rose
18 carats sertie de 24 diamants taille brillant (environ
1,46 ct). Cadran argenté. Bracelet en or rose décor
Palace. Mouvement à quartz Piaget 56 P.
A gauche: les fines barres d’or avant usinage. A droite: opération de soudage des maillons du bracelet après empilage.
Depuis la barre d’or jusqu’au guilloché main, nous avons suivi la naissance du bracelet de la montre «Traditionnelle
ovale», inspirée d’un modèle ayant appartenu à Jackie Kennedy. Un tissu d’or entièrement conçu à la manufacture
Piaget de Plan-les-Ouates. Plongée dans les coulisses, à la rencontre de ces artisans d’art au savoir-faire unique.
Par Isabelle Cerboneschi. Photos: Véronique Botteron
O
n dirait un tissu,
lourd,
précieux,
une de ces étoffes
dont les rois se faisaient un habit, une
soierie
brochée
d’or. Un brocart. Mais lorsqu’on
prend la montre en main, qu’on la
soupèse, la retourne, on découvre
côté pile ses maillons en forme de
«u» qui s’emboîtent, un peu
comme un jeu de Tetris. Tandis
que côté face, toute cette construction est masquée sous un savant travail de guilloché main.
Chez Piaget, tout le monde a
surnommé la montre «Jackie».
Parce que le modèle dont elle
s’inspire a appartenu à la Première
Dame des Etats-Unis (lire p. 13). Il
y a quelques années, la manufacture a eu la chance de pouvoir racheter l’originale lors d’une vente
aux enchères. Une pièce emblématique du style des années 60.
Officiellement, elle s’appelle «Traditionnelle Ovale» et son bracelet
est entièrement conçu à la manufacture de Plan-les-Ouates. Ce ruban d’or porte en lui une part de
mystère. Comment passe-t-on
d’un assemblage géométrique à
cette abstraction façon Gerhard
Richter?
Pour le découvrir, direction la
salle des machines. Tout commence par une fine barre d’or
d’environ 150 g qui entre dans
une machine-outil à commande
numérique de laquelle sortiront
500 petits maillons. Tous les déchets d’or sont fondus à la manufacture dans un four à fusion
avant de repartir dans le circuit
de production. En une année,
seulement 1% de l’or se perd dans
les cheveux, les habits, sous les
semelles.
Il faut compter huit heures de
travail pour fabriquer ces 500
composants, qui sont ensuite
contrôlés un par un, afin de s’assurer qu’ils ont été parfaitement découpés. On quitte les machines et
leur bruit qui tire nerveusement
vers les aigus, pour entrer dans le
royaume de la main et d’un certain silence. Dans ces ateliers où
œuvrent les bijoutiers-chaînistes.
Tous les bracelets en or, chez Piaget, sont assemblés à la main. Il
Sur une
«fourchette»,
le bijoutierchaîniste
encastre
les maillons
les uns dans
les autres
à l’aide
d’une pince.
faut douze heures pour assembler
celui de la «Jackie». Si l’on songe
qu’il faut trois minutes pour un
bracelet lambda assemblé avec
des vis, on comprend un peu
mieux ce que le mot «plus-value»
sous-entend. Les pièces du patrimoine, comme la Jackie sont fabriquées de la même manière
qu’elles l’étaient dans les années
60. Une chance que Piaget ait su
conserver ce savoir-faire contrairement à d’autres maisons qui
l’ont délaissé pendant la crise du
quartz dans les années 70.
A l’établi, le bijoutier-chaîniste
est en train de monter un bracelet.
Il encastre un maillon dans l’autre
à l’aide d’une pince sur une sorte
de mini-herse avec les dents tournées vers le haut. «On appelle ça
une fourchette», corrige-t-il. En
observant la sûreté, la confiance
de ses gestes, on peut voir ce que
plus de trente ans d’expérience
confère à un homme. «C’est
comme un Lego: plus vous pratiquez, et plus ça devient naturel»,
explique l’homme de l’art. En
Suisse, il n’existe plus de formation de chaîniste. Piaget, qui est la
dernière manufacture à fabriquer
de tels bracelets, est donc
contrainte de former les siens.
Il faut compter une semaine de
travail pour réaliser ce bracelet: 9
heures d’assemblage, auxquelles
s’ajoutent 5 heures d’ajustage
(l’opération grâce à laquelle le
bracelet est soudé à la boîte, ndlr).
Pour l’assouplir, avant de le donner au graveur, le bijoutier-chaîniste passe le bracelet au savon de
Marseille. Un geste ancestral dans
ce métier. «On assouplit toujours
les bracelets au savon de Marseille, dit-il. Il contient de l’huile
d’olive et il va laisser ce petit côté
gras qui ne va pas se remarquer au
toucher. On le fait bien mousser,
on le passe sur le bracelet, on le
rince, mais le savon va s’imprégner et cela assouplit les mailles.
C’est un peu le secret de grandmère des bijoutiers chaînistes.»
Quant au gravage, il prend environ trois jours. Devant son binoculaire, le graveur donne de petits
coups de griffes sur le bracelet à
l’aide d’une échoppe qui rentre
dans la matière, laissant des creux
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Ce ruban d’or porte en
lui une part de mystère.
Comment passe-t-on
d’un assemblage
géométrique à cette
abstraction façon
Gerhard Richter?
Desbijouxquidonnentl’heure
Philippe Léopold Metzger, le président de Piaget, mise
sur la différentiation. Et veut pérenniser les métiers de l’or.
A cet effet, une nouvelle aire dédiée à la haute joaillerie
va voir le jour à la manufacture de Plan-les-Ouates.
Le Temps: Une montre comme la Traditionnelle ovale s’inscrit dans l’histoire
récente de Piaget. Le passé vous inspire?
Philippe Léopold Metzger: Historiquement, nous sommes connus pour nos
bijoux qui donnent l’heure. Quand on a
voulu fêter nos 140 ans, on s’est dit que
la meilleure manière de le faire serait de
présenter notamment quelques manchettes spectaculaires à la Biennale des
Antiquaires qui s’est tenue en septembre
dernier, à Paris. On a pris conscience que
ces pièces avaient une puissance historique. Sculpter l’or fait partie des métiers
que l’on veut absolument conserver.
En haut: gravage à l’échoppe
du «P» de Piaget sur le fermoir
et travail de guilloché.
Au centre: opération
de soudage du bracelet
et du boîtier
avec les paillons.
En bas: l’envers du bracelet
avec ses maillons encastrés
et soudés.
et des copeaux sur son passage. Le
motif s’appelle «Palace». «Ce type
de décor est un guilloché main. Il
est réalisé avec des outils de graveur. Rien à voir avec le guillochage qui se réalisera avec un tour
mécanique», explique l’homme
de l’art. Et à chaque petit coup
d’échoppe, ce dernier annule petit
à petit le travail de bijouterie.
«Tout ce travail énorme, l’assemblage du bracelet à la main, l’ajustage, je m’évertue à le cacher, à le
masquer avec un guilloché.» Et
comme aucun geste n’est semblable au précédent, chaque montre
est unique.
C’est étrange de penser que,
dans le cas de ce bracelet, la
beauté naît de la destruction, de la
métamorphose d’un travail calibré au cordeau, dans lequel une
échoppe vient créer le chaos. Un
merveilleux chaos.
Une montre comme celle-ci, qui atteint un
prix d’environ 50 000 francs, trouve-t-elle
facilement sa clientèle?
A une exception près – une montre en
titane –, Piaget ne fait que des produits
en or. La marque reste spécialisée dans
des produits à forte valeur ajoutée.
Aujourd’hui, à notre niveau, ce que l’on
doit rechercher, c’est la différentiation.
Des montres comme celles-ci, on va en
faire 300 ou 400 pièces. Ce serait ridicule d’infléchir la politique vers une
approche plus standardisée alors que
l’on a tant d’actifs en tant qu’horloger et
joaillier: on est sculpteur d’or depuis
bientôt soixante ans, et horloger depuis
cent quarante ans! Auparavant, nous
avions une fonderie d’or (Prodor SA,
ndlr), maintenant on achète la matière
première. Dans notre métier, il y a de
plus en plus de groupes, de marques,
très professionnels dans le développement de produits, dans le marketing. Or
on remarque qu’à chaque fois que l’on
travaille sur des petites séries, des petits
volumes, avec une forte plus-value
artisanale, on trouve toujours des
clients. Les chiffres viennent prouver
que cette clientèle à la recherche d’unicité ou de pièces produites en faible
volume continue d’exister.
De quelle partie du monde vient
majoritairement cette clientèle?
Elle n’est pas qu’asiatique, si c’était le
sens de la question. On le voit aussi
maintenant que l’on entre de plus en
plus dans le monde de la haute joaillerie, cette clientèle est très internationale: américaine, moyen-orientale,
asiatique, française. On a vendu des
manchettes à 150 000 euros à des
clients français.
Par rapport aux exportations horlogères,
le marché de haute joaillerie est bien plus
compétitif. Dans quelles proportions?
On n’a pas les chiffres. On connaît les
exportations suisses de montres qui ont
progressé de 1,9%. La joaillerie, elle, en
comparaison, doit être entre 5 et 10%.
C’est difficile d’avoir des chiffres. Mais il
est reconnu que la joaillerie grimpe
plus vite que l’horlogerie.
Le fait que vous vous positionniez à la fois
sur l’horlogerie et la haute joaillerie va-t-il
vous permettre d’amortir les effets
de la baisse de l’euro?
On ne raisonne pas dans ces termes. Il y
aura certainement un impact, avec le
franc suisse de plus en plus cher, mais
beaucoup plus dans des produits d’access que dans le très haut de gamme. La
joaillerie n’est pas pour nous un moyen
de combattre le franc cher. Quand on a
décidé d’agrandir ce département, on
n’avait aucun moyen de savoir que
l’euro allait se déprécier de cette façon.
Depuis les quinze dernières années, on
a voulu se limiter à faire des produits
dont on maîtrise la fabrication. Le
constat est qu’on était fort en montres
joaillerie, on a voulu devenir forts en
montres mécaniques, parce que je
trouvais que c’était une injustice que
Piaget ne soit pas reconnu comme un
horloger de grand talent. On s’est repositionné au travers des montres plates.
Et on veut se développer à la fois sur la
haute horlogerie et les montres précieuses. Nos manchettes donnent l’heure,
mais ce n’est pas l’objectif premier: on
veut faire un bijou merveilleux.
Cela fait longtemps que l’on n’a pas vu
une montre avec un bracelet comme
celui-ci. Le savoir-faire de bijoutierchaîniste ne s’est jamais perdu chez vous?
On a toujours gardé des artisans qui
avaient ce savoir-faire, même si certains
vieillissent, partent à la retraite, ils ont
transmis leur art. J’avais l’impression
que l’esthétique de ces produits-là
appartenait au passé. Mais nous avons
été encouragés depuis plusieurs années
par des observateurs qui connaissent
bien le métier, qui nous disaient de
revenir vers notre passé. Et c’est ce que
nous avons fait: choisir un produit
historique et, par petites touches, lui
conférer une certaine modernité.
Propos recueillis par I. Ce.
31
HORLOGERIE
L’oiseau
d’or
Reportage exclusif: Isabelle Cerboneschi
Photographies: Véronique Botteron
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
MÉTIERS D’ART
Toutelapoésie
dumondesuruncadran
Comment faire entrer un paysage, des branches qui s’entremêlent, des oiseaux prêts à prendre leur envol,
des fleurs en éclosion sur un cadran? Les paravents de Coromandel de l’appartement de Coco Chanel,
au 31 rue Cambon, ont inspiré une collection de montres unique, dont le motif gravé en or et en pierres fines
apparaît en trois dimensions. Cette mission impossible a été confiée à un glypticien de génie.
Reportage exclusif: Isabelle Cerboneschi. Photographies: Véronique Botteron
R
ien ne permet de discerner cet atelier d’un autre
dans la zone artisanale
de Carouge. Le mot
«zone»
correspond
d’ailleurs très bien à
l’endroit. Cela permet de mieux
embrasser la différence entre l’ordinaire laideur urbaine et la magie en miniature que l’on va découvrir sous le binoculaire. Ce qui
se grave, ce qui émerge, ce qui naît
dans l’atelier de ce glypticien graveur, dont le nom (connu de toute
la profession) ne sera pas cité pour
des raisons de sécurité, relève de
l’extraordinaire.
En ce jour de décembre, l’artisan d’art et son équipe sont en
prise avec une mission quasi impossible: donner corps à un
oiseau d’or et de pierres fines,
transcrire en gravure et en glyptique un motif copié de l’un des
huit paravents de Coromandel
qui ornent l’appartement de Mademoiselle Chanel au 31 rue Cambon à Paris (lire en p. 37). Donner
l’impression que la brise souffle
dans les feuilles d’or de quelques
microns d’épaisseur, que l’oiseau
s’apprête à chanter, que les fleurs
de pierres viennent d’éclore.
Ci-dessus:
Gabrielle Chanel en 1937 devant
les paravents de Coromandel
au 31 rue Cambon, à Paris.
CHANEL WATCHES
Ce n’est pas la première fois que
les panneaux de Coromandel sont
source d’inspiration pour la maison Chanel. Pendant trois ans, la
célèbre émailleuse Anita Porchet
a reproduit certains motifs en miniature sur des émaux grand feu.
Mais comment les faire entrer
dans la troisième dimension? Ce
fut là toute la difficulté: réussir à
reproduire le relief et le transcrire
avec de l’or et des pierres fines
sculptés à l’échelle d’une montre.
«Impossible», a pensé le glypticien
à qui l’on a confié ce mandat il y a
deux ans, avant de se raviser.
«La plus grande difficulté,
dit-il, c’est que l’on doit faire tenir
une pièce de haute joaillerie sur
un cadran tout en respectant les
contraintes horlogères, notamment le passage des aiguilles, qui
oblige à travailler au dixième de
millimètre.» La hauteur autorisée
est de 1,2 mm. Mais si l’on ôte les
0,8 mm du cadran en onyx, il ne
reste que 0,4 mm à l’homme de
l’art pour jouer avec le relief des
branches qui passent les unes sur
les autres et donner vie à un paysage en miniature. Il y a une part
de simulation nécessaire. «C’est
presque du trompe-l’œil, des fausses perspectives comme on en
trouve sur les portes des cathédrales de la Renaissance. On va tromper un peu le cerveau: les yeux
vont voir quelque chose de plus
épais que cela n’est en réalité. C’est
une illusion.»
L’artisan d’art a travaillé sur une
collection scindée en deux thèmes: une série de cinq montres
autour de celui des oiseaux, qui
nécessite l’usage de la technique
de la glyptique, et cinq autres
montres autour de la thématique
LIPNITZKI / ROGER-VIOLLET
L’illusion de la vie sur 0,4 mm
Montre Mademoiselle Privé
en or gris serti neige.
Scène inspirée des panneaux
de Coromandel.
Oiseau et fleurs réalisés
en glyptique sur une branche
en or sculpté et émaillé.
des branches fleuries, un précieux
travail de gravure de l’or, un or
beige, un alliage spécifique conçu
pour Chanel. Le motif est dessiné
sur une plaque en or, gravé avec
une pointe sèche et découpé avec
une scie: en résulte une matière
brute, plate, d’un millimètre
d’épaisseur d’or. C’est dans cette
matière que le graveur va sculpter
l’oiseau ou la branche, ou la
feuille. Quand on regarde certains
feuillages à la loupe, ils ne sont
guère plus épais qu’une feuille de
papier d’aluminium. «Je ne suis jamais allé aussi loin dans la finesse,
avoue l’artisan d’art. Je grave les
feuilles à l’endroit comme à l’envers, je travaille aussi ce qui ne se
voit pas: l’onyx du cadran joue le
rôle de miroir et reflète l’envers du
décor. La feuille fait quelques microns d’épaisseur: on souffle dessus et elle bouge quasiment. Certaines parties ne touchent pas le
cadran, mais le survolent. Et laissent une ombre, un reflet sur le
miroir sombre.»
La matière insoumise
Pour pratiquer l’art de la glyptique, on utilise de micro-outils afin
de tailler les rubis, la cornaline,
l’opale rose. Mais quand on travaille à cette échelle, certaines
pierres réservent des surprises. «Il
en est qui se révèlent poreuses.
Cela ne se voit pas sur une grande
pièce, mais quand on fait de la
micro-sculpture, ces cavités deviennent vite un obstacle: on
tombe sur du vide.»
Certaines gemmes sont très
belles quand elles ont une certaine épaisseur, mais quand elles
ont été réduites, elles ont perdu
leur couleur ou leur lumière. Et il
faut alors tout recommencer,
trouver une autre pierre, à la couleur plus intense, plus foncée.
Comme ce rubis posé sur une
feuille blanche, sombre, d’un
rouge noir intense, destiné à devenir la tête d’une grue. Une fois le
petit cabochon travaillé, il aura
> Suite en page 36
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Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
> Suite de la page 35
pris une belle couleur rouge. «On
a testé une cinquantaine de pierres, de toutes les couleurs, de toutes les duretés. Le travail de glyptique est très empirique: on évolue,
on s’adapte tout le temps, on
constate et on modifie. Chaque
pièce est une nouvelle expérience.»
Une graveuse apporte une fine
feuille d’agate striée de manière
irrégulière. Une ébauche pour les
ailes de l’oiseau. Même avec une
loupe, on peine à imaginer avec
quel outil ces raies ont été gravées. «Cet outil n’existait pas: je
l’ai fabriqué. J’ai pris un diamant
que j’ai mis dans une tige en
acier. Et je l’ai affûté comme un
burin.» Le glypticien est condamné à créer ses propres outils:
«On reprend les techniques d’un
ancien maître qui va peut-être
nous donner deux ou trois astuces. Mais en général, ils sont assez
réticents à montrer leurs inventions. On apprend sur le tas.»
Plongée méditative
dans les mondes minuscules
Est-ce qu’une personne qui travaille dans l’infiniment petit, qui
voit le monde à travers un binoculaire en possède une autre vision?
«Je ne fais plus de distinction, répond l’homme de l’art. Dès que je
mets mes yeux dans le binoculaire,
je suis dans le même monde que
lorsque je vous regarde. Je ne vois
plus de différence. Mon cerveau
s’est adapté depuis trente ans que
je travaille. Que je sculpte un bloc
de marbre d’un mètre cube ou bien
ça (il montre un minuscule cabochon de rubis), c’est la même
chose: seules les mains doivent
s’adapter. Les gestes sont beaucoup plus réduits. Mais je ne me
pose plus la question.» Pourtant
quand on travaille dix heures durant l’œil dans un binoculaire, le
regard n’est fixé que sur une infime
partie et il doit s’extraire afin de
regarder la scène dans sa globalité.
Et puis il y a les moments de grâce.
«Cela ne m’arrive pas souvent du-
rant la journée quand il y a du
mouvement autour de moi, dit-il.
Mais quand je reste le soir, le weekend, que je suis seul, que je plonge
dans l’objet. J’ai l’impression que
mon geste est guidé. Par je ne sais
quoi. Et ça va tout seul. C’est magique. Je rentre comme en méditation avec la matière. Ce sont ces
moments-là que je recherche
quand je travaille, quand je
m’oublie, quand je n’existe plus.
C’est ma dope! Cela m’arrive rarement avec des produits que l’on
réalise en série, car c’est de la répétition, il y a des préparations faites
partiellement en machine. Il n’y a
qu’avec les pièces uniques que l’on
peut atteindre cet état de grâce.»
Et l’artisan d’art de raconter que
lorsqu’il grave les branches des
Coromandel, il s’évade, il s’imagine, il est dans la nature. «Je n’ai
plus besoin de regarder, car le
geste devient naturel. Et l’artiste
qui a peint ce paravent il y a des
centaines d’années a vécu la même
chose que moi. Lui aussi a observé
la nature, a ressenti la même émotion. J’essaie juste de ne pas me perdre en chemin.»
En haut au centre:
Reprise du dessin original
qui sera tracé sur la plaque or.
Ci-dessus de gauche à droite:
Découpage au burin de la scène
dans la plaque or.
Ci-contre de gauche à droite:
Sculpture de la branche or
et préparation des feuilles à émailler.
Contrôle de l’ajustage de l’oiseau
en opale sculptée (glyptique).
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Ci-contre de gauche à droite:
Sélection des coloris d’émaux.
Pose des émaux.
Ci-dessous de gauche à droite:
Assemblage des ailes en opale sculptée
(glyptique).
Pose et fixation des composants
de la scène sur le cadran en onyx.
LemystèredesparaventsdeCoromandel
I
l existait quelques laques de Coromandel sous l’époque Ming
(fin du XVe siècle), mais ils ont
surtout connu leur apogée en
Chine sous le règne de l’empereur
Kang-Hi (1662-1723). Bien qu’il
s’agisse d’un art chinois, les fameux
paravents portent le nom d’une
côte du sud-ouest de l’Inde, baignée par le golfe du Bengale. Rien
ne l’atteste, mais dans les articles
dédiés à cet art on lit qu’ils ont été
nommés ainsi parce que c’est dans
ces ports indiens qu’ils étaient
transportés à bord des navires de la
Compagnie des Indes avant d’être
exportés vers l’Europe.
Aucun écrit n’a non plus raconté précisément la technique
de cet art, la transmission de ce
savoir-faire se faisant de manière
orale. Sans entrer dans le détail, il
s’agit d’une technique qui pourrait s’apparenter au «champlevé»,
une gravure en creux qui sera
remplie de matière. Tout d’abord
une feuille de bois est recouverte
d’une toile enduite d’une colle
mélangée à de l’ardoise pilée. La
matière est poncée, puis recouverte d’une couche de laque, puis
poncée, puis laquée, ainsi de suite
jusqu’à obtenir une matière de
quelques millimètres, suffisamment épaisse pour être gravée,
sans atteindre le bois. Dans les
creux, l’artiste verse ensuite des
pigments de couleur.
Quand on pense «paravents de
Coromandel», on songe immédia-
tement à Gabrielle Chanel. Elle en
aurait possédé 32. Dans son appartement du 31 rue Cambon, elle
en a usé à sa guise, enchâssant
certains dans les murs, usant des
autres comme de parois mobiles
pour modifier son intérieur. Voire
cacher les portes lorsqu’elle avait
des invités. Mademoiselle Chanel
avait le don de savoir puiser dans
ce qui l’entoure pour tout réinventer, se créant une vie et un style sur
mesure. Elle eut aussi la chance de
croiser des gens de goût qui l’ont
aidée à faire émerger le sien. Des
initiateurs du beau. L’un d’entre
eux fut le peintre et photographe
José Maria Sert, l’époux de son
amie Misia. «C’est avec José Maria
Sert que Chanel apprit à apprécier
les somptuosités à la Bakst, les objets rares, les beaux miroirs, les
bois dorés, des paravents comme
elle n’en avait jamais vu, ses premiers Coromandel, et avec lui
qu’elle apprit à mélanger les époques et les styles.» *
Dans l’appartement du 31 rue
Cambon, huit paravents de Coromandel veillent comme des sentinelles. Ils ont traversé les mers et
les siècles. Leurs couleurs sont
passées mais pas leur charme. Sur
l’un d’eux, l’œil repère un oiseau
perché sur une branche. Un sentiment de déjà-vu. I. Ce.
«Les oiseaux
s’éloignent très haut
et disparaissent
Un nuage solitaire
s’efface avec
nonchalance
Le mont et l’homme
se contemplent
sans cesse
Je sens que seul existe
le mont Jingting.»
Li Bai (701-762)
* Le Temps Chanel,
Edmonde Charles-Roux, Editions
La Martinière/Grasset. Mars 2005.
Ci-dessus:
Contrôle final.
Ci-contre à gauche:
Pose et fixation des composants
de la scène sur le cadran en onyx.
37
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
FREQUENT TRAVELLER
Incitation
auvoyage
GMT, Heures
du monde,
Heure universelle,
les montres
de voyageurs
sont devenues
des luxes utiles.
Ces appellations
prêtent toutefois
à confusion.
Tour d’horizon.
Par Vincent Daveau
PHOTOS: DR
38
D
ans un monde devenu une sorte de
village global, posséder une montre
ayant la faculté d’afficher les heures de
différents endroits du globe au
cadran est aujourd’hui un luxe
devenu utile. Les outils de communication modernes les imposent presque naturellement aux
cadres
de
multinationales
comme à tous ceux dont les missions les appellent aux quatre
coins de la planète.
Ces références remplacent les
murs couverts d’horloges que l’on
trouve encore dans certains aéroports à la décoration vieillissante
ou dans quelques grands hôtels
de villes émergentes. La puissance
d’évocation de cet élément de décor longtemps utilisé pour dire le
caractère international du lieu ou
sa puissance universelle est
aujourd’hui transposée dans la
montre. Cependant, la perception
de cette puissance, tant sociale
qu’économique, n’est pas la
même selon qu’un amateur choisit une pièce mécanique dotée
d’une fonction GMT, une référence affichant les Heures du
monde, ou une merveille mécanique emportant la trop rare complication d’Heure universelle.
Avoir le voyage sur la peau
La montre GMT est, des trois
fonctions dédiées au voyage,
sans doute la plus récemment
mise au point (vers 1954), mais
aussi la plus populaire. Directement utile aux voyageurs se rendant ponctuellement dans un
pays, elle est facile à comprendre,
aisée à lire et à interpréter pour
qui souhaite supporter au mieux
les effets du jet lag, rester en contact avec ses collègues de bureau
ou sa famille. Le caractère pratique et facile d’emploi de cette
fonction, associé à l’augmentation croissante des voyageurs
dans les aéroports, justifie de la
retrouver dans des montres de
sport à petit prix ainsi qu’au sein
de références de haute horlogerie comme la nouvelle version de
la Greubel Forsey GMT, présentée
cette année. Mais ce n’est pas un
cas isolé et on retrouve encore
parfois cette fonction utile mise
en avant de façon originale,
comme c’est le cas pour l’accessible Mido Multifort, lancée à l’occasion du 80e anniversaire de la
collection, aussi bien au cœur de
l’ultra-fin et ultra-chic chronographe Altiplano de Piaget que
de celui de la montre Saxonia
Dual Time de la manufacture
saxonne A. Lange & Söhne.
Ci-dessus:
Mido Multifort GMT édition 80e anniversaire:
boîtier en acier traité PVD rose de 42 mm
de diamètre. Rehaut interne rotatif.
Cadran Côtes de Genève. Deuxième fuseau
T2 réglé à partir de la couronne à 2 heures
avec affichage 24 heures.
Hiérarchiser par fonctions
La fonction GMT est aujourd’hui
presque incontournable. Cependant, son usage est limité, car elle
permet seulement la lecture d’une
seule heure en plus de l’heure locale. Or, selon son activité professionnelle, il arrive qu’il soit nécessaire de disposer d’un moyen
rapide de connaître l’heure en différents points du globe en simultané. Pour offrir une certaine omniprésence aux cadres travaillant
sur plusieurs fuseaux horaires depuis leur bureau, les horlogers
ont créé, dans le courant des années 30, les premières montres
proposant, en plus de l’heure locale au cadran, la lecture des 24
fuseaux horaires. Ce type de garde-temps que l’on appelle en langage horloger les montres «Heu-
res du monde» et en anglais «Time
Zone» voit sa production se généraliser, car il existe à son égard
une vraie demande. Leur esthétique souvent flatteuse, travaillée
comme une véritable incitation
au voyage, est le premier argument qui entraîne l’achat. Le second concerne la fonction permettant d’un coup d’œil de savoir
l’heure qu’il est partout dans le
monde. Cette fonctionnalité s’exprime, selon les marques, de différentes façons. Plus festive grâce à
un savant mélange de sept couleurs, la magnifique montre de
voyage Escale Time Zone proposée par Louis Vuitton invite à
l’échappée belle. On retrouve
aussi cette fonction au cadran de
la maintenant célèbre référence
Worldtimer de Frédérique Cons-
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Montblanc Heritage Spirit Orbis
Terrarum: boîtier en acier de 41 mm
de diamètre. Calibre automatique
avec fonction modulaire d’Heure
universelle par poussoir à 8 heures.
Cadran avec affichage des zones
diurne et nocturne en temps réel.
A. Lange & Söhne Saxonia Double
Fuseau Horaire: boîtier en or gris
de 38,5 mm de diamètre.
Calibre L086.2 à remontage
automatique. Fonction GMT
avec aiguille des heures
et lecture 24 heures.
«Le plus beau
voyage est celui
que l’on n’a pas
encore fait.»
Loïck Peyron
Louis Vuitton Escale Time Zone:
boîtier en acier de 39 mm
de diamètre. Cadran rotatif
avec disque portant les noms
des villes et des blasons colorés
(sept couleurs au total).
Fonction Heures du monde.
> Qu’est-ce qu’une montre
Worldtime?
Le terme horloger «Worldtime» employé pour désigner une complication d’Heure universelle mise au point
dans les années 30 par Louis Cottier – un horloger genevois indépendant – a été souvent littéralement et malencontreusement traduite par «Heures du monde», entraînant du même coup une erreur d’interprétation dans
l’esprit du public. Cette erreur est d’autant plus facile à
faire qu’il existe une vraie proximité visuelle entre les
montres dites à «Heures du monde» (manipulation
complexe par la couronne de remontoir pour changer
d’heure locale et la caler avec les heures du monde) et
celles qui sont équipées d’une complication d’«Heure
universelle» (manipulation automatisée par le biais
d’une complication interne).
On retiendra pour faire simple qu’aujourd’hui la dénomination «Worldtime» s’applique, à l’exclusion de toute
autre montre, à celles dont l’aiguille des heures présente
au cadran principal peut être automatiquement et instantanément ajustée à l’aide d’un poussoir ou d’une couronne, pour afficher l’heure du fuseau sélectionné parmi
les 12 ou les 24 disponibles. L’indication des fuseaux doit
s’ajuster automatiquement et simultanément au changement d’heure locale afin de faire correspondre celle retenue avec celles du monde lisibles sur l’anneau portant les
24 heures divisées en périodes diurne et nocturne. V. D.
Greubel Forsey GMT Black:
boîtier en titane traité ADLC noir.
Calibre manuel à tourbillon
avec fonction GMT et Heures
du monde au dos. Représentation
du globe terrestre rotatif.
Patek Philippe World Time Moon
référence 5575: boîtier en or gris de
39,8 mm. Fonction Heure universelle
avec affichage des phases de lune.
Série limitée à 1300 exemplaires pour
les 175 ans de la manufacture.
Frédérique Constant Worldtimer
Manufacture Cadran Bleu: boîtier en
acier de 42 mm de diamètre. Calibre
automatique de manufacture.
Fonction Heures du monde.
Date à 6 heures.
tant qui, pilotée par un calibre de
manufacture, est proposée, cette
année, en version Navy Blue.
Cette
dénomination
de
«Worldtimer» pourrait toutefois
entraîner des erreurs d’interprétation dans l’esprit d’un public non
averti. En effet seules les montres
dotées d’une complication spécifique sont à même de porter le
terme d’«Heures universelles» traduit en anglais par «Worldtime»
(lire encadré ci-dessus). Parmi les
références récemment présentées
qui offrent cette complication, on
retient les montres World Time
Moon 5575 et 7175 (version féminine) proposées par Patek Philippe pour son 175e anniversaire.
Extrapolation de la mythique référence 5130 WorldTime de la
maison familiale qui a fait la re-
nommée de cette complication à
travers le monde, elles offrent
cette fonction avec en sus un magnifique affichage des phases de
lune. On retiendra également
l’atypique montre Escale Worldtime de Louis Vuitton, inspirée de
son modèle de l’an passé et développée cette année avec une répétition minute qui sonne l’heure de
son lieu d’origine. Par chance
pour les amateurs du genre, il faut
souligner la très accessible Montblanc Heritage Spirit Orbis Terrarum dont le cadran offre un affichage très original qui, par le
truchement d’une carte du
monde évoluant au fil des heures,
permet de savoir par rapport à
l’heure locale quelles sont les parties du monde éclairées et celles
plongées dans la nuit.
39
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
COMPLICATIONS
Greubel Forsey Tourbillon
24 secondes Vision.
Edition unique de 22 pièces en or
blanc. Calibre GF01r manuel.
Montblanc Collection Villeret
Tourbillon Cylindrique Geosphères
Vasco de Gama. Edition limitée
à 18 exemplaires. Boîtier or rouge,
calibre manuel, heures universelles.
Tourbillons
etrégulateurs
d’exception
Cette année encore, les tourbillons, tous types confondus,
représentent une part importante du marché de la haute
horlogerie et occultent un peu les autres genres
de régulateurs complexes également disponibles.
Découverte. Par Vincent Daveau
OS: D
R
L’
PHOT
40
Audemars Piguet Royal Oak
Offshore Tourbillon Chronographe
Automatique. Boîtier carbone forgé®
et céramique, calibre automatique,
chrono et tourbillon.
Breguet Tradition Tourbillon Chaîne
Fusée. Cette pièce de référence,
sans être une nouveauté, célèbre
les 10 ans de la collection.
attirance du public
pour la magie du
mouvement ne date
pas d’hier. Les maîtres
du passé, lorsqu’ils
plaçaient leurs balanciers bien en vue sous des coqs
ouvragés et vissés aux platines de
leurs montres à échappement à
roue de rencontre, savaient l’effet
pratiquement hypnotique que
leurs oscillations allaient produire sur les observateurs sensibles à la mécanique horlogère. La
fascination exercée n’était pas associée à une attirance pour la
science, car l’engouement était indépendant de toute notion de
précision. Une fois le tourbillon
inventé par Abraham-Louis Breguet vers 1798 et breveté à Paris en
1801, les quelques exemplaires
réalisés ont été en priorité destinés à des chronomètres de poche
fabriqués pour battre des records
de précision. En réalité, il a fallu
attendre les Expositions universelles de la fin du XIXe siècle pour
saisir l’impact que ces régulateurs
exposés par les grandes manufactures suisses présentes pouvaient
avoir sur le public. Ainsi, ceux dévoilés en 1867 puis en 1889 à Paris
par Constant Girard, le fondateur
de la manufacture Girard-Perregaux, et magnifiquement mis en
scène par des mouvements minimalistes dits à Trois Ponts d’Or,
révélaient combien cette aérienne
mécanique effectuant une ronde
minutée possède un formidable
potentiel dès l’instant où elle est
aisément observable.
Faire rêver précisément
Cartier Montre Rotonde Tourbillon
Lové Calibre 9458 MC. Boitier en or
gris de 46 mm, calibre manuel de
manufacture. Poinçon de Genève.
Même si cette complication a été
fort médiatisée depuis une vingtaine d’années, nombre d’amateurs fascinés par le tourbillon
ignorent encore à quoi sert réellement ce type de régulateur et s’il
est d’une quelconque utilité dans
une montre-bracelet. Une méconnaissance presque logique puisque l’intérêt pour ce régulateur
est d’ordre émotionnel. Pour
beaucoup, le plaisir visuel qu’il
procure suffit à entretenir une
magie que l’on sait en partie née
de l’incompréhension de son
mode de fonctionnement. La magie ne s’explique pas, elle se vit,
comme le prouve Girard-Perregaux à travers la mise en œuvre
très contemporaine de son mythi-
que tourbillon sous trois ponts. La
jeune manufacture Greubel Forsey a fait la même démarche en
présentant, cette année, la montre
Tourbillon 24 secondes Vision
Edition Unique à 22 exemplaires.
Cette pièce dont la seule aspérité
visuelle se trouve être le sobre
tourbillon visible à travers l’ouverture pratiquée dans le cadran rappelle que cet organe peut se suffire à lui-même. Surtout quand il
est différent des autres en durée
de rotation (24 secondes) et en
inclinaison (25°).
Certains constructeurs, comme
Richard Mille, sont conscients que
l’impact du tourbillon sur les
consciences est supérieur aux effets produits sur les mouvements
dans lesquels ils sont inscrits.
Voilà pourquoi cet inventeur de
talent en est venu à donner un
tour ludique à cet élément rare, au
cœur de sa montre RM 19-02.
Dans cette configuration, le tourbillon volant devient le cœur d’un
automate ayant l’aspect d’une
fleur de magnolia. En s’ouvrant
toutes les 5 minutes ou à la demande grâce à un poussoir, cette
fleur multiplie la magie de cet organe. La maison Cartier, sans aller
jusqu’à théâtraliser le sien à l’aide
d’un automate, joue subtilement
avec la Rotonde Tourbillon Lové
des effets d’un guillochage soleillé
pour faire converger le regard sur
lui. La présence du tourbillon est
tellement forte qu’elle en fait
oublier l’heure.
Outils de communication
Cet organe rotatif à la danse envoûtante est aussi un formidable
outil de promotion pour les marques sachant en faire bon usage.
Ainsi, la manufacture Vacheron
Constantin, maison réputée pour
son savoir-faire dans le domaine,
se devait d’en proposer une magnifique exécution pour son 260e
anniversaire. Le chronographe
Harmony régulé par un tourbillon visible avec cage reprenant
le logo en croix de Malte rend
hommage au talent des horlogers
de la plus ancienne manufacture
genevoise à n’avoir jamais cessé
ses activités. Dans un registre différent, car travaillé de façon plus
contemporaine, le Chronographe
Royal Oak Tourbillon Automatique offre à la manufacture Audemars Piguet de s’inscrire parmi les
entreprises de tradition ayant su
opérer une orientation plus
contemporaine. La manufacture
Jaeger-LeCoultre, maison réputée
pour avoir donné une accélération à cette «complication» en
proposant le Gyrotourbillon, se
penche sur les différentes itérations possibles du Sphérotourbillon, un organe volant qu’elle a
mis au point il y a quelques années et qui est proposé ici en version Duomètre Moon. On notera
que la cage est équipée d’un spiral
cylindrique, inspiré de ceux qui se
trouvaient dans les chronomètres
de marine. Et de marine
parlons-en justement, car c’est
aux marins et voyageurs que
Montblanc dédie son dernier garde-temps baptisé Collection Villeret Tourbillon Cylindrique Geosphères Vasco de Gama. Au cœur
de cette magistrale exécution au
dessin invitant au voyage, se
trouve un grand tourbillon classique dont le spiral n’est pas plat
comme souvent, mais cylindrique, pour dit-on accroître encore
la précision de garde-temps dont
aucun n’a pourtant fait l’objet de
contrôle de chronométrie.
Richard Mille RM 19-02 Fleur
Calibre manuel avec automate fleur
s’ouvrant pour laisser voir le tourbillon
volant. Edition limitée à 30 pièces.
Jaeger-LeCoultre Duomètre
Sphérotourbillon Moon. Boîtier en or
gris de 42 mm. Calibre manuel 389.
Sphérotourbillon et spiral cylindrique
Zenith Academy Christophe Colomb
Hurricane Grand Voyage II. Boîtier or
rose, calibre manuel avec cage
gyroscopique, effet équivalent
au tourbillon. 150e anniversaire
de la manufacture. Dix exemplaires.
La concurrence au tourbillon
Les fanatiques de chronométrie savent aujourd’hui qu’un régulateur
à tourbillon standard n’apporte
pas grand-chose en termes de
précision quand il est intégré dans
le mouvement d’une montre-bracelet. Il en va de même pour le Carrousel, régulateur inventé par le
Danois Bahne Bonniksen en 1892
et récemment remis au goût du
jour par la manufacture Blancpain.
On retiendra en revanche que la
proposition faite par Zenith – qui
fête cette année son 150e anniversaire – avec le régulateur baptisé
«Gravity Central» offre, dans l’absolu, des perspectives plus attractives en matière de précision. En effet, ce mécanisme d’une rare
complexité, mis au point il y a
quelques années et présent dans la
montre Academy Christophe Colomb Hurricane Grand Voyage II, a
pour objet de permettre au balancier de toujours rester à l’horizontale et de garantir, en lui conservant cette position considérée
comme la meilleure pour des réglages fins, une qualité de chronomètre sans avoir recours au fameux tourbillon.
Vacheron Constantin Harmony
Chronographe Tourbillon
Cal. 3200. Boîtier en platine
de 42 mm. Calibre de manufacture,
remontage manuel, tourbillon.
Girard-Perregaux Néo-Tourbillon
Sous Trois Ponts. Boîtier titane DLC
de 45 mm. Calibre automatique
avec trois ponts et tourbillon.
42
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
JEU D’AIGUILLES
L’heuremelting-pot
Zenith
> Academy Georges Favre-Jacot
Pour célébrer les 150 ans de la manufacture, les horlogers ont mis au point un garde-temps dont la précision
rend hommage au désir de perfection qui a toujours
guidé le fondateur de cette maison. Cet instrument est,
par conséquent, à l’image des chronomètres de marine, mû par un mouvement doté d’un mécanisme dit à
«chaîne-fusée». Ce régulateur à force constante permet de délivrer au balancier à haute fréquence une
force qui, toujours égale, garantit à la pièce éditée à 150
exemplaires seulement, d’être d’une rare précision.
La richesse du métier d’horloger tient pour partie à sa pluralité. Ouvert aux
tendances, attaché à la tradition, masculin comme féminin et parfois même
unisexe, cet univers oscillant entre industrie et artisanat ne manque jamais de
rebondir et de se réinventer. En voici pour preuve un assortiment d’instruments
parfaitement adaptés à nos urbanités. Sélection. Par Vincent Daveau
Hublot
Carl F. Bucherer
Blancpain
Oris
Bulgari
> Classic Fusion Aeromoon
> Manero ChronoPerpetual
Limited Edition
> Villeret Grande Date
> Tycho Brahe Limited
Edition
> Octo Cadran bleu
Disponible en titane ou en King Gold en
45 mm de diamètre, cette montre est servie par un calibre mécanique à remontage
automatique HUB1131 affichant les informations calendaires de jour, date et mois,
mais également les phases de lune dans
un large guichet ouvert à 6 h. L’amateur de
fine mécanique appréciera le graphisme
efficace du boîtier de cet instrument et
son cadran qui, opalescent, laisse voir les
différents composants permettant le passage des informations calendaires. Se
porte sur alligator doublé caoutchouc en
toute urbanité.
Servi par un calibre mécanique à remontage
automatique de manufacture référencé
CFB1904, ce chronographe au boîtier en or
rose de 42,5 mm se pare d’un boîtier d’une
grande sobriété et d’un cadran argenté
d’une incroyable lisibilité malgré la densité
des informations s’y trouvant présentées.
En effet, les trois compteurs servent à la fois
pour le chronographe et le quantième perpétuel. Editée à 100 exemplaires, cette
pièce dotée d’une échelle tachymétrique
sur le cadran se porte sur alligator fermé au
poignet par une boucle ardillon.
Noblesse oblige, cette montre en or
rouge de 40 mm de diamètre est
royale, car elle sait se dépouiller de
tout artifice pour faire ressortir l’essentiel des informations. D’elle on
retient son cadran opalin, ses sobres
aiguilles et sa grande date présentée
à 6 heures dans un grand double
guichet. Sobre et fine, cette pièce
laisse voir son calibre mécanique à
remontage automatique par le fond
transparent que les amateurs apprécieront pour ce qu’il va, lui aussi, à
l’essentiel.
Editée en série limitée à 500 exemplaires, cette montre de 42 mm de
diamètre en acier est animée par
un calibre automatique auquel a
été ajouté le module de fonction
Pointer Moon. Sobre et présente,
cette pièce rend hommage à Tycho
Brahe, un astronome danois du
XVIe siècle. Purement culturelle,
elle affiche avec précision le cycle
lunaire de 29,5 jours sur une graduation sur fond de cadran bleu
nuit.
Inspirée des motifs géométriques
octogonaux ornant les voûtes intérieures de la Basilique de
Maxence, à Rome, la montre Octo,
lancée en 2012, se nourrit d’un
équilibre architectural maintenant
millénaire. Déclinée en 38 mm et
mue par le calibre automatique
Solotempo (trois aiguilles et date)
visible par le fond, cette référence
très romaine se pare d’un cadran
d’un bleu saphir rappelant la teinte
du ciel visible la nuit au cœur de la
capitale de l’Empire romain.
Jaeger-LeCoultre
IWC
Hermès
F.P. Journe
Chopard L.U.C
> Master Calendar
Météorite
> Portugieser Calendrier
Annuel
> Slim Quantième Perpétuel
> Nouvelle Octa Lune
> Regulator
Modèle de précision, notre satellite
la Lune, a toujours fasciné les amateurs d’horlogerie car, avec ses cycles réguliers, elle berce le quotidien des hommes depuis des
siècles. La magie de la Lune, présente dans un guichet, est ici renforcée par un cadran taillé dans une
météorite. La philosophie de cette
pièce de 39 mm de diamètre proposée en acier ou en or rose et mue
par un calibre automatique Cal.866
est d’offrir, en plus d’une vraie parcelle de ciel, une mise en scène harmonieuse du temps qui passe
grâce à son calendrier complet.
Certains garde-temps attirent les amateurs pour leurs fonctionnalités, mais leur
complexité peut également les rebuter.
IWC a trouvé la parade et propose, pour le
75e anniversaire de la collection Portugaise, une montre à quantième annuel:
une complication que ceux l’ayant utilisée
savent facile d’emploi. Dans le cas présent, cette pièce automatique dotée de 7
jours de réserve de marche et habillée
d’un boîtier en acier de 44,2 mm de diamètre se pare d’un très remarquable et
puissant cadran bleu dont les guichets
placés à 12 heures affichent les informations calendaires qui ne sont à réajuster
qu’une fois l’an, au matin du 1er mars.
Puisant ses origines dans la culture graphique de la maison, le modèle Slim
d’Hermès Quantième Perpétuel est né
d’une rencontre entre Hermès et Philippe Apeloig, un graphiste ayant créé
la typographie des chiffres des heures.
Légers, ils concourent à donner un
rythme à cette montre d’exception de
39,5 mm en or rose. Servie par un calibre automatique par microrotor extraplat de manufacture Hermès H1950 associée à un module de fonction
Agenhor (13 lignes 1/4), elle affiche, en
compteur, les informations calendaires
à perpétuité avec phases de lune et second fuseau horaire lisible à 6 heures
(avec indicateur jour/nuit).
Concepteur passionné, cet horloger apprécié pour l’équilibre de
ses créations désirait proposer
une nouvelle interprétation de sa
montre emblématique. Voilà
chose faite avec talent. Pour en
améliorer la lisibilité, l’affichage
de l’heure est plus clair et la date
deux fois plus grande. Le reste demeure dans l’esprit de la maison:
parfait. Ainsi, les puristes pourront apprécier la qualité de finition du mouvement automatique
(120 heures) en or massif enfermé dans le boîtier, disponible
en deux tailles, 40 ou 42 mm, et
en or rose ou en platine.
En faisant une nouvelle fois appel à ce mode
d’affichage, la manufacture Chopard rend
hommage aux horlogers du passé en s’inspirant, pour le cadran de cette montre, de
ceux des régulateurs d’ateliers employés
comme temps de référence avant l’invention des pendules atomiques. Pour cette
montre de 43 mm de diamètre proposée en
or rose et servie par un calibre de manufacture à remontage manuel L.U.C 98.02-L, le
cadran argenté satiné soleil présente une
disposition originale des aiguilles. Se lisent
l’heure légale et celle GMT dans une configuration qui imposera une gesticulation intellectuelle, mais qui attirera le regard des
amateurs toujours curieux de découvrir des
produits horlogers atypiques.
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Bell & Ross
Omega
de Grisogono
> BR-X1 Skeleton Chronograph
Carbone Forgé®
> Speedmaster Apollo 13 Silver Snoopy Award
> Instrumento N° Uno Quantième Annuel
Objet de collection par essence, ce chronographe en acier de 42 mm
a pour lui d’avoir une histoire extraordinaire. L’instrument présenté
ici rend hommage à l’équipage d’Apollo 13, le troisième à avoir dû
effectuer un alunissage. Durant cette aventure abandonnée avant
terme suite à un incident technique, le chrono d’Omega a joué un
rôle important. Cette pièce à remontage manuel comme l’originale
(Cal. 1861), présentant le personnage de bande dessinée et la mascotte de la NASA sur le cadran et le fond, commémore le 45e anniversaire du sauvetage de la Mission Apollo 13. Un pur «collector»
bourré d’allusions à cette mission, édité à 1970 exemplaires.
Depuis quinze ans, la maison de Grisogono met du piment
en horlogerie et ose des déconstructions horlogères pour
bousculer les convenances. Cette pièce automatique originale, proposée en or rose sur alligator, fait la part belle à la
date qui, comme par magie et un petit réglage manuel pour
caler le mois dans le guichet en éventail, se trouve être la
bonne sans qu’il soit nécessaire de la corriger à la fin des
mois pairs. Il faudra tout de même agir une fois l’an, au
1er mars, pour se sentir l’âme d’un démiurge et avoir la main
sur la pure mécanique.
Technologiquement avancé et puisant ses racines dans
l’aviation, cet instrument s’inspire des matériaux employés
pour les avions de chasse d’aujourd’hui afin de s’inscrire
dans le quotidien des hommes d’action. Léger, visuellement impactant, ce modèle en carbone forgé ou titane,
laisse voir par son cadran aux index suspendus une partie
des composants du mouvement à travers sa platine savamment ajourée. Efficace, ce chrono de 45 mm de côté se
porte virilement sur un fort bracelet de caoutchouc.
Harry Winston
Corum
Jaquet Droz
Cartier
Urwerk
> Midnight Feathers
Automatic 42 mm
> Admiral’s Cup
Legend Lady
> Grande Seconde Morte
> Rêve de Panthères
Si l’élégance est l’art de se vêtir avec
esprit, l’accessoire a son rôle dans
toute composition soignée. C’est de ce
présupposé qu’est partie la maison
joaillière pour créer ce modèle de
montre automatique (HW2008) dont
le cadran au motif abstrait et contemporain est, en réalité, une marqueterie
de plumes d’oie teintées en brun clair.
Coup de chapeau pour ce garde-temps
en or rose sachant faire de la plume
l’amie du poète, la gardienne des heures qui s’écoulent.
Sur un navire, le fait de sortir tous les
drapeaux de couleur et de les placer sur
les drisses et autres bouts est un signe
de fête et de célébration. Cette montre,
à quartz pour aller à l’essentiel, symbolise la passion de René Bannwart, le
fondateur de la marque, pour la voile.
Elle exprime, par la couleur de ses 12
drapeaux apposés sur fond de nacre, le
plaisir qu’a la maison à revenir à l’essence même des sensations qui ont
donné à la collection Admiral’s Cup la
notoriété qu’elle a encore aujourd’hui.
Cette montre, traditionnelle jusqu’à
employer de l’émail véritable pour
son cadran, est l’archétype même du
paradoxe horloger. En effet, animée
par un calibre automatique et éditée
à 88 exemplaires, cette pièce de
43 mm proposée en or rose offre à
son cadran une mise en scène des
aiguilles qui pourrait laisser croire
que la belle est à quartz car, comme
celles des montres de ce type, sa
grande trotteuse effectue des sauts
de seconde en seconde pour rendre
leur lecture fine plus aisée.
Fascinante de féerie, cette montre
au boîtier en or gris serti de diamants s’envisage comme un véritable hymne à l’animal emblématique de Cartier. Divine, elle est
animée par le calibre automatique
9916 MC visible par le fond transparent. Le cadran, lui aussi pavé de
diamants, laisse voir un guichet en
demi-cercle devant lequel trois
panthères serties de diamants observent un ciel mobile permettant
l’affichage des heures du jour et de
la nuit.
> UR-110 «EastWood
par Urwerk»
La chance sourit toujours aux hommes
sachant prendre des risques. De fait
cette pièce d’exception en titane, habillée d’essences rares, va bonifier au fil
des ans comme le bon vin, et prendre
une patine unique à force d’être arborée.
Structurellement et mécaniquement originale, cette référence se porte sur un
nouveau bracelet en tweed, destiné à offrir aux créations de cette maison de vivre une sorte de transfiguration esthétique afin de leur permettre de s’inscrire
plus aisément dans le présent.
TAG Heuer
MB&F
Hautlence
Audemars Piguet
> Monaco V4 Phantom
> HM3 Megawind
Final Edition
> HL Black Ceramic
> Millenary Quadriennium
Ultra-contemporaine, cette pièce emblématique de la collection Hautlence
se permet de transgresser les règles
de la haute horlogerie et recompose
ses classiques en se parant de céramique, une matière réputée pour être
inaltérable. En jouant du relief et de
son cadran en nid-d’abeilles, cette
montre crée une aspérité au poignet
agréable à voir. Servie par son maintenant fameux calibre à bielle, cette édition célébrant finalement dix ans de
production et réalisée à seulement 88
exemplaires devrait séduire les puristes en quête d’une référence d’avenir
taillée pour affronter le temps sans
sourciller.
Avec ses volumes si spécifiques, cette montre
ovale de 47 par 42 mm, proposée en or rose
et animée par un calibre manuel régulé par un
balancier à double spiral, ne se fait pas prier
pour afficher son originalité. Atypique et véritable sculpture au poignet, elle est aussi une
merveille de technicité puisqu’en plus de magnifier la mécanique par un ajourage original,
elle s’offre une complication dont la facilité
d’emploi séduira les plus difficiles. En effet, la
spécificité «quadriennale» est le joli nom pour
un quantième annuel construit de façon à
considérer, seul, la longueur de tous les mois,
mais devant nécessiter un calage manuel tous
les 4 ans, car la mécanique ne compte pas
automatiquement le jour additionnel de l’année bissextile.
Intégralement noire et mate à la fois, cette
montre ose un design racé et radical. A
bien y réfléchir, on la croirait dessinée par
un créateur d’engins militaires. D’ailleurs,
on se demande s’il n’y a pas du vrai car les
lignes de la carrure sont franches et finalement sans compromis. Indétectable, le
matériau employé l’est aussi parce qu’il
s’agit ici de CMC, un composite à matrice
carbone. Mais la fibre de carbone sert également à réaliser les sept ponts selon un
procédé particulier. Cet assemblage très
contemporain offre un cadre à un mode de
transmission innovant de la force à destination du balancier. Automatique avec
masse tangentielle, cette référence furtive
ne passera pas inaperçue.
Edité à 25 exemplaires seulement, cet
instrument horloger au dessin atypique
et au mouvement automatique tridimensionnel, conçu par Jean-Marc Wiederrecht/Agenhor, offre une nouvelle
perspective sur le temps qui passe
grâce à un traitement spécifique des informations leur permettant d’être lues
dans le noir le plus total. A bien y réfléchir, ce garde-temps, ici proposé en or
blanc et titane traité noir, pourrait presque simuler les yeux d’un alligator dans
un bayou qui, soumis à la lumière, deviendraient phosphorescents. D’ailleurs
la pièce automatique se porte sur cuir
de saurien.
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Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Les marques sont toujours
plus nombreuses à s’en remettre
aux «big datas» – ces informations
récoltées sur Internet et les réseaux
sociaux – pour affiner leur stratégie
marketing et leur approche clientèle.
Explications. Par Catherine Cochard
MARKETING
AFP/DR/MONTAGE DAVID WAGNIÈRES/ LE TEMPS
L’horlogerie
àl’écouteduwebsocial
Q
uand on vous parle
d’horlogerie et de
big data, le premier
réflexe c’est de penser aux montres
connectées
(lire
p. 6) qui seront capables à terme de récolter une
foule de données relatives, par
exemple, aux habitudes de
consommation ou à la santé des
utilisateurs qui les portent. «Les IWatch et autres Smartwatch risquent de changer complètement
la donne pour l’horlogerie du secteur moyen de gamme, commente
Antoine Logean, Data Scientist et
membre du comité Opendata.ch,
une structure qui vise à démocratiser l’utilisation des données publiques. Les marques qui seront les
mieux implantées sur ce secteur
vont non seulement profiter des
ventes de leurs produits mais aussi
du trésor qu’elles auront ensuite
entre leurs mains, soit de précieuses datas collectées par le biais de
la montre au poignet de leurs
clients.»
Mais les big datas en horlogerie
sont également utilisées – depuis
plusieurs années déjà – pour affiner une stratégie marketing, pour
mieux connaître sa clientèle ou
pour découvrir de nouveaux prospects. «Il s’agit de réutiliser des
données qui ont été accumulées
dans un autre contexte, développe
Antoine Logean, et de les utiliser
pour résoudre un problème.» Ou
anticiper une demande. Ainsi, si la
récolte et l’analyse de datas provenant d’Internet (les termes de recherche dans Google ou Baidu, le
moteur le plus utilisé en Chine) ou
des réseaux sociaux (comme les
commentaires) montrent que
dans un marché un segment de
prix est en croissance, les maisons
horlogères peuvent utiliser cette
information. «Si c’est un marché
clé pour la marque et qu’elle est
absente de ce segment, elle pourra
se poser plus concrètement la
question de proposer un produit
correspondant à cette demande en
particulier, illustre Inès Lazaro, responsable marketing et produits
chez Digital Luxury Group à Genève, une société spécialisée dans
les stratégies digitales à destination des acteurs du luxe. Globalement, ce qui intéresse nos clients
c’est de connaître la désirabilité de
leur marque sur les réseaux sociaux, mais aussi de pouvoir se
comparer à leurs concurrents directs.» A l’occasion de Baselworld,
DLG vient de publier son annuel
WorldWatchReport, soit ses conclusions sur les tendances en matière d’horlogerie, à partir de l’analyse de 600000 recherches
quotidiennes faites en ligne pour
62 marques sur 20 marchés et dans
11 langues différentes.
C’est en écoutant la Toile qu’on
deviendrait donc une meilleure
marque. «Utiliser les big datas nous
permet de construire des campagnes digitales mieux adaptées,
d’optimiser l’efficacité de nos ac-
tions de marketing numérique et
le message adressé à notre
audience», résume FrançoisHenry Bennahmias, le patron
d’Audemars Piguet.
Plus pragmatiquement encore,
les données une fois triées offrent
aux maisons un outil supplémentaire pour, par exemple, mieux gérer les risques. «Une problématique importante pour les marques
c’est la gestion des stocks, continue Inès Lazaro. Les big datas peuvent aider les entreprises à prendre les bonnes décisions en leur
fournissant des informations di-
EN ÉCOUTANT
LE WEB, ON DEVIENT
UNE MEILLEURE
MARQUE
verses comme la quantité de produits encore à disposition dans
une région géographique, le flux
de touristes attendu à certaines
périodes de l’année, les réservations des hôtels…» Autant d’indicateurs qui permettent d’évaluer
et d’anticiper la demande.
Mais avant de pouvoir obtenir
un concentré des informations
que contiennent les données, les
fameuses big datas, il faut opérer
un tri dans le flot sémantique
récolté. «C’est ce qu’on appelle les
«smart analytics», soit le fait de
structurer le flux et de ne garder
que la partie signifiante et pertinente», reprend Antoine Logean.
En général, les Data Scientists – les
professionnels du tri des données
– déterminent un ensemble de termes, synonymes ou mots apparentés qui couvrent le domaine
auquel on s’intéresse, comme une
sorte de lexique. «Puis on récolte
sur Internet tous les messages,
tweets, commentaires dans lesquels apparaissent les expressions.» Autre stratégie: trouver les
principaux influenceurs des réseaux sociaux, les profils spécialisés les plus suivis, et dont l’avis est
capable de toucher un nombre
élevé de personnes.
Mais justement, qu’en est-il du
respect de la sphère privée pour
toutes ces personnes qu’on écoute
et observe à des fins marketing?
«Chaque pays applique sa propre
législation relative à l’utilisation
des données, développe Antoine
Logean. En Suisse est considérée
comme privée toute information
permettant d’identifier quelqu’un
(nom, prénom, adresse, numéro
de téléphone, d’assuré, préférence
sexuelle, croyance religieuse, information sur la santé). Ces éléments ne peuvent être utilisés sans
votre aval.» Or la territorialité d’Internet est très complexe. Les serveurs de Facebook se trouvant aux
Etats-Unis, lorsqu’un internaute
utilise le réseau social depuis Genève cela ne veut pas dire que c’est
le droit suisse qui s’applique. Les
données ne sont que saisies dans
un endroit pour ensuite être stockées sur un disque dur dans un
data center américain. «Actuellement, toutes ces données personnelles et mises gratuitement à disposition sont agrégées par un
petit nombre de sociétés. Des entreprises comme Google, Apple ou
Samsung qui se les approprient et
gagnent des milliards en les commercialisant, par exemple en proposant aux annonceurs des espaces pubs sur mesure selon les
habitudes et intérêts des profils de
consommateurs enregistrés.»
Si l’utilisation et la commercialisation de ce type de données ne
font que commencer, cette approche ne permet pas, pour le moment, de répondre à toutes les
questions, notamment celles qui
se posent aux marques horlogères.
«On ne parvient pas encore à récolter des informations pertinentes
sur les mécanismes psychologiques qui poussent les clients à
acheter – ou ne pas acheter – une
montre», admet Inès Lazaro. D’où
la nécessité de compléter l’approche statistique par une composante qui reste primordiale: l’humain. «Le spécialiste d’un
domaine sait simplement beaucoup de choses – contextuelles,
émotionnelles et de sources diversifiées – que l’algorithme ne
pourra pas reproduire. L’avis de
l’expert reste irremplaçable»,
conclut Antoine Logean.
Horlogerie
Dans chaque numéro,
Isabelle Cerboneschi demande
à une personnalité de lui parler
de l’enfant qu’elle a été et de ses rêves.
Une manière de mieux comprendre
l’adulte qu’il ou elle est devenu(e).
Plongée dans le monde de l’imaginaire.
SONIA SIEFF
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Le Temps l Samedi 21 mars 2015
Horlogerie
Le Temps l Samedi 21 mars 2015
INTERVIEW SECRÈTE
Carla Bruni
qu’avez-vousfaitdevosrêvesd’enfant?
C
arla Bruni-Sarkozy est
arrivée en France à
l’âge de 7 ans et
chante Douce France
en italien. Joli paradoxe. Si l’on veut résumer sa carrière en peu de mots, on
doit forcément scinder les choses
en deux: d’abord commençons
par l’Italie et la France. L’Italie, c’est
là où se trouvent ses racines, où
elle est née en 1967. C’est le pays
abandonné que sa famille a fui par
peur des menaces d’enlèvement
des Brigades Rouges. La France,
c’est la terre d’accueil, le lieu où
elle est arrivée enfant. Le pays dont
elle fut la Première Dame aussi de
2008 à 2012.
Ensuite il y a la scission entre le
passé et le présent. Le passé parce
qu’elle a pratiqué un métier à durée limitée: elle fut l’un des grands
top models des années 80-90.
Mais c’est au présent que l’on a
envie de s’accrocher, à cette carrière de chanteuse, inattendue, à
cette voix grave légèrement
éraillée qui a déboulé dans les
oreilles un beau jour de 2002 en
susurrant: «Un jour quelqu’un m’a
dit que tu m’aimais encore». Chanson hantante et hantée.
La musique, Carla Bruni est née
dedans: sa mère, Marisa Borini,
était pianiste concertiste, son
père, Alberto Bruni Tedeschi,
l’homme qui l’a élevée («le père
c’est celui qui aime», écrivait Pagnol), compositeur et industriel.
Son quatrième album est sorti en
2013, et depuis qu’elle a disposé
d’un bureau dans l’aile ouest du
palais de l’Elysée, le monde cherche à décoder ses paroles. Et ce
monde en pense ce qui lui chante
au fond, parce qu’il ne faut pas
compter sur elle pour faire de l’explication de texte.
Depuis 2013, elle est l’égérie de
Bulgari et son contrat a été reconduit pour la campagne 2015 où
elle pose sous l’objectif de Mario
Sorenti. Quand on demande à
Jean-Christophe Babin, le président de la marque joaillière pourquoi ce choix, il entre en dithyrambe. «Bulgari a des origines
romaines qui expliquent les volumes, les formes très architecturées, très colorées, uniques dans le
monde de la joaillerie et pour véhiculer cette image on voulait une
égérie qui soit Italienne, mais audelà, qui ait la sensualité, l’audace,
le caractère des divas qui ont fait le
succès de la marque dans les années 70. Des femmes autonomes,
indépendantes, avec du style, tout
en ayant le sens de la proximité à
l’italienne. Carla a eu l’audace de
devenir chanteuse après avoir été
top model. En public elle est parfaite, elle ne se prend pas trop au
sérieux, elle incarne parfaitement
cette femme Bulgari, sensuelle,
élégante, qui n’hésite pas à casser
les codes.»
La rencontre n’ayant pu se faire
à Paris, l’interview a eu lieu par
téléphone. Cela donne une certaine liberté, parfois, deux voix
sans visage qui s’entretiennent.
Cela donne aussi des réponses un
peu foutraques, des fous rires, des
silences, des questions qui répondent à d’autres questions. Ça
donne aussi l’occasion d’entendre
la voix chantonner, juste pour soi.
Le Temps: Quel était votre plus
beau rêve d’enfant?
Carla Bruni: On parle de rêve
éveillé n’est-ce pas? De quelque
chose que l’on projette? Je crois
que mon rêve, c’était de voyager
dans le monde entier, alors que je
suis la personne la plus casanière
du monde. Mais peut-être qu’on
rêve de choses qui nous sont
étrangères, de terrains inconnus?
Est-ce qu’il y avait un pays qui vous
attirait particulièrement?
Surtout l’Amérique. En fait j’habitais dans un endroit d’où l’on
voyait La Défense, le bois de Boulogne et le Mont Valérien. Je voyais
des tours par la fenêtre. Je suis de
nature contemplative et je rêvais
en regardant le paysage, le ciel.
L’avez-vous réalisé ce rêve de
voyages?
Ah oui! Il y a des endroits que
j’aimerais visiter: je ne connais
pas les pôles, l’Australie, la
Nouvelle-Zélande. Je connais
assez peu la Chine. J’ai trouvé
dans ces voyages beaucoup plus
que ce que j’envisageais. Tous
les endroits où j’ai rencontré la
nature brute m’ont transportée.
Je ne suis pas très urbaine.
Quel métier vouliez-vous faire
une fois devenue grande?
Je ne me suis jamais projetée. Je
continue à me projeter très peu,
encore maintenant. Je voulais
voyager, être libre. J’étais très
ambitieuse, mais je n’avais pas
une idée de métier précise. La
musique est venue assez tôt, mais
c’est longtemps resté juste une
idée. Je n’ai osé m’en emparer que
tard. Je ne m’étais pas dit que cela
pourrait devenir mon métier. Je
ne me suis jamais imaginée sur
scène. Même les voyages,
d’ailleurs, je ne me voyais
pas les réaliser.
Quel était votre jouet préféré?
Je dessinais beaucoup et j’aimais
les poupées Barbie.
Quelle était la couleur de votre
premier vélo?
Je ne m’en souviens pas. Je prenais
les vélos de mes frères et sœurs. Je
n’ai pas eu un premier vélo qu’on
m’aurait offert comme ça. A mon
avis, c’était du recyclage cette
affaire de vélo. Ce qui est normal
dans une famille avec trois
enfants.
Quel super-héros rêviez-vous
de devenir?
(Silence) Moi, je voulais devenir
John Travolta dans Grease, voilà
la vérité. Et j’avais un poster de
lui grandeur nature dans ma
chambre. Ce qui est drôle, c’est
que je l’ai rencontré des années
après. Je n’ai pas trop osé lui dire
qu’il a dormi au-dessus de mon
lit pendant dix ans. (Et elle se
met à chanter). «I got chills,
they’re multiplying… Vous voyez
ce que je veux dire?… and I’m
losing control.» Je me demande
si je ne suis pas un compromis
entre Olivia Newton-John et John
Travolta. C’étaient eux mes
super-héros. Après j’ai eu les
Stones, Brassens, Barbara, Dylan,
c’étaient que des super-héros.
De quel super-pouvoir vouliez-vous
être dotée?
Ah, mais je l’ai toujours! (Rires)
L’ubiquité, cela m’irait bien.
Rêviez-vous en couleur ou en noir
et blanc?
Je ne sais pas. C’est comme de
savoir si je rêve en italien ou en
français. Je ne sais pas trop. Je
pense que l’on rêve en couleur si
l’on n’est pas daltonien.
Quel était votre livre
préféré?
Pendant longtemps, j’ai aimé
Les malheurs de Sophie. Ensuite j’ai
aimé un livre qui s’appelait Mon
petit oranger. Et ensuite très tôt,
avant le collège, avant la sixième,
notre maîtresse d’école nous a lu
Cent ans de solitude. Et là je suis
restée «frappée». Elle nous le lisait
tous les jours en classe. Je ne l’ai
jamais relu. Elle nous l’a tellement bien lu, je m’en souviens
encore!
Les avez-vous gardées?
Non.
A quel jeu jouiez-vous
à la récréation?
Au jeu du bavardage, dans mes
souvenirs. Après, au jeu de fumer
des cigarettes sans se faire prendre, peut-être, un peu plus tard
(rires).
Et vous vous faisiez prendre?
Ah oui! L’enjeu de faire cela, c’est
quand même de se faire prendre,
sinon ce n’est pas drôle.
Grimpiez-vous dans les arbres?
Oui.
Que ressentiez-vous une fois
arrivée en haut?
J’ai toujours eu peur de tomber.
Mais je grimpais quand même.
«Je me demande
si je ne suis pas
un compromis
entre Olivia
Newton-John
et John Travolta.»
Carla Bruni
Qu’est-ce qui touchait l’enfant
d’alors dans cet ouvrage?
C’est l’histoire d’une dynastie,
d’une famille, dans un pays qui
nous était étranger, avec des
descriptions, des coutumes. Ce
qui m’avait frappée, c’est que
l’héroïne principale, qui venait de
se marier, avait pratiquement
notre âge. Alors que l’on vivait
dans un pays où à 9 ou 10 ans on
ne se marie pas.
Quel goût avait votre enfance?
Un goût de refuge. De solitude.
Et si cette enfance avait un parfum,
ce serait?
Un parfum de silence.
Pendant les grandes vacances,
vous alliez voir la mer?
On allait à la mer.
Savez-vous faire des avions
en papier?
Oui. Je sais faire un t-shirt en
papier aussi. Vous savez faire un
t-shirt vous? Non? Vous faites un
bateau. Et une fois que vous avez
fait le bateau, vous le mettez à
plat, comme s’il était de profil,
vous coupez un petit bout à la
proue, un petit bout à l’arrière et
un petit bout de la voile. Vous le
dépliez et c’est un t-shirt. Un Fruit
of the Loom! Essayez ça vaut la
peine! C’est important dans la vie.
Il faut savoir tout faire (rires).
Aviez-vous peur du noir?
Non. J’ai peur tout le temps, mais
pas du noir. J’ai plus peur des
êtres humains que des trucs.
Est-ce lié aux menaces
d’enlèvement que vous avez subies
enfant?
Peut-être? Je ne sais pas. C’est
tellement confus l’enfance. On ne
sait pas pourquoi on a peur. Cela
relève aussi de la nature propre: il
y a des gens qui n’ont jamais peur
et des gens qui ont peur.
Vous souvenez-vous du prénom
de votre premier amour?
Oui. Il s’appelait Peter. Salut Peter
si tu me lis! C’était notre voisin de
vacances et je l’aimais beaucoup.
C’est une personne exquise et on
est restés longtemps amis. Enfin,
quand on parle de premier
amour, on ne s’est même pas
embrassés! Mais ce sont de
grands amours qu’on vit quand
on est petit.
Et de l’enfant que vous avez été?
Je m’en souviens très bien.
Est-ce qu’il vous accompagne
encore
Je n’ai pas beaucoup grandi, un
peu mûri, mais je n’ai pas grandi
tant que cela. Il m’accompagne
encore. J’essaie de m’en défaire,
mais il me reste collé aux basques. Dès que je dors, il se réveille.
C’est avec lui aussi que je fais mes
chansons. Il faut un peu d’illusion, vous savez, pour faire des
chansons. Pour faire quoi que ce
soit, d’ailleurs, il faut un peu
d’illusion.
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