2000-33 Cholésterol et risque d`accident vasculaire cérébral: un rôle
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2000-33 Cholésterol et risque d`accident vasculaire cérébral: un rôle
Schweiz Med Wochenschr 2000;130:1157–63 Peer reviewed article G. Devuyst, J. Bogousslavsky Service de neurologie, CHUV, Lausanne Perfectionnement Cholestérol et risque d’accident vasculaire cérébral: un rôle pour les statines? Summary Cholesterol and stroke risk: a role for statins? Atherosclerosis is the most common cause of vascular diseases, but the relevance of cholesterol has only been definitely associated with coronary artery disease and peripheral vascular disease. In comparison, the role of cholesterol in stroke is, while a tempting assumption, subject to controversy in the literature. The crucial question – is cholesterol a risk factor for stroke? – remains open. Recent trials with statin drugs, such as 4 S, CARE, LIPID and WOSCOP, have created a new wave of enthusiasm by showing decreased risk of stroke in the statin-treated patients. However, these trials are most often designed for patients with a known history of coronary artery disease. In contrast, studies investigating the impact of statins in the secondary prevention of stroke are still lacking. Moreover, the beneficial effects of statins on clinical events may involve non-cholesterol mechanisms. In regard to stroke prevention, there is no absolute evidence to recommend the use of statin drug therapy. Keywords: stroke; transitory ischaemic attack; hypercholesterolaemia; LDL cholesterol; statins Zusammenfassung Obwohl die Atherosklerose die häufigste Ursache von Gefässerkrankungen darstellt, ist das Cholesterin als definitiver Risikofaktor erst bei der Herzgefässerkrankung und der arteriellen Verschlusskrankenheit anerkannt. Die Bedeutung des Cholesterins beim Hirnschlag bleibt in der Literatur umstritten. Die entscheidende Frage – ob Cholesterin ein Risikofaktor für den Hirnschlag ist – ist unglöst. Neue Studien wie 4 S, CARE, LIPID, und WOSCOP haben zwar durch die Senkung des Hirnschlagrisikos beim Statin-behandelten Patienten eine neue Welle des Enthusiasmus hervorgerufen; diese Studien wurden allerdings oft bei Patienten mit bekannter Herzgefässerkrankung durchgeführt. Studien zur Sekundärprophylaxe des Hirnschlags existieren noch nicht, und Statine sind auch für andere Wirkmechanismen als nur die Senkung des Cholesterinwerts bekannt. Es bestehen also zurzeit ungenügende Beweise, um Statine für die Hirnschlag-Prävention zu empfehlen. Keywords: Hirnschlag; transiente ischämische Attacke; Hypercholesterinämie; LDL-Cholesterol; Statine L’athérosclérose est la cause la plus fréquente des maladies cardio-vasculaires, mais le rôle du cholestérol n’a été définitivement démontré que en association avec la maladie corona- rienne et l’artériopathie des membres inférieurs. En revanche, le rôle du cholestérol dans l’accident vasculaire cérébral (AVC) demeure tentant mais est toujours sujet à de nombreuses Résumé Correspondance: Dr méd. Gérald Devuyst Service de neurologie CHUV – BH-07 Rue du Bugnon 46 CH-1011 Lausanne 1157 Perfectionnement Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 33 controverses dans la littérature. Par conséquent, la question cruciale – le cholestérol estil un facteur de risque pour l’AVC? – reste toujours ouverte. Les études récentes avec les statines telles que les études 4 S, CARE, LIPID et WOSCOP ont soulevé une nouvelle vague d’enthousiasme en démontrant une réduction du risque d’AVC chez les patients traités par une statine. Cependant, ces études s’adressaient essentiellement à des patients ayant une histoire connue de maladie coronarienne, alors qu’il n’existe pas actuellement d’étude publiée sur le rôle des statines dans la prévention secondaire de l’AVC. En outre, les effets des statines ne sont pas encore totalement élucidés et impliqueraient même des mécanismes ne passant pas par le cholestérol. Il en découle qu’au stade actuel il n’existe pas d’évidence absolue pour recommander l’utilisation des statines dans la prévention de l’AVC. Keywords: accident vasculaire cérébral; accident ischémique transitoire; hypercholestérolémie; LDL cholestérol; statines Les statines, aussi connues sous le nom d’inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase, sont des substances efficaces et bien tolérées pour réduire les lipides dans le sérum [1]. Plusieurs études à large-échelle récentes étudiant l’effet des statines chez des patients ayant des facteurs de risque pour une maladie coronarienne, ont également montré un bénéfice en termes de risque d’accident vasculaire cérébral et de progression de l’athérosclérose des carotides [1]. Cependant, avant d’envisager l’impact théra- peutique – prévention primaire et secondaire – des statines dans l’accident vasculaire cérébral (AVC), il est utile de reconsidérer le rôle du cholestérol comme facteur de risque cérébrovasculaire ainsi que les mécanismes physiopathologiques potentiels qui le soutiennent et qui constituent autant de «cibles» pour les statines. En effet, la question cruciale – Is cholesterol a risk factor for stroke? – n’a jamais été aussi d’actualité et en même temps l’objet d’autant de controverses. Introduction Hypercholestérolémie et risque d’accident vasculaire cérébral Le rôle du cholestérol n’a été définitivement associé qu’avec la maladie coronarienne et l’artériopathie des membres inférieurs, alors que son lien avec l’AVC reste tentant mais controversé [2, 3]. Par exemple, dans l’étude de Framingham, aucune corrélation n’a été trouvée entre le cholestérol et l’AVC [4]. L’étude d’Honolulu n’a également pas mis en évidence d’association significative entre le cholestérol et les AVC ischémiques, mais une relation inversement proportionnelle avec les hémorragies cérébrales [5]. Cependant, une autre étude large – the Multiple Risk Factor Intervention Trial – impliquant plus de 350 000 hommes, révéla que le taux de mortalité lié aux AVC ischémiques était corrélé à l’hypercholestérolémie, suggérant sans cependant la prouver une association avec les AVC ischémiques [6]. Une autre étude comportant 69 767 participants – the Eastern Stroke and Coronary Heart Disease Collaborative Research Group – a observé une tendance vers la réduction du risque d’AVC ischémique parallèlement à la diminution du cholestérol plasmatique [7]. Sacco et al. [8] ont réexaminé l’impact de tout un panel de facteurs de risque pour l’AVC ischémique et hémorragique. C’est ainsi que ces auteurs ont sélectionné essentiellement cinq facteurs de ris1158 que potentiellement «modifiables» pour l’AVC ischémique: l’hypertension artérielle, les pathologies cardiaques et en particulier la fibrillation auriculaire, le diabète sucré, le tabagisme chronique, et l’hypercholestérolémie, par ordre décroissant d’importance. Cependant, Sacco et al. [8] notent que si l’hypercholestérolémie constitue un facteur de risque «modifiable» important pour la maladie coronarienne, en revanche son association avec le risque d’AVC ischémique demeure encore incertaine. Malgré tout, Sacco et al. [8] admettent les données selon lesquelles il existe une relation positive entre le cholestérol total et le LDL cholestérol et l’influence protective du HDL cholestérol sur l’athérosclérose carotidienne extracrânienne. En outre, comme on le discutera plus tard, les analyses secondaires des études sur la simvastatine, la pravastatine et la lovastatine ont révélé une réduction du nombre d’AVC dans le groupe traité par rapport au groupe placebo. Une autre source d’information intéressante sur la réduction du cholestérol et le risque d’AVC chez l’homme nous vient de la méta-analyse de Atkins et al. [9]. Dans cette méta-analyse regroupant 13 études randomisées et contrôlées explorant l’effet d’une baisse du cholestérol sérique – obtenue par des me- Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 33 Perfectionnement sures diététiques ou des médications autres que les statines – sur la survenue d’un AVC fatal ou non. Cette méta-analyse des «études non-statines» a montré que la diminution du cholestérol sérique ne réduisait ni la mortalité ni la morbidité liées à l’AVC chez l’homme d’âge moyen. En outre, l’analyse par régression ne démontrait pas d’association statistique entre l’importance de la réduction du cholestérol et le risque d’AVC fatal. Le caractère débattu de l’association AVC–hypercholestérolémie est représentée par les enseignements de l’analyse de 45 études prospectives «observationnelles» tels que rapportés dans le Lancet en 1995 [10]. Ces 45 études totalisant 450 000 patients ayant présentés 13 397 AVC durant un suivi moyen de 16 années, n’ont pas démontré de relation indépendante entre le cholestérol et le risque d’AVC dans le panel des hypercholestérolémies étudiées (entre 4,73 et 6,38 mmol/l) [10]. Néanmoins, une association entre l’hypercholestérolémie et le type d’AVC (ischémique/hémorragique) ne peut être exclue formellement étant-donné que le type d’AVC n’était pas connu dans cette analyse [10]. Enfin, une association entre l’hypercholestérolémie et l’AVC pourrait se manifester pour des valeurs de cholestérolémie situées en-dehors de celles étudiées dans cette analyse [10]: en effet, dans la Copenhagen City Heart Study[11], une relation entre l’hypercholestérolémie et l’AVC n’a été remarquée que pour des hypercholestérolémies >8 mmol/l. Le double «paradoxe» cholestérol–accident vasculaire cérébral Comme on le voit et contrairement à la maladie coronarienne, le rôle de l’hypercholestérolémie dans la genèse de l’AVC n’est pas fermement établi, d’où il en découle un paradoxe [12]: alors que de nombreux travaux ont souligné le fait que la sténose carotidienne était bien corrélée avec l’hypercholestérolémie (HC), l’hypercholestérolémie n’a été que faiblement associée ou non associée à l’AVC ischémique [12]. Ce premier paradoxe implique la recherche d’explications à l’absence d’association positive HC–AVC dans la plupart des études d’observation. Certains biais de sélection de ces études initialement désignées pour examiner les risques coronaires et secondairement neurologiques pourraient être pris en considération à ce propos [13]: âge moyen de la plupart des sujets (AVC survenant beaucoup plus tard que la maladie coronarienne), mortalité due à l’hypercholestérolémie survenant avant l’AVC, intervention «agressive» sur les facteurs de risque cérébrovasculaire, distribution différente des sous-types d’AVC chez les sujets jeunes (davantage de dissections artérielles ou de causes cardioemboliques, par conséquent non liées à l’hypercholestérolémie). On peut donc se poser la question de savoir si ces cohortes de patients sont vraiment bien représentatives de la population générale des patients à risque de développer un AVC. D’autres sources d’erreur pourraient être le petit nombre d’études cas-contrôles d’une part et la question du sous-type d’AVC inadéquate- ment abordée (particulièrement lorsque AVC cardioemboliques et athérothrombotiques sont regroupés ensemble) d’autre part. Pour cette dernière raison, Hachinski et al. [14] ont évalué la relation entre le cholestérol et les AVC d’origine athérothrombotique uniquement (exclusion des AVC d’origine cardioembolique, dû à une dissection artérielle ou de cause rare). En procédant de la sorte, Hachinski et al. [14] ont démontré un taux de cholestérol total et de LDL cholestérol très significativement augmenté parmi les AVC athérothrombotiques par rapport aux contrôles. Comme rapporté par Hachinski et al. [14], la plupart des études évaluant le rôle des lipides dans l’AVC n’ont pas pris en compte l’effet hypolipémiant de l’AVC aigu ou de l’accident ischémique transitoire (AIT): ce facteur peut avoir contribué à la faiblesse de l’association HC–AVC en «ratant» des hypercholestérolémie testées trop tôt par rapport à l’AVC aigu! Hachinski et al. [14] ont évité ce biais en dosant le cholestérol 3 mois après l’AVC ou l’AIT survenu chez leurs patients. Le second paradoxe tient dans la faiblesse de l’association HC–AVC telle qu’observée dans les études épidémiologiques alors que les études sur les statines ont montré une réduction totale du risque d’AVC de 31% pour les individus traités par une statine! Dans le paragraphe suivant, nous allons détaillés ces études cliniques sur les statines et leurs enseignements sur le plan neurologique. 1159 Perfectionnement Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 33 Les études statines: 4 S, CARE, LIPID, et WOSCOP Etudes de prévention secondaire L’étude 4 S pour the Scandinavian Simvastatin Survival Study [15] a randomisé des patients avec une maladie coronarienne connue et une hypercholestérolémie pour recevoir soit la simvastatine, soit un placebo. Les patients étaient surtout des hommes (81%) d’âge moyen (58,1 ans). Après un follow-up moyen de 5,4 ans, le taux combiné AVC/AIT était réduit de 4,3 à 2,7%, ce qui représentait une réduction relative de 37% de ce taux dans le groupe traité par la simvastatine (p = 0,033). Parallèlement, les patients qui prenaient la simvastatine avaient une réduction de 25 et 35% de leur cholestérol total et LDL cholestérol respectivement alors que le HDL cholestérol était augmenté de 8%. Il est intéressant de noter que dans cette étude 4 S [15] la réduction du risque d’événements coronariens était indépendante de la cholestérolémie. En fait, l’étude 4 S [15] a montré que 12 événements cliniques cérébrovasculaires (AVC ou AIT) étaient évités pour 1000 patients traités par la simvastatine sur une période moyenne de 5,4 ans. L’étude CARE pour the Cholesterol and Recurrent Events Trial [16] a étendu les observations effectuées dans l’étude 4 S aux patients ayant une maladie coronarienne connue mais avec une cholestérolémie modérée plutôt qu’élevée. 4159 patients étaient traités par des mesures diététiques et furent randomisés pour recevoir la pravastatine ou un placebo. Ces patients étaient essentiellement des hommes (86%) d’âge moyen (59 ans) et ont été suivis pendant une durée moyenne de 5 ans. Le taux d’AVC était réduit de 3,52% (placebo) à 2,55% (pravastatine), ce qui correspond à une diminution relative de ce taux statistiquement significative (p = 0,039) de 24% [16]. The Long-Term Intervention with Pravastatin in Ischaemic Disease (LIPID) [17] était une étude placebo-contrôlée randomisée évaluant l’effet de la pravastatine (40 mg/jour) chez 9014 patients (âgés de 31 à 75 ans) qui étaient caractérisés par une histoire d’infarctus du myocarde ou hospitalisés pour un angor instable, avec un taux de cholestérol total compris entre 155 et 271 mg/dl (218 mg/dl en moyenne). Les patients ont été suivis pendant 6,1 ans en moyenne durant cette étude. Le taux de mortalité total et le taux de mortalité dû à la maladie coronarienne étaient très significativement plus bas dans le groupe traité par la pravastatine sans effets secondaires cliniquement significatifs [17]. En ce qui concerne les 1160 AVC, leur taux passait de 3,7% dans le groupe traité par la pravastatine à 4,5% dans le groupe placebo, ce qui correspondait à une réduction du risque de 19% (p = 0,048) [17]. En d’autres termes, l’étude LIPID [17] a montré que sur une période de 6,1 ans, 30 décès / 28 infarctus du myocarde non mortels / 9 AVC non mortels étaient évités pour chaque 1000 patients randomisés pour recevoir la pravastatine. Etude de prevention primaire L’étude WOSCOP – the West of Scotland Coronary Prevention Study [18]– a inclus des patients d’âge moyen avec une hypercholestérolémie (cholestérolémie moyenne = 272 mg/dl) mais sans histoire connue de maladie coronarienne. Un total de 6595 hommes ont été enrôlés pour recevoir la pravastatine ou un placebo et le suivi dura en moyenne 4,9 ans. Une diminution relative du taux d’AVC de 11% au profit des patients traités par la pravastatine était signalée dans cette étude [18]. Dans cette étude WOSCOP, le gain thérapeutique absolu était insignifiant puisque atteignant seulement 0,04% par an [19]. Cette diminution est nettement inférieure à celle mentionnée dans les études 4 S [15] et CARE [16] et pourrait s’expliquer par la différence de populations ciblées. En effet, on peut considérer que les études 4 S [15] et CARE [16] sont des études de prévention secondaire puisque enrôlant des patients avec une maladie coronarienne connue, alors que l’étude WOSCOP [18] doit être considérée comme une étude de prévention primaire étantdonné que les patients inclus n’avaient pas d’histoire connue de maladie coronarienne. Par conséquent, on peut raisonnablement admettre que les sujets de l’étude WOSCOP présentaient un plus faible risque cérébrovasculaire par rapport à ceux des études 4 S et CARE. Méta-analyses Une méta-analyse publiée par Blauw et al. en 1997 [20], incluant 13 études cliniques dévolues aux statines avec des informations suffisantes sur la survenue d’AVC dont les études 4 S et CARE, montra que la réduction du risque total d’AVC atteignait 31% chez les patients traités par une statine (181 dans le groupe statine vs 261 AVC dans le groupe contrôle). Cette méta-analyse et celle de Hebert et al. [21] n’ont rapporté aucune augmentation des Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 33 Perfectionnement causes de mortalité non cardio-vasculaires (par exemple les cancers) parmi les patients traités par une statine. La méta-analyse de Hebert et al. rassemblant 16 études statines randomisées soutient-elle l’effet réducteur des statines sur la survenue des AVC? Le taux d’AVC non fatal était de 0,93% (120/12 840) dans le groupe statine vs 2,30% (182/7900) dans le groupe contrôle, alors que le taux d’AVC fatal était similaire entre le groupe statine et contrôle (0,19 vs 0,24% respectivement). Une troisième méta-analyse, celle de Bucher et al. [22], incluant 8 études statines pour les coronariens a montré une réduction significative du nombre d’AVC ischémique avec une réduction du risque ratio de 0,76 (p = 0,01). Par quels mécanismes agiraient les statines pour prévenir les accidents vasculaires cérébrals? Plusieurs mécanismes par lesquels la diminution du cholestérol par les statines pourraient réduire le risque d’AVC ont été suggérés par Crouse et al. [23]: primo, en retardant la progression de l’athérosclérose sur les artères extracrâniennes comme proposé par les études sur l’épaisseur du complexe intima-média; secundo, en stabilisant les plaques d’athérome carotidiennes comme suggérées par les études sur les plaques des artères coronaires; tertio, par une réduction secondaire des AVC due à une diminution des événements coronaires ischémiques, et en particulier de l’incidence des infarctus du myocarde. D’autres mécanismes pourraient intervenir et sont actuellement à l’étude. Les études ACAPS, PLAC-II, KAPS et LIPID ont montré une réduction de la progression des plaques d’athérome carotidiennes et vertébrales. Par exemple, dans l’étude LIPID, le complexe intima-média carotidien diminuait de 0,014 mm dans le groupe pravastatine, alors qu’il augmentait de 0,048 mm dans le groupe placebo. Dans l’étude PLAC-II [24]qui randomisait des patients coronaires pour recevoir la pravastatine ou le placebo, la progression du complexe intima-media évaluée par Duplex Bmode était moindre dans le groupe pravastatine durant les 3 années de suivi. Des résultats similaires ont été rapportés avec la lovastatine: dans l’étude de Hodis et al. [25] qui a étudié l’évolution du complexe intima-média caro- tidien durant 4 années, ce dernier était réduit de 0,095 mm dans le groupe lovastatine tandis qu’il augmentait de 0,046 mm dans le groupe placebo. L’étude de Mercuri et al. [26] à quant à elle noté que la progression du complexe intima-média carotidien était stoppée par la pravastatine dans les 6 mois après initiation du traitement. Williams et al. [24] ont signalé en 1998 une plus grande stabilité des plaques d’athérome carotidiennes dans le groupe de primates traités par la pravastatine en diminuant le contenu en macrophages, calcifications, et néovascularisation de ces plaques. En outre, dans cette étude de Williams et al. [24], la pravastatine a amélioré la fonction de l’endothélium des artères coronaires des primates après deux ans de traitement actif. Des expériences pratiquées avec du sérum de patients traités par de la pravastatine ou de la fluvastatine sur des myocytes artériels humains ont révélé que la fluvastatine diminuait la prolifération des cellules musculaires lisses humaines. En résumé, les statines pourraient agir de trois manières différentes pour diminuer l’incidence des AVC: (1) en diminuant le LDL cholestérol, (2) en améliorant la fonction de l’endothélium vasculaire, (3) en stabilisant les plaques d’athérome carotidiennes. Les statines auraient par conséquent à la fois des effets directement sur le cholestérol et des effets indépendants du cholestérol. Limites des études statines actuelles du point de vue neurologique et perspectives Comme on l’a vu, la plupart des études ayant exploré l’effet des statines se sont adressées à des patients inclus pour avoir présenté une maladie coronarienne (angor et/ou infarctus du myocarde): il en résulte que ces études sont à considérer avant tout comme des études de prévention secondaire pour les événements cardiaques tandis qu’il n’existe à ce jour aucune étude statine publiée sur la prévention secondaire des événements cérébrovasculaires. On ne peut certainement pas estimer que le risque de présentér un AIT ou un AVC est identique entre un patient cardiaque sans antécédent cérébrovasculaire et un patient non cardiaque ayant déjà expérimenté un AIT ou un AVC. Parmi les études statines dont on dispose actuellement, seule l’étude WOSCOP concernait des patients hypercholestérolémiques sans histoire de maladie coronarienne. Il est justement intéressant de relever que cette étude 1161 Perfectionnement WOSCOP révéla la plus petite réduction relative du risque d’AVC dans le groupe traité par la pravastatine, à savoir seulement 11%. Ce faible résultat avait été interprété comme la conséquence d’une population cible différente, caractérisée par l’absence de maladie coronarienne et donc présumée à plus faible risque de maladie cérébrovasculaire. Pour pallier à ces limites, une nouvelle étude baptisée SPARCL pour Stroke Prevention with Agressive Reduction of Cholesterol Levels s’intéressant aux effets de l’atorvastatine dans la prévention secondaire des événements cérébrovasculaires Schweiz Med Wochenschr 2000;130: Nr 33 (AIT ou AVC) est actuellement en cours. Cette étude SPARCL a prévu d’inclure 4200 patients ayant expérimentés un AIT ou un AVC avec un déficit fonctionnel résiduel discret à modéré dans les 6 mois précédent la randomisation et ayant un cholestérol LDL plasmatique compris entre 100 mg/dl et 190 mg/dl (2,6 et 4,94 mmol/l). Ces patients sont randomisés pour recevoir l’atorvastatine (80 mg/jour) ou le placebo et seront suivis cliniquement ainsi que par dosages du LDL cholestérol pendant une période de 5 ans. Mesure de l’athérosclérose Il est important de comprendre que la mesure d’une sténose de la carotide interne n’équivaut pas à la mesure de l’athérosclérose. La mesure d’une sténose carotidienne par angiographie conventionnelle (NASCET, ECST, CCA), MRA (angiographie par résonance magnétique nucléaire), ou par ultrasons évalue en fait la lumière résiduelle de la carotide; l’athérosclérose elle se situe dans la paroi artérielle [27]. Une méthode d’évaluation qui est largement interprétée comme représentant l’athérosclérose est la mesure de l’épaisseur du complexe intima-média (IMT pour «intima-media thickness») [27] par ultrasons au niveau des carotides primitives ou des carotides internes. Cependant, l’IMT du sujet jeune sans plaques d’athérome carotidiennes représente une hypertrophie de la média d’origine hypertensive pour une majorité d’entre eux [27]. Une autre méthode d’évaluation de la progression de l’athérosclérose consiste à mesurer les plaques d’athérome carotidiennes elles-mêmes en 2-D ou 3-D [27] par ultrasons. Certains auteurs [27] préconisent un «management of arteries» en plus du «management of risk factors» pour optimaliser la prise en charge des facteurs de risques cérébrovasculaires et guider la thérapeutique en cas de progression des plaques d’athérome carotidiennes. Conclusions Au vu de la littérature actuelle, il faut bien reconnaître qu’il est difficile de conclure définitivement sur l’association cholestérol–AVC et par conséquent une réserve s’impose quant à l’utilisation systématique des statines dans la prévention secondaire de l’AVC. En effet, il n’existe pas actuellement aucune étude publiée sur l’utilité des statines chez des patients ayant déjà expérimenté un AIT ou un AVC. Ce vide d’informations sera bientôt comblé par l’étude SPARCL actuellement en cours. En outre, les mécanismes d’action des statines ne sont pas encore clairement élucidés et feraient même appel pour certains d’entre eux à des effets ne concernant pas le cholestérol mais le monoxyde d’azote (NO) par exemple. Même si l’on accepte l’effet préventif des statines, il faut se rappeler que les statines offrent un gain de risque absolu inférieur à 1% par an sur le plan cérébrovasculaire. Dès lors, conseiller la prise d’un tel traitement pour une longue période et avec des risques d’effets secondaires reste difficile en l’état actuel des connaissances. Références 1 Goldszmidt A, et al. Recent advances in stroke therapy. Curr Opin Neurol 1998;11:57–64. 2 Yatsu FM. Dietary cholesterol: does it aggravate strokes due to atherosclerosis? Neurology 1981;31:1535–6. 3 Qizilbash N. Are risk factors for stroke and coronary disease the same? Curr Opin Lipidol 1998;9:325–8. 4 Kannel WB, et al. Vascular disease of the brain – epidemiologic aspects: the Framingham Study. Am J Public Health 1965;55:1355–66. 1162 5 Kagan A, et al. Factors related to stroke incidence in Hawaiian Japanese men, the Honolulu Heart Study. Stroke 1980;11:14–21. 6 Iso H, et al. Serum cholesterol levels and six-year mortality from stroke in 350 977 men screened for the Multiple Risk Factor Intervention Trial. 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