Débats

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PRÉSENTATION
Les « Débats » de la Revue des contrats rassemblent différentes opinions relatives
à une question qui appelle la mobilisation des analyses doctrinales, du fait de sa
nouveauté, de sa complexité, des incertitudes qui marquent sa situation en droit des
contrats – de ses fondements à sa signification en passant par son fonctionnement.
L’objectif est la confrontation des idées, ce qui ne s’entend pas – il s’en faut – de
la recherche systématique de l’affrontement et de la divergence. L’essentiel consiste
dans l’expression la plus directe, par chacun, de la perception de tel phénomène,
d’appréhension délicate a priori.
C’est dire que les textes qui suivent ne s’inscrivent pas dans une démarche
d’étude systématique et académique. Le rassemblement de plusieurs points de vue,
émanant d’auteurs dont les écrits antérieurs suggèrent qu’ils n’auront probablement
pas une appréciation strictement identique du thème retenu pour objet de débats,
qui est destiné à enrichir la réflexion du lecteur, par la vertu de la dialectique,
qui est à la base de l’activité de tout juriste. Aucune synthèse n’est donc proposée
puisqu’il appartient à chacun de conclure, fût-ce provisoirement, ou de ne pas
conclure !
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NOUVELLES RÉFLEXIONS
SUR L’AVANT-PROJET
DE RÉFORME DU DROIT
DES OBLIGATIONS
ET DE LA PRESCRIPTION
Présentation
Denis MAZEAUD (Professeur à l’Université Panthéon-Assas, Paris II)
Exceptionnellement ce trimestre, la rubrique « Débats » est divisée en deux
parties bien distinctes. Intitulée « Nouvelles réflexions sur l’Avant-projet de réforme
du droit des obligations et de la prescription », la première s’inscrit dans la continuité
puisqu’elle fait écho aux précédents numéros (RDC 2006/1 et 2007/1) que notre
Revue a exclusivement consacré à ce texte. La seconde est composée, comme de
coutume, d’une série de contributions sur un thème qui intéresse la matière première
de notre Revue, en l’occurrence « Le désordre des sources en droit des contrats ».
Denis MAZEAUD
Regard sur l’avant-projet de réforme
du droit des obligations
Georges ROUHETTE (agrégé de droit privé)
AVERTISSEMENT 1-2
1. – En 1928, F. arnaude présentait sur le projet franco-italien de Code des
obligations et des contrats 3, un rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice,
1. Nous avions formé le dessein de rédiger, en collaboration, un commentaire de l’avant-projet,
assorti de propositions alternatives. La collaboration, et partant l’entreprise, ayant tourné court, nous
présentons des réflexions sur quelques questions abordées par l’avant-projet en son début.
2. Les conditions de la rédaction expliquent que l’appareil de notes soit lacunaire, plus par
nécessité que par choix ; elles n’ont pas permis de procurer toutes les références à la dernière édition
des ouvrages cités.
3. Projet de Code des obligations et des contrats, texte définitif approuvé à Paris en octobre 1927
(Rome, 1928 ; Paris, 1929).
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sur l’unification législative 4. On sait que le projet n’a eu aucune suite dans la
législation française et qu’il n’a suscité en France qu’un faible intérêt doctrinal.
Le 22 septembre 2005 a été remis au garde des Sceaux, ministre de la Justice,
un rapport et un avant-projet 5 de réforme du droit des obligations et de la prescription 6. Le rapport déclare présenter le projet à la communauté juridique 7. On doute
si c’est pour son édification, le projet devant être considéré comme abouti 8, ou
pour ses commentaires et propositions.
Nous avons choisi la seconde interprétation 9, comme l’ont déjà fait nombre
des participants au colloque organisé le 25 octobre 2005 par la Revue des contrats 10.
Souhaitant au projet un sort meilleur que celui de son prédécesseur, nous pensons
en effet que, même s’il contient des innovations heureuses, il appelle une critique
tant de ses bases doctrinales que de ses solutions positives ; que l’adopter en l’état
serait manquer une occasion, qui ne se représentera pas, de réformer en profondeur
notre droit des obligations ; que la vétusté du traitement des obligations dans le
Code civil n’appelle pas seulement un « ajustement » 11 mais une rénovation et
que si l’on ambitionne de faire entendre à nouveau la voix de la France dans le
concert européen 12, il importe de présenter des obligations 13 une vision moins
étroitement hexagonale que celle des rédacteurs (quelle que soit l’estime, voire
l’admiration, que l’on doit porter à ceux-ci).
Si donc le texte de l’avant-projet a constitué le point de départ de notre réflexion,
nous avons cru devoir nous en écarter sur les points et pour les raisons qu’il est
utile d’expliciter.
L’ARCHITECTURE
2. – Une première question est celle de la fidélité de l’avant-projet au plan du
Code civil et à la numérotation des articles de celui-ci, et si cette fidélité est
4. Paris, Les éditions internationales, 1928.
5. Ci-après dénommé simplement l’« avant-projet ».
6. www.justice.gouv.fr/publicat/rapport/RAPPORTCATALASEPTEM BRE2005.pdf ; le texte peut
aussi être consulté sur le site de l’Association Capitant :www.henricapitant.org ; les textes relatifs au
contrat peuvent se lire en annexe in RDC 2006/1, ceux relatifs à la responsabilité civile en annexe
in RDC 2007/1 ; et v. P. Catala, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription
civile, Doc. fr., 2006. Les références ci-après seront faites au texte mis en ligne sur le site du ministère
de la Justice.
7. Présentation générale, no 4, p. 4.
8. V., curieusement, D. 2007, p. 712, qui intitule un Entretien « La réforme (sic) du droit des
obligations traduite en anglais »...
9. À laquelle a invité P. Catala lui-même, in « Bref aperçu sur l’avant-projet de réforme du droit
des obligations », D. 2006, p. 535, qui appelle à « un débat ouvert et loyal », sans qu’on sache où
passe la limite ainsi tracée.
10. RDC 2006/1. Adde not., répondant à l’invitation au dialogue lancée par le conseil scientifique
du Recueil Dalloz, L. Aynès et A. ontebeyrie, « Pour une réforme du Code civil en matière d’obligation
conjointe et d’obligation solidaire », D. 2006, p. 328 ; V. Depadt-Sebag, « Faut-il abroger l’article 1386
du Code civil ? », D. 2006, p. 2113 ; Ch. Hécart, « L’article 1342 de l’avant-projet Catala : quelle
cohérence ? », D. 2006, p. 2268 ; M. Poumarède, « Les régimes particuliers de responsabilité civile,
ces oubliés de l’avant-projet Catala », D. 2006, p. 2420 ; F. Petit, « Réflexions sur la sécurité dans
la cession de créance dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations », D. 2006, p. 2819 ;
M. Faure-Abbad, « La présentation de l’inexécution contractuelle dans l’avant-projet Catala », D. 2007,
p. 165 ; G. Pignarre, « L’obligation de donner à usage dans l’avant-projet Catala. Analyse critique »,
D. 2007, p. 384. Sur le droit de la responsabilité civile, v. RDC 2007/1.
11. Présentation générale, no 5, p. 4.
12. Présentation générale, no 8, p. 6.
13. Le grief ne s’adresse pas au projet de réforme de la prescription.
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désirable. On sait que la rénovation du droit des personnes effectuée par le doyen
Carbonnier s’était efforcée de respecter la structure du Code ; il est vrai que dans
les matières traitées, celle-ci n’avait guère prêté à la critique. Mais les « re-réformes » 14 – en dernier lieu la loi no 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de
la filiation – l’ont altérée et elle ne saurait donc être encore regardée comme
intangible. De plus, la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance no 2006-346
du 23 mars 2006 a montré la nécessité d’une remise en ordre de certaines matières
et en conséquence d’un bouleversement du plan du Code civil. Or l’ordre du titre
« Des contrats ou des obligations conventionnelles en général » n’a jamais été
proposé en modèle.
On trouve affirmée dans l’avant-projet la préoccupation, « essentielle », de ne
pas bouleverser le travail des praticiens 15, mais ce n’est que pour maintenir la
matière des preuves dans le titre « Des contrats ». Plus précisément, on a décidé
de maintenir le numéro de l’article 2279, car il est « enraciné dans la culture et
la mémoire nationales, comme – a-t-on ajouté – les articles 544, 1134 et 1382 » 16.
Cependant, si le projet a maintenu le numéro de l’article 1134, l’article 1382 est
devenu l’article 1340. Et l’article 1156, « pilier et règle mémorable » 17, est devenu
l’article 1136. Et d’innombrables articles (la majorité) ont été déplacés.
Il y a donc lieu de s’étonner qu’en revanche l’ordre des chapitres du titre III
du Livre troisième du Code civil ait été maintenu, à la seule exception de l’introduction d’un chapitre VI consacré aux opérations sur créances, qui a repoussé la
théorie des preuves dans un chapitre VII. Cette constance vaut à la matière de la
formation des contrats, ignorée du Code civil, d’être désormais esquissée 18 dans un
§ 2 des « Dispositions générales », alors qu’elle mériterait assurément un traitement à
part entière (mais, logiquement, faisant suite au règlement du consentement, qu’il
précède dans l’avant-projet).
La place du régime général des obligations
3. – Surtout, l’assimilation du régime général des obligations (chapitres IV à
VII) au régime des obligations conventionnelles est pérennisée par le plan et l’intitulé
du sous-titre Ier. Or, s’il est vrai que la « méthode »( ?) du Code s’explique « par
la faible place faite par les rédacteurs (...) aux obligations extracontractuelles » 19,
cette justification a aujourd’hui disparu et, après deux siècles de construction
jurisprudentielle et d’élaboration doctrinale, le confusionnisme de 1804 n’a plus
lieu d’être. Le siège de la matière est alors, séparément, soit avant 20, soit après 21
14. Selon l’expression de J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la Ve République, Flammarion, 1996, 203, reprise par Ph. Rémy, « La recodification civile », Droits, no 26, 1998. 15.
15. Note préliminaire au Chapitre VIII, p. 124.
16. Exposé des motifs du titre « De la prescription », no 19, p. 178.
17. Note sous l’article 1136, p. 93.
18. V. infra, nos 46 et s.
19. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9e éd., 2005, p. 1033,
note 1, adde no 14, p. 19.
20. Ce qui est le parti pris par le Code civil italien et le Nouveau Code civil néerlandais[ciaprès BW, trad. française de E. Mackaay, Kluwer, 1990), par exemple, et qui fut le plan suivi par
Planiol dans les premières éditions du tome II du Traité élémentaire de droit civil.
21. Option retenue par le Code fédéral suisse des obligations (ci-après CO) et le Code civil du
Québec (ci-après CCQ).
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la réglementation des sources. La première branche de l’alternative semble préférable car plusieurs questions (diverses sortes d’obligations, exécution) étant envisagées
sous plusieurs angles, il est plus logique d’aller du général au particulier. Cette
distribution s’opère alors naturellement en deux titres, meublant ainsi le titre IV
que le projet laisse vacant.
La place de la prescription extinctive
4. – L’exposé des motifs du titre XX estime que le déplacement de la prescription
extinctive vers les obligations serait « lourd, inutile et contraire à l’unité des prescriptions – acquisitives et extinctives – qu’il convient de conserver » 22.
Commençons par ce dernier argument. Si on néglige l’unité du terme, dont
l’étymologie ne contribue pas à éclaircir la signification, et l’idée vague (et qui
s’accorde mieux à la prescription acquisitive) d’une transformation du fait en droit
sous l’effet du temps 23, l’unité des prescriptions peut se démontrer théoriquement 24 ;
mais cette analyse est sans incidence pratique : pratiquement les fonctions des deux
prescriptions sont opposées 25 et l’exposé des motifs reconnaît que « les régimes
de la prescription extinctive et de l’usucapion ne sont pas identiques » 26. Le droit
de la prescription extinctive, et d’elle seule, posait problème et appelait une réforme
et le projet l’a modifié en profondeur sans toucher à l’usucapion 27. En droit, le
traitement unitaire du Code, en admettant qu’il ait eu sa justification, l’a aujourd’hui
perdue 28.
Il ne serait donc pas inutile, pour la cohérence de la rubrique où alternent de
façon chaotique les dispositions concernant l’une et l’autre prescription 29 et la
complétude d’un titre « Des obligations », de replacer la prescription extinctive
dans le chapitre du Code qui l’annonçait 30. Et, la matière ayant été l’objet d’une
renumérotation complète, le déplacement ne devrait pas être un fardeau excessif,
22. No 2, p. 173.
23. V. J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, PUF, no 354.
24. F. Zénati et S. Fournier, « Essai d’une théorie unitaire de la prescription », RTD civ. 1996,
p. 339.
25. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. III, Les biens, par M. Picard,
2e éd., 1952, no 688, p. 697.
26. No 11, p. 176.
27. À l’exception de la durée du délai (art. 2276), modifiée sans bonne explication, v. Exposé
des motifs, no 6, p. 174.
28. Comp. le traitement séparé de la prescription extinctive dans la généralité des codes, dans
la partie générale (C. civ. allemand [ci-après BGB], C. civ. portugais, rappr. BW), ou la partie
consacrée aux obligations (CO), ou celle dévolue à la protection des droits (C. civ. italien). Le CCQ
comporte un livre sur la prescription mais, après des dispositions générales, les prescriptions acquisitive
et extinctive sont traitées séparément. Et l’« unité des prescriptions » est ignorée des manuels français
qui traitent de l’une à propos des biens et de l’autre à propos des obligations.
Sur la nécessité de détacher la prescription extinctive d e l’usucapion, v. A. Bénabent, « Sept
clés pour une réforme de la prescription extinctive », D. 2007, p. 1800.
29. V., concernant le temps requis pour prescrire, après l’article 2274, qui énonce dans une
section « Dispositions générales » :« Toutes les actions sont prescrites par trois ans (...) », l’article 2276
posant, dans une section « Des prescriptions particulières » : « La propriété immobilière est acquise
par une prescription de dix ans ». Il n’y a pas rapport du général au particulier, mais deux règles
aussi générales l’une que l’autre, visant des types d’hypothèses différents.
30. Art. 1234, dern. al.
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par le recours à la pratique des numéros à tirets, à défaut d’un procédé plus
élégant 31 32, ainsi que des renvois.
La place des dommages et intérêts contractuels
5. – Les exemples précédents ne touchaient que secondairement à la substance
du droit. Il en va tout différemment pour les dommages et intérêts contractuels.
On sait que dans une codification, l’ordre nouveau des textes a des incidences,
conscientes ou non 33, sur le fond. Ici c’est délibérément que les rédacteurs, par
une décision non unanime 34, ont bâti une doctrine générale de la responsabilité.
Ce n’est pas le lieu, et il n’est pas indispensable, de reprendre la discussion
sur la réalité du concept de « responsabilité contractuelle ». On se contentera de
peu de mots.
Contrairement à la thèse anomaliste, on admettra, d’une part, que les obligations
de sécurité et autres puisent dans l’article 1135 le principe de leur existence et leur
nature contractuelle 35 et que leur inexécution engendre un dommage contractuel et,
d’autre part, qu’une fonction indemnitaire des dommages et intérêts n’est pas
antinomique à la notion de « contrat » 36.
Mais, contrairement à ce qu’affirme la thèse assimilatrice, sur le plan conceptuel
il y a une différence fondamentale entre la violation de la maxime alterum non
laedere advenue entre deux personnes étrangères l’une à l’autre et celle du principe
pacta sunt servanda par une personne tenue d’un vinculum iuris 37. En conséquence,
si la fonction de la responsabilité (extracontractuelle) est la protection de l’intérêt
négatif (Avant-projet, art. 1370 : replacer la victime dans la situation où elle se
serait trouvée si le fait dommageable n’avait pas eu lieu), la fonction des dommages
et intérêts contractuels est – contrairement à ce que décide l’avant-projet 38 – de
protéger l’intérêt qu’avait le créancier à l’exécution de l’obligation (intérêt positif :
replacer le créancier dans la situation où il se serait trouvé si le contrat avait
été exécuté). D’un point de vue jurisprudentiel, l’intérêt positif a été consacré
(heureusement ou non) à propos de l’article 1644 du Code civil 39. Et d’un point
de vue doctrinal, un des participants à la rédaction de l’avant-projet, P.-Jourdain,
commentant un arrêt ayant jugé qu’« une faute commise dans l’exercice du droit
31. V. D. Tallon, « Variations autour de la loi du 30 ventôse an XII... », in De tous horizons,
Mélanges Xavier Blanc-Jouvan, Société de législation comparée, 2005, 837 et s., sur l’article 5, 840841.
32. Il resterait à modifier l’intitulé du titre XX « De la prescription acquisitive » ; et, la réforme
des sûretés formant un Livre IV, à placer la matière à la suite des contrats spéciaux dans un titre XVII.
33. Sur ce dernier point, v. P.-Y. Gautier, « De l’art d’être furtif », in La codification, Dalloz,
1996, 107-116.
34. V. Exposé des motifs, p. 143.
35. V. Ph. Jacques, Regards sur l’article 1135 du Code civil, Dalloz, 2005, passim.
36. V. Y.-M. Laithier, Étude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, LGDJ, 2004,
not. nos 84 et s., p. 118 et s.
37. Dire, comme l’exposé des motifs, p. 144, que l’inexécution résulte d’un fait illicite au sens
large, représente une analyse plus que sommaire de la réalité juridique.
38. Avant-projet, art. 1370.
39. V. Cass. civ. 3e, 1er févr. 2006, D. 2006, IR, p. 471, jur., p. 1213, note L. Erignac : l’action
estimatoire de l’article 1644 du Code civil permet de replacer l’acheteur dans la situation où il se
serait trouvé si la chose vendue n’avait pas été atteinte de vices cachés.
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de rupture unilatéral des pourparlers précontractuels n’est pas la cause du préjudice
consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains que permettait d’espérer
la conclusion du contrat » 40, l’interprète comme signifiant que seul l’intérêt négatif
est indemnisable dans cette hypothèse 41. Mais comme la sanction de l’inexécution
du contrat est sans doute plus étendue que celle de la rupture fautive des pourparlers,
il faut bien qu’elle consiste en la réparation de l’intérêt positif 42.
Ensuite, le réquisit de prévisibilité du dommage contractuel (maintenu par
l’avant-projet, art. 1366) est plus qu’une « disposition propre à la responsabilité
contractuelle » 43 : il est la négation du principe de réparation intégrale considéré
comme inhérent à la responsabilité 44. On peut donc qualifier « responsabilité
contractuelle » la sanction de l’inexécution par l’allocation de dommages et intérêts,
à condition d’y voir non une espèce du genre « responsabilité civile » mais un
genre différent ayant ses règles propres.
Ceci étant, il est plus satisfaisant, du point de vue tant théorique que pratique,
de la régler avec les autres suites de l’inexécution du contrat 45, au lieu de se
borner à y faire une allusion sans même un renvoi (Avant-projet, art. 1158, al. 1er).
La place du régime des preuves
6. – Il n’est pas discutable que « la matière des preuves est loin d’être heureusement traitée dans le Code civil » 46 ; aussi bien les auteurs en ont généralement
déplacé l’étude de la théorie des obligations à la théorie générale du droit civil.
Il est donc étonnant de voir la matière maintenue à sa place ancienne, et sous
l’intitulé inchangé et trompeusement restrictif « De la preuve des obligations »
(Avant-projet, art. 1283 à 1326-2).
En l’absence d’une partie générale du Code civil, il est proposé de rendre son
caractère de généralité à la théorie des preuves en la faisant figurer dans un titre
autonome 47 en fin du Livre III.
Au total, s’il est vrai que la codification est « l’esprit de méthode appliqué à
la législation » 48, la recodification du Titre III est assez éloignée de son paradigme 49.
40. Cass. civ. 3e, 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 164, p. 136, D. 2006, p. 2963, note D. Mazeaud.
L’arrêt reprend la solution de Cass. com., 26 nov. 2003, Bull. civ. III, no 186, p. 206, D. 2004,
p. 869, note A.-S. Dupré-Dallemagne, RTD civ. 2004, p. 80, obs. J. Mestre et B. Fages.
41. RTD civ. 2006, p. 770.
42. Nous négligeons l’hypothèse, exceptionnelle, dans laquelle l’intérêt négatif est plus grand
que l’intérêt positif. V., relativement à la résolution, Y.-M. Laithier, Étude comparative des sanctions
de l’inexécution du contrat, op. cit., nos 146 et s., p. 210 et s.
43. V. l’intitulé de la section où figure l’article 1366 de l’avant-projet.
44. V. Avant-projet, art. 1368.
45. Comp. D. Tallon, « L’inexécution du contrat : pour une autre présentation », RTD civ. 1994,
p. 223.
46. A. Gabolde, in M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, 2e éd., VII, no 1406,
p. 826.
47. Sans préjuger du contenu de ce titre.
48. Fr. Portalis, « Essai sur l’utilité de la codification », in J. E. -M. Portalis, Discours, rapports
et travaux inédits, Paris, 1844, p. iv.
49. L’observation ne vaut pas pour la réforme de la responsabilité civile qui constitue un système
cohérent (quelles que soient les réserves que pourrait appeler son contenu).
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LES DÉFINITIONS ET QUALIFICATIONS
7. – L’avant-projet se caractérise par l’abondance – voulue – des définitions,
« incomparable outil d’analyse et de qualification » 50.
Il ne faut pas toutefois confondre le Code et les Institutes et la vocation du
Code civil n’est pas de donner force de loi aux définitions du Vocabulaire juridique
de l’Association Henri Capitant.
C’est dire qu’une définition législative ne peut avoir un intérêt purement spéculatif, mais qu’elle doit être raccordée à des règles dont elle constitue un fragment.
Quelle est la portée d’une définition du contrat d’adhésion (Avant-projet, art. 1102-5)
dans un texte qui ne réglemente pas les conditions générales ?
Quant aux qualités que doit présenter une définition en tant qu’outil d’analyse,
il n’est pas question d’en faire la théorie in abstracto. Il suffira de vérifier, à propos
de telle ou telle, si elle fait apparaître les traits caractéristiques de la réalité juridique
qu’elle prétend cerner.
Quant à son efficience en tant qu’outil de qualification, nous préférons, à la
technique dogmatique de la subsomption, une démarche consistant à rechercher
directement, par la voie de l’analogie, le régime qui répond le mieux aux problèmes
pratiques, sans passer par le rattachement à une catégorie juridique 51. Ce qui
détourne de s’appliquer à une Begriffsjurisprudenz dont le procès n’est plus à faire.
LES SOURCES D’INSPIRATION
8. – L’apport de la jurisprudence est variable. La doctrine des arrêts qui ont
interprété des articles du Code ou ont comblé ses lacunes ne peut être acceptée sans
réserves : certaines solutions combattues à raison sont à écarter et les innovations
heureuses à retenir. Encore ne faut-il pas couvrir de l’autorité de la jurisprudence
les opinions de l’interprète ni donner à la règle qu’inspire un arrêt une formulation
qui reste étroitement assujettie aux circonstances particulières de l’espèce 52.
Ensuite, s’il convient assurément d’intégrer aux dispositions du Code celles des
lois ayant une portée générale ou dont on juge opportun de généraliser la portée,
la législation de veine consumériste pose un problème particulier.
Droit de la consommation
9. – Ce droit a son Code. Mais il appartient sans doute au Code civil d’encadrer
ses règles, voire d’en annoncer certaines. Et le point de savoir si d’autres peuvent –
ou doivent – être adoptées ou adaptées ne peut être décidé a priori, mais doit être
envisagé en chaque occasion 53.
50.
51.
dans la
52.
53.
V. Présentation générale, no 5, p. 4.
V. à propos de la preuve de l’offre, J.-L. Aubert, Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation
formation du contrat, LGDJ, 1970, no 254, p. 229-230. V. infra, no 49.
V. à propos des articles 1121-4 et 1121-5, infra, no 72.
V., à propos de l’article 1122-2 de l’avant-projet, infra, no 66.
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L’acquis communautaire
10. – Il n’est pas douteux que les dispositions du droit civil issues de la transposition de directives doivent être conservées dans une refonte du droit des obligations.
Il est plus incertain si, du rapprochement de dispositions spéciales intervenues à
propos de questions particulières, émergent des principes constituant un acquis
communautaire, notamment en ce qui concerne le droit du contrat 54. Et, si l’on
postule l’existence de cet acquis, convient-il d’anticiper l’éventuelle élaboration
d’un cadre de référence commun (à supposer que l’Union européenne ait compétence pour y procéder, ce qui malgré les prétentions du Parlement européen 55 est
douteux, sinon sous forme optionnelle 56) ?
La solution de sagesse semble être de se féliciter d’une éventuelle concordance
des règles françaises avec des principes européens identifiables, non de la rechercher
pour elle-même.
Les influences venues d’ailleurs 57
11. – Sans céder à l’autodénigrement, nous avons tiré profit de récents développements du droit des obligations en dehors de nos frontières, la Convention de
Vienne sur la vente internationale de marchandises 58 occupant à cet égard une
place à part, puisqu’elle constitue le droit français de la vente internationale. On
n’a pas ignoré la Common Law d’Angleterre 59 ni celle des États Unis 60. Des
codifications récentes 61 de l’aire romaniste, nous avons retenu en particulier le
Code civil portugais 62, le Nouveau Code civil néerlandais 63, le Code civil du
Québec 64 et la réforme du droit allemand des obligations 65. Mais surtout, nous
54. V., quant à la conclusion du contrat, un résumé des travaux sur ce thème par R. Schulze,
« Des principes de la conclusion du contrat dans l’acquis communautaire », RIDC 2005, p. 877898 ; et pour les sanctions de l’inexécution, C. Aubert de Vincelles et J. Rochfeld (sous dir. de),
L’acquis communautaire : les sanctions de l’inexécution du contrat, Économica, 2006.
55. Résolution sur le droit européen des contrats du 7 septembre 2006, P6-TA – Prov (2006)
0353.
56. CJCE, 5 oct. 2000, aff. C-376/98, RFA c/ Parlement et Conseil, et C-74/99, Imperial Tobacco,
Rec. CJCE 2000, I, 8419, pts 83-84, et 8599. Sur les perspectives du droit européen, v. not. les
points de vue différents de M. Bussani, Libertà contrattuale e diritto europeo, Torino, UTET, 2005,
deuxième partie, p. 59-120, et D. Blanc et J. Deroulez, La longue marche vers un droit européen
des contrats, D. 2007, p. 1615.
57. V. B. Fauvarque-Cosson et S. Patris-Godechot, Le Code civil face à son destin, Doc. fr.,
2006.
58. Citée ci-après CVIM. V., en français, V. Heuzé, La vente internationale de marchandises :
droit uniforme, LGDJ, 2000.
59. V. G.-H. Treitel, Law of Contract, Sweet & Maxwell, 11e éd., 2003. Adde le projet (avorté)
de H. McGregor, Contract Code Drawn upon on behalf of the English Law Commission, Milano,
Giuffrè, 1993, cité Contract Code.
60. Restatement of Contracts 2d ; et Uniform Commercial Code (UCC), art. 1 et 2 (trad. française
par C. Lambrechts, Code de commerce uniforme des États Unis, Livres i & II, A. Colin, 1971). V.
E.-A. Farnsworth, Contracts, Aspen Publishers, 2004.
61. Parmi les moins récentes, ont été utilisés le Code civil allemand (cité BGB, dans la traduction
de l’Office de législation étrangère [LGDJ, 1925] ou dans celle des Éditions Jupiter [Paris, 1967]),
le Code fédéral suisse des obligations (CO) et le Code civil italien.
62. Cité C.civ. port.
63. Cité BW (trad. française de E. Mackaay, Kluwer, 1990).
64. Cité CCQ.
65. V. C. Witz et F Ranieri, La réforme du droit allemand des obligations, Société de législation
comparée, 2004.
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avons fait notre miel des solutions des codifications privées du droit des contrats
qui couvrent également de larges pans du droit des obligations : Principes relatifs
aux contrats du commerce international d’Unidroit 66, Principes du droit européen
du contrat 67, Code européen des contrats 68, ainsi que de celles des Principes de
droit européen de la responsabilité civile 69, non pour les confronter à des concepts
ou principes, réels ou supposés, du droit français, avec lesquels il leur faudrait
cadrer, mais pour bénéficier de la sagesse qu’ils ont pu amasser au terme de longues
années de réflexions et discussions comparatives. Le fait que, sur une question, ils
présentent des vues concordantes serait un indice sûr que la solution proposée
vaut auctoritate rationis.
LES GRANDES ORIENTATIONS
12-14. – [Un droit moderne des obligations doit répondre à trois impératifs :
sécurité, efficience et justice. Tous n’inspirant pas les développements qui suivent,
leur présentation et leur illustration ont paru déplacées. Sur des chapitres particuliers,
v. notamment, nos 47 et 65].
Nous présenterons une appréciation critique de certaines dispositions de l’avantprojet relatives au contrat, avant d’avancer la proposition d’une version amendée
de ce dernier.
OBSERVATIONS CRITIQUES SUR QUELQUES DISPOSITIONS
DE L’AVANT-PROJET RELATIVES AU CONTRAT
Nous suivrons naturellement l’ordre de l’avant-projet, en commençant par le
chapitre préliminaire consacré à la source – rectius : « aux sources » – des obligations.
66. Cités PU, éd. 2004, Unidroit. V. M. J. Bonell, An International Restatement of Contract Law.
The Unidroit Principles of International Commercial Contracts, Transnational Publishers, 3e éd., 2005.
67. Cités PDEC, version française, Société de législation comparée, 2003. V., du point de vue
du droit français, P. Rémy-Corlay et D. Fenouillet (sous la dir. de), Les concepts contractuels français
à l’heure de principes du droit européen du contrat, Dalloz, 2003 ; C. Prieto (sous la dir. de), Regards
croisés sur les Principes du droit européen du contrat et sur le droit français, PUAM, 2003. L’avantprojet (Présentation générale, no 8, p. 6) se défend de présenter une concordance trop affirmée avec
les PDEC, ce dont on peut lui donner acte. Comp. B. Fauvarque-Cosson et D. Mazeaud, « L’avantprojet français de réforme du droit des obligations et de la prescription et les principes du droit
européen des contrats, variations sur les champs magnétiques dans l’univers contractuel », LPA
24 juill. 2006, p. 3.
Sur les PDEC et les PU, v. B. Fauvarque-Cosson, « Droit européen et international des contrats :
l’apport des codifications doctrinales », D. 2007, p. 96.
68. Cité CEC, Livre premier, Milano, Giuffrè, 2004. V. J.-P. Gridel, « Sur l’hypothèse d’un droit
européen des contrats », Gaz. Pal. 21-22 févr. 2003, p. 3 ; M. L. Ruffini Gandolfi, « Le Code européen
des contrats, Livre I », RIDC 2006, p. 953. Le Code civil italien et le Contract Code de H. McGregor
ont constitué les premiers modèles de cette entreprise.
69. Cités PDERC, trad. française sur le site de l’Institut de droit comparé Édouard Lambert :
http ://gdc.cnrs.fr/idcel, de European group on Tort Law. V. Principles of European Tort Law. Text
and Commentary, Springer, 2006, et texte français, p. 202.
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LES SOURCES D’OBLIGATIONS
15. – Partant de l’article 1370 du Code civil, le projet, par une altération
radicale, pose la summa divisio des sources d’obligations : actes juridiques et faits
juridiques (Avant-projet, art. 1101), les premiers étant des « actes de volonté destinés
à produire des effets de droit » (Avant-projet, art. 1101-1, al. 1er), les seconds, « des
agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit » 70 (Avantprojet, art. 1101-2, al. 1er).
Ayant renouvelé nos réserves 71 quant à la tentative d’imposer par la voie
législative une conception académique des sources du droit, nous examinerons les
définitions des genres avant de nous intéresser aux espèces.
I. – LES GENRES : L’ACTE ET LE FAIT JURIDIQUES
Art. 1101, al. 1er : Les obligations naissent d’actes ou de faits juridiques.
Art. 1101-1, al. 1er : Les actes juridiques sont des actes de volonté destinés à
produire des effets de droit.
Art. 1101-2, al. 1er : Les faits juridiques sont des agissements ou des événements
auxquels la loi attache des effets de droit.
16. – Si l’on peut admettre provisoirement la définition de l’acte juridique, celle
du fait est plus douteuse. Il saute aux yeux que les faits juridiques constituent une
catégorie hétéroclite et que, si l’on veut oublier les enseignements de l’école, il y
a peu de rapport entre un événement et un agissement, entre la chute d’une tuile
ou l’écoulement du temps et l’erreur de conduite ou la gestion de l’affaire d’autrui ;
si les deux entités appartiennent au même genre en raison de l’identité de leurs
effets, leurs différences de structure imposent d’y voir deux espèces de ce genre.
Le terme « agissements », malgré sa connotation normalement péjorative 72, a été
préféré à son synonyme « action » (ou « acte »), sans doute pour marquer l’éloignement d’avec l’acte juridique, alors pourtant que dans les deux hypothèses il s’agit
de comportements humains et que l’action du gérant, par exemple, n’a rien de
blâmable. On pourrait aussi bien – et mieux – rapprocher les « agissements »
des actes juridiques. Ainsi, Henri Capitant 73, ayant appelé « faits juridiques » les
événements qui font naître les droits, les transmettent, les modifient ou les éteignent,
en distinguait deux groupes : les « faits indépendants de la volonté de l’homme »
70. La définition est inspirée du Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, Vo Fait 2.
71. V. Avertissement, no 7.
72. L’acception non péjorative du terme est notée « vx » (vieux) dans le Dictionnaire culturel
en langue française (Le Robert), c’est-à-dire « emploi peu compréhensible de nos jours » (I, p. xxxiii),
et « vieilli » dans le Trésor de la langue française...
73. V. H. Capitant, Introduction à l’étude du droit civil. Notions générales, Pédone, 5e éd.,
nos 228-229, p. 272-275. La classification n’est passée dans le Cours élémentaire de droit civil français
d’A. Colin et H. Capitant (t. I, Dalloz, 4e éd., 1923, p. 61), qu’avec un renversement de ses termes
conduisant à la bipartition actuelle, mais avec une différence terminologique sensible : actes juridiques
distingués des faits juridiques eux-mêmes divisés en deux catégories, faits indépendants de toute
volonté de l’homme et faits résultant de la volonté de l’homme, tels les délits et quasi-délits, qualifiés
« actes ».
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(la naissance ou la mort, la contiguïté des immeubles) et les « faits volontaires »,
dans lesquels l’activité humaine est la source génératrice des droits, eux-mêmes
divisés en deux classes : ceux qui ont été accomplis en vue de produire des effets
de droit, et que l’on appelle les « actes juridiques » (ex. : le contrat), et « les actes »
(sic) auxquels le droit attache un effet juridique, sans s’inquiéter de l’intention de
leur auteur (ex. : les délits et quasi-délits).
17. – Le Code civil et les solutions positives ne sont pas éloignés de cette
conception.
Du point de vue de la terminologie, le Code, où le syntagme d’« acte juridique »
n’a pénétré qu’avec la loi du 12 juillet 1980 74, emploie le terme « acte 75 » au
sens étroit d’acte juridique (art. 450,488 ou 894 76 : « La donation entre vifs est un
acte (...) ») mais aussi au sens large d’acte auquel le droit attache un effet juridique :
ainsi les actes contraires à la servitude (art. 707) ou les actes de pure faculté ou
de simple tolérance (art. 2232). D’autre part, on explique que le « fait de l’homme »
(art. 1382) est « le comportement (action ou omission) de l’homme » 77, c’est-à-dire
un acte. Et que sont les étranges « faits purement volontaires » dont parle l’article 1371, sinon apparemment des actes, qu’il conviendrait sans doute aussi de
distinguer des actes juridiques stricto sensu, mais sans pour autant les qualifier
« faits » 78. Car, à s’engager dans cette voie, il faudrait suivre la Cour de cassation
lorsque, à la suite d’Aubry et Rau 79, elle fixe le domaine de l’article 1341 en
dénommant « faits juridiques », pour les opposer aux « faits purs et simples », les
actes juridiques stricto sensu 80.
Du point de vue du fond, deux questions méritent plus spécialement de retenir
l’attention : celle de la capacité et celle des preuves.
S’agissant de la capacité en matière délictuelle ou quasi-contractuelle, curieusement – ou significativement –, l’avant-projet envisage les délits et quasi-délits dans
une section consacrée à « La capacité des parties contractantes » : (Avant-projet,
art. 1117-3, al. 1er, qui reprend, en en modifiant la rédaction, la règle de l’article 1310 du Code civil, aux termes duquel le mineur ne peut se soustraire « aux
obligations qui résultent de son délit ou quasi-délit »). En réalité, le droit positif
était plus nuancé. Encore fallait-il que le mineur fût en état de comprendre la
portée de ses actes, selon l’expression du doyen Carbonnier 81. De ses « actes » 82.
74. L. no 80-525, 12 juill. 1980 relative à la preuve des actes juridiques, JO 13 juill. 1980,
p. 1755 ; C. civ., art. 1326 et 1348.
75. Entendu comme negotium.
76. Ces textes ont conservé leur numérotation.
77. Vocabulaire juridique, op. cit., Vo Fait.
78. Mais v. ci-après pour des nuances.
79. Dont la pensée est pérennisée par P. Esmein, Titre, XII, 6e éd., 1958, p. 244, note 2 et
p. 245, note 5.
80. V. en dernier lieu, Cass. civ. 1re, 27 avr. 1977, D. 1977, p. 413, note Gaury.
81. J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, op. cit., no 163.
82. C’est un sujet d’étonnement que de voir l’auteur qui est à l’origine de la classification des
sources d’obligations en acte juridique et fait juridique énumérer, sous la rubrique du « fait juridique »,
la volonté comme élément du fait personnel, J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, op. cit.,
nos 222-223.
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Pour les obligations naissant d’actes illicites 83, on exigeait donc ce diminutif de
la capacité qu’est pour le mineur la faculté de discernement 84, ce qui témoignait
d’un rapprochement entre les actes juridiques et les actes (ou actions). L’avantprojet, à l’encontre des tendances les plus récentes des droits de l’Europe 85 mais
suivant sans justification les derniers errements jurisprudentiels 86, a abandonné
l’exigence de discernement mais de façon contournée : il ne l’a fait que dans
l’article 1340-1 87 de l’avant-projet, qui figure dans les « Dispositions préliminaires »,
« plutôt – a-t-on écrit 88 – que de modifier la définition de la faute donnée à
l’article 1353. Cette solution permet d’éviter de dire que la personne privée de
discernement peut commettre un faute ». Étrange méthode que celle qui consiste
à cacher sous l’article 1340-1 de l’avant-projet le rejet de l’exigence de discernement
que l’on ne saurait voir dans l’article 1353 du même avant-projet, alors pourtant
que l’énoncé de l’article 1353 ne forme une règle que combiné à celui de l’article 1340-1. La singulière technique législative de l’avant-projet qui emprunte à
l’art du camouflage, au service d’une innovation contestable, n’ôte donc qu’une
partie de leur force aux observations précédentes.
Les obligations quasi-contractuelles, quant à elles 89, permettent de saisir la
différence entre l’acte (ou l’action) et le fait 90. La responsabilité que les articles
1372 et suivants du Code civil font peser sur le gérant à raison de ses « actes »
suppose un gérant capable ; mais les obligations qui pèsent sur le maître, résultant
du « fait » de la gestion, n’impliquent pas sa capacité 91. De même celui qui a
profité d’un enrichissement sans cause est obligé du « fait » de l’enrichissement,
même s’il est incapable 92. Le « fait purement volontaire de l’homme » dont parle
l’article 1371 du Code civil était, à son époque déjà, une formule non seulement
équivoque mais partielle et donc inexacte, les obligations du maître n’ayant à leur
source rien de volontaire (purement ou non). Avec l’apparition de l’enrichissement
sans cause, et sa consécration par l’avant-projet (Avant-projet, art. 1336 à 1339),
la définition que celui-ci donne dans son article 1327 est, a fortiori, entachée des
mêmes vices.
83. L’avant-projet traite des « faits illicites », art. 1340 et note 14. Suivant le modèle français,
le Code civil italien réglemente la responsabilité civile (art. 2043-2059) sous l’intitulé « fatti illeciti » ;
mais la doctrine unanime en traite sous la rubrique « atti illeciti ».
84. Capacité de comprendre et de vouloir, selon le droit italien, C. civ. italien, art. 102, 428,
591 (3), 775 et 1425, distincte de la capacité d’agir, C. civ. italien, art. 2.
85. L’article 4 :102 (1) PDERC, ayant fixé un standard de conduite d’après lequel apprécier la
faute, énonce dans un alinéa (2) que ce standard est ajusté lorsqu’en raison de l’âge... il n’est pas
possible d’exiger d’une personne qu’elle s’y conforme.
86. Cass. civ. 2e, 28 févr. 1996, Bull. civ. II, no 54, p. 34, D. 1996, p. 602, note M. Duquesne
et 97, somm., p. 28, obs. D. Mazeaud, RTD civ. 1996, p. 628, obs. P. Jourdain.
87. Qui, curieusement, ne figure pas dans le texte mis en ligne sur le site du ministère de la
Justice.
88. Note 16 sous l’article 1340-1 de l’avant-projet.
89. Qui ne sont à cet égard l’objet d’aucune disposition, générale ou particulière de l’avantprojet, l’article 1327 se bornant à les définir et les énumérer.
90. On pourrait transposer en la matière la distinction que fait le droit processuel entre la
capacité active (ici, capacité de s’obliger) et la capacité passive (ici, capacité d’être obligé).
V. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. I, Sirey, 1961, no 287-3o ; S. Guinchard et F. Ferrand,
Procédure civile, Dalloz, 28e éd., 2006, no 599-2.
91. V. not., F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 1043.
92. V. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 1073.
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D’autre part, quant à la preuve, l’article 1348 du Code civil présentait l’admissibilité de la preuve testimoniale des quasi-contrats, délits et quasi-délits comme une
exception à l’exigence d’une preuve écrite, entre les hypothèses d’impossibilité de
se procurer une preuve littérale et de perte du titre. Mais s’il s’agit bien d’une
« exception », c’est-à-dire d’une disposition spéciale dérogeant à la règle générale,
cela signifie que la preuve des quasi-contrats, délits et quasi-délits est une question
de preuve des actes juridiques, soumise à un régime particulier 93. Le raisonnement
vaut de plus fort à présent que la teneur de l’article 1348, lequel se présente
toujours comme une exception, résulte d’une loi « relative à la preuve des actes
juridiques » 94. Alors que l’on ne considère pas la liberté de la preuve des faits
que l’on dit purs et simples 95 comme une exception à la règle de la preuve écrite.
18. – Nous sommes ainsi conduits à proposer 96 de remplacer la dichotomie
(bien qu’elle soit admise par la quasi-unanimité de la doctrine française) par une
classification à trois étages, sans disposer il est vrai d’une terminologie entièrement
satisfaisante 97. On appellera « fait » les événements qui agissent sur les situations
juridiques. Cette catégorie générale se divise en deux classes : les « faits au sens
strict » ou « faits matériels » et les « actes » ; et cette dernière classe comporte deux
espèces, les « actes au sens strict » ou, par synecdoque du genre, « actes » tout
court (ou « actions », aujourd’hui dénommés « faits juridiques » 98) et les « actes
juridiques ».
19. – Ceci étant, les observations précédentes ne tendent qu’à rectifier une
terminologie qui découvre des analyses trop sommaires pour qu’on les expose au
fronton d’un projet supposé faire entendre la voix de la France dans le concert
93. On peut évidemment dire que c’est « par un défaut de méthode » que l’article 1348 du
Code civil présente comme une exception à la règle de la preuve écrite la preuve des quasi-contrats,
délits et quasi-délits, (sic), G. Gabolde, in M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, t.
VII, Les obligations, no 1517, p. 970 ; mais la remarque ne tient pas compte de la place des quasicontrats, délits et quasi-délits dans l’article. Et elle ne vaut pas contre la loi du 12 juillet 1980.
94. L. no 80-525, 12 juill. 1980, préc.
95. V. par ex. Cass. civ., 24 déc. 1919, DP 1920, I, 12 ; Cass. civ. 3e, 21 nov. 1973, Bull. civ.
III, no 597, p. 434 ; Cass. civ. 1re, 9 déc. 1986, Bull. civ. I, no 292, p. 278.
96. Sur les traces d’H. Capitant et à l’exemple des doctrines allemande ou italienne notamment.
Pour la doctrine allemande (plus complexe), v. W. Flume, Allgemeiner Teil des burgerlichen Rechts,
II, Das Rechtsgeschäft, Berlin, Springer, 1965, Ch. I, p. 1-133 ; en français, H. Tandogan, Notions
préliminaires à la théorie générale des obligations, Genève, Georg, 1972 et Cl. Witz, Droit privé
allemand, I, Actes juridiques, droits subjectifs, Litec, 1992, nos 114-116, p. 114-116, sur les actions
juridiques (Rechtshandlungen) ; et pour une application au droit français, v. C. (K.) Crome, Parte
generale del diritto privato francese moderno, trad. de l’italien, Milano, 1906, § 20, p. 215-220.
Pour la doctrine italienne, v. en dernier lieu, R. Sacco, Il fatto, l’atto, il negozio, Torino, Utet, 2005.
Le Code civil portugais, dans un titre sur les relations juridiques, consacre un sous-titre aux « factos
juridı́cos » (art. 217 et s.), où il réglemente successivement le « negócio juridı́co » (art. 217-294), les
« actos juridı́cos » qui ne sont pas des « negócı́os juridicos » (art. 295 : application des règles précédentes lorsque l’analogie des situations le justifie) et – un régime général des faits n’étant évidemment
pas envisageable – le temps et ses répercussions dans le domaine juridique (art. 296-333).
97. L’état de la doctrine française tient au fait que Zachariae, ayant écrit avant l’acmé de l’école
pandectiste, n’a pas fourni à Aubry et Rau les matériaux d’une élaboration doctrinale et que l’intérêt
suscité par le BGB a conduit à étudier le régime général de l’acte juridique (autour de la déclaration
de volonté), non à s’inquiéter de l’environnement dogmatique du Rechtsgeschäft.
98. L’adjonction du qualificatif « juridique » peut spécifier mais ne saurait dénaturer le sens du
substantif.
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européen 99 : les notes seraient par trop discordantes 100. On substituera donc « acte »
à « fait » dans les occurrences où il ne s’agit pas de faits matériels 101 ; mais, un
Code n’étant pas des Institutes, on ne proposera pas de définition de ces termes.
Au vrai, la série des définitions qu’égrène le chapitre préliminaire ne s’impose
aucunement.
II. – LES ESPÈCES
Les « faits juridiques »
Art. 1101-2, al. 2 et 3 (avant-projet) :
Le fait qui procure à autrui un avantage auquel il n’a pas droit constitue un
quasi-contrat. (...)
Le fait qui cause sans droit un dommage à autrui oblige son auteur à la réparer.
(...)
20. – L’article 1101-2 de l’avant-projet, dévolu aux « faits juridiques » appelle
peu de commentaires supplémentaires. D’une part, la poursuite de la systématisation
dogmatique des sources d’obligations, qui tend à donner valeur législative à une
vue doctrinale assurément profonde mais qui ne saurait lier l’interprète, paraît
inopportune 102. D’autre part, l’article, visant des faits matériels et des actes (car
les causes de responsabilité sont des « actes » illicites), son unité est fallacieuse et
sa suppression s’impose donc à un double titre.
Les actes juridiques
Art. 1101, al. 2 à 4 (avant-projet) :
L’acte juridique conventionnel ou convention est l’accord conclu entre deux
ou plusieurs personnes en vue de produire (des effets de droit).
L’acte juridique unilatéral est un acte accompli par une seule ou plusieurs
personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des
effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage.
L’acte juridique collectif est la décision prise collégialement par les membres
d’une collectivité.
99. Présentation générale, no 9, p. 6.
100. En témoigne l’embarras des traducteurs qui doivent susciter quelque perplexité chez leurs
compatriotes juristes. Suivant au plus près le sens littéral des mots (ce qui est une méthode de
traduction détestable), la version italienne oppose les « atti giuridici » (art. 1101-1) aux « fatti giuridici »
(art. 1101-2). Mais une note sous l’article 1101-1 indique que « nel sistema giuridico francese l’acte
juridique“ vuole a designare la categoria del negozio giuridico secondo l’elaborazione della Pandettistica tedesca ». On se demande pourquoi alors « acte juridique » n’a pas été traduit par « negozio
giuridico ». D’autre part, toujours selon la même méthode ( ?), l’article 1101-2 divise les « fatti
giuridici » en « comportamenti o eventi ». Mais le « comportamento » auquel la loi attache des effets
de droit constitue, dans la systématique italienne, une espèce du genre « fatti giuridici » au sens
large, mais une espèce ayant son autonomie et dénommée... « atto giuridico », v. C.-M. Bianca et
al., Lessico di diritto civile, Milano, Giuffrè, 1996, Vis « Fatto » et « Atto ». Quant à la version
allemande, elle traduit bien « acte juridique » par « Rechtsgeschäft », mais emploie pour désigner
les faits juridiques et leurs espèces des notions peu techniques.
101. À l’exception de la locution « le fait de » qui n’a aucune signification technique. Sont visés
les articles 1101 et 1327 de l’avant-projet ou les textes qui leur seront substitués (non l’article 1101-2,
dont la suppression est proposée) ainsi que l’article 1340 dudit avant-projet.
102. V. ci-dessus sub I.[ ? ?].
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Débats
21. – L’article 1101-1 de l’avant-projet présente une typologie des « actes juridiques », divisés en acte conventionnel, acte unilatéral et acte collectif. La classification peut s’apprécier d’un point de vue systématique et d’un point de vue normatif.
D’un point de vue systématique, le critère de classification n’est pas net 103. La
convention est définie par le nombre de personnes (deux ou plusieurs) ayant conclu
un accord (Avant-projet, art. 1101-1, al. 2), c’est-à-dire, semble-t-il, d’un point de
vue formel. L’acte unilatéral se caractérise par la considération d’un même intérêt
(Avant-projet, art. 1101-1, al. 3) ; le point de vue est alors substantiel. Quant à
l’acte collectif, il est « la décision prise collégialement par les membres d’une
collectivité » (Avant-projet, art. 1101-1, al. 4) : on ne sait comment il se situe par
rapport aux deux autres espèces. Mais précisément, la notion est confuse. Il y aurait
lieu de distinguer l’acte collectif qui exprime les volontés des membres d’un groupe
(ou de leur majorité) dont les intérêts sont identiques mais distincts, par exemple
dans l’indivision (C. civ., art. 815-3) de l’acte proprement collégial qui exprime la
volonté de l’organe d’une personne juridique, dans l’intérêt de cette personne à
laquelle l’acte est imputé (résolutions d’assemblées de sociétés) et qui apparaît
ainsi comme unilatéral. De même, il conviendrait de distinguer comme autre variété
de l’acte unilatéral, l’acte complexe, tel l’acte de l’incapable assisté de son curateur
(C. civ., art. 510).
22. – D’un point de vue normatif, on remarque que l’avant-projet distingue la
convention (art. 1101-1, al. 2) et le contrat qui n’en serait qu’une espèce (art. 1102).
Mais il emploie les deux termes indifféremment ; ainsi, à l’image du Code civil
(mais celui-ci ne hiérarchisait pas les concepts), sont dénommés « conventions »
d’authentiques contrats dans de très nombreux articles dont l’énumération serait
longue et fastidieuse ; et le sous-titre I perpétue la confusion (double 104) entre
contrat et obligation conventionnelle. L’intérêt pratique de la distinction est donc
douteux.
D’autre part, la typologie des actes juridiques (quelle que soit son exactitude)
déborde largement le champ des obligations et de leurs sources et est ici déplacée.
L’alinéa 4 institue une analogie légale, soumettant, « en tant que de raison », l’acte
unilatéral et l’acte collectif aux règles qui gouvernent les conventions (c’est-à-dire
les contrats). Le renvoi est utile, même si la réserve, indispensable, lui ôte la
précision souhaitable ; mais il concerne les actes juridiques en général, abstraction
faite de leur type, et aurait plutôt sa place, si on voulait le maintenir, à la suite
d’un article analogue aux articles 1107 du Code civil ou 1103 de l’avant-projet.
V. art. 1.109.
23. – Notre conclusion est que les articles 1101 à 1101-2 de l’avant-projet ne
sauraient être maintenus. Il suffirait d’une énumération, sans prétention classificatrice, dans un article inspiré de l’article 1370 du Code civil (v. art. 0.101), si ne
se posait la question, à laquelle l’avant-projet répond implicitement par la négative,
de savoir s’il existe un numerus clausus des sources d’obligations 105.
103. Et n’est pas éclairé par l’exposé des motifs, p. 15.
104. V. supra, no 3.
105. La formule de l’article 1372, alinéa 1er, du CCQ : « L’obligation naît du contrat ou de tout
acte ou fait auquel la loi attache d’autorité les effets d’une obligation », mérite approbation.
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REVUE DES CONTRATS
III. – UN NUMERUS CLAUSUS DES SOURCES D’OBLIGATIONS ?
24. – L’origine de l’interrogation réside dans la multiplicité des fondements,
tous insatisfaisants, retenus par la Cour de cassation dans les affaires de loteries
publicitaires 106 et dans l’extension inconsidérée du domaine des quasi-contrats 107.
Il nous a semblé que le principe de confiance légitime pouvait constituer une
source autonome d’obligation 108, comme il pourrait fournir une justification à la
validité de l’engagement unilatéral 109 : celui dont le comportement a fait naître une
attente légitime ne peut ensuite prétendre adopter un comportement contradictoire.
La confiance légitime se verrait ainsi reconnaître en dehors du domaine contractuel le rôle que l’on tend à lui reconnaître dans ce domaine 110, notamment sous
les espèces du devoir de ne pas se contredire au détriment d’autrui, ou devoir de
cohérence 111, qui explique certaines décisions actuelles de la jurisprudence 112 et
certaines solutions de l’avant-projet 113.
Il est proposé de rapprocher les deux lignes, de marquer que la confiance n’est
protégée que si elle a été suscitée raisonnablement 114 par le comportement d’autrui
106. Sur quoi, v. not., F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit.,
no 1029-1 ; P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2e éd., 2005, no 1019,
p. 549-550 ; M. Fabre-Magnan, Les obligations,PUF, 2004, no 371, p. 973-975.
107. Sur laquelle v. idd., ibid. Mais v. le coup de frein de Cass. civ. 3e, 15 mars 2006, Bull.
civ. III, no 69, p. 58, D. 2007, p. 1581, note V. Perruchot-Triboulet.
108. Doctrine du promissory estoppel, Restatement 2d Contracts, § 90 (1) : « A promise which
the promisor should reasonably expect to induce action or forbearance on the part of the promisee
or a third person and whieh does induce such action or forbearance is binding if injustice can be
avoided only by enforcement of the promise. The remedy granted for breach may be limited as
justice requires ». V. E. A. Farnsworth, Contracts, op. cit.,§ 2-19.
109. L’avant-projet ne reconnaît l’acte unilatéral que pour en restreindre le domaine dans une
mesure incertaine : « dans les cas admis par la loi ou par l’usage » (art. 1101-1, al. 3).
110. V. D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel », RIDC 2006, p. 363, nos 6-19,
p. 366-381 ; M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., no 28, p. 59-60, no 30, p. 67, no 89, p. 231.
Adde, d’un point de vue comparatif, B. Fauvarque-Cosson (sous la dir. de), La confiance légitime
et l’estoppel, Société de législation comparée, 2007. À cheval entre le contrat et la responsabilité
civile, v. l’article 1386-4 du Code civil.
111. Doctrine de l’estoppel accueillie explicitement en droit français par Cass. civ. 1re, 6 juill.
2005, Bull. civ. I, no 302, p. 252, D. 2006, p. 1424, note Agostini ; comp. PU, art. 1.8.
112. V. not. S. Amrani Mekki et B. Fauvarque-Cosson, obs. D. 2005, p. 2843.
113. Avant-projet, art. 1110, al. 2 : « (...) celui (...) qui a pu légitimement faire confiance à son
cocontractant (...) » (obligation de renseignement). Adde l’exposé des motifs, p. 18 : croyance légitime
dans le maintien de l’offre, et confiance légitime du bénéficiaire d’un pacte de préférence. V. nos
propositions de l’art. 3.203, al. 3, adde art. 3.102, al. 3 et 3.202, al. 3.
114. Sur le recours à la notion de « raisonnable » : l’avant-projet emploie l’adjectif « raisonnable »
à plusieurs reprises, pour caractériser le délai (art. 1105-2, 1121-6, 1155-2, 1158, al. 2, 1165-5, al.
2, 1186-1, 1190, al. 2) ou des moyens (art. 1373), ainsi que l’adverbe « raisonnablement » (art. 1344,
1366, 1372). Les textes codifiés (pour ne citer que ceux ayant valeur législative) ne l’ignorent pas
non plus et il y est question de « personne raisonnable » (C. civ., art. 1112), de « délai raisonnable »
(C. com., art. L. 134-7 ; C. consom., art. L. 141-1, IV et L. 331-9-1 ; CGI, art. 171AD, I ; LPF, art. L. 47 ;
COJ, art. L. 111-3 et L. 121-4, al. 1er ; C. pr. pén., art. 175-2 ; C. santé publ., art. L. 1111-4, al. 2 et
L. 6161-3-1 ; CSS, art. LO 111-9-1 et L. 222-6, al. 4 ; C. trav., art. L. 439-15, al. 2 [= L. 2343-4, al.
4]), de « durée raisonnable » (C. pr. pén., art. 144-1 ; C. santé publ., art. L. 3711-1-4o), d’« efforts
raisonnables » (C. propr. intell., art. L. 615-5-1, b), de « soins raisonnables » (C. assur., art. L. 17213, al. 1er et L. 172-19), de « motifs raisonnables » (C. mon. fin., art. L. 433-1, V, L. 621-8-1, II et
L. 621-8-2, al. 2 ; C. trav., art. L. 231-8, al. 1er [= L. 4131-1, al. 1er], L. 231-8-1 [= L. 4131-3]), de
« rémunération raisonnable » (C. com., art. L. 134-5, al. 3), de « prélèvement raisonnable » (C. env.,
art. L. 420-1, al. 2), de « limites raisonnables » (CGI, art. 35 bis, 1 et 1459, 2o), de « modalités
raisonnables » (C. santé publ., art. L. 3711-1, 4o), de « niveau raisonnable » (C. santé publ.,
art. L. 4113-6, al. 3). V. J. Khairallah, « Le raisonnable » en droit privé français, développements
récents », RTD civ. 1984, p. 439. Et v. la référence à l’« homme raisonnable » par le doyen Carbonnier,
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et si celui qui s’en prévaut a altéré sa position sur la foi de ce comportement
(modificatio in pejus), et d’indiquer que l’étendue de la protection varie en fonction
des hypothèses, selon ce que la justice commande. La justice contractuelle est
satisfaite sans que la sécurité des relations contractuelles ait à en souffrir.
On notera que le principe de confiance légitime tel que nous l’entendons
échappe au reproche de circularité qui lui est parfois adressé 115 : une attente 116
n’est pas légitime parce que le droit la protège, mais parce qu’elle serait jugée
telle par des personnes de bonne foi placées dans la même situation.
Le point de savoir si la confiance légitime constitue un – ou le – fondement
de la force obligatoire du contrat peut être l’objet d’un débat doctrinal auquel le
texte n’entend apporter aucun aliment.
V. art. 0.102.
25. – L’avant-projet intitule son sous-titre I « Du contrat et des obligations
conventionnelles en général ». La nuance par rapport au Code civil : « et » au lieu
de « ou », n’empêche pas la confusion, le régime général des obligations étant
traité sous cette rubrique. Nous avons proposé de dissocier contrat et obligation 117
et c’est sous cette réserve que nous poursuivons l’étude du texte suivant son plan.
26. – Le chapitre I est intitulé « Dispositions générales », qu’il vaudrait mieux
changer en « Dispositions liminaires », à l’exemple du Nouveau Code de procédure
civile (le Code civil comportant quant à lui des « Dispositions préliminaires »). Une
première section est dévolue aux « Définitions ». La tradition commande sans doute
de conserver un lot de définitions en ouverture du sous-titre, encore que nous
concevions que l’on considérât ce préambule comme dogmatique et déplacé 118.
En tout cas, l’affichage doctrinal ne paraît pas approprié à un texte législatif 119 et
nous préférerions un intitulé, inspiré du Code civil du Québec, « Du contrat et de
certaines de ses espèces ».
DÉFINITIONS
I. – LA DÉFINITION DU CONTRAT
L’article 1102 de l’avant-projet, s’écartant de l’article 1101 du Code civil,
définit le contrat comme « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes
s’obligent envers une ou plusieurs autres à accomplir une prestation ».
Droit civil, t. IV, Les obligations, op. cit., nos 34, 114 et 146. Dans ce contexte, nous avons cru
pouvoir faire un usage modéré des termes « raisonnable » et « raisonnablement » : art. 1.203, 1.204,
3.102, 3.203 (3), 3. 208 (1), 4.103 et 4.105 (2).
115. V. M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., no 28, p. 60.
116. Nous considérons que les concepts d’« attente légitime » et de « confiance légitime » participent de la même idée.
117. V. supra, no 3.
118. Aucune définition ne permet de fixer le point au-delà duquel l’intervention de l’autorité
publique retire à un acte la qualification de contrat. Il convient donc de relativiser la portée d’une
définition législative du contrat.
119. Dans le style français, où les définitions se veulent réelles. Il en va différemment dans les
droits qui pratiquent la définition terminologique ; ainsi en Common Law, où les instruments législatifs
débutent couramment par une rubrique « Meaning of terms ». V. le § 1 du Restatement, 2d, Contrats :
Contract defined.
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La prestation
27. – Une première observation portera sur le recours à la notion de « prestation » 120. Malgré son penchant pour les définitions, l’avant-projet ne définit pas le
terme. Celui-ci ne se rencontrait que deux fois dans le Code civil, aux articles
1291 et 2148-4o (devenu 2428-4o), au sens d’obligation ayant pour objet autre
chose qu’une somme d’argent 121. L’avant-projet l’utilise abondamment, pour désigner l’objet de l’obligation, y compris le versement d’une somme d’argent. Toutefois,
une note sous l’article 1154 de l’avant-projet souligne que le terme « prestation »
« évoque bien l’action personnelle du débiteur ». Mais l’article 1152 de l’avantprojet ayant maintenu le principe du transfert immédiat de la propriété posé par
l’article 1138 du Code civil (tout en en modifiant l’expression), le contrat qui
transfère la propriété ne comporte pas, sinon à titre accessoire, d’obligation d’accomplir une prestation. Et la garantie due au preneur « pour tous les vices ou défauts
de la chose louée qui en empêchent l’usage » (C. civ., art. 1721) ne s’analyse pas
non plus en une action personnelle du débiteur. On pourrait donc retenir le terme
« prestation », en l’entendant non au sens subjectif de comportement du débiteur –
qu’implique le terme « accomplir » –, mais au sens objectif de programme 122 que
le débiteur est tenu de réaliser sans que l’on puisse nécessairement l’attribuer à
son comportement. Au surplus, « accomplir » étant un verbe d’action, on conçoit
mal l’accomplissement d’une abstention 123. Mais, pour prendre pleinement en
compte l’effet réel du contrat, il paraît préférable de parler de son incidence sur
un rapport de droit 124.
L’accord
28. – Ensuite, les articles 1102 et 1101-1, alinéa 2, de l’avant-projet, combinés,
qui définissent le contrat comme un accord, c’est-à-dire du point de vue de sa
formation, n’envisagent qu’une partie du phénomène. On a observé en effet que
le terme « contrat » dénote plusieurs réalités différentes 125 : (1) Un processus de
formation ; (2) Un texte oral ou écrit, que l’on interprète (Avant-projet, art. 1137
et s.) ; (3) Un vinculum iuris (Avant-projet, art. 1134, al. 1er) ; (4) Un rapport à
contenu économique, que l’on peut céder (Avant-projet, art. 116-4 et 5, avec
réticence). La définition de l’avant-projet rend compte des sens (1) et (3) en les
liant indissolublement, moins bien des sens (2) et (4).
120. Venue (consciemment ou non) du § 241 du BGB : « En vertu du rapport d’obligation, le
créancier a le droit d’exiger du débiteur une prestation. La prestation peut également consister en
une abstention ». Mais le Vertrag est dépourvu d’effet réel.
121. Argt art. 1163 et 1163-2 : restitutions.
122. (Sic), C. M. Bianca et al., Lessico di diritto civile, op. cit., Vo Prestazione.
123. (...) ne pas faire », intitulé du § 2 de la section 4 du chapitre 3 et Avant-projet, art. 1121,1144,
1154-1, 1163-1 et 1174, al. 3.
124. Le terme « rapport » est employé par l’avant-projet, sinon dans des articles de loi, mais
dans la présentation générale, no 3, p. 3 (citant Portalis), les exposés des motifs, p. 23 et 58 (rapport
d’obligation), p. 60 (rapport de droit), p. 173 (rapports humains) ; et une note sous l’article 1258
de l’avant-projet emploie l’expression « rapport contractuel » en précisant que c’est un « terme courant
immédiatement intelligible ». À cet égard, la définition que nous proposerons se rapproche de celle
que l’avant-projet donne de l’acte conventionnel (Avant-projet, art. 1101-1, al. 2).
125. p. Sacco (e De Nova), Il contratto, I, p. 64.
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Débats
29. – Même si l’on se restreint à la dénotation de la notion que définissent les
articles 1101-2, alinéa 2, et 1102 de l’avant-projet, ces textes, en se focalisant sur
la convention ou accord, donnent une représentation inexacte de l’institution telle
qu’elle est régie par l’avant-projet. Dans ce dernier, la formation du contrat ne
requiert pas seulement un accord, mais aussi (notamment) une cause (Avant-projet,
art. 1124 et s.), et celle-ci ne se réduit pas à un élément psychique 126. Si donc la
définition ambitionnait de donner à entrevoir comment se forme le contrat, il y
aurait non-concordance entre formule définitoire et règles appliquées 127.
À considérer le traitement de l’accord par l’avant-projet, tel paraît être le cas.
Le contrat se forme par la rencontre – d’autres diraient l’union ou la fusion – des
volontés (Avant-projet, art. 1105 et 1109-1) ; l’offre devient caduque en cas de
décès ou d’incapacité de l’offrant (Avant-projet, art. 1105) ; en principe les conventions sont parfaites par le seul consentement des parties (Avant-projet, art. 1127) ;
elles s’interprètent par la recherche de la commune intention des parties (Avantprojet, art. 1136). La notion d’« accord » est donc, dans l’avant-projet, fortement
teintée de psychologisme.
Mais on peut avoir une conception différente, plus en harmonie avec les réalités
pratiques, commandant un régime différent ou une interprétation différente des
règles qui le composent 128.
30. – Ce n’est que sous le bénéfice de ces observations qu’il est acceptable
de conserver le terme « accord », et nous proposons donc de définir le contrat
comme l’accord de deux ou plusieurs personnes en vue d’établir, modifier ou
supprimer entre elles un rapport de droit 129.
V. art. 1.101.
II. – LES ESPÈCES DE CONTRAT
31. – L’avant-projet envisage les six espèces de contrat définies par le Code
civil ; il leur en adjoint quatre autres. Il n’est sans doute pas envisageable de
rompre avec la tradition 130 et de proposer de faire l’économie des premières ; elles
entraînent d’ailleurs des conséquences juridiques. Il n’en va pas nécessairement
de même des secondes.
A) LES ESPÈCES DE CONTRAT DÉfINIES PAR LE CODE CIVIL
Contrat synallagmatique et contrat unilatéral
Art. 1102-1 (avant-projet). Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque
les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
126. V. ci-dessous, nos 76 et s.
127. V. P. G. Monateri, « Règles et techniques de la définition dans le droit des obligations et
des contrats en France et en Allemagne : La synecdoque française, RIDC 1984, p. 7.
128. V. ci-dessous, no 47 et art. 3.105 ; no 51 et art. 3.105.
129. Rappr. la définition de CEC, art. 1er.
130. Bien que celle-ci ne paraisse perdurer que dans le CCQ, art. 1378 à 1384.
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Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou
plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
32. – L’avant-projet propose (art. 1102-1, al. 2) une définition du contrat unilatéral qui se différencie de celle de l’article 1103 du Code civil par l’adjonction
du terme « réciproque ». Cette précision nous paraît insuffisante à indiquer assez
clairement que le contrat unilatéral, qui en principe n’oblige qu’une partie, comporte
couramment des obligations à la charge du créancier 131. Nous proposons d’énoncer
que le contrat est « unilatéral » lorsqu’il ne fait naître d’obligation qu’à la charge
d’un contractant, ou que les obligations de l’un des contractants ne sont pas
corrélatives de celles de l’autre. Réciproquement, le contrat synallagmatique est
celui qui fait naître à la charge des contractants des obligations corrélatives 132.
V. art. 1.103.
Contrat à titre onéreux et contrat à titre gratuit
Art. 1102-2 (avant-projet). Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des
parties entend recevoir de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle
procure.
Le contrat est à titre gratuit lorsque l’une des parties entend procurer à l’autre
un avantage sans recevoir de contrepartie.
33. – On sait que la définition du contrat à titre onéreux par l’article 1106 du
Code civil est celle du contrat synallagmatique et qu’elle est donc erronée. L’avantprojet la modifie par le recours aux notions d’« avantage » et de « contrepartie »
et donne une définition parallèle du contrat à titre gratuit. Ces deux définitions
méritent d’être conservées.
V. art. 1.102.
Contrat commutatif et contrat aléatoire
Art. 1102-3 (avant-projet). Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties
s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de
celui qu’elle reçoit.
Il est aléatoire lorsque les parties, sans rechercher l’équivalence de la contrepartie
convenue, acceptent une chance de gain ou de perte pour chacune ou certaines
d’entre elles, d’après un événement incertain.
34. – L’avant-projet donne du contrat commutatif, dans l’alinéa 1er de l’article 1102-3 de l’avant-projet, une définition plus synthétique que celle de l’article 1104, alinéa 1er, du Code civil et qui est en effet préférable.
En revanche, la définition du contrat aléatoire, dans l’alinéa 2, peut être simplifiée et nous proposons de dire, en empruntant à l’article 1964 du Code civil, que
le contrat est « aléatoire » lorsqu’il est convenu que les avantages ou les pertes
qui en résulteront dépendront d’un événement incertain.
V. art. 1.104.
131. Contrat synallagmatique imparfait. V. F.-L. Simon, « La spécificité du contrat unilatéral »,
RTD civ. 2006, p. 209. Nous tenons compte des observations et analyses de l’auteur (mais non de
ses propositions, fondées sur la notion de « cause », que nous rejetons, v. infra, nos 76 et s.).
132. Cette définition est celle, notamment, de G. Marty et P. Raynaud, Titre, I, Editeur, Année,
no 64, p. 58 ; v. CCQ, art. 1380.
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2) LES DÉFINITIONS INTRODUITES PAR L’AVANT-PROJET
Contrat consensuel et contrat solennel
Art. 1102-4 (avant-projet). Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par la
seule manifestation des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.
Le contrat est solennel lorsque sa formation est subordonnée, à peine de nullité,
à des formalités imposées par la loi.
35. – L’article 1102-4 de l’avant-projet définit le contrat consensuel et le contrat
solennel. Mais la définition du contrat solennel ne présente aucun intérêt pratique,
la qualification découlant directement du régime juridique (l’exigence de formalités)
et non l’inverse. Il en est de même du contrat consensuel. De ce point de vue,
l’article n’a qu’une valeur descriptive et pourrait sans dommage être supprimé et
sa matière abandonnée à la systématisation doctrinale.
En revanche l’avant-projet ignore le contrat réel. C’est prendre parti dans une
querelle doctrinale qu’il est inutile d’épouser ; il suffit de noter que l’article 1125-1
de l’avant-projet postule l’existence des contrats réels, comme en témoigne abondamment l’exposé des motifs 133. Le contrat réel aurait donc dû être défini, d’autant
plus que la qualification entraîne des conséquences pratiques.
Le maintien de l’article, complété, se justifie donc, moyennant quelques modifications de forme : la définition du contrat consensuel peut être allégée, pour éviter
un double emploi avec l’énoncé du principe du consensualisme 134, et il est souhaitable que les définitions du contrat réel et du contrat solennel soient harmonisées.
V. art. 1.105.
Contrat d’adhésion
Art. 1102-5 (avant-projet). Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions,
soustraites à la discussion, sont acceptées par l’une des parties telles que l’autre
les avait unilatéralement déterminées à l’avance.
Un tel contrat peut, cependant, leur adjoindre des conditions particulières sujettes à négociation.
36. – L’article 1102-5 de l’avant-projet distingue à juste titre le contrat d’adhésion
et les conditions particulières. Mais une autre opposition est première : celle du
contrat de gré à gré et celle du contrat d’adhésion. Elle sera donc posée en premier
lieu.
L’article donne du contrat d’adhésion une définition qui serait acceptable si
elle n’avait l’inconvénient de laisser dans le flou ce qu’il faut entendre par « conditions (...) acceptées ». Incertitude qui n’est à aucun moment dissipée, l’avant-projet
ne comportant pas d’article encadrant l’efficacité des conditions générales 135. Il
paraît donc préférable de parler de « conditions proposées à l’acceptation de l’autre
partie sans possibilité de négociation ».
V. art. 1.106.
133. Exposé des motifs, p. 28.
134. Avant-projet, art. 1127.
135. V. infra, no 36.
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Contrat cadre et conventions d’application
Art. 1102-6 (avant-projet). Le contrat cadre est un accord de base par lequel
les parties conviennent de négocier, nouer ou entretenir des relations contractuelles
dont elles déterminent les caractéristiques essentielles.
Des conventions d’application en précisent les modalités d’exécution, notamment la date et le volume des prestations, ainsi que, le cas échéant, le prix de
celles-ci.
37. – L’article 1102-6 de l’avant-projet définit directement le contrat cadre et
indirectement, en les caractérisant, les conventions d’application. L’article 1121-4
de l’avant-projet régissant ces figures (sans les dénommer), leur définition n’apparaît
pas gratuite. Toutefois, elle appelle plusieurs observations.
Le verbe « négocier » ne paraît pas régir la fin de la phrase (« (...) des relations
contractuelles dont elles déterminent les caractéristiques essentielles ») qui implique
un contrat conclu. Mais s’il est employé absolument, l’opération n’entre pas dans
la catégorie du contrat cadre mais dans celle de l’accord de principe 136. Le verbe
« négocier » doit donc être exclu de la définition.
D’autre part, en indiquant que les conventions d’application déterminent « le
cas échéant » le prix des prestations, l’article est en contradiction avec l’article 11214 de l’avant-projet qui vise précisément lesdites conventions 137 et aux termes duquel
la détermination du prix est une condition de validité du contrat. L’énumération
exemplative des modalités d’exécution peut donc être supprimée.
V. art. 1.107.
Règles régissant les contrats
Art. 1103 (avant-projet). Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre,
soit qu’ils n’en aient pas, sont soumis à des règles générales qui sont l’objet du
présent titre.
Des règles particulières à certains contrats sont établies, soit sous les titres du
présent code relatifs à chacun d’eux, soit par d’autres codes et lois, notamment
dans les matières touchant au corps humain, aux droits intellectuels, aux opérations
commerciales, aux relations de travail et à la protection du consommateur.
Les contrats innommés sont soumis par analogie aux règles applicables à des
contrats comparables, dans la mesure où leur spécificité n’y met pas obstacle.
38. – L’alinéa 1er de l’article 1103 de l’avant-projet reproduit l’alinéa 1er de
l’article 1107 du Code civil (avec une fidélité excessive, car, dans la construction
de l’avant-projet, les règles générales sont l’objet d’un sous-titre et non plus d’un
titre).
L’alinéa 2 complète heureusement la référence que fait l’alinéa 2 de l’article 1107 aux sources extérieures au Code civil. Mais l’énumération indicative qu’il
donne des matières concernées parait superflue.
Un troisième alinéa, relatif aux contrats innommés, est opportunément introduit.
Mais, en la forme, il est souhaitable d’aligner la rédaction de l’alinéa sur celle des
136. Visé par Avant-projet, art. 1104-1.
137. V. l’exposé des motifs, p. 25.
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Débats
alinéas précédents et, au fond, il convient de réserver l’existence de dispositions
particulières, et il est mieux de préciser les conditions de l’analogie en termes
positifs plutôt que négatifs. Nous proposons la formule : « autant que cela est
possible et raisonnable ».
V. art. 1.108.
Règles régissant les actes juridiques
Art. 1101-1, al. 5 (avant-projet). L’acte unilatéral et l’acte collectif obéissent,
en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent
les conventions.
39. – L’article 1101-1, alinéa 5, de l’avant-projet étend par analogie aux autres
actes juridiques les règles régissant les contrats. Cette disposition s’intégrant à une
systématique des actes juridiques que nous avons contestée, doit être déplacée et
trouve ici son lieu 138. Sa rédaction est calquée sur celle de l’article précédent.
V. art. 1.109.
40. – Respectueux du plan du Code civil qui ignorait la formation du contrat,
l’avant-projet case étrangement cette matière dans une section II des « Dispositions
générales » 139. Nous l’envisagerions à cette place (pour modifier cette dernière)
s’il ne fallait auparavant combler une considérable et regrettable lacune (qui s’explique sans doute aussi par le silence du Code) et traiter des principes directeurs 140
des relations contractuelles.
UNE LACUNE
LES PRINCIPES DIRECTEURS DES RELATIONS CONTRACTUELLES
41. – On peut hésiter sur le nombre des principes régissant le droit du contrat 141
ou, plus précisément, les relations contractuelles. Le principe de confiance légitime
(ou de cohérence) a déjà été formulé 142. La liberté contractuelle et sa limite dans
les règles impératives ainsi que le devoir de bonne foi ne paraissent pas contestables.
Le devoir de coopération, qui prolonge celui de bonne foi, peut être explicité.
138. À l’imitation des codes civils italien et néerlandais. Mais l’article 134-24 du Code civil
italien ne vise que les actes unilatéraux et l’article 6.216 du BW, au contraire, les autres actes
juridiques multilatéraux.
Établissent également une analogie, l’article 1 :107 PDEC s’agissant des déclarations et comportements indiquant une intention et l’article 4 CEC s’agissant des actes unilatéraux ; mais, se limitant
à leur sujet, ces instruments ne traitent que des actes entrant dans le champ contractuel.
139. V. ci-dessus, no 2.
140. Au sens de « qui est propre à orienter », indiqué par le Vocabulaire juridique de l’Association
H. Capitant (op. cit.), Vo Directeur, trice. Mais cette entrée n’est illustrée que par le syntagme
« Principes directeurs du procès », qui ne concerne en fait que le procès civil, alors que, s’agissant
du procès, il existe assurément des principes directeurs du procès pénal ou administratif, et que des
relations autres que processuelles peuvent être et sont orientées par des principes.
141. Sur les « principes fondateurs » du droit des contrats, v. l’exposé critique approfondi de
M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., nos 27-38, p. 49-81.
142. V. no 24 et art. 0.102.
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La liberté contractuelle
42. – La liberté contractuelle paraît aller de soi : l’avant-projet ne la consacre
pas 143 et les écrits doctrinaux qui l’entourent n’y font que de rares allusions 144.
Mais ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Après tout, la force obligatoire
du contrat est un postulat nécessaire ; elle est pourtant énoncée expressément
(Avant-projet, art. 1134, qui a conservé le numéro qu’il avait dans le Code civil).
On ne fait donc pas preuve en l’énonçant d’un dogmatisme plus marqué que celui
qui a poussé à définir le contrat dans l’article 1102 de l’avant-projet et ses espèces
dans les articles suivants ; aussi bien, la liberté contractuelle est formulée en principe
dans de nombreux codes, législatifs ou doctrinaux 145.
Le domaine de la liberté contractuelle ne peut être l’objet que d’une énumération
non limitative 146.
Il importe ensuite d’en indiquer les limites. Nous les avons marquées par une
formule générale empruntée à l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946.
Cette formule, figurant dans un texte à vocation législative, ne peut évidemment
impliquer aucun préjugé quant à la valeur de la liberté contractuelle.
V. art. 1.201.
Les dispositions impératives
43. – D’une certaine façon, un article consacré aux dispositions impératives
explicite le deuxième alinéa de l’article précédent.
L’article 6 du Code civil est méconnu de l’avant-projet. Celui-ci comporte une
disposition relative à l’illicéité de l’objet (Avant-projet, art. 1122) et une autre relative
à l’illicéité de la cause (Avant-projet, art. 1126), mais point texte de portée générale ;
et il n’est fait aucune allusion à l’article 6 dans les exposés des motifs. Nous
estimons qu’il convient de rendre sa dignité à l’article 6 en l’intégrant au régime
général du contrat. Nous proposons donc de le reprendre dans l’alinéa 1er d’un
article où, à la suite de l’article 1126 de l’avant-projet 147, le terme « règle » serait
substitué à « lois », pour consacrer la jurisprudence en la matière, la mention plus
moderne des « règles impératives » 148 étant ajoutée à celle de l’« ordre public et
des bonnes mœurs ».
143. On pourrait considérer que l’article 1134, alinéa 1er, du Code civil, repris par l’avantprojet sous son numéro, consacre la liberté contractuelle s’il visait les conventions « librement
“formées” », ce qui n’est pas le cas. D’autre part, la liberté quant à la forme n’est pas consacrée
par l’article 1127 de l’avant-projet qui pose le principe du consensualisme car elle autorise les
parties à soumettre conventionnellement leur contrat à une exigence de forme.
144. Présentation, no 7, p. 6 ; Introduction, p. 9 ; Exposé des motifs, p. 60. Elle est également
invoquée à propos de la prescription, Exposé des motifs, p. 172.
145. V. par ex., C. civ. italien, art. 1322 (« autonomia contrattuale ») ; C. civ. portugais, art. 405
(« liberdade contratual ») ; PU, art. 1.1 et PDEC, art. 1 :102 (liberté contractuelle) ; CEC, art. 1er (autonomie contractuelle). Adde CO, art. 19, al. 1er (libre détermination de l’objet). V. M. Bussani, Libertà
contrattuale e diritto europeo, op. cit. NB Il peut être utile de préciser que l’autonomie contractuelle,
espèce de l’autonomie privée (que connaît aussi le droit allemand, v. W. Flume, Allgemeiner Teil
des burgerlichen Rechts, II, Das Rechtsgeschäft ; Cl. Witz, Droit privé allemand, I, Actes juridiques,
droits subjectifs, op. cit., nos 107-109), n’a aucun rapport avec une prétendue autonomie de la volonté
(que ne célèbre pas l’avant-projet, du moins expressis verbis).
146. La liberté des prix est prescrite par l’article L. 410-2 du Code de commerce.
147. Adde Avant-projet, art. 1162-3 (pourparlers), 1104-1 (accord de principe).
148. Sur le respect des règles impératives, v. par ex., CO, art. 19, I ; C. civ. italien, art. 1322,
al 1er ; BW, art. 3 : 40 ; C. civ. portugais, art. 405 (1) ; CCQ, art. 1373, al. 2 ; PU, art. 1.04 ; PDEC,
art. 1 :103 ; CEC, art. 2 (1).
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Mais les dispositions de l’alinéa 1er doivent être élargies ou précisées 149. Nous
proposons de poser un principe de non-discrimination en civilisant les prescriptions
de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et des articles 225-1 et suivants du Code pénal 150, et de garantir la protection de libertés et
droits fondamentaux dans une mesure qui s’inspire de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme relative aux restrictions apportées aux droits
conditionnels et de celle de la Cour de cassation en matière de clauses de nonconcurrence 151.
V. art. 1.202.
Le devoir de bonne foi
44. – L’avant-projet se flatte d’avoir donné un plus grand rayonnement à la
bonne foi 152. Mais si des applications particulières sont consacrées au stade de la
formation du contrat 153, la règle générale ne concerne toujours que l’exécution
(Avant-projet, art. 1134, al. 3, reprenant le même texte du Code civil), ce qui
autoriserait la Cour de cassation à redire, au visa de l’article 1134, alinéa 3, que
« l’obligation de bonne foi suppose l’existence de liens contractuels » 154.
Si le devoir de bonne foi est très généralement reconnu dans les droits écrits 155,
c’est avec un contenu et une intensité variables 156. La question se pose de savoir
s’il convient d’en délimiter le domaine, voire d’en proposer une définition, au motif
qu’un standard trop vague serait un facteur d’insécurité.
Une définition paraît exclue, la bonne foi n’étant pas « l’objet d’un savoir, mais
une question d’expérience de la vie et de sens pratique » 157. De fait, la définition
du Code de commerce uniforme des États-Unis : honnêteté de fait dans le comporte149. V. par ex., B. Fages, RDC 2006/1, p. 36-40. L’article 19, alinéa 1er, du Code fédéral suisse
des obligations ayant disposé que la liberté n’existe que « dans les limites de la loi », l’alinéa 2
précise que « La loi n’exclut les conventions des parties que lorsqu’elle édicte une règle de droit
strict, ou lorsqu’une dérogation à son texte serait contraire aux mœurs, à l’ordre public ou aux droits
attachés à la personnalité ».
150. Adde pour le droit européen, J. Neuner, « Protection Against Discrimination in European
Contract Law », European Review of Contract Law 2(2006)/1. 35.
151. La fin du texte est empruntée à l’article 900-1 du Code civil ; v. égal. art. 812-1-1, 8124, 3o et 812-5.
152. Introduction, p. 9.
153. V. Avant-projet, art. 1104 (pourparlers), 1104-1 (accord de principe) et, implicitement,
obligation de renseignement, art. 1110 et 1110-1.
154. Cass. civ. 3e, 14 sept. 2005, Bull. civ. III, no 133, p. 154, D. 2006, p. 761, note D. Mazeaud,
RTD civ. 2005, p. 776, obs. J. Mestre et B. Fages. Mais v. Cass. com., 20 sept. 2005, Bull. civ. IV,
no 176, p. 191, qui sanctionne un manquement à l’« obligation de contracter de bonne foi » (devoir
d’information).
155. V. not. BGB, § 242 ; C. civ. italien, art. 1375 (bonne foi dans l’exécution), mais adde.
art. 1175 (« comportamento secondo correttezza ») ; BW, art. 6 :2 BW (exigences de la raison et de
l’équité) ; CCQ, art. 1375 (devoir de bonne foi dans la naissance et l’exécution ou l’extinction de
l’obligation) ; PU, art. 1.7 (1) (exigence générale) ; PDEC, art. 1 :201 (1) (exigence générale) ; CEC,
art. 75 (1) (exécution ; adde un certain nombre de dispositions sur des points particuliers). Adde
UCC s. 1-203 (exécution ; v. en outre, diverses applications particulières pouvant concerner la
formation, par ex. : s. 2-305 [2] – vente prix à fixer). Le CCQ ne comporte pas de disposition
générale ; le Code civil portugais, comme le français, n’impose la bonne foi que dans l’exécution,
art. 762 (2).
156 Pour les droits de l’Union européenne, v. PDEC, notes 2 et 4 sous l’article 1 :201, p. 75
et s.
157. A. von Tuhr, Partie générale du Code fédéral des obligations, trad., 2e éd., Lausanne, 1933,
I. p. 47.
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ment ou l’opération dont il s’agit 158, sonne comme une maxime plus qu’une règle.
Plutôt qu’une définition, nous proposons donc un critère de reconnaissance : est
de bonne foi la personne ou le comportement que, à propos d’une opération
donnée et dans des circonstances semblables, des contractants honnêtes tiendraient
raisonnablement pour tel. La moralisation des rapports contractuels s’opérant par
référence à un critère objectif (un jugement collectif), l’insécurité est réduite. Quant
au domaine, on aura compris que nous l’entendons dans toute son extension : de
la conception 159 à l’extinction du lien contractuel (voire au delà 160).
Enfin, il va de soi que le devoir de bonne foi est soustrait à la liberté contractuelle.
Il n’est cependant pas inutile de le rappeler 161.
V. art. 1.203.
Le devoir de collaboration
45. – Quel que soit le rayonnement de la bonne foi, ses exigences n’imposent
pas nécessairement un devoir de collaboration des parties pour que le contrat
reçoive sa pleine efficacité. Nous proposons donc de consacrer explicitement ce
devoir 162.
Assurément ce devoir a des limites : on ne saurait, au nom d’un solidarisme
débridé, exiger d’un contractant qu’il sacrifie ses intérêts légitimes au bénéfice de
son cocontractant. Ces limites sont marquées par une référence au principe de
confiance légitime 163, par l’emploi de l’adverbe « raisonnablement ».
V. art. 1.204.
LA FORMATION DU CONTRAT
46. – Reprenant le fil interrompu de l’examen de l’avant-projet, nous en arrivons
à une section consacrée à la formation du contrat (Avant-projet, art. 1104 à 1107).
Elle est divisée curieusement en quatre paragraphes : (1) Négociation ; (2) Offre et
acceptation ; (3) Contrats préparatoires ; (4) Date et lieu de formation. Il semble
que (4) est indissociable de (2), comme en témoigne sa terminologie. Et (1) et (3)
ont en commun de régir la formation du contrat par étapes mais concernant pour
partie des contrats, ils devraient venir après (2).
158. UCC, s. 1-201 (19). Rappr. BGB, § 242 : compte tenu des usages admis en affaire. Adde
pour la définition dans le cas d’un commerçant : honnêteté de fait et observation des normes
(standards) commerciales raisonnables de loyauté (fair dealing) professionnelle, UCC, s. 2-103 (1) (b).
159. En quoi nous retrouvons la première pensée des rédacteurs du Code civil. Le texte initial
de l’article 1134 portait en effet : « Les conventions doivent être contractées et exécutées de bonne
foi » (Fenet, t. 13, p. 8) ; le terme « contractées » a été supprimé au motif que « les dispositions
antérieures » (à savoir les articles 1108 et suivants) le rendaient inutile (Fenet, t. 13, p. 54). L’expérience
a montré qu’il n’en était rien. D’où la nécessité d’une disposition générale, et qui figure en tête de
la réglementation des contrats.
160. Sur les obligations survivant à la disparition du contrat, v. M. Fabre-Magnan, Les obligations,
op. cit., nos 191 et 192.
161. (Sic), PU, art. 1.7 (2) et PDEC, art. 1 :201 (2).
162. Ou devoir de coopération, v. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations,
op. cit., nos 43 et 441. V. PDEC, art. 1 :202 et PU, art. 5.1.3.
163. V. art. 0.102 et ci-dessus, no 29.
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Réservant la question de la place de cette matière dans le plan de l’ouvrage,
nous examinerons en premier lieu l’offre et l’acceptation.
OFFRE ET ACCEPTATION
Idées générales
47. – En peu de mots, il importe (1) de présenter de la formation du contrat
une vision réaliste et non métaphysique, la conception du contrat étant non pas
synthétique (rencontre ou fusion des volontés) mais analytique (offre + acceptation 164) et (2) de régler les problèmes par la considération des intérêts en présence,
en prenant en compte les directives de responsabilité, sécurité et confiance légitime.
Sur le schéma offre/acceptation
48. – L’article 1105 de l’avant-projet (« La formation du contrat requiert la
rencontre de plusieurs volontés fermes et précises de s’engager ») pourrait s’interpréter en divers sens. Mais, placé immédiatement sous l’intitulé « De l’offre et de
l’acceptation », il paraît indiquer que les volontés doivent nécessairement se couler
dans le moule offre/acceptation.
Mais, il suffit de songer au contrat de mariage (C. civ., art. 1394, al. 1er : « avec
le consentement simultané [...] de toutes les personnes qui y sont partie ») ou à
la vente d’immeuble, dans laquelle les parties apposent leur signature sur un acte
dressé par le notaire, pour s’aviser qu’il est des contrats usuels dont le processus
de formation ne se laisse pas analyser en une séquence d’offre et d’acceptation.
Il en est de même des accords commerciaux négociés par les conseils des parties,
lesquelles adoptent le projet concerté 165.
Il convient donc de préciser que le schéma offre/acceptation ne représente que
le plerumque fit [relire formulation]et que les règles qui le régissent ne s’appliquent
aux autres cas de figure qu’autant que cela est possible et raisonnable 166.
V. art. 3.105.
I. – QUALIFICATIONS
Art. 1105-1 (avant-projet). L’offre est un acte unilatéral (...).
Art. 1105-5, al. 1er (avant-projet). L’acceptation est un acte unilatéral (...).
49. – Dans l’avant-projet, l’offre (art. 1105-1) et l’acceptation (art. 1105-5) sont
qualifiées « acte unilatéral ».
Mais, l’acte juridique unilatéral ayant été présenté comme une catégorie dont
les spécimens ne sont admis qu’avec réticence (« (...) dans les cas admis par la
164. Sous réserve de ce qui sera dit ci-après no 48.
165. V en général, R. B. Schlesinger, Formation of Contracts, Oceana Publishers, New York,
1968, C-I : « Manifestation of assent without identifiable sequence of offer and acceptance », I. 175176 et II. 1581-1620 et le rapport français de P. Bonassies, 1597-1601.
166. V. en ce sens, PDEC, art. 2 :211 ; Contract Code s. 12 et 13. Adde Restatement, 2d, Contracts,
§ 22.
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loi ou par l’usage » 167), cette qualification d’exception convient mal à des réalités
aussi routinières.
D’autre part, il semble peu cohérent de déclarer l’offre caduque du fait du
décès et de l’incapacité de l’offrant (Avant-projet, art. 1105-3), alors que la jurisprudence est loin d’être fixée en ce sens 168, et que la qualification d’acte juridique –
si on lui attachait des conséquences – devrait conduire à se prononcer en faveur
de la permanence de l’offre 169.
Enfin, on peut penser que le régime de l’offre et de l’acceptation devrait se
déterminer non pas par déductions à partir d’une qualification dogmatique, mais
en considération des intérêts pratiques en présence 170. Ainsi, c’est selon une saine
méthode qu’un auteur, dans les hypothèses où il qualifie l’offre de fait, propose
néanmoins, pour déjouer la fraude, de lui appliquer les règles de preuve des actes
juridiques 171.
En conséquence, il convient de laisser à la doctrine, sans croire la brider, le
soin de définir si l’offre et l’acceptation sont des éléments de l’acte juridique qu’est
le contrat 172, des avant-actes 173, ou des actes juridiques à part entière et de se
borner à fixer les conditions auxquelles se reconnaît l’existence d’une offre et d’une
acceptation sans se prononcer sur la nature juridique de celles-ci.
II. – LACUNES
Généralités
50. – Dans leur traitement de la formation du contrat, les rédacteurs se sont
imposé la concision, pour préserver la liberté des futurs contractants 174. Mais le
motif, qui peut valoir pour les contrats préliminaires, manque s’agissant de l’offre
et de l’acceptation, et des questions très pratiques, dont l’issue ne dépend pas de
la volonté des parties et sur lesquelles les manuels ou traités restent dans l’indécision
faute d’une jurisprudence ferme, sont laissées sans solution. Une est fondamentale,
les autres de moindre portée.
La volonté de contracter
51. – Le projet se réfère à la volonté des parties (Avant-projet, art. 1105, 1105-1
et 1105-8 ; adde art. 1109-1), sans indiquer comment se détermine cette volonté.
167. Avant-projet, art. 1101-1, al. 3.
168. V. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, op. cit., no 471, p. 233234, notes 40-44.
169. V. en ce sens, R. Demogue, Traité des obligations, II, no 553 ter, p. 164.
170. V. en ce sens, R. Sacco (e De Nova), Il contratto, op. cit., II, 326-327.
171. V. J.-L. Aubert, Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat,
LGDJ, 1970, no 254, p. 229-230.
172. V. J.-L. Aubert, Notions et rôles de l’offre et de l’acceptation dans la formation du contrat,
op. cit., no 205, p. 189-190 (dans l’hypothèse indiquée) ; c’est l’analyse de la doctrine allemande,
v. W. Flume, Allgemeiner Teil des burgerlichen Rechts, II, Das Rechtsgeschäft, op. cit., § 35, I, 1,
p. 635, pour l’offre et § 35, II, 1, p. 649, pour l’acceptation (« Die Annhameerklärung [...] ist kein
einseitiges Recbtsgeschäft, sondern ein Teil des Rechtsgeschäfts des Vertrages »).
173. Pour la majorité de la doctrine italienne, l’offre (non irrévocable) est un « atto » ou une
« dichiarazione prenegoziale », v. R. Sacco (e De Nova), Il contratto, op. cit., p. 325-326.
174. Exposé des motifs, p. 17.
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Le principe de la prééminence de la volonté interne, qui reposait plus sur des
croyances a priori que sur des analyses argumentées, est aujourd’hui tempéré.
D’une part, en fait, les tribunaux reconnaissent parfois l’existence d’une offre non en
scrutant les intentions profondes de l’offrant mais en retenant l’intention apparente à
laquelle le destinataire était fondé à s’en tenir 175, ou même jugent, in abstracto,
que les acceptants potentiels sont fondés à considérer comme offre tel type de
comportement 176. Et, en doctrine, on tend à accorder du poids aux besoins de
sécurité des relations juridiques et de protection de la confiance suscitée chez
autrui 177.
Il est donc proposé, sur ces fondements, de simplifier les solutions de la Convention de Vienne 178 et de limiter la prise en considération de la volonté interne aux
cas où l’autre partie pouvait ou devait en avoir connaissance et, dans les autres
cas, de retenir le sens qu’un contractant pouvait raisonnablement donner aux
déclarations ou au comportement de l’autre, compte tenu des circonstances 179.
V. art. 3.102.
Régime des conditions générales
52. – L’avant-projet est indifférent aux conditions générales des contrats 180.
(1) Un premier problème concerne leur efficacité. Une règle généralement
admise 181 conditionne celle-ci à la connaissance que le cocontractant en avait ou
aurait dû en avoir. La solution est imposée par la conception du contrat comme
accord.
V. art. 3.104.
175. Cass. com., 9 févr. 1981, Bull. civ. IV, no 74, p. 58, D. 1982, p. 4, note Schmidt.
176. Cass. civ. 1re, 2 déc. 1969, Bull. civ. I, no 381, p. 303, D. 1970, p. 104, note G. C. M. (stationnement d’un taxi dans un emplacement réservé, gaine du compteur non mise et chauffeur au volant) ;
T. com. Seine, 5 janv. 1869, DP 1869, II, p. 14 et 28 mai 1921, DP 1923, II, p. 152 (marchandise
exposée avec son prix).
177. V. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 93, p. 109 ;
P. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Les obligations, op. cit., no 759, p. 358.
178. Conv. Vienne, art. 8.
179. Comp. l’abandon par la Common Law de la théorie subjective du « meeting of the minds »
et la consécration d’une conception objective de l’« assent », v. E. A. Farnsworth, Contracts, op. cit.,
§ 3.6, et le juge Learned Hand in Hotchkiss v. National City Bank of New York (SDNY 1911), 200 F.
287, 193 (cité dans tous les treatises, textbooks et casebooks) : « Un contrat n’a, à proprement parler,
rien à voir avec l’intention personnelle ou individuelle des parties. Un contrat est une obligation que
le droit par sa seule force attache à certains actes des parties, d’ordinaire des mots, qui normalement
accompagnent et représentent une intention connue. Si cependant il était prouvé par vingt évêques
que l’une des parties, lorsqu’elle a employé les mots, avait en idée quelque chose d’autre que le
sens usuel que le droit leur assigne, elle n’en serait pas moins tenue, à moins qu’il n’y ait eu quelque
erreur mutuelle ou une autre circonstance de ce genre. Assurément, s’il ressort d’autres mots, ou
actes, des parties, qu’elles donnent une signification particulière aux mots qu’elles emploient dans
le contrat, c’est cette signification qui doit prévaloir, mais seulement en raison de ces autres mots,
et non de leur intention inexprimée ». Pour la croyance légitime en l’intention apparente, V.
Blackburn J. in Smith v. Hughes (1871), LR 6 QB 597, 607 : « Si, quelle que puisse être l’intention
véritable d’une personne, elle se conduit de telle sorte qu’un homme raisonnable croirait qu’elle
acquiesçait aux conditions proposées par l’autre partie, et si celle-ci dans cette croyance conclut le
contrat avec elle, la personne qui s’est ainsi conduite serait liée tout comme si elle avait entendu
acquiescer aux conditions de l’autre partie ». Adde BW, art. 3 :35 ; PDEC, art. 2 :102.
180. Alors que l’article 1102-5 définit le contrat d’adhésion ; v. supra, no 36.
181. V. C. civ. italien, art. 1341, al. 1er ; C. civ. luxembourgeois, art. 1135-1 ; BW, art. 6.233 (b) ;
PDEC, art.2 :104 ; CEC, art. 33.
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(2) Est également ignoré de l’avant-projet le problème de l’incompatibilité entre
les conditions générales de l’offrant et celles de l’acceptant. Sans doute, la « bataille
des conditions générales » ne fait pas rage dans la doctrine française 182. La question
se pose néanmoins en droit positif et il est utile d’en proposer une solution : celle
de la neutralisation des clauses contraires, généralement adoptée par la jurisprudence 183, semble la plus conforme aux principes, aucune partie ne voulant accepter
les clauses de l’autre.
V. art. 3.211.
Forme de l’acceptation imposée
53. – La formule de l’article 1105-5 du projet (« (...) acte par lequel son auteur
exprime la volonté d’être lié dans les termes de l’offre ») est assez compréhensive
pour viser les exigences tant formelles que substantielles de l’offre. Il paraît néanmoins utile d’expliciter le principe selon lequel l’offrant, étant maître de l’offre,
peut prescrire une forme particulière d’acceptation 184, et de réserver également
l’hypothèse de la forme d’acceptation imposée par les pratiques établies entre les
parties.
V. art. 3.206.
Délais de réflexion et de repentir
Art. 1101-2. Dans certaines conventions déterminées par la loi, le consentement
ne devient définitif et irrévocable qu’à l’expiration d’un délai de réflexion ou de
repentir (...).
54. – L’avant-projet touche à ces délais dans le chapitre sur le consentement
(Avant-projet, art. 1110-2). Il nous semble que leur incidence variable (avec une
terminologie qu’il convient de préciser) sur la formation du contrat relève plutôt
des dispositions consacrées à l’acceptation.
V. art. 3.205 et 3. 209, al. 2.
II. – OPPORTUNITÉ
L’étendue de l’accord
Art. 1105-1. L’offre est un acte unilatéral déterminant les éléments essentiels
du contrat (...).
Art. 1109-1. Il n’y a point de consentement lorsque les volontés ne se sont pas
rencontrées sur les éléments essentiels du contrat.
182. V. cependant, R. Will, « Conflit entre conditions générales de vente », in Les ventes internationales de marchandises, Économica, 1981, 99-109 ; F. Limbach, Le consentement contractuel à
l’épreuve des conditions générales, LGDJ, 2004. Adde F. Labarthe, La notion de document contractuel,
LGDJ, 1994, nos 37 et s.
183. Règle du knock out, v. les auteurs cités à la note précédente. C’est aussi la solution des
articles 2.1.22 PU et 2 : 209 PDEC. Les articles 18 et 19 de la CVIM adoptent une solution contraire
(théorie du « dernier tir », « last shot ») qui se fonde sur une chronologie qui peut dépendre de
facteurs contingents.
184. (Sic), Restatement, 2d, Contracts, § 30 (1), Contract Code s. 24.
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55. – En imposant que l’offre fixe les éléments essentiels du contrat envisagé
(Avant-projet, art. 1105-1 185) et que les volontés se rencontrent sur ces mêmes
éléments (Avant-projet, art. 1109-1), l’avant-projet admet implicitement, mais semble-t-il nécessairement, que le contrat soit conclu par un accord portant sur ces
seuls éléments essentiels.
C’est encore trop demander : la pratique, dans un souci d’efficience, se satisfait
que les éléments essentiels soient déterminables 186, et en particulier puissent être
déterminés en application des textes légaux. D’autre part, lorsqu’un contrat est
conclu mais que des points secondaires ont été réservés, il est opportun de décider,
dans le même souci, qu’on les comble en tenant compte de la nature et du but
de l’opération 187.
En revanche, il convient, pour préserver la liberté, d’admettre et de préciser
qu’une partie est maîtresse de considérer comme essentiel un élément normalement
secondaire et d’empêcher ainsi la formation du contrat 188.
V. art. 3.101.
Prise d’effet de l’offre, rétractation et révocation
Art. 1105-2. L’offre peut être librement révoquée tant qu’elle n’est pas parvenue
à la connaissance de son destinataire ou si elle n’a pas été valablement acceptée
dans un délai raisonnable.
56. – L’avant-projet prend en compte le moment auquel l’offre parvient à la
connaissance de son destinataire à propos de sa « révocation » (art. 1105-2).
Il est proposé de nuancer, voire de modifier, les solutions (et la terminologie),
à l’imitation de la Convention de Vienne 189, par l’introduction de la notion de
« prise d’effet de l’offre » et de la distinction entre rétractation et révocation.
L’offre ne prend effet que lorsqu’elle parvient 190 à son destinataire. « À son
destinataire » et non à la connaissance de ce dernier 191, ce qui poserait des problèmes de preuve délicats 192. L’application de la théorie de la réception se justifie,
185. Dans la section « Du consentement » et dans une sous-section consacrée à l’existence du
consentement, le terme de « consentement » étant équivoque, puisque l’article 1109-1 traite du
consentement, cum sentire, au sens d’accord (et devrait donc figurer parmi les règles relatives à la
formation du contrat), alors que les autres articles traitent du consentement – volonté – individuel.
186. V. CVIM, art. 14 (1) ; Restatement 2d Contracts, § 33 ; BW, art. 6 :227 : « Les obligations
auxquelles s’engagent les parties doivent être déterminables » ;– PU, art. 2.1.2 : « suffisamment précise » et le comm. 1, p. 36 ; PDEC, art. 2 :201 : « renferme des conditions suffisamment précises »,
adde art. 2 :103 ; CEC, art. 14 (1) : « (...) contient toutes les conditions du contrat à stipuler ou des
indications suffisantes quant à la possibilité d’en déterminer le contenu » ; Contract Code s. 41 :
« (...) a reasonably certain basis (...) upon which the court can resolve the uncertainties and supply
the omissions ».
187. V. CO, art. 2, al. 2.
188. Comp. Cass. civ. 1re, 14 janv. 1987, D. 1988, p. 80, note Schmidt ; et v. F. Terré, P. Simler
et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 188, p. 190-191.
189. Conv. Vienne, art. 15 (1) ; adde PU, art. 2.1.3 (1) ; PDEC, art. 1 :303 (2) et (6) ; CEC, art. 14 ;
Contract Code s. 18.
190. Sur ce qu’il faut entendre par là, v. art. 3.103.
191. De façon peu cohérente, le projet décide que le contrat se forme (« devient parfait » dans
sa terminologie) « par la réception de l’acceptation » (art. 1107) : le système de l’information est
alors abandonné, contrairement à l’intention des rédacteurs (Exposé des motifs, p. 18).
192. Problèmes de la charge et de l’objet de la preuve. L’article 1335 du Code civil italien
édicte une présomption de connaissance du fait de la réception.
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car il est normal que ce soit l’auteur de la déclaration qui assume le risque de
perte ou de retard 193. Mais en contrepartie, jusqu’au moment de la réception,
aucune situation juridique n’est créée, nul ne peut se prévaloir de l’offre et elle
est donc librement rétractable, même si elle est irrévocable. Lorsqu’elle parvient
à son destinataire, elle produit son effet qui est de conférer audit destinataire le
pouvoir de former le contrat par son acceptation, et la question est de savoir si
elle peut être alors révoquée.
L’avant-projet permet la révocation de l’offre, sauf si celle-ci est irrévocable
(Avant-projet, art. 1105-4), « si elle n’a pas été valablement acceptée dans un délai
raisonnable » (art. 1105-2). Il n’est pas clair si « valablement accepté » signifie la
réception (art. 1107) ou l’émission de l’acceptation, lorsque celle-ci a lieu par écrit.
Afin de ne pas prolonger la période d’incertitude, la seconde solution paraît devoir
être préférée et explicitée. Mais le « délai raisonnable » concerne à titre principal
l’acceptation et seulement par ricochet la révocation de l’offre et n’a donc pas à
être évoqué à propos de celle-ci. Quant à l’exception, il est proposé, en application
du principe de protection des attentes légitimes 194, de lui en adjoindre une seconde
en cas de croyance légitime du destinataire en l’irrévocabilité de l’offre 195.
V. art. 3.202.
Le contenu de l’offre
Art. 1105-1 (avant-projet). L’offre est un acte unilatéral déterminant les éléments
essentiels du contrat (...).
57. – Selon l’article 1105-1 de l’avant-projet, l’offre doit déterminer les éléments
essentiels de l’opération projetée.
Cette exigence est excessive. Mais en réalité, elle concerne l’accord plus que
ses éléments, et, par référence au contenu de l’accord (préalablement défini 196),
c’est assez de dire que l’offre doit être « suffisamment précise ».
V. art. 3.201 et 3.101.
L’irrévocabilité de l’offre
Art. 1105-4 (avant-projet). Cependant, lorsque l’offre adressée à une personne
déterminée comporte l’engagement de la maintenir pendant un délai précis, ni sa
révocation prématurée ni l’incapacité de l’offrant et son décès ne peut empêcher
la formation du contrat.
58. – Aux termes de l’article 1105-4 de l’avant-projet, l’offre est irrévocable
lorsqu’elle est adressée à une personne déterminée et comporte l’engagement de
la maintenir pendant un délai précis. Ces deux conditions, cumulatives, sont trop
restrictives.
193. Notons, pour ne pas y revenir, que l’explication vaut aussi pour l’acceptation et qu’il faut
donc, rejetant ce qui paraît être la solution retenue par la Cour de cassation, suivre celle de l’avantprojet indiquée ci-dessus, v. art. 3.210 (et 3. 208).
194. C’est une application particulière du principe de confiance légitime, supra, no 24 et
art. 0.102.
195. En ce sens : CVIM, art. 16 (2) (a) ; PU, art. 2.1.4 (2) (b) ; PDEC, art. 2 :202 (3) (c).
196. V. ci-dessus, no 55 et art. 3.101.
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D’une part, en effet, l’offre peut être adressée à une personne indéterminée
(art. Avant-projet, art. 1105-1). Cette solution 197 mérite d’être approuvée dès lors
que toutes les conditions d’existence d’une offre sont par ailleurs réunies 198. Mais
on n’aperçoit guère alors de raison de faire dépendre la question de l’irrévocabilité
du point de savoir si le destinataire est déterminé ou non.
D’autre part, il ne paraît nécessaire de faire dépendre l’irrévocabilité d’une
déclaration expresse : la fixation d’un délai déterminé pour l’acceptation est équipollente 199, de même que toute autre indication, expresse ou implicite. Et le souci
de protection des attentes légitimes du destinataire conduit à décider que lorsqu’il
était fondé à croire l’offre irrévocable et a agi sur la foi de l’offre, celle-ci est
également irrévocable 200.
En revanche, il semble excessif d’assimiler offre et promesse de contrat en les
dotant toutes deux de la même force. Il est donc proposé de permettre la révocation
pour justes motifs 201.
V. art. 3.203.
La caducité de l’offre
Art. 1105-3 (avant-projet). L’offre devient caduque à défaut d’acceptation dans
le délai fixé par son auteur, ainsi qu’en cas d’incapacité ou de décès de celui-ci
survenu avant toute acceptation. Elle tombe également lorsque son destinataire la
refuse.
59. – (1) Le défaut d’acceptation
D’après l’article 1105-3 de l’avant-projet, l’offre devient caduque en cas de
décès ou d’incapacité de son auteur ; il en va différemment lorsque l’offre déclare
qu’elle est irrévocable (Avant-projet, art. 1105-4).
Ce distinguo 202 n’est aucunement justifié. Si en effet on admettait que l’offre
est une volonté qui doit perdurer, la caducité s’imposerait dans tous les cas 203.
Dans une conception différente et plus réaliste, une autre distinction s’impose 204.
L’offre est caduque si le décès ou l’incapacité surviennent avant qu’elle ait pris
effet. Mais dès lors qu’elle parvient à son destinataire et produit ainsi effet, elle
échappe au vouloir de son auteur et aux vicissitudes de sa personnalité 205.
V. art. 3.202, al. 2.
197. L’article 14 (2) de la CVIM pose la présomption contraire.
198. En ce sens, implicitement, PU, art. 2.1.2 (et le comm. 2) ; explicitement, Restatement
2d Contracts, § 29 ; PDEC, art. 2 :201 (2) ; Contract Code s. 19 (1). L’article 1336 (1) du Code civil
italien pose une présomption en ce sens. De la combinaison des articles 12 (2) et 13 (2) CEC ne
résulte aucune règle claire.
199. En ce sens, C. civ. italien, art. 1329 (1) ; BW, art. 6 :219 (1) ; PU, art. 2.1.4 (2) (a) ; PDEC,
art. 2 :202 (3) (b). Comp. CVIM, art. 16 (2) (a).
200. En ce sens, CVIM, art. 16 (2) (b) ; PU, art. 2.1.4 (2) (b) ; PDEC, art. 2 :202 (3) (c). Rappr.
C. civ. italien, art. 1328 (1) : si l’acceptant a entrepris de bonne foi l’exécution du contrat avant
d’avoir connaissance de la révocation, l’offrant doit l’indemniser des dépenses et des pertes subies.
201. Suivant la suggestion de Ph. Stoffel-munck, RDC 2006-1, 46-47. La notion de « justes
motifs » est suffisamment connue du droit civil (C. civ., art. 344, al. 2, 477, al. 2, 1844-7, 5o, 1851,
al 1er, 1869, al. 1er, 1873-3, al. 1er) pour que son emploi ne constitue pas un facteur d’insécurité.
202. Pratiqué par le Code civil italien, art. 1329, al. 2.
203. En ce sens, CCQ, art. 1392 (2).
204. V. ci-dessus, no 55.
205. En ce sens, BW, art. 6 :222 ; C. civ. portugais, art. 223 (1) et 231 (1) (réserve de la volonté
contraire, ce qui paraît peu pratique) ; CEC, art. 18 ; comp. Contract Code s. 21 (4). Contra Restatement
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(2) Le rejet de l’offre
Selon l’avant-projet, l’offre « tombe » lorsque son destinataire la refuse. Il résulte
de la séquence des phrases et de l’emploi de l’adverbe « également » que le verbe
« tomber » est l’expression familière de l’idée de caducité. La règle mérite d’être
conservée, mais avec une terminologie différente et dans un article distinct. En
effet il ne paraît pas que la qualification de « caducité » concorde avec la définition
que l’article 1131 de l’avant-projet (qui d’ailleurs ne vise que la convention) donne
de cette institution : « la disparition de l’un de ses éléments constitutifs ou la
défaillance d’un élément extrinsèque auquel était subordonnée son efficacité ».
Plutôt que de disserter sur la notion de « caducité », il paraît donc préférable de
considérer que le destinataire de l’offre abdique le pouvoir de former le contrat
par son acceptation que lui avait conféré l’offrant et de dire sans habillage technique
qu’en conséquence l’offre cesse de produire effet ou qu’elle prend fin. D’autre
part, il est bon de préciser que la règle s’applique même si l’offre est irrévocable 206,
et que, conformément au principe antérieurement posé 207, l’offre cesse de produire
effet au moment où son rejet parvient à l’offrant.
V. art. 3.204.
La tardiveté de l’acceptation
Art. 1105-3 (avant-projet) (v. ci-dessus).
60. – Selon l’article 1105-3 du projet : « L’offre devient caduque à défaut
d’acceptation dans le délai fixé par son auteur (...) ».
Cette règle, d’une part, est incomplète : au délai fixé par l’auteur, il convient
d’assimiler un délai raisonnable, faute de quoi les offres sans délai pourraient être
acceptées sans limite de temps, ce qui serait source d’insécurité. D’autre part, elle
est trop abrupte et les desiderata de la pratique conduisent à faire produire effet
à l’assentiment que l’offrant donne à une acceptation tardive et communique sans
retard à l’acceptant 208. L’intérêt de ce tempérament est que le contrat est formé
au moment auquel une acceptation produit normalement effet (et non à celui
auquel l’assentiment parvient à l’acceptant).
V. art. 3.208.
Les effets d’une acceptation non conforme
Art. 1105-5, al. 2 (avant-projet). Une acceptation non conforme à l’offre est
dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle.
61. – Selon l’article 1105-5, alinéa 2, de l’avant-projet, une acceptation non
conforme à l’offre n’a pas d’autre effet que de renverser les rôles et constituer une
offre nouvelle.
2d Contracts, § 48, mais la règle est critiquée dans le comment a comme étant un vestige de la
conception obsolète selon laquelle le contrat exige un « meeting of the minds ».
206. V. CVIM, art. 17 CVIM ; adde BGB, § 146 ; CCQ, art. 1392, al. 1er, in fine ; PU, art. 2.1.5 ;
PDEC, art. 2 :203 ; CEC, art. 15 (2).
207. No 56 et art. 3.202 ; adde art. 3.208 et 3.101.
208. En ce sens, v. CVIM, art. 21 (1) ; C. civ. italien, art. 1326 (3) ; C. civ. portugais, art. 229 ;
BW, art. 6 :223 (1) ; PU, art. 2.1.9 (1) ; PDEC, art. 2 :207 (1) ; CEC, art. 16 (5) ; Contract Code s.
25 (1).
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C’est là une solution rude 209 qui ne vaut que si la divergence entre l’offre et
l’acceptation traduit un réel dissentiment 210. Sinon, si l’acceptation n’altère pas
substantiellement les termes de l’offre, le contrat, dans les droits modernes 211, est
conclu dans les termes de l’acceptation, sauf protestation de l’offrant.
V. art. 3.207.
62. – L’avant-projet comporte, faisant suite aux « Dispositions générales » et à
l’imitation du Code civil, un chapitre consacré aux conditions essentielles pour la
validité des conventions. Toujours à l’imitation du Code civil (art. 1108), l’avantprojet énumère ces conditions (en bilatéralisant l’exigence du consentement), conditions auxquelles il ajoute le pouvoir du représentant dans le cas de représentation.
Et un dernier alinéa renvoie aux dispositions relatives à la forme, sans les présenter
expressément comme une condition de validité. Mais il en est traité dans une
section du chapitre, alors qu’en revanche le pouvoir de représentation est exposé
(pour reprendre un terme de l’article 1108 de l’avant-projet) avec la capacité.
Une énumération des conditions de validité du contrat ne paraît pas souhaitable.
On ne peut être sûr d’être exhaustif. Quid des autorisations administratives (dans
les cas où elles sont requises) ? Il est plus avisé de supprimer l’article.
D’autre part, sur le plan adopté par l’avant-projet, il nous semble que la capacité
désignant l’aptitude à émettre un consentement valable peut être traitée dans le
chapitre relatif au consentement (lequel devrait évidemment figurer avant les dispositions sur la formation du contrat) ; il en est de même des questions de forme qui
concernent l’expression du consentement (laquelle doit être traitée plus amplement)
et de la représentation (détachée de la capacité).
Enfin, quant à l’importance du traitement des questions, il nous semble que
les articles 1123 à 1125 du Code civil suffisent à régir la capacité des parties
contractantes (l’article 1125-1 rejoignant les autres textes issus de la loi no 68-5
du 3 janvier 1968, après l’article 490-3) : un code des obligations n’a pas vocation
à être le réceptacle des solutions négligées – théorie des actes juridiques 212, incapacité, mobiles dans les libéralités 213.
63. – Il paraît évident que le consentement (avec l’ampleur que nous lui accordons) doit être envisagé avant la formation du contrat. Nous n’en traiterons cependant pas, passant à l’examen des chapitres sur l’objet et la cause.
OBJET
I. – UNE CONSÉCRATION DE L’« OBJET » ?
Art. 1108. Quatre conditions sont essentielles pour la validité d’une convention : (...)
un objet qui forme la matière de l’engagement (...).
209. Qui peut se prévaloir de l’autorité du § 205 (2) du BGB.
210. En ce sens, F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 121,
p. 131 ; v. CVIM, art. 19 (1 et 3).
211. V. CVIM, art. 19 (2) ; C. civ. italien, art. 1326 (1) ; C. civ. portugais, art. 213 ; BW,
art. 226 (1) ; UCC s. 2-207 (2) ; PU, art. 2.1.11 ; PDEC, art. 2.208 ; CEC, art. 16 (7) ; Contract Code s.
26 (b).
212. Avant-projet, art. 1101-1 ; v. ci-dessus, nos 13 et s.
213. Avant-projet, art. 1125-4 ; v. ci-dessous, nos 80-83.
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64. – L’avant-projet consacre une section (art. 1121 à 1122-3), soit onze articles,
à l’objet. Celui-ci est présenté par l’article 1108 de l’avant-projet (venu du même
article du Code civil, à ceci près que l’adjectif « certain » a disparu) comme une
condition générale de validité des contrats, tel le consentement. On est donc tenté
de le considérer comme une nécessité logique (l’objet opposé aux sujets), une
exigence structurelle, et sa notion comme recouvrant de façon unitaire et synthétique
un ensemble d’hypothèses où l’invalidité du contrat dépendrait d’un élément objectif, distinct du consentement des parties.
Or, on constate que dans l’avant projet – comme dans le droit actuel – on
envisage confusément sous l’étiquette « objet » des problèmes disparates dont les
rationes legis sont différentes 214.
Problèmes disparates. On parle tantôt de l’objet du contrat 215, tantôt de l’objet
de l’obligation 216, tantôt de l’objet qui forme la matière de l’engagement 217. Parfois
dans le même article. L’article 1121 de l’avant-projet, à vocation définitoire (« Le
contrat a pour objet une chose dont une partie s’engage à céder la propriété ou
à concéder l’usage ou qu’elle s’oblige à faire ou à ne pas faire »), comme l’actuel,
joue sur le sens du mot « chose » et lui fait désigner successivement un bien matériel
(s’engager à céder la propriété d’une chose) ou une prestation (s’engager à faire
une chose). Mais les deux « choses » ne coïncident que si la prestation porte ellemême sur un bien (et non sur un service). De plus, lorsqu’elle porte sur un bien,
un problème particulier se pose du fait que le contrat (dans l’avant-projet comme
dans le droit actuel) emporte transfert de propriété 218 et il est de savoir si l’aptitude
d’un bien à former l’objet d’une prestation est la même que son aptitude à former
l’objet d’un acte de transfert. Il est clair que la réponse est négative et que si l’on
ne peut transférer la propriété d’un bien qui n’existe pas, on peut parfaitement
s’obliger à transférer la propriété d’un tel bien, en faisant en sorte qu’il existe 219
ou en garantissant son existence ou sa possibilité et en répondant de l’inexécution
de l’engagement. L’article 1121-2 de l’avant-projet, qui exige que la chose soit
possible et existe au moment de la formation du contrat (exception faite des choses
futures), repose donc sur la même confusion que l’article 1599 du Code civil qui
déclare nulle la vente de la chose d’autrui 220.
214. Nous suivons de très (trop ?) près G. Gorla, « La théorie de l’objet du contrat dans la Civil
Law », Al Qanoun wal Iqtisad 1953. 105-128 ; « La teoria dell’oggetto del contratto nel diritto
continentale (Civil Law) », Ius 1953. 299 ; « Object of Contract Theory », 28 Tul. L. Rev. (1951) 442 ;
et in R. B. Schlesinger, Formation of Contracts, op. cit., 528-530.
215. Avant-projet, art. 1121 ; rappr. objet de la convention, art. 1121-1.
216. Avant-projet, art. 1121-2, al. 3 ; art. 1121-3.
217. Avant-projet, art. 1108, al. 4 et 1121-2, al. 1er.
218. Avant-projet, art. 1152 et s.
219. Comp. CCQ, art. 1714, qui, ayant dans son alinéa 1er posé une règle voisine de celle du
droit français en décidant que la vente d’un bien par celui qui n’en est pas propriétaire peut être
frappée de nullité, la corrige dans son alinéa 2 : « Elle ne peut l’être si le vendeur devient propriétaire
du bien ».
220. On sait qu’en revanche la distinction est faite en ce qui concerne le bail : le bail de la
chose d’autrui est valable dans les rapports entre le bailleur et le preneur : Cass. civ., 17 mai 1927,
DP 1928, I, 25, concl. Matter, note Capitant.
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Débats
D’autre part, on vient d’assimiler chose et bien matériel. Mais les « choses
futures » dont traite l’article 1121-2, alinéa 3, de l’avant-projet peuvent aussi s’entendre des droits. Et la généralité du texte est alors en défaut, car la cession globale
des œuvres littéraires et artistiques futures (droits futurs) est prohibée 221, comme
le sont en principe 222 les pactes sur succession non encore ouverte (« choses »
existantes, mais sur lesquelles on n’a pas de droit), pour des raisons différentes.
(La circonstance que l’avant-projet ne traite pas de ces problèmes ne supprime pas
leur existence.)
Enfin, en ajoutant à la section un article (Avant-projet, art. 1122-1) sur le défaut
d’équivalence initial et un (Avant-projet, art. 1122-2) sur les clauses qui créent un
déséquilibre significatif, l’avant-projet finit d’enlever à la notion d’« objet » tout
contenu précis.
Rationes legis différentes. Des motifs d’ordre public (au sens classique) imposent
la licéité de la matière de l’engagement (Avant-projet, art. 1121-2, al. 1er), ou
interdisent que les choses qui ne sont pas dans le commerce puissent être l’objet des
conventions (Avant-projet, art. 1121-1) 223. Mais c’est un ordre public de protection
sociale qui défend les auteurs ou les victimes de contrats déséquilibrés (Avantprojet, art. 1122-2), et ce sont des considérations d’intérêt privé qui commandent les
solutions relatives à l’existence et à la possibilité de l’objet (Avant-projet, art. 1121-2,
al. 2).
Il apparaît ainsi que la notion d’« objet », d’une part, ne permet pas, d’un point
de vue scientifique ou pédagogique, un regroupement systématique de questions
ou de solutions rendant la matière plus cohérente 224, et, d’autre part, ne représente
pas d’un point de vue normatif un principe général fondant les solutions acquises
(et permettant de résoudre des problèmes nouveaux). Elle n’a donc aucun titre à
être conservée dans la terminologie et le plan d’un Code rénové 225.
On propose, à l’instar des projets récents 226, de remplacer la rubrique « objet »
par une rubrique « contenu », qui permet un regroupement de questions pratiques
221. C. propr. intell., art. L. 131-1.
222. C. civ., art. 722 et 1130, al. 2. Le premier de ces articles n’est pas affecté par la loi no 2006728 du 23 juin 2006. Mais les dérogations à la règle sont nombreuses : art. 301, 918, 929 et s.,
930, 1082, 1093, 1094, 1390, 1870-1. Le fait que l’avant-projet ne traite plus des pactes sur succession
future sous la rubrique de l’objet n’empêche pas leur appartenance doctrinale à une notion qui n’a
pas été modifiée.
223. Ou que celles-ci portent sur des successions non encore ouvertes ; encore, dans ce dernier
cas, est-ce l’aspect successoral de la question qui importe, plus que l’aspect temporel, et la règle
ne constitue pas véritablement une exception au principe de la validité des conventions portant sur
des choses futures, malgré la présentation qu’en faisait l’article 1130 du Code civil.
224. V. les distinctions et sous-distinctions de M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., p. 319
et s. ; la maîtrise de la matière fait davantage appel à la mémoire qu’au raisonnement.
225. Le doyen Carbonnier a approuvé l’abandon de la notion d’« objet » dans le CEC au motif
qu’en y ayant recours on rapporte au contrat ce qui est, au fond, l’objet de l’obligation, p. 104.
226. À la suite du BGB (Livre II, sect. II, Titre 1er : « Formation – Contenu [Inhalt] du contrat »),
CEC, titre III ; PU, chap. 5, sect. 1 ; PDEC, chap. 6 (« Contenu et effets »). Fait exception le CCQ,
mais celui-ci donne de l’objet une définition (art. 1412 : « l’opération juridique envisagée par les
parties ») peu spécifique, et l’article 1413 ne traite que de l’objet illicite. Le Code civil italien traite
de l’« oggetto » du contrat (art. 1346 et s.), mais la doctrine considère que la notion se confond
avec celle de « contenuto », v. Sacco (e De Nova), Il contratto, op. cit., II. 3-6.
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relatives à la substance du contrat sans présupposer entre elles un lien logique
illusoire 227 et n’est pas inconnue de la doctrine française 228.
II. – LES RÈGLES
65. – L’intitulé d’une division du Code importe moins que la teneur des règles
que celle-ci renferme. Or les règles de l’avant-projet, pour partie traditionnelles,
pour partie nouvelles, appellent plusieurs observations.
Une précision liminaire quant à l’esprit dans lequel celles-ci seront faites. La
théorie de l’objet enveloppe un certain nombre d’exigences dont le non-respect
emporte l’invalidité totale ou partielle du contrat. Alors que plusieurs des règles
comprises dans le programme « contenu » visent à donner corps au renvoi de
l’article 3.101 selon lequel le contrat est conclu lorsque ses éléments essentiels
« peuvent être déterminés par référence à des dispositions du présent Code ». Elles
sont inspirées par le précepte potius ut valeat quam ut pereat ; notamment, le juge
se voit reconnaître un certain pouvoir dans la détermination du contenu du contrat.
La solution généralement 229 contraire de la jurisprudence relève d’une conception
du rôle du juge démentie par la législation contemporaine qui confie au juge dans
de nombreux cas le pouvoir d’apprécier des biens ou des prestations ; elle est aussi
incompatible avec les exigences d’efficience et de réduction des coûts de transaction
et en conséquence abandonnée par de nombreux droits étrangers et par les projets
récents. D’autre part, l’exigence de sécurité est satisfaite par le recours à des
standards objectifs.
(1) LES RÈGLES OPPORTUNES
Art. 1122-1. Le défaut d’équivalence entre les prestations convenues dans un
contrat commutatif n’est pas une cause de nullité, hormis les cas où la loi admet
la rescision du contrat pour cause de lésion.
Art. 1122-2. Cependant la clause qui crée dans le contrat un déséquilibre
significatif au détriment de l’une des parties peut être révisée ou supprimée à la
demande de celle-ci, dans les cas où la loi la protège par une disposition particulière,
notamment en sa qualité de consommateur ou encore lorsqu’elle n’a pas été
négociée.
227. Selon l’exposé des motifs, p. 24, la notion de « contenu du contrat » « ne paraît pas
présenter une précision suffisante pour garantir la sécurité des relations contractuelles ». Nous pensons
pour notre part que l’emploi d’un terme confusément polysémique n’est en rien un gage de précision
et de sécurité et qu’il est préférable de dissiper la confusion par le recours à un terme n’ayant pas
d’autre prétention que de dénommer une simple structure d’accueil.
228. V. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., chap. « Le contenu
du contrat » traitant de l’objet, de la cause, de l’ordre public et des bonnes mœurs. Il faut ajouter
que les auteurs qui traitent de la liberté contractuelle et voient dans la liberté de déterminer le
contenu du contrat un de ses aspects donnent sans doute une signification à la notion de « contenu »,
v. M. Fabre-magnan, Les obligations, op. cit., no 27.1.c ; v. de même les auteurs qui envisagent (ne
serait-ce que provisoirement) la question sous l’angle de l’autonomie de la volonté, not. J. Carbonnier,
Droit civil, Les obligations, op. cit., no 16 ; F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations,
op. cit., no 24. Et il n’est pas sans intérêt de relever que l’avant-projet lui-même ne dédaigne pas
de recourir à la notion de « contenu », v. note sous l’article 1125, alinéa 1er, et exposé des motifs,
p. 27, 34, 35 et 36.
229. Exception : réduction des honoraires du mandataire.
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Débats
66. – Certaines règles méritent d’être conservées. Ainsi les articles 1122-1, sur
le défaut d’équivalence initial, et 1122-2, sur les clauses qui créent un déséquilibre
significatif, de l’avant-projet. Cette dernière disposition, qui, à la suite de l’article 4 :110 des PEDC 230, étend au droit civil la formule de l’article L. 132-1 du
Code de la consommation, satisfait heureusement un idéal de justice. Il convient
toutefois d’en modifier la rédaction.
La possibilité de révision est une idée intéressante. Toutefois, l’institution de la
révision n’existant pas d’une façon générale comme sanction de l’invalidité et
n’étant pas réglementée avec précision par l’article 1122-2 de l’avant-projet, il est
plus sûr de s’en tenir à la sanction de la nullité sous les espèces de la clause
réputée non écrite.
D’autre part, une réserve des dispositions particulières suffit, sans référence
particulière au consommateur.
V. art. 4.107.
D’autres règles sont inutiles ou perfectibles.
(2) RÈGLES INUTILES
Dispositions introductives
Art. 1121, al. 1er (avant-projet). Le contrat a pour objet une chose dont une
partie s’engage à céder la propriété ou à concéder l’usage, ou qu’elle s’oblige à
faire ou à ne pas faire. La détention de la chose peut être également transférée
sans qu’en soit concédé l’usage, notamment à titre de dépôt ou de garantie.
67. – (1) Article 1121, alinéa 1er, de l’avant-projet
L’alinéa 1er de l’article 1121 de l’avant-projet, qui ouvre la section, présente
(avec la confusion que l’on a vue) une typologie des contrats fondée sur les
obligations qui en naissent. Nonobstant l’autorité du Code civil (art. 1126, complexifié), cette énumération n’a rien à faire à cette place. Elle doit être examinée à
propos du régime desdites obligations (Avant-projet, art. 1144 à 1146 et 1152 à
1155-3).
(2) Article 1121, alinéa 2, de l’avant-projet
Aux termes de cet alinéa : « Les prestations ainsi convenues caractérisent le
contrat comme déclaratif, constitutif, translatif ou extinctif de droits et d’obligations ».
En premier lieu, l’alinéa premier ne vise pas seulement des prestations (objets
d’obligations), mais il concerne aussi des obligations elles-mêmes. En deuxième
lieu, l’énumération des espèces est à la fois anarchique (plusieurs critères de distinction sont mêlés : les « contrats » constitutifs, translatifs et extinctifs sont des espèces
du « contrat » dispositif, lequel s’oppose au « contrat » déclaratif) et incomplète
(quid du modificatif, du recognitif et de l’abdicatif ?). En troisième lieu, ces classifications sont généralement appliquées aux actes juridiques et non aux contrats. D’ailleurs – et enfin – la plupart de ces catégories ne sont pas envisagées explicitement
en tant que telles par l’avant-projet. C’est dire que l’alinéa est d’une portée et
d’une utilité douteuses.
230. V. obs. sous le texte de l’article 1122-2.
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Disposition conclusive
Art. 1123. Le défaut d’équivalence entre les prestations convenues dans un
contrat commutatif, qui survient au cours de l’exécution du contrat, relève des
dispositions figurant au chapitre 3 du présent titre.
68. – Il nous paraît oiseux de préciser, dans un texte normatif, que des dispositions qui concernent l’exécution du contrat n’ont pas leur place dans un chapitre
consacré à ses conditions de validité, c’est-à-dire sa formation (ledit chapitre figurant
d’ailleurs dans un sous-titre et non un titre).
Licéité
Art. 1121-1. Il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent
être l’objet d’une convention.
Art. 1121-2, al. 1er. La chose qui forme la matière de l’engagement doit être
licite.
69. – Le Code civil n’impose pas que l’objet soit licite. La prescription de son
article 6 suffit à cet effet. Nous avons dit combien il est étonnant que, en dépit
de son attachement à la tradition, l’avant-projet, tant dans ses dispositions que
dans ses exposés des motifs, ignore cet article vénérable. Celui-ci existant pourtant
dans le contexte de l’article 1121-2, alinéa 1er, de l’avant-projet, cet article est
donc redondant 231 232.
Et l’on peut penser que la solution de l’article 1121-1 de l’avant-projet (repris
à peu de chose près de l’article 1128 du Code civil), qui traite du statut des res
extra commercium, est implicite dans l’exigence de licéité.
(3) RÈGLES MAL PLACÉES
Jurisprudence Chronopost 1
70. – Aux termes de l’article 1121, alinéa 3, de l’avant-projet : « Est réputée
non écrite toute clause inconciliable avec ces éléments essentiels ».
Cette consécration de la jurisprudence Chronopost 1, sous l’égide de l’objet,
est malvenue. D’abord dans sa rédaction : quels sont, au sein des deux alinéas
précédents, « ces éléments essentiels » ? Ensuite, le texte doublonne avec l’article 1125, alinéa 2, de l’avant-projet qui envisage la question sous l’angle de la
cause 233. Enfin, s’il s’agit de régler une question de validité des clauses relatives
au contenu de l’obligation ou élisives ou limitatives de responsabilité, la place du
texte (des textes) ne paraît pas être la plus adéquate 234.
231. Pour une modification de la place et de la teneur de l’article 6 du Code civil, v. supra,
no 43.
232. Ajoutons que le texte impose la licéité de la « chose ». Mais l’alinéa 2 visant l’existence
de cette chose, celle-ci ne peut être qu’un objet matériel ; la prestation ne portant pas sur un objet
matériel (un facere simple) est ainsi soustraite à l’exigence de licéité, ce qui n’était probablement
pas dans l’intention des rédacteurs.
233. V. ci-dessous, no 87. Il est étrange que les coordonnateurs du projet n’aient pas arbitré la
compétition entre les rédacteurs des deux sections, v. exposé des motifs, p. 25 et 27.
234. Un texte voisin figure d’ailleurs à l’article 1382-2 de l’avant-projet sous la rubrique
« Conventions excluant ou limitant la réparation ». Cette multiplicité de règles ne paraît pas s’imposer
et le dernier cité suffit, v. no 87.
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(4) RÈGLES INOPPORTUNES
Possibilité et existence de la « chose »
Art. 1121-2, al. 2. Elle (la chose) doit être possible et exister au moment de la
formation du contrat.
Art. 1121-2, al. 3. Néanmoins, les choses futures peuvent être l’objet d’une
obligation.
71. – Existence et possibilité ne sont déduites qu’indirectement de l’annonce
faite par l’article 1108 du Code civil : « un objet certain qui forme la matière de
l’engagement ». L’avant-projet en prescrit directement l’exigence (art. 1121-2, al. 2).
On a vu que c’était par suite de deux confusions : sur le sens du mot « chose »
et entre les effets obligatoire et translatif du contrat. Le principe de la liberté des
conventions impose de reconnaître (sauf cas d’erreur) la validité de l’engagement
relatif à une prestation impossible ou à une chose qui, lors de la conclusion
du contrat, n’existait pas : un contractant doit être libre d’assumer le risque de
l’impossibilité 235.
L’article 1121-2, alinéa 3, de l’avant-projet, relatif aux choses futures (repris
de l’article 1130, alinéa 1er, du Code civil), est dès lors superflu.
V. art. 4.102.
L’indétermination du prix
Art. 1121-4. Dans les contrats à exécution successive ou échelonnée, il peut
toutefois être convenu que le prix des prestations offertes par le créancier sera
déterminé par celui-ci lors de chaque fourniture, fût-ce par référence à ses propres
tarifs, à charge pour lui, en cas de contestation, d’en justifier le montant à première
demande du débiteur faite par écrit avec avis de réception.
Art. 1121-5. Si l’étendue d’une obligation de faire n’est pas déterminée au
moment du contrat, ni déterminable ultérieurement selon des critères extérieurs à
la volonté des parties, le prix peut, après l’exécution, en être fixé par le créancier
à charge, pour celui-ci, en cas de contestation d’en justifier le montant à première
demande du débiteur faite par écrit avec avis de réception.
Art. 1121-6. Dans les cas prévus aux deux articles qui précèdent, le débiteur
qui n’a pas obtenu de justification dans un délai raisonnable pourra se libérer en
consignant le prix habituellement pratiqué.
72. – La question de l’indétermination du prix 236 est réglée dans l’avant-projet
par deux dispositions spécifiques 237 qui dérogent au principe de la nullité en cas
de détermination unilatérale par une partie, posé par l’article 1121-3 de l’avantprojet et que l’on examinera ci-après. Il semble préférable d’envisager ici la question
directement et en termes plus généraux.
235. En ce sens, BGB, § 311a (1) (nouveau) ; PU, art. 3.3 ; PDEC, art. 4 :102. On notera que
l’avant-projet fait un petit pas en direction de cette conception en décidant (art. 1122, al. 2) que
l’absence d’objet n’est sanctionnée que par une nullité relative (comme la vente de la chose d’autrui),
alors que pour la jurisprudence la nullité est absolue.
236. Largo sensu, y inclus un coût ou une rémunération.
237. Inspirées étroitement de la jurisprudence Alcatel et de celle relative au prix dans le louage
d’ouvrage ou le mandat.
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Si les parties, tout en ayant eu l’intention de s’engager, ont laissé ouverte la
question de la détermination du prix, la nullité, qui, en matière de vente, découle
de l’article 1591 du Code civil, ne correspond plus aux tendances contemporaines,
inspirées du principe potius ut valeat quam ut pereat. D’autre part, la procédure
instituée par les articles 1121-4 et 1121-5 in fine et 1121-6 de l’avant-projet
(demande de justification du montant en cas de contestation et consignation éventuelle du prix habituellement pratiqué) est longue et complexe 238, car il faudra,
pour la libération du débiteur, suivre les formalités des articles 1234 à 1236 de
l’avant-projet. Il est plus simple et direct de s’inspirer des règles selon lesquelles
le prix dû est, sauf indication contraire 239, soit le prix habituellement pratiqué
pour les mêmes prestations dans des circonstances comparables 240, soit un prix
raisonnable 241, ce qui n’est pas sensiblement différent. Il est donc proposé de
combiner les deux formules en une alternative 242. On notera que le jeu de ces
dispositions n’implique pas nécessairement le recours au juge.
V. art. 4.103.
Quant à la détermination unilatérale du prix, elle relève des dispositions relatives
à la détermination unilatérale du contenu du contrat par une partie.
La détermination unilatérale par une partie
73. – Selon l’article 1121-3 in fine de l’avant-projet, l’étendue de l’engagement
ne doit pas être « laissée à la seule volonté de l’une des parties » (sous réserve
des exceptions portées dans les articles 1121-4 et 1121-5 et sur lesquelles v. cidessus).
Cette règle, d’une part, est incomplète : ce n’est pas seulement l’étendue de
l’engagement qui, dans la pratique, peut être abandonnée à l’appréciation d’une
partie, mais un élément quelconque du contrat.
D’autre part, s’il faut entendre que la sanction est la nullité du contrat, la règle
est d’une sévérité excessive : il suffit, en combinant le favor contractus et la protection du cocontractant, de poser en principe (1) que la détermination doit être faite
conformément à la bonne foi et l’équité, eu égard à la nature et au but du contrat
et aux circonstances de l’espèce 243, et (2) qu’à défaut (c’est-à-dire si la partie n’y
238. Mais, contrairement à l’affirmation de l’exposé des motifs (p. 25), elle ne réserve pas un
contrôle judiciaire a posteriori.
239. Auquel cas on se trouverait dans l’hypothèse visée par l’article 3.101, alinéa 3 (conclusion
du contrat subordonnée à l’accord sur un point particulier), et le contrat ne serait pas formé.
240. Les droits nationaux ont le plus souvent des règles particulières aux divers contrats spéciaux.
Pour des dispositions générales, v. CVIM, art. 55 ; PU, art. 5.1.7 (1) (début) ; rappr. CEC, art. 31(6) :
catalogues de prix ou prix généralement pratiqués.
241. V. C. com., art. L. 124-5, al. 3 (rémunération de l’agent commercial : « une rémunération
raisonnable qui tient compte de tous les éléments qui ont trait à l’opération ») ; BGB, § 315 : détermination faite d’après une appréciation équitable ; UCC, s. 2.305 (« open price term ») : « a reasonable
price » ; UK Sale of Goods Act, s. 8 (2) : « the buter must pay a reasonable price » ; PU, art. 5.1.7 (1),
in fine : à défaut de prix habituellement pratiqué ; PDEC, art. 6 :104.
242. À l’instar de PU, art. 5.1.7 (1). L’exemple de l’article L. 124-5, alinéa 3, du Code de
commerce permet probablement de passer outre aux réticences que pourrait susciter le recours au
critère du « raisonnable » (adde supra, note sous le no 29).
243. C’est-à-dire doit être raisonnable...
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procède pas, ou si son appréciation est inéquitable), le juge procédera à cette
détermination, selon les mêmes standards 244.
V. art. 4.105.
(5) LACUNES
Détermination d’un élément du contrat par un tiers
74. – L’avant-projet omet l’hypothèse où la détermination d’un élément du
contrat est « laissée à l’arbitrage d’un tiers », selon la formule de l’article 1592 du
Code civil.
Il est proposé (1) de réserver cette possibilité et (2) de régler les difficultés
d’application selon le même principe potius ut valeat quam ut pereat, dans les
mêmes termes que ceux retenus dans l’hypothèse de détermination par une partie.
Si la détermination du tiers est manifestement déraisonnable, elle est faite par
le juge, d’après une appréciation équitable. La solution actuelle de la jurisprudence,
qui interdit au juge de déterminer le prix 245, est abandonnée 246 par de nombreux
droits étrangers et par les projets récents 247.
Si le tiers n’a pas procédé à la détermination dans un délai raisonnable, la
règle de la nullité édictée pour la vente par l’article 1592 du Code civil manque
de la souplesse permettant de répondre aux besoins de la pratique. Il est également
proposé, dans le même souci d’efficience et d’économie, de remettre dans ce cas
la détermination au juge 248.
V. art. 4.105.
Qualité de la prestation
75. – Dans le même souci de pallier les lacunes du contrat, il est proposé de
fournir une règle supplétive relative à la qualité de la prestation en généralisant,
à l’instar des projets récents 249, les solutions des articles 1246 et 1137, alinéa 1er,
du Code civil relatifs respectivement aux biens (livraison des choses de genre :
entre la meilleure et la plus mauvaise espèce) et aux services (obligation de veiller
à la conservation de la chose : soins d’un bon père de famille) et en décidant que
la prestation doit être d’une qualité non inférieure à la moyenne, compte tenu de
la qualité des parties, des circonstances de l’espèce et des usages.
V. art. 4.106.
244. V. BGB, § 315 ; C. civ. portugais, art. 400 ; PU, art. 5.1.7 (2) (pour le prix) ; PDEC,
art. 6 :105 ; CEC, art. 31 (2) et (3). On peut y voir l’application du principe de proportionnalité
appliqué par la jurisprudence pour la réduction des honoraires du mandataire. Comp. C. Aubert de
Vincelles, « Pour une généralisation, encadrée, de l’abus dans la fixation du prix », D. 2006, p. 2629,
qui propose de sanctionner l’abus dans la fixation unilatérale du prix non seulement par la possibilité
de réduction, mais encore par celles de la résolution du contrat ou de l’allocation de dommagesintérêts.
245. V. par ex. Cass. com., 29 juin 1981, Bull. civ. IV, no 298, p. 235.
246. Pour les motifs indiqués supra, no 65.
247. V. BGB, § 317, al. 1er, et 319, al. 1er ; C. civ. italien, art. 1349, al. 1er ; C. civ. portugais,
art. 400 ; PU, art. 5.1.7 (2) ; PDEC, art. 6 :106 (2) ; CEC, art. 31 (3).
248. V. en ce sens la proposition de P. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Les contrats spéciaux,
Defrénois, no 206, et P.-Y. Gautier, obs. RTD civ. 2004, p. 309 ; et les solutions de BGB, § 319,
er
al. 1 ; C. civ. italien, art. 1349, al. 1er ; C. civ. portugais, art. 400, al. 2 ; PU, art. 5.1.7 (3) ; CEC,
art. 31 (3). L’article 6 :106 (1) PDEC propose de remettre au juge la désignation d’un remplaçant,
ce qui représente un allongement de la procédure.
249. PU, art. 5.1.6 ; PDEC, art. 6 :108 (qui traite de la qualité de l’exécution) ; CEC, art. 31 (5).
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CAUSE
I. – UNE CONSÉCRATION DE LA « CAUSE » ?
Art. 1108 (avant-projet). Quatre conditions sont essentielles pour la validité
d’une convention : (...)
une cause justifiant l’engagement.
76. – L’avant-projet conserve la cause comme condition de validité du contrat,
« conformément à notre tradition juridique » 250 et au motif que le maintien de la
notion « crée beaucoup moins de problèmes que les expédients et les détours par
lesquels il faudrait passer pour combler le vide creusé par (sa) suppression » 251.
C’est ce que l’on se propose de vérifier 252. Mais auparavant, il convient de préciser
la notion de « cause » retenue par l’avant-projet.
(1) LA NOTION DE « CAUSE »
77. – On considère généralement que le droit français connaît une notion
dualiste de la « cause » 253 : notion objective lorsqu’il s’agit de vérifier l’existence
de la cause, notion subjective lorsque sa licéité est en question. L’avant-projet
entend faire de la cause « une notion unitaire » 254, en prenant en considération
la « cause de l’engagement » 255.
Mais la notion ne paraît unitaire qu’en raison de l’équivoque du terme « engagement ». Car lorsque l’on dit que « L’engagement est sans justification, faute de
cause réelle, lorsque, dès l’origine, la contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire » (Avant-projet, art. 1125, al. 1er), « engagement » signifie « lien de droit »,
« obligation ». Mais lorsque l’on considère que dans les libéralités la cause de
l’engagement est le motif qui a déterminé le disposant (Avant-projet, art. 11254 256), l’« engagement » est la promesse, la volonté de s’obliger, et l’on se place
au même point de vue lorsque l’on envisage « l’engagement (...) contracté (...) dans
un but contraire à l’ordre public » (Avant-projet, art. 1126). Tantôt l’on recherche
pourquoi l’on est engagé et la cause est objective, et tantôt pourquoi l’on s’est
engagé et la cause est alors subjective. Il n’y a donc pas véritable unification, ni
amélioration de la notion. Il était d’ailleurs paradoxal de se réclamer de la tradition
pour proposer une conception rénovée.
Au surplus, même à s’en tenir à la cause de l’engagement-lien de droit, on
constate que la notion, loin d’être unitaire, est à contenu variable et que chaque
250. Exposé des motifs, p. 25.
251. Introduction, p. 11.
252. Sur les critiques contemporaines de la cause, v. la charge exemplaire de Ph. Rémy, « Réviser
le titre III du Livre troisième du Code civil ? », RDC 2004, p. 1169 et s., spéc. p. 1182.
253. V. not., F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 334,
p. 345 (avec une nuance, v. infra, no 87) ; Ph. Malaurie, L. Aynès et P. Stoffel-Munck, Les contrats
spéciaux, op. cit., no 621, p. 306 ; M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., no 140, p. 360.
254. Exposé des motifs, p. 26.
255. V. J. Ghestin (rédacteur de cette partie de l’avant-projet), « Faut-il conserver la cause en
droit européen des contrats ? », European Review of Contract Law 1(2005)/396 ; et, monumental,
Cause de l’engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, 960 p., défense et illustration ou chant
du cygne ?
256. Et exposé des motifs, p. 30.
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catégorie de contrats a une cause qui lui est particulière et que l’avant-projet
s’attache à définir.
Il reste à s’interroger sur la nécessité de cet effort.
2) LES APPLICATIONS DE LA CAUSE
78. – On sait que le Code civil ne fournissait aucun guide quant à la mise en
pratique de la cause et que les applications de la notion ont été développées par
la jurisprudence, voire la doctrine, et que celle-ci en a fait le (ou des) système(s).
L’avant-projet consacre non moins de dix articles (art. 1124 à 1126-1) à la cause,
couvrant ainsi la quasi-totalité des fonctions qu’on lui reconnaît 257.
La cause illicite et immorale
Art. 1126. L’engagement est sans justification, faute de cause licite, lorsqu’il
est contracté par l’une au moins des parties dans un but contraire à l’ordre public,
aux bonnes mœurs, ou plus généralement à une règle impérative.
Art. 1126-1. La partie qui contracte dans un but illicite à l’insu de l’autre doit
l’indemniser de tout préjudice causé par l’annulation du contrat.
Toute réclamation est exclue quand les deux parties avaient connaissance de
l’illicéité.
79. – Nous répéterons ce que nous avons dit à propos de l’objet illicite 258,
c’est-à-dire qu’un déplacement – et une reformulation, à l’exemple d’ailleurs de
l’article 1126 de l’avant-projet – de l’article 6 du Code civil dispense de toute
référence à la cause : le contrat est nul pour illicéité ou immoralité, que ce soit
en considération du but poursuivi ou de la prestation en elle-même 259. Et l’on
étendra la portée du texte aux libéralités non contractuelles, comme on faisait de
l’article 1133 du Code civil.
Le point de savoir si le but illicite doit être visé par toutes les parties, et si et
dans quelle mesure des restitutions sont possibles, relève du régime des nullités.
La cause dans les libéralités (Avant-projet, art. 1125-4)
80. – L’exposé des motifs 260 croit devoir justifier la présence d’un article relatif
aux libéralités dans un texte consacré au contrat : la raison retenue (outre le fait
que la réforme du droit des successions et des libéralités a omis de traiter la
question 261) est que les dispositions sur l’illicéité et l’immoralité de la cause seraient
257. Malgré l’unité de terminologie (« contrepartie ») dans les articles 1102-2 (définissant les
contrats à titre onéreux et gratuit) et 1125, alinéa 1er, l’avant-projet (non plus que l’exposé des motifs,
p. 16 et 25-30) n’envisage une fonction possible de la cause (au sens objectif) qui serait de fournir
le critère de distinction entre le titre gratuit et le titre onéreux, le contrat gratuit étant celui dans
lequel l’obligation du gratifiant n’a pas de cause (objective), la présence d’une contrepartie par
exemple chassant l’idée de donation et, partant, l’exigence de forme. Mais les solutions de la
jurisprudence, qui d’ailleurs ne se fonde pas sur la notion de « cause » (sauf rare exception, v. la
décision célèbre mais mineure et passablement confuse, de T. civ. Langres, 15 mars 1900, Abbé
Bresson, DP 1900, II, p. 422), peuvent s’expliquer sans référence à cette dernière.
De même l’avant-projet (non plus que l’exposé des motifs, ibid.) ne fait de la cause un (le)
critère de distinction des contrats synallagmatiques et unilatéraux (v. sur ce point note 130).
258. V. supra, no 69.
259. V. art. 1.202.
260. V. Exposé des motifs, p. 29.
261. Le projet comportait un article 911 qui n’a pas été retenu dans la réforme, v. exposé des
motifs, p. 29.
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communes aux deux catégories d’actes. L’illicéité et l’immoralité devant, selon
nous, s’apprécier indépendamment de toute notion de « cause » 262, l’argument est
de peu de poids. Cela ne dispense pas d’examiner le contenu de l’article 11254. Il comporte deux règles et aurait dû, dans sa logique, en comporter une troisième,
toutes trois hors sujet.
81. – L’alinéa 1er énonce : « Il n’y a pas de donation ni de testament à défaut
d’intention libérale ». À première vue, il n’est pas question de cause. L’explication
remonte à Domat 263, selon qui le motif libéral du donateur est le fondement de
son engagement et « tient lieu de cause de la part de celui qui reçoit et ne donne
rien » 264. La cause dans les libéralités est une fausse fenêtre dessinée pour la
symétrie de la construction. Les tribunaux, lorsqu’ils exigent une intention libérale
au soutien de la qualification de donation ou, plus rarement, de testament (ou de
legs), n’invoquent aucunement la nécessité de la cause. La règle de l’alinéa 1er
correspond au droit positif et n’a pas lieu d’être abandonnée, mais elle est étrangère
à la théorie de la cause et doit être incorporée à la définition de la libéralité que
donne l’article 893 du Code civil 265.
82. – L’alinéa 2 dispose : « Les libéralités sont dépourvues de cause réelle en
l’absence du motif sans lequel leur auteur n’aurait pas disposé ». La règle consacre
une jurisprudence qui, effectivement, fait application dans ce cas de la théorie de
la cause, en assimilant, par un « glissement » 266, cause et motif. La théorie s’en
trouve complexifiée. Mais, dans notre conception, il est préférable d’affirmer directement, mais dans le titre « Des libéralités » 267, qu’il n’est point de libéralité en
l’absence du motif déterminant du disposant.
83. – Dans la voie qu’il a empruntée, on s’attendrait que l’article 1125-4 de
l’avant-projet comportât un alinéa traitant de la disparition de la cause. La question
est propre aux libéralités et un alinéa 3 de l’article 893 du Code civil devrait porter
que la disparition du motif qui avait déterminé le disposant entraîne révocation
ou annulation de la libéralité 268.
La cause dans les contrats aléatoires (Avant-projet, art. 1125-3)
84. – Dans une formule sinueuse, l’absence d’aléa est considérée comme rendant
« illusoire ou dérisoire pour l’un des contractants la contrepartie convenue » et
dépouillant de cause réelle le contrat aléatoire. Il semble que l’on pourrait s’épargner
262. V. supra, no 43.
263. Domat, Loix civiles, Livre 1er, titre I, sect. I, § VI ; le passage est cité par l’exposé des
motifs, p. 30.
264. Du point de vue du gratifiant, v. Pothier, Traité des obligations, no 23 : « Dans les contrats
de bienfaisance, la libéralité, que l’une des parties veut exercer envers l’autre, est une cause suffisante
de l’engagement qu’elle contracte envers elle », et Portalis, in Locré, t. XIV, p. 77 et 164 : « Pour
ce qui concerne les contrats de bienfaisance, la cause se trouve suffisamment dans le sentiment qui
la produit ».
265. Par l’adjonction de « dans une intention libérale ». La formule ne serait pas redondante,
la gratuité (au sens de l’article 1105 amélioré) n’impliquant pas l’intention libérale.
266. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 349, p. 361.
267. Dans un alinéa 2 de l’article 893 du Code civil.
268. Une application textuelle de l’idée figure à l’article 504, alinéa 3.
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le détour par la cause et dire simplement que le défaut d’aléa rend nul le contrat
(apparemment ou prétendument) aléatoire, dans un article 1964-1 du Code civil
(faisant suite à l’article 1964 modernisé).
L’obligation de restitution dans les contrats réels
Art. 1125-1, al. 1er (avant-projet). L’engagement de restituer une chose ou une
somme d’argent a pour cause la remise de la chose ou des fonds à celui qui
s’oblige.
85. – L’avant-projet consacre la jurisprudence selon laquelle la cause de l’obligation de restitution est la remise de la chose ou de la somme d’argent. Ici encore,
il semble que l’intervention de la cause est superflue pour justifier une solution
de bon sens que la seule terminologie du Code civil suffit à motiver. Tous les
dictionnaires enseignent que les termes « restituer » ou « restitution » (art. 1915,
1933, 1934, 1936, 1937, 1940 à 1944, pour le dépôt), ou « rendre » (art. 1902 à
1904, pour le prêt ; art. 1932, 1933, 1935, 1939, pour le dépôt), signifient « donner
en retour » et impliquent donc que l’on ait reçu.
Les deux alinéas de l’article sont donc inutiles.
86. – À ce point 269, il apparaît que l’on a rattaché à une théorie d’ensemble,
pour donner un sens au terme imprécis de « cause », des solutions particulières
qui ont chacune un motif propre. Sans doute, il appartient à la doctrine de découvrir
un principe derrière des cas particuliers ; à condition d’éclairer et d’unifier, non
d’obscurcir et de morceler la matière. Comme on l’a écrit en une circonstance
voisine 270 : « Il n’est pas certain qu’il soit de bonne méthode de rassembler sous
une même dénomination des réalités aussi hétérogènes ».
Mais la « cause » a aussi une fonction générale.
La cause en général
Art. 1124. La convention est valable quand l’engagement a une cause réelle
et licite qui le justifie.
Art. 1125, al. 1er. L’engagement est sans justification, faute de cause réelle,
lorsque, dès l’origine, la contrepartie convenue est illusoire ou dérisoire.
Est réputée non écrite toute clause inconciliable avec la réalité de la cause.
87. – (1) Commençons par cette dernière disposition 271. Elle entend consacrer
la jurisprudence de l’arrêt Chronopost 1 272 (et, par anticipation, de ses épigones 273),
269. Adde ci-dessous, no 87, sur l’engagement pris en contrepartie d’un avantage convenu au
profit d’un tiers.
270. À propos de l’emploi amphibologique du terme « cause » dans une certaine présentation
de la théorie de l’enrichissement sans cause, F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les
obligations, op. cit., no 1069, p. 1025.
271. Comp. Avant-projet, art. 1121-3, sur lequel v. supra, no 70.
272. Cass. com., 22 oct. 1996, Bull. civ. IV, no 261, p. 223, et not. D. 1997, p. 121, note A.
Sériaux et RTD civ 1997, p. 418, obs. J. Mestre.
273. Si Si l’on considère que le problème tranché par la Chambre commerciale était de fond
et non de procédure : Cass. com., 30 mai 2006, Chronopost 5, Bull. civ. IV, no 132, p. 133, D. 2006,
p. 1599, obs. X. Delpech et p. 2288, note D. Mazeaud ; Cass. com., 13 févr. 2007, Oracle, Bull.
civ. IV, no 43, p. 45, D. 2007, p. XXXXXX, obs. X. Delpech ; Cass. com., 5 juin 2007, Thalès, D.
2007, p. 1720, obs. X. Delpech.
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mais en faisant l’économie de la notion d’« obligation essentielle » et avec une
nuance : en déplaçant au stade de la formation du contrat 274 une hypothèse qui,
nonobstant le visa de l’article 1131 du Code civil, relève pour la jurisprudence
de l’inexécution du contrat, car résultant d’un « manquement ». Dès lors, une
disposition (telle celle de l’article 1382-2, alinéa 1er, de l’avant-projet 275) relative
au sort des clauses qui limitent ou excluent la responsabilité en cas de manquement
à une obligation essentielle et figurant dans un chapitre sur la réparation du dommage paraît la plus propre à régir la matière, sans le détour par la notion équivoque 276 et superflue 277 de « cause ».
(2) Ceci étant, l’exigence actuelle d’une cause conduit à deux séries de conséquences. Les unes, heureuses, sanctionnent par la nullité les contrats ne présentant
pas d’« intérêt pour celui qui s’oblige » 278. Les autres, malheureuses, contraignent
à des analyses byzantines et des formules alambiquées pour découvrir à toute force
une cause à des opérations neutres 279 ou complexes, d’une utilité économique
certaine. Témoin l’article 1125-2 de l’avant-projet, synthétisant une certaine
jurisprudence, aux termes duquel : « L’engagement pris en contrepartie d’un avantage convenu au profit d’un tiers a pour cause cet avantage, indépendamment de
l’intérêt moral ou matériel que celui qui s’oblige peut y trouver pour lui-même ».
Abandonner la doctrine de la cause pour éviter ses inconvénients serait se
priver de l’utilité qu’elle présente. Il convient plutôt de lui substituer une notion
moins confuse. Le Code européen des contrats, sur les instances du doyen Carbonnier 280, impose que le contrat soit utile (CEC, art. 25 et 26), et il précise que le
contrat est utile quand il correspond à un intérêt (CEC, art. 26). C’est cette dernière
notion, dont le même doyen Carbonnier a montré qu’elle était sous-jacente à la
cause 281, que nous proposons de retenir, notion qui est parfois utilisée par les
274. Sans que l’on voie clairement, dans l’article 1125 de l’avant-projet, en quoi un contrat
auquel fait défaut une cause réelle (al. 1er) se distingue d’un contrat comportant une clause inconciliable avec la réalité de la cause (al. 2), ladite inconciliabilité faisant semble-t-il disparaître la réalité
de la cause.
275. « Un contractant ne peut exclure ou limiter la réparation du dommage causé à son
cocontractant par une faute dolosive ou lourde ou par le manquement à l’une de ses obligations
essentielles ».
276. Sur la « subjectivisation » de la cause (en l’espèce le glissement qu’opère l’alinéa 2 de
l’article 1125 de l’avant-projet par rapport à la conception objective de la cause retenue dans
l’alinéa 1er), v. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, op. cit., no 342, p. 351354.
277. Selon D. Mazeaud, note D. 2006, p. 2288 et s., spéc. p. 2293, « on peut considérer que,
loin de s’en démarquer, l’article 1382-2 décline le principe énoncé à l’article 1125, alinéa 2 ». Mais
si l’explication qui accompagne le texte des articles 1382 et suivants déclare que les limitations que
la jurisprudence a introduites sont consacrées, cette formule ne s’applique pas nécessairement aux
motivations des arrêts. Et le texte de l’article 1382-2 se suffit à lui-même, sans avoir besoin d’un
soutien extérieur.
278. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les contrats spéciaux, op. cit., no 623, p. 307 ;
v. les exemples, ibid., note 70.
279. Pour les mêmes auteurs, no 607, p. 300, « il y aurait grand intérêt à admettre l’efficacité
de ces actes indépendamment de leur cause ».
280. J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, op. cit., p. 113 et 115.
281. Ibid., nos 58 et 64 ; rappr. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations,
op. cit., no 334, p. 345.
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auteurs 282 et par la jurisprudence elle-même 283. Il convient donc d’énoncer (en
tête du chapitre dévolu au contenu du contrat) que le contrat doit correspondre
à un intérêt, d’expliciter que l’intérêt peut être patrimonial ou moral et d’indiquer,
compte tenu de cette dernière précision, qu’il doit exister pour les parties (et non
seulement pour l’une d’elles).
V. art. 4.101.
L’existence d’un intérêt est une condition de validité du contrat, non de l’obligation, à la différence de ce que portent les articles 1108 et 1131 (mais non l’article 1132) du Code civil. Et donc, à défaut d’intérêt, c’est le contrat qui est nul (comme
le marque l’article 1124-1 de l’avant-projet), non l’obligation – l’engagement – d’une
partie. L’opinion selon laquelle la cause est une notion indispensable, car, à son
défaut, on ne pourrait, dans les contrats synallagmatiques, rendre compte de l’interdépendance des obligations réciproques 284, ne vaut pas à l’encontre de notre
conception.
88. – Selon la présentation générale 285, « la fonction de la cause s’épuise dans
la formation du contrat, sans interférer avec son exécution ». Cette critique implicite
de tentations doctrinales et jurisprudentielles 286 est assez vaine, les textes du Code
civil n’autorisant pas davantage que ceux de l’avant-projet des débordements qui
se sont pourtant produits. Le mieux, plutôt que de tenter de les endiguer, est de
tarir à la source la notion qui les a favorisés.
Est-ce à dire qu’ayant chassé la cause par la porte, on la réintroduit par la
fenêtre sous les espèces de l’intérêt ? Il nous semble qu’il y a profit à remplacer
une notion qui se prête à toutes les sophistications par une autre plus fruste mais
que sa simplicité naturelle 287 paraît préserver des raffinements abscons 288 qui, bien
que l’on en ait 289, nuisent au bon fonctionnement et à l’attractivité du droit français.
PROPOSITION
Les textes devraient être précédés d’un exposé des motifs en la forme. Nous
nous bornons à renvoyer aux développements qui les justifient.
TITRE TROISIÈME
DES OBLIGATIONS EN GÉNÉRAL
.........
282. V. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les contrats spéciaux, op. cit., no 623,
p. 607, cité supra, note 257.
283. V. sur la cause de l’engagement d’un garant à première demande, Cass. com., 19 avr.
2005, Bull. civ. IV, no 91, p. 94 : la cause est « l’intérêt économique du donneur d’ordre à la
conclusion du contrat de base » (l’arrêt ajoute sans nécessité : « peu important qu’il n’y soit pas
partie »).
284. V. par ex. M. Fabre-Magnan, Les obligations, op. cit., no 141, p. 362-363.
285. Présentation générale, no 6, p. 5.
286. Sur lesquelles, v. X. Lagarde, « Sur l’utilité de la théorie de la cause », D. 2007, p. 740.
287. V. Vocabulaire juridique Capitant, op. cit., Vo Intérêt 2 : « Ce qui est bon, ce qui est
opportun, avantageux, bénéfique (avantage d’ordre patrimonial ou extrapatrimonial (...) ».
288. R. David parle de « galimatias », v. R. David et D. Pugsley, Les contrats en droit anglais,
LGDJ, 2e éd., 1985, no 192, p. 136.
289. V. B. Fages, RDC 2006, p. 40.
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TITRE QUATRIÈME
DES SOURCES DES OBLIGATIONS
Art. 0.101. – Certaines obligations résultent de l’autorité seule de la loi, telles
que celles entre propriétaires voisins ou celles des tuteurs et des autres administrateurs qui ne peuvent refuser la fonction qui leur est déférée. Il en est traité dans
les titres qui les concernent.
D’autres obligations résultent des contrats, ou des quasi-contrats, ou de la
responsabilité civile. Ils font la matière du présent titre.
V. nos 15-23.
Art. 0.102. – Celui dont les déclarations ou le comportement ont fait naître
chez un tiers une attente légitime qui a poussé ce dernier à agir à son désavantage
ne peut adopter une position incompatible avec la confiance qu’il a fait naître ;
sauf au tiers à obtenir telle satisfaction que de raison.
Est légitime l’attente qui serait jugée telle dans les mêmes circonstances par
des personnes de bonne foi.
V. no 24.
SOUS-TITRE PREMIER
DU CONTRAT
Chapitre I
Dispositions liminaires
Section I
Du contrat et de certaines de ses espèces
Art. 1.101. – Le contrat est l’accord de deux ou plusieurs personnes en vue
d’établir, modifier ou supprimer entre elles un rapport de droit.
V. nos 27-30.
Art. 1.102. – Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties entend
recevoir de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.
Il est à titre gratuit lorsqu’une des parties entend procurer à l’autre un avantage
sans recevoir de contrepartie.
V. no 33.
Art. 1.103. – Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsqu’il fait naître à
la charge des contractants des obligations corrélatives.
Il est unilatéral lorsqu’il ne fait naître d’obligation qu’à la charge d’un contractant,
ou que les obligations de l’un des contractants ne sont pas corrélatives de celles
de l’autre.
V. no 32.
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Débats
Art. 1.104. – Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage
à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle
reçoit.
Il est aléatoire lorsqu’il est convenu que les avantages ou les pertes qui en
résulteront dépendront d’un événement incertain.
V. no 34.
Art. 1.105. – Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par la seule expression
des consentements.
Il est solennel lorsque sa validité requiert l’accomplissement de certaines formalités prescrites par la loi.
Il est réel lorsque sa validité requiert la remise d’une chose au débiteur.
V. no 35.
Art. 1.106. – Le contrat est de gré à gré lorsque ses clauses ont été l’objet
d’une négociation individuelle.
Il est d’adhésion lorsque ses clauses, rédigées unilatéralement à l’avance par
une partie, sont proposées à l’acceptation de l’autre partie sans possibilité de
négociation individuelle.
Le contrat d’adhésion peut cependant comporter des conditions particulières,
sujettes à négociation individuelle, qui en spécifient la portée.
V. no 36.
Art. 1.107. – Le contrat cadre est un accord de base par lequel les parties
conviennent de nouer ou entretenir des relations contractuelles dont elles déterminent les caractéristiques essentielles et dont des conventions d’application préciseront les modalités d’exécution.
v. no 37.
Art. 1.108. – Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils
n’en aient pas, sont soumis à des règles générales qui sont l’objet du présent soustitre.
Les règles particulières à certains contrats sont établies par le présent code sous
les titres relatifs à chacun d’eux, ou par d’autres codes ou lois.
Sauf disposition contraire, les règles prescrites pour un contrat particulier s’appliquent par analogie aux contrats innommés qui s’en rapprochent, autant que cela
est possible et raisonnable.
V. no 38.
Art. 1.109. – Sauf disposition contraire, les règles prescrites pour les contrats
s’appliquent par analogie aux autres actes juridiques, autant que cela est possible
et raisonnable.
V. no 39.
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Section II
Des principes directeurs des relations contractuelles
Art. 1.201. – Les parties sont libres de contracter, de choisir leur cocontractant
et de déterminer la forme et le contenu du contrat
La liberté contractuelle s’exerce dans le cadre des lois qui la réglementent.
V. no 42.
Art. 1.202. – On ne peut déroger par des conventions particulières aux règles
impératives, notamment à celles qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs.
On ne peut pareillement déroger au principe de la non-discrimination.
On ne peut porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux que dans la
mesure indispensable à la protection d’un intérêt sérieux et légitime.
V. no 43.
Art. 1.203. – Les conventions doivent être conclues et exécutées de bonne foi,
avec loyauté.
Est de bonne foi la personne ou le comportement que, à propos d’une opération
donnée et dans des circonstances semblables, des contractants honnêtes tiendraient
raisonnablement pour tel.
Les parties ne peuvent exclure ni limiter le devoir de bonne foi.
V. no 44.
Art. 1.204. – Chaque partie doit à l’autre la collaboration que celle-ci peut
raisonnablement attendre pour donner au contrat sa pleine efficacité.
V. no 45.
Chapitre 2
Du consentement
Chapitre 3
De la formation du contrat
Section 1
Dispositions générales
Art. 3.101. – Le contrat est conclu lorsque les parties se sont mises d’accord
sur ses éléments essentiels ou que ceux-ci peuvent être déterminés par référence
à des dispositions du présent code, aux usages ou aux pratiques que les parties
avaient établies entre elles.
À défaut d’accord sur des points secondaires, on les règle conformément à la
nature et au but du contrat.
Si une des parties a fait connaître qu’elle subordonnait la conclusion du contrat
à un accord sur un point particulier, il n’y a point de contrat à défaut d’accord
sur ce point.
V. no 55.
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Débats
Art. 3.102. – La volonté d’une partie d’être liée par contrat résulte de ses
déclarations ou de son comportement.
Ces déclarations et comportement s’interprètent selon l’intention de la partie
lorsque le cocontractant connaissait ou ne pouvait ignorer cette intention.
À défaut d’une telle connaissance, ils ont le sens que le cocontractant pouvait
raisonnablement leur donner compte tenu des circonstances.
V. no 51.
Art. 3.103. – Une déclaration ou autre manifestation de volonté est réputée
parvenir à son destinataire lorsqu’elle lui est faite verbalement, ou lui est remise,
ou est remise à son établissement ou adresse postale ou, s’il n’a pas d’établissement
ou d’adresse postale, à sa résidence habituelle ou au domicile qu’il a élu.
Art. 3.104. – Les conditions générales établies par une partie et qui n’ont pas
été l’objet d’une négociation individuelle sont efficaces à l’égard de l’autre partie
si celle-ci avait la possibilité d’en prendre connaissance et si elle en a pris ou
aurait dû en prendre connaissance en usant d’une diligence ordinaire.
V. no 52 (1).
Art. 3.105. – En règle générale, l’accord qui forme le contrat se réalise par
l’acceptation d’une offre.
Lorsque le processus de formation d’un contrat ne peut s’analyser en une offre
et une acceptation, les règles ci-dessous s’appliquent en tant que de raison.
V. no 48.
Section 2
De l’offre et de l’acceptation
Art. 3.201. – Constitue une offre la proposition de conclure un contrat, adressée
à une ou plusieurs personnes déterminées ou au public, si elle est suffisamment
précise et indique la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation.
V. no 57.
Art. 3.202. – L’offre prend effet lorsqu’elle parvient à son destinataire.
Elle est caduque lorsque l’offrant décède ou devient incapable avant qu’elle
soit parvenue à son destinataire.
Même si elle est irrévocable ou doit être réputée telle en application de l’article 3.203, elle peut être rétractée si la rétractation parvient au destinataire avant
ou en même temps que l’offre.
V. nos 56 et 59.
Art. 3.203. – L’offre peut être révoquée jusqu’à ce que le contrat ait été conclu.
Toutefois, si le destinataire de l’offre accepte par écrit, la révocation doit lui parvenir
avant qu’il ait expédié son acceptation.
Si l’offre indique, en fixant un délai déterminé pour son acceptation ou autrement, qu’elle est irrévocable, elle ne peut être révoquée que pour justes motifs.
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L’offre est irrévocable s’il était raisonnable pour le destinataire de la considérer
comme telle et s’il a agi sur la foi de l’offre.
V. no 58.
Art. 3.204. – L’offre, même irrévocable, prend fin lorsque son rejet parvient à
l’offrant.
Art. 3.205. – Lorsqu’une disposition spéciale impose au destinataire de l’offre
un délai de réflexion, l’acceptation ne peut intervenir avant l’expiration du délai.
V. no 54.
Art. 3.206. – À moins qu’une disposition spéciale, les pratiques établies entre
les parties ou l’offre n’aient imposé une forme d’acceptation particulière, constitue
une acceptation toute déclaration ou comportement du destinataire manifestant
qu’il acquiesce à l’offre.
À défaut de dispositions légales, d’usages professionnels, de pratiques établies
entre les parties ou de circonstances particulières, le silence ou l’inaction ne valent
pas acceptation.
V. no 53.
Art. 3.207. – La réponse du destinataire qui tend à être l’acceptation d’une
offre mais comporte des modifications qui altèrent substantiellement les termes de
l’offre constitue un rejet de celle-ci et une offre nouvelle.
La réponse du destinataire qui tend à être l’acceptation d’une offre mais comporte
des modifications qui n’altèrent pas substantiellement les termes de l’offre constitue
une acceptation et les modifications s’intègrent au contrat, à moins que l’offrant
ne s’y oppose sans retard ou que l’offre n’ait restreint l’acceptation à ses termes
mêmes.
V. no 61.
Art. 3.208. – L’acceptation d’une offre prend effet au moment où l’indication
d’acquiescement parvient à l’offrant, pourvu toutefois qu’elle lui parvienne dans
le délai qu’il a imparti ou, si aucun délai n’a été fixé, dans un délai raisonnable.
L’offrant peut néanmoins faire produire effet à une acceptation tardive en le
faisant savoir sans retard à l’acceptant.
V. no 60.
Art. 3.209. – L’acceptation peut être rétractée si la rétractation parvient à l’offrant
avant le moment où l’acceptation aurait pris effet ou à ce moment.
Si une disposition spéciale ou une stipulation accorde au destinataire de l’offre
un droit de repentir, l’acceptation peut être rétractée discrétionnairement jusqu’à
l’expiration du délai de repentir.
V. no 54.
Art. 3.210. – Le contrat est conclu au moment où l’acceptation de l’offre prend
effet.
Il est réputé conclu au lieu où l’acceptation est parvenue.
Art. 3.211. – Lorsque l’offre et l’acceptation renvoient à des conditions générales
dont certaines sont incompatibles, le contrat est néanmoins conclu sur la base des
clauses négociées et des conditions générales qui sont pour l’essentiel communes
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Débats
aux parties, à moins que l’une d’entre elles n’ait indiqué antérieurement ou n’informe
l’autre sans retard qu’elle n’entend pas être liée par ce contrat.
V. no 52 (3).
Chapitre 4
Du contenu du contrat
Art. 4.101. – Le contrat doit correspondre à un intérêt pour les diverses parties.
L’intérêt peut être patrimonial ou moral.
V. no 87.
Art. 4.102. – La validité du contrat n’est pas affectée par le seul fait que, lors
de sa conclusion, l’exécution de l’obligation est impossible ou l’une des parties
n’est pas en droit de disposer du bien sur lequel il porte.
V. no 71.
Art. 4.103. – Lorsque le contrat ne fixe pas le prix ou le moyen de le déterminer,
le prix dû est, sauf indication contraire, celui habituellement pratiqué au moment
de l’exécution pour les mêmes prestations dans des circonstances comparables ou,
à défaut, un prix raisonnable, eu égard à la nature et au but du contrat et aux
circonstances de l’espèce.
V. no 72.
Art. 4.105. – Lorsque la détermination d’un élément du contrat est laissée à
l’appréciation unilatérale d’une partie ou à l’arbitrage d’un tiers, elle doit être faite
conformément à la bonne foi et l’équité, eu égard à la nature et au but du contrat
et aux circonstances de l’espèce.
Si la partie ou le tiers n’y procède pas dans un délai raisonnable ou si son
appréciation est inéquitable, elle est faite par le juge, selon les mêmes critères.
V. nos 73-74.
Art. 4.106. – Lorsque le contrat ne fixe pas la qualité de la prestation ou le
moyen de la déterminer, il est dû une prestation qui soit au moins de qualité
moyenne, compte tenu de la qualité des parties, des circonstances de l’espèce et
des usages.
V. no 75.
Art. 4.107. – Le déséquilibre entre les prestations convenues ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes.
Toutefois, et sans préjudice de dispositions particulières, est réputée non écrite
la clause qui crée dans le contrat un déséquilibre significatif au détriment de l’une
des parties lorsqu’elle n’a pas été l’objet d’une négociation individuelle.
V. no 66.
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DISPOSITIONS DIVERSES
Modifications
L’article 893, alinéa 1er, du Code civil est ainsi rédigé :
Art. 893. – La libéralité est l’acte par lequel une personne, dans une intention
libérale, dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au
profit d’une autre personne.
Il n’y a point de libéralité en l’absence du motif qui a déterminé le consentement
du disposant.
La disparition du motif qui a déterminé le consentement du disposant entraîne
la révocation ou la nullité de la libéralité.
V. nos 80-83.
L’article 1964 du Code civil est ainsi rédigé :
Art. 1964. – Sont des contrats aléatoires au sens de l’article du présent code :
Le jeu et le pari,
Le contrat de rente viagère,
Le contrat d’assurance.
Ce dernier est régi par le Code des assurances.
V. no 84.
Ajouts
Il est ajouté un article 1964-1 du Code civil, ainsi rédigé :
Art. 1964-1. – L’absence d’aléa lors de la formation du contrat rend le contrat
nul.
V. no 84.
Abrogations
Les articles 6, 1591, 1592, 1599 du Code civil sont abrogés.
V. nos 43, 69 et 79 ; 72-76 ; 64.
*
Le reproche a été fait, à juste titre, à l’avant-projet d’être une œuvre académique 290 et, au total, peu collective. Nous soumettons donc notre travail au jugement
des utilisateurs du droit : avocats, consommateurs, juristes d’entreprise, magistrats,
notaires (sans exclure assurément les universitaires). « Piece out our imperfections
with your thoughts » 291.
Georges ROUHETTE
290. A. Bénabent, RDC 2006/1, p. 33.
291. Shakespeare, Henry V, Prol. 23.
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Débats
Le projet Catala et le droit allemand
Matthias LEHMANN (Université de Bayreuth, Allemagne *
En 2005, un avant-projet de réforme du droit des obligations a été présenté
par une commission composée de plusieurs juristes, connu, en l’honneur de son
président, sous le nom « projet Catala » 1. Comme on le sait, l’avant-projet est né
d’une conférence à la faculté de Sceaux 2. Son sujet était de comparer le droit
français avec les Principes du droit européen du contrat élaborés par une commission
d’experts des différents États membres, sous la direction du professeur Lando 3. Le
résultat de cette conférence est une proposition de reformuler les règles du Code
civil sur les obligations et la prescription, règles qui n’avaient presque pas été
touchées depuis l’entrée en vigueur du Code civil. Nonobstant l’origine décidemment européenne de l’avant-projet, il paraît que son but n’est pas vraiment de se
rapprocher des Principes du droit européen du contrat. Son ambition est plutôt
une modernisation du droit français qui ne soit pas une duplication du droit européen
mais une solution originale.
De l’autre côté du Rhin, une profonde réforme du droit des contrats est entrée
en vigueur en 2002 4. Après plus de cent ans d’application du Code civil allemand –
le Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) –, cela a été la première révision globale du
droit allemand des obligations. Il n’est pas sans intérêt de comparer les règles issues
de cette réforme avec celles de l’avant-projet français. Cet intérêt naît, notamment,
du fait que le père de la réforme française, Pierre Catala, a justifié l’avant-projet
en se référant, entre autres, expressément à « l’exemple de nos voisins allemands »
qui ont rénové leur Code 5.
La question qui se pose alors est de savoir si les deux projets vont dans le
même sens ou si, au contraire, ils s’orientent dans des directions différentes, créant
une distanciation entre les deux ordres juridiques. Cette comparaison ne peut laisser
de côté, désormais, le droit civil européen qui est in statu nascendi, et ceci pour
deux raisons : premièrement, parce que le droit européen a servi comme source
d’inspiration, et à plusieurs reprises, comme modèle aux projets de réforme francoallemands ; deuxièmement, parce que les droits français et allemand, représentants
de la tradition romano-germanique, auront évidemment une influence majeure sur
un futur droit européen des contrats. Ce droit n’est plus seulement une fantaisie,
*. Docteur en droit (Université de Iéna, Allemagne), DEA (Université Panthéon-Assas),
LL.M. (Columbia University, New York). Cet article a été rédigé pendant mon séjour en tant que
professeur invité à l’université Montesquieu – Bordeaux IV. Je tiens à remercier spécialement les
professeurs Sandrine Sana-Chaillé de Néré et Valérie Malabat pour leur soutien et leur aide précieuse
dans la rédaction.
1. V. P. Catala, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr.,
2006.
2. Sur la genèse du projet, v. D. Mazeaud, RDC 2006, p. 177.
3. Commission pour le droit européen du contrat, Principes du droit européen du contrat, version
française préparée par G. Rouhette, avec le concours de I. de Lamberterie, D. Tallon et C. Witz,
Société de legislation comparée, 2003.
4. V. Gesetz zur Modernisierung des Schuldrechts (loi sur la modernisation du droit des obligations) du 26 novembre 2001, BGBl (Journal officiel allemand) 2001, I, p. 3138 et s.
5. V. P. Catala, « Présentation générale de l’avant-projet », in Avant-projet de réforme du droit
des obligations et du droit de la prescription, op. cit., p. 11.
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mais pourrait voir le jour dès 2009 sous la forme d’un instrument optionnel proposé
par la Commission européenne 6.
Une comparaison de l’avant-projet Catala au droit allemand modernisé vaut
d’être faite sur deux plans. En premier lieu, s’impose une comparaison globale,
qui compare les méthodes poursuivies (I). En second lieu seulement, on pourra
alors oser la comparaison de certaines règles du droit des obligations (II).
I. – Convergences et divergences de méthodes
des deux côtés du Rhin
Aussi bien en France qu’en Allemagne, on a senti le besoin de réformer le
droit des obligations à l’aube du XXIe siècle. Bien que le but soit le même, les
pistes poursuivies ne le sont pas toujours.
A. – Convergences
À première vue, les similitudes entre l’avant-projet français et le nouveau droit
des obligations allemand sont frappantes. Comme son pendant français, le Code
allemand n’avait pas été profondément révisé depuis son entrée en vigueur, qui
date du 1er janvier 1900. Comme en France, on estimait en Allemagne que le droit
des obligations ne correspondait plus à la réalité du commerce et des négociations
contractuelles telles qu’elles sont pratiquées au XXIe siècle. À l’instar de l’avantprojet français, la réforme du droit allemand était donc clairement inspirée par le
besoin de modernisation.
D’ailleurs, le droit européen naissant en la matière était une raison d’agir
importante non seulement pour le groupe Catala, mais aussi pour le législateur
allemand. Ce dernier s’est en effet également orienté vers les principes de la
commission Lando. Bien qu’il ne les ait pas toujours suivis, ces principes étaient
une sorte de référence à laquelle on comparait constamment les règles du droit
allemand. Parfois, on est même allé encore plus loin. Par exemple, les règles
allemandes de la prescription telles qu’issues de la réforme de 2002 sont une
traduction quasi littérale des règles publiées par la commission Lando 7. Cette
méthode peut surprendre, vu que le but des Principes du droit européen du contrat
n’était guère d’être un modèle pour les législations nationales en matière contractuelle, mais au contraire d’en donner un reflet fiable.
Un dernier parallèle entre la réforme du droit allemand et l’avant-projet Catala
concerne leur origine. Comme le projet Catala, les textes du droit allemand sont
en première ligne une œuvre de la doctrine. Une commission sur le droit des
obligations – « Schuldrechtskommission » – les a préparés sous forme de rapport
au ministère allemand de la Justice. Ce rapport a ensuite servi de base à un projet
6. V. Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil – « Un droit
européen des contrats plus cohérent – Un plan d’action », COM 2003 (68).
7. V. par ex., sur le droit de la prescription, le projet de loi « Fraktionsentwurf eines Gesetzes
zur Modernisierung des Schuldrechts », BT-Drucks (matériaux du Bundestag) 14/640, p. 103.
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de législation, qui a été vivement discuté au cours de différentes conférences
académiques, et qui a abouti finalement à la réforme entrée en vigueur en 2002.
B. – Différences
De profondes différences peuvent être relevées entre les réformes des deux
États.
Premièrement, en dépit de l’aide apportée par le ministère de la Justice et de
l’encouragement du président de la République, la réforme française est restée
jusqu’à ce jour un projet doctrinal. Elle a été initiée par un groupe de professeurs
qui ont eu une motivation purement scientifique. De plus, le groupe formé autour
du professeur Catala a mené sa recherche, semble-t-il, dans une autonomie complète
à l’égard du législateur.
En revanche, la réforme du droit allemand n’a pas été déclenchée par la doctrine.
C’est le ministre de la Justice lui-même qui prit l’initiative de réformer le droit des
obligations dans une présentation au Bundestag en 1978. Il chargea alors des
spécialistes éminents de la matière de lui rendre des rapports sur la nécessité et
les possibilités de modernisation. Ceux-ci lui soumirent les résultats de leurs
recherches entre 1981 et 1983. Le ministre en personne en assura la publication
en tant qu’éditeur 8. En d’autres mots, ces publications furent moins des rapports
« au » garde des Sceaux que des rapports « par » le garde des Sceaux. Sur la base
de ces rapports, une commission sur le droit des obligations fut instituée en 1984,
encore une fois par le ministre de la Justice. Celle-ci remit son rapport final en
1991.
En dépit de cette relation forte entre la politique et la science, le rapport resta
dans les bibliothèques universitaires et les archives du ministère de la Justice pendant
plus de sept ans, sans qu’il en résulte de mesures concrètes. Ce n’est qu’avec le
changement de gouvernement en 1998 que le débat sur la modernisation du droit
des obligations fut relancé. Un projet de loi fut alors publié par le ministère de la
Justice en 2000. Bien que basé sur le rapport final de la commission sur le droit
des obligations, ce projet de loi fut retouché sur de nombreux points par les
fonctionnaires du ministère de la Justice. Quand on relit plus spécialement la
motivation de la loi, on identifie clairement la plume des technocrates qui, dans
une certaine mesure, remplacèrent la science pure. On pouvait s’attendre à ce qui
allait ensuite se passer : le projet fut vivement critiqué par la doctrine. Certaines
de ses propositions furent néanmoins incluses dans le texte. Mais il était trop tard
pour éviter que la loi soit signée par le président allemand et promulguée le
26 novembre 2001. On peut ainsi dire que la réforme allemande est le fruit d’un
effort politique plutôt qu’un projet primordialement académique.
La deuxième différence est relative à la longueur de la réforme. Le projet
allemand a mis plus de vingt ans pour aboutir à une loi. On ne sait pas encore
combien de temps le législateur français va prendre pour transformer le projet
8. Bundesminister der Justiz (ministre de la Justice), Gutachten und Vorschläge zur Überarbeitung
des Schuldrechts, 3 tomes, Cologne, Bundesanzeiger-Verlag, 1981 à 1983.
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Catala en une mesure législative modifiant le Code civil. Mais l’élaboration relativement prompte de l’avant-projet laisse espérer que la réforme française pourrait être
beaucoup plus rapide que celle d’outre-Rhin. Il est tout à fait remarquable que le
groupe Catala n’ait commencé son travail qu’en 2003 et que la plus grande partie
du texte ait déjà été rédigée en 2004, soit seulement un an après le début des
travaux. Au contraire, la commission allemande sur le droit des obligations a mis
plus de dix ans pour arriver à ses conclusions. Son premier rapport avait en effet
été publié en 1980, et le rapport final onze années plus tard. La différence de
vitesse avec laquelle la doctrine a travaillé ne permet bien sûr aucune conclusion
sur la qualité des deux projets. Au contraire, on pourrait dire qu’un des atouts du
projet Catala est justement sa cohérence qui est certainement due au fait qu’il n’y
a pas eu de grandes interruptions dans son élaboration.
La troisième différence concerne la motivation de la réforme. Bien que les
Principes du droit européen du contrat aient joué un certain rôle, l’influence grandissante du droit communautaire sur le droit civil paraît n’avoir eu aucune conséquence
relativement à l’avant-projet français. Au contraire, la motivation primordiale de
la réforme du droit allemand des obligations était précisément d’intégrer dans le
BGB les différentes règles du droit communautaire sur les contrats. Depuis la
directive sur les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs 9,
en passant par la directive sur la vente et les garanties des biens de consommation 10,
la directive sur le commerce électronique 11 et en finissant par la directive sur la
lutte contre le retard de paiement 12, toutes ont servi d’argument précieux au législateur pour justifier le besoin de la réforme. Une grande partie des directives européennes sur le droit civil avait déjà été transposée en droit allemand, comme la directive
sur les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux de 1985 13
ou la directive sur la protection des consommateurs en matière de contrats à
distance 14. Mais les exigences communautaires n’avaient pas été incluses dans le
Code civil allemand. Elles étaient réparties dans des lois dispersées qui ont complété
et amendé les dispositions du BGB. Cet éparpillement des sources rendait l’application du droit civil incommode, puisque l’on devait toujours lire le Code en parallèle
avec les autres lois. Le but de la réforme était de faire entrer ces règles dans un
même corps législatif, le BGB ayant été considéré comme le lieu approprié pour
les absorber en dépit de leur origine européenne.
En France, bien que l’on estime que le droit contractuel demande « à être
refondu dans le corps du droit auquel il appartient » 15, cette formule ne vise pas
les modifications apportées au droit des contrats par le droit communautaire. À la
différence de la conception allemande, ces règles sont vues comme concernant
un sujet bien différent du droit civil. Cette manière de voir les choses peut, par
9. Dir. no 93/13/CEE.
10. Dir. no 99/44/CE.
11. Dir. no 2000/31/CE.
12. Dir. no 2000/35/CE.
13. Dir. no 85/577/CEE.
14. Dir. no 97/7/CE.
15. G. Cornu, « Introduction », in Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit
de la prescription, op. cit., p. 19.
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Débats
exemple, être décelée sous la plume du professeur Catala, qui caractérise le droit
civil comme un droit d’équilibre, qui n’est a priori favorable à l’une ou l’autre
partie 16. Dans l’esprit de l’initiateur de l’avant-projet, le droit civil devrait s’adresser
de manière indifférenciée à tout citoyen, dans un esprit républicain. Le Code civil
devrait être le « droit commun par excellence » pour le juge. En revanche, le soin
de régler la balance contractuelle vers plus d’efficacité ou de sécurité incomberait
à d’autres Codes 17. Si l’on suit cet ordre d’idées, le droit communautaire ne s’insère
guère dans le domaine du droit civil, puisqu’il vise souvent à la protection d’une
partie, notamment à celle du consommateur. Pour cette raison, même si la réforme
Catala entre en vigueur, la France conservera son Code de la consommation ainsi
que toutes les autres règles transposant les interventions du droit communautaire
dans le droit civil.
Sans doute, cette séparation nette entre le droit civil et le droit protecteur d’une
des parties a certains avantages. Elle a notamment le mérite de préserver le Code
civil de toute influence des règles communautaires qui ne s’intègrent pas toujours
bien dans le système du droit national. La transposition du droit européen dans
des lois spéciales attire aussi l’attention de l’utilisateur de ces lois sur leur origine
européenne, ce qui a une importance indéniable pour leur application ; il suffit
de penser à l’« interprétation autonome » des règles issues du droit communautaire
qui est demandée constamment par la Cour de justice des Communautés européennes.
De l’autre côté, l’approche française se prête aussi à la critique. Notamment,
on peut regretter qu’elle ait pour effet que les règles du Code civil restent lettre
morte dans une grande partie des situations pratiques. Celles-ci sont gouvernées
soit par les règles spéciales qui règnent dans les relations entre professionnels et
consommateurs, soit par les règles destinées aux relations commerciales. Au lieu
de refléter la réalité du droit tel qu’il s’applique aux différentes situations de la
vie, le Code civil risque de devenir une sorte de collection des grands principes
abstraits du droit des obligations. Ceux-ci peuvent certes être utiles pour les
chercheurs, mais moins pour le citoyen qui veut s’informer sur ses droits. On ne
peut que spéculer sur la raison de cette abstraction de la vie pratique. Peut-être
est-elle due à une certaine méfiance à l’égard des normes qui poursuivent des
buts « politiques » par hypothèse changeants au gré des modes législatives. Mais
aujourd’hui, on ne peut plus dire que le droit civil constituerait plus un corps de
règles « neutres » qui mettent en balance les intérêts des parties sans donner préférence à l’une ou à l’autre. Au contraire, il est devenu un mécanisme de l’organisation
sociale, contenant souvent des règles impératives au profit de la partie considérée –
à tort ou à raison – comme étant la plus faible. Pour constater ce bouleversement
fondamental qui a eu lieu surtout au cours du XXe siècle, il suffit de jeter un regard
sur le droit du louage, où l’on peut discerner une multitude de dispositions qui
visent à protéger le locataire d’un appartement contre la puissance du bailleur.
On peut bien dire que ces règles ne sont pas du « droit civil » dans le sens républicain
16. P. Catala, « Présentation générale de l’avant-projet », préc., p. 12.
17. Ibid.
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pur. Mais cela ne reviendrait-il pas à ignorer que la fonction du droit civil a
profondément changé depuis l’entrée en vigueur du Code Napoléon ?
Cette divergence quant au traitement du droit communautaire présente la plus
grande différence méthodologique entre l’avant-projet français et le droit allemand.
Tandis que le législateur allemand a intégré les règles d’origine européenne dans
le BGB, elles ne sont pas visées par l’avant-projet de réforme du droit français.
Ceci ne va pas seulement créer des divergences par rapport au droit allemand.
On peut s’attendre de plus à ce qu’un futur Code européen du droit des obligations
incorpore également les règles protégeant une des parties, ne serait-ce que parce
que ces règles forment une partie considérable de l’« acquis communautaire ». Le
risque est ainsi que le futur Code civil français soit dépassé par les développements
du droit européen.
Une autre différence entre le projet Catala et le droit allemand des obligations
concerne les styles dans lesquels les deux textes sont rédigés. Le droit allemand
des obligations utilise souvent des expressions de nature technique. En revanche,
le projet Catala adopte une langue nettement plus élégante et claire, qui, on doit
l’admettre, paraît être l’apanage des juristes français. À la différence du législateur
allemand, l’intention des auteurs de l’avant-projet était de mettre les grands principes
du droit à la lumière, plutôt que de s’occuper des petits détails pratiques. Comme
exemple, on peut citer la section spéciale que l’avant-projet dédie aux questions
de l’interprétation et de la qualification 18. Cette section contient un canon de règles
qui n’a pas d’équivalent en droit allemand. Il est vrai que le BGB contient aussi
quelques dispositions sur le problème de l’interprétation, mais celles-ci sont
annexées à d’autres règles sans constituer une œuvre cohérente 19.
Un autre exemple pour la divergence décrite est la section dédiée aux différents
types d’obligations 20. On y trouve, par exemple, l’obligation de faire ou de ne pas
faire, ou l’obligation de donner et de donner à usage. Bien que le droit allemand
connaisse presque tous ces types d’obligations, il ne les classe pas clairement.
Cette disparité de style est révélatrice d’une aspiration différente des deux textes :
le droit allemand se veut moins pédagogique, il tient plus à la solution de certaines
questions pratiques qu’à la catégorisation. En revanche, le projet Catala reste dans
la tradition française de la législation comme œuvre enseignante, qui a fait du
Code civil un Code du peuple et non seulement des experts.
Enfin, une dernière différence concerne les champs d’application des deux
réformes. Ceux-ci s’entrecroisent, mais ne sont pas identiques. L’avant-projet français
englobe pratiquement tout le droit des obligations lato sensu. Il inclut, par exemple,
les obligations solidaires, les opérations sur créances, l’enrichissement sans cause
et la responsabilité délictuelle. En revanche, la réforme du droit allemand se cantonne aux règles du droit des obligations contractuelles, et surtout aux règles de
l’inexécution. Il s’ensuit que lorsqu’il est proposé de comparer – v. la deuxième
18. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1136 à 1143.
19. V. BGB, § 133, 157.
20. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1144à 1151.
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partie de cet article –, quelques-unes des propositions du projet Catala au droit
allemand, cela ne veut pas dire qu’il s’agit toujours des règles issues de la loi de
réforme de 2002 : il peut aussi bien s’agir des dispositions du BGB dans sa version
originale du 1er janvier 1900.
II. – Rapprochement et distanciation des droits français
et allemand des obligations
Après cette première vue sur les différences méthodologiques, il est temps
d’entrer dans l’examen détaillé des règles des deux projets. Il serait vain de tenter
de donner même seulement un aperçu sur la réforme du droit français et ses
relations avec le droit allemand. L’avant-projet est trop volumineux pour permettre
une telle comparaison. La seule démarche qui peut être entreprise ici est de prendre
quelques règles phares de l’avant-projet et de les comparer au droit allemand.
L’étude se concentrera donc sur les règles proposées qui ont la plus grande importance en pratique et qui méritent, en même temps, d’être mises en lumière du
point de vue allemand. La comparaison de ces quelques règles permet, là encore,
de faire apparaître tant des similitudes que des différences.
A. – Rapprochements
1. Formation du contrat
Une première partie des propositions de l’avant-projet est dédiée à la formation
du contrat. En droit allemand, les règles relatives à ce sujet ne font pas partie
du droit des obligations stricto sensu. Elles se trouvent dans la partie générale
(« Allgemeiner Teil ») du BGB, qui est au moins théoriquement applicable dans
toutes les matières du droit civil, peu importe s’il s’agit du droit des obligations,
du droit de la propriété, du droit de la famille ou du droit des successions. Mais
bien sûr, les règles sur la formation du contrat ont leur plus grande portée pratique
dans le droit des obligations.
Si l’on regarde les propositions de l’avant-projet français, il saute aux yeux
qu’elles s’occupent plus de la période précontractuelle que le Code civil dans son
état actuel. L’ambition était précisément de combler la lacune du Code au regard
de cette phase et d’envisager les différentes étapes qui conduisent à la formation
du contrat 21. Sur plusieurs niveaux, les règles proposées ressemblent au droit
allemand.
1. Il y a d’abord, pour la première fois, des dispositions qui gouvernent le
déroulement de la négociation, et spécialement la rupture des pourparlers 22. Il est
vrai que le Code civil allemand ne prévoit pas de dispositions sur la responsabilité
21. V. Y. Lequette, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, « Validité du contrat – consentement », in Avantprojet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit., p. 30.
22. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1104 à 1104-2.
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encourue dans cette hypothèse. Mais une telle règle avait déjà été développée par
Rudolf Jhering au XIXe siècle dans l’institution fameuse de la culpa in contrahendo 23,
dont le but était justement de créer une responsabilité pour rupture injustifiée des
pourparlers. Au XXe siècle, cette institution ne va pas seulement être acceptée,
mais également être étendue par la jurisprudence à d’autres situations. Le législateur
a ultérieurement confirmé ce développement en « codifiant » la culpa in contrahendo dans la réforme du droit des obligations, bien qu’il ait manqué d’en régler
les cas précis 24. La reconnaissance d’un comportement fautif avant la conclusion
du contrat comme source d’obligation est donc un point sur lequel le droit français
et le droit allemand se sont rapprochés. Il faut ajouter que les Principes du droit
européen du contrat connaissent aussi une telle responsabilité 25.
2. Un rapprochement peut également être constaté concernant l’offre et l’acceptation. Les règles nouvelles proposées à cet égard pour le Code civil ressemblent
fortement à celles du droit allemand. Pour ne prendre qu’un exemple, l’avantprojet prévoit que lorsque l’offre comporte un engagement de la maintenir pendant
un délai précis, sa révocation ne peut empêcher la formation du contrat 26. Or,
cette même règle est posée dans le paragraphe 148 du Code civil allemand. Cette
solution commune aux droits français et allemand se remarque d’autant plus qu’elle
est notamment contraire au droit anglo-saxon, qui reconnaît un engagement de
l’offrant seulement sous la condition que celui-ci ait reçu une contrepartie, ou
consideration, de l’acceptant. Mais, encore une fois, elle est en accord avec les
Principes européen du droit du contrat 27.
À la différence de l’avant-projet, les Principes européens du droit du contrat
n’envisagent toutefois pas la situation de l’incapacité ou de la mort de l’offrant.
L’avant-projet français prévoit en effet que ces deux circonstances n’ont pas d’influence sur la validité de l’offre 28. Or, cette règle est une traduction quasi littérale
du paragraphe 153 du BGB. Sur ce dernier point également, le Code allemand
contient donc exactement la même solution que l’avant-projet français.
3. Le projet Catala prévoit aussi de nouvelles règles sur l’intégrité du consentement. Celles-ci sont proposées dans un paragraphe qui devrait être inséré dans un
nouveau sous-titre intitulé « De la qualité du consentement » et qui comprend aussi
les règles sur les vices du consentement. Le Code civil français, dans la version
proposée par le projet Catala, reconnaîtra ainsi d’abord une obligation de renseignement pour le contractant qui sait l’importance de l’information pour l’autre partie 29.
Les règles relatives à cette obligation font penser à celles qui ont été développées
23. R. Jhering, « Culpa in contrahendo », in Jahrbücher für die Dogmatik des bürgerlichen Rechts,
4 (1861), p. 1 et s.
24. V. BGB, § 311, al. 2.
25. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 2 :301 (2).
26. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1105-4.
27. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 2 :202 (3).
28. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1105-4.
29. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1110.
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par la jurisprudence allemande sur la base de la culpa in contrahendo introduite
par Jhering 30. Par exemple, l’avant-projet pose comme condition à l’existence de
l’obligation que l’autre partie se trouve dans l’impossibilité de se renseigner par ellemême. Or, ce cas de figure a été particulièrement développé en droit allemand 31. De
plus, la sanction envisagée du manquement à l’obligation de renseignement est
identique à celle posée en Allemagne, à savoir la responsabilité de celui qui était
tenu. On peut ainsi constater un consensus franco-allemand sur la question de
l’obligation de renseignement. En revanche, le problème est traité de manière
différente par les Principes du droit européen du contrat qui s’en s’approchent en
utilisant la notion de « fraude » 32. Lesdits Principes limitent en effet, d’un côté, la
portée de la responsabilité en ne couvrant que les cas du manquement délibéré
à une obligation de renseignement. D’un autre côté, la sanction prévue dans les
Principes européens du droit du contrat est la nullité du contrat, solution beaucoup
plus rigide que les dommages-intérêts prévus par le droit allemand et l’avant-projet
français.
Un autre parallèle entre le droit allemand et le projet Catala concerne les vices
du consentement. Le nouvel article 1109-1 du Code civil proposé dispose qu’il
n’y a point de consentement lorsque les volontés ne se sont pas rencontrées sur
les éléments « essentiels » du contrat. L’expression apparaît aussi dans le paragraphe 119, alinéa 2, du BGB, selon lequel une erreur sur les qualités de la personne
ou de la chose rend le contrat annulable si ces qualités sont généralement considérées comme étant « essentielles ».
Toujours en matière de qualité du consentement, le nouvel article 1114-3 du
Code civil proposé prévoit qu’il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous l’empire
d’un état de nécessité ou de dépendance et si l’autre partie exploite cette situation
de faiblesse en retirant de la convention un avantage manifestement excessif. Les
auteurs du projet décrivent la consécration de l’exploitation abusive d’une situation
de faiblesse comme « l’innovation réelle » en matière de violence 33. Au regard du
BGB, elle ne l’est toutefois certainement pas. Un lecteur allemand ne peut en effet
pas s’empêcher de penser au paragraphe 138, alinéa 2, du Code civil allemand,
qui date déjà de l’année 1900 34, et qui prévoit exactement les mêmes conditions
pour l’annulation du contrat que la nouvelle règle proposée par le groupe Catala.
4. Aux exemples mentionnés, on pourrait ajouter maints autres aspects à l’égard
desquels l’avant-projet ressemble au droit allemand. On pourrait ainsi noter la
distinction plus nette entre la capacité de jouissance et la capacité d’exercice 35,
l’introduction dans le droit général des contrats d’une section dédiée à la question
30. V. R. Jhering, « Culpa in contrahendo », op. cit.
31. V. les exemples de la jurisprudence donnés par Grüneberg, in Palandt, Bürgerliches
Gesetzbuch, 66. éd., C. H. Beck, 2007, § 311, no 38.
32. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 4 :107 (1) (3).
33. V. Y. Lequette, G. Loiseau et Y.-M. Serinet, « Validité du contrat – consentement », art. préc.,
p. 33.
34. La parenté au paragraphe 138 du BGB a été remarqué aussi par P. Stoffel-Munck, « Autour
du consentement et de la violence économique », RDC 2006, no 1, p. 54.
35. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1116. Comp. BGB, § 1 et 104.
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de la représentation 36, la reconnaissance du contrat d’adhésion 37, ainsi que la
plus grande importance donnée au principe de la bonne foi 38. Ces exemples
devraient suffire pour démontrer que le droit français est bel et bien en train de
se rapprocher du droit allemand en ce qui concerne la formation du contrat. Comme
raison, on peut souligner que le BGB a été développé presque un siècle après
le Code civil, à une époque à laquelle on s’intéressait plus aux circonstances
psychologiques de formation du contrat qu’au siècle des Lumières, où l’on avait
tendance à approcher les questions sociales d’une manière fortement imprégnée
par les sciences naturelles. En France, ces développements ont été rattrapés en
grande partie par la jurisprudence, dont les auteurs de l’avant-projet se sont souvent
inspirés 39. Il n’en reste pas moins que si les règles proposées sont retenues, le
Code civil français ressemblera plus que jamais au BGB.
b) Inexécution du contrat
Les droits allemand et français se rapprochent aussi au regard de l’inexécution
du contrat.
1. Dans cette matière, c’est davantage le droit allemand qui s’inspire du droit
français. L’innovation majeure de la loi sur la modernisation du droit allemand
des obligations a en effet été d’introduire une seule catégorie juridique pour couvrir
toutes les hypothèses d’inexécution du contrat. Auparavant, le BGB distinguait
quatre cas de figure différents : l’impossibilité, le retard dans l’exécution, les vices
rédhibitoires et l’inexécution pure et simple. L’origine de ces catégories se trouvait
dans le travail des pandectistes du XIXe siècle, qui pensaient pouvoir les dégager
du droit romain. Il ne s’agissait pas seulement de distinguer des situations, mais
de poser des instruments juridiques séparés, dont le régime était totalement différent.
Aux quatre situations prévues dans le Code civil allemand, s’en ajoutait encore
une autre développée par la doctrine et la jurisprudence, à savoir la « violation
positive », ou mauvaise exécution d’une obligation. Le droit allemand disposait donc
de cinq instruments différents pour sanctionner un manquement à une obligation. Il
en résultait un régime très complexe et difficile à expliquer.
L’idée de résumer tous ces cas dans une même catégorie d’inexécution tout
en différenciant des sous-catégories apparaissait très attrayante au gouvernement
allemand. Comme modèle, le législateur s’est servi avant tout de la Convention
36. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1119-1 à 1120-2. Comp. BGB, § 164-181.
37. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1102-5. Comp. BGB, § 305.
38. V. G. Cornu, « Introduction », in Avant-projet de réforme du droit des obligations et du
droit de la prescription, op. cit., p. 19 ; sur la relation au droit allemand, v. spéc. B. FauvarqueCosson, « La réforme du droit français des contrats : perspective comparative », RDC 2006, p. 149,
151 et s. Comp. la vaste jurisprudence allemande basée sur le paragraphe 242 du BGB, qui est
originairement une traduction littérale de l’article 1134, alinéa 3, du Code civil, et qui applique cette
disposition aussi à la phase de la formation du contrat, comme le prévoit l’avant-projet. V. Roth, in
Münchener Kommentar zum BGB, 4e éd., C. H. Beck, 2003, § 242, nos 64, 72-74 ; Grüneberg, in
Palandt, Bürgerliches Gesetzbuch, op. cit., § 242, no 6.
39. V. sur ce point les obs. de D. Mazeaud, RDC 2006, p. 177.
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de Vienne sur la vente internationale de marchandises 40. Mais on s’est également
inspiré du droit français pour justifier le changement. Par exemple, on s’est demandé
pendant longtemps si l’on devait désigner la nouvelle catégorie par le mot « Nichterfüllung », expression qui traduit en allemand le concept français d’« inexécution » 41.
On s’est finalement décidé à parler de la « Pflichtverletzung », ou « violation d’un
devoir », afin de couvrir aussi les cas d’une mauvaise exécution du contrat. Mais
même après la réforme, la discussion a continué sur la question de savoir si la
mauvaise exécution du contrat n’était pas une situation à part qui mériterait un
traitement différent. Quoi qu’il en soit, on peut constater que, à l’issue de la
modernisation du droit des obligations, le régime allemand du manquement à une
obligation s’apparente beaucoup au droit français. On s’est même demandé si l’on
ne devait pas, dès à présent, suivre le modèle de la France et distinguer entre
« obligations de résultat » et « obligations de moyens » 42.
2. Quant au droit français de l’inexécution du contrat, il évolue également
dans la direction du droit allemand. Une des innovations majeures de l’avantprojet est la possibilité de résoudre le contrat par une déclaration du créancier
dans le cas d’un retard du débiteur dans l’exécution du contrat 43. La nouveauté
est que cette possibilité ne nécessite pas l’intervention du juge. En droit allemand,
la résolution unilatérale par le créancier est connue depuis longtemps. Après la
réforme du droit des obligations, c’est le nouveau paragraphe 323 du BGB qui
entérine le principe. À l’instar de l’avant-projet français, ce paragraphe pose comme
condition principale que le créancier ait accordé un délai raisonnable au débiteur
afin que celui-ci puisse satisfaire à son engagement. Après l’expiration de ce délai,
le créancier a le droit de résoudre le contrat indépendamment du fait que le débiteur
ait manqué à une obligation principale ou accessoire, et indépendamment du
caractère intentionnel, ou non intentionnel, de la non-exécution. Nonobstant le
fait que le BGB pose quelques conditions supplémentaires qui ne sont pas prévues
dans l’avant-projet français, la solution du droit allemand est très proche de celle
proposée par le groupe Catala 44. Ceci est encore plus clair si on le compare avec
le régime adopté par les Principes du droit européen du contrat et par beaucoup
de systèmes juridiques, qui ne permettent la résolution que si le manquement du
débiteur à son obligation est « fondamental » 45, notion qui s’apprécie en fonction
de l’obligation et des modalités de l’inexécution 46. Au contraire, pour le droit
allemand et l’avant-projet français, la résolution est possible quelle que soit la
40. V. Fraktionsentwurf eines Gesetzes zur Modernisierung des Schuldrechts, BT-Drucks. 14/640,
p. 86.
41. V. U. Huber, « Leisungsstörungen », in Bundesminister der Justiz (ministre de la Justice),
Gutachten und Vorschläge zur Überarbeitung des Schuldrechts, op. cit., t. 1, p. 699.
42. V. D. Looschelders, Schuldrecht Allgemeiner Teil, 4e éd., Carl Heymanns, 2006, no 563.
43. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1158, al. 2.
44. La ressemblance de l’avant-projet français au droit allemand n’a pas manqué d’attirer l’attention des auteurs français, v. B. Fauvarque-Cosson, « La réforme du droit français des contrats :
perspective comparative », art. préc., p. 157 et s.
45. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 9 :301.
46. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 8 :103.
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qualité de l’obligation inexécutée et peu importe qu’elle ait été violée de manière
non intentionnelle.
Enfin, à l’instar du droit allemand, le projet Catala exige comme condition de
la résolution que le créancier ait informé le débiteur du fait qu’il a mis fin au
contrat 47. La même règle existe dans le BGB 48 et dans les Principes du droit
européen du contrat 49. Toutefois, les deux derniers textes ne requièrent pas que
la résolution soit motivée. Cette exigence de motivation est ainsi une condition
propre au droit français qui a été ajoutée par l’avant-projet.
La résolution du contrat entraîne, dès lors qu’il y a eu au moins commencement
d’exécution, la restitution des prestations exécutées. Or, l’avant-projet propose de
dédier une nouvelle section du Code civil à ce sujet 50, ce qui le rapproche une
fois de plus beaucoup du BGB qui contient déjà depuis son entrée en vigueur un
sous-titre spécial sur la restitution après anéantissement du contrat 51.
c) Opérations sur créances
L’avant-projet français contient un nouveau chapitre intitulé « Les opérations
sur créances ». Pour la première fois, les dispositions relatives à ces opérations qui
sont dispersées dans tout le Code civil seront regroupées dans un lieu commun.
On a ainsi eu raison de dire que les règles de l’avant-projet sont le résultat d’un
« effort de rationalisation » 52. Cet effort avait été fait en Allemagne par les pères
fondateurs du BGB, qui avaient inséré une section spéciale consacrée à la cession
de créance 53. Sur le fond, l’avant-projet propose de permettre la cession d’une
créance future 54, solution qui est reconnue par la jurisprudence allemande depuis
des décennies, de même qu’elle autorise le créancier à céder sa créance à titre
de garantie, comme le ferait le Code civil si le projet Catala était transformé en
loi 55. Enfin, l’avant-projet propose d’abandonner la condition de la notification de
la cession au débiteur. L’établissement de l’acte suffira à opérer la transmission et
le transfert de la créance non seulement entre les parties, mais aussi à l’égard des
tiers 56. Ainsi, la vieille disposition de l’article 1690 du Code civil sera finalement
remplacée par une règle qui correspond mieux aux besoins actuels du commerce
et des opérations financières. En même temps, une des différences les plus ostensi47. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1158.
48. V. BGB, § 348.
49. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 9 :303.
50. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1161 à 1164-7.
51. BGB, § 346-354.
52. Ph. Malaurie, « Présentation de l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit
de la prescription », RDC 2006, no 1, p. 9.
53. BGB, § 398-413.
54. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1252.
55. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art .1257-1.
56. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1254.
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bles au BGB sera enlevée, qui avait suscité nombre de problèmes dans la pratique
du commerce franco-allemand.
d) Prescription
La prescription est une autre matière dans laquelle on peut constater un rapprochement du projet Catala avec le BGB. De fait, l’auteur responsable de cette
partie de l’avant-projet, le professeur Philippe Malaurie, ne cesse de citer le nouveau
droit allemand sur la prescription comme source d’inspiration du nouveau droit
français 57. Il est vrai que la loi sur la modernisation du droit des obligations avait
choisi une approche assez radicale en raccourcissant le délai de la prescription,
qui était autrefois de trente ans, à trois ans 58. L’avant-projet copie ce bref délai 59,
mais il suit également la réforme du droit allemand sur d’autres points en abandonnant tout d’abord l’interversion de la prescription extinctive et en proposant ensuite
d’ajouter dans le Code civil des dispositions sur la liberté contractuelle, l’interruption
et la suspension.
e) Autres exemples
Les rapprochements du droit français tel qu’il résulte des travaux du groupe
Catala avec le droit allemand ne s’arrêtent pas là. On pourrait citer encore de
multiples exemples, en s’appuyant sur la consécration d’un droit de rétention dans
le Code civil 60 ou sur l’admission de la compensation conventionnelle 61, que l’on
pouvait déjà trouver dans la version originale de 1900 du BGB 62. On peut même
rapprocher une des règles proposées du droit des obligations extracontractuelles,
la responsabilité de la société mère pour les faits dommageables de sa filiale 63, à
une particularité du droit allemand, le « Konzernrecht », ou « droit des groupes
d’entreprises » 64. Il vaut mieux s’arrêter là pour ne pas trop ennuyer le lecteur. Ce
que l’on peut dégager et retenir des développements antérieurs, c’est un rapprochement fort du droit français au droit allemand, et vice versa.
B. – Distanciations
En dépit de toutes ces ressemblances entre le droit allemand et l’avant-projet
de réforme du droit français des obligations et de la prescription, il serait faux de
571. V. Ph. Malaurie, « Livre troisième – Titre XX, De la prescription et de la possession (articles
2234 à 2281) – Exposé des motifs », in Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit
de la prescription, op. cit., p. 193-200.
58. BGB, § 195.
59. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 2274.
60. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1155-3.
61. V. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1241.
62. Comp. BGB, § 320 et § 387 et s.
63. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1360-2.
64. Loi allemande sur la société anonyme (Aktiengesetz), § 291 et s.
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croire que la portée des réformes du droit des obligations des deux côtés du Rhin
consisterait seulement dans un rapprochement du droit français et du droit allemand.
Il persiste bel et bien des différences importantes entre les deux ordres juridiques.
Comme il a été souligné par l’initiateur de l’avant-projet, celui-ci ne vise pas à
créer un Code de rupture, mais d’ajustement 65. En conséquence, le projet va
entériner et même accentuer certaines différences qui existent déjà au regard du
droit allemand. De plus, le travail du groupe Catala a son originalité propre et ne
s’est certainement pas borné à copier simplement le droit allemand. A cause de
son esprit novateur, de nouveaux fossés vont même être creusés entre les deux
droits. Ces derniers méritent d’être étudiés, à l’instar des différences qui ont été
maintenues. Encore une fois, on ne peut que citer quelques exemples prouvant
les tendances que l’on vient de décrire, qui concernent notamment la cause,
l’imprévision, l’interprétation ou la qualification du contrat ainsi que les dommages
et intérêts punitifs.
a) Cause
La particularité du droit français qui est probablement la plus frappante du
point de vue de la plupart des observateurs étrangers est l’exigence de la cause
pour la formation d’un contrat valable. Le droit allemand rejette cette condition
de même que les Principes du droit européen du contrat. Il semble que ce fait a
suscité beaucoup de discussion parmi les auteurs de l’avant-projet. Finalement, ils
ont néanmoins décidé de conserver la cause. La pérennité de cette institution
s’explique certainement par sa valeur symbolique pour la continuité du droit français. Comme il a été dit à juste titre, elle fait partie de l’« exception juridique
française » 66.
Si les auteurs de l’avant-projet se sont ainsi réalignés derrière la cause, ils ont
quand même estimé nécessaire, d’une part, de faciliter son régime et, d’autre part,
de préciser sa portée. Ainsi, ils ont éliminé la distinction entre la cause de l’obligation
et la cause de l’engagement. En revanche, ils veulent faire entrer dans le Code
civil la dichotomie déjà connue en doctrine entre la cause « réelle » et une cause
« licite » 67. Au cas où un des deux aspects de la cause manque, les conséquences
juridiques divergent selon le projet : l’absence totale d’une cause réelle n’entraînerait
ainsi qu’une nullité relative, ce qui veut dire que le contrat reste valable jusqu’à
son annulation par la partie intéressée. En revanche, l’illicéité de la cause du contrat
sera sanctionnée par la nullité absolue du contrat, qui prendra effet dès le moment
de sa conclusion 68.
Bien qu’ils ne soient pas visibles d’emblée, les effets que la distinction entre
cause réelle et cause licite engendre sont très proches de ceux du principe de
l’abstraction – « Abstraktionsprinzip » – qui est fondamental pour le droit allemand.
65. P. Catala, « Présentation générale de l’avant-projet », préc., p. 15.
66. B. Fages, « Autour de l’objet et de la cause », RDC 2006, no 1, p. 40.
67. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1124.
68. Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, op. cit.,
art. 1124-1.
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Débats
Ce principe est certes basé sur une idée totalement différente : celle de la distinction
entre le contrat d’obligations et le contrat par lequel la propriété est transférée
au cocontractant. Mais les résultats auxquels on parvient en utilisant ce principe
ressemblent beaucoup à ceux suscités par la distinction entre cause réelle et cause
licite. Par le mécanisme du principe d’abstraction, le droit allemand réserve en
effet la propriété à l’acheteur, même s’il n’existait pas une cause réelle pour le
transfert de propriété. L’acheteur peut ainsi disposer de la propriété, par exemple
en la transférant à un tiers, jusqu’à ce que son cocontractant ait fait valoir l’absence
de la cause. Cela ressemble aux nouvelles règles proposées en droit français dans
la mesure où celles-ci maintiennent aussi la propriété dans les mains de l’acheteur,
bien que le contrat manque de cause. Cette règle aide évidemment à la sécurité
juridique. En revanche, il est reconnu par la jurisprudence allemande que l’illicéité
du contrat obligatoire peut avoir comme conséquence une nullité absolue de celuici qui frappe aussi le contrat de transfert de propriété 69. En dépit de sa nature
abstraite, le contrat de transfert de propriété est alors nul dès le moment de sa
conclusion et ne peut engendrer aucune conséquence juridique. Comme en France,
l’acheteur ne pourra donc pas acquérir la propriété sur la base d’un contrat prohibé
par la loi ou contrevenant aux bonnes mœurs. D’un point de vue fonctionnel, les
résultats de l’avant-projet français et du droit allemand sont donc très similaires,
quoique les voies par lesquelles on y parvient restent fortement distinctes.
Ceci dit, il ne faut pas minimiser les différences entre le droit allemand et le
droit français au regard de la cause. Du point de vue doctrinal, la diversité au
regard de la construction du droit contractuel et au regard de l’acquisition de la
propriété persiste. Les dégâts qui en découlent sont pourtant mineurs, vu que les
résultats en pratique sont souvent les mêmes.
b) Changement des circonstances
Les auteurs de l’avant-projet français ont également refusé de se rapprocher
des autres droits européens, y compris du droit allemand, au regard d’un autre
problème : celui du changement profond des circonstances qui étaient réunies au
moment de la conclusion du contrat. Il est vrai que l’article 1135-2 de l’avantprojet prévoit une renégociation du contrat dans le cas où l’une des parties perdrait
tout intérêt au contrat. Ceci ressemble fortement au « Wegfall der
Geschäftsgrundlage », ou « disparition de la base du contrat », qui a été développé
par la jurisprudence allemande lorsqu’elle a été confrontée à la crise économique
et à la dévaluation de la monnaie dans les années 1920. Codifiée pour la première
fois par la loi sur la modernisation du droit des obligations dans le nouveau
paragraphe 313 du BGB, cette institution a comme conséquence primaire une
obligation de renégociation 70. Toutefois, au cas où les parties ne parviennent pas
à un accord, le droit allemand prévoit la possibilité que le juge adapte le contrat
aux nouvelles circonstances économiques. Les Principes du droit européen du
69. V., par ex., Cour fédérale allemande, 11 déc. 1991, BGHZ (Recueil des décisions de la
Cour fédérale en matière civile) 116, 277. En doctrine, v. Heinrichs, in Palandt, Bürgerliches
Gesetzbuch, op. cit., § 134, no 13.
70. Grüneberg, in Palandt, Bürgerliches Gesetzbuch, op. cit., § 313, no 41.
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contrat connaissent une disposition identique 71. En revanche, le droit français se
refuse totalement à une révision judiciaire du contrat pour imprévision.
On ne peut que spéculer sur les raisons de ce refus 72. Il semble qu’en France,
plus que dans d’autres pays, le législateur craint que la volonté des parties soit
remplacée par celle du juge. On y croit que le droit a prévu assez d’échappatoires
pour remédier aux changements imprévus de circonstances. Au cas où la renégociation des parties n’aboutirait pas à une adaptation du contrat, le projet leur réserve
en effet la possibilité de résoudre le contrat par une déclaration unilatérale. De
plus, les contractants ont toujours la possibilité d’inclure dans leur contrat une
clause d’adaptation s’ils le souhaitent.
Tout cela est vrai. Mais il est aussi vrai que les parties omettent, dans beaucoup
de cas, une clause d’adaptation, soit par négligence, soit parce qu’elles présument
que le droit contient des dispositions permettant une révision du contrat pour
imprévision. Le droit supplétif ne devrait pas, comme il l’a été soutenu en se fondant
sur une théorie américaine, punir les contractants négligents et les contraindre à
inclure une clause d’adaptation dans leurs contrats futurs 73. Au contraire, le droit
supplétif doit autant que possible contenir des règles que des contractants raisonnables auraient stipulées dans leur contrat s’ils y avaient pensé. Or, il est évident
que la clause de révision pour imprévision est une de ces clauses que les parties
ont tendance à oublier d’inclure dans leur contrat, justement parce qu’elles ne
prévoient pas la situation imprévisible. N’est-il pas raisonnable alors que le législateur comble cette lacune et supplée l’absence de clause par une révision judiciaire
pour imprévision ?
Certes, il est vrai que les parties peuvent toujours recourir à l’échappatoire de
la résolution unilatérale, mais celle-ci n’est pas toujours capable d’effacer les effets
nocifs d’un changement profond des circonstances extérieures au contrat. Il suffit
en effet de penser à un contrat qui crée des liaisons permanentes entre les parties,
par exemple un contrat de construction et de maintenance d’une usine. Dans la
réalité économique, il est pratiquement exclu de résoudre un tel contrat parce que
les coûts seraient beaucoup trop élevés.
Finalement, le souci d’éviter que le juge, c’est-à-dire le pouvoir étatique, n’intervienne pas dans l’équilibre du contrat est certainement louable. Mais, premièrement,
ce souci semble exagéré puisque le droit français prévoit d’ores et déjà la possibilité
pour le juge de supprimer et réviser une clause abusive 74. Deuxièmement, il faut
souligner que l’intervention judiciaire n’aurait pas nécessairement la conséquence
de troubler l’équivalence entre les prestations des contractants : au contraire, son
objet est précisément de maintenir la balance contractuelle en l’adaptant à l’environnement changé.
71. Principes du droit européen du contrat, op. cit., art. 4 :109 (3).
72. V. not. B. Fauvarque-Cosson, « La réforme du droit français des contrats : perspective comparative », art. préc., p. 163 et s. ; pour une étude de droit comparé sur le sujet, v. le même auteur,
RDC 2004, p. 75.
73. V. B. Fauvarque-Cosson, « La réforme du droit français des contrats : perspective comparative », art. préc., p. 162.
74. Rappr. O. Lando, « L’avant-projet de réforme du droit des obligations et les Principes du
droit européen du contrat : Analyse de certaines différences », RDC 2006, p. 173.
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Pour toutes ces raisons, il semblerait préférable que le droit français prenne en
considération l’imprévision à l’instar des autres droits européens.
c) Obligation monétaire et obligation de valeur
L’avant-projet français introduit une vraie nouveauté avec l’obligation monétaire.
Elle sera définie dans l’article 1147 du Code civil. La reconnaissance de sa spécificité
envers les autres obligations est un progrès en comparaison avec le droit allemand.
Ce dernier soumet l’obligation de payer une certaine somme d’argent, à quelques
exceptions près, aux règles ordinaires des obligations de livrer une chose générique.
Mais l’obligation monétaire entre mal dans ce cadre qui n’a pas été conçu pour
elle. On a dès lors souvent besoin des aménagements, ce qui crée des complications.
Ceci est aussi vrai pour le faux jumeau de l’obligation monétaire, l’obligation de
valeur. Il est proposé de la définir dans l’article 1148 du Code civil, alors qu’elle
reste inconnue en droit allemand. L’introduction de ces deux types d’obligation
est un vrai apport du projet Catala par rapport au droit allemand.
d) Dommages punitifs
L’article 1371 du Code civil tel que proposé par l’avant-projet prévoit que
le juge peut condamner l’auteur d’une faute manifestement délibérée, outre aux
dommages-intérêts compensatoires, aux dommages-intérêts punitifs. Cette disposition est une des innovations majeures du groupe Catala par rapport au droit civil
français actuel. Si elle est retenue, cette règle créera un nouvel écart entre les
droits français et allemand. En effet, en Allemagne, la jurisprudence se montre
généralement hostile à des dommages-intérêts punitifs. La Cour fédérale a même
jugé qu’ils seraient incompatibles avec l’ordre public 75. Elle a relevé notamment
que les dommages-intérêts reconnus à une partie civile ont comme seule fonction
de compenser pour cette partie le dommage subi, mais non de punir, de quelque
façon que ce soit, l’auteur du dommage. Ce dernier rôle serait réservé au juge
pénal, qui a le monopole de sanctionner les comportements fautifs par des peines.
Sur le fondement de cet avis, les tribunaux allemands ont, à plusieurs reprises,
refusé l’exequatur aux jugements américains qui condamnaient le défendeur à des
dommages-intérêts punitifs. Même la Cour constitutionnelle allemande a eu la
possibilité de se prononcer sur le sujet. Bien qu’elle ait dit que l’exercice d’une
action tendant à des punitive damages ne serait pas en tant que tel incompatible avec
les droits fondamentaux des défendeurs allemands, elle l’a jugé anticonstitutionnel
lorsqu’il n’y a aucun rapport entre la somme réclamée par le demandeur et le
dommage qu’il a subi 76. La grande majorité de la doctrine est également très
réservée à l’égard des dommages-intérêts punitifs, même si l’on a pu entendre
récemment quelques voix plus tolérantes 77.
75. Cour fédérale allemande (Bundesgerichtshof – BGH), 24 juin 1992, BGHZ (Recueil des
arrêts de la Cour fédérale) 118, 312.
76. Cour constitutionnelle allemande, 23 juill. 2003, BVerfGE (Recueil des décisions de la Cour
constitutionnelle) 108, 238.
77. V., par ex., J. Mörsdorf-Schulte, « Strafschadensersatz – eine deutsche Hassliebe ? », Neue
Juristische Wochenschrift 2006, p. 1184 et s. ; G. Wagner, « Prävention und Verhaltenssteuerung
durch Privatrecht – Anmaβung oder legitime Aufgabe ? », Archiv für die civilistische Praxis 206 (2006),
p. 352 et s.
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Il semble que les autres droits continentaux partagent la position allemande.
Ceci est souligné par les Principes du droit européen de la responsabilité civile,
qui prévoient en effet que la fonction des dommages-intérêts serait d’offrir une
compensation à la victime et de prévenir le dommage 78. En revanche, leur rôle
n’est pas de punir l’auteur du délit.
Si le droit français acceptait les dommages-intérêts punitifs, il se mettrait alors
en contradiction avec la plupart des autres droits continentaux. La France souhaitet-elle vraiment être parmi les premiers pays européens continentaux à accepter
une institution étrangère au droit anglo-saxon ? Pour le moment, on peut en douter,
parce que sur cette question précise le point de vue de l’avant-projet ne semble
pas coïncider avec celui du reste de la doctrine.
Conclusion
Comme on vient de le voir, l’avant-projet français de réforme du droit des
obligations présente beaucoup de similitudes avec le droit allemand tel que résultant
de la modernisation opérée en 2002. Bien que quelques différences persistent, et
que l’on puisse même parfois relever que des divergences pourraient être creusées
en cas d’adoption du projet Catala, il est permis de dire que le droit français est
en train de se rapprocher du droit allemand. Mais ce n’est pas une évolution à
sens unique : le droit allemand s’est également rapproché du droit français, par
exemple au regard de la question de l’inexécution. Cette double évolution est
souvent inspirée par le droit européen naissant en matière de contrats. De l’autre
côté, on constate parfois un éloignement net des droits français et allemand par
rapport aux autres droits européens.
On peut se féliciter du rapprochement franco-allemand pour aux moins deux
raisons. Premièrement, parce que, comme dans les autres matières, l’Allemagne et
la France auront beaucoup plus de chance de faire valoir leurs points de vue si
elles parlent d’une même voix sur le droit des obligations. Et deuxièmement,
parce que le commerce franco-allemand sera facilité, sans qu’il y ait besoin d’une
harmonisation à l’échelle des vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Il n’est donc pas sans fondement d’espérer que l’on disposera bientôt de deux
ordres juridiques plus compatibles, et que l’on pourra moins souvent dire : vérité
au-delà du Rhin, erreur en deçà.
Matthias LEHMANN
78. Principes de droit européen de la responsabilité civile, disponibles sur http ://civil.udg.es/tort/principles, art. 10 :101.
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