La masculinité mise au jeu, construction de l`identité de genre chez les

Transcription

La masculinité mise au jeu, construction de l`identité de genre chez les
SIMON LOUIS LAJEUNESSE
LA MASCULINITÉ MISE AU JEU,
Construction de l’identité de genre chez des jeunes hommes sportifs
Thèse présentée
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en service social
pour l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.)
FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2007
© Simon Louis Lajeunesse, 2007
2
RÉSUMÉ COURT
L’objectif principal de cette recherche est d’approfondir le rôle de l’homophobie, de
l’efféminophobie et des rituels dans la construction du genre masculin chez des jeunes
hommes sportifs. Le cadre est constructiviste. La construction empirique de la théorie a été
utilisée pour analyser 22 entrevues. Cette recherche indique qu’il existe deux idéaltypes de
sportifs, les grégaires et les solitaires, construisant leur genre selon le modèle de la masculinité hégémonique, notamment par l’activité sportive. Cette masculinité est générée par
l’accomplissement de rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les sportifs ont souvent
des comportements sexuels lors de ces rituels. Ils perpétueraient les règles de domination,
de subordination, de complicité, de marginalisation, de peur du féminin et d’homophobie
typiques de la masculinité hégémonique. Les caractéristiques particulières des hommes
sportifs demanderaient une intervention adaptée à leurs besoins et à leurs particularités.
L’intervention en milieu sportif pourrait permettre d’atteindre un grand nombre de jeunes
hommes avec relativement peu de ressources pour changer les règles de la masculinité actuelle. Cela contribuerait à sortir les hommes de la catégorie des « clientèles difficiles à atteindre ».
3
RÉSUMÉ LONG
L’objectif principal de cette recherche est d’approfondir le rôle de l’homophobie, de
l’efféminophobie et des rituels initiatiques dans la construction du genre masculin chez des
jeunes hommes sportifs. Constructiviste, le cadre théorique est dérivé à la fois de
l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie. Ces approches prétendent que
l’identité de genre relève d’un bricolage quotidien produit par l’entremise des rapports sociaux. La construction empirique de la théorie a été utilisée pour analyser 22 entrevues.
Cette recherche indique qu’il existe deux idéaltypes de sportifs, les grégaires et les solitaires,
construisant leur identité de genre selon le modèle de la masculinité hégémonique. Les solitaires utiliseraient le sport en référence à un modèle médiatique alors que les grégaires utiliseraient le sport à travers leur appartenance à un groupe masculin significatif. La masculinité hégémonique serait générée, chez les grégaires surtout, par l’accomplissement de rituels
initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les rituels tribaux constituent une découverte car ils
mettent en scène une contradiction importante : comment, en effet, créer un univers d’une
grande intimité physique, incluant la nudité et éventuellement la génitalité, sans être ou,
surtout, paraître homosexuel ? En fait, il existerait un clivage entre les préférences sociales
et émotionnelles des sportifs d’élite, d’une part, et leur auto-identification, puis d’autre part
leurs comportements. Ainsi, les sportifs peuvent avoir des comportements sexuels entre eux
tout en faisant montre d’homophobie. Les rituels sportifs perpétueraient la masculinité hégémonique avec ses normes de domination, de subordination, de complicité, de marginalisation et de peur du féminin.
Pourtant, le sport pourrait constituer un lieu d’intervention privilégié, car en intervenant en
milieu sportif, il serait possible de toucher un grand nombre de jeunes hommes avec relativement peu de ressources. Au lieu d’être un univers de reproduction de la masculinité hégémonique, le sport pourrait devenir un lieu de fabrication d’une nouvelle masculinité où les
valeurs de respect et d’accomplissement de soi seraient à l’honneur. Il pourrait être un lieu
d’apprentissage valorisant, un lieu de célébration d’une fratrie masculine épanouissante. Par
l’intervention dans le sport, il serait possible de changer les règles et les normes de la masculinité actuelle et ainsi sortir les hommes de la catégorie dite des « clientèles difficiles à atteindre ».
4
1
AVANT-PROPOS
Plusieurs personnes ont contribué à la réalisation de cette recherche. Nommons pour commencer les répondants, qui se sont livrés avec confiance et générosité au jeu des entrevues
semi-dirigées et de l’observation. Sans eux, cette recherche aurait été impossible. Viennent
ensuite les informateurs clés : les parents de certains joueurs, des entraîneurs d’équipes
sportives. Je souligne le soutien de monsieur Noël Decloître, celui-ci m’ayant mis en contact
avec plusieurs entraîneurs et organisations sportives. Mentionnons aussi le comité de doctorat et le jury de thèse qui ont évalué les quelques versions du manuscrit. Je tiens à remercier tout particulièrement madame Denise Veillette, sortie de la retraite expressément pour
cette tâche. Ma reconnaissance va également à mes deux codirecteurs de thèse, messieurs
Gilles Tremblay et Jocelyn Lindsay, qui ont cru dans ce projet et qui m’ont soutenu durant
sa réalisation. Enfin un dernier mot va à mon correcteur qui a généreusement révisé Dans
son ensemble ce manuscrit.
5
2
SOMMAIRE
1
Avant-propos ........................................................................................................................ 4
2
Sommaire.............................................................................................................................. 5
3
Introduction........................................................................................................................ 10
4
Des hommes et des services sociaux.................................................................................. 13
5
Construire le genre ............................................................................................................ 20
5.1
Réflexion à propos du genre ...................................................................................................20
5.2
Les approches analytiques actuelles de la masculinité.........................................................25
5.2.1 La masculinité hégémonique .............................................................................................................26
5.2.1.1 Création du genre et pratique corporelle réflexive ....................................................................28
5.2.2 La tension de rôle de genre................................................................................................................30
5.2.3 Le conflit de rôle de genre.................................................................................................................35
5.2.3.1 L’homophobie............................................................................................................................37
5.3
L’homophobie dans le sport ...................................................................................................41
5.4
Le sport et les rites...................................................................................................................43
5.4.1 Un bref historique du sport................................................................................................................43
5.4.2 Le sport comme objet social..............................................................................................................45
5.4.3 Fascisme, militarisme, sport et identité masculine ............................................................................49
5.4.3.1 Les vestiaires sportifs.................................................................................................................52
5.4.4 Les rituels et le sport..........................................................................................................................56
5.4.4.1 Les jeux de vestiaire ..................................................................................................................61
6
Les objectifs de la recherche.............................................................................................. 64
7
Cadre théorique.................................................................................................................. 66
7.1
Les théories de référence.........................................................................................................66
7.1.1
7.1.2
7.1.3
8
Le constructivisme.............................................................................................................................66
L’interactionnisme et l’ethnométhodologie.......................................................................................66
La représentation sociale ...................................................................................................................67
Méthodologie...................................................................................................................... 70
8.1
Échantillonnage .......................................................................................................................70
8.2
Collecte de données .................................................................................................................71
8.3
L’observation ...........................................................................................................................72
8.4
Analyse des données ................................................................................................................73
8.5
Validation .................................................................................................................................74
8.6
Les limites de cette recherche.................................................................................................76
8.7
La préentrevue.........................................................................................................................77
8.8
Retombées prévues et transfert des connaissances...............................................................77
8.9
Éthique .....................................................................................................................................78
9
Qui sont les répondants ? .................................................................................................. 79
10
L’épreuve de la masculinité............................................................................................. 82
6
10.1
Joueurs collectifs et joueurs solitaires .................................................................................82
10.1.1 Les grégaires : « Tous pour un et un pour tous. » ...........................................................................83
10.1.1.1 Pour les grégaires, le sport c’est… ..........................................................................................86
10.1.2 Les solitaires ....................................................................................................................................88
10.1.2.1 Pour les solitaires, le sport c’est…...........................................................................................90
10.1.3 Ce qui distingue les grégaires des solitaires ....................................................................................91
10.2
Les motivations et les finalités de la pratique sportive ......................................................93
10.2.1 Pour les grégaires.............................................................................................................................93
10.2.1.1 Les prescriptions, pressions sociales et sens de soi .................................................................93
10.2.1.2 L’anatomie et la destinée .......................................................................................................102
10.2.1.3 La revanche............................................................................................................................110
10.2.2 Pour les solitaires...........................................................................................................................115
10.2.2.1 Les prescriptions sociales ou la vocation solitaire.................................................................115
10.2.2.2 Les prescriptions du corps .....................................................................................................120
10.2.2.3 La revanche............................................................................................................................123
10.2.3 Pour résumer les motivations des grégaires et des solitaires.........................................................126
10.3
Les rituels sportifs ...............................................................................................................127
10.3.1.1 Le vestiaire utilitaire des grégaires ........................................................................................127
10.3.1.2 Le vestiaire, lieu de la tribu ...................................................................................................130
10.3.1.3 Le vestiaire, lieu de la kermesse ............................................................................................132
10.3.1.4 Le vestiaire du solitaire : entre utilité et ostracisme ..............................................................134
10.3.2 La masculinité par la meute, les rituels des grégaires ...................................................................141
10.3.2.1 Rituels initiatiques .................................................................................................................141
10.3.2.2 Rituels tribaux........................................................................................................................153
10.3.2.3 Rituels apotropaïques des grégaires.......................................................................................162
10.3.3 Les rituels des solitaires.................................................................................................................163
10.4
L’homophobie ......................................................................................................................166
10.4.1 Chez les grégaires..........................................................................................................................166
10.4.1.1 Le permis et l’interdit ............................................................................................................166
10.4.1.2 Le sport, l’alibi par excellence...............................................................................................169
10.4.1.3 Un gai dans l’équipe ? ...........................................................................................................170
10.4.2 Les solitaires : entre ouverture et efféminophobie ........................................................................178
10.4.2.1 Des conversations et des hommes .........................................................................................178
10.4.2.2 Gestes permis et les gestes interdits.......................................................................................179
10.4.2.3 Les cours d’éducation physique et l’appartenance au masculin ............................................181
10.4.2.4 Être efféminé, c’est… . .........................................................................................................183
10.4.2.5 L’attitude face à l’efféminé....................................................................................................184
10.5
Être homme..........................................................................................................................187
10.5.1
10.5.2
10.5.3
10.5.4
10.5.5
10.5.6
La confusion ..................................................................................................................................187
Le corps, marqueur de l’appartenance au genre ............................................................................189
Le contraire....................................................................................................................................191
Les rôles et les attitudes traditionnels............................................................................................195
La séduction...................................................................................................................................199
Sur une échelle de 10.....................................................................................................................200
11
Conclusion...................................................................................................................... 206
12
Références ...................................................................................................................... 215
13
Annexes .......................................................................................................................... 232
13.1
Annexes 1 Formulaire d’acceptation du répondant.........................................................232
13.2
Annexe 2 Guide d’entrevue ................................................................................................233
7
13.3
Annexe 3 Photos présentées durant les entrevues. ...........................................................235
13.4
Annexe 4 Affiche de recrutement des répondants............................................................244
13.5
Annexe 5 Dépliants et autocollants ....................................................................................245
8
Sommaire des tableaux
Tableau 1, Les catégories de sports .......................................................................................... 48
Tableau 2. Types de vestiaires.................................................................................................. 53
Tableau 3. Les profils en comparaison ..................................................................................... 92
Tableau 4. Le sport, c'est ... ...................................................................................................... 93
Tableau 5. Comparaison des motivations à la pratique sportive des grégaires et des solitaires
................................................................................................................................................ 126
Tableau 6. Le sens que prend le vestiaire pour les grégaires et les solitaires ......................... 141
Tableau 7. Types de rituels chez les sportifs. ......................................................................... 165
Tableau 8. L’homophobie chez les grégaires et les solitaires................................................. 187
Tableau 9. Comparaison des marqueurs de la masculinité..................................................... 205
9
Men are not born, growing from infants through boyhood to manhood, to follow a predetermined biological
imperative, encoded in their physical organization. To
be a man is to participate in social life as a man, as a
gendered being. Men are not born: they are made. And
men make themselves, actively contructing their masculinities within a social and historical context.
(Kimmel et Messner, 1992)
10
3
INTRODUCTION
Depuis un certain temps, on rapporte que les hommes iraient mal et que l’on constaterait
chez eux un certain nombre de problématiques qui leur seraient propres, telles que le décrochage scolaire, la violence conjugale, le suicide, divers problèmes de santé, ou encore, chez
les sportifs, le dopage... Plusieurs rapports de recherche, tels que le Rapport Rondeau
(2005), ont nourri les réflexions à propos des problématiques masculines. Nommons également Chamalidis (2000), qui a analysé la vie d’ex-champions sportifs; Curry et Strauss
(1994), qui ont montré comment la construction du genre chez les hommes les amenaient à
prendre des risques parfois fatals durant la pratique sportive; Dulac (2001), qui a étudié les
liens entre le mode de socialisation des hommes et leur demande de services; Fine (1987),
qui a montré comment la pratique du baseball permettait de construire l’identité de genre
chez les jeunes hommes; Hite (1983), qui a analysé la sexualité des hommes; Hudon (2004),
qui a étudié comment une certaine construction du genre aggravait le syndrome de stress
post-traumatique chez les militaires canadiens; Klein A. (1993), qui a montré les liens entre
la pratique du culturisme et son impact sur la santé et la construction du genre chez les
hommes; Le Breton (1991), dont l’analyse fait ressortir les liens entre masculinité et prise de
risque; Plummer (1990), qui a étudié l’homophobie et ses liens avec la construction du genre
masculin; Rondeau et Keefler (2003), qui ont analysé le rôle de la honte chez les hommes et
enfin Sommers (2000), qui dénonce la dureté avec laquelle on traite les garçons dans la société américaine. S’ajoutent à cela nombre d’articles dans les revues grand public et les documentaires télévisés ou radiophoniques qui reprennent régulièrement les thèmes des problématiques masculines. Mais qu’en est-il au juste ? Les hommes se portent-ils aussi mal ?
D’ailleurs, de quels hommes s’agit-il ? Vivent-ils tous ces problématiques ?
Il n’est pas possible, dans une seule recherche, de faire le tour de toutes les réalités et de
tous les aspects de la vie des hommes. Par conséquent, nous avons dû circonscrire et délimiter un sujet, choisir des aspects particuliers, opter pour une approche et un angle d’analyse.
Pour rester en accord avec l’ensemble de la recherche actuelle, nous nous sommes concentré
sur les hommes appartenant à des groupes plus souvent associés aux valeurs plus traditionnelles de masculinité. Dans ce sens, nous aurions pu nous intéresser aux hommes pratiquant le rodéo, aux membres des Forces armées ou encore aux hommes exerçant le métier
de pompiers ou de policiers, cependant, le bassin d'hommes rejoints aurait été restreint, car
ceux-ci sont relativement peu nombreux comparativement aux membres d’autres groupes,
11
comme les sportifs. Les hommes accordent beaucoup d’importance aux sports si l’on se fie
aux données de Statistiques Canada (1998, 2000) et ils s’y adonnent massivement. En effet,
presque les trois quarts des hommes de moins de 25 ans pratiquent un sport plus de trois
fois par semaine, en particulier un sport d’équipe et plus particulièrement encore le hockey,
le soccer ou le football américain (Pleau, 2000). Le monde sportif, d'après la recherche, est
connu pour ses valeurs masculines dites traditionnelles, valeurs qui sont justement celles
que plusieurs auteurs, par exemple Curry et Strauss (1994), Curry (2000), Douglass (1990),
Messner et Sabo (1990, 1994), Messner (1992, 1997, 2005) et Sabo et Panepinto (1990), ciblent comme preuves des problématiques vécues par les hommes.
Mais qu’en est-il réellement ? Les sportifs sont-ils ce que l’on croit ? Vivent-ils des problématiques particulières ? Baignent-ils dans un incubateur de valeurs traditionnelles ? Quelles
sont les motivations qui poussent les hommes à la pratique sportive ? Très pertinentes, ces
questions ont été réunies sous un objectif principal, celui d’approfondir le rôle de
l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels initiatiques dans la construction du genre
masculin chez des jeunes hommes pratiquant un sport individuel ou collectif. Les sousobjectifs suivants seront abordés : 1 — mieux comprendre comment, dans le cadre de la
participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes; 2 — mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation
sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est
valorisé; 3 — explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les
jeunes hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive; 4 — explorer comment
les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants.
Le propos de cette recherche n’est pas d’ordre sociologique ou philosophique, mais en lien au
service social, ce qui nous amènera à faire des propositions d’interventions potentielles et
concrètes. Le propos de cette thèse se situe en soi dans une perspective constructiviste qui
pense le genre comme une construction interactive et non comme une essence de l’être. En
effet, si le genre se construisait, il serait possible d'intervenir pour faire en sorte qu’il se
construise autrement. De cette manière, les hommes ne seraient plus victimes de leur complexion, mais au contraire, seraient des acteurs capables de changer et de se prendre en
main.
La méthodologie utilisée est celle de la construction empirique de la théorie par le biais
d’entrevues semi-dirigées, qui ont été effectuées auprès de 22 sportifs de 18 à 25 ans. De
12
plus, une observation a aussi été réalisée, afin de nourrir les entrevues et de recueillir le
maximum de données aux fins d’analyse. Cette méthode de recherche permet de découvrir
davantage de pistes d'interventions possibles, car elle est riche en interactions et colle à la
réalité des acteurs et de leur problématique. La méthodologie est présentée de manière exhaustive au chapitre consacré à ce propos. Elle est précédée du cadre théorique où une analyse des différentes approches traitant du genre masculin a été effectuée. Les approches de
Connell (2005), de Pleck (1981) et de O’Neil (1982, 1995) ont surtout été retenues pour leurs
visions plaçant la construction du genre au centre des problématiques masculines et des
interactions sociales des hommes. Plusieurs thèmes importants ont aussi été présentés dans
le cadre théorique permettant une meilleure analyse des thèmes visés par les objectifs de la
recherche tels que les hommes et le service social, l’homophobie, l’histoire et la classification
des sports.
Enfin, l’analyse des entrevues constitue la majeure partie de la thèse où le rôle de l’activité
sportive dans la construction du genre masculin y sera abordé. Nous y verrons différents
aspects, tels que le profil des sportifs, leurs motivations à la pratique sportive, les rituels
inscrits dans la vie sportive, le rôle de l’homophobie dans le sport et enfin, nous examinerons
comment les sportifs définissent eux-mêmes le genre masculin et quel sens ils donnent à la
masculinité. Autrement dit, nous verrons si les sportifs se sentent bel et bien des hommes et
comment l’activité sportive a contribué à leur sentiment de masculinité. Des pistes
d’intervention sont présentées en conclusion.
13
4
DES HOMMES ET DES SERVICES SOCIAUX
La réflexion et la recherche sur le genre masculin sont assez récentes si on les compare aux
études féministes. Il est permis d’observer que c’est aussi par les études traitant de sport
que s’est effectuée une part de ces recherches sur la masculinité, particulièrement aux
États-Unis. Au Québec, elles se sont principalement amorcées par le service social au milieu
des années 1980 (Tremblay et L’Heureux, 2005). Différents constats sont proposés demandant une intervention dans plusieurs domaines et sous de nombreux aspects tels que la
prise de risque et la morbidité, le suicide, la violence conjugale, les situations de crise et les
services offerts aux hommes, ou encore l’accueil réservé à leur demande (Rondeau et Hernandez, 2002; Rondeau, Mercier, Camus, Cormier, Gagnon, Gareau, Garneau, Lavallée, Roy,
Saint-Hilaire, et Tremblay, 2004). La dimension du genre ressort dans plusieurs études dont
celles de Rondeau et Hernandez (2002), Rondeau et al, 2004, Tremblay et L’Heureux (2002)
et Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et Lapointe-Goupil (2005) en tant que problématique
sur laquelle intervenir. Dulac (2001) a lui aussi exploré cette dimension des services de soutien offerts aux hommes et de leur demande d’aide.
Dulac (2001) identifie deux obstacles au développement de services adaptés et à l’évolution
de la pratique dans le réseau public de services. Il s’agit premièrement d’obstacles d’ordre
organisationnel ou administratif — comme les problèmes de financement — et deuxièmement, de problèmes d’ordre socioculturel. C’est cette dimension qui sera examinée plus en
détail, car une meilleure exploration de la dimension socioculturelle permettrait sans doute,
comme le précise Dulac, de mieux surmonter certains obstacles dans l’intervention auprès
des hommes. Les dimensions socioculturelles sont souvent plus difficiles à saisir, car elles
sont ancrées dans la pratique et, le plus souvent sont également celles sur lesquelles il est
possible d’agir. En fait, c’est comme si les hommes, dans les représentations sociales, ne
constituaient pas un groupe ayant besoin de soutien. Voilà pourquoi plusieurs auteurs proposent de revoir la manière dont les services sont fournis aux hommes (Dulac, 2001; Lindsay, 2003; Rondeau et al, 2004; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et Lapointe-Goupil,
2005; Tremblay et L’Heureux, 2005).
Par ailleurs, la résistance de certains intervenants, ancrée dans certaines croyances et mentalités qui veulent que les services soient offerts en exclusivité à la clientèle la plus démunie
que sont, a priori, les femmes, désavantage les hommes demandant de l’aide.
14
[…] il existe une longue tradition de féminisation du personnel aidant et les
femmes ont longtemps été considérées comme la principale clientèle de ces
services d’aide. […] Il est donc plus difficile […] de compter sur des pratiques
qui englobent les spécificités masculines (Dulac, 2001:140-141).
Les répondants des études de Dulac (2001), Kadushin (1996) ou d’autres auteurs, dont
Broué et Guèvremont (1994), ou Tremblay (1996), nous révèlent les obstacles rencontrés par
les hommes lors de leur demande d’aide. Les grandes institutions comme les hôpitaux et les
CLSC
constituent souvent, à cause de leur taille, un défi plus grand pour amener un chan-
gement. Les obstacles nommés par Dulac vont de l’incompréhension de la demande à
l’incapacité, pour un certain nombre d’intervenants, d’offrir l’aide demandée, en passant par
l’incapacité des hommes en crise à exprimer clairement leurs besoins. Selon Dulac (2001),
plusieurs hommes qui demandent de l’aide errent souvent d’un service à l’autre avant
d’obtenir enfin le soutien recherché. Cela tient au fait que les intervenants ne comprennent
pas toujours leurs demandes et que le système n’est pas conçu pour les recevoir. Il y a en
effet un lien entre la mésadaptation des services et l’incapacité des hommes plus traditionnels à formuler leurs demandes dans un langage que les organismes censés les acceuillir
peuvent comprendre afin de répondre adéquatement à leurs besoins.
Les acteurs offrant le service appartiennent à la même culture que les demandeurs. Ils ont
les mêmes valeurs et les mêmes rituels codés selon le genre. Comme le constate Tremblay
(1996 : 24), « la répartition des t.s. selon le sexe rend compte d’une très large majorité de
femmes; […] plusieurs des théoriciens sont en fait des théoriciennes […] On s’attend à ce que
le demandeur (homme) adopte un comportement de la clientèle (souvent des femmes) qui
demande de l’aide ». Dulac (2001) constate sensiblement la même chose. Comme deux modems qui s’harmonisent de sons stridents (pour reprendre les termes de Dulac) avant de
pouvoir communiquer, l’offre et la demande doivent également recourir au même langage,
sans quoi toute communication demeure impossible. Actuellement, le type d’intervention
disponible pour les hommes dans les centres de services ne correspond pas aux habiletés de
changement que les hommes plus traditionnels ont développées dans leurs liens sociaux
(Dulac, 2001; Rondeau et Hernandez, 2002; Rondeau et al, 2004; Tremblay et al, 2005). Le
demandeur doit partager la même culture institutionnelle que le dispensateur de services.
Les intervenants sont souvent désarçonnés ou déstabilisés par les demandes d’aide provenant des hommes plus traditionnels. Pour recevoir de l’aide, ces hommes doivent alors se
conformer à des comportements « genrés » de l’autre genre. Le climat et la disposition du
client en état de crise ne le rendent cependant pas apte à se conformer à de telles exigences.
15
Il ne fait aucun doute que la culture des services et des organismes d’aide est
largement façonnée par les caractéristiques féminines, notamment en raison
de la féminisation de la pratique et de la clientèle. La division sexuelle des tâches a historiquement assigné aux femmes les rôles liés aux soins et à l’aide.
[...] Elle détermine les catégories de personnes qui offrent ou qui reçoivent de
l’aide (Dulac, 2001 : 63).
Le système accueille tout de même certaines demandes, mais souvent trop tard. En fin de
compte, ces hommes n’ont alors souvent que les policiers, les juges et les prisons pour seules ressources. Or ces ressources sont plutôt des outils de répression que des ressources de
soutien. Dulac constate en effet que plusieurs hommes sont si mal compris — et donc mal
reçus dans les points de services — que leur comportement est interprété comme des agressions ou des menaces. En fait, lorsque les hommes plus traditionnels consultent, c’est qu’il y
a déjà longtemps que « ça allait mal ». La situation s’est passablement dégradée et, parfois
même, dangereusement. Nombreux sont les hommes de l’étude de Dulac qui ont attendu
d’avoir perdu femme, enfants et emploi, d’être au bout du rouleau, de toucher le fond du
baril avant de reconnaître qu’ils avaient des problèmes et de se décider enfin à se prendre en
main. Plusieurs hommes demandant des services ont souvent des problèmes sous-jacents à
la crise, problèmes qui ne sont pas toujours visibles d’emblée. L’offre de services devrait donc
être orientée en fonction du fait que plusieurs hommes arrivent en situation de crise (Dulac,
2001 ; Tremblay, 1996).
L’aptitude d’un individu au changement se développe par la socialisation et par
l’apprentissage des rôles de genre qui lui sont propres. Les hommes et les femmes ne sont
pas socialisés de la même façon, aussi leurs attentes et leurs besoins sont différents tout
comme leurs difficultés. Selon Dulac, la socialisation :
[…] est un processus continu qui ne se limite pas au seul apprentissage durant l’enfance (socialisation primaire) des valeurs et des normes favorables à
l’adhésion aux rôles masculins et féminins. Les processus et mécanismes qui
président à la constitution de l’identité et à l’adhésion aux valeurs dominantes
interviennent tout au long de la vie (socialisation secondaire) (Dulac,
2001 :17-18).
Les services sociaux devraient être adaptés à chacune de ces clientèles, selon le genre du
requérant, tout comme les services d’aide ont été adaptés non seulement aux personnes
handicapées, mais aussi au type de handicap comme dans le cas des non-voyants, dont les
besoins diffèrent de ceux en fauteuil roulant. Ce manque d’adaptation des services offerts
aux hommes, mentionné par Dulac (2001), a aussi été observé par Tremblay (1996), qui
constatait des lacunes dans sa pratique. Tremblay (1996) rapportait les mêmes lacunes notées par Antil (1985), Bly (1990) ou encore Kadushin (1996) et elles le sont encore par Trem-
16
blay et L'Heureux (2005: 56). « Travailler avec les hommes nécessite de faire l’effort de comprendre les effets des socialisations masculine et féminine sur le client, mais aussi sur nous
comme intervenants et intervenantes ».
Grâce à la façon dont elles ont construit leur rôle de genre, la plupart des femmes seraient
généralement mieux prédisposées à l’introspection, et elles seraient plus capables de verbaliser leurs émotions. Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’aucun homme ne soit capable
d’en faire autant. Généralement, les femmes possèdent plus souvent des réseaux naturels
d’aidants dans lesquels la verbalisation est très présente. Le monde des émotions et de la
parole appartiendrait davantage au monde féminin. La construction de l’identité de la petite
fille se fait par le biais de valeurs qui misent sur les sentiments, la sensibilité (interprétée
souvent comme de la sensiblerie), la parole, la douceur, etc. (Belotti, 1974; Dulac, 2001;
Goffman, 1988, 2002; Préjean, 1994)
S’il apparaît que les femmes expriment davantage leurs sentiments que les
hommes, c’est, entre autres, parce que chaque sexe exprime les sentiments
d’une manière spécifique : les hommes privilégient l’action alors que les femmes verbalisent davantage (Dulac, 2001 : 114-115).
« Les émotions [pour les hommes] sont canalisées et s’expriment dans l’action » (Dulac,
2001:115). Plusieurs hommes « agiraient » leurs émotions et auraient de la difficulté à les
verbaliser. Ils possèdent peu de réseaux d’aidants naturels. Falconnet et Lefaucheur (1975)
ont aussi mentionné les difficultés de communication des hommes. Le garçon se doit d’être
dur, résistant, endurant. Un garçon ne pleure pas (Dorais, 1999; Dulac, 2001; Préjean,
1994; Sommers, 2000; Welzer-Lang, 2002). Selon les auteurs, la socialisation fait en sorte
que les pleurs sont réservés aux femmes, aux mauviettes, aux homosexuels. C’est comme si
être en contact avec ses émotions et être un homme étaient deux choses incompatibles.
Ceux qui adhèrent à ce type de modèle traditionnel de masculinité sont considérés par les
travailleurs sociaux comme une clientèle plus difficile à atteindre (Tremblay 1996).
L’homophobie est un phénomène à considérer parmi les problématiques de genre.
L’homosexualité, ou ce qui peut lui ressembler, provoque un sentiment de honte chez les
demandeurs de services. Formuler une demande d’aide place les hommes dans une position
de faiblesse (Dulac, 2001) ; or la faiblesse est contraire aux valeurs sociales avec lesquelles
les hommes ont été socialisés, contraire aussi à la construction de leur identité de genre, car
pour beaucoup d’hommes, elle constituerait un signe d’homosexualité. Le fait de demander
de l’aide positionne encore davantage les hommes en rupture avec les attentes identitaires
17
masculines qu’ils ont intériorisées. Un des répondants de l’étude de Dulac affirme d’ailleurs
que, « quand un gars consulte, il passe pour une tapette » (Dulac, 2001 : 44).
Comment un homme peut-il dire qu’il souffre alors que la virilité exige implacablement de lui qu’il endure, qu’il encaisse et qu’il vainque sans pleurer, de
crainte de passer pour un maudit braillard, un fif, une tapette, une moumoune, un mou, un lâcheur, un p’tit gars à sa maman, un pas fiable, un bébé lala ? (Dulac, 2001: 82)
Pour les hommes plus traditionnels, ne pas aller consulter ferait ainsi partie des moyens
d’écarter le stigmate de l’homosexualité. L’homophobie deviendrait ainsi une dimension à
explorer pour mieux comprendre la construction du genre chez les hommes et leur relation
avec les services d’aide.
De manière générale, les hommes auraient peu de réseaux d’amis avec qui ils pourraient
partager leurs émotions (Dulac, 2001; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et LapointeGoupil, 2005). Ils ont des réseaux pour jouer au basket, aller à la pêche ou à la chasse. Ils
s’agit de réseaux où l’on fait des choses, pour jouer comme « les bandes de copains » évoquées par Dellinger et Williams (2002), Falconnet et Lefaucheur (1975), Préjean (1994),
Saouter (2000) et Welzer-Lang (1994). Les hommes sont habitués à endurer, à attendre et à
se débrouiller tout seuls, « comme un homme » (Welzer-Lang, 1994, 2002). En fait, le seul
aidant naturel avec qui les hommes (hétérosexuels) partagent leurs émotions est souvent
leur conjointe (Tremblay, 1996). Mais, si les problèmes résident dans les rapports avec la
conjointe, rien ne va plus.
Les réseaux masculins sont passablement différents. Ils sont exclusivement
mâles et intragénérationnels. Les relations entre les hommes sont d’ordre professionnel et offrent de l’information sur la manière dont le système fonctionne. Pour un homme, il est plus utile de connaître des gens qui connaissent
des gens tandis que du côté des femmes il est plus utile d’avoir des contacts
personnels avec des gens qui peuvent se mettre à la tâche. Les réseaux masculins prennent leur source dans la sphère publique. Les activités sont explicitées et concrètes. L’expression des sentiments et l’intimité sont généralement bannies (Dulac, 2001:50).
Il semble donc y avoir une sorte d’incompatibilité entre l’offre de services, dans le système de
soutien, et la demande d’aide des hommes. Cette incompatibilité tient en bonne partie à la
socialisation des acteurs sociaux eux-mêmes, selon leur genre respectif. Les services d’aide
seraient construits selon un mode de fonctionnement féminin alors que les hommes en situation de besoin adresseraient leur requête selon un mode de fonctionnement masculin.
18
Partant de ce constat, comment est-il possible d’intervenir auprès des hommes et sur quelles
dimensions ? On peut choisir d’adapter l’offre de services, de transformer les demandeurs
d’aide, ou encore d’agir sur ces deux aspects de la relation d’aide. Mais de quels hommes
s’agit-il au juste et sous quelles dimensions de leur construction de genre doit-on agir,
compte tenu que les recherches déjà citées nous apprennent qu’il existe plusieurs manières
de vivre le masculin et que les hommes se retrouvent dans toutes les sphères de la société ?
À notre avis, il serait souhaitable de favoriser une dimension qui a été peu explorée, au Québec du moins, à savoir celle où se retrouvent beaucoup d’hommes durant les principales
années de leur construction du genre ; les activités sportives auxquelles ils s’adonnent du
début de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte. En effet, presque les trois quarts
(71,5 %) des québécois de 15 à 24 ans pratiquent un sport plus de trois fois par semaine
(Pleau, 2000). En s’intéressant à cette catégorie d’hommes, on peut donc potentiellement
rejoindre un large bassin de population durant les années cruciales de la construction du
genre où il serait possible de faire davantage de prévention en utilisant un type d’activité très
prisée par eux, à savoir, le sport. En fait, il s’agit d’aller chercher les hommes là où ils sont,
pour éviter qu’ils se joignent à la catégorie que les travailleurs sociaux nomment « les clientèles difficiles à atteindre » (Tremblay et al., 2005). De plus…
[…] l’activité physique constitue la pratique préventive qui a la faveur des
hommes américains dans l’enquête Saltonstall (1993). Les sports semblent
occuper une place prépondérante chez les hommes en matière d’activité
physique. Selon Kidd (1987, dans Thornton, 1993), les sports ont été créés
par et pour des hommes. Thornton (1993) ajoute que, pratiqués régulièrement, les sports procurent un sentiment d’appartenance et de communauté aux hommes. […] Les conclusions de Thornton nous invitent à
considérer la pratique sportive dans ses aspects positifs sur les plans de la
santé et des habiletés personnelles et sociales […] (Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron, Lapointe-Goupil, 2005 : 81).
Le sport constitue sans nul doute un domaine où l’action est à l’honneur et est grandement
valorisée. Raison de plus donc pour explorer le rôle du sport dans la construction du genre
masculin et les pistes d’interventions possibles par ce médium. Par le biais d’activités sportives, il pourrait être possible de créer une intervention qui préserverait les hommes du sentiment de honte mis en lumière par Rondeau et Keefler (2003), et qui les mettrait en action. À
titre d’exemple, mentionnons une expérience d’intervention par le sport qui a été menée avec
succès au Québec auprès des garçons à la Commission scolaire des Navigateurs en 2001
(Stanton, 2003). Non seulement l’expérience a permis de récupérer les décrocheurs, mais il
semble qu’elle ait réussi à ramener les pères à s’intéresser davantage à la vie scolaire et à la
réussite de leurs fils. L’école a mis sur pied une équipe de football. Pour en rester membre et
19
pouvoir jouer, il fallait, pour les garçons, maintenir une certaine moyenne dans leurs résultats en classe, sans quoi, c’était l’exclusion. De plus, les entraîneurs ont profité de leurs
contacts avec les jeunes hommes pour leur inculquer des valeurs de partage et d’entraide.
Les jeunes hommes y ont appris qu’il est possible d’être proche de ses émotions, de communiquer avec leurs pairs et d’être un homme tout à la fois. Il est donc possible, par le sport, de
faire de l’intervention par l’action et d’agir là où bien d’autres interventions ont échoué
(Tremblay et L’Heureux, 2005). Commençons par analyser les concepts de genre, de masculinité et de sport, et de comprendre la place des rituels dans ceux-ci.
20
5
CONSTRUIRE LE GENRE
Masculinité hégémonique, homophobie et pratique sportive
Dans cette partie sera d’abord présentée une réflexion à propos des concepts de genre et
d’identité sexuelle, ainsi qu’une analyse du concept de masculinité. Il s’agit en fait de bien
cerner le cadre conceptuel par lequel l’analyse des données recueillies sera faite. Parmi les
concepts qui seront présentés, nommons l’homophobie comme une constituante importante
des phénomènes afférents à la masculinité, le sport et les rituels de la construction de la
masculinité, de même que des phénomènes qui leurs sont liés, comme les activités de vestiaires et des significations symboliques intrinsèques aux rituels sportifs.
5.1
Réflexion à propos du genre
Afin d’avoir une compréhension générale et approfondie de la création sociale du sujet
« homme », de la masculinité et des problématiques qui s’y rattachent, il est essentiel de proposer une définition plus exhaustive des concepts d’identité de genre. Une importante quantité d’ouvrages portant ou traitant des problématiques de conformité ou de non-conformité
au genre, d’identité sexuelle ou de rôle sexuel s’abstiennent de définir ces concepts pourtant
centraux. Afin de situer l’identité dans un cadre plus vaste, définissons l’identité de façon
plus générale. La définition de l’identité que fait Erikson (1972) semble la plus pertinente à
retenir, car l’identité décrite par celui-ci est un processus en constant peaufinage; elle est
dans la lignée de l’interactionnisme symbolique et du constructivisme qui sont utilisés dans
l’analyse des données de cette recherche.
La formation de l’identité met en jeu un processus de réflexion et
d’observations simultanées, processus actif à tous les niveaux de fonctionnement mental, par lequel l’individu se juge lui-même à la lumière de
ce qu’il découvre être la façon dont les autres le jugent par comparaison
avec eux-mêmes et par l’intermédiaire d’une typologie, à leurs yeux significative; en même temps, il juge leur façon de le juger, lui, à la lumière de
sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux
et avec les types qui, à ses yeux, sont revêtus de prestige. Heureusement
et nécessairement, ce processus est en majeure partie inconscient, à
l’exception des cas où des conditions internes et des circonstances externes se combinent pour renforcer une conscience d’identité douloureuse ou
exaltée. (Erikson, 1972 : 18).
Selon Erikson, l’identité est non seulement une interaction entre l’environnement et
l’individu, mais aussi un procédé d'intériorisation. Erikson décrit un processus en majeure
21
partie inconscient. En effet, comment pourrait-il être possible, pour un individu, de vivre,
d’amener à la conscience et de penser ce processus en même temps ? Il faut bien que des
composantes du processus glissent en arrière-plan pour permettre à l’individu de fonctionner.
Le genre est cependant premier et fondateur de l’identité au sens large car il est fixé par un
déterminant biologique auquel tous se réfèrent (Badinter, 1992; Dorais, 1999). C’est pourquoi il peut être pertinent de poser la question « Sommes-nous notre sexe ? » (Dorais,
1999 :27). Pour certains auteurs « la prise de conscience de soi en tant que garçon ou fille
ainsi que l’adhésion aux rôles et aux valeurs qui s’y rattachent constituent l’une des bases
de la construction de l’identité individuelle et sociale » (Le Maner-Idrissi, 1997 :7). Certains
auteurs dont Durkheim (1997), Hénaff (2000) et Lévi-Strauss (1967) prétendent, de plus, que
la sexualité est le fondement du lien social et une des forces d’où émane la culture. C’est
pour cette raison que « devenir un être sexué fait partie intégrante de la construction identitaire : c’est une réalité individuelle, c’est une conviction intime, mais c’est aussi une réalité
sociale… » (Le Maner-Idrissi, 1997 :9). L’individu se reconnaîtrait dans un sexe biologique et
son entourage social ferait de même tout au long de la vie, dans une suite d’interactions qui
confirment ou infirment l’individu dans son genre. Il est ainsi possible d’affirmer que « dans
toutes les sociétés, le classement initial selon le sexe est au commencement d’un processus
durable de triage, par lequel les membres des deux classes [sexuelles] sont soumis à une
socialisation différentielle » (Goffman 2002 :46). Pour reprendre les termes de Simon et Gagnon (1973), le genre est la résultante d’une construction, et ce processus de construction
du genre se retrouve en partie dans celui décrit par Erikson (1972) pour l’identité en général.
Le genre est aussi nommé, selon les auteurs, « genre sexuel », « identité de rôle de genre » ou
encore « rôle sexuel » ou, selon Tremblay (1998) « identité sexuelle ». Pour définir le genre, il
n’est ni possible ni pertinent de s’étendre ou de débattre ici des grands enjeux sémantiques
et politiques soulevés par les féministes ou les queer (Butler, 2005; Hurtig, Kail et Rouch,
1991; Wittig, 2001) ou encore par les auteurs cités dans Tremblay (1998) tels que Tyson
(1986), Shively et De Cecco (1977) ou Blos (1988). On s’attachera plutôt à donner une définition qui adhère le plus possible au paradigme constructiviste, afin de garder une cohérence
avec le cadre théorique général choisi initialement. Il sera donc préférable de garder des définitions qui retiennent le concept de genre plutôt que de rôle sexuel ou d’identité sexuelle,
car le concept de genre est plus proche du paradigme constructiviste qui sous-tend cette
recherche.
Le corps doit être inclus dans cette approche, car il est une donnée sur laquelle se construit
le genre. Le genre serait une manière d’organiser le social à partir du corps. « Gender is so-
22
cial practice that constantly refers to bodies and what bodies do, it is not social practice reduced to the body. […] Gender exists precisely to the extent that biology does not determine
the social » (Connell, 2005 : 71). De plus, bien qu’il existe une grande variabilité d’adhésion,
le genre serait « a social pressure to behave and experience the self in ways that the culture
considers appropriate for one’s sex. And so gender is, in a critical sense, "in the air" (Killmartin, 2007 : 9).
Le genre désignerait d’abord le degré d'ancrage d’un individu dans son sexe d’assignation tel
que perçu par les autres. Le degré d’ancrage étant par ailleurs entendu comme un niveau de
correspondance à ce qu’une culture donnée définit socialement comme étant propre à un
sexe ou à un autre. Dans cette façon de percevoir les choses, il y aurait un type masculin
correspondant à des traits sociopsychologiques et à des attributs de personnalité caractéristiques des hommes (stéréotype) et ces caractéristiques sont très souvent en opposition ou
très différentes de celles qui sont usuellement attendues des femmes (Dorais, 1999; Fontayne, Sarrazin et Famose, 2001). Goffman (2002) précise :
[…] il existe, objectivement superposée à une grille biologique — et qui la
prolonge, la néglige, la contredit —, une manière spécifique d’apparaître,
d’agir, de sentir liée à la classe sexuelle. Chaque société élabore des classes sexuelles de cette manière, bien que chacune le fasse à sa façon.
Considéré par le chercheur comme un moyen de caractériser un individu,
ce complexe peut être désigné comme genre […] (Goffman, 2002 :47)
En second lieu, le genre désignerait le degré d'ancrage perçu par l’individu dans son sexe
désigné. « Dans la mesure où l’individu élabore le sentiment de qui il est et de ce qu’il est en
se référant à sa classe sexuelle et en se jugeant lui-même selon les idéaux de la masculinité
[…], on peut parler d’une identité de genre (Goffman, 2002 : 48) ».
Enfin, le genre serait aussi une relation de pouvoir (Butler, 2005). Pouvoir sur les femmes et
sur les autres hommes qui ne sont pas comme il faudrait qu’ils soient (Welzer-Lang, 1994).
Le genre détermine l’ensemble des relations sociales et leurs structures; il est politique.
« Gender relations are a major component of social structure as a whole, and gender politics
are among the main determinants of our collective fate (Connell, 2005 : 76) ». L’acteur social
peut difficilement échapper à son genre. En effet, notre société s’attend à ce que les garçons
adoptent des comportements plus agressifs, à ce qu’ils soient dominateurs et qu’ils contrôlent leurs émotions, même s’ils sont autorisés à éprouver de la colère (Dorais, 1999). On
peut donc dire que le genre repose sur trois processus élaborés en partie à partir du corps :
le premier est constitué d’une adéquation de conformité considérée d’un point de vue social;
23
le second, d’une adéquation de conformité considérée du point de vue de l’individu luimême; et le troisième, d’une relation de pouvoir entre les genres, en particulier une relation
de domination du genre masculin sur le genre féminin, ou sur ce qui lui ressemble ou lui est
associé.
Quant à l’orientation sexuelle, il serait possible d’affirmer qu’elle fait partie des composants
du genre (Dorais, 1999) et constitue l'attrait érotique d’un individu pour l’un ou l’autre sexe.
Cependant, une définition aussi succincte ne peut que desservir l’exploration de la construction du genre et ne permet pas une analyse exhaustive, à la hauteur des phénomènes qui
seront examinés dans le cadre des entrevues avec les sportifs rencontrés. L’orientation
sexuelle est plus complexe et demande des explications plus élaborées. Kinsey, Pomeroy et
Martin (1948) décomposent l’orientation sexuelle en différents degrés : exclusivement hétérosexuelle à exclusivement homosexuelle, en passant par bisexuelle. Fritz Klein (1993) affirme
que l’échelle de Kinsey n’expliquerait pas ce que signifie réellement l’orientation sexuelle. En
effet, lorsque l’on affirme qu’un individu se situe à 2 ou à 3 sur l’échelle de Kinsey, que diton au juste ? C’est pourquoi, Fritz Klein (1993) élabore une autre stratégie de mesure qui
tient compte :
ABCDEFG-
De l’attirance sexuelle
Du comportement sexuel
Des fantasmes sexuels
Des préférences émotionnelles
Des préférences sociales
Du style de vie (hétérosexuel ou homosexuel)
De l’auto-identification
L’attirance sexuelle (A) n’est pas synonyme de comportement (B). En effet, il est possible
d’avoir une attirance pour des personnes d’un sexe et d’avoir des relations sexuelles avec des
personnes de l’autre sexe. De plus, les fantasmes (C) sont infiniment variables. Ils mettent
en scène des scénarios, même s’ils ne mènent pas à l’orgasme et contribuent significativement à l’excitation sexuelle (Simon et Gagnon, 2004). Les préférences émotionnelles (D), avec
les préférences sociales (E), sont les moins « sexuelles » des sept composantes de l’orientation
sexuelle. En effet, plusieurs personnes peuvent avoir des relations surtout sexuelles avec des
personnes d’un sexe et s’engager émotivement ou socialement avec des personnes de l’autre
sexe. Le style de vie (F) est aussi un facteur de l’orientation sexuelle. Certains hommes ont
des relations sexuelles avec d’autres hommes sans pour autant adhérer au style de vie homosexuel. Ces hommes ne fréquentent pas le milieu gai et n’ont pas d’amis homosexuels.
Enfin, en relation directe avec le style de vie, l’auto-identification influence plusieurs comportements et schèmes de pensées. L’échelle de Fritz Klein (1993) tient également compte du
passé, du présent et de l’idéal de l’acteur social. Cependant comme le mentionne Klein lui-
24
même, son échelle ne tient ni compte de l’âge des partenaires sexuels ni du fait que la relation avec les partenaires soit d’amitié ou d’amour, et elle ne fait pas la distinction entre le
désir (sexuel) et le choc amoureux. La grille ne distingue pas non plus entre le nombre de
partenaires et le nombre de relations avec un sexe ou un autre. Enfin, les rôles sexuels n’y
sont pas inclus. Malgré certaines lacunes, l’échelle de Fritz Klein (1993) permet de tenir
compte d’un ensemble de facteurs plus près de la réalité et de la complexité de l’orientation
sexuelle. Cette prise en considération est nécessaire dans l’analyse des entrevues faites avec
les sportifs dans une partie subséquente.
Enfin, comme il sera question de masculinité et de virilité au cours de cette thèse, il est important de définir ces termes en en déterminant le sens particulier de chacun pour l’analyse
des transcriptions d’entrevue et la compréhension générale. La virilité et la masculinité sont
deux termes souvent utilisés de manière interchangeable dans les écrits scientifiques ou
populaires. Le sens populaire, reflété par les dictionnaires, y voit certaines nuances intéressantes. Ainsi, le Robert (2002) voit davantage la virilité en lien avec les attributs physiques et
les capacités sexuelles de l’homme, alors que la masculinité est davantage liée aux traits de
caractère de ceux-ci. La virilité pour le Robert est un « Ensemble des attributs et caractères
physiques et sexuels de l'homme. […ou…] Puissance sexuelle chez l'homme. […] ». Le Grand
dictionnaire terminologique, quant à lui, ne définit la virilité que par l’aspect physique : « capacité normale d'engendrer chez l'homme ». Welzer-Lang (2002) reprend pour sa part la
définition de virilité donnée par le Dictionnaire critique du féminisme (Les Presses Universitaires de France, 2000). Cette définition, sous le paradigme féministe, inclut les caractéristiques physiques, psychologiques et sociales de l’individu. La virilité serait un élément de domination d’un genre sur un autre. Welzer-Lang (2002) ne fait pas de distinction entre virilité
et masculinité, entre les caractéristiques physiologiques et sociologiques.
La virilité revêt un double sens : Les attributs sociaux associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage, la capacité à se battre, le
« droit » à la violence et aux privilèges associés à la domination de celles et
ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent pas, être virils […] La forme érectile et
pénétrante de la sexualité masculine. […] La virilité est l’expression collective et individualisée de la domination masculine. (Welzer-lang, 2002 : 11)
Cette acception ne définit pas la virilité en elle-même, mais dans un ensemble sociopolitique
de domination conforme au paradigme féministe, ce qui n’est pas celui de cette thèse. Welzer-Lang (2002) ne fait d’ailleurs aucune distinction dans son article, entre virilité et masculinité. Or cette distinction, qui servira l’analyse de plusieurs façons, doit être forte afin
d’éviter toute confusion. De plus, il est possible de présumer que les répondants de cette
25
recherche, n’étant ni spécialistes de la langue ni des problématiques de genre, auront davantage tendance à utiliser les termes de virilité et de masculinité au sens populaire. C’est pourquoi, dans cette thèse, la virilité sera rattachée à la complexion physique des hommes, et la
masculinité à leur constitution sociale et psychologique.
5.2
Les approches analytiques actuelles de la masculinité
Il existe d’anciennes tendances analytiques élaborées pour la compréhension de la masculinité dont il n’est pas nécessaire d’exposer les fondements, puisqu’elles n’ont pas été retenues. Ce sont, pour n’en nommer que quelques-unes, les perspectives proféministes, socialistes, celle des Men’s right, conservatrices, mythopoétiques, chrétiennes ou encore afroaméricaines (Clatterbaugh, 1990). Ces tendances se retrouvent sous le paradigme de
l’essentialisme ou du positivisme, ou encore celui du constructivisme, ci-après expliqués.
La masculinité n’existerait qu’en contraste avec son opposé, la féminité. Les sociétés qui ne
conceptualisent pas les genres sous la forme de polarité, portée par des hommes et des
femmes, ne connaîtraient pas les genres tels que nous les définissons en Occident. Dans
cette thèse, les conceptions essentialistes, positivistes ou normatives de la masculinité ne
sont pas retenues, car elles sont à l’opposé du constructivisme. Voyons brièvement ce que
sont ces conceptions essentialistes, positivistes et normatives. L’essentialisme soutiendrait
qu’il existe une nature ou une essence masculine souvent liées au corps, aux hormones et
aux gènes. La difficulté de cette approche réside dans le fait qu’il faut choisir arbitrairement
qu’elle est la nature de la masculinité à soutenir. Plusieurs théories essentialistes se servent
des concepts aristotéliciens de nature pour justifier celle-ci en choisissant arbitrairement le
fondement de la « nature ». Dans le positivisme, la masculinité serait présentée comme
étant celle que l’on peut observer naturellement. Nous retrouvons ici une sorte
d’auto-justification des modèles de masculinité actuels basés sur un point de vue qui ne
peut être tenu en toute neutralité et objectivité. De plus, définir ce que sont les hommes et
les femmes suppose l’existence préalable de ces deux catégories car il faudrait les inventorier
et les observer à partir de critères connus d'avance. Enfin, comme il existe plusieurs façons
de vivre le masculin, l’observation simple montre qu’il est impossible de construire de cette
façon une étiologie très nette du masculin et du féminin. À cause de la grande variabilité
d’adhésion au genre respectif, la conception normative reconnaîtrait l’existence de variations tout en établissant un type standard. La masculinité serait ce que les hommes devraient être. Cette affirmation s’appuie soit sur le modèle médiatisé soit sur le stéréotype. Il
existerait une échelle de masculinité idéale constituée de degrés où se situe chaque homme.
26
Enfin, bien que constructiviste, la conception sémiotique ne sera pas retenue dans cette
thèse. Elle est la plus difficile à définir en raison de son apparition toute récente, et du fait
que les auteurs ne s’entendent pas vraiment sur sa définition. Certains l'associent au postmodernisme ou au postconstructivisme (Connell, 2003). Elle se définit par un système de
différences symboliques dans lequel les hommes et les femmes sont placés en contraste. Elle
se nomme sémiotique parce qu’elle suit les règles de la sémiologie en distinguant les genres
de la même façon. La place accordée aux symboles du genre et à une forme fixe (et critiquée)
des genres y est très importante. Les analyses queer sont souvent associées au postmodernisme. Telles sont celles de Butler (2005), Dorais (1999) et Wittig (2001). L’approche analytique retenue dans cette thèse s’apparente par endroits à la conception sémiotique car elle
accorde une place importante aux symboles et au sens que leur donnent les acteurs sociaux.
Comme on peut le voir, la masculinité et la virilité ne sont pas des concepts qui se laissent
aisément saisir et à partir desquels il est possible de facilement généraliser. La masculinité
et sa construction peuvent être appréhendées dans un ensemble plus large. Il faut choisir un
cadre à travers lequel saisir cette construction sociale. Parmi les approches des études sur le
genre masculin, nous avons choisi de présenter et d’utiliser les théories de Connell (1995,
2005), Pleck (1982, 1995) et celles de O’Neil, Good et Holmes (1995). Eu égard à certaines
dates de parution, cela peut sembler peu nouveau, mais nous pensons que leurs analyses
sont au cœur des enjeux et des débats sur la construction du genre masculin, et qu’elles
permettent une analyse fine de la problématique de cette thèse et du corpus d’entrevues
réalisées.
5.2.1
La masculinité hégémonique
Le concept de masculinité hégémonique est apparu dans les écrits de Connell en 1995, dans
la lignée des analyses socioconstructivistes. Selon cette approche, l’étude des processus, des
rituels, des arrangements et des interactions entre les sexes rendrait possible la compréhension de la construction de la masculinité. Connell (1995, 2005) propose une compréhension
de la masculinité en interaction non seulement avec l’autre sexe, mais il propose aussi une
analyse des relations différentielles à l’intérieur du genre masculin. Il existerait plusieurs
types ou nuances de masculinité liés par une relation de pouvoir des hommes plus conformes que les autres sur ceux qui le sont moins. « Hegemonic masculinity is not a fixed character type, always and everywhere the same. It is, rather, the masculinity that occupies the
hegemonic position in a given pattern of gender relations, a position always contestable »
(Connell, 2005 : 76). Il ne faudrait pas pour autant construire une multitude d’idéaltypes,
car toutes ces nuances sont construites et permises tant qu’elles ne débordent pas du cadre
27
de la masculinité hégémonique. Elles ne font que varier selon les cultures, les milieux, le
temps, l’âge.
To recognize diversity in masculinities is not enough. We must also recognize the relations between the different kinds of masculinity: relations of
alliance, dominance and subordination. These relationships are constructed through practices that exclude and include, that intimidate, exploit, and so on. There is a gender politic within masculinity (Connell,
2005 : 37)
Cette masculinité hégémonique serait le seul modèle réellement mis en valeur et prisé. Bien
que nommé autrement, le modèle avait déjà été identifié par Goffman au début des années
60, qui en avait fait une description exhaustive en tenant compte des dimensions du sport et
de l’orientation sexuelle.
On peut affirmer sans absurdité qu’il n’existe en Amérique qu’un seul
homme achevé et qui n’ait pas à rougir : le jeune père de famille marié,
blanc, citadin, nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d’université,
employé à temps plein, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante et pratiquant un sport. Tout homme américain est enclin à considérer le monde par les yeux de ce modèle, en quoi l’on peut parler d’un système de valeurs commun. Et celui qui échoue sous l’un de ces aspects se
taxe d’indignité […] (Goffman, 1975 [1962] : 151).
Ce modèle hégémonique aurait vraisemblablement des liens de parenté avec le modèle autoritaire décrit par Alan Klein (1993), ou avec le modèle de masculinité fasciste analysé par
Mosse (1997). Ce qui importe, ce n'est pas tant les types ou nuances de masculinité actuelle,
mais leur place hégémonique dans les rituels sociaux et le fait que cette place doit être défendue voire justifiée constamment. Pour reprendre un terme propre à Gofmann (2002), la
masculinité
hégémonique
est
à
la
base
d’un
système
politique
qui
détermine
« l’arrangement » des sexes.
La masculinité hégémonique repose sur la subordination, la complicité et la marginalisation
d’un genre par rapport à l’autre. Chacun de ces éléments a des conséquences diverses sur
les hommes et leur entourage. Le concept de subordination a des points de ressemblance
avec les analyses de Welzer-Lang (1994). Elle fait référence à la soumission et à la subordination des hommes qui ne correspondent pas au modèle hégémonique à ceux qui lui correspondent. Se retrouvent dans cette catégorie les hommes efféminés, homosexuels, non sportifs, âgés… enfin ceux que Goffman décrit comme pouvant se « taxer d’indignité ». Cela rappelle également les analyses de Wittig (2001) qui, dans sa déconstruction des classes sociales, proposait une nouvelle classification selon les genres. Dans son classement, les hommes
28
homosexuels sont subordonnés aux hommes hétérosexuels qui cadrent avec le modèle de
masculinité attendu.
La subordination à la masculinité hégémonique ne vient pas seule. Une complicité doit être
mise à contribution. Ainsi, bien que beaucoup d’hommes n’adhèrent pas au modèle de masculinité hégémonique, plusieurs d’entre eux en tirent des avantages nets. L’écart salarial
entre les hommes et les femmes pourrait être un exemple de cette complicité. En effet, parmi
les hommes qui bénéficient d’un meilleur revenu (parce qu’ils sont des hommes), plusieurs
ne correspondent pas au modèle attendu de masculinité. C’est ainsi que, pour Connell, la
masculinité hégémonique devient un projet politique, car la complicité s’étend à toute la société et à tous les niveaux.
[…] If a large number of men have some connection with the hegemonic
project but do not embody hegemonic masculintiy […] Masculinities constructed in ways that realize the patriarchal dividend, without the tensions or risks of being the frontline troops of patriarchy, are complicit in
this sense (Connell, 2005 :79).
La marginalisation est aussi un facteur important. Elle a souvent été étudiée ou analysée.
Goffman (1975) en a fait une étude importante montrant le rôle joué par la stigmatisation
dans les rituels d’interaction sociale. Becker (1985) a montré comment pouvait naître une
culture des exclus au sein de groupes de outsiders. La marginalisation contribue à créer un
groupe d’exclus qui peut servir de contre-modèle à l’exemple de l’idéaltype du « fif de service »
élaboré par Lajeunesse (2001). La stigmatisation de l’homosexualité et des personnes homosexuelles n’est qu’un exemple parmi d’autres du rôle de la marginalisation dans la construction de l’identité masculine et du maintien de la masculinité hégémonique. La subordination,
la complicité et la marginalisation sont en constante interaction et sont parfois difficilement
discernables dans l’analyse des effets de la masculinité hégémonique dans le tissu social.
5.2.1.1
Création du genre et pratique corporelle réflexive
Selon Connell (2005), certaines approches prétendent dans une perspective naturaliste que
le corps serait à l’origine des genres et qu’il les produirait par les hormones et la génétique.
Au contraire, d’autres approches sociobiologiques affirment que le corps serait une entité
neutre sur laquelle le social imprimerait un symbolisme « genré ». Une autre approche encore
ferait un compromis entre les deux précédentes, supposant que c’est l’interaction du corps
(biologique) et du social qui produirait la différence entre les genres. Le corps, pour Connell,
est inévitable dans toute explication ou théorie sur la construction du genre et de la masculinité. Cependant, rien dans cette construction n’est fixé une fois pour toutes. Le corps (ce
29
qu’il peut faire et ce qu’on en fait) serait imbriqué dans un processus de « genrification » entrant dans un autre processus, social celui-là, et deviendrait un objet politique (Connell,
2005). Le corps des hommes est constamment assailli et attaqué au nom de la masculinité et
de son parachèvement. Les recherches de Alan Klein (1993), de Messner (1992, 1997), de
Messner et Sabo (1990, 1994), de Curry et Strauss (1994), Curry (2002), et celle de Chamalidis (2000) montrent comment le corps est blessé au cours de ce processus de masculinisation. Il s’agit souvent de blessures souvent difficiles à supporter psychologiquement parce
qu’en invalidant le corps, elles invalident la construction du genre et donc la masculinité.
« The constitution of masculinity through bodily performance means that gender is vulnerable when the performance cannot be sustained – for instance, as a result of physical disability » (Connell, 2005 : 54). La blessure sportive se transformerait souvent en blessure de
guerre, devenant de cette manière non seulement supportable, mais également une forme
valorisante. Cela se rapproche beaucoup de l’idée de l’apprentissage de la masculinité dans
La maison des hommes avancée par Welzer-Lang (1994) et de la consolidation de la masculinité par la souffrance du corps. Les blessures sont nombreuses chez les sportifs et les médias font souvent part de ce phénomène.
Le corps étant un déterminant important dans la construction du genre, Connell introduit le
concept de pratiques corporelles réflexives (body-reflexive practice). La définition succincte
qu’il en donne n’est pas des plus claires, aussi il faut se référer aux exemples qu’il donne
pour mieux en saisir la signification.
With bodies both objects and agents of practice, and the practice itself
forming the structures within which bodies are appropriated and defined,
we face a pattern beyond the formulae of current social theory. This pattern might be termed body-reflexive practice (Connell, 2005 : 61).
Pour Connell, il s’agit de ramener le corps au centre des théories sociologiques, lieu où il
semble avoir été absent. Le corps semble être resté dans une perspective où il n’est pas participatif. « We need to assert the activity, literally the agency, of bodies in social processes.
[…] for a stronger theoretical position, where bodies are seen as sharing in social agency, in
generating and shaping courses of social conduct » (Connell, 2005 : 60). Le corps pour
Connell est au centre de la construction du genre. La masculinité se construirait par
l’entremise d’une pratique corporelle anodine et quotidienne. Une pratique corporelle où
l’individu et la société interagiraient dans un tout malléable. Dans la pratique corporelle réflexive se crée un univers d’interactions sociales concrètes et symboliques qui s'inscrivent à
leur tour dans le corps afin de consolider un circuit d’autoconfirmation de la masculinité et
de créer l’univers social tout entier.
30
Body-reflexive pratices […] are not internal to the individual. They involve
social relations and symbolism; they may well involve large-scale social institutions. Particular versions of masculinity are constituted in their circuits as meaningful bodies and embodied meanings. Through bodyreflexive practices, more than individual lives are formed : a social world is
formed (Connell, 2005 : 64).
Le corps dicte ce que l’on peut faire ou ne pas faire, ce que l’on peut être ou ne pas être. Celui-ci ferait-il la destinée comme l’indique Laqueure (1992) ? De plus, l’homme peut modifier
son corps pour l’obliger à faire ce qu’il est censé faire, ou encore il peut le modeler, afin qu’il
corresponde à l’image du physique idéal du masculin. La perspective de Connell est ici proche de celle de Alan Klein (1993) qui voit dans les body-builders (littéralement constructeurs
de corps) des hommes sans cesse à la recherche d’un corps à l’image idéale de la masculinité. Cependant, cette idée de placer le corps au centre de la construction du genre ou à tout le
moins du social, n’est pas neuve. Selon Pociello (1995), on la retrouve aussi chez Marcel
Mauss. Pociello considère par ailleurs davantage le sport comme constructeur du corps,
même si la pratique d’un sport dépend de la complexion du sujet.
C’est dire que les sports sont bien des « techniques du corps », au sens où
l’entend Marcel Mauss. Modes particuliers de rapports au corps, aux
temps et aux espaces, ces divers « usages sociaux » du sport illustrent la
manière dont chaque société ou chaque groupe impose aux individus qui
le composent un usage rigoureusement déterminé de son corps (Pociello,
1995 :47).
Pour Pociello, l’usage du corps n'est pas libre dans le social. Le corps se modèle et se construit dans une interaction avec les valeurs du groupe social. Le social impose ses normes au
corps et l’investit d’usages biomécaniques porteurs de valeurs culturelles et de vertus masculines soutenant la tradition. Cela n’est pas sans entraîner des contraintes, des règles parfois faciles, d’autres fois moins, voire impossibles à respecter. Plusieurs hommes, en particulier, seraient emportés par une sorte de tourbillon social où la contrainte à un certain rôle de
genre aurait des conséquences néfastes tant dans leur vie sociale que sur leur corps et leur
santé.
5.2.2
La tension de rôle de genre
Pleck (1982, 1995) se positionne dans un nouveau paradigme de recherche sur le genre en
rapport à l’identité sexuelle masculine. La recherche sur les rôles de genre pourrait être vue
et pensée, selon Pleck (1982, 1995), selon deux paradigmes différents, voire opposés. Il s’agit
de l’identité de rôle de sexe mâle (male sex role identity paradigm) (MSRI) et de la tension de
rôle de genre (gender role strain) (GRS). Pleck (1982, 1995) prétend que, contrairement au
31
GRS,
le MSRI ne permet pas de comprendre les genres. Il propose donc un changement de
paradigme nécessaire à l’analyse et à la compréhension des rôles de genre et des problématiques actuelles de la masculinité.
Selon le MSRI, l'incapacité des hommes à actualiser leur identité de rôle sexué masculin serait un problème majeur dans notre culture, dont l’une des expressions évidentes est l'homosexualité masculine. Ainsi, toujours selon cette perspective, l’insécurité des hommes
s’exprime également par la délinquance, la violence et l’hostilité envers les femmes. Toujours
selon Pleck, le MSRI prétend que si nous pouvions comprendre les facteurs qui causent les
problématiques de genre chez les hommes, nous pourrions réduire ou même prévenir les
autres problématiques qui en découlent.
On est en droit de penser que la perspective MSRI est proche d’une forme d’essentialisme et
d'une vision traditionaliste et normative de la masculinité. En effet, pour le MSRI, les rôles
sexuels se développent à partir de l’intérieur de l’individu et ne sont pas imposés arbitrairement de l’extérieur. Selon cette perspective, les rôles de genre répondent à un besoin psychologique intrinsèque à la nature masculine. Les humains seraient programmés pour apprendre naturellement les rôles de genre traditionnels ; étant définis par la culture, ils ne restreigneraient pas le potentiel sociosexuel1 des individus. Au contraire, ils fournissent un cadre
nécessaire sans lequel l’individu ne peut se développer normalement. Selon l’approche MSRI,
l’individu doit se conformer aux genres traditionnels. La grande difficulté des rôles de genre
traditionnels actuels est que beaucoup de gens ont du mal à s’y conformer. La nature des
rôles de genre traditionnels n’est pas en cause.
Le MSRI peut être formulé, selon Pleck (1982), en 10 propositions distinctes qui représentent
une partie des tendances de la recherche sur les rôles de genre. Elles se résument ainsi : Les
rôles de genre sont modelés à partir des caractéristiques intrinsèques des genres. Le processus d’apprentissage du genre est risqué, surtout chez les hommes. L’homosexualité est une
des manifestations d’un échec de l’apprentissage. Ces échecs amènent des attitudes négatives à l’égard des femmes et des échecs scolaires chez les garçons. Les rituels initiatiques
sont également une réponse à ces échecs. La conformité au genre reflète une bonne adaptation de l’individu. L’hypermasculinité est le reflet d’un manque de solidité de l’identité. Les
hommes noirs vivent davantage de difficultés que les Blancs en ce qui a trait au genre. Les
1 Le terme « sociosexuel » fait référence à un croisement dans l’analyse des phénomènes sociaux et
sexuels et à leurs relations. Le « potentiel sociosexuel » fait référence à toutes les dimensions de
l’actualisation et de la réalisation d’un individu en terme de carrière sexuelle. La « carrière sexuelle »
fait référence au concept utilisé par Dorais (1991a) dans sa thèse de doctorat, notion elle-même inspirée du concept de carrières de vie de Becker (1985).
32
changements sociohistoriques font en sorte que les hommes ont plus de difficultés que les
femmes à se conformer au genre.
Pleck (1982, 1995) propose un nouveau paradigme, le Gender role strain (GRS), la tension de
rôle de genre, qui comprend 10 nouvelles propositions différentes de l’ancien paradigme relativement à l’analyse et à l’interprétation des problématiques vécues par les hommes. Elles se
résumeraient ainsi. Les rôles de genre sont déterminés par les stéréotypes et les normes. Ils
sont inconsistants et contradictoires. Un grand nombre de personnes transgressent les rôles
de genre. La transgression des rôles de genre est fortement condamnée et a des conséquences psychologiques négatives. La transgression réelle ou perçue amène les individus à se
surconformer, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Certaines caractéristiques
des rôles de genre sont dysfonctionnelles. Les rôles de genre sont vécus par chacun dans
plusieurs dimensions de leur vie. Enfin, ce sont les changements historiques qui causent la
tension de rôle de genre (GRS).
Avec le nouveau paradigme du GRS, la définition du rôle de genre ne va pas de soi, comme
cela semblait être le cas dans l’ancien paradigme MSRI. Le paradigme GRS sera considéré
comme un paradigme de référence pour notre analyse de la construction du rôle de genre
masculin. Le paradigme GRS permet de sortir des visions traditionnelles et de mieux comprendre la construction du genre. Les rôles de genre ne relèvent pas d’une nature de l’être,
mais comme le dit le GRS, ils sont plutôt imposés de l’extérieur, ce qu’ont d’ailleurs avancé
Brod (1987), Kimmel (1987), Kimmel et Messner (1989) dans leurs travaux, eux-mêmes inspirés de ceux de Simon et Gagnon (1973) et de Rubin (1975) longtemps les principaux auteurs de référence dans les études de genre du début des années 1970. Sous cette tendance
constructiviste, le genre est une construction sociale et non la résultante d’un héritage biologique ou génétique. Le genre se construit tout au long de la vie dans une suite d’interactions
et d’aléas, d’expériences ou d’attentes, ainsi qu’à travers satisfactions et frustrations. C'est à
travers les expériences de la vie que l’enfant devient un homme, et non pas à la suite d'un
irrésistible besoin ou d’une irréductible pulsion biologique.
The important fact of men’s lives is not that they are biological males, but
that they become men. Our sex may be male, but our identity as men is
developed through a complex process of interaction with the culture in
which we both learn the gender scripts appropriate to our culture, and attempt to modify these scripts to make them more palatable (Kimmel et
Messner 1989 : 10).
33
Le constructivisme social n’est pas en contradiction avec le GRS. Au contraire, il serait même
compatible avec lui selon Pleck (1995). Il est possible de s’y référer dans une perspective
cohérente, afin d’analyser et de comprendre les problématiques liées à la masculinité malgré
que le constructivisme soit un peu trop centré sur la dynamique de lutte de pouvoir entre les
hommes et les femmes (ce qui le rapproche de la pensée féministe). Pour le constructivisme
social, le genre se construit essentiellement dans l'enfance. Il se prétend d'un certain universalisme transculturel difficilement défendable, selon Pleck, et enfin, il a une légère tendance
à percevoir la masculinité comme une substance.
The central arguments in social constructionism and gender role strain
are theoretically compatible. Social constructionism’s model of the learning of gender «scripts» is analogous to the gender role strain paradigm’s
equally central concept of gender role socialization. Social constructionism
implies that masculinity can have negative consequences for men. The
gender role strain model for masculinity is, in the broad sense, a social
constructionist perspective that simply predated the term. The concept of
role strain was applied to gender (Mead, 1935; Turner, 1970) before the
notion of social construction was (Gagnon et Simon, 1973; Rubin, 1975;
Rubin, 1975) The role strain interpretation of masculinity (Hacker, 1957;
Hartley, 1959; Pleck, 1981) appeared prior to the social constructionist interpretation (Brod, 1987; Kimmel, 1987; Kimmel and Messner, 1989)
(Pleck, 1995 :21-22).
La tension de rôle de genre (GRS), comme il avait été dit, peut potentiellement avoir des impacts négatifs sur les hommes (Tremblay et Morin, 2007). Ces impacts négatifs se regroupent en trois grands thèmes qui sont la non-conformité au rôle de genre (gender role discrepancy), le traumatisme du rôle de genre (gender role trauma) et le dysfonctionnement du rôle
de genre (gender role dysfunction) (Pleck, 1995).
La non-conformité de rôle de genre est une source de stress, car elle constitue un écart entre
le modèle de masculinité attendu socialement et la conformité au modèle ressenti par les
hommes eux-mêmes. Chez les hommes, cette non-conformité est caractérisée par une incapacité à long terme à se conformer au modèle attendu par la société. La première réaction
possible des hommes est d’engendrer une faible estime d’eux-mêmes et d’autres effets psychologiques négatifs tels que la dépression, le suicide, l’anxiété. Bien qu’il ne soit pas totalement confirmés, ces effets négatifs ont été mesurés, selon Pleck (1995), par les études de
Eisler et Skidmore (1987), Gilbert (1976) et O’Neil et al. (1986). Ils sont également rapportés
par Connell (2005), Pleck (1995) et Tremblay et Morin (2007). On peut émettre l’hypothèse
que la réaction des hommes varie en fonction de l’importance qu’ils accordent au modèle de
masculinité attendu. Si le modèle a peu de signification pour eux, l’écart ressenti sera moins
important. Compte tenu de la prégnance sociale du modèle de socialisation masculine, il est
34
peu probable que sa signification soit faible. Cela serait d’autant plus vrai pour ceux qui
sont engagés dans des activités fortement conformistes, comme les sports collectifs (Bruce,
2002; Douglas, 1990; Gross, 2003). Cet état de fait conduit à la dernière hypothèse de réactions possibles, celle de l’adaptation. La non-conformité de rôle de genre n’est pas un modèle
statique, mais un procédé. Les hommes qui vivent un écart entre le modèle ressenti et le
modèle attendu pourraient simplement s’adapter et tenter de correspondre au modèle attendu. Nous émettons l’hypothèse que la participation à la pratique d’activités typiquement
masculines (tel que le sport, en particulier le football américain) ou l’adhésion à des groupes
de référence traditionnels (telles que l’armée, la police, etc.) puissent faire partie de ce processus d’adaptation. Cette adhésion peut cependant occasionner une sorte d’effet « rebond ».
En effet, au lieu de conforter l’individu dans son identité, l’inclusion dans des groupes fortement influencés par la masculinité traditionnelle pourrait, au contraire le déstabiliser davantage en élargissant l’écart qu’il perçoit entre ce qu’il est et ce que le groupe lui demande
d’être. Il est aussi possible de se désaffilier totalement en changeant de groupe de référence.
Dans tous les cas, la réaction aura pour effet de réduire le sentiment d’écart entre le modèle
attendu et le modèle ressenti, et par le fait même, les effets négatifs de ce sentiment d’écart.
Le dysfonctionnement du rôle de genre est dû au fait que la socialisation masculine a des
effets négatifs. Il a ces effets parce que le modèle idéal de masculinité, imposé aux garçons et
aux hommes et adopté par eux, recèle intrinsèquement des comportements et des attitudes
dysfonctionnels. Ces comportements et attitudes ont des effets sur les hommes eux-mêmes
et les personnes avec qui ils sont en relation. L’expression de la violence fait partie de ces
comportements et attitudes. Les études de Horwitz et White (1987) et Thompson (1990) montrent que plus un garçon se rapproche du modèle idéal de masculinité, plus il est enclin à
adopter des comportements délinquants ou violents.
Le traumatisme du rôle de genre permet de constater que la socialisation masculine est une
source de traumatismes importante chez les hommes. Pleck (1995) rapporte que ces traumatismes ont été montrés dans le champ clinique par les études de Best (1983), Herman
(1992), Herman, Perry et Van der Kolk (1989) et Levant (1992). La socialisation masculine
par le sport chez les athlètes professionnels est aussi très riche en traumatismes pour les
hommes, comme le rapportent les études de Messner (1992) et de Fine (1987). Enfin, les
traumatismes liés à la socialisation au genre touchent plusieurs aspects de la vie des hommes, durant l’adolescence (12 à 21 ans) en particulier comme l’ont rapporté Best (1983),
Dellinger et Williams (2002), Evens et Davies (2000), Harris (1997), Harrison (1987), et Jennings (1998).
35
Pour Pleck, la masculinité est aussi une idéologie. Elle agirait comme cofacteur essentiel
dans le concept du GRS et contribuerait aux conséquences négatives de la socialisation masculine. L'idéologie masculine peut être définie comme :
the individual’s endorsement and internalization of cultural belief systems
about masculinity and male gender, rooted in the structural relationship
between the two sexes. […] They are not juste beliefs about a particular
social object but constitute a belief system about masculinity connected to
a broad network of more specific attitudes and dispositions. (Pleck, 1995 :
19)
Il n’existe pas, pour Pleck (1995), qu’une seule idéologie masculine, mais plusieurs facettes
variables à l’intérieur de certaines limites. Il est possible de voir ici certains rapprochements
avec le concept de masculinité hégémonique de Connell (2005). Cependant, chez Connell,
l’idéologie ressemble davantage à un mentalisme qui caractérise l’hégémonie masculine et les
relations de pouvoir entre les genres, alors que chez Pleck, l’idéologie permettrait de rendre
compte du degré d’adhésion des hommes au standard de masculinité. La prégnance de
l’idéologie masculine sur les sujets est dépendante du degré d’ancrage individuel des hommes à la socialisation masculine et elle dépend de leur groupe de référence socioculturel. Il
est possible de penser que les membres d’un groupe sportif adhèreraient davantage à
l’idéologie masculine et que celle-ci serait plus « traditionnelle » que celle d’autres groupes.
L’idéologie masculine joue un rôle important dans les trois aspects de la tension de rôle de
genre. Dans la non-conformité de rôle de genre, elle met davantage de pression à la conformité de genre et donc sur l’écart entre le modèle attendu et le modèle ressenti. Dans le
traumatisme de rôle de genre, elle régule la manière dont les traumatismes vont affecter les
hommes et comment ils peuvent guérir. Dans le dysfonctionnement de rôle de genre, elle
influence comment et jusqu’où des hommes vont tenter de correspondre au modèle masculin
en dépit de ses effets négatifs.
5.2.3
Le conflit de rôle de genre
Les conséquences négatives de la socialisation masculine ont aussi été analysées sous
d’autres aspects, tels que le conflit de rôle de genre (gender role conflict) (GRC). Dans leur approche, O’Neil (1981) et O’Neil, Good et Holmes (1995) proposent un regard sur la recherche
inspirée directement de celle de Pleck (1982). Multidimensionnel et complexe, le (GRC) est un
état psychologique par lequel la socialisation du genre a des conséquences négatives sur les
personnes. « Les tensions de rôle de genre (gender role strain) surviennent lorsque des individus intériorisent certaines normes sociales à propos d’un idéal de genre même si celles-ci
sont contradictoires, inaccessibles ou incompatibles avec ce qu’ils pensent être réellement »
36
(Tremblay et Morin, 2007). La façon dont les rôles de genre sont acquis résulte d’un processus qui prendrait racine durant l’enfance et qui s’étendrait jusqu’à l’âge adulte. Bien qu’il
s’agisse d’un phénomène social, ce phénomène est ressenti comme un problème individuel.
Le GRC varierait selon la race, l’orientation sexuelle, la classe sociale, l’âge et l’origine ethnique. Il s’étend à des problématiques d’ordre cognitif ou comportemental inconscientes. Il est
lié à une socialisation des genres, opérée dans un contexte social de hiérarchisation de ceuxci. Une de ses conséquences est la peur du féminin.
We theorized that men’s socialization and the « Masculine Mystique and
Value System » produce the fear of femininity in men’s lives […]. We proposed that the fear of femininity produces six patterns of gender role conflict, including: restrictive emotionality; socialized control, power, and
competition; homophobia; restrictive sexual and affectionate behavior; obsession with achievement and sucess; and health care problems (O’Neil,
Good et Holmes, 1995 : 171)
La peur du féminin, selon O’Neil (1981), serait ancrée chez les hommes depuis la petite enfance, période où les garçons apprendraient à développer une forte aversion envers les valeurs, les attitudes et les comportements associés au monde féminin. La peur de ce qui est
féminin entraînerait un certain nombre de conséquences pour les hommes dont :
1- La restriction des émotions qui amènerait plusieurs hommes à avoir des difficultés à vivre
leurs émotions et à les verbaliser, à s’engager dans l’intimité et à exprimer la tendresse. La
limitation de l’expression des émotions qui nourrirait entre autres les problématiques de
violence conjugale, d’abus des enfants, d’agression sexuelle….
2- Une socialisation par le contrôle, le pouvoir et la compétition qui amènerait des hommes à
chercher à dominer et à commander, afin de garder un ascendant sur leur environnement.
Les hommes ne satisfaisant pas aux critères de masculinité seraient alors féminisés et méprisés.
3- Des comportements sexuels et émotifs limités. La peur du féminin restreindrait les hommes à un faible registre d’expression des émotions et de sensualité, comportement grandement associé à la féminité.
4- Une obsession du succès et de la performance qui cantonnerait des hommes à des comportements obsessifs au travail et favoriserait un esprit de compétition excessif, exclusivement orienté vers la carrière professionnelle.
5- L’ignorance de problèmes de santé qui ferait également partie de la socialisation des
hommes. Le genre masculin serait conçu pour être sans faiblesse, sans limites et invincible.
Certaines études montrent aussi que le syndrome de stress post-traumatique est aggravé
par la socialisation masculine (Hudon, 2004). De plus, les études de Osherson et Krugman
37
(1990), tout comme celle de Rondeau et Keefler (2003), montrent qu’il existe un lien particulier entre la honte et la socialisation masculine. On peut penser que les sportifs vivent une
honte particulière dans la défaite, réelle ou perçue. En effet, quand Alexandre Despaties a
remporté une médaille de bronze au plongeon, les journaux titraient le lendemain : Despaties échoue. Notons qu’il était tout de même troisième au monde.
L’homophobie est une des conséquences importantes de la socialisation masculine. Elle place les hommes dans des situations particulières et surtout des situations en apparence
contradictoires. Elle est abordée par de nombreux auteurs dont O’Neil (1981) et mérite, en ce
sens une attention plus importante. C’est pourquoi un développement beaucoup plus exhaustif lui est consacré dans cette thèse.
5.2.3.1
L’homophobie
Si l’on considère l'homosexualité en tant que stigmate (car elle constitue toujours matière à
injure pour beaucoup d’hommes), on peut constater que l'apparence d'homosexualité n'est
l'objet de fierté pour aucun homme (enfin très rarement) et constitue toujours un signe dévalorisant, y compris, souvent, pour les hommes homosexuels eux-mêmes. Avoir une apparence hétérosexuelle serait très souvent valorisé par la société en général, mais aussi par ceux
que l’on dit gais. L’homophobie peut aussi exister chez les personnes homosexuelles (Bean,
2004; Bergling, 2001; Borrillo, 2000; Bull, 2001; Demczuk et Remiggi, 1998; Goffman, 1975;
Jennings, 1998; Lajeunesse, 2001; Owens, 1998; Plummer, 1999; Tremblay P., 1995; Welzer-Lang, 1994).
Il apparaît essentiel d’approfondir le rôle de l’homophobie et de l’efféminophobie dans la
construction de la masculinité et dans le développement de problématiques relationnelles ou
de santé chez les hommes. En effet, dans de nombreuses recherches et de nombreux témoignages, l’homophobie et l’efféminophobie représentent une constituante importante du processus de construction sociale des normes dites masculines, de l’élaboration et de la construction du sens et des stratégies de genre et du maintien de la solidité du lien social avec
les autres hommes. Il existerait une forme de complicité dans l’homophobie, cette même
complicité dont parlait Connell (2005). Ainsi, la crainte d’être associés à l’homosexualité et
d’être par le fait même féminisés vient en tête de liste des préoccupations des hommes
(Bean, 2004; Berling, 2001; Borrillo, 2000; Bull, 2001; Connell, 2005, Goffman, 1975; Jennings, 1998; Lajeunesse, 2001; O’Neil, 1981; Owens, 1998; Plummer, 1999; Pronger 1990;
Taywaditep, 2001; Tremblay P., 1995; Welzer-Lang, 1994). Mais d’abord, qu’est-ce que
l’homophobie ?
38
L’homophobie peut être définie comme l’hostilité générale, psychologique
et sociale, à l’égard de celles et ceux censés désirer des individus de leur
propre sexe ou avoir des pratiques sexuelles avec eux. Forme spécifique
du sexisme, l’homophobie rejette également tous ceux qui ne se conforment pas au rôle prédéterminé par leur sexe biologique (Borrillo, 2000:26).
Borrillo fait de l’homophobie l’un des avatars du sexisme. En cela, il fait des liens, comme
O’Neil (1981), entre l’homophobie et la peur du féminin. L’efféminophobie peut à son tour
être considérée comme une variante particulière de l’homophobie et du sexisme. Elle est le
mépris de ce qui peut être féminin chez un homme — et cela, indépendamment de
l’orientation sexuelle de celui-ci. La définition qu’en donne Bergling (2001) est sans équivoque :
It is intended simply to describe a phenomenon whose existence is undeniable: a fear and loathing of men who behave in a “less manly than desired”, or effeminate, manner (Bergling, 2001:3).
Relativement distincte de l’homophobie, l’efféminophobie peut être si spécifique qu’on la retrouve chez des hommes ouvertement homosexuels, comme le souligne l’auteur précédemment cité lorsqu’il pose la question suivante :
What is it about society — and I’m absolutely talking about gay society as
well as the outside straight world — that makes effeminate behavior in
men so objectionable ? (Bergling, 2001:1)
Les liens entre homophobie et efféminophobie sont également soulignés par Welzer-Lang
(1994) : « l’homophobie est la discrimination envers les personnes qui montrent, ou à qui l’on
prête, certaines qualités (ou défauts) attribuées à l’autre genre » (Welzer-Lang, 1994:17).
Le chercheur précise que :
[…] l’homophobie au masculin est la stigmatisation par désignation, relégation ou violence des rapports sensibles – sexuels ou non – entre hommes, particulièrement quand ces hommes sont désignés comme homosexuels ou s’affirment tels (Welzer-Lang, 1994:20).
L’homophobie se distingue de l’hétérosexisme. Bien que fort nouveau dans les écrits et peu
présent dans les dictionnaires, l’hétérosexisme a été clairement défini par Tin (2003).
39
L’hétérosexisme peut être défini comme un principe de vision et de division du monde social, qui articule la promotion exclusive de
l’hétérosexualité à l’exclusion quasi promue de l’homosexualité. Il repose
sur l’illusion téléologique selon laquelle l’homme serait fait pour la femme, et surtout, la femme pour l’homme, intime conviction qui se voudrait
le modèle nécessaire et l’horizon ultime de toute société humaine (Tin,
2003 :208).
Ainsi par comparaison, il est possible de dire que l’homophobie serait une haine envers
l’homosexualité en général alors que, l’hétérosexisme serait une sorte de parade promotionnelle de l’hétérosexualité inconditionnelle. Cette notion se retrouve chez Wittig (2001) quand
elle définit la pensée straight ou chez Rich (1981) quand elle définit la contrainte à
l’hétérosexualité. Pour sa part Borillo (2000), bien que sa pensée semble en accord avec cette
définition de l’hétérosexisme, le voit tout de même comme en tant que soutien idéologique de
l’homophobie. Enfin d’autres ouvrages mentionnent les deux notions d’homophobie et
d’hétérosexisme sans ne jamais les définir. De plus, l’homophobie et l’hétérosexisme sont
tout à la fois des questions sociales et personnelles (Borillo , 2000 ; Jennings, 1998 ; Lajeunesse, 2001; Owens, 1998; Plummer, 1999; Pronger 1990; Tin, 2003 ; Welzer-Lang, 1994).
Comme l’a montré Goffman (1975), un stigmate, particulièrement celui de l’homosexualité,
est toujours « tachant », (Lajeunesse, 2001). Cette tendance contagieuse du stigmate explique en partie pourquoi les hommes préfèrent le plus souvent éviter d'avoir des relations trop
étroites avec les individus stigmatisés en tant qu’homosexuels ou associés au genre féminin,
avec des objets porteurs de ce stigmate (revues, livres, etc.) ou avec des comportements ou
des manières qui lui sont associés d’une façon ou d’une autre, et souhaiteraient supprimer
ces relations lorsqu'elles existent déjà. Illustrant ce phénomène, les études de Léger Marketing (2001 a et b) montrent que 24,9 % des parents ayant un enfant de 12 à 17 ans accepteraient difficilement que ce dernier eût un ami ouvertement gai. Presque 20 % des jeunes
pensent que le fait d’avoir un ami homosexuel peut influencer leur propre orientation. Ces
études montrent également que les garçons de 14 à 16 ans sont ceux-là qui sont le plus mal
à l’aise face à l’homosexualité. Ce malaise s’explique, selon la recherche, par la peur du rejet
lié à l’homosexualité (Léger Marketing, 2001a, 2001b, 2006).
Selon Goffman (1975), plusieurs hommes ont tendance à développer des stratégies qui leur
permettent de maintenir une distance sûre entre le stigmate homosexuel et eux. Ces stratégies sont de l’ordre de la marginalisation, que Connell (2005) avait incluse comme élément
important de la masculinité hégémonique. Ces stratégies sont également mentionnées par
Saouter (2000). Dans son étude, Plummer (1999) rapporte que les jeunes hommes qu’on a
identifiés comme homosexuels ont souffert d’ostracisme et de harcèlement moral (Hirigoyen,
40
1998) ou de mobbing (Leymann, 1996). Plusieurs enquêtes rapportent les mêmes faits, dont
celles d’Amnesty International (1998), Clermont (1996), Harris (1997), Jennings (1998), Labelle et Boyer (1998), Owens (1998), Shilts (1994), Tremblay P. (1995). Pour les répondants
qui n’avaient pas été identifiés comme homosexuels, la peur d'être associés à l'homosexualité
faisait partie des hantises de leur adolescence et représentait un cauchemar potentiel. De
plus, il semble que les jeunes hommes identifiés comme homosexuels ne bénéficiaient pas de
la même protection et du même droit à la vie et à la sécurité que les autres jeunes de la même cohorte. Ces faits sont aussi rapportés par Léger Marketing (2001 a et b) : 71,3 % des
répondants croient que les adultes n’interviennent qu’occasionnellement ou jamais pour
calmer les manifestations d’hostilité envers les garçons homosexuels. Dans la recherche de
Plummer (1999), des jeunes ont rapporté que, pour pouvoir tabasser un compagnon de classe sans risque de représailles disciplinaires de la part de la direction de l’école, ils n’avaient
qu’à justifier leur violence par le fait que leur victime était homosexuelle. Ils pouvaient ainsi
s’en tirer sans aucune sanction ni réprimande. Les jeunes répondants de cette enquête ont
aussi révélé que leur tentative de suicide, le cas échéant, était liée à leur orientation sexuelle
ou à son questionnement, à leur identification comme homosexuels, à l’ostracisme dont ils
avaient été victimes ou à l’impossibilité de croire qu’ils pussent être un jour heureux en tant
qu’homosexuels.
Pour certains hommes, exprimer leur haine de l’homosexualité leur permet de réaffirmer et
de renforcer leur masculinité de façon non équivoque. Ils se doivent alors d’injurier systématiquement — pour ne pas dire de violenter quand ils en ont l’occasion — ceux dont l’allure,
les gestes, les attitudes, etc. ne sont pas conformes aux attentes sociales de la masculinité.
Welzer-Lang précise :
Tout homme qui ne manifeste pas son homophobie, notamment en insultant les homosexuels-qui-ressemblent-à-des-femmes, peut être suspecté
d’appartenir au clan honni. [...] Il faut, ou il faudrait dans cette logique,
montrer et remontrer sans cesse [...] qu’on n’en est pas (Welzer-Lang,
1994 : 44).
La distance avec l'homosexualité peut aussi se maintenir par l’intériorisation de
l’homophobie. C’est la haine de soi et la peur d’être identifiés comme homosexuels qui amènent tant de jeunes hommes à développer des stratégies de contournement du stigmate homosexuel (Goffman, 1975; Lajeunesse, 2001). Cela peut se manifester par des scénarios de
violence homophobe tels que le tabassage de tapettes et les injures, mais aussi par d’autres
types de scénarios qui sont ceux du fif de service, du parfait garçon, du caméléon et du rebelle (Lajeunesse, 2001). Ces scénarios homophobes, qui permettraient de contourner la
41
présence de l’homosexualité réelle ou potentielle, sont liés à l’identité en général, mais plus
encore au genre.
5.3
L’homophobie dans le sport
L’homophobie et le sport ont depuis longtemps été associés tant dans le discours populaire,
dans les chroniques sportives des journaux et des revues que dans les rumeurs et les valeurs du monde sportif.
Bien que beaucoup de garçons en rêvent, tous ne peuvent devenir des champions sportifs.
Chamalidis (2000) comme le titre de son ouvrage l’indique, trace un portrait de la splendeur
et de la misère des champions. Qui sont ceux qui ont connu la gloire et que sont-ils devenus ? Et surtout, comment sont-ils devenus ce qu’ils sont. Cet auteur nous livre ses réflexions sur l’homosocialité des groupes, essentielle à la consolidation de l’identité masculine. Homosocialité (souvent homosexualité) dont les sportifs doivent se dissocier. Cette défense prend souvent des formes véhémentes. Chamalidis corrobore Saouter (2000) quant à
l’ambiguïté sur le plan de l’orientation sexuelle des situations des groupes sportifs. « [...] Les
liens masculins se créent surtout dans des situations de groupe [...] Le groupe (sportif) a ici
la fonction de contenir, jusqu’à un certain degré, les émergences homosexuelles » (Chamalidis, 2000 : 73-74).
Le groupe masculin permet paradoxalement l'émergence et la « tabouisation » des manifestations homosexuelles et homophobes dans un jeu de contrôle social interactif. En outre, le
groupe masculin devient une grande confrérie cimentée par l’homophobie et liée par le sport.
Cette dynamique se rencontre aussi dans les grandes confréries que sont l’armée et la marine. Tous ces lieux de socialité fournissent leur lot de rites nécessaires à la consolidation de
l’identité masculine.
Cette forme véhémente de défense contre l’homosexualité lie les acteurs
du milieu sportif à d’autres hommes appartenant à des fiefs mâles tels que
l’armée ou la marine. [...] La peur d’être homosexuel nous amène une fois
de plus à réfléchir sur les limites qu’un groupe d’hommes est prêt à franchir quand il s’agit d’être proche d’autres hommes. Les limites de cette
proximité masculine sont assez bien définies et le dépassement des
« doses » homosexuelles généralement acceptées est immédiatement sanctionné par la prise réactionnelle d’une position intolérante, voire machiste
(Chamalidis, 2000 : 75).
L’analyse de Chamalidis est proche de celle de Welzer-Lang (1994), mais aussi de celle de
Saouter (2000) qui porte sur la vie dans les équipes de rugby. De plus, le lien que fait Cha-
42
malidis entre l’armée et le sport est fort intéressant et corrobore l’idée d’un lien entre sport,
militarisme et masculinité. Saouter (2000) a d’ailleurs dépeint des nuances fort pertinentes
quant à la ligne qui sépare les activités homosexuelles des activités que nous qualifierions
d’homosexuées2 et celles strictement homosociales. Pour cette auteure, il ne faut pas sauter
aux conclusions et prétendre que toutes les activités de vestiaire et de troisième mi-temps au
rugby servent d’exutoire à des tendances homosexuelles refoulées.
Les troisièmes mi-temps sont le théâtre de jeux [...] Certains individus
vont expérimenter plus loin encore cette liberté de corps, au-delà des limites normalement imposées par le tabou de l’homosexualité. La transgression des limites s’accompagne toujours alors d’alibis qui en atténuent la
portée [...] Ces conduites me semblent plus une manière d’expérimenter
ouvertement, dans un contexte extra-ordinaire, une relation homosexuée,
qu’une occasion de vivre à la dérobée une homosexualité non assumée au
quotidien (Saouter, 2000 : 121).
Bien évidemment, toute possibilité d’être homosexuel « pour vrai » est fortement niée par les
joueurs de rugby. La question fut fort difficile à aborder par Saouter (2000) auprès des répondants de sa recherche. Pour les joueurs d'équipe, nous le rappelons, il y a une séparation
entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Pour ceux qui sont homosexuels « pour vrai », un silence
organisé, pour ne pas dire institutionnalisé, prend place dans l’équipe. Saouter (2000) découvre que les hommes homosexuels sont tolérés dans l’équipe de rugby à condition que
leur « anomalie » reste discrète et qu’aucun signe ne permette de les identifier. De cette façon, les hommes homosexuels ne mettent pas en péril la cohésion et la communauté des
hommes. L’identité de ceux qui sont « comme ça » est scrupuleusement gardée secrète. On a
retrouvé le même phénomène au Québec entre autres quand des journalistes sportifs comme
Réjean Tremblay (LaPresse) ont témoigné dans l'affaire Rock Voisine/Stéphane Richer3 au
début des années 1990. Ce silence organisé est sans doute la raison pour laquelle aucun
homme homosexuel « avoué » n’a témoigné dans l’étude de Saouter (2000).
À la lumière de ces faits, il serait possible de penser que l’activité sportive soit un rite de
masculinisation homophobe en lui-même. Pour un homme, l’activité sportive offrirait plus
qu’une occasion de réitérer son homophobie par la violence et la domination sur les autres
hommes (Gagnon, 1996; Welzer-Lang et al, 1994; Pronger, 1990); elle constituerait aussi
2 Le terme homosexué relève d’activités sexuelles entre personnes de même sexe alors que le terme
homosocial relève d’activités où la complicité et les liens entre individus de même sexe sont très forts
mais non sexuels.
3 Au début des années 1990, une rumeur courait selon laquelle un joueur du Canadien de Montréal,
Stéphane Richer, ait eu une relation amoureuse avec la vedette de musique pop Rock Voisine.
43
une occasion unique d’affirmer hors de tout doute sa masculinité et, par le fait même, son
hétérosexualité.
Apprendre à jouer au hockey, au football, au baseball, c’est d’abord une
façon de dire : je veux être comme les autres gars. Je veux être un homme
et donc je veux me distinguer de son opposé (la femme). Je veux me dissocier du monde des femmes et des enfants. C’est aussi apprendre à respecter les codes, les rites qui deviennent alors des opérateurs hiérarchiques.
Intégrer codes et rites — en sport on dit les règles — oblige à intégrer corporellement, à incorporer les non-dits. Un de ces non-dits, que rapportent
quelques années plus tard les garçons devenus hommes, est que
l’apprentissage doit se faire dans la souffrance (Welzer-Lang, 1994 : 26).
Duret (1999) et Saouter (2000) abondent dans le même sens à propos du rôle du sport, en
particulier du rugby, dans la construction du genre masculin.
Le rugby fabrique un homme, […] il se fonde sur des valeurs collectives.
[…] il est perçu comme un moyen privilégié d’éducation […] il fournit un
modèle de socialisation inébranlable où, confiant leur existence au groupe,
les jeunes […] pour être admis dans ce monde de guerriers, doivent être
initiés par les anciens. […] les rites les plus ancrés sont ceux de l’avant —
et de l’après-match : le passage au vestiaire et la troisième mi-temps (Duret, 1999 : 139).
Le sport tout entier serait un fabricant d’hommes en conformité de genre. Il permettrait un
apprentissage et une construction de genre qui se feraient par le biais de rituels dont il sera
question dans la section suivante.
5.4
5.4.1
Le sport et les rites
Un bref historique du sport
D'un point de vue historique, l'activité sportive dans la civilisation occidentale daterait de la
création des jeux panhelléniques en 776 avant notre ère. Les pratiques sportives
s’inspiraient alors d'apprentissages guerriers, mais ils avaient souvent d’autres objectifs,
entre autres, des objectifs politiques. On sait que les hommes de Thèbes étaient fort bien
entraînés, tant pour les joutes sportives que pour la guerre, ce qui en faisait des soldats particulièrement craints. Ces groupes sportifs et militaires étaient souvent constitués d’amants
(Boswell, 1985, 1996; Sergent, 1986). L’amour qui unissait les membres du groupe les rendait, semble-t-il, irréductibles. On constate, à la lumière des faits historiques que l’idée de
fratrie, d’union, voire de fusion des membres d’équipes sportives n’est pas nouvelle. En effet,
de nombreux entraîneurs sportifs la reprennent et la favorisent, sans toutefois, comme le
44
mentionnent Saouter (2000) et Robidoux (1997, 2001), promouvoir l’union sexuelle. Elias et
Dunning (1994) apportent quant à eux ces quelques précisions à propos des origines du
sport :
Dans le courant du xxe siècle, les activités de compétition physique réunissant des individus sous la forme rigoureusement codifiée que nous
appelons « sport », ont fini par servir de représentations symboliques à
une forme de compétition non violente et non militaire entre les États.
Nous ne devons pas oublier pour autant que le sport était à l’origine — et
est toujours — une compétition entre des êtres humains excluant, dans la
mesure du possible, toute action violente risquant de blesser gravement
les concurrents. La pression et l’escalade de la compétition sportive entre
les États incitent souvent les athlètes à se blesser en dépassant leurs limites ou en prenant des anabolisants (Elias et Dunning, 1994 : 30-31).
Nous serions tenté d’inviter ces auteurs à un match de hockey durant la saison des éliminatoires pour voir s’ils ne réviseraient pas leur position quant à l’absence de violence dans les
sports, ou à tout le moins leur vision du contrôle de celle-ci. Les événements de la finale de
la coupe du monde de football4 2006 tendent à démentir Elias et Dunning quant à la fin de
la violence dans les sports. Il est aussi question des nombreux cas de grave brutalité au
hockey qui ont fait la manchette au cours des années et également des cas de violence courante qui surviennent presque à chaque match dans les ligues majeures et mineures majeures de hockey : l'affaire Hextall en 1989, l'affaire Johnson en 1998, l'affaire Brashear en février 2000, l'affaire Nolan en 2001, l'affaire Quintal en décembre 2003, l'affaire Bertuzzi en
mars 2004, et tant d'autres (Presse Canadienne, 2004, Laflamme 2003). Le sport actuel,
pour Elias et Dunning, repose en bonne partie sur une forme d’autocontrôle de la violence.
Si on le compare au match sportif de la période prévictorienne en Angleterre, où les règles du
jeu étaient floues, non établies, pour ne pas dire changeantes, et faisait surtout place à une
violence incontrôlée.
Pour Elias et Dunning (1994), le sport tel que nous le concevons aujourd’hui, est en brisure
historique avec le sport d’autrefois. Selon ces auteurs, il constitue un processus sociologique
qui permet de comprendre l’ensemble des interactions sociales. Ils vont d’ailleurs jusqu’à
dire que « la connaissance du sport est la clé de la connaissance de la société, et ils ajoutent
que l’objectif de leur ouvrage est de montrer qu’on ne peut étudier le sport sans étudier la
société. « Le « sport » ou la « société » semblent aujourd’hui des thèmes porteurs d’une identité qui leur est propre » (Elias et Dunning, 1994 : 25 à 34). Toujours selon Elias et Dunning,
4 Zidane (joueur de l’équipe française) a donné un coup de tête violent à un autre joueur pour une
obscure histoire d’insulte qui lui a valu la disqualification.
45
l’évolution de la structure du pouvoir est liée à l’évolution de la structure du sport dans le
processus de création de la société.
De plus, il peut être difficile d’être d’accord avec Elias et Dunning lorsqu’ils prétendent que le
sport actuel a été débarrassé de ses aspects militaires. En effet, l’idéal fasciste (Mosse,
1997), militaire et sportif actuel aurait des ressemblances. De plus, tant à l’époque de la
Grèce antique qu’actuellement dans les forces armées des pays occidentaux — tels que les
États-Unis —, la forme et la résistance physiques des recrues seraient poussées à leur
maximum athlétique, non pas dans un but de compétition sportive, mais plutôt de compétition militaire. Les documentaires de Mitchell (2002) et Monath (2002) montrent que les activités et les jeux sportifs organisés durant l’entraînement des recrues n’auraient pour objectif,
selon les entraîneurs de l’armée étasunienne, que d’augmenter les performances guerrières
des soldats, de pousser leur forme physique au maximum, d’augmenter la soumission à
l’autorité (incluant une forme de déférence envers les militaires reconnus être en plus grande
concordance avec le modèle idéal de masculinité), la cohésion et l’esprit de coopération au
sein des pelotons militaires. Mais au-delà de l’Histoire qu’en est-il du sport aujourd'hui ?
5.4.2
Le sport comme objet social
Selon Akoun et Ansart (1999: 500), « le sport est constitué d'activités corporelles à caractère
ludique, individuelle ou collective, dont la pratique suppose un entraînement et le respect de
règles. » Pour Pociello (1995), le sport revêt bien des aspects et en donner une définition est
un défi. C’est sans doute pourquoi il cite plusieurs auteurs qui le définissent sans pour autant prendre réellement position. Cependant, s'inspirant largement d’Elias (1976), il précise
que
le sport est un ensemble de compétitions […], d'affrontements individuels
[…] ou collectifs […], qui opposent des êtres humains ou qui les engagent
contre des obstacles définis […] ou des difficultés à vaincre […], contre
lesquels ils s'investissent tous dans une sorte de « combat » (Pociello, 1995
: 39).
Cette définition succincte doit être approfondie pour en saisir toute sa portée sur les hommes et sur l’intervention auprès d’eux. Le sport devrait être considéré tant dans ses représentations sociales que comme créateur ou consolidateur du genre masculin dans ses aspects sociologiques et politiques en prenant en considération ses répercussions possibles
pour ses pratiquants. C’est au début de l’adolescence et au début de l’âge adulte que les
garçons pratiquent le plus de sports (Goffman, 1975; Pleau, 2000; Pociello, 1995). Ce sont
également les années où se consoliderait le genre. Le sport serait une sorte de fabriquant du
46
genre et permettrait une relecture à rebours auto-confirmative du genre masculin pour ceux
le pratiquant.
Les sports […] sont un élément important de la vie […] surtout des jeunes
hommes. Cette rivalité organisée est présentée par les adultes comme une
chose désirable, moment où la jeunesse peut se débarrasser de ses énergies animales, apprendre les règles de la loyauté, de la persévérance et de
l’esprit d’équipe, se dépenser et exciter son désir de se battre envers et
contre tout pour gagner […] ce n’est pas tant que les sports ne soient que
l’expression de la nature humaine (spécifiquement masculine), c’est plutôt
qu’ils sont la seule expression de la nature humaine masculine – agencement spécifiquement conçu pour permettre aux hommes de manifester
leurs qualités pour eux jugées fondamentales : la force dans ses manifestations diverses, la résistance, l’endurance, etc. La conséquence de cet entraînement précoce aux sports est que les individus peuvent disposer au
cours de leur vie d’un cadre d’arrangement et de réaction, d’un système de
référence, qui prouve, fournit peut-être la preuve, qu’ils sont en possession d’une certaine nature (Goffmann, 2002 : 95-96).
La pratique sportive revêt un sens particulier selon les périodes et les étapes de la vie. L'influence de l'activité sportive sur l'individu et sa « carrière de vie » (Becker, 1985) est diachronique et non synchronique. C'est-à-dire que les choix sportifs auraient une influence sur les
hommes et la construction de leur genre, influence qui varierait selon l’âge et le milieu.
L’activité sportive que choisit l’acteur social serait en corrélation avec son appartenance au
genre et avec sa classe sociale. De plus, le genre déterminerait la valeur que les individus
accordent aux activités qu’ils pratiquent, notamment dans le cas des activités sportives (Gagnon, 1995, 1996; Fontayne, Sarrazin et Famose, 2001; Pociello, 1995). Plus encore, le choix
des activités sportives dépendrait du degré d’ancrage typologique dans un genre et de
l’appartenance à une classe sociale. Autrement dit, les hommes cotés plus masculins (et
souvent de classes sociales plus pauvres) — selon les stéréotypes sociaux les plus répandus — choisiraient de pratiquer des sports plus proches du stéréotype mâle du guerrier (Pociello, 1995) que les hommes cotés plus androgynes. Le genre et le sentiment d’appartenance
au genre détermineraient le type d’activités sportives choisi ainsi que son importance symbolique dans la vie d’un individu (Mangan et Walvin, 1987; Recours et Dantin, 2000). À titre
d'exemple, les garçons des classes populaires seraient plus attirés par le football ou le hockey que les garçons d’origine plus aisée, qui privilégient davantage le tennis ou le golf (Bairner, 1999). Selon ce point de vue, il est possible d’associer les activités sportives que les garçons des classes populaires choisissent à une façon plus traditionnelle de vivre la masculinité. Par ailleurs, la masculinité traditionnelle serait associée à l'agressivité et au combat ainsi
qu'au phénomène de fratrie.
47
Beaucoup de chercheurs ont défini leurs propres catégories selon la nécessité de leurs études. Celles-ci comprennent les sports de combat, les sports esthétiques, les sports individuels ou collectifs, les sports d'hiver, d'été, les sports de raquette etc. Nous proposons un
classement (voir le tableau suivant) issu d'analyses et de recoupements des classifications de
Bairner (1999), Bouchard, Brunelle et Godbout (1973), Douglas, (1990), Duret et Augustini
(1993), Fontayne, Sarrazin et Famose (2001), Gagnon, N. (1996), Klein, A. (1993), Le Breton,
(1991a), Pociello (1995) et Recours et Dantin (2000). Nous définissons ainsi trois catégories
de sport chacune incluant des pratiques collectives et individuelles. La première est constituée de sports agonistes — du grec agon qui signifie lutte, combat — dont le baseball, le
football américain et le soccer… pour les sports collectifs et la boxe pour les sports individuels (Pociello, 1995). De plus, les représentations sociales voient les sports collectifs comme
plus masculins. « Les sports les moins féminisés […] sont les sports collectifs et individuels
d’affrontement [agonistes] « durs» qui imposent le contact corporel direct et les efforts perforants […] » (Pociello, 1995 :107). Les sports ilinistes, de ilinx, se rapportent au sens grec
d'adresse, de vertige et de défi contre soi, voire contre « Dieu » (Pociello, 1995). Ils sont proches des activités que Le Breton (1991, 1991a) définissait comme ordaliques. Tels sont l'escalade ou le parapente pour les sports individuels, et, pour les sports collectifs, selon Pociello (1995), le basket-ball ou le volleyball. Enfin, les filles sont davantage regroupées dans la
catégorie esthétique c’est-à-dire dans les sports qui tel le patinage artistique relèvent de
l’élégance, de la symétrie et de la joliesse (Pociello, 1995). La nage synchronisée est la seule
pratique de groupe de cette catégorie et, sauf dans les jeux gais ou les Outgames, elle est
exclusivement féminine. On constate que l’esthétisme est souvent associé au féminin (Belotti, 1974; Goffman, 1988, 2002), et donc à l’homosexualité.
Les femmes sont culturellement investies de la disposition esthétique et
artistique, et bien souvent encore appréciées comme objets de séduction
soumis à l'injonction permanente de l'apparence, sont majoritairement
portées vers les pratiques esthétiques (Pociello, 1995 : 104).
48
Tableau 1, Les catégories de sports
Agonistes
Collectifs
Individuels
Baseball
Boxe
Football
Hockey
Rugby
Soccer
Frisbee extrême
Judo
Karaté
Ilinistes
Collectifs Individuels
Basketball
Frisbee
Volley-ball
Aviron
Alpinisme
Esthétiques
Collectifs
Individuels
Nage synchro
Aviron
Badminton
Course
Golf
Natation
Gymnastique
Patin artistique
Musculation
Plongeon
Ski
Vélo
Ce tableau est inspiré d’une classification proposée par Pociello (1995)
Les sports agonistes se pratiqueraient plus souvent dans de grands espaces et non sur des
terrains restreints. Ils seraient plus empreints de valeurs traditionnelles telles que la famille,
les liens sociaux, les fêtes collectives, l’existence de bandes de copains, les rituels intégrationnistes, l'appartenance au clan, à la meute ou à la tribu. L'activité sportive agoniste
s’insère dans la vie quotidienne et dans le mode de vie. Enfin, les recherches de Smith (1974)
et de Melançon (1978) montrent que les groupes de pairs et les idoles sportives ont plus
d’influence sur le comportement violent des jeunes sportifs, en particulier au hockey, que
toutes les règles de jeu et les sanctions sociales existantes. Cette influence est même plus
forte que la pression des parents ou des entraîneurs. La violence ferait partie des rites
d’appartenance au groupe. Le besoin et la nécessité de faire partie du groupe des hommes
provoqueraient une pression suffisamment forte pour annihiler toute autre forme de contrôle
ou de règles sociales qui en d’autres lieux et d’autres temps, sont normalement très efficaces. Pour un garçon, le souci de se conformer au groupe des « mâles » auquel il veut appartenir déterminerait ses conduites violentes et, par le fait même ses choix et préférences sportives.
Les pratiques ilinistes, au contraire, ne comporteraient pas de rituels et demanderaient
d'être exercées à l'extérieur de la vie quotidienne (Pociello, 1995). Les sports ilinistes n'auraient pas de pratiques sociales intégratives et ne favoriseraient pas le groupe. Ceux-ci seraient axés sur le futur et le changement, et non sur la tradition. Contrairement aux sports
agonistes, les sports esthétiques favoriseraient à peu près les mêmes valeurs que les sports
ilinistes, à l'exception de la musculation qui serait surtout un sport utilitaire (Pociello, 1988).
Les sportifs feraient de la musculation pour améliorer leurs performances dans un autre
sport, qui leur importe davantage. Il est certain que les gains esthétiques sont appréciables,
mais ils ne seraient pas essentiels. Il faut cependant faire une autre exception avec le cultu-
49
risme qui attirerait souvent des personnalités rigides, dont les valeurs sont fascisantes
(Klein, A.,1993; Mosse, 1997).
Selon plusieurs auteurs, l'univers sportif serait un monde réservé aux hommes, et dans lequel le masculin s’accomplirait et s'actualiserait (Messner, 1992; Messner et Sabo, 1990,
1994; Gagnon, 1995, 1996). La pratique sportive serait répartie selon les sexes et les rôles
sexuels (Pociello, 1995). Il y a des sports d'hommes très bien financés (football, hockey, baseball…) (Messner, 2005) et quelques sports où l’on tolèrerait les femmes (ringuette, ballemolle, etc.). Il y a des compétitions pour les femmes et d’autres pour les hommes. Cette subdivision semble presque impossible à briser. À titre d’exemple, en 2003, la golfeuse Annika
Sorestam avait provoqué un scandale en acceptant l’invitation de la Professional Golfers’
Association. Lors de cette compétition, elle se mesurait à des hommes. Plusieurs personnalités du milieu considéraient son geste comme une insulte à l’intégrité du sport (Messner,
2005). De plus, la couverture des sports, à la télévision en général et aux Jeux olympiques
en particulier, est surtout consacrée aux sports masculins, comme l’ont montré Gagnon
(1996), Koivula (1999), Pociello, (1995) Sabo, Gray et Moore, (2000) et Spears et Seydegart
(1996). Il est possible de conclure que les représentations sociales montreraient le sport
comme une affaire d'hommes.
5.4.3
Fascisme, militarisme, sport et identité masculine
La limite de l’endurance masculine et de la masculinité serait rarement atteinte. C’est pourquoi le sport deviendrait parfois pour les hommes une activité compulsive telle que l’a relaté
Lake (1989). Pour le sportif de compétition, il faut toujours aller plus loin, en faire plus, un
peu comme si la masculinité serait toujours un cran plus loin en avant. Elle serait toujours
ailleurs, car elle est mal définie au départ. En effet, n’ayant jamais défini ce qu’est le masculin, bien malin serait celui qui saurait s’en imprégner. Selon Alan Klein (1993), le sportif
court après quelque chose d’indéfinissable, d’insaisissable, qui appartient plus au fantasme
qu’au réel.
L’idéal masculin chez le sportif aurait des ressemblances idéologiques avec le fascisme, mais
exception faite de Connell (1993), Alan Klein (1993), Mosse (1997) et Reich (1970) peu
d’auteurs abondent dans ce sens. C’est par son étude du milieu du culturisme que Alain
Klein (1993) a fait la démonstration du lien entre l’idéologie fasciste et l’idéal masculin traditonnel. La nécessité d’atteindre l’idéal masculin serait chez les culturistes à l’origine d’un
comportement compulsif. La compulsion existerait aussi dans la pratique d’autres sports,
mais le cas du culturisme serait caractéristique, car le culturiste pourrait toujours se muscler davantage, ce sport ne lui permettrait jamais en fait de toucher à la masculinité pure.
50
L’adepte croirait en vain pouvoir atteindre rapidement son objectif d’esthétique masculine et
virile5 grâce à cette activité, mais son objectif s’éloignerait au fur et à mesure de ses efforts
pour gagner une course où les muscles ne seraient jamais assez gros, assez définis... Selon
Klein A. (1993), l’idéal sportif de cette discipline tire ses valeurs de l’idéal masculin fasciste,
ce qui favoriserait la présence des personnalités autoritaires dans cette discipline. Ajoutons
que les tendances à l’hypermasculinité révèleraient une grande insécurité de l’identité masculine du culturiste (Klein, A., 1993). Très proches du stoïcisme, les valeurs soutenues par
de nombreux sports, et par le culturisme en particulier, sont la force, la discipline, la dureté
envers le corps, l’effort constant, la soumission à l’entraîneur, la volonté de réussir, la privation, la vénération de la science6, la grandiosité (Mosse, 1997).
The authoritarian personality is compatible with bodybuilding socialpsychology [...] and once institutionalized, authoritarianism has cultural
dimensions as well. Bodybuilding leads invarious sociocultural directions,
but none is quite so disturbing or dramatic as its connection to fascist
aesthetics and cultural politics. The fetishism for spectacle, worship of
power, grandiose fantasies, preoccupation with form and youthful vitality
dominance and submission in social relations are all essential characteristics shared by bodybuilding and fascism (as well as narcissism) (Klein, A.,
1993:254).
Selon Klein A. (1993), l’esthétique nazie serait très proche du modèle de masculinité actuellement prisé et surtout du modèle véhiculé par les sportifs. Les promoteurs du nazisme misaient beaucoup sur le sport comme structure d’enrôlement et d’endoctrinement de la jeunesse (Klein, A., 1993; Milza, 1985), ce que font encore les forces armées étasuniennes (Monath, 2002, Mitchell, 2002).
Everything about the SS bespoke virility, from their black, tailored uniforms to the hard sheen of their boots [...] Politics became « sexy » in the
Third Reich. Their numbers were selected from among mesomorphs; whereas Hitler’s [...] took on any muscular types that fit this heroic mold of
men. Here is where muscular virility and cruel hardness joined to form a
political fashion. The look and feel of hardness in the body, in the uniform, in the mind of the SS trooper is echoed in the bodybuilder (Klein, A.,
1993: 255).
5 Il s’agit bien de virilité et non pas seulement de masculinité. En effet, les répondants rencontrés par
Klein voient dans l’idéal de masculinité construite par le corps une association intrinsèque de tous les
éléments de la masculinité, y compris la capacité de reproduction, d’érection etc.
6 Les culturistes rencontrés par Klein, A. (1993) sont à l’affût de toutes les découvertes scientifiques et
médicales qui pourraient leur permettre de développer leurs muscles encore et encore. Le savoir des
laboratoires serait vénéré comme une vérité divine.
51
L’esthétique du fascisme, tant dans le physique que dans le mentalisme, se retrouve dans les
livres pour enfants de l’époque du fascisme allemand. Nous la voyons encore aujourd’hui
dans les bandes dessinées illustrant des héros occidentaux, pour ne pas dire étasuniens. Les
idéaltypes que sont le Captain America, Spiderman, Hulk, Superman, Batman et Robin7 ou
G.I. Joe se réunissent autour d’un modèle que Klein, A., (1993) a nommé la comic-book masculinity, inspirée directement des valeurs fascistes illustrées par Riefenstahl (1938). Cette
esthétique masculine à tendance fasciste se révèle particulièrement quand le corps se dévoile. L’esthétique ne se révèle-t-elle pas dans sa totalité par la nudité une fois que le vêtement
ne peut plus rien cacher ou arranger ? C’est dans le vestiaire que le sportif se met à nu face
à lui-même, mais surtout face aux autres. Une fois mis à nu, le corps se soumettrait, à la
véritable épreuve du respect des normes de l’esthétique masculine.
Les valeurs de force, discipline, dureté envers le corps, effort constant, soumission à
l’autorité, volonté de réussir et privation, sont aussi celles des militaires (Klein, A. 1993;
Mosse, 1997; Reich, 1970). Les organisations sociales de répression (telles que celle de la
police ou des forces militaires) sont majoritairement constituées d’hommes et d’hommes jeunes souvent encore à la recherche de conformité à des modèles idéaux. Il existerait des liens
certains entre les valeurs militaires et la masculinité et le recours à la violence. C’est du
moins ce que pensent plusieurs auteurs qui se sont penchés sur le sujet selon Connell
(2003), soit Barrett (1996), Morgan (1994), Seifert (1993). En effet, selon Connell (2003)
The former studies show an organizational effort to produce and make hegemonic a narrowly defined masculinity that will make its bearers efficient
in producing the organization’s effects of violence. As Barrette in particular demonstrates, the requirements may be different in different branches
of the armed forces. (Connell, 2003, 260)
Reich (1970), bien que sa réflexion portait sur la fonction de l’orgasme, soutenait que la frustration orgastique dans laquelle le soldat est maintenu permettait l’émergence de phénomènes de violence collective, notamment le viol et le bizutage, la surconformité au modèle rigide
de masculinité et une grande obéissance à l’autorité. Tout porte à penser qu’il existerait des
liens entre la capacité de commission d’actes violents, l’organisation militaire et la masculinité hégémonique. Les ressemblances entre le monde sportif et militaire permettent d’imaginer
que l’organisation sportive favoriserait elle aussi l’émergence de ce type de phénomène en
lien avec la masculinité hégémonique. Une recherche plus avant permettrait sans doute
d’explorer davantage cette avenue.
7 L’histoire de Batman et Robin constitue un exemple particulier d’un « vrai » homme qui montre au
« petit » les chemins de la masculinité et de la virilité.
52
5.4.3.1
Les vestiaires sportifs
Mais d’abord, qu’est-ce qu’un vestiaire ? En effet, le vestiaire est souvent négligé dans les
études sur les sports et le genre, pour ne pas dire complètement occulté par la recherche
(Barone, 2001). En tant qu'espace liminaire de transformation, celui-ci serait au centre des
préoccupations des sportifs. Aucun livre ou article de sociologie ou traitant de sport que
nous avons consulté ne donne de définition du mot « vestiaire ». Rares sont les documents
qui présentent ce qui s’y passe ou qui en font l’analyse. Il n'existe pas, à notre connaissance,
de description ethnologique de cet espace. Le Robert (1977) en indique le sens commun.
« C’est un lieu où l’on dépose momentanément ses vêtements d’extérieur dans un endroit
public. C’est un lieu où l’on quitte ses vêtements de ville pour la tenue correspondant à une
activité particulière ». Le Robert ne dit pas que c’est un lieu de division des sexes. Il ne dit
pas tout le sens que donne le milieu sportif au vestiaire. Pour entrer dans le vestiaire des
hommes, il faut être un homme. Cela semble un truisme, pourtant, n’est pas homme qui
veut (Welzer-Lang, 1994); être homosexuel n’est pas, semble-t-il, être un homme, aussi
n’est-il pas surprenant que certains questionnent la présence d’hommes homosexuels dans
les vestiaires.
Il existe le vestiaire d'équipe, celui que le garçon accepte d’emblée parce qu'il est membre
d'un groupe particulier. C'est le cas des membres d'une équipe de hockey ou de football.
Existe aussi le vestiaire sportif de l'école secondaire qui, à la différence du premier, n'est pas
choisi, mais imposé par une structure sociale et un cadre académique. C’est souvent à
l’école secondaire que le garçon entre pour la première fois dans un vestiaire. Quand un
passage social est obligé, il devient souvent, comme le mentionne Lagrange (1995), générateur d'angoisse.
Enfin existent les vestiaires sportifs « génériques » qui sont destinés à un public plus large (et
souvent plus vieux) et moins ciblé comme ceux des universités où les hommes se rendent
pour se changer avant de pratiquer une activité sportive de groupe ou individuelle. Ces vestiaires ne relèvent pas des mêmes problématiques, des mêmes symboliques, et n’ont pas les
mêmes conséquences psychosociales, car leur territoire n'appartient pas à un groupe particulier, comme une équipe de football. N’étant pas imposés, ils ne sont pas investis des mêmes symboliques que les vestiaires scolaires et les risques sociaux y sont réduits. Comme
l’acteur social s’y rend de son propre chef, il peut donc les quitter à sa guise. Le tableau suivant résume les caractéristiques des vestiaires.
53
Tableau 2. Types de vestiaires
Vestiaires
Anxiété
Ostracisme
Homophobie
Sécurité
Imposés
Oui
Oui
Oui *
Non
Choisis
Non
Non
Oui*
Oui
Génériques
Non
Possible
Possible
Souvent
* L’homophobie n’exclut pas l’accomplissement d’actes à caractère sexuel.
Il semble que le vestiaire soit un lieu où se révèle tout entière la fragilité de l’identité masculine. Le vestiaire serait une sorte d’espace liminaire, un lieu de passage dangereux pour les
hommes. N’entrerait pas au vestiaire des hommes qui veut. Pour Goffman (2002), la ségrégation des sexes dans certains lieux particuliers (toilettes, vestiaires) n’est pas la conséquence
d’une différence biologique, mais bien une façon de créer cette différence. Le vestiaire consacrerait la distinction (que l'on croit naturelle) des genres dans les sports. « La ségrégation des
toilettes est présentée comme une conséquence naturelle de la différence entre les classes
sexuelles [genre], alors qu’en fait c’est plutôt un moyen d’honorer, sinon de produire, cette
différence » (Goffman, 2002 : 82). Le vestiaire serait une antichambre de l’activité sportive
elle-même, une entrée dans « La maison des hommes » (Godelier, 1996; Welzer-Lang, 1994).
À la lumière des témoignages des hommes rencontrés entre autres par Chamalidis (2000),
Duret (1999), Pronger (1990) et Saouter (2000), mais aussi par Alan Klein (1993), le vestiaire
constituerait l’antichambre de la première transformation ou, si l’on veut, le lieu de la mutation du garçon en homme, en vrai-homme-qui-s’accomplit-par-le-sport. Certaines femmes
rencontrées par Saouter (2000) témoignent ne pas avoir reconnu leur conjoint la première
fois qu’elles l’ont vu sortir du vestiaire. Elles croyaient qu’elles allaient divorcer tellement
elles ne reconnaissaient pas leur conjoint.
Le vestiaire constitue une sorte de sas où le joueur quitte les oripeaux de
sa vie civile pour endosser les couleurs sacralisées de son club et se transformer en « guerrier ». Cette préparation d’ordre psychologique est d’autant
plus nécessaire que sur le terrain, la partie va être rude (Duret, 1999 :
139).
Il faut noter le mot « guerrier » que Duret (1999) n’utilise pas par hasard, mais bien parce
qu’il se fait l’écho d’un concept, ou même d’un fantasme, souvent utilisé allégoriquement par
les sportifs eux-mêmes, et rapporté par d’autres auteurs tels que Messner (1992), Pociello
(1988), Robidoux (2001) et Saouter (2000). Ces propos font écho aux analyses d’Elias et
Dunning (1994) qui, rappelons-le, situent le sport actuel comme une activité de remplace-
54
ment des guerres anciennes, une façon pacifique qu’ont trouvée les nations pour régler leurs
conflits.
Le vestiaire de l’équipe serait le lieu du premier pas vers l’accomplissement de la masculinité
par le sport, en particulier chez les membres d’équipes qui pratiquent des sports agonistes
collectifs tels que le football, le rugby ou le hockey (Barone, 2001; Bouton, 2002; Curry,
2002; Dellinger et Williams, 2002; Kane et Dicsh, 1993; Raphaël, 1988). En revêtant le costume officiel de l’équipe, le joueur ferait sa première transformation. Il deviendrait semblable
à tous les autres joueurs de l’équipe.
Dans un centre sportif universitaire, nous avons entendu un membre du personnel dire à
des usagers que « les gais feraient mieux d’aller dans leur centre sportif et de laisser celui-ci
pour le monde ! » Bien qu’anecdotiques, les propos de l’acteur social relevés ici permettent de
penser que ce point de vue existe dans la société, et qu’il est suffisamment crédible et répandu pour être exprimé ouvertement sans crainte de réactions réprobatrices. En effet, aucune
des personnes présentes n'a réagi négativement à ces propos. Au contraire, l'approbation
semblait générale. Un commentaire de même nature à propos des personnes d’origines ethniques différentes ne pourrait sans doute pas être exprimé sans provoquer l’indignation et la
réprobation (Léger Marketing, 2001a et b). De quoi, plus précisément, parlait cette personne ? Du gymnase, du centre sportif en général ou plus précisément du vestiaire ? C’est souvent l’usage du vestiaire par des hommes homosexuels qui est au cœur de la controverse.
Les hommes rencontrés par Saouter (2000) et plusieurs répondants de l’étude de Lajeunesse
(2001) ont révélé que la présence d’hommes homosexuels, ou soupçonnés l’être, dans les
vestiaires dérange, pour ne pas dire agresse les hommes hétérosexuels (Bruce, 2002, Curry,
2002)
N’entrent dans le vestiaire de l’équipe que les initiés, les joueurs et les entraîneurs, ces
« grands prêtres » qui président à la transformation du garçon en homme. Les seuls étrangers qu’on y tolère sont les journalistes sportifs, à condition qu’ils soient de sexe masculin
(Kane et Disch, 1993).
L’exclusion des hommes homosexuels commencerait très tôt au secondaire. Pour bien des
jeunes hommes identifiés à tort ou à raison comme gais (les fifs de service selon Lajeunesse,
2001), le vestiaire sportif serait un cauchemar; de nombreux cas d'abus ont été rapportés
par ceux qui ont été obligés de fréquenter un vestiaire (Jennings, 1998; Kane, 1993 et 2002;
Lajeunesse, 2001; Pronger, 1990), mais aussi par ceux qui ne l’ont pas été (Robinson, 1998).
Le vestiaire serait souvent le lieu où les garçons non conformes seraient ostracisés, violentés
55
et agressés. Les autres, ceux que tous croient hétérosexuels, vivraient dans la peur d’être
associés à l’homosexualité et de subir le même sort que ces derniers. Le vestiaire, lieu de
révélation de l’intimité, serait aussi le lieu de l’éveil des premiers désirs secrets, des premières comparaisons. Le désir avoué est sans nul doute la chose qui fait le plus peur, car il
amène une forme de compromission. Il faut donc cacher ou détruire ce désir en rejetant ceux
qui en sont symboliquement les porteurs. Le reste de l’équation fonctionnerait conformément
au processus de stigmatisation décrit par Goffman (1975). Certains joueurs rencontrés par
Saouter (2000) et Curry (2002) témoignent que la présence d’un gai dans leur équipe, et nécessairement dans leur vestiaire, leur donnerait l’impression de la présence d’une femme
parmi eux. La comparaison faite par ces nombreux sportifs est révélatrice de la symbolique
donnée à l’homosexualité. Bien des hommes y voient une erreur de sexe et associent
l’homosexualité à la féminisation de l’homme (Welzer-Lang, 1994, 2002). Pour eux, un homme se doit d’être hétérosexuel. Nelson (1997) abonde dans le même sens. Le passage aux
vestiaires serait une leçon de domination et de contrôle et de normalisation par la violence;
parce que les hommes sont nus dans le vestiaire et que cela pourrait créer des ambiguïtés,
ils doivent prouver hors de tout doute leur hétérosexualité. L’expression de l’homophobie est
souvent marquée par la violence envers ceux que l’on croit homosexuels. On peut donc penser que la domination (« ingrédient » de la masculinité hégémonique) s’exprime par la violence et renforce le sentiment de conformité au modèle traditionnel de masculinité. Saouter
(2000) rapporte que plus il y avait d’ambiguïté quant à l’orientation sexuelle, plus
l’homophobie et le machisme augmentaient parmi les joueurs de rugby. Les joueurs, dans
ces circonstances, n’hésiteraient pas à parler des femmes comme d’images strictement pornographiques en se vantant de leurs performances sexuelles et en se définissant comme des
prédateurs sexuels. Nelson précise…
Proving heterosexuality through sexual dominance talk is still not enough.
Since bisexuality exists, the man in the locker room must also deny his
attraction for men. To this end he mocks gay men […] In this way, male
athletes enjoy men's naked company without losing their heterosexual
dominance (Nelson, 1997: 243).
Or, les variations de l’orientation sexuelle amèneraient du « bruit » dans la normalisation des
valeurs de la masculinité hégémonique. Une fois dévoilée l’homosexualité d’un joueur, la
normalisation des membres ne serait plus possible, et ceux-ci ne seraient plus interchangeables. En effet, même s’il existe des vedettes et des positions de jeu fixes, les membres
d’une équipe sont habituellement permutables. Prenons pour exemple les équipes de football
américain universitaires qui disposent souvent de plus de 70 joueurs alors que seulement 42
ont le droit d'être prêts et habillés pour un match selon les règlements des ligues de football
56
universitaire. Cela prouve que plusieurs joueurs sont permutables en vertu des règles et des
conditions de jeu tel que la qualité du jeu de certains joueurs ou encore les blessures sportives de ceux-ci. Le port du maillot et des couleurs de l’équipe serait un signe de l’uniformité
souhaitée (Saouter, 2000). Pas un homme hétérosexuel ne voudrait être interchangeable
avec un homme homosexuel dans une équipe sportive (ou ailleurs).
5.4.4
Les rituels et le sport
Selon les auteurs et leurs tendances idéologiques, on peut distinguer plusieurs types de rituels ou de rites, dont les rituels religieux, tribaux, solennels, domestiques, magiques, apotropaïques, piaculaires, manuels, d'appartenance au genre... Les auteurs ayant analysé les
rituels chez les sportifs se sont beaucoup intéressés aux rituels initiatiques, mais bien peu à
deux autres types de rituels présents chez les sportifs, soient les rituels tribaux et apotropaïques. Voyons d’abord de façon plus générale une définition du rituel.
[Le rituel se] défini comme un ensemble de conduites, d’actes répétitifs et
codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte
charge symbolique, fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres et
de puissances sacrées, avec laquelle l’homme tente de communiquer en
vue d’obtenir un effet espéré (Akoun et Ansart, 1999 : 460).
Les rituels sont, comme l’a montré Goffman (1973 et1973a), multiples, grands ou petits,
quotidiens et fréquents ou uniques et plus solennels. Ils serviraient entre autres à communiquer, mais aussi à maintenir le lien social. Le rituel serait révélateur des valeurs profondes
d’un groupe social. C'est ainsi que les rituels contribueraient au fondement du lien social. Ils
réactualiseraient la force du lien social par l’utilisation et la communion des consciences
autour de symboles investis du sentiment du lien. « Les rites sont avant tout les moyens par
lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement » (Durkheim, 1998 :553). Cette citation
de Durkheim abonderait dans le sens de Goffman (1974). Un rituel tribal serait « une façon
de faire » propre à un groupe spécifique nommément la tribu. Nous utilisons ici une définition de la tribu proche de l’ethnologie et de l’anthropologie pour parler de communauté sportive telle que l’équipe à laquelle appartient un sportif. Elle a été élaborée en se basant sur les
écrits de Cuche (1996), de Durkheim (1998), de Goffman (1974), de Becker (1985), de Turner
(1990) et de Van Gennep (1969), qui proposent que la tribu soit définie au sens large comme
un groupe social ou une communauté fondé sur une parenté ethnique réelle ou supposée,
ayant en commun un certain nombre de valeurs, de normes et de pratiques.
Les rituels, en particulier ceux exprimés quotidiennement par la tribu (comme celle formée
d’une équipe sportive particulière), dicteraient les façons de faire au sein de celle-ci et marqueraient en même temps pour ses membres la preuve de l’appartenance à cette même tri-
57
bu. Ce qui permettrait de dire ce qui suit
Les rituels révèlent les valeurs à leur niveau le plus profond… Les hommes expriment dans le rituel ce qui les touche le plus et puisque la forme
de l'expression est conventionnelle et obligatoire, ce sont les valeurs du
groupe qui y sont révélées. Je vois dans l’étude du rituel la clé pour comprendre l’essence de la constitution des sociétés humaines (Wilson, 1954,
cité par Turner 1990 :15).
Quant aux rituels apotropaïques, ils se disent, selon le Grand dictionnaire terminologique de
l’Office de la langue française, d'une formule, servant à détourner vers quelqu'un d'autre que
soi les influences maléfiques. Selon Akoun et Ansart (1999), les rites apotropaïques seraient
des pratiques de protection contre les mauvais esprits. Ils seraient courants chez les sportifs
afin de les aider dans leurs épreuves sportives, de les protéger des blessures et de favoriser
leurs performances.
Le sujet des rites, particulièrement ceux de l’initiation, a été abordé entre autres par Bettelheim (1971), Durkheim (1998), Goffman (1975, 1974), Herdt (1982, 1984, 1994), Le Breton
(1995), Raphael (1988), Sabo et Panepinto (1990), Sergent (1986), Turner (1990) et Van Gennep (1969). Selon Van Gennep (1969), le rite initiatique se divise en trois moments. Nous
présentons une équation schématisant la théorie de Van Gennep et Turner : la séparation et
la rupture « / » d’avec le monde profane « C »; le passage « → » vers la marginalisation dans
un lieu sacré « s » et la formation à un nouveau mode d’être; la résurrection symbolique et
l’agrégation «
➾ » dans la nouvelle communauté (nommée cummunitas par Turner) « c » avec
un statut supérieur. La marginalisation pour Turner (1990) est la liminarité « L »; ce temps et
cet espace de flottement où l'individu humilié « h » et mis à l’épreuve « e » n'est plus l'ancienne personne que l'on connaissait, mais n'est pas encore la nouvelle avec son nouveau statut,
ses droits et ses devoirs. La réintégration, dans la nouvelle communauté, pour Turner (1990)
est l'état de communitas «c».
Équation de l’initiation
Le rite initiatique dans sa dimension réelle ou symbolique aurait un rôle, une fonction
d’intégration de l’individu dans la société, la communauté, le groupe, le clan (Maisonneuve,
1988). Bien que parfois générateur d’angoisse quand on ne peut s’y conformer (ou que l’on
croit ne pas pouvoir s’y conformer), le rite serait rassurant. Comme le dit Lagrange (1995), le
58
rite a une fonction de consolidation de l’identité quand il est désiré, et une fonction anxiogène de déstabilisation identitaire quand il est imposé. Le rite va, ou marquer l’entrée de
l’individu dans le groupe social, ou en déterminer l’exclusion. L'étude de Hudon (2004) montre que l'exclusion ou l'appartenance à un groupe est liée à la réussite de rites d’initiation
chez les militaires. Hudon montre que l’appartenance, mais également le sentiment
d’appartenance au groupe, peut jouer un rôle important dans le phénomène de stress posttraumatique et serait un élément important de la résilience d’un militaire à des situations de
stress.
Les rites initiatiques seraient souvent importants pour les garçons. Le sport serait lui-même
un rite d’accession à la masculinité dans la société en général, mais il contiendrait aussi ses
propres rites. De nombreux auteurs ont fait des liens entre les rites primitifs (associés souvent aux rites tribaux) d’accession à la masculinité et les rites sportifs. C’est le cas notamment de Gagnon (1995) et de Sabo et Panepinto (1990). Pour ces derniers, l’entraîneur devient, comme pour les rites primitifs, un officiant de première importance.
[it exists] many similarities between the coach-player relationship and the
officiant-initiate relationship within primitive masculinity rites. […] Officiants of primitive masculinity rites are, in part, the social-psychological
managers of boys’ gender identity development. […] Many of the meanings
that coaches reportedly attached to football revolved around hegemonically masculine themes: distinctions between boys and men, physical size
and strength, avoidance of feminine activities and values, toughness, aggressiveness, violence, and emotional self-control (Sabo, Panepinto, 1990:
118-124).
Gagnon (1995) reprend le tableau de Sabo et Panepinto (1990) et elle compare les rituels
primitifs de la masculinité et ceux du football. Nous y retrouvons, comme chez Sabo, les
thèmes tant primitifs que sportifs de relation homme/garçon, contrôle et conformité, marginalisation, subordination à l’autorité masculine, douleur, etc. Comme chez les Sambyas, les
hommes occidentaux passeraient à travers quelques chambres (Welzer-Lang, 1994) — Duret
(1999) utilise le mot sas — avant d’avoir une place dans « La maison des hommes » (Godelier, 1996; Herdt, 1982, 1984, 1994; Welzer-Lang 1994). Examinons le concept de la maison
des hommes. Cette place dans « La maison des hommes » évoqués par Welzer-Lang, les
hommes devront la gagner par le marquage et la transformation de leur corps et de leur esprit.
Dans ce système de codes masculins, facilement repérables dans les proverbes, les incitations, les récits, les légendes, les mythes, etc., la construction du masculin, l’éducation des hommes, semblent s’accomplir dans
59
une maison-des-hommes imaginaire. [...] lors de la séparation d’avec le
monde des femmes, au cours des premières expériences dans lesquelles
les hommes se confrontent à la structuration de leur virilité, tout semble
se passer comme dans un monde unisexué. [...] quand les enfants mâles
quittent le monde des femmes, qu’ils commencent à se regrouper avec
d’autres garçons de leur âge, on voit apparaître une phase d’homosocialité
au cours de laquelle émergent de fortes tendances ou de grandes pressions pour y vivre des moments d’homosensualité. Compétitions de zizis,
marathons de branlettes [...] jouer à qui pisse le plus loin (Welzer-Lang,
1994 : 23-24).
Il y aurait, pour chaque étape de la vie, une maison des hommes correspondante : la chambre, le terrain de jeux, le vestiaire, le stade, l’équipe sportive, la bande de copains, etc. Il
existerait donc des lieux spécifiques où se vivrait la construction du masculin, des lieux dont
sont exclues les femmes. Chaque réussite donnerait aux hommes la possibilité de passer à
l’étape suivante et d’initier ensuite les plus jeunes. Ces étapes seraient souvent marquées de
violence, de beuveries, de viols, d’agressions contre-ceux-qui-ne-sont-pas-comme-il-faudrait,
de réussites et de rejets (Robinson, 1998; Welzer-Lang, 1994, 2002).
Les rites initiatiques d'appartenance au genre et la pratique du sport seraient des composantes importantes de l'accession au statut d'homme (Welzer-Lang, 1994). Tous ces rites, ou
étapes, vers l’accession au statut d’homme ne se feraient, la plupart du temps, qu’entre
hommes. La contradiction qui guette ici est de taille comme l’ont souligné plusieurs auteurs
(Welzer-Lang, 1994 ; Saouter, 2000). Comment, en effet, créer un univers d’où les femmes
sont exclues, en tant que partenaires égales, et en même temps ne pas être homosexuel ou
sembler l’être aux yeux des autres ? Cependant, il n’est pas tout à fait exact de dire que les
femmes sont totalement exclues des sports typiquement masculins comme le football américain ou le rugby. Elles ne le sont qu’en apparence. Au football américain, la présence des
meneuses de claques montre bien la place qui est réservée aux femmes dans ces disciplines
sportives : un rôle purement décoratif et accessoire soutenant les « mâles » sur le terrain
occupés à combattre, faisant la vraie partie. Les contrastes sont souvent très marqués dans
ces contextes : plus les rôles masculins sont empreints de traditionalisme, plus ceux des
femmes le seraient aussi.
Saouter (2000) et Thompson (1999) montrent que les femmes ont non seulement un rôle de
soutien moral, mais aussi un rôle de soutien technique important dans les activités sportives
des hommes. En effet, elles sont là en tant que mères, petites amies et épouses pour encourager « leurs hommes » lors des matchs et, le cas échéant, pour panser leurs blessures et
laver leurs vêtements une fois le combat terminé. Elles effectueraient aussi le transport des
troupes en passant un temps remarquable en tant que chauffeur, et ce, en particulier dans
60
le cas des mères (Thompson, 1999). Elles seraient également là en tant que groupies et femmes faciles après les matchs, où, en troisième mi-temps, la récompense du guerrier peut être
d’ordre sexuel. Elles seraient donc là aussi pour garantir, en apparence du moins, le statut
hétérosexuel des joueurs. Il faut, en effet, dissoudre les ambiguïtés possibles quant à une
homosexualité potentielle des « guerriers » qui ne se retrouvent qu’entre hommes durant de
longues périodes et souvent dans une grande intimité tant physique que sociale (Saouter,
2000 ; Welzar-Lang, 1994).
Comment alors résoudre une contradiction possiblement majeure entre une intimité aussi
grande pouvant sous-entendre une homosexualité cachée et une hétérosexualité parfaite ?
Cette contraction se résoudrait en séparant les hommes en deux clans. Il y aurait, selon différents auteurs, deux groupes d’hommes distincts : les vrais hommes et les faux hommes
(Falconnet et Lefaucheur, 1975; Welzer-Lang, 1994). C’est-à-dire ceux que l’on croit capables
de se conformer aux rites sportifs et ceux que l’on ne croit pas capables de le faire. Selon
cette division sociale des genres, qu’on tente souvent de faire passer pour naturelle, les gais
ne seraient pas des hommes8. Les hommes gais sont ceux que l’on croit incapables de passer
à travers les rites de la masculinité. Le service militaire, comme lieu de passage de la masculinité, exclut ceux que l’on croit homosexuels. Dans les Forces armées canadiennes,
l’exclusion ouverte des hommes homosexuels a été révoquée en 19939, ce qui ne veut pas
dire que sur le terrain tout soit « rose » pour autant (Hudon, 2004). Aux États-Unis, la politique de tolérance (don’t ask, don’t tell, don’t pursue)10 du président Clinton n’a jamais passé la
rampe de l’État major (Bull, 2001) puisque plus de 25 000 soldats ont été expulsés des forces armées depuis 1993 en raison de leur orientation sexuelle (Burelli et Dale, 2005).
Certains groupes d’hommes iraient même jusqu’à tenter de faire obstacle systématiquement
aux candidats identifiés comme homosexuels afin de les empêcher de réussir le passage des
divers rites, entre autres dans l’activité sportive, afin de pouvoir s’assurer qu’il n’y ait pas
d’hommes homosexuels dans le groupe (Bean, 2004; Louganis, 1996; Pronger, 1990; Young
et Duberman, 1994). Pour les sportifs, il serait insupportable qu’un homme homosexuel pût
être l’égal d’un homme hétérosexuel. Greg Louganis (1996), médaillé d’or américain en plongeon, et Mark Tewksbury (2006), médaillé d’or canadien en natation, ont raconté dans leurs
biographies et leurs témoignages qu’il leur avait été impossible de révéler leur orientation
sexuelle avant d’être médaillés olympiques. S’ils l’avaient fait, disent-ils, cela aurait tout
Nous paraphrasons Wittig (2000), à ce propos, qui affirme que les lesbiennes ne sont pas des femmes.
Selon un document des Forces armées canadiennes, disponible sur leur site Web.
10 «Don't ask, don't tell don't pursue» (Ne demandez rien, ne dites rien). C'est la définition de l'attitude
officielle des armées américaines à l'égard des homosexuels, tolérés à condition qu'ils ne fassent pas
état de leur orientation sexuelle (Leymarie, 2007).
8
9
61
simplement mis fin à leur carrière; ils auraient été exclus de la compétition. Billy Bean,
joueur de baseball canadien (Bean, 2004; Gross, 2003), Gleen Burke joueur de baseball
américain, David Kopay et Jerry Smith, joueurs professionnels de football aux États-Unis,
ont vu leur carrière prendre fin abruptement quand leur homosexualité a été révélée (Hogan
et Hudson, 1999). Pronger (1990), de même que Young et Duberman (1994), ont rapporté de
nombreux cas d’exclusion de personnes homosexuelles parmi des équipes sportives amatrices, professionnelles, universitaires ou olympiques. D’autres chercheurs, par exemple Jennings (1998) ou Sloan et Gustavsson (1998), ont aussi traité de ce sujet. Il semblerait que
champions sportifs et homosexualité ne puissent cohabiter dans le même espace. Une fois
l’homosexualité révélée, il s’opèrerait une révision à la baisse de la reconnaissance et du mérite. Notons comme autre exemple que l’armée américaine a fait de même en retirant leurs
médailles de bravoure à ses héros de la guerre du Vietnam une fois leur homosexualité
connue (Shilts, 1994). Encore une fois, sport et armée ont des règles en commun. Tout cela
suggère, comme l’avait précisé Goffman (2002), que les traitements différents (par exemple
l’existence de vestiaires pour hommes et pour femmes distincts) entre des catégories
d’individus comme les hommes et les femmes ne sont pas mis en place après constatation de
différence, mais bien pour fabriquer pareille différence de telle sorte que celle-ci soit comprise a posteriori comme une résultante de cette différence.
5.4.4.1
Les jeux de vestiaire
Lors d’initiations ou de rites de vestiaires, les jeunes joueurs s’adonneraient à de nombreux
gestes à caractère sexuel (Robidoux, 2001; Robinson, 1998; Saouter 2000; Welzer-Lang,
1994). Dans ces pratiques, les jeunes joueurs ne se contenteraient pas de comparer leurs
attributs génitaux, mais ils iraient beaucoup plus loin. En effet, il arriverait que ces sportifs
urinent les uns sur les autres ou encore mesurent la puissance de leur jet d’urine ou de
sperme, ou la quantité qu’il leur ait possible d’émettre. Ces amusements, qui passent pour
des blagues ou du simple « déconnage entre copains », s’apparenteraient en fait à une sorte
de jeux « érotiques » voilés et surtout de jeux de domination; la révélation de l’homosexualité
d’un des joueurs ferait cependant apparaître au grand jour ce que les joueurs préfèrent passer sous silence et garder dans l’ombre, abolissant du même coup toute l’innocence que les
joueurs attribuent à ces pratiques.
[Certains joueurs se confient :] « C’est vrai qu’on fait des choses en troisième mi-temps… qu’on préfère oublier le lendemain. » S’ensuivaient alors
quelques confidences […] de leurs troisièmes mi-temps à Paris et des boîtes de nuit où ils prennent du bon temps avec des « Brésiliennes » qui sont
en fait des « Brésiliens » (Saouter, 2000 : 119-120).
62
Parmi ces jeux, un rite tribal serait particulier. Il s’agit de celui de la toast11. Dans ce rituel,
les membres de l’équipe se placent en rond et se masturbent au-dessus d’une tranche de
pain grillé; celui qui éjacule en dernier a l’obligation de la manger (Bouton, 2002; Kane et
Disch, 2002). Sociologiquement, ce rite est proche de celui que pratiquent les Sambias ou les
Barouyas. En effet, chez ces peuples de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les jeunes hommes acquerraient une partie de la virilité des plus vieux en avalant leur sperme lors de fellations
rituelles (Godelier, 1996; Herdt, 1982, 1984, 1994). Il est possible de penser que dans la
symbolique de ce jeu, le joueur de l’équipe qui éjacule le moins vite serait réputé moins viril
que les autres et ait besoin de s'approprier une partie de la virilité des hommes qui ont éjaculé avant lui. Dans cette logique, éjaculer rapidement est un signe de virilité, de domination
et de puissance selon les règles de la masculinité hégémonique. Absorber le sperme des autres serait aussi une forme de punition pour avoir été plus faible que les autres.
À la lumière de l’étude de Saouter (2000), nous pourrions suggérer le questionnement suivant. La présence simultanée d’activités homosexuelles et l’homophobie manifeste des
joueurs semblerait paradoxale. En effet, chaque participant d’une équipe se devrait d’être
hétérosexuel. Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à l’orientation sexuelle des joueurs,
il faudrait exclure à tout prix les garçons homosexuels, ou en non-conformité de genre, des
vestiaires et donc de l’équipe. L’homophobie manifeste permettrait aux joueurs d’affirmer
leur statut de vrai homme hétérosexuel et d’annuler la dimension homosexuelle de leurs
actes. Il s’opèrerait donc une dissociation entre la symbolique de leurs actes réels et le sens
que les joueurs lui donneraient. En fait, on pourrait suggérer que la clé aplanissant la
contradiction reposerait sur les concepts de masculinité hégémonique. Les rituels impliquant
la génitalité ne serait non pas homosexuels, mais plutôt des rituels de domination absolue
des hommes les plus conformes envers ceux qui le sont moins. Le fait que ce type de tradition d’absorption du sperme existe dans des sociétés si éloignées géographiquement et (en
apparence) culturellement en révélerait plus sur la domination d’un genre (masculin) sur un
autre que sur une éventuelle homosexualité universelle, bien que celle-ci ne soit pas à nier
non plus. Ces manifestations de genre seraient une expression ritualisée de la masculinité
hégémonique et d’une homosexualité potentielle (ou partielle) des participants.
Ce dernier cas [une histoire au parfum de scandale entre des rugbymen et
des visites dans le bois de Boulogne ou des boîtes pour homosexuels] est
du reste ambigu. Le discours dominant des rugbymen condamne en effet
l’homosexualité avec véhémence. La sentence est parfois exécutée, et il arrive que s’improvisent des « chasses aux pédés ». En fait, tout se passe
comme si le sentiment plus ou moins conscient de la confusion possible
11
Tranche de pain grillé.
63
que leurs relations peuvent faire naître chez l’observateur engageait les
rugbymen dans une logique préventive : donner par leur violence exercée
à l’égard des homosexuels les gages d’une sexualité « normale » (Saouter,
2000 : 120).
Pourtant, dans les faits, on retrouve des joueurs homosexuels parmi les répondants rencontrés par Pronger (1990) et Saouter (2000). L’analyse que fait Saouter (2000) de la situation mérite que l’on s’y attarde, étant donné la clarté de son explication. Il y aurait une dissociation symbolique entre les actes et l’identité.
La forte résistance du groupe à parler des joueurs homosexuels […] me
paraît être une protection d’ordre symbolique. Elle évite ce qui pourrait favoriser une dissonance dans le processus de gestion de l’homosexualité :
comment jouer à faire semblant avec quelqu’un qui ne ferait pas semblant ?
Le tabou de l’homosexualité dans le rugby ne résulte donc pas d’un jugement moral sur une éventuelle déviance (puisque les joueurs homosexuels
sont normalement intégrés), mais de la peur de ne pouvoir vivre une relation homosexuée sans que celle-ci devienne, ou soit jugée, homosexuelle.
Ce tabou est si fortement ancré dans les esprits et, indissociablement,
l’image de la virilité tellement affirmée, que les individus se conforment,
dans le paraître et dans les discours, aux stéréotypes de cette virilité
(Saouter, 2000 : 126).
Saouter pose une question des plus intéressante : comment faire semblant avec quelqu’un
qui ne fait pas semblant ? C’est pourquoi tout le monde fait semblant, sans quoi le jeu ne
tiendrait plus et s’arrêterait. Nous pensons que ces manifestations d’homophobie et de « faire
semblant » constituent un évitement social de l’homosexualité. Elles seraient mises en place
pour rendre acceptable, pour le groupe, ce qui ne le serait pas autrement. L’identité hétérosexuelle autodéclarée des joueurs serait une « stratégie des acteurs sociaux » (Bourdieu,
1994; Crozier et Friedberg, 1977) ou une parade (Goffman, 1988, 2002) pour maintenir une
forme de statut et de capital social.
Pour le garçon arrivé à l’âge adulte, le vestiaire revêt une symbolique différente. Les réactions
homophobes s’atténueraient souvent une fois passée la crise identitaire de l’adolescence. La
présence possible de gais ne génèrerait plus autant d'angoisse ou d’homophobie. C’est parmi
les hommes de plus de 25 ans, ou parmi ceux qui ont commencé à pratiquer un sport
d’équipe une fois à l’âge adulte, qu’il serait possible de rencontrer les points de vue les plus
modérés au sujet de la présence d’hommes homosexuels dans le vestiaire. C’est aussi après
25 ans que les jeux à caractère sexuel y seraient moins présents (Hite, 1983). Voyons maintenant en résumé ce que nous venons de voir.
64
6
LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
La recherche sur le genre masculin est assez récente en comparaison à la recherche féministe. Les recherches actuelles tendent à montrer que le genre est un facteur important dont il
faut tenir compte en intervention. En effet, les services offerts actuellement seraient peu
adaptés à la « clientèle » masculine et à ses besoins. Les hommes eux-mêmes vivraient des
problématiques inhérentes à leur apprentissage social de leur rôle de genre, problématiques
qui interfèreraient avec leur demande d’aide quand encore ils en font une. C’est ainsi que
l’on peut déterminer deux avenues dans l’analyse des problématiques des hommes et des
services sociaux. D’une part, les services sociaux ne seraient pas bien adaptés pour recevoir
les demandes d’aide provenant des hommes plus traditionnels, étant donné qu’ils semblent
avoir des difficultés à reconnaître leurs besoins et à les exprimer adéquatement. De plus, ces
hommes ne comprendraient pas comment s’adresser aux services et tarderaient trop souvent
à le faire.
Il est donc important de mieux comprendre la construction du genre masculin si l’on souhaite développer une intervention qui permette à la fois de modifier les services offerts et de
mieux comprendre les hommes eux-mêmes dans leur diversité. Connell (2003) précise qu’il
est important de tenir compte des facteurs de diversité, car une intervention mal arrimée
pourrait être inefficace voire provoquer des effets iatrogènes. Diversité, car la recherche montre que malgré un modèle hégémonique reposant sur la subordination ou sur la marginalisation (de tous ceux qui ne cadrent pas avec le modèle attendu de masculinité) et la complicité (entre les hommes, afin de maintenir l’hégémonie du modèle traditionnel), les hommes peuvent tout de même vivre une forme de variabilité dans l’expression de leur masculinité, dans la mesure cependant où cette variabilité reste à l’intérieur des limites de ce modèle hégémonique. Ce modèle hégémonique a des conséquences non seulement sur l’ensemble
des acteurs sociaux, mais surtout sur les hommes eux-mêmes. Les hommes plus traditionnels se retrouveraient coincés dans une tension de rôle de genre qui leur ferait vivre une
restriction des émotions et de leur sexualité, une socialisation par le contrôle, le pouvoir et la
compétition, une négligence de leur santé ainsi qu’une peur du féminin qui engendreraient
de nombreuses manifestations d’homophobie notamment.
Une question importante demeure. Sur quel plan intervenir et auprès de quels hommes ? Le
sport semble un terrain privilégié parce que c’est là que l’on retrouve beaucoup d’hommes
durant les années les plus importantes de la construction de leur genre. En effet, presque les
trois quarts (71,5 %) des hommes de 15 à 24 ans au Québec pratiquent un sport plus de
65
trois fois par semaine (Pleau, 2000). La recherche sur le sport montre qu’il s’agit d’un monde
empreint de rituels et de lieux où le genre s’exprime et se construit de manière uniforme. De
plus, c’est dans les groupes sportifs que l’on retrouve le plus d’expressions d’homophobie et,
paradoxalement, le plus de rituels homosexués. Cette contradiction à elle seule mérite une
recherche approfondie. Soulignons également que le sport a été ciblé par plusieurs (Rondeau
et al, 2004; Tremblay et al, 2005) comme terrain privilégié pour développer des programmes
de prévention. Tout porte à croire qu’il serait possible de mieux comprendre le genre masculin en tenant compte des facteurs diachroniques de sa construction à travers l’activité sportive. C’est à la lumière de tous ces faits que nous avons réalisé une recherche de terrain qui
a pour objectif d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels dans
la construction du genre masculin chez des jeunes hommes pratiquant un sport individuel
ou collectif. Les sous-objectifs suivants seront particulièrement abordés :
1— Mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de
la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes.
2— Mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon)
ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé.
3— Explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes
hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive.
4— Explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants.
66
7
7.1
CADRE THÉORIQUE
Les théories de référence
Cette partie présente le cadre théorique de référence utilisé dans l’analye de la problématique
de la construction du genre masculin et dans l’analyse des données de la recherche ellemême et ce qui sous-tend la méthodologie (expliquée dans la section suivante). Il sera vu les
notions de constructivisme, d’interactionnisme, de représentation sociale.
7.1.1
Le constructivisme
Constructiviste, notre cadre théorique est dérivé à la fois de l’interactionnisme symbolique et
de l’ethnométhodologie tout en étant influencé par les approches de Connell (2005), Pleck
(1982, 1995) et O’Neil, Good et Holmes (1995). L’apport central de ces approches met
l’accent sur la construction sociale des normes et de leurs déviances, ainsi que sur les réactions qu’elles suscitent sur les plans personnel et collectif. Cette perspective présente
l’originalité de s’intéresser non pas uniquement à la fabrication ou à l’imposition des normes,
mais aux conditions et aux mécanismes qui font en sorte que certains comportements ou
certains individus sont étiquetés comme « normaux » et d’autres comme « déviants » et, de ce
fait, les premiers deviennent modèles dictant la norme et les seconds, constituant un antimodèle, deviennent victimes d’intolérance, cela particulièrement en matière de genre.
Nous partons du postulat constructiviste selon lequel l'identité en général, et l’identité de
genre en particulier, ne relèvent pas de l'essence de l'être, mais d'un bricolage quotidien produit par l’entremise de rapports sociaux comme l'ont montré Becker (1985), Belotti (1974),
Burke (1997), Dorais (1991a, 1999) Fausto-Sterling (2000), Goffman (1974, 1975, 2002), et
aussi Lamoureux (1998) et Wittig (2001) dans leurs travaux qui traitent plus spécifiquement
de la construction du genre.
7.1.2
L’interactionnisme et l’ethnométhodologie
Comme l’écrit Poupart :
Les interactionnistes s’interrogent sur le sens que les acteurs donnent à leur
situation et à leurs actions, sens jugé essentiel pour comprendre leurs
conduites sociales. Pour les interactionnistes également, les identités sociales
et les statuts sociaux sont socialement transmis et socialement transigés à
travers les interactions sociales. Pour les interactionnistes en effet, la conception que l’on a de soi (notre identité) et la conception que l’on a des autres (la
manière dont nous les percevons et le sens que nous attribuons à leurs ac-
67
tions) se négocient en cours d’interactions et en fonction des contingences et
des contraintes des situations (Poupart, 2001: 82).
Il existe entre les acteurs sociaux un espace de rencontre — la société — qui permet
l’élaboration d’un sens à leurs actions. Ces actions se déroulent dans des lieux avec des acteurs sociaux. Selon cette approche, la société peut être vue comme une pièce de théâtre que
le sociologue analyse. Goffman et Becker12 sont les deux grands tenants de cette approche
sociologique. Ils sont ceux qui nous inspirent et même nous servent de modèle. Dans les
recherches que nous avons effectuées sous la direction de monsieur Michel Dorais, tant
dans Mort ou fif (2001), Travailleurs du sexe (2003) et Les coureurs des villes (2004), Goffman
et Becker n’ont cessé de nous guider dans la façon de travailler et sur la manière de comprendre la réalité des répondants rencontrés.
L’interactionnisme regroupe un ensemble d’approches constituant les interactions entre acteurs comme élément explicatif fondamental des formes et des
structures concrètes des situations et des systèmes. Spécifiquement,
l’interactionnisme symbolique est un courant privilégiant les significations
spontanément élaborées par les acteurs au cours de ces interactions (Akoun
et Ansart, 1999 : 290).
Quant aux ethnométhodologues, ils s’appliquent à étudier les « méthodes », ces dernières
étant comprises comme
Divers procédés par lesquels les membres d’une communauté construisent
leur réalité et la réalité des autres dans le cours de leurs activités quotidiennes. Leur apport va être déterminant, notamment dans l’analyse des processus de catégorisation, c’est-à-dire la manière dont aussi bien les profanes que
les différents groupes d’experts au sein d’organisations s’y prennent pour définir et cataloguer les diverses catégories de déviants (Poupart, 2001 : 83).
Une telle perspective met l'accent notamment sur ceux qui servent de modèles et sur la
stigmatisation de ceux qui dévient des normes ainsi que sur les mécanismes de régulation
qui participent à cette stigmatisation.
7.1.3
La représentation sociale
La notion de représentation sociale est explorée dans le cadre de cette recherche. Nous utilisons cette notion dans l’analyse des propos des répondants et tentons de comprendre comment ils utilisent, dans la réalité, leurs représentations sociales, et comment ces représentations influencent leur construction identitaire. Une représentation sociale est un processus
et non un objet statique. Les acteurs sociaux transforment les objets de leur réalité (person12
Nous faisons référence ici à l’ensemble de leurs œuvres.
68
ne, institution) par des représentations qui changent les interactions qu’ils ont les uns avec
les autres, mais aussi avec les objets. Ce nouveau sens influence les valeurs, les idéologies
ou les croyances sociales.
La représentation sociale est un processus d’élaboration perceptive et mentale
de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) et leur confère un statut cognitif permettant d’intégrer les aspects de la vie ordinaire par
un recadrage de nos propres conduites à l’intérieur des interactions sociales
(Fischer, 1987 : 118).
De Durkheim à Goffman, en passant par Weber, Piaget ou Freud, les représentations sociales ont occupé une place importante dans les sciences humaines et en particulier en sociologie. Les représentations sociales sont des constructions intériorisées d’une interprétation
d’un objet réel ou abstrait, notamment de la masculinité. La représentation sociale régit la
relation de l’individu au monde et à la société. Elle influence l’apprentissage, la construction
des identités personnelles ou collectives, les transformations sociales, les attitudes et les
comportements. Les représentations sociales ont aussi une fonction normative de reproduction des normes et des règles sociales. Elles nous dictent ce à quoi ressemble un homme et
ce à quoi il ne ressemble pas (Jodelet, 1997).
L’image a force dans le social, qu’elle soit réelle ou non. Le terme désigne le
plus souvent une représentation visuelle alors qu’il s’applique aussi aux représentations mentales analogiques ainsi qu’à des représentations concernant
nos autres sens (Mucchielli, 2002 : 209).
Durant les entrevues, des thèmes touchant à la représentation sociale de la masculinité sont
abordés. Il est possible de discuter longuement de notions de masculinité; mais à quoi ressemble un homme en fin de compte ? Comment, concrètement, les images de l’homme, « le
vrai », se sont-elles manifestées chez les répondants ? C'est pourquoi nous avons favorisé
certains thèmes dans la grille d’entrevue. Plus particulièrement, le thème 11 touchant les
idoles sportives13, le thème 12 touchant les héros de bandes dessinées, le thème 31 demandant « qu’est-ce qu’être un homme ? », le thème 33 touchant les caractéristiques physiques,
le thème 39 à propos de l’allure efféminée et la question 47 qui demande aux répondants de
se donner une cote sur une échelle de 1 à 10, 10 représentant le maximum de la masculinité. De plus, à la fin des entrevues, des photos ont été présentées aux répondants afin de
mieux comprendre les représentations sociales de la masculinité en images réelles. De cette
manière, nous tentons de comprendre l’imaginaire des répondants pour savoir à quoi res-
13
Voir la grille d’entrevue à l’annexe 1.
69
semble un homme, dans quelles activités on le retrouve, quels sont les vêtements, ses attitudes, etc. ?
L’imaginaire peut être compris [comme] l’ensemble des images mentales accumulées par l’individu au cours de sa socialisation, mais aussi [comme] le
stock d’images et d’idéations dont se nourrit toute société (Mucchielli,
2002 : 93).
Cette recherche veut comprendre leurs représentations de la masculinité qu’ils valorisent et
tentent d’atteindre. Elle veut aussi toucher les représentations sociales du masculin les plus
répandues dans la société, les valeurs et les images qui ont été véhiculées, valorisées et imposées comme normes aux répondants, et auxquelles ils tentent de correspondre ou de
s’éloigner. Pour cela il faut choisir une méthode qui permette de la faire. Nous avons utilisé
la méthodologie présentée dans le chapitre suivant.
70
8
8.1
MÉTHODOLOGIE
Échantillonnage
Dans le but d’uniformiser l’échantillonnage pour cette étude, les jeunes hommes rencontrés
ont pratiqué au moins une activité sportive de manière assidue durant une période d’au
moins deux ans. Les répondants sont des membres ou d'ex-membres d’équipes amateures
ou semi-professionnelles, soit dans les ligues mineures ou majeures, ou encore les ligues
scolaires, collégiales, universitaires ou olympiques. L’activité sportive et son rôle dans la socialisation masculine a servi à mieux comprendre le renforcement ou l’invalidation du sentiment de masculinité chez ces adeptes.
Pour la réalisation de ce projet, 22 hommes s’adonnant à une activité sportive de façon assidue ou l’ayant fait, âgés de 18 à 29 ans au moment de l’entrevue, ont été rencontrés individuellement dans le cadre d’entrevues semi-dirigées. Pour recruter les répondants, une affiche a été collée sur les différents tableaux d’affichage de l’Université Laval, principalement
au Pavillon de l’Éducation physique et des sports (le PEPS). De plus, cette affiche a été publiée sous forme d’annonce ou incluse à l’intérieur de courts publireportages (sur le démarrage de cette recherche) dans certains journaux ou revues spécialisés tels que le magazine
RG et Corps et âme. Par ailleurs, des équipes de jeunes hommes sportifs ont été rencontrées
avec la collaboration de leurs entraîneurs, telles des équipes de football, de volley-ball et de
hockey universitaires et des regroupements d’organisateurs tels que Équipe Montréal
2006
14.
Une affiche a également été apposée dans la salle de musculation du PEPS.
De plus, des contacts directs ont été faits avec des équipes sportives comme celles appartenant à des cégeps ou à des centres sportifs et récréatifs. Le but de toutes ces rencontres a
été de solliciter directement des répondants en leur expliquant en quoi consistait cette recherche. Les possibilités d’avoir des répondants ont ainsi augmenté. Enfin, les centres sportifs d’activités individuelles, tels que les centres Nautilus, nous ont autorisé à exposer, bien à
la vue dans leurs locaux, l’affiche de recrutement. De cette façon, les sportifs qui ne sont
plus membres d’aucune équipe ont été informés de l’existence de notre recherche et ont été
invités à y participer.
14 Équipe Montréal 2006 était le regroupement officiel de toutes les équipes sportives qui ont participé
aux Outgames de 2006 à Montréal.
71
8.2
Collecte de données
Les entrevues ont été enregistrées — avec le consentement écrit des répondants —, afin de
permettre une transcription textuelle des entretiens. Durant ces entrevues, d’une durée
d’environ 90 minutes, des questions ouvertes sur divers aspects de leur vécu ont été posées
aux répondants en rapport avec la perception du sport pratiqué, de leur identité de genre et
celle de leurs pairs. Nous avons suivi les répondants dans leurs propos afin de leur permettre le plus de latitude possible pour obtenir une plus grande exhaustivité de leurs propos. À
la fin des entrevues, de brèves mises en situation ont eu lieu dans le but de susciter des
réactions et des commentaires complémentaires à propos de photos suggérant soit la masculinité
traditionnelle,
soit
des
conduites
homophobes
ou
efféminophobes,
soit
l’homosexualité ou la féminité chez un homme ou enfin des situations d’initiation d’équipes
sportives. Les entrevues se sont déroulées sur une période de 10 mois soit de janvier à octobre 2003. Il est important de préciser que l’annexe 2, au point 13.2, présente une grille
d’entrevue détaillée. La présentation d’une telle grille peut sembler contradictoire avec les
principes de la méthode d’entrevues semi-dirigées proposée dans cette recherche. Cette grille
d’entrevue a été créée pour répondre aux exigences du comité d’éthique. Nous tenons à préciser aux lecteurs que bien que respectant les normes du comité d’éthique, les questions de
la grille d'entrevue n'ont pas fait l'objet d'une application systématique, mais ont plutôt été
utilisées comme points de repère pour explorer les différentes facettes de la réalité des personnes interrogées. Ainsi, une grande partie des questions n’ont pas eu à être posées directement tout simplement parce que celles-ci avaient été répondues grâce à l’exhaustivité des
propos des répondants.
Vers la fin de la recherche, l’organisation de rencontres individuelles avec des sportifs aux
profils similaires à ceux des répondants initiaux a permis de confronter nos résultats préliminaires. Parallèlement à ces entrevues, d’autres rencontres ont eu lieu avec des informateurs clés ne faisant pas partie de l’échantillonnage. Ces répondants sont des parents et des
amis de joueurs et enfin des entraîneurs. Ces rencontres ont eu lieu dans le but de mieux
cibler les répondants potentiels et de mieux connaître le milieu du sport. Des ententes ont
aussi été faites avec une équipe universitaire de football et une équipe universitaire de hockey afin que nous puissions assister à un certain nombre de pratiques durant neuf mois et
faire de l’observation, nourrir notre réflexion et alimenter les entrevues avec les membres de
ces équipes. Non seulement les joueurs ont été rencontrés en groupe, mais notre présence
fréquente a désamorcé les appréhensions que les joueurs auraient pu avoir à notre égard,
facilitant notre contact avec eux.
72
8.3
L’observation
L’observation a été nécessaire à l’accomplissement de cette recherche. Bien que n’ayant pas
vécu au quotidien avec les sportifs, nous n’avons pas fait d’observation participante au sens
strict, mais notre travail d’observation se rapproche de cette méthode puisque nous avons
fait parfois de l’observation participante dans un gymnase de musculation et d’autres fois de
l’observation auprès d’équipes sportives. En effet :
La compréhension d’une culture différente de la sienne nécessite de pénétrer
dans le groupe de l’intérieur, de s’imprégner des catégories mentales de ceux
que l’on étudie et cette entreprise se mène au prix d’une longue familiarité,
d’une confiance réciproque. Les ethnologues s’accordent à penser que
l’observation participante se définit comme un apprentissage et comme un
dispositif de travail. C'est en partageant même temporairement le quotidien
du groupe étudié que le chercheur peut tenter de dépasser le rapport déséquilibré de l’enquêteur à son objet d’étude (Mucchielli, 2002 : 46).
C’est ce que nous avons fait d'une part avec l’équipe de football et l’équipe de hockey par
notre présence durant leurs entraînements neuf mois durant. De plus, une observation de
même type a été faite à la salle de musculation d'un centre sportif durant deux ans. Cette
présence fréquente était essentielle pour nous familiariser avec le milieu fréquenté par les
sportifs et vaincre les résistances du milieu. Elle a en outre favorisé l’ouverture des joueurs
envers le chercheur, de sorte qu’avec le temps ce dernier a cessé d’être un étranger et a gagné leur confiance. De même, les joueurs ont cessé de se sentir observés et ont laissé libre
cours à leurs activités et comportements habituels.
Ainsi :
L’observateur doit apprendre qu’il n’observe probablement jamais le comportement qui aurait eu lieu en son absence. L’immersion prolongée a pour objet
de diminuer ce risque de transformation de la réalité (Mucchielli, 2002 : 147).
L’observation participante favorise les confidences des joueurs, mais apporte aussi, comme
le précise Mucchielli (2002), des éléments qui nourrissent les entrevues avec les répondants.
Par l’acte d’observation du détail, que ce soit par le regard ou toute autre
technique telles que l’écoute, la consultation d’archives ou le partage du quotidien, l’ethnologue en situation d’immersion dans le groupe est à même
d’enregistrer des phénomènes qui n’auraient pas surgi dans les entretiens,
que ce soit par omission intentionnelle ou non des informateurs, mais
l’observation permet également de repérer les écarts qui peuvent se manifester
entre ce que l’on dit faire et ce que l’on fait (Mucchielli, 2002 : 147).
73
Tel que le mentionne Mucchielli (2002), l'ethnologie offre des outils plus qu'intéressants.
Nous avons observé les interactions entre les joueurs : leurs paroles, leurs gestes, leurs attitudes et tous comportements qui semblaient significatifs ou apparaissaient comme caractéristiques. Il y a eu prise de notes, de photos, mais aussi enregistrements. Tous les éléments
trouvés ont servi lors de l’analyse et lors des entrevues avec les joueurs. Pour toutes ces raisons, notre présence durant neuf mois aux entraînements, notamment ceux de l’équipe de
football universitaire fut nécessaire et enrichissante. Nous avons aussi assisté aux matchs
disputés par l’équipe, afin de continuer à partager avec elle son vécu, de nous imprégner au
maximum de l’esprit qui règne parmi les joueurs et de compléter notre analyse avec le plus
d’éléments possible.
8.4
Analyse des données
Toute l’analyse de cette recherche s’appuie sur la méthode de la construction empirique de
la théorie (aussi appelée théorisation ancrée et ci-après désignée « CEDLT ») et de l’induction
analytique. Cette double méthode s’inspire des principes théoriques et méthodologiques développés par Glaser et Strauss (1967), ainsi que par Glaser (1978), par Strauss (1987),
Strauss et Corbin (1990), Turner, B. P. (1981) et Holliday (2002). Nombre de recherches ont
déjà été menées avec succès dans cette perspective, notamment celles effectuées par Dorais
(1991, 1997, 1998, 2000, 2002, 2004).
Le but de cette méthode est de générer des concepts, des hypothèses, voire une certaine
théorisation à partir de l’étude sur le terrain. Rappelons que la CEDLT ne vise pas à vérifier
des théories existantes (c’est pourquoi le projet ne comporte, au sens strict, aucune hypothèse à vérifier), mais au contraire vise à générer et à étayer de nouvelles hypothèses, voire
de nouvelles théorisations, à partir des données empiriques recueillies sur le terrain. La méthode d’induction analytique, quant à elle, complète bien la CEDLT en exigeant des chercheurs qu’ils remettent constamment en question, au fil des nouvelles données recueillies,
les représentations de la réalité qu’ils se faisaient jusque-là. Autrement dit, une fois qu’une
certaine saturation ou convergence de données émerge, le chercheur s’applique à confronter
ces éléments de saturation avec les nouvelles données recueillies, examinant en particulier
les « cas négatifs » qui contrediraient plus ou moins les analyses précédentes, ce qui contribue au raffinement de l’analyse.
C’est par la comparaison constante et systématique (analyse transversale) des données
qu’émergent les constantes et les divergences présentes dans les phénomènes étudiés. Par la
suite, des catégories conceptuelles ont été délimitées, cela jusqu’à saturation, c’est-à-dire
jusqu’à ce que toutes les catégories conceptuelles qui émergent, anciennes et nouvelles, se
74
recoupent. C’est cette recherche de saturation des données qui contribue à la scientificité de
cette méthode. Élaboration de catégories conceptuelles à partir des données, formulation
d’hypothèses sur la nature de ces catégories et sur les liens qui existent entre elles, vérification de ces hypothèses à partir de nouveaux cas (y compris des cas limites, susceptibles de
contredire la théorisation émergente), voilà autant d’étapes caractéristiques de la CEDLT, qui
visent idéalement à dépasser la dimension purement descriptive, pour parvenir à une modélisation, voire une théorisation de la réalité étudiée. Ainsi, nous pourrions dire que la
deuxième entrevue est influencée par la première et la troisième par la deuxième et ainsi de
suite jusqu’à l’obtention d’une saturation de données.
8.5
Validation
Sera présentée ici l’argumentation théorique permettant d’assurer la validité de cette recherche. Comme le mentionne Mucchielli (1991), les critères de validation en recherche qualitative sont : l’acceptation interne, la complétude, la saturation, la cohérence interne et la
confirmation externe. Nous avons eu recours à l’acceptation interne de deux façons.
Premièrement, le milieu étudié a accepté la recherche et ses résultats quand nous les leur
avons présentés. En effet, l’acceptation interne est « le fait que le chercheur, sa recherche
et ses résultats sont acceptés par les acteurs, le groupe… ceux à qui il a affaire dans sa recherche et ceux sur qui porte sa recherche » (Mucchielli, 1991 : 111-112). Nous avons partagé et confirmé les résultats préliminaires de la recherche avec des informateurs clés (entraîneurs sportifs) et des jeunes hommes n’ayant pas participé à l’enquête, mais présentant un
profil similaire à celui des répondants. Tous ont semblé en accord avec les idées avancées.
Ils confirmaient que la vision que nous avions de la réalité des sportifs était exacte. Selon
Mucchielli, le chercheur est partie prenante de la recherche et en est l’instrument, le prolongement.
Le chercheur est nécessairement impliqué dans la recherche et il est actif
dans le maniement de l’instrument de recueil des données. La technique qu’il
utilise […] est indissociable de sa manière d’être. Cette technique est un prolongement de lui-même. Le chercheur est partie prenante de l’instrument
(Mucchielli, 1991 : 21).
Ce niveau est surtout valide pour les joueurs d’équipe. En effet, notre présence auprès des
équipes sportives était connue et acceptée par les joueurs. Nous avons participé, avec le
consentement des entraîneurs et des joueurs, aux entraînement de football et de hockey.
Mucchielli reconnaît que le chercheur lui-même est un objet de mésinterprétation et un obstacle. Toutefois, comme nous l’avons mentionné précédemment, notre présence prolongée
(par l’observation) aux entraînements de l’équipe de football et de hockey universitaire et en
75
salle de musculation, notamment, a pallié cette difficulté. Elle constitue une forme
d’apprivoisement et permet une acceptation du chercheur par les sportifs rencontrés.
Le chercheur étant son propre instrument de collecte des données, sa présence est bien entendu un biais et un obstacle. Les participants à la recherche
réagissent à sa présence. Le chercheur doit se faire accepter, faire oublier sa
présence afin de neutraliser le plus possible les mécanismes de défense. Les
possibilités d’acceptation de la présence d’un étranger observateur sont naturellement liées à la qualité de contact que peut établir le chercheur avec le
groupe (Mucchielli, 1991 : 112).
Il faut également faire preuve de transparence et rassurer les répondants quant à la raison
de la présence du chercheur, à l’authenticité et aux objectifs de la démarche. La raison de
notre présence aux entraînements et aux matchs était toujours très clairement définie par le
chercheur et par les entraîneurs.
La complétude réfère au fait qu’il ne manque rien à la recherche, aux résultats, mais elle
veut également dire que les résultats soient présentés de façon cohérente et qu’ils permettent
une compréhension globale. La complétude est atteinte quand l’explication des résultats
maximalise une grande variation entre les catégories d’analyse, en utilisant le plus petit
nombre de concepts. La complétude vise aussi à obtenir un résultat maximalisé le plus exhaustif, en discutant des résultats préliminaires avec d’autres chercheurs et intervenants
spécialisés dans l’une ou l’autre des questions traitées. Les différentes composantes de la
complétude ont été atteintes au cours de cette recherche, une grande variation entre les catégories d’analyse en n’utilisant qu’un minimum de concepts comme celui de la masculinité
hégémonique. De plus, les résultats ont été longuement discutés avec d’autres chercheurs et
intervenants. Quant à la saturation, comme nous l’avons souligné précédemment, elle est
déjà un élément clé de la méthode d’analyse retenue. La saturation est le phénomène qui
fait qu’au bout d’un certain nombre d’entrevues ou de consultations, plus aucun élément
nouveau n’apparaît. C’est le moment à partir duquel il devient inutile de faire de nouvelles
entrevues. En nous basant sur les recherches précédentes que nous avons faites, nous pensons que les 22 entrevues réalisées suffisent à atteindre la saturation, car au-delà des 18
premières, aucune nouvelle donnée ne nous est apparue. Dans une autre perspective, Mucchielli affirme que « la saturation constitue un signal de la représentativité des données »
(Mucchielli, 2002 : 204). La saturation permettrait donc une forme de généralisation. Le sens
est complet et épuisé. La recherche de cohérence interne se manifeste notamment à travers
l’effort pour arriver à une modélisation théorique logique et plausible des résultats obtenus,
afin de présenter ces résultats de la façon la plus claire, la plus simple et la plus dynamique
possible. Elle est l’un des critères les plus importants de la crédibilité et de la logique d’une
76
recherche. « Elle peut être atteinte par la vérification par d’autres personnes de la rigueur
d’application des règles d’analyse, de traitement et d’interprétation » (Mucchielli, 2002 : 25).
La supervision des directeurs de thèse et du comité de thèse permet l’atteinte de la cohérence interne. Dans un autre ordre d’idées, Mucchielli (2002) précise que la cohérence interne
est au cœur des caractéristiques du courant théorique de l’interactionnisme symbolique.
Quant à la confirmation externe, « [elle] correspond à la capacité du chercheur d’objectiver
les données recueillies » (Mucchielli, 2002 : 35). Elle se fait en préparant des schémas
d’entrevues, en faisant se recouper des méthodes de cueillette de données, en se référant à
des personnes extérieures à la recherche (les directeurs de thèse, le comité, des informateurs
clés tels que des parents et amis des sportifs, entre autres) et en effectuant des ponts entre
les écrits scientifiques existants et les résultats de la présente recherche lorsque apparaissent des liens entre cette étude et d’autres études du même type.
8.6
Les limites de cette recherche
Le fait de questionner le genre est déjà en soi une limite pour de nombreux hommes. En
effet, l’identité masculine et la masculinité ne se questionnent pas, elles sont. Les hommes,
affirme Chamalidis (2000), ne sont pas un sujet social. Questionner le genre chez les hommes éveille souvent le spectre de l’homosexualité. L’affiche de recrutement des répondants
(voir annexe 4) a suscité des réactions homophobes chez certains hommes. Les grands espaces blancs de l’affiche ainsi que son format (11 X 17) ont été planifiés de façon à faciliter
l’écriture de graffitis. C’était une façon d’aller chercher des données supplémentaires. Les
réactions à l’affiche et au sujet de cette recherche sont conformes aux résistances notées par
Dulac (2001) quand le sujet de la masculinité est énoncé. Certains groupes d’hommes sportifs à qui l’affiche a été présentée par une autre personne que le chercheur y ont vu un
« recrutement potentiel pour gais ». D’autres auraient eu peur que ce soit une « attrape » et
qu’on les étiquette comme gais ou qu’on leur dise qu’ils soient gais durant l’entrevue. Ces
réactions tendent à confirmer que le questionnement sur la masculinité amène souvent méfiance, défiance et soupçons de la part des hommes, notamment à propos de l’orientation
sexuelle.
La portée relativement exploratoire de cette recherche permet difficilement d’en mesurer toutes les limites. Il appert que l’échantillon de cette étude est restreint — ce qui est le propre de
la plupart des recherches qualitatives —. Il s’agit de jeunes hommes vivant au Québec seulement. Cependant, ils proviennent de toutes les régions du Québec et non d’une seule ville.
C’est donc un portrait de jeunes hommes venus de partout qui se dresse ici. Malgré les arguments de représentativité évoqués lors de l'élaboration du concept de saturation, il pourrait ne pas être représentatif de l’ensemble du groupe étudié et la généralisation à tous les
77
sportifs est bien peu probable. La confrontation ou la duplication ultérieures (par d’autres
chercheurs ou intervenants) des résultats obtenus permettra d’en évaluer la transférabilité
ainsi que le degré de généralisation possible.
8.7
La préentrevue
Une préentrevue a été effectuée pour mettre au point la grille d’entrevue utilisée. Elle a été
testée avec un répondant, sportif de haut niveau, étudiant au doctorat. Ajoutées à son expérience empirique et personnelle du monde du sport traditionnel, les connaissances et
l’expertise de ce répondant (relativement à l’homophobie) en faisaient un choix justifié. La
pertinence de chaque question et de chaque thème abordé, ainsi que la manière de les présenter aux répondants, a été évaluée. De plus, une vérification croisée a permis d’assurer
que tous les thèmes répondaient à l’un des objectifs. Les thèmes ont été classés dans un
ordre logique et approprié pour l’obtention d'un maximum d’information de la part des répondants. Toutes les questions et les thèmes de la préentrevue et de la grille finale ont été
discutés et évalués avec le directeur de thèse et le comité d’examen de doctorat II. La grille
d’entrevue (en annexe 2), conçue comme un guide et non comme un questionnaire rigide (en
conformité avec la CEDLT), a ensuite été soumise, tout comme le reste du projet, au comité
d’éthique à la recherche de l’Université Laval, lequel comité l’a acceptée.
8.8
Retombées prévues et transfert des connaissances
Il nous est possible, par nos entrevues et mises en situation, de mieux comprendre la logique
ou certains parcours types de la construction de l’identité masculine chez les hommes interrogés. Dans le domaine de la santé et des services sociaux, le développement de telles
connaissances permet de favoriser une intervention à la fois non sexiste et soutenante auprès des garçons et des jeunes hommes, non seulement dans les écoles, les centres jeunesse
ou les maisons de jeunes, mais aussi dans les centres d’intervention pour hommes aux
comportements violents. Par cette recherche, nous voulons contribuer à donner aux intervenants de la santé et des services sociaux de meilleurs moyens pour comprendre la construction sociale de l’identité masculine, et mettre ainsi à leur disposition des outils pour mieux
aider ceux qui, parmi leur clientèle, se sentent « mal dans leur peau » en raison de leur différence ou, à l’inverse, sont intolérants envers le non-conformisme de genre ou la variation de
l’orientation sexuelle.
Les résultats de cette recherche seront diffusés sous forme de conférences, d’articles scientifiques, ainsi que sous forme de textes destinés à un public plus vaste (intervenants sociaux
et intervenants du milieu de la santé, jeunes, milieux sportifs, etc.), afin que des actions
78
préventives ou éducatives puissent, le cas échéant, être suggérées ou prises à la lumière des
conclusions de cette recherche. De plus, des contacts ont été amorcés avec des maisons
d’édition pour publier la présente recherche sous forme de livre destiné au grand public.
8.9
Éthique
L’esquisse de cette recherche a été soumise au Comité d’éthique de la recherche de
l’Université Laval. Une attestation de consentement à participer à la recherche a été présentée aux répondants avant de commencer l’entrevue (voir annexe 12). Tous les participants
étaient volontaires et chacun a signé une autorisation d’utiliser son témoignage à des fins de
recherche. Ce formulaire de consentement présente le projet, ses objectifs, ses éléments
éthiques et l’équipe de recherche, avec ses coordonnées. Il y est clairement énoncé que
l’équipe de recherche s’engage à respecter la confidentialité et l’anonymat des répondants. Il
est aussi mentionné que la participation des jeunes joueurs est volontaire et qu’ils ont la
possibilité de se retirer du projet à tout moment.
Les comptes rendus des entrevues réalisées garantissent l’anonymat des personnes interrogées en leur attribuant un pseudonyme. Des mesures ont été prises pour veiller à ce
qu’aucune divulgation directe ou indirecte de l’identité des sujets et de renseignements de
nature personnelle ne soit possible. Parallèlement, le chercheur veillera à ce que toute publication émanant de cette recherche ne permette d’aucune façon d’identifier les participants,
ni les personnes qu’ils mettent en cause. À cette fin, certains détails biographiques pourront
être légèrement modifiés. Le matériel de cette recherche et en particulier les transcriptions
textuelles des entrevues réalisées sont gardées en lieu sûr et ne pourront être communiqués
qu’aux seuls membres de l’équipe de recherche. Le matériel sera détruit à la fin du processus. Le chercheur avait une liste de personnes-ressources à qui adresser les répondants qui
auraient manifesté le besoin d’être aidés sur le plan médical, psychologique ou social. Le
chercheur a en effet veillé à ce que tout répondant qui aurait eu besoin d'aide soit adressé à
une ressource adéquate. Nul n’a cependant eu besoin d'un tel soutien.
79
9
QUI SONT LES RÉPONDANTS ?
Les répondants sont des sportifs membres ou d'ex-membres d’équipes amateurs ou semiprofessionnelles qui font partie de ligues mineures ou majeures, soit d’équipes collégiales,
universitaires ou olympiques. Pour cette recherche ont été rencontrés 22 participants, dont
14 sont des joueurs d'équipe et 8 des sportifs individuels. Au moment de répondre, les
joueurs d’équipe étaient âgés de 18 à 25 ans (M = 22) et de 23 à 26 ans pour les joueurs individuels (M = 24). Les jeunes hommes pratiquant un sport collectif s’adonnent assidûment à
une activité sportive depuis l'âge de 5,4 ans en moyenne, ce qui leur fait 16 ans en moyenne
de pratique sportive à vie. Les jeunes hommes pratiquant un sport individuel s’adonnent
assidûment à une activité sportive depuis, en moyenne, l’âge de 9,9 ans, ce qui leur fait
14,25 ans en moyenne de pratique sportive à vie. Leur orientation sexuelle est connue sur
une base autodéclarée. Les joueurs d'équipe se disent tous hétérosexuels. Parmi les joueurs
individuels, quatre s’identifient comme hétérosexuels et quatre comme homosexuels. Aucune
question n’a permis de savoir si les répondants étaient en couple au moment de faire
l’entrevue. Ils ont cependant tous été à un moment ou un autre en couple. En tenant compte
de leur jeune âge, il est possible de conclure qu’ils ne pouvaient être en couple depuis de
nombreuses années.
Scolarité
Tous les répondants sont des étudiants au baccalauréat dans une université québécoise
(Montréal ou Québec). Aucun n’avait terminé son diplôme au moment de répondre. La moitié
d’entre eux, qu’ils s’adonnent à des sports collectifs ou individuels, étudiaient dans différentes facultés. Il n’y a que parmi les joueurs d’équipe que l’on retrouve des étudiants dans les
domaines sportifs ou dans d’autres domaines reliés au corps (n = 3).
Milieu familial
La famille des sportifs pratiquant un sport d’équipe ou individuel est composée en général de
trois enfants. Un seul est enfant unique. Il se retrouve parmi les sportifs d’équipe. Les sportifs d’équipe sont surtout deuxièmes de famille, alors que les sportifs individuels sont plutôt
derniers. Plus de la moitié des joueurs d’équipe sont issus d'une famille à tradition sportive.
Chez les sportifs individuels, cette tradition n’est présente que chez le tiers d’entre eux. Les
motivations à la pratique sportive sont très différentes d'un groupe à l'autre. Aucune question n’a été posée quant au statut socio-économique ou au niveau de revenu des répondants.
80
Le fait qu’ils fréquentent tous une institution universitaire constitue cependant une information élémentaire et minimale sur leur niveau socio-économique.
Influence de l'entourage
Certains des répondants ont été incités à pratiquer un sport par leur entourage. Pour les
joueurs d'équipe, la figure parentale — le père surtout — est la personne la plus significative;
viennent ensuite les amis. Dans ce groupe, deux joueurs seulement n'ont eu personne pour
les motiver. Chez les sportifs individuels, le rôle du père a été observé dans la moitié des cas,
en l’occurrence dans celui des répondants hétérosexuels. Les répondants homosexuels n'ont
reçu quant à eux aucune incitation de la part de leur environnement. Ils ont même été découragés à participer à toute pratique sportive. Les répondants des deux groupes ne se
consacrent à aucune autre activité d'ordre récréative. Tous ceux qui pratiquent un sport
d'équipe disent être entourés d'amis nombreux. Tous les répondants pratiquant un sport
individuel déclarent avoir peu de copains.
Quels sports pratiquent ces jeunes hommes ?
Parmi les joueurs d’équipe, aucun ne pratique ou n'a pratiqué de sport individuel, exception
faite de la musculation. Les joueurs d’équipe ont cependant souvent pratiqué plus d'un sport
dans leur vie avant de jeter leur dévolu sur un sport en particulier. Plusieurs ont joué au
hockey, au baseball, au soccer ou au volley-ball. Enfin, sept des répondants s'adonnent exclusivement au football dans une équipe universitaire; cinq jouent au hockey en hiver et
parmi ceux-ci, deux jouent au baseball l'été et un au soccer l’été, un s’adonne au soccer exclusivement et enfin un joue au frisbee extrême pour un total de 14 joueurs d’équipe. En ce
qui a trait aux sportifs individuels, la répartition est fort différente : la natation (2), le badminton (1), le vélo (1), la course (1), le golf (1), le patin (1) et le tennis (1) sont les sports prisés par cette cohorte. La plupart des sportifs individuels ont essayé le hockey, mais l’ont
abandonné très vite. Enfin, la musculation est pratiqué par tous.
La page suivante présente un tableau résumant le profil des répondants.
81
Tableau 4. Profil des répondants
82
10
L’ÉPREUVE DE LA MASCULINITÉ
Dans cette partie, nous tenterons de répondre aux objectifs de la recherche en analysant les
résultats des entrevues. Bien entendu, l’ensemble des propos recueillis et leur analyse au
cours de toutes les sections contribuent à répondre à ces objectifs, mais nous pensons que
certaines sections y répondent plus particulièrement. Nous tenterons donc de 1— Mieux
comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre
les jeunes hommes. Nous verrons cela notamment en comprenant les idéaltypes de sportifs
et en analysant la signification que les sportifs attribuent à la pratique de leurs sports particuliers et en scrutant les motivations qui les poussent à la pratique de ceux-ci. Nous verrons
cela dans les sections 10.1 à 10.3. 2— Mieux comprendre comment le non-conformisme de
genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou,
à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé. 3— Explorer comment
l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par
l’entremise de l’activité sportive. Ces deux derniers objectifs seront particulièrement appronfondis dans les sections 10.4 à 10.5, par l’étude des rituels des sportifs et l’expression de
leur homophobie. 4— Explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants. La section 10.6,
joueurs collectifs et joueurs solitaires, permet de comprendre la perception que les sportifs
ont de leur propre masculinité en référence avec leur groupe d’appartenance, mais aussi en
référence à leur représentation de la masculinité et de leur appartenance au genre masculin.
10.1 Joueurs collectifs et joueurs solitaires
Il s’est écoulé presque un an entre le début de la recherche et les premières entrevues. La
première phase consistait à faire de l’observation dans un gymnase de musculation dans un
centre universitaire où nous nous entraînions. Il y venait des sportifs seuls et des sportifs en
petit groupe qui semblaient membres d’un plus grand groupe. Deux types de sportifs se sont
alors dégagés — ceux pratiquant un sport collectif et ceux pratiquant un sport individuel —,
mais ce constat fait surgir diverses questions : l’équipe sportive est-elle formée d’individus
additionnés les uns aux autres ou forme-t-elle une entité distincte, constituée de joueurs
aux profils convergents ? Le choix de la pratique d’un sport quelconque par un jeune homme
est-il déterminé par sa complexion et le type de socialité correspondant à celle-ci ? Le choix
83
d’un sport particulier est-il simplement motivé par divers facteurs notamment sociaux ? Enfin, l’appartenance à un profil type détermine-t-elle la poursuite dans une carrière sportive
particulière ? Seront examinés dans un premier temps le profil des sportifs d’équipe, leurs
caractéristiques et la définition qu’ils donnent aux sports. Il sera fait de même avec les
joueurs s’adonnant à un sport individuel. Seront ensuite dégagés les principaux éléments
qui différencient les deux groupes de sportifs. Sera également dégagé comment le sport représente une épreuve importante pour construire une identité de genre chez les joueurs. Il
faut noter qu’il y a plus de répondants pratiquant un sport collectif que de répondant pratiquant un sport individuel. Les données relatives aux sportifs d’équipe étaient ainsi plus
nombreuses. De même, un certain nombre de phénomènes sont typiques aux joueurs
d’équipe et ne se retrouvent donc pas chez les sportifs solitaires. Pour ces raisons, les solitaires ont souvent davantage servi à mettre en lumière, par comparaison, certains traits ou
phénomènes propres aux joueurs d’équipe. Il est important de noter que les résultats seront
discutés section par section et non tout à la fin des chapitres. Cette façon de faire a été retenue pour faciliter la compréhension de la recherche et éviter également d’avoir à faire des
rappels dans le texte précédent.
10.1.1
Les grégaires : « Tous pour un et un pour tous. »
Les sportifs d’équipe ont été nommés grégaires en raison de la façon dont ils vivent
l’expérience sportive. Définissons d’abord le mot grégaire, qui sera utilisé jusqu’à la fin de
cette thèse en tant que substantif et non comme adjectif. Le Robert précise que le mot grégaire provient du « latin gregarius, de grex, gregis « troupeau ». […] se dit des espèces dont les
individus vivent en troupe. Des animaux grégaires ». Au sens courant : « Qui provoque le
groupement d'êtres vivants, ou qui en résulte. Tendance, instinct grégaire. Qui porte certains
individus à suivre docilement les impulsions du groupe où ils se trouvent ». Le Robert mentionne les synonymes « moutonnier » et « imitateur ». Nous avons préféré « grégaire » à moutonnier ou imitateur parce que ces deux mots semblaient empreints de jugement, mais surtout parce qu’ils étaient réducteurs envers le phénomène observé. Pour les grégaires, ce qui
prime avant tout est le contact avec les autres, comme en témoignent les répondants cidessous.
C’est parce que l’on est une gang qui est proche. Je ne serais pas capable de
m’entraîner tout seul. Les gars, on est un gros bloc de 70. Tout le monde se
connaît. Tout le monde s’entraide. On devient des grands chums. On est ensemble plus de 40 heures par semaine. – Antoine, football
C’est comme si on était juste une personne. On se tape dans les mains, on fait
des cris. – Bertrand, Hockey
84
Tu as un sentiment d’appartenance. Tu t’impliques plus. Didier, Rugby
C’est une équipe et c’est plus que des coéquipiers. On devient intime. Quand il y
en a un qui déprime, ça retombe sur les autres. – Benoît, Frisbee extrême.
Une des idées les plus importantes est lancée. Ils sont 70, mais en fait, ils ne sont qu’un. Les
fêtes et les après-matchs sont très importants, car ils contribuent à sceller les liens qui les
unissent.
Il y a un après-match après chaque pratique ; il y a un party dans la chambre. Il
y a de la musique, tout le monde danse, le monde niaise, pour avoir du fun. Il y
a de l’ambiance. Je n’ai jamais vu ça ailleurs. Tout le monde se parle, tout le
monde rit. Souvent, on va se vanter des bons coups, des mauvais coups. Les
gars vont se « gosser ». C’est super, les gars sont drôles. – Antoine, football.
Pour d'autres, c’est la présence assurée d’autres personnes sur les lieux de pratique qui est
déterminante. Le sport en lui-même devient un lieu de partage. Les moments de solitude
sont rarissimes quand on est membre d’une équipe. Les grégaires ont la certitude qu’il y
aura toujours quelqu’un avec qui entrer en contact sur les lieux de la pratique.
Avec le sport d’équipe, tu vas là et t’es sûr qu’il va y avoir quelqu’un. C’est plus
motivant. On est sûr que les coachs vont être là. Je trouve la motivation plus facile. – Paul, football.
Le sport d’équipe, c’est aussi un mode de vie, un lien social irremplaçable, notamment à
cause de son intensité. C’est une façon unique d’interagir et d'entrer en contact avec les autres, comme aucune autre activité ne le permet. En effet, la pratique d’un sport collectif est
un catalyseur sans pareil pour créer des liens et entrer en relation avec les autres.
J’aime la cohésion d’équipe, l’ambiance d’équipe. Me pousser tout seul, je suis
capable, mais me pousser en équipe, j’adore ça. Au football, tu te fais des amis
en une saison. Tu vas faire des liens aussi proches en trois mois que tu peux en
faire à l’extérieur du sport en trois ans. On est plus intime, on partage plus de
choses intenses. Avec les pratiques, on est tous les jours ensemble. Si tu veux
exceller, performer, tu dois avoir une position d’équipe. Il faut que tout le monde
aime jouer ensemble, que tu saches ce que l’autre pense. Il faut vraiment que tu
sois unifié. On s’accroche vraiment quand on joue au football. – Marc, football
Cette socialité collectiviste du football se retrouve dans d’autres sports, par exemple au hockey. Il est possible de constater, à la lumière de leurs propos, que les joueurs de hockey partagent sensiblement les mêmes valeurs et les mêmes appétences que les joueurs de football.
L’ambiance, l’esprit de famille… c’est une famille. À chaque fois que je vais jouer
au hockey, c’est… la gang, la famille, l’unité. – Laurent, football
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Ce répondant insiste beaucoup sur le mot « famille ». L’intégration sociale au sein d’un groupe de semblables est prépondérante pour les joueurs d’équipe. Les liens avec les autres, la
durabilité de ces liens et leur intensité importent le plus. Par le sport collectif, il y a une marque d’appartenance indélébile et réciproque gravée en chacun des joueurs.
Il y a tout le temps du monde. Tu développes des relations intenses avec tes
coéquipiers. Souvent, c’est des amis depuis le cégep ou le secondaire. On est
ensemble depuis sept ans. On joue tous ensemble. C’est des gens que j’espère
voir après, quand j’arrêterai de jouer au foot. C’est eux que je reconnais comme
mes vrais amis. Eux, je considère qu’ils m’ont plus marqué puis je les ai plus
marqués. – Laurent, football
La réciprocité et l’intensité sont intrinsèques aux liens que le sport permet de tisser entre les
joueurs. Les liens sont durables et devraient se perpétuer au-delà de la pratique sportive, car
celle-ci crée des liens si intenses qu’ils sont intemporels. La pratique d’un sport collectif
permet de se reconnaître dans les autres, et pour les autres, de se reconnaître en soi. Il y a
une forme d’effacement de l’individualité où la réussite et l’échec ne peuvent se vivre que
collectivement. La force ou la faiblesse des uns retombe sur la collectivité tout entière. Les
grégaires y voient là des avantages en opposition à la pratique d’un sport individuel.
Dans le sport individuel, c’est ta performance à toi qui va faire que tu gagnes ou
que tu perds. En équipe, s’il y en a un qui donne un peu moins, c’est l’équipe qui
écope. Sauf qu’en avant, on pense que c’est toute l’équipe qui est moins performante. On peut perdre des matchs à cause de certaines personnes. Alors qu’en
sport individuel, il n’y a que toi qui comptes. – Bertrand, hockey
Ces autres répondants témoignent dans le même sens que le précédent. Dans le sport collectif, il y a un partage de la défaite et de la victoire. Les performances et les manques de chacun reposent et retombent sur tout le groupe. C’est ici que naît l’altruisme chez les joueurs.
Chacun est prêt à se sacrifier pour mener le groupe à la victoire. Toute cette dynamique de
groupe est rendue possible grâce au partage de certaines valeurs.
Dans le sport individuel, tout repose sur toi, tandis [que dans] un sport collectif
tout se fait par rapport à l’équipe qui te suit. Dans l’équipe se forme de
l’entraide, des relations avec les joueurs, tandis qu’un sport individuel, tu es tout
le temps tout seul. Ta performance, tu la dois juste à toi, tandis qu’en équipe, le
succès va à tout le monde. – Sylvain, football
La différence entre le sport d’équipe et le sport individuel, c’est le partage de certaines valeurs. J’ai toujours apprécié de connaître du monde, être avec des
amis, partager des choses. Le sport d’équipe pour moi, c’est que tout le monde
apporte du sien. – Didier, rugby
Pour ces répondants, la solidarité et l’altruisme ont préséance sur l’individualisme. Ils distinguent nettement les qualificatifs de la pratique collective et ceux de la pratique individuel-
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le. L’entraide et le soutien des autres sont des valeurs primordiales des sports collectifs, qui
facilitent grandement la pratique.
Moi, je suis plus un gars d’équipe. Dans un sport individuel, t’es vraiment toimême. Tu n’as pas le choix si tu veux performer. Un sport d’équipe, c’est plus
facile à pratiquer qu’un sport individuel, parce que ça ne demande pas la même
discipline. Tu ne seras pas tout seul à forcer; on force pour le même but. Le sport
individuel, il faut que tu ailles par toi-même, c’est un peu plus dur. Je pense que
c’est deux types de personnalités. La différence, c’est l’esprit d’équipe. J’en ai
vu des sports d’équipe, c’est plus amical, on essaie de s’entraider. C’est pas mal
mieux de le faire en gang que de le faire tout seul de son bord. – Félix, Hockey
L’abnégation des joueurs au profit de la collectivité amène le groupe entier à exercer un
contrôle sur les individus et vice-versa, même à l'extérieur du jeu et des lieux de pratique.
Être membre d’une équipe, c’est aussi porter l’équipe et se réputation en tout temps. La solidarité est primordiale, et aucun grégaire ne veut être celui par qui le scandale arriverait. Les
entraîneurs-chefs, lors d’entrevues exploratoires, ont été très clairs à ce sujet : aucun scandale n’est toléré dans l’équipe, aucun joueur ne peut entacher la réputation de l’équipe et,
par le fait même, celle des autres joueurs, sans quoi, c’est l’expulsion immédiate sans aucune forme de procès.
Il y en a un qu’on voit cruiser trop fort pendant la soirée, on lui en parle, comme
ça tu fais ton lover… Il faut garder le contrôle. Le monde nous voit mal parce
qu’on joue au foot, on est des gars « croches ». Pourtant, il faut réussir nos cours
si on veut jouer au foot. Dans les films de foot, il y a tout le temps un quartarrière qui se pogne toutes les femmes. Il y a tout le temps un gars saoul et il y a
tout le temps un gars qui se drogue. Dans notre équipe, il y en a qui scorent plus
que d’autres, c’est vrai, mais toute l’équipe paye s’il y a deux ou trois « croches ».
Alors, on surveille ce que font les autres. – Sylvain, football
Les joueurs ont en commun le sens de l’abnégation pour l’équipe, la complicité très forte
avec les autres joueurs, la subordination à l’équipe. L’analogie avec la fourmilière est sans
nul doute celle qui correspond le mieux à la façon dont les grégaires vivent leur expérience
dans une équipe sportive.
10.1.1.1 Pour les grégaires, le sport c’est…
Certains répondants font la différence entre un homme actif et un « vrai » sportif. Pour eux, il
y a une hiérarchie entre le vrai et l’ersatz. Les sportifs se positionnent au plus haut niveau.
Les sportifs utilisent le sport comme principale stratégie pour se valoriser, se démarquer et
s’élever vers un idéal identitaire.
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Je pensais qu’il y avait plus de sportifs dans mon domaine d’étude. Les gars
sont actifs, mais ils ne sont pas sportifs. Ce n’est pas pareil. – Éric, hockey
Un sportif, c’est quelqu’un qui s’entraîne pour la performance. Quelqu’un d’actif,
il s’entraîne pour sa santé, il bouge. C’est quelqu’un qui a un rythme de vie tout
de même assez rapide avec un peu d’entraînement, mais jamais en performance
pure. Pour un sportif, ce qui compte, c’est de se dépasser tout le temps pour aller
toujours plus loin. Le sportif, c’est quelqu’un qui fuit ce qu’il a là, pour aller chercher plus loin pour ne jamais revenir où il était. – Antoine, football
Selon les grégaires, l’activité sportive ne serait pas incorporée dans la vie de « l’actif » comme
elle peut l’être dans celle du sportif. Il est donc possible de penser que pour un certain nombre de grégaires, les sportifs, « les vrais », seraient davantage les sportifs de meute, comme
eux, que les sportifs solitaires. Plusieurs répondants sont du même avis ; ils décrivent les
caractéristiques essentielles à leurs yeux pour être un « vrai » sportif. Le « vrai » sportif doit
se dépasser et ne vivre que pour son sport, ce qui amène plusieurs sportifs à dire que la pratique sportive fait mal non seulement au corps, mais également à l’âme. La pratique sportive
exige des sacrifices et un investissement qui ne sont pas à la portée de tous. Le sportif accepte la douleur et ne la craint pas; le simple actif, lui, l’évite. C’est ainsi que le corps, ses
performances et parfois la douleur sont au centre de la vie des sportifs. Le corps se retrouve
au centre de cette socialité. La blessure et la douleur font partie de l’identité du sportif grégaire comme si elles étaient assumées par l’ensemble du groupe d’appartenance. Elles deviennent le prix à payer pour être « un vrai ».
Pas toujours dans le sens que ça fait mal physiquement, mais ça demande des
sacrifices. Tu sacrifies quelque chose pour arriver. Le sport ne te permet pas de
te coucher tard, de boire ou de faire la fête. Tu ne peux pas faire tout ce que tu
veux. Ma priorité, c’est de m’entraîner. Ça ne te tente pas toujours, mais il faut
que je le fasse quand même. – Éric, hockey
Le sport c’est se dépasser au sens où il faut que tu performes. Il faut que ça fasse mal. J’ai bien de la misère à faire ça pour le plaisir. Je suis un très bon perdant, qui a un esprit sportif, sauf que ça me fait chier de perdre. Je vais donner
mon maximum pour être au-dessus des autres. Le sport, c’est s’investir. Tu peux
t’amuser, sauf que, tirer le ballon, tirer le frisbee, l’après-midi, je ne considère
pas ça comme du sport. C’est plus une activité. – Jean, football
Le sport marque le corps et l’âme, certes, mais il libère aussi des tensions et des tracas de la
vie. Pour d’autres grégaires, le sport est aussi…
Un exutoire essentiel à ma santé mentale. Quand je fais du sport, je ne pense à
rien. Si je suis stressé, si j’ai de la peine, je fais du sport et ça arrête. Quand j’ai
fini de faire du sport, je suis bien détendu. Le fait de me retrouver dans des
sports collectifs, en gang, me rend bien. – André, soccer
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Enfin, de l’aveu même de certains répondants, le sport peut aussi être une forme
d’assuétude.
Je fais du rugby, de la musculation, du soccer, je fais tout. Il faut au moins que
je mette deux à trois heures d’entraînement par jour, c’est une drogue. C’est mon
train-train quotidien. Au début, je faisais ça pour rire et puis je ne peux plus
m’en passer. – Didier, rugby
Pour les grégaires, le sport, la vie, l’équipe se fondent dans un ensemble, il est le fondement
du lien social. L’activité sportive est un rite d’interaction sociale entre hommes, un code ou
un langage de communication. Il est un outil d’intégration et de communication pour ne pas
dire de communion avec le groupe sportif, par lequel se construit l’identité. C’est par les performances sportives que se mérite l’appartenance au groupe d’hommes sportifs. La pratique
du sport est une forme de valorisation et de sacrifice des individus pour le groupe et du
groupe pour les individus. Les grégaires se construisent une société altruiste où la responsabilité des victoires et des défaites se partage. Les grégaires se caractérisent donc par leur
sens de l’altruisme, de la solidarité, de l’entraide, du soutien, de l’abnégation, de la force du
lien entre eux et de la solidarité.
10.1.2
Les solitaires
Les solitaires, comme leur nom l’indique, préfèrent être seuls dans la pratique sportive, et
cherchent à satisfaire par celle-ci des besoins individuels reposant sur leurs propres aspirations. Ils ne comptent que sur eux-mêmes. La compagnie d’autres sportifs va même souvent
les importuner. Pour eux, les activités sportives semblent parfois interchangeables.
Faire du sport donne un contact avec son corps, avec soi-même. Il faut être bien
dans sa peau en premier. Le sport d’équipe, c’est une façon d’y arriver, mais il y
a bien d’autres façons aussi. C’est autant les arts martiaux que d’autres sports
individuels. – Pierre, natation
Je n’aime pas m’entraîner à l’université parce qu’il y a plein de monde. J’ai un
rameur et un punching bag chez moi. Si je n’étais pas en appartement, j’aurais
mon kit pour m’entraîner. – Hervé, aviron
Le répondant suivant fait un commentaire très représentatif de l’esprit des solitaires. Il manifeste son incompréhension des grégaires devant leur intérêt pour les sports d’équipe.
J’ai de la misère à comprendre le fun de courir en gang après une rondelle ou
un ballon. Mario, natation
Les solitaires pratiquent un sport pour eux-mêmes et non pour les autres ou pour un groupe. Ils le font pour les gains personnels. Le prestige de la victoire et la honte de la défaite ne
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reposent que sur eux-mêmes. Les solitaires veulent la première marche du podium et ne pas
la partager. Pour les solitaires, le sport est un monde égoïste et non altruiste au sens durkheimien du terme, où seule la réussite individuelle importe.
J’ai toujours aimé les sports individuels. Les sports où si je perds ou si je gagne
c’est de ma faute. Perdre à cause des coéquipiers qui ne savent pas jouer, ça me
frustre. – Édouard, badminton
En athlétisme, le plus important, c’est le premier. – Hervé, aviron
Je voulais être le meilleur, je voulais être le top parce que tant que t’es pas au
top dans un sport comme le mien et que tu ne fais pas un métier de gars, tu te
fais traiter de fif. Les sports m’ont aidé à avoir une mentalité de gagnant. Être
mangé ou être celui qui mange. On s’entraîne pour être le meilleur, pour être en
haut. C’est ça la culture sportive. Sur la marche du podium, y’a juste toi. – Thomas, patin artistique
Les solitaires admirent les vedettes sportives. Souvent, durant les entrevues, les solitaires
ont parlé de joueurs vedettes, mais en les dissociant de leur équipe et ne mentionnant pas le
nom de celle-ci. Alors, même en parlant de pratiques sportives collectives, ils le font dans un
sens individualiste. De plus, dans l'éventualité où ils seraient dans une équipe, ils ne voudraient pas que celle-ci fût la meilleure; ils voudraient être les meilleurs de celle-ci et se distinguer plutôt que de se fondre dans le groupe sportif.
J’ai des modèles, des idoles sportives à suivre. Ce sont des modèles de discipline. Je voulais être Kurt Browning. Je voulais être comme Victor Kraatz ou comme Jean-Luc Brassard. - Thomas, patin artistique
J’aurais aimé être un bon joueur de hockey, un grand joueur de tennis, un
grand joueur de golf. J’aime les vedettes, les bons joueurs, les statistiques, ceux
qui sont au premier plan. Je voulais toujours être au premier plan. – Richard, natation
Ils ont parfois été tenté durant l’enfance d’essayer un sport d’équipe, cédant ainsi comme
plusieurs répondants à la prescription sociale de la pratique d’un sport collectif tel que le
hockey ou le baseball, mais ils en sont vite revenus.
Actuellement, je fais de l’entraînement de musculation, de la course, du sprint et
de l’aviron. J’ai joué au hockey et au baseball quand j’étais très jeune, mais je
trouvais ça plate. J’ai arrêté ça bien vite. – Hervé, aviron
La pratique individuelle représente la liberté pour de nombreux solitaires. Il semble que les
organisations d’équipe imposent des contraintes étouffantes qui déplaisent aux solitaires. La
structure d’équipe les opprime.
Au début, c’était le fun d’être dans une équipe, mais j’ai préféré faire des sports
individuels. Je suis un gars individuel. Je préfère des sports où il n’y pas de
90
contraintes d’organisation. Je ne suis pas très perméable à l’opinion publique.
J’ai été obligé de me former ma propre identité, ma propre opinion. Si moi je
trouve que c’est correct, c’est correct. – Hervé, aviron
Je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne en équipe. Dès que c’est trop structuré,
je ne trouve pas ça intéressant. Aujourd’hui, c’est moi qui choisis les contraintes.
Je fais du jogging pour me rendre au travail. C’est moi qui décide des règles du
jeu. - Pierre, natation
Je n’aimais pas quand c’était trop formel. Quand c’était trop exigeant, moi je voulais aller là pour m’amuser. - Richard, natation
Les solitaires veulent penser par eux-mêmes et ne se laissent pas imposer de valeurs par un
groupe. De plus, ils ne tiennent pas à ce que d'autres partagent les leurs. Ils ne cherchent
pas et ne vivent pas de complicité avec d’autres sportifs au sein d’un groupe, pas plus qu’ils
en sont subordonnés aux valeurs communes d’un groupe sportif, ce qui ne les empêche pas
d'adhérer à d’autres valeurs de la société dans laquelle ils vivent. Ils n’acceptent pas qu’un
groupe contrôle ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Les solitaires ne veulent pas de la contagion et
du partage que l’on retrouve dans les équipes sportives.
10.1.2.1 Pour les solitaires, le sport c’est…
Il semble que le sport, pour les solitaires, revêt une signification personnelle ou intime. Il
serait un moyen de communication avec une seule personne, notamment le père. Le sport
offre donc des moments privilégiés de communication personnelle avec des personnes choisies et non avec un groupe.
Je dirais que c’est un moyen de communiquer avec mon père, de partager quelque chose. J’avais un père qui s’impliquait. –Hervé, aviron
Il peut aussi devenir une démarche transcendante par un dépassement de soi, où le défi
n’est qu’avec soi-même et personne d'autre. Il amène la satisfaction du devoir accompli. Pour
les solitaires, le sport est d’abord une forme de réalisation de soi.
C’est une forme de satisfaction de me sentir capable de le faire. De faire un 20
kilomètres et croire qu’on a réussi à passer au travers cette distance-là. C’est
une forme d’accomplissement. - Victor, tennis
Pour moi, le sport, c’est plus une façon de se dépasser soi-même. – Pierre, natation
Au-delà de cette expérience intérieure et intime, certains répondants retrouvent également
dans la pratique sportive une forme d’assuétude répondant à un besoin.
91
C’est devenu presque un besoin. Je ne me sentirais incapable de décrocher. À
chaque fois que je fais de la natation, je suis complètement ailleurs. – Victor, tennis.
Puis, le sport c’est aussi la relaxation, la liberté et des contentements multiples dont le point
commun est la satisfaction de soi, ou encore, le développement d’un lien particulier avec une
personne.
Pour moi c’est un moment de me retrouver avant tout parce que pour moi, c’est
un moment d’arrêt ou de relâchement aussi. Aussi parce que ça donne une discipline, de l’entraînement et de l’encadrement. –Hervé, aviron
C’est une forme de relaxation, de lassitude, d’abandon. Je me sens entraîné
dans un rythme d’effort que j’aime beaucoup. La sensation de l’effort continu et
prolongé que j’aime. C’est une sorte de liberté, c’est un autre état possible dans
ma vie que j’atteins grâce au sport. - Victor, tennis
Par la discipline et l’encadrement, le sport change la vie du sportif en le coupant de son quotidien en fixant de nouveaux repaires, entre autres. Il devient aussi un mode communication
avec des personnes privilégiées, un moment de partage. Les répondants ont en commun le
fait que la pratique d'un sport leur permet de se détendre du stress de la vie quotidienne. Ils
ont en commun de valoriser la discipline, la tenacité et l’autonomie.
10.1.3
Ce qui distingue les grégaires des solitaires
Pour s’adonner à un sport collectif, le sportif doit posséder certaines caractéristiques qui
vont bien au-delà de la simple envie de pratiquer un sport d’équipe. La pratique d’un sport
de groupe nécessite une inclination pour un mode de socialité altruiste et communautaire.
C’est une société de « fourmis » altruiste au sens durkheimien où seule, une fourmi
n’accomplit que peu de choses, alors qu’en groupe, elles peuvent faire des œuvres magistrales. Pour n’être qu’un, il faut être tous semblables et n’avoir aucun secret. Ce concept de
« tous pour un et un pour tous » est présent dans toutes les dimensions de la vie des grégaires. Les émotions, les valeurs, les comportements sont contagieux. Il faut s’assimiler mutuellement les uns aux autres. La solitude ressentie dans la pratique d’un sport individuel amènerait les grégaires à abandonner la pratique sportive. Le dynamisme de l’équipe et le
contact avec les autres encouragent les grégaires à persévérer. On se demande d’ailleurs si
ce n’est pas davantage la socialité expérimentée dans le sport qui justifie la pratique sportive
que l’intérêt pour le sport lui-même. Les facteurs qui maintiennent les grégaires dans un
sport reposent sur des dynamiques dans lesquelles la socialité est première et surtout déterminante dans leurs choix d’activités sportives. Si ce n’était de la présence des autres, plusieurs grégaires ne s’intéresseraient peut-être pas au sport. En effet, ce n'est pas tant le
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sport qui les intéresse, mais le contact social avec d’autres hommes. Le plus souvent, les
grégaires préfèrent ce que les solitaires aiment moins, mis à part l’assuétude à la pratique
sportive, ce qui permet de dresser le tableau suivant.
Tableau 3. Les profils en comparaison
Profil des grégaires
Profil des solitaires
Socialité altruiste
Le sport et la vie sont totalement unifiés
Recherche la compagnie des autres joueurs
Socialité égoïste
Le sport est un ajout à la vie
Recherche la solitude
« Tous pour un et un pour tous »
Fêtes et après-match (troisième mi-temps)
Tout pour soi-même
Aucune fête, retour à la maison seul
Pense comme les autres
Pense par soi-même
Contagion par les valeurs des autres
Établit ses propres valeurs
Se fond dans le groupe
Se distingue des autres
Travaille au succès de son équipe
Travaille à son succès
Les vedettes sportives sont des équipes
Les vedettes sportives sont des individus
La motivation est sociale
La motivation est personnelle
Abnégation au profit de l’équipe
Pas de concession personnelle
Subordination et complicité
Discipline personnelle, autonomie
Assuétude aux sports
Il y a une grande différence entre le sens que donnent les grégaires au sport et celui que lui
donnent les solitaires. Personnel, intimiste et centré sur soi, le sens que les solitaires donnent au sport est la plupart du temps opposé à celui que lui donnent les grégaires, pour qui
le sport est orienté vers la vie communautaire, le partage, la communication sociale et le
groupe. Cela ne nie pas les significations plus personnelles que le sport peut parfois avoir
pour certains grégaires, mais cela montre quelles sont les priorités de chaque type de sportifs. Ainsi, l’ensemble des motivations, des finalités et des significations que vivent les sportifs et qu'ils donnent à leur pratique respective sera marqué par les caractéristiques de leur
profil d’appartenance.
93
Tableau 4. Le sport, c'est ...
Pour les grégaires
Pour les solitaires
Le fondement du lien social
Il existe d’autres moyens de socialiser
Un moyen d’avoir un contact avec d'au- Peut être un moyen de communiquer avec
tres hommes
une personne notamment le père
Une forme de socialité
Un moment de recueillement
Une forme d’accomplissement de soi dans Une forme d’accomplissement de soi face à
un groupe d’hommes
soi
10.2 Les motivations et les finalités de la pratique sportive
Dans cette partie, sera expliqué comment les motivations dans le choix d’une pratique sportive sont marquées par l’appartenance à un profil type, grégaire ou solitaire, quelle place
prennent les motivations socioculturelles et quelles sont leurs influences sur ce que les jeunes hommes considèrent comme possible de faire ou de ne pas faire dans le domaine sportif.
Viendra ensuite l’analyse de la place du corps comme déterminant de la pratique. Le corps
restreint-il ou ouvre-t-il des possibilités et est-il possible d’étendre ces possibilités ? Enfin,
les sportifs ont-ils d’autres motivations déterminantes ?
10.2.1
Pour les grégaires
Pour connaître ce qui, en bout de ligne, détermine le choix du sport que pratiquent les grégaire et les influences qui orientent ce choix, nous devrons examiner trois grand types de
motivations soit, les prescriptions sociales, les prescriptions du corps et la revanche.
10.2.1.1 Les prescriptions, pressions sociales et sens de soi
C’est très tôt dans la vie que se dessine la carrière sportive du grégaire. De nombreux garçons s’adonnent à la pratique d’un sport de groupe dès l’âge de cinq ans. C’est surtout le
hockey qui attire les garçons.
J’ai commencé à faire du hockey à 5 ans jusqu’à l’âge de 16 ans.- Hervé, aviron.
Comment se fait-il que, « naturellement », les garçons choisissent davantage le hockey que
ne le font les filles, et comment se fait-il que ceux-ci soient autant attirés par ce sport ? Parmi les grégaires, la majorité a commencé par ce sport. Le choix de l’activité sportive est senti
comme quelque chose de spontané et d’instinctif par les répondants.
94
J’ai toujours eu le hockey dans le sang. Bertrand, hockey
Ce qui est perçu comme naturel ne le serait cependant pas. En effet, le choix d’une pratique
sportive n’aurait rien de naturel. L’activité sportive comme telle et les choix de pratiques
sportives particulières procèdent sans doute de l’ordre de l’apprentissage social. Bien que ce
choix puisse être perçu comme naturel ou irrépressible, ce serait en fait les pères, les amis et
le contexte social qui pousseraient un garçon à pratiquer tel ou tel sport.
On dirait que parce que mon père regardait le hockey à la télévision, il m’a donné le goût.- Bertrand, hockey
Une fois dans le jeu, le monde et le soi se transforment. Le garçon devient, le temps d’un
match, quelqu’un d’autre. La pratique sportive amène un changement identitaire valorisant
si « naturel », que peu de répondants remettent en doute leur engouement.
Je ne sais pas ce que j’aimais là-dedans, c’est le genre de question que l’on ne
se pose jamais. Quand on fait du sport, on décroche de tout et totalement. On
devient un joueur de hockey et rien d’autre. On n’est plus le fils d’Untel, le frère
d’Untel, on fait du hockey. On est dans le monde du hockey.- Félix, hockey
Le hockey est partout. Les garçons se retrouvent et jouent spontanément à ce sport dans les
parcs, les rues, les ruelles, les quartiers. Les garçons n’ont pas à se demander s’il sera possible de trouver d’autres garçons pour jouer, ils sont là. Il semble que le hockey et ses adeptes aient un don d’ubiquité.
Quand tu joues au hockey, sur une patinoire à l’extérieur, tu joues avec ceux qui
sont là. Disons que l’on est dix, on met les hockeys dans le centre de la glace, on
sépare les hockeys, puis on joue ensemble. Tu ne joues pas toujours au hockey
avec des amis, c’est normal. Tu joues avec ceux qui sont là. C’étaient des visages connus, des amis de mon frère souvent... – Félix, hockey
Parfois ce sont simplement les lieux de résidence qui favorisent la pratique du hockey, comme la présence d’une patinoire près de la maison.
J’ai commencé à sept ans à faire du hockey. Il y avait une rivière en arrière de
chez nous et quand la glace gelait, on déblayait une bonne partie de la rivière, et
on jouait au hockey. J’aimais ça, mais on ne pouvait pas tout le temps y aller. Je
disais à mon père, « je veux jouer au hockey, je veux jouer au hockey ». – Sylvain,
football
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Le lien avec le père est souvent renforcé par la pratique sportive. Les pères décident et les
garçons suivent. C’est une filiation du père au fils fondant des rituels et établissant aisément
entre les hommes un lien d’appartenance réflexif. L’engagement des parents est important.
Le hockey devient un choix réunissant toute la famille.
Mes deux parents se sont impliqués. Tous mes frères jouent au hockey. Les fins
de semaine, c’est trois parties à chaque jour, trois le vendredi soir, trois le samedi soir, tout le temps, toujours, à chaque jour de la semaine, il y a quelque
chose aussi. Dès qu’il y en a un des deux qui peut. Va me porter, vient, va me
porter, vient… Mes parents m’ont tout le temps suivi. Chaque fois que j’allais
dans les tournois, il y en avait toujours un des deux qui venait. Il restait là toute
la fin de semaine. – Bertrand, hockey
C’est mon père qui m’a inscrit au hockey. Je n’ai pas décidé de jouer au hockey.
Il parrainait des équipes de hockey. Nous étions ensemble. J’ai joué au hockey
jusqu’en secondaire cinq à peu près. C’est une passion pour moi. J’écoute les
matchs à la télé. – Laurent, football
Pour cet autre répondant, le sport d’équipe s’inscrit aussi dans une tradition sociale, familiale et culturelle dans laquelle il développe des liens d’appartenance à un groupe d’hommes.
Il y avait mes cousins qui en faisaient. C’est que tous mes amis jouaient et je
voulais être avec eux. Le père d’un de mes amis était un vrai sportif. Il y avait
juste des gars chez eux. Son père jouait beaucoup au hockey en plus d’être entraîneur de hockey, de baseball. C’est pour ses enfants qu’il le faisait. Il a fondé
des ligues et j’ai embarqué là-dedans, parce que c’était des amis. – Paul, football
Il apparaît donc de plus en plus que l’appartenance au groupe est très importante pour les
joueurs de cette catégorie. Le qualificatif de « grégaire » leur vient de leur irrépressible désir
de se retrouver avec d’autres jeunes hommes. D’ailleurs, la plupart du temps, c’est
l’influence des pairs qui, en bout de ligne, détermine le choix de l'activité sportive.
J’étais avec tous mes amis sportifs, qui jouaient au hockey. – Paul, football
L’ambiance, l’esprit de famille… c’est une famille. À chaque fois que je vais jouer
au hockey, c’est… la gang, la famille… – Laurent, football.
Je n’ai jamais été attiré par les sports individuels, j’aime mieux les sports
d’équipe. Ça apporte plein d’affaires comme la forme, les chums, l’esprit
d’équipe. C’est ça qui est le fun. Le sport d’équipe, c’est plein de monde qui vit
quelque chose ensemble. Ce que j’aime, c’est la confrérie. – Daniel, football
Faute de le pratiquer sur la glace, on le pratique dans la rue, car ce qui compte, c’est de
jouer et d’être avec les autres. En effet, si la glace n’est pas disponible, on modifie le jeu en
conséquence. Les amis, le plaisir et le dépassement de soi sont aussi des thèmes souvent
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évoqués par les grégaires pour motiver la pratique d'un sport, comme en témoigne le répondant suivant.
Le hockey, on dirait que c’est dans nos mœurs, en tout cas dans les miennes.
J’ai commencé très jeune, je jouais beaucoup au hockey bottine, dans la rue,
dans notre entrée de cour avec mes amis. J’ai tellement eu du fun à jouer à ça.
J’ai tellement tripé. Ça évoque tellement des beaux souvenirs. On personnifiait
nos joueurs vedettes. Ça défoulait. – Éric, hockey
Le plus souvent, les grégaires s’identifient aux équipes sportives plutôt qu’à des joueurs particuliers. Cependant, il leur arrive aussi d’admirer des héros sportifs.
Il fallait être dur et se battre tout le temps. Il fallait faire comme dans la ligue nationale où il n’y a aucun respect pour les autres. – Félix, hockey
Un autre répondant témoigne de ce qui l’a poussé à choisir le hockey au début de sa carrière
sportive. Encore une fois, on peut voir que le cadre socioculturel pousse les garçons à la pratique du hockey et offre peu d’alternatives aux garçons.
Le hockey… Sans doute parce que quand tu es ti-cul au Québec, tout le monde
fait du hockey. Tu vas où tout le monde est. Tu vas où les hommes sont. Et c’est
le fun d’être avec tes chums, des gars, tes amis s’en vont faire du hockey, bien
t’embarques parce qu’il faut que tu sois avec eux. C’est un sport que je trouve
super beau, j’adore la vitesse d’exécution, j’adore le côté robuste, j’aime l’esprit
d’équipe. Il y a une espèce de collusion de groupe qui fait qu’on s’en va à la
guerre, je suis un fan de ça, je suis un gagnant, j’aime ça. – André, soccer
Les mots tels que « guerre », « gagnant » de même que « robuste » sont importants et ils sont
souvent utilisés par les répondants qui témoignent de leurs activités sportives. Cela montre
comment ils valorisent un certain modèle de masculinité. Cependant, certains répondants
auraient préféré pratiquer un autre sport que le hockey ou le football. Ils auraient opté pour
un sport plus près de leurs aspirations, mais cela leur semblait impossible à faire sans briser le lien social qui les unissait au groupe des garçons. Les grégaires ne pratiquent pas toujours le sport qu’ils aimeraient personnellement; ils pratiquent le sport qu’il faut pour rester
dans le groupe des garçons. Des répondants racontent.
La seule chose que je regrette, c’est que j’ai toujours voulu faire de la danse, ou
du patinage artistique. J’ai commencé, mais j’ai arrêté, parce qu’à force de se
faire dénigrer par tes chums, tu deviens tout de suite à part du groupe. C’est fatigant, c’est pour ça que j’ai arrêté. Ce n’est pas juste les injures, mais dans le
regard d’autrui, on dirait que tu le sens. Tu le vis, c’est « tasse-toi tapette ». J’ai
toujours été sportif et c’est ce qui faisait que je ne pouvais pas faire un sport fé-
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minin. Quand j’arrivais au hockey, j’étais capable d’être aussi masculin qu’eux.
C’est pour ça que je fais des sports d’équipe. Pour être dans le groupe de gars. –
André, soccer
J’ai fait du patinage et ça me gênait, ça me dérangeait. Je me sentais mal. J’ai
un ami qui en a fait plus longtemps que moi. Il a arrêté parce qu’il se faisait traiter de tapette. – Bertrand, hockey
Le récit du répondant suivant montre encore plus comment l’influence du groupe peut être
prépondérante dans le choix d’un sport et comment ce choix permet de se sentir confirmé
dans sa masculinité. La pratique d’un sport d’équipe, comme le hockey, procure un statut
social particulier et une façon de se mettre en scène.
Ce n’est pas le fait de jouer au hockey comme le fait d’être une gang de 15 ou
20 gars qui sont toujours ensemble qui donne l’impression d’être un « vrai gars ».
Être dans l’équipe de football ou l’équipe de hockey, c’est bien vu. Les fans
viennent nous voir jouer, le monde porte plus intérêt, les amis viennent te voir
jouer, c’est le fun. Je pense que ça aide à rehausser l’estime de soi. Mais c’est
sûr qu’il y a d’autres cas où le gars se fait rejeter par tout le monde, ça va peutêtre faire plus l’effet contraire. Dans ce cas-là, le gars va arrêter de jouer aussi.
Faire des sports, être tout le temps avec ce monde-là, avec la gang, ça aide à te
donner une identité. – Bertrand, hockey
Il est possible de constater que la pratique d’un sport collectif facilite l’entrée dans le monde
social et que même la recherche d’emploi est simplifiée par l’appartenance à un groupe sportif.
Ça [l’équipe] te rapproche gros. C’est une famille. C’est des contacts. Il y a un
gars qui commence à travailler à une place et ça aide à se trouver des jobs. Il
pousse ses chums de l’équipe à travailler avec lui. T’as besoin de soutien, tu vas
le chercher dans l’équipe. C’est tout le temps l’équipe. – Jean, football
L’intégration sociale et la valorisation de soi par le sport d’équipe sont une source de prestige
et de reconnaissance. Les grégaires pratiquent leur sport pour être perçus comme des hommes et se sentir des hommes aux yeux de leur communauté.
Je me tenais avec des gars qui faisaient du sport. On faisait tous un sport. On
était la petite gang qui jouait au football ensemble. Les gens qui me voyaient disaient : c’est lui qui joue au foot ». Ça m’a valorisé. Les gens venaient plus me
voir quand je jouais au football. Les professeurs m’aimaient plus à cause de ça.
Ceux qui n’étaient pas bons, ceux qui avaient plus de difficulté dans les sports
étaient mis à part. Personne ne veut être avec la personne qui est moins bonne
parce que tu veux gagner justement. Le joueur moins bon qui t’empêche de gagner, tu n’en veux pas. – Laurent, football
La pratique d’un sport, et surtout l’appartenance à une équipe sportive, procure un statut
social et une identité de genre qui ne sont pas donnés à tous. En écartant certains garçons
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de la pratique sportive, on les prive de leur identité de genre et, par le fait même, d’une part
de leur statut social. Être admis au sein du groupe sportif confirme le statut d’homme. Autrement dit, les grégaires pratiquent un sport pour se sentir hommes et ils se sentent hommes parce qu’ils pratiquent un sport. Tous n’en sont pas aussi conscients que le répondant
suivant, pour qui le sport d’équipe, le hockey en particulier, est un instrument de développement de son genre.
J’avais envie de devenir vraiment un homme, un vrai. Un homme qui va avoir du
courage, un homme qui va être capable de transformer sa vie en développant
son corps physique. J’ai pratiqué le hockey, mais aussi d’autres sports d’équipe.
J’ai toujours aimé le hockey, mais c’est à partir de l’âge de 15 ans que j’ai eu
une paire de patins. J’ai commencé à m’acheter mon équipement, un petit peu
par-ci, un petit peu par-là, les coudes, les gants, les épaulettes et finalement la
culotte de hockey d’un joueur du Canadien; sa femme me l’avait vendue. Des
culottes de professionnel ! Tout le monde me regardait. Je suis assez équipé en
sport. J’ai même de l’équipement qui ne me sert pas. Je collectionnais les cartes.
– Manu, baseball, hockey
L’acquisition d’objets emblématiques appartenant à des vedettes ou à une équipe semble très
importante pour le répond précédent. Cette collection d'objets lui permettrait de s’approprier
symboliquement les qualités et l’identité d’homme du sportif idéal qu’il admire.
Les grégaires semblent peu intéressés par la pratique de sports individuels. Lorsque les grégaires pratiquent un sport dit solitaire, comme la musculation, c’est qu’ils y sont obligés par
leur entraîneur et, dans ce cas, ils le font à plusieurs. Des grégaires racontent leur expérience.
J’ai joué au basket-ball. J’ai joué au soccer, mais maintenant, je fais un sport rare qui s’appelle le frisbee extrême. Je suis un maniaque. J’étais en fin de carrière au soccer. Si je ne suis pas dans les meilleurs joueurs, ça m’énerve. Il fallait
que je fasse des jeux spectaculaires. Je cherchais un sport où je serais capable
d’avoir des sensations. L’adrénaline que j’ai au frisbee... Aussi je cherchais un
sport où je ne commencerais pas à zéro. Je cherchais un sport où je pourrais être
bon maintenant. – Benoît, frisbee extrême
Je veux faire une différence sur le jeu. J’aime flasher. Je suis vraiment fier de
moi, parce que j’ai fait un beau jeu ou bien de voir l’équipe qui m’applaudit. La
seule motivation que j’ai à pousser mon jeu, c’est juste d’essayer de faire des
jeux plus flashés encore. Le monde me dit que j’ai la tête enflée. Commencer à
zéro, voir le monde qui fait des super beaux jeux puis moi qui traîne la patte à
acquérir les rudiments de base, ça me tannerait, je serais pas capable. – Bertrand, hockey
D’autres expliquent leur façon de voir et de vivre la vie en équipe.
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Une équipe c’est des gens qui se mettent ensemble, qui s’imposent des responsabilités par rapport à l’équipe, et qui ont une façon commune pour aller vers un
but commun. Les conflits me dérangent quand je fais du sport. J’aime sentir
l’équipe derrière moi. Il faut que tout le monde travaille « tous pour un et un pour
tous ». Si je dois faire un sport où je dois le faire tout seul, je ne ferais pas un
sport d’équipe, je vais aller faire un sport individuel. Quand je fais un sport
d’équipe, il faut que je sois avec des coéquipiers, qu’il soit là. – Benoît, frisbee extrême
Ce serait à cause de contraintes particulières qu’un sportif modifie sa pratique. Son choix,
parfois limité, se porte alors sur ce qui est disponible.
Présentement, je fais du vélo. Ça se limite pas mal à ça, mais j’aime d’autres
sports comme le basket-ball, le baseball. Je m’entraînais dans une salle de
conditionnement physique. J’ai arrêté les sports d’équipe parce que j’ai déménagé et il n’y en pas dans mon coin, mais autrement, je ne vois pas pourquoi
j’aurais changé de sport. Jamais je n’aurais pensé faire du vélo tout seul. – Éric,
hockey
Le sportif se contente de ce qui est disponible et, bien que cette manière de faire du sport ne
corresponde pas à ses préférences et qu’il ne l’aurait pas choisie d’emblée, il est obligé, par la
force des choses, de poursuivre seul.
Le contexte socioculturel ne ferait pas qu’influencer les garçons dans leurs choix sportifs, il
prescrirait certains choix. Il existerait donc une véritable prescription sociale obligeant à la
pratique sportive, mais plus encore, une obligation à choisir certains sports. Le sport constituerait aussi une stratégie d’entrée dans la vie sociale soit une forme ritualisée d’interaction
masculinisante souvent perçue comme innée ou instinctive.
Montrant majoritairement des spectacles sportifs masculins, la télévision marquerait de façon importante l’environnement social des jeunes hommes en leur inculquant une véritable
culture sportive masculine (Koivula, 1999; Sabo, Gray et Moore, 2000; Spears et Seydegart,
1996). Cette culture sportive, notamment la culture du hockey est soutenue par les pères,
les frères et les compagnons. Il existe une forte pression sociale qui pousse à la pratique du
hockey. Cela fait partie de la culture sociale (Augustin et Sorbets, 1996; Gagnon, 1996;
Pleau, 2000; Robinson, 1998). Les garçons grégaires, et parfois même les solitaires, même
s’ils pratiquent aujourd’hui un autre sport, ont souvent commencé leur carrière de sportif
par la pratique du hockey. Les garçons se passionnent souvent pour le hockey avant même
de s’y être adonnés. La télévision nationale (Radio-Canada) diffusait depuis sa création tous
les samedis soirs « la soirée du hockey ». Avant la venue de la télévision, elle le faisait à la
radio. Ce spectacle télévisé demeure très important pour la société canadienne, comme on a
pu le constater par le tollé qu’avait soulevé en 2002, l’annonce de l’abandon de la diffusion
100
des matchs par la Société Radio-Canada (site web des archives de Radio-Canada). La crise
fut suffisamment importante pour que la ministre canadienne du Patrimoine intervienne
dans le dossier et oblige Radio-Canada à revenir sur sa décision. Les Québécois, comme tant
de Canadiens, se retrouvent le samedi soir en famille ou entre amis devant le petit écran
pour assister au match de hockey. Qu’une grève des joueurs survienne (comme celle de la
saison 2004-2005) et on assiste à une panique chez les amateurs. La pression sociale et les
rituels liés au hockey sont si forts que l’engouement pour ce sport, parfois nommé fièvre du
hockey, est souvent perçu comme inné et naturel, pour ne pas dire immanent par certains
hommes. Pour les jeunes hommes, la pratique d’un sport — le hockey en particulier — leur
vient spontanément à l’esprit sans qu’ils ne réfléchissent à la question. La chose se fait
d’elle-même, parce que c’est comme ça.
Le sport, notamment le hockey, par l’intermédiaire des médias en autres, dicte les standards
dans la manière agressive et masculine de jouer (Sabo, Gray et Moore, 2000). Les jeunes
sportifs, n’ayant souvent pas d’autres modèles valorisants de masculinité, tentent d’imiter
leurs modèles sportifs. Les témoignages entendus permettraient d’appuyer les écrits de
Smith (1974), qui affirment que les jeunes calquent, dans leur pratique sportive, l’ensemble
des comportements des vedettes qu’ils admirent. Bien que les répondants n’aient pas encore
mentionné la violence, celle-ci fait partie de ce mimétisme rapporté par Smith (1974) et
d’autres auteurs (Bairner, 1999; Curry et Strauss, 1994; Elias, 1976; Messner et Sabo, 1994; Presse canadienne, 2004; Saouter, 2000; Sport illustrated, 2004). On peut penser
que la violence qui a court dans les spectacles sportifs favorise son utilisation par les jeunes
hommes sportifs, même si cela ne leur plaît pas toujours. Les jeunes hommes sportifs font
ce qu’il faut faire pour être dans le groupe et s’y intégrer parfaitement. Leur volonté
d’adhérer à la culture du groupe, notamment par mimétisme, fait partie des caractéristiques
des grégaires.
Le sport peut être un combat pour soi, mais il est surtout, chez les grégaires, un combat
avec le groupe contre un autre groupe. Ici, entrent en scène les comportements altruistes
liés au sacrifice de soi pour la victoire de l’équipe. L’équipe rejette ceux qui ne se sacrifient
pas assez pour le groupe et dont le comportement est jugé responsable de l’échec du groupe
(Dunning, 1986; Dunning et Maguire, 1995; Duret, 1999). Il n’y a pas dans cette dynamique
que le simple sport. Par la pratique d’un sport, on gagne le respect et la reconnaissance sociale ainsi que la construction de son identité et de sa masculinité. Les victoires justifieraient
de facto la présence de chacun (Douglas, 1990; Pronger, 1990; Saouter, 2000; Welzer-Lang,
2002; Welzer-Lang, 1994).
101
Plusieurs grégaires ont grandement besoin d’appartenir au groupe des hommes qui leur ressemblent et à qui ils peuvent ressembler. Ce besoin d’intégration exacerbe sans en avoir l'air
leur désir de conformité au genre. Comme l’ont dit quelques répondants : « Tu vas où […] les
hommes sont. Et c’est le fun d’être avec […] des gars, tes amis s’en vont faire du hockey,
bien t’embarques parce qu’il faut que tu sois avec eux. » (Bertrand, hockey) C’est ainsi que
les grégaires mettraient en place un ensemble de manœuvres leur permettant de maintenir
leur statut à l’intérieur du groupe. La pratique d'un sport particulier — comme le hockey —
peut être l’une de ces manœuvres.
Comment se sentir un homme, ou sentir qu’on le devient, quand tout renvoie l’image
contraire. Les garçons attirés par des activités plus « féminines » se voient contraints à l’exil
social parce que, ce sont des traîtres à la masculinité, des déserteurs du groupe des hommes
(Taywaditep, 2001; Welzer-Lang, 2002; Welzer-Lang, Dutay et Dorais, 1994) comme ce fut le
cas pour Thomas, le patineur artistique. On entend par « activités plus féminines » les sports
classés dans la catégorie esthétique. Ces sports sont en opposition aux sports agonistes,
perçus comme typiquement masculins. La stratégie de Thomas est fort simple : il est revenu
dans le giron de la masculinité dont il était sorti, (en s’adonnant à un sport esthétique) en
jouant au hockey après avoir passé de nombreuses années dans le clan (féminin) des patineurs. Cela lui a permis de se racheter aux yeux des autres et à ses propres yeux, et donc de
récupérer « des points » de masculinité. Les garçons identifiés comme homosexuels parce
qu’ils pratiquent un sport dit féminin devraient-ils, pour se racheter, payer une sorte de rançon à la communauté des hommes ? C’est ainsi que les patineurs artistiques se verraient
« condamnés à l'excellence ». Thomas a dû gagner plusieurs médailles et occuper un « métier
d’homme » avant que ne cessent les injures homophobes. La masculinité serait à prouver et
à démontrer encore davantage selon le sport que le jeune homme pratique. Les garçons ne
seraient donc pas totalement libres de s’engager dans un sport ou un autre de façon purement aléatoire ou en se basant sur leurs seules appétences. Le choix de la pratique d’un
sport s’effectuerait aussi en fonction des règles de la stigmatisation illustrées par Goffman
(1975). Bien que la pression socioculturelle et le désir de maintenir le lien social aient une
grande importance dans le choix d’un sport, cela ne veut pas dire que les garçons font semblant d’aimer les sports qu’ils pratiquent, mais que les choix réels qui s'offrent à eux sont
limités en fonction de leur sexe et de leur désir d’intégration au groupe des hommes. Pour
reprendre les termes heuristiques de Goffman (1973, 1973a, 2002), les rituels sociaux, ici
ceux du sport, permettent une forme de représentation publique et de représentation de soi.
Cela ne fait que montrer davantage comment l’intérêt collectif et individuel pour un sport est
un construit social en fonction du genre et une stratégie d’intégration de la part des acteurs,
construit qui conduit à un choix d’activité sportive déterminé par une prescription sociale.
102
Une nuance s’imposerait cependant dans la socialité des grégaires. Un certain nombre de
ceux-ci qui ont aussi participé à des sports collectifs ilinistes tels que le volley-ball ou le
basket-ball disent que ce sont des sports un peu plus individualistes. Dans ces sports, la
solidarité et l'esprit de corps seraient un peu moins importants et c’est pourquoi ils ont préféré le football ou le hockey. Il n’y a pas d’extrait de propos dans le texte car la nuance était
minime.
Enfin, les grégaires que nous avons rencontrés n’ont changé que très rarement de catégorie
de sport dans leur carrière; que ce soit pour passer d'un sport agoniste à un sport iliniste ou
d’un sport collectif à un sport individuel. Lorsqu’un changement s’effectue, c'est dans des
circonstances très particulières, comme ce fut le cas pour Érick, qui a cessé le hockey pour
le vélo. Le plus souvent, ce changement s’opère à l’intérieur d’une même catégorie. Ainsi, on
peut émettre l’hypothèse qu’un joueur abandonnerait le football pour le rugby ou le basketball pour le volley-ball, mais il serait peu probable qu’un rugbyman s’adonnerait au tennis,
car les motivations à la pratique individuelle et collective seraient si différentes d’un idéaltype à l’autre qu’il serait difficile d’imaginer qu’un tel changement puisse se produire bien qu’il
ne soit pas impossible, bien entendu.
10.2.1.2 L’anatomie et la destinée
Pour répondre aux critères de performance dans leur discipline respective, les grégaires,
comme les autres sportifs, transforment leur corps. C’est ainsi que d’être un fervent sportif
faciliterait les conquêtes amoureuses ou sexuelles. La pratique d’un sport comporterait un
attrait particulier pour les sportifs, car elle leur procurerait des avantages que les non sportifs ne peuvent avoir.
Le fait de pratiquer un sport comme le hockey aide pour les conquêtes amoureuses ou sexuelles, à condition que ça se sache que t’es un sportif ou que ça paraisse dans ton corps, que ce soit évident. C’est clair que tu séduis plus. – Félix,
hockey
Le pouvoir de séduction est très important pour les répondants, que ce pouvoir s’exerce envers les femmes ou les hommes (bien qu’il ne s’agisse pas de séduction sexuelle envers ces
derniers) n’a pas beaucoup d’importance, car leur conformité au modèle idéal de masculinité
leur donne un certain pouvoir et certains avantages que les hommes moins conformes n’ont
pas. Les changements physiques ont aussi une influence sur l’état d’âme, sur la perception
que les sportifs ont de leur statut d’homme. Pour les joueurs, le statut supérieur du sportif
et de son corps va naturellement de soi.
103
C’est plus les filles qui me passent des commentaires. C’est quand même flatteur. Mais, je ne me suis jamais servi de ça pour les filles. J’ai ma blonde, c’est
assez. Tu me vois de même dans la rue, tu ne dirais pas que j’ai l’air d’un
joueur de foot même si j’ai la démarche et la posture d’un sportif. Tu vois dans
un sportif que son corps est plus normal. J’avoue que c’est plus beau. C’est plus
le fun à regarder. On se sent pas mal mieux aussi quand on bouge. C’est aussi
psychologiquement quand tu t’entraînes, tu te sens un autre homme. – Antoine,
football
Selon cet autre répondant, qui n’est pas dupe de ses prétentions ni de celles des sportifs
qu’il connaît, la virilisation du corps et le pouvoir de séduction constituent les motifs essentiels de la pratique de la musculation et du sport.
Être viril, c’est d’avoir l’air sportif. C’est avoir l’air en forme. Il y a tellement de
gars qui s’entraînent en disant que c’est pour la santé ou pour être meilleurs
dans leur sport. La vérité, c’est qu’ils s’entraînent pour aller dans les bars. Je
connais tellement de gars qui s’entraînent juste avant de sortir, juste pour que
les muscles soient encore gonflés. Être en « shape », c’est la demande. Je me
suis fait prendre au piège parce que je ne m’étais jamais entraîné avant de faire
du frisbee. Les entraîneurs m’ont fait un programme. Je prenais du muscle. Je
prenais du poids. J’ai été pris dans l’engrenage, j’aimais ça. Finalement, j’ai tout
réorienté mon programme. Je ne travaillais plus en entraînement pour le sport, je
travaillais en hypertrophie. Dans ce temps-là, je suis allé dans le sud avec mes
parents un petit peu plus tard dans l’année. Il fallait absolument que je gonfle le
plus possible. C’est certain qu’un gars qui s’entraîne, c’est pour ça. C’est un
symbole de virilité d’être musclé. Quand j’arrête de m’entraîner, j’en perds un
peu, ça me fait chier. Je ne peux plus m’en passer. C’est pour le look. Je ne serais pas capable de dire pourquoi, mais il y a le muscle qu’il faut absolument
qu’il soit développé. C’est sûr que les pectoraux, les biceps et les abdominaux,
c’est le plus important. C’est comme les muscles du miroir viril. – Benoît, frisbee
extrême
Pas de doute possible, la musculation sert à viriliser le corps et la virilisation à son tour
permet le renforcement positif de l’identité de genre. Muscles et masculinité semblent donc
aller de pair pour plusieurs répondants. Le répondant suivant dévoile ses rêves et ses préoccupations à propos du corps. Cette fois, l’idéal masculin joint l’utile à l’agréable, pour ne pas
dire au nécessaire.
Le corps, c’est important parce que j’aime tellement le sport. Ça me fait plaisir
d’avoir des muscles, mais j’aimerais en avoir plus, c’est mon rêve. J’aurais aimé
mesurer six pieds trois pour être capable de jouer au volley-ball professionnel,
de percer dans le hockey. Quand tu sais que tu as un certain talent, mais que tu
n’as pas les dimensions physiques, c’est frustrant. Il me faudrait ces capacitéslà. – André, soccer
Du point de vue des performances sportives ou de l’esthétique, la plupart des répondants
ont un corps qui ne correspond pas à leur souhait, à leurs attentes, un état de choses que la
104
musculation permet de changer. Malgré ses nombreux avantages, l'état d'homme comporte
aussi quelques inconvénients mineurs, comme le précise le répondant suivant.
Je n’ai jamais voulu vieillir. Je n’ai jamais voulu avoir de poils, de barbe. Ça me
faisait chier parce que c’est plate te couper ça. Y a-t-il quelque chose de plus absurde que de se faire la barbe ? C’est comme le gazon, c’est des absurdités de
la vie. Pour moi, il n’y avait pas de fierté au premier poil même si j’ai la barbe de
deux jours tout le temps. Je me rase quand ça me tente, ça veut rien dire pour
moi. J’ai un idéal physique. Physiquement, j’aurais aimé ça être imberbe.
J’aurais aimé ça avoir six pieds deux. J’aurais aimé ça être musclé, mais qu’estce que tu veux qu’on fasse ? Avoir une masse musculaire, quand tu veux faire
du hockey, si tu es assez imposant, ça aide. Je trouve ça super beau. J’aime pas
les hommes trop musclés, mais quelqu’un est assez dessiné, j’aime ça. C’est
beau. Probablement que ces images me viennent de la télé, mais oui, j’aimerais
ça être fait comme ça. – André, soccer
Un grégaire raconte comment il a modifié son corps par la musculation afin de satisfaire les
exigences des entraîneurs, exigences qui sont devenues les siennes en fin de compte.
Le but de m’entraîner, c’est de jouer au foot, pour être meilleur au foot, sinon,
moi, je ne le ferais pas si intense que ça. Il y en a qui le font pour être en santé,
moi c’est pour performer. Ce n’est pas le même training du tout. Mon corps
change, évolue. C’est sur la balance, en toute fin, que ça se voit. Je dois prendre
de la masse pour pouvoir être plus pesant quand je rentre dans quelqu’un.
Quand je suis arrivé ici, je pesais 140 livres. C’est pas mal inférieur à la moyenne de l’équipe. Je fais six pieds et un. J’étais maigre. L’entraîneur m’a fait un
programme, j’ai pris 60 livres depuis en deux ans. En saison, je perds une dizaine de livres. Je remonte. Quand je vais avoir 210, je ne vais plus monter. Je
ne garderais pas mes muscles si je ne m’entraînais pas souvent. – Antoine, football
Dans le témoignage suivant, voyons comment s’est faite la transformation du corps. Comme
pour beaucoup d’autres, le répondant suivant a modifié son corps selon les directives de son
entraîneur; l’obligation de prendre du poids s’est imposée à lui.
Il a fallu que je m’entraîne gros, parce qu’avant j’étais tout petit même si c’est
dur à croire. Je mesure 6 pieds 4, mais j’ai déjà pesé 165 livres au lieu de 280.
En secondaire 5, je pesais 185 et depuis mon cégep, je n’arrête pas de monter.
C’était volontaire. C’est comme un régime de vie où il faut que je mange et que je
m’entraîne. Si je veux aller professionnel, il faut que j’aie au moins 300 livres
pour ma position, sans être gras. – Jean, football
Il faut souvent attendre l’adolescence pour voir si le garçon aura le physique pour pratiquer
le sport choisi.
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Je voulais devenir joueur du Canadien. Je vais essayer de monter. Je me suis
mis à m’entraîner, à me défoncer le corps. Je pesais 148 livres. À un moment
donné, je pesais 208 livres. Je m’étais entraîné à manger. Je me suis mis à
m’entraîner en enragé jusqu'à tant que je me défonce les deux genoux et d’avoir
de la misère à marcher ou à monter un escalier. J’avais les cuisses terriblement
larges, les fesses très développées. J’ai arrêté un moment donné parce que je
n’en pouvais plus d’endurer le martyr. – Manu, baseball, hockey
Un autre garçon raconte comment la transformation de son corps est essentielle pour la pratique de son sport.
J’ai travaillé fort parce qu’au départ, je n’étais pas super gros. J’ai travaillé fort,
pour prendre du poids, pour m’entraîner, puis me développer musculairement.
J’ai 62 livres de plus que quand j’ai commencé. C’était volontaire. Je me suis entraîné comme un déchaîné, j’ai mangé, ça n’avait aucun sens. – Daniel, football
Le témoignage suivant raconte comment la croissance qui survient à l’adolescence peut réserver des imprévus et déstabiliser le jeune sportif.
Le seul sport où j’étais bon, c’était le soccer. Au hockey, j’étais vraiment poche.
Je n’étais pas assez gros. En secondaire 2, j’ai eu ma poussée de croissance. Je
faisais cinq pieds et 10 à 145 livres. Je suis passé à six pieds en secondaire 3,
puis à six pieds et trois en secondaire 4. Quand je suis arrivé en secondaire 4,
j’étais vraiment plus grand que les autres. J’étais aussi plus fort que les autres.
Maintenant je fais six pieds et quatre à 205 livres. Je peux faire du football. –
Paul, football
Rendu en secondaire un, j’ai arrêté le sport. Je ne progressais plus. J’étais dans
ma croissance, de 4 à 5 pouces par année. Je n’étais plus capable de pousser la
balle. J’étais tout croche. J’étais plus fort que les autres à un moment donné,
mais je n’avais aucune précision. – Laurent, football
Il semble qu’un joueur très musclé et massif a donc plus de talent qu’un freluquet.
J’ai fait du hockey très tôt; à partir de l’âge de six ans. J’ai poursuivi le hockey
jusqu’au midget. Après j’ai abandonné parce que je n’avais pas le talent, qui fallait. Et en plus, ça commençait à être violent. Ce n’est pas long que tu t’aperçois
que tu ne deviendras pas joueur de hockey. Je n’avais pas le physique pour être
violent comme ça. – Félix, Hockey
Certains ont cependant la chance d’avoir une hérédité qui les avantage dans certaines activités sportives mises en valeur socialement telles que le hockey ou le football.
En secondaire 5, j’ai arrêté de jouer au hockey parce que j’étais en changement
de morphologie… J’ai commencé à prendre plus de poids. Au hockey, il faut que
tu sois agile. Ma morphologie allait mieux au football qu’au hockey. La prise de
poids, c’est arrivé comme ça. Ce n’était pas volontaire. C’est dans mes gènes. –
Laurent, football
106
Son physique le favorise pour le football, mais pas pour d’autres sports tels que le soccer ou
le basket.
Au soccer, cela n’a pas été un gros succès, parce que physiquement, j’étais plus
gros que les autres. Au soccer, il faut courir aller et retour. J’étais en arrière des
autres. Je n’étais pas très bon, j’étais découragé. J’ai joué deux ans, puis je
n’aimais pas ça. – Laurent, football
Il est possible de repousser les limites du corps pour en tirer des avantages, mais certaines
d’entre elles sont difficilement repoussables, comme celles imposées par la maladie (l’asthme
par exemple) ou les handicaps.
J’avais vraiment envie de faire un sport compétitif, mais quand j’étais petit,
j’étais asthmatique assez grave. Je ne pouvais pas m’impliquer dans un sport.
Quand je commençais à courir, je poignais des crises d’asthme. À 14-15 ans, ça
a arrêté. Là, j’étais vraiment actif pour faire des sports. – Benoît, frisbee extrême
J’ai suivi des cours de natation pour apprendre à nager. J’ai arrêté parce que je
faisais de l’asthme. – Sylvain, football
Les sportifs poussent leur corps à la limite du possible.
J’ai fait le football. À ma première partie, je me suis fait démancher. Depuis que
je suis revenu de ma blessure, je suis devenu agressif. J’ai continué au football
pour me défouler. – Sylvain, football
Le football est un jeu d’hommes. Dans l’action, ça se passe tellement vite que tu
ne le sens pas toujours. C’est plus, après, une dizaine de minutes, quand tu retournes chacun de ton côté, c’est là que tu te rends compte que tu as mal en
quelque part. L’adrénaline, c’est plus ou moins dangereux aussi, parce que c’est
après les matchs ou le lendemain matin que les bobos se déclarent. Il faut aller
voir le médecin. – Laurent, football
On se fait mettre des bandages pour éviter les blessures. Ce sont des physiothérapeutes qui s’occupent de ça. – Daniel, football
Le sportif doit savoir distinguer la douleur négligeable (« nécessaire ) de la douleur préoccupante, dont il doit tenir compte.
Il faut différencier la simple douleur d’une blessure. Une petite grafigne, ça fait
mal, mais t’es capable de fonctionner. Si tu te foules la cheville, là tu n’es plus
capable de marcher. L’autre fois, je me suis claqué un muscle et j’ai continué à
jouer et j’ai été trois mois sans pouvoir pratiquer. Il faut être prêt à endurer. –
Jean, football
L’affrontement avec l’incontournable blessure se fait souvent avec le soutien des proches.
Parfois la mère reprend son rôle auprès du sportif redevenu l’enfant. Le désir de carrière et
107
d’avancement ou de reconnaissance sociale passe avant le mal. La douleur provoque un sentiment d’impuissance difficilement supportable.
Je me suis déjà blessé aux chevilles. Je m’étais déchiré le ligament parce que je
n’étais pas tapé [du terme anglais tape, ruban gommé]. C’était l’enfer, une chance que j’ai eu ma mère. J’ai été une semaine immobile. C’est arrivé, je ne pouvais
rien faire. La saison s’en venait. Je capotais, il fallait que je joue. Il fallait que
j’aille me faire reconnaître dans la ligue parce que je voulais être repêché. J’ai
fait quasiment une dépression. Je me suis relevé. C’est l’année où j’ai gagné
mon trophée du meilleur de la ligue. – Daniel, football
L’arrêt du jeu ou de la pratique sportive peut marquer la fin du corps idéal et de l’intégration
du jeune homme au sein de l’équipe. Il n’est pas facile de renoncer et de passer en seconde
zone. La fin de la carrière semble improbable. S’il arrivait que le sportif dût mettre fin à sa
carrière, cela lui en coûterait beaucoup.
C’est arrivé quelques fois dans ma vie que j’ai arrêté de faire du sport. Dans ce
temps-là, je ne suis plus en forme du tout. Je prends du poids et mon cardio est
mauvais. Je monte des escaliers et je m’essouffle. Les deux fois dans ma vie
que j’ai arrêté de faire du sport, j’ai pris du poids. Je n’ai pas le choix. Il faut que
je fasse du sport, ça me fait du bien et j’aime ça en plus. – Éric, hockey
L’augmentation du volume musculaire et de la force est essentielle à la pratique sportive,
mais elle est aussi souhaitée dans une logique unifiant performance, santé et esthétique
corporelle. L’esthétique virile et son pouvoir de séduction sur les autres, les femmes surtout,
sont primordiaux. La musculation est ici l’outil essentiel de cette transformation déontique.
Les sportifs sont conscients de correspondre ou non aux canons de l’esthétique masculine.
Durant les pratiques de football auxquelles nous avons assisté, certains joueurs (toujours
les mêmes) enlevaient leur chandail quand il faisait trop chaud et s’entraînaient torse nu. Il
est possible de remarquer — et cela n’est pas un hasard — que se sont les joueurs qui ont
un corps se rapprochant le plus des canons de la beauté contemporaine qui exposent leurs
pectoraux et leurs abdominaux musclés. Les autres n’ont sans doute pas moins chaud, mais
quelque chose les inciterait à rester vêtus.
Le corps possède un pouvoir essentiel d’attirer à soi les meilleurs éléments (hommes ou
femmes), les plus beaux, les plus virils, les plus riches aussi (Associated Press, 2005 ; Sitter,
1999). Le but est l’atteinte, ou plutôt l’appropriation de la virilité et de la masculinité idéale
et parfaite. La pratique sportive permet de se séduire les uns les autres au sens large. Les
grégaires cherchent à modeler leur corps à l’image de l’idéal masculin et viril. Ils hypertrophient volontiers les muscles visibles comme les pectoraux, les biceps et les abdominaux,
108
mais si ce n’était des exigences de leur entraîneur, ils négligeraient certainement les autres
muscles. Les critères de la masculinité du corps sont historiquement si anciens et ancrés
dans le social que tous ont l’impression qu’ils sont naturels et innés. Le corps est une préoccupation pour tous les joueurs, même amateurs. Les sportifs de haut niveau deviennent des
modèles pour les amateurs non professionnels qui tentent de les imiter jusqu'à un certain
point. En entrevue, un responsable des programmes d’entraînement dans un centre sportif
nous confiait que parmi la clientèle du centre, les hommes demandent des programmes pour
être gros et musclés.
Les grégaires veulent se sentir virils dans leur corps et masculins dans leur être, et le miroir
physique ou social doit le leur confirmer. Les hommes ont de la difficulté à échapper à ce jeu
de miroir, ou mirroring selon Klein A.,(1993), en interaction avec la société. Hétérosexuels ou
homosexuels, ils vont au gymnase pour se viriliser; les premiers pour ne pas avoir l’air gai,
les autres pour se faire pardonner souvent de l’être (Klein, A., 1993; Levine, 1998; Pronger,
1990). Le discours social sur la santé, sur la nécessité de maintenir une bonne condition
physique ou encore sur le fait que l’entraînement est essentiel à l’amélioration des performances sportives ne serait-il qu’un alibi qui masque les motivations réelles des sportifs qui
s’adonnent à la musculation ?
Comme le dit l’adage populaire, il faut souffrir pour être beau. Souffrir jusqu’à la déformation du corps ? Plusieurs des répondants tentent de transformer leur corps pour masculiniser leur façon de penser et se conformer au modèle que l’on attend d’eux socialement. Ce
serait une forme de dictature du genre. En fait, il est possible de penser que ceux qui ne
succombent pas aux impératifs sportifs seront marginalisés. En voulant correspondre aux
normes de la masculinité hégémonique, certains répondants vont jusqu’à la rupture du
corps. En effet, de nombreux répondants iraient jusqu’à la rupture du corps par les blessures sportives, ou, comme l’avait découvert Klein A. (1993), par le surentraînement, les diètes
trop sévères de gavage aux protéines et un culturisme extrême rendant le corps difforme par
trop d’hypertrophie musculaire. Il s’agirait d’une problématique inverse de celle vécue par les
adolescentes anorexiques, une sorte d’anorexie à l’envers. Pour cette transformation, tout
sacrifice serait fait. Le sort du sportif ressemblerait à celui du martyr (Chamalidis, 2000)
sacrifiant tout et même parfois sa vie pour l’accomplissement de son idéal. (Lake, 1989 ;
Montaignac, 2005)
Cela apparaît parfois comme une forme de body modification. La réelle différence entre cette
body modification et celle qu’évoque normalement ce terme (perçage, implant, tatouage…),
c’est qu’elle est faite dans un cadre fortement valorisé par tous les discours sociaux sur la
109
santé. Il s’agit tout de même de transformation du corps, parfois radicale ou extrême (Chamalidis, 2000). En effet, quand un garçon de 5 pieds 10 pouces comme Antoine passe de
140 à 195 livres, le tout en muscle et non en gras, en un an, ce n’est ni une petite affaire ni
une transformation mineure. Le corps, sa taille et ses prouesses potentielles dictent au garçon le type de sport qu’il peut choisir. Chacun peut avoir de grands espoirs, de grands rêves,
mais qui ne pourront se réaliser parce que le milieu sportif impose des critères morphologiques très précis, parfois difficiles à atteindre, auxquels il peut être impossible de répondre.
Les jeunes hommes s’efforcent cependant d’y répondre du mieux qu’ils le peuvent afin de
maximiser leurs chances de concrétiser leurs aspirations.
L’agressivité dans le sport fait partie essentielle du jeu, en particulier au hockey (Bairner,
1999; Melançon, 1978; Presse canadienne, 2004; Sport illustrated, 2004). Pour être d’une
violence « compétitive », il faut avoir une certaine masse musculaire, ce que les sportifs
nomment souvent « talent ». En effet, pour les gens qui ne connaissent pas le milieu sportif,
le talent signifie ou évoque l’adresse et l’habileté d’un sportif au jeu; le plus souvent, il se
mesure par un rapport de la masse à la taille. Au football par exemple, certains joueurs sont
choisis spécifiquement pour leur masse physique imposante et constituent la défense pour
les porteurs de ballon. Au rugby, on les nomme les laboureurs (Saouter, 2000). Ces joueurs
ont du talent pour la défense alors que comme porteurs de ballon, ils n'en auraient aucun.
Autant le physique de nombreux répondants leur a permis de poursuivre leur carrière et
même d’exceller dans certains sports, autant il en a obligé d’autres du même âge à arrêter
ou à changer d’activité sportive. Comme l’avait écrit Thomas Laqueur (1992), l’anatomie fait
la destinée. Les hommes sportifs poussent leur corps à la limite, et cette limite est souvent
marquée par la douleur et les blessures (Curry et Strauss, 1994). Il ne s’agit pas ici du sacrifice de soi, mais bien du sacrifice du corps dans la douleur. C’est le modus operandi de
beaucoup de répondants rencontrés. Parmi les répondants de l’équipe de football, quelquesuns ont été en convalescence et absents du jeu un certain temps à cause de blessures sportives.
Aller voir le médecin ? Bien entendu. Le phénomène ici serait inverse à celui identifié par
Dulac (2001), qui affirmait que la tendance des hommes est de ne pas se faire soigner et
d’attendre. Chez les sportifs rencontrés, c’est le contraire. Ils sont suivis par une équipe de
spécialistes se préoccupant de leur corps, instrument de leur pratique, ou source de leurs
prouesses et objet d’une grande fierté. Autant ils sont durs au jeu, autant ils veillent à bien
se soigner. Le corps doit rester compétitif, les faiblesses ne sont pas possibles. C’est pourquoi les équipes sportives universitaires ou de haut niveau qui ont été observées disposent
110
d’accès faciles et prioritaires à la physiothérapie et à la médecine sportive. Les sportifs ne
maronnent pas sur des listes d’attente, et les coûts des soins sont couverts par les organisations sportives.
Les jeux physiques, la force, la robustesse et l’agressivité, voilà donc les caractéristiques de
la masculinité traditionnelle. La douleur constitue une partie intrinsèque de cette identité et
le jeu sportif constitue le lieu privilégié de l’expression de cette identité. Être un champion
nécessite des sacrifices (Chamalidis, 2000) et une forme d’abnégation.
La complexion du sportif lui imposerait le choix du sport qu’il pratique et dans lequel il veut
exceller. En effet, autant la complexion intrinsèque au sportif lui ouvre certaines possibilités,
autant elle lui en ferme d’autres. C'est pourquoi, afin de le rendre conforme aux normes qui
permettent les performances imposées par leur sport, les grégaires transforment leur corps
par la musculation, l’alimentation et l’entraînement. De plus, les gains esthétiques acquis
par la pratique sportive virilisant le corps sont plus qu’un effet secondaire dû au hasard ; ils
sont aussi souhaités et appréciés dans une pratique corporelle réflexive composant les prescriptions du corps.
10.2.1.3 La revanche
Certains dictats sociaux ou morphologiques motivent les grégaires à pratiquer un sport particulier plutôt qu’un autre. Cependant, certains répondants ne correspondent pas aux critères sociaux ou corporels attendus. Ils se retrouvent alors hors normes et stigmatisés à cause
de leur non-conformité.
Je n’étais pas agressif. À l’école, j’étais toujours plus corpulent que les autres.
Je me faisais tout le temps dire « le gros ». J’étais tanné de me faire écœurer. j’ai
continué au football pour me défouler. – Sylvain, football
Au-delà du défoulement, l’intégration possible à un groupe, l’estime et le respect des autres
permettent parfois de retrouver une estime qui leur manquait. Le sport, en particulier le
sport collectif, devient l’un des fondements du lien social pour de nombreux garçons.
Un sport d’équipe comme le football te rattache à quelque chose. Ça aide à
t’intégrer dans une gang. Au secondaire, il y avait un gros comme moi et quand
il a commencé à jouer au foot, il est devenu la star de l’école. C’est comme ça
que j’ai commencé à faire des sports d’équipe. J’ai pensé que ça pouvait marcher pour moi et ça a marché. – Sylvain, football
111
Un autre répondant a trouvé également dans le football une façon de se valoriser. Cette fois,
à l’opposé du répondant précédent, c’est le manque de poids qui empêchait celui-ci d’avoir
une place respectée dans son groupe social.
Le football, ça me donne la satisfaction que dans la société le monde a peur des
gros. Je travaille dans une place publique. Quand je dis à quelqu’un d’arrêter de
faire de quoi, il va arrêter. Si c’est un petit, il n’arrêtera pas. Ça me donne un
peu de sécurité parce que quand j’étais plus jeune, je me suis fait brasser pas
mal au primaire et au secondaire. Je me suis fait casser la gueule quelques fois
à l’école. En ayant une bonne shape, les jeunes ne te brassent pas, ils te respectent. J’étais le petit gars qui se fait écoeurer par tout le monde. Aujourd’hui, je ne
veux plus que ça arrive. C’est pour ça que je m’entraîne comme un malade. J’ai
changé d’attitude. – Daniel, football
Ce phénomène, qu’il conviendrait de nommer « la revanche du marginalisé », peut permettre
à un laissé-pour-compte sinon de réussir son intégration sociale, du moins d’obtenir le respect de son milieu.
Je me servais de l’entraînement pour avoir l’air plus imposant, pour essayer de
régler mes problèmes. J’étais tanné d’être traité de poule mouillée, de manquer
de courage. J’étais replié sur moi-même. J’étais très maigre et très léger. J’étais
chétif. Je faisais rire de moi. Je me suis rebiffé et je me suis dit que j’allais me
venger de tout ça. Les gars disaient « attention, il pourrait se casser. Dans les
cours d’éducation physique à 16 ans, ça faisait rire tout le monde. – Manu, baseball, hockey
Ce répondant était si ostracisé qu’il ne pouvait pratiquer ni avec d’autres garçons, ni devant
eux. En effet, les garçons mis à l’écart n’ont que peu d’espace social pour se refaire une réputation. Tout va comme si on ne voulait pas qu’ils changent et cessent d’être des « rejets»,
car les jeunes hommes sportifs doivent disposer de contre-exemples, de boucs-émissaires
afin de se conforter dans leur appartenance au groupe des vrais hommes. Par conséquent,
certains d’entre eux décident de s’entraîner la nuit, afin que personne ne les voit. Une fois
qu’ils seront assez bons, ils pourront, pensent-ils, se mesurer aux autres au grand jour,
sans crainte.
J’ai commencé au début à patiner la nuit. J’ai commencé par travailler mon coup
de patin la nuit pour ne pas être vu par personne, pour ne pas être la risée de
personne. Je commençais à me développer. J’ai pris un peu plus d’assurance.
Je n’ai pas lâché. – Marc, football
D’autres enfin se jettent dans l’activité sportive de manière que l’on pourrait qualifier de
compulsive. Ils sont pressés de trouver une place sociale qui leur fait défaut, une estime
d’eux-mêmes et des autres dont ils se sentent privés. De plus, à la différence d’autres
112
joueurs d’équipe qui ont eu le soutien de leur famille ou de leur entourage, certains, comme,
le répondant suivant n’ont pu compter que sur eux-mêmes pour y parvenir.
Je faisais partie d’une équipe de soccer et je pratiquais en enragé. J’avais 9 ans
quand j’ai commencé. J’avais développé mes capacités physiques. J’ai encore la
force dans les jambes, une puissance pour me remorquer, mais je n’ai pas la
dextérité. Je suivais un entraînement spécial. Je voulais être accepté. Je voulais
donner tout. Je voulais vraiment. – Manu, baseball, hockey
Pour un garçon comme Manu, la pratique d’un sport est une occasion importante pour se
fabriquer une identité masculine reconnue. Comme d’autres, ce répondant tente de suivre
une recette qu’il comprend en décodant les messages que lui envoie son environnement social. Il tente de réunir et de s’approprier les ingrédients qui lui font défaut. Il a des doutes
quant à l’authenticité de son personnage, mais ce personnage lui permet de survivre et lui
donne l’assurance qui lui manque pour se sentir en sécurité et, surtout, pour se valoriser. Le
sport permet...
De développer une confiance en moi, de ne pas avoir peur pour quoi que ce soit.
Je suis capable de faire face à la musique ou à quoi que ce soit. Ça prend quand
même une certaine force physique sans être le gars qui a des bras qui n’accotent
plus de chaque côté. J’avais développé plus d’assurance. Quand tu vas t’asseoir
dans l’autobus, tu es plus lourd. Je pouvais défier du regard quelqu’un. Je me
sentais capable de rentrer les gars dans le mur. J’étais plus stable. J’ai même
pris des cours de karaté parce que ça donne une certaine force, puis ça développe la souplesse. Je voyais bien que ce n’était pas moi et que je jouais un genre de personnage. Je jouais un vrai de vrai, un dur de dur, mais j’ai commencé
tard, quand ma personnalité, mon comportement étaient déjà un peu formés. –
Manu, baseball, hockey
Comme on peut le constater, il faudrait avoir l’air lourd et solide, mais pas trop, car dans
notre société, où seules sont reconnues les personnes au corps mince, svelte et sans gras,
tout excès de poids, comme ce fut le cas pour Sylvain, peut contribuer à la stigmatisation.
Au contraire cependant, c’est parfois la maigreur et la délicatesse du corps qui dérangent et
jettent l’opprobre sur les jeunes hommes. Peu de grégaires ont fait du sport dans le seul but
de se venger d’une exclusion sociale liée à la non-conformité de genre. Cela peut s’expliquer
par le simple fait que les garçons « efféminés » ont été d’emblée et très tôt éliminés des sports
collectifs, pour ne pas dire mis hors-jeu, et poussés à la pratique de sports individuels pour
ceux qui ont continué à pratiquer une activité sportive. Après avoir subi une forme de rejet
social, il arrive donc que certains grégaires voient dans la pratique sportive une forme de
revanche qui leur permet de regagner une place dans la société ou d’effacer un stigmate cor-
113
porel. La revanche constituerait une stratégie d'intégration sociale par laquelle le jeune
homme montre à tous sa « vraie » valeur.
C’est comme si le sport devenait une « stratégie de survie », un sport « solution » ou « revanche ». Les garçons se doivent d’être musclés et costauds, et ils doivent se conformer au
modèle hégémonique, sans quoi ils risquent la mise au ban de la société. Parfois le changement physique dû à la pratique sportive amène aussi un changement de mentalité bénéfique pour le jeune homme, dans la mesure où celui-ci retrouve une confiance en lui, une
assurance qui le valorise et le rend heureux, c’est-à-dire que le jeune homme redevient
conforme au modèle de masculinité hégémonique.
La revanche constituerait une source de motivation importante pour de nombreux sportifs.
Certains garçons réussiraient à redorer leur statut social en excellant dans un sport particulier. Ils tourneraient ainsi à leur avantage certains stigmates qui leur avaient d'abord valu
d’être stigmatisés. L’idée de la revanche est très souvent présente lorsque le sentiment
d’avoir été humilié est présent. Humilié parce que le jeune homme ne correspond pas au
standard de la masculinité hégémonique. Il tente alors de prouver, à sa façon, qu’il est le
meilleur et qu’il peut en imposer. Dans les discours des répondants, on peut voir que pour
certains, le fait de se doter d’un corps imposant et d’exceller dans leur sport leur permet
d’avoir leur vengeance. La vengeance comme motivateur de l’action n’est pas à négliger chez
les jeunes hommes car tous les cas de tueries dans les écoles aux USA analysés par Garbarino avaient un seul point en commun, le sentiment d’avoir été humilié et d’imposer maintenant une revanche… à la méthode de John Wayne (Garbarino, 1999; Pollack, 2001; Tremblay, 2007).
En bref, les motivations et les finalités à la pratique sportive des grégaires…
Comment les grégaires en viennent-ils à choisir le ou les sports qu'ils pratiquent ? Le choix
d’un sport ne se fait pas au hasard et toutes les possibilités ne sont pas équivalentes. Le
champ des possibilités se réduit par l’action des prescriptions sociales et des prescriptions
du corps. Les prescriptions sociales constituent ce qui oriente le choix des grégaires au début de leur carrière sportive. Au Québec, le hockey fait à ce point partie de la culture qu’il
est perçu comme immanent. Ce serait donc par le biais d’un sport collectif reproduisant les
valeurs de la masculinité traditionnelle, voire hégémonique, que les jeunes garçons construisent leur genre, excluant en partie certains sports ilinistes, mais surtout esthétiques. En
effet, le jeune garçon doit choisir un sport où il devra réussir et performer, un sport qui exacerbe sa masculinité et sa virilité. Autrement dit, il lui faut choisir un sport qui lui permettra
114
de se construire une identité de genre correspondant aux critères de la masculinité hégémonique par le maintien des piliers de cette masculinité que sont la complicité avec un groupe
d'hommes particuliers, voire avec tous les autres hommes, la marginalisation de ceux qui ne
sont pas conformes au modèle, la subordination à la hiérarchie masculine, la peur du féminin et donc de l’homosexualité, et ce, par le biais d’une pratique corporelle réflexive vécue
comme des prescriptions du corps.
Les prescriptions du corps seraient de deux ordres. D’une part, le corps et sa complexion
limitent les jeunes hommes dans leurs choix. Si les jeunes hommes ne deviennent pas assez
grands, ils ne pourront pas jouer au basket. S’ils ne sont pas assez costauds, les portes du
hockey et du football leur resteront fermées. D’autre part, une fois la pratique d'un sport
établie et la carrière sportive commencée, les grégaires tenteront de transformer leur corps
pour que celui-ci corresponde le plus possible aux critères de la virilité et de la masculinité
en étant le plus performant possible. Les gains esthétiques complémentaires ne sont du reste pas négligés, bien au contraire. Les grégaires seraient conscients du capital de séduction
qu’ils possèdent et travailleraient à le développer davantage. Certains grégaires s’éloignent
même du programme de musculation qui leur est prescrit, attirés par une nouvelle esthétique corporelle maintenant accessible. Ils dépasseraient souvent la mesure et tomberaient
dans une sorte d’assuétude où la recherche de l’augmentation de la masse musculaire est
sans fin, car la conformité au modèle de l'esthétique viril resterait inatteignable. La musculation deviendrait une sorte de body modification sans en porter le nom. Certains grégaires,
durant le temps qu’a duré cette recherche, ont pris 30 ou 40 livres de muscle, ce qui constitue un gain énorme presque 30 % par rapport à leur poids initial. Cependant, à pousser le
corps trop loin, on peut le briser. Les blessures sportives ramènent parfois à la case départ
les jeunes hommes et refroidissent leurs élans. Si l’anatomie fait la destinée (Laqueur, 1992),
s’il est possible de lui forcer la main, il existe cependant une limite qui se rappelle parfois
cruellement aux sportifs.
Enfin, la revanche comme dernier facteur de motivation à la pratique sportive est apparue
comme importante. Certains jeunes hommes qui ne parvenaient pas à répondre aux normes
de la masculinité soit parce qu’ils ont été incapables de réussir dans un sport — soit parce
qu’ils ont échoué lors des rituels sportifs d’entrée dans l’équipe ou encore parce qu’ils n’ont
pu satisfaire aux prescriptions du corps attendu — ont été victimes de marginalisation de la
part des autres hommes, qui soit les ont privés de toute possibilité de complicité, soit les ont
subordonnés aux hommes correspondant aux critères. Autrement dit, ils ont été féminisés.
Ces hommes marginalisés se referaient une place et « vengeraient » leur marginalisation par
la performance sportive. C'est ce qui a été nommé la revanche du chétif, de l'obèse, du timi-
115
de, du marginalisé. Reconquérir une place au sein d'un groupe sportif, et donc des hommes,
leur assurerait la stabilisation de leur masculinité et de leur virilité à leurs yeux et aux yeux
des autres.
10.2.2
Pour les solitaires
10.2.2.1 Les prescriptions sociales ou la vocation solitaire
On peut identifier quatre types de prescriptions sociales qui déterminent le choix d’un sport
chez les solitaires. Les motivations socioculturelles, les motivations parentales, les motivations reliées au prestige identitaire et les motivations reliées à l’orientation sexuelle ou à la
non-conformité de genre.
Les motivations socioculturelles
Les motivations socioculturelles réunissent les motivation qui sont liées au contexte social
ou culturel qui poussent les jeunes hommes à faire certains choix sportifs. Elles sont portées
notamment par les amis, l’entourage, les médias, l’école… L’activité sportive sortirait les solitaires de leur vie courante en leur permettant de se centrer sur une chose extérieure à leur
préoccupation.
C’est comme des états d’énergie plus importants qu’une vie normale. Dans des
situations soit de stress ou autres... Tout d’un coup, ça devient très important au
cours d’un match [tennis], le jeu me prend entièrement. Ça me sort du quotidien.
– Victor, tennis
Comme tant d’autres, de nombreux solitaires ont tenté leur chance au hockey avant de choir
dans un sport individuel.
J’aurais aimé être un bon joueur de hockey. Richard, natation
Si j’avais pu choisir, j’aurais choisi le hockey parce qu’au secondaire, les gars y
jouaient beaucoup. Je fais du sport beaucoup pour afficher ma masculinité dans
le sport, mais c’est le hockey qui est un sport très viril. – Simon, cycliste
Au secondaire, les cours d’éducation physique permettent parfois aux jeunes hommes de
développer des goûts qu’ils ne soupçonnaient pas avoir. La pratique d’un sport permet de
nouer des amitiés et s’inscrit dans des rituels sociaux intégrationnistes en plus de procurer
une forme de satisfaction personnelle qui nourrit l’estime de soi. On peut remarquer, dans le
témoignage suivant, les caractéristiques typiques du solitaire dans le genre de pratique et de
satisfaction qu’apporte le sport. Ce qui compte, ce sont les satisfactions personnelles et interpersonnelles.
116
En secondaire 1, j’ai commencé les cours d’éducation physique. Je me suis rendu compte que j’étais bon à la course. J’avais deux ou trois amis. On courait ensemble. À l’université, j’ai vraiment commencé à m’entraîner d’une façon régulière. La course, c’est une façon de se retrouver. Pour moi, c’est un sport facile à
faire. Je me vide, je me fixe des défis qui sont à moi. Je n’ai pas besoin de le dire à personne. C’est une façon de dépenser le trop-plein d’énergie. – Pierre, natation
Les solitaires, comme les grégaires, ont le souci de s’intégrer au groupe des hommes en utilisant la recette prescrite usuellement aux jeunes hommes soit la pratique du hockey. Il semble que ce type de sport ne cadre pas avec les besoins des solitaires malgré les pressions
exercées sur eux, car l’activité sportive des solitaires ne serait pas intégrée à leur vie comme
c’est le cas pour les grégaires. Elle les sortirait plutôt de leur vie, de leur quotidien au lieu de
se fondre à elle comme c’est le cas pour les grégaires. C'est seul que le solitaire se rend au
gymnase et c’est seul qu’il en revient. Il n’y a pas d’effet de bande, pas de repas communautaires.
Les motivations parentales et familiales
Ce sont les motivations directement amenées par le lien familial surtout par le père, mais
parfois aussi par d’autres membres de la famille. Souvent, l’engouement pour le hockey est
suscité par le milieu social comme on a pu le voir, mais il s’inscrit également dans la tradition familiale; c’est alors souvent le père qui incite ses fils à sa pratique. Le père, parfois idole sportive, constitue un bon promoteur de la masculinité, et ses fils veulent lui ressembler
dans une sorte de filiation de la masculinité.
[Mon père] a joué comme capitaine d’équipe de hockey toute sa vie. Il a été
champion au Québec plusieurs années. Il a fait des tournois internationaux. Un
grand sportif toujours classé international et national. Mon père était toujours le
coach de l’équipe au hockey et baseball, alors j’ai fait tous ces sports. J’ai commencé à jouer à cinq ans. Je me suis rendu jusqu’à provinciale à 13 ou 14 ans.
J’ai commencé assez jeune aussi au tennis à 10 ans. J’ai fait partie de l’équipe
interprovinciale. – Édouard, badminton
Mon père a toujours été sportif. Il a joué au hockey étant jeune. Mon père a toujours été un modèle. J’ai toujours vu mon père s’entraîner. Ce qui fait que moi
aussi très, très jeune, j’ai fait du sport. Mon père a été longtemps mon coach. –
Hervé, aviron
C’est mon père qui m’a vraiment amené vers le sport à 6 ou 7 ans. C’est avec lui
que j’ai pratiqué mes premiers sports. – Richard, natation
De plus, la pratique sportive plus que le hockey permet une forme de communication avec le
père que d’autres activités ne semblent pas favoriser autant.
117
Je dirais que c’est un moyen de communiquer avec mon père, de partager quelque chose. Aussi parce que ça donne une discipline, de l’entraînement et de
l’encadrement. J’avais un père qui s’impliquait. – Hervé, aviron
D’autres enfin ne commencent pas par le hockey. C'est à ce moment que les pères se « retirent » et laissent la place à un autre membre de la famille, comme un oncle ou un frère, qui
deviennent alors déterminants dans le choix d’un sport dans la carrière du jeune solitaire.
J’avais cinq ans quand j’ai commencé la natation. Ce sont mes parents qui m’ont
motivé à ça. Maintenant je fais de la natation et de la course à pied. J’ai fait tous
les cours de natation et mes cours de sauveteur. – Pierre, natation
Mon oncle était professeur de tennis, c’est un très bon joueur. – Richard, natation
Actuellement, c’est la natation que je pratique plusieurs fois par semaine depuis
deux ans. J’ai pratiqué le tennis de compétition étant plus jeune vers 7 ou 8 ans.
J’ai fait du tennis parce que mon frère faisait le tennis déjà. Mon frère est devenu plus tard un modèle pour moi. – Victor, tennis
Le sport deviendrait une sorte de filiation du père au fils, de l’oncle au neveu ou du grand
frère au plus petit, ou sorte de renforcement du lien familial où l’intégration au groupe des
hommes, la subordination au modèle et la complicité avec les autres membres de la gent
masculine permettent au jeune sportif de s’intégrer dans la conformité au rôle de genre.
Le prestige
Tous rêvent de reconnaissance sociale et l’activité sportive pourrait faciliter l’accession à une
forme de prestige comme en témoignent plusieurs répondants, la pratique d'un sport peut
aider à reconstruire le statut social d’un jeune homme.
Je me sentais tassé, sincèrement. Les gars bien populaires, c’étaient ceux qui
étaient très sportifs au secondaire. Les gars qui attiraient beaucoup de filles, les
gars qui parlaient à tout le monde, les gars qui étaient invités dans les partys,
les gars qui avaient l’air cool, c’étaient les sportifs. Je n’étais pas dans cette
gang-là du tout.. – Mario, natation
Les gens me regardent jouer et ils me trouvent bon. Ça m’aide pour mon image.
J’ai besoin de cette valorisation-là. Je sais que l’image que je projette est plus de
la masculinité que de la féminité en faisant du sport. Je me définis beaucoup par
le sport. Quand les gens parlent de moi, ils disent que je suis un sportif. Je fais
des sports pour me valoriser. – Simon, cycliste
J’étais toujours incorporé dans la gang des sportifs, des populaires de l’école.
Les sportifs de l’école sont toujours les plus populaires en plus d’attirer les filles.
C’est comme ça. J’étais toujours un des leaders. J’étais meilleur que le prof.
C’est moi qui donnais les cours de tennis en éducation physique. – Édouard,
badminton
118
Comme le mentionne Douglas (1990), il y a de multiples avantages à être doué pour les
sports, que ce soit en tant que membre d’une équipe de football locale, ou en tant que sportif
individuel. Il y a les avantages pécunièrs, comme la facilité à décrocher des bourses d’études
ou la facilité à se trouver un emploi à temps partiel ou un emploi d’été. La pratique d'un
sport ajoute en prime le succès auprès des filles, ce qui n’est pas à négliger pour ceux qui
sont hétérosexuels ou qui font semblant de l’être. Mais les jeunes hommes restent coincés
dans une dichotomie homme/femme sans issue. En effet, ou ils sont conformes au modèle et
intégrés dans le groupe des hommes, ou ils sont relégués au rang des femmes (et ainsi marginalisés), ce qui amène le sujet de l’orientation sexuelle et de la non-conformité de genre.
La pratique du hockey ou d’un autre sport ne fait pas qu’entourer les joueurs d’un halo de
masculinité, mais aussi de popularité. La pratique d’un sport trace souvent une aura de
prestige autour des jeunes hommes. Exceller dans un sport ajoute au capital social en permettant la correspondance au modèle de la masculinité hégémonique. Ceux qui ne sont pas
« pratiquants » d’aucun sport paient souvent un prix pour leur « abstinence » par la perte du
statut d’homme. Ne pas pratiquer un sport serait comme nier les valeurs socioculturelles, les
valeurs familliales ou renoncer à une forme de prestige social. C’est ainsi que les performances intellectuelles ne procurent pas de reconnaissance sociale aux garçons. Les garçons
sportifs semblent être les plus intégrés. On dirait que la pratique sportive est la recette du
bonheur de l’intégration sociale et de la valorisation personnelle. La pratique sportive soulève
l’admiration et l’appréciation des compagnons et des jeunes sportifs eux-mêmes. Elle aide à
gagner et à maintenir le statut d'homme, tandis que les performances intellectuelles semblent susciter un processus inverse, soit une forme de non conformisme de genre.
L’orientation sexuelle et la non-conformité de genre
Parmi les répondants, un patineur hétérosexuel décrit fort bien la problématique de la pratique d’un sport esthétique, dit « féminin », pour un garçon. Comme beaucoup d’autres répondants, celui-ci voulait pratiquer le hockey, mais des cours de patinage l’ont détourné de sa
« destinée ».
Depuis le primaire, je fais du patin. C’est mes parents qui voulaient. C’était pour
jouer au hockey au début, pour apprendre à patiner. Finalement, ils m’ont envoyé à une compétition où j’ai fini deuxième. – Thomas patineur artistique
Pourtant, aux dires de notre répondant, il est illogique que les hommes homosexuels pratiquent un sport où la majorité des adeptes est constituée de femmes. En effet, les hommes
homosexuels devraient fréquenter des milieux où les hommes sont plus nombreux et non le
119
contraire. Pour les patineurs hétérosexuels, le milieu du patinage serait l’endroit idéal pour
les rencontres intimes.
Il y a des gens qui viennent graviter autour de toi. Évidemment, il y a des filles
aussi. Le patin, on s’entend que c’est un sport de femmes. Il y a beaucoup de
belles filles. Moi une blonde qui durait plus qu’un mois, c’était rare. Mais je n’en
ai pas eu beaucoup non plus parce que j’étais gêné et j’avais le complexe de ne
pas être assez musclé. Depuis que je suis pompier, j’ai beaucoup plus de facilité
de ce côté-là, c’est assez spécial. – Thomas patineur artistique
Les solitaires homosexuels racontent être allés naturellement vers les sports individuels
dans un effort pour tenter de se viriliser et de se masculiniser dans leur corps et dans leur
être.
J’ai commencé à m’observer et à me retenir un peu. Je voulais me changer. Je
pensais que d’être gai ça féminisait. Le sport, c’était pour être mieux dans ma
peau, avoir plus d’endurance. C’est le côté forme physique. – Mario, natation
J’ai arrêté les sports d’équipe parce que je trouvais que c’était trop rude et
j’avais peur de me faire planter et de ne pas être aussi homme que les autres.
J’associais beaucoup le hockey à la virilité. Je voyais les gars sur la glace qui
jouaient avec le langage, le comportement qui était plus rude que moi. J’avais
bien peur d’être traité de tapette comme au baseball parce que le monde voyait
que je faisais des mouvements de fille quand je frappais. Je ne frappais pas
comme un autre gars. Si j’avais été hétéro, j’aurais joué au baseball ou au hockey. Mais j’avais peur de me faire juger et surtout que le monde découvre que
j’étais gai. – Simon, cycliste
On voit que dans les représentations sociales, ici encore, le hockey en tant que sport agoniste collectif serait considéré comme plus masculin. Mais pour jouer au hockey, il faut que les
garçons se sentent à la hauteur de cette masculinité associée à la rudesse, au combat et à la
violence. Certains répondants auraient de la difficulté à répondre aux critères de la masculinité hégémonique. Ils se construiraient avec le sport — la musculation en particulier — un
personnage auquel ils auraient du mal à croire eux-mêmes, mais qui leur ferait néanmoins
du bien et leur procurerait une forme de confiance. Les changements amenés par la musculation modifieraient leur attitude et calmeraient leur insécurité en les confortant dans leur
identité masculine parce que les gains esthétiques que procure la pratique de la musculation
les feraient se rapprocher du modèle hégémonique de masculinité. Non seulement les jeunes
hommes seraient pris au piège de la tension de rôle de genre (GRS), mais ils le seraient aussi
d’une pratique corporelle réflexive (Connell, 2005) n’autorisant qu’un seul aboutissement.
Un jeune homme non conforme au genre masculin ne pourrait pas faire partie de groupes
comme ceux des équipes sportives. Les équipes sportives seraient formées de grégaires dont
la socialité exacerberait la complicité et la subordination, de même que la contagion de la
120
masculinité des uns sur les autres. Dans cette équation de complicité et de contagion, ces
équipes rejetteraient les garçons présumés homosexuels, car non conformes au genre, afin
de ne pas leur être associées et d’éviter toute contamination possible à leur contact. Les garçons non conformes deviendraient des solitaires par la force des choses. En cela, la nonconformité de genre serait une motivation à la pratique de certains sports et pourrait même
en devenir un facteur déterminant. Certains sports ont la réputation, fondée ou non,
d’attirer les garçons homosexuels ou efféminés. Cette croyance serait renforcée par le fait
que ces sports entrent dans la catégorie esthétique plutôt qu’agoniste. Dans les représentations sociales, ce qui est esthétique serait associé au féminin, alors que ce qui est agoniste
serait associé au masculin. D’où la relation fort simple : si un garçon s'intéresse aux sports
(ou à une autre activité) esthétiques, c’est qu’il serait efféminé, donc homosexuel. Le patinage artistique fait partie de ces sports. Il y a fort à parier que, si ce n’était de l’insistance des
parents, les garçons ne pratiqueraient que rarement de sports esthétiques, voire jamais.
Pour les sportifs rencontrés, ceux qui sont homosexuels ou en non-conformité de genre vivraient le rejet ou la peur du rejet s'ils tentaient de s'intégrer dans une équipe. Parmi les
solitaires rencontrés, moins de la moitié étaient homosexuels, alors que chez les grégaires, si
on doit en croire leurs affirmations, nul ne l’était. Il y a, sans nul doute, des grégaires qui
sont homosexuels, mais la crainte d’être identifié, de briser la complicité avec le groupe et la
subordination au modèle accepté de masculinité les confineraient au silence.
10.2.2.2 Les prescriptions du corps
« L’anatomie fait la destinée » tant pour les grégaires que les solitaires, sauf qu’il ne serait
pas question pour ces derniers de forcer la main au destin. Le respect des limites de leur
corps et du « gros bon sens » ainsi que de l'équilibre psychologique passeraient avant
d’autres types de considérations. De nombreux solitaires, tout comme les grégaires, auraient
commencé leur carrière sportive par la pratique du hockey. Ils auraient cependant vite compris qu’ils n’avaient pas le talent15 nécessaire à la réussite dans ce sport.
Quelqu’un qui veut ressembler à Arnold Schwarzenegger, qui est gros comme un
clou, c’est quelqu’un qui souffre d’insécurité avec son identité, son physique.
C’est important de partir de soi et de chercher un sport qui va aider à développer
qui on est et non le contraire. Le bloqueur au football va être malheureux s’il joue
au badminton. C’est sûr qu’un gars qui joue au hockey pis qui mesure 6 pieds 6
a plus de chances qu’on lui demande de se battre. Je n’ai jamais été quelqu’un
qui voulait être monsieur Univers, mais j’ai toujours voulu garder une balance.
J’ai quand même un bon tonus musculaire. Je grossis facilement. C’est juste
15
Rappelons que le « talent » pour les sportifs se confond souvent avec la complexion physique.
121
pour être bien avant tout. J’en connais des gars qui font ça par insécurité. Ils
vont vouloir combler quelque chose. – Hervé, aviron
J’ai commencé ma croissance très tard et je n’étais pas assez gros. Je me sentais mal à l’aise. J’ai joué une année de contact jusqu’à 12 ans. Quand j’ai
commencé à avoir du contact, je n’aimais pas trop me faire plaquer dans la bande. J’ai laissé tomber. – Édouard, badminton
Je fais du sport aussi pour avoir un plus beau corps. Grâce à la course, je ne
deviens pas trop gros. Je sais que si je consacrais autant d’heures au gym que
j’en consacre à la course, mon corps serait beaucoup plus développé. Sauf que,
j’ai plus besoin de me défouler, d’être à l’aise dans mes mouvements que de me
gonfler. L’impact psychologique est beaucoup plus positif que d’aller m’enfermer
dans un gym. – Pierre, natation
L’équilibre entre le psychologique et le physique est important pour les solitaires. On peut
voir chez le répondant suivant que ses motivations sont soutenues par la performance, le
respect des autres et l’esthétique dictés par les contraintes de rôle de la masculinité.
J’en faisais [de la musculation]. Il fallait que je prenne de la masse, il fallait que
je grossisse parce que les gars contre qui je compétitionnais étaient plus imposants. Ça m’a dérangé et complexé longtemps parce que quand tu veux performer, il faut que tu grossisses. C’est important d’avoir l’air mature. Ça m’a complexé envers les filles qui veulent un gars musclé et fort. – Thomas patineur artistique
Plaire aux autres et séduire sont des choses importantes, mais avant de plaire aux autres, il
faut d’abord se plaire à soi-même. Il faut que l’image que renvoie le miroir flatte et renforce
l’estime de soi. Il faut rendre cette image conforme aux critères sociaux de la masculinité.
C’est certain que cela permet en partie de développer la capacité de séduction,
mais aussi l’assurance que ça donne de sentir ses muscles travailler. C’est parce que ça se voit après, à l’extérieur, l’effet durable sur un diamètre de biceps.
Je ne me trouvais pas assez fort physiquement pour progresser au tennis. En
dehors de ça, il y a un côté esthétique. – Victor, tennis
La correspondance aux critères de l'esthétique masculine permettrait aussi d’obtenir plus
facilement un emploi ou encore de faire certains métiers qui ne seraient pas offerts à tous.
Vendre son corps, par exemple, ne comprend pas que le travail du sexe. Il est possible de ne
vendre que son image. Un répondant a ainsi gagné sa vie durant plusieurs années en tant
que mannequin.
Dans une entrevue pour une job, à compétences égales, c’est le gars qui paraît le
mieux qui va avoir la job, c’est sûr. – Édouard, badminton
C'est certain que c’est l’intérieur qui compte, mais le fait d'avoir 32 de bras et de
vouloir être encore plus gros m’a permis d’être mannequin durant bien des années. – Hervé, aviron
122
Pour de nombreux solitaires, le sport apparaîtrait comme un remède universel. L’activité
sportive préviendrait le vieillissement, amènerait un bon équilibre mental, soulagerait le
stress et, dans l’ensemble maintiendrait en bonne santé. Bref, au-delà des gains esthétiques
et des choix d'un sport en fonction des limites ou des possibilités du corps, voici le phénomène du « sport-médicament », panacée contre tout.
C’est très important, ça relâche le stress du travail quotidien. Ça garde le corps
en forme et beau. On se sent bien dans sa peau, on dort bien. Je vois le monde
qui n’est pas en forme et je me demande comment il fait pour supporter le stress
de leur vie. Ils meurent tous d’une crise cardiaque à 40 ans ou du cancer. Le
sport c’est primordial. Un esprit sain dans un corps sain… Je me sens vieillir et
juste le fait que tu es musclé un peu tu parais plus jeune. J’essaie de repousser
ça le plus possible. – Édouard, badminton
Pour me tenir en forme. Je me suis dit à un moment donné que cela serait important que je prenne soin de mon cardiovasculaire, alors je me suis orienté vers la
natation. J’ai tendance à être nerveux. Je me sentais plus en forme et plus détendu en sortant de la piscine. Ça n’a pas pris longtemps que j’ai senti une amélioration de mes capacités physiques. C’est aussi parce que j’avais des problèmes de coordination. Je courrais tout croche et avec mes poumons fragiles, je
me mettais à tousser pendant des heures après l’effort. – Mario, natation
J’ai l’impression que quand je ne fais pas de sport, j’ankylose. Je me sens bien
après avoir fait du sport. Le sport permet d’évacuer et de penser à autre chose.
C’est comme une détente. Je me sens coupable quand je n’en fais pas. Je pense
que ça fait partie de la vie, comme une saine alimentation. – Richard, natation
C’est devenu presque un besoin. Je ne me sentirais incapable de décrocher. À
chaque fois que je fais de la natation, je suis complètement ailleurs. C’est une
sorte de liberté, c’est un autre état possible dans ma vie que j’atteins grâce au
sport. – Victor, tennis
Plus qu’une simple habitude, la pratique sportive deviendrait une assuétude, car les critères
de la masculinité hégémonique ne seraient jamais totalement satisfaits. La masculinité et la
virilité seraient toujours à parfaire et à peaufiner dans un ensemble où la tension de rôle de
genre (GRS) exacerberait les conflits de rôle de genre que les jeunes hommes tenteraient
d’amoindrir par la pratique sportive. Ne disposant pas du halo de masculinité diffusé par
l’appartenance à une équipe, ceux-ci développeraient davantage leur musculature pour satisfaire aux normes de la masculinité hégémonique. La pratique de la musculation deviendrait pour beaucoup de répondants un passage obligé, car avoir un corps musclé permettrait
de séduire, de susciter l’admiration et le respect des autres garçons. Il est vrai que
l’augmentation de la masse musculaire permet d’améliorer les performances athlétiques
dans un sport particulier, mais le gain esthétique que procure la musculation serait plus
qu’important. La musculature serait comme un manteau de masculinité et de virilité que les
solitaires se confectionneraient et commenceraient à porter dès le début de l’adolescence.
123
10.2.2.3 La revanche
Un répondant raconte comment son incapacité à accomplir certaines performances sportives
lui vaut d’être stigmatisé et comment au contraire, selon lui, la réalisation de prouesses
sportives favoriserait l’intégration sociale. Le sport sert ici de mesure et trace la ligne entre
ceux que l’on dira homosexuels et les vrais hommes.
Je me souviens au primaire, je n’étais pas capable de faire des pirouettes. Ça
m’avait complexé. Je me pratiquais chez moi. C’était une certaine façon, moi qui
étais timide, de me valoriser. Je me suis dit, si je suis bon au ballon prisonnier,
je ne serai pas comme les autres, rejetés. Je vais être dans la gang. Les hot de
l’école sont ceux qui sont bons dans les sports, les autres, c’est des fifs. –
Richard, natation
Thomas raconte comment il a été soupçonné d’homosexualité, ostracisé et stigmatisé durant
sa carrière, parce qu’au Québec, pour reprendre ses paroles « le patin c’est un sport de fifs ».
Pour mettre fin à la stigmatisation, il se voit d’une certaine façon « condamné » à racheter sa
« faute » en excellant dans un sport esthétique, donc associé à l’homosexualité. Ses nombreuses médailles ont été une revanche sur le stigmate et sur l’opprobre dont il a été victime.
Quand j’ai fini dans les premiers aux Jeux du Canada, ma photo était dans le
journal. Là, j’étais devenu la vedette. Quand j’ai commencé à réussir, c’est là
que les injures ont arrêté. Je suis pompier maintenant et je ne me fais pas écœurer avec le sport que je fais. Je n’ai jamais fait de folies. Ce qui me poussait à
être le meilleur, à être le top, c’est de gagner la reconnaissance des autres. Je
me faisais écœurer et je me disais qu’en performant, je vais arrêter de me faire
écœurer, les gens vont comprendre. Mais je n’ai pas aimé mon sport avant la
sixième année. J’ai commencé à aimer ça au secondaire, quand j’ai gagné le
premier championnat. – Thomas, patineur artistique
Dans les représentations sociales, le badminton n'est pas un sport aussi masculin que peut
l’être le hockey ou le football. Pourtant, la discrimination envers les hommes homosexuels y
est aussi présente. Il semble que l’organisation d'équipes et de jeux gais permettrait aux jeunes hommes en non-conformité de genre ou homosexuels de continuer la pratique de leur
sport, comme en témoigne le répondant suivant.
Le badminton, c’était toujours mon gros sport. J’ai commencé jeune, à 12 ou 13
ans. J’ai fait les jeux du Québec. J’étais capitaine du badminton au cégep, mais
j’ai dû arrêter quand on a su que j'étais gai. Maintenant je vais aux Jeux gais. –
Édouard, badminton
Un autre répondant raconte que, ne pouvant se trouver de corandonneur à cause de son
homosexualité soupçonnée, les grandes randonnées de vélo se font plutôt seul au début de
sa carrière de cycliste à l’école secondaire. Les entraîneurs se font rares, se désintéressent de
124
lui et lui avouent les vraies raisons de leur refus. Faute d’entraîneur adéquat, les portes de
la compétition lui sont fermées. Il est trop efféminé pour se trouver des commanditaires. Il
persévère cependant et c'est au cégep qu’on lui offre la possibilité de pratiquer son sport avec
des entraîneurs adéquats, sans qu’il ait à craindre d’être agressé ou discriminé, ce que
l’école secondaire ne lui offrait pas.
Je m’entraîne avec les gais depuis plusieurs années. Je suis embarqué dans la
ligue gaie de cyclisme depuis l’âge de 18 ans. – Simon, cycliste
Le sport lui redonne l’estime de lui même que le stigmate de l’homosexualité lui avait enlevée.
Je fais des sports pour me valoriser, parce que je trouve que le fait que je suis
gai et que j’ai été enfermé pendant des années… Je n’ai jamais eu beaucoup
d’estime de moi. J’ai toujours eu très honte de moi. J’ai toujours fait des choses
pour me valoriser à mes yeux et aux yeux des autres. J’ai fait plein de voyages
de vélo dans plusieurs pays, c’était pour montrer au monde ce que je suis capable de faire. Simon, cycliste
Enfant, il avait rêvé de jouer au hockey, comme tant d'autres garçons, mais ceux-ci l’avaient
exclu à cause de sa non-conformité de genre. C’est plus tard, à l’âge adulte, quand il se fut
senti en sécurité dans une équipe gaie, qu’il put enfin jouer au hockey.
J’ai joué au hockey avec des gars adultes et gais quand j’avais à peu près 24
ans. Je n’aurais jamais joint une équipe de gars straights. C’est trop dangereux.
– Simon cycliste
Dangereux, en effet, il sera vu plus loin en quoi les garçons identifiés comme homosexuels
risquent parfois leur vie, sinon leur santé mentale et physique, lors d’activités sportives collectives. La revanche des solitaires en tant que motivation à la pratique sportive serait centrée sur la problématique de l’orientation sexuelle, ce qui différerait des grégaires pour qui
les motivations de revanche seraient plus variées. Cependant, la limite de notre échantillonage impose de rester prudent et de nuancer une telle affirmation.
En bref, les prescriptions sociales ou la vocation du solitaire…
Pour les solitaires, l’activité sportive s'ajoute au quotidien. Elle n'est pas intégrée à la vie de
famille ou à un groupe particulier. Les solitaires vont s’entraîner seuls et reviennent seuls à
la maison. Les pressions socioculturelles les ont tout de même poussés vers le hockey com-
125
me tous les autres garçons de cette recherche. Cependant, l’engouement social pour ce
sport — d’où ils ont parfois été éjectés — n'a pas réussi à développer chez eux un désir de
persévérer. Ils ne connaissent donc pas la complicité masculine si chère aux grégaires et
essentielle aux garçons pour se conformer au modèle de la masculinité hégémonique. Les
solitaires sont, malgré ce manque, subordonnés à ce modèle par la tension de rôle de genre
et vivent les mêmes conflits de rôle de genre que les grégaires.
Plusieurs solitaires, après un essai plus ou moins long et non réussi dans un sport collectif,
se tournent vers un sport solitaire souvent choisi en fonction du père. Par la pratique d’un
sport, les solitaires renforceraient souvent le lien qui les unit à leur père et amélioreraient la
qualité de la communication avec lui. Enfin, si l’initiation ne vient pas du père, c'est un autre personnage masculin de l’entourage du garçon, un frère ou un oncle par exemple, qui
encouragera ce dernier à pratiquer un sport. Pour les solitaires, le sport serait une affaire
d’homme et surtout une affaire de filiation de la masculinité d’un homme vers un autre.
Le corps et sa morphologie ont une importance cruciale dans le choix d'un sport pour les
solitaires. Ils détermineraient le choix des sports qu’il leur sera possible de faire ou non. De
plus, la virilisation du corps est au premier plan chez les solitaires. En effet, c'est par le
sport que les solitaires développent les muscles qui évoquent le plus la masculinité (notamment les pectoraux et les épaules). Cependant, les solitaires demeurent préoccupés par une
forme d’équilibre : un « esprit sain dans un corps sain ». C'est ainsi que naît l’idée du
« sport-médicament ». La pratique sportive guérirait un ensemble de maux, comme la fatigue
ou le stress, ou encore elle retarderait le vieillissement. En cela, la pratique d'un sport peut
servir à guérir une forme d’exclusion sociale ou de privation en devenant une revanche. La
revanche procède de deux phénomènes. Il y a les garçons qui sont considérés d'emblée
comme efféminés, que l’on voit tassés et exclus de la société, et notamment d’activités sportives, surtout collectives, avant même qu’ils n’aient pratiqué quelque sport que ce soit. Parfois
ils sont même privés de certains services auxquels les autres jeunes hommes ont droit,
comme des entraîneurs ou des commanditaires. Puis, il y a les garçons méprisés et féminisés parce qu'ils n’ont pas la capacité d’accomplir les performances sportives attendues.
Viennent enfin ceux que l'on dit homosexuels parce qu’ils pratiquent un sport esthétique. Le
sport agirait également, chez les solitaires, comme une mesure de la masculinité et leur
permettrait parfois de refaire leur image ou leur identité en rachetant leur masculinité. Bien
qu’ils aient pu croire être épargnés dans un premier temps, les solitaires sont eux aussi
contraints de se conformer aux règles et aux normes de la masculinité hégémonique, de la
tension au rôle de genre et ils vivraient aussi le conflit de rôle de genre.
126
10.2.3
Pour résumer les motivations des grégaires et des solitaires
Tableau 5. Comparaison des motivations à la pratique sportive des grégaires et des solitaires
Grégaires
Solitaires
Le sport est imbriqué dans le quotidien
Le sport fait sortir du quotidien
Masculinisation par contagion du groupe
Masculinisation par soi-même
Filiation père/fils peu importante
Filiation père/fils très importante
Motivations orientées vers le groupe
Motivations orientées vers soi
Groupe d’appartenance
Pas de groupe d’appartenance
Absence de garçons non conformes
en genre
Rejettent le féminin hors du groupe
Présence de garçons non conformes
en genre
Rejettent le féminin hors de soi
Revanche de stigmates divers
Revanche sur les stigmates liés
à la non-conformité de genre
Complicité explicite avec un groupe
Complicité possible avec un homme
sportif
significatif
Prestige social
Conformité à la masculinité hégémonique
Conflit de rôle de genre (gender role conflict)
Tension au rôle de genre (gender role strain)
L’anatomie fait la destinée
Sport au centre d’une pratique corporelle réflexive (self body practice),
gain esthétique, virilisation, séduction
Les grégaires sont différents des solitaires sur un certain nombre de points, notamment la
place du sport dans la vie quotidienne, la filiation avec le père, l’orientation des motivations
à la pratique sportive vers soi ou vers le groupe, l’appartenance à un groupe d’hommes et la
complicité. Ils sont cependant semblables pour de nombreux autres points, bien que parfois
la similitude s’exprime en nuances diverses. Il en va ainsi de la peur du féminin qui, chez les
grégaires s’exprime entre autres par le rejet des garçons efféminés de leur groupe alors que
plusieurs solitaires se croyant efféminés, vont tenter, par le sport, de rejeter leur « féminité »
en se virilisant et se masculinisant. De même, la revanche est présente chez les deux groupes, mais alors qu’elle constitue une réponse à divers stigmates chez les grégaires, elle constitue une réponse à un seul stigmate chez les solitaires. Enfin, les grégaires et les solitaires
127
sont identiques quant au prestige lié à la pratique sportive. Celle-ci leur donne un statut
particulier, facilitant, entre autres, la recherche d’emploi et procurant un halo de masculinité. Ils sont identiques également quant à la conformité au modèle de masculinité hégémonique, à la tension au rôle de genre, au conflit de rôle de genre et à la pratique corporelle réflexive où le corps est au centre de la réussite ou de l’échec à la pratique d’un sport et au
statut de genre du jeune sportif. L’anatomie ouvre des possibilités et en ferme d’autres. La
musculation repousse les frontières qu’impose le corps en forçant la destinée. Elle apporte
bien plus que le soutien à la pratique du sport, notamment des gains esthétiques virilisants.
Effet collatéral important de la pratique sportive, la virilisation devient parfois une motivation de premier plan, surtout pour les solitaires qui, contrairement aux grégaires, n’ont pas
de groupe d'appartenance pour renforcer par contagion et complicité, leur genre pour le rendre conforme au modèle hégémonique de masculinité. La pratique sportive, tant pour les
grégaires que pour les solitaires, contribue à renforcer l'appartenance au genre de masculinité hégémonique même si certaines nuances dans celle-ci semblent, de prime abord,
s’exprimer de façon contradictoire.
10.3 Les rituels sportifs
Les rituels sportifs sont multiples. Certains se déroulent au vu et au su de tous sur le terrain. D’autres s’actualisent dans l’intimité et par la complicité des joueurs, intimité bien personnelle chez les solitaires ou intimité collective chez les grégaires. Ces rituels se pratiquent
dans des lieux importants pour les sportifs, notamment le vestiaire. C’est pourquoi, pour les
comprendre, il faut commencer par analyser le sens que revêtent les vestiaires pour les sportifs. Une fois terminée l’analyse des lieux où se déroulent les rituels sportifs, nous analyserons les rituels comme tels.
10.3.1.1 Le vestiaire utilitaire des grégaires
Strictement parlant, le vestiaire est un endroit où l’on change de vêtements pour faire une
activité particulière. C’est ainsi que certains répondants le voient. Cependant, il existe des
sports où le vestiaire possède une autre fonction : une vie particulière lui est associée. Dans
les sports collectifs agonistes (football, hockey, baseball, etc.), cette vie de vestiaire serait
plus intense que dans les sports collectifs ilinistes (soccer, volley-ball, basket-ball, etc.). C’est
ce que racontent certains répondants, dont les jeunes sportifs suivants pour qui il existe des
sports de vestiaires.
Je n’ai jamais fait de sport de vestiaire comme le hockey, j’ai fait du soccer. Le
vestiaire, c’est un endroit où tu vas avant la partie. L’entraîneur fait son dictateur, tu fais ta partie, après chaque période, tu reviens toujours dans le vestiaire.
128
Tandis qu’au soccer, des fois, on avait à peine le temps d’enlever nos souliers,
puis on arrivait au jeu. Ce n’est pas la même mentalité du tout. – Benoît, frisbee
extrême
Le répondant suivant constate comment l’organisation de l’espace dans les lieux publics
diffère selon que celle-ci vise les hommes ou les femmes. De plus, il explique sa compréhension de cette différence dans les lieux et les rituels.
Mettons, j’arrive aux toilettes et il y a déjà du monde. Je m’organise pour être à
l’écart. C’est ma bulle. Je veux respecter la bulle des autres aussi. C’est différent les filles et les gars. Les gars prennent leur douche ensemble. Tu vois tout
le temps ça dans le vestiaire des écoles. Chez les gars, les douches sont toutes
collées. Il n’y a pas de séparations. Chez les filles, c’est le contraire. Elles ont
des rideaux. Les gars vont pisser un à côté de l’autre. Les gars ne sont pas censés être pudiques. Moi, je suis pudique. Même si ce n’est pas tellement viril. –
Érick, hockey
Un autre raconte sa gestion de l’espace intime.
Dans une douche, tu te ramasses quatre. Il n’y a plus de place, t’es écœuré, t’as
frette. Il y en a un qui se lave, puis il y en a un qui va en dessous de l’eau. Tu te
tasses, l’autre se rince, tu te savonnes, ça rit, mais on essaie d’éviter les
contacts. Ça ne m’intéresse pas de me frotter les fesses sur un autre, mais c’est
souvent ce qui arrive. – Bertrand, hockey
Pourtant, pour certains répondants, il ne se passe aux vestiaires rien de particulier, de spectaculaire ou de palpitant. En fait, rien qui justifie qu’on en parle, même si d’aucuns conviennent que la disposition des lieux favorise certaines interactions. De plus, il existerait une
certaine hiérarchie du savoir-vivre, de conduites et de niveau intellectuel dans le vestiaire,
selon le sport pratiqué.
Les vestiaires, ce n’est pas ce que l’on pense. Les gens peuvent penser que c’est
bien spectaculaire. Au hockey, ce l’est un peu plus parce que la forme de la
chambre est faite de façon à ce que tout le monde se voit. Il n’y a rien dans le milieu, tout le monde est assis dans un genre de carré où il y a tous les gars dans
la même conversation. Tandis qu’au football, la chambre est faite en rangées. Ça
fait des groupes de 10 à 15 gars. Nous ne sommes pas 70 autour d’un même
rond à se parler en même temps. Au hockey, il y a plus de conversations de
bars, de vulgarité, des choses de filles, des affaires comme ça. Au football, il y
en a, mais ce n’est pas autant. Pourtant, c’est les mêmes gars qui ont joué au
hockey avant. C’est plus scolaire, on parle d’autres choses. On parle de nos
études… À comparer des niaiseries qui se disaient au hockey. Dans le vestiaire,
tu peux tout faire ou tout dire. Il n’y a pas de choses à ne pas faire. – Laurent,
football
129
Cet autre répondant nie les préjugés autour des activités de vestiaires. Il voit dans le vestiaire un aspect purement fonctionnel.
Les histoires de vestiaires, ce n’est pas vraiment vrai. On se ramasse là pour se
changer avant les pratiques. C’est comme la place sociale. À certains endroits, le
vestiaire est barré. On a un code pour rentrer. Ici, on a accès au vestiaire tout le
temps. C’est une place sûre. On rentre, on met nos affaires, on a notre case. Tu
peux mettre tout ce que tu veux. Les vols, c’est très rare. Je sais que le monde va
m’emprunter ma corde à danser ou une serviette, mais je sais qu’il va la remettre là après. J’ai vu des gars se pisser dessus au cégep et c’est tout. C’est arrivé
ici des fois, mais c’est rare. Ce n’est pas toléré. Le monde se fait du fun, il joue
au hockey, ça se lance le ballon. Entre nous, on fait des blagues. – Jean, football
Encore un autre qui n’y voit que la fonction utilitaire, à la limite presque « ennuyante ». Il
considère lui aussi que certains sports sont plus propices aux activités lubriques.
Dans les vestiaires, il ne se passe pas grand-chose. Le monde s’imagine juste
des choses. Il n’y a rien, c’est une place comme une autre. Les gars y échangent
des propos, des sujets. Les gars, quand c’est ensemble, c’est des sujets de filles. On parle de football, on parle de n’importe quoi. Je dirais que l’on ne parle
pas tant que ça de sport étant donné que l’on va jouer... On essaie de se changer les idées un peu parce qu’à un moment donné, on est comme des robots.
Quatre heures et demie sur le terrain, tu te changes avant, t’arrives sur le terrain, tu fais ton réchauffement... Les affaires de cul, c’est des affaires de joueur
de hockey. Je n’aime pas les joueurs de hockey. Ça ne m’est jamais arrivé de
partir et pisser sur quelqu’un. C’est manquer de respect. – Daniel, football
De plus, dans sa dimension utilitaire, le vestiaire en tant que lieu, favorise le règlement des
différends en famille, à l’abri des regards extérieurs.
Des fois, dans le vestiaire, il y a des petites altercations. Ils n’en viennent pas
aux coups, c’est rare. Ce n’est pas le fun pour tout le monde. Paul, football
Il y a des problèmes qui se règlent, mais on prend notre douche et si on a des affaires à se dire, on se les dit. – Sylvain, football
Pour ces autres répondants, le vestiaire est le lieu de préparation pour la pratique ou le
match, le lieu de l’union de l’équipe, le lieu où l’entraîneur motive ses troupes.
On va dans la chambre, on s’habille tranquillement pendant une demi-heure.
T’es souvent assis à côté du même monde, tes bons amis sont autour de toi.
L’entraîneur arrive, il entre dans la chambre et il fait son sermon, le plan de
match. Il pompe les gars et on va jouer. En revenant, l’entraîneur parle de tout,
ça dépend s’il est en maudit, il peut kiker des poubelles. – Bertrand, hockey
Avant un match, il n’y a aucune discussion. Les gars sont dans leur bulle, ils ont
des walkmans. – Antoine, football
Le vestiaire est un lieu d’union. C’est une circonstance sportive. Le vestiaire est
un lieu de transformation des gars pour faire le match. On se donne l’accolade
130
tous ensemble pour entrer l’énergie. C’est les derniers mots de l’entraîneur, c’est
là que l’on voit rouge, c’est là qu’on met le masque. – Didier, rugby
Il est possible de penser, comme l’ont soulevé certains, dont le répondant Benoît, que la disposition des installations du vestiaire influence les interactions sociales et, à long terme, les
mentalités. L’architecture des lieux faciliterait ainsi les regards, parfois les contacts et même
l’exhibitionnisme. La culture attendrait des garçons qu’ils ne soient pas pudiques (Kibby et
Costello, 1999). La plupart des douches collectives dans les vestiaires des hommes n’ont pas
de rideau ou de section qui permettent une forme de discrétion quelconque. De même, la
disposition des cases ne favoriserait pas l’intimité. Les urinoirs en rangées, sans panneau de
séparation — contrairement à ceux qui ont été installés dans les toilettes publiques au Québec depuis un certain temps —, ne laissent pas d’espace privé, « à la bulle » disent certains
répondants. Tout cet agencement fait en sorte que les organes génitaux des hommes sont
constamment exposés aux autres hommes dans les vestiaires, les douches et les toilettes
publiques.
La pudeur serait une affaire de filles (Belotti, 1974) comme le dit le répondant Éric. Les lieux
communs et leur architecture obligeraient l’acteur social à modeler ses comportements
conformément à une certaine attitude qu’il faudrait avoir selon le genre auquel on appartient
(Goffman, 2002). Pour confirmer les propos des répondants, nous avons consulté un architecte spécialisé dans la construction d’installations sportives. Ce dernier nous a confirmé
qu’en effet, l'architecture des vestiaires varie selon la clientèle qui se servira des lieux. Dans
les vestiaires prévus pour les femmes, l’espace est plus souvent organisé de façon à préserver l’intimité, ce qui n'est pas le cas pour les espaces réservés aux hommes. Nous pouvons
avancer, comme Goffmann (2003), que les lieux tels que les toilettes et les vestiaires réservés
aux hommes ou aux femmes ne sont pas là à la suite d’une constatation d’une différence des
genres, mais au contraire pour la construire, la confirmer et l’affirmer, car les hommes qui
fréquentent les vestiaires et les toilettes doivent s’adapter aux lieux et développer des stratégies et des rituels en fonction de ceux-ci. Autrement dit, ce ne sont pas les lieux que l’on
adapte aux hommes ou aux femmes, ce sont les hommes et les femmes qui modèlent et
adaptent leur comportement en fonction des lieux que l’on met à leur disposition. Pour ce
faire, ils inventeraient donc des comportements, des rituels et des attitudes en fonction des
lieux particuliers dont ils disposent.
10.3.1.2 Le vestiaire, lieu de la tribu
Pour la plupart des joueurs, le vestiaire est plus qu’un lieu utilitaire. C’est un endroit où il se
passe toutes sortes d’activités et d’événements qui contribuent à en faire un milieu de vie.
131
Les témoignages suivants résument bien comment les répondants voient le vestiaire et le
climat qui y règne. Le vestiaire permettrait aux hommes de se retrouver entre eux, dans une
complicité que seule permet la non-mixité.
Dans le vestiaire, il arrive toutes sortes de choses. Ça peut être sexuel, ça peut
être de la violence, ça peut être du non-respect des autres. Il y a des commentaires qui se font, sur les gais, sur les femmes... On va parler de femmes entre
hommes comme on va aller aux danseuses boire une bière, juste entre gars. On
va dire des vraies affaires de gars que l’on ne se permettrait pas quand les filles
sont là. Je trouve ça un peu primate. – Éric, hockey
Il y a plus de 60 gars ensemble, ce n’est pas toujours pour les jeunes filles.
Pendant les pratiques, c’est une chose, pendant les matchs, c’est autre chose.
Durant les matchs, c’est sérieux. Il va y avoir des blagues, de la musique. Il y a
des commentaires à caractère sexuel c’est certain. Les gars vont conter leurs
aventures sexuelles. Les gars vont parler de certaines filles. Il n’y a pas de tabous dans une salle de football. Il y a des gars qui n’ont pas de classe. Il devrait
y avoir une limite quelque part. – Marc, football
D’autres, cependant, nuancent un peu « le caractère primate », comme l’avait dit un répondant précédent.
Les gars ont vieilli, ce n’est plus des enfants, c’est rendu des adultes. Ce n’est
pas vraiment vulgaire comme discussion. C’est plus un mythe. Il y en a comme
dans tous les domaines, ça doit arriver avec les policiers ou les pompiers aussi.
– Antoine, football
Bien que cela ne fasse pas l’unanimité, la plupart des répondants sont d’avis que le niveau
intellectuel qui règne dans la « chambre des joueurs » ou dans d’autres types de fratries serait plutôt bas. C’est un peu comme si le niveau intellectuel baisse à mesure que la culture
de groupe augmentait.
Dans la chambre [au hockey] c’est plus des niaiseries qui se disent. Il y a 15
gars, tu prends le quotient intellectuel du moins intelligent, tu le divises par le
nombre de personnes. Ça donne la hauteur des discussions. – Bertrand, hockey
C’est toujours la même affaire dans les vestiaires. Ça ne vole pas haut. – Éric,
hockey
Dans les vestiaires, les sportifs discutent de sujets touchant la sexualité. Le sujet de leurs
organes génitaux se retrouve souvent au centre des conversations des garçons. La comparaison des attributs sexuels constituerait une bonne part des conversations. Les discussions
tournent aussi autour de leurs relations avec les femmes. Pour les répondants, la masculinité se mesurerait souvent à la grosseur du pénis ou aux performances de celui-ci, ce qui reviendrait parfois au même.
132
Dans les vestiaires, il y a tout le temps les commentaires typiques, les jokes de
gars plates sur la grosseur de ta queue. Les gars se comparent. Moi, je ne regarde pas. Des fois, ça nous tombe dans la face, c’est correct. On le voit que tel
ou tel en a une grosse, mais je ne commencerai pas à faire des commentaires. –
Éric, hockey
Les gars dans le vestiaire, ils font des blagues sur le pénis. S’il y en a un qui a
un plus gros pénis, les gars vont dire « On sait bien pourquoi ta blonde est avec
toi ». Ou selon l’allure des testicules, ils vont lui donner un nom. Mais ça reste
toujours dans la chambre de hockey. Les blagues qui se font dans la chambre
restent dans la chambre. Puis nos blondes ne sont pas au courant de rien. –
André, soccer
Il y a un caractère secret, une sorte de complicité dans les activités de vestiaires. Ces activités doivent rester circonscrites à ces lieux. Le manque de respect envers les femmes, la leur
en particulier, en dérange certains.
On parle de femmes, c’est vraiment n’importe quoi. Mais sérieusement, c’est
mieux qu’au collégial. – Antoine, football
Il y en a qui parlent de leur blonde d’une drôle de façon. Ils manquent beaucoup
de respect envers leur blonde. Des fois, tu te demandes, s’ils ne parlent pas
comme ça pour faire in. Quand un gars parle comme ça, c’est un manque de maturité. – Félix, hockey
Les arcanes du vestiaire procurent une forme de puissance à la fratrie sportive, une forme de
complicité qui augmente la force de la reliance (Bol de Balle, 1985, 1996) entre les hommes,
fratrie qui, autrement, n’aurait pas tant d’emprise. Révéler au monde profane tout ce qui s’y
passe pourrait amoindrir la puissance des rituels ou jeter un doute quant à la véritable
orientation sexuelle des sportifs.
Compte tenu du caractère hétérocentré et phalocentré de leurs commentaires, on peut croire
que les sportifs présument de l’hétérosexualité de tous les membres de leur équipe, mais
aussi de l'infériorité de tout ce qui ne leur ressemble pas (femmes et hommes non conformes
au modèle dominant). Cela se comprend par le type de conversations que les joueurs tiennent à propos des femmes et des homosexuels absents. Le vestiaire serait, comme l’avait
montré Curry (2002), un lieu d’apprentissage du mépris envers les « hommes qui ne sont pas
comme ils le devraient » et envers l’autre sexe. Il serait aussi une maison des hommes où se
fait une part de l’apprentissage de la masculinité, comme l’avait proposé Welzer-Lang (1994).
10.3.1.3 Le vestiaire, lieu de la kermesse
Les répondants de cette recherche ont aussi une vie sociale dans les vestiaires ou à ce qui en
tient lieu très festive durant la troisième mi-temps. L’alcool semble y jouer un rôle important.
133
Après chaque pratique, il y a un party dans la chambre. Il y a de la musique,
tout le monde danse, le monde niaise pour avoir du fun. Tout le monde se parle,
tout le monde rit. Il y a de l’ambiance. Souvent, on va se vanter des bons coups,
des mauvais coups. Ils vont se gosser. C’est super, les gars sont drôles. –
Antoine, football
La bière est l’alcool de prédilection pour ce genre d’événement.
C’est surtout pour la bière après. On passe plus de temps après le match, que
durant le match. Je n’embarquerais pas dans une équipe où on quitte la place
après le match. Je n’aurais pas autant de plaisir à jouer au hockey. C’est surtout pour ne pas perdre mes chums. – Félix, hockey
Le match et l’après-match seraient intriqués dans un tout indémaillable. Le répondant suivant le souligne fort bien quand il dit que « les gars tripent sur la bière » que « c’est un rituel » en plus d’une tradition. Aux dires de certains répondants, l’alcool adoucirait, comme la
musique, les relations entre les hommes, en excluant les très connues batailles de « gars
saouls », bien entendu ! C'est du moins ce que le répondant suivant semble laisser entendre.
On est douze ou treize joueurs. On apporte une caisse de 24 et une [caisse de]
douze. Les gars sont habitués de boire beaucoup. À l’adolescence, ils sortaient.
On passe du temps dans la chambre après. Ça passe par la bière. Il y a un besoin de bière. Les gars tripent sur la bière. Ça fait partie d’un rituel qu’ils ont
depuis longtemps. Ça allège l’atmosphère, puis les gars sont plus parlables. Ça
fait partie du jeu « décroche ». Les gars ne sont pas saouls avec deux ou trois
bières chacun. Si c’était interdit d’avoir de la bière dans le vestiaire, on sortirait
dans un bar. L’alcool allège l’atmosphère. On déconne plus. Ça prend ça pour
que les gars se sentent mieux ensemble. – Félix, hockey
Ce ne sont pas tous les joueurs qui disposent d’un vestiaire désigné où se réunir avant et
après le match. Comme le mentionne le répondant précédent, les sportifs investissent un
autre lieu, qui serait une sorte de rallonge du vestiaire, pour accomplir le rituel de la kermesse. D'ailleurs, la structure des institutions où se pratiquent les sports a prévu une réponse à ce besoin. Chaque centre sportif fréquenté par les répondants de cette étude disposait d’un pub, d’un bar ou d’une salle prévue pour la troisième mi-temps. La kermesse, qui
célèbre la victoire ou console dans la défaite, peut donc avoir lieu à proximité du lieu de pratique sans que les sportifs aient à chercher un endroit de réunion.
Après la partie, on va souvent prendre une bière. Je peux aller parler des bons
coups. Quand on vient jouer au centre, on a une bière gratis après le match, au
pub de la place. C’est toujours le fun. Quand je vais là, il faut que je parle du
match. Je suis encore dedans. Quand je m’en vais au pub, je suis toujours heureux. Un match sportif, c’est 50 % jouer la partie et 50 % en parler après. Il y a
une grosse vie sociale là-dedans. – Benoît, frisbee extrême
134
Comme au théâtre, où faire la fête les soirs de première avant de rentrer chez soi, permet
une transition entre l’euphorie vécue et le retour au quotidien, les troisièmes mi-temps permettent le retour vers la vie « normale » en assurant la transition de l’intensité du match vers
la tranquillité de la vie quotidienne. Les joueurs doivent avoir un rituel qui leur permette de
s’exprimer et d’assurer cette transition. C’est le rôle de la kermesse. Le vestiaire serait le lieu
désigné naturellement pour l’accomplissement du retour à la normalité. Il serait un lieu de
passage bidirectionnel, car en plus d’être un lieu de transformation de l’homme ordinaire en
sportif, ou en guerrier, selon Saouter (2000), il est un lieu de transformation du sportif en
homme ordinaire. Il se fait en revêtant l’uniforme sportif dans un sens et par la troisième mitemps dans l’autre sens.
Le thème du troisième mi-temps ou de l’après-match, comme Saouter (2000) l’a longuement
décrit chez les joueurs de rugby, est important pour les sportifs grégaires. L’usage de la bière
est typique des représentations sociales que l’on se fait souvent de la vie festive des hommes.
Témoin le fait que toute la publicité entourant la bière montre des fêtes, majoritairement
composées d’hommes. Certaines marques ont d’ailleurs déjà proposé dans leurs messages
publicitaires des bières d’hommes qui « saluent les vrais! »
16
Ce rituel avec la bière est même
nécessaire pour que les jeunes hommes se sentent mieux ensemble en développant la complicité avec le groupe. Existerait-il donc, dans les relations entre les hommes, une forme de
tension qu’il faut mitiger ? Durant la kermesse, l’alcool favoriserait une connexion sociale. Il
lierait et animerait la fête en célébrant le lien social, l’amitié, la fratrie et la masculinité.
L’alcool ferait partie de la vie sociale des hommes sportifs.
Tout ce phénomène festif, sportif et parfois proche de la beuverie, est souvent associé au
monde masculin dans la société québécoise. Bien que posible, l’imaginaire collectif illustre
moins des femmes en pleine beuverie parlant vulgairement de sexualité. Ce type de comportement serait typiquement celui attendu socialement de la part des hommes.
10.3.1.4 Le vestiaire du solitaire : entre utilité et ostracisme
Voyons ce que signifie le vestiaire pour les solitaires. Est-il un simple lieu pour se changer
ou prend-il un sens particulier ? Les solitaires y vivent-ils des émotions particulières ?
Je n’étais pas mal à l’aise d’être avec des gars dans le vestiaire et il n’y avait
pas d’initiation. Je n’ai pas besoin d’un rassemblement de gars pour me sentir
un gars comme dans un vestiaire ou dans une douche. Je pourrais partir tout de
Publicité de la compagnie Molson du Canada durant les années 1990. La compagnie Labatt avait
misé sur le même type de message. Ce n’est que récemment que les femmes ont pris plus de place
dans les campagnes publicitaires des fabricants de bière.
16
135
suite après, sortir du gymnase, m’en aller dehors, sans passer par le vestiaire,
sans prendre ma douche. – Simon, cycliste
Le répondant suivant, qui devait parfois partager, en patinage artistique, le vestiaire avec des
filles, fait un commentaire sur la perception qu’il a de la pudeur des filles par comparaison
avec celle des gars.
Dans les chambres, on ne prenait pas nos douches ensemble; on prenait nos
douches chez nous. Les filles, c’est spécial la pudeur qu’elles ont. J’ai toujours
été impressionné par leur technique pour enlever la robe de patin puis mettre le
tee-shirt par dessus pour être sûr que l’on ne voie pas un coin de « brassière ». –
Thomas, patinage artistique
Un autre raconte, au contraire du répondant Simon, comment le vestiaire est important
pour lui. Il dit comment le passage par le vestiaire lui fait découvrir la nudité comme moyen
de contact avec d’autres hommes.
Je mentirais de dire que ce n’est pas important dans les vestiaires de voir
d’autres gars nus, même si je suis hétéro. Je me suis rendu compte qu’en pratiquant un sport individuel, je n’avais jamais vraiment vu d’hommes nus, à part
mon père. Je regarde les gars nus… C’est une sorte de contact tout à fait normal
sans aucune insistance particulière. Il se trouve que l’on fait ça ensemble et on
est dans le vestiaire ensemble même si c’est des gens que je ne connais pas.
C’est de me retrouver dans une communauté d’hommes, c’est de faire des choses avec d’autres hommes, même si je ne leur parle pas et ne les connais pas.
Ça me donne l’impression d’appartenir à cette communauté-là. – Victor, tennis
Pour le solitaire, les vestiaires constitueraient un lieu aux significations très différentes de
celles que leur donnent les grégaires. Le sens que prend ce lieu est variable d’un répondant à
l’autre. Les solitaires ont plusieurs points en commun. Pour eux, pas de troisième mi-temps
ou de complicité immédiate avec un groupe de référence. Le vestiaire ne constituerait pas de
façon prenante le terreau de la transmission de l’identité masculine, comme ce serait le cas
pour les grégaires. Au-delà de la pudeur — qu’il ne faut pas avoir —, plusieurs semblent
assez à l’aise dans ce lieu. Le passage par les vestiaires est souvent vécu comme une obligation contraignante pour les solitaires. C’est ce qui se produit, par exemple, dans les cours
d’éducation physique à l’école secondaire. C’est dans ce lieu imposé où certains y vivront des
drames. La pudeur est associée au monde féminin, et l’« exhibitionnisme », au monde masculin. Pour plusieurs répondants, la société apprendrait aux garçons à avoir des comportements de bravade et à afficher leur masculinité ou leur sexualité par l’utilisation de leur
corps, afin de montrer qu’ils n’ont peur de rien.
136
Deux types de vestiaires ?
Comme en témoignent les répondants suivants, les vestiaires seraient marqués de territoires.
Je me souviens qu’il avait une séparation, il y avait deux vestiaires. On rentrait
par le premier vestiaire et il y avait un deuxième en arrière. Les gens les plus
motivés à faire du sport se mettaient dans le fond dans la deuxième partie. Les
autres restaient dans le vestibule. Je faisais partie de ceux qui restaient dans
l’entrée. Ceux qui allaient dans l’autre section faisaient partie d’une sorte de
monde un peu inaccessible. Un monde qui faisait envie. Un monde qui faisait le
mouvement vers le plus dont je n’étais pas membre. Mais j’aurais bien voulu.
J’étais attiré, entraîné par ce mouvement. Je ne voyais pas comment j’aurais pu
en faire partie. Évidemment, c’était associé aux sports et toute la personnalité de
mâle. Ce n’était pas simplement ceux qui étaient les plus forts en sport. C’était
ceux qui à l’école étaient plus forts de façon générale. Ils étaient plus virils que
les autres. C’étaient des gens musclés, plutôt grands… – Victor, tennis
Il y avait des douches, mais je n’y suis jamais allé. Je ne sais même pas comment c’était fait. Il n’y avait pas énormément de gars qui y allaient, juste ceux
qui étaient plus virils. C’était des gars un peu plus développés que les autres,
plus âgés aussi. – Mario, natation
Certains répondants ont peur dans le vestiaire et ne s’y sentent pas à l’aise à cause, notamment, de différences de maturité physique.
Dans les vestiaires au secondaire, je regardais à terre parce que je ne voulais
pas voir les autres et je ne voulais pas savoir si les autres me regardaient. Je
n’aimais pas mon physique. Je m’habillais et me déshabillais très vite parce que
j’avais peur de faire rire de moi. Il y en a qui se font écœurer. Il se font taquiner
à propos de leur physique, les poils qui commencent à pousser sur la poitrine.
J’avais développé le réflexe de la peur de faire rire de moi tellement j’avais fait
rire de moi au début du secondaire. Mario, natation
Il y avait les gars qui étaient déjà pubères avec des poils pubiens et nous les
sans-poils. On avait l’air de jeunes maigrichons. C’est une question de gêne.
Quand tu es jeune, tu veux être comme les autres. Les autres ont atteint la puberté… Tu ne veux pas montrer que toi tu n’as pas encore un poil sur le corps. –
Édouard, badminton
La gêne, comme le mentionne le répondant précédent, est souvent mitigée par des stratégies
diverses, l’humour par exemple.
Au golf, on ne reste pas très longtemps dans le vestiaire. J’ai souvent utilisé la
carte de l’humour. C’est plutôt un endroit pour faire des blagues de tous types,
surtout des jeux de mots grivois… – Richard, natation
Les porteurs des plus évidents stigmates de la masculinité les utilisent cependant un peu
trop au goût de plusieurs solitaires qui demeurent dans l’ombre ou au moins essaient de le
rester. Ces solitaires essaient de rester dans l’ombre parce qu’ils considèrent qu’ils ne possè-
137
dent pas le capital de masculinité nécessaire pour s’adonner à quelque forme que ce soit de
spectacle qui mette trop en scène la masculinité. Tous n’ont pas les « moyens » de se défendre contre l’agressivité des garçons qui adhèrent bien au modèle traditionnel de masculinité.
Il y a des gens qui sont plus retirés. Il y a toujours une ou deux grandes gueules
qui racontent plein d’affaires, mais la majorité du temps, il y en a d'autres, plus
retirés, qui font juste écouter. Entre les deux, il y a du monde qui parle quand il
peut et qui se ferme la trappe quand il peut. Il y a toujours du monde qui veut se
prouver. Des insultes ou… deux épais ensemble qui font des conneries. Il a déjà
failli avoir des batailles ou des choses comme ça. Les vestiaires, c’est comme un
camp de bûcherons. Les gars vont parler très cru. Les gens ne parlent pas
d’école. On va au plus grand commun dénominateur. Quand t’as 14 ou15 ans,
c’est sûr que c’est les filles. C’est des niaiseries sur l’apparence des gens. Il y a
toujours le petit gros de l’équipe. Pour moi, ça n’a jamais été important. Quand
j’étais en athlétisme, les gars racontaient des choses plus salées avec des danseuses. – Hervé, aviron
Des fois au secondaire, c’était fou et je n’ai jamais compris comment ça partait.
Juste pour se faire du fun, des gars en écœuraient d’autres. Au secondaire, il y
avait un gars qui se faisait faire et dire des choses… Les professeurs ne sont
jamais là, c’est rare. Les professeurs vont venir des fois s’il y a quelqu’un qui va
aller dire qu’il y a quelque chose qui se passe. Il n’y a pas de surveillance. –
Richard, natation
Parlant de surveillance, le répondant suivant raconte un événement violent où il est venu au
secours de la victime.
La pire chose que j’ai vue dans un cours d’éducation physique, c’est au secondaire. Il y avait un gars qui se faisait appeler « crotte de fif ». C’était un rejet.
Physiquement il était repoussant. Tout le monde s’acharnait sur lui et l’écœurait
dans les cours. J’étais tanné de voir ça. La pire fois qu’il s’est fait écœurer,
c’était dans le vestiaire. Il était assis sur son banc. Une dizaine de gars tour à
tour lui lançaient un ballon de volley-ball vraiment fort et riaient de sa tête. Il
était penché un peu, les mains sur sa face et il pleurait. À un moment donné, il y
en a un qui a eu la brillante idée de prendre une grosse poubelle, dans laquelle
on mettait nos serviettes mouillées, et de lui verser dessus et de lui sacrer la
poubelle sur lui carrément et tout le monde s’est mis à piocher dessus. Là, j’étais
écœuré. Je ne me suis jamais battu dans ma vie. Je ne suis pas quelqu’un
d’agressif, mais là... J’ai donné un coup de pied de toutes mes forces sur une
case. J’ai poigné les nerfs. Je leur ai fait un discours de la mort. Je suis devenu
mauvais, les yeux avec des couteaux. Ils se sont tous écrasés. Ils ont tous fermé
leur gueule. Ils avaient tous la tête entre les deux jambes et ils ont arrêté. Je leur
ai dit que ce n’était pas très courageux de se mettre à 15 contre un. J’ai câlissé
mon camp. J’étais tellement en colère. Je trouvais ça plate pour lui. Le prof s’en
sacrait de ces choses-là. Le prof n’était pas là. Il n’était pas dans le vestiaire,
mais il voyait les choses aller dans le gymnase et il ne faisait rien. Les professeurs n’intervenaient jamais ou presque. – Éric, hockey
138
Tous n’ont pas les « moyens » d’agir ainsi : les hommes homosexuels, ou soupçonnés de
l’être, sont souvent traités avec âpreté dans les vestiaires. L’homosexualité resterait taboue
dans presque tous les milieux sportifs, même dans les sports que l’on croirait plus tolérants
à cause de caractère esthétique et de leur réputation d’accueillir plus de jeunes hommes
homosexuels, comme le patinage artistique. Le répondant suivant raconte le sort que le
groupe de patinage a réservé, en toute impunité, dans le vestiaire, à un patineur dont
l’homosexualité était connue.
Il va payer, il va payer, [d’être homosexuel]. On l’enfermait dans les douches. On
le mettait dans une poche de hockey et on se promenait avec dans l’aréna.
Après, on l’a lancé en bas des marches du deuxième étage. Je devais avoir 14
ou 15 ans. – Thomas, patinage artistique
Le vestiaire demeurerait souvent un lieu de terreur pour les jeunes hommes en nonconformité de genre. Cependant, la vie dans les vestiaires dans un cadre sécuritaire est possible, comme en témoigne le répondant suivant. Les acteurs en autorité peuvent transmettre
d’autres valeurs aux sportifs que celles d’une masculinité hégémonique, discriminante et
violente.
Je n’ai pas vu grand-chose, mais j’en ai bien entendu parler. Dans les équipes
où j’étais, mon père a toujours été là. Les entraîneurs étaient là pour garder
l’ordre. J’ai vu des gars se faire maganer quand les entraîneurs avaient le dos
tourné, parce qu’ils étaient plus petits ou moins forts. – Hervé, aviron
Quand j’ai commencé au cégep, j’avais des complexes sur mon corps. Au début,
j’étais gêné. Si j’étais identifié comme homosexuel, même à l’université, ça poserait des problèmes dans le vestiaire. J’ai cette crainte-là. J’aurais peur que les
autres gars se sentent menacés par moi et qu’ils pensent que je veux les approcher. Je veux juste aller prendre ma douche après avoir couru. J’ai peur d’être
identifié à l’image du prédateur gai qui veut cruiser tous les hommes. – Mario,
natation
La peur demeurant malgré le passage des ans, les expériences vécues dans le vestiaire laisserait des marques à l’âge adulte comme en témoigne Mario pour qui le vestiaire est un passage compliqué à cause de son orientation sexuelle.
Les sportifs investissent les vestiaires de différents sens symboliques, selon qu’ils soient grégaires ou solitaires. Ce sont parfois de simples lieux utilitaires pour changer de vêtements,
ou, une maison des hommes (Godelier, 1996; Welzer-Lang, Dutay et Dorais, 1994), ou encore un lieu de fête de la troisième mi-temps. La vie de vestiaire est d’une certaine façon choisie par les grégaires. Ils y ont une place qui le leur est attribuée par différents rituels, mais
pour d’autres, à qui le sport a été imposé à l’école secondaire ou ailleurs, le vestiaire peut
devenir un lieu de terreur où le départage se fera entre vrais hommes, habiles dans les
139
sports et donc correspondant aux critères de la masculinité hégémonique, et sous-hommes,
marginalisés, non habiles dans les sports.
Contrairement à ce qui avait été précisé au départ dans le cadre théorique, il n’existe en réalité que deux types de vestiaires. En effet, les répondants n’ont pas témoigné à propos du
vestiaire générique. Il y aurait le vestiaire choisi et le vestiaire imposé. Les grégaires se retrouveraient dans un vestiaire choisi, où ils sont à l’aise. Plusieurs équipes ont leur propre
vestiaire, comme les équipes de hockey ou de football. Le vestiaire devient de cette façon une
sorte de « deuxième maison » comme le dit Welzer-Lang (1994), une maison des hommes.
C’est le lieu de la tribu (Gagnon, 1995) où l’on peut faire la kermesse. Le vestiaire imposé où
échouent souvent les solitaires est notamment celui des écoles secondaires. Il n’appartient à
personne en particulier, mais il arrive que certains en font leur territoire. Les cours
d’éducation physique utilisent ce type de vestiaire. Il s’y forme des territoires, des lieux
d’appartenance privilégiés pour certains jeunes hommes sportifs plus conformes en genre.
L’existence de ces zones qui privilégient la masculinité traditionnelle est possible grâce à la
structure de l’institution scolaire; ce sont des marqueurs d’une forme de conformité au genre
masculin auxquels tous ne peuvent accéder, même s’ils le voulaient.
Le succès dans le sport faciliterait l’intégration sociale et assurerait une place privilégiée
dans le vestiaire. Rester dans le vestibule du vestiaire, comme le font certains répondants
serait comme de rester dans l’antichambre de la masculinité. Les prouesses sportives ne
sont pas les seuls déterminants de la discrimination dont sont témoins les vestiaires. Les
stades de l’évolution des garçons vers la maturité sexuelle seraient aussi un facteur important. Le vestiaire permettrait ainsi de mesurer la masculinité au-delà des capacités sportives.
Il favoriserait une forme de reliance et parfois de déliance (Bolle de Bal, 1996). Le vestiaire
serait un temple de la masculinité où admirer les stigmates de la masculinité, très nouvellement acquise dans le cas des adolescents.
Rappelons qu’en tant que lieu non choisi et imposé, le vestiaire devient pour plusieurs répondants un lieu d’oppression où ils sont pris en otage dans une structure (sportive) sociale
cautionnant un modèle particulier de masculinité marquée par l’agressivité et la domination
masculine, comme l’avaient mentionné Gagnon (1995, 1996) et Messner et Sabo (1990). Le
vestiaire peut ainsi devenir un lieu de terreur où certains garçons, choisis la plupart du
temps parmi les moins conformes au genre masculin, servent d’amusement à d’autres (Jennings, 1998; Owens, 1998; Plummer, 1999; Sloan et Gustavsson, 1998). Ces garçons sont
parmi ceux qui servent de modèle butoir ou d’antimodèle, comme le fif de service décrit par
Lajeunesse (2001). Pour obtenir du soutien, le garçon dont a parlé Éric ne pouvait compter
140
sur le professeur, qui, par son silence, se faisait complice des agresseurs et leur donnait
raison. Dans un cas comme celui-ci, pour que le soutien provienne d’un autre jeune homme,
il faut que celui-ci ait suffisamment de capital social et de notoriété pour intervenir et obtenir
la subordination des membres du groupe sans se mettre lui-même en péril. L’intervention ne
peut donc être faite que par un jeune qui en a les « moyens ». À un âge où le statut de genre
est incertain et nouveau, les bons samaritains comme ce répondant sont rarissimes. À la
lumière de ce qui précède, on comprend aisément pourquoi plusieurs jeunes hommes comme Simon (vélo), affirment : « Dans les vestiaires, j’étais bien tranquille, je voulais passer inaperçu ».
Certains répondants disent « Je n’ai jamais compris comment ça partait… » à propos des
blagues et des jeux de vestiaires où certains sont pris à partie. Pour répondre à cette affirmation, nous pourrions dire que le phénomène d’ostracisme des « moins masculins » est déjà
présent dans le tissu social et dans le sport (Gagnon, 1995; Sabo et Panepinto 1990). Les
garçons ne font que reproduire dans le sport ce qu’ils font déjà dans la vie. On peut même
penser que le sport procure une nouvelle légitimité à la marginalisation des garçons non
conformes au modèle de masculinité hégémonique. Laisser les garçons à eux-mêmes dans le
vestiaire permettrait d’exacerber davantage les jeux de domination et de subordination ou de
marginalisation des garçons moins conformes au modèle de masculinité hégémonique. Il
s’effectuerait alors une forme de sélection naturelle ou sociosexuelle selon la conformité au
genre. Bien qu’ils soient habilités à le faire, les professeurs et les autres intervenants ne
s’interposent que rarement dans ce type de conflits ou dans la régulation des relations entre
les jeunes hommes (Jenning, 1998; Lajeunesse, 2001; Léger Marketing, 2001a, 2001b;
Plummer, 1999; Young et Duberman, 1994).
En bref, les vestiaires…
Les grégaires sont appelés dans un vestiaire choisi alors que souvent les solitaires se retrouvent dans un vestiaire imposé selon le cadre où se pratique leur sport. Le vestiaire est avant
tout un endroit utilitaire pour les grégaires et les solitaires. Ils y changent de vêtements pour
pratiquer une activité sportive donnée. Les grégaires transforment le vestiaire en un lieu de
fête et une maison des hommes pour la tribu constituée par l’équipe. Les solitaires, quant à
eux, investissent moins souvent le vestiaire de sens symboliques, bien que certains y sentent
le partage d’une masculinité communale. Enfin, quand l’activité sportive est imposée dans
les écoles secondaires, le passage au vestiaire peut devenir pour certains une scène
d’expression et de validation de leur masculinité nouvelle au détriment d’autres jeunes
hommes non conformes au modèle hégémonique de masculinité, ou simplement moins habi-
141
les dans les sports. La disposition des douches collectives, des toilettes et des cases du vestiaire n’est pas due au hasard. L’aménagement du vestiaire des hommes favorise une forme
de socialité déterminée selon les attentes sociales de conformité au genre. La disposition du
vestiaire pour hommes facilite souvent des interactions sociales de type sexuel ou agressif,
favorisant ainsi une forme de masculinité traditionnelle et dominatrice. Ce cadre
d’interaction masculine hégémonique est renforcé, entre autres, dans les écoles secondaires
par un abandon par la structure sociale qui laisse les jeunes hommes déterminer de façon
autarcique lesquels, parmi eux, méritent le statut d'homme et parfois même, le droit
d’exister dans ces lieux.
Tableau 6. Le sens que prend le vestiaire pour les grégaires et les solitaires
Grégaires
Solitaires
Lieu pour se changer
Lieu choisi et désiré
Lieu non choisi, imposé
Maison des hommes
Lieu fréquenté par des hommes
Lieu de la tribu
Lieu solitaire
Lieu de la transformation en guerrier
Lieu où il n’y pas de transformation particulière
Lieu non spécifique et potentiellement
dangereux
Pas de fête
Lieu spécifique d’expression de la masculinité
Lieu de la kermesse
10.3.2
La masculinité par la meute, les rituels des grégaires
Les rituels des équipes sportives seront présentés dans cette partie. En suivant l’histoire
naturelle de l'entrée d’un joueur dans une équipe, seront présentés les rites d’initiation, les
rites tribaux et enfin les rites apotropaïques. C’est par cette analyse que l’on tentera de comprendre le rôle que jouent les différents rituels dans l’apprentissage de la masculinité au sein
des groupes sportifs.
10.3.2.1 Rituels initiatiques
Pour admettre des nouveaux dans le groupe, plusieurs équipes ont un certain nombre de
rituels d’entrée nommés initiation. En effet, les grégaires rencontrés ayant pratiqué le football ou le hockey se sont adonnés à ce type de rituel. Leurs témoignages demeurent, dans un
premier temps, évasifs sur le contenu de ces initiations.
Les gars avaient tout fermé la place où nous étions, les rideaux, puis tout, pas
de photos, pas de caméras, c’est vraiment intime. C’est un party d’équipe qui
doit rester dans l’équipe. – Antoine, football
142
On ferme tout pour que le monde ne voie pas. Après, on nettoie tout comme si
rien ne s’était passé. – Didier, rugby
Les initiations, c’est des affaires dont on ne veut pas toujours parler non plus.
Daniel, Football
Je n’ai pas le droit de parler de l’initiation. – Sylvain, football
Les initiations sont secrètes et tous s’organisent pour que cela reste ainsi.
Le responsable des résidences avait demandé aux initiateurs d’être discrets
pour que les parents ne voient rien de ce qui se passe. – Paul, football
Les coachs, au collégial ou au juvénile, ils nous avertissent de ne pas aller trop
loin pour ne pas avoir de troubles avec les parents. C’est pour ça qu’il n’y a jamais de photos de rien. Antoine, – football
Maintenant, il faut que tu fasses attention, tu ne peux pas faire n’importe quoi. –
Laurent, football
Dans les témoignages suivants, les répondants confirment que les initiations s’accomplissent
par l’équipe et sont aussi permises par l’ensemble de la structure sportive où se pratique le
sport, à savoir les entraîneurs et l’institution qui fournit les lieux. Même s’ils ne participent
jamais activement à l’événement, les entraîneurs et les autres acteurs de la hiérarchie sportive savent ce qui se passe.
Les coachs sont au courant de tout. – Paul, football
Les autorités savent ce que l’on fait. Elles nous prêtent les locaux la nuit. On
s’assure que les vétérans se rendent responsables des recrues. Ils s’assurent
que tout est correct, que les gars ne sortent pas de la salle. – Didier, rugby
Les vétérans sont là pour superviser. – Antoine, football
Nous autres, on fait ça au centre sportif. On s’arrange avec la sécurité. Ça se fait
le soir vers minuit. Le centre est fermé. Il faut que l’on fasse le ménage par la
suite. C’est connu que chaque début d’année, il y a une initiation par l’équipe.
C’est une institution. – Laurent, football
Y a-t-il défection dans les troupes lors de l’initiation ? Non. Cela n’empêche pourtant pas
certains sportifs d’avoir l’idée de ne pas y participer.
C’est impossible de ne pas y aller. J’y avais déjà pensé à mon année de recrue
au cégep et après je me suis rendu compte que c’était important. – Daniel, Football
Il faut que tu le fasses. Si toute l’équipe le fait, tu le fais. Tout le monde est là, tu
ne t’absentes que pour des raisons majeures. C’est un règlement non écrit. –
Sylvain, football
C’est la tradition et tu n’as pas le choix. Il faut que tu le fasses, sinon tu
n’embarqueras pas dans l’équipe. Il y en a un qui n’a pas voulu le faire et il est
sorti. Il n’a plus joué dans l’équipe. – Bertrand, hockey
143
Si tu ne le fais pas, tu vas être moins accepté. – Paul, football
Tu n’as pas le choix, il faut que tu te tiennes dans l’équipe. Jean, football
Il y en a qui ne veulent pas, mais tout le monde est obligé. Ils sont obligés. Ils
n’ont pas le choix là. C’est ça ou tu n’es pas dans l’équipe. Il faut que tu passes
par là. – Laurent, football
Comme on peut le voir, les déserteurs et les dissidents ne sont pas tolérés. De toute façon,
tous sont impatients d’être initiés et de faire partie du groupe. Un répondant témoigne.
On avait hâte d’être initiés, pour que ce soit fait. Pour moi, j’étais accepté dans le
groupe. J’étais bien content quand je sortais, parce que tout le monde savait que
je jouais dans une équipe de hockey. Les jeunes ne le disent pas tellement, mais
ils font ça pour être reconnus. Tu deviens volontaire, parce que tout le monde le
fait. Tu deviens un homme. – André, soccer
Pour certains, comme le répondant suivant, l’initiation a été l’occasion de son premier
contact avec l’ébriété.
Il y a beaucoup de boisson, ça boit beaucoup. Il y a tout le temps une compétition
avec de la bière. C’est à qui cale le plus vite. Moi, je n’ai jamais bu de ma vie. La
première fois que j’ai été chaud, c’était là, à l’initiation. Il y avait une épreuve où
il fallait caler du fort. Quand tu ne fais pas l’affaire, tu manges un biscuit de
chien. Quand tu coules l’épreuve, tu as une punition, ça peut être n’importe quoi.
– Antoine, football
L’étourdissement et l’évanouissement seraient fréquents. De plus, si l’alcool n’est pas autorisé, il y a d’autres moyens pour modifier l’état de conscience et étourdir la recrue, afin de la
déstabiliser.
Au secondaire, ce sont des épreuves physiques, parce que l’alcool est interdit. Il
y avait une grosse côte, les gens roulaient sur les mains jusqu’en bas, rendus en
bas, ils vomissaient. – Antoine, football
Ils te crissent ça [de la nourriture pour chien] dans la bouche et après tu recales
une autre bière. Ensuite, il y a des shooters de fort. Ils nous ont saoulés assez
rapidement. – Sylvain, football
Ce n’est rien de compliqué. Après le camp d’enseignement, tout le monde prend
un coup, comme pour enlever de la pression. Il y avait des stations où il fallait
boire. Tu sors de là magané. Il y en a qui ne veulent pas au début, mais après
quelques bières… Quand tout le monde est là, que tout le monde le fait, pourquoi
tu ne le ferais pas ? – Paul, football
Il y avait des concours de calage de bière avec l’entonnoir. Tu bois jusqu’à ce
que tu tombes. C’est une course de vitesse. C’est celui qui vide l’entonnoir le
plus vite possible. C’est la première épreuve que l’on fait pour les [les joueurs]
mettre dedans. Dans leur bière, on leur met de l’alcool à 98 % pour qu’ils soient
plus maganés. – Laurent, football
Plusieurs répondants racontent ainsi leur expérience de l’initiation.
144
C’est dégueulasse, j’ai failli vomir. L’initiation est une certaine revanche des vétérans sur les recrues. Pour ne pas que les recrues dépassent les vétérans. C’est
une revanche douce. C’était assez dégueulasse aussi. On avait des gobelets.
Dans le premier, il y avait un œuf avec de la bière et du laxatif. On ne le savait
pas, il y en a qui ont passé la soirée aux toilettes. Il y avait une place où il fallait
que tu manges des sardines, une langue de porc et que tu cales une bière, dans
laquelle ils avaient mis du tabasco. À une autre place, il fallait que tu manges
des biscuits à chien. – Sylvain, football
Ça ne me dérange pas de manger de la bouffe à chien, mais je trouve que c’est
ridicule. C’est la tradition, les gars sont malades en mangeant ça. Dans les
joueurs de hockey, ils font plein d’affaires de même, puis des affaires pour les
faire vomir. – Bertrand, hockey
Les vétérans respectent une certaine limite. Si l’initiation dépasse la mesure de ce qui est
usuellement supportable et que tout plaisir disparaît, les vétérans savent doser les épreuves.
Si on voit que le gars est trop malade, on va arrêter. C’est juste drôle de faire
vomir. En fait, la nourriture à chien, ce n’est pas fait pour faire vomir le gars,
mais c’est ce qui arrive par la suite. Le gars est malade à cause de nous. –
Laurent, football
Les gars sont tout le temps malade durant les initiations. L’année passée, on ne
s’est pas rendus au bout de l’initiation. On l’avait fait un peu dur et on a laissé
aller. – Didier, rugby
La sueur faisant partie des premiers éléments étrangers avec lesquels les grégaires sont en
contact quand ils entrent dans une équipe, il en est fait usage lors des initiations, ce qui
d’une certaine manière, servirait à préparer la recrue à accepter le contact avec les fluides
corporels des autres.
On faisait aussi une course pendant laquelle il fallait courir avec des biscuits
soda sous les bras. On avait les pieds attachés, il fallait sauter. Le perdant devait manger les biscuits sodas de l’autre. – Laurent, football
Il y en avait au hockey qui passaient une pratique avec un morceau de citron
dans les fesses. Il y avait des concours d’agilité, puis à la fin, celui qui finissait
le dernier dans les points devait manger le citron de tout le monde. – Antoine,
football
L’obéissance aux anciens est de rigueur. Les écarts et les initiatives individuelles ne sont pas
tolérés.
Il y avait un genre de contrôle. On n’avait pas le choix de les écouter, sinon ils
nous faisaient faire quelque chose de plus chien. On avait tous un vétéran
d’assigné, puis il disait : j’ai besoin du shampoing, j’ai besoin de brosse à dents,
n’importe quoi. On achetait de la bière pour lui, puis pour nous. Ils nous ont fait
une coupe de cheveux après la semaine de pratique. Ce n’était pas joli. En
deuxième année et ma troisième année, c’était nous les vétérans qui décidaient
de ce que l’on allait faire ; puis on les faisait venir en boxer des résidences. –
Paul, football
145
Lors de l’initiation, la génitalité est également utilisée.
Au hockey, quand tu arrivais dans le Bantam, ils te rasaient le poil du pénis.
C’était vers 14 ans. On avait bandé les yeux des nouveaux après leur avoir
montré une brebis qu’un gars avait amenée. On leur avait dit qu’il fallait qu’ils
fourrent la brebis. On ne le faisait pas pour vrai, on leur enfonçait la queue dans
un gros pot de Crisco. Crois-le ou non, les gars bandaient tout de suite et il y en
a qui venaient. On n’en revenait pas. On l’a toujours fait après, c’était trop drôle
parce que ça marchait tout le temps. – Bertrand, hockey
Des sportifs racontent la partie de l’initiation que le public peut voir. Mentionnons au passage que s’ils se déroulaient dans un autre cadre, plusieurs des actes vécus par les sportifs
seraient considérés comme des voies de fait.
Une autre fois, ils faisaient pisser les gars juniors dans des pots dans la rue devant les passants. C’était passé dans les journaux. – Antoine, football
S’il y en a un qui est un nouveau, ils vont le déshabiller, lui mettre de la crème à
raser autour du pénis et ils vont lui couper les poils. Ils vont ensuite le mettre
dehors du vestiaire, en barrant la porte. Ils peuvent le laisser là plusieurs heures, c’est comme ça. – Manu, baseball et hockey
Ils avaient fait l’initiation le jour où les parents venaient voir le cégep. Tout le
monde était tout nu sauf qu’il avait un bas, pour cacher… Ils arrivaient sur la
plus haute butte, traversaient le campus au complet. On s’est dit que ça allait
être drôle et en même temps choquant pour les parents qui viennent avec leur
petite fille de 16 ans de voir une équipe de football de 60 gars qui gueulent tout
nus. – Jean, football
Comme en témoignent certains répondants, l’équipe sportive, par les rituels initiatiques,
s’approprie le corps et l’intimité du sportif.
Au hockey, ils nous faisaient courir en jock-strap dans l’aréna. – Laurent, football
Les gars sont nus avec un support athlétique. C’est pour mettre un peu
d’humilité. Rendu de même, tu ne peux pas te lever pis dire arrêtez. C’est humiliant être tout seul tout-nu avec juste un bas. C’était la meilleure initiation de ma
vie. Ça a rapproché tout le monde. – Jean, football
Les plus vieux font se promener les plus jeunes en jock-strap. Ils leur font faire
le tour de l’aréna, en haut où il y a plein de personnes, les fesses à l’air, ou nu
avec un bas sur la tête. Ils les envoient sur la patinoire pendant une pratique. –
Bertrand, hockey
Dans certaines équipes, les recrues doivent se présenter devant le groupe et réaliser une
performance « artistique ». La possibilité de sodomiser les recrues est aussi utilisée de façon
symbolique dans ces petits spectacles. La sodomie, réelle dans certains cas, n’est cependant
pas toujours exclue.
146
Je me suis fait initier dans toutes les équipes. C’est comme une meute de chiens
qui s’encouragent entre eux. Il y a des initiations où la recrue doit placer dans
son discours qu’elle fait devant les autres les mots sodomie et fellation. Des fois
ça allait plus loin, y’a des petites gangs où quand tu sortais de là, tu marchais
écarté une couple de jours parce les gars t’avaient enculé. – Paul, football
Les sportifs sentent très bien à quel point le port d’un simple support athlétique parmi une
bande de jeunes hommes qu’ils qualifient eux-même de « chiens » les rend vulnérables et les
déstabilise. Le répondant suivant exprime son angoisse sans pour autant vouloir ou pouvoir
nommer les choses par leur nom.
C’est pour que tu comprennes quelle est ta place. Quand tu es en jock-strap, tu
te sens moins bien que quand tu es en jogging ou autre chose. Ça te met sur une
tension, un stress, tu ne sais pas ce qu’ils vont faire. – Didier, rugby
Que peuvent-ils bien faire en effet ? Les recrues craignent la sodomie, et avec raison si l’on
se fie au témoignage précédent. L’association entre homosexualité et sodomie dans les représentations sociales des répondants est assez fréquente. Les sportifs utiliseraient cette représentation à fond pour soumettre les initiés. L’anus pénétrable rendant l’homme vulnérable et
donc féminin l’associant à l’homosexualité est illustré par le témoignage du répondant suivant. On y apprend que le fait d’être dans un bar gai est humiliant d’autant plus si l’on ne
porte qu’un support athlétique.
Dans la ville d’où je viens, ils avaient pris un gars, ils l’avaient mis tout nu et ils
l’avaient laissé au milieu d’un bar gai. Il a été obligé de boire une bière, il avait
seulement 15 minutes. – Antoine, football
Enfin, l’anus et les fesses sont souvent utilisés par les vétérans pour de nombreuses épreuves.
Ils nous ont fait porter un jock-strap pour faire toutes sortes d’épreuves. Il y avait
un gros cube de glace avec une olive dessus et un verre plus loin. On partait un
à côté de l’autre, puis fallait que tu ramasses l’olive avec tes fesses, puis que tu
ramènes l’olive pour le laisser tomber dans le verre. Celui qui laissait tomber
l’olive dans le verre en premier faisait manger son olive à l’autre. – Marc, football
Il y a une fois où il fallait que les gars endurent du tabasco sur l’anus et sur le
gland. Ça fait mal en chien. Une autre fois, il fallait que les recrues fassent les
pratiques avec des guimauves dans les caleçons. Ça a fondu, et il a fallu qu’ils
se coupent le poil. – Antoine, football
Des répondants témoignent à propos de l’importance de l’initiation et de l’efficacité de cette
stratégie pour intégrer les nouveaux.
147
C’est juste de partager les mêmes valeurs. C’est juste de faire partie de ça. C’est
aussi une manière de donner une bonne rampe de lancement à la personne parce qu’elle arrive tout à fait vierge par rapport à ce milieu-là. Elle rentre et elle vit
en commun avec les autres personnes. – Didier, rugby
Ça sert à mettre tout le monde égal. C’est un processus normal. C’est là que tu
montres que tu les intègres. Tout d'un coup, il n’y a plus de recrues, tout le monde est vétéran, tout le monde est gradé au même statut. Une fois que tu es passé
là, c’est parce que tu as fini le camp d’entraînement. T’es accepté par l’équipe.
C’est pour l’esprit d’équipe. Quand l’initiation était finie, tu rentres vétéran. –
Antoine, football
On va au pub après. C’est familial, tout le monde égal. Il n’y a plus personne qui
est recrue. Une initiation sert à enlever la séparation entre les recrues et les vétérans. Après, vous faites partie de nous autres. – Marc, football
Notons l’usage du mot « vierge », qui n’est pas sans rappeler la féminisation potentielle et un
certain état de pureté évoquée dans la section précédente à propos des nouveaux. De plus, il
est étonnant de constater que, selon le point de vue de ce répondant, le nouveau semble
ignorer tout à fait les rituels de ce milieu alors que, pour être dans une équipe universitaire
de football ou de hockey, il faut avoir fait plusieurs années de pratique. Ce répondant ne
peut l’ignorer, puisqu’il est lui-même passé par ce chemin pour accéder à l’équipe de football
universitaire dont il fait partie. Il existerait donc, au niveau universitaire, une étape de plus,
sorte de seuil supplémentaire à franchir.
Après l’initiation, le nouveau appartient à l’équipe et il pourra aller vers les femmes seulement quand l’équipe le lui permettra.
Ils nous faisaient manger de l’ail cru parce qu’on sort après [l’initiation]. Pour ne
pas que tu ailles parler aux filles, parce que t’as une haleine affreuse. Ils ne veulent pas que tu ailles draguer les filles, parce que c’est eux qui ont le contrôle. Ils
s’arrangent pour que ce soit drôle pour eux. – Paul, football
Certains reconnaissent (sur un ton bon enfant) le caractère éprouvant du processus
d’intégration dans leur équipe. Les sportifs comprendraient que le passage par diverses
épreuves leur permettrait de vraiment se connaître.
Plus c’est dur, plus on se connaît. – Daniel, football
C’est drôle. Le lendemain matin, t’es magané, t’es fatigué, mais tout le monde a
passé par là. Ce n’est pas plus grave que ça. Ça rapproche le monde. – Laurent
football
C’est un peu écœurant. C’est quand même dur, il faut être chaud. Ça braille, tu
vomis partout, c’est dégueulasse. Mais quand l’initiation était finie, tu rentrais
vétéran. – Antoine, football
Et enfin, le processus se termine par une ablution salvatrice.
148
Après cette soirée d’initiation, il n’y a plus de recrues, tout le monde est égal. Il y
a des équipes où ça dure une année avant qu’il n’y ait plus de recrues. Après
tout, le monde retourne dans la chambre et les recrues prennent une douche. Ils
sont crottés, ils ont de l’alcool partout, il y en a qui ont vomi, ils prennent une
douche, puis on sort après. Durant la première semaine de pratiques, il y a des
recrues qui se prennent un peu pour d'autres; on leur fait des spéciaux dans
l’initiation. – Laurent, football
La douche lave, bien sûr, mais aussi elle revêt un caractère de purification symbolique. Il
faut finir de faire disparaître l’« ancienne recrue ». Il faut effacer la trace du passage collée au
corps du « nouveau vétéran » comme un reste de chrysalide ou une ancienne coquille de
crustacé après la mue. Au sortir de la douche, un homme neuf qui accède à un nouveau
statut. Notons enfin que l’initiation préciserait le statut de chacun. Ainsi, ceux qui en ont
trop fait (exemple : voler la vedette aux anciens) durant les premiers entraînements reçoivent
un traitement de faveur dont le but est de les remettre à leur place, du moins pour le temps
de l’initiation. C’est pourquoi « on force la dose ».
Par définition, un sport collectif se pratique en groupe. Or les groupes ont des règles, des
coutumes, des habitus et parfois même une culture (au sens soutenu par Cuche, 1996) qui
leur sont propres. Les groupes pratiquant des sports agonistes, comme de football ou de
hockey, ont presque tous des rituels initiatiques. Il semble que les autres sports de groupe
(ilinistes), tels que le basket-ball et le volley-ball, aient quant à eux moins de rituels d’entrée.
Le centre sportif devient souvent le lieu de l’initiation. Le plus souvent, c’est lorsqu’il est fermé au public que les initiateurs l’utilisent pour accomplir le processus initiatique. En effet,
pareils rituels nécessitent la complicité d’un ensemble d’acteurs, complicité qui naît du silence de ceux-ci. Les responsables des équipes rencontrés se sont d’ailleurs montrés très
discrets à propos des initiations et sur le rôle qu’ils jouent dans le processus. Sans nier
qu’ils sont au courant ou même qu’ils avalisent leur déroulement, ils ont souvent préféré
changer de sujet ou éviter la question. Un exemple de l’importance du secret lié aux initiations et surtout de la complicité des « autorités » est le scandale du contingent des Airborn de
l’Armée canadienne quand la télévision a montré au public des vidéos de leurs rituels
d’initiations en 1994. Les Airborn ne sont pas un groupe sportif, mais ils constituent un
groupe à forte complicité masculine du même type. Les Airborn avaient été démantelés dans
les mois qui ont suivi17. Un scandale semblable avait touché les Marines des États-Unis à la
même époque, sans toutefois aboutir à la dissolution des Marines Corp. C’est souvent par
17
Si le lecteur est intéressé d’en connaître davantage, je l’invite à consulter les sites suivants :
http://archives.radio-canada.ca/400d.asp?id=0-9-789-4793
http://archives.radio-canada.ca/IDD-0-9-789/guerres_conflits/somalie/
http://www.forces.gc.ca/site/Reports/somalia/vol1/V1C14_f.asp
149
peur du scandale, entre autres, que les sportifs restent discrets à propos de leurs rituels
initiatiques. Cependant, la mise au secret de l’ensemble des rituels aurait aussi un effet pervers. Elle entretiendrait, dans les représentations sociales, une image fort négative des initiations. Image nourrie par certains débordements rendus publics.
Les rituels initiatiques s’accomplissent en majorité dans le secret, mais un volet public peut
être prévu s’il est nécessaire d’ajouter à l’humiliation. Le secret entourant les initiations
permet d’éviter les scandales que craignent particulièrement les membres de la structure
sportive. Le secret et le mystère entourant les rituels initiatiques permettent de leur conférer
une puissance qu’ils perdraient s’ils étaient rendus accessibles à n’importe quel profane,
mais ils permettraient aussi de renforcer la complicité entre les joueurs et la subordination
au modèle unique de masculinité hégémonique.
Les initiateurs, craignant les réactions défavorables des gens extérieurs au groupe sportif,
notamment des parents, s’autocensureraient et modèreraient leurs élans imaginatifs lors des
initiations, car vues de l’extérieur, les initiations auraient un caractère vulgaire ou scandaleux. La plupart des répondants racontent sensiblement les mêmes choses quant au secret
entourant l’initiation. Il semble que pour les jeunes sportifs, les gens qui sont à l’extérieur du
processus ne peuvent comprendre l’importance de l’initiation ni les enjeux fondamentaux
d’intégration et de changement de statut que ceux-ci revêtent.
Malgré le caractère difficile de certaines initiations, il n’y a pas de défection lors de celles-ci,
car les rituels initiatiques permettraient à un individu de gagner le droit d’être membre à
part entière d’une équipe sportive. S’absenter lors de l’initiation deviendrait presque impossible et entraînerait presque automatiquement le rejet du groupe, soit la marginalisation du
groupe d’hommes sportifs. L’initiation possède un caractère déontique, mais aussi un très
fort caractère volontaire, car tous ont hâte d’être initiés pour se joindre de plein droit à leur
groupe sportif. Les rituels initiatiques seraient donc source de joie et d’accomplissement de
soi. Parfois l’épreuve amène un peu d’appréhension, les jeunes hommes sportifs semblent
tout de même pressés d’être intronisés au rang des « vrais ».
Les témoignages permettent de penser que les sportifs vivent l’initiation telle que nous
l’avons illustrée dans le cadre théorique. En effet, les recrues sont coupées « / » de leur
communauté d’origine « C » et sont amenées « → » dans un lieu sacré « s » qui est celui de
l’initiation. Dans ce lieu, elles subissent les humiliations « h » et les épreuves « e » choisies
par les vétérans. Durant cette période, les recrues sont dans un état liminaire « L ». Ensuite,
150
celles-ci peuvent se joindre « ➾ » à leur nouvelle communauté, c’est-à-dire l’équipe sportive,
ce qui constitue l’état de communitas « c ».
Les anciens de l’équipe mettent en place les initiations dans le but d’intégrer les nouveaux,
de leur transmettre leurs valeurs sportives et de les faire accéder au statut de vétéran. Après
l’initiation, les nouveaux doivent avoir acquis les valeurs sportives définies par les sportifs
vétérans comme entre autres l’endurance, l’agressivité, la force, la solidarité avec les autres
hommes, valeurs qui sont les mêmes que celles qui marquent la masculinité hégémonique
définie par Connell (2005). Les nouveaux savent aussi rester à leur place derrière les « mâles » dominants et respecter la hiérarchie. Cela constitue encore un autre critère de la masculinité hégémonique. Le nouveau passe du statut de recrue à celui de vétéran dans un lieu
précis, généralement le centre sportif auquel l’équipe est attachée. La puissance de la complicité masculine soutenue par le secret des initiations expliquerait pourquoi il nous a fallu
des mois pour gagner la confiance des joueurs et recueillir leurs confidences sur ces rituels.
Sans cette complicité, les révélations des joueurs auraient été difficiles à obtenir, voire impossibles, car elles auraient été une trahison à leur communitas.
Un mot sur la liminarité des sportifs
Une fois mis en place les lieux et les acteurs, voyons plus en détail certains éléments des
rituels initiatiques. La liminarité — état d’entre-deux où le sportif cesse d’être l’ancien
joueur, mais n’est pas encore le nouveau — s’installe en changeant l’état de conscience de la
recrue. Se succèdent alors des humiliations et des épreuves. La recrue est d’abord étourdie,
principalement au moyen de l’alcool. Des changements d’état de conscience durant les rites
initiatiques se retrouvent dans l'ensemble de presque toutes les peuplades ou sociétés qui
procèdent à des rituels d’intronisation à un groupe (Mead, G., 1963; Mead, M., 1963; Turner, 1990; Van Gennep, 1969; Malinowski, 1989; Chebel, 1988; Sergent, 1986).
L’initiation comporte un certain nombre d’épreuves qui permettraient de mesurer le courage
des recrues. Une fois jugé à la hauteur des attentes du groupe, la recrue peut intégrer le
groupe. Les initiateurs poussent les recrues à la limite de leur corps et sans doute au-delà.
Les vomissements dont sont victimes plusieurs sportifs lors des épreuves seraient un marqueur de la limite atteinte. En effet, quand les vomissements surviennent, c’est que le corps
a donné ce qu’il pouvait. Pousser le corps dans ses limites jusqu’à ce que la recrue vomisse
ou soit prise de diarrhée donne aux vétérans une forme de contrôle et de pouvoir sur les
151
initiés. Faire manger de la nourriture pour chien démontrerait le statut d’infériorité du nouveau ramené à celui d’un simple animal à dompter ou à éduquer. L’initiateur remet le sort de
la recrue entre les mains de la nature (ou de l’équipe), qui seule décidera de la limite. Il
s’agirait ici d'une forme d’ordalie (Le Breton, 1991a et 1995). Tout se passe comme si la recrue cédait le contrôle de sa personne aux vétérans du groupe sportif et que ceux-ci s’en
remissent à la nature pour décider qui sera digne ou non d’accéder au statut de sportif digne
d’être membre du groupe.
De plus, l’initiation doit résoudre une certaine contradiction. Il faudrait que la recrue soit à
la fois assez forte et méritoire pour être membre de l’équipe, et assez faible pour se soumettre à son autorité. Il faudrait bien faire comprendre à la recrue qu’aucun joueur aussi talentueux soit-il ne sera jamais plus grand que l’équipe elle-même. Le sens de la mesure dans
cette contradiction n’est pas toujours facile à cerner. On retrouverait parfois dans les journaux des incidents où l’initiation a eu une issue fatale. Tous les sportifs de sports agonistes
que nous avons rencontrés ont témoigné de rituels vécus et ont souligné en quoi
l’infériorisation de leur être où l’humiliation et l’épreuve marquent la liminarité qui constitue
un passage de leur ancien statut social au nouveau statut.
L’usage de la génitalité se ferait de plusieurs manières. Dans un premier temps, les recrues
seraient souvent ramenées à un stade d’impuberté. C'est une forme d’infériorisation ou
d’infantilisation de la recrue par l’ablation des signes de la maturité sexuelle que sont entre
autres les poils pubiens. Les rituels de rasage se déroulent surtout durant les initiations des
jeunes hommes de 12 à 14 ans, car à cet âge, l’apparition des poils pubiens est toute récente
et constituerait un marqueur d’une grande valeur symbolique, témoin de l’accession à un
nouvel état d’homme. L’équipe se devrait, non seulement, de ramener la recrue nouvellement
pubère dans un état d’impuberté à l’intérieur du groupe, mais l’humiliation du garçon n’est
complète que si on le prive des marqueurs de sa nouvelle masculinité en public. Cela ferait
perdre la prétention de la recrue d’appartenir à l’état d’homme.
Souvent, les recrues ne portent qu’un unique support athlétique durant les initiations. Exposer l’anus aux yeux de tous rendrait les recrues symboliquement pénétrables et procèderait à leur féminisation. L’anus et son usage quel qu’il soit étant souvent une source de honte chez beaucoup hommes (Bersani, 1987). Il ne faut pas perdre de vue que le féminin serait
un moins pour de nombreux hommes (Dorais, 1999), en particulier dans le milieu sportif
(Gagnon, 1995, 1996).
152
Tout le sportif, toutes les parties de son corps, doivent appartenir à l’équipe et rester sous
son pouvoir. Rien ne doit échapper à la vigilance de celle-ci. Non seulement le joueur est-il
un prolongement de l’équipe, mais toutes les parties de son corps en sont aussi le prolongement. Pour accomplir cette fusion, il faudrait aller « trop loin », pour ensuite permettre à
l’activité sportive difficile de devenir anodine. Dans les mêlées, comme on en voit au rugby
ou au football américain, toutes les parties du corps doivent devenir égales et appartenir à
l’équipe. Ce ne serait pas le moment, au cœur du combat, de faire cas de touchers intimes
impromptus. La capacité d’être à la hauteur des autres hommes se mesurerait entre autres
par l’endurance et la souffrance notamment génitale. Il arriverait donc que les performances
des parties génitales et les performances sportives soient associées dans la prise de la mesure de la conformité au groupe des hommes et à leurs valeurs.
L’état de communitas ou l’intégration achevée
Le passage à l’état d’homme, symboliquement associé à l’appartenance au groupe sportif, est
orchestré par les plus vieux. Ce serait les seuls qui seraient en mesure de juger du temps et
du lieu du passage où la recrue a mérité son nouveau statut et peut devenir membre à part
entière de la communitas sportive. Le passage est consacré une fois l’initiation réussie. Ce
serait l’état de communitas évoqué par Turner (1990).
Le contrôle des vétérans sur les recrues s’étendrait au-delà de l’initiation. Il existerait une
sorte « d’après initiation » qui ferait en sorte que le nouveau doit rester sous le contrôle des
anciens encore un certain temps. Dans cette « suite », la recrue ne serait pas tout à fait libre.
Le contact avec les femmes y serait prohibé, car il serait perçu par les répondants comme
une forme de trahison envers le groupe des hommes.
Les rituels initiatiques seraient intrinsèques à la mécanique des groupes sportifs. Ils auraient de nombreux points communs avec les rituels des tribus observées par Godelier
(1996), Herdt (1982, 1984, 1994), Turner (1990) et Van Gennep (1969). C’est pourquoi il est
possible de se servir des analyses de ces auteurs pour comprendre les rituels initiatiques des
sportifs. Pour les grégaires, l’initiation est une fatalité, mais aussi une institution à respecter, pour reprendre les termes des répondants eux-mêmes, à laquelle les nouveaux doivent
se soumettre. L’initiation est aussi une institution par laquelle les grégaires sont tous passés
pour devenir membres à part entière de leur groupe. Elle a un caractère déontique.
L’initiation permet à une recrue de changer de statut social. Une fois accomplie, l’initiation
permettrait de vraiment consolider les liens entre la recrue et sa nouvelle communitas.
Compte tenu de l’âge des participants au moment où la plupart des initiations sportives ont
153
lieux, elles ne permettraient pas seulement une stricte intégration dans une équipe, mais
également une accession au statut d’homme. C’est la raison pour laquelle entre autres, la
génitalité est souvent utilisée lors d’épreuves d’endurance. L’analité, quant à elle, servirait à
humilier la recrue en la réduisant à l’état d’individu pénétrable, ce qui la féminise et du même coup l’homosexualise. L’initiation serait, dans sa structure actuelle, une courroie de
transmission de la masculinité hégémonique. Par ses composantes types, telles que la complicité et la solidarité avec le groupe d’hommes dominants, l’initiation permet la subordination à une autorité masculine « officielle » et la marginalisation de ceux qui ne sont pas
conformes. Elle favorise des valeurs misogynes et homophobes par le renforcement de la
peur du féminin, de l’agressivité, de la domination, de l’endurance et de la force.
10.3.2.2 Rituels tribaux
Nous avons vu que les rituels initiatiques occupent une grande place de la vie au sein de
l’équipe sportive. Une fois l’initiation passée, les sportifs n’en n’ont pour autant pas fini avec
les rituels. Viennent ensuite les rituels tribaux qui constituent une découverte importante.
Rappelons que les rituels tribaux sont ceux exprimés quotidiennement par une tribu comme
celle formée d’une équipe sportive.Ils dicteraient les façons de faire au sein de celle-ci et
marqueraient en même temps pour ses membres, la preuve de l’appartenance à cette même
tribu. Ils n’étaient pas présents dans la documentation consultée pour cette rechercche. Ils
se déclinent en plusieurs nuances selon les sous-groupes d’appartenance de chacun et selon
le but visé par le rituel lui-même.
Les receveurs sont ensemble, les attaquants sont ensemble, les quarts-arrière
sont ensemble… à un moment donné, tu vois une gang qui a toute la tête rasée.
– Antoine, football
Les joueurs sont souvent conscients que les marques d’appartenance à leur groupe peuvent
les faire paraître étranges aux yeux de ceux qui n’appartiennent pas au groupe sportif. La
compréhension et l’acceptation de leurs rites ne sont pas données au profane.
Quand un groupe arrive la tête rasée, on rit. Parce que c’est vraiment laid. J’ai
pris quatre jours avant de me raser. Je voulais faire ma photo de finissant.
J’avais une entrevue pour un stage avec le DG d’un département, je ne voulais
pas arriver là rasé, je ne me sentais pas à l’aise. Mais il faut que tu embarques
dans le clan. C’est juste question de faire quelque chose qui marque ton esprit
d’équipe. Certains se rasaient les parties... C’est une question d’appartenir à
une équipe. Tous les groupes, comme les demis défensifs, chantent et dansent
ensemble. On fait tous pareil, tout le monde embarque, sans se poser de questions. S’il y en a un qui ne le fait pas, il va se faire gosser un peu, mais il va finir
par embarquer avec la gang. – Antoine, football
154
Pourtant, les joueurs espèrent que certains signes soient compris à l’extérieur de leur groupe
d’appartenance, bien que plusieurs n’y voient qu’une mode voulant montrer une plus grande
masculinité. Ici, les jeux avec la pilosité sont expliqués.
Au football, comme au hockey, avant les matchs, on se laisse pousser la barbe,
mais moi personnellement, je ne suis pas un gros fan de ça. C’est une mode
pour montrer qu’ils sont plus rough. – Daniel, football
Pour moi, c’est surtout une tradition. Les joueurs de hockey se laissent pousser
la barbe en fin de saison. Plus tu te laisses pousser la barbe, plus ça veut dire
que tu joues longtemps… C’est peut-être le phénomène du guerrier. On va à la
guerre, comme on joue au football ou au hockey. Tu montres aux autres que tu
es rendu en série. C’est pour ça que je me laisse pousser la barbe. Ça nous
donne le sentiment d’appartenir à la tradition, au groupe de ceux qui font ça. –
Paul, football
Durant l’entraînement, les cris de solidarité se font entendre. Les grégaires se mettent souvent à battre des mains à l’unisson en scandant « let’s go, let’s go, let’s go… » Bien que les
joueurs rencontrés soient francophones, c’est l’anglais qui est la langue la plus utilisée pour
ces rituels d’encouragement. L’entraîneur et les joueurs sont unanimes quant à l’explication
de l’usage de la langue anglaise. À la fin des entraînements, les joueurs se placent en rond et
unissent une de leurs mains au centre, formant une marguerite. Ils récitent une formule
anglaise en la criant à l’unisson.
C’est la langue dans laquelle le football a été inventé. Et, je ne sais pas, c’est
comme magique, ou quelque chose de plus fort qui nous met dans l’esprit du jeu.
– Antoine, football
On est tous ensemble, on a travaillé tous ensemble. Si tout le monde crie, tout le
monde est heureux. Des fois, il y a des ratés et on le refait. Il faut vraiment que
ça soit intense, que tout le monde nous entende. – Sylvain, football
Ce cri-là, c’est un break-down. On a survécu à l’entraînement, on monte d’un
cran. C’est l’appartenance, quand tu es à mon université, tu n’es pas d’une autre. Tu regardes les autres, tu sens que tu es une équipe. – Daniel, football
On crie. C’est pour dire à la fin que l’on est ensemble. C’est pour dire que l’on a
fait des efforts ensemble. C’est pour unifier l’équipe. Ce sont des petites choses
qui font que l’équipe va se tenir ensemble qui vont faire que l’on va avoir plus de
courage ensemble. On se motive ensemble, on fait équipe ensemble, on fait tout
ensemble. – Marc, football
D’autres équipes sportives poussent leur cri non pas après, mais avant la pratique ou le
match. Cette fois, il s’agissait, selon les répondants, d’unir l’équipe avant le combat. Pour ces
sportifs aussi l’usage d’une langue étrangère ajoute, selon eux, au caractère envoûtant du
rituel.
On avait un cri de ralliement au début, juste avant la mise au jeu. C’était les
trois lettres de notre polyvalente que l’on disait en anglais. J’imagine que
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l’anglais sonnait mieux. Juste avant le jeu, l’équipe est ensemble pour montrer
que l’on va travailler ensemble. On le lâche fort pour que ça vienne des tripes.
C’est comme un symbole. Dans un sport d’équipe, c’est super important de ne
pas être égoïste. – Éric, hockey
Comme on l’a vu, le cri se joint souvent aux gestes. Des répondants le précisent.
Quand on fait le cri, on lève les bras ensemble, c’est plus pour dire : on s’en va,
notre vie est numéro un au pays, on s’en va en haut, puis on pointe vers le ciel
pour dire, on s’en va au top. On crie : un, deux, trois, [nom de l’université]. C’est
un cri de ralliement. Ça nous rapproche. On est tous des parties individuelles,
mais ensemble, on fait l’équipe. Les mains sont importantes au football, parce
que quand on lâche ce cri-là, on a tous les mains ensemble. Quand on pratique,
on se claque dans les mains tout le temps pour s’encourager. Le claquage de
mains que l’on fait, c’est des poignées d’encouragement. Ça dit « lâche pas, on
est tous ensemble ». L’entraînement est assez difficile, puis c’est juste pour dire
à l’autre que l’on est ensemble, qu’on ne se lâche pas et que l’on est capable de
finir. – Laurent, football
Formant une véritable gestique, les mains qui gambillent et se baladent peuvent constituer
un spectacle exotique, voire incompréhensible aux yeux du profane.
Je n’avais jamais remarqué ça, mais on se claque dans les mains pas mal et on
se tripote, c’est vrai. C’est le fait que l’équipe est intense. On se tape dans les
mains, on fait des cris. Dans mon équipe juvénile, quand il y avait une victoire,
on se tapait dans les mains, on faisait un cri. – Antoine, football
Le claquage de mains... On fait tout le temps ça et on ne s’en rend même plus
compte. Tout le monde est en ligne et quand tu passes, tu claques la main des
gars. C’est un signe d’encouragement, d’affection; c’est comme pour dire « je
suis là avec vous autres et vous êtes là avec moi ». C’est un réflexe, tout le monde fait ça. Le monde va se donner des tapes sur les fesses, tout le monde va se
taper sur le casque. Je ne vois pas comment ça pourrait arrêter. Moi, il faut que
je touche aux autres. Il faut que je communique avec les autres gars. Au lieu de
parler, on se touche. – Marc, football
Pour demeurer dans le sujet des mains, il est un autre rituel de solidarité dont il faut également parler. Au football, à la fin de chaque pratique — avant le cri final —, les joueurs font
des étirements au sol. Durant ceux-ci, l’entraîneur fait le tour de tous les joueurs et leur
serre la main. Il en profite alors pour discuter avec eux de leurs performances et de leurs
faiblesses. Cette pratique importante pour l’entraîneur est très appréciée des joueurs. Tous y
voient un signe de reconnaissance important pour l’effort accompli par les joueurs.
Quand l’entraîneur nous serre la main, c’est vraiment pour dire merci d’avoir été
là et d’avoir fait le travail que l’on a fait. C’est un effort que l’on fait ensemble et
il est là pour nous et on aime ça, c’est super important. – Antoine, football
156
Les grégaires pratiquent un grand nombre de rituels de toutes sortes. Les odeurs corporelles
ont également été intégrées aux rituels tribaux. Les odeurs corporelles peuvent devenir un
outil de reconnaissance et même une marque fort appréciée. Les joueurs sont conscients que
certains des leurs sentent la transpiration dans un « rayon d’action » étendu, mais cela ne
les gêne pas le moins du monde.
Il y en a que tu les sens à 20 pieds, ça te brûle le nez, mais c’est des gars, c’est
comme ça. – Antoine, football
Nous avons observé que des anciens joueurs, rendant visitent à l’équipe, prenaient plaisir à
renifler l’aisselle de l’entraîneur pour se réjouir de son parfum. Les aisselles ne sont pas les
seules parties de l’anatomie à faire l’objet de rites olfactifs. Maints rituels ne sont possibles
qu’entre garçons non circoncis, car ils impliquent le prépuce. Plusieurs joueurs ont fait des
concours honorant le prépuce le plus odorant. Il a été impossible de savoir qui était juge de
cette joute et que remportait le vainqueur.
J’ai même fait des concours pas d’allure. Il ne fallait pas se laver la queue pendant un bout de temps et après c’était à celui qui puait le plus. C’est sûr que les
gars circoncis ne pouvaient pas participer. – Antoine, football
Les répondants suivants gardent une certaine distance face à ce qu’ils ont vécu et vivent
encore dans les équipes desquelles ils sont membres. Ils racontent ici comment les jeux avec
l’urine font partie d’un code du groupe.
Il y a des concours de pisse dans les douches. Tu reçois un jet dans le dos et
sur le côté. Des fois, ils faisaient des concours, celui qui pisse le plus haut. Il y
avait un gars qui pliait juste le bout de son prépuce. Il pissait et son prépuce se
remplissait. Il le lâchait quand c’était bien gonflé, et ça explosait. Un moment
donné, ça commence, puis tout le monde le fait. Je ne peux pas dire pourquoi,
c’est juste des moutons. – Bertrand, hockey
L’eau chaude est à la même température que l’urine, des fois, on urine sur les
gens. – Didier, rugby
Je n’ai pas fait de concours de masturbation, mais ça existe. J’ai fait des
concours de pisse dans les douches. Si tu ne pisses pas en gang, c’est toi qui
n’es pas normal. Moi, je n’ai pas envie de pisser avec tout le monde, mais c’est
juste pour une histoire d’image et de virilité. Je l’ai fait pour ne pas être exclu, ou
passer pour un fif. Je voulais être considéré comme un vrai homme. Dans le
genre, on est tous des hommes ensemble. On se prend pour des vrais hommes.
Le trip de la virilité, c’est que tous les gars font la même affaire comme dans un
troupeau. On ne réfléchit pas, on le fait. J’étais prêt à faire toutes leurs maudites
niaiseries pour être considéré comme un vrai homme. Il n’y a personne qui peut
nous arrêter parce que nous avons raison. – Manu, baseball, hockey
157
Comme on l’a déjà mentionné, certaines installations favoriseraient les rituels tribaux avec
l’urine et les organes génitaux. Certains accessoires sont parfois délibérément installés pour
ce faire.
J’ai vu un cas cocasse dans un vestiaire. Dans les urinoirs, il y avait des cibles.
Il y avait des chiffres avec des ronds. Il y avait un concours à savoir celui qui allait pogner le 500. Tu te reculais juste un petit peu et tu pouvais voir les gars
pisser dans la cible, c’était drôle et innocent. On était en secondaire 5. Il y en a
qui ont eu l’idée de faire un concours de pisse. – Éric, hockey
Mais dans ce monde d’expression de la masculinité, il existe pourtant des pannes et des difficultés potentiellement invalidantes que des répondants veulent cacher même s’ils se doutent que d’autres vivent peut-être les mêmes problèmes.
Ça m’est arrivé d’avoir une panne et de ne pas pouvoir pisser. J’ai développé
des trucs pour ça, parce que j’ai peur que ça arrive. Les autres gars, même s’ils
ont de la misère, ils ne le diront pas. Il y en a probablement d’autres qui parleraient. Les gars en profitent aux urinoirs pour se comparer et ils ne le diront pas.
Ils veulent savoir s’ils en ont une plus grosse ou plus belle. Pisser en gang, ça
sert à se comparer, mais pas toujours. – Manu, baseball, hockey
Faute de pouvoir le faire directement, il arrive que les joueurs comparent de façon purement
symbolique la grosseur de leur pénis.
Des fois on niaise les plus jeunes pour faire une joke. On donne une capote à
tout le monde pour que les gars la soufflent. C’est à qui aurait la plus grosse. –
Antoine, football
Et le rituel dont la plupart font mention avec gêne.
Nous autres, on ne fait pas le rituel de la toast où il faut que les gars se masturbent et éjaculent sur la toast et le dernier qui vient doit manger la toast. Je l’ai
fait souvent, mais pas cette année. – Antoine, football
Rappelons que le « rituel de la toast », décrit dans le cadre théorique et dont plusieurs
joueurs ont parlé, se pratiquerait surtout au hockey et s’apparente en quelque sorte aux
rituels des Sambya et des Barouya de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Godelier,1996; Herdt,
1982, 1984, 1994). Les grégaires ne savent cependant pas qu’ils reproduisent en cela les
comportements de ces lointaines tribus. Comment expliquer que des groupes sociaux, à des
milliers de kilomètres de distance les uns des autres, pratiquent sensiblement le même type
de rituel ? S’agit-il d’un hasard ? Le sperme et la capacité d’éjaculer seraient-ils un marqueur universel de l’appartenance au genre masculin ? Le partage du sperme avec d’autres
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hommes — peu importe le rite le permettant — constituerait-il le sceau d’appartenance au
groupe des hommes ? Ces peuplades et les répondants de cette recherche auraient une chose en commun qui permettrait d’expliquer la similitude des rituels et de répondre à ces questions : ils baignent dans une culture empreinte de masculinité hégémonique. Selon le
concept de la masculinité hégémonique, tel que présenté par Connell (2005), les hommes ont
à faire et refaire la preuve de leur appartenance au genre masculin notamment par des rituels par lesquels ils mettent en valeur leurs performances génitales. Ces rituels, particulièrement ceux qualifiés de tribaux, se conjuguent en nuances diverses. Bien qu’ils exigent un
effort extrême de la part des nouveaux, le plus souvent, ils sont exécutés dans une atmosphère ludique. C’est par l’analyse des entrevues, mais surtout par l’observation auprès d’une
équipe de football et de hockey que le classement des variables suivantes a été possible. Variante en fonction du but visé par le rituel. Nous avons la variante de normalisation, la variante guerrière et celle de solidarité qui est sans nul doute la plus importante. Le rituel de
la toast constitue un bel exemple de l’usage de la génitalité dans le cadre d’une variante, ici
celle de la solidarité.
La normalisation
L’une des conditions sine qua non de la réussite dans tout sport d’équipe étant la parfaite
coopération entre tous les joueurs, il est essentiel que le groupe soit cimenté très solidement.
En effet, en tant que microsociété, le groupe ne peut se permettre de compter en son sein
des individus qui, en raison de leurs particularités personnelles — valeurs, apparence ou
attitude —, pourraient compromettre la cohésion interne entre les joueurs et, partant, saper
les chances de victoire. Par conséquent, afin de faire disparaître toute dissemblance éventuelle entre les divers membres de l’équipe, des rituels de normalisation, s’ajoutent à ceux
que nous avons déjà mentionnés. Ceux-ci consistent à aplanir les différences visibles ou non
selon certains critères propres à chaque groupe. Ainsi, certaines équipes imposent-elles le
rasage de la tête, du pubis ou des aisselles. Ailleurs, les joueurs portent un tatouage à
l’effigie de leur groupe tactique. Toutes les transformations que subissent les joueurs sont
notées et commentées au jour le jour si bien que la pression exercée sur chaque individu
augmente constamment, jusqu’à ce que celui-ci se fonde complètement avec les autres. Certains changements sont toutefois plus ou moins indépendants de la volonté des sportifs —
comme l’augmentation de la masse musculaire ou le port de la barbe —, tandis que d’autres
doivent être différés, en raison par exemple d’impératifs comme une entrevue pour un emploi. Il arrive donc que les joueurs bénéficient d’un court sursis, mais tôt ou tard, tous finiront par se ressembler.
159
La variante guerrière
La variante guerrière réunit les rituels qui font référence à la guerre, au combat et à tout ce
qui touche l’agon. Rappelons que l’agon serait aussi souvent ce qui caractérise la masculinité
(Connell, 2003, 2005). Ce n’est donc pas un hasard si nous retrouvons une variante comme
celle-là parmi les rituels des sportifs. Elias et Dunning (1994) prétendent que le sport a remplacé totalement la guerre dans la civilisation occidentale. L’observation donne à penser que
les sportifs rencontrés paraissent se référer souvent au monde de la guerre et semblent aussi
s’identifier aux guerriers. Pour les grégaires, la guerre et la pratique de leur sport seraient
fréquemment associées de façon symbolique. Cela illustre encore plus les propos de Connell
(2003) à propos du lien entre militarisme et masculinité hégémonique. Saouter (2000) a aussi constaté que les répondants de son étude utilisent des termes se rapportant à la guerre
pour parler du sport qu’ils pratiquent. Le sentiment d’être un guerrier, d’appartenir « au clan
des combattants ou des guerriers » ferait partie des représentations sociales auxquelles
s’identifieraient les jeunes hommes sportifs. Les sportifs utilisent les mots tels que combat,
guerre, victoire, défaites, trêves… Autre exemple, lors des pratiques de football, il est possible de voir les joueurs s’adonner à des danses rituelles ponctuées de cris semblables à ceux
rapportés par des anthropologues ayant étudié des tribus dites primitives quand ils exécutent des préparatifs de guerre. Un rapprochement semblable avait été fait par Gagnon (1995,
1996), qui reprenant Sabo et Panepinto (1990), comparait les rituels des sportifs d’équipe à
ceux des tribus primitives. Imaginez 72 joueurs de football debout formant un immense cercle, le corps légèrement penché vers l’avant en direction du centre, les mains sur les genoux,
se balançant et piaffant en toute synchronicité d’un pied à l’autre en scandant à l’unisson
des sons gutturaux au rythme des pieds qui pilonnent le sol, puis faisant des tours sur euxmêmes en hurlant. L’effet de groupe ajouté à la masse musculaire de ces jeunes hommes
provoque un résultat impressionnant. D’autres rituels imitent le comportement de certains
animaux, par exemple les morses. « Le choc des morses », la plupart du temps réalisé par les
plus costauds, s’accomplit de la manière suivante : deux footballeurs se mettent face à face,
bombent le torse, sautent et se cognent l’un sur l’autre. La mise en scène de telles pratiques
est souvent l’œuvre des plus vieux qui enseignent aux plus jeunes comment l’exécuter, cependant, les causes exactes du déclenchement de ces rituels restent absconses. Le déclenchement semble être spontané et contingent à des éléments qui nous échappent. Il ne nous
a pas été possible de comprendre pourquoi ils avaient lieu à tel ou tel moment.
La solidarité
Comme le montrent les témoignages, les mots « moutons » et « troupeau » sont très présents
dans le discours des joueurs. Or, ces mots ne seraient pas utilisés par hasard. Ils montreraient l’esprit collectif et la mise en valeur de la soumission à un ordre particulier au sein
160
des groupes de grégaires et seraient des indicateurs de la solidarité existant entre les
joueurs. Les mots sont aussi utilisés en anglais comme si le français avait quelque chose de
trivial. Nous pensons que l’usage d’une autre langue ajoute à la force des rituels. De la même manière que les langues anciennes — latin, grec, gaélique, etc. — ajoutent au mystère et,
ce faisant, amplifient la puissance des formules dans les contes et légendes, l’usage de
l’anglais fortifie la symbolique des rituels des joueurs. C’est pourquoi les cris, les slogans et
les formules qu’ils utilisent seraient souvent exprimés dans une langue qui n’est pas la leur.
Les entraînements sont aussi marqués par des cris lancés en commun que plusieurs nomment « cri de ralliement ». Le rituel du cri de ralliement s’exécute le plus souvent à la fin des
pratiques. Il s’accomplit en formant un cercle. Notons que le cercle, symbole fréquent de
solidarité dans les représentations sociales, l’est aussi dans celles des sportifs. Cette fois, les
grégaires forment une sorte d’immense marguerite de mains jointes les unes aux autres au
centre du cercle. Une fois la figure florale en place, ils crient, à l’unisson, un slogan constitué
le plus souvent du nom (anglicisé) de leur université, de leur école ou de leur équipe. Notons
que les groupes tactiques ont aussi leurs propres cris et comptines. Il faut que le cri soit
senti et puissant. Il arrive que les joueurs reprennent le cri tous ensemble si, comme disent
certains joueurs, le premier ressemblait à « un cri de moumoune ou de fif ». Lors d’un cri
« raté » auquel nous avons assisté, l’un des joueurs a demandé la reprise de cette façon : Faites pas ça en fif, vous êtes plus forts que ça. Notons ici l’analogie faite par le répondant entre la faiblesse et l’homosexualité. Fierté, solidarité et affirmation de son appartenance à l’équipe constitueraient les motivations et finalités du cri commun. Le cri est aussi une
source de bonheur et de satisfaction. Plusieurs répondants ont affirmé que sans le cri, il leur
manquerait quelque chose et que le cycle du sport serait incomplet. C’est comme si le cri
final appliquait un sceau sur leur vécu ou leur pratique, un sceau constituant une sorte
d’estampille de solidarité et de puissance à l’équipe.
L’observation montre que la solidarité s’exprimerait aussi par des jeux de mains qui permettraient aux grégaires de se soutenir et de garder un contact quasi permanent avec les autres.
Le rituel que nous avons nommé « la danse des mains » (claquage de mains, de fesses, poignées de mains sensuelles à la chorégraphie complexe, doigts qui se glissent entre les fesses,
mains dans les cheveux…) serait si naturelle pour nombre de joueurs, qu’il deviendrait inconscient. Plusieurs joueurs ont affirmé, en entrevue, ne pas avoir de contact physique avec
les membres de leur équipe pour ensuite se raviser. Pourtant, toute personne qui assiste à
une pratique sportive, notamment de football, constate à quel point la fréquence de contacts
physiques entre les joueurs est élevée.
161
Comme le rapportent les répondants, les organes génitaux sont souvent utilisés pour les
rituels. Selon plusieurs, leur inclusion dans les rituels renforcerait le lien entre les joueurs
en intensifiant l’intimité. Le fait de renifler les aisselles d’un autre joueur et d’en reconnaître
l’odeur ferait aussi partie du partage de l’intimité entre joueurs. La miction en groupe, avant
ou après un match, ferait aussi partie des rituels de solidarité. Elle contribuerait à créer une
forme de transmission de la masculinité par contagion, comme dans le cas du rituel de la
toast. Voir le pénis des autres serait aussi réconfortant (ou rassurant) parce que cela permettrait aux uns de se positionner face aux autres, considérés comme représentants de la norme, en vertu de la taille, de la couleur et de la performance de leurs attributs sexuels. Les
jeunes hommes que nous avons rencontrés nous ont dit que comparer leur sexe, uriner en
groupe ou voir les autres éjaculer les confortaient quant à la taille de leur pénis et de ses
performances, mais aussi que cela les aidait à maintenir l’esprit de groupe. Il est permis de
croire que l’usage de la génitalité dans ces rituels aide les jeunes hommes sportifs à confirmer leur identité. Le cadre du rituel de groupe leur donnerait une couverture, sorte d’alibi,
pour se préserver de l’homosexualité. De même, des simulacres de sodomie ont aussi été
observés, chez les joueurs de football ou de hockey entre autres, mais surtout au baseball.
Les joueurs sont vêtus de l’uniforme de leur équipe et font semblant de se sodomiser tout en
poussant des cris de jouissance. Aux dires des joueurs, ces rituels ne se déroulent pas dans
les vestiaires lorsque les joueurs sont nus sauf lors de certaines initiations peu banales où
des sodomies réelles auraient parfois lieu comme l’a raconté Paul joueur de football .
L'intégrité physique et psychologique des nouveaux joueurs lors des initiations ne serait pas
plus respectée au hockey qu’au football ou au baseball. Cependant, au hockey, les initiations exposeraient davantage les joueurs à des humiliations publiques. Les nouveaux seraient souvent humiliés devant des filles, ou singulièrement devant d’autres joueurs. Des
joueurs ayant participé à des équipes de hockey et de football ont témoigné dans ce sens.
Les jeux avec les organes génitaux ne plaisent pas à tous comme on a pu le constater, mais
aucun joueur ne semble vouloir prendre le risque de se dissocier des rituels. Ils risqueraient
alors de briser la solidarité et d’être exclus du groupe. Notons que la solidarité est l’un des
éléments essentiels de la masculinité hégémonique rapportée par Connell (2005). La dissidence dans ce contexte n’est guère bienvenue. Si les joueurs n’ont pas tous pratiqué directement des rituels avec les organes génitaux, tous en ont été des témoins directs. Soulignons
l’importance que les grégaires accordent à la confirmation de leur appartenance au groupe
des hommes et à la nécessité de faire comme les autres en se soumettant aux règles du
groupe. Les grégaires seraient conscients de cet effet de groupe, mais ne peuvent pourtant
162
l’expliquer. Les jeunes hommes sportifs n’auraient qu’une alternative : être membres du
groupe des sportifs, perçus comme les « vrais », ou en être exclus.
10.3.2.3 Rituels apotropaïques des grégaires
Enfin dernier groupe de rituels, les rituels apotropaïques se regroupent en ensembles distincts; ceux faisant usage des talismans et de la pilosité et enfin ceux de la prière. Les talismans seraient dotés du pouvoir de conjurer le sort et de favoriser le destin.
Pour un match, je prenais une saveur de gomme et si ça allait bien, je reprenais
la même au prochain. Au cégep, c’était surtout les bas. Je prenais toujours mes
bas préférés. – Paul, football
Il y a une petite chose que je fais. J’ai arraché du gazon sur le terrain où on a
gagné déjà et je l’ai collé dans mon casque. – Marc, football
On va frotter la table des séries. Quand tu frottes la table, tu gagnes. – Bertrand,
hockey
La plupart du temps, les objets fétiches ne sont utilisés que par une seule personne, mais il
arrive que certains objets deviennent un fétiche collectif que les joueurs se partagent.
Sur la route, on achetait tout le temps un Photo police18. On se le passait tous
dans l’autobus. – Paul, football
D’autres enfin nient toute forme de fétichisme avec les objets.
Il n’y a pas de rituels comme on voit dans les films comme les Boys19 avec des
gars qui donnent des becs à un casque de hockey. – Bertrand, hockey
Autre objet important liés aux rituels apotropaïques : la pilosité. Les poils sont importants.
Ils marquent l’entrée dans l’âge adulte. Ils sont le signe d’une virilité véritable surtout pour
les plus visibles comme la barbe. Cela est également vrai pour les poils que souvent seuls les
autres joueurs peuvent voir dans les vestiaires comme les poils pubiens.
La barbe longue, c’est une superstition. Depuis le temps que je connais le hockey, aux séries éliminatoires, ils ont les barbes longues. – Marc, football
Quand il y a une partie importante, tu ne te rases pas. Ça a tout le temps été
comme ça. Dans la ligue nationale, les joueurs font ça. Dans les Séries élimina-
18
19
Journal rapportant les crimes, meurtres et autres délits criminels au Québec.
Film québécois en plusieurs épisodes, relatant l’histoire d'une ligue de hockey dite de garage.
163
toires, les gars ne se rasent pas. La barbe, c’est le rituel le plus important. –
Bertrand, hockey
Enfin, dernier groupe de rituels : la prière. Genoux au sol, la prière individuelle ou collective
est un instant de recueillement qui permet à l’esprit de la Victoire de descendre en chacun,
comme on laisse entrer le Saint-Esprit dans son être. Elle serait, pour ceux qui la pratiquent, la minute la plus importante avant un match. Elle serait le rituel qui dépasse tous les
autres par la communion et la complicité. Elle donnerait la force et la synergie nécessaires
pour atteindre la Victoire.
Au cégep, on avait un moment de silence. On était en groupe, on se tenait tous
par la main. On mettait un genou par terre, on méditait, puis on allait chercher
notre casque ensemble. On attachait notre casque ensemble, puis le coatch disait : « lets go les boys !». Puis on criait. – Paul, football
Avant le match, on fait tout le temps une petite prière toute l’équipe ensemble.
On se tient tous par la main. Un genou à terre; puis l’entraîneur-chef va parler ;
et puis il va donner une minute de silence. Pour moi, c’est le 30 secondes le plus
important. C’est plus important que le rituel qu’il y a dans un match. – Laurent,
football
Des fois, avant d’embarquer sur la patinoire, il y a deux minutes de silence, pour
te concentrer sur ta partie. – Bertrand, hockey
De la magie des objets à l’appel d’une forme de spiritualité par la prière, les joueurs ont un
sens du mystique qui les aide dans leur pratique sportive qu’il s’agisse d’objet fétiche qu’il
faut avoir ou manipuler d’une façon entendue ou de prière. Les joueurs appellent la destinée
à les soutenir durant le combat qu’ils s’apprêtent à livrer. Saouter (2000) décrit dans les
avants-matchs des rituels liés à l’urine qui n’ont pas été relatés par les répondants. On peut
constater en effet, qu’un même objet ou une même action peut servir à divers rituels, et ce,
dans une même équipe. Ainsi, les jeux de miction pourraient servir à évaluer la recrue lors
des initiations, ils pourraient servir de rituel tribal dans les douches comme façon usuelle de
se comporter entre hommes et aussi de rituel apotropaïque à unir des joueurs dans une intimité sacrée ou les mélanges des urines de chacun à l’ensemble du groupe finirait d'unir
l’équipe tel un sceau d’unité inviolable. Il en va de même des jeux avec la pilosité que l’on
retrouve dans les rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques. Le port de la barbe durant les
séries ou avant un match permettrait un contact mystique avec une sorte d’esprit du guerrier ou, à tout le moins, il permettrait une ressemblance avec les joueurs des ligues majeures
que les jeunes sportifs veulent imiter comme l’a décrit Smith (1974).
10.3.3
Les rituels des solitaires
Ne faisant pas partie d’une équipe ou d’un groupe dont ils devraient suivre les règles pour
s’intégrer, les solitaires, à la différence des grégaires, n’ont pas de rituels d’initiation ou de
164
rituels tribaux. Tout au plus quelques-uns s’adonnent-ils à une forme de rituels apotropaïques. Cela explique la brièveté de cette section. Les rituels initiatiques et tribaux sont
d’ailleurs assez mal vus par les solitaires. Ceux qui, peu nombreux, ont expérimenté un
sport d’équipe abandonnent souvent justement parce que ces rituels d’appartenance leur
déplaisent.
Je n’ai jamais eu d’initiation. On en entend souvent parler. Pour le peu de fois où
j’ai joué dans une équipe, j’ai eu des coachs qui ne toléraient pas de « niaisage ».
Les anciens, les nouveaux, on est une équipe, c’est tout. J’ai déjà initié du monde à l’université et ça a toujours été dans le but de faire connaître les gens.
Quand c’était pour faire chier, je partais. – Hervé, aviron
Je n’ai jamais participé à des affaires comme raser le poil de poche ou les initiations dans des équipes. Il y en a des vertes et des pas mûres là-dedans. J’étais
en athlétisme. C’est moins macho. Je me suis toujours tenu à l’écart de ça. Ce
qui compte, c’est les performances sportives que l’on peut faire individuellement.
Pas les trips de gang. – Hervé, aviron
Il en va de même dans le patinage artistique, où la compétition et l’esprit de compétition
l’emporteraient sur toute forme d’intégration.
Nous autres, on n’a pas d’initiation. Je n’en ai pas vraiment vue. Les gars les
plus durs envers le patinage, c’est les patineurs. On est très durs entre nous.
C’est vraiment une clique fermée. – Thomas, patin artistique
Restent enfin les rituels apotropaïques. Comme la plupart des sportifs rencontrés, les solitaires voudraient conjurer le sort.
En aviron, je mettais toujours le même maillot quand je faisais une compétition. –
Hervé, aviron
J’avais collé des brins de gazon d’un parcours où j’avais gagné la compétition.
C’est niaiseux, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. – Richard, natation
Il fallait, avant une compétition, que je me fasse couper les cheveux par le même
coiffeur, et toujours la veille. – Thomas, patin artistique
Quand mes gants ont été usés, j’ai eu bien du mal à changer. Je gardais mes
vieux gants dans ma case. – Victor, tennis
J’ai porté longtemps le même cuissard que je gardais juste pour les compétitions.
– Simon, cycliste
Les solitaires, à la différence des grégaires, auraient une plus grande impression de liberté
de choix. Cette différence se voit dans les rituels. Les solitaires ont toujours la liberté de partir, de faire autre chose; les grégaires, même si la situation « de niaisage » leur déplaît, ne
quitteront probablement jamais un sport ou une équipe, pour la simple raison que leur esprit altruiste (au sens durkheimien du terme) et leur besoin d’appartenance au groupe priment sur leurs aspirations personnelles. Il est permis de penser que s’ils en avaient
165
l’occasion, les solitaires refuseraient de participer aux rites tribaux et initiatiques. Le fait de
choisir un sport solitaire ne constitue-t-il pas un refus de ces rituels ?
Il semble qu’il existe certaines croyances ésotériques dans toute pratique sportive, lesquelles
ajouteraient aux capacités de réussir. Sans leurs objets fétiches ou apotropaïques, la
confiance des solitaires dans la victoire serait ébranlée. Les solitaires ont souvent parlé de
leurs rituels apotropaïques sur le ton de la confidence. Ce ton de « secret » s’expliquerait soit
parce qu’il y aurait, pour eux, quelque chose de honteux dans ces pratiques soit parce que le
fait de révéler leurs pratiques risquerait de les annuler ou pire encore de les inverser. La
raison leur dicte pourtant que cela n’est pas très « rationnel ».
Tableau 7. Types de rituels chez les sportifs.
Grégaires
Solitaires
Rituels initiatiques
Rituels tribaux
Aucun
Aucun
Rituels apotropaïques, objets fétiches, pilosité, prière
Les rituels se pratiquent autant chez les grégaires que chez les solitaires. Cependant, les
solitaires n’ayant aucun groupe dans lequel entrer, les rituels initiatiques n’ont aucun sens
pour eux. Il en va de même avec les rituels tribaux qui ne peuvent exister qu’à l’intérieur
d’un groupe. Pour les grégaires, les rites d'initiation assureraient l’entrée dans le groupe
sportif par la « grande porte ». Ils seraient essentiels à l’acceptation des nouveaux par les
anciens et les défections lors de l’initiation ne seraient pas tolérées. Le fait que les grégaires
vivent de nombreux contacts sexués entre eux n’ébranlerait nullement la solidité de leur
identité de genre et leur orientation hétérosexuelle, bien au contraire. Les rituels dans lesquels la génitalité est utilisée (échange de sperme par exemple) permettent de renforcer
l’identité d’homme hétérosexuel des grégaires, à condition bien entendu, qu’aucun homosexuel ne soit dans leur groupe. En fait, les rituels dans lesquels la génitalité est utilisée,
permettraient d’empêcher toute équivoque, entre les désirs pour un homme et les désirs
d’être un homme. Ces rituels transformeraient les activités homosexuées en rituels tribaux
ou initiatiques. Ils seraient exécutés pour le bien de l’équipe en favorisant la fusion de ses
membres dans une confrérie parfaite. Cela ne veut pas dire pour autant que les jeunes
hommes sportifs qui s’identifient comme hétérosexuels ne vivraient jamais de désirs homosexuels, toutefois, le cas échéant, ces rituels constitueraient une structure sociale leur permettant de vivre ces désirs sans ébranler leur identité masculine. Ils assureraient ainsi le
fondement du lien social chez les grégaires. Les rituels tribaux seraient constitués
166
d’éléments incluant le langage, le marquage du corps, les danses, les cris et les contacts
physiques avec les mains et les organes génitaux. Enfin, les rituels apotropaïques, exécutés
tant par les grégaires que les solitaires, pourraient, espère-t-on, faire pencher la victoire en
faveur des sportifs .
10.4 L’homophobie
10.4.1
Chez les grégaires
10.4.1.1 Le permis et l’interdit
Quels sont les gestes et contacts permis ou interdits avec les autres joueurs, les hommes en
général, les femmes et les membres de la famille ? Les grégaires distingueraient ce qui est
possible de ce qui ne l’est pas, même si les règles qui régissent le toucher permis et interdit
semblent invisibles. Avant l’entrevue, certains répondants n’avaient jamais réfléchi au type
de contacts qui sont permis ou interdits socialement avec les autres hommes.
Entre gars, on peut se serrer la main, se donner l’accolade, se donner des tapes
dans le dos. Au hockey, on se donne une tape sur les fesses si tu as un beau
but. Pas de contact avec la bouche ou des becs sur la joue comme une fille. La
bouche, c’est une partie plus de sexualité, de sensualité. Ça se rapprocherait
plus de l’homosexualité. – Bertrand, hockey
Embrasser un gars, c’est une affaire de fif. Ce n’est pas dit comme ça, mais si tu
pousses un peu le raisonnement, tu te rends compte que c’est bien là que les
gars ont peur d’aller. – André, soccer
Je ne m’étais jamais posé la question à savoir ce qui était acceptable entre gars.
Entre amis, on se tape dans la main, puis c’est tout. Benoît, frisbee extrême
Si on les sépare en deux groupes, il y a ce que l’on peut faire entre gars, et ce
que l’on peut faire avec une copine. – Didier, rugby
Le tabou de l’homosexualité ressort très vite quand il est question de contacts et de toucher
entre hommes et presque tous témoignent en ce sens. Les normes semblent strictement tracées. Certains répondants notent des disparités régionales et culturelles entre les façons de
faire et comprennent le sens que prend un geste, notamment selon les cultures.
Au Québec, faire la bise avec des gars, c’est interdit. Je le fais avec mes amis
européens, c’est comme une poignée de main. À 14 ans, c’est une autre histoire.
Tu peux embrasser une fille, mais pas un gars. – André, soccer
Si deux gars se donnent un bec, ça veut dire qu’ils sont homosexuels. Je n’aime
pas voir deux gars qui s’embrassent. Ça ne m’est pas arrivé, mais je me retournerais pour ne pas regarder. C’est dégoûtant. – Bertrand, hockey
167
Dans la citation précédente notons une contraction de taille : Comment le répondant peut-il
affirmer qu’il n’aime pas voir deux garçons s’embrasser alors qu’il n’en a jamais vu ? S’agit-il
d’une aversion appréhendée ? Le répondant suivant précise enfin que toute l’affection que les
hommes extériorisent ou répriment dans certaines circonstances ou avec certaines personnes s’exprimerait davantage si ce n’était des tabous et des interdits sociaux, car le désir et le
besoin seraient présents chez les répondants.
On voit des filles se donner des becs et se coller. Les gars, on ne fait pas ça,
mais ce n’est pas parce que l’on n’en a pas envie, c’est parce qu’on sent que
c’est défendu de le faire. – Benoît, frisbee extrême
Les contacts physiques, même intimes, sont perçus comme une forme de communication
irrépressible dans certains sports, en particulier, dans le football. Ainsi, le geste remplacerait
souvent la parole.
Mes chums me pognent les fesses au foot et je suis bien à l’aise avec ça. Je ne
sens pas une menace. Les gars vont faire des blagues aussi en se poignant le
cul. Comme quand l’autre jour un joueur a mis son doigt dans le cul à Félix,
c’était drôle. Ça dépend des contextes. Dans le football, ça passe plus
qu’ailleurs. – Marc, football
Honnêtement, je ne sais pas quels gestes seraient permis ou non entre gars. On
peut se donner une tape sur les fesses ou se les pogner [les testicules]. Quand
on s’est fait une passe au hockey, ça arrive que l’on voie des gars s’embrasser
sur la bouche. – Manu, baseball, hockey
Se donner des claques sur les fesses, c’est partout, c’est pour dire « bien joué ». Il
n’y a aucune pudeur; on donne une claque sur le pénis de l’autre, pour rigoler
un peu. À aucun moment je n’ai pensé que ça pouvait être malsain aucunement.
– Didier, rugby
Quand tu arrives dans la douche, tu te fais taper les fesses, des trucs comme
ça. Curieusement, c’est souvent les plus machos qui le font. C’est ceux qui ont
une opinion des femmes, qui est plus traditionnelle.... Tu sais, des gars qui se
montrent hommes. Les durs du groupe. – André, soccer
Le cadre familial permettrait des gestes entre hommes qui, dans un autre milieu, seraient
perçus comme des actes homosexuels.
Mon frère, je le prends souvent, je le colle, je le caresse. Je suis bien à l’aise
avec ça. C’est un geste d’affection. Si ce n’était pas mon frère, on aurait l’air de
deux fifs. On voit des filles qui se donnent des becs sur la joue, puis ce n’est pas
sexuel. Deux filles, c’est le fun de voir ça. Deux gars, ça me dérange. C’est une
tradition. Déroger à ça, tu sortirais du cercle. C’est un geste qui ne passerait pas
inaperçu. – Bertrand, hockey
Tenir l’avant-bras, passer la main dans les cheveux, mais évidemment pas tenir
la main. À part avec un petit frère ou des petits cousins… Mais entre adultes,
non. – Didier, rugby
Donner une caresse à mon père, il n’y a rien là. – Marc, football
168
Entre amis, on se tape dans la main, puis c’est tout. On voit des filles se donner
des becs et se coller. – Benoît, frisbee extrême
L’ensemble des gestes et contacts ayant lieu entre les joueurs a été regroupé dans trois
grands types de rituels : initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les jeunes hommes sportifs
précisent ce qui serait interdit et ce qui serait permis entre hommes. Les gestes permis et
interdits semblent varier selon le contexte tel que celui de la famille ou des rituels sportifs.
Les actes permis et les actes interdits peuvent permuter selon le contexte et la personne intéressée. Les gestes d’affection et les contacts physiques sont possibles dans un cadre sportif
et familial, mais pour maintenir un statut hétérosexuel, certains gestes, tels que les baisers
ou les touchers sensuels, à l’extérieur de ces milieux, ne seraient possibles qu’avec les femmes. Oser exprimer son affection auprès des hommes dans d’autres circonstances que le
sport ou la famille (par exemple avec les amis) exposerait au risque de marginalisation, notamment par association avec l’homosexualité. Le contexte familial permettrait un certain
nombre de gestes qui ne seraient pas ceux s’inscrivant dans la pratique sportive. En effet, les
sportifs ne rapportent pas « donner des tapes sur les fesses » à leur père ou leurs cousins.
Les répondants ressentent majoritairement la peur d’être identifiés comme homosexuels et
font allusion à l’apparence d’homosexualité dans les gestes qu’ils font. Tous les sportifs
n’agissent pas de la même façon dans les vestiaires ou sur le terrain. Certains joueurs sont
plus démonstratifs que d’autres. Il semble que plus les sportifs sont en conformité de genre,
plus ils s’adonneraient à des contacts intimes et équivoques. Autrement dit, plus un jeune
homme serait en conformité de genre, plus il pourrait s’en permettre, sans pour autant susciter d’ambiguïté quant à son orientation sexuelle comme l’a mentionné le répondant Paul.
Intuitivement, les sportifs savent rester dans la limite de ce qui est « convenable » pour ne
pas « sortir du cercle » ou s’engager dans des gestes « malsains ». Entre sportifs, certaines
parties habituellement plus intimes du corps ne sont pas interdites au toucher entre hommes. Bien au contraire, on retrouve chez presque tous les joueurs la possibilité de toucher
les fesses, les testicules ou le pénis des autres joueurs sans que cela ne soit associé à
l’homosexualité. Grâce à ses rituels, la pratique d’un sport rendrait possibles des contacts
physiques qui, interdits par la culture et les normes sociales tacites ou explicites dans
d’autres milieux, vaudraient à quiconque en userait d’être taxé d’homosexuel. La masturbation et les fellations en groupe, les concours de jets d’urine le plus puissant ou du prépuce le
plus odorant — et tous les autres contacts tels que les claques dans les mains ou sur les
fesses, les caresses dans les cheveux, les doigts que l’on glisse entre les fesses, les aisselles
169
que l’on renifle avec plaisir, les coups de torses comme le font des morses—, sont des gestes
qui tombent sous le couvert des rituels et qui ne sont pas perçus comme étant des gestes
homosexuels ou homosexualisants.
10.4.1.2 Le sport, l’alibi par excellence
Durant l’observation effectuée lors des entraînements de groupe des équipes de hockey et de
football, nous avons vu certains répondants se livrer à des contacts à classer parmi les rituels tribaux, contacts que nous avons qualifiés d’homosexués. Nous avons alors demandé
aux joueurs quels sont les liens qu’ils voient entre la pratique sportive et ces contacts.
Des fois, il y en a qui trouvaient ça un peu homosexuel, parmi les nouveaux, de
pogner la graine des autres. Les parties génitales, c’est ton intimité. C’est la partie du corps que tu montres le moins. Mais il n’y a personne qui va dire un mot
ou qui va dire d’arrêter, que c’est des affaires de tapettes. Dans le contexte, le
monde ne pensait pas que c’étaient des jeux homosexuels. Sauf que si ce n’était
pas l’initiation, ils n’auraient pas pu faire ça. Avec l’initiation, ce n’est pas un jeu
d’homosexuels. – Bertrand, hockey
C’est dans un contexte sportif, ce n’est pas dans un contexte où après je te demande si on va chez moi. – Didier, rugby
Les joueurs donnent une tout autre signification que celle du désir homosexuel pour expliquer ou comprendre ce qui pourrait être vu comme des gestes homosexuels.
Dans l’équipe, ce sont des valeurs familiales. Les gestes vont dans ce sens-là.
C’est de l’encouragement. C’est des gestes pour dire que l’on s’aime. On est plus
proche que le monde en général dans la société. C’est comme entre frères. S’il y
en a un que ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vu, on va le serrer. - Jean, football
Des fois, j’ai eu peur de passer pour fif. Mais quand tu joues au football, avec
l’effet de groupe de gars assez imposants, le monde n’ose pas t’écœurer. Ça
donne l’image qu’il faut. – Paul, football
Un autre répondant raconte que même s’il n’apprécie pas toujours les gestes trop intimes
que les autres joueurs ont à son endroit, il préfère ne pas réagir et « laisse faire », d’une part,
à cause du contexte sportif et amical précise-t-il, mais surtout parce que ce sont des joueurs
comme lui qui font ces gestes.
C’est sûr que je laisse des gars me toucher comme je ne le permettrais pas à
d’autres gars. Il y a des amitiés assez profondes pour permettre des affaires
comme ça [des touchers très intimes des parties génitales]. Je ne peux pas
t’expliquer pourquoi on fait des gestes de même. Je n’aime pas ça quand les
gars m’en font, sauf que je ne suis pas pour leur sacrer une volée quand ils
m’en font. C’est le fait que ce soit juste des gars qui pousse à ça. C’est dans tous
les sports. Mais c’est sûr que si c’était un joueur gai qui faisait ça, je deviendrais
violent. – Paul, football
170
Un autre répondant raconte.
Richard aime raconter ses histoires de cul. Il est vraiment centré sur son engin. Il
en parle, il le montre, il regarde les autres. Ce n’est pas lui qui a la plus grosse
dans le club. Mais lui, il aimerait avoir la plus grosse, la plus belle. Des fois, il
dit « Marc j’aimerais l’embrasser ». Richard nous embrasse tout le temps le pénis.
Si Richard n’était pas là, ce ne serait pas la même chose. Il ne passe pas pour
homosexuel. Je ne sais pas comment ça a commencé. Je ne pense pas qu’il
puisse être homosexuel, ou qu’il y ait quelque chose d’homosexuel là-dedans. Il
est tellement aux filles. C’est tellement clair que Richard est aux filles. Ça ne
m’est jamais passé par la tête qu’il puisse être gai. Si quelqu’un d’autre arrivait
et me demandait de m’embrasser la queue, je me poserais sûrement des questions. – Félix, hockey
Ce n’est donc pas les gestes comme tels qui importent, mais la personne qui les fait. Pour les
joueurs, les gars de l’équipe sont tous hétéros (Félix, hockey). Non seulement certains de ces
gestes homosexués — comme ce qui se passe dans les vestiaires ou les initiations —, mais le
sport tout entier pourrait servir d’alibi à ce qui serait vu ou senti par ceux qui ne sont pas
du milieu sportif comme des expressions d’homosexualité. On peut comprendre dans leurs
réponses que, pour les grégaires, le sport servirait d’alibi « déshomosexualisant ». Enfin, le
fait de pratiquer un sport particulier — tel que le football ou le hockey — permettrait de tenir
à distance le stigmate de l’homosexualité en assurant une forme de halo protecteur en société parce que la pratique de ces sports permettrait de projeter l’image de l’homme qu’il faut
être. La pratique d’un sport devient une sorte de rempart contre l’homosexualité réelle ou
soupçonnée.
Pour certains, les contacts intimes deviendraient une espèce de fatalité qui fait partie du
sport et qu’il faut accepter comme telle. Mais comment les joueurs réagiraient-ils à la présence d’un joueur homosexuel déclaré au sein de leur équipe ? Comment les grégaires, en
particulier, sentent-il et perçoivent-ils l’homosexualité et la non-conformité de genre.
10.4.1.3 Un gai dans l’équipe ?
Malgré que les gestes homosexués entre joueurs soient nombreux, il ne semble pas y avoir
de joueurs ouvertement gais dans les équipes. Poser la question « Y a-t-il des gais dans
l’équipe ? » provoque souvent rire et malaise chez les sportifs. S’ils font fi de leurs comportements à caractère sexuel, les grégaires cependant révèlent qu’ils sont préoccupés par
l’éventuelle homosexualité d’un des leurs. Ils cherchent à savoir qui est gai et qui ne l’est
pas.
171
C’est une préoccupation. Tu veux savoir. Comme il n’y en a jamais qui le disent,
on se pose des questions. On se dit qu’il doit bien y en avoir. Il y en a que l’on
soupçonne. – Jean, football
On en a déjà parlé la gang ensemble. C’est un sujet qui revient souvent. On essaie de savoir qui pourrait l’être et on donne des noms de suspects. Évidemment, on regarde ceux qui n’ont pas de blonde depuis qu’on les connaît. Dans le
football, il y en aurait pas mal. Il y a des statistiques, je ne sais plus où. Je pense que c’est sur Internet. J’ai des amis dans le football et dans d’autres sports,
et tout le monde dit ça. – Daniel, football
Il y a une légende urbaine qui dit qu’un seizième des joueurs de football est gai.
– Marc, football
Dans mes amis, il n’y en pas, parce que la plupart ont tous des blondes. – Paul,
football
Il y en a qui peuvent correspondre à un stéréotype plus gai, mais on ne le sait
pas, n’importe qui peut être gai. – Éric, hockey
J’avais lu dans un magazine que plus de la moitié des joueurs de la NFL [National Football Ligue] sont homosexuels. Chez nous, il doit y en avoir, mais qui ?
J’ai entendu des statistiques qui sont des légendes urbaines, mais… dans
l’équipe, j’ai vu des choses flagrantes dont je ne veux pas parler, mais… – Sylvain, football
Les joueurs auraient une vision précise de ce à quoi ressemble un homme : c’est le contraire
d’un homosexuel.
Ce serait quelque chose de surprenant, parce que personne ne s’attend qu’un
joueur de foot soit gai. Quand on pense au football, on pense à un tas de gros
bras. – Laurent, football
Mais le football, ça a toujours été considéré comme un sport d’hommes; les homosexuels ne peuvent pas avoir de place là-dedans. – Sylvain, football
Le foot, ce n’est pas un sport de fifs, malgré qu’il n’y a pas de sport de fifs, mais
c’est… Ça frappe dur, c’est fait pour les hommes, sauf que c’est pour les athlètes. Un athlète ne peut pas être gai. La mentalité fait qu’ils ne le montrent pas,
parce que ça donne l’impression que tu n’as pas ta place. C’est un peu comme
dans le reste de la population, il y en a beaucoup qui hésitent à le dire. – Paul,
football
Une absence d’homosexuels qui laisse plusieurs joueurs songeurs.
Depuis l’âge de 5 ans que je suis dans les sports d’équipe… Je n’ai jamais joué
avec quelqu’un qui l’était [gai]. Je ne suis pas au courant s’il y a des joueurs qui
sont gais. Il n’y en a pas à ma connaissance. Ce serait possible qu’il y en ait. Je
ne pense pas qu’ils se cachent. Je pense qu’il n’y en a pas. – Laurent, football
On dit qu’il y a des gais dans la société, mais dans l’équipe de football, on ne
les voit jamais. Depuis que je joue (et tous les autres on pense) qu’il n’y en a
pas. – Bertrand, hockey
Il y a sûrement des gais dans l’équipe, mais moi je n’en connais pas. S’il y a des
gais, ils ne le montrent pas. – Paul, football
172
Il n’y a personne qui a déjà dit « moi, je suis gai ». – Sylvain, football
Ce n’est pas arrivé, ou il y en a eu sans qu’on le sache... – Éric, hockey
Qu’arrive-t-il quand un jeune homme est identifié comme homosexuel ?
J’ai été témoin de gestes de violence envers des mecs efféminés et il m’est arrivé
de rire d’un mec efféminé. – Didier, rugby
Au secondaire, il y en avait un qui était efféminé un peu. Il se faisait niaiser. Le
monde disait qu’il était gai et dans la douche, le monde disait « il est bandé. » S’il
y en avait [un] qui le disait au niveau où on est là, il n’en ferait pas un cas. Mais
plus tu descends, moins c’est accepté. Faut dire qu’à l’université, les épais sont
partis. – Jean, football
Les « épais » sont peut-être partis, mais les homophobes semblent bien présents, même si un
certain nombre de répondants disent qu’ils accepteraient personnellement l’homosexualité
de l’un des leurs tout en affirmant que l’équipe n’accepterait pas cet état de fait. Parmi ceux
qui acceptent le mieux l’homosexualité se trouvent les sportifs qui connaissent dans leur
entourage direct un homme homosexuel, comme un frère, un beau-père ou un oncle. Les
témoignages suggèrent que la connaissance d’hommes homosexuels contribuerait à démystifier
l’homosexualité
et
qu’elle
désamorcerait
l’hostilité.
L’ouverture
d’esprit
envers
l’homosexualité reste cependant un élément que les grégaires cachent au groupe.
Moi je ne prendrais pas ça mal. J’ai un oncle qui est gai. Je continuerais à me
promener tout nu dans la chambre. Mais si un gars le disait, l’équipe le prendrait mal. Quand quelqu’un te dit qu’il est homosexuel, habituellement le monde
est mal à l’aise. – Sylvain, football
Moi, ça ne me dérangerait pas parce que mon frère est homosexuel. Je l’accepte
comme il est. Mais ce n’est pas tout le monde qui va être large d’esprit. – Manu,
baseball, hockey
Je n’ai jamais eu de problèmes avec ça. Je pense que certaines personnes dans
le groupe n’auraient pas accepté qu’il y ait des gars ouvertement gais. – Éric,
hockey
D’autres semblent un peu moins ouverts que les précédents et supporteraient mal la présence d’un joueur homosexuel dans leur équipe, et donc dans le vestiaire. Ils craindraient particulièrement les tentatives de séduction, possibilité qui n’est curieusement jamais évoquée, à
supposer que des filles fissent partie de l’équipe. C’est plutôt la fragilité des femmes qui soulève l’inquiétude. En effet, à propos de la présence de femmes dans l’équipe, certains prétendent qu’elles pourraient difficilement se fondre dans le groupe, en raison de leur fragilité
perçue.
Il serait difficile d’intégrer les filles. Il y a un développement physique… Si tu
joues pour le plaisir, oui, mais elles n’ont pas les capacités athlétiques que les
hommes ont. – André, soccer
173
Il y a une grosse gang de gars ensemble, ce n’est pas pour les jeunes filles.
Pendant les pratiques c’est une chose, pendant les matchs, c’est autre chose.
Durant les matchs, c’est sérieux. – Marc, football
Quant à la présence de joueurs homosexuels, certains prétendent …
Je n’aurais rien contre lui tant qu’il ne me tournerait pas autour et qu’il ne me
demande rien. – Manu, baseball, hockey
Si un gars de l’équipe était ouvertement homosexuel, je mettrais les choses au
clair s’il m’invitait à dîner. Sur le moment, il y aurait un froid. – Didier, rugby
Alors que d’autres préfèreraient le silence et l’ignorance, car la présence homosexuelle provoque chez eux peur et anxiété.
Personnellement, ça ne me dérangerait pas, mais il ne faudrait pas qu’il le démontre en public sinon l’équipe ne l’accepterait pas et n’aimerait pas ça. – Paul,
football
Si je ne le sais pas qu’ils sont homosexuels, ça ne me dérange pas. – Bertrand,
hockey
Mais un gai qui se comporte comme tout le monde, le monde ne le saura pas. Ça
passerait, mais il ne faut pas qu’il le dise. – Jean, football
Il faudrait qu’il se comporte comme nous autres et qu’il parle de femmes. – Sylvain, football
Les douches collectives sont une préoccupation.
Dans le vestiaire, on prend une douche tout le monde... Je ne sais pas comment
je me sentirais, si je savais qu’il y en a qui était gai là-dedans. J’aurais besoin
d’une période d’adaptation. Ce serait bizarre. Si un de mes amis devenait gai,
sur le coup, je ferais ouache, il est gai. – Benoît, frisbee extrême
Mais enfin, les attitudes qui dominent dans les témoignages laissent entrevoir peu
d’ouverture à la présence de joueurs ouvertement homosexuels au sein de l’équipe. Le témoignage suivant ne fait pas exception et est à l’image de la majorité des commentaires entendus.
Si un gars disait à l’équipe qu’il est gai, il aurait de la misère. En plus, il se ferait
niaiser en masse. Je m’arrangerais pour ne pas être dans la douche en même
temps que lui. Il ne prendrait plus sa douche avec nous. L’équipe ne lui dirait
pas de ne plus prendre sa douche avec nous, mais il ne le ferait pas par respect
pour nous. Ça ne me dérange pas qu’un gars me voit, nu sauf s’il est homosexuel. C’est différent parce que ce n’est plus le même contact. Je ne le verrais
plus de la même façon. Ce n’est pas nécessairement qu’il me désirerait, mais il
pourrait le faire... C’est le fait qu’il soit nu. C’est le fait qu’il est homosexuel... Je
n’irais pas jusqu’à dire que c’est comme s’il y avait une fille dans les douches.
174
Mais ce serait un gars me regardant comme une fille peut me regarder. Ça me
dérange dans mon intimité. Un gars qui regarde un autre gars tout nu, deux hétérosexuels, tu t’en fous, mais un fif ! Il y a du monde qui sont beaucoup homophobes, qui haïssent ça bien raide, puis qui sont pas capables. C’est sûr qu’il se
ferait tapocher. Et je ne les en empêcherais pas non plus. Je n’ai jamais été ami
avec un gars qui était fif parce que je voulais rester avec mes amis. Je ne prendrais pas la défense d’un fif. De toute façon, j’ai déjà ostracisé des gars que je
traitais de tapettes et de fifs – Bertrand, hockey
Dans la société, si tu es homosexuel, tu n’es pas considéré comme un homme.
Les homosexuels, pour la société, sont catalogués : c’est des fifs, des tapettes,
des pousseux de crotte. – Sylvain, football
Ça m’est arrivé de rire d’un gars qui avait l’air fif pour ne pas que le monde
pense que je le défends. Quand un gars trouve un fif et le dénonce, tout le monde l’applaudit. T’es en gang, si tu ne le dénonces pas, c’est toi qui vas y passer.
– Manu, baseball, hockey
La vérité sur la socialité des grégaires serait-elle entièrement révélée dans le témoignage cidessous ? Sport, hétérosexualité, contagion du genre et représentation sociale de la masculinité s’amalgameraient en une parfaite image traditionnelle de l’homme. Notons, dans ce
témoignage, les signes évident d’homophobie.
Si les gars pensent qu’un tel est gai, il ne sortira plus avec nous autres parce
que l’on a peur d’être associé à lui. Les autres vont penser que nous autres aussi on est gais. C’est pour ça qu’on se tient ensemble ; parce que l’on est des
vrais gars ensemble, hétérosexuels. On aurait peur que ça retombe sur nous.
C’est comme s’il était contagieux. On ne veut pas attraper sa maladie. – Benoît,
frisbee extrême
C’est la plus grosse honte d’être étiqueté gai. Il fallait avoir une blonde pour que
tout le monde sache où tu te situais. Nouer des contacts avec un gai, c’était tout
de suite faire planer le doute. Et il n’y a plus personne qui va vouloir faire de
sport avec toi. Il n’y a plus de gars qui vont vouloir se tenir avec toi. Il faut que tu
fasses tout ce que tu peux pour ne pas avoir l’air de ça. Je n’ai pas envie que du
monde pense que je suis gai. Je serais obligé de prouver que ce n’est pas le cas.
Mes amis sont complètement homophobes. Ça remettrait en question leur amitié
avec moi. – Benoît, frisbee extrême
Enfin, la défense de sa masculinité — attaquée par l’homosexualité — peut aller facilement
jusqu’à la violence gratuite, comme le raconte le grégaire suivant.
Si tu penses que tu te fais cruiser par des gars, c’est la honte. Il faut que tu sois
le plus violent possible avec ces gars-là, pour prouver justement que tu n’es pas
un calice d’espèce de fif. Me cruiser, c’est sérieusement vouloir manger un coup
de poing sur la gueule. Si un gars vient te parler, il te parle trop longtemps, tu
commences à avoir des réserves. Tu l’étiquettes gai tout de suite. T’attends juste
le premier mouvement et tu le tapoches. Tu ne prends pas de chance. – Benoît
frisbee extrême
175
Le témoignage précédent est à l’image de la réalité racontée par de nombreux garçons. Le
répondant suivant a appris à ses dépens qu’il faut toujours nier haut et fort les accusations
d’homosexualité et ne pas hésiter à recourir à la violence si nécessaire.
Cet été, j’aurais aimé être avec mes chums de hockey, pour en sacrer deux ou
trois par-dessus bord. On était sur un traversier et un gars m’a dit « tu es un
christ de fif ». J’ai dit « en quoi ça te concerne ». Je n’ai pas voulu le nier parce
que je trouvais ça absurde de dire que je suis gai ou pas. Puis là, il s’est mis à
me traiter de fif. Il criait, puis il y a deux de ses amis qui sont arrivés. Ils m’ont
pointé du doigt et tout le monde m’a pointé du doigt en me traitant de gai. Avoir
été avec mes copains de gars, ça se réglait. Je sautais dans le tas, puis c’était
clair. Je leur aurais montré ce qu’un gai peut faire, et pourtant, je ne suis pas
gai. – André, soccer
Comment les grégaires composent-ils avec la présence éventuelle d’hommes homosexuels
quand leur équipe n’est pas immédiatement présente ? La réponse à cette question se retrouve dans le témoignage suivant.
Je pense au couple avec qui je suis ami. Ça ne me dérange pas pantoute. Quand
ils s’embrassaient devant moi. Au début, je trouvais ça un peu gossant. C’est
peut-être à cause du jamais vu. Il y en a un des deux que c’est l’ami de ma
blonde depuis son enfance. – Antoine, football
En fait, ce ne sont pas ses amis à lui, mais ceux de sa copine. Ce phénomène se retrouve
chez tous les grégaires rencontrés qui ont un ami gai. Les amis gais, quand ils existent, apparaissent par la copine, un oncle, un cousin ou un frère. Comme s’il fallait une bonne raison aux sportifs, ce serait une autre forme d’alibi pour ne pas avoir l’air homosexuel. Les
grégaires rencontrés dans le cadre de cette recherche n’ont jamais eu d’amis homosexuels
qu’ils ont choisis expressément par eux-mêmes. La fréquentation d’hommes homosexuels
obligerait à avoir un alibi, « une excuse » pour ne pas risquer de se faire contaminer, car
comme on a pu le voir pour Paul, ne pas affirmer avec assez de force l’homophobie ne ferait
que confirmer les doutes quant à l’homosexualité. L’homosexualité serait pour les grégaires
une accusation. L’homophobie occupe une place importante dans la vie des grégaires. Ils se
définissent souvent dans un rapport différentiel avec l’homosexualité afin de la tenir le plus
possible éloignée de leur existence.
Les grégaires craignent qu’il y ait des homosexuels dans leur équipe. Ces homosexuels seraient à éliminer afin d’éviter la contagion, mais aussi pour que leurs rituels demeurent ce
qu’ils sont et ne deviennent pas des actes homosexuels. C’est donc dire que les grégaires
seraient d’une certaine façon conscients qu’il ne leur est pas possible d’être hétérosexuels
tout en ayant des contacts génitaux avec quelqu’un qui serait homosexuel. Cependant, la
176
quête de certains répondants pour trouver un homosexuel dans leur équipe fut vaine. Pourtant, la recherche d’hommes gais dans leur équipe est d’autant plus pertinente pour les
sportifs qu’ils constatent qu’à la différence de la société en général, où il y a des hommes
gais, dans le sport et dans leur équipe en particulier, ils sont totalement absents à leurs
yeux. La recherche d’un joueur homosexuel ressemble au jeu « Où est Charlie ? »20. Certains
joueurs sont « suspects » et n’ont pas d’alibi comme une copine ou des histoires grivoises à
raconter. Ce n'est pas par hasard que les joueurs utilisent le mot « suspect » en usage dans
le domaine juridique et policier. L’usage du mot serait une démonstration de l’état d’esprit
(inconscient) dans lequel on cherche à identifier les joueurs homosexuels. On élimine ensuite
les suspects ayant un alibi. Le doute continue cependant à planer sur ceux à qui l’on n’a pas
trouvé d’éléments de preuve qu’ils ne sont pas homosexuels. Enfin, les joueurs évoquent la
rumeur et de nébuleuses statistiques, impossibles à vérifier, prétendant la présence d’un
certain pourcentage d’hommes gais dans le sport, et en particulier dans le football. Les rumeurs, comme Kapferer (1987) l’a précisé, seraient le marché noir de l’information et ne sont
que le reflet de préoccupations sous-jacentes. Ici, la rumeur se ferait simplement l’écho de
l’angoisse ressentie par les joueurs de trouver des « gais » parmi eux.
Comment expliquer cette absence d’hommes ouvertement homosexuels dans l’équipe ? La
plupart des joueurs rencontrés pratiquent un sport depuis plus de 20 ans. Ils n’ont fréquenté que des groupes d’hommes sans jamais avoir vu ou constaté la présence de joueurs homosexuels, même s’ils en ont cherchés. C’est que toute la structure sportive et toutes les
interactions entre les hommes sportifs sont faites de façon à faire passer les expressions
sexuées entre hommes pour autre chose que de l’homosexualité et à occulter celle-ci. De
plus, le climat particulièrement homophobe qui règne au sein des groupes sportifs pousse
sans nul doute les hommes homosexuels à quitter le milieu, ou du moins, à taire leur homosexualité. Enfin, l’homosexualité déclarée d’un des leurs créerait une sorte de bruit dans la
socialité des grégaires, invalidant tous les alibis permettant de déshomosexualiser les actes
sexuels auxquels s’adonnent les membres de l’équipe. Du bruit, en effet, que les sportifs
n’ont pas entendu souvent puisque, selon les grégaires, il n’y a pas de gais dans les sports.
Les sportifs ne les verraient pas et aucun joueur n’affirmerait ou ne révèlerait son homosexualité. Ce silence contribuerait à son tour à nourrir auprès des joueurs des représentations sociales stéréotypées de l’homosexualité et il les conforterait dans leurs certitudes qu’il
n’y a pas d’homosexuels dans leur équipe. Le football serait un sport d’hommes, de vrais et
20 Nous rappelons aux lecteurs la note précédente expliquant qui est Charlie. Nous faisons référence à
une expression utilisée par les soldats américains lors de la guerre du Vietnam, lesquels avaient nommé « Charlie » l’ennemi Vietcong. Le nom fait également référence au jeu qui consiste à trouver un personnage du nom de Charlie à travers un ensemble de dessins complexes dans lesquels Charlie est très
difficile à repérer.
177
non de « fifs », parce que « ça cogne dur », que « ce sont des athlètes » et qu’« un athlète ne peut
pas être gai » selon les répondants rencontrés. Dans cette vision, les hommes homosexuels
n’ont pas leur place dans le sport.
Une fois l’absence de joueurs homosexuels constatée, on peut tout de même se demander ce
qui se produirait si un joueur du groupe révélait son homosexualité. Dans leurs témoignages, les joueurs racontent comment ils anticipent leur propre réaction et celles des autres au
dévoilement de l’homosexualité d’un des leurs. Les réactions les plus significatives pour les
joueurs seraient celles du groupe, car ce sont les valeurs du groupe qui dicteraient les règles
à suivre. C’est l’attitude du groupe qui déterminerait comment se ferait l’accueil des différences. Les joueurs ne feraient que suivre les règles de leur groupe. Conformément à leur mode
de fonctionnement social, les grégaires ne se compromettraient probablement jamais dans
des situations ou des actions qui les isoleraient du groupe et les placeraient éventuellement
en situation de déliance (Bolle de Bal, 1985, 1996) potentielle ou de rupture avec le lien social (Goffman, 1975). Quelques rares joueurs ont manifesté individuellement et dans le secret de l’entrevue, une attitude plus favorable que d’autres envers l’homosexualité masculine. Cependant, ce minimum d’ouverture, qui ne pourrait être que douteux pour l’équipe, est
vite tempéré par la peur de la marginalisation. Notons que la marginalisation fait partie des
critères de la masculinité hégémonique évoquée par Connell (2005). Bien que les joueurs ne
puissent se prononcer individuellement en toute honnêteté sur ce que pensent les autres, il
est certain que dans le cadre de la vie en équipe, un joueur homosexuel ne pourrait révéler
son statut sans briser la complicité, la reliance et l’esprit d’équipe qui l’unissent aux autres.
De plus, l’anticipation du rejet est basée sur le souvenir d’événements à caractère homophobe dont ils ont été témoins comme l’ont raconté certains répondants.
Plusieurs grégaires préfèrent ignorer l’homosexualité d’un joueur, alors que d’autres recommanderaient à ceux qui le sont de se taire. Il peut s’agir d’un silence de parole ou d’action.
Le joueur homosexuel devrait simplement se comporter comme s’il était hétérosexuel. La vie
en équipe et la cohésion du groupe reposeraient en grande partie sur la présomption que
tous seraient hétérosexuels. En fait, compte tenu de leurs témoignages, on est en droit de
penser que la plupart des sportifs préfèrent vivre dans une réalité hétérosexualisée que
d’affronter la vérité.
Les douches collectives, comme l’ont montré plusieurs auteurs (Bersani, 1998 ; Bérubé,1991 ; Bruce, 2002 ; Pronger, 1990), sont principalement évoquées comme lieux problématiques où la présence d’hommes homosexuels suscite l’anxiété, parfois la colère, quand ce
n’est pas le dégoût ou la violence (Chen, 2000). Comme si, dans la logique des sportifs, le fait
178
d’être nus en présence d’un homosexuel représentait de facto un acte sexuel ou constituerait
un risque de contagion21. En présence d'un homme homosexuel dans le vestiaire, on ne peut
plus jouer à faire semblant. Il vaut donc mieux garder les hommes homosexuels loin de soi,
pour continuer à pratiquer les activités sexuelles que l’on sait sans risque de se sentir homosexuel ni que d’autres aient des soupçons en ce sens. En fait, peu importe les lieux ou les
circonstances, aucun alibi ne peut justifier aux yeux du sportif la présence d’un homme homosexuel nu à leurs côtés. C’est ce qui expliquerait en bonne partie que la frontière entre la
tolérance et le rejet soit parfois plutôt mince. Compte tenu de la dimension contagieuse de la
masculinité hégémonique pour ces jeunes hommes, l’acceptation de l’homosexualité déclarée
serait perçue comme étant dangereuse pour le groupe. Par une quelconque association à
l’homosexualité, le grégaire craint le rejet social pur et simple.
Les joueurs auraient à prouver leur masculinité et donc leur hétérosexualité à tout moment.
C'est le contact avec les autres qui nourrirait les grégaires. Un joueur homosexuel parmi eux
ne pourrait que les contaminer en suivant le même mode de contagion identitaire. Les grégaires se devraient d’être constamment sur leurs gardes et prêts à répondre de leur orientation sexuelle en tout temps, notamment par un alibi, comme le fait d’avoir une copine, la
réalisation de prouesses sportives ou la capacité de se battre. Pour les grégaires, il n’existe
pas de vie réelle à l’extérieur du sport. Demander comment l’homosexualité est acceptée à
l’extérieur de leur équipe et de leur sport est donc une question qui a peu de sens pour eux.
10.4.2
Les solitaires : entre ouverture et efféminophobie
Dans cette partie, on verra comment l’homophobie et l’efféminophobie se construiraient et se
vivraient chez les solitaires et comment elles s’inscriraient dans le toucher, les conversations
et d’autres actions.
10.4.2.1 Des conversations et des hommes
Selon les solitaires, existeraient deux types de conversations : les masculines et les féminines.
Avoir des sujets de conversation qui sont plus masculins comme le sport. –
Richard, natation
On va parler de job, on va parler de chars. – Hervé, aviron
Un homme ne va pas parler avec les femmes, il va parler du sexe des femmes. –
Thomas, patinage artistique
Il a été impossible de consulter l’article complet de S. Tomsen (1998) « He had to be a poofter or something, Violence, male honour and heterrosexual panic » Journal of Interdisciplinary Gender Studies,
3 (2), 44-57, portant sur ce sujet particulier.
21
179
Les filles parlent de maternité, de maisons et de décoration ou de choses comme
ça. Elles parlent aussi de sexualité, des beaux gars, mais il y a des choses qui
sont plus en lien avec les femmes, comme l’épilation. Je ne pense pas que je
parlerais d’épilation avec ma sœur. Je ne m’intéresserais pas non plus de savoir
quelle cire elle utilise. Ma sœur parle de ça avec mon cousin qui est gai. Ça ne
doit pas l’intéresser, il a beau être gai, ça reste un gars quand même. – Hervé,
aviron
Les sujets touchant la sexualité sont difficilement abordables, surtout si l’interlocuteur est
gai.
C’est sûr qu’avec un gai, je ne parlerai pas de ses relations amoureuses, mais je
peux parler des miennes. – Hervé, aviron
Les conversations ressortent comme un élément marquant le genre chez les solitaires ce qui
n’est pas le cas chez les grégaires. Il semble que, pour les solitaires, certaines conversions
soient typiquement plus masculines que d’autres. Les solitaires définissent les choses à dire
ou à ne pas dire. Ils décident également des personnes à qui parler afin de préserver leur
masculinité. Il y a d’abord les sujets de discussion comme le sport, les femmes et, bien sûr,
les voitures ou le travail, qui maintiennent une image sociale de masculinité. Le discours des
répondants est stéréotypé. La manière traditionnelle qu’ont les solitaires de vivre leur identité de genre les fait parfois ressembler à des caricatures d’humoristes. Selon les solitaires, les
femmes auraient des sujets de conversation qui leur seraient propres. Les préoccupations
esthétiques seraient, comme on s’en doute, typiquement féminines. De plus, les répondants
refuseraient de converser sur des sujets qu’ils considèrent comme non masculins. On peut
même penser que certains sujets pourraient faire pâlir leur masculinité. Enfin, pour les solitaires, le fait qu’un homme soit gai ne devrait rien changer à son intérêt aux sujets de
conversation « féminins » ou « masculins ».
10.4.2.2 Gestes permis et les gestes interdits
Comme les grégaires, les solitaires touchent à d’autres hommes et leurs contacts sont codifiés tout comme pour les grégaires. Les contacts se déclinent en catégories de gestes permis
et interdits selon les contextes et les personnes. Les solitaires précisent ce qui est permis et
ce qui est interdit.
Un gars qui me toucherait les parties intimes, même un ami proche, c’est non.
Une tape sur les fesses, ça ne me dérange pas trop quand c’est fait avec humour. – Mario, natation
Sont encore assez rares les gestes que tu peux faire entre gars. Tu peux te
prendre par les épaules quelques secondes après avoir fait un bon coup, une petite tape par en arrière après avoir joué, mais à part de ça, c’est assez rare. Il n’y
a pas grand contact de permis. Les filles au travail, je vais leur flatter le dos une
180
fois de temps en temps, mais l’autre gars qui est au bureau, non. Et si un gars
me faisait ça, ça dépend du contexte, ça dépend de qui, mais je trouverais ça
déplacé. – Thomas, patinage artistique
Et pour ce qui concerne le baiser.
Avant, quand je voyais des gars s’embrasser ou se tenir par la main, ça me dérangeait. Les hommes ne font pas ça. Il y a plein de pays où les hommes
s’embrassent, mais pas ici. Mes amis de gars, je sais que si je les embrassais,
même sur les joues que ça ne passerait pas. Ce sont les gais qui font ça. – Pierre,
natation
Embrasser n’est pas possible. Ça me mettrait dans le trouble face au monde. Si
je vois deux gars qui s’embrassent, je vais penser qu’ils sont gais ou d’une autre
culture. – Richard, natation
Même pour les solitaires homosexuels, donner un baiser en public à un autre homme suscite la plupart du temps des réactions sociales avec lesquelle il faut apprendre à composer.
Quand j’embrasse mon chum dans la rue, on se fait regarder avec de
l’étonnement ou de la surprise. Le monde se demande s’il a bien vu. C’est sûr
que c’est un stress. – Mario, natation
Enfin, entre membres d’une même famille, le baiser entre hommes sur la bouche serait possible. Le contact prolongé des mains serait un signe d’homosexualité à éviter. Ce type de
contact demeure donc un geste de sensualité qui ne saurait être acceptable.
Chez nous, on se colle et on s’embrasse. Pas sur la bouche, mais sur les joues.
Je dirais que pour les accolades, il n’y pas de problèmes, mais se prendre par la
main, non. Si deux hommes font ça, ça renvoie un autre message. – Hervé, aviron
Les solitaires, comme les grégaires, définissent les gestes socialement permis ou interdits
entre hommes. Il y aurait une forme de sanction sociale réelle ou appréhendée pour avoir
franchi l’interdit, laquelle sanction serait la perte partielle ou totale de la masculinité, la féminisation et même l’homosexualisation. Dans la plupart des cas, le résultat serait la marginalisation de l’individu au sein de son groupe social. Les contacts entre hommes se devraient
d’être brefs et ne seraient possibles que dans certaines circonstances ou cultures. À
l’extérieur de ces limites, tout contact physique est interdit entre hommes, le plus honni
étant celui avec la bouche. En effet, en plus de déranger, le baiser entre hommes est un signe évident d’homosexualité ou d’origine culturelle différente. Sur ce sujet, le point de vue
des solitaires et des grégaires est identique. Les solitaires ne se touchant que peu entre eux
et les grégaires se touchant beaucoup en comparaison, on pourrait penser que leurs idéaltypes respectifs à propos des touchers sont à l’opposé l’un de l’autre. En effet, les grégaires
s’autorisent des contacts nombreux — avec les mains notamment —, mais ces contacts sont
181
toujours furtifs et rapides. Qui plus est, même si certains actes sont sexuels, ils ne sont jamais sensuels. Pour les deux types de sportifs, la sensualité et la douceur n’ont pas leur
place entre hommes, mais seulement avec les femmes.
10.4.2.3 Les cours d’éducation physique et l’appartenance au masculin
Les performances sportives des solitaires déterminent-elles leur appartenance au genre masculin et renforcerait-elle leur sentiment de conformité au modèle masculin le plus valorisé ?
Peut-on penser que plus les performances sportives seraient élevées, plus la masculinité
serait grande, autrement dit la masculinité est proportionnelle aux performances sportives ?
Je me suis fait appeler la tapette parce que je n’étais pas bon dans les sports. –
Richard, natation
Je l’avais traité de fif parce qu’il n’était pas capable de faire des push-ups. –
Victor, tennis
Au secondaire, il y a tout le temps quelques gars qu’on dit gais parce qu’ils ne
sont pas bons dans les sports. Ils vont se faire traiter de tapettes et de fifs durant tout leur secondaire. Ils étaient toujours dans les derniers choisis dans les
sports d’équipe. C’est le sport d’équipe qui était primé. Ces gars-là n’ont pas le
goût d’être dans l’équipe et tu sais que les autres n’ont pas le goût qu’ils soient
là. – Pierre, natation
Les professeurs d’éducation physique, en plus de participer à l’exclusion de certains garçons
en laissant le contrôle du vestiaire aux sportifs, participeraient à l’oppression des garçons
non conformes.
Les professeurs d’éducation physique soutenaient eux-mêmes ces valeurs-là.
Tout le monde était complice de ça. Il y avait même un professeur qui me traitait
de fif devant tout le monde. – Pierre, natation
Le prof, il me faisait suer. Il était bâti. Il se promenait en montrant ses muscles.
Je le trouvais fendant. S’il y avait eu un prof plus sympathique qui m’avait pris
en main, j’aurais mieux aimé les cours. C’est ceux qui réussissaient bien qui
avaient toute l’attention. Au secondaire, je haïssais les cours d’éducation physique parce que j’étais tout le temps moins bon que tout le monde. À un point tel
qu’au lieu de dire aux gars de me donner une chance, le professeur m’a mis
dans l’équipe des filles au volley-ball. – Mario, natation
Pour les solitaires, les sports de groupe seraient les plus masculins.
Je dirais que l’on avait plus de Français que de fifs en athlétisme. Quand je
jouais au hockey, je dirais que le gars aurait été mis de côté. – Hervé, aviron
Dans la tête du monde, un gars qui fait du patin au lieu de jouer au hockey,
c’est un fif. On me demandait pourquoi je ne jouais pas au hockey tant qu’à patiner. Le primaire n’a vraiment pas été facile. Au secondaire, je me suis fait éc-
182
œurer par les joueurs de hockey. Les gars homosexuels peuvent s’afficher au
patin. – Thomas, patinage artistique
Enfin, pour se prouver à eux-mêmes leur masculinité, Certains garçons s’adonnent à des
comportements de type ordalique.
C’est pour montrer que je suis courageux que j’ai sauté en parachute. J’avais
peur du vide, mais j’avais besoin de me prouver. En vélo, j’ai fait des choses un
peu extrêmes, comme rouler très tard le soir après une journée de 240 kilomètres, coucher à des endroits insolites pour lever ma tente. J’ai besoin de me faire
remarquer de cette façon-là. – Simon, cycliste
Comme Mario, certains garçons ayant été placés dans des groupes de filles pour la pratique
d'un sport à l’école secondaire se sont vus doublement ostracisés. À l’âge où l’identité de rôle
de genre se forme et se renforce, l’association au féminin par l’inclusion dans un groupe de
filles ne pourrait que contribuer à l’exclusion sociale d’un garçon et accentuerait son isolement. Il est possible qu’une sorte de cercle vicieux s’installe. Plus le garçon stigmatisé est
isolé, plus il est féminisé et plus il est féminisé, plus il est isolé.
Il semble que les cours d’éducation physique à l’école secondaire constituent une structure
favorisant une hiérarchisation des genres qui soutiendrait grandement l’apprentissage de la
concurrence et de la domination d’un genre sur un autre et d’un type de masculinité sur un
autre. Il appert que, dans ce contexte, le sport serait le lieu où se mesure la masculinité.
Ceux qui échouent au test sportif auraient peu de chances de se reprendre, car la structure
sportive et sociale ne leur en laisserait pas l’occasion. Toute la structure sociale participerait
à ce phénomène par la valorisation des sports d’équipe et par l’exacerbation d’un modèle de
masculinité proche de ce que Connell (2005) décrit comme la masculinité hégémonique.
Dans ce contexte, les sports collectifs et agonistes, comme le hockey et le football, sont les
plus valorisés et les plus associés à une véritable masculinité cela tant par les solitaires que
les grégaires. Les professeurs d’éducation physique seraient alors les courroies de transmission de valeurs masculinisantes proches du modèle de masculinité hégémonique. La plupart
des répondants ont participé à cette masculinisation à modèle unique ou en ont été victimes.
En effet, dans un contexte sportif ne favorisant qu’un seul modèle de masculinité, il ne saurait y avoir d’acteurs neutres. Les jeunes hommes sportifs seraient soit bourreaux, soit martyrs, et leurs professeurs, des gourous orchestrant la mise en scène de la construction du
genre masculin conformément au modèle de la masculinité hégémonique. Enfin, certains
garçons, notamment quand ils sont livrés à eux-mêmes, seraient poussés à des activités à
saveur ordalique pour prouver leur masculinité. La tentation ordalique constitue encore une
fois un élément soutenu par la masculinité hégémonique. Les sportifs ne valoriseraient
183
qu’un modèle de masculinité et le fait de ne valoriser qu’un seul modèle de masculinité est
aussi un trait typique de la masculinité hégémonique.
10.4.2.4 Être efféminé, c’est… .
L’éfféminement, ou du moins la non conformité de genre, dérange les solitaires. Ils savent
d’ailleurs ce qu’est l’efféminement bien qu’ils n’aient pas de définition concise à lui donner et
que parfois un glissement avec l’homophobie se fasse aisement. De plus, la non-conformité
de genre permettrait de discerner qui est homosexuel de qui ne l’est pas.
Le contraire de viril c’est quoi ? Efféminé ? – Simon, cycliste
Être efféminé, c’est avoir une voix aiguë, parler beaucoup comme une fille,
s’éclater vocalement, bouger ses mains comme une femme plutôt que comme un
gars, rire facilement, marcher en se déhanchant,. – Simon, cycliste
On sait qui sont homosexuels dans le patin par le genre de sparages qu’ils font.
C’est vraiment du ballet. C’est vraiment des affaires de fifs. Un gars qui va
s’intéresser au patin, au ballet ou aux arts en général, quelqu’un qui a le poignet
cassé, c’est dans la façon de parler… – Thomas, patinage artistique
C’est des façons de parler, d’agir, de s’exprimer verbalement et non verbalement
qui se rapprochent d’un comportement plus typiquement féminin, la façon de
bouger, de parler avec les mains, des fois dans les intonations aussi. Les gais
parlent beaucoup plus que la majorité des gars hétérosexuels. – Mario, natation
Tu peux dire si un gars est gai par la voix aiguë ou maniérée, la façon de
s’exprimer, l’apparence et la démarche sont plus féminines. – Richard, natation
Être efféminé, c’est avoir des traits féminins, être très volubile, avoir une petite
voix… – Hervé, aviron
Enfin, l’allure générale y est aussi pour quelque chose dans les signes qui marquent
l’efféminement.
Porter du linge de couleurs plus vives. C’est tout placé, très étudié, puis on dirait
des fois qu’il a une décoloration dans les cheveux. – Simon, cycliste
C’est surtout par la gestuelle que les solitaires distinguent entre l’efféminement et la masculinité. En effet, il semble que les deux soient implicitement aux opposés. La voix, le mouvement des mains, le rire facile, la démarche, la volubilité, un souci pour l’esthétique sont
quelques-uns des signes marquants de l’efféminement selon les répondants. Les solitaires
campent la masculinité et la féminité sur un axe aux pôles opposés. Il n’y a rien de surprenant dans cette vision des genres, car l’ensemble des représentations sociales et du discours
social positionne les genres de manière opposée. Les solitaires seraient préoccupés par
l’efféminement alors que les grégaires n’en parlent que rarement. Il faut dire que les grégaires ont éliminé de toutes leurs fréquentations les garçons non conformes dès un jeune âge. Il
semble que pour les solitaires, le fait de ne pas pratiquer de « vrais » sports — c’est-à-dire
184
des sports d’équipe —, les placerait dans une forme « d’autosurveillance » plus pointue de
leur masculinité et ce qui les amènerait à avoir une définition plus traditionnelle des identités de genre. De plus, les solitaires n’ayant pas de groupe d’appartenance masculin auquel
se référer, leur conception des genres serait plus proche des modèles stéréotypés véhiculés
dans les représentations populaires.
10.4.2.5 L’attitude face à l’efféminé
Les solitaires associent souvent l’efféminement et l’homosexualité. Cependant, certains
joueurs font la distinction entre les deux. Les répondants suivants sont hétérosexuels. Pour
eux, l’homosexualité ne change rien à la masculinité, même si les identités de genre ambiguës ne sont pas souhaitables.
Le fait qu’une personne soit homosexuelle, c’est juste son orientation sexuelle,
son attitude, c’est autre chose. Il y a des gars qui ont moins de chance de se faire traiter de tapette que d’autres. Un gars efféminé va plus se faire traiter de tapette qu’un autre. Il y a des traits qui sont associés à l’homosexualité. Il y a les
tapettes et il y a les homosexuels. Des fois, je ne comprends pas pourquoi les
gens mettent autant d’accent là-dessus. Je ne serais pas moins homme parce
que je serais homosexuel, ça serait juste un choix, tu restes, qu’est-ce que t’es de
toute façon. J’ai connu des gars straights qui aimaient beaucoup magasiner,
pour moi, ce n’est pas très masculin. – Hervé, aviron
Quelqu’un peut être très masculin et très viril tout en étant homosexuel. – Simon,
cycliste
Je ne considère pas qu’un homosexuel n’est pas un homme. Par contre, un homosexuel qui va se travestir... Un homme doit rester un homme. Vivre entre les
deux, ce n’est peut-être pas la meilleure chose. J’en ai vu beaucoup dans le patin et ailleurs, des gars qui étaient hétérosexuels avec des manières. – Thomas,
patinage artistique
Au-delà des distinctions et des définitions, les solitaires se forgeraient la plupart du temps
leur propre opinion sans trop se soucier de ce que pensent les autres. Certains d’entre eux
sont plus ouverts à la fréquentation de gars homosexuels ou moins conformes quant au genre.
J’ai l’ouverture face à ça. Je ne suis pas très perméable à l’opinion publique. Si
moi je trouve que c’est correct, c’est correct. Je n’ai pas arrêté de me tenir avec
un gars parce qu’il avait des manières, mais il y a du monde qui l’écœurait. –
Hervé, aviron
J’en ai eu des amis homosexuels. Je suis même sorti dans un bar homosexuel
une fois. Je n’ai eu aucun problème avec ça. – Thomas, patinage artistique
J’ai du mal à comprendre le fait que les gens se sentent à ce point là en danger
par l’homosexualité. – Victor, tennis
185
Certains répondants n’auraient pas peur d’être associés à l’homosexualité et seraient même
venus à la rescousse d’autres garçons ostracisés ou pris à partie à cause de leur nonconformité de genre. Dans les réponses suivantes, un patineur revoit chez ses élèves les cauchemars de son enfance et n’hésite pas à intervenir. D’autres solitaires bénéficiant d’un bon
capital social par leur plus grande conformité au genre, ont osé s’élever contre la discrimination et les campagnes de lynchage dont ils ont été témoins.
Un de mes élèves s’est fait écœurer par un joueur de hockey. Je l’ai poigné à
l’aréna je lui ai dit « je suis deux fois gros comme toi, tu feras bien ce que tu veux
avec ton sport, mais que je ne te vois jamais écœurer mon élève parce que je vais
aller voir ton coach puis c’est certain qu’il va se passer quelque chose ». Je ne
veux pas que mes élèves passent par où je suis passé. Ils se font écœurer. Les
gars ne le disent pas qu’ils font du patin. Ils ne veulent pas se faire écœurer. –
Thomas, patinage artistique
J’avais un bon ami qui se faisait traiter de tapette au secondaire. Un jour, les
gars de l’école ont mis des affiches « Paulette la tapette ». Je suis allé devant tout
le monde et j’ai enlevé les affiches et je les ai engueulés. J’étais président de
l’école, j’avais une certaine autorité. Certaines personnes ont trouvé cela vraiment impressionnant. Ça ne me dérangeait pas qu’il soit efféminé. – Richard, natation
Mais tous n’ont pas cette possibilité et ne se lancent pas au secours des garçons efféminés
ou associés à l’homosexualité par crainte d’être marginalisés à leur tour. Pour le répondant
suivant, la sodomie, qu’il n’a jamais voulu nommer durant l’entrevue tellement la chose le
répugnait, est associée à l’homosexualité.
Je vais avoir dédain de certaines pratiques que vont avoir les homosexuels et
c’est pour ça qu’ils m’écœurent. – Thomas, patinage artistique
Très tôt dans la vie, les garçons comprendraient que l’efféminement et l’homosexualité amènent la stigmatisation et le rejet par la société. Ils reproduisent l’homophobie dans leurs actes et attitudes.
À mon école, il y en avait quelques-uns d’efféminés. Ils étaient très jeunes et déjà le monde riait d’eux à six ou sept ans. Ils étaient mis de côté. Ils se tenaient
ensemble. Les hommes efféminés sont faciles à ridiculiser, parce que personne
ne les défend. – Édouard, badminton
Je les accepte, mais avec des conditions ou des limites. Je n’aurais pas un ami
efféminé. – Simon, cycliste
Le fait d’être avec une personne efféminée, ça n’aide pas les autres à
m’accepter. C’est plus facile pour moi d’être accepté comme homosexuel en
n’étant pas efféminé. On peut être gai, mais c’est moins grave, parce que je reste
comme les autres gars. – Simon, cycliste
186
Il y avait un gars qui s’était fait écœurer au patin, c’était écœurant. On s’était tellement fait écœurer, que quand on savait qu’il y en avait un, il payait pour. Mais
je n’aime pas ça. Je me sens mal après, j’ai des remords. Bien je n’ai pas écœuré quelqu’un bien sérieusement. J’ai écœuré des gars, je leur ai parlé dans le
dos pour ne pas être exclu de certains groupes. Dans un camp de dépistage, un
gars était maniéré, c’était incroyable. Les gars l’écœuraient. Un moment donné,
on s’est réunis, puis tout le monde l’écœurait dans son dos. Je pense qu’il avait
entendu. Je suis allé le voir, je lui ai dit en pleine face qu’il était efféminé et je lui
ai dit d’essayer d’avoir l’air moins homosexuel. – Thomas, patinage artistique
La plupart du temps, les grégaires comme les solitaires tendent à s’éloigner des garçons dits
homosexuels, par peur de la contagion et cette peur peut conduire à la commission d’actes
de violence. L’homosexualité serait un stigmate qui tache plus que d’autres (Lajeunesse,
2001). C'est alors que l’on voit l'acceptation de certains se limiter ou devenir simple tolérance, voire se transformer en rejet. En fait, ce n'est pas tant l’homosexualité que la nonconformité de genre qui indisposerait les garçons et les pousserait à rejeter ceux qui ne sont
pas conformes au genre. Pour les garçons, tous les moyens seraient bons pour éloigner le
stigmate homosexuel. La violence envers les jeunes hommes identifiés comme homosexuels
est d'autant plus facile à utiliser qu’elle est cautionnée socialement.
D’autres solitaires ont ostracisé et même violenté certains garçons efféminés. Chez les patineurs, par exemple, il y aurait un désir de revanche. Les patineurs artistiques rencontrés
ont souvent été victimes d’homophobie. Au lieu de faire porter la responsabilité de leur souffrance aux valeurs homophobes des sportifs et du milieu sportif, ils en feraient porter le
blâme aux patineurs homosexuels eux-mêmes qui attireraient, « sur le patin » et les patineurs, la mauvaise réputation d’être un sport homosexuel.
« Personne ne défend les homosexuels » comme le disent certains répondants. Même les solitaires homosexuels n’oseraient pas s’impliquer dans une situation où l’orientation sexuelle
ou la conformité de genre est en cause. Ils n’interviendraient pas, de peur de mettre en péril
l’identité de genre qu’ils tentent de bâtir et par le fait même une partie de leur capital social
(Bourdieu, 1980, 1994). La manifestation publique de toute solidarité avec des jeunes hommes homosexuels serait donc antinomique à leur démarche d’autant plus que certains sportifs s’efforceraient grandement de paraître le plus masculin possible et que le résultat de
leurs efforts ne semblent cependant pas toujours probant selon leurs critères de masculinité
qui a beaucoup de points communs avec la masculinité hégémonique décrite par Connell
(2005).
On constate que les sportifs identifiés comme homosexuels seraient abandonnés par leur
milieu et qu’il existerait une complicité soutenant une masculinité ressemblant à la mascu-
187
linité hégémonique notamment par ses valeurs homophobes. L’homophobie des solitaires
diffèrerait dans la forme à celle des grégaires. Les solitaires seraient davantage préoccupés
par la conformité de genre que par les comportements homosexuels comme tels. Les conversations que l’on peut avoir ou non avec les autres joueurs ou les hommes en général seraient
clairement définies par des critères distinguant l’acceptable et de l’inacceptable. Les gestes
interdits et les gestes permis seraient ainsi bien déterminés. Enfin, les solitaires ont une idée
assez précise de ce qu’est une gestuelle efféminée et ils excluent souvent de leurs relations
personnelles les garçons en non-conformité de genre même s’ils sont eux-mêmes homosexuels.
Tableau 8. L’homophobie chez les grégaires et les solitaires
Grégaires
Solitaires
Peur du féminin
Alibi pour ne pas être homosexuel
Gestes permis et interdits
Pas de conversation typique
Conversation typique
Pas de gais sportifs autour d’eux
Présence de gais autour d’eux
10.5 Être homme
Comment les répondants définissent-ils la masculinité ? La réponse à cette question n’est ni
évidente, ni facile à cerner pour les jeunes hommes sportifs rencontrés. Leurs réponses sont
souvent fort compliquées. Sur ce point, les grégaires et les solitaires sont assez semblables.
C’est pourquoi ils ont été rassemblés dans cette section. Les réponses sont regroupées en
cinq types, bien qu’elles soient toutes colorées de valeurs traditionnelles. L’analyse et la présentation des définitions du masculin se font dans l’ordre naturel dans lequel les répondants
les ont livrées. Mentionnons, la confusion, le corps, le contraire, les rôles et les attitudes et la
séduction. Enfin, les répondants ont été invités à se donner une note sur dix pour voir dans
quelle mesure ils se sentent en correspondance avec les valeurs masculines.
10.5.1
La confusion
La question était simple : « que signifie pour toi être un homme ? ». D’abord surpris par la
question bien que l’entrevue portait sur le sujet de la masculinité, les répondants ne savaient que répondre. La question a suscité parfois malaise, rires ou réactions d’anxiété…
Voyons ce qu’en pensent d’abord les grégaires.
Elle est dure cette question-là ! – Bertrand, hockey
Je ne sais pas ce que c’est que d’être un homme. – Didier, rugby
188
Je ne sais pas comment dire ça. C’est embêtant ta question. C’est difficile à expliquer par des mots. Je n’en ai aucune idée. – André, soccer
C’est quoi la virilité ? Je n’aime pas généraliser. Je n’aime pas dire que les femmes sont comme si, les hommes sont comme ça. Viril... ? Ça dépend, ça dépend
de chacun. Ma blonde me dit que je suis bien viril. Je la crois. Je ne sais pas si
je suis viril ou pas. – Éric, hockey
L’exemple le plus éloquent de confusion est le suivant.
Être un homme ? Je vais répondre comme cela me vient à l’esprit… Être un
homme ? C’est une question difficile. C’est une question que je pourrais élaborer
pendant plusieurs pages. … C’est compliqué comme question ! La société
d’hommes au sens homme… Être un homme… Une bonne question… C’est large, j’essaie de mettre une ligne de direction pour répondre… Je ne sais pas. Être
viril ce n’est pas une qualité. Être plus macho qui est plus viril au maximum, viril
c’est comme… Il ne faut pas être viril au maximum ou être efféminé au maximum. – Marc, football
Comme on pourra le constater à la lumière des réponses suivantes, les solitaires nageraient
eux aussi dans l’incertitude et l’hésitation.
C’est une bonne question, on ne peut pas aller chercher dans les livres. –
Richard, Natation
C’est vraiment embêtant comme question… Ça revient à la virilité. – Thomas, patinage artistique
C’est difficile à dire, il faut que j’y pense. Reviens-moi dans six mois et je vais te
le dire. Un vrai ? … Attends une minute, il faut que je pense, être un homme....
J’aurais besoin de beaucoup de temps pour penser à ça. Être un homme… Je dirais que c’est complexe. Il a autant de modèles d’hommes qu’il y a d’hommes.
– Simon, cycliste
Oh boy ! Ça dépend par quel bout tu l’entends. Être viril ou masculin, ça dépend
des définitions de chacun, de chaque pays. Pour moi, être viril et masculin…
Bonne question… Il faudrait que je réfléchisse quelques minutes. C’est sûr que
l’image véhiculée par la société, c’est …, mais je ne le sais pas. – Mario, natation
Finalement, les répondants ne savent pas ce que c’est que d’être un homme. Nous constatons le flou socioculturel dans lequel vivent les hommes sportifs québécois notamment quant
à la définition de leur genre. Cela est peut-être normal après plusieurs années de féminisme
qui ont permis aux femmes de se positionner comme sujet social. Le féminisme a également
permis des remises en cause des rôles de genre traditionnels. Cette confusion chez les répondants confirmerait « la crise de la masculinité » et corrobore d’une certaine façon les propos de Sommers (2000) qui prétend que « It’s a bad time to be a boy in America ».
189
10.5.2
Le corps, marqueur de l’appartenance au genre
À partir de quoi l’appartenance au genre masculin se construit-elle ? C’est ici que le corps
semble aider les répondants à définir la masculinité. Pour les grégaires…
Il y a l’aspect biologique, les chromosomes pour commencer. La pomme
d’Adam... – Didier, rugby
Pour moi, un homme, c’est une personne du sexe masculin. C’est très large, il
n’y a rien qui représente un homme comme tel à part son corps. – Éric, hockey
Pour quelqu’un qui est viril, il y a des caractéristiques physiques, mais cela n’a
pas nécessairement rapport à la grosseur. – Marc, football
Je peux définir le genre physiquement. C’est quelqu’un avec un zizi, alors que
les femmes n’en ont pas… On a plus de pilosité. Les poils sur la main. – Didier,
rugby
Pour les solitaires…
L’homme se définit le plus facilement par son physique. Il a un appareil génital à
lui, il a des caractères sexuels secondaires à lui (voix plus grave, pilosité plus
grande, musculature plus importante, taille plus grande, etc.). – Simon, cycliste
C’est sûr que, selon le stéréotype d’aujourd’hui et que j’ai intégré, l’homme plus
viril serait plus musclé. Un homme moins viril serait plus frêle. – Mario, natation
Un homme viril, c’est un homme musclé, poilu… Mais il arrive que des gars non
musclés soient virils aussi. Si je regarde quatre ou cinq gars en ligne, ce sont les
musclés et les biens bâtis que l’on va remarquer. – Édouard, Badminton
C’est d’abord quelque chose de physique. C’est d’abord un corps d’homme, les
organes d’homme puis ça se traduit ensuite par les traits de caractère. – Victor,
tennis
Un solitaire raconte comment il voit les joueurs de football.
Le physique est très important; on pourrait parler de puissance. C’est impressionnant quand l’équipe de football rentre dans la salle de musculation, ils n’ont
pas la même grosseur que nous. – Hervé, aviron
Ce répondant solitaire raconte comment il a compensé ses attributs physiques qu’il juge
insuffisants.
Je me suis rendu compte que je faisais quand même ce que tout le monde attend
d’un gars super musclé, super gros, fasse. Quand je suis rentré dans les pompiers, je m’attendais à payer, d’avoir de la misère. Je me disais que je n’étais
pas assez gros. C’est sûr que j’aimerais prendre un peu de masse, juste pour
moi. J’ai fini premier sur tous mes cours de pompier avec des mentions
d’excellence en forme physique. Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin d’être gros. Avec la forme physique que j’ai, ça ne me donne rien de devenir
gros. C’est mon corps, je suis fait comme ça. – Thomas, patinage artistique
Les répondants homosexuels, comme le suivant, n’échappent pas aux mêmes valeurs.
190
J’envie des gars qui ont des beaux corps masculins, donc pas efféminés, qui ont
une belle prestance physique et la voix virile qui va avec. J’aimerais que dans le
milieu gai, ce côté-là, cette valorisation-là du corps parfait, ou du côté viril, soit
un peu diminuée. – Pierre, natation
Un répondant solitaire raconte comment l’éjaculation a marqué son appartenance au genre.
La première fois que je me suis masturbé... Je me souviens de la sensation qu’à
partir de là, je pouvais faire des enfants. Voir mon sperme là, comme ça, ça a été
la fois la plus forte probablement. J’avais 11 ans. Il n’y a pas eu d’événements
plus marquants. C'est la période où j’ai le plus pris conscience que j’avais des
caractéristiques masculines. – Victor, tennis
Qu’est-ce donc qu’être masculin ? Répondre à cette question en référant constamment au
physique peut sembler satisfaisant de prime abord ou apporter un élément de réponse, mais
en réalité nous en restons au même point. Être masculin serait avoir un corps d’homme et
avoir un corps d’homme serait être masculin…
Pour les solitaires, après le cafouillage du début, le corps est, comme pour les grégaires, le
premier facteur déterminant qui apparaît en tant que marqueur du masculin. Ils évoquent
souvent les muscles et la pilosité comme signes particuliers de la masculinité, tandis que les
grégaires s’en tiennent davantage aux caractéristiques biologiques sans donner de précisions
supplémentaires. Être musclé permettrait de se distinguer, de se faire remarquer,
d’augmenter son capital social de masculinité. Les représentations traditionnelles de la masculinité influencent les répondants qui semblent tous avoir intégré les mêmes valeurs pour
définir le genre masculin : organes génitaux, muscles, poils, pratique sportive et même éjaculation.
Selon les répondants, il faut tenir la barre pour ne pas exagérer afin de garder une masculinité crédible et non caricaturale. La masculinité se jaugerait par l’habileté à conserver la
mesure acceptable. Pourtant, le juste milieu se perd souvent, car certains groupes plus que
d’autres, notamment les joueurs de football, suscitent l’admiration et l’envie. Dans l’esprit
des solitaires, les grégaires sont plus masculins. Il existe, chez les solitaires, un « nous »
identitaire signifiant « nous les moins masculins qui faisons un sport ordinaire » et un « eux »
idéalisé dont la masculinité plus grande suscite l’admiration. En effet, si la masculinité et la
virilité se mesurent en fonction de la grandeur physique et de la grosseur des muscles, il
n’est pas surprenant que les joueurs de football et de hockey en général de stature plus imposante soient valorisés plus que les autres sportifs.
191
Souvent coincés dans des prescriptions du corps en leur défaveur, si les garçons de notre
étude ne peuvent répondre à la norme du physique approprié, il leur faudra autre chose
pour contrebalancer. C’est la capacité de réussir au sens général, et en particulier dans le
sport choisi, qui comble alors leur sentiment d’avoir un corps qui ne correspond pas au modèle valorisé. Ces garçons ont toujours l’impression de ne pas être à la hauteur et ont tendance à en faire plus pour compenser, ce qui serait le cas de Thomas au physique trop petit
selon lui. La plupart des répondants vivraient la prescription sociale de la masculinité associée à la pratique sportive et calculée dans un ratio poids-muscle/taille-performance.
À la puberté, le corps peut réserver d’autres révélateurs de la masculinité telle que
l’apparition des poils pubiens ou de la barbe, mais la capacité d’éjaculer a été pour quelques
répondants le marqueur le plus fort. Cependant, cette « révélation » reste souvent secrète
pour les solitaires alors que les grégaires ont souvent pu l’explorer avec d’autress lors de
rituels tribaux ou initiatiques.
Il serait donc possible d’affirmer que les répondants tant grégaires que solitaires s’en remettent souvent au corps pour déterminer ou confirmer leur genre. Leur corps serait un élément
concret auquel se rattacher. Les solitaires parleraient davantage du corps que les grégaires
pour définir le masculin. Cela tiendrait sans doute au fait que les solitaires auraient un mode plus individuel d’appropriation et de confirmation de la masculinité puisqu’ils n’ont pas
de groupe de référence pour leur renvoyer une confirmation de leur identité de genre.
10.5.3
Le contraire
Pour beaucoup de répondants, être un homme, c’est ne pas être une femme…
Être un homme, c’est de ne pas être une femme ! Mais je ne me suis jamais dit
qu’un homme, ça fait un sport d’homme. S’il veut faire du ballet jazz, qu’il aille
en faire. – Sylvain, football
De plus, certaines caractéristiques seraient plus attachées à un genre qu’à un autre comme
le soulignent les deux répondants suivants.
Je pense que la franchise est numéro un. La plupart de mes amies de fille le disent, « vous les gars, quand ça va pas, on va se le faire dire en pleine face ». Les
filles, c’est toujours plus par en arrière. – André, soccer
C’est très difficile de savoir s’il faut définir la virilité en tant que telle ou en opposition aux valeurs féminines. Une forme de violence, pas nécessairement au
192
sens négatif du terme, mais de l’énergie, une sorte de négligence… – Victor, tennis
Voici quelques valeurs typiques telles que le courage et le fait que le masculin élève au dessus des autres.
Quand on devient un homme, on définit la différence avec la femme. Je définirais ça par le courage. Un homme avec un « H » majuscule, ce serait quelqu’un
qui prend la défense des plus démunis, des plus petits, des femmes. – Félix,
hockey
Le solitaire suivant donne sa définition des rôles masculins et féminins. Sa vision traditionaliste semble tranchée, bien qu’à la fin, il apporte quelques nuances.
Dans ma description, l’homme est souvent défini par rapport à la femme. Les
hommes ont une libido plus grande et préfèrent une fréquence plus élevée de relations sexuelles. Les hommes ont un goût plus prononcé pour les sports et les
activités à risque élevé (vitesse en auto, motoneige, motomarine, vélo de montagne, planche à neige, parachute, etc.). L’homme a un besoin moins grand
d’élever et d’éduquer ses enfants. Il est davantage préoccupé par le fait de subvenir aux besoins matériels de ses enfants. L’homme recherche des emplois où
son rationnel et ses muscles sont sollicités. L’homme ressent plus de pression
sociale de « performer », « d’accomplir » des choses, de « montrer » qu’il a réussi.
L’homme est plus rationnel. Cela fait de lui un être loin de ses émotions et, par
conséquent, loin de sa « vraie » nature et de son être entier. Cela en fait une personne plus malheureuse, névrosée. Cette définition concerne l’homme en général, car il y a des hommes qui ont une faible libido ou une voix aiguë et il existe
des femmes qui ont une masse musculaire importante et un faible désir d’élever
des enfants. – Simon, cycliste
D’autres répondants font preuve de plus d’ouverture quant à la ressemblance entre les
hommes et les femmes, mais fixent certaines limites qui leur apparaissent infranchissables.
Le grégaire suivant, sous des auspices du gros bon sens, affirme que le sport devient une
mesure étalon de la réalité.
Premièrement, le physique. On dit maintenant que les filles peuvent faire tout ce
que les gars font. Moi je dis qu’il y a des affaires pas possibles. Mets une fille
dans l’équipe de football, ça ne marchera pas, elle va se faire mal. On est plus
fort. Il faut que tu te rendes compte que tu ne peux pas tout mêler ensemble, les
gars, les filles. Il faut qu’il y ait des différences. Il peut y avoir du football de fille, mais pas mixte. Quand tu t’enlignes offensive, une fille se ferait mal. Même
nous autres, ça nous fait mal des fois. – Jean, football
La gestion de l’espace domestique se ferait différemment selon que l'on est une femme ou un
homme, comme le précise le grégaire suivant.
193
Dans ma tête, j’ai tout le temps pensé que je ferais plus d’argent que ma femme
plus tard. Les femmes vont plus ramasser. Il faut que tout soit tout le temps
beau. Un gars laisse ses affaires traîner et ce n’est pas grave. Il laisse son linge
sale traîner et ça ne dérange pas. L’entretien ménager, c’est plus une tâche que
les femmes vont faire, c’est plus prioritaire la propreté pour elles dans le fond.
Avant que nous les gars on trouve ça dégueulasse, ça prend plus de temps que
pour elles. – Bertrand, hockey
Le souci pour l’esthétisme et la propreté rattaché par les répondants aux femmes semble
déranger certains d’entre eux, comme ce grégaire qui ne voudrait surtout pas changer de
place avec une femme.
Je ne serais pas prêt à changer ma posture pour être une femme. Me casser la
tête à tous les 28 jours. Quand elles sortent, c’est toujours une robe différente,
toujours une coiffure différente. Ça prend plus de temps. Il y a le maquillage...
Les filles, c’est toujours tracassé – Didier, rugby
D’autres notent un paradoxe en regard de l’esthétisme et des sportifs : alors que l’esthétisme
est associé au féminin, une part importante de l’idéal sportif porte sur le corps parfaitement
découpé .
Il y avait un gars qui faisait des niaiseries. Il faisait du bodybuilding, il était
vraiment musclé. En plus, il était bronzé, il faisait des compétitions de bodybuilder. Il fallait qu’il se rase sur tout le corps. Quand il est arrivé à l’école avec les
aisselles rasées, le ventre rasé, puis les jambes rasées, il a été listé comme gai
tout de suite. Il n’y a pas plus gai que ça. En plus, il faisait de la gymnastique. –
Benoît, frisbee extrême
Ne pas faire attention à son allure ou à son aspect extérieur, c’est masculin. Le
contraire de ce que font les femmes en s’épilant. C’est paradoxal par rapport à
l’esthétisme que l’on cherche quand on va au gym. Un maquillage, c’est quelque
chose d’extérieur, donc l’activité dans un gymnase est une volonté esthétique
dans un sport, ça s’intériorise plus parce que c’est le corps en lui-même qui
change. – Victor, tennis
Voici ce que pensent les solitaires de l’esthétisme et de son lien avec la féminité.
Ceux qui font trop attention à leur corps, ceux qui deviennent complètement imberbes… ça devient complètement l’inverse de la virilité. Pour moi, quand ça sent
trop le plastique, le parfum… ça devient féminin. Il faut faire attention à son
corps, mais pas trop. – Pierre, natation
La virilité, c’est l’apparence. Quelqu’un qui n’est pas trop frêle, qui va être bien
bâti, qui va avoir une voix grave, qui ne sera pas maquillé, qui n’a pas des cheveux longs de fille, qui va avoir du linge de gars, qui n’aura pas de boucles
d’oreille. Quelqu’un qui est complètement épilé, ce n’est pas masculin. Quelqu’un qui va être préoccupé beaucoup par son aspect esthétique, son visage, sa
peau, les poils, ce n’est pas très masculin, c’est même très féminin. – Simon, cycliste
194
Moi, jamais je ne me suis mis de crème. Quand y a un bouton, je vais l’éclater.
Je comprends que des fois, elles [les filles] doivent péter les plombs. Je suis extrêmement tolérant vis-à-vis les filles. Les filles, ça représente la grâce, tout ce
qui est beau, les hommes tout ce qui est physique. – Didier, rugby
Les grégaires, comme les solitaires, voient la masculinité et la virilité en opposition à la féminité. Si les femmes sont frêles et faibles, les hommes seraient robustes et forts. Si les femmes ont peu de poils, les hommes en auraient plus. Les qualificatifs dits féminins ne seraient pas différents de la masculinité, ils seraient contraires. À l'extérieur du terrain sportif,
la vie quotidienne permettrait aussi de constater l’opposition entre les hommes et les femmes. Aux femmes appartiennent les tâches domestiques, l’esthétique, la grâce et les tracasseries qui demanderaient aux hommes de la patience. Aux hommes appartiendraient la simplicité et la robustesse. Le souci pour l’esthétisme est particulier, car pour certains répondants, la pratique de la musculation, qui tend à viriliser le corps en le musclant, serait pour
plusieurs une démarche esthétique en contradiction avec son objectif. De plus, non seulement la pilosité serait-elle une préoccupation dans les rituels, mais elle entrerait aussi dans
la définition que donnent les sportifs au masculin. Ce qui permet de mesurer à quel point le
rasage du corps et surtout des organes génitaux lors des initiations, revêt un caractère humiliant en féminisant les recrues, en particulier chez les plus jeunes, pour qui la pilosité
nouvelle est le signe le plus marquant de l’appartenance au genre. Notons que la mode du
rasage du corps qui semble avoir court actuellement chez les jeune hommes ne fait que
confirmer en quoi le poil est important comme signe de maturité sexuelle. En effet, les jeunes
hommes qui se rasent le corps ou qui « contrôlent » leur pilosité, le feraient pour garder une
apparence jeune et non dans le seul but esthétique ce qui les féminiserait (Duret, 1999).
Cette question mériterait d’être fouillée davantage.
Les réponses et les commentaires qui associent l’esthétisme et la féminité sont plus nombreux chez les solitaires. Comme l’indiquent leurs réponses, les solitaires seraient plus préoccupés par la féminisation qu’apporterait l’esthétique que les grégaires. Sitter (1999), dans
son étude sur le marketing des produits de beauté pour hommes, avait montré que ceux-ci
n’acceptent de consommer des produits cosmétiques et de soigner leur apparence qu’en
contournant le stigmate homosexuel et la féminisation potentielle qu’amènent les considérations pour les soins esthétiques. Notre recherche semble confirmer ces constatations.
La peur du féminin ressort ici comme faisant partie d’une des composantes importantes de
la masculinité des sportifs. Les caractéristiques dites féminines seraient à éviter le plus possible. Il y a dans cette peur du féminin un autre signe de la conformité au modèle de masculinité hégémonique.
195
10.5.4
Les rôles et les attitudes traditionnels
Quels sont les rôles et les attitudes qu’il faudrait avoir quand on veut être un homme ou du
moins ressembler au modèle de masculinité de sa culture ? Quelles sont les choses qui se
doivent d’être évitées ? Quelles gestuelles et attitudes un jeune homme doit-il maîtriser ?
Voilà les questions auxquelles il sera possible de répondre au cours de cette partie.
Il y a d’abord la manière de positionner son corps.
Il pourrait y avoir des joueurs qui ne sont pas virils, mais s’ils y travaillent, je ne
verrais pas pourquoi ils ne changeraient pas. J’avoue que ça dépend des positions sur le terrain aussi. Un receveur de passe doit être plus agile qu’une défense. – Laurent, football
J’ai adopté toutes sortes d’affaires comme des positions plus viriles, une démarche plus virile et de toujours me corriger. Je regardais comment bougeaient et
faisaient les autres gars et je les copiais. J’imitais ce que je trouvais plus viril. Il
y a des façons de s’asseoir, de marcher... Il y avait des hommes qui étaient plus
virils que d’autres. Peut-être parce qu’ils avaient une carrure plus carrée que
d’autres ou qu’ils avaient l’air plus confiants en eux ou qu’ils savaient comment
s’asseoir et marcher. – Manu, baseball, hockey
Puis, il faut maintenir les jambes écartées. – André, soccer
Mettons comme croiser les jambes, il y en a qui se croisent les jambes ensemble,
mais il ne faut pas. Il faut les croiser avec la cheville accotée sur le genou. La virilité, c’est dans la parure et comment un gars peut se tenir, son allure... Il y a
des gestuelles qui sont plus associées au masculin. Il y a plein de points comme
ça auxquels j’essaie de faire plus attention, comme de ne pas me plier les poignets et m’asseoir les jambes écartées. – Bertrand, hockey
Être un homme, c’est quelqu’un qui s’asseoit les jambes écartées, plus relâchées
sur sa chaise. Je me suis regardé. J’avais les jambes écartées. On s’assoit les
jambes écartées pour reposer notre truc. Il faut le montrer. Didier, rugby
Il y a des amis qui disent : « Ne mets pas tes jambes de même, ça fait fif ». –
Jean, football.
Les répondants semblent asseoir la masculinité sur des critères précis. Ils sauraient qu’elle
est bel et bien réelle et elle leur inspire le respect. Des solitaires et des grégaires racontent.
Je pense que, dans un bar, les plus machos sont ceux qui vont se tenir le corps
droit, qui ne feront jamais d’excès, qui vont avoir un langage assez dur, assez
macho. C’est dans sa façon d’être, dans sa prestance. Il y a un langage corporel
très fort. C’est quelqu’un qui ne montrera pas ses sentiments. C’est l’attitude générale, qui fait que l’on est un homme ou pas. C’est juste la façon de s’asseoir à
table, tantôt je t’attendais, puis y avaient des gars qui fumaient la cigarette, tu
sais la cigarette accotée dans le doigt, le torse bombé, la tête haute, tu le sais, tu
le vois tout de suite. Ensuite, c’est surtout l’apparence. Quand tu vois quelqu’un
qui a plus une allure masculine, tu peux dire « lui c’est un homme ». – Paul, football
196
Je suis capable de dire si un gars est plus viril qu’un autre. Si on voit quelqu’un
de bien poilu. Quelqu’un qui fait son dur, je vais dire à la blague qu’il est viril.
Mais ça va vraiment être avec les symboles sociaux. – Éric, hockey
Savoir retenir ses larmes serait, notamment, un signe de virilité.
Les caractéristiques de la virilité seraient de ne pas pleurer. J’ai déjà pleuré devant ma blonde, puis après évidemment, j’avais eu honte. Un homme, même s’il
a mal, il ne le dira pas. J’avais tellement été rejeté par tout le monde que je me
suis conditionné. – Manu, baseball, hockey
Moi je me retiens, quand j’arrive pour pleurer. Je suis encore sous l’effet qu’un
homme ne braille pas. – Sylvain, football
Un homme, c’est quelqu’un qui arrête de pleurer à deux ans. – Didier, rugby
Certains rapportent des gestes pouvant comporter des risques pour leur vie afin
d’affirmer leur masculinité à leurs yeux et à ceux des autres.
Quand j’étais jeune adolescent, j’avais besoin d’une pompe pour l’asthme et je
ne voulais la prendre parce que je voulais être comme les autres garçons. Il fallait vraiment que je sois comme les autres. Je voulais être avec eux. Je voulais
aller courir avec les autres petits gars. C’était une question d’orgueil, de fierté
que je sois à côté d’eux. – Benoît, frisbee extrême
Comme en témoignent les répondants suivants, certains rôles de genre semblent appartenir
aux hommes dont, traditionnellement, ceux de pourvoyeur et de travailleur détenant un
pouvoir.
Être un homme, c’est premièrement savoir ce que tu veux faire. Dans le sens
d’être capable de prendre tes décisions par toi-même. Avoir au moins un minimum de respect des autres. C’est quelqu’un qui travaille fort, qui fait des sacrifices. – Paul, football
L’homme a plus la responsabilité de protéger. C’est peut-être un peu simpliste,
mais c’est un peu comme les hommes des cavernes… puis ça toujours été comme ça. L’homme ramène à manger, nourrit, loge... – Bertrand, hockey
La masculinité est bien sûr aussi une affaire de sport exprimé par la force et l’agressivité
notamment.
Quand je pense à la virilité, je pense plus à la force brute, je pense à quelqu’un
qui est capable… Tu as la force… Il faut que tu sois méchant, il faut que tu sois
agressif avant l’autre joueur pour pouvoir le pousser. À la limite, il faut que tu
pètes ta coche, faut que tu sois choqué, mais sous contrôle… – Manu, baseball,
hockey
Les répondants suivants dressent une liste des choses qu’il faut faire et des qualités qu’il
faut posséder pour se sentir un homme au sein de groupes d'hommes.
197
Être flashé, c’est viril. La confiance en soi, c’est très, très viril. La loyauté aussi.
Avoir des amis de gars, c’est très très viril. Les quatre gars qui se tiennent ensemble, c’est viril, mais en même temps, il faut toujours que ça n’ait pas l’air gai.
Les risques que l’on prend à faire des conneries, on n’en parle pas, c’est juste
entre gars. On fait toujours pareil. S’il y en a un qui a une blonde, il faut absolument que les autres aient une blonde, puis on commence à comparer qui a la
plus belle blonde. – Benoît, frisbee extrême
C’est rare qu’une femme va dire qu’elle aime prendre une brosse avec ses
chums. Un homme va être plus rude, plus cowboy. Un gars viril doit avoir une
dose de machisme. Du genre pas la grosse voix, ce n’est pas ça. Avoir des gros
muscles, prendre de la place, parler de femmes, parler de chars… Ça, c’est viril.
Parler de musculation. – Thomas, patinage artistique
Il y a la force, la tempérance, une résistance à l’effort, une certaine stabilité, une
certaine continuité. Être capable de résister. En gardant le cap tout le temps. La
détermination serait un trait de caractère que j’associerais à un caractère viril.
Une sorte de courage. – Victor, tennis
Un homme viril, c’est fort. Il sait où il s’en va, il regarde droit en avant, il a des
projets dans la vie, il a un but et va droit à son but. Il n’exprime pas ses émotions. – Mario, natation
C’est quelqu’un qui pète au lit, qui rote, qui bat sa femme. – Didier, rugby
D’autres insistent davantage sur des aspects positifs de la masculinité et remettent en question certains aspects du modèle traditionnel en apportant certaines nuances, surtout les
solitaires. Certains de leurs commentaires s’inscrivent dans la mouvance de la remise en
question des rôles traditionnels. Pour les répondants, il y aurait un double discours qui corroborerait Connell (2005). L’identité masculine serait aussi situationnelle. Les jeunes hommes adopteraient des rôles plus stéréotypés avec la bande de copains alors qu’en privé, ils
semblent se « ramollir » quant à la conformité au genre.
Être homme pour moi, c’est quelqu’un qui se respecte, puis qui respecte les autres… – Marc, football
La virilité étouffe. C’est comme un monde qui nous est imposé. Trouver des alternatives, ce n’est pas évident. – Pierre, natation
Les rôles sexuels sont différents pour les hommes, pour les femmes. On dirait
que je suis pris entre les deux. Tout le monde me dit que j’ai un côté féminin développé. Pour moi, c’est comme des stéréotypes de rôles. – Éric, hockey
Je pense que ça a changé beaucoup avec les années. Un homme avant c’était
quelqu’un qui pourvoyait aux besoins de sa femme et de sa famille. Je crois encore un peu à ça, mais pas à ce qu’un homme doit faire vivre sa femme. Ma
blonde et moi, on fait le même salaire. – Thomas, patinage artistique
Mais moi, en même temps, ce n’est pas des qualités [ne pas pleurer…] que je recherche. Je ne considère pas que c’est positif, au contraire. C’est important
d’avoir un but dans la vie, mais si tu deviens obsessif, ce n’est pas mieux. Ne
pas exprimer ses sentiments, je considère que c’est néfaste. J’ai besoin de brailler. Un homme, ça pleure. – Mario, natation
198
Avec les années et l’évolution sociale, beaucoup de choses cesseraient d’être taboues. La
capacité de pleurer est restaurée, les côtés « féminins », réhabilités. Pour les solitaires, la
masculinité devient plus aisément une affaire de compétence individuelle.
Plus je vieillis, plus je m’aperçois que l’on est pareil hommes et femmes. On a
certains désirs, certaines choses de base que l’on peut communiquer. C’est sûr
qu’il y a des attitudes qui sont plus féminines, la dépendance, mais encore là, il
y a beaucoup de gars dépendants aussi. Être homme, c’est propre à chaque
personne. La virilité, c’est quelque chose d’assis en soi.(…) Plus souvent, on va
associer des qualités à l’homme dans la société comme pourvoyeur… C’est le
classique, mais je dirais qu’une vraie puissance, c’est quelqu’un qui va se
connaître et non pas quelqu’un qui casse tout. Je dirais qu’avant tout ce qui est
important comme homme, c’est d’être centré et de savoir où je m’en vais. – Hervé,
aviron
Les garçons de notre recherche apprendraient comment s’asseoir en observant les autres et
en les imitant. Il existerait tout un code de conduites à suivre, notamment avec les jambes.
Se laisser tomber sur son siège, maintenir un large écart entre les genoux et garder les cuisses bien écartées est souvent l’attitude masculine la plus nommée. De plus, les postures du
corps seraient des marqueurs de territoire, une façon de prendre sa place auprès des autres
garçons et auprès des femmes. La conquête du territoire est aussi une caractéristique de la
masculinité hégémonique. Il semblerait cependant que les codes de jambes soient plus une
affaire de grégaires puisqu’un seul répondant solitaire a fait part de telles préoccupations
pour définir le code de la masculinité. Une fois que le jeune homme sportif sait comment
s’asseoir, placer ses jambes et ses poignets, il lui faut maintenir cette manière de faire, quelle que soit la situation. Ce n’est pas qu’une question de gestuelle ou d’impression, mais plutôt une question de se sentir masculin. Le grégaire (ou le solitaire), doit pouvoir donner aux
autres l’impression qu’il est masculin, viril.
Ce code qui dicte comment s’asseoir, comment marcher ou comment se tenir en public et
même la manière de fumer représente autant de signes extérieurs de ce que les sportifs identifient comme marqueurs de masculinité. Le sentiment d’être un homme ne repose pas uniquement sur ces quelques artifices. Il existe, selon les répondants, d’autres codes plus « psychologiques ». Notamment, il faut avoir « le mental », comme disent les sportifs. Avoir le mental ou la mentalité, c’est souvent ne pas pleurer, même dans de grandes douleurs; un
homme doit, selon ce code, rester stoïque et retenir ses larmes. Beaucoup de répondants
feraient des liens entre l’expression des émotions et la féminité. En fait, ils auraient honte
d’exprimer d’autres émotions que la colère et la rage. Lorsqu’ils contreviennent à ce code, la
honte les habite, comme le rapporte Manu qui a pleuré devant son amie de cœur. Cela
199
confirme les recherches de Dulac (2001) et Rondeau et Keefler (2003) qui nomment la honte
comme l’émotion dominante chez les hommes.
La situation peut se complexifier davantage pour les garçons sportifs quand ils auraient, en
plus, à composer avec un handicap ou une faiblesse particulière qu’ils refuseraient de pallier, afin de se sentir égaux aux autres. Une maladie ou une faiblesse seraient inadmissibles,
à moins de les affronter seul et sans aide. La différence dans l’expression de la masculinité
est difficilement supportable pour les sportifs, surtout pour les grégaires. La différence rend
les sportifs vulnérables, comme le seraient les femmes à leurs yeux. La différence les éloignerait des standards de la masculinité.
Les caractéristiques de la masculinité, selon eux, seraient la capacité à endurer stoïquement
la douleur, le compagnonnage et les valeurs typiques de la fratrie en plus de la dureté, de la
droiture, du courage et le fait d’être un bon pourvoyeur. Il faudrait, selon certains répondants rester « sous contrôle ». Comment est-il possible d’exprimer la colère et de rester sous
contrôle ? La colère et la violence ne sont-elles pas, à l’inverse de ce que semblent penser
quelques répondants, des prises de pouvoir, voire des tentatives pour garder le pouvoir ?
(Gagnon, 1996).
Pour se définir comme masculins, les sportifs interrogés admireraient, voire chercherait souvent à imiter les rôles et les attitudes traditionnels. Pour de nombreux répondants, la masculinité serait un travail de tous les instants. Les garçons s’observent, se « surveillent » et
guettent les autres. En fait, les garçons s’emploient à éviter d’ « avoir l’air fif ». La masculinité
est une œuvre sur laquelle les jeunes sportifs font des retouches continuelles.
10.5.5
La séduction
Certains répondants incluent la séduction dans leurs critères de masculinité. En effet, il
semble que la capacité de se séduire au sens large, de séduire d’autres hommes (de manière
non sexuelle) et de séduire les femmes soit importante pour les jeunes hommes.
Je ne suis pas homosexuel, mais je suis capable de juger un beau gars et un
moins beau. Il y a des liens avec le physique, si c’est un petit gros, il a moins de
chance. Un gars qui va se ramener souvent des filles est souvent plus beau que
les autres. Pour charmer, il faut être beau. Il y en a qui ont plus besoin de séduire et d’autres qui vont attendre le bon moment, la bonne fille. Ils vont préférer
être avec leurs amis. Ils vont moins avoir le besoin de se sentir désirés. Un
homme, c’est quelqu’un qui va bien paraître, peu importe comment il est. Il n’est
pas obligé d’être super costaud, du moment qu’il pogne. – Bertrand, hockey
200
J’aimerais ça que les gais soient autrement, mais d’un autre côté quand je sors
dans un bar, j’aime quand des beaux gars viennent me regarder. Pierre, natation
Le gars qui va se considérer viril, c’est un gars qui va coucher avec une ou des
femmes. – Thomas, patinage artistique
Je me suis senti homme quand la relation avec ma blonde a été très forte ou
très, très intense. Je me suis rendu compte que j’étais un être humain sexué,
qu’elle était une fille et que j’étais un gars. – Victor tennis
La séduction et les performances sexuelles avec l’autre sexe permettraient parfois de renforcer l’identité masculine. Ces questions de performances sexuelles sont plus rarement évoquées par les grégaires que par les solitaires. Cela sans doute parce que, pour les grégaires,
ce sont les performances collectives qui importent et le mode de fonctionnement en groupe.
Rappelons que les grégaires disposent de rituels initiatiques et tribaux pour comparer leurs
performances sexuelles. Dans ce sens, les rapports hétérosexuels ne leur seraient que peu
utiles pour démontrer leurs capacités et leurs performances. Quant à la séduction comme
telle, les jeunes hommes sont très conscients de leur propre beauté et de leur capacité de
séduction. Ils sont capables de s’autoévaluer dans bien des domaines dont leur propre masculinité. C’est un jeu de mirroring comme l’avait évoqué alan Klein (1993) ou encore cela fait
partie du processus de la construction identitaire décrite par Erikson (1972), ce qui nous
amène à la section suivante où nous verrons comment les sportifs cotent leur masculinité
sur une échelle de 10.
10.5.6
Sur une échelle de 10
Durant les entrevues, l’une des questions posées aux jeunes hommes sportifs était la suivante : « Sur une échelle de 1 à 10, 10 étant le maximum de masculinité et de virilité, à
combien vous évalueriez-vous ? » Par la suite, nous cherchions à comprendre quels sont les
cheminements et les raisonnements qui amènent les répondants à se donner une cote. Les
grégaires suivants se racontent.
Je me mettrais à 7 sur 10 parce que je suis un peu macho, mais aussi sensible,
alors ma sensibilité, c’est sûr que ça m’enlève des points. – Sylvain, football
Je me mettrais 4 parce que je fais plein d’affaires de filles comme magasiner, me
parfumer, me mettre du beau linge… – Félix, hockey
Je dirais 7. Mais viril c’est plus carré que les autres. – Jean, football
Je me mettrais 6 pour la virilité. Parce que je suis patient. J’aime mieux que la fille soit intéressante. Je m’intéresse à plein de choses, je peux écouter de la musique classique, j’aime être avec des filles. Après l’entraînement, j’aime prendre
ma douche, me sentir propre, pas comme si je sortais du bois. J’aime des affaires comme la gymnastique, le patinage artistique, même s’il y en a qui disent
que c’est des affaires de fifs. – Paul, football
201
Le grégaire suivant apporte une nuance intéressante quand il raconte comment il se donne
la note de 7 sur 10. Les prouesses sexuelles dont il est capable neutralisent les éléments
féminins qui lui enlèvent des points.
Je me donne 7 parce je ne pouvais pas me donner 10 au départ. Je te dis
qu’avec ma blonde, je suis vraiment en forme, même si c’est moi qui fais le lavage. Je ne suis pas macho, même si je pense comme ça et que je fais des farces
de fifs. – Antoine, football
Quand il dit « en forme », il parle de sexualité. Le clin d’œil qu’il fait et le sourire en coin qu’il
affiche en entrevue sont sans équivoque. Pour ce qui est des solitaires, les choses sont un
peu différentes. Les solitaires verraient les qualificatifs dits féminins plus négativement que
les grégaires.
Je me mets 9 parce que j’ai beaucoup travaillé pour me viriliser. J’ai observé des
gars pour voir comment ils bougeaient. C’était plus inconsciemment, mais je l’ai
fait. C’est arrivé des moments où je contrôlais ma voix. Je faisais attention pour
ne pas que ma voix monte trop haut ou de pas parler trop vite. Ça arrive que des
gars vont me reprendre. Je me sens un peu mal dans ce temps-là. C’est comme
si j’avais fait une erreur. – Simon, cycliste
Je me mettrais à 8 à cause de ce petit côté fragile… J’ai suivi un peu la philosophie orientale, le yin et le yang. C’est important de cultiver ces deux facettes en
nous. On est tous 50/50, mais socialement, je me suis construit à 8. Pourquoi
8 ? Peut-être l’attitude, la voix ou… Je ne suis pas le trop viril à cause de cette
fragilité-là justement. – Richard, natation
Le type de relation de couple influence également sur la note finale pour les solitaires. La
notion traditionnelle de l’homme pourvoyeur refait ici surface.
Je mettrais à 5, vraiment pas plus, parce que je considère que je suis un couple
moderne. Avec ma copine, on prend autant les décisions l’un comme l’autre. On
va payer nos affaires. Je vais faire la vaisselle. Je vais faire mon souper. Je ne
veux pas qu’elle fasse mon lavage, je suis capable de le faire. On est deux personnes autonomes. On ne soumet pas l’autre à ses ordres. Certains hommes
veulent avoir une petite femme soumise, pas moi. – Thomas, patinage artistique
J’y vais pour 7. Pas très viril, mais… pas particulièrement peu viril non plus. –
Victor, tennis
Je me mets 8. Il n’y a pas vraiment de raison. Je voudrais bien être à 18, puis
être super viril, mais je sais aussi que je parle avec des intonations, je bouge
beaucoup mes mains quand je parle…. – Pierre, natation
Aujourd’hui, ça a diminué. Quand j’étais plus jeune, c’était 9 probablement et
aujourd’hui 7, parce que je me suis accepté comme gai. Je me suis mis en
contact avec mon côté féminin. Ça n’a jamais paru que j’étais gai, mais j’ai des
amis qui m’ont dit qu’ils pouvaient le deviner parce que je n’étais pas trop attiré
par les femmes. – Édouard, badminton
202
La pratique sportive semble marquer la masculinité chez les grégaires.
Quand je m’entraîne, j’y vais à fond pour me viriliser. – Jean, football.
Sur une échelle de 1 à 10, je me vois plus à 7. Je suis un petit peu macho. J’ai
un petit côté fier, fier de m’entraîner, fier de bien paraître, je veux être gros
[musclé]… Mais en même temps, je ne suis pas viril à 100 %. – Marc, football
Sur une échelle de 1 à 10 pour la virilité, je me mettrais 7 pour la confiance. –
Daniel, football
J’ai déjà été plus viril : la tête rasée, le visage plus dur, plus fort... J’étais peutêtre dans mon top. J’avais poigné le 8,5 ou 9 parce que j’étais assez lourd. Mais
là, dans ma virilité, je dirais que je suis moins viril physiquement. Je demeure
quand même un homme, mais c’est plus entre les deux oreilles que ça se passe.
Je vais plus avoir un comportement d’homme, je vais savoir plus comment me
comporter en homme. Je me donnerais sept points. Je ne voudrais pas être prétentieux, mais en même temps, je ne voudrais pas être trop bas. J’ai travaillé fort
pour m’améliorer. Je suis parti de loin. Je me suis construit vraiment tout seul. –
Manu, baseball, hockey
Enfin, le désir d’être en groupe serait un élément constructeur de l’identité masculine. Le
répondant suivant voit même quelque chose de féminisant dans son désir de solitude.
Je me situerais probablement dans le 5 ou 6, parce que le fait que je sois très,
très solitaire par moments, que je sois un gars qui soit particulièrement bête… À
chaque fois que je suis dans des affaires de concours de virilité entre gars, je
suis poche. Mettons que l’on est environ cinq gars et que l’objectif est de se pogner une fille. Moi, je n’ai pas tellement de succès parce que je suis un gars qui
est plutôt froid. Quand je parle aux gens, je suis vraiment fermé. Je ne dois pas
être très, très viril, selon les critères. Il y a des gars qui sont beaucoup plus virils
que moi parce qu’ils travaillent. Ils ont des bonnes jobs, ils sont musclés. Moi, je
ne suis pas très musclé, je ne travaille pas. Je n’ai pas de char. Je me sens bien
avec ce que j’ai, selon mes critères à moi. Mais juste parce que je suis loyal, je
suis un maniaque de ça, je pourrais monter de cinq, six ou huit. – Benoît, frisbee
extrême
Le répondant suivant révèle dans sa réponse que le cinéma transporte les modèles de la
masculinité idéale à laquelle il est difficile de ressembler.
Sur une échelle de 1 à 10, je me mets 8 et même 9. Dix étant le modèle de
l’acteur de cinéma. – Laurent, football
De son point de vue, ce répondant n’est pas loin de ressembler à la perfection au modèle de
masculinité véhiculé par les médias. En effet, il fait tout pour se rapprocher de la masculinité telle que vue au cinéma. Vouloir ressembler aux modèles de masculinité présents dans les
médias serait cependant plus une caractéristique des solitaires, tandis que les grégaires
cherchent plutôt à se ressembler entre eux comme on vient de le voir. Cela ne veut pas dire
que les modèles médiatiques n’ont pas d'importance pour eux, mais simplement que la
complicité et la contagion avec le groupe sont plus significatives dans leur vie.
203
La moyenne des résultats pour les deux groupes réunis est d’environ 7 sur 10. Les solitaires
ont tendance à se coter légèrement plus haut que les grégaires, soit à près de 8 sur 10 alors
que les grégaires se cotent autour de 6 sur 10. Ce n’est pas tant le résultat absolu qui compte ou qui est révélateur, même s’il indique en fait que les sportifs se sentent en conformité
avec les modèles qu’ils idéalisent, mais davantage la manière dont les répondants
s’autoévaluent.
On constate que les sportifs s’enlèvent des points pour chaque élément identifié « féminin »
chez eux. Dans leur processus d’autoévaluation, aucun sportif ne s’est attribué la note de
10. Presque tous — grégaires comme solitaires — ont considéré que 10 était un peu présomptueux. Leur point de départ était donc 9. Ensuite, ils s’enlevaient des points pour chaque comportement, attitude ou qualificatif dits « féminins » qu’ils considéraient comme autant de handicaps invalidant ou neutralisant leur masculinité. Les sportifs auraient une
liste de qualificatifs féminins et masculins bien définis. Parmi les attributs associés au féminin, mentionnons : la sensibilité (qui passe souvent pour de la sensiblerie), un intérêt pour
les choses à caractère esthétique (l’art, la danse, le ballet ou la musique classique), le fait
d’aimer être propre et de sentir bon, accomplir certaines tâches domestiques et aimer magasiner. Du côté des qualificatifs masculins se retrouve : la loyauté, le grégarisme, la confiance
en soi, la capacité de séduction, l’accomplissement de prouesses (notamment sexuelles), la
fierté, l’agressivité, la droiture et la force physique et mentale. La peur du féminin se révèlerait dans leur manière de se retirer des points de masculinité à chaque qualificatif perçu
comme « féminin » qu’ils possèdent. Pour se conformer au modèle de masculinité hégémonique, les sportifs développent tout un système de rejet du féminin.
Les performances sexuelles marqueraient la masculinité et la virilité pour plusieurs répondants. Les tâches domestiques réduiraient cette masculinité qu’il faudrait « construire ». En
effet, plusieurs ont dû « travailler » pour construire leur masculinité. Les mêmes valeurs et
processus ont cours chez les solitaires à la différence que ceux-ci sont un peu plus attachés
au sens négatif des qualificatifs dits féminins. De là à conclure que le partage des tâches
domestiques fait perdre des points de masculinité, il n’y a qu’un pas. Trois répondants homosexuels considèrent que leur orientation sexuelle affaiblit leur cote de masculinité. C’est
comme si l’homosexualité révélait obligatoirement des aspects féminins chez un homme. De
plus, le désir de conformité ne semble pas avoir de limites puisque l’idéal pour certains répondants se situe au-delà même de 10/10, le tout renforcé par un corps musclé.
L’expression qu’ils utilisent « Je veux être gros » est caractéristique dans le milieu sportif
masculin. On l’aura deviné, il ne s’agit pas de graisse, mais de muscles. Pour le grégaire, le
poids et la masse musculaire sont des marqueurs de la masculinité et permettent
204
d’augmenter leur cote. De plus, ici encore les répondants confirment que la prise de masse
musculaire permet même de changer la façon de penser et procurerait une confiance en soi
et une fierté qu’il serait difficile d’acquérir autrement. Revoilà encore l’idée d’une construction de la masculinité évoquée par les répondants eux-mêmes.
À quoi tiendrait la masculinité sinon à une gestuelle et à un ensemble de valeurs qu’il faudrait apprendre ? Où et comment le garçon apprendrait-il les codes, les règles qui lui imposeraient une façon de se croiser les jambes ou de ne pas plier son poignet ? Comment sait-il
qu’il doit se garder d’avoir l’air homosexuel ou, au moins, éviter les gestes le féminisant ? Il
apprend ces choses sans doute de la même manière qu’il apprend à choisir ses vêtements ou
à pratiquer son sport favori, c’est-à-dire par l’influence des hommes adultes significatifs
pour lui, des idoles sportives, des compagnons de jeu et des représentations sociales avec
lesquelles il est en contact. La forte carrure et la musculature développée seraient souvent
associées à l’apparence d’hétérosexualité et de masculinité. La plupart des sportifs tendent
vers une conception de la masculinité traditionnelle — au sens où l’avaient définie Dulac
(1991, 1997, 1999, 2001), Duret (1999), Falconnet et Lefaucher (1975), Kann (1998), Mosse
(1997), Saouter (2000) ou Tremblay (1996) —, confirmée par leur processus d’autoévaluation
de leur cote de masculinité. Pour les grégaires, l’accent est mis sur la conformité au groupe
d’appartenance et le mimétisme avec ce groupe. Pour les solitaires, il y aurait davantage de
place pour la dissidence et l’expression des appétences personnelles dans la mesure où la
dissidence resterait dans les limites fixées par la masculinité reconnue par eux et leur milieu
social comme valide. Une masculinité dans tous les cas proche du modèle de masculinité
hégémonique définie par Connell (2005).
Les répondants sont en conflit de rôle de genre. La cote de masculinité qu’ils se donnent
témoigne de leur insatisfaction face à leur masculinité. Ils vivent un conflit entre le modèle
idéal de masculinité attendu parfois aussi élevé qu’à 18/10 pour ne se donner que 6/10 ou
même 4/10. Ils doivent donc travailler et construire leur identité avec les « matériaux » à
leur disposition. Parmi ces matériaux l’activité sportive est un choix de premier ordre.
Pourtant, dans ces idéaux de masculinité qui semblent rigides, il y a place aux changements. En effet, plusieurs répondants vivent un clivage entre la masculinité en privé (avec
leur conjointe) et celle vécue en public avec les copains. De plus, plusieurs répondants aiment certains qualificatifs dits féminins qu’ils possèdent tels que la fragilité, aimer sentir
bon, faire les tâches domestique… et ce peu importe qu’ils soient grégaires ou solitaires. Une
intervention ciblée n’aurait à la limite qu’à changer la perception qu’ils ont de ces caractéristiques pour mettre fin à leur conflit de rôle de genre.
205
Tableau 9. Comparaison des marqueurs de la masculinité
Les Grégaires
Les Solitaires
La confusion
Identique chez les deux profils
Le corps
La musculature développe la masculinité
Le contraire
Peur du féminin
Un homme est le contraire d’une femme
Le féminin est un moins
Esthétique = féminisation
Homosexualité=féminisation
La solitude féminise
La solitude ne féminise pas
Attitudes et rôles traditionnels
Comic book masculinity
Répression des émotions (ne pas pleurer)
Endurer la douleur physique ou morale
Masculinité à prouver continuellement
Les sports collectifs sont les vrais sports
Prouesses sexuelles et sportives augmentent la masculinité
Complicité (Fratrie, loyauté)
Complicité avec une gente
avec un groupe de masculinimasculine floue
sation (équipe)
Masculinisation par mimétisMasculinisation par mimétisme intracommunautaire
me orienté vers un modèle
médiatique
Masculinité épanouissante
Masculinité potentiellement
étouffante
Autoévaluation 7/10
Autoévaluation 8/10
206
11
CONCLUSION
Cette recherche avait pour objectif d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie
et des rituels initiatiques dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes
pratiquant un sport individuel ou collectif. Elle voulait particulièrement 1 — Mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité
sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes, 2 — Mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité
chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé, 3 — Explorer comment l’homophobie et
l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par l’entremise de
l’activité sportive et, 4 — Explorer comment les représentations sociales de la masculinité
influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants.
La réponse à ces objectifs se retrouve dans plusieurs aspects abordés au cours de la thèse. Il
n’est pas possible de dire que tel aspect ou tel autre de la pratique sportive répond totalement ou uniquement à un objectif ou un autre. Par exemple, le premier objectif et le quatrième se retrouvent dans les motivations à la pratique sportive (section 10.2) et dans la
section (10.6) où les répondants tentent de donner une définition à « qu’est-ce qu’être un
homme ». En effet, les jeunes hommes pratiquent tel ou tel sport, collectif ou solitaire, parce
que celui-ci, à leurs yeux, les masculinise. À titre d’illustration, la pratique du football serait
celle qui masculinise le plus parce que le football est perçu comme le plus masculin de tous
par à peu près tous les répondants, grégaires comme solitaires. Nous pouvons dire que la
pratique du football contribue à construire l’identité de genre, qu’elle contribue à générer les
normes de la masculinité, à les réinterprétées, et à les transmettre et imposées chez les répondants et que cette identité est nécessairement liée aux représentations sociales de la
masculinité et du sport. Ainsi, cela nous permet de conclure également que le choix d’utiliser
les représentations sociales dans notre cadre théorique était judicieux puisque constamment, les répondants font référence aux représentations sociales, qu’ils ont ou que l’on leur
impose de la masculinité, pour expliquer leurs motivations à la pratique de tel ou tel sport.
En effet, quand ils tentent de donner une définition à la masculinité, ce qu’ils font avec peine, les répondants font référence aux images de masculinité qu’ils ont à leur portée. Cela est
davantage vrai pour les solitaires puisque leur référant symbolique de la masculinité est influencé directement par les référents médiatiques alors que les grégaires filtrent leurs réfé-
207
rents et leurs représentations sociales par l’entremise de leur groupe d’appartenance. Cela
amène à conclure également que le choix du constructivisme et de l’interactionnisme symbolique était approprié, car les répondants ont montré que leur identité de genre se construisait par l’activité sportive et par les symboles, le sens qu’ils donnent à leurs activités et à
leurs rituels. L’identité masculine ne leur a pas été donnée d’emblée à la naissance, malgré
les signes anatomiques, et ce, une fois pour toutes. L’identité masculine est constamment
remise en cause dans les interactions que les sportifs ont avec leur entourage. Les sportifs
tentent constamment de coller adéquatement à la représentation idéale (symbolique) qu’ils
ont de la masculinité. Plusieurs sportifs affirment qu’ils ont tout fait pour se changer, pour
copier les autres, pour agir comme eux, pour adhérer au bon groupe représentant les hommes les plus masculins afin de construire idéalement leur identité. Le processus débute,
dans de nombreux cas, par une transformation du corps. Corps qu’ils ont, souvent de leurs
propres aveux, construits à l’image du modèle symbolique idéal et parfois même de manière
extrême pour ne pas dire caricaturale. Quant aux objectifs touchant l’homophobie et
l’efféminophobie, ils sont répondus dans les parties touchant l’homophobie et les rituels (explicités plus loin dans cette conclusion). Le choix des concepts théoriques de Fritz Klein
(1993) expliquant la construction de l’orientation sexuelle est judicieux à ce propos. Nous y
revenons dans la partie de la conclusion touchant les rituels.
Définir le genre
Le genre a d'abord été défini ou du moins circonscrit dans certaines limites. Définir le genre
n’apparaît pas être une tâche facile, car les auteurs consultés semblent éviter de le définir et
les répondants de leur côté ont aussi eu beaucoup de mal à mettre des mots sur ce concept
ou à énoncer une définition du genre masculin qui soit cohérente. Il semble donc que la définition du genre, en particulier du genre masculin, soit difficile à appréhender pour la grande majorité. À partir des auteurs consultés, il a tout de même été possible de dire que le genre reposerait sur trois processus en partie élaborés en interaction avec le corps, le premier
étant constitué d’une adéquation de conformité considérée d’un point de vue social, le second d’une adéquation de conformité considérée du point de vue de l’individu lui-même et le
troisième d’une relation de pouvoir entre les genres, en particulier une relation de domination du genre masculin sur le genre féminin, ou ce qui lui ressemble ou lui est associé. Les
répondants ont aussi suivi ce processus de réflexion à partir du corps. Le corps est le premier élément auquel ils font référence pour se définir en tant qu’hommes. Ils ont cependant
poussé davantage la construction de leur identité de genre, en plaçant le corps dans un ensemble de stratégies (objectifs un) utilisant l’activité sportive. Ils ont aussi inscrit leur corps
dans une pratique corporelle réflexive où celui-ci servait de référence dans moult interac-
208
tions en particulier dans une forme de mirroring tributaire de l’activité sportive. Ces stratégies fondées sur la pratique du sport leur permettraient de se rapprocher du modèle de masculinité hégémonique ressentie comme le modèle idéal et le seul viable. C'est ainsi que
l’activité sportive s’est inscrite au centre de toutes ces interactions de construction de leur
genre. Les solitaires se référeraient davantage aux représentations sociales de la masculinité,
notamment aux modèles véhiculés par les médias, alors que les grégaires utiliseraient surtout le sport à travers leur appartenance à un groupe masculin signifiant influencé lui aussi
par les représentations sociales de la masculinité. Les représentations sociales utilisées par
les sportifs seraient très proches du modèle de masculinité hégémonique élaboré entre autres par Connell (2005).
Les rituels
Le cas des grégaires est particulier, car ceux-ci sont les plus conformistes et les plus près de
ce que les auteurs en service social nomment le modèle de masculinité traditionnelle et des
« clientèles difficiles à atteindre ». Peu importe les stratégies utilisées pour la construction de
leur genre, grégaires ou solitaires, tous deux adhéreraient de près au modèle de masculinité
hégémonique. Les valeurs et l’idéologie de ce modèle sont très présentes chez eux. En effet,
ils en présentent les principales caractéristiques telles que la subordination, la complicité, la
marginalisation et la peur du féminin (incluant l’homophobie). Chez les grégaires, la masculinité hégémonique serait générée, créée et réinterprétée par l’utilisation de rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques à l’intérieur de la pratique sportive. Parmi ceux-ci, les rituels
tribaux constituent un aspect mis en lumière dans cette recherche et visé par l’objectif un.
Certains auteurs, tels que Gagnon (1995), identifient des rituels primitifs chez les sportifs.
Cependant, cet adjectif ne semblait pas refléter totalement le vécu des sportifs alors que le
concept de rituel tribal correspond mieux à leur réalité. Les rituels tribaux serviraient à
consolider la complicité si essentielle aux groupes masculins sportifs à transmettre une
culture empreinte de l’idéologie masculine (Pleck, 1995). De plus, ils permettraient de réitérer et de relancer l’appartenance au groupe sportif déjà consacrée par les rituels initiatiques.
Les rituels apotropaïques, les seuls présents, dans les deux groupes de sportifs, n’ont été
abordés que par Saouter (2000), mais celle-ci ne les a que très peu explorés et les appelait
différemment. Encore une fois, la masculinité hégémonique serait bien soutenue par ces
rituels. Nommons à titre d’exemple, l’usage de l’urine qui, chez les grégaires, servirait de
scellant au groupe avant un match et conjurerait le sort en faveur de l’équipe. Cet usage de
l’urine place encore une fois la génitalité au centre d’un rituel. Pour les solitaires, les rituels
apotropaïques seraient davantage liés aux talismans tels que bas, gommes à mâcher ou routines répétées avant les matchs.
209
Les rituels initiatiques et tribaux, pour les grégaires, constituent d’ailleurs un phénomène
d'où ressort de prime abord une contradiction importante soulevée par plusieurs auteurs :
comment les sportifs peuvent-ils créer un univers exclusivement constitué d’hommes vivant
une grande intimité physique mettant souvent en scène la génitalité sans être en même
temps homosexuel ni le paraître aux yeux des autres et à leurs propres yeux ? C'est ici que
l’échelle de l'orientation sexuelle de Fritz Klein (1993) montre toute son efficacité.
L’orientation sexuelle ne serait pas simplement l'attrait érotique d’un individu pour l’un ou
l’autre sexe. Elle serait beaucoup plus complexe. Selon cet auteur, l’orientation sexuelle serait constituée de l’attirance sexuelle, du comportement sexuel, des fantasmes sexuels, des
préférences émotionnelles, des préférences sociales, du style de vie (hétérosexuel ou homosexuel) et de l’auto-identification. Il n’est pas exclu que des répondants, en apparence hétérosexuels, ressentent une attirance pour d’autres joueurs, mais les grégaires ne sont pas des
homosexuels qui s’ignorent ou qui détourneraient sciemment les rituels sportifs pour satisfaire des fantasmes inavoués ou inavouables. Il existerait une dissociation entre leur attirance sexuelle (orientation et fantasmes hétérosexuels), leurs préférences sociales et émotionnelles, leur style de vie, leur auto-identification et leurs comportements. Les grégaires en
particulier, s’adonnent à de nombreux actes sexuels tout en s’auto-définissant comme hétérosexuels; ils n’auraient ni fantasmes homosexuels avoués, ni désirs amoureux pour
d’autres joueurs. C'est ainsi que les sportifs grégaires pourraient avoir des comportements
homosexués tout en faisant montre d’une homophobie manifeste dans leurs valeurs et leurs
comportements sans ressentir de contradiction ni entacher leur identité de genre. Ce clivage
entre comportements, valeurs et attirance leur permettrait également de rester fidèles au
modèle de masculinité auquel ils adhèrent. Les rituels sportifs ne feraient que perpétuer les
caractéristiques de la masculinité hégémonique que sont la domination de leur environnement social, la subordination et la marginalisation des hommes non conformes au genre, la
complicité avec les autres hommes et la peur du féminin, exprimée entre autres par
l’homophobie.
La conformité au modèle masculin
Il est possible de penser qu’en se conformant aux normes de la masculinité hégémonique, les
sportifs, tant grégaires que solitaires, s’inscrivent dans une tension de rôle de genre. La
transgression réelle ou perçue amènerait de nombreux sportifs à se surconformer au modèle
hégémonique de masculinité. Les sportifs sont sans nul doute coincés dans la nonconformité au rôle de genre, le traumatisme du rôle de genre et le dysfonctionnement du rôle
de genre (Pleck, 1995). En effet, les sportifs ressentent un écart entre le modèle de masculinité attendu socialement et leur conformité réelle à ce modèle imprégné de représentations
210
sociales comme mentionné à l’objectif 4. Rappelons que la cote de masculinité que se donnent les sportifs, en particulier les grégaires avec un 6/10, révèle leur sentiment de nonconformité au modèle attendu. Cet écart est d’autant plus important que les sports d’équipe
et ceux qui les pratiquent sont souvent considérés comme les plus masculins. Cet écart les
amènerait souvent à pratiquer le sport de façon compulsive sans respecter les limites de leur
corps. Le corps serait ainsi de nouveau placé au centre des stratégies de construction de
l’identité de genre des grégaires. Bien qu’il leur serait possible de le faire, les grégaires ne se
désaffilieraient pas de leur groupe de référence lorsqu’ils se sentent en écart avec les valeurs
promues par le modèle de masculinité hégémonique, car l’appartenance à leur groupe serait
trop primordiale pour leur permettre cette latitude. Ils s’enfonceraient davantage dans la
conformité en mettant encore plus d’efforts à se conformer. Les solitaires, à la différence des
grégaires, n’ont tout simplement pas de groupe duquel se désaffilier. Cette absence de groupe pourrait rendre l’écart moins lourd à porter et laisserait davantage aux solitaires la possibilité de changer de modèle de référence si celui-ci devenait trop exigeant. Dans les faits, ils
semblent avoir formulé des commentaires qui laissent penser qu’ils désirent plus que les
grégaires développer leur propre sens de la masculinité. Le dysfonctionnement du rôle de
genre serait aussi présent dans la socialisation des deux groupes de sportifs, car ceux-ci se
refuseraient l’expression des émotions, sauf celle de la colère et ne se permettraient que
l’agressivité. Enfin, le traumatisme du rôle de genre serait surtout vécu durant les initiations. Le désir intense de se conformer au modèle pour être admis dans le groupe confirmant
leur masculinité et leur virilité amènerait les grégaires à vivre des expériences initiatiques
traumatisantes et à subir de nombreuses humiliations voire des blessures physiques ou des
voies de fait, bref des sévices qui dans toutes autres circonstances conduiraient à des accusations criminelles.
Le sport n’est pas que domination, violence ou humiliation, victoire ou échec cuisant. Il permet à de nombreux jeunes hommes de se réaliser, de prendre confiance en eux, de développer des relations d’amitié durables et solides basées sur une complicité, une fratrie positive
et valorisante. Par le sport, il est possible de renforcer la relation entre le père et fils comme
ce fut le cas pour de nombreux répondants. L’activité sportive permet le développement du
corps, de la motricité, de la mobilité, de la force et de l’endurance. L’activité sportive permet
aussi de se valoriser et de construire une identité de genre positive. Il serait donc possible à
partir de l’activité sportive de construire une intervention efficace afin de faire naitre une
nouvelle masculinité purgée des effets pervers de la masculinité hégémonique.
211
L’intervention possible
Le sport constituerait un lieu d'intervention privilégié, car il serait possible en agissant en
milieu sportif de toucher un grand nombre de jeunes hommes et de mobiliser peu de ressources puisque près des trois quarts des hommes de l’âge de 14 à 25 ans s’adonnent à la
pratique d’un sport plus de trois fois par semaine en particulier les sports d’équipe tels que
le hockey, le soccer et le football américain. De plus, de nombreuses recherches montrent
que les interventions concrètes auprès des hommes plus traditionnels auraient plus de succès que les interventions abstraites (Dulac, 2001; Tremblay et L'Heureux 2002, 2005). Par le
biais de l’activité sportive, il serait possible d’intervenir de façon concrète auprès des hommes. Le sport pourrait, comme c'est le cas présentement, demeurer un lieu de célébration de
la masculinité, mais renouvelé, en y soustrayant les aspects traumatisants. Au lieu d’être un
univers de génération et de reproduction d’hommes conformes au modèle de la masculinité
hégémonique avec, dans son sillage, son lot d’effets pervers, le sport pourrait être un lieu de
fabrication d’une nouvelle masculinité où les valeurs de respect et d’accomplissement de soi
seraient à l’honneur. Le sport pourrait être un lieu d’apprentissage de l’expression des émotions et de la complicité affective avec d'autres hommes, un lieu de célébration d’une réelle
fratrie masculine épanouissante. Pour ce faire, il faudrait abolir les règles actuelles de subordination, de marginalisation, de domination et de peur du féminin présentes dans le
sport. En abolissant ces règles, il est possible de changer la construction du genre chez les
jeunes hommes sportifs et de réduire ou même d’éliminer l’ostracisme, l’homophobie et
l’efféminophobie dont sont victimes les hommes non conformes au modèle de la masculinité
hégémonique.
Nous suggérons d’éliminer dans les sports toutes les activités qui servent actuellement à
perpétuer la masculinité hégémonique. À titre d’exemple, plutôt que d’être un prétexte pour
écraser et subordonner les nouveaux joueurs aux plus anciens, les initiations pourraient
devenir des fêtes où l’on accueillerait les recrues en célébrant leurs aptitudes et leur adresse.
Il serait possible d’abolir la hiérarchisation de la virilité entre les hommes en supprimant
l’évaluation de leurs performances génitales et en changeant les rituels notamment tribaux.
Plus encore, plutôt que de passer sous silence et même d’être encouragés, les voies de fait et
les actes de violence commis durant les activités sportives devraient être interdits et soumis
aux mêmes règles et aux mêmes sanctions que lorsqu’ils ont lieu dans le reste de la société.
Le sport n’a pas à être un lieu d’expression de sa colère par la violence. Il peut demeurer
possible pour un jeune homme d’évacuer ses frustrations et sa colère dans l’activité physique en s’investissant dans sa propre performance plutôt que de se venger sur ceux qui ne
correspondent pas au modèle attendu de masculinité. Le sport pourrait faciliter le dévelop-
212
pement des capacités de chacun. Les manques et les échecs seraient ainsi mis à profit par
un mécanisme d’apprentissage de soi plutôt que d’être source de honte et de marginalisation
surtout pour les garçons non conformes au modèle de masculinité hégémonique perçue
comme idéal. La complicité entre les joueurs pourrait reposer sur leur amitié et leur force et
non pas sur leur capacité à humilier et écraser les hommes non conformes au modèle de
masculinité hégémonique.
Par l’intervention dans le sport, il serait possible de changer les règles et les normes de la
masculinité hégémonique actuelle et de faire sortir les hommes de la catégorie des
« clientèles difficiles à atteindre ». Une formation adéquate pourrait être donnée aux entraîneurs et aux professeurs d’éducation physique ou de kinésiologie déjà sur le marché du travail ainsi qu’à ceux qui sont en cours de formation. Il est possible de sensibiliser les entraîneurs aux problématiques de construction du genre. En effet, il semble, à la lumière des
recherches qui ont été faites, que les entraîneurs soient des agents de construction du genre
sans pour autant en avoir la moindre conscience. Un travail important reste à faire pour
changer les mentalités. Nous pensons qu’il existe une forme d’ouverture dans ce sens puisque le milieu sportif a rendu cette recherche possible par l’intermédiaire d’acteurs ouverts au
changement. Dans un même ordre d'idées, les intervenants sociaux pourraient se familiariser avec le monde du sport et développer des interventions sur le terrain auprès des sportifs,
comme le suggérait le Rapport Rondeau (2004). Les intervenants de quels domaines qu’ils
soient devraient être conduits à faire une réflexion sur leur propre construction de genre et
devraient se positionner en tant qu’homme ou femme.
De plus, toutes interventions devraient tenir compte des deux profils de sportifs, car il n’est
pas possible d'intervenir de la même façon auprès des grégaires et des solitaires. Les interventions de groupe misant sur la complicité et la valorisation mutuelle seraient à prévoir
pour les grégaires, alors que les solitaires gagneraient à recevoir une intervention axée sur
leurs particularités et leur individualité. Les jeunes hommes sportifs pourraient davantage
prendre conscience de la place qu’occupe leur pratique sportive dans leur construction identitaire et leur sentiment d’être un homme ; les grégaires par une réflexion à propos de leur
relation avec le groupe et les solitaires par une réflexion à propos de leurs référents idéalisés.
En fait, il s’agirait d’amener à la conscience un certain nombre de processus qui actuellement sont plus de l’ordre de l’inconscient ou du non-dit. Les grégaires pourraient être amenés à plus d’acceptation de la différence quant à la non-conformité de genre et aux variations de l’orientation sexuelle. Ils pourraient prendre conscience de la part des rituels initiatiques et tribaux qui relève davantage d’homosexualité que d’homosocialité. Cela afin de les
aider à prendre conscience de la place de l’homophobie dans leur vie et dans leur pratique
213
sportive. Il serait possible d’amener les grégaires à saisir la manière dont le sport leur sert
d’alibi pour avoir des activités homosexuelles en se faisant croire qu’ils sont totalement hétérosexuels.
Les joueurs célèbres et les idoles sportives pourraient être invités à faire des interventions
publiques, afin de favoriser un changement dans les valeurs de la masculinité comme celles
qu’a faites Joé Juneau chez les Inuits. Les sportifs qui sont hétérosexuels pourraient faire
montre d’ouverture publique envers les personnes homosexuelles. Il faut se souvenir qu’en
2002, la fondation Émergence avait invité 63 personnalités (de notoriété hétérosexuelle) du
monde sportif à participer au défilé de la fierté gaie. La fondation Émergence ne s’est pas
heurtée à 63 refus, mais bien à 63 absences de réponse. Ce qui ressort de cela est que le
sujet de l’orientation sexuelle est si sensible ou problématique chez les sportifs qu’il n’est pas
même possible de répondre à une telle invitation. Même le fait de dire non à une telle invitation serait déjà en soi une compromission. Pour illustrer cela, il nous faut raconter
l’anecdote de Guillaume Latendresse. En 2006, le nouveau joueur de hockey du Canadien,
Guillaume Latendresse, avait accordé une entrevue à un magazine gai où il racontait sa passion pour le hockey et où il mentionnait son acceptation des personnes homosexuelles et
que même un ami d’enfance était homosexuel. Il racontait comment le fait d’être hétérosexuel ne l’empêchait pas d’avoir des amis homosexuels. Les conséquences n’ont pas tardé.
Dans les jours qui ont suivi, Guillaume Latendresse s’est vu reprocher non seulement ses
propos, mais le simple fait d’avoir accepté de parler à une revue gaie. Il s’est excusé publiquement d’avoir fait cette entrevue et a affirmé s’être fait piéger et ignorer, au moment de
l’entrevue, qu’il s’agissait d’un magazine gai. Il cédait ainsi aux pressions et conseil du milieu, entre autres de son agent et de la ligue de hockey majeur qui craignaient de voir un bel
espoir du hockey mettre fin à sa carrière par trop d’associations avec l’homosexualité. Il reste donc bien du chemin à parcourir avant d’arriver à une ouverture du monde sportif à
l’homophobie. Nous sommes conscients dans ce contexte que de demander aux sportifs homosexuels de faire leur coming-out est totalement utopique compte tenu du fait que ceux
qui sont hétérosexuels ne peuvent même pas faire montre d’ouverture sans compromettre
leur carrière.
Il existe cependant des programmes d’intervention qui tiennent compte du mode de socialisation des garçons qui passe davantage par l’action. Par exemple, mentionnons les programmes mis en place par la Commission scolaire des Navigateurs. Les écoles de cette commission scolaire étaient aux prises avec une problématique de décrochage scolaire chez les
garçons du secondaire. Afin de les aider à rester à l’école et à s’intéresser davantage à leurs
études, il a été proposé aux garçons de former une équipe de football américain. La condition
214
pour être ou rester membre de l’équipe était de maintenir un certain minimum à leur
moyenne scolaire comme c’est le cas pour le football universitaire. Les garçons ont adhéré en
grand nombre et ceux-ci ont vu leurs rendements académiques augmenter d’autant. Un effet
souhaitable, mais non désiré, s’est également produit. Les pères, qui avaient déserté depuis
des lustres les comités de parents, sont revenus en grand nombre au sein de ces organisations, soucieux de voir leurs fils participer à une activité qu’ils prisent eux-mêmes. Une intervention comme celle-là a donc eu plusieurs conséquences positives, soit une nette diminution du décrochage scolaire chez les garçons, une augmentation de leurs résultats académiques, un retour des pères au sein de l’école et enfin, la possibilité pour de nombreux pères
et fils de renouer leurs relations de filiation de manière très positive.
Il existe d’autres programmes sportifs d’intervention auprès des jeunes hommes qui ont fait
leur preuve comme au Mexique avec le « The Football, Health and Gender programme»
(http://www.kit.nl/frameset.asp?/ILS/exchange_content/html/2005-2_fostering_alternative_v.asp&frnr= &)
pour
diminuer la prise de risque en matière d’itss et d’usage de drogues. Nommons également
l’initiative de Gregory Hodges, directeur de la Frederick Douglass Academy, dans Harlem à
New York qui a utilisé le basketball pour ramener et maintenir à l’école les garçons noirs. Le
basketball a permis à ces jeunes hommes noirs de ne pas aller vers la criminalité et de développer leur capital social. Ces propositions peuvent sembler utopiques, cependant elles
s’inspirent des multiples recommandations déjà émises par des chercheurs en service social,
en sociologie ou en kinésiologie. Elles rejoignent également celles qu’avaient exprimées
Messner et Sabo (1994). Il y a aussi des programmes comme celui de la Women’s Sports
Foundation (Ittakesateam.org ; homophobiainsports.com) et de l’Université du Massachusetts.
Les interventions proposées par ce programme sont faites directement auprès des jeunes,
des entraîneurs, des parents et des professeurs. La Women’s Sports Foundation et
l’Université du Massachusetts, diffusent des dépliants, des affiches et des messages télévisés
en faveur d’une nouvelle masculinité dans le sport. Le but est de lutter contre l’homophobie
et l’efféminophobie.
Ainsi, pour lutter contre l’homophobie, l’efféminophobie et les conséquences de la masculinité traditionnelle, il faut déconstruire la masculinité hégémonique, la déloger là où elle se
trouve, soit dans le sport notamment. Il est possible de mettre fin à la hiérarchisation et à la
violence entre les hommes en favorisant une nouvelle complicité entre hommes et une forme
d’entraide, de mettre fin au sexisme, d’enseigner de nouvelles valeurs aux jeunes sportifs,
d’être inclusif et de pousser la réflexion sur la condition masculine et la construction de
l’identité de genre. Cette recherche servira, nous l’espérons, de réflexion à de nombreux intervenants afin de faire émerger une nouvelle masculinité et de nouvelles interventions.
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232
13
13.1
ANNEXES
Annexes 1 Formulaire d’acceptation du répondant
Acceptation de participation à une recherche
Par la présente, je soussigné, accepte de participer à la recherche qualitative à propos de la
construction de l’identité masculine des jeunes hommes sportifs. Le but en est de mieux
connaître les contextes et les circonstances de la construction de l’identité masculine chez
les jeunes hommes sportifs. J’accepte de répondre aux questions qui me seront posées sur
ma vie personnelle au cours d’une entrevue semi-dirigée, d’une durée approximative d’une
heure.
Je suis informé que cette recherche scientifique est effectuée par Simon Louis Lajeunesse
(dont la carte de visite vous est fournie) étudiant au doctorat à l’École de service social et
supervisée par Gilles Tremblay, Ph. D., chercheur et professeur à l’Université Laval (dont la
carte de visite vous est fournie aussi). La carte de visite de l’ombudsman de l’Université Laval
est également fournie. J'accepte que ces résultats soient publiés sous forme d'articles ou
d'ouvrages, attendu que mon anonymat et que tout détail qui pourrait permettre de m'identifier seront strictement préservés.
Je confirme que le chercheur m'a indiqué une liste de personnes-ressources si j’ai besoin
d’aide ou de soutien à la suite de cette entrevue. Il m’a aussi spécifié le but de cette recherche et les moyens qui seront pris pour préserver la confidentialité de mes propos. À cette fin,
je signe d'un pseudonyme cette autorisation d'utilisation de mes propos, lesquels seront
transcrits à des fins de recherches uniquement et sous l'utilisation de ce pseudonyme (cela à
partir d'enregistrements magnétiques et/ou de notes dont l'accès sera limité aux chercheurs
travaillant spécifiquement à cette étude, et gardés en lieu sûr). Il est bien entendu que tout
détail personnel qui pourrait permettre de m'identifier sera sciemment modifié par le chercheur pour préserver confidentialité et anonymat.
L’avantage de participer à cette recherche est de contribuer à l’amélioration des connaissances dans la construction du genre masculin. On m'a informé de la possibilité de me retirer à
tout moment de cette recherche et on m’a remis, notamment à cet effet, les coordonnées professionnelles des chercheurs. Je reconnais témoigner volontairement, librement et honnêtement de mon expérience personnelle.
( ) J'accepte que mon témoignage verbal soit enregistré sur magnétophone aux seules fins de
cette recherche. Cet enregistrement sera effacé une fois la recherche dûment complétée
(avant le 30 juin 2003).
( ) Je n'accepte pas que mon témoignage verbal soit enregistré.
Lieu et date :
Signature du participant (pseudonyme) :
Signature du chercheur interviewer : Le numéro d’approbation du comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval est le 2002-011.
233
13.2 Annexe 2 Guide d’entrevue
Ces questions sont un guide, un aide-mémoire des thèmes qui doivent être abordés durant l’entrevue.
Elles ne sont pas posées systématiquement. En suivant la méthode de la théorisation ancrée, il est
essentiel de laisser parler le répondant, de le suivre dans son discours, mais aussi de le guider de façon à s’assurer que tous les points seront mentionnés lors de l’entrevue.
Généralités
Âge
Rang dans la famille
Niveau de revenu de la famille d'origine et revenus actuels
Père
Mère
Frère
Sœur
Animal domestique
Lieux de vie
Pourquoi as-tu décidé de participer à cette recherche ?
Sport et masculinité Tous les sportifs
1-Quelles activités sportives pratiques-tu ? (1)22
2-Raconte-moi ce qui t'a amené à pratiquer ce sport ? (1)
3-As-tu toujours pratiqué cette activité, comme au secondaire ou au cégep ? (1)
4-Comment se passaient les cours d’éducation physique au secondaire ? (1)
5-Qu’est-ce que cela t’apporte de faire du sport, et ce sport en particulier ? (1)
6-Dis-moi ce que signifie pour toi faire du sport ? (1,4)
7-Quelles différences il y a à faire un sport d’équipe ou individuel ? (1,2)
8-Pourquoi ne pas avoir choisi le patinage artistique ou le ballet par exemple ? (2,3,4)
9-Si tu ne pratiquais plus ce sport ni aucun autre, qu’est-ce que cela changerait ? (1)
10-Combien de temps tu consacres par semaine à l’activité sportive ? (1)
11-Quelles sont tes idoles sportives ? (1,4)
12-Dans ton enfance, quel genre de bande dessinée tu aimais (l’Araignée, capitaine America...) (4)
13-Parle-moi de ton entraîneur, ton coach... (1, 4)
14-Raconte-moi comment se passent les batailles dans ton sport, la violence. (1,2,3,4)
15-Dis-moi comment le fait de jouer devant un public influence ton jeu ? (2,4)
16-On dit bien des choses sur les vestiaires et sur les conversations qui s'y tiennent. Peux-tu m'en
parler ? (1,2,3)
17-Quels sont les comportements ou les gestes à éviter dans les vestiaires, ou les faits et gestes qui te
rendent mal à l'aise ? (2,3)
18-Séduction et sport... (2,4)
Sportifs d’équipe
19-Qu'est-ce que cela t'apporte d'être dans cette équipe ? (1,2)
20-Que signifie pour toi être membre d'une équipe sportive ? (1,2,4)
21-Raconte-moi comment on entre dans une équipe comme celle dont tu es membre ? (1,2)
22-Comment se passent les initiations ou les épreuves ou les grades à passer ? (1,2,4)
23-Parle-moi de ton équipe, de tes coéquipiers. (1,2,3,4)
24- Que veut dire le fait d’avoir la barbe longue avant un match important ? (pour les répondants pratiquant le hockey et le football). (1,2,4)
25-À quoi sert le noir sous les yeux ? (pour les répondants pratiquant le hockey et le football) (1)
26-Que veut dire le cri final de l’entraînement et autres cris que vous lâchez dans certaines circonstances ? (pour les répondants pratiquant le football) (1,2)
27-Raconte-moi les liens que tu entretiens avec les membres de l'équipe ? (1,2)
22
Les chiffres entre parenthèse font référence aux quatre objectifs spécifiques de cette recherche.
234
28-Quels sont les gestes et touchers qui se font entre les membres des équipes desquelles tu as été ou
es membre ? (3)
29-Pourrait-il y avoir des femmes dans ton équipe ? (1,2)
30-Comment réagirait ton équipe si un de ses membres se révélait homosexuel ou bisexuel ? (2,3)
Homophobie et efféminophobie
31-Peux-tu me définir ce que c’est qu'être un homme ? (1,2,4)
32-Qu'est-ce qu'être viril ou masculin ou ne pas l’être suffisamment ? (2,3,4)
33-Quelles sont les caractéristiques physiques ? (2,3,4)
34-Quelles sont les caractéristiques psychologiques ou émotives ? (2,3)
35-Quelles sont les valeurs ou les qualités que tu trouves masculines ou viriles et celles qui ne le sont
pas ? (2,3,4)
36-Quels gestes sont possibles entre deux hommes ? (2,3)
37-Lesquels ne sont pas possibles ? (2,3)
38-Y a-t-il des gars que tu trouves moins virils ou masculins que d'autres ? Pourquoi ? (2,3,4)
39-Qu'est-ce qu'être efféminé selon toi ? (2,3)
40-Qu'est-ce que tu penses des gars efféminés ? (2,3)
41-T’est-il arrivé de te moquer de gars que tu trouvais efféminés ? (2,3,4)
42-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ? (2,3)
43-T’est-il arrivé de tabasser ou de voir se faire tabasser un gars efféminé ? (2,3)
44-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ? (2,3)
45-T’est-il arrivé de prendre la défense d’un gars qu’on ridiculisait ou malmenait parce qu’il avait l’air
efféminé ? (1,2,3)
46-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ?( 1,2,3)
47-Sur une échelle de 1 à 10, 10 étant le maximum viril et de masculinité (et 1 le minimum), où est-ce
que tu te situerais ? (2,4)
48-Si un gars (membre de ton équipe) te disait que tu as parfois des gestes efféminés, comment réagirais-tu ? (2)
49-Si un gars te disait qu'il pense que tu es homosexuel ou bisexuel, comment réagirais-tu ? (2)
50-Si un autre gars de ton équipe se révélait homosexuel ou bisexuel, comment réagirais-tu et comment crois-tu que ton équipe réagirait ? (2,3)
51-Quelles sont les tâches domestiques que tu associes au monde féminin ? Pourquoi ? (2,3)
Images
52-Montrer la photo numéro 1, Le droit d'aimer.
Qu'en penses-tu et de quoi cette photo parle-t-elle ? (2,4)
53-Montrer la photo numéro 2, collage haine.
Que t’inspirent ces photos ? (3,4)
54-Montrer la photo numéro 3, le cloueur.
Que t’inspire ce gars ?
Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ? (2,4)
55-Montrer la photo numéro 4, un gars appuyé sur son vélo.
Que t’inspire ce gars ?
Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ? (2,4)
56-Montrer la photo numéro 5, le gars plus féminin en fête.
Que t’inspire ce gars ?
Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ?
Avec quel gars te sentirais-tu le plus à l'aise et pourquoi ?
Lequel pourrait jouer dans ton équipe ? (2,4)
57-Montrer la photo 6, les gars de dos.
Réaction ? (1,2,3,4)
58-Montrer la photo 7, les deux joueurs de baseball. (2,4)
59-Montrer la photo 8 d’initiation, (triste) (1,4)
60-Montrer la photo 9 d’initiation, (joyeuse)
Quel différence y a-t-il entre les deux scènes précédentes soit la 8 et la 9 ?
Quels sont les gestes qui sont possibles et quels sont ceux qui ne sont pas possibles dans une circonstance comme celle-là ? (par exemple regarder l'autre, lui parler, le toucher...) (1,4)
Remerciements.
235
13.3 Annexe 3 Photos présentées durant les entrevues.
Photo numéro 1
236
Photo numéro 2
237
Photo numéro 3
238
Photo numéro 4
239
Photo numéro 5
240
Photo numéro 6
241
Photo numéro 7
242
Photo numéro 8
243
Photo numéro 9
244
13.4 Annexe 4 Affiche de recrutement des répondants
245
13.5 Annexe 5 Dépliants et autocollants
246
247
Auto collant.