La masculinité mise au jeu, construction de l`identité de genre chez les
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La masculinité mise au jeu, construction de l`identité de genre chez les
SIMON LOUIS LAJEUNESSE LA MASCULINITÉ MISE AU JEU, Construction de l’identité de genre chez des jeunes hommes sportifs Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en service social pour l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.) FACULTÉ DES SCIENCES SOCIALES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2007 © Simon Louis Lajeunesse, 2007 2 RÉSUMÉ COURT L’objectif principal de cette recherche est d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes sportifs. Le cadre est constructiviste. La construction empirique de la théorie a été utilisée pour analyser 22 entrevues. Cette recherche indique qu’il existe deux idéaltypes de sportifs, les grégaires et les solitaires, construisant leur genre selon le modèle de la masculinité hégémonique, notamment par l’activité sportive. Cette masculinité est générée par l’accomplissement de rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les sportifs ont souvent des comportements sexuels lors de ces rituels. Ils perpétueraient les règles de domination, de subordination, de complicité, de marginalisation, de peur du féminin et d’homophobie typiques de la masculinité hégémonique. Les caractéristiques particulières des hommes sportifs demanderaient une intervention adaptée à leurs besoins et à leurs particularités. L’intervention en milieu sportif pourrait permettre d’atteindre un grand nombre de jeunes hommes avec relativement peu de ressources pour changer les règles de la masculinité actuelle. Cela contribuerait à sortir les hommes de la catégorie des « clientèles difficiles à atteindre ». 3 RÉSUMÉ LONG L’objectif principal de cette recherche est d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels initiatiques dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes sportifs. Constructiviste, le cadre théorique est dérivé à la fois de l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie. Ces approches prétendent que l’identité de genre relève d’un bricolage quotidien produit par l’entremise des rapports sociaux. La construction empirique de la théorie a été utilisée pour analyser 22 entrevues. Cette recherche indique qu’il existe deux idéaltypes de sportifs, les grégaires et les solitaires, construisant leur identité de genre selon le modèle de la masculinité hégémonique. Les solitaires utiliseraient le sport en référence à un modèle médiatique alors que les grégaires utiliseraient le sport à travers leur appartenance à un groupe masculin significatif. La masculinité hégémonique serait générée, chez les grégaires surtout, par l’accomplissement de rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les rituels tribaux constituent une découverte car ils mettent en scène une contradiction importante : comment, en effet, créer un univers d’une grande intimité physique, incluant la nudité et éventuellement la génitalité, sans être ou, surtout, paraître homosexuel ? En fait, il existerait un clivage entre les préférences sociales et émotionnelles des sportifs d’élite, d’une part, et leur auto-identification, puis d’autre part leurs comportements. Ainsi, les sportifs peuvent avoir des comportements sexuels entre eux tout en faisant montre d’homophobie. Les rituels sportifs perpétueraient la masculinité hégémonique avec ses normes de domination, de subordination, de complicité, de marginalisation et de peur du féminin. Pourtant, le sport pourrait constituer un lieu d’intervention privilégié, car en intervenant en milieu sportif, il serait possible de toucher un grand nombre de jeunes hommes avec relativement peu de ressources. Au lieu d’être un univers de reproduction de la masculinité hégémonique, le sport pourrait devenir un lieu de fabrication d’une nouvelle masculinité où les valeurs de respect et d’accomplissement de soi seraient à l’honneur. Il pourrait être un lieu d’apprentissage valorisant, un lieu de célébration d’une fratrie masculine épanouissante. Par l’intervention dans le sport, il serait possible de changer les règles et les normes de la masculinité actuelle et ainsi sortir les hommes de la catégorie dite des « clientèles difficiles à atteindre ». 4 1 AVANT-PROPOS Plusieurs personnes ont contribué à la réalisation de cette recherche. Nommons pour commencer les répondants, qui se sont livrés avec confiance et générosité au jeu des entrevues semi-dirigées et de l’observation. Sans eux, cette recherche aurait été impossible. Viennent ensuite les informateurs clés : les parents de certains joueurs, des entraîneurs d’équipes sportives. Je souligne le soutien de monsieur Noël Decloître, celui-ci m’ayant mis en contact avec plusieurs entraîneurs et organisations sportives. Mentionnons aussi le comité de doctorat et le jury de thèse qui ont évalué les quelques versions du manuscrit. Je tiens à remercier tout particulièrement madame Denise Veillette, sortie de la retraite expressément pour cette tâche. Ma reconnaissance va également à mes deux codirecteurs de thèse, messieurs Gilles Tremblay et Jocelyn Lindsay, qui ont cru dans ce projet et qui m’ont soutenu durant sa réalisation. Enfin un dernier mot va à mon correcteur qui a généreusement révisé Dans son ensemble ce manuscrit. 5 2 SOMMAIRE 1 Avant-propos ........................................................................................................................ 4 2 Sommaire.............................................................................................................................. 5 3 Introduction........................................................................................................................ 10 4 Des hommes et des services sociaux.................................................................................. 13 5 Construire le genre ............................................................................................................ 20 5.1 Réflexion à propos du genre ...................................................................................................20 5.2 Les approches analytiques actuelles de la masculinité.........................................................25 5.2.1 La masculinité hégémonique .............................................................................................................26 5.2.1.1 Création du genre et pratique corporelle réflexive ....................................................................28 5.2.2 La tension de rôle de genre................................................................................................................30 5.2.3 Le conflit de rôle de genre.................................................................................................................35 5.2.3.1 L’homophobie............................................................................................................................37 5.3 L’homophobie dans le sport ...................................................................................................41 5.4 Le sport et les rites...................................................................................................................43 5.4.1 Un bref historique du sport................................................................................................................43 5.4.2 Le sport comme objet social..............................................................................................................45 5.4.3 Fascisme, militarisme, sport et identité masculine ............................................................................49 5.4.3.1 Les vestiaires sportifs.................................................................................................................52 5.4.4 Les rituels et le sport..........................................................................................................................56 5.4.4.1 Les jeux de vestiaire ..................................................................................................................61 6 Les objectifs de la recherche.............................................................................................. 64 7 Cadre théorique.................................................................................................................. 66 7.1 Les théories de référence.........................................................................................................66 7.1.1 7.1.2 7.1.3 8 Le constructivisme.............................................................................................................................66 L’interactionnisme et l’ethnométhodologie.......................................................................................66 La représentation sociale ...................................................................................................................67 Méthodologie...................................................................................................................... 70 8.1 Échantillonnage .......................................................................................................................70 8.2 Collecte de données .................................................................................................................71 8.3 L’observation ...........................................................................................................................72 8.4 Analyse des données ................................................................................................................73 8.5 Validation .................................................................................................................................74 8.6 Les limites de cette recherche.................................................................................................76 8.7 La préentrevue.........................................................................................................................77 8.8 Retombées prévues et transfert des connaissances...............................................................77 8.9 Éthique .....................................................................................................................................78 9 Qui sont les répondants ? .................................................................................................. 79 10 L’épreuve de la masculinité............................................................................................. 82 6 10.1 Joueurs collectifs et joueurs solitaires .................................................................................82 10.1.1 Les grégaires : « Tous pour un et un pour tous. » ...........................................................................83 10.1.1.1 Pour les grégaires, le sport c’est… ..........................................................................................86 10.1.2 Les solitaires ....................................................................................................................................88 10.1.2.1 Pour les solitaires, le sport c’est…...........................................................................................90 10.1.3 Ce qui distingue les grégaires des solitaires ....................................................................................91 10.2 Les motivations et les finalités de la pratique sportive ......................................................93 10.2.1 Pour les grégaires.............................................................................................................................93 10.2.1.1 Les prescriptions, pressions sociales et sens de soi .................................................................93 10.2.1.2 L’anatomie et la destinée .......................................................................................................102 10.2.1.3 La revanche............................................................................................................................110 10.2.2 Pour les solitaires...........................................................................................................................115 10.2.2.1 Les prescriptions sociales ou la vocation solitaire.................................................................115 10.2.2.2 Les prescriptions du corps .....................................................................................................120 10.2.2.3 La revanche............................................................................................................................123 10.2.3 Pour résumer les motivations des grégaires et des solitaires.........................................................126 10.3 Les rituels sportifs ...............................................................................................................127 10.3.1.1 Le vestiaire utilitaire des grégaires ........................................................................................127 10.3.1.2 Le vestiaire, lieu de la tribu ...................................................................................................130 10.3.1.3 Le vestiaire, lieu de la kermesse ............................................................................................132 10.3.1.4 Le vestiaire du solitaire : entre utilité et ostracisme ..............................................................134 10.3.2 La masculinité par la meute, les rituels des grégaires ...................................................................141 10.3.2.1 Rituels initiatiques .................................................................................................................141 10.3.2.2 Rituels tribaux........................................................................................................................153 10.3.2.3 Rituels apotropaïques des grégaires.......................................................................................162 10.3.3 Les rituels des solitaires.................................................................................................................163 10.4 L’homophobie ......................................................................................................................166 10.4.1 Chez les grégaires..........................................................................................................................166 10.4.1.1 Le permis et l’interdit ............................................................................................................166 10.4.1.2 Le sport, l’alibi par excellence...............................................................................................169 10.4.1.3 Un gai dans l’équipe ? ...........................................................................................................170 10.4.2 Les solitaires : entre ouverture et efféminophobie ........................................................................178 10.4.2.1 Des conversations et des hommes .........................................................................................178 10.4.2.2 Gestes permis et les gestes interdits.......................................................................................179 10.4.2.3 Les cours d’éducation physique et l’appartenance au masculin ............................................181 10.4.2.4 Être efféminé, c’est… . .........................................................................................................183 10.4.2.5 L’attitude face à l’efféminé....................................................................................................184 10.5 Être homme..........................................................................................................................187 10.5.1 10.5.2 10.5.3 10.5.4 10.5.5 10.5.6 La confusion ..................................................................................................................................187 Le corps, marqueur de l’appartenance au genre ............................................................................189 Le contraire....................................................................................................................................191 Les rôles et les attitudes traditionnels............................................................................................195 La séduction...................................................................................................................................199 Sur une échelle de 10.....................................................................................................................200 11 Conclusion...................................................................................................................... 206 12 Références ...................................................................................................................... 215 13 Annexes .......................................................................................................................... 232 13.1 Annexes 1 Formulaire d’acceptation du répondant.........................................................232 13.2 Annexe 2 Guide d’entrevue ................................................................................................233 7 13.3 Annexe 3 Photos présentées durant les entrevues. ...........................................................235 13.4 Annexe 4 Affiche de recrutement des répondants............................................................244 13.5 Annexe 5 Dépliants et autocollants ....................................................................................245 8 Sommaire des tableaux Tableau 1, Les catégories de sports .......................................................................................... 48 Tableau 2. Types de vestiaires.................................................................................................. 53 Tableau 3. Les profils en comparaison ..................................................................................... 92 Tableau 4. Le sport, c'est ... ...................................................................................................... 93 Tableau 5. Comparaison des motivations à la pratique sportive des grégaires et des solitaires ................................................................................................................................................ 126 Tableau 6. Le sens que prend le vestiaire pour les grégaires et les solitaires ......................... 141 Tableau 7. Types de rituels chez les sportifs. ......................................................................... 165 Tableau 8. L’homophobie chez les grégaires et les solitaires................................................. 187 Tableau 9. Comparaison des marqueurs de la masculinité..................................................... 205 9 Men are not born, growing from infants through boyhood to manhood, to follow a predetermined biological imperative, encoded in their physical organization. To be a man is to participate in social life as a man, as a gendered being. Men are not born: they are made. And men make themselves, actively contructing their masculinities within a social and historical context. (Kimmel et Messner, 1992) 10 3 INTRODUCTION Depuis un certain temps, on rapporte que les hommes iraient mal et que l’on constaterait chez eux un certain nombre de problématiques qui leur seraient propres, telles que le décrochage scolaire, la violence conjugale, le suicide, divers problèmes de santé, ou encore, chez les sportifs, le dopage... Plusieurs rapports de recherche, tels que le Rapport Rondeau (2005), ont nourri les réflexions à propos des problématiques masculines. Nommons également Chamalidis (2000), qui a analysé la vie d’ex-champions sportifs; Curry et Strauss (1994), qui ont montré comment la construction du genre chez les hommes les amenaient à prendre des risques parfois fatals durant la pratique sportive; Dulac (2001), qui a étudié les liens entre le mode de socialisation des hommes et leur demande de services; Fine (1987), qui a montré comment la pratique du baseball permettait de construire l’identité de genre chez les jeunes hommes; Hite (1983), qui a analysé la sexualité des hommes; Hudon (2004), qui a étudié comment une certaine construction du genre aggravait le syndrome de stress post-traumatique chez les militaires canadiens; Klein A. (1993), qui a montré les liens entre la pratique du culturisme et son impact sur la santé et la construction du genre chez les hommes; Le Breton (1991), dont l’analyse fait ressortir les liens entre masculinité et prise de risque; Plummer (1990), qui a étudié l’homophobie et ses liens avec la construction du genre masculin; Rondeau et Keefler (2003), qui ont analysé le rôle de la honte chez les hommes et enfin Sommers (2000), qui dénonce la dureté avec laquelle on traite les garçons dans la société américaine. S’ajoutent à cela nombre d’articles dans les revues grand public et les documentaires télévisés ou radiophoniques qui reprennent régulièrement les thèmes des problématiques masculines. Mais qu’en est-il au juste ? Les hommes se portent-ils aussi mal ? D’ailleurs, de quels hommes s’agit-il ? Vivent-ils tous ces problématiques ? Il n’est pas possible, dans une seule recherche, de faire le tour de toutes les réalités et de tous les aspects de la vie des hommes. Par conséquent, nous avons dû circonscrire et délimiter un sujet, choisir des aspects particuliers, opter pour une approche et un angle d’analyse. Pour rester en accord avec l’ensemble de la recherche actuelle, nous nous sommes concentré sur les hommes appartenant à des groupes plus souvent associés aux valeurs plus traditionnelles de masculinité. Dans ce sens, nous aurions pu nous intéresser aux hommes pratiquant le rodéo, aux membres des Forces armées ou encore aux hommes exerçant le métier de pompiers ou de policiers, cependant, le bassin d'hommes rejoints aurait été restreint, car ceux-ci sont relativement peu nombreux comparativement aux membres d’autres groupes, 11 comme les sportifs. Les hommes accordent beaucoup d’importance aux sports si l’on se fie aux données de Statistiques Canada (1998, 2000) et ils s’y adonnent massivement. En effet, presque les trois quarts des hommes de moins de 25 ans pratiquent un sport plus de trois fois par semaine, en particulier un sport d’équipe et plus particulièrement encore le hockey, le soccer ou le football américain (Pleau, 2000). Le monde sportif, d'après la recherche, est connu pour ses valeurs masculines dites traditionnelles, valeurs qui sont justement celles que plusieurs auteurs, par exemple Curry et Strauss (1994), Curry (2000), Douglass (1990), Messner et Sabo (1990, 1994), Messner (1992, 1997, 2005) et Sabo et Panepinto (1990), ciblent comme preuves des problématiques vécues par les hommes. Mais qu’en est-il réellement ? Les sportifs sont-ils ce que l’on croit ? Vivent-ils des problématiques particulières ? Baignent-ils dans un incubateur de valeurs traditionnelles ? Quelles sont les motivations qui poussent les hommes à la pratique sportive ? Très pertinentes, ces questions ont été réunies sous un objectif principal, celui d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels initiatiques dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes pratiquant un sport individuel ou collectif. Les sousobjectifs suivants seront abordés : 1 — mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes; 2 — mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé; 3 — explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive; 4 — explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants. Le propos de cette recherche n’est pas d’ordre sociologique ou philosophique, mais en lien au service social, ce qui nous amènera à faire des propositions d’interventions potentielles et concrètes. Le propos de cette thèse se situe en soi dans une perspective constructiviste qui pense le genre comme une construction interactive et non comme une essence de l’être. En effet, si le genre se construisait, il serait possible d'intervenir pour faire en sorte qu’il se construise autrement. De cette manière, les hommes ne seraient plus victimes de leur complexion, mais au contraire, seraient des acteurs capables de changer et de se prendre en main. La méthodologie utilisée est celle de la construction empirique de la théorie par le biais d’entrevues semi-dirigées, qui ont été effectuées auprès de 22 sportifs de 18 à 25 ans. De 12 plus, une observation a aussi été réalisée, afin de nourrir les entrevues et de recueillir le maximum de données aux fins d’analyse. Cette méthode de recherche permet de découvrir davantage de pistes d'interventions possibles, car elle est riche en interactions et colle à la réalité des acteurs et de leur problématique. La méthodologie est présentée de manière exhaustive au chapitre consacré à ce propos. Elle est précédée du cadre théorique où une analyse des différentes approches traitant du genre masculin a été effectuée. Les approches de Connell (2005), de Pleck (1981) et de O’Neil (1982, 1995) ont surtout été retenues pour leurs visions plaçant la construction du genre au centre des problématiques masculines et des interactions sociales des hommes. Plusieurs thèmes importants ont aussi été présentés dans le cadre théorique permettant une meilleure analyse des thèmes visés par les objectifs de la recherche tels que les hommes et le service social, l’homophobie, l’histoire et la classification des sports. Enfin, l’analyse des entrevues constitue la majeure partie de la thèse où le rôle de l’activité sportive dans la construction du genre masculin y sera abordé. Nous y verrons différents aspects, tels que le profil des sportifs, leurs motivations à la pratique sportive, les rituels inscrits dans la vie sportive, le rôle de l’homophobie dans le sport et enfin, nous examinerons comment les sportifs définissent eux-mêmes le genre masculin et quel sens ils donnent à la masculinité. Autrement dit, nous verrons si les sportifs se sentent bel et bien des hommes et comment l’activité sportive a contribué à leur sentiment de masculinité. Des pistes d’intervention sont présentées en conclusion. 13 4 DES HOMMES ET DES SERVICES SOCIAUX La réflexion et la recherche sur le genre masculin sont assez récentes si on les compare aux études féministes. Il est permis d’observer que c’est aussi par les études traitant de sport que s’est effectuée une part de ces recherches sur la masculinité, particulièrement aux États-Unis. Au Québec, elles se sont principalement amorcées par le service social au milieu des années 1980 (Tremblay et L’Heureux, 2005). Différents constats sont proposés demandant une intervention dans plusieurs domaines et sous de nombreux aspects tels que la prise de risque et la morbidité, le suicide, la violence conjugale, les situations de crise et les services offerts aux hommes, ou encore l’accueil réservé à leur demande (Rondeau et Hernandez, 2002; Rondeau, Mercier, Camus, Cormier, Gagnon, Gareau, Garneau, Lavallée, Roy, Saint-Hilaire, et Tremblay, 2004). La dimension du genre ressort dans plusieurs études dont celles de Rondeau et Hernandez (2002), Rondeau et al, 2004, Tremblay et L’Heureux (2002) et Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et Lapointe-Goupil (2005) en tant que problématique sur laquelle intervenir. Dulac (2001) a lui aussi exploré cette dimension des services de soutien offerts aux hommes et de leur demande d’aide. Dulac (2001) identifie deux obstacles au développement de services adaptés et à l’évolution de la pratique dans le réseau public de services. Il s’agit premièrement d’obstacles d’ordre organisationnel ou administratif — comme les problèmes de financement — et deuxièmement, de problèmes d’ordre socioculturel. C’est cette dimension qui sera examinée plus en détail, car une meilleure exploration de la dimension socioculturelle permettrait sans doute, comme le précise Dulac, de mieux surmonter certains obstacles dans l’intervention auprès des hommes. Les dimensions socioculturelles sont souvent plus difficiles à saisir, car elles sont ancrées dans la pratique et, le plus souvent sont également celles sur lesquelles il est possible d’agir. En fait, c’est comme si les hommes, dans les représentations sociales, ne constituaient pas un groupe ayant besoin de soutien. Voilà pourquoi plusieurs auteurs proposent de revoir la manière dont les services sont fournis aux hommes (Dulac, 2001; Lindsay, 2003; Rondeau et al, 2004; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et Lapointe-Goupil, 2005; Tremblay et L’Heureux, 2005). Par ailleurs, la résistance de certains intervenants, ancrée dans certaines croyances et mentalités qui veulent que les services soient offerts en exclusivité à la clientèle la plus démunie que sont, a priori, les femmes, désavantage les hommes demandant de l’aide. 14 […] il existe une longue tradition de féminisation du personnel aidant et les femmes ont longtemps été considérées comme la principale clientèle de ces services d’aide. […] Il est donc plus difficile […] de compter sur des pratiques qui englobent les spécificités masculines (Dulac, 2001:140-141). Les répondants des études de Dulac (2001), Kadushin (1996) ou d’autres auteurs, dont Broué et Guèvremont (1994), ou Tremblay (1996), nous révèlent les obstacles rencontrés par les hommes lors de leur demande d’aide. Les grandes institutions comme les hôpitaux et les CLSC constituent souvent, à cause de leur taille, un défi plus grand pour amener un chan- gement. Les obstacles nommés par Dulac vont de l’incompréhension de la demande à l’incapacité, pour un certain nombre d’intervenants, d’offrir l’aide demandée, en passant par l’incapacité des hommes en crise à exprimer clairement leurs besoins. Selon Dulac (2001), plusieurs hommes qui demandent de l’aide errent souvent d’un service à l’autre avant d’obtenir enfin le soutien recherché. Cela tient au fait que les intervenants ne comprennent pas toujours leurs demandes et que le système n’est pas conçu pour les recevoir. Il y a en effet un lien entre la mésadaptation des services et l’incapacité des hommes plus traditionnels à formuler leurs demandes dans un langage que les organismes censés les acceuillir peuvent comprendre afin de répondre adéquatement à leurs besoins. Les acteurs offrant le service appartiennent à la même culture que les demandeurs. Ils ont les mêmes valeurs et les mêmes rituels codés selon le genre. Comme le constate Tremblay (1996 : 24), « la répartition des t.s. selon le sexe rend compte d’une très large majorité de femmes; […] plusieurs des théoriciens sont en fait des théoriciennes […] On s’attend à ce que le demandeur (homme) adopte un comportement de la clientèle (souvent des femmes) qui demande de l’aide ». Dulac (2001) constate sensiblement la même chose. Comme deux modems qui s’harmonisent de sons stridents (pour reprendre les termes de Dulac) avant de pouvoir communiquer, l’offre et la demande doivent également recourir au même langage, sans quoi toute communication demeure impossible. Actuellement, le type d’intervention disponible pour les hommes dans les centres de services ne correspond pas aux habiletés de changement que les hommes plus traditionnels ont développées dans leurs liens sociaux (Dulac, 2001; Rondeau et Hernandez, 2002; Rondeau et al, 2004; Tremblay et al, 2005). Le demandeur doit partager la même culture institutionnelle que le dispensateur de services. Les intervenants sont souvent désarçonnés ou déstabilisés par les demandes d’aide provenant des hommes plus traditionnels. Pour recevoir de l’aide, ces hommes doivent alors se conformer à des comportements « genrés » de l’autre genre. Le climat et la disposition du client en état de crise ne le rendent cependant pas apte à se conformer à de telles exigences. 15 Il ne fait aucun doute que la culture des services et des organismes d’aide est largement façonnée par les caractéristiques féminines, notamment en raison de la féminisation de la pratique et de la clientèle. La division sexuelle des tâches a historiquement assigné aux femmes les rôles liés aux soins et à l’aide. [...] Elle détermine les catégories de personnes qui offrent ou qui reçoivent de l’aide (Dulac, 2001 : 63). Le système accueille tout de même certaines demandes, mais souvent trop tard. En fin de compte, ces hommes n’ont alors souvent que les policiers, les juges et les prisons pour seules ressources. Or ces ressources sont plutôt des outils de répression que des ressources de soutien. Dulac constate en effet que plusieurs hommes sont si mal compris — et donc mal reçus dans les points de services — que leur comportement est interprété comme des agressions ou des menaces. En fait, lorsque les hommes plus traditionnels consultent, c’est qu’il y a déjà longtemps que « ça allait mal ». La situation s’est passablement dégradée et, parfois même, dangereusement. Nombreux sont les hommes de l’étude de Dulac qui ont attendu d’avoir perdu femme, enfants et emploi, d’être au bout du rouleau, de toucher le fond du baril avant de reconnaître qu’ils avaient des problèmes et de se décider enfin à se prendre en main. Plusieurs hommes demandant des services ont souvent des problèmes sous-jacents à la crise, problèmes qui ne sont pas toujours visibles d’emblée. L’offre de services devrait donc être orientée en fonction du fait que plusieurs hommes arrivent en situation de crise (Dulac, 2001 ; Tremblay, 1996). L’aptitude d’un individu au changement se développe par la socialisation et par l’apprentissage des rôles de genre qui lui sont propres. Les hommes et les femmes ne sont pas socialisés de la même façon, aussi leurs attentes et leurs besoins sont différents tout comme leurs difficultés. Selon Dulac, la socialisation : […] est un processus continu qui ne se limite pas au seul apprentissage durant l’enfance (socialisation primaire) des valeurs et des normes favorables à l’adhésion aux rôles masculins et féminins. Les processus et mécanismes qui président à la constitution de l’identité et à l’adhésion aux valeurs dominantes interviennent tout au long de la vie (socialisation secondaire) (Dulac, 2001 :17-18). Les services sociaux devraient être adaptés à chacune de ces clientèles, selon le genre du requérant, tout comme les services d’aide ont été adaptés non seulement aux personnes handicapées, mais aussi au type de handicap comme dans le cas des non-voyants, dont les besoins diffèrent de ceux en fauteuil roulant. Ce manque d’adaptation des services offerts aux hommes, mentionné par Dulac (2001), a aussi été observé par Tremblay (1996), qui constatait des lacunes dans sa pratique. Tremblay (1996) rapportait les mêmes lacunes notées par Antil (1985), Bly (1990) ou encore Kadushin (1996) et elles le sont encore par Trem- 16 blay et L'Heureux (2005: 56). « Travailler avec les hommes nécessite de faire l’effort de comprendre les effets des socialisations masculine et féminine sur le client, mais aussi sur nous comme intervenants et intervenantes ». Grâce à la façon dont elles ont construit leur rôle de genre, la plupart des femmes seraient généralement mieux prédisposées à l’introspection, et elles seraient plus capables de verbaliser leurs émotions. Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’aucun homme ne soit capable d’en faire autant. Généralement, les femmes possèdent plus souvent des réseaux naturels d’aidants dans lesquels la verbalisation est très présente. Le monde des émotions et de la parole appartiendrait davantage au monde féminin. La construction de l’identité de la petite fille se fait par le biais de valeurs qui misent sur les sentiments, la sensibilité (interprétée souvent comme de la sensiblerie), la parole, la douceur, etc. (Belotti, 1974; Dulac, 2001; Goffman, 1988, 2002; Préjean, 1994) S’il apparaît que les femmes expriment davantage leurs sentiments que les hommes, c’est, entre autres, parce que chaque sexe exprime les sentiments d’une manière spécifique : les hommes privilégient l’action alors que les femmes verbalisent davantage (Dulac, 2001 : 114-115). « Les émotions [pour les hommes] sont canalisées et s’expriment dans l’action » (Dulac, 2001:115). Plusieurs hommes « agiraient » leurs émotions et auraient de la difficulté à les verbaliser. Ils possèdent peu de réseaux d’aidants naturels. Falconnet et Lefaucheur (1975) ont aussi mentionné les difficultés de communication des hommes. Le garçon se doit d’être dur, résistant, endurant. Un garçon ne pleure pas (Dorais, 1999; Dulac, 2001; Préjean, 1994; Sommers, 2000; Welzer-Lang, 2002). Selon les auteurs, la socialisation fait en sorte que les pleurs sont réservés aux femmes, aux mauviettes, aux homosexuels. C’est comme si être en contact avec ses émotions et être un homme étaient deux choses incompatibles. Ceux qui adhèrent à ce type de modèle traditionnel de masculinité sont considérés par les travailleurs sociaux comme une clientèle plus difficile à atteindre (Tremblay 1996). L’homophobie est un phénomène à considérer parmi les problématiques de genre. L’homosexualité, ou ce qui peut lui ressembler, provoque un sentiment de honte chez les demandeurs de services. Formuler une demande d’aide place les hommes dans une position de faiblesse (Dulac, 2001) ; or la faiblesse est contraire aux valeurs sociales avec lesquelles les hommes ont été socialisés, contraire aussi à la construction de leur identité de genre, car pour beaucoup d’hommes, elle constituerait un signe d’homosexualité. Le fait de demander de l’aide positionne encore davantage les hommes en rupture avec les attentes identitaires 17 masculines qu’ils ont intériorisées. Un des répondants de l’étude de Dulac affirme d’ailleurs que, « quand un gars consulte, il passe pour une tapette » (Dulac, 2001 : 44). Comment un homme peut-il dire qu’il souffre alors que la virilité exige implacablement de lui qu’il endure, qu’il encaisse et qu’il vainque sans pleurer, de crainte de passer pour un maudit braillard, un fif, une tapette, une moumoune, un mou, un lâcheur, un p’tit gars à sa maman, un pas fiable, un bébé lala ? (Dulac, 2001: 82) Pour les hommes plus traditionnels, ne pas aller consulter ferait ainsi partie des moyens d’écarter le stigmate de l’homosexualité. L’homophobie deviendrait ainsi une dimension à explorer pour mieux comprendre la construction du genre chez les hommes et leur relation avec les services d’aide. De manière générale, les hommes auraient peu de réseaux d’amis avec qui ils pourraient partager leurs émotions (Dulac, 2001; Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron et LapointeGoupil, 2005). Ils ont des réseaux pour jouer au basket, aller à la pêche ou à la chasse. Ils s’agit de réseaux où l’on fait des choses, pour jouer comme « les bandes de copains » évoquées par Dellinger et Williams (2002), Falconnet et Lefaucheur (1975), Préjean (1994), Saouter (2000) et Welzer-Lang (1994). Les hommes sont habitués à endurer, à attendre et à se débrouiller tout seuls, « comme un homme » (Welzer-Lang, 1994, 2002). En fait, le seul aidant naturel avec qui les hommes (hétérosexuels) partagent leurs émotions est souvent leur conjointe (Tremblay, 1996). Mais, si les problèmes résident dans les rapports avec la conjointe, rien ne va plus. Les réseaux masculins sont passablement différents. Ils sont exclusivement mâles et intragénérationnels. Les relations entre les hommes sont d’ordre professionnel et offrent de l’information sur la manière dont le système fonctionne. Pour un homme, il est plus utile de connaître des gens qui connaissent des gens tandis que du côté des femmes il est plus utile d’avoir des contacts personnels avec des gens qui peuvent se mettre à la tâche. Les réseaux masculins prennent leur source dans la sphère publique. Les activités sont explicitées et concrètes. L’expression des sentiments et l’intimité sont généralement bannies (Dulac, 2001:50). Il semble donc y avoir une sorte d’incompatibilité entre l’offre de services, dans le système de soutien, et la demande d’aide des hommes. Cette incompatibilité tient en bonne partie à la socialisation des acteurs sociaux eux-mêmes, selon leur genre respectif. Les services d’aide seraient construits selon un mode de fonctionnement féminin alors que les hommes en situation de besoin adresseraient leur requête selon un mode de fonctionnement masculin. 18 Partant de ce constat, comment est-il possible d’intervenir auprès des hommes et sur quelles dimensions ? On peut choisir d’adapter l’offre de services, de transformer les demandeurs d’aide, ou encore d’agir sur ces deux aspects de la relation d’aide. Mais de quels hommes s’agit-il au juste et sous quelles dimensions de leur construction de genre doit-on agir, compte tenu que les recherches déjà citées nous apprennent qu’il existe plusieurs manières de vivre le masculin et que les hommes se retrouvent dans toutes les sphères de la société ? À notre avis, il serait souhaitable de favoriser une dimension qui a été peu explorée, au Québec du moins, à savoir celle où se retrouvent beaucoup d’hommes durant les principales années de leur construction du genre ; les activités sportives auxquelles ils s’adonnent du début de l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte. En effet, presque les trois quarts (71,5 %) des québécois de 15 à 24 ans pratiquent un sport plus de trois fois par semaine (Pleau, 2000). En s’intéressant à cette catégorie d’hommes, on peut donc potentiellement rejoindre un large bassin de population durant les années cruciales de la construction du genre où il serait possible de faire davantage de prévention en utilisant un type d’activité très prisée par eux, à savoir, le sport. En fait, il s’agit d’aller chercher les hommes là où ils sont, pour éviter qu’ils se joignent à la catégorie que les travailleurs sociaux nomment « les clientèles difficiles à atteindre » (Tremblay et al., 2005). De plus… […] l’activité physique constitue la pratique préventive qui a la faveur des hommes américains dans l’enquête Saltonstall (1993). Les sports semblent occuper une place prépondérante chez les hommes en matière d’activité physique. Selon Kidd (1987, dans Thornton, 1993), les sports ont été créés par et pour des hommes. Thornton (1993) ajoute que, pratiqués régulièrement, les sports procurent un sentiment d’appartenance et de communauté aux hommes. […] Les conclusions de Thornton nous invitent à considérer la pratique sportive dans ses aspects positifs sur les plans de la santé et des habiletés personnelles et sociales […] (Tremblay, Cloutier, Antil, Bergeron, Lapointe-Goupil, 2005 : 81). Le sport constitue sans nul doute un domaine où l’action est à l’honneur et est grandement valorisée. Raison de plus donc pour explorer le rôle du sport dans la construction du genre masculin et les pistes d’interventions possibles par ce médium. Par le biais d’activités sportives, il pourrait être possible de créer une intervention qui préserverait les hommes du sentiment de honte mis en lumière par Rondeau et Keefler (2003), et qui les mettrait en action. À titre d’exemple, mentionnons une expérience d’intervention par le sport qui a été menée avec succès au Québec auprès des garçons à la Commission scolaire des Navigateurs en 2001 (Stanton, 2003). Non seulement l’expérience a permis de récupérer les décrocheurs, mais il semble qu’elle ait réussi à ramener les pères à s’intéresser davantage à la vie scolaire et à la réussite de leurs fils. L’école a mis sur pied une équipe de football. Pour en rester membre et 19 pouvoir jouer, il fallait, pour les garçons, maintenir une certaine moyenne dans leurs résultats en classe, sans quoi, c’était l’exclusion. De plus, les entraîneurs ont profité de leurs contacts avec les jeunes hommes pour leur inculquer des valeurs de partage et d’entraide. Les jeunes hommes y ont appris qu’il est possible d’être proche de ses émotions, de communiquer avec leurs pairs et d’être un homme tout à la fois. Il est donc possible, par le sport, de faire de l’intervention par l’action et d’agir là où bien d’autres interventions ont échoué (Tremblay et L’Heureux, 2005). Commençons par analyser les concepts de genre, de masculinité et de sport, et de comprendre la place des rituels dans ceux-ci. 20 5 CONSTRUIRE LE GENRE Masculinité hégémonique, homophobie et pratique sportive Dans cette partie sera d’abord présentée une réflexion à propos des concepts de genre et d’identité sexuelle, ainsi qu’une analyse du concept de masculinité. Il s’agit en fait de bien cerner le cadre conceptuel par lequel l’analyse des données recueillies sera faite. Parmi les concepts qui seront présentés, nommons l’homophobie comme une constituante importante des phénomènes afférents à la masculinité, le sport et les rituels de la construction de la masculinité, de même que des phénomènes qui leurs sont liés, comme les activités de vestiaires et des significations symboliques intrinsèques aux rituels sportifs. 5.1 Réflexion à propos du genre Afin d’avoir une compréhension générale et approfondie de la création sociale du sujet « homme », de la masculinité et des problématiques qui s’y rattachent, il est essentiel de proposer une définition plus exhaustive des concepts d’identité de genre. Une importante quantité d’ouvrages portant ou traitant des problématiques de conformité ou de non-conformité au genre, d’identité sexuelle ou de rôle sexuel s’abstiennent de définir ces concepts pourtant centraux. Afin de situer l’identité dans un cadre plus vaste, définissons l’identité de façon plus générale. La définition de l’identité que fait Erikson (1972) semble la plus pertinente à retenir, car l’identité décrite par celui-ci est un processus en constant peaufinage; elle est dans la lignée de l’interactionnisme symbolique et du constructivisme qui sont utilisés dans l’analyse des données de cette recherche. La formation de l’identité met en jeu un processus de réflexion et d’observations simultanées, processus actif à tous les niveaux de fonctionnement mental, par lequel l’individu se juge lui-même à la lumière de ce qu’il découvre être la façon dont les autres le jugent par comparaison avec eux-mêmes et par l’intermédiaire d’une typologie, à leurs yeux significative; en même temps, il juge leur façon de le juger, lui, à la lumière de sa façon personnelle de se percevoir lui-même, par comparaison avec eux et avec les types qui, à ses yeux, sont revêtus de prestige. Heureusement et nécessairement, ce processus est en majeure partie inconscient, à l’exception des cas où des conditions internes et des circonstances externes se combinent pour renforcer une conscience d’identité douloureuse ou exaltée. (Erikson, 1972 : 18). Selon Erikson, l’identité est non seulement une interaction entre l’environnement et l’individu, mais aussi un procédé d'intériorisation. Erikson décrit un processus en majeure 21 partie inconscient. En effet, comment pourrait-il être possible, pour un individu, de vivre, d’amener à la conscience et de penser ce processus en même temps ? Il faut bien que des composantes du processus glissent en arrière-plan pour permettre à l’individu de fonctionner. Le genre est cependant premier et fondateur de l’identité au sens large car il est fixé par un déterminant biologique auquel tous se réfèrent (Badinter, 1992; Dorais, 1999). C’est pourquoi il peut être pertinent de poser la question « Sommes-nous notre sexe ? » (Dorais, 1999 :27). Pour certains auteurs « la prise de conscience de soi en tant que garçon ou fille ainsi que l’adhésion aux rôles et aux valeurs qui s’y rattachent constituent l’une des bases de la construction de l’identité individuelle et sociale » (Le Maner-Idrissi, 1997 :7). Certains auteurs dont Durkheim (1997), Hénaff (2000) et Lévi-Strauss (1967) prétendent, de plus, que la sexualité est le fondement du lien social et une des forces d’où émane la culture. C’est pour cette raison que « devenir un être sexué fait partie intégrante de la construction identitaire : c’est une réalité individuelle, c’est une conviction intime, mais c’est aussi une réalité sociale… » (Le Maner-Idrissi, 1997 :9). L’individu se reconnaîtrait dans un sexe biologique et son entourage social ferait de même tout au long de la vie, dans une suite d’interactions qui confirment ou infirment l’individu dans son genre. Il est ainsi possible d’affirmer que « dans toutes les sociétés, le classement initial selon le sexe est au commencement d’un processus durable de triage, par lequel les membres des deux classes [sexuelles] sont soumis à une socialisation différentielle » (Goffman 2002 :46). Pour reprendre les termes de Simon et Gagnon (1973), le genre est la résultante d’une construction, et ce processus de construction du genre se retrouve en partie dans celui décrit par Erikson (1972) pour l’identité en général. Le genre est aussi nommé, selon les auteurs, « genre sexuel », « identité de rôle de genre » ou encore « rôle sexuel » ou, selon Tremblay (1998) « identité sexuelle ». Pour définir le genre, il n’est ni possible ni pertinent de s’étendre ou de débattre ici des grands enjeux sémantiques et politiques soulevés par les féministes ou les queer (Butler, 2005; Hurtig, Kail et Rouch, 1991; Wittig, 2001) ou encore par les auteurs cités dans Tremblay (1998) tels que Tyson (1986), Shively et De Cecco (1977) ou Blos (1988). On s’attachera plutôt à donner une définition qui adhère le plus possible au paradigme constructiviste, afin de garder une cohérence avec le cadre théorique général choisi initialement. Il sera donc préférable de garder des définitions qui retiennent le concept de genre plutôt que de rôle sexuel ou d’identité sexuelle, car le concept de genre est plus proche du paradigme constructiviste qui sous-tend cette recherche. Le corps doit être inclus dans cette approche, car il est une donnée sur laquelle se construit le genre. Le genre serait une manière d’organiser le social à partir du corps. « Gender is so- 22 cial practice that constantly refers to bodies and what bodies do, it is not social practice reduced to the body. […] Gender exists precisely to the extent that biology does not determine the social » (Connell, 2005 : 71). De plus, bien qu’il existe une grande variabilité d’adhésion, le genre serait « a social pressure to behave and experience the self in ways that the culture considers appropriate for one’s sex. And so gender is, in a critical sense, "in the air" (Killmartin, 2007 : 9). Le genre désignerait d’abord le degré d'ancrage d’un individu dans son sexe d’assignation tel que perçu par les autres. Le degré d’ancrage étant par ailleurs entendu comme un niveau de correspondance à ce qu’une culture donnée définit socialement comme étant propre à un sexe ou à un autre. Dans cette façon de percevoir les choses, il y aurait un type masculin correspondant à des traits sociopsychologiques et à des attributs de personnalité caractéristiques des hommes (stéréotype) et ces caractéristiques sont très souvent en opposition ou très différentes de celles qui sont usuellement attendues des femmes (Dorais, 1999; Fontayne, Sarrazin et Famose, 2001). Goffman (2002) précise : […] il existe, objectivement superposée à une grille biologique — et qui la prolonge, la néglige, la contredit —, une manière spécifique d’apparaître, d’agir, de sentir liée à la classe sexuelle. Chaque société élabore des classes sexuelles de cette manière, bien que chacune le fasse à sa façon. Considéré par le chercheur comme un moyen de caractériser un individu, ce complexe peut être désigné comme genre […] (Goffman, 2002 :47) En second lieu, le genre désignerait le degré d'ancrage perçu par l’individu dans son sexe désigné. « Dans la mesure où l’individu élabore le sentiment de qui il est et de ce qu’il est en se référant à sa classe sexuelle et en se jugeant lui-même selon les idéaux de la masculinité […], on peut parler d’une identité de genre (Goffman, 2002 : 48) ». Enfin, le genre serait aussi une relation de pouvoir (Butler, 2005). Pouvoir sur les femmes et sur les autres hommes qui ne sont pas comme il faudrait qu’ils soient (Welzer-Lang, 1994). Le genre détermine l’ensemble des relations sociales et leurs structures; il est politique. « Gender relations are a major component of social structure as a whole, and gender politics are among the main determinants of our collective fate (Connell, 2005 : 76) ». L’acteur social peut difficilement échapper à son genre. En effet, notre société s’attend à ce que les garçons adoptent des comportements plus agressifs, à ce qu’ils soient dominateurs et qu’ils contrôlent leurs émotions, même s’ils sont autorisés à éprouver de la colère (Dorais, 1999). On peut donc dire que le genre repose sur trois processus élaborés en partie à partir du corps : le premier est constitué d’une adéquation de conformité considérée d’un point de vue social; 23 le second, d’une adéquation de conformité considérée du point de vue de l’individu luimême; et le troisième, d’une relation de pouvoir entre les genres, en particulier une relation de domination du genre masculin sur le genre féminin, ou sur ce qui lui ressemble ou lui est associé. Quant à l’orientation sexuelle, il serait possible d’affirmer qu’elle fait partie des composants du genre (Dorais, 1999) et constitue l'attrait érotique d’un individu pour l’un ou l’autre sexe. Cependant, une définition aussi succincte ne peut que desservir l’exploration de la construction du genre et ne permet pas une analyse exhaustive, à la hauteur des phénomènes qui seront examinés dans le cadre des entrevues avec les sportifs rencontrés. L’orientation sexuelle est plus complexe et demande des explications plus élaborées. Kinsey, Pomeroy et Martin (1948) décomposent l’orientation sexuelle en différents degrés : exclusivement hétérosexuelle à exclusivement homosexuelle, en passant par bisexuelle. Fritz Klein (1993) affirme que l’échelle de Kinsey n’expliquerait pas ce que signifie réellement l’orientation sexuelle. En effet, lorsque l’on affirme qu’un individu se situe à 2 ou à 3 sur l’échelle de Kinsey, que diton au juste ? C’est pourquoi, Fritz Klein (1993) élabore une autre stratégie de mesure qui tient compte : ABCDEFG- De l’attirance sexuelle Du comportement sexuel Des fantasmes sexuels Des préférences émotionnelles Des préférences sociales Du style de vie (hétérosexuel ou homosexuel) De l’auto-identification L’attirance sexuelle (A) n’est pas synonyme de comportement (B). En effet, il est possible d’avoir une attirance pour des personnes d’un sexe et d’avoir des relations sexuelles avec des personnes de l’autre sexe. De plus, les fantasmes (C) sont infiniment variables. Ils mettent en scène des scénarios, même s’ils ne mènent pas à l’orgasme et contribuent significativement à l’excitation sexuelle (Simon et Gagnon, 2004). Les préférences émotionnelles (D), avec les préférences sociales (E), sont les moins « sexuelles » des sept composantes de l’orientation sexuelle. En effet, plusieurs personnes peuvent avoir des relations surtout sexuelles avec des personnes d’un sexe et s’engager émotivement ou socialement avec des personnes de l’autre sexe. Le style de vie (F) est aussi un facteur de l’orientation sexuelle. Certains hommes ont des relations sexuelles avec d’autres hommes sans pour autant adhérer au style de vie homosexuel. Ces hommes ne fréquentent pas le milieu gai et n’ont pas d’amis homosexuels. Enfin, en relation directe avec le style de vie, l’auto-identification influence plusieurs comportements et schèmes de pensées. L’échelle de Fritz Klein (1993) tient également compte du passé, du présent et de l’idéal de l’acteur social. Cependant comme le mentionne Klein lui- 24 même, son échelle ne tient ni compte de l’âge des partenaires sexuels ni du fait que la relation avec les partenaires soit d’amitié ou d’amour, et elle ne fait pas la distinction entre le désir (sexuel) et le choc amoureux. La grille ne distingue pas non plus entre le nombre de partenaires et le nombre de relations avec un sexe ou un autre. Enfin, les rôles sexuels n’y sont pas inclus. Malgré certaines lacunes, l’échelle de Fritz Klein (1993) permet de tenir compte d’un ensemble de facteurs plus près de la réalité et de la complexité de l’orientation sexuelle. Cette prise en considération est nécessaire dans l’analyse des entrevues faites avec les sportifs dans une partie subséquente. Enfin, comme il sera question de masculinité et de virilité au cours de cette thèse, il est important de définir ces termes en en déterminant le sens particulier de chacun pour l’analyse des transcriptions d’entrevue et la compréhension générale. La virilité et la masculinité sont deux termes souvent utilisés de manière interchangeable dans les écrits scientifiques ou populaires. Le sens populaire, reflété par les dictionnaires, y voit certaines nuances intéressantes. Ainsi, le Robert (2002) voit davantage la virilité en lien avec les attributs physiques et les capacités sexuelles de l’homme, alors que la masculinité est davantage liée aux traits de caractère de ceux-ci. La virilité pour le Robert est un « Ensemble des attributs et caractères physiques et sexuels de l'homme. […ou…] Puissance sexuelle chez l'homme. […] ». Le Grand dictionnaire terminologique, quant à lui, ne définit la virilité que par l’aspect physique : « capacité normale d'engendrer chez l'homme ». Welzer-Lang (2002) reprend pour sa part la définition de virilité donnée par le Dictionnaire critique du féminisme (Les Presses Universitaires de France, 2000). Cette définition, sous le paradigme féministe, inclut les caractéristiques physiques, psychologiques et sociales de l’individu. La virilité serait un élément de domination d’un genre sur un autre. Welzer-Lang (2002) ne fait pas de distinction entre virilité et masculinité, entre les caractéristiques physiologiques et sociologiques. La virilité revêt un double sens : Les attributs sociaux associés aux hommes, et au masculin : la force, le courage, la capacité à se battre, le « droit » à la violence et aux privilèges associés à la domination de celles et ceux, qui ne sont pas, et ne peuvent pas, être virils […] La forme érectile et pénétrante de la sexualité masculine. […] La virilité est l’expression collective et individualisée de la domination masculine. (Welzer-lang, 2002 : 11) Cette acception ne définit pas la virilité en elle-même, mais dans un ensemble sociopolitique de domination conforme au paradigme féministe, ce qui n’est pas celui de cette thèse. Welzer-Lang (2002) ne fait d’ailleurs aucune distinction dans son article, entre virilité et masculinité. Or cette distinction, qui servira l’analyse de plusieurs façons, doit être forte afin d’éviter toute confusion. De plus, il est possible de présumer que les répondants de cette 25 recherche, n’étant ni spécialistes de la langue ni des problématiques de genre, auront davantage tendance à utiliser les termes de virilité et de masculinité au sens populaire. C’est pourquoi, dans cette thèse, la virilité sera rattachée à la complexion physique des hommes, et la masculinité à leur constitution sociale et psychologique. 5.2 Les approches analytiques actuelles de la masculinité Il existe d’anciennes tendances analytiques élaborées pour la compréhension de la masculinité dont il n’est pas nécessaire d’exposer les fondements, puisqu’elles n’ont pas été retenues. Ce sont, pour n’en nommer que quelques-unes, les perspectives proféministes, socialistes, celle des Men’s right, conservatrices, mythopoétiques, chrétiennes ou encore afroaméricaines (Clatterbaugh, 1990). Ces tendances se retrouvent sous le paradigme de l’essentialisme ou du positivisme, ou encore celui du constructivisme, ci-après expliqués. La masculinité n’existerait qu’en contraste avec son opposé, la féminité. Les sociétés qui ne conceptualisent pas les genres sous la forme de polarité, portée par des hommes et des femmes, ne connaîtraient pas les genres tels que nous les définissons en Occident. Dans cette thèse, les conceptions essentialistes, positivistes ou normatives de la masculinité ne sont pas retenues, car elles sont à l’opposé du constructivisme. Voyons brièvement ce que sont ces conceptions essentialistes, positivistes et normatives. L’essentialisme soutiendrait qu’il existe une nature ou une essence masculine souvent liées au corps, aux hormones et aux gènes. La difficulté de cette approche réside dans le fait qu’il faut choisir arbitrairement qu’elle est la nature de la masculinité à soutenir. Plusieurs théories essentialistes se servent des concepts aristotéliciens de nature pour justifier celle-ci en choisissant arbitrairement le fondement de la « nature ». Dans le positivisme, la masculinité serait présentée comme étant celle que l’on peut observer naturellement. Nous retrouvons ici une sorte d’auto-justification des modèles de masculinité actuels basés sur un point de vue qui ne peut être tenu en toute neutralité et objectivité. De plus, définir ce que sont les hommes et les femmes suppose l’existence préalable de ces deux catégories car il faudrait les inventorier et les observer à partir de critères connus d'avance. Enfin, comme il existe plusieurs façons de vivre le masculin, l’observation simple montre qu’il est impossible de construire de cette façon une étiologie très nette du masculin et du féminin. À cause de la grande variabilité d’adhésion au genre respectif, la conception normative reconnaîtrait l’existence de variations tout en établissant un type standard. La masculinité serait ce que les hommes devraient être. Cette affirmation s’appuie soit sur le modèle médiatisé soit sur le stéréotype. Il existerait une échelle de masculinité idéale constituée de degrés où se situe chaque homme. 26 Enfin, bien que constructiviste, la conception sémiotique ne sera pas retenue dans cette thèse. Elle est la plus difficile à définir en raison de son apparition toute récente, et du fait que les auteurs ne s’entendent pas vraiment sur sa définition. Certains l'associent au postmodernisme ou au postconstructivisme (Connell, 2003). Elle se définit par un système de différences symboliques dans lequel les hommes et les femmes sont placés en contraste. Elle se nomme sémiotique parce qu’elle suit les règles de la sémiologie en distinguant les genres de la même façon. La place accordée aux symboles du genre et à une forme fixe (et critiquée) des genres y est très importante. Les analyses queer sont souvent associées au postmodernisme. Telles sont celles de Butler (2005), Dorais (1999) et Wittig (2001). L’approche analytique retenue dans cette thèse s’apparente par endroits à la conception sémiotique car elle accorde une place importante aux symboles et au sens que leur donnent les acteurs sociaux. Comme on peut le voir, la masculinité et la virilité ne sont pas des concepts qui se laissent aisément saisir et à partir desquels il est possible de facilement généraliser. La masculinité et sa construction peuvent être appréhendées dans un ensemble plus large. Il faut choisir un cadre à travers lequel saisir cette construction sociale. Parmi les approches des études sur le genre masculin, nous avons choisi de présenter et d’utiliser les théories de Connell (1995, 2005), Pleck (1982, 1995) et celles de O’Neil, Good et Holmes (1995). Eu égard à certaines dates de parution, cela peut sembler peu nouveau, mais nous pensons que leurs analyses sont au cœur des enjeux et des débats sur la construction du genre masculin, et qu’elles permettent une analyse fine de la problématique de cette thèse et du corpus d’entrevues réalisées. 5.2.1 La masculinité hégémonique Le concept de masculinité hégémonique est apparu dans les écrits de Connell en 1995, dans la lignée des analyses socioconstructivistes. Selon cette approche, l’étude des processus, des rituels, des arrangements et des interactions entre les sexes rendrait possible la compréhension de la construction de la masculinité. Connell (1995, 2005) propose une compréhension de la masculinité en interaction non seulement avec l’autre sexe, mais il propose aussi une analyse des relations différentielles à l’intérieur du genre masculin. Il existerait plusieurs types ou nuances de masculinité liés par une relation de pouvoir des hommes plus conformes que les autres sur ceux qui le sont moins. « Hegemonic masculinity is not a fixed character type, always and everywhere the same. It is, rather, the masculinity that occupies the hegemonic position in a given pattern of gender relations, a position always contestable » (Connell, 2005 : 76). Il ne faudrait pas pour autant construire une multitude d’idéaltypes, car toutes ces nuances sont construites et permises tant qu’elles ne débordent pas du cadre 27 de la masculinité hégémonique. Elles ne font que varier selon les cultures, les milieux, le temps, l’âge. To recognize diversity in masculinities is not enough. We must also recognize the relations between the different kinds of masculinity: relations of alliance, dominance and subordination. These relationships are constructed through practices that exclude and include, that intimidate, exploit, and so on. There is a gender politic within masculinity (Connell, 2005 : 37) Cette masculinité hégémonique serait le seul modèle réellement mis en valeur et prisé. Bien que nommé autrement, le modèle avait déjà été identifié par Goffman au début des années 60, qui en avait fait une description exhaustive en tenant compte des dimensions du sport et de l’orientation sexuelle. On peut affirmer sans absurdité qu’il n’existe en Amérique qu’un seul homme achevé et qui n’ait pas à rougir : le jeune père de famille marié, blanc, citadin, nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d’université, employé à temps plein, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante et pratiquant un sport. Tout homme américain est enclin à considérer le monde par les yeux de ce modèle, en quoi l’on peut parler d’un système de valeurs commun. Et celui qui échoue sous l’un de ces aspects se taxe d’indignité […] (Goffman, 1975 [1962] : 151). Ce modèle hégémonique aurait vraisemblablement des liens de parenté avec le modèle autoritaire décrit par Alan Klein (1993), ou avec le modèle de masculinité fasciste analysé par Mosse (1997). Ce qui importe, ce n'est pas tant les types ou nuances de masculinité actuelle, mais leur place hégémonique dans les rituels sociaux et le fait que cette place doit être défendue voire justifiée constamment. Pour reprendre un terme propre à Gofmann (2002), la masculinité hégémonique est à la base d’un système politique qui détermine « l’arrangement » des sexes. La masculinité hégémonique repose sur la subordination, la complicité et la marginalisation d’un genre par rapport à l’autre. Chacun de ces éléments a des conséquences diverses sur les hommes et leur entourage. Le concept de subordination a des points de ressemblance avec les analyses de Welzer-Lang (1994). Elle fait référence à la soumission et à la subordination des hommes qui ne correspondent pas au modèle hégémonique à ceux qui lui correspondent. Se retrouvent dans cette catégorie les hommes efféminés, homosexuels, non sportifs, âgés… enfin ceux que Goffman décrit comme pouvant se « taxer d’indignité ». Cela rappelle également les analyses de Wittig (2001) qui, dans sa déconstruction des classes sociales, proposait une nouvelle classification selon les genres. Dans son classement, les hommes 28 homosexuels sont subordonnés aux hommes hétérosexuels qui cadrent avec le modèle de masculinité attendu. La subordination à la masculinité hégémonique ne vient pas seule. Une complicité doit être mise à contribution. Ainsi, bien que beaucoup d’hommes n’adhèrent pas au modèle de masculinité hégémonique, plusieurs d’entre eux en tirent des avantages nets. L’écart salarial entre les hommes et les femmes pourrait être un exemple de cette complicité. En effet, parmi les hommes qui bénéficient d’un meilleur revenu (parce qu’ils sont des hommes), plusieurs ne correspondent pas au modèle attendu de masculinité. C’est ainsi que, pour Connell, la masculinité hégémonique devient un projet politique, car la complicité s’étend à toute la société et à tous les niveaux. […] If a large number of men have some connection with the hegemonic project but do not embody hegemonic masculintiy […] Masculinities constructed in ways that realize the patriarchal dividend, without the tensions or risks of being the frontline troops of patriarchy, are complicit in this sense (Connell, 2005 :79). La marginalisation est aussi un facteur important. Elle a souvent été étudiée ou analysée. Goffman (1975) en a fait une étude importante montrant le rôle joué par la stigmatisation dans les rituels d’interaction sociale. Becker (1985) a montré comment pouvait naître une culture des exclus au sein de groupes de outsiders. La marginalisation contribue à créer un groupe d’exclus qui peut servir de contre-modèle à l’exemple de l’idéaltype du « fif de service » élaboré par Lajeunesse (2001). La stigmatisation de l’homosexualité et des personnes homosexuelles n’est qu’un exemple parmi d’autres du rôle de la marginalisation dans la construction de l’identité masculine et du maintien de la masculinité hégémonique. La subordination, la complicité et la marginalisation sont en constante interaction et sont parfois difficilement discernables dans l’analyse des effets de la masculinité hégémonique dans le tissu social. 5.2.1.1 Création du genre et pratique corporelle réflexive Selon Connell (2005), certaines approches prétendent dans une perspective naturaliste que le corps serait à l’origine des genres et qu’il les produirait par les hormones et la génétique. Au contraire, d’autres approches sociobiologiques affirment que le corps serait une entité neutre sur laquelle le social imprimerait un symbolisme « genré ». Une autre approche encore ferait un compromis entre les deux précédentes, supposant que c’est l’interaction du corps (biologique) et du social qui produirait la différence entre les genres. Le corps, pour Connell, est inévitable dans toute explication ou théorie sur la construction du genre et de la masculinité. Cependant, rien dans cette construction n’est fixé une fois pour toutes. Le corps (ce 29 qu’il peut faire et ce qu’on en fait) serait imbriqué dans un processus de « genrification » entrant dans un autre processus, social celui-là, et deviendrait un objet politique (Connell, 2005). Le corps des hommes est constamment assailli et attaqué au nom de la masculinité et de son parachèvement. Les recherches de Alan Klein (1993), de Messner (1992, 1997), de Messner et Sabo (1990, 1994), de Curry et Strauss (1994), Curry (2002), et celle de Chamalidis (2000) montrent comment le corps est blessé au cours de ce processus de masculinisation. Il s’agit souvent de blessures souvent difficiles à supporter psychologiquement parce qu’en invalidant le corps, elles invalident la construction du genre et donc la masculinité. « The constitution of masculinity through bodily performance means that gender is vulnerable when the performance cannot be sustained – for instance, as a result of physical disability » (Connell, 2005 : 54). La blessure sportive se transformerait souvent en blessure de guerre, devenant de cette manière non seulement supportable, mais également une forme valorisante. Cela se rapproche beaucoup de l’idée de l’apprentissage de la masculinité dans La maison des hommes avancée par Welzer-Lang (1994) et de la consolidation de la masculinité par la souffrance du corps. Les blessures sont nombreuses chez les sportifs et les médias font souvent part de ce phénomène. Le corps étant un déterminant important dans la construction du genre, Connell introduit le concept de pratiques corporelles réflexives (body-reflexive practice). La définition succincte qu’il en donne n’est pas des plus claires, aussi il faut se référer aux exemples qu’il donne pour mieux en saisir la signification. With bodies both objects and agents of practice, and the practice itself forming the structures within which bodies are appropriated and defined, we face a pattern beyond the formulae of current social theory. This pattern might be termed body-reflexive practice (Connell, 2005 : 61). Pour Connell, il s’agit de ramener le corps au centre des théories sociologiques, lieu où il semble avoir été absent. Le corps semble être resté dans une perspective où il n’est pas participatif. « We need to assert the activity, literally the agency, of bodies in social processes. […] for a stronger theoretical position, where bodies are seen as sharing in social agency, in generating and shaping courses of social conduct » (Connell, 2005 : 60). Le corps pour Connell est au centre de la construction du genre. La masculinité se construirait par l’entremise d’une pratique corporelle anodine et quotidienne. Une pratique corporelle où l’individu et la société interagiraient dans un tout malléable. Dans la pratique corporelle réflexive se crée un univers d’interactions sociales concrètes et symboliques qui s'inscrivent à leur tour dans le corps afin de consolider un circuit d’autoconfirmation de la masculinité et de créer l’univers social tout entier. 30 Body-reflexive pratices […] are not internal to the individual. They involve social relations and symbolism; they may well involve large-scale social institutions. Particular versions of masculinity are constituted in their circuits as meaningful bodies and embodied meanings. Through bodyreflexive practices, more than individual lives are formed : a social world is formed (Connell, 2005 : 64). Le corps dicte ce que l’on peut faire ou ne pas faire, ce que l’on peut être ou ne pas être. Celui-ci ferait-il la destinée comme l’indique Laqueure (1992) ? De plus, l’homme peut modifier son corps pour l’obliger à faire ce qu’il est censé faire, ou encore il peut le modeler, afin qu’il corresponde à l’image du physique idéal du masculin. La perspective de Connell est ici proche de celle de Alan Klein (1993) qui voit dans les body-builders (littéralement constructeurs de corps) des hommes sans cesse à la recherche d’un corps à l’image idéale de la masculinité. Cependant, cette idée de placer le corps au centre de la construction du genre ou à tout le moins du social, n’est pas neuve. Selon Pociello (1995), on la retrouve aussi chez Marcel Mauss. Pociello considère par ailleurs davantage le sport comme constructeur du corps, même si la pratique d’un sport dépend de la complexion du sujet. C’est dire que les sports sont bien des « techniques du corps », au sens où l’entend Marcel Mauss. Modes particuliers de rapports au corps, aux temps et aux espaces, ces divers « usages sociaux » du sport illustrent la manière dont chaque société ou chaque groupe impose aux individus qui le composent un usage rigoureusement déterminé de son corps (Pociello, 1995 :47). Pour Pociello, l’usage du corps n'est pas libre dans le social. Le corps se modèle et se construit dans une interaction avec les valeurs du groupe social. Le social impose ses normes au corps et l’investit d’usages biomécaniques porteurs de valeurs culturelles et de vertus masculines soutenant la tradition. Cela n’est pas sans entraîner des contraintes, des règles parfois faciles, d’autres fois moins, voire impossibles à respecter. Plusieurs hommes, en particulier, seraient emportés par une sorte de tourbillon social où la contrainte à un certain rôle de genre aurait des conséquences néfastes tant dans leur vie sociale que sur leur corps et leur santé. 5.2.2 La tension de rôle de genre Pleck (1982, 1995) se positionne dans un nouveau paradigme de recherche sur le genre en rapport à l’identité sexuelle masculine. La recherche sur les rôles de genre pourrait être vue et pensée, selon Pleck (1982, 1995), selon deux paradigmes différents, voire opposés. Il s’agit de l’identité de rôle de sexe mâle (male sex role identity paradigm) (MSRI) et de la tension de rôle de genre (gender role strain) (GRS). Pleck (1982, 1995) prétend que, contrairement au 31 GRS, le MSRI ne permet pas de comprendre les genres. Il propose donc un changement de paradigme nécessaire à l’analyse et à la compréhension des rôles de genre et des problématiques actuelles de la masculinité. Selon le MSRI, l'incapacité des hommes à actualiser leur identité de rôle sexué masculin serait un problème majeur dans notre culture, dont l’une des expressions évidentes est l'homosexualité masculine. Ainsi, toujours selon cette perspective, l’insécurité des hommes s’exprime également par la délinquance, la violence et l’hostilité envers les femmes. Toujours selon Pleck, le MSRI prétend que si nous pouvions comprendre les facteurs qui causent les problématiques de genre chez les hommes, nous pourrions réduire ou même prévenir les autres problématiques qui en découlent. On est en droit de penser que la perspective MSRI est proche d’une forme d’essentialisme et d'une vision traditionaliste et normative de la masculinité. En effet, pour le MSRI, les rôles sexuels se développent à partir de l’intérieur de l’individu et ne sont pas imposés arbitrairement de l’extérieur. Selon cette perspective, les rôles de genre répondent à un besoin psychologique intrinsèque à la nature masculine. Les humains seraient programmés pour apprendre naturellement les rôles de genre traditionnels ; étant définis par la culture, ils ne restreigneraient pas le potentiel sociosexuel1 des individus. Au contraire, ils fournissent un cadre nécessaire sans lequel l’individu ne peut se développer normalement. Selon l’approche MSRI, l’individu doit se conformer aux genres traditionnels. La grande difficulté des rôles de genre traditionnels actuels est que beaucoup de gens ont du mal à s’y conformer. La nature des rôles de genre traditionnels n’est pas en cause. Le MSRI peut être formulé, selon Pleck (1982), en 10 propositions distinctes qui représentent une partie des tendances de la recherche sur les rôles de genre. Elles se résument ainsi : Les rôles de genre sont modelés à partir des caractéristiques intrinsèques des genres. Le processus d’apprentissage du genre est risqué, surtout chez les hommes. L’homosexualité est une des manifestations d’un échec de l’apprentissage. Ces échecs amènent des attitudes négatives à l’égard des femmes et des échecs scolaires chez les garçons. Les rituels initiatiques sont également une réponse à ces échecs. La conformité au genre reflète une bonne adaptation de l’individu. L’hypermasculinité est le reflet d’un manque de solidité de l’identité. Les hommes noirs vivent davantage de difficultés que les Blancs en ce qui a trait au genre. Les 1 Le terme « sociosexuel » fait référence à un croisement dans l’analyse des phénomènes sociaux et sexuels et à leurs relations. Le « potentiel sociosexuel » fait référence à toutes les dimensions de l’actualisation et de la réalisation d’un individu en terme de carrière sexuelle. La « carrière sexuelle » fait référence au concept utilisé par Dorais (1991a) dans sa thèse de doctorat, notion elle-même inspirée du concept de carrières de vie de Becker (1985). 32 changements sociohistoriques font en sorte que les hommes ont plus de difficultés que les femmes à se conformer au genre. Pleck (1982, 1995) propose un nouveau paradigme, le Gender role strain (GRS), la tension de rôle de genre, qui comprend 10 nouvelles propositions différentes de l’ancien paradigme relativement à l’analyse et à l’interprétation des problématiques vécues par les hommes. Elles se résumeraient ainsi. Les rôles de genre sont déterminés par les stéréotypes et les normes. Ils sont inconsistants et contradictoires. Un grand nombre de personnes transgressent les rôles de genre. La transgression des rôles de genre est fortement condamnée et a des conséquences psychologiques négatives. La transgression réelle ou perçue amène les individus à se surconformer, et ce, tant chez les hommes que chez les femmes. Certaines caractéristiques des rôles de genre sont dysfonctionnelles. Les rôles de genre sont vécus par chacun dans plusieurs dimensions de leur vie. Enfin, ce sont les changements historiques qui causent la tension de rôle de genre (GRS). Avec le nouveau paradigme du GRS, la définition du rôle de genre ne va pas de soi, comme cela semblait être le cas dans l’ancien paradigme MSRI. Le paradigme GRS sera considéré comme un paradigme de référence pour notre analyse de la construction du rôle de genre masculin. Le paradigme GRS permet de sortir des visions traditionnelles et de mieux comprendre la construction du genre. Les rôles de genre ne relèvent pas d’une nature de l’être, mais comme le dit le GRS, ils sont plutôt imposés de l’extérieur, ce qu’ont d’ailleurs avancé Brod (1987), Kimmel (1987), Kimmel et Messner (1989) dans leurs travaux, eux-mêmes inspirés de ceux de Simon et Gagnon (1973) et de Rubin (1975) longtemps les principaux auteurs de référence dans les études de genre du début des années 1970. Sous cette tendance constructiviste, le genre est une construction sociale et non la résultante d’un héritage biologique ou génétique. Le genre se construit tout au long de la vie dans une suite d’interactions et d’aléas, d’expériences ou d’attentes, ainsi qu’à travers satisfactions et frustrations. C'est à travers les expériences de la vie que l’enfant devient un homme, et non pas à la suite d'un irrésistible besoin ou d’une irréductible pulsion biologique. The important fact of men’s lives is not that they are biological males, but that they become men. Our sex may be male, but our identity as men is developed through a complex process of interaction with the culture in which we both learn the gender scripts appropriate to our culture, and attempt to modify these scripts to make them more palatable (Kimmel et Messner 1989 : 10). 33 Le constructivisme social n’est pas en contradiction avec le GRS. Au contraire, il serait même compatible avec lui selon Pleck (1995). Il est possible de s’y référer dans une perspective cohérente, afin d’analyser et de comprendre les problématiques liées à la masculinité malgré que le constructivisme soit un peu trop centré sur la dynamique de lutte de pouvoir entre les hommes et les femmes (ce qui le rapproche de la pensée féministe). Pour le constructivisme social, le genre se construit essentiellement dans l'enfance. Il se prétend d'un certain universalisme transculturel difficilement défendable, selon Pleck, et enfin, il a une légère tendance à percevoir la masculinité comme une substance. The central arguments in social constructionism and gender role strain are theoretically compatible. Social constructionism’s model of the learning of gender «scripts» is analogous to the gender role strain paradigm’s equally central concept of gender role socialization. Social constructionism implies that masculinity can have negative consequences for men. The gender role strain model for masculinity is, in the broad sense, a social constructionist perspective that simply predated the term. The concept of role strain was applied to gender (Mead, 1935; Turner, 1970) before the notion of social construction was (Gagnon et Simon, 1973; Rubin, 1975; Rubin, 1975) The role strain interpretation of masculinity (Hacker, 1957; Hartley, 1959; Pleck, 1981) appeared prior to the social constructionist interpretation (Brod, 1987; Kimmel, 1987; Kimmel and Messner, 1989) (Pleck, 1995 :21-22). La tension de rôle de genre (GRS), comme il avait été dit, peut potentiellement avoir des impacts négatifs sur les hommes (Tremblay et Morin, 2007). Ces impacts négatifs se regroupent en trois grands thèmes qui sont la non-conformité au rôle de genre (gender role discrepancy), le traumatisme du rôle de genre (gender role trauma) et le dysfonctionnement du rôle de genre (gender role dysfunction) (Pleck, 1995). La non-conformité de rôle de genre est une source de stress, car elle constitue un écart entre le modèle de masculinité attendu socialement et la conformité au modèle ressenti par les hommes eux-mêmes. Chez les hommes, cette non-conformité est caractérisée par une incapacité à long terme à se conformer au modèle attendu par la société. La première réaction possible des hommes est d’engendrer une faible estime d’eux-mêmes et d’autres effets psychologiques négatifs tels que la dépression, le suicide, l’anxiété. Bien qu’il ne soit pas totalement confirmés, ces effets négatifs ont été mesurés, selon Pleck (1995), par les études de Eisler et Skidmore (1987), Gilbert (1976) et O’Neil et al. (1986). Ils sont également rapportés par Connell (2005), Pleck (1995) et Tremblay et Morin (2007). On peut émettre l’hypothèse que la réaction des hommes varie en fonction de l’importance qu’ils accordent au modèle de masculinité attendu. Si le modèle a peu de signification pour eux, l’écart ressenti sera moins important. Compte tenu de la prégnance sociale du modèle de socialisation masculine, il est 34 peu probable que sa signification soit faible. Cela serait d’autant plus vrai pour ceux qui sont engagés dans des activités fortement conformistes, comme les sports collectifs (Bruce, 2002; Douglas, 1990; Gross, 2003). Cet état de fait conduit à la dernière hypothèse de réactions possibles, celle de l’adaptation. La non-conformité de rôle de genre n’est pas un modèle statique, mais un procédé. Les hommes qui vivent un écart entre le modèle ressenti et le modèle attendu pourraient simplement s’adapter et tenter de correspondre au modèle attendu. Nous émettons l’hypothèse que la participation à la pratique d’activités typiquement masculines (tel que le sport, en particulier le football américain) ou l’adhésion à des groupes de référence traditionnels (telles que l’armée, la police, etc.) puissent faire partie de ce processus d’adaptation. Cette adhésion peut cependant occasionner une sorte d’effet « rebond ». En effet, au lieu de conforter l’individu dans son identité, l’inclusion dans des groupes fortement influencés par la masculinité traditionnelle pourrait, au contraire le déstabiliser davantage en élargissant l’écart qu’il perçoit entre ce qu’il est et ce que le groupe lui demande d’être. Il est aussi possible de se désaffilier totalement en changeant de groupe de référence. Dans tous les cas, la réaction aura pour effet de réduire le sentiment d’écart entre le modèle attendu et le modèle ressenti, et par le fait même, les effets négatifs de ce sentiment d’écart. Le dysfonctionnement du rôle de genre est dû au fait que la socialisation masculine a des effets négatifs. Il a ces effets parce que le modèle idéal de masculinité, imposé aux garçons et aux hommes et adopté par eux, recèle intrinsèquement des comportements et des attitudes dysfonctionnels. Ces comportements et attitudes ont des effets sur les hommes eux-mêmes et les personnes avec qui ils sont en relation. L’expression de la violence fait partie de ces comportements et attitudes. Les études de Horwitz et White (1987) et Thompson (1990) montrent que plus un garçon se rapproche du modèle idéal de masculinité, plus il est enclin à adopter des comportements délinquants ou violents. Le traumatisme du rôle de genre permet de constater que la socialisation masculine est une source de traumatismes importante chez les hommes. Pleck (1995) rapporte que ces traumatismes ont été montrés dans le champ clinique par les études de Best (1983), Herman (1992), Herman, Perry et Van der Kolk (1989) et Levant (1992). La socialisation masculine par le sport chez les athlètes professionnels est aussi très riche en traumatismes pour les hommes, comme le rapportent les études de Messner (1992) et de Fine (1987). Enfin, les traumatismes liés à la socialisation au genre touchent plusieurs aspects de la vie des hommes, durant l’adolescence (12 à 21 ans) en particulier comme l’ont rapporté Best (1983), Dellinger et Williams (2002), Evens et Davies (2000), Harris (1997), Harrison (1987), et Jennings (1998). 35 Pour Pleck, la masculinité est aussi une idéologie. Elle agirait comme cofacteur essentiel dans le concept du GRS et contribuerait aux conséquences négatives de la socialisation masculine. L'idéologie masculine peut être définie comme : the individual’s endorsement and internalization of cultural belief systems about masculinity and male gender, rooted in the structural relationship between the two sexes. […] They are not juste beliefs about a particular social object but constitute a belief system about masculinity connected to a broad network of more specific attitudes and dispositions. (Pleck, 1995 : 19) Il n’existe pas, pour Pleck (1995), qu’une seule idéologie masculine, mais plusieurs facettes variables à l’intérieur de certaines limites. Il est possible de voir ici certains rapprochements avec le concept de masculinité hégémonique de Connell (2005). Cependant, chez Connell, l’idéologie ressemble davantage à un mentalisme qui caractérise l’hégémonie masculine et les relations de pouvoir entre les genres, alors que chez Pleck, l’idéologie permettrait de rendre compte du degré d’adhésion des hommes au standard de masculinité. La prégnance de l’idéologie masculine sur les sujets est dépendante du degré d’ancrage individuel des hommes à la socialisation masculine et elle dépend de leur groupe de référence socioculturel. Il est possible de penser que les membres d’un groupe sportif adhèreraient davantage à l’idéologie masculine et que celle-ci serait plus « traditionnelle » que celle d’autres groupes. L’idéologie masculine joue un rôle important dans les trois aspects de la tension de rôle de genre. Dans la non-conformité de rôle de genre, elle met davantage de pression à la conformité de genre et donc sur l’écart entre le modèle attendu et le modèle ressenti. Dans le traumatisme de rôle de genre, elle régule la manière dont les traumatismes vont affecter les hommes et comment ils peuvent guérir. Dans le dysfonctionnement de rôle de genre, elle influence comment et jusqu’où des hommes vont tenter de correspondre au modèle masculin en dépit de ses effets négatifs. 5.2.3 Le conflit de rôle de genre Les conséquences négatives de la socialisation masculine ont aussi été analysées sous d’autres aspects, tels que le conflit de rôle de genre (gender role conflict) (GRC). Dans leur approche, O’Neil (1981) et O’Neil, Good et Holmes (1995) proposent un regard sur la recherche inspirée directement de celle de Pleck (1982). Multidimensionnel et complexe, le (GRC) est un état psychologique par lequel la socialisation du genre a des conséquences négatives sur les personnes. « Les tensions de rôle de genre (gender role strain) surviennent lorsque des individus intériorisent certaines normes sociales à propos d’un idéal de genre même si celles-ci sont contradictoires, inaccessibles ou incompatibles avec ce qu’ils pensent être réellement » 36 (Tremblay et Morin, 2007). La façon dont les rôles de genre sont acquis résulte d’un processus qui prendrait racine durant l’enfance et qui s’étendrait jusqu’à l’âge adulte. Bien qu’il s’agisse d’un phénomène social, ce phénomène est ressenti comme un problème individuel. Le GRC varierait selon la race, l’orientation sexuelle, la classe sociale, l’âge et l’origine ethnique. Il s’étend à des problématiques d’ordre cognitif ou comportemental inconscientes. Il est lié à une socialisation des genres, opérée dans un contexte social de hiérarchisation de ceuxci. Une de ses conséquences est la peur du féminin. We theorized that men’s socialization and the « Masculine Mystique and Value System » produce the fear of femininity in men’s lives […]. We proposed that the fear of femininity produces six patterns of gender role conflict, including: restrictive emotionality; socialized control, power, and competition; homophobia; restrictive sexual and affectionate behavior; obsession with achievement and sucess; and health care problems (O’Neil, Good et Holmes, 1995 : 171) La peur du féminin, selon O’Neil (1981), serait ancrée chez les hommes depuis la petite enfance, période où les garçons apprendraient à développer une forte aversion envers les valeurs, les attitudes et les comportements associés au monde féminin. La peur de ce qui est féminin entraînerait un certain nombre de conséquences pour les hommes dont : 1- La restriction des émotions qui amènerait plusieurs hommes à avoir des difficultés à vivre leurs émotions et à les verbaliser, à s’engager dans l’intimité et à exprimer la tendresse. La limitation de l’expression des émotions qui nourrirait entre autres les problématiques de violence conjugale, d’abus des enfants, d’agression sexuelle…. 2- Une socialisation par le contrôle, le pouvoir et la compétition qui amènerait des hommes à chercher à dominer et à commander, afin de garder un ascendant sur leur environnement. Les hommes ne satisfaisant pas aux critères de masculinité seraient alors féminisés et méprisés. 3- Des comportements sexuels et émotifs limités. La peur du féminin restreindrait les hommes à un faible registre d’expression des émotions et de sensualité, comportement grandement associé à la féminité. 4- Une obsession du succès et de la performance qui cantonnerait des hommes à des comportements obsessifs au travail et favoriserait un esprit de compétition excessif, exclusivement orienté vers la carrière professionnelle. 5- L’ignorance de problèmes de santé qui ferait également partie de la socialisation des hommes. Le genre masculin serait conçu pour être sans faiblesse, sans limites et invincible. Certaines études montrent aussi que le syndrome de stress post-traumatique est aggravé par la socialisation masculine (Hudon, 2004). De plus, les études de Osherson et Krugman 37 (1990), tout comme celle de Rondeau et Keefler (2003), montrent qu’il existe un lien particulier entre la honte et la socialisation masculine. On peut penser que les sportifs vivent une honte particulière dans la défaite, réelle ou perçue. En effet, quand Alexandre Despaties a remporté une médaille de bronze au plongeon, les journaux titraient le lendemain : Despaties échoue. Notons qu’il était tout de même troisième au monde. L’homophobie est une des conséquences importantes de la socialisation masculine. Elle place les hommes dans des situations particulières et surtout des situations en apparence contradictoires. Elle est abordée par de nombreux auteurs dont O’Neil (1981) et mérite, en ce sens une attention plus importante. C’est pourquoi un développement beaucoup plus exhaustif lui est consacré dans cette thèse. 5.2.3.1 L’homophobie Si l’on considère l'homosexualité en tant que stigmate (car elle constitue toujours matière à injure pour beaucoup d’hommes), on peut constater que l'apparence d'homosexualité n'est l'objet de fierté pour aucun homme (enfin très rarement) et constitue toujours un signe dévalorisant, y compris, souvent, pour les hommes homosexuels eux-mêmes. Avoir une apparence hétérosexuelle serait très souvent valorisé par la société en général, mais aussi par ceux que l’on dit gais. L’homophobie peut aussi exister chez les personnes homosexuelles (Bean, 2004; Bergling, 2001; Borrillo, 2000; Bull, 2001; Demczuk et Remiggi, 1998; Goffman, 1975; Jennings, 1998; Lajeunesse, 2001; Owens, 1998; Plummer, 1999; Tremblay P., 1995; Welzer-Lang, 1994). Il apparaît essentiel d’approfondir le rôle de l’homophobie et de l’efféminophobie dans la construction de la masculinité et dans le développement de problématiques relationnelles ou de santé chez les hommes. En effet, dans de nombreuses recherches et de nombreux témoignages, l’homophobie et l’efféminophobie représentent une constituante importante du processus de construction sociale des normes dites masculines, de l’élaboration et de la construction du sens et des stratégies de genre et du maintien de la solidité du lien social avec les autres hommes. Il existerait une forme de complicité dans l’homophobie, cette même complicité dont parlait Connell (2005). Ainsi, la crainte d’être associés à l’homosexualité et d’être par le fait même féminisés vient en tête de liste des préoccupations des hommes (Bean, 2004; Berling, 2001; Borrillo, 2000; Bull, 2001; Connell, 2005, Goffman, 1975; Jennings, 1998; Lajeunesse, 2001; O’Neil, 1981; Owens, 1998; Plummer, 1999; Pronger 1990; Taywaditep, 2001; Tremblay P., 1995; Welzer-Lang, 1994). Mais d’abord, qu’est-ce que l’homophobie ? 38 L’homophobie peut être définie comme l’hostilité générale, psychologique et sociale, à l’égard de celles et ceux censés désirer des individus de leur propre sexe ou avoir des pratiques sexuelles avec eux. Forme spécifique du sexisme, l’homophobie rejette également tous ceux qui ne se conforment pas au rôle prédéterminé par leur sexe biologique (Borrillo, 2000:26). Borrillo fait de l’homophobie l’un des avatars du sexisme. En cela, il fait des liens, comme O’Neil (1981), entre l’homophobie et la peur du féminin. L’efféminophobie peut à son tour être considérée comme une variante particulière de l’homophobie et du sexisme. Elle est le mépris de ce qui peut être féminin chez un homme — et cela, indépendamment de l’orientation sexuelle de celui-ci. La définition qu’en donne Bergling (2001) est sans équivoque : It is intended simply to describe a phenomenon whose existence is undeniable: a fear and loathing of men who behave in a “less manly than desired”, or effeminate, manner (Bergling, 2001:3). Relativement distincte de l’homophobie, l’efféminophobie peut être si spécifique qu’on la retrouve chez des hommes ouvertement homosexuels, comme le souligne l’auteur précédemment cité lorsqu’il pose la question suivante : What is it about society — and I’m absolutely talking about gay society as well as the outside straight world — that makes effeminate behavior in men so objectionable ? (Bergling, 2001:1) Les liens entre homophobie et efféminophobie sont également soulignés par Welzer-Lang (1994) : « l’homophobie est la discrimination envers les personnes qui montrent, ou à qui l’on prête, certaines qualités (ou défauts) attribuées à l’autre genre » (Welzer-Lang, 1994:17). Le chercheur précise que : […] l’homophobie au masculin est la stigmatisation par désignation, relégation ou violence des rapports sensibles – sexuels ou non – entre hommes, particulièrement quand ces hommes sont désignés comme homosexuels ou s’affirment tels (Welzer-Lang, 1994:20). L’homophobie se distingue de l’hétérosexisme. Bien que fort nouveau dans les écrits et peu présent dans les dictionnaires, l’hétérosexisme a été clairement défini par Tin (2003). 39 L’hétérosexisme peut être défini comme un principe de vision et de division du monde social, qui articule la promotion exclusive de l’hétérosexualité à l’exclusion quasi promue de l’homosexualité. Il repose sur l’illusion téléologique selon laquelle l’homme serait fait pour la femme, et surtout, la femme pour l’homme, intime conviction qui se voudrait le modèle nécessaire et l’horizon ultime de toute société humaine (Tin, 2003 :208). Ainsi par comparaison, il est possible de dire que l’homophobie serait une haine envers l’homosexualité en général alors que, l’hétérosexisme serait une sorte de parade promotionnelle de l’hétérosexualité inconditionnelle. Cette notion se retrouve chez Wittig (2001) quand elle définit la pensée straight ou chez Rich (1981) quand elle définit la contrainte à l’hétérosexualité. Pour sa part Borillo (2000), bien que sa pensée semble en accord avec cette définition de l’hétérosexisme, le voit tout de même comme en tant que soutien idéologique de l’homophobie. Enfin d’autres ouvrages mentionnent les deux notions d’homophobie et d’hétérosexisme sans ne jamais les définir. De plus, l’homophobie et l’hétérosexisme sont tout à la fois des questions sociales et personnelles (Borillo , 2000 ; Jennings, 1998 ; Lajeunesse, 2001; Owens, 1998; Plummer, 1999; Pronger 1990; Tin, 2003 ; Welzer-Lang, 1994). Comme l’a montré Goffman (1975), un stigmate, particulièrement celui de l’homosexualité, est toujours « tachant », (Lajeunesse, 2001). Cette tendance contagieuse du stigmate explique en partie pourquoi les hommes préfèrent le plus souvent éviter d'avoir des relations trop étroites avec les individus stigmatisés en tant qu’homosexuels ou associés au genre féminin, avec des objets porteurs de ce stigmate (revues, livres, etc.) ou avec des comportements ou des manières qui lui sont associés d’une façon ou d’une autre, et souhaiteraient supprimer ces relations lorsqu'elles existent déjà. Illustrant ce phénomène, les études de Léger Marketing (2001 a et b) montrent que 24,9 % des parents ayant un enfant de 12 à 17 ans accepteraient difficilement que ce dernier eût un ami ouvertement gai. Presque 20 % des jeunes pensent que le fait d’avoir un ami homosexuel peut influencer leur propre orientation. Ces études montrent également que les garçons de 14 à 16 ans sont ceux-là qui sont le plus mal à l’aise face à l’homosexualité. Ce malaise s’explique, selon la recherche, par la peur du rejet lié à l’homosexualité (Léger Marketing, 2001a, 2001b, 2006). Selon Goffman (1975), plusieurs hommes ont tendance à développer des stratégies qui leur permettent de maintenir une distance sûre entre le stigmate homosexuel et eux. Ces stratégies sont de l’ordre de la marginalisation, que Connell (2005) avait incluse comme élément important de la masculinité hégémonique. Ces stratégies sont également mentionnées par Saouter (2000). Dans son étude, Plummer (1999) rapporte que les jeunes hommes qu’on a identifiés comme homosexuels ont souffert d’ostracisme et de harcèlement moral (Hirigoyen, 40 1998) ou de mobbing (Leymann, 1996). Plusieurs enquêtes rapportent les mêmes faits, dont celles d’Amnesty International (1998), Clermont (1996), Harris (1997), Jennings (1998), Labelle et Boyer (1998), Owens (1998), Shilts (1994), Tremblay P. (1995). Pour les répondants qui n’avaient pas été identifiés comme homosexuels, la peur d'être associés à l'homosexualité faisait partie des hantises de leur adolescence et représentait un cauchemar potentiel. De plus, il semble que les jeunes hommes identifiés comme homosexuels ne bénéficiaient pas de la même protection et du même droit à la vie et à la sécurité que les autres jeunes de la même cohorte. Ces faits sont aussi rapportés par Léger Marketing (2001 a et b) : 71,3 % des répondants croient que les adultes n’interviennent qu’occasionnellement ou jamais pour calmer les manifestations d’hostilité envers les garçons homosexuels. Dans la recherche de Plummer (1999), des jeunes ont rapporté que, pour pouvoir tabasser un compagnon de classe sans risque de représailles disciplinaires de la part de la direction de l’école, ils n’avaient qu’à justifier leur violence par le fait que leur victime était homosexuelle. Ils pouvaient ainsi s’en tirer sans aucune sanction ni réprimande. Les jeunes répondants de cette enquête ont aussi révélé que leur tentative de suicide, le cas échéant, était liée à leur orientation sexuelle ou à son questionnement, à leur identification comme homosexuels, à l’ostracisme dont ils avaient été victimes ou à l’impossibilité de croire qu’ils pussent être un jour heureux en tant qu’homosexuels. Pour certains hommes, exprimer leur haine de l’homosexualité leur permet de réaffirmer et de renforcer leur masculinité de façon non équivoque. Ils se doivent alors d’injurier systématiquement — pour ne pas dire de violenter quand ils en ont l’occasion — ceux dont l’allure, les gestes, les attitudes, etc. ne sont pas conformes aux attentes sociales de la masculinité. Welzer-Lang précise : Tout homme qui ne manifeste pas son homophobie, notamment en insultant les homosexuels-qui-ressemblent-à-des-femmes, peut être suspecté d’appartenir au clan honni. [...] Il faut, ou il faudrait dans cette logique, montrer et remontrer sans cesse [...] qu’on n’en est pas (Welzer-Lang, 1994 : 44). La distance avec l'homosexualité peut aussi se maintenir par l’intériorisation de l’homophobie. C’est la haine de soi et la peur d’être identifiés comme homosexuels qui amènent tant de jeunes hommes à développer des stratégies de contournement du stigmate homosexuel (Goffman, 1975; Lajeunesse, 2001). Cela peut se manifester par des scénarios de violence homophobe tels que le tabassage de tapettes et les injures, mais aussi par d’autres types de scénarios qui sont ceux du fif de service, du parfait garçon, du caméléon et du rebelle (Lajeunesse, 2001). Ces scénarios homophobes, qui permettraient de contourner la 41 présence de l’homosexualité réelle ou potentielle, sont liés à l’identité en général, mais plus encore au genre. 5.3 L’homophobie dans le sport L’homophobie et le sport ont depuis longtemps été associés tant dans le discours populaire, dans les chroniques sportives des journaux et des revues que dans les rumeurs et les valeurs du monde sportif. Bien que beaucoup de garçons en rêvent, tous ne peuvent devenir des champions sportifs. Chamalidis (2000) comme le titre de son ouvrage l’indique, trace un portrait de la splendeur et de la misère des champions. Qui sont ceux qui ont connu la gloire et que sont-ils devenus ? Et surtout, comment sont-ils devenus ce qu’ils sont. Cet auteur nous livre ses réflexions sur l’homosocialité des groupes, essentielle à la consolidation de l’identité masculine. Homosocialité (souvent homosexualité) dont les sportifs doivent se dissocier. Cette défense prend souvent des formes véhémentes. Chamalidis corrobore Saouter (2000) quant à l’ambiguïté sur le plan de l’orientation sexuelle des situations des groupes sportifs. « [...] Les liens masculins se créent surtout dans des situations de groupe [...] Le groupe (sportif) a ici la fonction de contenir, jusqu’à un certain degré, les émergences homosexuelles » (Chamalidis, 2000 : 73-74). Le groupe masculin permet paradoxalement l'émergence et la « tabouisation » des manifestations homosexuelles et homophobes dans un jeu de contrôle social interactif. En outre, le groupe masculin devient une grande confrérie cimentée par l’homophobie et liée par le sport. Cette dynamique se rencontre aussi dans les grandes confréries que sont l’armée et la marine. Tous ces lieux de socialité fournissent leur lot de rites nécessaires à la consolidation de l’identité masculine. Cette forme véhémente de défense contre l’homosexualité lie les acteurs du milieu sportif à d’autres hommes appartenant à des fiefs mâles tels que l’armée ou la marine. [...] La peur d’être homosexuel nous amène une fois de plus à réfléchir sur les limites qu’un groupe d’hommes est prêt à franchir quand il s’agit d’être proche d’autres hommes. Les limites de cette proximité masculine sont assez bien définies et le dépassement des « doses » homosexuelles généralement acceptées est immédiatement sanctionné par la prise réactionnelle d’une position intolérante, voire machiste (Chamalidis, 2000 : 75). L’analyse de Chamalidis est proche de celle de Welzer-Lang (1994), mais aussi de celle de Saouter (2000) qui porte sur la vie dans les équipes de rugby. De plus, le lien que fait Cha- 42 malidis entre l’armée et le sport est fort intéressant et corrobore l’idée d’un lien entre sport, militarisme et masculinité. Saouter (2000) a d’ailleurs dépeint des nuances fort pertinentes quant à la ligne qui sépare les activités homosexuelles des activités que nous qualifierions d’homosexuées2 et celles strictement homosociales. Pour cette auteure, il ne faut pas sauter aux conclusions et prétendre que toutes les activités de vestiaire et de troisième mi-temps au rugby servent d’exutoire à des tendances homosexuelles refoulées. Les troisièmes mi-temps sont le théâtre de jeux [...] Certains individus vont expérimenter plus loin encore cette liberté de corps, au-delà des limites normalement imposées par le tabou de l’homosexualité. La transgression des limites s’accompagne toujours alors d’alibis qui en atténuent la portée [...] Ces conduites me semblent plus une manière d’expérimenter ouvertement, dans un contexte extra-ordinaire, une relation homosexuée, qu’une occasion de vivre à la dérobée une homosexualité non assumée au quotidien (Saouter, 2000 : 121). Bien évidemment, toute possibilité d’être homosexuel « pour vrai » est fortement niée par les joueurs de rugby. La question fut fort difficile à aborder par Saouter (2000) auprès des répondants de sa recherche. Pour les joueurs d'équipe, nous le rappelons, il y a une séparation entre ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Pour ceux qui sont homosexuels « pour vrai », un silence organisé, pour ne pas dire institutionnalisé, prend place dans l’équipe. Saouter (2000) découvre que les hommes homosexuels sont tolérés dans l’équipe de rugby à condition que leur « anomalie » reste discrète et qu’aucun signe ne permette de les identifier. De cette façon, les hommes homosexuels ne mettent pas en péril la cohésion et la communauté des hommes. L’identité de ceux qui sont « comme ça » est scrupuleusement gardée secrète. On a retrouvé le même phénomène au Québec entre autres quand des journalistes sportifs comme Réjean Tremblay (LaPresse) ont témoigné dans l'affaire Rock Voisine/Stéphane Richer3 au début des années 1990. Ce silence organisé est sans doute la raison pour laquelle aucun homme homosexuel « avoué » n’a témoigné dans l’étude de Saouter (2000). À la lumière de ces faits, il serait possible de penser que l’activité sportive soit un rite de masculinisation homophobe en lui-même. Pour un homme, l’activité sportive offrirait plus qu’une occasion de réitérer son homophobie par la violence et la domination sur les autres hommes (Gagnon, 1996; Welzer-Lang et al, 1994; Pronger, 1990); elle constituerait aussi 2 Le terme homosexué relève d’activités sexuelles entre personnes de même sexe alors que le terme homosocial relève d’activités où la complicité et les liens entre individus de même sexe sont très forts mais non sexuels. 3 Au début des années 1990, une rumeur courait selon laquelle un joueur du Canadien de Montréal, Stéphane Richer, ait eu une relation amoureuse avec la vedette de musique pop Rock Voisine. 43 une occasion unique d’affirmer hors de tout doute sa masculinité et, par le fait même, son hétérosexualité. Apprendre à jouer au hockey, au football, au baseball, c’est d’abord une façon de dire : je veux être comme les autres gars. Je veux être un homme et donc je veux me distinguer de son opposé (la femme). Je veux me dissocier du monde des femmes et des enfants. C’est aussi apprendre à respecter les codes, les rites qui deviennent alors des opérateurs hiérarchiques. Intégrer codes et rites — en sport on dit les règles — oblige à intégrer corporellement, à incorporer les non-dits. Un de ces non-dits, que rapportent quelques années plus tard les garçons devenus hommes, est que l’apprentissage doit se faire dans la souffrance (Welzer-Lang, 1994 : 26). Duret (1999) et Saouter (2000) abondent dans le même sens à propos du rôle du sport, en particulier du rugby, dans la construction du genre masculin. Le rugby fabrique un homme, […] il se fonde sur des valeurs collectives. […] il est perçu comme un moyen privilégié d’éducation […] il fournit un modèle de socialisation inébranlable où, confiant leur existence au groupe, les jeunes […] pour être admis dans ce monde de guerriers, doivent être initiés par les anciens. […] les rites les plus ancrés sont ceux de l’avant — et de l’après-match : le passage au vestiaire et la troisième mi-temps (Duret, 1999 : 139). Le sport tout entier serait un fabricant d’hommes en conformité de genre. Il permettrait un apprentissage et une construction de genre qui se feraient par le biais de rituels dont il sera question dans la section suivante. 5.4 5.4.1 Le sport et les rites Un bref historique du sport D'un point de vue historique, l'activité sportive dans la civilisation occidentale daterait de la création des jeux panhelléniques en 776 avant notre ère. Les pratiques sportives s’inspiraient alors d'apprentissages guerriers, mais ils avaient souvent d’autres objectifs, entre autres, des objectifs politiques. On sait que les hommes de Thèbes étaient fort bien entraînés, tant pour les joutes sportives que pour la guerre, ce qui en faisait des soldats particulièrement craints. Ces groupes sportifs et militaires étaient souvent constitués d’amants (Boswell, 1985, 1996; Sergent, 1986). L’amour qui unissait les membres du groupe les rendait, semble-t-il, irréductibles. On constate, à la lumière des faits historiques que l’idée de fratrie, d’union, voire de fusion des membres d’équipes sportives n’est pas nouvelle. En effet, de nombreux entraîneurs sportifs la reprennent et la favorisent, sans toutefois, comme le 44 mentionnent Saouter (2000) et Robidoux (1997, 2001), promouvoir l’union sexuelle. Elias et Dunning (1994) apportent quant à eux ces quelques précisions à propos des origines du sport : Dans le courant du xxe siècle, les activités de compétition physique réunissant des individus sous la forme rigoureusement codifiée que nous appelons « sport », ont fini par servir de représentations symboliques à une forme de compétition non violente et non militaire entre les États. Nous ne devons pas oublier pour autant que le sport était à l’origine — et est toujours — une compétition entre des êtres humains excluant, dans la mesure du possible, toute action violente risquant de blesser gravement les concurrents. La pression et l’escalade de la compétition sportive entre les États incitent souvent les athlètes à se blesser en dépassant leurs limites ou en prenant des anabolisants (Elias et Dunning, 1994 : 30-31). Nous serions tenté d’inviter ces auteurs à un match de hockey durant la saison des éliminatoires pour voir s’ils ne réviseraient pas leur position quant à l’absence de violence dans les sports, ou à tout le moins leur vision du contrôle de celle-ci. Les événements de la finale de la coupe du monde de football4 2006 tendent à démentir Elias et Dunning quant à la fin de la violence dans les sports. Il est aussi question des nombreux cas de grave brutalité au hockey qui ont fait la manchette au cours des années et également des cas de violence courante qui surviennent presque à chaque match dans les ligues majeures et mineures majeures de hockey : l'affaire Hextall en 1989, l'affaire Johnson en 1998, l'affaire Brashear en février 2000, l'affaire Nolan en 2001, l'affaire Quintal en décembre 2003, l'affaire Bertuzzi en mars 2004, et tant d'autres (Presse Canadienne, 2004, Laflamme 2003). Le sport actuel, pour Elias et Dunning, repose en bonne partie sur une forme d’autocontrôle de la violence. Si on le compare au match sportif de la période prévictorienne en Angleterre, où les règles du jeu étaient floues, non établies, pour ne pas dire changeantes, et faisait surtout place à une violence incontrôlée. Pour Elias et Dunning (1994), le sport tel que nous le concevons aujourd’hui, est en brisure historique avec le sport d’autrefois. Selon ces auteurs, il constitue un processus sociologique qui permet de comprendre l’ensemble des interactions sociales. Ils vont d’ailleurs jusqu’à dire que « la connaissance du sport est la clé de la connaissance de la société, et ils ajoutent que l’objectif de leur ouvrage est de montrer qu’on ne peut étudier le sport sans étudier la société. « Le « sport » ou la « société » semblent aujourd’hui des thèmes porteurs d’une identité qui leur est propre » (Elias et Dunning, 1994 : 25 à 34). Toujours selon Elias et Dunning, 4 Zidane (joueur de l’équipe française) a donné un coup de tête violent à un autre joueur pour une obscure histoire d’insulte qui lui a valu la disqualification. 45 l’évolution de la structure du pouvoir est liée à l’évolution de la structure du sport dans le processus de création de la société. De plus, il peut être difficile d’être d’accord avec Elias et Dunning lorsqu’ils prétendent que le sport actuel a été débarrassé de ses aspects militaires. En effet, l’idéal fasciste (Mosse, 1997), militaire et sportif actuel aurait des ressemblances. De plus, tant à l’époque de la Grèce antique qu’actuellement dans les forces armées des pays occidentaux — tels que les États-Unis —, la forme et la résistance physiques des recrues seraient poussées à leur maximum athlétique, non pas dans un but de compétition sportive, mais plutôt de compétition militaire. Les documentaires de Mitchell (2002) et Monath (2002) montrent que les activités et les jeux sportifs organisés durant l’entraînement des recrues n’auraient pour objectif, selon les entraîneurs de l’armée étasunienne, que d’augmenter les performances guerrières des soldats, de pousser leur forme physique au maximum, d’augmenter la soumission à l’autorité (incluant une forme de déférence envers les militaires reconnus être en plus grande concordance avec le modèle idéal de masculinité), la cohésion et l’esprit de coopération au sein des pelotons militaires. Mais au-delà de l’Histoire qu’en est-il du sport aujourd'hui ? 5.4.2 Le sport comme objet social Selon Akoun et Ansart (1999: 500), « le sport est constitué d'activités corporelles à caractère ludique, individuelle ou collective, dont la pratique suppose un entraînement et le respect de règles. » Pour Pociello (1995), le sport revêt bien des aspects et en donner une définition est un défi. C’est sans doute pourquoi il cite plusieurs auteurs qui le définissent sans pour autant prendre réellement position. Cependant, s'inspirant largement d’Elias (1976), il précise que le sport est un ensemble de compétitions […], d'affrontements individuels […] ou collectifs […], qui opposent des êtres humains ou qui les engagent contre des obstacles définis […] ou des difficultés à vaincre […], contre lesquels ils s'investissent tous dans une sorte de « combat » (Pociello, 1995 : 39). Cette définition succincte doit être approfondie pour en saisir toute sa portée sur les hommes et sur l’intervention auprès d’eux. Le sport devrait être considéré tant dans ses représentations sociales que comme créateur ou consolidateur du genre masculin dans ses aspects sociologiques et politiques en prenant en considération ses répercussions possibles pour ses pratiquants. C’est au début de l’adolescence et au début de l’âge adulte que les garçons pratiquent le plus de sports (Goffman, 1975; Pleau, 2000; Pociello, 1995). Ce sont également les années où se consoliderait le genre. Le sport serait une sorte de fabriquant du 46 genre et permettrait une relecture à rebours auto-confirmative du genre masculin pour ceux le pratiquant. Les sports […] sont un élément important de la vie […] surtout des jeunes hommes. Cette rivalité organisée est présentée par les adultes comme une chose désirable, moment où la jeunesse peut se débarrasser de ses énergies animales, apprendre les règles de la loyauté, de la persévérance et de l’esprit d’équipe, se dépenser et exciter son désir de se battre envers et contre tout pour gagner […] ce n’est pas tant que les sports ne soient que l’expression de la nature humaine (spécifiquement masculine), c’est plutôt qu’ils sont la seule expression de la nature humaine masculine – agencement spécifiquement conçu pour permettre aux hommes de manifester leurs qualités pour eux jugées fondamentales : la force dans ses manifestations diverses, la résistance, l’endurance, etc. La conséquence de cet entraînement précoce aux sports est que les individus peuvent disposer au cours de leur vie d’un cadre d’arrangement et de réaction, d’un système de référence, qui prouve, fournit peut-être la preuve, qu’ils sont en possession d’une certaine nature (Goffmann, 2002 : 95-96). La pratique sportive revêt un sens particulier selon les périodes et les étapes de la vie. L'influence de l'activité sportive sur l'individu et sa « carrière de vie » (Becker, 1985) est diachronique et non synchronique. C'est-à-dire que les choix sportifs auraient une influence sur les hommes et la construction de leur genre, influence qui varierait selon l’âge et le milieu. L’activité sportive que choisit l’acteur social serait en corrélation avec son appartenance au genre et avec sa classe sociale. De plus, le genre déterminerait la valeur que les individus accordent aux activités qu’ils pratiquent, notamment dans le cas des activités sportives (Gagnon, 1995, 1996; Fontayne, Sarrazin et Famose, 2001; Pociello, 1995). Plus encore, le choix des activités sportives dépendrait du degré d’ancrage typologique dans un genre et de l’appartenance à une classe sociale. Autrement dit, les hommes cotés plus masculins (et souvent de classes sociales plus pauvres) — selon les stéréotypes sociaux les plus répandus — choisiraient de pratiquer des sports plus proches du stéréotype mâle du guerrier (Pociello, 1995) que les hommes cotés plus androgynes. Le genre et le sentiment d’appartenance au genre détermineraient le type d’activités sportives choisi ainsi que son importance symbolique dans la vie d’un individu (Mangan et Walvin, 1987; Recours et Dantin, 2000). À titre d'exemple, les garçons des classes populaires seraient plus attirés par le football ou le hockey que les garçons d’origine plus aisée, qui privilégient davantage le tennis ou le golf (Bairner, 1999). Selon ce point de vue, il est possible d’associer les activités sportives que les garçons des classes populaires choisissent à une façon plus traditionnelle de vivre la masculinité. Par ailleurs, la masculinité traditionnelle serait associée à l'agressivité et au combat ainsi qu'au phénomène de fratrie. 47 Beaucoup de chercheurs ont défini leurs propres catégories selon la nécessité de leurs études. Celles-ci comprennent les sports de combat, les sports esthétiques, les sports individuels ou collectifs, les sports d'hiver, d'été, les sports de raquette etc. Nous proposons un classement (voir le tableau suivant) issu d'analyses et de recoupements des classifications de Bairner (1999), Bouchard, Brunelle et Godbout (1973), Douglas, (1990), Duret et Augustini (1993), Fontayne, Sarrazin et Famose (2001), Gagnon, N. (1996), Klein, A. (1993), Le Breton, (1991a), Pociello (1995) et Recours et Dantin (2000). Nous définissons ainsi trois catégories de sport chacune incluant des pratiques collectives et individuelles. La première est constituée de sports agonistes — du grec agon qui signifie lutte, combat — dont le baseball, le football américain et le soccer… pour les sports collectifs et la boxe pour les sports individuels (Pociello, 1995). De plus, les représentations sociales voient les sports collectifs comme plus masculins. « Les sports les moins féminisés […] sont les sports collectifs et individuels d’affrontement [agonistes] « durs» qui imposent le contact corporel direct et les efforts perforants […] » (Pociello, 1995 :107). Les sports ilinistes, de ilinx, se rapportent au sens grec d'adresse, de vertige et de défi contre soi, voire contre « Dieu » (Pociello, 1995). Ils sont proches des activités que Le Breton (1991, 1991a) définissait comme ordaliques. Tels sont l'escalade ou le parapente pour les sports individuels, et, pour les sports collectifs, selon Pociello (1995), le basket-ball ou le volleyball. Enfin, les filles sont davantage regroupées dans la catégorie esthétique c’est-à-dire dans les sports qui tel le patinage artistique relèvent de l’élégance, de la symétrie et de la joliesse (Pociello, 1995). La nage synchronisée est la seule pratique de groupe de cette catégorie et, sauf dans les jeux gais ou les Outgames, elle est exclusivement féminine. On constate que l’esthétisme est souvent associé au féminin (Belotti, 1974; Goffman, 1988, 2002), et donc à l’homosexualité. Les femmes sont culturellement investies de la disposition esthétique et artistique, et bien souvent encore appréciées comme objets de séduction soumis à l'injonction permanente de l'apparence, sont majoritairement portées vers les pratiques esthétiques (Pociello, 1995 : 104). 48 Tableau 1, Les catégories de sports Agonistes Collectifs Individuels Baseball Boxe Football Hockey Rugby Soccer Frisbee extrême Judo Karaté Ilinistes Collectifs Individuels Basketball Frisbee Volley-ball Aviron Alpinisme Esthétiques Collectifs Individuels Nage synchro Aviron Badminton Course Golf Natation Gymnastique Patin artistique Musculation Plongeon Ski Vélo Ce tableau est inspiré d’une classification proposée par Pociello (1995) Les sports agonistes se pratiqueraient plus souvent dans de grands espaces et non sur des terrains restreints. Ils seraient plus empreints de valeurs traditionnelles telles que la famille, les liens sociaux, les fêtes collectives, l’existence de bandes de copains, les rituels intégrationnistes, l'appartenance au clan, à la meute ou à la tribu. L'activité sportive agoniste s’insère dans la vie quotidienne et dans le mode de vie. Enfin, les recherches de Smith (1974) et de Melançon (1978) montrent que les groupes de pairs et les idoles sportives ont plus d’influence sur le comportement violent des jeunes sportifs, en particulier au hockey, que toutes les règles de jeu et les sanctions sociales existantes. Cette influence est même plus forte que la pression des parents ou des entraîneurs. La violence ferait partie des rites d’appartenance au groupe. Le besoin et la nécessité de faire partie du groupe des hommes provoqueraient une pression suffisamment forte pour annihiler toute autre forme de contrôle ou de règles sociales qui en d’autres lieux et d’autres temps, sont normalement très efficaces. Pour un garçon, le souci de se conformer au groupe des « mâles » auquel il veut appartenir déterminerait ses conduites violentes et, par le fait même ses choix et préférences sportives. Les pratiques ilinistes, au contraire, ne comporteraient pas de rituels et demanderaient d'être exercées à l'extérieur de la vie quotidienne (Pociello, 1995). Les sports ilinistes n'auraient pas de pratiques sociales intégratives et ne favoriseraient pas le groupe. Ceux-ci seraient axés sur le futur et le changement, et non sur la tradition. Contrairement aux sports agonistes, les sports esthétiques favoriseraient à peu près les mêmes valeurs que les sports ilinistes, à l'exception de la musculation qui serait surtout un sport utilitaire (Pociello, 1988). Les sportifs feraient de la musculation pour améliorer leurs performances dans un autre sport, qui leur importe davantage. Il est certain que les gains esthétiques sont appréciables, mais ils ne seraient pas essentiels. Il faut cependant faire une autre exception avec le cultu- 49 risme qui attirerait souvent des personnalités rigides, dont les valeurs sont fascisantes (Klein, A.,1993; Mosse, 1997). Selon plusieurs auteurs, l'univers sportif serait un monde réservé aux hommes, et dans lequel le masculin s’accomplirait et s'actualiserait (Messner, 1992; Messner et Sabo, 1990, 1994; Gagnon, 1995, 1996). La pratique sportive serait répartie selon les sexes et les rôles sexuels (Pociello, 1995). Il y a des sports d'hommes très bien financés (football, hockey, baseball…) (Messner, 2005) et quelques sports où l’on tolèrerait les femmes (ringuette, ballemolle, etc.). Il y a des compétitions pour les femmes et d’autres pour les hommes. Cette subdivision semble presque impossible à briser. À titre d’exemple, en 2003, la golfeuse Annika Sorestam avait provoqué un scandale en acceptant l’invitation de la Professional Golfers’ Association. Lors de cette compétition, elle se mesurait à des hommes. Plusieurs personnalités du milieu considéraient son geste comme une insulte à l’intégrité du sport (Messner, 2005). De plus, la couverture des sports, à la télévision en général et aux Jeux olympiques en particulier, est surtout consacrée aux sports masculins, comme l’ont montré Gagnon (1996), Koivula (1999), Pociello, (1995) Sabo, Gray et Moore, (2000) et Spears et Seydegart (1996). Il est possible de conclure que les représentations sociales montreraient le sport comme une affaire d'hommes. 5.4.3 Fascisme, militarisme, sport et identité masculine La limite de l’endurance masculine et de la masculinité serait rarement atteinte. C’est pourquoi le sport deviendrait parfois pour les hommes une activité compulsive telle que l’a relaté Lake (1989). Pour le sportif de compétition, il faut toujours aller plus loin, en faire plus, un peu comme si la masculinité serait toujours un cran plus loin en avant. Elle serait toujours ailleurs, car elle est mal définie au départ. En effet, n’ayant jamais défini ce qu’est le masculin, bien malin serait celui qui saurait s’en imprégner. Selon Alan Klein (1993), le sportif court après quelque chose d’indéfinissable, d’insaisissable, qui appartient plus au fantasme qu’au réel. L’idéal masculin chez le sportif aurait des ressemblances idéologiques avec le fascisme, mais exception faite de Connell (1993), Alan Klein (1993), Mosse (1997) et Reich (1970) peu d’auteurs abondent dans ce sens. C’est par son étude du milieu du culturisme que Alain Klein (1993) a fait la démonstration du lien entre l’idéologie fasciste et l’idéal masculin traditonnel. La nécessité d’atteindre l’idéal masculin serait chez les culturistes à l’origine d’un comportement compulsif. La compulsion existerait aussi dans la pratique d’autres sports, mais le cas du culturisme serait caractéristique, car le culturiste pourrait toujours se muscler davantage, ce sport ne lui permettrait jamais en fait de toucher à la masculinité pure. 50 L’adepte croirait en vain pouvoir atteindre rapidement son objectif d’esthétique masculine et virile5 grâce à cette activité, mais son objectif s’éloignerait au fur et à mesure de ses efforts pour gagner une course où les muscles ne seraient jamais assez gros, assez définis... Selon Klein A. (1993), l’idéal sportif de cette discipline tire ses valeurs de l’idéal masculin fasciste, ce qui favoriserait la présence des personnalités autoritaires dans cette discipline. Ajoutons que les tendances à l’hypermasculinité révèleraient une grande insécurité de l’identité masculine du culturiste (Klein, A., 1993). Très proches du stoïcisme, les valeurs soutenues par de nombreux sports, et par le culturisme en particulier, sont la force, la discipline, la dureté envers le corps, l’effort constant, la soumission à l’entraîneur, la volonté de réussir, la privation, la vénération de la science6, la grandiosité (Mosse, 1997). The authoritarian personality is compatible with bodybuilding socialpsychology [...] and once institutionalized, authoritarianism has cultural dimensions as well. Bodybuilding leads invarious sociocultural directions, but none is quite so disturbing or dramatic as its connection to fascist aesthetics and cultural politics. The fetishism for spectacle, worship of power, grandiose fantasies, preoccupation with form and youthful vitality dominance and submission in social relations are all essential characteristics shared by bodybuilding and fascism (as well as narcissism) (Klein, A., 1993:254). Selon Klein A. (1993), l’esthétique nazie serait très proche du modèle de masculinité actuellement prisé et surtout du modèle véhiculé par les sportifs. Les promoteurs du nazisme misaient beaucoup sur le sport comme structure d’enrôlement et d’endoctrinement de la jeunesse (Klein, A., 1993; Milza, 1985), ce que font encore les forces armées étasuniennes (Monath, 2002, Mitchell, 2002). Everything about the SS bespoke virility, from their black, tailored uniforms to the hard sheen of their boots [...] Politics became « sexy » in the Third Reich. Their numbers were selected from among mesomorphs; whereas Hitler’s [...] took on any muscular types that fit this heroic mold of men. Here is where muscular virility and cruel hardness joined to form a political fashion. The look and feel of hardness in the body, in the uniform, in the mind of the SS trooper is echoed in the bodybuilder (Klein, A., 1993: 255). 5 Il s’agit bien de virilité et non pas seulement de masculinité. En effet, les répondants rencontrés par Klein voient dans l’idéal de masculinité construite par le corps une association intrinsèque de tous les éléments de la masculinité, y compris la capacité de reproduction, d’érection etc. 6 Les culturistes rencontrés par Klein, A. (1993) sont à l’affût de toutes les découvertes scientifiques et médicales qui pourraient leur permettre de développer leurs muscles encore et encore. Le savoir des laboratoires serait vénéré comme une vérité divine. 51 L’esthétique du fascisme, tant dans le physique que dans le mentalisme, se retrouve dans les livres pour enfants de l’époque du fascisme allemand. Nous la voyons encore aujourd’hui dans les bandes dessinées illustrant des héros occidentaux, pour ne pas dire étasuniens. Les idéaltypes que sont le Captain America, Spiderman, Hulk, Superman, Batman et Robin7 ou G.I. Joe se réunissent autour d’un modèle que Klein, A., (1993) a nommé la comic-book masculinity, inspirée directement des valeurs fascistes illustrées par Riefenstahl (1938). Cette esthétique masculine à tendance fasciste se révèle particulièrement quand le corps se dévoile. L’esthétique ne se révèle-t-elle pas dans sa totalité par la nudité une fois que le vêtement ne peut plus rien cacher ou arranger ? C’est dans le vestiaire que le sportif se met à nu face à lui-même, mais surtout face aux autres. Une fois mis à nu, le corps se soumettrait, à la véritable épreuve du respect des normes de l’esthétique masculine. Les valeurs de force, discipline, dureté envers le corps, effort constant, soumission à l’autorité, volonté de réussir et privation, sont aussi celles des militaires (Klein, A. 1993; Mosse, 1997; Reich, 1970). Les organisations sociales de répression (telles que celle de la police ou des forces militaires) sont majoritairement constituées d’hommes et d’hommes jeunes souvent encore à la recherche de conformité à des modèles idéaux. Il existerait des liens certains entre les valeurs militaires et la masculinité et le recours à la violence. C’est du moins ce que pensent plusieurs auteurs qui se sont penchés sur le sujet selon Connell (2003), soit Barrett (1996), Morgan (1994), Seifert (1993). En effet, selon Connell (2003) The former studies show an organizational effort to produce and make hegemonic a narrowly defined masculinity that will make its bearers efficient in producing the organization’s effects of violence. As Barrette in particular demonstrates, the requirements may be different in different branches of the armed forces. (Connell, 2003, 260) Reich (1970), bien que sa réflexion portait sur la fonction de l’orgasme, soutenait que la frustration orgastique dans laquelle le soldat est maintenu permettait l’émergence de phénomènes de violence collective, notamment le viol et le bizutage, la surconformité au modèle rigide de masculinité et une grande obéissance à l’autorité. Tout porte à penser qu’il existerait des liens entre la capacité de commission d’actes violents, l’organisation militaire et la masculinité hégémonique. Les ressemblances entre le monde sportif et militaire permettent d’imaginer que l’organisation sportive favoriserait elle aussi l’émergence de ce type de phénomène en lien avec la masculinité hégémonique. Une recherche plus avant permettrait sans doute d’explorer davantage cette avenue. 7 L’histoire de Batman et Robin constitue un exemple particulier d’un « vrai » homme qui montre au « petit » les chemins de la masculinité et de la virilité. 52 5.4.3.1 Les vestiaires sportifs Mais d’abord, qu’est-ce qu’un vestiaire ? En effet, le vestiaire est souvent négligé dans les études sur les sports et le genre, pour ne pas dire complètement occulté par la recherche (Barone, 2001). En tant qu'espace liminaire de transformation, celui-ci serait au centre des préoccupations des sportifs. Aucun livre ou article de sociologie ou traitant de sport que nous avons consulté ne donne de définition du mot « vestiaire ». Rares sont les documents qui présentent ce qui s’y passe ou qui en font l’analyse. Il n'existe pas, à notre connaissance, de description ethnologique de cet espace. Le Robert (1977) en indique le sens commun. « C’est un lieu où l’on dépose momentanément ses vêtements d’extérieur dans un endroit public. C’est un lieu où l’on quitte ses vêtements de ville pour la tenue correspondant à une activité particulière ». Le Robert ne dit pas que c’est un lieu de division des sexes. Il ne dit pas tout le sens que donne le milieu sportif au vestiaire. Pour entrer dans le vestiaire des hommes, il faut être un homme. Cela semble un truisme, pourtant, n’est pas homme qui veut (Welzer-Lang, 1994); être homosexuel n’est pas, semble-t-il, être un homme, aussi n’est-il pas surprenant que certains questionnent la présence d’hommes homosexuels dans les vestiaires. Il existe le vestiaire d'équipe, celui que le garçon accepte d’emblée parce qu'il est membre d'un groupe particulier. C'est le cas des membres d'une équipe de hockey ou de football. Existe aussi le vestiaire sportif de l'école secondaire qui, à la différence du premier, n'est pas choisi, mais imposé par une structure sociale et un cadre académique. C’est souvent à l’école secondaire que le garçon entre pour la première fois dans un vestiaire. Quand un passage social est obligé, il devient souvent, comme le mentionne Lagrange (1995), générateur d'angoisse. Enfin existent les vestiaires sportifs « génériques » qui sont destinés à un public plus large (et souvent plus vieux) et moins ciblé comme ceux des universités où les hommes se rendent pour se changer avant de pratiquer une activité sportive de groupe ou individuelle. Ces vestiaires ne relèvent pas des mêmes problématiques, des mêmes symboliques, et n’ont pas les mêmes conséquences psychosociales, car leur territoire n'appartient pas à un groupe particulier, comme une équipe de football. N’étant pas imposés, ils ne sont pas investis des mêmes symboliques que les vestiaires scolaires et les risques sociaux y sont réduits. Comme l’acteur social s’y rend de son propre chef, il peut donc les quitter à sa guise. Le tableau suivant résume les caractéristiques des vestiaires. 53 Tableau 2. Types de vestiaires Vestiaires Anxiété Ostracisme Homophobie Sécurité Imposés Oui Oui Oui * Non Choisis Non Non Oui* Oui Génériques Non Possible Possible Souvent * L’homophobie n’exclut pas l’accomplissement d’actes à caractère sexuel. Il semble que le vestiaire soit un lieu où se révèle tout entière la fragilité de l’identité masculine. Le vestiaire serait une sorte d’espace liminaire, un lieu de passage dangereux pour les hommes. N’entrerait pas au vestiaire des hommes qui veut. Pour Goffman (2002), la ségrégation des sexes dans certains lieux particuliers (toilettes, vestiaires) n’est pas la conséquence d’une différence biologique, mais bien une façon de créer cette différence. Le vestiaire consacrerait la distinction (que l'on croit naturelle) des genres dans les sports. « La ségrégation des toilettes est présentée comme une conséquence naturelle de la différence entre les classes sexuelles [genre], alors qu’en fait c’est plutôt un moyen d’honorer, sinon de produire, cette différence » (Goffman, 2002 : 82). Le vestiaire serait une antichambre de l’activité sportive elle-même, une entrée dans « La maison des hommes » (Godelier, 1996; Welzer-Lang, 1994). À la lumière des témoignages des hommes rencontrés entre autres par Chamalidis (2000), Duret (1999), Pronger (1990) et Saouter (2000), mais aussi par Alan Klein (1993), le vestiaire constituerait l’antichambre de la première transformation ou, si l’on veut, le lieu de la mutation du garçon en homme, en vrai-homme-qui-s’accomplit-par-le-sport. Certaines femmes rencontrées par Saouter (2000) témoignent ne pas avoir reconnu leur conjoint la première fois qu’elles l’ont vu sortir du vestiaire. Elles croyaient qu’elles allaient divorcer tellement elles ne reconnaissaient pas leur conjoint. Le vestiaire constitue une sorte de sas où le joueur quitte les oripeaux de sa vie civile pour endosser les couleurs sacralisées de son club et se transformer en « guerrier ». Cette préparation d’ordre psychologique est d’autant plus nécessaire que sur le terrain, la partie va être rude (Duret, 1999 : 139). Il faut noter le mot « guerrier » que Duret (1999) n’utilise pas par hasard, mais bien parce qu’il se fait l’écho d’un concept, ou même d’un fantasme, souvent utilisé allégoriquement par les sportifs eux-mêmes, et rapporté par d’autres auteurs tels que Messner (1992), Pociello (1988), Robidoux (2001) et Saouter (2000). Ces propos font écho aux analyses d’Elias et Dunning (1994) qui, rappelons-le, situent le sport actuel comme une activité de remplace- 54 ment des guerres anciennes, une façon pacifique qu’ont trouvée les nations pour régler leurs conflits. Le vestiaire de l’équipe serait le lieu du premier pas vers l’accomplissement de la masculinité par le sport, en particulier chez les membres d’équipes qui pratiquent des sports agonistes collectifs tels que le football, le rugby ou le hockey (Barone, 2001; Bouton, 2002; Curry, 2002; Dellinger et Williams, 2002; Kane et Dicsh, 1993; Raphaël, 1988). En revêtant le costume officiel de l’équipe, le joueur ferait sa première transformation. Il deviendrait semblable à tous les autres joueurs de l’équipe. Dans un centre sportif universitaire, nous avons entendu un membre du personnel dire à des usagers que « les gais feraient mieux d’aller dans leur centre sportif et de laisser celui-ci pour le monde ! » Bien qu’anecdotiques, les propos de l’acteur social relevés ici permettent de penser que ce point de vue existe dans la société, et qu’il est suffisamment crédible et répandu pour être exprimé ouvertement sans crainte de réactions réprobatrices. En effet, aucune des personnes présentes n'a réagi négativement à ces propos. Au contraire, l'approbation semblait générale. Un commentaire de même nature à propos des personnes d’origines ethniques différentes ne pourrait sans doute pas être exprimé sans provoquer l’indignation et la réprobation (Léger Marketing, 2001a et b). De quoi, plus précisément, parlait cette personne ? Du gymnase, du centre sportif en général ou plus précisément du vestiaire ? C’est souvent l’usage du vestiaire par des hommes homosexuels qui est au cœur de la controverse. Les hommes rencontrés par Saouter (2000) et plusieurs répondants de l’étude de Lajeunesse (2001) ont révélé que la présence d’hommes homosexuels, ou soupçonnés l’être, dans les vestiaires dérange, pour ne pas dire agresse les hommes hétérosexuels (Bruce, 2002, Curry, 2002) N’entrent dans le vestiaire de l’équipe que les initiés, les joueurs et les entraîneurs, ces « grands prêtres » qui président à la transformation du garçon en homme. Les seuls étrangers qu’on y tolère sont les journalistes sportifs, à condition qu’ils soient de sexe masculin (Kane et Disch, 1993). L’exclusion des hommes homosexuels commencerait très tôt au secondaire. Pour bien des jeunes hommes identifiés à tort ou à raison comme gais (les fifs de service selon Lajeunesse, 2001), le vestiaire sportif serait un cauchemar; de nombreux cas d'abus ont été rapportés par ceux qui ont été obligés de fréquenter un vestiaire (Jennings, 1998; Kane, 1993 et 2002; Lajeunesse, 2001; Pronger, 1990), mais aussi par ceux qui ne l’ont pas été (Robinson, 1998). Le vestiaire serait souvent le lieu où les garçons non conformes seraient ostracisés, violentés 55 et agressés. Les autres, ceux que tous croient hétérosexuels, vivraient dans la peur d’être associés à l’homosexualité et de subir le même sort que ces derniers. Le vestiaire, lieu de révélation de l’intimité, serait aussi le lieu de l’éveil des premiers désirs secrets, des premières comparaisons. Le désir avoué est sans nul doute la chose qui fait le plus peur, car il amène une forme de compromission. Il faut donc cacher ou détruire ce désir en rejetant ceux qui en sont symboliquement les porteurs. Le reste de l’équation fonctionnerait conformément au processus de stigmatisation décrit par Goffman (1975). Certains joueurs rencontrés par Saouter (2000) et Curry (2002) témoignent que la présence d’un gai dans leur équipe, et nécessairement dans leur vestiaire, leur donnerait l’impression de la présence d’une femme parmi eux. La comparaison faite par ces nombreux sportifs est révélatrice de la symbolique donnée à l’homosexualité. Bien des hommes y voient une erreur de sexe et associent l’homosexualité à la féminisation de l’homme (Welzer-Lang, 1994, 2002). Pour eux, un homme se doit d’être hétérosexuel. Nelson (1997) abonde dans le même sens. Le passage aux vestiaires serait une leçon de domination et de contrôle et de normalisation par la violence; parce que les hommes sont nus dans le vestiaire et que cela pourrait créer des ambiguïtés, ils doivent prouver hors de tout doute leur hétérosexualité. L’expression de l’homophobie est souvent marquée par la violence envers ceux que l’on croit homosexuels. On peut donc penser que la domination (« ingrédient » de la masculinité hégémonique) s’exprime par la violence et renforce le sentiment de conformité au modèle traditionnel de masculinité. Saouter (2000) rapporte que plus il y avait d’ambiguïté quant à l’orientation sexuelle, plus l’homophobie et le machisme augmentaient parmi les joueurs de rugby. Les joueurs, dans ces circonstances, n’hésiteraient pas à parler des femmes comme d’images strictement pornographiques en se vantant de leurs performances sexuelles et en se définissant comme des prédateurs sexuels. Nelson précise… Proving heterosexuality through sexual dominance talk is still not enough. Since bisexuality exists, the man in the locker room must also deny his attraction for men. To this end he mocks gay men […] In this way, male athletes enjoy men's naked company without losing their heterosexual dominance (Nelson, 1997: 243). Or, les variations de l’orientation sexuelle amèneraient du « bruit » dans la normalisation des valeurs de la masculinité hégémonique. Une fois dévoilée l’homosexualité d’un joueur, la normalisation des membres ne serait plus possible, et ceux-ci ne seraient plus interchangeables. En effet, même s’il existe des vedettes et des positions de jeu fixes, les membres d’une équipe sont habituellement permutables. Prenons pour exemple les équipes de football américain universitaires qui disposent souvent de plus de 70 joueurs alors que seulement 42 ont le droit d'être prêts et habillés pour un match selon les règlements des ligues de football 56 universitaire. Cela prouve que plusieurs joueurs sont permutables en vertu des règles et des conditions de jeu tel que la qualité du jeu de certains joueurs ou encore les blessures sportives de ceux-ci. Le port du maillot et des couleurs de l’équipe serait un signe de l’uniformité souhaitée (Saouter, 2000). Pas un homme hétérosexuel ne voudrait être interchangeable avec un homme homosexuel dans une équipe sportive (ou ailleurs). 5.4.4 Les rituels et le sport Selon les auteurs et leurs tendances idéologiques, on peut distinguer plusieurs types de rituels ou de rites, dont les rituels religieux, tribaux, solennels, domestiques, magiques, apotropaïques, piaculaires, manuels, d'appartenance au genre... Les auteurs ayant analysé les rituels chez les sportifs se sont beaucoup intéressés aux rituels initiatiques, mais bien peu à deux autres types de rituels présents chez les sportifs, soient les rituels tribaux et apotropaïques. Voyons d’abord de façon plus générale une définition du rituel. [Le rituel se] défini comme un ensemble de conduites, d’actes répétitifs et codifiés, souvent solennels, d’ordre verbal, gestuel et postural, à forte charge symbolique, fondés sur la croyance en la force agissante d’êtres et de puissances sacrées, avec laquelle l’homme tente de communiquer en vue d’obtenir un effet espéré (Akoun et Ansart, 1999 : 460). Les rituels sont, comme l’a montré Goffman (1973 et1973a), multiples, grands ou petits, quotidiens et fréquents ou uniques et plus solennels. Ils serviraient entre autres à communiquer, mais aussi à maintenir le lien social. Le rituel serait révélateur des valeurs profondes d’un groupe social. C'est ainsi que les rituels contribueraient au fondement du lien social. Ils réactualiseraient la force du lien social par l’utilisation et la communion des consciences autour de symboles investis du sentiment du lien. « Les rites sont avant tout les moyens par lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement » (Durkheim, 1998 :553). Cette citation de Durkheim abonderait dans le sens de Goffman (1974). Un rituel tribal serait « une façon de faire » propre à un groupe spécifique nommément la tribu. Nous utilisons ici une définition de la tribu proche de l’ethnologie et de l’anthropologie pour parler de communauté sportive telle que l’équipe à laquelle appartient un sportif. Elle a été élaborée en se basant sur les écrits de Cuche (1996), de Durkheim (1998), de Goffman (1974), de Becker (1985), de Turner (1990) et de Van Gennep (1969), qui proposent que la tribu soit définie au sens large comme un groupe social ou une communauté fondé sur une parenté ethnique réelle ou supposée, ayant en commun un certain nombre de valeurs, de normes et de pratiques. Les rituels, en particulier ceux exprimés quotidiennement par la tribu (comme celle formée d’une équipe sportive particulière), dicteraient les façons de faire au sein de celle-ci et marqueraient en même temps pour ses membres la preuve de l’appartenance à cette même tri- 57 bu. Ce qui permettrait de dire ce qui suit Les rituels révèlent les valeurs à leur niveau le plus profond… Les hommes expriment dans le rituel ce qui les touche le plus et puisque la forme de l'expression est conventionnelle et obligatoire, ce sont les valeurs du groupe qui y sont révélées. Je vois dans l’étude du rituel la clé pour comprendre l’essence de la constitution des sociétés humaines (Wilson, 1954, cité par Turner 1990 :15). Quant aux rituels apotropaïques, ils se disent, selon le Grand dictionnaire terminologique de l’Office de la langue française, d'une formule, servant à détourner vers quelqu'un d'autre que soi les influences maléfiques. Selon Akoun et Ansart (1999), les rites apotropaïques seraient des pratiques de protection contre les mauvais esprits. Ils seraient courants chez les sportifs afin de les aider dans leurs épreuves sportives, de les protéger des blessures et de favoriser leurs performances. Le sujet des rites, particulièrement ceux de l’initiation, a été abordé entre autres par Bettelheim (1971), Durkheim (1998), Goffman (1975, 1974), Herdt (1982, 1984, 1994), Le Breton (1995), Raphael (1988), Sabo et Panepinto (1990), Sergent (1986), Turner (1990) et Van Gennep (1969). Selon Van Gennep (1969), le rite initiatique se divise en trois moments. Nous présentons une équation schématisant la théorie de Van Gennep et Turner : la séparation et la rupture « / » d’avec le monde profane « C »; le passage « → » vers la marginalisation dans un lieu sacré « s » et la formation à un nouveau mode d’être; la résurrection symbolique et l’agrégation « ➾ » dans la nouvelle communauté (nommée cummunitas par Turner) « c » avec un statut supérieur. La marginalisation pour Turner (1990) est la liminarité « L »; ce temps et cet espace de flottement où l'individu humilié « h » et mis à l’épreuve « e » n'est plus l'ancienne personne que l'on connaissait, mais n'est pas encore la nouvelle avec son nouveau statut, ses droits et ses devoirs. La réintégration, dans la nouvelle communauté, pour Turner (1990) est l'état de communitas «c». Équation de l’initiation Le rite initiatique dans sa dimension réelle ou symbolique aurait un rôle, une fonction d’intégration de l’individu dans la société, la communauté, le groupe, le clan (Maisonneuve, 1988). Bien que parfois générateur d’angoisse quand on ne peut s’y conformer (ou que l’on croit ne pas pouvoir s’y conformer), le rite serait rassurant. Comme le dit Lagrange (1995), le 58 rite a une fonction de consolidation de l’identité quand il est désiré, et une fonction anxiogène de déstabilisation identitaire quand il est imposé. Le rite va, ou marquer l’entrée de l’individu dans le groupe social, ou en déterminer l’exclusion. L'étude de Hudon (2004) montre que l'exclusion ou l'appartenance à un groupe est liée à la réussite de rites d’initiation chez les militaires. Hudon montre que l’appartenance, mais également le sentiment d’appartenance au groupe, peut jouer un rôle important dans le phénomène de stress posttraumatique et serait un élément important de la résilience d’un militaire à des situations de stress. Les rites initiatiques seraient souvent importants pour les garçons. Le sport serait lui-même un rite d’accession à la masculinité dans la société en général, mais il contiendrait aussi ses propres rites. De nombreux auteurs ont fait des liens entre les rites primitifs (associés souvent aux rites tribaux) d’accession à la masculinité et les rites sportifs. C’est le cas notamment de Gagnon (1995) et de Sabo et Panepinto (1990). Pour ces derniers, l’entraîneur devient, comme pour les rites primitifs, un officiant de première importance. [it exists] many similarities between the coach-player relationship and the officiant-initiate relationship within primitive masculinity rites. […] Officiants of primitive masculinity rites are, in part, the social-psychological managers of boys’ gender identity development. […] Many of the meanings that coaches reportedly attached to football revolved around hegemonically masculine themes: distinctions between boys and men, physical size and strength, avoidance of feminine activities and values, toughness, aggressiveness, violence, and emotional self-control (Sabo, Panepinto, 1990: 118-124). Gagnon (1995) reprend le tableau de Sabo et Panepinto (1990) et elle compare les rituels primitifs de la masculinité et ceux du football. Nous y retrouvons, comme chez Sabo, les thèmes tant primitifs que sportifs de relation homme/garçon, contrôle et conformité, marginalisation, subordination à l’autorité masculine, douleur, etc. Comme chez les Sambyas, les hommes occidentaux passeraient à travers quelques chambres (Welzer-Lang, 1994) — Duret (1999) utilise le mot sas — avant d’avoir une place dans « La maison des hommes » (Godelier, 1996; Herdt, 1982, 1984, 1994; Welzer-Lang 1994). Examinons le concept de la maison des hommes. Cette place dans « La maison des hommes » évoqués par Welzer-Lang, les hommes devront la gagner par le marquage et la transformation de leur corps et de leur esprit. Dans ce système de codes masculins, facilement repérables dans les proverbes, les incitations, les récits, les légendes, les mythes, etc., la construction du masculin, l’éducation des hommes, semblent s’accomplir dans 59 une maison-des-hommes imaginaire. [...] lors de la séparation d’avec le monde des femmes, au cours des premières expériences dans lesquelles les hommes se confrontent à la structuration de leur virilité, tout semble se passer comme dans un monde unisexué. [...] quand les enfants mâles quittent le monde des femmes, qu’ils commencent à se regrouper avec d’autres garçons de leur âge, on voit apparaître une phase d’homosocialité au cours de laquelle émergent de fortes tendances ou de grandes pressions pour y vivre des moments d’homosensualité. Compétitions de zizis, marathons de branlettes [...] jouer à qui pisse le plus loin (Welzer-Lang, 1994 : 23-24). Il y aurait, pour chaque étape de la vie, une maison des hommes correspondante : la chambre, le terrain de jeux, le vestiaire, le stade, l’équipe sportive, la bande de copains, etc. Il existerait donc des lieux spécifiques où se vivrait la construction du masculin, des lieux dont sont exclues les femmes. Chaque réussite donnerait aux hommes la possibilité de passer à l’étape suivante et d’initier ensuite les plus jeunes. Ces étapes seraient souvent marquées de violence, de beuveries, de viols, d’agressions contre-ceux-qui-ne-sont-pas-comme-il-faudrait, de réussites et de rejets (Robinson, 1998; Welzer-Lang, 1994, 2002). Les rites initiatiques d'appartenance au genre et la pratique du sport seraient des composantes importantes de l'accession au statut d'homme (Welzer-Lang, 1994). Tous ces rites, ou étapes, vers l’accession au statut d’homme ne se feraient, la plupart du temps, qu’entre hommes. La contradiction qui guette ici est de taille comme l’ont souligné plusieurs auteurs (Welzer-Lang, 1994 ; Saouter, 2000). Comment, en effet, créer un univers d’où les femmes sont exclues, en tant que partenaires égales, et en même temps ne pas être homosexuel ou sembler l’être aux yeux des autres ? Cependant, il n’est pas tout à fait exact de dire que les femmes sont totalement exclues des sports typiquement masculins comme le football américain ou le rugby. Elles ne le sont qu’en apparence. Au football américain, la présence des meneuses de claques montre bien la place qui est réservée aux femmes dans ces disciplines sportives : un rôle purement décoratif et accessoire soutenant les « mâles » sur le terrain occupés à combattre, faisant la vraie partie. Les contrastes sont souvent très marqués dans ces contextes : plus les rôles masculins sont empreints de traditionalisme, plus ceux des femmes le seraient aussi. Saouter (2000) et Thompson (1999) montrent que les femmes ont non seulement un rôle de soutien moral, mais aussi un rôle de soutien technique important dans les activités sportives des hommes. En effet, elles sont là en tant que mères, petites amies et épouses pour encourager « leurs hommes » lors des matchs et, le cas échéant, pour panser leurs blessures et laver leurs vêtements une fois le combat terminé. Elles effectueraient aussi le transport des troupes en passant un temps remarquable en tant que chauffeur, et ce, en particulier dans 60 le cas des mères (Thompson, 1999). Elles seraient également là en tant que groupies et femmes faciles après les matchs, où, en troisième mi-temps, la récompense du guerrier peut être d’ordre sexuel. Elles seraient donc là aussi pour garantir, en apparence du moins, le statut hétérosexuel des joueurs. Il faut, en effet, dissoudre les ambiguïtés possibles quant à une homosexualité potentielle des « guerriers » qui ne se retrouvent qu’entre hommes durant de longues périodes et souvent dans une grande intimité tant physique que sociale (Saouter, 2000 ; Welzar-Lang, 1994). Comment alors résoudre une contradiction possiblement majeure entre une intimité aussi grande pouvant sous-entendre une homosexualité cachée et une hétérosexualité parfaite ? Cette contraction se résoudrait en séparant les hommes en deux clans. Il y aurait, selon différents auteurs, deux groupes d’hommes distincts : les vrais hommes et les faux hommes (Falconnet et Lefaucheur, 1975; Welzer-Lang, 1994). C’est-à-dire ceux que l’on croit capables de se conformer aux rites sportifs et ceux que l’on ne croit pas capables de le faire. Selon cette division sociale des genres, qu’on tente souvent de faire passer pour naturelle, les gais ne seraient pas des hommes8. Les hommes gais sont ceux que l’on croit incapables de passer à travers les rites de la masculinité. Le service militaire, comme lieu de passage de la masculinité, exclut ceux que l’on croit homosexuels. Dans les Forces armées canadiennes, l’exclusion ouverte des hommes homosexuels a été révoquée en 19939, ce qui ne veut pas dire que sur le terrain tout soit « rose » pour autant (Hudon, 2004). Aux États-Unis, la politique de tolérance (don’t ask, don’t tell, don’t pursue)10 du président Clinton n’a jamais passé la rampe de l’État major (Bull, 2001) puisque plus de 25 000 soldats ont été expulsés des forces armées depuis 1993 en raison de leur orientation sexuelle (Burelli et Dale, 2005). Certains groupes d’hommes iraient même jusqu’à tenter de faire obstacle systématiquement aux candidats identifiés comme homosexuels afin de les empêcher de réussir le passage des divers rites, entre autres dans l’activité sportive, afin de pouvoir s’assurer qu’il n’y ait pas d’hommes homosexuels dans le groupe (Bean, 2004; Louganis, 1996; Pronger, 1990; Young et Duberman, 1994). Pour les sportifs, il serait insupportable qu’un homme homosexuel pût être l’égal d’un homme hétérosexuel. Greg Louganis (1996), médaillé d’or américain en plongeon, et Mark Tewksbury (2006), médaillé d’or canadien en natation, ont raconté dans leurs biographies et leurs témoignages qu’il leur avait été impossible de révéler leur orientation sexuelle avant d’être médaillés olympiques. S’ils l’avaient fait, disent-ils, cela aurait tout Nous paraphrasons Wittig (2000), à ce propos, qui affirme que les lesbiennes ne sont pas des femmes. Selon un document des Forces armées canadiennes, disponible sur leur site Web. 10 «Don't ask, don't tell don't pursue» (Ne demandez rien, ne dites rien). C'est la définition de l'attitude officielle des armées américaines à l'égard des homosexuels, tolérés à condition qu'ils ne fassent pas état de leur orientation sexuelle (Leymarie, 2007). 8 9 61 simplement mis fin à leur carrière; ils auraient été exclus de la compétition. Billy Bean, joueur de baseball canadien (Bean, 2004; Gross, 2003), Gleen Burke joueur de baseball américain, David Kopay et Jerry Smith, joueurs professionnels de football aux États-Unis, ont vu leur carrière prendre fin abruptement quand leur homosexualité a été révélée (Hogan et Hudson, 1999). Pronger (1990), de même que Young et Duberman (1994), ont rapporté de nombreux cas d’exclusion de personnes homosexuelles parmi des équipes sportives amatrices, professionnelles, universitaires ou olympiques. D’autres chercheurs, par exemple Jennings (1998) ou Sloan et Gustavsson (1998), ont aussi traité de ce sujet. Il semblerait que champions sportifs et homosexualité ne puissent cohabiter dans le même espace. Une fois l’homosexualité révélée, il s’opèrerait une révision à la baisse de la reconnaissance et du mérite. Notons comme autre exemple que l’armée américaine a fait de même en retirant leurs médailles de bravoure à ses héros de la guerre du Vietnam une fois leur homosexualité connue (Shilts, 1994). Encore une fois, sport et armée ont des règles en commun. Tout cela suggère, comme l’avait précisé Goffman (2002), que les traitements différents (par exemple l’existence de vestiaires pour hommes et pour femmes distincts) entre des catégories d’individus comme les hommes et les femmes ne sont pas mis en place après constatation de différence, mais bien pour fabriquer pareille différence de telle sorte que celle-ci soit comprise a posteriori comme une résultante de cette différence. 5.4.4.1 Les jeux de vestiaire Lors d’initiations ou de rites de vestiaires, les jeunes joueurs s’adonneraient à de nombreux gestes à caractère sexuel (Robidoux, 2001; Robinson, 1998; Saouter 2000; Welzer-Lang, 1994). Dans ces pratiques, les jeunes joueurs ne se contenteraient pas de comparer leurs attributs génitaux, mais ils iraient beaucoup plus loin. En effet, il arriverait que ces sportifs urinent les uns sur les autres ou encore mesurent la puissance de leur jet d’urine ou de sperme, ou la quantité qu’il leur ait possible d’émettre. Ces amusements, qui passent pour des blagues ou du simple « déconnage entre copains », s’apparenteraient en fait à une sorte de jeux « érotiques » voilés et surtout de jeux de domination; la révélation de l’homosexualité d’un des joueurs ferait cependant apparaître au grand jour ce que les joueurs préfèrent passer sous silence et garder dans l’ombre, abolissant du même coup toute l’innocence que les joueurs attribuent à ces pratiques. [Certains joueurs se confient :] « C’est vrai qu’on fait des choses en troisième mi-temps… qu’on préfère oublier le lendemain. » S’ensuivaient alors quelques confidences […] de leurs troisièmes mi-temps à Paris et des boîtes de nuit où ils prennent du bon temps avec des « Brésiliennes » qui sont en fait des « Brésiliens » (Saouter, 2000 : 119-120). 62 Parmi ces jeux, un rite tribal serait particulier. Il s’agit de celui de la toast11. Dans ce rituel, les membres de l’équipe se placent en rond et se masturbent au-dessus d’une tranche de pain grillé; celui qui éjacule en dernier a l’obligation de la manger (Bouton, 2002; Kane et Disch, 2002). Sociologiquement, ce rite est proche de celui que pratiquent les Sambias ou les Barouyas. En effet, chez ces peuples de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les jeunes hommes acquerraient une partie de la virilité des plus vieux en avalant leur sperme lors de fellations rituelles (Godelier, 1996; Herdt, 1982, 1984, 1994). Il est possible de penser que dans la symbolique de ce jeu, le joueur de l’équipe qui éjacule le moins vite serait réputé moins viril que les autres et ait besoin de s'approprier une partie de la virilité des hommes qui ont éjaculé avant lui. Dans cette logique, éjaculer rapidement est un signe de virilité, de domination et de puissance selon les règles de la masculinité hégémonique. Absorber le sperme des autres serait aussi une forme de punition pour avoir été plus faible que les autres. À la lumière de l’étude de Saouter (2000), nous pourrions suggérer le questionnement suivant. La présence simultanée d’activités homosexuelles et l’homophobie manifeste des joueurs semblerait paradoxale. En effet, chaque participant d’une équipe se devrait d’être hétérosexuel. Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté quant à l’orientation sexuelle des joueurs, il faudrait exclure à tout prix les garçons homosexuels, ou en non-conformité de genre, des vestiaires et donc de l’équipe. L’homophobie manifeste permettrait aux joueurs d’affirmer leur statut de vrai homme hétérosexuel et d’annuler la dimension homosexuelle de leurs actes. Il s’opèrerait donc une dissociation entre la symbolique de leurs actes réels et le sens que les joueurs lui donneraient. En fait, on pourrait suggérer que la clé aplanissant la contradiction reposerait sur les concepts de masculinité hégémonique. Les rituels impliquant la génitalité ne serait non pas homosexuels, mais plutôt des rituels de domination absolue des hommes les plus conformes envers ceux qui le sont moins. Le fait que ce type de tradition d’absorption du sperme existe dans des sociétés si éloignées géographiquement et (en apparence) culturellement en révélerait plus sur la domination d’un genre (masculin) sur un autre que sur une éventuelle homosexualité universelle, bien que celle-ci ne soit pas à nier non plus. Ces manifestations de genre seraient une expression ritualisée de la masculinité hégémonique et d’une homosexualité potentielle (ou partielle) des participants. Ce dernier cas [une histoire au parfum de scandale entre des rugbymen et des visites dans le bois de Boulogne ou des boîtes pour homosexuels] est du reste ambigu. Le discours dominant des rugbymen condamne en effet l’homosexualité avec véhémence. La sentence est parfois exécutée, et il arrive que s’improvisent des « chasses aux pédés ». En fait, tout se passe comme si le sentiment plus ou moins conscient de la confusion possible 11 Tranche de pain grillé. 63 que leurs relations peuvent faire naître chez l’observateur engageait les rugbymen dans une logique préventive : donner par leur violence exercée à l’égard des homosexuels les gages d’une sexualité « normale » (Saouter, 2000 : 120). Pourtant, dans les faits, on retrouve des joueurs homosexuels parmi les répondants rencontrés par Pronger (1990) et Saouter (2000). L’analyse que fait Saouter (2000) de la situation mérite que l’on s’y attarde, étant donné la clarté de son explication. Il y aurait une dissociation symbolique entre les actes et l’identité. La forte résistance du groupe à parler des joueurs homosexuels […] me paraît être une protection d’ordre symbolique. Elle évite ce qui pourrait favoriser une dissonance dans le processus de gestion de l’homosexualité : comment jouer à faire semblant avec quelqu’un qui ne ferait pas semblant ? Le tabou de l’homosexualité dans le rugby ne résulte donc pas d’un jugement moral sur une éventuelle déviance (puisque les joueurs homosexuels sont normalement intégrés), mais de la peur de ne pouvoir vivre une relation homosexuée sans que celle-ci devienne, ou soit jugée, homosexuelle. Ce tabou est si fortement ancré dans les esprits et, indissociablement, l’image de la virilité tellement affirmée, que les individus se conforment, dans le paraître et dans les discours, aux stéréotypes de cette virilité (Saouter, 2000 : 126). Saouter pose une question des plus intéressante : comment faire semblant avec quelqu’un qui ne fait pas semblant ? C’est pourquoi tout le monde fait semblant, sans quoi le jeu ne tiendrait plus et s’arrêterait. Nous pensons que ces manifestations d’homophobie et de « faire semblant » constituent un évitement social de l’homosexualité. Elles seraient mises en place pour rendre acceptable, pour le groupe, ce qui ne le serait pas autrement. L’identité hétérosexuelle autodéclarée des joueurs serait une « stratégie des acteurs sociaux » (Bourdieu, 1994; Crozier et Friedberg, 1977) ou une parade (Goffman, 1988, 2002) pour maintenir une forme de statut et de capital social. Pour le garçon arrivé à l’âge adulte, le vestiaire revêt une symbolique différente. Les réactions homophobes s’atténueraient souvent une fois passée la crise identitaire de l’adolescence. La présence possible de gais ne génèrerait plus autant d'angoisse ou d’homophobie. C’est parmi les hommes de plus de 25 ans, ou parmi ceux qui ont commencé à pratiquer un sport d’équipe une fois à l’âge adulte, qu’il serait possible de rencontrer les points de vue les plus modérés au sujet de la présence d’hommes homosexuels dans le vestiaire. C’est aussi après 25 ans que les jeux à caractère sexuel y seraient moins présents (Hite, 1983). Voyons maintenant en résumé ce que nous venons de voir. 64 6 LES OBJECTIFS DE LA RECHERCHE La recherche sur le genre masculin est assez récente en comparaison à la recherche féministe. Les recherches actuelles tendent à montrer que le genre est un facteur important dont il faut tenir compte en intervention. En effet, les services offerts actuellement seraient peu adaptés à la « clientèle » masculine et à ses besoins. Les hommes eux-mêmes vivraient des problématiques inhérentes à leur apprentissage social de leur rôle de genre, problématiques qui interfèreraient avec leur demande d’aide quand encore ils en font une. C’est ainsi que l’on peut déterminer deux avenues dans l’analyse des problématiques des hommes et des services sociaux. D’une part, les services sociaux ne seraient pas bien adaptés pour recevoir les demandes d’aide provenant des hommes plus traditionnels, étant donné qu’ils semblent avoir des difficultés à reconnaître leurs besoins et à les exprimer adéquatement. De plus, ces hommes ne comprendraient pas comment s’adresser aux services et tarderaient trop souvent à le faire. Il est donc important de mieux comprendre la construction du genre masculin si l’on souhaite développer une intervention qui permette à la fois de modifier les services offerts et de mieux comprendre les hommes eux-mêmes dans leur diversité. Connell (2003) précise qu’il est important de tenir compte des facteurs de diversité, car une intervention mal arrimée pourrait être inefficace voire provoquer des effets iatrogènes. Diversité, car la recherche montre que malgré un modèle hégémonique reposant sur la subordination ou sur la marginalisation (de tous ceux qui ne cadrent pas avec le modèle attendu de masculinité) et la complicité (entre les hommes, afin de maintenir l’hégémonie du modèle traditionnel), les hommes peuvent tout de même vivre une forme de variabilité dans l’expression de leur masculinité, dans la mesure cependant où cette variabilité reste à l’intérieur des limites de ce modèle hégémonique. Ce modèle hégémonique a des conséquences non seulement sur l’ensemble des acteurs sociaux, mais surtout sur les hommes eux-mêmes. Les hommes plus traditionnels se retrouveraient coincés dans une tension de rôle de genre qui leur ferait vivre une restriction des émotions et de leur sexualité, une socialisation par le contrôle, le pouvoir et la compétition, une négligence de leur santé ainsi qu’une peur du féminin qui engendreraient de nombreuses manifestations d’homophobie notamment. Une question importante demeure. Sur quel plan intervenir et auprès de quels hommes ? Le sport semble un terrain privilégié parce que c’est là que l’on retrouve beaucoup d’hommes durant les années les plus importantes de la construction de leur genre. En effet, presque les trois quarts (71,5 %) des hommes de 15 à 24 ans au Québec pratiquent un sport plus de 65 trois fois par semaine (Pleau, 2000). La recherche sur le sport montre qu’il s’agit d’un monde empreint de rituels et de lieux où le genre s’exprime et se construit de manière uniforme. De plus, c’est dans les groupes sportifs que l’on retrouve le plus d’expressions d’homophobie et, paradoxalement, le plus de rituels homosexués. Cette contradiction à elle seule mérite une recherche approfondie. Soulignons également que le sport a été ciblé par plusieurs (Rondeau et al, 2004; Tremblay et al, 2005) comme terrain privilégié pour développer des programmes de prévention. Tout porte à croire qu’il serait possible de mieux comprendre le genre masculin en tenant compte des facteurs diachroniques de sa construction à travers l’activité sportive. C’est à la lumière de tous ces faits que nous avons réalisé une recherche de terrain qui a pour objectif d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes pratiquant un sport individuel ou collectif. Les sous-objectifs suivants seront particulièrement abordés : 1— Mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes. 2— Mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé. 3— Explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive. 4— Explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants. 66 7 7.1 CADRE THÉORIQUE Les théories de référence Cette partie présente le cadre théorique de référence utilisé dans l’analye de la problématique de la construction du genre masculin et dans l’analyse des données de la recherche ellemême et ce qui sous-tend la méthodologie (expliquée dans la section suivante). Il sera vu les notions de constructivisme, d’interactionnisme, de représentation sociale. 7.1.1 Le constructivisme Constructiviste, notre cadre théorique est dérivé à la fois de l’interactionnisme symbolique et de l’ethnométhodologie tout en étant influencé par les approches de Connell (2005), Pleck (1982, 1995) et O’Neil, Good et Holmes (1995). L’apport central de ces approches met l’accent sur la construction sociale des normes et de leurs déviances, ainsi que sur les réactions qu’elles suscitent sur les plans personnel et collectif. Cette perspective présente l’originalité de s’intéresser non pas uniquement à la fabrication ou à l’imposition des normes, mais aux conditions et aux mécanismes qui font en sorte que certains comportements ou certains individus sont étiquetés comme « normaux » et d’autres comme « déviants » et, de ce fait, les premiers deviennent modèles dictant la norme et les seconds, constituant un antimodèle, deviennent victimes d’intolérance, cela particulièrement en matière de genre. Nous partons du postulat constructiviste selon lequel l'identité en général, et l’identité de genre en particulier, ne relèvent pas de l'essence de l'être, mais d'un bricolage quotidien produit par l’entremise de rapports sociaux comme l'ont montré Becker (1985), Belotti (1974), Burke (1997), Dorais (1991a, 1999) Fausto-Sterling (2000), Goffman (1974, 1975, 2002), et aussi Lamoureux (1998) et Wittig (2001) dans leurs travaux qui traitent plus spécifiquement de la construction du genre. 7.1.2 L’interactionnisme et l’ethnométhodologie Comme l’écrit Poupart : Les interactionnistes s’interrogent sur le sens que les acteurs donnent à leur situation et à leurs actions, sens jugé essentiel pour comprendre leurs conduites sociales. Pour les interactionnistes également, les identités sociales et les statuts sociaux sont socialement transmis et socialement transigés à travers les interactions sociales. Pour les interactionnistes en effet, la conception que l’on a de soi (notre identité) et la conception que l’on a des autres (la manière dont nous les percevons et le sens que nous attribuons à leurs ac- 67 tions) se négocient en cours d’interactions et en fonction des contingences et des contraintes des situations (Poupart, 2001: 82). Il existe entre les acteurs sociaux un espace de rencontre — la société — qui permet l’élaboration d’un sens à leurs actions. Ces actions se déroulent dans des lieux avec des acteurs sociaux. Selon cette approche, la société peut être vue comme une pièce de théâtre que le sociologue analyse. Goffman et Becker12 sont les deux grands tenants de cette approche sociologique. Ils sont ceux qui nous inspirent et même nous servent de modèle. Dans les recherches que nous avons effectuées sous la direction de monsieur Michel Dorais, tant dans Mort ou fif (2001), Travailleurs du sexe (2003) et Les coureurs des villes (2004), Goffman et Becker n’ont cessé de nous guider dans la façon de travailler et sur la manière de comprendre la réalité des répondants rencontrés. L’interactionnisme regroupe un ensemble d’approches constituant les interactions entre acteurs comme élément explicatif fondamental des formes et des structures concrètes des situations et des systèmes. Spécifiquement, l’interactionnisme symbolique est un courant privilégiant les significations spontanément élaborées par les acteurs au cours de ces interactions (Akoun et Ansart, 1999 : 290). Quant aux ethnométhodologues, ils s’appliquent à étudier les « méthodes », ces dernières étant comprises comme Divers procédés par lesquels les membres d’une communauté construisent leur réalité et la réalité des autres dans le cours de leurs activités quotidiennes. Leur apport va être déterminant, notamment dans l’analyse des processus de catégorisation, c’est-à-dire la manière dont aussi bien les profanes que les différents groupes d’experts au sein d’organisations s’y prennent pour définir et cataloguer les diverses catégories de déviants (Poupart, 2001 : 83). Une telle perspective met l'accent notamment sur ceux qui servent de modèles et sur la stigmatisation de ceux qui dévient des normes ainsi que sur les mécanismes de régulation qui participent à cette stigmatisation. 7.1.3 La représentation sociale La notion de représentation sociale est explorée dans le cadre de cette recherche. Nous utilisons cette notion dans l’analyse des propos des répondants et tentons de comprendre comment ils utilisent, dans la réalité, leurs représentations sociales, et comment ces représentations influencent leur construction identitaire. Une représentation sociale est un processus et non un objet statique. Les acteurs sociaux transforment les objets de leur réalité (person12 Nous faisons référence ici à l’ensemble de leurs œuvres. 68 ne, institution) par des représentations qui changent les interactions qu’ils ont les uns avec les autres, mais aussi avec les objets. Ce nouveau sens influence les valeurs, les idéologies ou les croyances sociales. La représentation sociale est un processus d’élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, contextes, situations) en catégories symboliques (valeurs, croyances, idéologies) et leur confère un statut cognitif permettant d’intégrer les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites à l’intérieur des interactions sociales (Fischer, 1987 : 118). De Durkheim à Goffman, en passant par Weber, Piaget ou Freud, les représentations sociales ont occupé une place importante dans les sciences humaines et en particulier en sociologie. Les représentations sociales sont des constructions intériorisées d’une interprétation d’un objet réel ou abstrait, notamment de la masculinité. La représentation sociale régit la relation de l’individu au monde et à la société. Elle influence l’apprentissage, la construction des identités personnelles ou collectives, les transformations sociales, les attitudes et les comportements. Les représentations sociales ont aussi une fonction normative de reproduction des normes et des règles sociales. Elles nous dictent ce à quoi ressemble un homme et ce à quoi il ne ressemble pas (Jodelet, 1997). L’image a force dans le social, qu’elle soit réelle ou non. Le terme désigne le plus souvent une représentation visuelle alors qu’il s’applique aussi aux représentations mentales analogiques ainsi qu’à des représentations concernant nos autres sens (Mucchielli, 2002 : 209). Durant les entrevues, des thèmes touchant à la représentation sociale de la masculinité sont abordés. Il est possible de discuter longuement de notions de masculinité; mais à quoi ressemble un homme en fin de compte ? Comment, concrètement, les images de l’homme, « le vrai », se sont-elles manifestées chez les répondants ? C'est pourquoi nous avons favorisé certains thèmes dans la grille d’entrevue. Plus particulièrement, le thème 11 touchant les idoles sportives13, le thème 12 touchant les héros de bandes dessinées, le thème 31 demandant « qu’est-ce qu’être un homme ? », le thème 33 touchant les caractéristiques physiques, le thème 39 à propos de l’allure efféminée et la question 47 qui demande aux répondants de se donner une cote sur une échelle de 1 à 10, 10 représentant le maximum de la masculinité. De plus, à la fin des entrevues, des photos ont été présentées aux répondants afin de mieux comprendre les représentations sociales de la masculinité en images réelles. De cette manière, nous tentons de comprendre l’imaginaire des répondants pour savoir à quoi res- 13 Voir la grille d’entrevue à l’annexe 1. 69 semble un homme, dans quelles activités on le retrouve, quels sont les vêtements, ses attitudes, etc. ? L’imaginaire peut être compris [comme] l’ensemble des images mentales accumulées par l’individu au cours de sa socialisation, mais aussi [comme] le stock d’images et d’idéations dont se nourrit toute société (Mucchielli, 2002 : 93). Cette recherche veut comprendre leurs représentations de la masculinité qu’ils valorisent et tentent d’atteindre. Elle veut aussi toucher les représentations sociales du masculin les plus répandues dans la société, les valeurs et les images qui ont été véhiculées, valorisées et imposées comme normes aux répondants, et auxquelles ils tentent de correspondre ou de s’éloigner. Pour cela il faut choisir une méthode qui permette de la faire. Nous avons utilisé la méthodologie présentée dans le chapitre suivant. 70 8 8.1 MÉTHODOLOGIE Échantillonnage Dans le but d’uniformiser l’échantillonnage pour cette étude, les jeunes hommes rencontrés ont pratiqué au moins une activité sportive de manière assidue durant une période d’au moins deux ans. Les répondants sont des membres ou d'ex-membres d’équipes amateures ou semi-professionnelles, soit dans les ligues mineures ou majeures, ou encore les ligues scolaires, collégiales, universitaires ou olympiques. L’activité sportive et son rôle dans la socialisation masculine a servi à mieux comprendre le renforcement ou l’invalidation du sentiment de masculinité chez ces adeptes. Pour la réalisation de ce projet, 22 hommes s’adonnant à une activité sportive de façon assidue ou l’ayant fait, âgés de 18 à 29 ans au moment de l’entrevue, ont été rencontrés individuellement dans le cadre d’entrevues semi-dirigées. Pour recruter les répondants, une affiche a été collée sur les différents tableaux d’affichage de l’Université Laval, principalement au Pavillon de l’Éducation physique et des sports (le PEPS). De plus, cette affiche a été publiée sous forme d’annonce ou incluse à l’intérieur de courts publireportages (sur le démarrage de cette recherche) dans certains journaux ou revues spécialisés tels que le magazine RG et Corps et âme. Par ailleurs, des équipes de jeunes hommes sportifs ont été rencontrées avec la collaboration de leurs entraîneurs, telles des équipes de football, de volley-ball et de hockey universitaires et des regroupements d’organisateurs tels que Équipe Montréal 2006 14. Une affiche a également été apposée dans la salle de musculation du PEPS. De plus, des contacts directs ont été faits avec des équipes sportives comme celles appartenant à des cégeps ou à des centres sportifs et récréatifs. Le but de toutes ces rencontres a été de solliciter directement des répondants en leur expliquant en quoi consistait cette recherche. Les possibilités d’avoir des répondants ont ainsi augmenté. Enfin, les centres sportifs d’activités individuelles, tels que les centres Nautilus, nous ont autorisé à exposer, bien à la vue dans leurs locaux, l’affiche de recrutement. De cette façon, les sportifs qui ne sont plus membres d’aucune équipe ont été informés de l’existence de notre recherche et ont été invités à y participer. 14 Équipe Montréal 2006 était le regroupement officiel de toutes les équipes sportives qui ont participé aux Outgames de 2006 à Montréal. 71 8.2 Collecte de données Les entrevues ont été enregistrées — avec le consentement écrit des répondants —, afin de permettre une transcription textuelle des entretiens. Durant ces entrevues, d’une durée d’environ 90 minutes, des questions ouvertes sur divers aspects de leur vécu ont été posées aux répondants en rapport avec la perception du sport pratiqué, de leur identité de genre et celle de leurs pairs. Nous avons suivi les répondants dans leurs propos afin de leur permettre le plus de latitude possible pour obtenir une plus grande exhaustivité de leurs propos. À la fin des entrevues, de brèves mises en situation ont eu lieu dans le but de susciter des réactions et des commentaires complémentaires à propos de photos suggérant soit la masculinité traditionnelle, soit des conduites homophobes ou efféminophobes, soit l’homosexualité ou la féminité chez un homme ou enfin des situations d’initiation d’équipes sportives. Les entrevues se sont déroulées sur une période de 10 mois soit de janvier à octobre 2003. Il est important de préciser que l’annexe 2, au point 13.2, présente une grille d’entrevue détaillée. La présentation d’une telle grille peut sembler contradictoire avec les principes de la méthode d’entrevues semi-dirigées proposée dans cette recherche. Cette grille d’entrevue a été créée pour répondre aux exigences du comité d’éthique. Nous tenons à préciser aux lecteurs que bien que respectant les normes du comité d’éthique, les questions de la grille d'entrevue n'ont pas fait l'objet d'une application systématique, mais ont plutôt été utilisées comme points de repère pour explorer les différentes facettes de la réalité des personnes interrogées. Ainsi, une grande partie des questions n’ont pas eu à être posées directement tout simplement parce que celles-ci avaient été répondues grâce à l’exhaustivité des propos des répondants. Vers la fin de la recherche, l’organisation de rencontres individuelles avec des sportifs aux profils similaires à ceux des répondants initiaux a permis de confronter nos résultats préliminaires. Parallèlement à ces entrevues, d’autres rencontres ont eu lieu avec des informateurs clés ne faisant pas partie de l’échantillonnage. Ces répondants sont des parents et des amis de joueurs et enfin des entraîneurs. Ces rencontres ont eu lieu dans le but de mieux cibler les répondants potentiels et de mieux connaître le milieu du sport. Des ententes ont aussi été faites avec une équipe universitaire de football et une équipe universitaire de hockey afin que nous puissions assister à un certain nombre de pratiques durant neuf mois et faire de l’observation, nourrir notre réflexion et alimenter les entrevues avec les membres de ces équipes. Non seulement les joueurs ont été rencontrés en groupe, mais notre présence fréquente a désamorcé les appréhensions que les joueurs auraient pu avoir à notre égard, facilitant notre contact avec eux. 72 8.3 L’observation L’observation a été nécessaire à l’accomplissement de cette recherche. Bien que n’ayant pas vécu au quotidien avec les sportifs, nous n’avons pas fait d’observation participante au sens strict, mais notre travail d’observation se rapproche de cette méthode puisque nous avons fait parfois de l’observation participante dans un gymnase de musculation et d’autres fois de l’observation auprès d’équipes sportives. En effet : La compréhension d’une culture différente de la sienne nécessite de pénétrer dans le groupe de l’intérieur, de s’imprégner des catégories mentales de ceux que l’on étudie et cette entreprise se mène au prix d’une longue familiarité, d’une confiance réciproque. Les ethnologues s’accordent à penser que l’observation participante se définit comme un apprentissage et comme un dispositif de travail. C'est en partageant même temporairement le quotidien du groupe étudié que le chercheur peut tenter de dépasser le rapport déséquilibré de l’enquêteur à son objet d’étude (Mucchielli, 2002 : 46). C’est ce que nous avons fait d'une part avec l’équipe de football et l’équipe de hockey par notre présence durant leurs entraînements neuf mois durant. De plus, une observation de même type a été faite à la salle de musculation d'un centre sportif durant deux ans. Cette présence fréquente était essentielle pour nous familiariser avec le milieu fréquenté par les sportifs et vaincre les résistances du milieu. Elle a en outre favorisé l’ouverture des joueurs envers le chercheur, de sorte qu’avec le temps ce dernier a cessé d’être un étranger et a gagné leur confiance. De même, les joueurs ont cessé de se sentir observés et ont laissé libre cours à leurs activités et comportements habituels. Ainsi : L’observateur doit apprendre qu’il n’observe probablement jamais le comportement qui aurait eu lieu en son absence. L’immersion prolongée a pour objet de diminuer ce risque de transformation de la réalité (Mucchielli, 2002 : 147). L’observation participante favorise les confidences des joueurs, mais apporte aussi, comme le précise Mucchielli (2002), des éléments qui nourrissent les entrevues avec les répondants. Par l’acte d’observation du détail, que ce soit par le regard ou toute autre technique telles que l’écoute, la consultation d’archives ou le partage du quotidien, l’ethnologue en situation d’immersion dans le groupe est à même d’enregistrer des phénomènes qui n’auraient pas surgi dans les entretiens, que ce soit par omission intentionnelle ou non des informateurs, mais l’observation permet également de repérer les écarts qui peuvent se manifester entre ce que l’on dit faire et ce que l’on fait (Mucchielli, 2002 : 147). 73 Tel que le mentionne Mucchielli (2002), l'ethnologie offre des outils plus qu'intéressants. Nous avons observé les interactions entre les joueurs : leurs paroles, leurs gestes, leurs attitudes et tous comportements qui semblaient significatifs ou apparaissaient comme caractéristiques. Il y a eu prise de notes, de photos, mais aussi enregistrements. Tous les éléments trouvés ont servi lors de l’analyse et lors des entrevues avec les joueurs. Pour toutes ces raisons, notre présence durant neuf mois aux entraînements, notamment ceux de l’équipe de football universitaire fut nécessaire et enrichissante. Nous avons aussi assisté aux matchs disputés par l’équipe, afin de continuer à partager avec elle son vécu, de nous imprégner au maximum de l’esprit qui règne parmi les joueurs et de compléter notre analyse avec le plus d’éléments possible. 8.4 Analyse des données Toute l’analyse de cette recherche s’appuie sur la méthode de la construction empirique de la théorie (aussi appelée théorisation ancrée et ci-après désignée « CEDLT ») et de l’induction analytique. Cette double méthode s’inspire des principes théoriques et méthodologiques développés par Glaser et Strauss (1967), ainsi que par Glaser (1978), par Strauss (1987), Strauss et Corbin (1990), Turner, B. P. (1981) et Holliday (2002). Nombre de recherches ont déjà été menées avec succès dans cette perspective, notamment celles effectuées par Dorais (1991, 1997, 1998, 2000, 2002, 2004). Le but de cette méthode est de générer des concepts, des hypothèses, voire une certaine théorisation à partir de l’étude sur le terrain. Rappelons que la CEDLT ne vise pas à vérifier des théories existantes (c’est pourquoi le projet ne comporte, au sens strict, aucune hypothèse à vérifier), mais au contraire vise à générer et à étayer de nouvelles hypothèses, voire de nouvelles théorisations, à partir des données empiriques recueillies sur le terrain. La méthode d’induction analytique, quant à elle, complète bien la CEDLT en exigeant des chercheurs qu’ils remettent constamment en question, au fil des nouvelles données recueillies, les représentations de la réalité qu’ils se faisaient jusque-là. Autrement dit, une fois qu’une certaine saturation ou convergence de données émerge, le chercheur s’applique à confronter ces éléments de saturation avec les nouvelles données recueillies, examinant en particulier les « cas négatifs » qui contrediraient plus ou moins les analyses précédentes, ce qui contribue au raffinement de l’analyse. C’est par la comparaison constante et systématique (analyse transversale) des données qu’émergent les constantes et les divergences présentes dans les phénomènes étudiés. Par la suite, des catégories conceptuelles ont été délimitées, cela jusqu’à saturation, c’est-à-dire jusqu’à ce que toutes les catégories conceptuelles qui émergent, anciennes et nouvelles, se 74 recoupent. C’est cette recherche de saturation des données qui contribue à la scientificité de cette méthode. Élaboration de catégories conceptuelles à partir des données, formulation d’hypothèses sur la nature de ces catégories et sur les liens qui existent entre elles, vérification de ces hypothèses à partir de nouveaux cas (y compris des cas limites, susceptibles de contredire la théorisation émergente), voilà autant d’étapes caractéristiques de la CEDLT, qui visent idéalement à dépasser la dimension purement descriptive, pour parvenir à une modélisation, voire une théorisation de la réalité étudiée. Ainsi, nous pourrions dire que la deuxième entrevue est influencée par la première et la troisième par la deuxième et ainsi de suite jusqu’à l’obtention d’une saturation de données. 8.5 Validation Sera présentée ici l’argumentation théorique permettant d’assurer la validité de cette recherche. Comme le mentionne Mucchielli (1991), les critères de validation en recherche qualitative sont : l’acceptation interne, la complétude, la saturation, la cohérence interne et la confirmation externe. Nous avons eu recours à l’acceptation interne de deux façons. Premièrement, le milieu étudié a accepté la recherche et ses résultats quand nous les leur avons présentés. En effet, l’acceptation interne est « le fait que le chercheur, sa recherche et ses résultats sont acceptés par les acteurs, le groupe… ceux à qui il a affaire dans sa recherche et ceux sur qui porte sa recherche » (Mucchielli, 1991 : 111-112). Nous avons partagé et confirmé les résultats préliminaires de la recherche avec des informateurs clés (entraîneurs sportifs) et des jeunes hommes n’ayant pas participé à l’enquête, mais présentant un profil similaire à celui des répondants. Tous ont semblé en accord avec les idées avancées. Ils confirmaient que la vision que nous avions de la réalité des sportifs était exacte. Selon Mucchielli, le chercheur est partie prenante de la recherche et en est l’instrument, le prolongement. Le chercheur est nécessairement impliqué dans la recherche et il est actif dans le maniement de l’instrument de recueil des données. La technique qu’il utilise […] est indissociable de sa manière d’être. Cette technique est un prolongement de lui-même. Le chercheur est partie prenante de l’instrument (Mucchielli, 1991 : 21). Ce niveau est surtout valide pour les joueurs d’équipe. En effet, notre présence auprès des équipes sportives était connue et acceptée par les joueurs. Nous avons participé, avec le consentement des entraîneurs et des joueurs, aux entraînement de football et de hockey. Mucchielli reconnaît que le chercheur lui-même est un objet de mésinterprétation et un obstacle. Toutefois, comme nous l’avons mentionné précédemment, notre présence prolongée (par l’observation) aux entraînements de l’équipe de football et de hockey universitaire et en 75 salle de musculation, notamment, a pallié cette difficulté. Elle constitue une forme d’apprivoisement et permet une acceptation du chercheur par les sportifs rencontrés. Le chercheur étant son propre instrument de collecte des données, sa présence est bien entendu un biais et un obstacle. Les participants à la recherche réagissent à sa présence. Le chercheur doit se faire accepter, faire oublier sa présence afin de neutraliser le plus possible les mécanismes de défense. Les possibilités d’acceptation de la présence d’un étranger observateur sont naturellement liées à la qualité de contact que peut établir le chercheur avec le groupe (Mucchielli, 1991 : 112). Il faut également faire preuve de transparence et rassurer les répondants quant à la raison de la présence du chercheur, à l’authenticité et aux objectifs de la démarche. La raison de notre présence aux entraînements et aux matchs était toujours très clairement définie par le chercheur et par les entraîneurs. La complétude réfère au fait qu’il ne manque rien à la recherche, aux résultats, mais elle veut également dire que les résultats soient présentés de façon cohérente et qu’ils permettent une compréhension globale. La complétude est atteinte quand l’explication des résultats maximalise une grande variation entre les catégories d’analyse, en utilisant le plus petit nombre de concepts. La complétude vise aussi à obtenir un résultat maximalisé le plus exhaustif, en discutant des résultats préliminaires avec d’autres chercheurs et intervenants spécialisés dans l’une ou l’autre des questions traitées. Les différentes composantes de la complétude ont été atteintes au cours de cette recherche, une grande variation entre les catégories d’analyse en n’utilisant qu’un minimum de concepts comme celui de la masculinité hégémonique. De plus, les résultats ont été longuement discutés avec d’autres chercheurs et intervenants. Quant à la saturation, comme nous l’avons souligné précédemment, elle est déjà un élément clé de la méthode d’analyse retenue. La saturation est le phénomène qui fait qu’au bout d’un certain nombre d’entrevues ou de consultations, plus aucun élément nouveau n’apparaît. C’est le moment à partir duquel il devient inutile de faire de nouvelles entrevues. En nous basant sur les recherches précédentes que nous avons faites, nous pensons que les 22 entrevues réalisées suffisent à atteindre la saturation, car au-delà des 18 premières, aucune nouvelle donnée ne nous est apparue. Dans une autre perspective, Mucchielli affirme que « la saturation constitue un signal de la représentativité des données » (Mucchielli, 2002 : 204). La saturation permettrait donc une forme de généralisation. Le sens est complet et épuisé. La recherche de cohérence interne se manifeste notamment à travers l’effort pour arriver à une modélisation théorique logique et plausible des résultats obtenus, afin de présenter ces résultats de la façon la plus claire, la plus simple et la plus dynamique possible. Elle est l’un des critères les plus importants de la crédibilité et de la logique d’une 76 recherche. « Elle peut être atteinte par la vérification par d’autres personnes de la rigueur d’application des règles d’analyse, de traitement et d’interprétation » (Mucchielli, 2002 : 25). La supervision des directeurs de thèse et du comité de thèse permet l’atteinte de la cohérence interne. Dans un autre ordre d’idées, Mucchielli (2002) précise que la cohérence interne est au cœur des caractéristiques du courant théorique de l’interactionnisme symbolique. Quant à la confirmation externe, « [elle] correspond à la capacité du chercheur d’objectiver les données recueillies » (Mucchielli, 2002 : 35). Elle se fait en préparant des schémas d’entrevues, en faisant se recouper des méthodes de cueillette de données, en se référant à des personnes extérieures à la recherche (les directeurs de thèse, le comité, des informateurs clés tels que des parents et amis des sportifs, entre autres) et en effectuant des ponts entre les écrits scientifiques existants et les résultats de la présente recherche lorsque apparaissent des liens entre cette étude et d’autres études du même type. 8.6 Les limites de cette recherche Le fait de questionner le genre est déjà en soi une limite pour de nombreux hommes. En effet, l’identité masculine et la masculinité ne se questionnent pas, elles sont. Les hommes, affirme Chamalidis (2000), ne sont pas un sujet social. Questionner le genre chez les hommes éveille souvent le spectre de l’homosexualité. L’affiche de recrutement des répondants (voir annexe 4) a suscité des réactions homophobes chez certains hommes. Les grands espaces blancs de l’affiche ainsi que son format (11 X 17) ont été planifiés de façon à faciliter l’écriture de graffitis. C’était une façon d’aller chercher des données supplémentaires. Les réactions à l’affiche et au sujet de cette recherche sont conformes aux résistances notées par Dulac (2001) quand le sujet de la masculinité est énoncé. Certains groupes d’hommes sportifs à qui l’affiche a été présentée par une autre personne que le chercheur y ont vu un « recrutement potentiel pour gais ». D’autres auraient eu peur que ce soit une « attrape » et qu’on les étiquette comme gais ou qu’on leur dise qu’ils soient gais durant l’entrevue. Ces réactions tendent à confirmer que le questionnement sur la masculinité amène souvent méfiance, défiance et soupçons de la part des hommes, notamment à propos de l’orientation sexuelle. La portée relativement exploratoire de cette recherche permet difficilement d’en mesurer toutes les limites. Il appert que l’échantillon de cette étude est restreint — ce qui est le propre de la plupart des recherches qualitatives —. Il s’agit de jeunes hommes vivant au Québec seulement. Cependant, ils proviennent de toutes les régions du Québec et non d’une seule ville. C’est donc un portrait de jeunes hommes venus de partout qui se dresse ici. Malgré les arguments de représentativité évoqués lors de l'élaboration du concept de saturation, il pourrait ne pas être représentatif de l’ensemble du groupe étudié et la généralisation à tous les 77 sportifs est bien peu probable. La confrontation ou la duplication ultérieures (par d’autres chercheurs ou intervenants) des résultats obtenus permettra d’en évaluer la transférabilité ainsi que le degré de généralisation possible. 8.7 La préentrevue Une préentrevue a été effectuée pour mettre au point la grille d’entrevue utilisée. Elle a été testée avec un répondant, sportif de haut niveau, étudiant au doctorat. Ajoutées à son expérience empirique et personnelle du monde du sport traditionnel, les connaissances et l’expertise de ce répondant (relativement à l’homophobie) en faisaient un choix justifié. La pertinence de chaque question et de chaque thème abordé, ainsi que la manière de les présenter aux répondants, a été évaluée. De plus, une vérification croisée a permis d’assurer que tous les thèmes répondaient à l’un des objectifs. Les thèmes ont été classés dans un ordre logique et approprié pour l’obtention d'un maximum d’information de la part des répondants. Toutes les questions et les thèmes de la préentrevue et de la grille finale ont été discutés et évalués avec le directeur de thèse et le comité d’examen de doctorat II. La grille d’entrevue (en annexe 2), conçue comme un guide et non comme un questionnaire rigide (en conformité avec la CEDLT), a ensuite été soumise, tout comme le reste du projet, au comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval, lequel comité l’a acceptée. 8.8 Retombées prévues et transfert des connaissances Il nous est possible, par nos entrevues et mises en situation, de mieux comprendre la logique ou certains parcours types de la construction de l’identité masculine chez les hommes interrogés. Dans le domaine de la santé et des services sociaux, le développement de telles connaissances permet de favoriser une intervention à la fois non sexiste et soutenante auprès des garçons et des jeunes hommes, non seulement dans les écoles, les centres jeunesse ou les maisons de jeunes, mais aussi dans les centres d’intervention pour hommes aux comportements violents. Par cette recherche, nous voulons contribuer à donner aux intervenants de la santé et des services sociaux de meilleurs moyens pour comprendre la construction sociale de l’identité masculine, et mettre ainsi à leur disposition des outils pour mieux aider ceux qui, parmi leur clientèle, se sentent « mal dans leur peau » en raison de leur différence ou, à l’inverse, sont intolérants envers le non-conformisme de genre ou la variation de l’orientation sexuelle. Les résultats de cette recherche seront diffusés sous forme de conférences, d’articles scientifiques, ainsi que sous forme de textes destinés à un public plus vaste (intervenants sociaux et intervenants du milieu de la santé, jeunes, milieux sportifs, etc.), afin que des actions 78 préventives ou éducatives puissent, le cas échéant, être suggérées ou prises à la lumière des conclusions de cette recherche. De plus, des contacts ont été amorcés avec des maisons d’édition pour publier la présente recherche sous forme de livre destiné au grand public. 8.9 Éthique L’esquisse de cette recherche a été soumise au Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval. Une attestation de consentement à participer à la recherche a été présentée aux répondants avant de commencer l’entrevue (voir annexe 12). Tous les participants étaient volontaires et chacun a signé une autorisation d’utiliser son témoignage à des fins de recherche. Ce formulaire de consentement présente le projet, ses objectifs, ses éléments éthiques et l’équipe de recherche, avec ses coordonnées. Il y est clairement énoncé que l’équipe de recherche s’engage à respecter la confidentialité et l’anonymat des répondants. Il est aussi mentionné que la participation des jeunes joueurs est volontaire et qu’ils ont la possibilité de se retirer du projet à tout moment. Les comptes rendus des entrevues réalisées garantissent l’anonymat des personnes interrogées en leur attribuant un pseudonyme. Des mesures ont été prises pour veiller à ce qu’aucune divulgation directe ou indirecte de l’identité des sujets et de renseignements de nature personnelle ne soit possible. Parallèlement, le chercheur veillera à ce que toute publication émanant de cette recherche ne permette d’aucune façon d’identifier les participants, ni les personnes qu’ils mettent en cause. À cette fin, certains détails biographiques pourront être légèrement modifiés. Le matériel de cette recherche et en particulier les transcriptions textuelles des entrevues réalisées sont gardées en lieu sûr et ne pourront être communiqués qu’aux seuls membres de l’équipe de recherche. Le matériel sera détruit à la fin du processus. Le chercheur avait une liste de personnes-ressources à qui adresser les répondants qui auraient manifesté le besoin d’être aidés sur le plan médical, psychologique ou social. Le chercheur a en effet veillé à ce que tout répondant qui aurait eu besoin d'aide soit adressé à une ressource adéquate. Nul n’a cependant eu besoin d'un tel soutien. 79 9 QUI SONT LES RÉPONDANTS ? Les répondants sont des sportifs membres ou d'ex-membres d’équipes amateurs ou semiprofessionnelles qui font partie de ligues mineures ou majeures, soit d’équipes collégiales, universitaires ou olympiques. Pour cette recherche ont été rencontrés 22 participants, dont 14 sont des joueurs d'équipe et 8 des sportifs individuels. Au moment de répondre, les joueurs d’équipe étaient âgés de 18 à 25 ans (M = 22) et de 23 à 26 ans pour les joueurs individuels (M = 24). Les jeunes hommes pratiquant un sport collectif s’adonnent assidûment à une activité sportive depuis l'âge de 5,4 ans en moyenne, ce qui leur fait 16 ans en moyenne de pratique sportive à vie. Les jeunes hommes pratiquant un sport individuel s’adonnent assidûment à une activité sportive depuis, en moyenne, l’âge de 9,9 ans, ce qui leur fait 14,25 ans en moyenne de pratique sportive à vie. Leur orientation sexuelle est connue sur une base autodéclarée. Les joueurs d'équipe se disent tous hétérosexuels. Parmi les joueurs individuels, quatre s’identifient comme hétérosexuels et quatre comme homosexuels. Aucune question n’a permis de savoir si les répondants étaient en couple au moment de faire l’entrevue. Ils ont cependant tous été à un moment ou un autre en couple. En tenant compte de leur jeune âge, il est possible de conclure qu’ils ne pouvaient être en couple depuis de nombreuses années. Scolarité Tous les répondants sont des étudiants au baccalauréat dans une université québécoise (Montréal ou Québec). Aucun n’avait terminé son diplôme au moment de répondre. La moitié d’entre eux, qu’ils s’adonnent à des sports collectifs ou individuels, étudiaient dans différentes facultés. Il n’y a que parmi les joueurs d’équipe que l’on retrouve des étudiants dans les domaines sportifs ou dans d’autres domaines reliés au corps (n = 3). Milieu familial La famille des sportifs pratiquant un sport d’équipe ou individuel est composée en général de trois enfants. Un seul est enfant unique. Il se retrouve parmi les sportifs d’équipe. Les sportifs d’équipe sont surtout deuxièmes de famille, alors que les sportifs individuels sont plutôt derniers. Plus de la moitié des joueurs d’équipe sont issus d'une famille à tradition sportive. Chez les sportifs individuels, cette tradition n’est présente que chez le tiers d’entre eux. Les motivations à la pratique sportive sont très différentes d'un groupe à l'autre. Aucune question n’a été posée quant au statut socio-économique ou au niveau de revenu des répondants. 80 Le fait qu’ils fréquentent tous une institution universitaire constitue cependant une information élémentaire et minimale sur leur niveau socio-économique. Influence de l'entourage Certains des répondants ont été incités à pratiquer un sport par leur entourage. Pour les joueurs d'équipe, la figure parentale — le père surtout — est la personne la plus significative; viennent ensuite les amis. Dans ce groupe, deux joueurs seulement n'ont eu personne pour les motiver. Chez les sportifs individuels, le rôle du père a été observé dans la moitié des cas, en l’occurrence dans celui des répondants hétérosexuels. Les répondants homosexuels n'ont reçu quant à eux aucune incitation de la part de leur environnement. Ils ont même été découragés à participer à toute pratique sportive. Les répondants des deux groupes ne se consacrent à aucune autre activité d'ordre récréative. Tous ceux qui pratiquent un sport d'équipe disent être entourés d'amis nombreux. Tous les répondants pratiquant un sport individuel déclarent avoir peu de copains. Quels sports pratiquent ces jeunes hommes ? Parmi les joueurs d’équipe, aucun ne pratique ou n'a pratiqué de sport individuel, exception faite de la musculation. Les joueurs d’équipe ont cependant souvent pratiqué plus d'un sport dans leur vie avant de jeter leur dévolu sur un sport en particulier. Plusieurs ont joué au hockey, au baseball, au soccer ou au volley-ball. Enfin, sept des répondants s'adonnent exclusivement au football dans une équipe universitaire; cinq jouent au hockey en hiver et parmi ceux-ci, deux jouent au baseball l'été et un au soccer l’été, un s’adonne au soccer exclusivement et enfin un joue au frisbee extrême pour un total de 14 joueurs d’équipe. En ce qui a trait aux sportifs individuels, la répartition est fort différente : la natation (2), le badminton (1), le vélo (1), la course (1), le golf (1), le patin (1) et le tennis (1) sont les sports prisés par cette cohorte. La plupart des sportifs individuels ont essayé le hockey, mais l’ont abandonné très vite. Enfin, la musculation est pratiqué par tous. La page suivante présente un tableau résumant le profil des répondants. 81 Tableau 4. Profil des répondants 82 10 L’ÉPREUVE DE LA MASCULINITÉ Dans cette partie, nous tenterons de répondre aux objectifs de la recherche en analysant les résultats des entrevues. Bien entendu, l’ensemble des propos recueillis et leur analyse au cours de toutes les sections contribuent à répondre à ces objectifs, mais nous pensons que certaines sections y répondent plus particulièrement. Nous tenterons donc de 1— Mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes. Nous verrons cela notamment en comprenant les idéaltypes de sportifs et en analysant la signification que les sportifs attribuent à la pratique de leurs sports particuliers et en scrutant les motivations qui les poussent à la pratique de ceux-ci. Nous verrons cela dans les sections 10.1 à 10.3. 2— Mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé. 3— Explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive. Ces deux derniers objectifs seront particulièrement appronfondis dans les sections 10.4 à 10.5, par l’étude des rituels des sportifs et l’expression de leur homophobie. 4— Explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants. La section 10.6, joueurs collectifs et joueurs solitaires, permet de comprendre la perception que les sportifs ont de leur propre masculinité en référence avec leur groupe d’appartenance, mais aussi en référence à leur représentation de la masculinité et de leur appartenance au genre masculin. 10.1 Joueurs collectifs et joueurs solitaires Il s’est écoulé presque un an entre le début de la recherche et les premières entrevues. La première phase consistait à faire de l’observation dans un gymnase de musculation dans un centre universitaire où nous nous entraînions. Il y venait des sportifs seuls et des sportifs en petit groupe qui semblaient membres d’un plus grand groupe. Deux types de sportifs se sont alors dégagés — ceux pratiquant un sport collectif et ceux pratiquant un sport individuel —, mais ce constat fait surgir diverses questions : l’équipe sportive est-elle formée d’individus additionnés les uns aux autres ou forme-t-elle une entité distincte, constituée de joueurs aux profils convergents ? Le choix de la pratique d’un sport quelconque par un jeune homme est-il déterminé par sa complexion et le type de socialité correspondant à celle-ci ? Le choix 83 d’un sport particulier est-il simplement motivé par divers facteurs notamment sociaux ? Enfin, l’appartenance à un profil type détermine-t-elle la poursuite dans une carrière sportive particulière ? Seront examinés dans un premier temps le profil des sportifs d’équipe, leurs caractéristiques et la définition qu’ils donnent aux sports. Il sera fait de même avec les joueurs s’adonnant à un sport individuel. Seront ensuite dégagés les principaux éléments qui différencient les deux groupes de sportifs. Sera également dégagé comment le sport représente une épreuve importante pour construire une identité de genre chez les joueurs. Il faut noter qu’il y a plus de répondants pratiquant un sport collectif que de répondant pratiquant un sport individuel. Les données relatives aux sportifs d’équipe étaient ainsi plus nombreuses. De même, un certain nombre de phénomènes sont typiques aux joueurs d’équipe et ne se retrouvent donc pas chez les sportifs solitaires. Pour ces raisons, les solitaires ont souvent davantage servi à mettre en lumière, par comparaison, certains traits ou phénomènes propres aux joueurs d’équipe. Il est important de noter que les résultats seront discutés section par section et non tout à la fin des chapitres. Cette façon de faire a été retenue pour faciliter la compréhension de la recherche et éviter également d’avoir à faire des rappels dans le texte précédent. 10.1.1 Les grégaires : « Tous pour un et un pour tous. » Les sportifs d’équipe ont été nommés grégaires en raison de la façon dont ils vivent l’expérience sportive. Définissons d’abord le mot grégaire, qui sera utilisé jusqu’à la fin de cette thèse en tant que substantif et non comme adjectif. Le Robert précise que le mot grégaire provient du « latin gregarius, de grex, gregis « troupeau ». […] se dit des espèces dont les individus vivent en troupe. Des animaux grégaires ». Au sens courant : « Qui provoque le groupement d'êtres vivants, ou qui en résulte. Tendance, instinct grégaire. Qui porte certains individus à suivre docilement les impulsions du groupe où ils se trouvent ». Le Robert mentionne les synonymes « moutonnier » et « imitateur ». Nous avons préféré « grégaire » à moutonnier ou imitateur parce que ces deux mots semblaient empreints de jugement, mais surtout parce qu’ils étaient réducteurs envers le phénomène observé. Pour les grégaires, ce qui prime avant tout est le contact avec les autres, comme en témoignent les répondants cidessous. C’est parce que l’on est une gang qui est proche. Je ne serais pas capable de m’entraîner tout seul. Les gars, on est un gros bloc de 70. Tout le monde se connaît. Tout le monde s’entraide. On devient des grands chums. On est ensemble plus de 40 heures par semaine. – Antoine, football C’est comme si on était juste une personne. On se tape dans les mains, on fait des cris. – Bertrand, Hockey 84 Tu as un sentiment d’appartenance. Tu t’impliques plus. Didier, Rugby C’est une équipe et c’est plus que des coéquipiers. On devient intime. Quand il y en a un qui déprime, ça retombe sur les autres. – Benoît, Frisbee extrême. Une des idées les plus importantes est lancée. Ils sont 70, mais en fait, ils ne sont qu’un. Les fêtes et les après-matchs sont très importants, car ils contribuent à sceller les liens qui les unissent. Il y a un après-match après chaque pratique ; il y a un party dans la chambre. Il y a de la musique, tout le monde danse, le monde niaise, pour avoir du fun. Il y a de l’ambiance. Je n’ai jamais vu ça ailleurs. Tout le monde se parle, tout le monde rit. Souvent, on va se vanter des bons coups, des mauvais coups. Les gars vont se « gosser ». C’est super, les gars sont drôles. – Antoine, football. Pour d'autres, c’est la présence assurée d’autres personnes sur les lieux de pratique qui est déterminante. Le sport en lui-même devient un lieu de partage. Les moments de solitude sont rarissimes quand on est membre d’une équipe. Les grégaires ont la certitude qu’il y aura toujours quelqu’un avec qui entrer en contact sur les lieux de la pratique. Avec le sport d’équipe, tu vas là et t’es sûr qu’il va y avoir quelqu’un. C’est plus motivant. On est sûr que les coachs vont être là. Je trouve la motivation plus facile. – Paul, football. Le sport d’équipe, c’est aussi un mode de vie, un lien social irremplaçable, notamment à cause de son intensité. C’est une façon unique d’interagir et d'entrer en contact avec les autres, comme aucune autre activité ne le permet. En effet, la pratique d’un sport collectif est un catalyseur sans pareil pour créer des liens et entrer en relation avec les autres. J’aime la cohésion d’équipe, l’ambiance d’équipe. Me pousser tout seul, je suis capable, mais me pousser en équipe, j’adore ça. Au football, tu te fais des amis en une saison. Tu vas faire des liens aussi proches en trois mois que tu peux en faire à l’extérieur du sport en trois ans. On est plus intime, on partage plus de choses intenses. Avec les pratiques, on est tous les jours ensemble. Si tu veux exceller, performer, tu dois avoir une position d’équipe. Il faut que tout le monde aime jouer ensemble, que tu saches ce que l’autre pense. Il faut vraiment que tu sois unifié. On s’accroche vraiment quand on joue au football. – Marc, football Cette socialité collectiviste du football se retrouve dans d’autres sports, par exemple au hockey. Il est possible de constater, à la lumière de leurs propos, que les joueurs de hockey partagent sensiblement les mêmes valeurs et les mêmes appétences que les joueurs de football. L’ambiance, l’esprit de famille… c’est une famille. À chaque fois que je vais jouer au hockey, c’est… la gang, la famille, l’unité. – Laurent, football 85 Ce répondant insiste beaucoup sur le mot « famille ». L’intégration sociale au sein d’un groupe de semblables est prépondérante pour les joueurs d’équipe. Les liens avec les autres, la durabilité de ces liens et leur intensité importent le plus. Par le sport collectif, il y a une marque d’appartenance indélébile et réciproque gravée en chacun des joueurs. Il y a tout le temps du monde. Tu développes des relations intenses avec tes coéquipiers. Souvent, c’est des amis depuis le cégep ou le secondaire. On est ensemble depuis sept ans. On joue tous ensemble. C’est des gens que j’espère voir après, quand j’arrêterai de jouer au foot. C’est eux que je reconnais comme mes vrais amis. Eux, je considère qu’ils m’ont plus marqué puis je les ai plus marqués. – Laurent, football La réciprocité et l’intensité sont intrinsèques aux liens que le sport permet de tisser entre les joueurs. Les liens sont durables et devraient se perpétuer au-delà de la pratique sportive, car celle-ci crée des liens si intenses qu’ils sont intemporels. La pratique d’un sport collectif permet de se reconnaître dans les autres, et pour les autres, de se reconnaître en soi. Il y a une forme d’effacement de l’individualité où la réussite et l’échec ne peuvent se vivre que collectivement. La force ou la faiblesse des uns retombe sur la collectivité tout entière. Les grégaires y voient là des avantages en opposition à la pratique d’un sport individuel. Dans le sport individuel, c’est ta performance à toi qui va faire que tu gagnes ou que tu perds. En équipe, s’il y en a un qui donne un peu moins, c’est l’équipe qui écope. Sauf qu’en avant, on pense que c’est toute l’équipe qui est moins performante. On peut perdre des matchs à cause de certaines personnes. Alors qu’en sport individuel, il n’y a que toi qui comptes. – Bertrand, hockey Ces autres répondants témoignent dans le même sens que le précédent. Dans le sport collectif, il y a un partage de la défaite et de la victoire. Les performances et les manques de chacun reposent et retombent sur tout le groupe. C’est ici que naît l’altruisme chez les joueurs. Chacun est prêt à se sacrifier pour mener le groupe à la victoire. Toute cette dynamique de groupe est rendue possible grâce au partage de certaines valeurs. Dans le sport individuel, tout repose sur toi, tandis [que dans] un sport collectif tout se fait par rapport à l’équipe qui te suit. Dans l’équipe se forme de l’entraide, des relations avec les joueurs, tandis qu’un sport individuel, tu es tout le temps tout seul. Ta performance, tu la dois juste à toi, tandis qu’en équipe, le succès va à tout le monde. – Sylvain, football La différence entre le sport d’équipe et le sport individuel, c’est le partage de certaines valeurs. J’ai toujours apprécié de connaître du monde, être avec des amis, partager des choses. Le sport d’équipe pour moi, c’est que tout le monde apporte du sien. – Didier, rugby Pour ces répondants, la solidarité et l’altruisme ont préséance sur l’individualisme. Ils distinguent nettement les qualificatifs de la pratique collective et ceux de la pratique individuel- 86 le. L’entraide et le soutien des autres sont des valeurs primordiales des sports collectifs, qui facilitent grandement la pratique. Moi, je suis plus un gars d’équipe. Dans un sport individuel, t’es vraiment toimême. Tu n’as pas le choix si tu veux performer. Un sport d’équipe, c’est plus facile à pratiquer qu’un sport individuel, parce que ça ne demande pas la même discipline. Tu ne seras pas tout seul à forcer; on force pour le même but. Le sport individuel, il faut que tu ailles par toi-même, c’est un peu plus dur. Je pense que c’est deux types de personnalités. La différence, c’est l’esprit d’équipe. J’en ai vu des sports d’équipe, c’est plus amical, on essaie de s’entraider. C’est pas mal mieux de le faire en gang que de le faire tout seul de son bord. – Félix, Hockey L’abnégation des joueurs au profit de la collectivité amène le groupe entier à exercer un contrôle sur les individus et vice-versa, même à l'extérieur du jeu et des lieux de pratique. Être membre d’une équipe, c’est aussi porter l’équipe et se réputation en tout temps. La solidarité est primordiale, et aucun grégaire ne veut être celui par qui le scandale arriverait. Les entraîneurs-chefs, lors d’entrevues exploratoires, ont été très clairs à ce sujet : aucun scandale n’est toléré dans l’équipe, aucun joueur ne peut entacher la réputation de l’équipe et, par le fait même, celle des autres joueurs, sans quoi, c’est l’expulsion immédiate sans aucune forme de procès. Il y en a un qu’on voit cruiser trop fort pendant la soirée, on lui en parle, comme ça tu fais ton lover… Il faut garder le contrôle. Le monde nous voit mal parce qu’on joue au foot, on est des gars « croches ». Pourtant, il faut réussir nos cours si on veut jouer au foot. Dans les films de foot, il y a tout le temps un quartarrière qui se pogne toutes les femmes. Il y a tout le temps un gars saoul et il y a tout le temps un gars qui se drogue. Dans notre équipe, il y en a qui scorent plus que d’autres, c’est vrai, mais toute l’équipe paye s’il y a deux ou trois « croches ». Alors, on surveille ce que font les autres. – Sylvain, football Les joueurs ont en commun le sens de l’abnégation pour l’équipe, la complicité très forte avec les autres joueurs, la subordination à l’équipe. L’analogie avec la fourmilière est sans nul doute celle qui correspond le mieux à la façon dont les grégaires vivent leur expérience dans une équipe sportive. 10.1.1.1 Pour les grégaires, le sport c’est… Certains répondants font la différence entre un homme actif et un « vrai » sportif. Pour eux, il y a une hiérarchie entre le vrai et l’ersatz. Les sportifs se positionnent au plus haut niveau. Les sportifs utilisent le sport comme principale stratégie pour se valoriser, se démarquer et s’élever vers un idéal identitaire. 87 Je pensais qu’il y avait plus de sportifs dans mon domaine d’étude. Les gars sont actifs, mais ils ne sont pas sportifs. Ce n’est pas pareil. – Éric, hockey Un sportif, c’est quelqu’un qui s’entraîne pour la performance. Quelqu’un d’actif, il s’entraîne pour sa santé, il bouge. C’est quelqu’un qui a un rythme de vie tout de même assez rapide avec un peu d’entraînement, mais jamais en performance pure. Pour un sportif, ce qui compte, c’est de se dépasser tout le temps pour aller toujours plus loin. Le sportif, c’est quelqu’un qui fuit ce qu’il a là, pour aller chercher plus loin pour ne jamais revenir où il était. – Antoine, football Selon les grégaires, l’activité sportive ne serait pas incorporée dans la vie de « l’actif » comme elle peut l’être dans celle du sportif. Il est donc possible de penser que pour un certain nombre de grégaires, les sportifs, « les vrais », seraient davantage les sportifs de meute, comme eux, que les sportifs solitaires. Plusieurs répondants sont du même avis ; ils décrivent les caractéristiques essentielles à leurs yeux pour être un « vrai » sportif. Le « vrai » sportif doit se dépasser et ne vivre que pour son sport, ce qui amène plusieurs sportifs à dire que la pratique sportive fait mal non seulement au corps, mais également à l’âme. La pratique sportive exige des sacrifices et un investissement qui ne sont pas à la portée de tous. Le sportif accepte la douleur et ne la craint pas; le simple actif, lui, l’évite. C’est ainsi que le corps, ses performances et parfois la douleur sont au centre de la vie des sportifs. Le corps se retrouve au centre de cette socialité. La blessure et la douleur font partie de l’identité du sportif grégaire comme si elles étaient assumées par l’ensemble du groupe d’appartenance. Elles deviennent le prix à payer pour être « un vrai ». Pas toujours dans le sens que ça fait mal physiquement, mais ça demande des sacrifices. Tu sacrifies quelque chose pour arriver. Le sport ne te permet pas de te coucher tard, de boire ou de faire la fête. Tu ne peux pas faire tout ce que tu veux. Ma priorité, c’est de m’entraîner. Ça ne te tente pas toujours, mais il faut que je le fasse quand même. – Éric, hockey Le sport c’est se dépasser au sens où il faut que tu performes. Il faut que ça fasse mal. J’ai bien de la misère à faire ça pour le plaisir. Je suis un très bon perdant, qui a un esprit sportif, sauf que ça me fait chier de perdre. Je vais donner mon maximum pour être au-dessus des autres. Le sport, c’est s’investir. Tu peux t’amuser, sauf que, tirer le ballon, tirer le frisbee, l’après-midi, je ne considère pas ça comme du sport. C’est plus une activité. – Jean, football Le sport marque le corps et l’âme, certes, mais il libère aussi des tensions et des tracas de la vie. Pour d’autres grégaires, le sport est aussi… Un exutoire essentiel à ma santé mentale. Quand je fais du sport, je ne pense à rien. Si je suis stressé, si j’ai de la peine, je fais du sport et ça arrête. Quand j’ai fini de faire du sport, je suis bien détendu. Le fait de me retrouver dans des sports collectifs, en gang, me rend bien. – André, soccer 88 Enfin, de l’aveu même de certains répondants, le sport peut aussi être une forme d’assuétude. Je fais du rugby, de la musculation, du soccer, je fais tout. Il faut au moins que je mette deux à trois heures d’entraînement par jour, c’est une drogue. C’est mon train-train quotidien. Au début, je faisais ça pour rire et puis je ne peux plus m’en passer. – Didier, rugby Pour les grégaires, le sport, la vie, l’équipe se fondent dans un ensemble, il est le fondement du lien social. L’activité sportive est un rite d’interaction sociale entre hommes, un code ou un langage de communication. Il est un outil d’intégration et de communication pour ne pas dire de communion avec le groupe sportif, par lequel se construit l’identité. C’est par les performances sportives que se mérite l’appartenance au groupe d’hommes sportifs. La pratique du sport est une forme de valorisation et de sacrifice des individus pour le groupe et du groupe pour les individus. Les grégaires se construisent une société altruiste où la responsabilité des victoires et des défaites se partage. Les grégaires se caractérisent donc par leur sens de l’altruisme, de la solidarité, de l’entraide, du soutien, de l’abnégation, de la force du lien entre eux et de la solidarité. 10.1.2 Les solitaires Les solitaires, comme leur nom l’indique, préfèrent être seuls dans la pratique sportive, et cherchent à satisfaire par celle-ci des besoins individuels reposant sur leurs propres aspirations. Ils ne comptent que sur eux-mêmes. La compagnie d’autres sportifs va même souvent les importuner. Pour eux, les activités sportives semblent parfois interchangeables. Faire du sport donne un contact avec son corps, avec soi-même. Il faut être bien dans sa peau en premier. Le sport d’équipe, c’est une façon d’y arriver, mais il y a bien d’autres façons aussi. C’est autant les arts martiaux que d’autres sports individuels. – Pierre, natation Je n’aime pas m’entraîner à l’université parce qu’il y a plein de monde. J’ai un rameur et un punching bag chez moi. Si je n’étais pas en appartement, j’aurais mon kit pour m’entraîner. – Hervé, aviron Le répondant suivant fait un commentaire très représentatif de l’esprit des solitaires. Il manifeste son incompréhension des grégaires devant leur intérêt pour les sports d’équipe. J’ai de la misère à comprendre le fun de courir en gang après une rondelle ou un ballon. Mario, natation Les solitaires pratiquent un sport pour eux-mêmes et non pour les autres ou pour un groupe. Ils le font pour les gains personnels. Le prestige de la victoire et la honte de la défaite ne 89 reposent que sur eux-mêmes. Les solitaires veulent la première marche du podium et ne pas la partager. Pour les solitaires, le sport est un monde égoïste et non altruiste au sens durkheimien du terme, où seule la réussite individuelle importe. J’ai toujours aimé les sports individuels. Les sports où si je perds ou si je gagne c’est de ma faute. Perdre à cause des coéquipiers qui ne savent pas jouer, ça me frustre. – Édouard, badminton En athlétisme, le plus important, c’est le premier. – Hervé, aviron Je voulais être le meilleur, je voulais être le top parce que tant que t’es pas au top dans un sport comme le mien et que tu ne fais pas un métier de gars, tu te fais traiter de fif. Les sports m’ont aidé à avoir une mentalité de gagnant. Être mangé ou être celui qui mange. On s’entraîne pour être le meilleur, pour être en haut. C’est ça la culture sportive. Sur la marche du podium, y’a juste toi. – Thomas, patin artistique Les solitaires admirent les vedettes sportives. Souvent, durant les entrevues, les solitaires ont parlé de joueurs vedettes, mais en les dissociant de leur équipe et ne mentionnant pas le nom de celle-ci. Alors, même en parlant de pratiques sportives collectives, ils le font dans un sens individualiste. De plus, dans l'éventualité où ils seraient dans une équipe, ils ne voudraient pas que celle-ci fût la meilleure; ils voudraient être les meilleurs de celle-ci et se distinguer plutôt que de se fondre dans le groupe sportif. J’ai des modèles, des idoles sportives à suivre. Ce sont des modèles de discipline. Je voulais être Kurt Browning. Je voulais être comme Victor Kraatz ou comme Jean-Luc Brassard. - Thomas, patin artistique J’aurais aimé être un bon joueur de hockey, un grand joueur de tennis, un grand joueur de golf. J’aime les vedettes, les bons joueurs, les statistiques, ceux qui sont au premier plan. Je voulais toujours être au premier plan. – Richard, natation Ils ont parfois été tenté durant l’enfance d’essayer un sport d’équipe, cédant ainsi comme plusieurs répondants à la prescription sociale de la pratique d’un sport collectif tel que le hockey ou le baseball, mais ils en sont vite revenus. Actuellement, je fais de l’entraînement de musculation, de la course, du sprint et de l’aviron. J’ai joué au hockey et au baseball quand j’étais très jeune, mais je trouvais ça plate. J’ai arrêté ça bien vite. – Hervé, aviron La pratique individuelle représente la liberté pour de nombreux solitaires. Il semble que les organisations d’équipe imposent des contraintes étouffantes qui déplaisent aux solitaires. La structure d’équipe les opprime. Au début, c’était le fun d’être dans une équipe, mais j’ai préféré faire des sports individuels. Je suis un gars individuel. Je préfère des sports où il n’y pas de 90 contraintes d’organisation. Je ne suis pas très perméable à l’opinion publique. J’ai été obligé de me former ma propre identité, ma propre opinion. Si moi je trouve que c’est correct, c’est correct. – Hervé, aviron Je ne suis pas quelqu’un qui fonctionne en équipe. Dès que c’est trop structuré, je ne trouve pas ça intéressant. Aujourd’hui, c’est moi qui choisis les contraintes. Je fais du jogging pour me rendre au travail. C’est moi qui décide des règles du jeu. - Pierre, natation Je n’aimais pas quand c’était trop formel. Quand c’était trop exigeant, moi je voulais aller là pour m’amuser. - Richard, natation Les solitaires veulent penser par eux-mêmes et ne se laissent pas imposer de valeurs par un groupe. De plus, ils ne tiennent pas à ce que d'autres partagent les leurs. Ils ne cherchent pas et ne vivent pas de complicité avec d’autres sportifs au sein d’un groupe, pas plus qu’ils en sont subordonnés aux valeurs communes d’un groupe sportif, ce qui ne les empêche pas d'adhérer à d’autres valeurs de la société dans laquelle ils vivent. Ils n’acceptent pas qu’un groupe contrôle ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Les solitaires ne veulent pas de la contagion et du partage que l’on retrouve dans les équipes sportives. 10.1.2.1 Pour les solitaires, le sport c’est… Il semble que le sport, pour les solitaires, revêt une signification personnelle ou intime. Il serait un moyen de communication avec une seule personne, notamment le père. Le sport offre donc des moments privilégiés de communication personnelle avec des personnes choisies et non avec un groupe. Je dirais que c’est un moyen de communiquer avec mon père, de partager quelque chose. J’avais un père qui s’impliquait. –Hervé, aviron Il peut aussi devenir une démarche transcendante par un dépassement de soi, où le défi n’est qu’avec soi-même et personne d'autre. Il amène la satisfaction du devoir accompli. Pour les solitaires, le sport est d’abord une forme de réalisation de soi. C’est une forme de satisfaction de me sentir capable de le faire. De faire un 20 kilomètres et croire qu’on a réussi à passer au travers cette distance-là. C’est une forme d’accomplissement. - Victor, tennis Pour moi, le sport, c’est plus une façon de se dépasser soi-même. – Pierre, natation Au-delà de cette expérience intérieure et intime, certains répondants retrouvent également dans la pratique sportive une forme d’assuétude répondant à un besoin. 91 C’est devenu presque un besoin. Je ne me sentirais incapable de décrocher. À chaque fois que je fais de la natation, je suis complètement ailleurs. – Victor, tennis. Puis, le sport c’est aussi la relaxation, la liberté et des contentements multiples dont le point commun est la satisfaction de soi, ou encore, le développement d’un lien particulier avec une personne. Pour moi c’est un moment de me retrouver avant tout parce que pour moi, c’est un moment d’arrêt ou de relâchement aussi. Aussi parce que ça donne une discipline, de l’entraînement et de l’encadrement. –Hervé, aviron C’est une forme de relaxation, de lassitude, d’abandon. Je me sens entraîné dans un rythme d’effort que j’aime beaucoup. La sensation de l’effort continu et prolongé que j’aime. C’est une sorte de liberté, c’est un autre état possible dans ma vie que j’atteins grâce au sport. - Victor, tennis Par la discipline et l’encadrement, le sport change la vie du sportif en le coupant de son quotidien en fixant de nouveaux repaires, entre autres. Il devient aussi un mode communication avec des personnes privilégiées, un moment de partage. Les répondants ont en commun le fait que la pratique d'un sport leur permet de se détendre du stress de la vie quotidienne. Ils ont en commun de valoriser la discipline, la tenacité et l’autonomie. 10.1.3 Ce qui distingue les grégaires des solitaires Pour s’adonner à un sport collectif, le sportif doit posséder certaines caractéristiques qui vont bien au-delà de la simple envie de pratiquer un sport d’équipe. La pratique d’un sport de groupe nécessite une inclination pour un mode de socialité altruiste et communautaire. C’est une société de « fourmis » altruiste au sens durkheimien où seule, une fourmi n’accomplit que peu de choses, alors qu’en groupe, elles peuvent faire des œuvres magistrales. Pour n’être qu’un, il faut être tous semblables et n’avoir aucun secret. Ce concept de « tous pour un et un pour tous » est présent dans toutes les dimensions de la vie des grégaires. Les émotions, les valeurs, les comportements sont contagieux. Il faut s’assimiler mutuellement les uns aux autres. La solitude ressentie dans la pratique d’un sport individuel amènerait les grégaires à abandonner la pratique sportive. Le dynamisme de l’équipe et le contact avec les autres encouragent les grégaires à persévérer. On se demande d’ailleurs si ce n’est pas davantage la socialité expérimentée dans le sport qui justifie la pratique sportive que l’intérêt pour le sport lui-même. Les facteurs qui maintiennent les grégaires dans un sport reposent sur des dynamiques dans lesquelles la socialité est première et surtout déterminante dans leurs choix d’activités sportives. Si ce n’était de la présence des autres, plusieurs grégaires ne s’intéresseraient peut-être pas au sport. En effet, ce n'est pas tant le 92 sport qui les intéresse, mais le contact social avec d’autres hommes. Le plus souvent, les grégaires préfèrent ce que les solitaires aiment moins, mis à part l’assuétude à la pratique sportive, ce qui permet de dresser le tableau suivant. Tableau 3. Les profils en comparaison Profil des grégaires Profil des solitaires Socialité altruiste Le sport et la vie sont totalement unifiés Recherche la compagnie des autres joueurs Socialité égoïste Le sport est un ajout à la vie Recherche la solitude « Tous pour un et un pour tous » Fêtes et après-match (troisième mi-temps) Tout pour soi-même Aucune fête, retour à la maison seul Pense comme les autres Pense par soi-même Contagion par les valeurs des autres Établit ses propres valeurs Se fond dans le groupe Se distingue des autres Travaille au succès de son équipe Travaille à son succès Les vedettes sportives sont des équipes Les vedettes sportives sont des individus La motivation est sociale La motivation est personnelle Abnégation au profit de l’équipe Pas de concession personnelle Subordination et complicité Discipline personnelle, autonomie Assuétude aux sports Il y a une grande différence entre le sens que donnent les grégaires au sport et celui que lui donnent les solitaires. Personnel, intimiste et centré sur soi, le sens que les solitaires donnent au sport est la plupart du temps opposé à celui que lui donnent les grégaires, pour qui le sport est orienté vers la vie communautaire, le partage, la communication sociale et le groupe. Cela ne nie pas les significations plus personnelles que le sport peut parfois avoir pour certains grégaires, mais cela montre quelles sont les priorités de chaque type de sportifs. Ainsi, l’ensemble des motivations, des finalités et des significations que vivent les sportifs et qu'ils donnent à leur pratique respective sera marqué par les caractéristiques de leur profil d’appartenance. 93 Tableau 4. Le sport, c'est ... Pour les grégaires Pour les solitaires Le fondement du lien social Il existe d’autres moyens de socialiser Un moyen d’avoir un contact avec d'au- Peut être un moyen de communiquer avec tres hommes une personne notamment le père Une forme de socialité Un moment de recueillement Une forme d’accomplissement de soi dans Une forme d’accomplissement de soi face à un groupe d’hommes soi 10.2 Les motivations et les finalités de la pratique sportive Dans cette partie, sera expliqué comment les motivations dans le choix d’une pratique sportive sont marquées par l’appartenance à un profil type, grégaire ou solitaire, quelle place prennent les motivations socioculturelles et quelles sont leurs influences sur ce que les jeunes hommes considèrent comme possible de faire ou de ne pas faire dans le domaine sportif. Viendra ensuite l’analyse de la place du corps comme déterminant de la pratique. Le corps restreint-il ou ouvre-t-il des possibilités et est-il possible d’étendre ces possibilités ? Enfin, les sportifs ont-ils d’autres motivations déterminantes ? 10.2.1 Pour les grégaires Pour connaître ce qui, en bout de ligne, détermine le choix du sport que pratiquent les grégaire et les influences qui orientent ce choix, nous devrons examiner trois grand types de motivations soit, les prescriptions sociales, les prescriptions du corps et la revanche. 10.2.1.1 Les prescriptions, pressions sociales et sens de soi C’est très tôt dans la vie que se dessine la carrière sportive du grégaire. De nombreux garçons s’adonnent à la pratique d’un sport de groupe dès l’âge de cinq ans. C’est surtout le hockey qui attire les garçons. J’ai commencé à faire du hockey à 5 ans jusqu’à l’âge de 16 ans.- Hervé, aviron. Comment se fait-il que, « naturellement », les garçons choisissent davantage le hockey que ne le font les filles, et comment se fait-il que ceux-ci soient autant attirés par ce sport ? Parmi les grégaires, la majorité a commencé par ce sport. Le choix de l’activité sportive est senti comme quelque chose de spontané et d’instinctif par les répondants. 94 J’ai toujours eu le hockey dans le sang. Bertrand, hockey Ce qui est perçu comme naturel ne le serait cependant pas. En effet, le choix d’une pratique sportive n’aurait rien de naturel. L’activité sportive comme telle et les choix de pratiques sportives particulières procèdent sans doute de l’ordre de l’apprentissage social. Bien que ce choix puisse être perçu comme naturel ou irrépressible, ce serait en fait les pères, les amis et le contexte social qui pousseraient un garçon à pratiquer tel ou tel sport. On dirait que parce que mon père regardait le hockey à la télévision, il m’a donné le goût.- Bertrand, hockey Une fois dans le jeu, le monde et le soi se transforment. Le garçon devient, le temps d’un match, quelqu’un d’autre. La pratique sportive amène un changement identitaire valorisant si « naturel », que peu de répondants remettent en doute leur engouement. Je ne sais pas ce que j’aimais là-dedans, c’est le genre de question que l’on ne se pose jamais. Quand on fait du sport, on décroche de tout et totalement. On devient un joueur de hockey et rien d’autre. On n’est plus le fils d’Untel, le frère d’Untel, on fait du hockey. On est dans le monde du hockey.- Félix, hockey Le hockey est partout. Les garçons se retrouvent et jouent spontanément à ce sport dans les parcs, les rues, les ruelles, les quartiers. Les garçons n’ont pas à se demander s’il sera possible de trouver d’autres garçons pour jouer, ils sont là. Il semble que le hockey et ses adeptes aient un don d’ubiquité. Quand tu joues au hockey, sur une patinoire à l’extérieur, tu joues avec ceux qui sont là. Disons que l’on est dix, on met les hockeys dans le centre de la glace, on sépare les hockeys, puis on joue ensemble. Tu ne joues pas toujours au hockey avec des amis, c’est normal. Tu joues avec ceux qui sont là. C’étaient des visages connus, des amis de mon frère souvent... – Félix, hockey Parfois ce sont simplement les lieux de résidence qui favorisent la pratique du hockey, comme la présence d’une patinoire près de la maison. J’ai commencé à sept ans à faire du hockey. Il y avait une rivière en arrière de chez nous et quand la glace gelait, on déblayait une bonne partie de la rivière, et on jouait au hockey. J’aimais ça, mais on ne pouvait pas tout le temps y aller. Je disais à mon père, « je veux jouer au hockey, je veux jouer au hockey ». – Sylvain, football 95 Le lien avec le père est souvent renforcé par la pratique sportive. Les pères décident et les garçons suivent. C’est une filiation du père au fils fondant des rituels et établissant aisément entre les hommes un lien d’appartenance réflexif. L’engagement des parents est important. Le hockey devient un choix réunissant toute la famille. Mes deux parents se sont impliqués. Tous mes frères jouent au hockey. Les fins de semaine, c’est trois parties à chaque jour, trois le vendredi soir, trois le samedi soir, tout le temps, toujours, à chaque jour de la semaine, il y a quelque chose aussi. Dès qu’il y en a un des deux qui peut. Va me porter, vient, va me porter, vient… Mes parents m’ont tout le temps suivi. Chaque fois que j’allais dans les tournois, il y en avait toujours un des deux qui venait. Il restait là toute la fin de semaine. – Bertrand, hockey C’est mon père qui m’a inscrit au hockey. Je n’ai pas décidé de jouer au hockey. Il parrainait des équipes de hockey. Nous étions ensemble. J’ai joué au hockey jusqu’en secondaire cinq à peu près. C’est une passion pour moi. J’écoute les matchs à la télé. – Laurent, football Pour cet autre répondant, le sport d’équipe s’inscrit aussi dans une tradition sociale, familiale et culturelle dans laquelle il développe des liens d’appartenance à un groupe d’hommes. Il y avait mes cousins qui en faisaient. C’est que tous mes amis jouaient et je voulais être avec eux. Le père d’un de mes amis était un vrai sportif. Il y avait juste des gars chez eux. Son père jouait beaucoup au hockey en plus d’être entraîneur de hockey, de baseball. C’est pour ses enfants qu’il le faisait. Il a fondé des ligues et j’ai embarqué là-dedans, parce que c’était des amis. – Paul, football Il apparaît donc de plus en plus que l’appartenance au groupe est très importante pour les joueurs de cette catégorie. Le qualificatif de « grégaire » leur vient de leur irrépressible désir de se retrouver avec d’autres jeunes hommes. D’ailleurs, la plupart du temps, c’est l’influence des pairs qui, en bout de ligne, détermine le choix de l'activité sportive. J’étais avec tous mes amis sportifs, qui jouaient au hockey. – Paul, football L’ambiance, l’esprit de famille… c’est une famille. À chaque fois que je vais jouer au hockey, c’est… la gang, la famille… – Laurent, football. Je n’ai jamais été attiré par les sports individuels, j’aime mieux les sports d’équipe. Ça apporte plein d’affaires comme la forme, les chums, l’esprit d’équipe. C’est ça qui est le fun. Le sport d’équipe, c’est plein de monde qui vit quelque chose ensemble. Ce que j’aime, c’est la confrérie. – Daniel, football Faute de le pratiquer sur la glace, on le pratique dans la rue, car ce qui compte, c’est de jouer et d’être avec les autres. En effet, si la glace n’est pas disponible, on modifie le jeu en conséquence. Les amis, le plaisir et le dépassement de soi sont aussi des thèmes souvent 96 évoqués par les grégaires pour motiver la pratique d'un sport, comme en témoigne le répondant suivant. Le hockey, on dirait que c’est dans nos mœurs, en tout cas dans les miennes. J’ai commencé très jeune, je jouais beaucoup au hockey bottine, dans la rue, dans notre entrée de cour avec mes amis. J’ai tellement eu du fun à jouer à ça. J’ai tellement tripé. Ça évoque tellement des beaux souvenirs. On personnifiait nos joueurs vedettes. Ça défoulait. – Éric, hockey Le plus souvent, les grégaires s’identifient aux équipes sportives plutôt qu’à des joueurs particuliers. Cependant, il leur arrive aussi d’admirer des héros sportifs. Il fallait être dur et se battre tout le temps. Il fallait faire comme dans la ligue nationale où il n’y a aucun respect pour les autres. – Félix, hockey Un autre répondant témoigne de ce qui l’a poussé à choisir le hockey au début de sa carrière sportive. Encore une fois, on peut voir que le cadre socioculturel pousse les garçons à la pratique du hockey et offre peu d’alternatives aux garçons. Le hockey… Sans doute parce que quand tu es ti-cul au Québec, tout le monde fait du hockey. Tu vas où tout le monde est. Tu vas où les hommes sont. Et c’est le fun d’être avec tes chums, des gars, tes amis s’en vont faire du hockey, bien t’embarques parce qu’il faut que tu sois avec eux. C’est un sport que je trouve super beau, j’adore la vitesse d’exécution, j’adore le côté robuste, j’aime l’esprit d’équipe. Il y a une espèce de collusion de groupe qui fait qu’on s’en va à la guerre, je suis un fan de ça, je suis un gagnant, j’aime ça. – André, soccer Les mots tels que « guerre », « gagnant » de même que « robuste » sont importants et ils sont souvent utilisés par les répondants qui témoignent de leurs activités sportives. Cela montre comment ils valorisent un certain modèle de masculinité. Cependant, certains répondants auraient préféré pratiquer un autre sport que le hockey ou le football. Ils auraient opté pour un sport plus près de leurs aspirations, mais cela leur semblait impossible à faire sans briser le lien social qui les unissait au groupe des garçons. Les grégaires ne pratiquent pas toujours le sport qu’ils aimeraient personnellement; ils pratiquent le sport qu’il faut pour rester dans le groupe des garçons. Des répondants racontent. La seule chose que je regrette, c’est que j’ai toujours voulu faire de la danse, ou du patinage artistique. J’ai commencé, mais j’ai arrêté, parce qu’à force de se faire dénigrer par tes chums, tu deviens tout de suite à part du groupe. C’est fatigant, c’est pour ça que j’ai arrêté. Ce n’est pas juste les injures, mais dans le regard d’autrui, on dirait que tu le sens. Tu le vis, c’est « tasse-toi tapette ». J’ai toujours été sportif et c’est ce qui faisait que je ne pouvais pas faire un sport fé- 97 minin. Quand j’arrivais au hockey, j’étais capable d’être aussi masculin qu’eux. C’est pour ça que je fais des sports d’équipe. Pour être dans le groupe de gars. – André, soccer J’ai fait du patinage et ça me gênait, ça me dérangeait. Je me sentais mal. J’ai un ami qui en a fait plus longtemps que moi. Il a arrêté parce qu’il se faisait traiter de tapette. – Bertrand, hockey Le récit du répondant suivant montre encore plus comment l’influence du groupe peut être prépondérante dans le choix d’un sport et comment ce choix permet de se sentir confirmé dans sa masculinité. La pratique d’un sport d’équipe, comme le hockey, procure un statut social particulier et une façon de se mettre en scène. Ce n’est pas le fait de jouer au hockey comme le fait d’être une gang de 15 ou 20 gars qui sont toujours ensemble qui donne l’impression d’être un « vrai gars ». Être dans l’équipe de football ou l’équipe de hockey, c’est bien vu. Les fans viennent nous voir jouer, le monde porte plus intérêt, les amis viennent te voir jouer, c’est le fun. Je pense que ça aide à rehausser l’estime de soi. Mais c’est sûr qu’il y a d’autres cas où le gars se fait rejeter par tout le monde, ça va peutêtre faire plus l’effet contraire. Dans ce cas-là, le gars va arrêter de jouer aussi. Faire des sports, être tout le temps avec ce monde-là, avec la gang, ça aide à te donner une identité. – Bertrand, hockey Il est possible de constater que la pratique d’un sport collectif facilite l’entrée dans le monde social et que même la recherche d’emploi est simplifiée par l’appartenance à un groupe sportif. Ça [l’équipe] te rapproche gros. C’est une famille. C’est des contacts. Il y a un gars qui commence à travailler à une place et ça aide à se trouver des jobs. Il pousse ses chums de l’équipe à travailler avec lui. T’as besoin de soutien, tu vas le chercher dans l’équipe. C’est tout le temps l’équipe. – Jean, football L’intégration sociale et la valorisation de soi par le sport d’équipe sont une source de prestige et de reconnaissance. Les grégaires pratiquent leur sport pour être perçus comme des hommes et se sentir des hommes aux yeux de leur communauté. Je me tenais avec des gars qui faisaient du sport. On faisait tous un sport. On était la petite gang qui jouait au football ensemble. Les gens qui me voyaient disaient : c’est lui qui joue au foot ». Ça m’a valorisé. Les gens venaient plus me voir quand je jouais au football. Les professeurs m’aimaient plus à cause de ça. Ceux qui n’étaient pas bons, ceux qui avaient plus de difficulté dans les sports étaient mis à part. Personne ne veut être avec la personne qui est moins bonne parce que tu veux gagner justement. Le joueur moins bon qui t’empêche de gagner, tu n’en veux pas. – Laurent, football La pratique d’un sport, et surtout l’appartenance à une équipe sportive, procure un statut social et une identité de genre qui ne sont pas donnés à tous. En écartant certains garçons 98 de la pratique sportive, on les prive de leur identité de genre et, par le fait même, d’une part de leur statut social. Être admis au sein du groupe sportif confirme le statut d’homme. Autrement dit, les grégaires pratiquent un sport pour se sentir hommes et ils se sentent hommes parce qu’ils pratiquent un sport. Tous n’en sont pas aussi conscients que le répondant suivant, pour qui le sport d’équipe, le hockey en particulier, est un instrument de développement de son genre. J’avais envie de devenir vraiment un homme, un vrai. Un homme qui va avoir du courage, un homme qui va être capable de transformer sa vie en développant son corps physique. J’ai pratiqué le hockey, mais aussi d’autres sports d’équipe. J’ai toujours aimé le hockey, mais c’est à partir de l’âge de 15 ans que j’ai eu une paire de patins. J’ai commencé à m’acheter mon équipement, un petit peu par-ci, un petit peu par-là, les coudes, les gants, les épaulettes et finalement la culotte de hockey d’un joueur du Canadien; sa femme me l’avait vendue. Des culottes de professionnel ! Tout le monde me regardait. Je suis assez équipé en sport. J’ai même de l’équipement qui ne me sert pas. Je collectionnais les cartes. – Manu, baseball, hockey L’acquisition d’objets emblématiques appartenant à des vedettes ou à une équipe semble très importante pour le répond précédent. Cette collection d'objets lui permettrait de s’approprier symboliquement les qualités et l’identité d’homme du sportif idéal qu’il admire. Les grégaires semblent peu intéressés par la pratique de sports individuels. Lorsque les grégaires pratiquent un sport dit solitaire, comme la musculation, c’est qu’ils y sont obligés par leur entraîneur et, dans ce cas, ils le font à plusieurs. Des grégaires racontent leur expérience. J’ai joué au basket-ball. J’ai joué au soccer, mais maintenant, je fais un sport rare qui s’appelle le frisbee extrême. Je suis un maniaque. J’étais en fin de carrière au soccer. Si je ne suis pas dans les meilleurs joueurs, ça m’énerve. Il fallait que je fasse des jeux spectaculaires. Je cherchais un sport où je serais capable d’avoir des sensations. L’adrénaline que j’ai au frisbee... Aussi je cherchais un sport où je ne commencerais pas à zéro. Je cherchais un sport où je pourrais être bon maintenant. – Benoît, frisbee extrême Je veux faire une différence sur le jeu. J’aime flasher. Je suis vraiment fier de moi, parce que j’ai fait un beau jeu ou bien de voir l’équipe qui m’applaudit. La seule motivation que j’ai à pousser mon jeu, c’est juste d’essayer de faire des jeux plus flashés encore. Le monde me dit que j’ai la tête enflée. Commencer à zéro, voir le monde qui fait des super beaux jeux puis moi qui traîne la patte à acquérir les rudiments de base, ça me tannerait, je serais pas capable. – Bertrand, hockey D’autres expliquent leur façon de voir et de vivre la vie en équipe. 99 Une équipe c’est des gens qui se mettent ensemble, qui s’imposent des responsabilités par rapport à l’équipe, et qui ont une façon commune pour aller vers un but commun. Les conflits me dérangent quand je fais du sport. J’aime sentir l’équipe derrière moi. Il faut que tout le monde travaille « tous pour un et un pour tous ». Si je dois faire un sport où je dois le faire tout seul, je ne ferais pas un sport d’équipe, je vais aller faire un sport individuel. Quand je fais un sport d’équipe, il faut que je sois avec des coéquipiers, qu’il soit là. – Benoît, frisbee extrême Ce serait à cause de contraintes particulières qu’un sportif modifie sa pratique. Son choix, parfois limité, se porte alors sur ce qui est disponible. Présentement, je fais du vélo. Ça se limite pas mal à ça, mais j’aime d’autres sports comme le basket-ball, le baseball. Je m’entraînais dans une salle de conditionnement physique. J’ai arrêté les sports d’équipe parce que j’ai déménagé et il n’y en pas dans mon coin, mais autrement, je ne vois pas pourquoi j’aurais changé de sport. Jamais je n’aurais pensé faire du vélo tout seul. – Éric, hockey Le sportif se contente de ce qui est disponible et, bien que cette manière de faire du sport ne corresponde pas à ses préférences et qu’il ne l’aurait pas choisie d’emblée, il est obligé, par la force des choses, de poursuivre seul. Le contexte socioculturel ne ferait pas qu’influencer les garçons dans leurs choix sportifs, il prescrirait certains choix. Il existerait donc une véritable prescription sociale obligeant à la pratique sportive, mais plus encore, une obligation à choisir certains sports. Le sport constituerait aussi une stratégie d’entrée dans la vie sociale soit une forme ritualisée d’interaction masculinisante souvent perçue comme innée ou instinctive. Montrant majoritairement des spectacles sportifs masculins, la télévision marquerait de façon importante l’environnement social des jeunes hommes en leur inculquant une véritable culture sportive masculine (Koivula, 1999; Sabo, Gray et Moore, 2000; Spears et Seydegart, 1996). Cette culture sportive, notamment la culture du hockey est soutenue par les pères, les frères et les compagnons. Il existe une forte pression sociale qui pousse à la pratique du hockey. Cela fait partie de la culture sociale (Augustin et Sorbets, 1996; Gagnon, 1996; Pleau, 2000; Robinson, 1998). Les garçons grégaires, et parfois même les solitaires, même s’ils pratiquent aujourd’hui un autre sport, ont souvent commencé leur carrière de sportif par la pratique du hockey. Les garçons se passionnent souvent pour le hockey avant même de s’y être adonnés. La télévision nationale (Radio-Canada) diffusait depuis sa création tous les samedis soirs « la soirée du hockey ». Avant la venue de la télévision, elle le faisait à la radio. Ce spectacle télévisé demeure très important pour la société canadienne, comme on a pu le constater par le tollé qu’avait soulevé en 2002, l’annonce de l’abandon de la diffusion 100 des matchs par la Société Radio-Canada (site web des archives de Radio-Canada). La crise fut suffisamment importante pour que la ministre canadienne du Patrimoine intervienne dans le dossier et oblige Radio-Canada à revenir sur sa décision. Les Québécois, comme tant de Canadiens, se retrouvent le samedi soir en famille ou entre amis devant le petit écran pour assister au match de hockey. Qu’une grève des joueurs survienne (comme celle de la saison 2004-2005) et on assiste à une panique chez les amateurs. La pression sociale et les rituels liés au hockey sont si forts que l’engouement pour ce sport, parfois nommé fièvre du hockey, est souvent perçu comme inné et naturel, pour ne pas dire immanent par certains hommes. Pour les jeunes hommes, la pratique d’un sport — le hockey en particulier — leur vient spontanément à l’esprit sans qu’ils ne réfléchissent à la question. La chose se fait d’elle-même, parce que c’est comme ça. Le sport, notamment le hockey, par l’intermédiaire des médias en autres, dicte les standards dans la manière agressive et masculine de jouer (Sabo, Gray et Moore, 2000). Les jeunes sportifs, n’ayant souvent pas d’autres modèles valorisants de masculinité, tentent d’imiter leurs modèles sportifs. Les témoignages entendus permettraient d’appuyer les écrits de Smith (1974), qui affirment que les jeunes calquent, dans leur pratique sportive, l’ensemble des comportements des vedettes qu’ils admirent. Bien que les répondants n’aient pas encore mentionné la violence, celle-ci fait partie de ce mimétisme rapporté par Smith (1974) et d’autres auteurs (Bairner, 1999; Curry et Strauss, 1994; Elias, 1976; Messner et Sabo, 1994; Presse canadienne, 2004; Saouter, 2000; Sport illustrated, 2004). On peut penser que la violence qui a court dans les spectacles sportifs favorise son utilisation par les jeunes hommes sportifs, même si cela ne leur plaît pas toujours. Les jeunes hommes sportifs font ce qu’il faut faire pour être dans le groupe et s’y intégrer parfaitement. Leur volonté d’adhérer à la culture du groupe, notamment par mimétisme, fait partie des caractéristiques des grégaires. Le sport peut être un combat pour soi, mais il est surtout, chez les grégaires, un combat avec le groupe contre un autre groupe. Ici, entrent en scène les comportements altruistes liés au sacrifice de soi pour la victoire de l’équipe. L’équipe rejette ceux qui ne se sacrifient pas assez pour le groupe et dont le comportement est jugé responsable de l’échec du groupe (Dunning, 1986; Dunning et Maguire, 1995; Duret, 1999). Il n’y a pas dans cette dynamique que le simple sport. Par la pratique d’un sport, on gagne le respect et la reconnaissance sociale ainsi que la construction de son identité et de sa masculinité. Les victoires justifieraient de facto la présence de chacun (Douglas, 1990; Pronger, 1990; Saouter, 2000; Welzer-Lang, 2002; Welzer-Lang, 1994). 101 Plusieurs grégaires ont grandement besoin d’appartenir au groupe des hommes qui leur ressemblent et à qui ils peuvent ressembler. Ce besoin d’intégration exacerbe sans en avoir l'air leur désir de conformité au genre. Comme l’ont dit quelques répondants : « Tu vas où […] les hommes sont. Et c’est le fun d’être avec […] des gars, tes amis s’en vont faire du hockey, bien t’embarques parce qu’il faut que tu sois avec eux. » (Bertrand, hockey) C’est ainsi que les grégaires mettraient en place un ensemble de manœuvres leur permettant de maintenir leur statut à l’intérieur du groupe. La pratique d'un sport particulier — comme le hockey — peut être l’une de ces manœuvres. Comment se sentir un homme, ou sentir qu’on le devient, quand tout renvoie l’image contraire. Les garçons attirés par des activités plus « féminines » se voient contraints à l’exil social parce que, ce sont des traîtres à la masculinité, des déserteurs du groupe des hommes (Taywaditep, 2001; Welzer-Lang, 2002; Welzer-Lang, Dutay et Dorais, 1994) comme ce fut le cas pour Thomas, le patineur artistique. On entend par « activités plus féminines » les sports classés dans la catégorie esthétique. Ces sports sont en opposition aux sports agonistes, perçus comme typiquement masculins. La stratégie de Thomas est fort simple : il est revenu dans le giron de la masculinité dont il était sorti, (en s’adonnant à un sport esthétique) en jouant au hockey après avoir passé de nombreuses années dans le clan (féminin) des patineurs. Cela lui a permis de se racheter aux yeux des autres et à ses propres yeux, et donc de récupérer « des points » de masculinité. Les garçons identifiés comme homosexuels parce qu’ils pratiquent un sport dit féminin devraient-ils, pour se racheter, payer une sorte de rançon à la communauté des hommes ? C’est ainsi que les patineurs artistiques se verraient « condamnés à l'excellence ». Thomas a dû gagner plusieurs médailles et occuper un « métier d’homme » avant que ne cessent les injures homophobes. La masculinité serait à prouver et à démontrer encore davantage selon le sport que le jeune homme pratique. Les garçons ne seraient donc pas totalement libres de s’engager dans un sport ou un autre de façon purement aléatoire ou en se basant sur leurs seules appétences. Le choix de la pratique d’un sport s’effectuerait aussi en fonction des règles de la stigmatisation illustrées par Goffman (1975). Bien que la pression socioculturelle et le désir de maintenir le lien social aient une grande importance dans le choix d’un sport, cela ne veut pas dire que les garçons font semblant d’aimer les sports qu’ils pratiquent, mais que les choix réels qui s'offrent à eux sont limités en fonction de leur sexe et de leur désir d’intégration au groupe des hommes. Pour reprendre les termes heuristiques de Goffman (1973, 1973a, 2002), les rituels sociaux, ici ceux du sport, permettent une forme de représentation publique et de représentation de soi. Cela ne fait que montrer davantage comment l’intérêt collectif et individuel pour un sport est un construit social en fonction du genre et une stratégie d’intégration de la part des acteurs, construit qui conduit à un choix d’activité sportive déterminé par une prescription sociale. 102 Une nuance s’imposerait cependant dans la socialité des grégaires. Un certain nombre de ceux-ci qui ont aussi participé à des sports collectifs ilinistes tels que le volley-ball ou le basket-ball disent que ce sont des sports un peu plus individualistes. Dans ces sports, la solidarité et l'esprit de corps seraient un peu moins importants et c’est pourquoi ils ont préféré le football ou le hockey. Il n’y a pas d’extrait de propos dans le texte car la nuance était minime. Enfin, les grégaires que nous avons rencontrés n’ont changé que très rarement de catégorie de sport dans leur carrière; que ce soit pour passer d'un sport agoniste à un sport iliniste ou d’un sport collectif à un sport individuel. Lorsqu’un changement s’effectue, c'est dans des circonstances très particulières, comme ce fut le cas pour Érick, qui a cessé le hockey pour le vélo. Le plus souvent, ce changement s’opère à l’intérieur d’une même catégorie. Ainsi, on peut émettre l’hypothèse qu’un joueur abandonnerait le football pour le rugby ou le basketball pour le volley-ball, mais il serait peu probable qu’un rugbyman s’adonnerait au tennis, car les motivations à la pratique individuelle et collective seraient si différentes d’un idéaltype à l’autre qu’il serait difficile d’imaginer qu’un tel changement puisse se produire bien qu’il ne soit pas impossible, bien entendu. 10.2.1.2 L’anatomie et la destinée Pour répondre aux critères de performance dans leur discipline respective, les grégaires, comme les autres sportifs, transforment leur corps. C’est ainsi que d’être un fervent sportif faciliterait les conquêtes amoureuses ou sexuelles. La pratique d’un sport comporterait un attrait particulier pour les sportifs, car elle leur procurerait des avantages que les non sportifs ne peuvent avoir. Le fait de pratiquer un sport comme le hockey aide pour les conquêtes amoureuses ou sexuelles, à condition que ça se sache que t’es un sportif ou que ça paraisse dans ton corps, que ce soit évident. C’est clair que tu séduis plus. – Félix, hockey Le pouvoir de séduction est très important pour les répondants, que ce pouvoir s’exerce envers les femmes ou les hommes (bien qu’il ne s’agisse pas de séduction sexuelle envers ces derniers) n’a pas beaucoup d’importance, car leur conformité au modèle idéal de masculinité leur donne un certain pouvoir et certains avantages que les hommes moins conformes n’ont pas. Les changements physiques ont aussi une influence sur l’état d’âme, sur la perception que les sportifs ont de leur statut d’homme. Pour les joueurs, le statut supérieur du sportif et de son corps va naturellement de soi. 103 C’est plus les filles qui me passent des commentaires. C’est quand même flatteur. Mais, je ne me suis jamais servi de ça pour les filles. J’ai ma blonde, c’est assez. Tu me vois de même dans la rue, tu ne dirais pas que j’ai l’air d’un joueur de foot même si j’ai la démarche et la posture d’un sportif. Tu vois dans un sportif que son corps est plus normal. J’avoue que c’est plus beau. C’est plus le fun à regarder. On se sent pas mal mieux aussi quand on bouge. C’est aussi psychologiquement quand tu t’entraînes, tu te sens un autre homme. – Antoine, football Selon cet autre répondant, qui n’est pas dupe de ses prétentions ni de celles des sportifs qu’il connaît, la virilisation du corps et le pouvoir de séduction constituent les motifs essentiels de la pratique de la musculation et du sport. Être viril, c’est d’avoir l’air sportif. C’est avoir l’air en forme. Il y a tellement de gars qui s’entraînent en disant que c’est pour la santé ou pour être meilleurs dans leur sport. La vérité, c’est qu’ils s’entraînent pour aller dans les bars. Je connais tellement de gars qui s’entraînent juste avant de sortir, juste pour que les muscles soient encore gonflés. Être en « shape », c’est la demande. Je me suis fait prendre au piège parce que je ne m’étais jamais entraîné avant de faire du frisbee. Les entraîneurs m’ont fait un programme. Je prenais du muscle. Je prenais du poids. J’ai été pris dans l’engrenage, j’aimais ça. Finalement, j’ai tout réorienté mon programme. Je ne travaillais plus en entraînement pour le sport, je travaillais en hypertrophie. Dans ce temps-là, je suis allé dans le sud avec mes parents un petit peu plus tard dans l’année. Il fallait absolument que je gonfle le plus possible. C’est certain qu’un gars qui s’entraîne, c’est pour ça. C’est un symbole de virilité d’être musclé. Quand j’arrête de m’entraîner, j’en perds un peu, ça me fait chier. Je ne peux plus m’en passer. C’est pour le look. Je ne serais pas capable de dire pourquoi, mais il y a le muscle qu’il faut absolument qu’il soit développé. C’est sûr que les pectoraux, les biceps et les abdominaux, c’est le plus important. C’est comme les muscles du miroir viril. – Benoît, frisbee extrême Pas de doute possible, la musculation sert à viriliser le corps et la virilisation à son tour permet le renforcement positif de l’identité de genre. Muscles et masculinité semblent donc aller de pair pour plusieurs répondants. Le répondant suivant dévoile ses rêves et ses préoccupations à propos du corps. Cette fois, l’idéal masculin joint l’utile à l’agréable, pour ne pas dire au nécessaire. Le corps, c’est important parce que j’aime tellement le sport. Ça me fait plaisir d’avoir des muscles, mais j’aimerais en avoir plus, c’est mon rêve. J’aurais aimé mesurer six pieds trois pour être capable de jouer au volley-ball professionnel, de percer dans le hockey. Quand tu sais que tu as un certain talent, mais que tu n’as pas les dimensions physiques, c’est frustrant. Il me faudrait ces capacitéslà. – André, soccer Du point de vue des performances sportives ou de l’esthétique, la plupart des répondants ont un corps qui ne correspond pas à leur souhait, à leurs attentes, un état de choses que la 104 musculation permet de changer. Malgré ses nombreux avantages, l'état d'homme comporte aussi quelques inconvénients mineurs, comme le précise le répondant suivant. Je n’ai jamais voulu vieillir. Je n’ai jamais voulu avoir de poils, de barbe. Ça me faisait chier parce que c’est plate te couper ça. Y a-t-il quelque chose de plus absurde que de se faire la barbe ? C’est comme le gazon, c’est des absurdités de la vie. Pour moi, il n’y avait pas de fierté au premier poil même si j’ai la barbe de deux jours tout le temps. Je me rase quand ça me tente, ça veut rien dire pour moi. J’ai un idéal physique. Physiquement, j’aurais aimé ça être imberbe. J’aurais aimé ça avoir six pieds deux. J’aurais aimé ça être musclé, mais qu’estce que tu veux qu’on fasse ? Avoir une masse musculaire, quand tu veux faire du hockey, si tu es assez imposant, ça aide. Je trouve ça super beau. J’aime pas les hommes trop musclés, mais quelqu’un est assez dessiné, j’aime ça. C’est beau. Probablement que ces images me viennent de la télé, mais oui, j’aimerais ça être fait comme ça. – André, soccer Un grégaire raconte comment il a modifié son corps par la musculation afin de satisfaire les exigences des entraîneurs, exigences qui sont devenues les siennes en fin de compte. Le but de m’entraîner, c’est de jouer au foot, pour être meilleur au foot, sinon, moi, je ne le ferais pas si intense que ça. Il y en a qui le font pour être en santé, moi c’est pour performer. Ce n’est pas le même training du tout. Mon corps change, évolue. C’est sur la balance, en toute fin, que ça se voit. Je dois prendre de la masse pour pouvoir être plus pesant quand je rentre dans quelqu’un. Quand je suis arrivé ici, je pesais 140 livres. C’est pas mal inférieur à la moyenne de l’équipe. Je fais six pieds et un. J’étais maigre. L’entraîneur m’a fait un programme, j’ai pris 60 livres depuis en deux ans. En saison, je perds une dizaine de livres. Je remonte. Quand je vais avoir 210, je ne vais plus monter. Je ne garderais pas mes muscles si je ne m’entraînais pas souvent. – Antoine, football Dans le témoignage suivant, voyons comment s’est faite la transformation du corps. Comme pour beaucoup d’autres, le répondant suivant a modifié son corps selon les directives de son entraîneur; l’obligation de prendre du poids s’est imposée à lui. Il a fallu que je m’entraîne gros, parce qu’avant j’étais tout petit même si c’est dur à croire. Je mesure 6 pieds 4, mais j’ai déjà pesé 165 livres au lieu de 280. En secondaire 5, je pesais 185 et depuis mon cégep, je n’arrête pas de monter. C’était volontaire. C’est comme un régime de vie où il faut que je mange et que je m’entraîne. Si je veux aller professionnel, il faut que j’aie au moins 300 livres pour ma position, sans être gras. – Jean, football Il faut souvent attendre l’adolescence pour voir si le garçon aura le physique pour pratiquer le sport choisi. 105 Je voulais devenir joueur du Canadien. Je vais essayer de monter. Je me suis mis à m’entraîner, à me défoncer le corps. Je pesais 148 livres. À un moment donné, je pesais 208 livres. Je m’étais entraîné à manger. Je me suis mis à m’entraîner en enragé jusqu'à tant que je me défonce les deux genoux et d’avoir de la misère à marcher ou à monter un escalier. J’avais les cuisses terriblement larges, les fesses très développées. J’ai arrêté un moment donné parce que je n’en pouvais plus d’endurer le martyr. – Manu, baseball, hockey Un autre garçon raconte comment la transformation de son corps est essentielle pour la pratique de son sport. J’ai travaillé fort parce qu’au départ, je n’étais pas super gros. J’ai travaillé fort, pour prendre du poids, pour m’entraîner, puis me développer musculairement. J’ai 62 livres de plus que quand j’ai commencé. C’était volontaire. Je me suis entraîné comme un déchaîné, j’ai mangé, ça n’avait aucun sens. – Daniel, football Le témoignage suivant raconte comment la croissance qui survient à l’adolescence peut réserver des imprévus et déstabiliser le jeune sportif. Le seul sport où j’étais bon, c’était le soccer. Au hockey, j’étais vraiment poche. Je n’étais pas assez gros. En secondaire 2, j’ai eu ma poussée de croissance. Je faisais cinq pieds et 10 à 145 livres. Je suis passé à six pieds en secondaire 3, puis à six pieds et trois en secondaire 4. Quand je suis arrivé en secondaire 4, j’étais vraiment plus grand que les autres. J’étais aussi plus fort que les autres. Maintenant je fais six pieds et quatre à 205 livres. Je peux faire du football. – Paul, football Rendu en secondaire un, j’ai arrêté le sport. Je ne progressais plus. J’étais dans ma croissance, de 4 à 5 pouces par année. Je n’étais plus capable de pousser la balle. J’étais tout croche. J’étais plus fort que les autres à un moment donné, mais je n’avais aucune précision. – Laurent, football Il semble qu’un joueur très musclé et massif a donc plus de talent qu’un freluquet. J’ai fait du hockey très tôt; à partir de l’âge de six ans. J’ai poursuivi le hockey jusqu’au midget. Après j’ai abandonné parce que je n’avais pas le talent, qui fallait. Et en plus, ça commençait à être violent. Ce n’est pas long que tu t’aperçois que tu ne deviendras pas joueur de hockey. Je n’avais pas le physique pour être violent comme ça. – Félix, Hockey Certains ont cependant la chance d’avoir une hérédité qui les avantage dans certaines activités sportives mises en valeur socialement telles que le hockey ou le football. En secondaire 5, j’ai arrêté de jouer au hockey parce que j’étais en changement de morphologie… J’ai commencé à prendre plus de poids. Au hockey, il faut que tu sois agile. Ma morphologie allait mieux au football qu’au hockey. La prise de poids, c’est arrivé comme ça. Ce n’était pas volontaire. C’est dans mes gènes. – Laurent, football 106 Son physique le favorise pour le football, mais pas pour d’autres sports tels que le soccer ou le basket. Au soccer, cela n’a pas été un gros succès, parce que physiquement, j’étais plus gros que les autres. Au soccer, il faut courir aller et retour. J’étais en arrière des autres. Je n’étais pas très bon, j’étais découragé. J’ai joué deux ans, puis je n’aimais pas ça. – Laurent, football Il est possible de repousser les limites du corps pour en tirer des avantages, mais certaines d’entre elles sont difficilement repoussables, comme celles imposées par la maladie (l’asthme par exemple) ou les handicaps. J’avais vraiment envie de faire un sport compétitif, mais quand j’étais petit, j’étais asthmatique assez grave. Je ne pouvais pas m’impliquer dans un sport. Quand je commençais à courir, je poignais des crises d’asthme. À 14-15 ans, ça a arrêté. Là, j’étais vraiment actif pour faire des sports. – Benoît, frisbee extrême J’ai suivi des cours de natation pour apprendre à nager. J’ai arrêté parce que je faisais de l’asthme. – Sylvain, football Les sportifs poussent leur corps à la limite du possible. J’ai fait le football. À ma première partie, je me suis fait démancher. Depuis que je suis revenu de ma blessure, je suis devenu agressif. J’ai continué au football pour me défouler. – Sylvain, football Le football est un jeu d’hommes. Dans l’action, ça se passe tellement vite que tu ne le sens pas toujours. C’est plus, après, une dizaine de minutes, quand tu retournes chacun de ton côté, c’est là que tu te rends compte que tu as mal en quelque part. L’adrénaline, c’est plus ou moins dangereux aussi, parce que c’est après les matchs ou le lendemain matin que les bobos se déclarent. Il faut aller voir le médecin. – Laurent, football On se fait mettre des bandages pour éviter les blessures. Ce sont des physiothérapeutes qui s’occupent de ça. – Daniel, football Le sportif doit savoir distinguer la douleur négligeable (« nécessaire ) de la douleur préoccupante, dont il doit tenir compte. Il faut différencier la simple douleur d’une blessure. Une petite grafigne, ça fait mal, mais t’es capable de fonctionner. Si tu te foules la cheville, là tu n’es plus capable de marcher. L’autre fois, je me suis claqué un muscle et j’ai continué à jouer et j’ai été trois mois sans pouvoir pratiquer. Il faut être prêt à endurer. – Jean, football L’affrontement avec l’incontournable blessure se fait souvent avec le soutien des proches. Parfois la mère reprend son rôle auprès du sportif redevenu l’enfant. Le désir de carrière et 107 d’avancement ou de reconnaissance sociale passe avant le mal. La douleur provoque un sentiment d’impuissance difficilement supportable. Je me suis déjà blessé aux chevilles. Je m’étais déchiré le ligament parce que je n’étais pas tapé [du terme anglais tape, ruban gommé]. C’était l’enfer, une chance que j’ai eu ma mère. J’ai été une semaine immobile. C’est arrivé, je ne pouvais rien faire. La saison s’en venait. Je capotais, il fallait que je joue. Il fallait que j’aille me faire reconnaître dans la ligue parce que je voulais être repêché. J’ai fait quasiment une dépression. Je me suis relevé. C’est l’année où j’ai gagné mon trophée du meilleur de la ligue. – Daniel, football L’arrêt du jeu ou de la pratique sportive peut marquer la fin du corps idéal et de l’intégration du jeune homme au sein de l’équipe. Il n’est pas facile de renoncer et de passer en seconde zone. La fin de la carrière semble improbable. S’il arrivait que le sportif dût mettre fin à sa carrière, cela lui en coûterait beaucoup. C’est arrivé quelques fois dans ma vie que j’ai arrêté de faire du sport. Dans ce temps-là, je ne suis plus en forme du tout. Je prends du poids et mon cardio est mauvais. Je monte des escaliers et je m’essouffle. Les deux fois dans ma vie que j’ai arrêté de faire du sport, j’ai pris du poids. Je n’ai pas le choix. Il faut que je fasse du sport, ça me fait du bien et j’aime ça en plus. – Éric, hockey L’augmentation du volume musculaire et de la force est essentielle à la pratique sportive, mais elle est aussi souhaitée dans une logique unifiant performance, santé et esthétique corporelle. L’esthétique virile et son pouvoir de séduction sur les autres, les femmes surtout, sont primordiaux. La musculation est ici l’outil essentiel de cette transformation déontique. Les sportifs sont conscients de correspondre ou non aux canons de l’esthétique masculine. Durant les pratiques de football auxquelles nous avons assisté, certains joueurs (toujours les mêmes) enlevaient leur chandail quand il faisait trop chaud et s’entraînaient torse nu. Il est possible de remarquer — et cela n’est pas un hasard — que se sont les joueurs qui ont un corps se rapprochant le plus des canons de la beauté contemporaine qui exposent leurs pectoraux et leurs abdominaux musclés. Les autres n’ont sans doute pas moins chaud, mais quelque chose les inciterait à rester vêtus. Le corps possède un pouvoir essentiel d’attirer à soi les meilleurs éléments (hommes ou femmes), les plus beaux, les plus virils, les plus riches aussi (Associated Press, 2005 ; Sitter, 1999). Le but est l’atteinte, ou plutôt l’appropriation de la virilité et de la masculinité idéale et parfaite. La pratique sportive permet de se séduire les uns les autres au sens large. Les grégaires cherchent à modeler leur corps à l’image de l’idéal masculin et viril. Ils hypertrophient volontiers les muscles visibles comme les pectoraux, les biceps et les abdominaux, 108 mais si ce n’était des exigences de leur entraîneur, ils négligeraient certainement les autres muscles. Les critères de la masculinité du corps sont historiquement si anciens et ancrés dans le social que tous ont l’impression qu’ils sont naturels et innés. Le corps est une préoccupation pour tous les joueurs, même amateurs. Les sportifs de haut niveau deviennent des modèles pour les amateurs non professionnels qui tentent de les imiter jusqu'à un certain point. En entrevue, un responsable des programmes d’entraînement dans un centre sportif nous confiait que parmi la clientèle du centre, les hommes demandent des programmes pour être gros et musclés. Les grégaires veulent se sentir virils dans leur corps et masculins dans leur être, et le miroir physique ou social doit le leur confirmer. Les hommes ont de la difficulté à échapper à ce jeu de miroir, ou mirroring selon Klein A.,(1993), en interaction avec la société. Hétérosexuels ou homosexuels, ils vont au gymnase pour se viriliser; les premiers pour ne pas avoir l’air gai, les autres pour se faire pardonner souvent de l’être (Klein, A., 1993; Levine, 1998; Pronger, 1990). Le discours social sur la santé, sur la nécessité de maintenir une bonne condition physique ou encore sur le fait que l’entraînement est essentiel à l’amélioration des performances sportives ne serait-il qu’un alibi qui masque les motivations réelles des sportifs qui s’adonnent à la musculation ? Comme le dit l’adage populaire, il faut souffrir pour être beau. Souffrir jusqu’à la déformation du corps ? Plusieurs des répondants tentent de transformer leur corps pour masculiniser leur façon de penser et se conformer au modèle que l’on attend d’eux socialement. Ce serait une forme de dictature du genre. En fait, il est possible de penser que ceux qui ne succombent pas aux impératifs sportifs seront marginalisés. En voulant correspondre aux normes de la masculinité hégémonique, certains répondants vont jusqu’à la rupture du corps. En effet, de nombreux répondants iraient jusqu’à la rupture du corps par les blessures sportives, ou, comme l’avait découvert Klein A. (1993), par le surentraînement, les diètes trop sévères de gavage aux protéines et un culturisme extrême rendant le corps difforme par trop d’hypertrophie musculaire. Il s’agirait d’une problématique inverse de celle vécue par les adolescentes anorexiques, une sorte d’anorexie à l’envers. Pour cette transformation, tout sacrifice serait fait. Le sort du sportif ressemblerait à celui du martyr (Chamalidis, 2000) sacrifiant tout et même parfois sa vie pour l’accomplissement de son idéal. (Lake, 1989 ; Montaignac, 2005) Cela apparaît parfois comme une forme de body modification. La réelle différence entre cette body modification et celle qu’évoque normalement ce terme (perçage, implant, tatouage…), c’est qu’elle est faite dans un cadre fortement valorisé par tous les discours sociaux sur la 109 santé. Il s’agit tout de même de transformation du corps, parfois radicale ou extrême (Chamalidis, 2000). En effet, quand un garçon de 5 pieds 10 pouces comme Antoine passe de 140 à 195 livres, le tout en muscle et non en gras, en un an, ce n’est ni une petite affaire ni une transformation mineure. Le corps, sa taille et ses prouesses potentielles dictent au garçon le type de sport qu’il peut choisir. Chacun peut avoir de grands espoirs, de grands rêves, mais qui ne pourront se réaliser parce que le milieu sportif impose des critères morphologiques très précis, parfois difficiles à atteindre, auxquels il peut être impossible de répondre. Les jeunes hommes s’efforcent cependant d’y répondre du mieux qu’ils le peuvent afin de maximiser leurs chances de concrétiser leurs aspirations. L’agressivité dans le sport fait partie essentielle du jeu, en particulier au hockey (Bairner, 1999; Melançon, 1978; Presse canadienne, 2004; Sport illustrated, 2004). Pour être d’une violence « compétitive », il faut avoir une certaine masse musculaire, ce que les sportifs nomment souvent « talent ». En effet, pour les gens qui ne connaissent pas le milieu sportif, le talent signifie ou évoque l’adresse et l’habileté d’un sportif au jeu; le plus souvent, il se mesure par un rapport de la masse à la taille. Au football par exemple, certains joueurs sont choisis spécifiquement pour leur masse physique imposante et constituent la défense pour les porteurs de ballon. Au rugby, on les nomme les laboureurs (Saouter, 2000). Ces joueurs ont du talent pour la défense alors que comme porteurs de ballon, ils n'en auraient aucun. Autant le physique de nombreux répondants leur a permis de poursuivre leur carrière et même d’exceller dans certains sports, autant il en a obligé d’autres du même âge à arrêter ou à changer d’activité sportive. Comme l’avait écrit Thomas Laqueur (1992), l’anatomie fait la destinée. Les hommes sportifs poussent leur corps à la limite, et cette limite est souvent marquée par la douleur et les blessures (Curry et Strauss, 1994). Il ne s’agit pas ici du sacrifice de soi, mais bien du sacrifice du corps dans la douleur. C’est le modus operandi de beaucoup de répondants rencontrés. Parmi les répondants de l’équipe de football, quelquesuns ont été en convalescence et absents du jeu un certain temps à cause de blessures sportives. Aller voir le médecin ? Bien entendu. Le phénomène ici serait inverse à celui identifié par Dulac (2001), qui affirmait que la tendance des hommes est de ne pas se faire soigner et d’attendre. Chez les sportifs rencontrés, c’est le contraire. Ils sont suivis par une équipe de spécialistes se préoccupant de leur corps, instrument de leur pratique, ou source de leurs prouesses et objet d’une grande fierté. Autant ils sont durs au jeu, autant ils veillent à bien se soigner. Le corps doit rester compétitif, les faiblesses ne sont pas possibles. C’est pourquoi les équipes sportives universitaires ou de haut niveau qui ont été observées disposent 110 d’accès faciles et prioritaires à la physiothérapie et à la médecine sportive. Les sportifs ne maronnent pas sur des listes d’attente, et les coûts des soins sont couverts par les organisations sportives. Les jeux physiques, la force, la robustesse et l’agressivité, voilà donc les caractéristiques de la masculinité traditionnelle. La douleur constitue une partie intrinsèque de cette identité et le jeu sportif constitue le lieu privilégié de l’expression de cette identité. Être un champion nécessite des sacrifices (Chamalidis, 2000) et une forme d’abnégation. La complexion du sportif lui imposerait le choix du sport qu’il pratique et dans lequel il veut exceller. En effet, autant la complexion intrinsèque au sportif lui ouvre certaines possibilités, autant elle lui en ferme d’autres. C'est pourquoi, afin de le rendre conforme aux normes qui permettent les performances imposées par leur sport, les grégaires transforment leur corps par la musculation, l’alimentation et l’entraînement. De plus, les gains esthétiques acquis par la pratique sportive virilisant le corps sont plus qu’un effet secondaire dû au hasard ; ils sont aussi souhaités et appréciés dans une pratique corporelle réflexive composant les prescriptions du corps. 10.2.1.3 La revanche Certains dictats sociaux ou morphologiques motivent les grégaires à pratiquer un sport particulier plutôt qu’un autre. Cependant, certains répondants ne correspondent pas aux critères sociaux ou corporels attendus. Ils se retrouvent alors hors normes et stigmatisés à cause de leur non-conformité. Je n’étais pas agressif. À l’école, j’étais toujours plus corpulent que les autres. Je me faisais tout le temps dire « le gros ». J’étais tanné de me faire écœurer. j’ai continué au football pour me défouler. – Sylvain, football Au-delà du défoulement, l’intégration possible à un groupe, l’estime et le respect des autres permettent parfois de retrouver une estime qui leur manquait. Le sport, en particulier le sport collectif, devient l’un des fondements du lien social pour de nombreux garçons. Un sport d’équipe comme le football te rattache à quelque chose. Ça aide à t’intégrer dans une gang. Au secondaire, il y avait un gros comme moi et quand il a commencé à jouer au foot, il est devenu la star de l’école. C’est comme ça que j’ai commencé à faire des sports d’équipe. J’ai pensé que ça pouvait marcher pour moi et ça a marché. – Sylvain, football 111 Un autre répondant a trouvé également dans le football une façon de se valoriser. Cette fois, à l’opposé du répondant précédent, c’est le manque de poids qui empêchait celui-ci d’avoir une place respectée dans son groupe social. Le football, ça me donne la satisfaction que dans la société le monde a peur des gros. Je travaille dans une place publique. Quand je dis à quelqu’un d’arrêter de faire de quoi, il va arrêter. Si c’est un petit, il n’arrêtera pas. Ça me donne un peu de sécurité parce que quand j’étais plus jeune, je me suis fait brasser pas mal au primaire et au secondaire. Je me suis fait casser la gueule quelques fois à l’école. En ayant une bonne shape, les jeunes ne te brassent pas, ils te respectent. J’étais le petit gars qui se fait écoeurer par tout le monde. Aujourd’hui, je ne veux plus que ça arrive. C’est pour ça que je m’entraîne comme un malade. J’ai changé d’attitude. – Daniel, football Ce phénomène, qu’il conviendrait de nommer « la revanche du marginalisé », peut permettre à un laissé-pour-compte sinon de réussir son intégration sociale, du moins d’obtenir le respect de son milieu. Je me servais de l’entraînement pour avoir l’air plus imposant, pour essayer de régler mes problèmes. J’étais tanné d’être traité de poule mouillée, de manquer de courage. J’étais replié sur moi-même. J’étais très maigre et très léger. J’étais chétif. Je faisais rire de moi. Je me suis rebiffé et je me suis dit que j’allais me venger de tout ça. Les gars disaient « attention, il pourrait se casser. Dans les cours d’éducation physique à 16 ans, ça faisait rire tout le monde. – Manu, baseball, hockey Ce répondant était si ostracisé qu’il ne pouvait pratiquer ni avec d’autres garçons, ni devant eux. En effet, les garçons mis à l’écart n’ont que peu d’espace social pour se refaire une réputation. Tout va comme si on ne voulait pas qu’ils changent et cessent d’être des « rejets», car les jeunes hommes sportifs doivent disposer de contre-exemples, de boucs-émissaires afin de se conforter dans leur appartenance au groupe des vrais hommes. Par conséquent, certains d’entre eux décident de s’entraîner la nuit, afin que personne ne les voit. Une fois qu’ils seront assez bons, ils pourront, pensent-ils, se mesurer aux autres au grand jour, sans crainte. J’ai commencé au début à patiner la nuit. J’ai commencé par travailler mon coup de patin la nuit pour ne pas être vu par personne, pour ne pas être la risée de personne. Je commençais à me développer. J’ai pris un peu plus d’assurance. Je n’ai pas lâché. – Marc, football D’autres enfin se jettent dans l’activité sportive de manière que l’on pourrait qualifier de compulsive. Ils sont pressés de trouver une place sociale qui leur fait défaut, une estime d’eux-mêmes et des autres dont ils se sentent privés. De plus, à la différence d’autres 112 joueurs d’équipe qui ont eu le soutien de leur famille ou de leur entourage, certains, comme, le répondant suivant n’ont pu compter que sur eux-mêmes pour y parvenir. Je faisais partie d’une équipe de soccer et je pratiquais en enragé. J’avais 9 ans quand j’ai commencé. J’avais développé mes capacités physiques. J’ai encore la force dans les jambes, une puissance pour me remorquer, mais je n’ai pas la dextérité. Je suivais un entraînement spécial. Je voulais être accepté. Je voulais donner tout. Je voulais vraiment. – Manu, baseball, hockey Pour un garçon comme Manu, la pratique d’un sport est une occasion importante pour se fabriquer une identité masculine reconnue. Comme d’autres, ce répondant tente de suivre une recette qu’il comprend en décodant les messages que lui envoie son environnement social. Il tente de réunir et de s’approprier les ingrédients qui lui font défaut. Il a des doutes quant à l’authenticité de son personnage, mais ce personnage lui permet de survivre et lui donne l’assurance qui lui manque pour se sentir en sécurité et, surtout, pour se valoriser. Le sport permet... De développer une confiance en moi, de ne pas avoir peur pour quoi que ce soit. Je suis capable de faire face à la musique ou à quoi que ce soit. Ça prend quand même une certaine force physique sans être le gars qui a des bras qui n’accotent plus de chaque côté. J’avais développé plus d’assurance. Quand tu vas t’asseoir dans l’autobus, tu es plus lourd. Je pouvais défier du regard quelqu’un. Je me sentais capable de rentrer les gars dans le mur. J’étais plus stable. J’ai même pris des cours de karaté parce que ça donne une certaine force, puis ça développe la souplesse. Je voyais bien que ce n’était pas moi et que je jouais un genre de personnage. Je jouais un vrai de vrai, un dur de dur, mais j’ai commencé tard, quand ma personnalité, mon comportement étaient déjà un peu formés. – Manu, baseball, hockey Comme on peut le constater, il faudrait avoir l’air lourd et solide, mais pas trop, car dans notre société, où seules sont reconnues les personnes au corps mince, svelte et sans gras, tout excès de poids, comme ce fut le cas pour Sylvain, peut contribuer à la stigmatisation. Au contraire cependant, c’est parfois la maigreur et la délicatesse du corps qui dérangent et jettent l’opprobre sur les jeunes hommes. Peu de grégaires ont fait du sport dans le seul but de se venger d’une exclusion sociale liée à la non-conformité de genre. Cela peut s’expliquer par le simple fait que les garçons « efféminés » ont été d’emblée et très tôt éliminés des sports collectifs, pour ne pas dire mis hors-jeu, et poussés à la pratique de sports individuels pour ceux qui ont continué à pratiquer une activité sportive. Après avoir subi une forme de rejet social, il arrive donc que certains grégaires voient dans la pratique sportive une forme de revanche qui leur permet de regagner une place dans la société ou d’effacer un stigmate cor- 113 porel. La revanche constituerait une stratégie d'intégration sociale par laquelle le jeune homme montre à tous sa « vraie » valeur. C’est comme si le sport devenait une « stratégie de survie », un sport « solution » ou « revanche ». Les garçons se doivent d’être musclés et costauds, et ils doivent se conformer au modèle hégémonique, sans quoi ils risquent la mise au ban de la société. Parfois le changement physique dû à la pratique sportive amène aussi un changement de mentalité bénéfique pour le jeune homme, dans la mesure où celui-ci retrouve une confiance en lui, une assurance qui le valorise et le rend heureux, c’est-à-dire que le jeune homme redevient conforme au modèle de masculinité hégémonique. La revanche constituerait une source de motivation importante pour de nombreux sportifs. Certains garçons réussiraient à redorer leur statut social en excellant dans un sport particulier. Ils tourneraient ainsi à leur avantage certains stigmates qui leur avaient d'abord valu d’être stigmatisés. L’idée de la revanche est très souvent présente lorsque le sentiment d’avoir été humilié est présent. Humilié parce que le jeune homme ne correspond pas au standard de la masculinité hégémonique. Il tente alors de prouver, à sa façon, qu’il est le meilleur et qu’il peut en imposer. Dans les discours des répondants, on peut voir que pour certains, le fait de se doter d’un corps imposant et d’exceller dans leur sport leur permet d’avoir leur vengeance. La vengeance comme motivateur de l’action n’est pas à négliger chez les jeunes hommes car tous les cas de tueries dans les écoles aux USA analysés par Garbarino avaient un seul point en commun, le sentiment d’avoir été humilié et d’imposer maintenant une revanche… à la méthode de John Wayne (Garbarino, 1999; Pollack, 2001; Tremblay, 2007). En bref, les motivations et les finalités à la pratique sportive des grégaires… Comment les grégaires en viennent-ils à choisir le ou les sports qu'ils pratiquent ? Le choix d’un sport ne se fait pas au hasard et toutes les possibilités ne sont pas équivalentes. Le champ des possibilités se réduit par l’action des prescriptions sociales et des prescriptions du corps. Les prescriptions sociales constituent ce qui oriente le choix des grégaires au début de leur carrière sportive. Au Québec, le hockey fait à ce point partie de la culture qu’il est perçu comme immanent. Ce serait donc par le biais d’un sport collectif reproduisant les valeurs de la masculinité traditionnelle, voire hégémonique, que les jeunes garçons construisent leur genre, excluant en partie certains sports ilinistes, mais surtout esthétiques. En effet, le jeune garçon doit choisir un sport où il devra réussir et performer, un sport qui exacerbe sa masculinité et sa virilité. Autrement dit, il lui faut choisir un sport qui lui permettra 114 de se construire une identité de genre correspondant aux critères de la masculinité hégémonique par le maintien des piliers de cette masculinité que sont la complicité avec un groupe d'hommes particuliers, voire avec tous les autres hommes, la marginalisation de ceux qui ne sont pas conformes au modèle, la subordination à la hiérarchie masculine, la peur du féminin et donc de l’homosexualité, et ce, par le biais d’une pratique corporelle réflexive vécue comme des prescriptions du corps. Les prescriptions du corps seraient de deux ordres. D’une part, le corps et sa complexion limitent les jeunes hommes dans leurs choix. Si les jeunes hommes ne deviennent pas assez grands, ils ne pourront pas jouer au basket. S’ils ne sont pas assez costauds, les portes du hockey et du football leur resteront fermées. D’autre part, une fois la pratique d'un sport établie et la carrière sportive commencée, les grégaires tenteront de transformer leur corps pour que celui-ci corresponde le plus possible aux critères de la virilité et de la masculinité en étant le plus performant possible. Les gains esthétiques complémentaires ne sont du reste pas négligés, bien au contraire. Les grégaires seraient conscients du capital de séduction qu’ils possèdent et travailleraient à le développer davantage. Certains grégaires s’éloignent même du programme de musculation qui leur est prescrit, attirés par une nouvelle esthétique corporelle maintenant accessible. Ils dépasseraient souvent la mesure et tomberaient dans une sorte d’assuétude où la recherche de l’augmentation de la masse musculaire est sans fin, car la conformité au modèle de l'esthétique viril resterait inatteignable. La musculation deviendrait une sorte de body modification sans en porter le nom. Certains grégaires, durant le temps qu’a duré cette recherche, ont pris 30 ou 40 livres de muscle, ce qui constitue un gain énorme presque 30 % par rapport à leur poids initial. Cependant, à pousser le corps trop loin, on peut le briser. Les blessures sportives ramènent parfois à la case départ les jeunes hommes et refroidissent leurs élans. Si l’anatomie fait la destinée (Laqueur, 1992), s’il est possible de lui forcer la main, il existe cependant une limite qui se rappelle parfois cruellement aux sportifs. Enfin, la revanche comme dernier facteur de motivation à la pratique sportive est apparue comme importante. Certains jeunes hommes qui ne parvenaient pas à répondre aux normes de la masculinité soit parce qu’ils ont été incapables de réussir dans un sport — soit parce qu’ils ont échoué lors des rituels sportifs d’entrée dans l’équipe ou encore parce qu’ils n’ont pu satisfaire aux prescriptions du corps attendu — ont été victimes de marginalisation de la part des autres hommes, qui soit les ont privés de toute possibilité de complicité, soit les ont subordonnés aux hommes correspondant aux critères. Autrement dit, ils ont été féminisés. Ces hommes marginalisés se referaient une place et « vengeraient » leur marginalisation par la performance sportive. C'est ce qui a été nommé la revanche du chétif, de l'obèse, du timi- 115 de, du marginalisé. Reconquérir une place au sein d'un groupe sportif, et donc des hommes, leur assurerait la stabilisation de leur masculinité et de leur virilité à leurs yeux et aux yeux des autres. 10.2.2 Pour les solitaires 10.2.2.1 Les prescriptions sociales ou la vocation solitaire On peut identifier quatre types de prescriptions sociales qui déterminent le choix d’un sport chez les solitaires. Les motivations socioculturelles, les motivations parentales, les motivations reliées au prestige identitaire et les motivations reliées à l’orientation sexuelle ou à la non-conformité de genre. Les motivations socioculturelles Les motivations socioculturelles réunissent les motivation qui sont liées au contexte social ou culturel qui poussent les jeunes hommes à faire certains choix sportifs. Elles sont portées notamment par les amis, l’entourage, les médias, l’école… L’activité sportive sortirait les solitaires de leur vie courante en leur permettant de se centrer sur une chose extérieure à leur préoccupation. C’est comme des états d’énergie plus importants qu’une vie normale. Dans des situations soit de stress ou autres... Tout d’un coup, ça devient très important au cours d’un match [tennis], le jeu me prend entièrement. Ça me sort du quotidien. – Victor, tennis Comme tant d’autres, de nombreux solitaires ont tenté leur chance au hockey avant de choir dans un sport individuel. J’aurais aimé être un bon joueur de hockey. Richard, natation Si j’avais pu choisir, j’aurais choisi le hockey parce qu’au secondaire, les gars y jouaient beaucoup. Je fais du sport beaucoup pour afficher ma masculinité dans le sport, mais c’est le hockey qui est un sport très viril. – Simon, cycliste Au secondaire, les cours d’éducation physique permettent parfois aux jeunes hommes de développer des goûts qu’ils ne soupçonnaient pas avoir. La pratique d’un sport permet de nouer des amitiés et s’inscrit dans des rituels sociaux intégrationnistes en plus de procurer une forme de satisfaction personnelle qui nourrit l’estime de soi. On peut remarquer, dans le témoignage suivant, les caractéristiques typiques du solitaire dans le genre de pratique et de satisfaction qu’apporte le sport. Ce qui compte, ce sont les satisfactions personnelles et interpersonnelles. 116 En secondaire 1, j’ai commencé les cours d’éducation physique. Je me suis rendu compte que j’étais bon à la course. J’avais deux ou trois amis. On courait ensemble. À l’université, j’ai vraiment commencé à m’entraîner d’une façon régulière. La course, c’est une façon de se retrouver. Pour moi, c’est un sport facile à faire. Je me vide, je me fixe des défis qui sont à moi. Je n’ai pas besoin de le dire à personne. C’est une façon de dépenser le trop-plein d’énergie. – Pierre, natation Les solitaires, comme les grégaires, ont le souci de s’intégrer au groupe des hommes en utilisant la recette prescrite usuellement aux jeunes hommes soit la pratique du hockey. Il semble que ce type de sport ne cadre pas avec les besoins des solitaires malgré les pressions exercées sur eux, car l’activité sportive des solitaires ne serait pas intégrée à leur vie comme c’est le cas pour les grégaires. Elle les sortirait plutôt de leur vie, de leur quotidien au lieu de se fondre à elle comme c’est le cas pour les grégaires. C'est seul que le solitaire se rend au gymnase et c’est seul qu’il en revient. Il n’y a pas d’effet de bande, pas de repas communautaires. Les motivations parentales et familiales Ce sont les motivations directement amenées par le lien familial surtout par le père, mais parfois aussi par d’autres membres de la famille. Souvent, l’engouement pour le hockey est suscité par le milieu social comme on a pu le voir, mais il s’inscrit également dans la tradition familiale; c’est alors souvent le père qui incite ses fils à sa pratique. Le père, parfois idole sportive, constitue un bon promoteur de la masculinité, et ses fils veulent lui ressembler dans une sorte de filiation de la masculinité. [Mon père] a joué comme capitaine d’équipe de hockey toute sa vie. Il a été champion au Québec plusieurs années. Il a fait des tournois internationaux. Un grand sportif toujours classé international et national. Mon père était toujours le coach de l’équipe au hockey et baseball, alors j’ai fait tous ces sports. J’ai commencé à jouer à cinq ans. Je me suis rendu jusqu’à provinciale à 13 ou 14 ans. J’ai commencé assez jeune aussi au tennis à 10 ans. J’ai fait partie de l’équipe interprovinciale. – Édouard, badminton Mon père a toujours été sportif. Il a joué au hockey étant jeune. Mon père a toujours été un modèle. J’ai toujours vu mon père s’entraîner. Ce qui fait que moi aussi très, très jeune, j’ai fait du sport. Mon père a été longtemps mon coach. – Hervé, aviron C’est mon père qui m’a vraiment amené vers le sport à 6 ou 7 ans. C’est avec lui que j’ai pratiqué mes premiers sports. – Richard, natation De plus, la pratique sportive plus que le hockey permet une forme de communication avec le père que d’autres activités ne semblent pas favoriser autant. 117 Je dirais que c’est un moyen de communiquer avec mon père, de partager quelque chose. Aussi parce que ça donne une discipline, de l’entraînement et de l’encadrement. J’avais un père qui s’impliquait. – Hervé, aviron D’autres enfin ne commencent pas par le hockey. C'est à ce moment que les pères se « retirent » et laissent la place à un autre membre de la famille, comme un oncle ou un frère, qui deviennent alors déterminants dans le choix d’un sport dans la carrière du jeune solitaire. J’avais cinq ans quand j’ai commencé la natation. Ce sont mes parents qui m’ont motivé à ça. Maintenant je fais de la natation et de la course à pied. J’ai fait tous les cours de natation et mes cours de sauveteur. – Pierre, natation Mon oncle était professeur de tennis, c’est un très bon joueur. – Richard, natation Actuellement, c’est la natation que je pratique plusieurs fois par semaine depuis deux ans. J’ai pratiqué le tennis de compétition étant plus jeune vers 7 ou 8 ans. J’ai fait du tennis parce que mon frère faisait le tennis déjà. Mon frère est devenu plus tard un modèle pour moi. – Victor, tennis Le sport deviendrait une sorte de filiation du père au fils, de l’oncle au neveu ou du grand frère au plus petit, ou sorte de renforcement du lien familial où l’intégration au groupe des hommes, la subordination au modèle et la complicité avec les autres membres de la gent masculine permettent au jeune sportif de s’intégrer dans la conformité au rôle de genre. Le prestige Tous rêvent de reconnaissance sociale et l’activité sportive pourrait faciliter l’accession à une forme de prestige comme en témoignent plusieurs répondants, la pratique d'un sport peut aider à reconstruire le statut social d’un jeune homme. Je me sentais tassé, sincèrement. Les gars bien populaires, c’étaient ceux qui étaient très sportifs au secondaire. Les gars qui attiraient beaucoup de filles, les gars qui parlaient à tout le monde, les gars qui étaient invités dans les partys, les gars qui avaient l’air cool, c’étaient les sportifs. Je n’étais pas dans cette gang-là du tout.. – Mario, natation Les gens me regardent jouer et ils me trouvent bon. Ça m’aide pour mon image. J’ai besoin de cette valorisation-là. Je sais que l’image que je projette est plus de la masculinité que de la féminité en faisant du sport. Je me définis beaucoup par le sport. Quand les gens parlent de moi, ils disent que je suis un sportif. Je fais des sports pour me valoriser. – Simon, cycliste J’étais toujours incorporé dans la gang des sportifs, des populaires de l’école. Les sportifs de l’école sont toujours les plus populaires en plus d’attirer les filles. C’est comme ça. J’étais toujours un des leaders. J’étais meilleur que le prof. C’est moi qui donnais les cours de tennis en éducation physique. – Édouard, badminton 118 Comme le mentionne Douglas (1990), il y a de multiples avantages à être doué pour les sports, que ce soit en tant que membre d’une équipe de football locale, ou en tant que sportif individuel. Il y a les avantages pécunièrs, comme la facilité à décrocher des bourses d’études ou la facilité à se trouver un emploi à temps partiel ou un emploi d’été. La pratique d'un sport ajoute en prime le succès auprès des filles, ce qui n’est pas à négliger pour ceux qui sont hétérosexuels ou qui font semblant de l’être. Mais les jeunes hommes restent coincés dans une dichotomie homme/femme sans issue. En effet, ou ils sont conformes au modèle et intégrés dans le groupe des hommes, ou ils sont relégués au rang des femmes (et ainsi marginalisés), ce qui amène le sujet de l’orientation sexuelle et de la non-conformité de genre. La pratique du hockey ou d’un autre sport ne fait pas qu’entourer les joueurs d’un halo de masculinité, mais aussi de popularité. La pratique d’un sport trace souvent une aura de prestige autour des jeunes hommes. Exceller dans un sport ajoute au capital social en permettant la correspondance au modèle de la masculinité hégémonique. Ceux qui ne sont pas « pratiquants » d’aucun sport paient souvent un prix pour leur « abstinence » par la perte du statut d’homme. Ne pas pratiquer un sport serait comme nier les valeurs socioculturelles, les valeurs familliales ou renoncer à une forme de prestige social. C’est ainsi que les performances intellectuelles ne procurent pas de reconnaissance sociale aux garçons. Les garçons sportifs semblent être les plus intégrés. On dirait que la pratique sportive est la recette du bonheur de l’intégration sociale et de la valorisation personnelle. La pratique sportive soulève l’admiration et l’appréciation des compagnons et des jeunes sportifs eux-mêmes. Elle aide à gagner et à maintenir le statut d'homme, tandis que les performances intellectuelles semblent susciter un processus inverse, soit une forme de non conformisme de genre. L’orientation sexuelle et la non-conformité de genre Parmi les répondants, un patineur hétérosexuel décrit fort bien la problématique de la pratique d’un sport esthétique, dit « féminin », pour un garçon. Comme beaucoup d’autres répondants, celui-ci voulait pratiquer le hockey, mais des cours de patinage l’ont détourné de sa « destinée ». Depuis le primaire, je fais du patin. C’est mes parents qui voulaient. C’était pour jouer au hockey au début, pour apprendre à patiner. Finalement, ils m’ont envoyé à une compétition où j’ai fini deuxième. – Thomas patineur artistique Pourtant, aux dires de notre répondant, il est illogique que les hommes homosexuels pratiquent un sport où la majorité des adeptes est constituée de femmes. En effet, les hommes homosexuels devraient fréquenter des milieux où les hommes sont plus nombreux et non le 119 contraire. Pour les patineurs hétérosexuels, le milieu du patinage serait l’endroit idéal pour les rencontres intimes. Il y a des gens qui viennent graviter autour de toi. Évidemment, il y a des filles aussi. Le patin, on s’entend que c’est un sport de femmes. Il y a beaucoup de belles filles. Moi une blonde qui durait plus qu’un mois, c’était rare. Mais je n’en ai pas eu beaucoup non plus parce que j’étais gêné et j’avais le complexe de ne pas être assez musclé. Depuis que je suis pompier, j’ai beaucoup plus de facilité de ce côté-là, c’est assez spécial. – Thomas patineur artistique Les solitaires homosexuels racontent être allés naturellement vers les sports individuels dans un effort pour tenter de se viriliser et de se masculiniser dans leur corps et dans leur être. J’ai commencé à m’observer et à me retenir un peu. Je voulais me changer. Je pensais que d’être gai ça féminisait. Le sport, c’était pour être mieux dans ma peau, avoir plus d’endurance. C’est le côté forme physique. – Mario, natation J’ai arrêté les sports d’équipe parce que je trouvais que c’était trop rude et j’avais peur de me faire planter et de ne pas être aussi homme que les autres. J’associais beaucoup le hockey à la virilité. Je voyais les gars sur la glace qui jouaient avec le langage, le comportement qui était plus rude que moi. J’avais bien peur d’être traité de tapette comme au baseball parce que le monde voyait que je faisais des mouvements de fille quand je frappais. Je ne frappais pas comme un autre gars. Si j’avais été hétéro, j’aurais joué au baseball ou au hockey. Mais j’avais peur de me faire juger et surtout que le monde découvre que j’étais gai. – Simon, cycliste On voit que dans les représentations sociales, ici encore, le hockey en tant que sport agoniste collectif serait considéré comme plus masculin. Mais pour jouer au hockey, il faut que les garçons se sentent à la hauteur de cette masculinité associée à la rudesse, au combat et à la violence. Certains répondants auraient de la difficulté à répondre aux critères de la masculinité hégémonique. Ils se construiraient avec le sport — la musculation en particulier — un personnage auquel ils auraient du mal à croire eux-mêmes, mais qui leur ferait néanmoins du bien et leur procurerait une forme de confiance. Les changements amenés par la musculation modifieraient leur attitude et calmeraient leur insécurité en les confortant dans leur identité masculine parce que les gains esthétiques que procure la pratique de la musculation les feraient se rapprocher du modèle hégémonique de masculinité. Non seulement les jeunes hommes seraient pris au piège de la tension de rôle de genre (GRS), mais ils le seraient aussi d’une pratique corporelle réflexive (Connell, 2005) n’autorisant qu’un seul aboutissement. Un jeune homme non conforme au genre masculin ne pourrait pas faire partie de groupes comme ceux des équipes sportives. Les équipes sportives seraient formées de grégaires dont la socialité exacerberait la complicité et la subordination, de même que la contagion de la 120 masculinité des uns sur les autres. Dans cette équation de complicité et de contagion, ces équipes rejetteraient les garçons présumés homosexuels, car non conformes au genre, afin de ne pas leur être associées et d’éviter toute contamination possible à leur contact. Les garçons non conformes deviendraient des solitaires par la force des choses. En cela, la nonconformité de genre serait une motivation à la pratique de certains sports et pourrait même en devenir un facteur déterminant. Certains sports ont la réputation, fondée ou non, d’attirer les garçons homosexuels ou efféminés. Cette croyance serait renforcée par le fait que ces sports entrent dans la catégorie esthétique plutôt qu’agoniste. Dans les représentations sociales, ce qui est esthétique serait associé au féminin, alors que ce qui est agoniste serait associé au masculin. D’où la relation fort simple : si un garçon s'intéresse aux sports (ou à une autre activité) esthétiques, c’est qu’il serait efféminé, donc homosexuel. Le patinage artistique fait partie de ces sports. Il y a fort à parier que, si ce n’était de l’insistance des parents, les garçons ne pratiqueraient que rarement de sports esthétiques, voire jamais. Pour les sportifs rencontrés, ceux qui sont homosexuels ou en non-conformité de genre vivraient le rejet ou la peur du rejet s'ils tentaient de s'intégrer dans une équipe. Parmi les solitaires rencontrés, moins de la moitié étaient homosexuels, alors que chez les grégaires, si on doit en croire leurs affirmations, nul ne l’était. Il y a, sans nul doute, des grégaires qui sont homosexuels, mais la crainte d’être identifié, de briser la complicité avec le groupe et la subordination au modèle accepté de masculinité les confineraient au silence. 10.2.2.2 Les prescriptions du corps « L’anatomie fait la destinée » tant pour les grégaires que les solitaires, sauf qu’il ne serait pas question pour ces derniers de forcer la main au destin. Le respect des limites de leur corps et du « gros bon sens » ainsi que de l'équilibre psychologique passeraient avant d’autres types de considérations. De nombreux solitaires, tout comme les grégaires, auraient commencé leur carrière sportive par la pratique du hockey. Ils auraient cependant vite compris qu’ils n’avaient pas le talent15 nécessaire à la réussite dans ce sport. Quelqu’un qui veut ressembler à Arnold Schwarzenegger, qui est gros comme un clou, c’est quelqu’un qui souffre d’insécurité avec son identité, son physique. C’est important de partir de soi et de chercher un sport qui va aider à développer qui on est et non le contraire. Le bloqueur au football va être malheureux s’il joue au badminton. C’est sûr qu’un gars qui joue au hockey pis qui mesure 6 pieds 6 a plus de chances qu’on lui demande de se battre. Je n’ai jamais été quelqu’un qui voulait être monsieur Univers, mais j’ai toujours voulu garder une balance. J’ai quand même un bon tonus musculaire. Je grossis facilement. C’est juste 15 Rappelons que le « talent » pour les sportifs se confond souvent avec la complexion physique. 121 pour être bien avant tout. J’en connais des gars qui font ça par insécurité. Ils vont vouloir combler quelque chose. – Hervé, aviron J’ai commencé ma croissance très tard et je n’étais pas assez gros. Je me sentais mal à l’aise. J’ai joué une année de contact jusqu’à 12 ans. Quand j’ai commencé à avoir du contact, je n’aimais pas trop me faire plaquer dans la bande. J’ai laissé tomber. – Édouard, badminton Je fais du sport aussi pour avoir un plus beau corps. Grâce à la course, je ne deviens pas trop gros. Je sais que si je consacrais autant d’heures au gym que j’en consacre à la course, mon corps serait beaucoup plus développé. Sauf que, j’ai plus besoin de me défouler, d’être à l’aise dans mes mouvements que de me gonfler. L’impact psychologique est beaucoup plus positif que d’aller m’enfermer dans un gym. – Pierre, natation L’équilibre entre le psychologique et le physique est important pour les solitaires. On peut voir chez le répondant suivant que ses motivations sont soutenues par la performance, le respect des autres et l’esthétique dictés par les contraintes de rôle de la masculinité. J’en faisais [de la musculation]. Il fallait que je prenne de la masse, il fallait que je grossisse parce que les gars contre qui je compétitionnais étaient plus imposants. Ça m’a dérangé et complexé longtemps parce que quand tu veux performer, il faut que tu grossisses. C’est important d’avoir l’air mature. Ça m’a complexé envers les filles qui veulent un gars musclé et fort. – Thomas patineur artistique Plaire aux autres et séduire sont des choses importantes, mais avant de plaire aux autres, il faut d’abord se plaire à soi-même. Il faut que l’image que renvoie le miroir flatte et renforce l’estime de soi. Il faut rendre cette image conforme aux critères sociaux de la masculinité. C’est certain que cela permet en partie de développer la capacité de séduction, mais aussi l’assurance que ça donne de sentir ses muscles travailler. C’est parce que ça se voit après, à l’extérieur, l’effet durable sur un diamètre de biceps. Je ne me trouvais pas assez fort physiquement pour progresser au tennis. En dehors de ça, il y a un côté esthétique. – Victor, tennis La correspondance aux critères de l'esthétique masculine permettrait aussi d’obtenir plus facilement un emploi ou encore de faire certains métiers qui ne seraient pas offerts à tous. Vendre son corps, par exemple, ne comprend pas que le travail du sexe. Il est possible de ne vendre que son image. Un répondant a ainsi gagné sa vie durant plusieurs années en tant que mannequin. Dans une entrevue pour une job, à compétences égales, c’est le gars qui paraît le mieux qui va avoir la job, c’est sûr. – Édouard, badminton C'est certain que c’est l’intérieur qui compte, mais le fait d'avoir 32 de bras et de vouloir être encore plus gros m’a permis d’être mannequin durant bien des années. – Hervé, aviron 122 Pour de nombreux solitaires, le sport apparaîtrait comme un remède universel. L’activité sportive préviendrait le vieillissement, amènerait un bon équilibre mental, soulagerait le stress et, dans l’ensemble maintiendrait en bonne santé. Bref, au-delà des gains esthétiques et des choix d'un sport en fonction des limites ou des possibilités du corps, voici le phénomène du « sport-médicament », panacée contre tout. C’est très important, ça relâche le stress du travail quotidien. Ça garde le corps en forme et beau. On se sent bien dans sa peau, on dort bien. Je vois le monde qui n’est pas en forme et je me demande comment il fait pour supporter le stress de leur vie. Ils meurent tous d’une crise cardiaque à 40 ans ou du cancer. Le sport c’est primordial. Un esprit sain dans un corps sain… Je me sens vieillir et juste le fait que tu es musclé un peu tu parais plus jeune. J’essaie de repousser ça le plus possible. – Édouard, badminton Pour me tenir en forme. Je me suis dit à un moment donné que cela serait important que je prenne soin de mon cardiovasculaire, alors je me suis orienté vers la natation. J’ai tendance à être nerveux. Je me sentais plus en forme et plus détendu en sortant de la piscine. Ça n’a pas pris longtemps que j’ai senti une amélioration de mes capacités physiques. C’est aussi parce que j’avais des problèmes de coordination. Je courrais tout croche et avec mes poumons fragiles, je me mettais à tousser pendant des heures après l’effort. – Mario, natation J’ai l’impression que quand je ne fais pas de sport, j’ankylose. Je me sens bien après avoir fait du sport. Le sport permet d’évacuer et de penser à autre chose. C’est comme une détente. Je me sens coupable quand je n’en fais pas. Je pense que ça fait partie de la vie, comme une saine alimentation. – Richard, natation C’est devenu presque un besoin. Je ne me sentirais incapable de décrocher. À chaque fois que je fais de la natation, je suis complètement ailleurs. C’est une sorte de liberté, c’est un autre état possible dans ma vie que j’atteins grâce au sport. – Victor, tennis Plus qu’une simple habitude, la pratique sportive deviendrait une assuétude, car les critères de la masculinité hégémonique ne seraient jamais totalement satisfaits. La masculinité et la virilité seraient toujours à parfaire et à peaufiner dans un ensemble où la tension de rôle de genre (GRS) exacerberait les conflits de rôle de genre que les jeunes hommes tenteraient d’amoindrir par la pratique sportive. Ne disposant pas du halo de masculinité diffusé par l’appartenance à une équipe, ceux-ci développeraient davantage leur musculature pour satisfaire aux normes de la masculinité hégémonique. La pratique de la musculation deviendrait pour beaucoup de répondants un passage obligé, car avoir un corps musclé permettrait de séduire, de susciter l’admiration et le respect des autres garçons. Il est vrai que l’augmentation de la masse musculaire permet d’améliorer les performances athlétiques dans un sport particulier, mais le gain esthétique que procure la musculation serait plus qu’important. La musculature serait comme un manteau de masculinité et de virilité que les solitaires se confectionneraient et commenceraient à porter dès le début de l’adolescence. 123 10.2.2.3 La revanche Un répondant raconte comment son incapacité à accomplir certaines performances sportives lui vaut d’être stigmatisé et comment au contraire, selon lui, la réalisation de prouesses sportives favoriserait l’intégration sociale. Le sport sert ici de mesure et trace la ligne entre ceux que l’on dira homosexuels et les vrais hommes. Je me souviens au primaire, je n’étais pas capable de faire des pirouettes. Ça m’avait complexé. Je me pratiquais chez moi. C’était une certaine façon, moi qui étais timide, de me valoriser. Je me suis dit, si je suis bon au ballon prisonnier, je ne serai pas comme les autres, rejetés. Je vais être dans la gang. Les hot de l’école sont ceux qui sont bons dans les sports, les autres, c’est des fifs. – Richard, natation Thomas raconte comment il a été soupçonné d’homosexualité, ostracisé et stigmatisé durant sa carrière, parce qu’au Québec, pour reprendre ses paroles « le patin c’est un sport de fifs ». Pour mettre fin à la stigmatisation, il se voit d’une certaine façon « condamné » à racheter sa « faute » en excellant dans un sport esthétique, donc associé à l’homosexualité. Ses nombreuses médailles ont été une revanche sur le stigmate et sur l’opprobre dont il a été victime. Quand j’ai fini dans les premiers aux Jeux du Canada, ma photo était dans le journal. Là, j’étais devenu la vedette. Quand j’ai commencé à réussir, c’est là que les injures ont arrêté. Je suis pompier maintenant et je ne me fais pas écœurer avec le sport que je fais. Je n’ai jamais fait de folies. Ce qui me poussait à être le meilleur, à être le top, c’est de gagner la reconnaissance des autres. Je me faisais écœurer et je me disais qu’en performant, je vais arrêter de me faire écœurer, les gens vont comprendre. Mais je n’ai pas aimé mon sport avant la sixième année. J’ai commencé à aimer ça au secondaire, quand j’ai gagné le premier championnat. – Thomas, patineur artistique Dans les représentations sociales, le badminton n'est pas un sport aussi masculin que peut l’être le hockey ou le football. Pourtant, la discrimination envers les hommes homosexuels y est aussi présente. Il semble que l’organisation d'équipes et de jeux gais permettrait aux jeunes hommes en non-conformité de genre ou homosexuels de continuer la pratique de leur sport, comme en témoigne le répondant suivant. Le badminton, c’était toujours mon gros sport. J’ai commencé jeune, à 12 ou 13 ans. J’ai fait les jeux du Québec. J’étais capitaine du badminton au cégep, mais j’ai dû arrêter quand on a su que j'étais gai. Maintenant je vais aux Jeux gais. – Édouard, badminton Un autre répondant raconte que, ne pouvant se trouver de corandonneur à cause de son homosexualité soupçonnée, les grandes randonnées de vélo se font plutôt seul au début de sa carrière de cycliste à l’école secondaire. Les entraîneurs se font rares, se désintéressent de 124 lui et lui avouent les vraies raisons de leur refus. Faute d’entraîneur adéquat, les portes de la compétition lui sont fermées. Il est trop efféminé pour se trouver des commanditaires. Il persévère cependant et c'est au cégep qu’on lui offre la possibilité de pratiquer son sport avec des entraîneurs adéquats, sans qu’il ait à craindre d’être agressé ou discriminé, ce que l’école secondaire ne lui offrait pas. Je m’entraîne avec les gais depuis plusieurs années. Je suis embarqué dans la ligue gaie de cyclisme depuis l’âge de 18 ans. – Simon, cycliste Le sport lui redonne l’estime de lui même que le stigmate de l’homosexualité lui avait enlevée. Je fais des sports pour me valoriser, parce que je trouve que le fait que je suis gai et que j’ai été enfermé pendant des années… Je n’ai jamais eu beaucoup d’estime de moi. J’ai toujours eu très honte de moi. J’ai toujours fait des choses pour me valoriser à mes yeux et aux yeux des autres. J’ai fait plein de voyages de vélo dans plusieurs pays, c’était pour montrer au monde ce que je suis capable de faire. Simon, cycliste Enfant, il avait rêvé de jouer au hockey, comme tant d'autres garçons, mais ceux-ci l’avaient exclu à cause de sa non-conformité de genre. C’est plus tard, à l’âge adulte, quand il se fut senti en sécurité dans une équipe gaie, qu’il put enfin jouer au hockey. J’ai joué au hockey avec des gars adultes et gais quand j’avais à peu près 24 ans. Je n’aurais jamais joint une équipe de gars straights. C’est trop dangereux. – Simon cycliste Dangereux, en effet, il sera vu plus loin en quoi les garçons identifiés comme homosexuels risquent parfois leur vie, sinon leur santé mentale et physique, lors d’activités sportives collectives. La revanche des solitaires en tant que motivation à la pratique sportive serait centrée sur la problématique de l’orientation sexuelle, ce qui différerait des grégaires pour qui les motivations de revanche seraient plus variées. Cependant, la limite de notre échantillonage impose de rester prudent et de nuancer une telle affirmation. En bref, les prescriptions sociales ou la vocation du solitaire… Pour les solitaires, l’activité sportive s'ajoute au quotidien. Elle n'est pas intégrée à la vie de famille ou à un groupe particulier. Les solitaires vont s’entraîner seuls et reviennent seuls à la maison. Les pressions socioculturelles les ont tout de même poussés vers le hockey com- 125 me tous les autres garçons de cette recherche. Cependant, l’engouement social pour ce sport — d’où ils ont parfois été éjectés — n'a pas réussi à développer chez eux un désir de persévérer. Ils ne connaissent donc pas la complicité masculine si chère aux grégaires et essentielle aux garçons pour se conformer au modèle de la masculinité hégémonique. Les solitaires sont, malgré ce manque, subordonnés à ce modèle par la tension de rôle de genre et vivent les mêmes conflits de rôle de genre que les grégaires. Plusieurs solitaires, après un essai plus ou moins long et non réussi dans un sport collectif, se tournent vers un sport solitaire souvent choisi en fonction du père. Par la pratique d’un sport, les solitaires renforceraient souvent le lien qui les unit à leur père et amélioreraient la qualité de la communication avec lui. Enfin, si l’initiation ne vient pas du père, c'est un autre personnage masculin de l’entourage du garçon, un frère ou un oncle par exemple, qui encouragera ce dernier à pratiquer un sport. Pour les solitaires, le sport serait une affaire d’homme et surtout une affaire de filiation de la masculinité d’un homme vers un autre. Le corps et sa morphologie ont une importance cruciale dans le choix d'un sport pour les solitaires. Ils détermineraient le choix des sports qu’il leur sera possible de faire ou non. De plus, la virilisation du corps est au premier plan chez les solitaires. En effet, c'est par le sport que les solitaires développent les muscles qui évoquent le plus la masculinité (notamment les pectoraux et les épaules). Cependant, les solitaires demeurent préoccupés par une forme d’équilibre : un « esprit sain dans un corps sain ». C'est ainsi que naît l’idée du « sport-médicament ». La pratique sportive guérirait un ensemble de maux, comme la fatigue ou le stress, ou encore elle retarderait le vieillissement. En cela, la pratique d'un sport peut servir à guérir une forme d’exclusion sociale ou de privation en devenant une revanche. La revanche procède de deux phénomènes. Il y a les garçons qui sont considérés d'emblée comme efféminés, que l’on voit tassés et exclus de la société, et notamment d’activités sportives, surtout collectives, avant même qu’ils n’aient pratiqué quelque sport que ce soit. Parfois ils sont même privés de certains services auxquels les autres jeunes hommes ont droit, comme des entraîneurs ou des commanditaires. Puis, il y a les garçons méprisés et féminisés parce qu'ils n’ont pas la capacité d’accomplir les performances sportives attendues. Viennent enfin ceux que l'on dit homosexuels parce qu’ils pratiquent un sport esthétique. Le sport agirait également, chez les solitaires, comme une mesure de la masculinité et leur permettrait parfois de refaire leur image ou leur identité en rachetant leur masculinité. Bien qu’ils aient pu croire être épargnés dans un premier temps, les solitaires sont eux aussi contraints de se conformer aux règles et aux normes de la masculinité hégémonique, de la tension au rôle de genre et ils vivraient aussi le conflit de rôle de genre. 126 10.2.3 Pour résumer les motivations des grégaires et des solitaires Tableau 5. Comparaison des motivations à la pratique sportive des grégaires et des solitaires Grégaires Solitaires Le sport est imbriqué dans le quotidien Le sport fait sortir du quotidien Masculinisation par contagion du groupe Masculinisation par soi-même Filiation père/fils peu importante Filiation père/fils très importante Motivations orientées vers le groupe Motivations orientées vers soi Groupe d’appartenance Pas de groupe d’appartenance Absence de garçons non conformes en genre Rejettent le féminin hors du groupe Présence de garçons non conformes en genre Rejettent le féminin hors de soi Revanche de stigmates divers Revanche sur les stigmates liés à la non-conformité de genre Complicité explicite avec un groupe Complicité possible avec un homme sportif significatif Prestige social Conformité à la masculinité hégémonique Conflit de rôle de genre (gender role conflict) Tension au rôle de genre (gender role strain) L’anatomie fait la destinée Sport au centre d’une pratique corporelle réflexive (self body practice), gain esthétique, virilisation, séduction Les grégaires sont différents des solitaires sur un certain nombre de points, notamment la place du sport dans la vie quotidienne, la filiation avec le père, l’orientation des motivations à la pratique sportive vers soi ou vers le groupe, l’appartenance à un groupe d’hommes et la complicité. Ils sont cependant semblables pour de nombreux autres points, bien que parfois la similitude s’exprime en nuances diverses. Il en va ainsi de la peur du féminin qui, chez les grégaires s’exprime entre autres par le rejet des garçons efféminés de leur groupe alors que plusieurs solitaires se croyant efféminés, vont tenter, par le sport, de rejeter leur « féminité » en se virilisant et se masculinisant. De même, la revanche est présente chez les deux groupes, mais alors qu’elle constitue une réponse à divers stigmates chez les grégaires, elle constitue une réponse à un seul stigmate chez les solitaires. Enfin, les grégaires et les solitaires 127 sont identiques quant au prestige lié à la pratique sportive. Celle-ci leur donne un statut particulier, facilitant, entre autres, la recherche d’emploi et procurant un halo de masculinité. Ils sont identiques également quant à la conformité au modèle de masculinité hégémonique, à la tension au rôle de genre, au conflit de rôle de genre et à la pratique corporelle réflexive où le corps est au centre de la réussite ou de l’échec à la pratique d’un sport et au statut de genre du jeune sportif. L’anatomie ouvre des possibilités et en ferme d’autres. La musculation repousse les frontières qu’impose le corps en forçant la destinée. Elle apporte bien plus que le soutien à la pratique du sport, notamment des gains esthétiques virilisants. Effet collatéral important de la pratique sportive, la virilisation devient parfois une motivation de premier plan, surtout pour les solitaires qui, contrairement aux grégaires, n’ont pas de groupe d'appartenance pour renforcer par contagion et complicité, leur genre pour le rendre conforme au modèle hégémonique de masculinité. La pratique sportive, tant pour les grégaires que pour les solitaires, contribue à renforcer l'appartenance au genre de masculinité hégémonique même si certaines nuances dans celle-ci semblent, de prime abord, s’exprimer de façon contradictoire. 10.3 Les rituels sportifs Les rituels sportifs sont multiples. Certains se déroulent au vu et au su de tous sur le terrain. D’autres s’actualisent dans l’intimité et par la complicité des joueurs, intimité bien personnelle chez les solitaires ou intimité collective chez les grégaires. Ces rituels se pratiquent dans des lieux importants pour les sportifs, notamment le vestiaire. C’est pourquoi, pour les comprendre, il faut commencer par analyser le sens que revêtent les vestiaires pour les sportifs. Une fois terminée l’analyse des lieux où se déroulent les rituels sportifs, nous analyserons les rituels comme tels. 10.3.1.1 Le vestiaire utilitaire des grégaires Strictement parlant, le vestiaire est un endroit où l’on change de vêtements pour faire une activité particulière. C’est ainsi que certains répondants le voient. Cependant, il existe des sports où le vestiaire possède une autre fonction : une vie particulière lui est associée. Dans les sports collectifs agonistes (football, hockey, baseball, etc.), cette vie de vestiaire serait plus intense que dans les sports collectifs ilinistes (soccer, volley-ball, basket-ball, etc.). C’est ce que racontent certains répondants, dont les jeunes sportifs suivants pour qui il existe des sports de vestiaires. Je n’ai jamais fait de sport de vestiaire comme le hockey, j’ai fait du soccer. Le vestiaire, c’est un endroit où tu vas avant la partie. L’entraîneur fait son dictateur, tu fais ta partie, après chaque période, tu reviens toujours dans le vestiaire. 128 Tandis qu’au soccer, des fois, on avait à peine le temps d’enlever nos souliers, puis on arrivait au jeu. Ce n’est pas la même mentalité du tout. – Benoît, frisbee extrême Le répondant suivant constate comment l’organisation de l’espace dans les lieux publics diffère selon que celle-ci vise les hommes ou les femmes. De plus, il explique sa compréhension de cette différence dans les lieux et les rituels. Mettons, j’arrive aux toilettes et il y a déjà du monde. Je m’organise pour être à l’écart. C’est ma bulle. Je veux respecter la bulle des autres aussi. C’est différent les filles et les gars. Les gars prennent leur douche ensemble. Tu vois tout le temps ça dans le vestiaire des écoles. Chez les gars, les douches sont toutes collées. Il n’y a pas de séparations. Chez les filles, c’est le contraire. Elles ont des rideaux. Les gars vont pisser un à côté de l’autre. Les gars ne sont pas censés être pudiques. Moi, je suis pudique. Même si ce n’est pas tellement viril. – Érick, hockey Un autre raconte sa gestion de l’espace intime. Dans une douche, tu te ramasses quatre. Il n’y a plus de place, t’es écœuré, t’as frette. Il y en a un qui se lave, puis il y en a un qui va en dessous de l’eau. Tu te tasses, l’autre se rince, tu te savonnes, ça rit, mais on essaie d’éviter les contacts. Ça ne m’intéresse pas de me frotter les fesses sur un autre, mais c’est souvent ce qui arrive. – Bertrand, hockey Pourtant, pour certains répondants, il ne se passe aux vestiaires rien de particulier, de spectaculaire ou de palpitant. En fait, rien qui justifie qu’on en parle, même si d’aucuns conviennent que la disposition des lieux favorise certaines interactions. De plus, il existerait une certaine hiérarchie du savoir-vivre, de conduites et de niveau intellectuel dans le vestiaire, selon le sport pratiqué. Les vestiaires, ce n’est pas ce que l’on pense. Les gens peuvent penser que c’est bien spectaculaire. Au hockey, ce l’est un peu plus parce que la forme de la chambre est faite de façon à ce que tout le monde se voit. Il n’y a rien dans le milieu, tout le monde est assis dans un genre de carré où il y a tous les gars dans la même conversation. Tandis qu’au football, la chambre est faite en rangées. Ça fait des groupes de 10 à 15 gars. Nous ne sommes pas 70 autour d’un même rond à se parler en même temps. Au hockey, il y a plus de conversations de bars, de vulgarité, des choses de filles, des affaires comme ça. Au football, il y en a, mais ce n’est pas autant. Pourtant, c’est les mêmes gars qui ont joué au hockey avant. C’est plus scolaire, on parle d’autres choses. On parle de nos études… À comparer des niaiseries qui se disaient au hockey. Dans le vestiaire, tu peux tout faire ou tout dire. Il n’y a pas de choses à ne pas faire. – Laurent, football 129 Cet autre répondant nie les préjugés autour des activités de vestiaires. Il voit dans le vestiaire un aspect purement fonctionnel. Les histoires de vestiaires, ce n’est pas vraiment vrai. On se ramasse là pour se changer avant les pratiques. C’est comme la place sociale. À certains endroits, le vestiaire est barré. On a un code pour rentrer. Ici, on a accès au vestiaire tout le temps. C’est une place sûre. On rentre, on met nos affaires, on a notre case. Tu peux mettre tout ce que tu veux. Les vols, c’est très rare. Je sais que le monde va m’emprunter ma corde à danser ou une serviette, mais je sais qu’il va la remettre là après. J’ai vu des gars se pisser dessus au cégep et c’est tout. C’est arrivé ici des fois, mais c’est rare. Ce n’est pas toléré. Le monde se fait du fun, il joue au hockey, ça se lance le ballon. Entre nous, on fait des blagues. – Jean, football Encore un autre qui n’y voit que la fonction utilitaire, à la limite presque « ennuyante ». Il considère lui aussi que certains sports sont plus propices aux activités lubriques. Dans les vestiaires, il ne se passe pas grand-chose. Le monde s’imagine juste des choses. Il n’y a rien, c’est une place comme une autre. Les gars y échangent des propos, des sujets. Les gars, quand c’est ensemble, c’est des sujets de filles. On parle de football, on parle de n’importe quoi. Je dirais que l’on ne parle pas tant que ça de sport étant donné que l’on va jouer... On essaie de se changer les idées un peu parce qu’à un moment donné, on est comme des robots. Quatre heures et demie sur le terrain, tu te changes avant, t’arrives sur le terrain, tu fais ton réchauffement... Les affaires de cul, c’est des affaires de joueur de hockey. Je n’aime pas les joueurs de hockey. Ça ne m’est jamais arrivé de partir et pisser sur quelqu’un. C’est manquer de respect. – Daniel, football De plus, dans sa dimension utilitaire, le vestiaire en tant que lieu, favorise le règlement des différends en famille, à l’abri des regards extérieurs. Des fois, dans le vestiaire, il y a des petites altercations. Ils n’en viennent pas aux coups, c’est rare. Ce n’est pas le fun pour tout le monde. Paul, football Il y a des problèmes qui se règlent, mais on prend notre douche et si on a des affaires à se dire, on se les dit. – Sylvain, football Pour ces autres répondants, le vestiaire est le lieu de préparation pour la pratique ou le match, le lieu de l’union de l’équipe, le lieu où l’entraîneur motive ses troupes. On va dans la chambre, on s’habille tranquillement pendant une demi-heure. T’es souvent assis à côté du même monde, tes bons amis sont autour de toi. L’entraîneur arrive, il entre dans la chambre et il fait son sermon, le plan de match. Il pompe les gars et on va jouer. En revenant, l’entraîneur parle de tout, ça dépend s’il est en maudit, il peut kiker des poubelles. – Bertrand, hockey Avant un match, il n’y a aucune discussion. Les gars sont dans leur bulle, ils ont des walkmans. – Antoine, football Le vestiaire est un lieu d’union. C’est une circonstance sportive. Le vestiaire est un lieu de transformation des gars pour faire le match. On se donne l’accolade 130 tous ensemble pour entrer l’énergie. C’est les derniers mots de l’entraîneur, c’est là que l’on voit rouge, c’est là qu’on met le masque. – Didier, rugby Il est possible de penser, comme l’ont soulevé certains, dont le répondant Benoît, que la disposition des installations du vestiaire influence les interactions sociales et, à long terme, les mentalités. L’architecture des lieux faciliterait ainsi les regards, parfois les contacts et même l’exhibitionnisme. La culture attendrait des garçons qu’ils ne soient pas pudiques (Kibby et Costello, 1999). La plupart des douches collectives dans les vestiaires des hommes n’ont pas de rideau ou de section qui permettent une forme de discrétion quelconque. De même, la disposition des cases ne favoriserait pas l’intimité. Les urinoirs en rangées, sans panneau de séparation — contrairement à ceux qui ont été installés dans les toilettes publiques au Québec depuis un certain temps —, ne laissent pas d’espace privé, « à la bulle » disent certains répondants. Tout cet agencement fait en sorte que les organes génitaux des hommes sont constamment exposés aux autres hommes dans les vestiaires, les douches et les toilettes publiques. La pudeur serait une affaire de filles (Belotti, 1974) comme le dit le répondant Éric. Les lieux communs et leur architecture obligeraient l’acteur social à modeler ses comportements conformément à une certaine attitude qu’il faudrait avoir selon le genre auquel on appartient (Goffman, 2002). Pour confirmer les propos des répondants, nous avons consulté un architecte spécialisé dans la construction d’installations sportives. Ce dernier nous a confirmé qu’en effet, l'architecture des vestiaires varie selon la clientèle qui se servira des lieux. Dans les vestiaires prévus pour les femmes, l’espace est plus souvent organisé de façon à préserver l’intimité, ce qui n'est pas le cas pour les espaces réservés aux hommes. Nous pouvons avancer, comme Goffmann (2003), que les lieux tels que les toilettes et les vestiaires réservés aux hommes ou aux femmes ne sont pas là à la suite d’une constatation d’une différence des genres, mais au contraire pour la construire, la confirmer et l’affirmer, car les hommes qui fréquentent les vestiaires et les toilettes doivent s’adapter aux lieux et développer des stratégies et des rituels en fonction de ceux-ci. Autrement dit, ce ne sont pas les lieux que l’on adapte aux hommes ou aux femmes, ce sont les hommes et les femmes qui modèlent et adaptent leur comportement en fonction des lieux que l’on met à leur disposition. Pour ce faire, ils inventeraient donc des comportements, des rituels et des attitudes en fonction des lieux particuliers dont ils disposent. 10.3.1.2 Le vestiaire, lieu de la tribu Pour la plupart des joueurs, le vestiaire est plus qu’un lieu utilitaire. C’est un endroit où il se passe toutes sortes d’activités et d’événements qui contribuent à en faire un milieu de vie. 131 Les témoignages suivants résument bien comment les répondants voient le vestiaire et le climat qui y règne. Le vestiaire permettrait aux hommes de se retrouver entre eux, dans une complicité que seule permet la non-mixité. Dans le vestiaire, il arrive toutes sortes de choses. Ça peut être sexuel, ça peut être de la violence, ça peut être du non-respect des autres. Il y a des commentaires qui se font, sur les gais, sur les femmes... On va parler de femmes entre hommes comme on va aller aux danseuses boire une bière, juste entre gars. On va dire des vraies affaires de gars que l’on ne se permettrait pas quand les filles sont là. Je trouve ça un peu primate. – Éric, hockey Il y a plus de 60 gars ensemble, ce n’est pas toujours pour les jeunes filles. Pendant les pratiques, c’est une chose, pendant les matchs, c’est autre chose. Durant les matchs, c’est sérieux. Il va y avoir des blagues, de la musique. Il y a des commentaires à caractère sexuel c’est certain. Les gars vont conter leurs aventures sexuelles. Les gars vont parler de certaines filles. Il n’y a pas de tabous dans une salle de football. Il y a des gars qui n’ont pas de classe. Il devrait y avoir une limite quelque part. – Marc, football D’autres, cependant, nuancent un peu « le caractère primate », comme l’avait dit un répondant précédent. Les gars ont vieilli, ce n’est plus des enfants, c’est rendu des adultes. Ce n’est pas vraiment vulgaire comme discussion. C’est plus un mythe. Il y en a comme dans tous les domaines, ça doit arriver avec les policiers ou les pompiers aussi. – Antoine, football Bien que cela ne fasse pas l’unanimité, la plupart des répondants sont d’avis que le niveau intellectuel qui règne dans la « chambre des joueurs » ou dans d’autres types de fratries serait plutôt bas. C’est un peu comme si le niveau intellectuel baisse à mesure que la culture de groupe augmentait. Dans la chambre [au hockey] c’est plus des niaiseries qui se disent. Il y a 15 gars, tu prends le quotient intellectuel du moins intelligent, tu le divises par le nombre de personnes. Ça donne la hauteur des discussions. – Bertrand, hockey C’est toujours la même affaire dans les vestiaires. Ça ne vole pas haut. – Éric, hockey Dans les vestiaires, les sportifs discutent de sujets touchant la sexualité. Le sujet de leurs organes génitaux se retrouve souvent au centre des conversations des garçons. La comparaison des attributs sexuels constituerait une bonne part des conversations. Les discussions tournent aussi autour de leurs relations avec les femmes. Pour les répondants, la masculinité se mesurerait souvent à la grosseur du pénis ou aux performances de celui-ci, ce qui reviendrait parfois au même. 132 Dans les vestiaires, il y a tout le temps les commentaires typiques, les jokes de gars plates sur la grosseur de ta queue. Les gars se comparent. Moi, je ne regarde pas. Des fois, ça nous tombe dans la face, c’est correct. On le voit que tel ou tel en a une grosse, mais je ne commencerai pas à faire des commentaires. – Éric, hockey Les gars dans le vestiaire, ils font des blagues sur le pénis. S’il y en a un qui a un plus gros pénis, les gars vont dire « On sait bien pourquoi ta blonde est avec toi ». Ou selon l’allure des testicules, ils vont lui donner un nom. Mais ça reste toujours dans la chambre de hockey. Les blagues qui se font dans la chambre restent dans la chambre. Puis nos blondes ne sont pas au courant de rien. – André, soccer Il y a un caractère secret, une sorte de complicité dans les activités de vestiaires. Ces activités doivent rester circonscrites à ces lieux. Le manque de respect envers les femmes, la leur en particulier, en dérange certains. On parle de femmes, c’est vraiment n’importe quoi. Mais sérieusement, c’est mieux qu’au collégial. – Antoine, football Il y en a qui parlent de leur blonde d’une drôle de façon. Ils manquent beaucoup de respect envers leur blonde. Des fois, tu te demandes, s’ils ne parlent pas comme ça pour faire in. Quand un gars parle comme ça, c’est un manque de maturité. – Félix, hockey Les arcanes du vestiaire procurent une forme de puissance à la fratrie sportive, une forme de complicité qui augmente la force de la reliance (Bol de Balle, 1985, 1996) entre les hommes, fratrie qui, autrement, n’aurait pas tant d’emprise. Révéler au monde profane tout ce qui s’y passe pourrait amoindrir la puissance des rituels ou jeter un doute quant à la véritable orientation sexuelle des sportifs. Compte tenu du caractère hétérocentré et phalocentré de leurs commentaires, on peut croire que les sportifs présument de l’hétérosexualité de tous les membres de leur équipe, mais aussi de l'infériorité de tout ce qui ne leur ressemble pas (femmes et hommes non conformes au modèle dominant). Cela se comprend par le type de conversations que les joueurs tiennent à propos des femmes et des homosexuels absents. Le vestiaire serait, comme l’avait montré Curry (2002), un lieu d’apprentissage du mépris envers les « hommes qui ne sont pas comme ils le devraient » et envers l’autre sexe. Il serait aussi une maison des hommes où se fait une part de l’apprentissage de la masculinité, comme l’avait proposé Welzer-Lang (1994). 10.3.1.3 Le vestiaire, lieu de la kermesse Les répondants de cette recherche ont aussi une vie sociale dans les vestiaires ou à ce qui en tient lieu très festive durant la troisième mi-temps. L’alcool semble y jouer un rôle important. 133 Après chaque pratique, il y a un party dans la chambre. Il y a de la musique, tout le monde danse, le monde niaise pour avoir du fun. Tout le monde se parle, tout le monde rit. Il y a de l’ambiance. Souvent, on va se vanter des bons coups, des mauvais coups. Ils vont se gosser. C’est super, les gars sont drôles. – Antoine, football La bière est l’alcool de prédilection pour ce genre d’événement. C’est surtout pour la bière après. On passe plus de temps après le match, que durant le match. Je n’embarquerais pas dans une équipe où on quitte la place après le match. Je n’aurais pas autant de plaisir à jouer au hockey. C’est surtout pour ne pas perdre mes chums. – Félix, hockey Le match et l’après-match seraient intriqués dans un tout indémaillable. Le répondant suivant le souligne fort bien quand il dit que « les gars tripent sur la bière » que « c’est un rituel » en plus d’une tradition. Aux dires de certains répondants, l’alcool adoucirait, comme la musique, les relations entre les hommes, en excluant les très connues batailles de « gars saouls », bien entendu ! C'est du moins ce que le répondant suivant semble laisser entendre. On est douze ou treize joueurs. On apporte une caisse de 24 et une [caisse de] douze. Les gars sont habitués de boire beaucoup. À l’adolescence, ils sortaient. On passe du temps dans la chambre après. Ça passe par la bière. Il y a un besoin de bière. Les gars tripent sur la bière. Ça fait partie d’un rituel qu’ils ont depuis longtemps. Ça allège l’atmosphère, puis les gars sont plus parlables. Ça fait partie du jeu « décroche ». Les gars ne sont pas saouls avec deux ou trois bières chacun. Si c’était interdit d’avoir de la bière dans le vestiaire, on sortirait dans un bar. L’alcool allège l’atmosphère. On déconne plus. Ça prend ça pour que les gars se sentent mieux ensemble. – Félix, hockey Ce ne sont pas tous les joueurs qui disposent d’un vestiaire désigné où se réunir avant et après le match. Comme le mentionne le répondant précédent, les sportifs investissent un autre lieu, qui serait une sorte de rallonge du vestiaire, pour accomplir le rituel de la kermesse. D'ailleurs, la structure des institutions où se pratiquent les sports a prévu une réponse à ce besoin. Chaque centre sportif fréquenté par les répondants de cette étude disposait d’un pub, d’un bar ou d’une salle prévue pour la troisième mi-temps. La kermesse, qui célèbre la victoire ou console dans la défaite, peut donc avoir lieu à proximité du lieu de pratique sans que les sportifs aient à chercher un endroit de réunion. Après la partie, on va souvent prendre une bière. Je peux aller parler des bons coups. Quand on vient jouer au centre, on a une bière gratis après le match, au pub de la place. C’est toujours le fun. Quand je vais là, il faut que je parle du match. Je suis encore dedans. Quand je m’en vais au pub, je suis toujours heureux. Un match sportif, c’est 50 % jouer la partie et 50 % en parler après. Il y a une grosse vie sociale là-dedans. – Benoît, frisbee extrême 134 Comme au théâtre, où faire la fête les soirs de première avant de rentrer chez soi, permet une transition entre l’euphorie vécue et le retour au quotidien, les troisièmes mi-temps permettent le retour vers la vie « normale » en assurant la transition de l’intensité du match vers la tranquillité de la vie quotidienne. Les joueurs doivent avoir un rituel qui leur permette de s’exprimer et d’assurer cette transition. C’est le rôle de la kermesse. Le vestiaire serait le lieu désigné naturellement pour l’accomplissement du retour à la normalité. Il serait un lieu de passage bidirectionnel, car en plus d’être un lieu de transformation de l’homme ordinaire en sportif, ou en guerrier, selon Saouter (2000), il est un lieu de transformation du sportif en homme ordinaire. Il se fait en revêtant l’uniforme sportif dans un sens et par la troisième mitemps dans l’autre sens. Le thème du troisième mi-temps ou de l’après-match, comme Saouter (2000) l’a longuement décrit chez les joueurs de rugby, est important pour les sportifs grégaires. L’usage de la bière est typique des représentations sociales que l’on se fait souvent de la vie festive des hommes. Témoin le fait que toute la publicité entourant la bière montre des fêtes, majoritairement composées d’hommes. Certaines marques ont d’ailleurs déjà proposé dans leurs messages publicitaires des bières d’hommes qui « saluent les vrais! » 16 Ce rituel avec la bière est même nécessaire pour que les jeunes hommes se sentent mieux ensemble en développant la complicité avec le groupe. Existerait-il donc, dans les relations entre les hommes, une forme de tension qu’il faut mitiger ? Durant la kermesse, l’alcool favoriserait une connexion sociale. Il lierait et animerait la fête en célébrant le lien social, l’amitié, la fratrie et la masculinité. L’alcool ferait partie de la vie sociale des hommes sportifs. Tout ce phénomène festif, sportif et parfois proche de la beuverie, est souvent associé au monde masculin dans la société québécoise. Bien que posible, l’imaginaire collectif illustre moins des femmes en pleine beuverie parlant vulgairement de sexualité. Ce type de comportement serait typiquement celui attendu socialement de la part des hommes. 10.3.1.4 Le vestiaire du solitaire : entre utilité et ostracisme Voyons ce que signifie le vestiaire pour les solitaires. Est-il un simple lieu pour se changer ou prend-il un sens particulier ? Les solitaires y vivent-ils des émotions particulières ? Je n’étais pas mal à l’aise d’être avec des gars dans le vestiaire et il n’y avait pas d’initiation. Je n’ai pas besoin d’un rassemblement de gars pour me sentir un gars comme dans un vestiaire ou dans une douche. Je pourrais partir tout de Publicité de la compagnie Molson du Canada durant les années 1990. La compagnie Labatt avait misé sur le même type de message. Ce n’est que récemment que les femmes ont pris plus de place dans les campagnes publicitaires des fabricants de bière. 16 135 suite après, sortir du gymnase, m’en aller dehors, sans passer par le vestiaire, sans prendre ma douche. – Simon, cycliste Le répondant suivant, qui devait parfois partager, en patinage artistique, le vestiaire avec des filles, fait un commentaire sur la perception qu’il a de la pudeur des filles par comparaison avec celle des gars. Dans les chambres, on ne prenait pas nos douches ensemble; on prenait nos douches chez nous. Les filles, c’est spécial la pudeur qu’elles ont. J’ai toujours été impressionné par leur technique pour enlever la robe de patin puis mettre le tee-shirt par dessus pour être sûr que l’on ne voie pas un coin de « brassière ». – Thomas, patinage artistique Un autre raconte, au contraire du répondant Simon, comment le vestiaire est important pour lui. Il dit comment le passage par le vestiaire lui fait découvrir la nudité comme moyen de contact avec d’autres hommes. Je mentirais de dire que ce n’est pas important dans les vestiaires de voir d’autres gars nus, même si je suis hétéro. Je me suis rendu compte qu’en pratiquant un sport individuel, je n’avais jamais vraiment vu d’hommes nus, à part mon père. Je regarde les gars nus… C’est une sorte de contact tout à fait normal sans aucune insistance particulière. Il se trouve que l’on fait ça ensemble et on est dans le vestiaire ensemble même si c’est des gens que je ne connais pas. C’est de me retrouver dans une communauté d’hommes, c’est de faire des choses avec d’autres hommes, même si je ne leur parle pas et ne les connais pas. Ça me donne l’impression d’appartenir à cette communauté-là. – Victor, tennis Pour le solitaire, les vestiaires constitueraient un lieu aux significations très différentes de celles que leur donnent les grégaires. Le sens que prend ce lieu est variable d’un répondant à l’autre. Les solitaires ont plusieurs points en commun. Pour eux, pas de troisième mi-temps ou de complicité immédiate avec un groupe de référence. Le vestiaire ne constituerait pas de façon prenante le terreau de la transmission de l’identité masculine, comme ce serait le cas pour les grégaires. Au-delà de la pudeur — qu’il ne faut pas avoir —, plusieurs semblent assez à l’aise dans ce lieu. Le passage par les vestiaires est souvent vécu comme une obligation contraignante pour les solitaires. C’est ce qui se produit, par exemple, dans les cours d’éducation physique à l’école secondaire. C’est dans ce lieu imposé où certains y vivront des drames. La pudeur est associée au monde féminin, et l’« exhibitionnisme », au monde masculin. Pour plusieurs répondants, la société apprendrait aux garçons à avoir des comportements de bravade et à afficher leur masculinité ou leur sexualité par l’utilisation de leur corps, afin de montrer qu’ils n’ont peur de rien. 136 Deux types de vestiaires ? Comme en témoignent les répondants suivants, les vestiaires seraient marqués de territoires. Je me souviens qu’il avait une séparation, il y avait deux vestiaires. On rentrait par le premier vestiaire et il y avait un deuxième en arrière. Les gens les plus motivés à faire du sport se mettaient dans le fond dans la deuxième partie. Les autres restaient dans le vestibule. Je faisais partie de ceux qui restaient dans l’entrée. Ceux qui allaient dans l’autre section faisaient partie d’une sorte de monde un peu inaccessible. Un monde qui faisait envie. Un monde qui faisait le mouvement vers le plus dont je n’étais pas membre. Mais j’aurais bien voulu. J’étais attiré, entraîné par ce mouvement. Je ne voyais pas comment j’aurais pu en faire partie. Évidemment, c’était associé aux sports et toute la personnalité de mâle. Ce n’était pas simplement ceux qui étaient les plus forts en sport. C’était ceux qui à l’école étaient plus forts de façon générale. Ils étaient plus virils que les autres. C’étaient des gens musclés, plutôt grands… – Victor, tennis Il y avait des douches, mais je n’y suis jamais allé. Je ne sais même pas comment c’était fait. Il n’y avait pas énormément de gars qui y allaient, juste ceux qui étaient plus virils. C’était des gars un peu plus développés que les autres, plus âgés aussi. – Mario, natation Certains répondants ont peur dans le vestiaire et ne s’y sentent pas à l’aise à cause, notamment, de différences de maturité physique. Dans les vestiaires au secondaire, je regardais à terre parce que je ne voulais pas voir les autres et je ne voulais pas savoir si les autres me regardaient. Je n’aimais pas mon physique. Je m’habillais et me déshabillais très vite parce que j’avais peur de faire rire de moi. Il y en a qui se font écœurer. Il se font taquiner à propos de leur physique, les poils qui commencent à pousser sur la poitrine. J’avais développé le réflexe de la peur de faire rire de moi tellement j’avais fait rire de moi au début du secondaire. Mario, natation Il y avait les gars qui étaient déjà pubères avec des poils pubiens et nous les sans-poils. On avait l’air de jeunes maigrichons. C’est une question de gêne. Quand tu es jeune, tu veux être comme les autres. Les autres ont atteint la puberté… Tu ne veux pas montrer que toi tu n’as pas encore un poil sur le corps. – Édouard, badminton La gêne, comme le mentionne le répondant précédent, est souvent mitigée par des stratégies diverses, l’humour par exemple. Au golf, on ne reste pas très longtemps dans le vestiaire. J’ai souvent utilisé la carte de l’humour. C’est plutôt un endroit pour faire des blagues de tous types, surtout des jeux de mots grivois… – Richard, natation Les porteurs des plus évidents stigmates de la masculinité les utilisent cependant un peu trop au goût de plusieurs solitaires qui demeurent dans l’ombre ou au moins essaient de le rester. Ces solitaires essaient de rester dans l’ombre parce qu’ils considèrent qu’ils ne possè- 137 dent pas le capital de masculinité nécessaire pour s’adonner à quelque forme que ce soit de spectacle qui mette trop en scène la masculinité. Tous n’ont pas les « moyens » de se défendre contre l’agressivité des garçons qui adhèrent bien au modèle traditionnel de masculinité. Il y a des gens qui sont plus retirés. Il y a toujours une ou deux grandes gueules qui racontent plein d’affaires, mais la majorité du temps, il y en a d'autres, plus retirés, qui font juste écouter. Entre les deux, il y a du monde qui parle quand il peut et qui se ferme la trappe quand il peut. Il y a toujours du monde qui veut se prouver. Des insultes ou… deux épais ensemble qui font des conneries. Il a déjà failli avoir des batailles ou des choses comme ça. Les vestiaires, c’est comme un camp de bûcherons. Les gars vont parler très cru. Les gens ne parlent pas d’école. On va au plus grand commun dénominateur. Quand t’as 14 ou15 ans, c’est sûr que c’est les filles. C’est des niaiseries sur l’apparence des gens. Il y a toujours le petit gros de l’équipe. Pour moi, ça n’a jamais été important. Quand j’étais en athlétisme, les gars racontaient des choses plus salées avec des danseuses. – Hervé, aviron Des fois au secondaire, c’était fou et je n’ai jamais compris comment ça partait. Juste pour se faire du fun, des gars en écœuraient d’autres. Au secondaire, il y avait un gars qui se faisait faire et dire des choses… Les professeurs ne sont jamais là, c’est rare. Les professeurs vont venir des fois s’il y a quelqu’un qui va aller dire qu’il y a quelque chose qui se passe. Il n’y a pas de surveillance. – Richard, natation Parlant de surveillance, le répondant suivant raconte un événement violent où il est venu au secours de la victime. La pire chose que j’ai vue dans un cours d’éducation physique, c’est au secondaire. Il y avait un gars qui se faisait appeler « crotte de fif ». C’était un rejet. Physiquement il était repoussant. Tout le monde s’acharnait sur lui et l’écœurait dans les cours. J’étais tanné de voir ça. La pire fois qu’il s’est fait écœurer, c’était dans le vestiaire. Il était assis sur son banc. Une dizaine de gars tour à tour lui lançaient un ballon de volley-ball vraiment fort et riaient de sa tête. Il était penché un peu, les mains sur sa face et il pleurait. À un moment donné, il y en a un qui a eu la brillante idée de prendre une grosse poubelle, dans laquelle on mettait nos serviettes mouillées, et de lui verser dessus et de lui sacrer la poubelle sur lui carrément et tout le monde s’est mis à piocher dessus. Là, j’étais écœuré. Je ne me suis jamais battu dans ma vie. Je ne suis pas quelqu’un d’agressif, mais là... J’ai donné un coup de pied de toutes mes forces sur une case. J’ai poigné les nerfs. Je leur ai fait un discours de la mort. Je suis devenu mauvais, les yeux avec des couteaux. Ils se sont tous écrasés. Ils ont tous fermé leur gueule. Ils avaient tous la tête entre les deux jambes et ils ont arrêté. Je leur ai dit que ce n’était pas très courageux de se mettre à 15 contre un. J’ai câlissé mon camp. J’étais tellement en colère. Je trouvais ça plate pour lui. Le prof s’en sacrait de ces choses-là. Le prof n’était pas là. Il n’était pas dans le vestiaire, mais il voyait les choses aller dans le gymnase et il ne faisait rien. Les professeurs n’intervenaient jamais ou presque. – Éric, hockey 138 Tous n’ont pas les « moyens » d’agir ainsi : les hommes homosexuels, ou soupçonnés de l’être, sont souvent traités avec âpreté dans les vestiaires. L’homosexualité resterait taboue dans presque tous les milieux sportifs, même dans les sports que l’on croirait plus tolérants à cause de caractère esthétique et de leur réputation d’accueillir plus de jeunes hommes homosexuels, comme le patinage artistique. Le répondant suivant raconte le sort que le groupe de patinage a réservé, en toute impunité, dans le vestiaire, à un patineur dont l’homosexualité était connue. Il va payer, il va payer, [d’être homosexuel]. On l’enfermait dans les douches. On le mettait dans une poche de hockey et on se promenait avec dans l’aréna. Après, on l’a lancé en bas des marches du deuxième étage. Je devais avoir 14 ou 15 ans. – Thomas, patinage artistique Le vestiaire demeurerait souvent un lieu de terreur pour les jeunes hommes en nonconformité de genre. Cependant, la vie dans les vestiaires dans un cadre sécuritaire est possible, comme en témoigne le répondant suivant. Les acteurs en autorité peuvent transmettre d’autres valeurs aux sportifs que celles d’une masculinité hégémonique, discriminante et violente. Je n’ai pas vu grand-chose, mais j’en ai bien entendu parler. Dans les équipes où j’étais, mon père a toujours été là. Les entraîneurs étaient là pour garder l’ordre. J’ai vu des gars se faire maganer quand les entraîneurs avaient le dos tourné, parce qu’ils étaient plus petits ou moins forts. – Hervé, aviron Quand j’ai commencé au cégep, j’avais des complexes sur mon corps. Au début, j’étais gêné. Si j’étais identifié comme homosexuel, même à l’université, ça poserait des problèmes dans le vestiaire. J’ai cette crainte-là. J’aurais peur que les autres gars se sentent menacés par moi et qu’ils pensent que je veux les approcher. Je veux juste aller prendre ma douche après avoir couru. J’ai peur d’être identifié à l’image du prédateur gai qui veut cruiser tous les hommes. – Mario, natation La peur demeurant malgré le passage des ans, les expériences vécues dans le vestiaire laisserait des marques à l’âge adulte comme en témoigne Mario pour qui le vestiaire est un passage compliqué à cause de son orientation sexuelle. Les sportifs investissent les vestiaires de différents sens symboliques, selon qu’ils soient grégaires ou solitaires. Ce sont parfois de simples lieux utilitaires pour changer de vêtements, ou, une maison des hommes (Godelier, 1996; Welzer-Lang, Dutay et Dorais, 1994), ou encore un lieu de fête de la troisième mi-temps. La vie de vestiaire est d’une certaine façon choisie par les grégaires. Ils y ont une place qui le leur est attribuée par différents rituels, mais pour d’autres, à qui le sport a été imposé à l’école secondaire ou ailleurs, le vestiaire peut devenir un lieu de terreur où le départage se fera entre vrais hommes, habiles dans les 139 sports et donc correspondant aux critères de la masculinité hégémonique, et sous-hommes, marginalisés, non habiles dans les sports. Contrairement à ce qui avait été précisé au départ dans le cadre théorique, il n’existe en réalité que deux types de vestiaires. En effet, les répondants n’ont pas témoigné à propos du vestiaire générique. Il y aurait le vestiaire choisi et le vestiaire imposé. Les grégaires se retrouveraient dans un vestiaire choisi, où ils sont à l’aise. Plusieurs équipes ont leur propre vestiaire, comme les équipes de hockey ou de football. Le vestiaire devient de cette façon une sorte de « deuxième maison » comme le dit Welzer-Lang (1994), une maison des hommes. C’est le lieu de la tribu (Gagnon, 1995) où l’on peut faire la kermesse. Le vestiaire imposé où échouent souvent les solitaires est notamment celui des écoles secondaires. Il n’appartient à personne en particulier, mais il arrive que certains en font leur territoire. Les cours d’éducation physique utilisent ce type de vestiaire. Il s’y forme des territoires, des lieux d’appartenance privilégiés pour certains jeunes hommes sportifs plus conformes en genre. L’existence de ces zones qui privilégient la masculinité traditionnelle est possible grâce à la structure de l’institution scolaire; ce sont des marqueurs d’une forme de conformité au genre masculin auxquels tous ne peuvent accéder, même s’ils le voulaient. Le succès dans le sport faciliterait l’intégration sociale et assurerait une place privilégiée dans le vestiaire. Rester dans le vestibule du vestiaire, comme le font certains répondants serait comme de rester dans l’antichambre de la masculinité. Les prouesses sportives ne sont pas les seuls déterminants de la discrimination dont sont témoins les vestiaires. Les stades de l’évolution des garçons vers la maturité sexuelle seraient aussi un facteur important. Le vestiaire permettrait ainsi de mesurer la masculinité au-delà des capacités sportives. Il favoriserait une forme de reliance et parfois de déliance (Bolle de Bal, 1996). Le vestiaire serait un temple de la masculinité où admirer les stigmates de la masculinité, très nouvellement acquise dans le cas des adolescents. Rappelons qu’en tant que lieu non choisi et imposé, le vestiaire devient pour plusieurs répondants un lieu d’oppression où ils sont pris en otage dans une structure (sportive) sociale cautionnant un modèle particulier de masculinité marquée par l’agressivité et la domination masculine, comme l’avaient mentionné Gagnon (1995, 1996) et Messner et Sabo (1990). Le vestiaire peut ainsi devenir un lieu de terreur où certains garçons, choisis la plupart du temps parmi les moins conformes au genre masculin, servent d’amusement à d’autres (Jennings, 1998; Owens, 1998; Plummer, 1999; Sloan et Gustavsson, 1998). Ces garçons sont parmi ceux qui servent de modèle butoir ou d’antimodèle, comme le fif de service décrit par Lajeunesse (2001). Pour obtenir du soutien, le garçon dont a parlé Éric ne pouvait compter 140 sur le professeur, qui, par son silence, se faisait complice des agresseurs et leur donnait raison. Dans un cas comme celui-ci, pour que le soutien provienne d’un autre jeune homme, il faut que celui-ci ait suffisamment de capital social et de notoriété pour intervenir et obtenir la subordination des membres du groupe sans se mettre lui-même en péril. L’intervention ne peut donc être faite que par un jeune qui en a les « moyens ». À un âge où le statut de genre est incertain et nouveau, les bons samaritains comme ce répondant sont rarissimes. À la lumière de ce qui précède, on comprend aisément pourquoi plusieurs jeunes hommes comme Simon (vélo), affirment : « Dans les vestiaires, j’étais bien tranquille, je voulais passer inaperçu ». Certains répondants disent « Je n’ai jamais compris comment ça partait… » à propos des blagues et des jeux de vestiaires où certains sont pris à partie. Pour répondre à cette affirmation, nous pourrions dire que le phénomène d’ostracisme des « moins masculins » est déjà présent dans le tissu social et dans le sport (Gagnon, 1995; Sabo et Panepinto 1990). Les garçons ne font que reproduire dans le sport ce qu’ils font déjà dans la vie. On peut même penser que le sport procure une nouvelle légitimité à la marginalisation des garçons non conformes au modèle de masculinité hégémonique. Laisser les garçons à eux-mêmes dans le vestiaire permettrait d’exacerber davantage les jeux de domination et de subordination ou de marginalisation des garçons moins conformes au modèle de masculinité hégémonique. Il s’effectuerait alors une forme de sélection naturelle ou sociosexuelle selon la conformité au genre. Bien qu’ils soient habilités à le faire, les professeurs et les autres intervenants ne s’interposent que rarement dans ce type de conflits ou dans la régulation des relations entre les jeunes hommes (Jenning, 1998; Lajeunesse, 2001; Léger Marketing, 2001a, 2001b; Plummer, 1999; Young et Duberman, 1994). En bref, les vestiaires… Les grégaires sont appelés dans un vestiaire choisi alors que souvent les solitaires se retrouvent dans un vestiaire imposé selon le cadre où se pratique leur sport. Le vestiaire est avant tout un endroit utilitaire pour les grégaires et les solitaires. Ils y changent de vêtements pour pratiquer une activité sportive donnée. Les grégaires transforment le vestiaire en un lieu de fête et une maison des hommes pour la tribu constituée par l’équipe. Les solitaires, quant à eux, investissent moins souvent le vestiaire de sens symboliques, bien que certains y sentent le partage d’une masculinité communale. Enfin, quand l’activité sportive est imposée dans les écoles secondaires, le passage au vestiaire peut devenir pour certains une scène d’expression et de validation de leur masculinité nouvelle au détriment d’autres jeunes hommes non conformes au modèle hégémonique de masculinité, ou simplement moins habi- 141 les dans les sports. La disposition des douches collectives, des toilettes et des cases du vestiaire n’est pas due au hasard. L’aménagement du vestiaire des hommes favorise une forme de socialité déterminée selon les attentes sociales de conformité au genre. La disposition du vestiaire pour hommes facilite souvent des interactions sociales de type sexuel ou agressif, favorisant ainsi une forme de masculinité traditionnelle et dominatrice. Ce cadre d’interaction masculine hégémonique est renforcé, entre autres, dans les écoles secondaires par un abandon par la structure sociale qui laisse les jeunes hommes déterminer de façon autarcique lesquels, parmi eux, méritent le statut d'homme et parfois même, le droit d’exister dans ces lieux. Tableau 6. Le sens que prend le vestiaire pour les grégaires et les solitaires Grégaires Solitaires Lieu pour se changer Lieu choisi et désiré Lieu non choisi, imposé Maison des hommes Lieu fréquenté par des hommes Lieu de la tribu Lieu solitaire Lieu de la transformation en guerrier Lieu où il n’y pas de transformation particulière Lieu non spécifique et potentiellement dangereux Pas de fête Lieu spécifique d’expression de la masculinité Lieu de la kermesse 10.3.2 La masculinité par la meute, les rituels des grégaires Les rituels des équipes sportives seront présentés dans cette partie. En suivant l’histoire naturelle de l'entrée d’un joueur dans une équipe, seront présentés les rites d’initiation, les rites tribaux et enfin les rites apotropaïques. C’est par cette analyse que l’on tentera de comprendre le rôle que jouent les différents rituels dans l’apprentissage de la masculinité au sein des groupes sportifs. 10.3.2.1 Rituels initiatiques Pour admettre des nouveaux dans le groupe, plusieurs équipes ont un certain nombre de rituels d’entrée nommés initiation. En effet, les grégaires rencontrés ayant pratiqué le football ou le hockey se sont adonnés à ce type de rituel. Leurs témoignages demeurent, dans un premier temps, évasifs sur le contenu de ces initiations. Les gars avaient tout fermé la place où nous étions, les rideaux, puis tout, pas de photos, pas de caméras, c’est vraiment intime. C’est un party d’équipe qui doit rester dans l’équipe. – Antoine, football 142 On ferme tout pour que le monde ne voie pas. Après, on nettoie tout comme si rien ne s’était passé. – Didier, rugby Les initiations, c’est des affaires dont on ne veut pas toujours parler non plus. Daniel, Football Je n’ai pas le droit de parler de l’initiation. – Sylvain, football Les initiations sont secrètes et tous s’organisent pour que cela reste ainsi. Le responsable des résidences avait demandé aux initiateurs d’être discrets pour que les parents ne voient rien de ce qui se passe. – Paul, football Les coachs, au collégial ou au juvénile, ils nous avertissent de ne pas aller trop loin pour ne pas avoir de troubles avec les parents. C’est pour ça qu’il n’y a jamais de photos de rien. Antoine, – football Maintenant, il faut que tu fasses attention, tu ne peux pas faire n’importe quoi. – Laurent, football Dans les témoignages suivants, les répondants confirment que les initiations s’accomplissent par l’équipe et sont aussi permises par l’ensemble de la structure sportive où se pratique le sport, à savoir les entraîneurs et l’institution qui fournit les lieux. Même s’ils ne participent jamais activement à l’événement, les entraîneurs et les autres acteurs de la hiérarchie sportive savent ce qui se passe. Les coachs sont au courant de tout. – Paul, football Les autorités savent ce que l’on fait. Elles nous prêtent les locaux la nuit. On s’assure que les vétérans se rendent responsables des recrues. Ils s’assurent que tout est correct, que les gars ne sortent pas de la salle. – Didier, rugby Les vétérans sont là pour superviser. – Antoine, football Nous autres, on fait ça au centre sportif. On s’arrange avec la sécurité. Ça se fait le soir vers minuit. Le centre est fermé. Il faut que l’on fasse le ménage par la suite. C’est connu que chaque début d’année, il y a une initiation par l’équipe. C’est une institution. – Laurent, football Y a-t-il défection dans les troupes lors de l’initiation ? Non. Cela n’empêche pourtant pas certains sportifs d’avoir l’idée de ne pas y participer. C’est impossible de ne pas y aller. J’y avais déjà pensé à mon année de recrue au cégep et après je me suis rendu compte que c’était important. – Daniel, Football Il faut que tu le fasses. Si toute l’équipe le fait, tu le fais. Tout le monde est là, tu ne t’absentes que pour des raisons majeures. C’est un règlement non écrit. – Sylvain, football C’est la tradition et tu n’as pas le choix. Il faut que tu le fasses, sinon tu n’embarqueras pas dans l’équipe. Il y en a un qui n’a pas voulu le faire et il est sorti. Il n’a plus joué dans l’équipe. – Bertrand, hockey 143 Si tu ne le fais pas, tu vas être moins accepté. – Paul, football Tu n’as pas le choix, il faut que tu te tiennes dans l’équipe. Jean, football Il y en a qui ne veulent pas, mais tout le monde est obligé. Ils sont obligés. Ils n’ont pas le choix là. C’est ça ou tu n’es pas dans l’équipe. Il faut que tu passes par là. – Laurent, football Comme on peut le voir, les déserteurs et les dissidents ne sont pas tolérés. De toute façon, tous sont impatients d’être initiés et de faire partie du groupe. Un répondant témoigne. On avait hâte d’être initiés, pour que ce soit fait. Pour moi, j’étais accepté dans le groupe. J’étais bien content quand je sortais, parce que tout le monde savait que je jouais dans une équipe de hockey. Les jeunes ne le disent pas tellement, mais ils font ça pour être reconnus. Tu deviens volontaire, parce que tout le monde le fait. Tu deviens un homme. – André, soccer Pour certains, comme le répondant suivant, l’initiation a été l’occasion de son premier contact avec l’ébriété. Il y a beaucoup de boisson, ça boit beaucoup. Il y a tout le temps une compétition avec de la bière. C’est à qui cale le plus vite. Moi, je n’ai jamais bu de ma vie. La première fois que j’ai été chaud, c’était là, à l’initiation. Il y avait une épreuve où il fallait caler du fort. Quand tu ne fais pas l’affaire, tu manges un biscuit de chien. Quand tu coules l’épreuve, tu as une punition, ça peut être n’importe quoi. – Antoine, football L’étourdissement et l’évanouissement seraient fréquents. De plus, si l’alcool n’est pas autorisé, il y a d’autres moyens pour modifier l’état de conscience et étourdir la recrue, afin de la déstabiliser. Au secondaire, ce sont des épreuves physiques, parce que l’alcool est interdit. Il y avait une grosse côte, les gens roulaient sur les mains jusqu’en bas, rendus en bas, ils vomissaient. – Antoine, football Ils te crissent ça [de la nourriture pour chien] dans la bouche et après tu recales une autre bière. Ensuite, il y a des shooters de fort. Ils nous ont saoulés assez rapidement. – Sylvain, football Ce n’est rien de compliqué. Après le camp d’enseignement, tout le monde prend un coup, comme pour enlever de la pression. Il y avait des stations où il fallait boire. Tu sors de là magané. Il y en a qui ne veulent pas au début, mais après quelques bières… Quand tout le monde est là, que tout le monde le fait, pourquoi tu ne le ferais pas ? – Paul, football Il y avait des concours de calage de bière avec l’entonnoir. Tu bois jusqu’à ce que tu tombes. C’est une course de vitesse. C’est celui qui vide l’entonnoir le plus vite possible. C’est la première épreuve que l’on fait pour les [les joueurs] mettre dedans. Dans leur bière, on leur met de l’alcool à 98 % pour qu’ils soient plus maganés. – Laurent, football Plusieurs répondants racontent ainsi leur expérience de l’initiation. 144 C’est dégueulasse, j’ai failli vomir. L’initiation est une certaine revanche des vétérans sur les recrues. Pour ne pas que les recrues dépassent les vétérans. C’est une revanche douce. C’était assez dégueulasse aussi. On avait des gobelets. Dans le premier, il y avait un œuf avec de la bière et du laxatif. On ne le savait pas, il y en a qui ont passé la soirée aux toilettes. Il y avait une place où il fallait que tu manges des sardines, une langue de porc et que tu cales une bière, dans laquelle ils avaient mis du tabasco. À une autre place, il fallait que tu manges des biscuits à chien. – Sylvain, football Ça ne me dérange pas de manger de la bouffe à chien, mais je trouve que c’est ridicule. C’est la tradition, les gars sont malades en mangeant ça. Dans les joueurs de hockey, ils font plein d’affaires de même, puis des affaires pour les faire vomir. – Bertrand, hockey Les vétérans respectent une certaine limite. Si l’initiation dépasse la mesure de ce qui est usuellement supportable et que tout plaisir disparaît, les vétérans savent doser les épreuves. Si on voit que le gars est trop malade, on va arrêter. C’est juste drôle de faire vomir. En fait, la nourriture à chien, ce n’est pas fait pour faire vomir le gars, mais c’est ce qui arrive par la suite. Le gars est malade à cause de nous. – Laurent, football Les gars sont tout le temps malade durant les initiations. L’année passée, on ne s’est pas rendus au bout de l’initiation. On l’avait fait un peu dur et on a laissé aller. – Didier, rugby La sueur faisant partie des premiers éléments étrangers avec lesquels les grégaires sont en contact quand ils entrent dans une équipe, il en est fait usage lors des initiations, ce qui d’une certaine manière, servirait à préparer la recrue à accepter le contact avec les fluides corporels des autres. On faisait aussi une course pendant laquelle il fallait courir avec des biscuits soda sous les bras. On avait les pieds attachés, il fallait sauter. Le perdant devait manger les biscuits sodas de l’autre. – Laurent, football Il y en avait au hockey qui passaient une pratique avec un morceau de citron dans les fesses. Il y avait des concours d’agilité, puis à la fin, celui qui finissait le dernier dans les points devait manger le citron de tout le monde. – Antoine, football L’obéissance aux anciens est de rigueur. Les écarts et les initiatives individuelles ne sont pas tolérés. Il y avait un genre de contrôle. On n’avait pas le choix de les écouter, sinon ils nous faisaient faire quelque chose de plus chien. On avait tous un vétéran d’assigné, puis il disait : j’ai besoin du shampoing, j’ai besoin de brosse à dents, n’importe quoi. On achetait de la bière pour lui, puis pour nous. Ils nous ont fait une coupe de cheveux après la semaine de pratique. Ce n’était pas joli. En deuxième année et ma troisième année, c’était nous les vétérans qui décidaient de ce que l’on allait faire ; puis on les faisait venir en boxer des résidences. – Paul, football 145 Lors de l’initiation, la génitalité est également utilisée. Au hockey, quand tu arrivais dans le Bantam, ils te rasaient le poil du pénis. C’était vers 14 ans. On avait bandé les yeux des nouveaux après leur avoir montré une brebis qu’un gars avait amenée. On leur avait dit qu’il fallait qu’ils fourrent la brebis. On ne le faisait pas pour vrai, on leur enfonçait la queue dans un gros pot de Crisco. Crois-le ou non, les gars bandaient tout de suite et il y en a qui venaient. On n’en revenait pas. On l’a toujours fait après, c’était trop drôle parce que ça marchait tout le temps. – Bertrand, hockey Des sportifs racontent la partie de l’initiation que le public peut voir. Mentionnons au passage que s’ils se déroulaient dans un autre cadre, plusieurs des actes vécus par les sportifs seraient considérés comme des voies de fait. Une autre fois, ils faisaient pisser les gars juniors dans des pots dans la rue devant les passants. C’était passé dans les journaux. – Antoine, football S’il y en a un qui est un nouveau, ils vont le déshabiller, lui mettre de la crème à raser autour du pénis et ils vont lui couper les poils. Ils vont ensuite le mettre dehors du vestiaire, en barrant la porte. Ils peuvent le laisser là plusieurs heures, c’est comme ça. – Manu, baseball et hockey Ils avaient fait l’initiation le jour où les parents venaient voir le cégep. Tout le monde était tout nu sauf qu’il avait un bas, pour cacher… Ils arrivaient sur la plus haute butte, traversaient le campus au complet. On s’est dit que ça allait être drôle et en même temps choquant pour les parents qui viennent avec leur petite fille de 16 ans de voir une équipe de football de 60 gars qui gueulent tout nus. – Jean, football Comme en témoignent certains répondants, l’équipe sportive, par les rituels initiatiques, s’approprie le corps et l’intimité du sportif. Au hockey, ils nous faisaient courir en jock-strap dans l’aréna. – Laurent, football Les gars sont nus avec un support athlétique. C’est pour mettre un peu d’humilité. Rendu de même, tu ne peux pas te lever pis dire arrêtez. C’est humiliant être tout seul tout-nu avec juste un bas. C’était la meilleure initiation de ma vie. Ça a rapproché tout le monde. – Jean, football Les plus vieux font se promener les plus jeunes en jock-strap. Ils leur font faire le tour de l’aréna, en haut où il y a plein de personnes, les fesses à l’air, ou nu avec un bas sur la tête. Ils les envoient sur la patinoire pendant une pratique. – Bertrand, hockey Dans certaines équipes, les recrues doivent se présenter devant le groupe et réaliser une performance « artistique ». La possibilité de sodomiser les recrues est aussi utilisée de façon symbolique dans ces petits spectacles. La sodomie, réelle dans certains cas, n’est cependant pas toujours exclue. 146 Je me suis fait initier dans toutes les équipes. C’est comme une meute de chiens qui s’encouragent entre eux. Il y a des initiations où la recrue doit placer dans son discours qu’elle fait devant les autres les mots sodomie et fellation. Des fois ça allait plus loin, y’a des petites gangs où quand tu sortais de là, tu marchais écarté une couple de jours parce les gars t’avaient enculé. – Paul, football Les sportifs sentent très bien à quel point le port d’un simple support athlétique parmi une bande de jeunes hommes qu’ils qualifient eux-même de « chiens » les rend vulnérables et les déstabilise. Le répondant suivant exprime son angoisse sans pour autant vouloir ou pouvoir nommer les choses par leur nom. C’est pour que tu comprennes quelle est ta place. Quand tu es en jock-strap, tu te sens moins bien que quand tu es en jogging ou autre chose. Ça te met sur une tension, un stress, tu ne sais pas ce qu’ils vont faire. – Didier, rugby Que peuvent-ils bien faire en effet ? Les recrues craignent la sodomie, et avec raison si l’on se fie au témoignage précédent. L’association entre homosexualité et sodomie dans les représentations sociales des répondants est assez fréquente. Les sportifs utiliseraient cette représentation à fond pour soumettre les initiés. L’anus pénétrable rendant l’homme vulnérable et donc féminin l’associant à l’homosexualité est illustré par le témoignage du répondant suivant. On y apprend que le fait d’être dans un bar gai est humiliant d’autant plus si l’on ne porte qu’un support athlétique. Dans la ville d’où je viens, ils avaient pris un gars, ils l’avaient mis tout nu et ils l’avaient laissé au milieu d’un bar gai. Il a été obligé de boire une bière, il avait seulement 15 minutes. – Antoine, football Enfin, l’anus et les fesses sont souvent utilisés par les vétérans pour de nombreuses épreuves. Ils nous ont fait porter un jock-strap pour faire toutes sortes d’épreuves. Il y avait un gros cube de glace avec une olive dessus et un verre plus loin. On partait un à côté de l’autre, puis fallait que tu ramasses l’olive avec tes fesses, puis que tu ramènes l’olive pour le laisser tomber dans le verre. Celui qui laissait tomber l’olive dans le verre en premier faisait manger son olive à l’autre. – Marc, football Il y a une fois où il fallait que les gars endurent du tabasco sur l’anus et sur le gland. Ça fait mal en chien. Une autre fois, il fallait que les recrues fassent les pratiques avec des guimauves dans les caleçons. Ça a fondu, et il a fallu qu’ils se coupent le poil. – Antoine, football Des répondants témoignent à propos de l’importance de l’initiation et de l’efficacité de cette stratégie pour intégrer les nouveaux. 147 C’est juste de partager les mêmes valeurs. C’est juste de faire partie de ça. C’est aussi une manière de donner une bonne rampe de lancement à la personne parce qu’elle arrive tout à fait vierge par rapport à ce milieu-là. Elle rentre et elle vit en commun avec les autres personnes. – Didier, rugby Ça sert à mettre tout le monde égal. C’est un processus normal. C’est là que tu montres que tu les intègres. Tout d'un coup, il n’y a plus de recrues, tout le monde est vétéran, tout le monde est gradé au même statut. Une fois que tu es passé là, c’est parce que tu as fini le camp d’entraînement. T’es accepté par l’équipe. C’est pour l’esprit d’équipe. Quand l’initiation était finie, tu rentres vétéran. – Antoine, football On va au pub après. C’est familial, tout le monde égal. Il n’y a plus personne qui est recrue. Une initiation sert à enlever la séparation entre les recrues et les vétérans. Après, vous faites partie de nous autres. – Marc, football Notons l’usage du mot « vierge », qui n’est pas sans rappeler la féminisation potentielle et un certain état de pureté évoquée dans la section précédente à propos des nouveaux. De plus, il est étonnant de constater que, selon le point de vue de ce répondant, le nouveau semble ignorer tout à fait les rituels de ce milieu alors que, pour être dans une équipe universitaire de football ou de hockey, il faut avoir fait plusieurs années de pratique. Ce répondant ne peut l’ignorer, puisqu’il est lui-même passé par ce chemin pour accéder à l’équipe de football universitaire dont il fait partie. Il existerait donc, au niveau universitaire, une étape de plus, sorte de seuil supplémentaire à franchir. Après l’initiation, le nouveau appartient à l’équipe et il pourra aller vers les femmes seulement quand l’équipe le lui permettra. Ils nous faisaient manger de l’ail cru parce qu’on sort après [l’initiation]. Pour ne pas que tu ailles parler aux filles, parce que t’as une haleine affreuse. Ils ne veulent pas que tu ailles draguer les filles, parce que c’est eux qui ont le contrôle. Ils s’arrangent pour que ce soit drôle pour eux. – Paul, football Certains reconnaissent (sur un ton bon enfant) le caractère éprouvant du processus d’intégration dans leur équipe. Les sportifs comprendraient que le passage par diverses épreuves leur permettrait de vraiment se connaître. Plus c’est dur, plus on se connaît. – Daniel, football C’est drôle. Le lendemain matin, t’es magané, t’es fatigué, mais tout le monde a passé par là. Ce n’est pas plus grave que ça. Ça rapproche le monde. – Laurent football C’est un peu écœurant. C’est quand même dur, il faut être chaud. Ça braille, tu vomis partout, c’est dégueulasse. Mais quand l’initiation était finie, tu rentrais vétéran. – Antoine, football Et enfin, le processus se termine par une ablution salvatrice. 148 Après cette soirée d’initiation, il n’y a plus de recrues, tout le monde est égal. Il y a des équipes où ça dure une année avant qu’il n’y ait plus de recrues. Après tout, le monde retourne dans la chambre et les recrues prennent une douche. Ils sont crottés, ils ont de l’alcool partout, il y en a qui ont vomi, ils prennent une douche, puis on sort après. Durant la première semaine de pratiques, il y a des recrues qui se prennent un peu pour d'autres; on leur fait des spéciaux dans l’initiation. – Laurent, football La douche lave, bien sûr, mais aussi elle revêt un caractère de purification symbolique. Il faut finir de faire disparaître l’« ancienne recrue ». Il faut effacer la trace du passage collée au corps du « nouveau vétéran » comme un reste de chrysalide ou une ancienne coquille de crustacé après la mue. Au sortir de la douche, un homme neuf qui accède à un nouveau statut. Notons enfin que l’initiation préciserait le statut de chacun. Ainsi, ceux qui en ont trop fait (exemple : voler la vedette aux anciens) durant les premiers entraînements reçoivent un traitement de faveur dont le but est de les remettre à leur place, du moins pour le temps de l’initiation. C’est pourquoi « on force la dose ». Par définition, un sport collectif se pratique en groupe. Or les groupes ont des règles, des coutumes, des habitus et parfois même une culture (au sens soutenu par Cuche, 1996) qui leur sont propres. Les groupes pratiquant des sports agonistes, comme de football ou de hockey, ont presque tous des rituels initiatiques. Il semble que les autres sports de groupe (ilinistes), tels que le basket-ball et le volley-ball, aient quant à eux moins de rituels d’entrée. Le centre sportif devient souvent le lieu de l’initiation. Le plus souvent, c’est lorsqu’il est fermé au public que les initiateurs l’utilisent pour accomplir le processus initiatique. En effet, pareils rituels nécessitent la complicité d’un ensemble d’acteurs, complicité qui naît du silence de ceux-ci. Les responsables des équipes rencontrés se sont d’ailleurs montrés très discrets à propos des initiations et sur le rôle qu’ils jouent dans le processus. Sans nier qu’ils sont au courant ou même qu’ils avalisent leur déroulement, ils ont souvent préféré changer de sujet ou éviter la question. Un exemple de l’importance du secret lié aux initiations et surtout de la complicité des « autorités » est le scandale du contingent des Airborn de l’Armée canadienne quand la télévision a montré au public des vidéos de leurs rituels d’initiations en 1994. Les Airborn ne sont pas un groupe sportif, mais ils constituent un groupe à forte complicité masculine du même type. Les Airborn avaient été démantelés dans les mois qui ont suivi17. Un scandale semblable avait touché les Marines des États-Unis à la même époque, sans toutefois aboutir à la dissolution des Marines Corp. C’est souvent par 17 Si le lecteur est intéressé d’en connaître davantage, je l’invite à consulter les sites suivants : http://archives.radio-canada.ca/400d.asp?id=0-9-789-4793 http://archives.radio-canada.ca/IDD-0-9-789/guerres_conflits/somalie/ http://www.forces.gc.ca/site/Reports/somalia/vol1/V1C14_f.asp 149 peur du scandale, entre autres, que les sportifs restent discrets à propos de leurs rituels initiatiques. Cependant, la mise au secret de l’ensemble des rituels aurait aussi un effet pervers. Elle entretiendrait, dans les représentations sociales, une image fort négative des initiations. Image nourrie par certains débordements rendus publics. Les rituels initiatiques s’accomplissent en majorité dans le secret, mais un volet public peut être prévu s’il est nécessaire d’ajouter à l’humiliation. Le secret entourant les initiations permet d’éviter les scandales que craignent particulièrement les membres de la structure sportive. Le secret et le mystère entourant les rituels initiatiques permettent de leur conférer une puissance qu’ils perdraient s’ils étaient rendus accessibles à n’importe quel profane, mais ils permettraient aussi de renforcer la complicité entre les joueurs et la subordination au modèle unique de masculinité hégémonique. Les initiateurs, craignant les réactions défavorables des gens extérieurs au groupe sportif, notamment des parents, s’autocensureraient et modèreraient leurs élans imaginatifs lors des initiations, car vues de l’extérieur, les initiations auraient un caractère vulgaire ou scandaleux. La plupart des répondants racontent sensiblement les mêmes choses quant au secret entourant l’initiation. Il semble que pour les jeunes sportifs, les gens qui sont à l’extérieur du processus ne peuvent comprendre l’importance de l’initiation ni les enjeux fondamentaux d’intégration et de changement de statut que ceux-ci revêtent. Malgré le caractère difficile de certaines initiations, il n’y a pas de défection lors de celles-ci, car les rituels initiatiques permettraient à un individu de gagner le droit d’être membre à part entière d’une équipe sportive. S’absenter lors de l’initiation deviendrait presque impossible et entraînerait presque automatiquement le rejet du groupe, soit la marginalisation du groupe d’hommes sportifs. L’initiation possède un caractère déontique, mais aussi un très fort caractère volontaire, car tous ont hâte d’être initiés pour se joindre de plein droit à leur groupe sportif. Les rituels initiatiques seraient donc source de joie et d’accomplissement de soi. Parfois l’épreuve amène un peu d’appréhension, les jeunes hommes sportifs semblent tout de même pressés d’être intronisés au rang des « vrais ». Les témoignages permettent de penser que les sportifs vivent l’initiation telle que nous l’avons illustrée dans le cadre théorique. En effet, les recrues sont coupées « / » de leur communauté d’origine « C » et sont amenées « → » dans un lieu sacré « s » qui est celui de l’initiation. Dans ce lieu, elles subissent les humiliations « h » et les épreuves « e » choisies par les vétérans. Durant cette période, les recrues sont dans un état liminaire « L ». Ensuite, 150 celles-ci peuvent se joindre « ➾ » à leur nouvelle communauté, c’est-à-dire l’équipe sportive, ce qui constitue l’état de communitas « c ». Les anciens de l’équipe mettent en place les initiations dans le but d’intégrer les nouveaux, de leur transmettre leurs valeurs sportives et de les faire accéder au statut de vétéran. Après l’initiation, les nouveaux doivent avoir acquis les valeurs sportives définies par les sportifs vétérans comme entre autres l’endurance, l’agressivité, la force, la solidarité avec les autres hommes, valeurs qui sont les mêmes que celles qui marquent la masculinité hégémonique définie par Connell (2005). Les nouveaux savent aussi rester à leur place derrière les « mâles » dominants et respecter la hiérarchie. Cela constitue encore un autre critère de la masculinité hégémonique. Le nouveau passe du statut de recrue à celui de vétéran dans un lieu précis, généralement le centre sportif auquel l’équipe est attachée. La puissance de la complicité masculine soutenue par le secret des initiations expliquerait pourquoi il nous a fallu des mois pour gagner la confiance des joueurs et recueillir leurs confidences sur ces rituels. Sans cette complicité, les révélations des joueurs auraient été difficiles à obtenir, voire impossibles, car elles auraient été une trahison à leur communitas. Un mot sur la liminarité des sportifs Une fois mis en place les lieux et les acteurs, voyons plus en détail certains éléments des rituels initiatiques. La liminarité — état d’entre-deux où le sportif cesse d’être l’ancien joueur, mais n’est pas encore le nouveau — s’installe en changeant l’état de conscience de la recrue. Se succèdent alors des humiliations et des épreuves. La recrue est d’abord étourdie, principalement au moyen de l’alcool. Des changements d’état de conscience durant les rites initiatiques se retrouvent dans l'ensemble de presque toutes les peuplades ou sociétés qui procèdent à des rituels d’intronisation à un groupe (Mead, G., 1963; Mead, M., 1963; Turner, 1990; Van Gennep, 1969; Malinowski, 1989; Chebel, 1988; Sergent, 1986). L’initiation comporte un certain nombre d’épreuves qui permettraient de mesurer le courage des recrues. Une fois jugé à la hauteur des attentes du groupe, la recrue peut intégrer le groupe. Les initiateurs poussent les recrues à la limite de leur corps et sans doute au-delà. Les vomissements dont sont victimes plusieurs sportifs lors des épreuves seraient un marqueur de la limite atteinte. En effet, quand les vomissements surviennent, c’est que le corps a donné ce qu’il pouvait. Pousser le corps dans ses limites jusqu’à ce que la recrue vomisse ou soit prise de diarrhée donne aux vétérans une forme de contrôle et de pouvoir sur les 151 initiés. Faire manger de la nourriture pour chien démontrerait le statut d’infériorité du nouveau ramené à celui d’un simple animal à dompter ou à éduquer. L’initiateur remet le sort de la recrue entre les mains de la nature (ou de l’équipe), qui seule décidera de la limite. Il s’agirait ici d'une forme d’ordalie (Le Breton, 1991a et 1995). Tout se passe comme si la recrue cédait le contrôle de sa personne aux vétérans du groupe sportif et que ceux-ci s’en remissent à la nature pour décider qui sera digne ou non d’accéder au statut de sportif digne d’être membre du groupe. De plus, l’initiation doit résoudre une certaine contradiction. Il faudrait que la recrue soit à la fois assez forte et méritoire pour être membre de l’équipe, et assez faible pour se soumettre à son autorité. Il faudrait bien faire comprendre à la recrue qu’aucun joueur aussi talentueux soit-il ne sera jamais plus grand que l’équipe elle-même. Le sens de la mesure dans cette contradiction n’est pas toujours facile à cerner. On retrouverait parfois dans les journaux des incidents où l’initiation a eu une issue fatale. Tous les sportifs de sports agonistes que nous avons rencontrés ont témoigné de rituels vécus et ont souligné en quoi l’infériorisation de leur être où l’humiliation et l’épreuve marquent la liminarité qui constitue un passage de leur ancien statut social au nouveau statut. L’usage de la génitalité se ferait de plusieurs manières. Dans un premier temps, les recrues seraient souvent ramenées à un stade d’impuberté. C'est une forme d’infériorisation ou d’infantilisation de la recrue par l’ablation des signes de la maturité sexuelle que sont entre autres les poils pubiens. Les rituels de rasage se déroulent surtout durant les initiations des jeunes hommes de 12 à 14 ans, car à cet âge, l’apparition des poils pubiens est toute récente et constituerait un marqueur d’une grande valeur symbolique, témoin de l’accession à un nouvel état d’homme. L’équipe se devrait, non seulement, de ramener la recrue nouvellement pubère dans un état d’impuberté à l’intérieur du groupe, mais l’humiliation du garçon n’est complète que si on le prive des marqueurs de sa nouvelle masculinité en public. Cela ferait perdre la prétention de la recrue d’appartenir à l’état d’homme. Souvent, les recrues ne portent qu’un unique support athlétique durant les initiations. Exposer l’anus aux yeux de tous rendrait les recrues symboliquement pénétrables et procèderait à leur féminisation. L’anus et son usage quel qu’il soit étant souvent une source de honte chez beaucoup hommes (Bersani, 1987). Il ne faut pas perdre de vue que le féminin serait un moins pour de nombreux hommes (Dorais, 1999), en particulier dans le milieu sportif (Gagnon, 1995, 1996). 152 Tout le sportif, toutes les parties de son corps, doivent appartenir à l’équipe et rester sous son pouvoir. Rien ne doit échapper à la vigilance de celle-ci. Non seulement le joueur est-il un prolongement de l’équipe, mais toutes les parties de son corps en sont aussi le prolongement. Pour accomplir cette fusion, il faudrait aller « trop loin », pour ensuite permettre à l’activité sportive difficile de devenir anodine. Dans les mêlées, comme on en voit au rugby ou au football américain, toutes les parties du corps doivent devenir égales et appartenir à l’équipe. Ce ne serait pas le moment, au cœur du combat, de faire cas de touchers intimes impromptus. La capacité d’être à la hauteur des autres hommes se mesurerait entre autres par l’endurance et la souffrance notamment génitale. Il arriverait donc que les performances des parties génitales et les performances sportives soient associées dans la prise de la mesure de la conformité au groupe des hommes et à leurs valeurs. L’état de communitas ou l’intégration achevée Le passage à l’état d’homme, symboliquement associé à l’appartenance au groupe sportif, est orchestré par les plus vieux. Ce serait les seuls qui seraient en mesure de juger du temps et du lieu du passage où la recrue a mérité son nouveau statut et peut devenir membre à part entière de la communitas sportive. Le passage est consacré une fois l’initiation réussie. Ce serait l’état de communitas évoqué par Turner (1990). Le contrôle des vétérans sur les recrues s’étendrait au-delà de l’initiation. Il existerait une sorte « d’après initiation » qui ferait en sorte que le nouveau doit rester sous le contrôle des anciens encore un certain temps. Dans cette « suite », la recrue ne serait pas tout à fait libre. Le contact avec les femmes y serait prohibé, car il serait perçu par les répondants comme une forme de trahison envers le groupe des hommes. Les rituels initiatiques seraient intrinsèques à la mécanique des groupes sportifs. Ils auraient de nombreux points communs avec les rituels des tribus observées par Godelier (1996), Herdt (1982, 1984, 1994), Turner (1990) et Van Gennep (1969). C’est pourquoi il est possible de se servir des analyses de ces auteurs pour comprendre les rituels initiatiques des sportifs. Pour les grégaires, l’initiation est une fatalité, mais aussi une institution à respecter, pour reprendre les termes des répondants eux-mêmes, à laquelle les nouveaux doivent se soumettre. L’initiation est aussi une institution par laquelle les grégaires sont tous passés pour devenir membres à part entière de leur groupe. Elle a un caractère déontique. L’initiation permet à une recrue de changer de statut social. Une fois accomplie, l’initiation permettrait de vraiment consolider les liens entre la recrue et sa nouvelle communitas. Compte tenu de l’âge des participants au moment où la plupart des initiations sportives ont 153 lieux, elles ne permettraient pas seulement une stricte intégration dans une équipe, mais également une accession au statut d’homme. C’est la raison pour laquelle entre autres, la génitalité est souvent utilisée lors d’épreuves d’endurance. L’analité, quant à elle, servirait à humilier la recrue en la réduisant à l’état d’individu pénétrable, ce qui la féminise et du même coup l’homosexualise. L’initiation serait, dans sa structure actuelle, une courroie de transmission de la masculinité hégémonique. Par ses composantes types, telles que la complicité et la solidarité avec le groupe d’hommes dominants, l’initiation permet la subordination à une autorité masculine « officielle » et la marginalisation de ceux qui ne sont pas conformes. Elle favorise des valeurs misogynes et homophobes par le renforcement de la peur du féminin, de l’agressivité, de la domination, de l’endurance et de la force. 10.3.2.2 Rituels tribaux Nous avons vu que les rituels initiatiques occupent une grande place de la vie au sein de l’équipe sportive. Une fois l’initiation passée, les sportifs n’en n’ont pour autant pas fini avec les rituels. Viennent ensuite les rituels tribaux qui constituent une découverte importante. Rappelons que les rituels tribaux sont ceux exprimés quotidiennement par une tribu comme celle formée d’une équipe sportive.Ils dicteraient les façons de faire au sein de celle-ci et marqueraient en même temps pour ses membres, la preuve de l’appartenance à cette même tribu. Ils n’étaient pas présents dans la documentation consultée pour cette rechercche. Ils se déclinent en plusieurs nuances selon les sous-groupes d’appartenance de chacun et selon le but visé par le rituel lui-même. Les receveurs sont ensemble, les attaquants sont ensemble, les quarts-arrière sont ensemble… à un moment donné, tu vois une gang qui a toute la tête rasée. – Antoine, football Les joueurs sont souvent conscients que les marques d’appartenance à leur groupe peuvent les faire paraître étranges aux yeux de ceux qui n’appartiennent pas au groupe sportif. La compréhension et l’acceptation de leurs rites ne sont pas données au profane. Quand un groupe arrive la tête rasée, on rit. Parce que c’est vraiment laid. J’ai pris quatre jours avant de me raser. Je voulais faire ma photo de finissant. J’avais une entrevue pour un stage avec le DG d’un département, je ne voulais pas arriver là rasé, je ne me sentais pas à l’aise. Mais il faut que tu embarques dans le clan. C’est juste question de faire quelque chose qui marque ton esprit d’équipe. Certains se rasaient les parties... C’est une question d’appartenir à une équipe. Tous les groupes, comme les demis défensifs, chantent et dansent ensemble. On fait tous pareil, tout le monde embarque, sans se poser de questions. S’il y en a un qui ne le fait pas, il va se faire gosser un peu, mais il va finir par embarquer avec la gang. – Antoine, football 154 Pourtant, les joueurs espèrent que certains signes soient compris à l’extérieur de leur groupe d’appartenance, bien que plusieurs n’y voient qu’une mode voulant montrer une plus grande masculinité. Ici, les jeux avec la pilosité sont expliqués. Au football, comme au hockey, avant les matchs, on se laisse pousser la barbe, mais moi personnellement, je ne suis pas un gros fan de ça. C’est une mode pour montrer qu’ils sont plus rough. – Daniel, football Pour moi, c’est surtout une tradition. Les joueurs de hockey se laissent pousser la barbe en fin de saison. Plus tu te laisses pousser la barbe, plus ça veut dire que tu joues longtemps… C’est peut-être le phénomène du guerrier. On va à la guerre, comme on joue au football ou au hockey. Tu montres aux autres que tu es rendu en série. C’est pour ça que je me laisse pousser la barbe. Ça nous donne le sentiment d’appartenir à la tradition, au groupe de ceux qui font ça. – Paul, football Durant l’entraînement, les cris de solidarité se font entendre. Les grégaires se mettent souvent à battre des mains à l’unisson en scandant « let’s go, let’s go, let’s go… » Bien que les joueurs rencontrés soient francophones, c’est l’anglais qui est la langue la plus utilisée pour ces rituels d’encouragement. L’entraîneur et les joueurs sont unanimes quant à l’explication de l’usage de la langue anglaise. À la fin des entraînements, les joueurs se placent en rond et unissent une de leurs mains au centre, formant une marguerite. Ils récitent une formule anglaise en la criant à l’unisson. C’est la langue dans laquelle le football a été inventé. Et, je ne sais pas, c’est comme magique, ou quelque chose de plus fort qui nous met dans l’esprit du jeu. – Antoine, football On est tous ensemble, on a travaillé tous ensemble. Si tout le monde crie, tout le monde est heureux. Des fois, il y a des ratés et on le refait. Il faut vraiment que ça soit intense, que tout le monde nous entende. – Sylvain, football Ce cri-là, c’est un break-down. On a survécu à l’entraînement, on monte d’un cran. C’est l’appartenance, quand tu es à mon université, tu n’es pas d’une autre. Tu regardes les autres, tu sens que tu es une équipe. – Daniel, football On crie. C’est pour dire à la fin que l’on est ensemble. C’est pour dire que l’on a fait des efforts ensemble. C’est pour unifier l’équipe. Ce sont des petites choses qui font que l’équipe va se tenir ensemble qui vont faire que l’on va avoir plus de courage ensemble. On se motive ensemble, on fait équipe ensemble, on fait tout ensemble. – Marc, football D’autres équipes sportives poussent leur cri non pas après, mais avant la pratique ou le match. Cette fois, il s’agissait, selon les répondants, d’unir l’équipe avant le combat. Pour ces sportifs aussi l’usage d’une langue étrangère ajoute, selon eux, au caractère envoûtant du rituel. On avait un cri de ralliement au début, juste avant la mise au jeu. C’était les trois lettres de notre polyvalente que l’on disait en anglais. J’imagine que 155 l’anglais sonnait mieux. Juste avant le jeu, l’équipe est ensemble pour montrer que l’on va travailler ensemble. On le lâche fort pour que ça vienne des tripes. C’est comme un symbole. Dans un sport d’équipe, c’est super important de ne pas être égoïste. – Éric, hockey Comme on l’a vu, le cri se joint souvent aux gestes. Des répondants le précisent. Quand on fait le cri, on lève les bras ensemble, c’est plus pour dire : on s’en va, notre vie est numéro un au pays, on s’en va en haut, puis on pointe vers le ciel pour dire, on s’en va au top. On crie : un, deux, trois, [nom de l’université]. C’est un cri de ralliement. Ça nous rapproche. On est tous des parties individuelles, mais ensemble, on fait l’équipe. Les mains sont importantes au football, parce que quand on lâche ce cri-là, on a tous les mains ensemble. Quand on pratique, on se claque dans les mains tout le temps pour s’encourager. Le claquage de mains que l’on fait, c’est des poignées d’encouragement. Ça dit « lâche pas, on est tous ensemble ». L’entraînement est assez difficile, puis c’est juste pour dire à l’autre que l’on est ensemble, qu’on ne se lâche pas et que l’on est capable de finir. – Laurent, football Formant une véritable gestique, les mains qui gambillent et se baladent peuvent constituer un spectacle exotique, voire incompréhensible aux yeux du profane. Je n’avais jamais remarqué ça, mais on se claque dans les mains pas mal et on se tripote, c’est vrai. C’est le fait que l’équipe est intense. On se tape dans les mains, on fait des cris. Dans mon équipe juvénile, quand il y avait une victoire, on se tapait dans les mains, on faisait un cri. – Antoine, football Le claquage de mains... On fait tout le temps ça et on ne s’en rend même plus compte. Tout le monde est en ligne et quand tu passes, tu claques la main des gars. C’est un signe d’encouragement, d’affection; c’est comme pour dire « je suis là avec vous autres et vous êtes là avec moi ». C’est un réflexe, tout le monde fait ça. Le monde va se donner des tapes sur les fesses, tout le monde va se taper sur le casque. Je ne vois pas comment ça pourrait arrêter. Moi, il faut que je touche aux autres. Il faut que je communique avec les autres gars. Au lieu de parler, on se touche. – Marc, football Pour demeurer dans le sujet des mains, il est un autre rituel de solidarité dont il faut également parler. Au football, à la fin de chaque pratique — avant le cri final —, les joueurs font des étirements au sol. Durant ceux-ci, l’entraîneur fait le tour de tous les joueurs et leur serre la main. Il en profite alors pour discuter avec eux de leurs performances et de leurs faiblesses. Cette pratique importante pour l’entraîneur est très appréciée des joueurs. Tous y voient un signe de reconnaissance important pour l’effort accompli par les joueurs. Quand l’entraîneur nous serre la main, c’est vraiment pour dire merci d’avoir été là et d’avoir fait le travail que l’on a fait. C’est un effort que l’on fait ensemble et il est là pour nous et on aime ça, c’est super important. – Antoine, football 156 Les grégaires pratiquent un grand nombre de rituels de toutes sortes. Les odeurs corporelles ont également été intégrées aux rituels tribaux. Les odeurs corporelles peuvent devenir un outil de reconnaissance et même une marque fort appréciée. Les joueurs sont conscients que certains des leurs sentent la transpiration dans un « rayon d’action » étendu, mais cela ne les gêne pas le moins du monde. Il y en a que tu les sens à 20 pieds, ça te brûle le nez, mais c’est des gars, c’est comme ça. – Antoine, football Nous avons observé que des anciens joueurs, rendant visitent à l’équipe, prenaient plaisir à renifler l’aisselle de l’entraîneur pour se réjouir de son parfum. Les aisselles ne sont pas les seules parties de l’anatomie à faire l’objet de rites olfactifs. Maints rituels ne sont possibles qu’entre garçons non circoncis, car ils impliquent le prépuce. Plusieurs joueurs ont fait des concours honorant le prépuce le plus odorant. Il a été impossible de savoir qui était juge de cette joute et que remportait le vainqueur. J’ai même fait des concours pas d’allure. Il ne fallait pas se laver la queue pendant un bout de temps et après c’était à celui qui puait le plus. C’est sûr que les gars circoncis ne pouvaient pas participer. – Antoine, football Les répondants suivants gardent une certaine distance face à ce qu’ils ont vécu et vivent encore dans les équipes desquelles ils sont membres. Ils racontent ici comment les jeux avec l’urine font partie d’un code du groupe. Il y a des concours de pisse dans les douches. Tu reçois un jet dans le dos et sur le côté. Des fois, ils faisaient des concours, celui qui pisse le plus haut. Il y avait un gars qui pliait juste le bout de son prépuce. Il pissait et son prépuce se remplissait. Il le lâchait quand c’était bien gonflé, et ça explosait. Un moment donné, ça commence, puis tout le monde le fait. Je ne peux pas dire pourquoi, c’est juste des moutons. – Bertrand, hockey L’eau chaude est à la même température que l’urine, des fois, on urine sur les gens. – Didier, rugby Je n’ai pas fait de concours de masturbation, mais ça existe. J’ai fait des concours de pisse dans les douches. Si tu ne pisses pas en gang, c’est toi qui n’es pas normal. Moi, je n’ai pas envie de pisser avec tout le monde, mais c’est juste pour une histoire d’image et de virilité. Je l’ai fait pour ne pas être exclu, ou passer pour un fif. Je voulais être considéré comme un vrai homme. Dans le genre, on est tous des hommes ensemble. On se prend pour des vrais hommes. Le trip de la virilité, c’est que tous les gars font la même affaire comme dans un troupeau. On ne réfléchit pas, on le fait. J’étais prêt à faire toutes leurs maudites niaiseries pour être considéré comme un vrai homme. Il n’y a personne qui peut nous arrêter parce que nous avons raison. – Manu, baseball, hockey 157 Comme on l’a déjà mentionné, certaines installations favoriseraient les rituels tribaux avec l’urine et les organes génitaux. Certains accessoires sont parfois délibérément installés pour ce faire. J’ai vu un cas cocasse dans un vestiaire. Dans les urinoirs, il y avait des cibles. Il y avait des chiffres avec des ronds. Il y avait un concours à savoir celui qui allait pogner le 500. Tu te reculais juste un petit peu et tu pouvais voir les gars pisser dans la cible, c’était drôle et innocent. On était en secondaire 5. Il y en a qui ont eu l’idée de faire un concours de pisse. – Éric, hockey Mais dans ce monde d’expression de la masculinité, il existe pourtant des pannes et des difficultés potentiellement invalidantes que des répondants veulent cacher même s’ils se doutent que d’autres vivent peut-être les mêmes problèmes. Ça m’est arrivé d’avoir une panne et de ne pas pouvoir pisser. J’ai développé des trucs pour ça, parce que j’ai peur que ça arrive. Les autres gars, même s’ils ont de la misère, ils ne le diront pas. Il y en a probablement d’autres qui parleraient. Les gars en profitent aux urinoirs pour se comparer et ils ne le diront pas. Ils veulent savoir s’ils en ont une plus grosse ou plus belle. Pisser en gang, ça sert à se comparer, mais pas toujours. – Manu, baseball, hockey Faute de pouvoir le faire directement, il arrive que les joueurs comparent de façon purement symbolique la grosseur de leur pénis. Des fois on niaise les plus jeunes pour faire une joke. On donne une capote à tout le monde pour que les gars la soufflent. C’est à qui aurait la plus grosse. – Antoine, football Et le rituel dont la plupart font mention avec gêne. Nous autres, on ne fait pas le rituel de la toast où il faut que les gars se masturbent et éjaculent sur la toast et le dernier qui vient doit manger la toast. Je l’ai fait souvent, mais pas cette année. – Antoine, football Rappelons que le « rituel de la toast », décrit dans le cadre théorique et dont plusieurs joueurs ont parlé, se pratiquerait surtout au hockey et s’apparente en quelque sorte aux rituels des Sambya et des Barouya de Papouasie-Nouvelle-Guinée (Godelier,1996; Herdt, 1982, 1984, 1994). Les grégaires ne savent cependant pas qu’ils reproduisent en cela les comportements de ces lointaines tribus. Comment expliquer que des groupes sociaux, à des milliers de kilomètres de distance les uns des autres, pratiquent sensiblement le même type de rituel ? S’agit-il d’un hasard ? Le sperme et la capacité d’éjaculer seraient-ils un marqueur universel de l’appartenance au genre masculin ? Le partage du sperme avec d’autres 158 hommes — peu importe le rite le permettant — constituerait-il le sceau d’appartenance au groupe des hommes ? Ces peuplades et les répondants de cette recherche auraient une chose en commun qui permettrait d’expliquer la similitude des rituels et de répondre à ces questions : ils baignent dans une culture empreinte de masculinité hégémonique. Selon le concept de la masculinité hégémonique, tel que présenté par Connell (2005), les hommes ont à faire et refaire la preuve de leur appartenance au genre masculin notamment par des rituels par lesquels ils mettent en valeur leurs performances génitales. Ces rituels, particulièrement ceux qualifiés de tribaux, se conjuguent en nuances diverses. Bien qu’ils exigent un effort extrême de la part des nouveaux, le plus souvent, ils sont exécutés dans une atmosphère ludique. C’est par l’analyse des entrevues, mais surtout par l’observation auprès d’une équipe de football et de hockey que le classement des variables suivantes a été possible. Variante en fonction du but visé par le rituel. Nous avons la variante de normalisation, la variante guerrière et celle de solidarité qui est sans nul doute la plus importante. Le rituel de la toast constitue un bel exemple de l’usage de la génitalité dans le cadre d’une variante, ici celle de la solidarité. La normalisation L’une des conditions sine qua non de la réussite dans tout sport d’équipe étant la parfaite coopération entre tous les joueurs, il est essentiel que le groupe soit cimenté très solidement. En effet, en tant que microsociété, le groupe ne peut se permettre de compter en son sein des individus qui, en raison de leurs particularités personnelles — valeurs, apparence ou attitude —, pourraient compromettre la cohésion interne entre les joueurs et, partant, saper les chances de victoire. Par conséquent, afin de faire disparaître toute dissemblance éventuelle entre les divers membres de l’équipe, des rituels de normalisation, s’ajoutent à ceux que nous avons déjà mentionnés. Ceux-ci consistent à aplanir les différences visibles ou non selon certains critères propres à chaque groupe. Ainsi, certaines équipes imposent-elles le rasage de la tête, du pubis ou des aisselles. Ailleurs, les joueurs portent un tatouage à l’effigie de leur groupe tactique. Toutes les transformations que subissent les joueurs sont notées et commentées au jour le jour si bien que la pression exercée sur chaque individu augmente constamment, jusqu’à ce que celui-ci se fonde complètement avec les autres. Certains changements sont toutefois plus ou moins indépendants de la volonté des sportifs — comme l’augmentation de la masse musculaire ou le port de la barbe —, tandis que d’autres doivent être différés, en raison par exemple d’impératifs comme une entrevue pour un emploi. Il arrive donc que les joueurs bénéficient d’un court sursis, mais tôt ou tard, tous finiront par se ressembler. 159 La variante guerrière La variante guerrière réunit les rituels qui font référence à la guerre, au combat et à tout ce qui touche l’agon. Rappelons que l’agon serait aussi souvent ce qui caractérise la masculinité (Connell, 2003, 2005). Ce n’est donc pas un hasard si nous retrouvons une variante comme celle-là parmi les rituels des sportifs. Elias et Dunning (1994) prétendent que le sport a remplacé totalement la guerre dans la civilisation occidentale. L’observation donne à penser que les sportifs rencontrés paraissent se référer souvent au monde de la guerre et semblent aussi s’identifier aux guerriers. Pour les grégaires, la guerre et la pratique de leur sport seraient fréquemment associées de façon symbolique. Cela illustre encore plus les propos de Connell (2003) à propos du lien entre militarisme et masculinité hégémonique. Saouter (2000) a aussi constaté que les répondants de son étude utilisent des termes se rapportant à la guerre pour parler du sport qu’ils pratiquent. Le sentiment d’être un guerrier, d’appartenir « au clan des combattants ou des guerriers » ferait partie des représentations sociales auxquelles s’identifieraient les jeunes hommes sportifs. Les sportifs utilisent les mots tels que combat, guerre, victoire, défaites, trêves… Autre exemple, lors des pratiques de football, il est possible de voir les joueurs s’adonner à des danses rituelles ponctuées de cris semblables à ceux rapportés par des anthropologues ayant étudié des tribus dites primitives quand ils exécutent des préparatifs de guerre. Un rapprochement semblable avait été fait par Gagnon (1995, 1996), qui reprenant Sabo et Panepinto (1990), comparait les rituels des sportifs d’équipe à ceux des tribus primitives. Imaginez 72 joueurs de football debout formant un immense cercle, le corps légèrement penché vers l’avant en direction du centre, les mains sur les genoux, se balançant et piaffant en toute synchronicité d’un pied à l’autre en scandant à l’unisson des sons gutturaux au rythme des pieds qui pilonnent le sol, puis faisant des tours sur euxmêmes en hurlant. L’effet de groupe ajouté à la masse musculaire de ces jeunes hommes provoque un résultat impressionnant. D’autres rituels imitent le comportement de certains animaux, par exemple les morses. « Le choc des morses », la plupart du temps réalisé par les plus costauds, s’accomplit de la manière suivante : deux footballeurs se mettent face à face, bombent le torse, sautent et se cognent l’un sur l’autre. La mise en scène de telles pratiques est souvent l’œuvre des plus vieux qui enseignent aux plus jeunes comment l’exécuter, cependant, les causes exactes du déclenchement de ces rituels restent absconses. Le déclenchement semble être spontané et contingent à des éléments qui nous échappent. Il ne nous a pas été possible de comprendre pourquoi ils avaient lieu à tel ou tel moment. La solidarité Comme le montrent les témoignages, les mots « moutons » et « troupeau » sont très présents dans le discours des joueurs. Or, ces mots ne seraient pas utilisés par hasard. Ils montreraient l’esprit collectif et la mise en valeur de la soumission à un ordre particulier au sein 160 des groupes de grégaires et seraient des indicateurs de la solidarité existant entre les joueurs. Les mots sont aussi utilisés en anglais comme si le français avait quelque chose de trivial. Nous pensons que l’usage d’une autre langue ajoute à la force des rituels. De la même manière que les langues anciennes — latin, grec, gaélique, etc. — ajoutent au mystère et, ce faisant, amplifient la puissance des formules dans les contes et légendes, l’usage de l’anglais fortifie la symbolique des rituels des joueurs. C’est pourquoi les cris, les slogans et les formules qu’ils utilisent seraient souvent exprimés dans une langue qui n’est pas la leur. Les entraînements sont aussi marqués par des cris lancés en commun que plusieurs nomment « cri de ralliement ». Le rituel du cri de ralliement s’exécute le plus souvent à la fin des pratiques. Il s’accomplit en formant un cercle. Notons que le cercle, symbole fréquent de solidarité dans les représentations sociales, l’est aussi dans celles des sportifs. Cette fois, les grégaires forment une sorte d’immense marguerite de mains jointes les unes aux autres au centre du cercle. Une fois la figure florale en place, ils crient, à l’unisson, un slogan constitué le plus souvent du nom (anglicisé) de leur université, de leur école ou de leur équipe. Notons que les groupes tactiques ont aussi leurs propres cris et comptines. Il faut que le cri soit senti et puissant. Il arrive que les joueurs reprennent le cri tous ensemble si, comme disent certains joueurs, le premier ressemblait à « un cri de moumoune ou de fif ». Lors d’un cri « raté » auquel nous avons assisté, l’un des joueurs a demandé la reprise de cette façon : Faites pas ça en fif, vous êtes plus forts que ça. Notons ici l’analogie faite par le répondant entre la faiblesse et l’homosexualité. Fierté, solidarité et affirmation de son appartenance à l’équipe constitueraient les motivations et finalités du cri commun. Le cri est aussi une source de bonheur et de satisfaction. Plusieurs répondants ont affirmé que sans le cri, il leur manquerait quelque chose et que le cycle du sport serait incomplet. C’est comme si le cri final appliquait un sceau sur leur vécu ou leur pratique, un sceau constituant une sorte d’estampille de solidarité et de puissance à l’équipe. L’observation montre que la solidarité s’exprimerait aussi par des jeux de mains qui permettraient aux grégaires de se soutenir et de garder un contact quasi permanent avec les autres. Le rituel que nous avons nommé « la danse des mains » (claquage de mains, de fesses, poignées de mains sensuelles à la chorégraphie complexe, doigts qui se glissent entre les fesses, mains dans les cheveux…) serait si naturelle pour nombre de joueurs, qu’il deviendrait inconscient. Plusieurs joueurs ont affirmé, en entrevue, ne pas avoir de contact physique avec les membres de leur équipe pour ensuite se raviser. Pourtant, toute personne qui assiste à une pratique sportive, notamment de football, constate à quel point la fréquence de contacts physiques entre les joueurs est élevée. 161 Comme le rapportent les répondants, les organes génitaux sont souvent utilisés pour les rituels. Selon plusieurs, leur inclusion dans les rituels renforcerait le lien entre les joueurs en intensifiant l’intimité. Le fait de renifler les aisselles d’un autre joueur et d’en reconnaître l’odeur ferait aussi partie du partage de l’intimité entre joueurs. La miction en groupe, avant ou après un match, ferait aussi partie des rituels de solidarité. Elle contribuerait à créer une forme de transmission de la masculinité par contagion, comme dans le cas du rituel de la toast. Voir le pénis des autres serait aussi réconfortant (ou rassurant) parce que cela permettrait aux uns de se positionner face aux autres, considérés comme représentants de la norme, en vertu de la taille, de la couleur et de la performance de leurs attributs sexuels. Les jeunes hommes que nous avons rencontrés nous ont dit que comparer leur sexe, uriner en groupe ou voir les autres éjaculer les confortaient quant à la taille de leur pénis et de ses performances, mais aussi que cela les aidait à maintenir l’esprit de groupe. Il est permis de croire que l’usage de la génitalité dans ces rituels aide les jeunes hommes sportifs à confirmer leur identité. Le cadre du rituel de groupe leur donnerait une couverture, sorte d’alibi, pour se préserver de l’homosexualité. De même, des simulacres de sodomie ont aussi été observés, chez les joueurs de football ou de hockey entre autres, mais surtout au baseball. Les joueurs sont vêtus de l’uniforme de leur équipe et font semblant de se sodomiser tout en poussant des cris de jouissance. Aux dires des joueurs, ces rituels ne se déroulent pas dans les vestiaires lorsque les joueurs sont nus sauf lors de certaines initiations peu banales où des sodomies réelles auraient parfois lieu comme l’a raconté Paul joueur de football . L'intégrité physique et psychologique des nouveaux joueurs lors des initiations ne serait pas plus respectée au hockey qu’au football ou au baseball. Cependant, au hockey, les initiations exposeraient davantage les joueurs à des humiliations publiques. Les nouveaux seraient souvent humiliés devant des filles, ou singulièrement devant d’autres joueurs. Des joueurs ayant participé à des équipes de hockey et de football ont témoigné dans ce sens. Les jeux avec les organes génitaux ne plaisent pas à tous comme on a pu le constater, mais aucun joueur ne semble vouloir prendre le risque de se dissocier des rituels. Ils risqueraient alors de briser la solidarité et d’être exclus du groupe. Notons que la solidarité est l’un des éléments essentiels de la masculinité hégémonique rapportée par Connell (2005). La dissidence dans ce contexte n’est guère bienvenue. Si les joueurs n’ont pas tous pratiqué directement des rituels avec les organes génitaux, tous en ont été des témoins directs. Soulignons l’importance que les grégaires accordent à la confirmation de leur appartenance au groupe des hommes et à la nécessité de faire comme les autres en se soumettant aux règles du groupe. Les grégaires seraient conscients de cet effet de groupe, mais ne peuvent pourtant 162 l’expliquer. Les jeunes hommes sportifs n’auraient qu’une alternative : être membres du groupe des sportifs, perçus comme les « vrais », ou en être exclus. 10.3.2.3 Rituels apotropaïques des grégaires Enfin dernier groupe de rituels, les rituels apotropaïques se regroupent en ensembles distincts; ceux faisant usage des talismans et de la pilosité et enfin ceux de la prière. Les talismans seraient dotés du pouvoir de conjurer le sort et de favoriser le destin. Pour un match, je prenais une saveur de gomme et si ça allait bien, je reprenais la même au prochain. Au cégep, c’était surtout les bas. Je prenais toujours mes bas préférés. – Paul, football Il y a une petite chose que je fais. J’ai arraché du gazon sur le terrain où on a gagné déjà et je l’ai collé dans mon casque. – Marc, football On va frotter la table des séries. Quand tu frottes la table, tu gagnes. – Bertrand, hockey La plupart du temps, les objets fétiches ne sont utilisés que par une seule personne, mais il arrive que certains objets deviennent un fétiche collectif que les joueurs se partagent. Sur la route, on achetait tout le temps un Photo police18. On se le passait tous dans l’autobus. – Paul, football D’autres enfin nient toute forme de fétichisme avec les objets. Il n’y a pas de rituels comme on voit dans les films comme les Boys19 avec des gars qui donnent des becs à un casque de hockey. – Bertrand, hockey Autre objet important liés aux rituels apotropaïques : la pilosité. Les poils sont importants. Ils marquent l’entrée dans l’âge adulte. Ils sont le signe d’une virilité véritable surtout pour les plus visibles comme la barbe. Cela est également vrai pour les poils que souvent seuls les autres joueurs peuvent voir dans les vestiaires comme les poils pubiens. La barbe longue, c’est une superstition. Depuis le temps que je connais le hockey, aux séries éliminatoires, ils ont les barbes longues. – Marc, football Quand il y a une partie importante, tu ne te rases pas. Ça a tout le temps été comme ça. Dans la ligue nationale, les joueurs font ça. Dans les Séries élimina- 18 19 Journal rapportant les crimes, meurtres et autres délits criminels au Québec. Film québécois en plusieurs épisodes, relatant l’histoire d'une ligue de hockey dite de garage. 163 toires, les gars ne se rasent pas. La barbe, c’est le rituel le plus important. – Bertrand, hockey Enfin, dernier groupe de rituels : la prière. Genoux au sol, la prière individuelle ou collective est un instant de recueillement qui permet à l’esprit de la Victoire de descendre en chacun, comme on laisse entrer le Saint-Esprit dans son être. Elle serait, pour ceux qui la pratiquent, la minute la plus importante avant un match. Elle serait le rituel qui dépasse tous les autres par la communion et la complicité. Elle donnerait la force et la synergie nécessaires pour atteindre la Victoire. Au cégep, on avait un moment de silence. On était en groupe, on se tenait tous par la main. On mettait un genou par terre, on méditait, puis on allait chercher notre casque ensemble. On attachait notre casque ensemble, puis le coatch disait : « lets go les boys !». Puis on criait. – Paul, football Avant le match, on fait tout le temps une petite prière toute l’équipe ensemble. On se tient tous par la main. Un genou à terre; puis l’entraîneur-chef va parler ; et puis il va donner une minute de silence. Pour moi, c’est le 30 secondes le plus important. C’est plus important que le rituel qu’il y a dans un match. – Laurent, football Des fois, avant d’embarquer sur la patinoire, il y a deux minutes de silence, pour te concentrer sur ta partie. – Bertrand, hockey De la magie des objets à l’appel d’une forme de spiritualité par la prière, les joueurs ont un sens du mystique qui les aide dans leur pratique sportive qu’il s’agisse d’objet fétiche qu’il faut avoir ou manipuler d’une façon entendue ou de prière. Les joueurs appellent la destinée à les soutenir durant le combat qu’ils s’apprêtent à livrer. Saouter (2000) décrit dans les avants-matchs des rituels liés à l’urine qui n’ont pas été relatés par les répondants. On peut constater en effet, qu’un même objet ou une même action peut servir à divers rituels, et ce, dans une même équipe. Ainsi, les jeux de miction pourraient servir à évaluer la recrue lors des initiations, ils pourraient servir de rituel tribal dans les douches comme façon usuelle de se comporter entre hommes et aussi de rituel apotropaïque à unir des joueurs dans une intimité sacrée ou les mélanges des urines de chacun à l’ensemble du groupe finirait d'unir l’équipe tel un sceau d’unité inviolable. Il en va de même des jeux avec la pilosité que l’on retrouve dans les rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques. Le port de la barbe durant les séries ou avant un match permettrait un contact mystique avec une sorte d’esprit du guerrier ou, à tout le moins, il permettrait une ressemblance avec les joueurs des ligues majeures que les jeunes sportifs veulent imiter comme l’a décrit Smith (1974). 10.3.3 Les rituels des solitaires Ne faisant pas partie d’une équipe ou d’un groupe dont ils devraient suivre les règles pour s’intégrer, les solitaires, à la différence des grégaires, n’ont pas de rituels d’initiation ou de 164 rituels tribaux. Tout au plus quelques-uns s’adonnent-ils à une forme de rituels apotropaïques. Cela explique la brièveté de cette section. Les rituels initiatiques et tribaux sont d’ailleurs assez mal vus par les solitaires. Ceux qui, peu nombreux, ont expérimenté un sport d’équipe abandonnent souvent justement parce que ces rituels d’appartenance leur déplaisent. Je n’ai jamais eu d’initiation. On en entend souvent parler. Pour le peu de fois où j’ai joué dans une équipe, j’ai eu des coachs qui ne toléraient pas de « niaisage ». Les anciens, les nouveaux, on est une équipe, c’est tout. J’ai déjà initié du monde à l’université et ça a toujours été dans le but de faire connaître les gens. Quand c’était pour faire chier, je partais. – Hervé, aviron Je n’ai jamais participé à des affaires comme raser le poil de poche ou les initiations dans des équipes. Il y en a des vertes et des pas mûres là-dedans. J’étais en athlétisme. C’est moins macho. Je me suis toujours tenu à l’écart de ça. Ce qui compte, c’est les performances sportives que l’on peut faire individuellement. Pas les trips de gang. – Hervé, aviron Il en va de même dans le patinage artistique, où la compétition et l’esprit de compétition l’emporteraient sur toute forme d’intégration. Nous autres, on n’a pas d’initiation. Je n’en ai pas vraiment vue. Les gars les plus durs envers le patinage, c’est les patineurs. On est très durs entre nous. C’est vraiment une clique fermée. – Thomas, patin artistique Restent enfin les rituels apotropaïques. Comme la plupart des sportifs rencontrés, les solitaires voudraient conjurer le sort. En aviron, je mettais toujours le même maillot quand je faisais une compétition. – Hervé, aviron J’avais collé des brins de gazon d’un parcours où j’avais gagné la compétition. C’est niaiseux, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. – Richard, natation Il fallait, avant une compétition, que je me fasse couper les cheveux par le même coiffeur, et toujours la veille. – Thomas, patin artistique Quand mes gants ont été usés, j’ai eu bien du mal à changer. Je gardais mes vieux gants dans ma case. – Victor, tennis J’ai porté longtemps le même cuissard que je gardais juste pour les compétitions. – Simon, cycliste Les solitaires, à la différence des grégaires, auraient une plus grande impression de liberté de choix. Cette différence se voit dans les rituels. Les solitaires ont toujours la liberté de partir, de faire autre chose; les grégaires, même si la situation « de niaisage » leur déplaît, ne quitteront probablement jamais un sport ou une équipe, pour la simple raison que leur esprit altruiste (au sens durkheimien du terme) et leur besoin d’appartenance au groupe priment sur leurs aspirations personnelles. Il est permis de penser que s’ils en avaient 165 l’occasion, les solitaires refuseraient de participer aux rites tribaux et initiatiques. Le fait de choisir un sport solitaire ne constitue-t-il pas un refus de ces rituels ? Il semble qu’il existe certaines croyances ésotériques dans toute pratique sportive, lesquelles ajouteraient aux capacités de réussir. Sans leurs objets fétiches ou apotropaïques, la confiance des solitaires dans la victoire serait ébranlée. Les solitaires ont souvent parlé de leurs rituels apotropaïques sur le ton de la confidence. Ce ton de « secret » s’expliquerait soit parce qu’il y aurait, pour eux, quelque chose de honteux dans ces pratiques soit parce que le fait de révéler leurs pratiques risquerait de les annuler ou pire encore de les inverser. La raison leur dicte pourtant que cela n’est pas très « rationnel ». Tableau 7. Types de rituels chez les sportifs. Grégaires Solitaires Rituels initiatiques Rituels tribaux Aucun Aucun Rituels apotropaïques, objets fétiches, pilosité, prière Les rituels se pratiquent autant chez les grégaires que chez les solitaires. Cependant, les solitaires n’ayant aucun groupe dans lequel entrer, les rituels initiatiques n’ont aucun sens pour eux. Il en va de même avec les rituels tribaux qui ne peuvent exister qu’à l’intérieur d’un groupe. Pour les grégaires, les rites d'initiation assureraient l’entrée dans le groupe sportif par la « grande porte ». Ils seraient essentiels à l’acceptation des nouveaux par les anciens et les défections lors de l’initiation ne seraient pas tolérées. Le fait que les grégaires vivent de nombreux contacts sexués entre eux n’ébranlerait nullement la solidité de leur identité de genre et leur orientation hétérosexuelle, bien au contraire. Les rituels dans lesquels la génitalité est utilisée (échange de sperme par exemple) permettent de renforcer l’identité d’homme hétérosexuel des grégaires, à condition bien entendu, qu’aucun homosexuel ne soit dans leur groupe. En fait, les rituels dans lesquels la génitalité est utilisée, permettraient d’empêcher toute équivoque, entre les désirs pour un homme et les désirs d’être un homme. Ces rituels transformeraient les activités homosexuées en rituels tribaux ou initiatiques. Ils seraient exécutés pour le bien de l’équipe en favorisant la fusion de ses membres dans une confrérie parfaite. Cela ne veut pas dire pour autant que les jeunes hommes sportifs qui s’identifient comme hétérosexuels ne vivraient jamais de désirs homosexuels, toutefois, le cas échéant, ces rituels constitueraient une structure sociale leur permettant de vivre ces désirs sans ébranler leur identité masculine. Ils assureraient ainsi le fondement du lien social chez les grégaires. Les rituels tribaux seraient constitués 166 d’éléments incluant le langage, le marquage du corps, les danses, les cris et les contacts physiques avec les mains et les organes génitaux. Enfin, les rituels apotropaïques, exécutés tant par les grégaires que les solitaires, pourraient, espère-t-on, faire pencher la victoire en faveur des sportifs . 10.4 L’homophobie 10.4.1 Chez les grégaires 10.4.1.1 Le permis et l’interdit Quels sont les gestes et contacts permis ou interdits avec les autres joueurs, les hommes en général, les femmes et les membres de la famille ? Les grégaires distingueraient ce qui est possible de ce qui ne l’est pas, même si les règles qui régissent le toucher permis et interdit semblent invisibles. Avant l’entrevue, certains répondants n’avaient jamais réfléchi au type de contacts qui sont permis ou interdits socialement avec les autres hommes. Entre gars, on peut se serrer la main, se donner l’accolade, se donner des tapes dans le dos. Au hockey, on se donne une tape sur les fesses si tu as un beau but. Pas de contact avec la bouche ou des becs sur la joue comme une fille. La bouche, c’est une partie plus de sexualité, de sensualité. Ça se rapprocherait plus de l’homosexualité. – Bertrand, hockey Embrasser un gars, c’est une affaire de fif. Ce n’est pas dit comme ça, mais si tu pousses un peu le raisonnement, tu te rends compte que c’est bien là que les gars ont peur d’aller. – André, soccer Je ne m’étais jamais posé la question à savoir ce qui était acceptable entre gars. Entre amis, on se tape dans la main, puis c’est tout. Benoît, frisbee extrême Si on les sépare en deux groupes, il y a ce que l’on peut faire entre gars, et ce que l’on peut faire avec une copine. – Didier, rugby Le tabou de l’homosexualité ressort très vite quand il est question de contacts et de toucher entre hommes et presque tous témoignent en ce sens. Les normes semblent strictement tracées. Certains répondants notent des disparités régionales et culturelles entre les façons de faire et comprennent le sens que prend un geste, notamment selon les cultures. Au Québec, faire la bise avec des gars, c’est interdit. Je le fais avec mes amis européens, c’est comme une poignée de main. À 14 ans, c’est une autre histoire. Tu peux embrasser une fille, mais pas un gars. – André, soccer Si deux gars se donnent un bec, ça veut dire qu’ils sont homosexuels. Je n’aime pas voir deux gars qui s’embrassent. Ça ne m’est pas arrivé, mais je me retournerais pour ne pas regarder. C’est dégoûtant. – Bertrand, hockey 167 Dans la citation précédente notons une contraction de taille : Comment le répondant peut-il affirmer qu’il n’aime pas voir deux garçons s’embrasser alors qu’il n’en a jamais vu ? S’agit-il d’une aversion appréhendée ? Le répondant suivant précise enfin que toute l’affection que les hommes extériorisent ou répriment dans certaines circonstances ou avec certaines personnes s’exprimerait davantage si ce n’était des tabous et des interdits sociaux, car le désir et le besoin seraient présents chez les répondants. On voit des filles se donner des becs et se coller. Les gars, on ne fait pas ça, mais ce n’est pas parce que l’on n’en a pas envie, c’est parce qu’on sent que c’est défendu de le faire. – Benoît, frisbee extrême Les contacts physiques, même intimes, sont perçus comme une forme de communication irrépressible dans certains sports, en particulier, dans le football. Ainsi, le geste remplacerait souvent la parole. Mes chums me pognent les fesses au foot et je suis bien à l’aise avec ça. Je ne sens pas une menace. Les gars vont faire des blagues aussi en se poignant le cul. Comme quand l’autre jour un joueur a mis son doigt dans le cul à Félix, c’était drôle. Ça dépend des contextes. Dans le football, ça passe plus qu’ailleurs. – Marc, football Honnêtement, je ne sais pas quels gestes seraient permis ou non entre gars. On peut se donner une tape sur les fesses ou se les pogner [les testicules]. Quand on s’est fait une passe au hockey, ça arrive que l’on voie des gars s’embrasser sur la bouche. – Manu, baseball, hockey Se donner des claques sur les fesses, c’est partout, c’est pour dire « bien joué ». Il n’y a aucune pudeur; on donne une claque sur le pénis de l’autre, pour rigoler un peu. À aucun moment je n’ai pensé que ça pouvait être malsain aucunement. – Didier, rugby Quand tu arrives dans la douche, tu te fais taper les fesses, des trucs comme ça. Curieusement, c’est souvent les plus machos qui le font. C’est ceux qui ont une opinion des femmes, qui est plus traditionnelle.... Tu sais, des gars qui se montrent hommes. Les durs du groupe. – André, soccer Le cadre familial permettrait des gestes entre hommes qui, dans un autre milieu, seraient perçus comme des actes homosexuels. Mon frère, je le prends souvent, je le colle, je le caresse. Je suis bien à l’aise avec ça. C’est un geste d’affection. Si ce n’était pas mon frère, on aurait l’air de deux fifs. On voit des filles qui se donnent des becs sur la joue, puis ce n’est pas sexuel. Deux filles, c’est le fun de voir ça. Deux gars, ça me dérange. C’est une tradition. Déroger à ça, tu sortirais du cercle. C’est un geste qui ne passerait pas inaperçu. – Bertrand, hockey Tenir l’avant-bras, passer la main dans les cheveux, mais évidemment pas tenir la main. À part avec un petit frère ou des petits cousins… Mais entre adultes, non. – Didier, rugby Donner une caresse à mon père, il n’y a rien là. – Marc, football 168 Entre amis, on se tape dans la main, puis c’est tout. On voit des filles se donner des becs et se coller. – Benoît, frisbee extrême L’ensemble des gestes et contacts ayant lieu entre les joueurs a été regroupé dans trois grands types de rituels : initiatiques, tribaux et apotropaïques. Les jeunes hommes sportifs précisent ce qui serait interdit et ce qui serait permis entre hommes. Les gestes permis et interdits semblent varier selon le contexte tel que celui de la famille ou des rituels sportifs. Les actes permis et les actes interdits peuvent permuter selon le contexte et la personne intéressée. Les gestes d’affection et les contacts physiques sont possibles dans un cadre sportif et familial, mais pour maintenir un statut hétérosexuel, certains gestes, tels que les baisers ou les touchers sensuels, à l’extérieur de ces milieux, ne seraient possibles qu’avec les femmes. Oser exprimer son affection auprès des hommes dans d’autres circonstances que le sport ou la famille (par exemple avec les amis) exposerait au risque de marginalisation, notamment par association avec l’homosexualité. Le contexte familial permettrait un certain nombre de gestes qui ne seraient pas ceux s’inscrivant dans la pratique sportive. En effet, les sportifs ne rapportent pas « donner des tapes sur les fesses » à leur père ou leurs cousins. Les répondants ressentent majoritairement la peur d’être identifiés comme homosexuels et font allusion à l’apparence d’homosexualité dans les gestes qu’ils font. Tous les sportifs n’agissent pas de la même façon dans les vestiaires ou sur le terrain. Certains joueurs sont plus démonstratifs que d’autres. Il semble que plus les sportifs sont en conformité de genre, plus ils s’adonneraient à des contacts intimes et équivoques. Autrement dit, plus un jeune homme serait en conformité de genre, plus il pourrait s’en permettre, sans pour autant susciter d’ambiguïté quant à son orientation sexuelle comme l’a mentionné le répondant Paul. Intuitivement, les sportifs savent rester dans la limite de ce qui est « convenable » pour ne pas « sortir du cercle » ou s’engager dans des gestes « malsains ». Entre sportifs, certaines parties habituellement plus intimes du corps ne sont pas interdites au toucher entre hommes. Bien au contraire, on retrouve chez presque tous les joueurs la possibilité de toucher les fesses, les testicules ou le pénis des autres joueurs sans que cela ne soit associé à l’homosexualité. Grâce à ses rituels, la pratique d’un sport rendrait possibles des contacts physiques qui, interdits par la culture et les normes sociales tacites ou explicites dans d’autres milieux, vaudraient à quiconque en userait d’être taxé d’homosexuel. La masturbation et les fellations en groupe, les concours de jets d’urine le plus puissant ou du prépuce le plus odorant — et tous les autres contacts tels que les claques dans les mains ou sur les fesses, les caresses dans les cheveux, les doigts que l’on glisse entre les fesses, les aisselles 169 que l’on renifle avec plaisir, les coups de torses comme le font des morses—, sont des gestes qui tombent sous le couvert des rituels et qui ne sont pas perçus comme étant des gestes homosexuels ou homosexualisants. 10.4.1.2 Le sport, l’alibi par excellence Durant l’observation effectuée lors des entraînements de groupe des équipes de hockey et de football, nous avons vu certains répondants se livrer à des contacts à classer parmi les rituels tribaux, contacts que nous avons qualifiés d’homosexués. Nous avons alors demandé aux joueurs quels sont les liens qu’ils voient entre la pratique sportive et ces contacts. Des fois, il y en a qui trouvaient ça un peu homosexuel, parmi les nouveaux, de pogner la graine des autres. Les parties génitales, c’est ton intimité. C’est la partie du corps que tu montres le moins. Mais il n’y a personne qui va dire un mot ou qui va dire d’arrêter, que c’est des affaires de tapettes. Dans le contexte, le monde ne pensait pas que c’étaient des jeux homosexuels. Sauf que si ce n’était pas l’initiation, ils n’auraient pas pu faire ça. Avec l’initiation, ce n’est pas un jeu d’homosexuels. – Bertrand, hockey C’est dans un contexte sportif, ce n’est pas dans un contexte où après je te demande si on va chez moi. – Didier, rugby Les joueurs donnent une tout autre signification que celle du désir homosexuel pour expliquer ou comprendre ce qui pourrait être vu comme des gestes homosexuels. Dans l’équipe, ce sont des valeurs familiales. Les gestes vont dans ce sens-là. C’est de l’encouragement. C’est des gestes pour dire que l’on s’aime. On est plus proche que le monde en général dans la société. C’est comme entre frères. S’il y en a un que ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vu, on va le serrer. - Jean, football Des fois, j’ai eu peur de passer pour fif. Mais quand tu joues au football, avec l’effet de groupe de gars assez imposants, le monde n’ose pas t’écœurer. Ça donne l’image qu’il faut. – Paul, football Un autre répondant raconte que même s’il n’apprécie pas toujours les gestes trop intimes que les autres joueurs ont à son endroit, il préfère ne pas réagir et « laisse faire », d’une part, à cause du contexte sportif et amical précise-t-il, mais surtout parce que ce sont des joueurs comme lui qui font ces gestes. C’est sûr que je laisse des gars me toucher comme je ne le permettrais pas à d’autres gars. Il y a des amitiés assez profondes pour permettre des affaires comme ça [des touchers très intimes des parties génitales]. Je ne peux pas t’expliquer pourquoi on fait des gestes de même. Je n’aime pas ça quand les gars m’en font, sauf que je ne suis pas pour leur sacrer une volée quand ils m’en font. C’est le fait que ce soit juste des gars qui pousse à ça. C’est dans tous les sports. Mais c’est sûr que si c’était un joueur gai qui faisait ça, je deviendrais violent. – Paul, football 170 Un autre répondant raconte. Richard aime raconter ses histoires de cul. Il est vraiment centré sur son engin. Il en parle, il le montre, il regarde les autres. Ce n’est pas lui qui a la plus grosse dans le club. Mais lui, il aimerait avoir la plus grosse, la plus belle. Des fois, il dit « Marc j’aimerais l’embrasser ». Richard nous embrasse tout le temps le pénis. Si Richard n’était pas là, ce ne serait pas la même chose. Il ne passe pas pour homosexuel. Je ne sais pas comment ça a commencé. Je ne pense pas qu’il puisse être homosexuel, ou qu’il y ait quelque chose d’homosexuel là-dedans. Il est tellement aux filles. C’est tellement clair que Richard est aux filles. Ça ne m’est jamais passé par la tête qu’il puisse être gai. Si quelqu’un d’autre arrivait et me demandait de m’embrasser la queue, je me poserais sûrement des questions. – Félix, hockey Ce n’est donc pas les gestes comme tels qui importent, mais la personne qui les fait. Pour les joueurs, les gars de l’équipe sont tous hétéros (Félix, hockey). Non seulement certains de ces gestes homosexués — comme ce qui se passe dans les vestiaires ou les initiations —, mais le sport tout entier pourrait servir d’alibi à ce qui serait vu ou senti par ceux qui ne sont pas du milieu sportif comme des expressions d’homosexualité. On peut comprendre dans leurs réponses que, pour les grégaires, le sport servirait d’alibi « déshomosexualisant ». Enfin, le fait de pratiquer un sport particulier — tel que le football ou le hockey — permettrait de tenir à distance le stigmate de l’homosexualité en assurant une forme de halo protecteur en société parce que la pratique de ces sports permettrait de projeter l’image de l’homme qu’il faut être. La pratique d’un sport devient une sorte de rempart contre l’homosexualité réelle ou soupçonnée. Pour certains, les contacts intimes deviendraient une espèce de fatalité qui fait partie du sport et qu’il faut accepter comme telle. Mais comment les joueurs réagiraient-ils à la présence d’un joueur homosexuel déclaré au sein de leur équipe ? Comment les grégaires, en particulier, sentent-il et perçoivent-ils l’homosexualité et la non-conformité de genre. 10.4.1.3 Un gai dans l’équipe ? Malgré que les gestes homosexués entre joueurs soient nombreux, il ne semble pas y avoir de joueurs ouvertement gais dans les équipes. Poser la question « Y a-t-il des gais dans l’équipe ? » provoque souvent rire et malaise chez les sportifs. S’ils font fi de leurs comportements à caractère sexuel, les grégaires cependant révèlent qu’ils sont préoccupés par l’éventuelle homosexualité d’un des leurs. Ils cherchent à savoir qui est gai et qui ne l’est pas. 171 C’est une préoccupation. Tu veux savoir. Comme il n’y en a jamais qui le disent, on se pose des questions. On se dit qu’il doit bien y en avoir. Il y en a que l’on soupçonne. – Jean, football On en a déjà parlé la gang ensemble. C’est un sujet qui revient souvent. On essaie de savoir qui pourrait l’être et on donne des noms de suspects. Évidemment, on regarde ceux qui n’ont pas de blonde depuis qu’on les connaît. Dans le football, il y en aurait pas mal. Il y a des statistiques, je ne sais plus où. Je pense que c’est sur Internet. J’ai des amis dans le football et dans d’autres sports, et tout le monde dit ça. – Daniel, football Il y a une légende urbaine qui dit qu’un seizième des joueurs de football est gai. – Marc, football Dans mes amis, il n’y en pas, parce que la plupart ont tous des blondes. – Paul, football Il y en a qui peuvent correspondre à un stéréotype plus gai, mais on ne le sait pas, n’importe qui peut être gai. – Éric, hockey J’avais lu dans un magazine que plus de la moitié des joueurs de la NFL [National Football Ligue] sont homosexuels. Chez nous, il doit y en avoir, mais qui ? J’ai entendu des statistiques qui sont des légendes urbaines, mais… dans l’équipe, j’ai vu des choses flagrantes dont je ne veux pas parler, mais… – Sylvain, football Les joueurs auraient une vision précise de ce à quoi ressemble un homme : c’est le contraire d’un homosexuel. Ce serait quelque chose de surprenant, parce que personne ne s’attend qu’un joueur de foot soit gai. Quand on pense au football, on pense à un tas de gros bras. – Laurent, football Mais le football, ça a toujours été considéré comme un sport d’hommes; les homosexuels ne peuvent pas avoir de place là-dedans. – Sylvain, football Le foot, ce n’est pas un sport de fifs, malgré qu’il n’y a pas de sport de fifs, mais c’est… Ça frappe dur, c’est fait pour les hommes, sauf que c’est pour les athlètes. Un athlète ne peut pas être gai. La mentalité fait qu’ils ne le montrent pas, parce que ça donne l’impression que tu n’as pas ta place. C’est un peu comme dans le reste de la population, il y en a beaucoup qui hésitent à le dire. – Paul, football Une absence d’homosexuels qui laisse plusieurs joueurs songeurs. Depuis l’âge de 5 ans que je suis dans les sports d’équipe… Je n’ai jamais joué avec quelqu’un qui l’était [gai]. Je ne suis pas au courant s’il y a des joueurs qui sont gais. Il n’y en a pas à ma connaissance. Ce serait possible qu’il y en ait. Je ne pense pas qu’ils se cachent. Je pense qu’il n’y en a pas. – Laurent, football On dit qu’il y a des gais dans la société, mais dans l’équipe de football, on ne les voit jamais. Depuis que je joue (et tous les autres on pense) qu’il n’y en a pas. – Bertrand, hockey Il y a sûrement des gais dans l’équipe, mais moi je n’en connais pas. S’il y a des gais, ils ne le montrent pas. – Paul, football 172 Il n’y a personne qui a déjà dit « moi, je suis gai ». – Sylvain, football Ce n’est pas arrivé, ou il y en a eu sans qu’on le sache... – Éric, hockey Qu’arrive-t-il quand un jeune homme est identifié comme homosexuel ? J’ai été témoin de gestes de violence envers des mecs efféminés et il m’est arrivé de rire d’un mec efféminé. – Didier, rugby Au secondaire, il y en avait un qui était efféminé un peu. Il se faisait niaiser. Le monde disait qu’il était gai et dans la douche, le monde disait « il est bandé. » S’il y en avait [un] qui le disait au niveau où on est là, il n’en ferait pas un cas. Mais plus tu descends, moins c’est accepté. Faut dire qu’à l’université, les épais sont partis. – Jean, football Les « épais » sont peut-être partis, mais les homophobes semblent bien présents, même si un certain nombre de répondants disent qu’ils accepteraient personnellement l’homosexualité de l’un des leurs tout en affirmant que l’équipe n’accepterait pas cet état de fait. Parmi ceux qui acceptent le mieux l’homosexualité se trouvent les sportifs qui connaissent dans leur entourage direct un homme homosexuel, comme un frère, un beau-père ou un oncle. Les témoignages suggèrent que la connaissance d’hommes homosexuels contribuerait à démystifier l’homosexualité et qu’elle désamorcerait l’hostilité. L’ouverture d’esprit envers l’homosexualité reste cependant un élément que les grégaires cachent au groupe. Moi je ne prendrais pas ça mal. J’ai un oncle qui est gai. Je continuerais à me promener tout nu dans la chambre. Mais si un gars le disait, l’équipe le prendrait mal. Quand quelqu’un te dit qu’il est homosexuel, habituellement le monde est mal à l’aise. – Sylvain, football Moi, ça ne me dérangerait pas parce que mon frère est homosexuel. Je l’accepte comme il est. Mais ce n’est pas tout le monde qui va être large d’esprit. – Manu, baseball, hockey Je n’ai jamais eu de problèmes avec ça. Je pense que certaines personnes dans le groupe n’auraient pas accepté qu’il y ait des gars ouvertement gais. – Éric, hockey D’autres semblent un peu moins ouverts que les précédents et supporteraient mal la présence d’un joueur homosexuel dans leur équipe, et donc dans le vestiaire. Ils craindraient particulièrement les tentatives de séduction, possibilité qui n’est curieusement jamais évoquée, à supposer que des filles fissent partie de l’équipe. C’est plutôt la fragilité des femmes qui soulève l’inquiétude. En effet, à propos de la présence de femmes dans l’équipe, certains prétendent qu’elles pourraient difficilement se fondre dans le groupe, en raison de leur fragilité perçue. Il serait difficile d’intégrer les filles. Il y a un développement physique… Si tu joues pour le plaisir, oui, mais elles n’ont pas les capacités athlétiques que les hommes ont. – André, soccer 173 Il y a une grosse gang de gars ensemble, ce n’est pas pour les jeunes filles. Pendant les pratiques c’est une chose, pendant les matchs, c’est autre chose. Durant les matchs, c’est sérieux. – Marc, football Quant à la présence de joueurs homosexuels, certains prétendent … Je n’aurais rien contre lui tant qu’il ne me tournerait pas autour et qu’il ne me demande rien. – Manu, baseball, hockey Si un gars de l’équipe était ouvertement homosexuel, je mettrais les choses au clair s’il m’invitait à dîner. Sur le moment, il y aurait un froid. – Didier, rugby Alors que d’autres préfèreraient le silence et l’ignorance, car la présence homosexuelle provoque chez eux peur et anxiété. Personnellement, ça ne me dérangerait pas, mais il ne faudrait pas qu’il le démontre en public sinon l’équipe ne l’accepterait pas et n’aimerait pas ça. – Paul, football Si je ne le sais pas qu’ils sont homosexuels, ça ne me dérange pas. – Bertrand, hockey Mais un gai qui se comporte comme tout le monde, le monde ne le saura pas. Ça passerait, mais il ne faut pas qu’il le dise. – Jean, football Il faudrait qu’il se comporte comme nous autres et qu’il parle de femmes. – Sylvain, football Les douches collectives sont une préoccupation. Dans le vestiaire, on prend une douche tout le monde... Je ne sais pas comment je me sentirais, si je savais qu’il y en a qui était gai là-dedans. J’aurais besoin d’une période d’adaptation. Ce serait bizarre. Si un de mes amis devenait gai, sur le coup, je ferais ouache, il est gai. – Benoît, frisbee extrême Mais enfin, les attitudes qui dominent dans les témoignages laissent entrevoir peu d’ouverture à la présence de joueurs ouvertement homosexuels au sein de l’équipe. Le témoignage suivant ne fait pas exception et est à l’image de la majorité des commentaires entendus. Si un gars disait à l’équipe qu’il est gai, il aurait de la misère. En plus, il se ferait niaiser en masse. Je m’arrangerais pour ne pas être dans la douche en même temps que lui. Il ne prendrait plus sa douche avec nous. L’équipe ne lui dirait pas de ne plus prendre sa douche avec nous, mais il ne le ferait pas par respect pour nous. Ça ne me dérange pas qu’un gars me voit, nu sauf s’il est homosexuel. C’est différent parce que ce n’est plus le même contact. Je ne le verrais plus de la même façon. Ce n’est pas nécessairement qu’il me désirerait, mais il pourrait le faire... C’est le fait qu’il soit nu. C’est le fait qu’il est homosexuel... Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est comme s’il y avait une fille dans les douches. 174 Mais ce serait un gars me regardant comme une fille peut me regarder. Ça me dérange dans mon intimité. Un gars qui regarde un autre gars tout nu, deux hétérosexuels, tu t’en fous, mais un fif ! Il y a du monde qui sont beaucoup homophobes, qui haïssent ça bien raide, puis qui sont pas capables. C’est sûr qu’il se ferait tapocher. Et je ne les en empêcherais pas non plus. Je n’ai jamais été ami avec un gars qui était fif parce que je voulais rester avec mes amis. Je ne prendrais pas la défense d’un fif. De toute façon, j’ai déjà ostracisé des gars que je traitais de tapettes et de fifs – Bertrand, hockey Dans la société, si tu es homosexuel, tu n’es pas considéré comme un homme. Les homosexuels, pour la société, sont catalogués : c’est des fifs, des tapettes, des pousseux de crotte. – Sylvain, football Ça m’est arrivé de rire d’un gars qui avait l’air fif pour ne pas que le monde pense que je le défends. Quand un gars trouve un fif et le dénonce, tout le monde l’applaudit. T’es en gang, si tu ne le dénonces pas, c’est toi qui vas y passer. – Manu, baseball, hockey La vérité sur la socialité des grégaires serait-elle entièrement révélée dans le témoignage cidessous ? Sport, hétérosexualité, contagion du genre et représentation sociale de la masculinité s’amalgameraient en une parfaite image traditionnelle de l’homme. Notons, dans ce témoignage, les signes évident d’homophobie. Si les gars pensent qu’un tel est gai, il ne sortira plus avec nous autres parce que l’on a peur d’être associé à lui. Les autres vont penser que nous autres aussi on est gais. C’est pour ça qu’on se tient ensemble ; parce que l’on est des vrais gars ensemble, hétérosexuels. On aurait peur que ça retombe sur nous. C’est comme s’il était contagieux. On ne veut pas attraper sa maladie. – Benoît, frisbee extrême C’est la plus grosse honte d’être étiqueté gai. Il fallait avoir une blonde pour que tout le monde sache où tu te situais. Nouer des contacts avec un gai, c’était tout de suite faire planer le doute. Et il n’y a plus personne qui va vouloir faire de sport avec toi. Il n’y a plus de gars qui vont vouloir se tenir avec toi. Il faut que tu fasses tout ce que tu peux pour ne pas avoir l’air de ça. Je n’ai pas envie que du monde pense que je suis gai. Je serais obligé de prouver que ce n’est pas le cas. Mes amis sont complètement homophobes. Ça remettrait en question leur amitié avec moi. – Benoît, frisbee extrême Enfin, la défense de sa masculinité — attaquée par l’homosexualité — peut aller facilement jusqu’à la violence gratuite, comme le raconte le grégaire suivant. Si tu penses que tu te fais cruiser par des gars, c’est la honte. Il faut que tu sois le plus violent possible avec ces gars-là, pour prouver justement que tu n’es pas un calice d’espèce de fif. Me cruiser, c’est sérieusement vouloir manger un coup de poing sur la gueule. Si un gars vient te parler, il te parle trop longtemps, tu commences à avoir des réserves. Tu l’étiquettes gai tout de suite. T’attends juste le premier mouvement et tu le tapoches. Tu ne prends pas de chance. – Benoît frisbee extrême 175 Le témoignage précédent est à l’image de la réalité racontée par de nombreux garçons. Le répondant suivant a appris à ses dépens qu’il faut toujours nier haut et fort les accusations d’homosexualité et ne pas hésiter à recourir à la violence si nécessaire. Cet été, j’aurais aimé être avec mes chums de hockey, pour en sacrer deux ou trois par-dessus bord. On était sur un traversier et un gars m’a dit « tu es un christ de fif ». J’ai dit « en quoi ça te concerne ». Je n’ai pas voulu le nier parce que je trouvais ça absurde de dire que je suis gai ou pas. Puis là, il s’est mis à me traiter de fif. Il criait, puis il y a deux de ses amis qui sont arrivés. Ils m’ont pointé du doigt et tout le monde m’a pointé du doigt en me traitant de gai. Avoir été avec mes copains de gars, ça se réglait. Je sautais dans le tas, puis c’était clair. Je leur aurais montré ce qu’un gai peut faire, et pourtant, je ne suis pas gai. – André, soccer Comment les grégaires composent-ils avec la présence éventuelle d’hommes homosexuels quand leur équipe n’est pas immédiatement présente ? La réponse à cette question se retrouve dans le témoignage suivant. Je pense au couple avec qui je suis ami. Ça ne me dérange pas pantoute. Quand ils s’embrassaient devant moi. Au début, je trouvais ça un peu gossant. C’est peut-être à cause du jamais vu. Il y en a un des deux que c’est l’ami de ma blonde depuis son enfance. – Antoine, football En fait, ce ne sont pas ses amis à lui, mais ceux de sa copine. Ce phénomène se retrouve chez tous les grégaires rencontrés qui ont un ami gai. Les amis gais, quand ils existent, apparaissent par la copine, un oncle, un cousin ou un frère. Comme s’il fallait une bonne raison aux sportifs, ce serait une autre forme d’alibi pour ne pas avoir l’air homosexuel. Les grégaires rencontrés dans le cadre de cette recherche n’ont jamais eu d’amis homosexuels qu’ils ont choisis expressément par eux-mêmes. La fréquentation d’hommes homosexuels obligerait à avoir un alibi, « une excuse » pour ne pas risquer de se faire contaminer, car comme on a pu le voir pour Paul, ne pas affirmer avec assez de force l’homophobie ne ferait que confirmer les doutes quant à l’homosexualité. L’homosexualité serait pour les grégaires une accusation. L’homophobie occupe une place importante dans la vie des grégaires. Ils se définissent souvent dans un rapport différentiel avec l’homosexualité afin de la tenir le plus possible éloignée de leur existence. Les grégaires craignent qu’il y ait des homosexuels dans leur équipe. Ces homosexuels seraient à éliminer afin d’éviter la contagion, mais aussi pour que leurs rituels demeurent ce qu’ils sont et ne deviennent pas des actes homosexuels. C’est donc dire que les grégaires seraient d’une certaine façon conscients qu’il ne leur est pas possible d’être hétérosexuels tout en ayant des contacts génitaux avec quelqu’un qui serait homosexuel. Cependant, la 176 quête de certains répondants pour trouver un homosexuel dans leur équipe fut vaine. Pourtant, la recherche d’hommes gais dans leur équipe est d’autant plus pertinente pour les sportifs qu’ils constatent qu’à la différence de la société en général, où il y a des hommes gais, dans le sport et dans leur équipe en particulier, ils sont totalement absents à leurs yeux. La recherche d’un joueur homosexuel ressemble au jeu « Où est Charlie ? »20. Certains joueurs sont « suspects » et n’ont pas d’alibi comme une copine ou des histoires grivoises à raconter. Ce n'est pas par hasard que les joueurs utilisent le mot « suspect » en usage dans le domaine juridique et policier. L’usage du mot serait une démonstration de l’état d’esprit (inconscient) dans lequel on cherche à identifier les joueurs homosexuels. On élimine ensuite les suspects ayant un alibi. Le doute continue cependant à planer sur ceux à qui l’on n’a pas trouvé d’éléments de preuve qu’ils ne sont pas homosexuels. Enfin, les joueurs évoquent la rumeur et de nébuleuses statistiques, impossibles à vérifier, prétendant la présence d’un certain pourcentage d’hommes gais dans le sport, et en particulier dans le football. Les rumeurs, comme Kapferer (1987) l’a précisé, seraient le marché noir de l’information et ne sont que le reflet de préoccupations sous-jacentes. Ici, la rumeur se ferait simplement l’écho de l’angoisse ressentie par les joueurs de trouver des « gais » parmi eux. Comment expliquer cette absence d’hommes ouvertement homosexuels dans l’équipe ? La plupart des joueurs rencontrés pratiquent un sport depuis plus de 20 ans. Ils n’ont fréquenté que des groupes d’hommes sans jamais avoir vu ou constaté la présence de joueurs homosexuels, même s’ils en ont cherchés. C’est que toute la structure sportive et toutes les interactions entre les hommes sportifs sont faites de façon à faire passer les expressions sexuées entre hommes pour autre chose que de l’homosexualité et à occulter celle-ci. De plus, le climat particulièrement homophobe qui règne au sein des groupes sportifs pousse sans nul doute les hommes homosexuels à quitter le milieu, ou du moins, à taire leur homosexualité. Enfin, l’homosexualité déclarée d’un des leurs créerait une sorte de bruit dans la socialité des grégaires, invalidant tous les alibis permettant de déshomosexualiser les actes sexuels auxquels s’adonnent les membres de l’équipe. Du bruit, en effet, que les sportifs n’ont pas entendu souvent puisque, selon les grégaires, il n’y a pas de gais dans les sports. Les sportifs ne les verraient pas et aucun joueur n’affirmerait ou ne révèlerait son homosexualité. Ce silence contribuerait à son tour à nourrir auprès des joueurs des représentations sociales stéréotypées de l’homosexualité et il les conforterait dans leurs certitudes qu’il n’y a pas d’homosexuels dans leur équipe. Le football serait un sport d’hommes, de vrais et 20 Nous rappelons aux lecteurs la note précédente expliquant qui est Charlie. Nous faisons référence à une expression utilisée par les soldats américains lors de la guerre du Vietnam, lesquels avaient nommé « Charlie » l’ennemi Vietcong. Le nom fait également référence au jeu qui consiste à trouver un personnage du nom de Charlie à travers un ensemble de dessins complexes dans lesquels Charlie est très difficile à repérer. 177 non de « fifs », parce que « ça cogne dur », que « ce sont des athlètes » et qu’« un athlète ne peut pas être gai » selon les répondants rencontrés. Dans cette vision, les hommes homosexuels n’ont pas leur place dans le sport. Une fois l’absence de joueurs homosexuels constatée, on peut tout de même se demander ce qui se produirait si un joueur du groupe révélait son homosexualité. Dans leurs témoignages, les joueurs racontent comment ils anticipent leur propre réaction et celles des autres au dévoilement de l’homosexualité d’un des leurs. Les réactions les plus significatives pour les joueurs seraient celles du groupe, car ce sont les valeurs du groupe qui dicteraient les règles à suivre. C’est l’attitude du groupe qui déterminerait comment se ferait l’accueil des différences. Les joueurs ne feraient que suivre les règles de leur groupe. Conformément à leur mode de fonctionnement social, les grégaires ne se compromettraient probablement jamais dans des situations ou des actions qui les isoleraient du groupe et les placeraient éventuellement en situation de déliance (Bolle de Bal, 1985, 1996) potentielle ou de rupture avec le lien social (Goffman, 1975). Quelques rares joueurs ont manifesté individuellement et dans le secret de l’entrevue, une attitude plus favorable que d’autres envers l’homosexualité masculine. Cependant, ce minimum d’ouverture, qui ne pourrait être que douteux pour l’équipe, est vite tempéré par la peur de la marginalisation. Notons que la marginalisation fait partie des critères de la masculinité hégémonique évoquée par Connell (2005). Bien que les joueurs ne puissent se prononcer individuellement en toute honnêteté sur ce que pensent les autres, il est certain que dans le cadre de la vie en équipe, un joueur homosexuel ne pourrait révéler son statut sans briser la complicité, la reliance et l’esprit d’équipe qui l’unissent aux autres. De plus, l’anticipation du rejet est basée sur le souvenir d’événements à caractère homophobe dont ils ont été témoins comme l’ont raconté certains répondants. Plusieurs grégaires préfèrent ignorer l’homosexualité d’un joueur, alors que d’autres recommanderaient à ceux qui le sont de se taire. Il peut s’agir d’un silence de parole ou d’action. Le joueur homosexuel devrait simplement se comporter comme s’il était hétérosexuel. La vie en équipe et la cohésion du groupe reposeraient en grande partie sur la présomption que tous seraient hétérosexuels. En fait, compte tenu de leurs témoignages, on est en droit de penser que la plupart des sportifs préfèrent vivre dans une réalité hétérosexualisée que d’affronter la vérité. Les douches collectives, comme l’ont montré plusieurs auteurs (Bersani, 1998 ; Bérubé,1991 ; Bruce, 2002 ; Pronger, 1990), sont principalement évoquées comme lieux problématiques où la présence d’hommes homosexuels suscite l’anxiété, parfois la colère, quand ce n’est pas le dégoût ou la violence (Chen, 2000). Comme si, dans la logique des sportifs, le fait 178 d’être nus en présence d’un homosexuel représentait de facto un acte sexuel ou constituerait un risque de contagion21. En présence d'un homme homosexuel dans le vestiaire, on ne peut plus jouer à faire semblant. Il vaut donc mieux garder les hommes homosexuels loin de soi, pour continuer à pratiquer les activités sexuelles que l’on sait sans risque de se sentir homosexuel ni que d’autres aient des soupçons en ce sens. En fait, peu importe les lieux ou les circonstances, aucun alibi ne peut justifier aux yeux du sportif la présence d’un homme homosexuel nu à leurs côtés. C’est ce qui expliquerait en bonne partie que la frontière entre la tolérance et le rejet soit parfois plutôt mince. Compte tenu de la dimension contagieuse de la masculinité hégémonique pour ces jeunes hommes, l’acceptation de l’homosexualité déclarée serait perçue comme étant dangereuse pour le groupe. Par une quelconque association à l’homosexualité, le grégaire craint le rejet social pur et simple. Les joueurs auraient à prouver leur masculinité et donc leur hétérosexualité à tout moment. C'est le contact avec les autres qui nourrirait les grégaires. Un joueur homosexuel parmi eux ne pourrait que les contaminer en suivant le même mode de contagion identitaire. Les grégaires se devraient d’être constamment sur leurs gardes et prêts à répondre de leur orientation sexuelle en tout temps, notamment par un alibi, comme le fait d’avoir une copine, la réalisation de prouesses sportives ou la capacité de se battre. Pour les grégaires, il n’existe pas de vie réelle à l’extérieur du sport. Demander comment l’homosexualité est acceptée à l’extérieur de leur équipe et de leur sport est donc une question qui a peu de sens pour eux. 10.4.2 Les solitaires : entre ouverture et efféminophobie Dans cette partie, on verra comment l’homophobie et l’efféminophobie se construiraient et se vivraient chez les solitaires et comment elles s’inscriraient dans le toucher, les conversations et d’autres actions. 10.4.2.1 Des conversations et des hommes Selon les solitaires, existeraient deux types de conversations : les masculines et les féminines. Avoir des sujets de conversation qui sont plus masculins comme le sport. – Richard, natation On va parler de job, on va parler de chars. – Hervé, aviron Un homme ne va pas parler avec les femmes, il va parler du sexe des femmes. – Thomas, patinage artistique Il a été impossible de consulter l’article complet de S. Tomsen (1998) « He had to be a poofter or something, Violence, male honour and heterrosexual panic » Journal of Interdisciplinary Gender Studies, 3 (2), 44-57, portant sur ce sujet particulier. 21 179 Les filles parlent de maternité, de maisons et de décoration ou de choses comme ça. Elles parlent aussi de sexualité, des beaux gars, mais il y a des choses qui sont plus en lien avec les femmes, comme l’épilation. Je ne pense pas que je parlerais d’épilation avec ma sœur. Je ne m’intéresserais pas non plus de savoir quelle cire elle utilise. Ma sœur parle de ça avec mon cousin qui est gai. Ça ne doit pas l’intéresser, il a beau être gai, ça reste un gars quand même. – Hervé, aviron Les sujets touchant la sexualité sont difficilement abordables, surtout si l’interlocuteur est gai. C’est sûr qu’avec un gai, je ne parlerai pas de ses relations amoureuses, mais je peux parler des miennes. – Hervé, aviron Les conversations ressortent comme un élément marquant le genre chez les solitaires ce qui n’est pas le cas chez les grégaires. Il semble que, pour les solitaires, certaines conversions soient typiquement plus masculines que d’autres. Les solitaires définissent les choses à dire ou à ne pas dire. Ils décident également des personnes à qui parler afin de préserver leur masculinité. Il y a d’abord les sujets de discussion comme le sport, les femmes et, bien sûr, les voitures ou le travail, qui maintiennent une image sociale de masculinité. Le discours des répondants est stéréotypé. La manière traditionnelle qu’ont les solitaires de vivre leur identité de genre les fait parfois ressembler à des caricatures d’humoristes. Selon les solitaires, les femmes auraient des sujets de conversation qui leur seraient propres. Les préoccupations esthétiques seraient, comme on s’en doute, typiquement féminines. De plus, les répondants refuseraient de converser sur des sujets qu’ils considèrent comme non masculins. On peut même penser que certains sujets pourraient faire pâlir leur masculinité. Enfin, pour les solitaires, le fait qu’un homme soit gai ne devrait rien changer à son intérêt aux sujets de conversation « féminins » ou « masculins ». 10.4.2.2 Gestes permis et les gestes interdits Comme les grégaires, les solitaires touchent à d’autres hommes et leurs contacts sont codifiés tout comme pour les grégaires. Les contacts se déclinent en catégories de gestes permis et interdits selon les contextes et les personnes. Les solitaires précisent ce qui est permis et ce qui est interdit. Un gars qui me toucherait les parties intimes, même un ami proche, c’est non. Une tape sur les fesses, ça ne me dérange pas trop quand c’est fait avec humour. – Mario, natation Sont encore assez rares les gestes que tu peux faire entre gars. Tu peux te prendre par les épaules quelques secondes après avoir fait un bon coup, une petite tape par en arrière après avoir joué, mais à part de ça, c’est assez rare. Il n’y a pas grand contact de permis. Les filles au travail, je vais leur flatter le dos une 180 fois de temps en temps, mais l’autre gars qui est au bureau, non. Et si un gars me faisait ça, ça dépend du contexte, ça dépend de qui, mais je trouverais ça déplacé. – Thomas, patinage artistique Et pour ce qui concerne le baiser. Avant, quand je voyais des gars s’embrasser ou se tenir par la main, ça me dérangeait. Les hommes ne font pas ça. Il y a plein de pays où les hommes s’embrassent, mais pas ici. Mes amis de gars, je sais que si je les embrassais, même sur les joues que ça ne passerait pas. Ce sont les gais qui font ça. – Pierre, natation Embrasser n’est pas possible. Ça me mettrait dans le trouble face au monde. Si je vois deux gars qui s’embrassent, je vais penser qu’ils sont gais ou d’une autre culture. – Richard, natation Même pour les solitaires homosexuels, donner un baiser en public à un autre homme suscite la plupart du temps des réactions sociales avec lesquelle il faut apprendre à composer. Quand j’embrasse mon chum dans la rue, on se fait regarder avec de l’étonnement ou de la surprise. Le monde se demande s’il a bien vu. C’est sûr que c’est un stress. – Mario, natation Enfin, entre membres d’une même famille, le baiser entre hommes sur la bouche serait possible. Le contact prolongé des mains serait un signe d’homosexualité à éviter. Ce type de contact demeure donc un geste de sensualité qui ne saurait être acceptable. Chez nous, on se colle et on s’embrasse. Pas sur la bouche, mais sur les joues. Je dirais que pour les accolades, il n’y pas de problèmes, mais se prendre par la main, non. Si deux hommes font ça, ça renvoie un autre message. – Hervé, aviron Les solitaires, comme les grégaires, définissent les gestes socialement permis ou interdits entre hommes. Il y aurait une forme de sanction sociale réelle ou appréhendée pour avoir franchi l’interdit, laquelle sanction serait la perte partielle ou totale de la masculinité, la féminisation et même l’homosexualisation. Dans la plupart des cas, le résultat serait la marginalisation de l’individu au sein de son groupe social. Les contacts entre hommes se devraient d’être brefs et ne seraient possibles que dans certaines circonstances ou cultures. À l’extérieur de ces limites, tout contact physique est interdit entre hommes, le plus honni étant celui avec la bouche. En effet, en plus de déranger, le baiser entre hommes est un signe évident d’homosexualité ou d’origine culturelle différente. Sur ce sujet, le point de vue des solitaires et des grégaires est identique. Les solitaires ne se touchant que peu entre eux et les grégaires se touchant beaucoup en comparaison, on pourrait penser que leurs idéaltypes respectifs à propos des touchers sont à l’opposé l’un de l’autre. En effet, les grégaires s’autorisent des contacts nombreux — avec les mains notamment —, mais ces contacts sont 181 toujours furtifs et rapides. Qui plus est, même si certains actes sont sexuels, ils ne sont jamais sensuels. Pour les deux types de sportifs, la sensualité et la douceur n’ont pas leur place entre hommes, mais seulement avec les femmes. 10.4.2.3 Les cours d’éducation physique et l’appartenance au masculin Les performances sportives des solitaires déterminent-elles leur appartenance au genre masculin et renforcerait-elle leur sentiment de conformité au modèle masculin le plus valorisé ? Peut-on penser que plus les performances sportives seraient élevées, plus la masculinité serait grande, autrement dit la masculinité est proportionnelle aux performances sportives ? Je me suis fait appeler la tapette parce que je n’étais pas bon dans les sports. – Richard, natation Je l’avais traité de fif parce qu’il n’était pas capable de faire des push-ups. – Victor, tennis Au secondaire, il y a tout le temps quelques gars qu’on dit gais parce qu’ils ne sont pas bons dans les sports. Ils vont se faire traiter de tapettes et de fifs durant tout leur secondaire. Ils étaient toujours dans les derniers choisis dans les sports d’équipe. C’est le sport d’équipe qui était primé. Ces gars-là n’ont pas le goût d’être dans l’équipe et tu sais que les autres n’ont pas le goût qu’ils soient là. – Pierre, natation Les professeurs d’éducation physique, en plus de participer à l’exclusion de certains garçons en laissant le contrôle du vestiaire aux sportifs, participeraient à l’oppression des garçons non conformes. Les professeurs d’éducation physique soutenaient eux-mêmes ces valeurs-là. Tout le monde était complice de ça. Il y avait même un professeur qui me traitait de fif devant tout le monde. – Pierre, natation Le prof, il me faisait suer. Il était bâti. Il se promenait en montrant ses muscles. Je le trouvais fendant. S’il y avait eu un prof plus sympathique qui m’avait pris en main, j’aurais mieux aimé les cours. C’est ceux qui réussissaient bien qui avaient toute l’attention. Au secondaire, je haïssais les cours d’éducation physique parce que j’étais tout le temps moins bon que tout le monde. À un point tel qu’au lieu de dire aux gars de me donner une chance, le professeur m’a mis dans l’équipe des filles au volley-ball. – Mario, natation Pour les solitaires, les sports de groupe seraient les plus masculins. Je dirais que l’on avait plus de Français que de fifs en athlétisme. Quand je jouais au hockey, je dirais que le gars aurait été mis de côté. – Hervé, aviron Dans la tête du monde, un gars qui fait du patin au lieu de jouer au hockey, c’est un fif. On me demandait pourquoi je ne jouais pas au hockey tant qu’à patiner. Le primaire n’a vraiment pas été facile. Au secondaire, je me suis fait éc- 182 œurer par les joueurs de hockey. Les gars homosexuels peuvent s’afficher au patin. – Thomas, patinage artistique Enfin, pour se prouver à eux-mêmes leur masculinité, Certains garçons s’adonnent à des comportements de type ordalique. C’est pour montrer que je suis courageux que j’ai sauté en parachute. J’avais peur du vide, mais j’avais besoin de me prouver. En vélo, j’ai fait des choses un peu extrêmes, comme rouler très tard le soir après une journée de 240 kilomètres, coucher à des endroits insolites pour lever ma tente. J’ai besoin de me faire remarquer de cette façon-là. – Simon, cycliste Comme Mario, certains garçons ayant été placés dans des groupes de filles pour la pratique d'un sport à l’école secondaire se sont vus doublement ostracisés. À l’âge où l’identité de rôle de genre se forme et se renforce, l’association au féminin par l’inclusion dans un groupe de filles ne pourrait que contribuer à l’exclusion sociale d’un garçon et accentuerait son isolement. Il est possible qu’une sorte de cercle vicieux s’installe. Plus le garçon stigmatisé est isolé, plus il est féminisé et plus il est féminisé, plus il est isolé. Il semble que les cours d’éducation physique à l’école secondaire constituent une structure favorisant une hiérarchisation des genres qui soutiendrait grandement l’apprentissage de la concurrence et de la domination d’un genre sur un autre et d’un type de masculinité sur un autre. Il appert que, dans ce contexte, le sport serait le lieu où se mesure la masculinité. Ceux qui échouent au test sportif auraient peu de chances de se reprendre, car la structure sportive et sociale ne leur en laisserait pas l’occasion. Toute la structure sociale participerait à ce phénomène par la valorisation des sports d’équipe et par l’exacerbation d’un modèle de masculinité proche de ce que Connell (2005) décrit comme la masculinité hégémonique. Dans ce contexte, les sports collectifs et agonistes, comme le hockey et le football, sont les plus valorisés et les plus associés à une véritable masculinité cela tant par les solitaires que les grégaires. Les professeurs d’éducation physique seraient alors les courroies de transmission de valeurs masculinisantes proches du modèle de masculinité hégémonique. La plupart des répondants ont participé à cette masculinisation à modèle unique ou en ont été victimes. En effet, dans un contexte sportif ne favorisant qu’un seul modèle de masculinité, il ne saurait y avoir d’acteurs neutres. Les jeunes hommes sportifs seraient soit bourreaux, soit martyrs, et leurs professeurs, des gourous orchestrant la mise en scène de la construction du genre masculin conformément au modèle de la masculinité hégémonique. Enfin, certains garçons, notamment quand ils sont livrés à eux-mêmes, seraient poussés à des activités à saveur ordalique pour prouver leur masculinité. La tentation ordalique constitue encore une fois un élément soutenu par la masculinité hégémonique. Les sportifs ne valoriseraient 183 qu’un modèle de masculinité et le fait de ne valoriser qu’un seul modèle de masculinité est aussi un trait typique de la masculinité hégémonique. 10.4.2.4 Être efféminé, c’est… . L’éfféminement, ou du moins la non conformité de genre, dérange les solitaires. Ils savent d’ailleurs ce qu’est l’efféminement bien qu’ils n’aient pas de définition concise à lui donner et que parfois un glissement avec l’homophobie se fasse aisement. De plus, la non-conformité de genre permettrait de discerner qui est homosexuel de qui ne l’est pas. Le contraire de viril c’est quoi ? Efféminé ? – Simon, cycliste Être efféminé, c’est avoir une voix aiguë, parler beaucoup comme une fille, s’éclater vocalement, bouger ses mains comme une femme plutôt que comme un gars, rire facilement, marcher en se déhanchant,. – Simon, cycliste On sait qui sont homosexuels dans le patin par le genre de sparages qu’ils font. C’est vraiment du ballet. C’est vraiment des affaires de fifs. Un gars qui va s’intéresser au patin, au ballet ou aux arts en général, quelqu’un qui a le poignet cassé, c’est dans la façon de parler… – Thomas, patinage artistique C’est des façons de parler, d’agir, de s’exprimer verbalement et non verbalement qui se rapprochent d’un comportement plus typiquement féminin, la façon de bouger, de parler avec les mains, des fois dans les intonations aussi. Les gais parlent beaucoup plus que la majorité des gars hétérosexuels. – Mario, natation Tu peux dire si un gars est gai par la voix aiguë ou maniérée, la façon de s’exprimer, l’apparence et la démarche sont plus féminines. – Richard, natation Être efféminé, c’est avoir des traits féminins, être très volubile, avoir une petite voix… – Hervé, aviron Enfin, l’allure générale y est aussi pour quelque chose dans les signes qui marquent l’efféminement. Porter du linge de couleurs plus vives. C’est tout placé, très étudié, puis on dirait des fois qu’il a une décoloration dans les cheveux. – Simon, cycliste C’est surtout par la gestuelle que les solitaires distinguent entre l’efféminement et la masculinité. En effet, il semble que les deux soient implicitement aux opposés. La voix, le mouvement des mains, le rire facile, la démarche, la volubilité, un souci pour l’esthétique sont quelques-uns des signes marquants de l’efféminement selon les répondants. Les solitaires campent la masculinité et la féminité sur un axe aux pôles opposés. Il n’y a rien de surprenant dans cette vision des genres, car l’ensemble des représentations sociales et du discours social positionne les genres de manière opposée. Les solitaires seraient préoccupés par l’efféminement alors que les grégaires n’en parlent que rarement. Il faut dire que les grégaires ont éliminé de toutes leurs fréquentations les garçons non conformes dès un jeune âge. Il semble que pour les solitaires, le fait de ne pas pratiquer de « vrais » sports — c’est-à-dire 184 des sports d’équipe —, les placerait dans une forme « d’autosurveillance » plus pointue de leur masculinité et ce qui les amènerait à avoir une définition plus traditionnelle des identités de genre. De plus, les solitaires n’ayant pas de groupe d’appartenance masculin auquel se référer, leur conception des genres serait plus proche des modèles stéréotypés véhiculés dans les représentations populaires. 10.4.2.5 L’attitude face à l’efféminé Les solitaires associent souvent l’efféminement et l’homosexualité. Cependant, certains joueurs font la distinction entre les deux. Les répondants suivants sont hétérosexuels. Pour eux, l’homosexualité ne change rien à la masculinité, même si les identités de genre ambiguës ne sont pas souhaitables. Le fait qu’une personne soit homosexuelle, c’est juste son orientation sexuelle, son attitude, c’est autre chose. Il y a des gars qui ont moins de chance de se faire traiter de tapette que d’autres. Un gars efféminé va plus se faire traiter de tapette qu’un autre. Il y a des traits qui sont associés à l’homosexualité. Il y a les tapettes et il y a les homosexuels. Des fois, je ne comprends pas pourquoi les gens mettent autant d’accent là-dessus. Je ne serais pas moins homme parce que je serais homosexuel, ça serait juste un choix, tu restes, qu’est-ce que t’es de toute façon. J’ai connu des gars straights qui aimaient beaucoup magasiner, pour moi, ce n’est pas très masculin. – Hervé, aviron Quelqu’un peut être très masculin et très viril tout en étant homosexuel. – Simon, cycliste Je ne considère pas qu’un homosexuel n’est pas un homme. Par contre, un homosexuel qui va se travestir... Un homme doit rester un homme. Vivre entre les deux, ce n’est peut-être pas la meilleure chose. J’en ai vu beaucoup dans le patin et ailleurs, des gars qui étaient hétérosexuels avec des manières. – Thomas, patinage artistique Au-delà des distinctions et des définitions, les solitaires se forgeraient la plupart du temps leur propre opinion sans trop se soucier de ce que pensent les autres. Certains d’entre eux sont plus ouverts à la fréquentation de gars homosexuels ou moins conformes quant au genre. J’ai l’ouverture face à ça. Je ne suis pas très perméable à l’opinion publique. Si moi je trouve que c’est correct, c’est correct. Je n’ai pas arrêté de me tenir avec un gars parce qu’il avait des manières, mais il y a du monde qui l’écœurait. – Hervé, aviron J’en ai eu des amis homosexuels. Je suis même sorti dans un bar homosexuel une fois. Je n’ai eu aucun problème avec ça. – Thomas, patinage artistique J’ai du mal à comprendre le fait que les gens se sentent à ce point là en danger par l’homosexualité. – Victor, tennis 185 Certains répondants n’auraient pas peur d’être associés à l’homosexualité et seraient même venus à la rescousse d’autres garçons ostracisés ou pris à partie à cause de leur nonconformité de genre. Dans les réponses suivantes, un patineur revoit chez ses élèves les cauchemars de son enfance et n’hésite pas à intervenir. D’autres solitaires bénéficiant d’un bon capital social par leur plus grande conformité au genre, ont osé s’élever contre la discrimination et les campagnes de lynchage dont ils ont été témoins. Un de mes élèves s’est fait écœurer par un joueur de hockey. Je l’ai poigné à l’aréna je lui ai dit « je suis deux fois gros comme toi, tu feras bien ce que tu veux avec ton sport, mais que je ne te vois jamais écœurer mon élève parce que je vais aller voir ton coach puis c’est certain qu’il va se passer quelque chose ». Je ne veux pas que mes élèves passent par où je suis passé. Ils se font écœurer. Les gars ne le disent pas qu’ils font du patin. Ils ne veulent pas se faire écœurer. – Thomas, patinage artistique J’avais un bon ami qui se faisait traiter de tapette au secondaire. Un jour, les gars de l’école ont mis des affiches « Paulette la tapette ». Je suis allé devant tout le monde et j’ai enlevé les affiches et je les ai engueulés. J’étais président de l’école, j’avais une certaine autorité. Certaines personnes ont trouvé cela vraiment impressionnant. Ça ne me dérangeait pas qu’il soit efféminé. – Richard, natation Mais tous n’ont pas cette possibilité et ne se lancent pas au secours des garçons efféminés ou associés à l’homosexualité par crainte d’être marginalisés à leur tour. Pour le répondant suivant, la sodomie, qu’il n’a jamais voulu nommer durant l’entrevue tellement la chose le répugnait, est associée à l’homosexualité. Je vais avoir dédain de certaines pratiques que vont avoir les homosexuels et c’est pour ça qu’ils m’écœurent. – Thomas, patinage artistique Très tôt dans la vie, les garçons comprendraient que l’efféminement et l’homosexualité amènent la stigmatisation et le rejet par la société. Ils reproduisent l’homophobie dans leurs actes et attitudes. À mon école, il y en avait quelques-uns d’efféminés. Ils étaient très jeunes et déjà le monde riait d’eux à six ou sept ans. Ils étaient mis de côté. Ils se tenaient ensemble. Les hommes efféminés sont faciles à ridiculiser, parce que personne ne les défend. – Édouard, badminton Je les accepte, mais avec des conditions ou des limites. Je n’aurais pas un ami efféminé. – Simon, cycliste Le fait d’être avec une personne efféminée, ça n’aide pas les autres à m’accepter. C’est plus facile pour moi d’être accepté comme homosexuel en n’étant pas efféminé. On peut être gai, mais c’est moins grave, parce que je reste comme les autres gars. – Simon, cycliste 186 Il y avait un gars qui s’était fait écœurer au patin, c’était écœurant. On s’était tellement fait écœurer, que quand on savait qu’il y en avait un, il payait pour. Mais je n’aime pas ça. Je me sens mal après, j’ai des remords. Bien je n’ai pas écœuré quelqu’un bien sérieusement. J’ai écœuré des gars, je leur ai parlé dans le dos pour ne pas être exclu de certains groupes. Dans un camp de dépistage, un gars était maniéré, c’était incroyable. Les gars l’écœuraient. Un moment donné, on s’est réunis, puis tout le monde l’écœurait dans son dos. Je pense qu’il avait entendu. Je suis allé le voir, je lui ai dit en pleine face qu’il était efféminé et je lui ai dit d’essayer d’avoir l’air moins homosexuel. – Thomas, patinage artistique La plupart du temps, les grégaires comme les solitaires tendent à s’éloigner des garçons dits homosexuels, par peur de la contagion et cette peur peut conduire à la commission d’actes de violence. L’homosexualité serait un stigmate qui tache plus que d’autres (Lajeunesse, 2001). C'est alors que l’on voit l'acceptation de certains se limiter ou devenir simple tolérance, voire se transformer en rejet. En fait, ce n'est pas tant l’homosexualité que la nonconformité de genre qui indisposerait les garçons et les pousserait à rejeter ceux qui ne sont pas conformes au genre. Pour les garçons, tous les moyens seraient bons pour éloigner le stigmate homosexuel. La violence envers les jeunes hommes identifiés comme homosexuels est d'autant plus facile à utiliser qu’elle est cautionnée socialement. D’autres solitaires ont ostracisé et même violenté certains garçons efféminés. Chez les patineurs, par exemple, il y aurait un désir de revanche. Les patineurs artistiques rencontrés ont souvent été victimes d’homophobie. Au lieu de faire porter la responsabilité de leur souffrance aux valeurs homophobes des sportifs et du milieu sportif, ils en feraient porter le blâme aux patineurs homosexuels eux-mêmes qui attireraient, « sur le patin » et les patineurs, la mauvaise réputation d’être un sport homosexuel. « Personne ne défend les homosexuels » comme le disent certains répondants. Même les solitaires homosexuels n’oseraient pas s’impliquer dans une situation où l’orientation sexuelle ou la conformité de genre est en cause. Ils n’interviendraient pas, de peur de mettre en péril l’identité de genre qu’ils tentent de bâtir et par le fait même une partie de leur capital social (Bourdieu, 1980, 1994). La manifestation publique de toute solidarité avec des jeunes hommes homosexuels serait donc antinomique à leur démarche d’autant plus que certains sportifs s’efforceraient grandement de paraître le plus masculin possible et que le résultat de leurs efforts ne semblent cependant pas toujours probant selon leurs critères de masculinité qui a beaucoup de points communs avec la masculinité hégémonique décrite par Connell (2005). On constate que les sportifs identifiés comme homosexuels seraient abandonnés par leur milieu et qu’il existerait une complicité soutenant une masculinité ressemblant à la mascu- 187 linité hégémonique notamment par ses valeurs homophobes. L’homophobie des solitaires diffèrerait dans la forme à celle des grégaires. Les solitaires seraient davantage préoccupés par la conformité de genre que par les comportements homosexuels comme tels. Les conversations que l’on peut avoir ou non avec les autres joueurs ou les hommes en général seraient clairement définies par des critères distinguant l’acceptable et de l’inacceptable. Les gestes interdits et les gestes permis seraient ainsi bien déterminés. Enfin, les solitaires ont une idée assez précise de ce qu’est une gestuelle efféminée et ils excluent souvent de leurs relations personnelles les garçons en non-conformité de genre même s’ils sont eux-mêmes homosexuels. Tableau 8. L’homophobie chez les grégaires et les solitaires Grégaires Solitaires Peur du féminin Alibi pour ne pas être homosexuel Gestes permis et interdits Pas de conversation typique Conversation typique Pas de gais sportifs autour d’eux Présence de gais autour d’eux 10.5 Être homme Comment les répondants définissent-ils la masculinité ? La réponse à cette question n’est ni évidente, ni facile à cerner pour les jeunes hommes sportifs rencontrés. Leurs réponses sont souvent fort compliquées. Sur ce point, les grégaires et les solitaires sont assez semblables. C’est pourquoi ils ont été rassemblés dans cette section. Les réponses sont regroupées en cinq types, bien qu’elles soient toutes colorées de valeurs traditionnelles. L’analyse et la présentation des définitions du masculin se font dans l’ordre naturel dans lequel les répondants les ont livrées. Mentionnons, la confusion, le corps, le contraire, les rôles et les attitudes et la séduction. Enfin, les répondants ont été invités à se donner une note sur dix pour voir dans quelle mesure ils se sentent en correspondance avec les valeurs masculines. 10.5.1 La confusion La question était simple : « que signifie pour toi être un homme ? ». D’abord surpris par la question bien que l’entrevue portait sur le sujet de la masculinité, les répondants ne savaient que répondre. La question a suscité parfois malaise, rires ou réactions d’anxiété… Voyons ce qu’en pensent d’abord les grégaires. Elle est dure cette question-là ! – Bertrand, hockey Je ne sais pas ce que c’est que d’être un homme. – Didier, rugby 188 Je ne sais pas comment dire ça. C’est embêtant ta question. C’est difficile à expliquer par des mots. Je n’en ai aucune idée. – André, soccer C’est quoi la virilité ? Je n’aime pas généraliser. Je n’aime pas dire que les femmes sont comme si, les hommes sont comme ça. Viril... ? Ça dépend, ça dépend de chacun. Ma blonde me dit que je suis bien viril. Je la crois. Je ne sais pas si je suis viril ou pas. – Éric, hockey L’exemple le plus éloquent de confusion est le suivant. Être un homme ? Je vais répondre comme cela me vient à l’esprit… Être un homme ? C’est une question difficile. C’est une question que je pourrais élaborer pendant plusieurs pages. … C’est compliqué comme question ! La société d’hommes au sens homme… Être un homme… Une bonne question… C’est large, j’essaie de mettre une ligne de direction pour répondre… Je ne sais pas. Être viril ce n’est pas une qualité. Être plus macho qui est plus viril au maximum, viril c’est comme… Il ne faut pas être viril au maximum ou être efféminé au maximum. – Marc, football Comme on pourra le constater à la lumière des réponses suivantes, les solitaires nageraient eux aussi dans l’incertitude et l’hésitation. C’est une bonne question, on ne peut pas aller chercher dans les livres. – Richard, Natation C’est vraiment embêtant comme question… Ça revient à la virilité. – Thomas, patinage artistique C’est difficile à dire, il faut que j’y pense. Reviens-moi dans six mois et je vais te le dire. Un vrai ? … Attends une minute, il faut que je pense, être un homme.... J’aurais besoin de beaucoup de temps pour penser à ça. Être un homme… Je dirais que c’est complexe. Il a autant de modèles d’hommes qu’il y a d’hommes. – Simon, cycliste Oh boy ! Ça dépend par quel bout tu l’entends. Être viril ou masculin, ça dépend des définitions de chacun, de chaque pays. Pour moi, être viril et masculin… Bonne question… Il faudrait que je réfléchisse quelques minutes. C’est sûr que l’image véhiculée par la société, c’est …, mais je ne le sais pas. – Mario, natation Finalement, les répondants ne savent pas ce que c’est que d’être un homme. Nous constatons le flou socioculturel dans lequel vivent les hommes sportifs québécois notamment quant à la définition de leur genre. Cela est peut-être normal après plusieurs années de féminisme qui ont permis aux femmes de se positionner comme sujet social. Le féminisme a également permis des remises en cause des rôles de genre traditionnels. Cette confusion chez les répondants confirmerait « la crise de la masculinité » et corrobore d’une certaine façon les propos de Sommers (2000) qui prétend que « It’s a bad time to be a boy in America ». 189 10.5.2 Le corps, marqueur de l’appartenance au genre À partir de quoi l’appartenance au genre masculin se construit-elle ? C’est ici que le corps semble aider les répondants à définir la masculinité. Pour les grégaires… Il y a l’aspect biologique, les chromosomes pour commencer. La pomme d’Adam... – Didier, rugby Pour moi, un homme, c’est une personne du sexe masculin. C’est très large, il n’y a rien qui représente un homme comme tel à part son corps. – Éric, hockey Pour quelqu’un qui est viril, il y a des caractéristiques physiques, mais cela n’a pas nécessairement rapport à la grosseur. – Marc, football Je peux définir le genre physiquement. C’est quelqu’un avec un zizi, alors que les femmes n’en ont pas… On a plus de pilosité. Les poils sur la main. – Didier, rugby Pour les solitaires… L’homme se définit le plus facilement par son physique. Il a un appareil génital à lui, il a des caractères sexuels secondaires à lui (voix plus grave, pilosité plus grande, musculature plus importante, taille plus grande, etc.). – Simon, cycliste C’est sûr que, selon le stéréotype d’aujourd’hui et que j’ai intégré, l’homme plus viril serait plus musclé. Un homme moins viril serait plus frêle. – Mario, natation Un homme viril, c’est un homme musclé, poilu… Mais il arrive que des gars non musclés soient virils aussi. Si je regarde quatre ou cinq gars en ligne, ce sont les musclés et les biens bâtis que l’on va remarquer. – Édouard, Badminton C’est d’abord quelque chose de physique. C’est d’abord un corps d’homme, les organes d’homme puis ça se traduit ensuite par les traits de caractère. – Victor, tennis Un solitaire raconte comment il voit les joueurs de football. Le physique est très important; on pourrait parler de puissance. C’est impressionnant quand l’équipe de football rentre dans la salle de musculation, ils n’ont pas la même grosseur que nous. – Hervé, aviron Ce répondant solitaire raconte comment il a compensé ses attributs physiques qu’il juge insuffisants. Je me suis rendu compte que je faisais quand même ce que tout le monde attend d’un gars super musclé, super gros, fasse. Quand je suis rentré dans les pompiers, je m’attendais à payer, d’avoir de la misère. Je me disais que je n’étais pas assez gros. C’est sûr que j’aimerais prendre un peu de masse, juste pour moi. J’ai fini premier sur tous mes cours de pompier avec des mentions d’excellence en forme physique. Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin d’être gros. Avec la forme physique que j’ai, ça ne me donne rien de devenir gros. C’est mon corps, je suis fait comme ça. – Thomas, patinage artistique Les répondants homosexuels, comme le suivant, n’échappent pas aux mêmes valeurs. 190 J’envie des gars qui ont des beaux corps masculins, donc pas efféminés, qui ont une belle prestance physique et la voix virile qui va avec. J’aimerais que dans le milieu gai, ce côté-là, cette valorisation-là du corps parfait, ou du côté viril, soit un peu diminuée. – Pierre, natation Un répondant solitaire raconte comment l’éjaculation a marqué son appartenance au genre. La première fois que je me suis masturbé... Je me souviens de la sensation qu’à partir de là, je pouvais faire des enfants. Voir mon sperme là, comme ça, ça a été la fois la plus forte probablement. J’avais 11 ans. Il n’y a pas eu d’événements plus marquants. C'est la période où j’ai le plus pris conscience que j’avais des caractéristiques masculines. – Victor, tennis Qu’est-ce donc qu’être masculin ? Répondre à cette question en référant constamment au physique peut sembler satisfaisant de prime abord ou apporter un élément de réponse, mais en réalité nous en restons au même point. Être masculin serait avoir un corps d’homme et avoir un corps d’homme serait être masculin… Pour les solitaires, après le cafouillage du début, le corps est, comme pour les grégaires, le premier facteur déterminant qui apparaît en tant que marqueur du masculin. Ils évoquent souvent les muscles et la pilosité comme signes particuliers de la masculinité, tandis que les grégaires s’en tiennent davantage aux caractéristiques biologiques sans donner de précisions supplémentaires. Être musclé permettrait de se distinguer, de se faire remarquer, d’augmenter son capital social de masculinité. Les représentations traditionnelles de la masculinité influencent les répondants qui semblent tous avoir intégré les mêmes valeurs pour définir le genre masculin : organes génitaux, muscles, poils, pratique sportive et même éjaculation. Selon les répondants, il faut tenir la barre pour ne pas exagérer afin de garder une masculinité crédible et non caricaturale. La masculinité se jaugerait par l’habileté à conserver la mesure acceptable. Pourtant, le juste milieu se perd souvent, car certains groupes plus que d’autres, notamment les joueurs de football, suscitent l’admiration et l’envie. Dans l’esprit des solitaires, les grégaires sont plus masculins. Il existe, chez les solitaires, un « nous » identitaire signifiant « nous les moins masculins qui faisons un sport ordinaire » et un « eux » idéalisé dont la masculinité plus grande suscite l’admiration. En effet, si la masculinité et la virilité se mesurent en fonction de la grandeur physique et de la grosseur des muscles, il n’est pas surprenant que les joueurs de football et de hockey en général de stature plus imposante soient valorisés plus que les autres sportifs. 191 Souvent coincés dans des prescriptions du corps en leur défaveur, si les garçons de notre étude ne peuvent répondre à la norme du physique approprié, il leur faudra autre chose pour contrebalancer. C’est la capacité de réussir au sens général, et en particulier dans le sport choisi, qui comble alors leur sentiment d’avoir un corps qui ne correspond pas au modèle valorisé. Ces garçons ont toujours l’impression de ne pas être à la hauteur et ont tendance à en faire plus pour compenser, ce qui serait le cas de Thomas au physique trop petit selon lui. La plupart des répondants vivraient la prescription sociale de la masculinité associée à la pratique sportive et calculée dans un ratio poids-muscle/taille-performance. À la puberté, le corps peut réserver d’autres révélateurs de la masculinité telle que l’apparition des poils pubiens ou de la barbe, mais la capacité d’éjaculer a été pour quelques répondants le marqueur le plus fort. Cependant, cette « révélation » reste souvent secrète pour les solitaires alors que les grégaires ont souvent pu l’explorer avec d’autress lors de rituels tribaux ou initiatiques. Il serait donc possible d’affirmer que les répondants tant grégaires que solitaires s’en remettent souvent au corps pour déterminer ou confirmer leur genre. Leur corps serait un élément concret auquel se rattacher. Les solitaires parleraient davantage du corps que les grégaires pour définir le masculin. Cela tiendrait sans doute au fait que les solitaires auraient un mode plus individuel d’appropriation et de confirmation de la masculinité puisqu’ils n’ont pas de groupe de référence pour leur renvoyer une confirmation de leur identité de genre. 10.5.3 Le contraire Pour beaucoup de répondants, être un homme, c’est ne pas être une femme… Être un homme, c’est de ne pas être une femme ! Mais je ne me suis jamais dit qu’un homme, ça fait un sport d’homme. S’il veut faire du ballet jazz, qu’il aille en faire. – Sylvain, football De plus, certaines caractéristiques seraient plus attachées à un genre qu’à un autre comme le soulignent les deux répondants suivants. Je pense que la franchise est numéro un. La plupart de mes amies de fille le disent, « vous les gars, quand ça va pas, on va se le faire dire en pleine face ». Les filles, c’est toujours plus par en arrière. – André, soccer C’est très difficile de savoir s’il faut définir la virilité en tant que telle ou en opposition aux valeurs féminines. Une forme de violence, pas nécessairement au 192 sens négatif du terme, mais de l’énergie, une sorte de négligence… – Victor, tennis Voici quelques valeurs typiques telles que le courage et le fait que le masculin élève au dessus des autres. Quand on devient un homme, on définit la différence avec la femme. Je définirais ça par le courage. Un homme avec un « H » majuscule, ce serait quelqu’un qui prend la défense des plus démunis, des plus petits, des femmes. – Félix, hockey Le solitaire suivant donne sa définition des rôles masculins et féminins. Sa vision traditionaliste semble tranchée, bien qu’à la fin, il apporte quelques nuances. Dans ma description, l’homme est souvent défini par rapport à la femme. Les hommes ont une libido plus grande et préfèrent une fréquence plus élevée de relations sexuelles. Les hommes ont un goût plus prononcé pour les sports et les activités à risque élevé (vitesse en auto, motoneige, motomarine, vélo de montagne, planche à neige, parachute, etc.). L’homme a un besoin moins grand d’élever et d’éduquer ses enfants. Il est davantage préoccupé par le fait de subvenir aux besoins matériels de ses enfants. L’homme recherche des emplois où son rationnel et ses muscles sont sollicités. L’homme ressent plus de pression sociale de « performer », « d’accomplir » des choses, de « montrer » qu’il a réussi. L’homme est plus rationnel. Cela fait de lui un être loin de ses émotions et, par conséquent, loin de sa « vraie » nature et de son être entier. Cela en fait une personne plus malheureuse, névrosée. Cette définition concerne l’homme en général, car il y a des hommes qui ont une faible libido ou une voix aiguë et il existe des femmes qui ont une masse musculaire importante et un faible désir d’élever des enfants. – Simon, cycliste D’autres répondants font preuve de plus d’ouverture quant à la ressemblance entre les hommes et les femmes, mais fixent certaines limites qui leur apparaissent infranchissables. Le grégaire suivant, sous des auspices du gros bon sens, affirme que le sport devient une mesure étalon de la réalité. Premièrement, le physique. On dit maintenant que les filles peuvent faire tout ce que les gars font. Moi je dis qu’il y a des affaires pas possibles. Mets une fille dans l’équipe de football, ça ne marchera pas, elle va se faire mal. On est plus fort. Il faut que tu te rendes compte que tu ne peux pas tout mêler ensemble, les gars, les filles. Il faut qu’il y ait des différences. Il peut y avoir du football de fille, mais pas mixte. Quand tu t’enlignes offensive, une fille se ferait mal. Même nous autres, ça nous fait mal des fois. – Jean, football La gestion de l’espace domestique se ferait différemment selon que l'on est une femme ou un homme, comme le précise le grégaire suivant. 193 Dans ma tête, j’ai tout le temps pensé que je ferais plus d’argent que ma femme plus tard. Les femmes vont plus ramasser. Il faut que tout soit tout le temps beau. Un gars laisse ses affaires traîner et ce n’est pas grave. Il laisse son linge sale traîner et ça ne dérange pas. L’entretien ménager, c’est plus une tâche que les femmes vont faire, c’est plus prioritaire la propreté pour elles dans le fond. Avant que nous les gars on trouve ça dégueulasse, ça prend plus de temps que pour elles. – Bertrand, hockey Le souci pour l’esthétisme et la propreté rattaché par les répondants aux femmes semble déranger certains d’entre eux, comme ce grégaire qui ne voudrait surtout pas changer de place avec une femme. Je ne serais pas prêt à changer ma posture pour être une femme. Me casser la tête à tous les 28 jours. Quand elles sortent, c’est toujours une robe différente, toujours une coiffure différente. Ça prend plus de temps. Il y a le maquillage... Les filles, c’est toujours tracassé – Didier, rugby D’autres notent un paradoxe en regard de l’esthétisme et des sportifs : alors que l’esthétisme est associé au féminin, une part importante de l’idéal sportif porte sur le corps parfaitement découpé . Il y avait un gars qui faisait des niaiseries. Il faisait du bodybuilding, il était vraiment musclé. En plus, il était bronzé, il faisait des compétitions de bodybuilder. Il fallait qu’il se rase sur tout le corps. Quand il est arrivé à l’école avec les aisselles rasées, le ventre rasé, puis les jambes rasées, il a été listé comme gai tout de suite. Il n’y a pas plus gai que ça. En plus, il faisait de la gymnastique. – Benoît, frisbee extrême Ne pas faire attention à son allure ou à son aspect extérieur, c’est masculin. Le contraire de ce que font les femmes en s’épilant. C’est paradoxal par rapport à l’esthétisme que l’on cherche quand on va au gym. Un maquillage, c’est quelque chose d’extérieur, donc l’activité dans un gymnase est une volonté esthétique dans un sport, ça s’intériorise plus parce que c’est le corps en lui-même qui change. – Victor, tennis Voici ce que pensent les solitaires de l’esthétisme et de son lien avec la féminité. Ceux qui font trop attention à leur corps, ceux qui deviennent complètement imberbes… ça devient complètement l’inverse de la virilité. Pour moi, quand ça sent trop le plastique, le parfum… ça devient féminin. Il faut faire attention à son corps, mais pas trop. – Pierre, natation La virilité, c’est l’apparence. Quelqu’un qui n’est pas trop frêle, qui va être bien bâti, qui va avoir une voix grave, qui ne sera pas maquillé, qui n’a pas des cheveux longs de fille, qui va avoir du linge de gars, qui n’aura pas de boucles d’oreille. Quelqu’un qui est complètement épilé, ce n’est pas masculin. Quelqu’un qui va être préoccupé beaucoup par son aspect esthétique, son visage, sa peau, les poils, ce n’est pas très masculin, c’est même très féminin. – Simon, cycliste 194 Moi, jamais je ne me suis mis de crème. Quand y a un bouton, je vais l’éclater. Je comprends que des fois, elles [les filles] doivent péter les plombs. Je suis extrêmement tolérant vis-à-vis les filles. Les filles, ça représente la grâce, tout ce qui est beau, les hommes tout ce qui est physique. – Didier, rugby Les grégaires, comme les solitaires, voient la masculinité et la virilité en opposition à la féminité. Si les femmes sont frêles et faibles, les hommes seraient robustes et forts. Si les femmes ont peu de poils, les hommes en auraient plus. Les qualificatifs dits féminins ne seraient pas différents de la masculinité, ils seraient contraires. À l'extérieur du terrain sportif, la vie quotidienne permettrait aussi de constater l’opposition entre les hommes et les femmes. Aux femmes appartiennent les tâches domestiques, l’esthétique, la grâce et les tracasseries qui demanderaient aux hommes de la patience. Aux hommes appartiendraient la simplicité et la robustesse. Le souci pour l’esthétisme est particulier, car pour certains répondants, la pratique de la musculation, qui tend à viriliser le corps en le musclant, serait pour plusieurs une démarche esthétique en contradiction avec son objectif. De plus, non seulement la pilosité serait-elle une préoccupation dans les rituels, mais elle entrerait aussi dans la définition que donnent les sportifs au masculin. Ce qui permet de mesurer à quel point le rasage du corps et surtout des organes génitaux lors des initiations, revêt un caractère humiliant en féminisant les recrues, en particulier chez les plus jeunes, pour qui la pilosité nouvelle est le signe le plus marquant de l’appartenance au genre. Notons que la mode du rasage du corps qui semble avoir court actuellement chez les jeune hommes ne fait que confirmer en quoi le poil est important comme signe de maturité sexuelle. En effet, les jeunes hommes qui se rasent le corps ou qui « contrôlent » leur pilosité, le feraient pour garder une apparence jeune et non dans le seul but esthétique ce qui les féminiserait (Duret, 1999). Cette question mériterait d’être fouillée davantage. Les réponses et les commentaires qui associent l’esthétisme et la féminité sont plus nombreux chez les solitaires. Comme l’indiquent leurs réponses, les solitaires seraient plus préoccupés par la féminisation qu’apporterait l’esthétique que les grégaires. Sitter (1999), dans son étude sur le marketing des produits de beauté pour hommes, avait montré que ceux-ci n’acceptent de consommer des produits cosmétiques et de soigner leur apparence qu’en contournant le stigmate homosexuel et la féminisation potentielle qu’amènent les considérations pour les soins esthétiques. Notre recherche semble confirmer ces constatations. La peur du féminin ressort ici comme faisant partie d’une des composantes importantes de la masculinité des sportifs. Les caractéristiques dites féminines seraient à éviter le plus possible. Il y a dans cette peur du féminin un autre signe de la conformité au modèle de masculinité hégémonique. 195 10.5.4 Les rôles et les attitudes traditionnels Quels sont les rôles et les attitudes qu’il faudrait avoir quand on veut être un homme ou du moins ressembler au modèle de masculinité de sa culture ? Quelles sont les choses qui se doivent d’être évitées ? Quelles gestuelles et attitudes un jeune homme doit-il maîtriser ? Voilà les questions auxquelles il sera possible de répondre au cours de cette partie. Il y a d’abord la manière de positionner son corps. Il pourrait y avoir des joueurs qui ne sont pas virils, mais s’ils y travaillent, je ne verrais pas pourquoi ils ne changeraient pas. J’avoue que ça dépend des positions sur le terrain aussi. Un receveur de passe doit être plus agile qu’une défense. – Laurent, football J’ai adopté toutes sortes d’affaires comme des positions plus viriles, une démarche plus virile et de toujours me corriger. Je regardais comment bougeaient et faisaient les autres gars et je les copiais. J’imitais ce que je trouvais plus viril. Il y a des façons de s’asseoir, de marcher... Il y avait des hommes qui étaient plus virils que d’autres. Peut-être parce qu’ils avaient une carrure plus carrée que d’autres ou qu’ils avaient l’air plus confiants en eux ou qu’ils savaient comment s’asseoir et marcher. – Manu, baseball, hockey Puis, il faut maintenir les jambes écartées. – André, soccer Mettons comme croiser les jambes, il y en a qui se croisent les jambes ensemble, mais il ne faut pas. Il faut les croiser avec la cheville accotée sur le genou. La virilité, c’est dans la parure et comment un gars peut se tenir, son allure... Il y a des gestuelles qui sont plus associées au masculin. Il y a plein de points comme ça auxquels j’essaie de faire plus attention, comme de ne pas me plier les poignets et m’asseoir les jambes écartées. – Bertrand, hockey Être un homme, c’est quelqu’un qui s’asseoit les jambes écartées, plus relâchées sur sa chaise. Je me suis regardé. J’avais les jambes écartées. On s’assoit les jambes écartées pour reposer notre truc. Il faut le montrer. Didier, rugby Il y a des amis qui disent : « Ne mets pas tes jambes de même, ça fait fif ». – Jean, football. Les répondants semblent asseoir la masculinité sur des critères précis. Ils sauraient qu’elle est bel et bien réelle et elle leur inspire le respect. Des solitaires et des grégaires racontent. Je pense que, dans un bar, les plus machos sont ceux qui vont se tenir le corps droit, qui ne feront jamais d’excès, qui vont avoir un langage assez dur, assez macho. C’est dans sa façon d’être, dans sa prestance. Il y a un langage corporel très fort. C’est quelqu’un qui ne montrera pas ses sentiments. C’est l’attitude générale, qui fait que l’on est un homme ou pas. C’est juste la façon de s’asseoir à table, tantôt je t’attendais, puis y avaient des gars qui fumaient la cigarette, tu sais la cigarette accotée dans le doigt, le torse bombé, la tête haute, tu le sais, tu le vois tout de suite. Ensuite, c’est surtout l’apparence. Quand tu vois quelqu’un qui a plus une allure masculine, tu peux dire « lui c’est un homme ». – Paul, football 196 Je suis capable de dire si un gars est plus viril qu’un autre. Si on voit quelqu’un de bien poilu. Quelqu’un qui fait son dur, je vais dire à la blague qu’il est viril. Mais ça va vraiment être avec les symboles sociaux. – Éric, hockey Savoir retenir ses larmes serait, notamment, un signe de virilité. Les caractéristiques de la virilité seraient de ne pas pleurer. J’ai déjà pleuré devant ma blonde, puis après évidemment, j’avais eu honte. Un homme, même s’il a mal, il ne le dira pas. J’avais tellement été rejeté par tout le monde que je me suis conditionné. – Manu, baseball, hockey Moi je me retiens, quand j’arrive pour pleurer. Je suis encore sous l’effet qu’un homme ne braille pas. – Sylvain, football Un homme, c’est quelqu’un qui arrête de pleurer à deux ans. – Didier, rugby Certains rapportent des gestes pouvant comporter des risques pour leur vie afin d’affirmer leur masculinité à leurs yeux et à ceux des autres. Quand j’étais jeune adolescent, j’avais besoin d’une pompe pour l’asthme et je ne voulais la prendre parce que je voulais être comme les autres garçons. Il fallait vraiment que je sois comme les autres. Je voulais être avec eux. Je voulais aller courir avec les autres petits gars. C’était une question d’orgueil, de fierté que je sois à côté d’eux. – Benoît, frisbee extrême Comme en témoignent les répondants suivants, certains rôles de genre semblent appartenir aux hommes dont, traditionnellement, ceux de pourvoyeur et de travailleur détenant un pouvoir. Être un homme, c’est premièrement savoir ce que tu veux faire. Dans le sens d’être capable de prendre tes décisions par toi-même. Avoir au moins un minimum de respect des autres. C’est quelqu’un qui travaille fort, qui fait des sacrifices. – Paul, football L’homme a plus la responsabilité de protéger. C’est peut-être un peu simpliste, mais c’est un peu comme les hommes des cavernes… puis ça toujours été comme ça. L’homme ramène à manger, nourrit, loge... – Bertrand, hockey La masculinité est bien sûr aussi une affaire de sport exprimé par la force et l’agressivité notamment. Quand je pense à la virilité, je pense plus à la force brute, je pense à quelqu’un qui est capable… Tu as la force… Il faut que tu sois méchant, il faut que tu sois agressif avant l’autre joueur pour pouvoir le pousser. À la limite, il faut que tu pètes ta coche, faut que tu sois choqué, mais sous contrôle… – Manu, baseball, hockey Les répondants suivants dressent une liste des choses qu’il faut faire et des qualités qu’il faut posséder pour se sentir un homme au sein de groupes d'hommes. 197 Être flashé, c’est viril. La confiance en soi, c’est très, très viril. La loyauté aussi. Avoir des amis de gars, c’est très très viril. Les quatre gars qui se tiennent ensemble, c’est viril, mais en même temps, il faut toujours que ça n’ait pas l’air gai. Les risques que l’on prend à faire des conneries, on n’en parle pas, c’est juste entre gars. On fait toujours pareil. S’il y en a un qui a une blonde, il faut absolument que les autres aient une blonde, puis on commence à comparer qui a la plus belle blonde. – Benoît, frisbee extrême C’est rare qu’une femme va dire qu’elle aime prendre une brosse avec ses chums. Un homme va être plus rude, plus cowboy. Un gars viril doit avoir une dose de machisme. Du genre pas la grosse voix, ce n’est pas ça. Avoir des gros muscles, prendre de la place, parler de femmes, parler de chars… Ça, c’est viril. Parler de musculation. – Thomas, patinage artistique Il y a la force, la tempérance, une résistance à l’effort, une certaine stabilité, une certaine continuité. Être capable de résister. En gardant le cap tout le temps. La détermination serait un trait de caractère que j’associerais à un caractère viril. Une sorte de courage. – Victor, tennis Un homme viril, c’est fort. Il sait où il s’en va, il regarde droit en avant, il a des projets dans la vie, il a un but et va droit à son but. Il n’exprime pas ses émotions. – Mario, natation C’est quelqu’un qui pète au lit, qui rote, qui bat sa femme. – Didier, rugby D’autres insistent davantage sur des aspects positifs de la masculinité et remettent en question certains aspects du modèle traditionnel en apportant certaines nuances, surtout les solitaires. Certains de leurs commentaires s’inscrivent dans la mouvance de la remise en question des rôles traditionnels. Pour les répondants, il y aurait un double discours qui corroborerait Connell (2005). L’identité masculine serait aussi situationnelle. Les jeunes hommes adopteraient des rôles plus stéréotypés avec la bande de copains alors qu’en privé, ils semblent se « ramollir » quant à la conformité au genre. Être homme pour moi, c’est quelqu’un qui se respecte, puis qui respecte les autres… – Marc, football La virilité étouffe. C’est comme un monde qui nous est imposé. Trouver des alternatives, ce n’est pas évident. – Pierre, natation Les rôles sexuels sont différents pour les hommes, pour les femmes. On dirait que je suis pris entre les deux. Tout le monde me dit que j’ai un côté féminin développé. Pour moi, c’est comme des stéréotypes de rôles. – Éric, hockey Je pense que ça a changé beaucoup avec les années. Un homme avant c’était quelqu’un qui pourvoyait aux besoins de sa femme et de sa famille. Je crois encore un peu à ça, mais pas à ce qu’un homme doit faire vivre sa femme. Ma blonde et moi, on fait le même salaire. – Thomas, patinage artistique Mais moi, en même temps, ce n’est pas des qualités [ne pas pleurer…] que je recherche. Je ne considère pas que c’est positif, au contraire. C’est important d’avoir un but dans la vie, mais si tu deviens obsessif, ce n’est pas mieux. Ne pas exprimer ses sentiments, je considère que c’est néfaste. J’ai besoin de brailler. Un homme, ça pleure. – Mario, natation 198 Avec les années et l’évolution sociale, beaucoup de choses cesseraient d’être taboues. La capacité de pleurer est restaurée, les côtés « féminins », réhabilités. Pour les solitaires, la masculinité devient plus aisément une affaire de compétence individuelle. Plus je vieillis, plus je m’aperçois que l’on est pareil hommes et femmes. On a certains désirs, certaines choses de base que l’on peut communiquer. C’est sûr qu’il y a des attitudes qui sont plus féminines, la dépendance, mais encore là, il y a beaucoup de gars dépendants aussi. Être homme, c’est propre à chaque personne. La virilité, c’est quelque chose d’assis en soi.(…) Plus souvent, on va associer des qualités à l’homme dans la société comme pourvoyeur… C’est le classique, mais je dirais qu’une vraie puissance, c’est quelqu’un qui va se connaître et non pas quelqu’un qui casse tout. Je dirais qu’avant tout ce qui est important comme homme, c’est d’être centré et de savoir où je m’en vais. – Hervé, aviron Les garçons de notre recherche apprendraient comment s’asseoir en observant les autres et en les imitant. Il existerait tout un code de conduites à suivre, notamment avec les jambes. Se laisser tomber sur son siège, maintenir un large écart entre les genoux et garder les cuisses bien écartées est souvent l’attitude masculine la plus nommée. De plus, les postures du corps seraient des marqueurs de territoire, une façon de prendre sa place auprès des autres garçons et auprès des femmes. La conquête du territoire est aussi une caractéristique de la masculinité hégémonique. Il semblerait cependant que les codes de jambes soient plus une affaire de grégaires puisqu’un seul répondant solitaire a fait part de telles préoccupations pour définir le code de la masculinité. Une fois que le jeune homme sportif sait comment s’asseoir, placer ses jambes et ses poignets, il lui faut maintenir cette manière de faire, quelle que soit la situation. Ce n’est pas qu’une question de gestuelle ou d’impression, mais plutôt une question de se sentir masculin. Le grégaire (ou le solitaire), doit pouvoir donner aux autres l’impression qu’il est masculin, viril. Ce code qui dicte comment s’asseoir, comment marcher ou comment se tenir en public et même la manière de fumer représente autant de signes extérieurs de ce que les sportifs identifient comme marqueurs de masculinité. Le sentiment d’être un homme ne repose pas uniquement sur ces quelques artifices. Il existe, selon les répondants, d’autres codes plus « psychologiques ». Notamment, il faut avoir « le mental », comme disent les sportifs. Avoir le mental ou la mentalité, c’est souvent ne pas pleurer, même dans de grandes douleurs; un homme doit, selon ce code, rester stoïque et retenir ses larmes. Beaucoup de répondants feraient des liens entre l’expression des émotions et la féminité. En fait, ils auraient honte d’exprimer d’autres émotions que la colère et la rage. Lorsqu’ils contreviennent à ce code, la honte les habite, comme le rapporte Manu qui a pleuré devant son amie de cœur. Cela 199 confirme les recherches de Dulac (2001) et Rondeau et Keefler (2003) qui nomment la honte comme l’émotion dominante chez les hommes. La situation peut se complexifier davantage pour les garçons sportifs quand ils auraient, en plus, à composer avec un handicap ou une faiblesse particulière qu’ils refuseraient de pallier, afin de se sentir égaux aux autres. Une maladie ou une faiblesse seraient inadmissibles, à moins de les affronter seul et sans aide. La différence dans l’expression de la masculinité est difficilement supportable pour les sportifs, surtout pour les grégaires. La différence rend les sportifs vulnérables, comme le seraient les femmes à leurs yeux. La différence les éloignerait des standards de la masculinité. Les caractéristiques de la masculinité, selon eux, seraient la capacité à endurer stoïquement la douleur, le compagnonnage et les valeurs typiques de la fratrie en plus de la dureté, de la droiture, du courage et le fait d’être un bon pourvoyeur. Il faudrait, selon certains répondants rester « sous contrôle ». Comment est-il possible d’exprimer la colère et de rester sous contrôle ? La colère et la violence ne sont-elles pas, à l’inverse de ce que semblent penser quelques répondants, des prises de pouvoir, voire des tentatives pour garder le pouvoir ? (Gagnon, 1996). Pour se définir comme masculins, les sportifs interrogés admireraient, voire chercherait souvent à imiter les rôles et les attitudes traditionnels. Pour de nombreux répondants, la masculinité serait un travail de tous les instants. Les garçons s’observent, se « surveillent » et guettent les autres. En fait, les garçons s’emploient à éviter d’ « avoir l’air fif ». La masculinité est une œuvre sur laquelle les jeunes sportifs font des retouches continuelles. 10.5.5 La séduction Certains répondants incluent la séduction dans leurs critères de masculinité. En effet, il semble que la capacité de se séduire au sens large, de séduire d’autres hommes (de manière non sexuelle) et de séduire les femmes soit importante pour les jeunes hommes. Je ne suis pas homosexuel, mais je suis capable de juger un beau gars et un moins beau. Il y a des liens avec le physique, si c’est un petit gros, il a moins de chance. Un gars qui va se ramener souvent des filles est souvent plus beau que les autres. Pour charmer, il faut être beau. Il y en a qui ont plus besoin de séduire et d’autres qui vont attendre le bon moment, la bonne fille. Ils vont préférer être avec leurs amis. Ils vont moins avoir le besoin de se sentir désirés. Un homme, c’est quelqu’un qui va bien paraître, peu importe comment il est. Il n’est pas obligé d’être super costaud, du moment qu’il pogne. – Bertrand, hockey 200 J’aimerais ça que les gais soient autrement, mais d’un autre côté quand je sors dans un bar, j’aime quand des beaux gars viennent me regarder. Pierre, natation Le gars qui va se considérer viril, c’est un gars qui va coucher avec une ou des femmes. – Thomas, patinage artistique Je me suis senti homme quand la relation avec ma blonde a été très forte ou très, très intense. Je me suis rendu compte que j’étais un être humain sexué, qu’elle était une fille et que j’étais un gars. – Victor tennis La séduction et les performances sexuelles avec l’autre sexe permettraient parfois de renforcer l’identité masculine. Ces questions de performances sexuelles sont plus rarement évoquées par les grégaires que par les solitaires. Cela sans doute parce que, pour les grégaires, ce sont les performances collectives qui importent et le mode de fonctionnement en groupe. Rappelons que les grégaires disposent de rituels initiatiques et tribaux pour comparer leurs performances sexuelles. Dans ce sens, les rapports hétérosexuels ne leur seraient que peu utiles pour démontrer leurs capacités et leurs performances. Quant à la séduction comme telle, les jeunes hommes sont très conscients de leur propre beauté et de leur capacité de séduction. Ils sont capables de s’autoévaluer dans bien des domaines dont leur propre masculinité. C’est un jeu de mirroring comme l’avait évoqué alan Klein (1993) ou encore cela fait partie du processus de la construction identitaire décrite par Erikson (1972), ce qui nous amène à la section suivante où nous verrons comment les sportifs cotent leur masculinité sur une échelle de 10. 10.5.6 Sur une échelle de 10 Durant les entrevues, l’une des questions posées aux jeunes hommes sportifs était la suivante : « Sur une échelle de 1 à 10, 10 étant le maximum de masculinité et de virilité, à combien vous évalueriez-vous ? » Par la suite, nous cherchions à comprendre quels sont les cheminements et les raisonnements qui amènent les répondants à se donner une cote. Les grégaires suivants se racontent. Je me mettrais à 7 sur 10 parce que je suis un peu macho, mais aussi sensible, alors ma sensibilité, c’est sûr que ça m’enlève des points. – Sylvain, football Je me mettrais 4 parce que je fais plein d’affaires de filles comme magasiner, me parfumer, me mettre du beau linge… – Félix, hockey Je dirais 7. Mais viril c’est plus carré que les autres. – Jean, football Je me mettrais 6 pour la virilité. Parce que je suis patient. J’aime mieux que la fille soit intéressante. Je m’intéresse à plein de choses, je peux écouter de la musique classique, j’aime être avec des filles. Après l’entraînement, j’aime prendre ma douche, me sentir propre, pas comme si je sortais du bois. J’aime des affaires comme la gymnastique, le patinage artistique, même s’il y en a qui disent que c’est des affaires de fifs. – Paul, football 201 Le grégaire suivant apporte une nuance intéressante quand il raconte comment il se donne la note de 7 sur 10. Les prouesses sexuelles dont il est capable neutralisent les éléments féminins qui lui enlèvent des points. Je me donne 7 parce je ne pouvais pas me donner 10 au départ. Je te dis qu’avec ma blonde, je suis vraiment en forme, même si c’est moi qui fais le lavage. Je ne suis pas macho, même si je pense comme ça et que je fais des farces de fifs. – Antoine, football Quand il dit « en forme », il parle de sexualité. Le clin d’œil qu’il fait et le sourire en coin qu’il affiche en entrevue sont sans équivoque. Pour ce qui est des solitaires, les choses sont un peu différentes. Les solitaires verraient les qualificatifs dits féminins plus négativement que les grégaires. Je me mets 9 parce que j’ai beaucoup travaillé pour me viriliser. J’ai observé des gars pour voir comment ils bougeaient. C’était plus inconsciemment, mais je l’ai fait. C’est arrivé des moments où je contrôlais ma voix. Je faisais attention pour ne pas que ma voix monte trop haut ou de pas parler trop vite. Ça arrive que des gars vont me reprendre. Je me sens un peu mal dans ce temps-là. C’est comme si j’avais fait une erreur. – Simon, cycliste Je me mettrais à 8 à cause de ce petit côté fragile… J’ai suivi un peu la philosophie orientale, le yin et le yang. C’est important de cultiver ces deux facettes en nous. On est tous 50/50, mais socialement, je me suis construit à 8. Pourquoi 8 ? Peut-être l’attitude, la voix ou… Je ne suis pas le trop viril à cause de cette fragilité-là justement. – Richard, natation Le type de relation de couple influence également sur la note finale pour les solitaires. La notion traditionnelle de l’homme pourvoyeur refait ici surface. Je mettrais à 5, vraiment pas plus, parce que je considère que je suis un couple moderne. Avec ma copine, on prend autant les décisions l’un comme l’autre. On va payer nos affaires. Je vais faire la vaisselle. Je vais faire mon souper. Je ne veux pas qu’elle fasse mon lavage, je suis capable de le faire. On est deux personnes autonomes. On ne soumet pas l’autre à ses ordres. Certains hommes veulent avoir une petite femme soumise, pas moi. – Thomas, patinage artistique J’y vais pour 7. Pas très viril, mais… pas particulièrement peu viril non plus. – Victor, tennis Je me mets 8. Il n’y a pas vraiment de raison. Je voudrais bien être à 18, puis être super viril, mais je sais aussi que je parle avec des intonations, je bouge beaucoup mes mains quand je parle…. – Pierre, natation Aujourd’hui, ça a diminué. Quand j’étais plus jeune, c’était 9 probablement et aujourd’hui 7, parce que je me suis accepté comme gai. Je me suis mis en contact avec mon côté féminin. Ça n’a jamais paru que j’étais gai, mais j’ai des amis qui m’ont dit qu’ils pouvaient le deviner parce que je n’étais pas trop attiré par les femmes. – Édouard, badminton 202 La pratique sportive semble marquer la masculinité chez les grégaires. Quand je m’entraîne, j’y vais à fond pour me viriliser. – Jean, football. Sur une échelle de 1 à 10, je me vois plus à 7. Je suis un petit peu macho. J’ai un petit côté fier, fier de m’entraîner, fier de bien paraître, je veux être gros [musclé]… Mais en même temps, je ne suis pas viril à 100 %. – Marc, football Sur une échelle de 1 à 10 pour la virilité, je me mettrais 7 pour la confiance. – Daniel, football J’ai déjà été plus viril : la tête rasée, le visage plus dur, plus fort... J’étais peutêtre dans mon top. J’avais poigné le 8,5 ou 9 parce que j’étais assez lourd. Mais là, dans ma virilité, je dirais que je suis moins viril physiquement. Je demeure quand même un homme, mais c’est plus entre les deux oreilles que ça se passe. Je vais plus avoir un comportement d’homme, je vais savoir plus comment me comporter en homme. Je me donnerais sept points. Je ne voudrais pas être prétentieux, mais en même temps, je ne voudrais pas être trop bas. J’ai travaillé fort pour m’améliorer. Je suis parti de loin. Je me suis construit vraiment tout seul. – Manu, baseball, hockey Enfin, le désir d’être en groupe serait un élément constructeur de l’identité masculine. Le répondant suivant voit même quelque chose de féminisant dans son désir de solitude. Je me situerais probablement dans le 5 ou 6, parce que le fait que je sois très, très solitaire par moments, que je sois un gars qui soit particulièrement bête… À chaque fois que je suis dans des affaires de concours de virilité entre gars, je suis poche. Mettons que l’on est environ cinq gars et que l’objectif est de se pogner une fille. Moi, je n’ai pas tellement de succès parce que je suis un gars qui est plutôt froid. Quand je parle aux gens, je suis vraiment fermé. Je ne dois pas être très, très viril, selon les critères. Il y a des gars qui sont beaucoup plus virils que moi parce qu’ils travaillent. Ils ont des bonnes jobs, ils sont musclés. Moi, je ne suis pas très musclé, je ne travaille pas. Je n’ai pas de char. Je me sens bien avec ce que j’ai, selon mes critères à moi. Mais juste parce que je suis loyal, je suis un maniaque de ça, je pourrais monter de cinq, six ou huit. – Benoît, frisbee extrême Le répondant suivant révèle dans sa réponse que le cinéma transporte les modèles de la masculinité idéale à laquelle il est difficile de ressembler. Sur une échelle de 1 à 10, je me mets 8 et même 9. Dix étant le modèle de l’acteur de cinéma. – Laurent, football De son point de vue, ce répondant n’est pas loin de ressembler à la perfection au modèle de masculinité véhiculé par les médias. En effet, il fait tout pour se rapprocher de la masculinité telle que vue au cinéma. Vouloir ressembler aux modèles de masculinité présents dans les médias serait cependant plus une caractéristique des solitaires, tandis que les grégaires cherchent plutôt à se ressembler entre eux comme on vient de le voir. Cela ne veut pas dire que les modèles médiatiques n’ont pas d'importance pour eux, mais simplement que la complicité et la contagion avec le groupe sont plus significatives dans leur vie. 203 La moyenne des résultats pour les deux groupes réunis est d’environ 7 sur 10. Les solitaires ont tendance à se coter légèrement plus haut que les grégaires, soit à près de 8 sur 10 alors que les grégaires se cotent autour de 6 sur 10. Ce n’est pas tant le résultat absolu qui compte ou qui est révélateur, même s’il indique en fait que les sportifs se sentent en conformité avec les modèles qu’ils idéalisent, mais davantage la manière dont les répondants s’autoévaluent. On constate que les sportifs s’enlèvent des points pour chaque élément identifié « féminin » chez eux. Dans leur processus d’autoévaluation, aucun sportif ne s’est attribué la note de 10. Presque tous — grégaires comme solitaires — ont considéré que 10 était un peu présomptueux. Leur point de départ était donc 9. Ensuite, ils s’enlevaient des points pour chaque comportement, attitude ou qualificatif dits « féminins » qu’ils considéraient comme autant de handicaps invalidant ou neutralisant leur masculinité. Les sportifs auraient une liste de qualificatifs féminins et masculins bien définis. Parmi les attributs associés au féminin, mentionnons : la sensibilité (qui passe souvent pour de la sensiblerie), un intérêt pour les choses à caractère esthétique (l’art, la danse, le ballet ou la musique classique), le fait d’aimer être propre et de sentir bon, accomplir certaines tâches domestiques et aimer magasiner. Du côté des qualificatifs masculins se retrouve : la loyauté, le grégarisme, la confiance en soi, la capacité de séduction, l’accomplissement de prouesses (notamment sexuelles), la fierté, l’agressivité, la droiture et la force physique et mentale. La peur du féminin se révèlerait dans leur manière de se retirer des points de masculinité à chaque qualificatif perçu comme « féminin » qu’ils possèdent. Pour se conformer au modèle de masculinité hégémonique, les sportifs développent tout un système de rejet du féminin. Les performances sexuelles marqueraient la masculinité et la virilité pour plusieurs répondants. Les tâches domestiques réduiraient cette masculinité qu’il faudrait « construire ». En effet, plusieurs ont dû « travailler » pour construire leur masculinité. Les mêmes valeurs et processus ont cours chez les solitaires à la différence que ceux-ci sont un peu plus attachés au sens négatif des qualificatifs dits féminins. De là à conclure que le partage des tâches domestiques fait perdre des points de masculinité, il n’y a qu’un pas. Trois répondants homosexuels considèrent que leur orientation sexuelle affaiblit leur cote de masculinité. C’est comme si l’homosexualité révélait obligatoirement des aspects féminins chez un homme. De plus, le désir de conformité ne semble pas avoir de limites puisque l’idéal pour certains répondants se situe au-delà même de 10/10, le tout renforcé par un corps musclé. L’expression qu’ils utilisent « Je veux être gros » est caractéristique dans le milieu sportif masculin. On l’aura deviné, il ne s’agit pas de graisse, mais de muscles. Pour le grégaire, le poids et la masse musculaire sont des marqueurs de la masculinité et permettent 204 d’augmenter leur cote. De plus, ici encore les répondants confirment que la prise de masse musculaire permet même de changer la façon de penser et procurerait une confiance en soi et une fierté qu’il serait difficile d’acquérir autrement. Revoilà encore l’idée d’une construction de la masculinité évoquée par les répondants eux-mêmes. À quoi tiendrait la masculinité sinon à une gestuelle et à un ensemble de valeurs qu’il faudrait apprendre ? Où et comment le garçon apprendrait-il les codes, les règles qui lui imposeraient une façon de se croiser les jambes ou de ne pas plier son poignet ? Comment sait-il qu’il doit se garder d’avoir l’air homosexuel ou, au moins, éviter les gestes le féminisant ? Il apprend ces choses sans doute de la même manière qu’il apprend à choisir ses vêtements ou à pratiquer son sport favori, c’est-à-dire par l’influence des hommes adultes significatifs pour lui, des idoles sportives, des compagnons de jeu et des représentations sociales avec lesquelles il est en contact. La forte carrure et la musculature développée seraient souvent associées à l’apparence d’hétérosexualité et de masculinité. La plupart des sportifs tendent vers une conception de la masculinité traditionnelle — au sens où l’avaient définie Dulac (1991, 1997, 1999, 2001), Duret (1999), Falconnet et Lefaucher (1975), Kann (1998), Mosse (1997), Saouter (2000) ou Tremblay (1996) —, confirmée par leur processus d’autoévaluation de leur cote de masculinité. Pour les grégaires, l’accent est mis sur la conformité au groupe d’appartenance et le mimétisme avec ce groupe. Pour les solitaires, il y aurait davantage de place pour la dissidence et l’expression des appétences personnelles dans la mesure où la dissidence resterait dans les limites fixées par la masculinité reconnue par eux et leur milieu social comme valide. Une masculinité dans tous les cas proche du modèle de masculinité hégémonique définie par Connell (2005). Les répondants sont en conflit de rôle de genre. La cote de masculinité qu’ils se donnent témoigne de leur insatisfaction face à leur masculinité. Ils vivent un conflit entre le modèle idéal de masculinité attendu parfois aussi élevé qu’à 18/10 pour ne se donner que 6/10 ou même 4/10. Ils doivent donc travailler et construire leur identité avec les « matériaux » à leur disposition. Parmi ces matériaux l’activité sportive est un choix de premier ordre. Pourtant, dans ces idéaux de masculinité qui semblent rigides, il y a place aux changements. En effet, plusieurs répondants vivent un clivage entre la masculinité en privé (avec leur conjointe) et celle vécue en public avec les copains. De plus, plusieurs répondants aiment certains qualificatifs dits féminins qu’ils possèdent tels que la fragilité, aimer sentir bon, faire les tâches domestique… et ce peu importe qu’ils soient grégaires ou solitaires. Une intervention ciblée n’aurait à la limite qu’à changer la perception qu’ils ont de ces caractéristiques pour mettre fin à leur conflit de rôle de genre. 205 Tableau 9. Comparaison des marqueurs de la masculinité Les Grégaires Les Solitaires La confusion Identique chez les deux profils Le corps La musculature développe la masculinité Le contraire Peur du féminin Un homme est le contraire d’une femme Le féminin est un moins Esthétique = féminisation Homosexualité=féminisation La solitude féminise La solitude ne féminise pas Attitudes et rôles traditionnels Comic book masculinity Répression des émotions (ne pas pleurer) Endurer la douleur physique ou morale Masculinité à prouver continuellement Les sports collectifs sont les vrais sports Prouesses sexuelles et sportives augmentent la masculinité Complicité (Fratrie, loyauté) Complicité avec une gente avec un groupe de masculinimasculine floue sation (équipe) Masculinisation par mimétisMasculinisation par mimétisme intracommunautaire me orienté vers un modèle médiatique Masculinité épanouissante Masculinité potentiellement étouffante Autoévaluation 7/10 Autoévaluation 8/10 206 11 CONCLUSION Cette recherche avait pour objectif d’approfondir le rôle de l’homophobie, de l’efféminophobie et des rituels initiatiques dans la construction du genre masculin chez des jeunes hommes pratiquant un sport individuel ou collectif. Elle voulait particulièrement 1 — Mieux comprendre comment, dans le cadre de la participation à un sport, les normes de la masculinité sont générées, réinterprétées, transmises et imposées à travers les interactions entre les jeunes hommes, 2 — Mieux comprendre comment le non-conformisme de genre (la féminité chez un garçon) ou d’orientation sexuelle est catégorisé puis stigmatisé ou, à l’inverse, comment le conformisme de genre est valorisé, 3 — Explorer comment l’homophobie et l’efféminophobie se manifestent chez les jeunes hommes, en particulier par l’entremise de l’activité sportive et, 4 — Explorer comment les représentations sociales de la masculinité influencent la construction de l’identité masculine chez les répondants. La réponse à ces objectifs se retrouve dans plusieurs aspects abordés au cours de la thèse. Il n’est pas possible de dire que tel aspect ou tel autre de la pratique sportive répond totalement ou uniquement à un objectif ou un autre. Par exemple, le premier objectif et le quatrième se retrouvent dans les motivations à la pratique sportive (section 10.2) et dans la section (10.6) où les répondants tentent de donner une définition à « qu’est-ce qu’être un homme ». En effet, les jeunes hommes pratiquent tel ou tel sport, collectif ou solitaire, parce que celui-ci, à leurs yeux, les masculinise. À titre d’illustration, la pratique du football serait celle qui masculinise le plus parce que le football est perçu comme le plus masculin de tous par à peu près tous les répondants, grégaires comme solitaires. Nous pouvons dire que la pratique du football contribue à construire l’identité de genre, qu’elle contribue à générer les normes de la masculinité, à les réinterprétées, et à les transmettre et imposées chez les répondants et que cette identité est nécessairement liée aux représentations sociales de la masculinité et du sport. Ainsi, cela nous permet de conclure également que le choix d’utiliser les représentations sociales dans notre cadre théorique était judicieux puisque constamment, les répondants font référence aux représentations sociales, qu’ils ont ou que l’on leur impose de la masculinité, pour expliquer leurs motivations à la pratique de tel ou tel sport. En effet, quand ils tentent de donner une définition à la masculinité, ce qu’ils font avec peine, les répondants font référence aux images de masculinité qu’ils ont à leur portée. Cela est davantage vrai pour les solitaires puisque leur référant symbolique de la masculinité est influencé directement par les référents médiatiques alors que les grégaires filtrent leurs réfé- 207 rents et leurs représentations sociales par l’entremise de leur groupe d’appartenance. Cela amène à conclure également que le choix du constructivisme et de l’interactionnisme symbolique était approprié, car les répondants ont montré que leur identité de genre se construisait par l’activité sportive et par les symboles, le sens qu’ils donnent à leurs activités et à leurs rituels. L’identité masculine ne leur a pas été donnée d’emblée à la naissance, malgré les signes anatomiques, et ce, une fois pour toutes. L’identité masculine est constamment remise en cause dans les interactions que les sportifs ont avec leur entourage. Les sportifs tentent constamment de coller adéquatement à la représentation idéale (symbolique) qu’ils ont de la masculinité. Plusieurs sportifs affirment qu’ils ont tout fait pour se changer, pour copier les autres, pour agir comme eux, pour adhérer au bon groupe représentant les hommes les plus masculins afin de construire idéalement leur identité. Le processus débute, dans de nombreux cas, par une transformation du corps. Corps qu’ils ont, souvent de leurs propres aveux, construits à l’image du modèle symbolique idéal et parfois même de manière extrême pour ne pas dire caricaturale. Quant aux objectifs touchant l’homophobie et l’efféminophobie, ils sont répondus dans les parties touchant l’homophobie et les rituels (explicités plus loin dans cette conclusion). Le choix des concepts théoriques de Fritz Klein (1993) expliquant la construction de l’orientation sexuelle est judicieux à ce propos. Nous y revenons dans la partie de la conclusion touchant les rituels. Définir le genre Le genre a d'abord été défini ou du moins circonscrit dans certaines limites. Définir le genre n’apparaît pas être une tâche facile, car les auteurs consultés semblent éviter de le définir et les répondants de leur côté ont aussi eu beaucoup de mal à mettre des mots sur ce concept ou à énoncer une définition du genre masculin qui soit cohérente. Il semble donc que la définition du genre, en particulier du genre masculin, soit difficile à appréhender pour la grande majorité. À partir des auteurs consultés, il a tout de même été possible de dire que le genre reposerait sur trois processus en partie élaborés en interaction avec le corps, le premier étant constitué d’une adéquation de conformité considérée d’un point de vue social, le second d’une adéquation de conformité considérée du point de vue de l’individu lui-même et le troisième d’une relation de pouvoir entre les genres, en particulier une relation de domination du genre masculin sur le genre féminin, ou ce qui lui ressemble ou lui est associé. Les répondants ont aussi suivi ce processus de réflexion à partir du corps. Le corps est le premier élément auquel ils font référence pour se définir en tant qu’hommes. Ils ont cependant poussé davantage la construction de leur identité de genre, en plaçant le corps dans un ensemble de stratégies (objectifs un) utilisant l’activité sportive. Ils ont aussi inscrit leur corps dans une pratique corporelle réflexive où celui-ci servait de référence dans moult interac- 208 tions en particulier dans une forme de mirroring tributaire de l’activité sportive. Ces stratégies fondées sur la pratique du sport leur permettraient de se rapprocher du modèle de masculinité hégémonique ressentie comme le modèle idéal et le seul viable. C'est ainsi que l’activité sportive s’est inscrite au centre de toutes ces interactions de construction de leur genre. Les solitaires se référeraient davantage aux représentations sociales de la masculinité, notamment aux modèles véhiculés par les médias, alors que les grégaires utiliseraient surtout le sport à travers leur appartenance à un groupe masculin signifiant influencé lui aussi par les représentations sociales de la masculinité. Les représentations sociales utilisées par les sportifs seraient très proches du modèle de masculinité hégémonique élaboré entre autres par Connell (2005). Les rituels Le cas des grégaires est particulier, car ceux-ci sont les plus conformistes et les plus près de ce que les auteurs en service social nomment le modèle de masculinité traditionnelle et des « clientèles difficiles à atteindre ». Peu importe les stratégies utilisées pour la construction de leur genre, grégaires ou solitaires, tous deux adhéreraient de près au modèle de masculinité hégémonique. Les valeurs et l’idéologie de ce modèle sont très présentes chez eux. En effet, ils en présentent les principales caractéristiques telles que la subordination, la complicité, la marginalisation et la peur du féminin (incluant l’homophobie). Chez les grégaires, la masculinité hégémonique serait générée, créée et réinterprétée par l’utilisation de rituels initiatiques, tribaux et apotropaïques à l’intérieur de la pratique sportive. Parmi ceux-ci, les rituels tribaux constituent un aspect mis en lumière dans cette recherche et visé par l’objectif un. Certains auteurs, tels que Gagnon (1995), identifient des rituels primitifs chez les sportifs. Cependant, cet adjectif ne semblait pas refléter totalement le vécu des sportifs alors que le concept de rituel tribal correspond mieux à leur réalité. Les rituels tribaux serviraient à consolider la complicité si essentielle aux groupes masculins sportifs à transmettre une culture empreinte de l’idéologie masculine (Pleck, 1995). De plus, ils permettraient de réitérer et de relancer l’appartenance au groupe sportif déjà consacrée par les rituels initiatiques. Les rituels apotropaïques, les seuls présents, dans les deux groupes de sportifs, n’ont été abordés que par Saouter (2000), mais celle-ci ne les a que très peu explorés et les appelait différemment. Encore une fois, la masculinité hégémonique serait bien soutenue par ces rituels. Nommons à titre d’exemple, l’usage de l’urine qui, chez les grégaires, servirait de scellant au groupe avant un match et conjurerait le sort en faveur de l’équipe. Cet usage de l’urine place encore une fois la génitalité au centre d’un rituel. Pour les solitaires, les rituels apotropaïques seraient davantage liés aux talismans tels que bas, gommes à mâcher ou routines répétées avant les matchs. 209 Les rituels initiatiques et tribaux, pour les grégaires, constituent d’ailleurs un phénomène d'où ressort de prime abord une contradiction importante soulevée par plusieurs auteurs : comment les sportifs peuvent-ils créer un univers exclusivement constitué d’hommes vivant une grande intimité physique mettant souvent en scène la génitalité sans être en même temps homosexuel ni le paraître aux yeux des autres et à leurs propres yeux ? C'est ici que l’échelle de l'orientation sexuelle de Fritz Klein (1993) montre toute son efficacité. L’orientation sexuelle ne serait pas simplement l'attrait érotique d’un individu pour l’un ou l’autre sexe. Elle serait beaucoup plus complexe. Selon cet auteur, l’orientation sexuelle serait constituée de l’attirance sexuelle, du comportement sexuel, des fantasmes sexuels, des préférences émotionnelles, des préférences sociales, du style de vie (hétérosexuel ou homosexuel) et de l’auto-identification. Il n’est pas exclu que des répondants, en apparence hétérosexuels, ressentent une attirance pour d’autres joueurs, mais les grégaires ne sont pas des homosexuels qui s’ignorent ou qui détourneraient sciemment les rituels sportifs pour satisfaire des fantasmes inavoués ou inavouables. Il existerait une dissociation entre leur attirance sexuelle (orientation et fantasmes hétérosexuels), leurs préférences sociales et émotionnelles, leur style de vie, leur auto-identification et leurs comportements. Les grégaires en particulier, s’adonnent à de nombreux actes sexuels tout en s’auto-définissant comme hétérosexuels; ils n’auraient ni fantasmes homosexuels avoués, ni désirs amoureux pour d’autres joueurs. C'est ainsi que les sportifs grégaires pourraient avoir des comportements homosexués tout en faisant montre d’une homophobie manifeste dans leurs valeurs et leurs comportements sans ressentir de contradiction ni entacher leur identité de genre. Ce clivage entre comportements, valeurs et attirance leur permettrait également de rester fidèles au modèle de masculinité auquel ils adhèrent. Les rituels sportifs ne feraient que perpétuer les caractéristiques de la masculinité hégémonique que sont la domination de leur environnement social, la subordination et la marginalisation des hommes non conformes au genre, la complicité avec les autres hommes et la peur du féminin, exprimée entre autres par l’homophobie. La conformité au modèle masculin Il est possible de penser qu’en se conformant aux normes de la masculinité hégémonique, les sportifs, tant grégaires que solitaires, s’inscrivent dans une tension de rôle de genre. La transgression réelle ou perçue amènerait de nombreux sportifs à se surconformer au modèle hégémonique de masculinité. Les sportifs sont sans nul doute coincés dans la nonconformité au rôle de genre, le traumatisme du rôle de genre et le dysfonctionnement du rôle de genre (Pleck, 1995). En effet, les sportifs ressentent un écart entre le modèle de masculinité attendu socialement et leur conformité réelle à ce modèle imprégné de représentations 210 sociales comme mentionné à l’objectif 4. Rappelons que la cote de masculinité que se donnent les sportifs, en particulier les grégaires avec un 6/10, révèle leur sentiment de nonconformité au modèle attendu. Cet écart est d’autant plus important que les sports d’équipe et ceux qui les pratiquent sont souvent considérés comme les plus masculins. Cet écart les amènerait souvent à pratiquer le sport de façon compulsive sans respecter les limites de leur corps. Le corps serait ainsi de nouveau placé au centre des stratégies de construction de l’identité de genre des grégaires. Bien qu’il leur serait possible de le faire, les grégaires ne se désaffilieraient pas de leur groupe de référence lorsqu’ils se sentent en écart avec les valeurs promues par le modèle de masculinité hégémonique, car l’appartenance à leur groupe serait trop primordiale pour leur permettre cette latitude. Ils s’enfonceraient davantage dans la conformité en mettant encore plus d’efforts à se conformer. Les solitaires, à la différence des grégaires, n’ont tout simplement pas de groupe duquel se désaffilier. Cette absence de groupe pourrait rendre l’écart moins lourd à porter et laisserait davantage aux solitaires la possibilité de changer de modèle de référence si celui-ci devenait trop exigeant. Dans les faits, ils semblent avoir formulé des commentaires qui laissent penser qu’ils désirent plus que les grégaires développer leur propre sens de la masculinité. Le dysfonctionnement du rôle de genre serait aussi présent dans la socialisation des deux groupes de sportifs, car ceux-ci se refuseraient l’expression des émotions, sauf celle de la colère et ne se permettraient que l’agressivité. Enfin, le traumatisme du rôle de genre serait surtout vécu durant les initiations. Le désir intense de se conformer au modèle pour être admis dans le groupe confirmant leur masculinité et leur virilité amènerait les grégaires à vivre des expériences initiatiques traumatisantes et à subir de nombreuses humiliations voire des blessures physiques ou des voies de fait, bref des sévices qui dans toutes autres circonstances conduiraient à des accusations criminelles. Le sport n’est pas que domination, violence ou humiliation, victoire ou échec cuisant. Il permet à de nombreux jeunes hommes de se réaliser, de prendre confiance en eux, de développer des relations d’amitié durables et solides basées sur une complicité, une fratrie positive et valorisante. Par le sport, il est possible de renforcer la relation entre le père et fils comme ce fut le cas pour de nombreux répondants. L’activité sportive permet le développement du corps, de la motricité, de la mobilité, de la force et de l’endurance. L’activité sportive permet aussi de se valoriser et de construire une identité de genre positive. Il serait donc possible à partir de l’activité sportive de construire une intervention efficace afin de faire naitre une nouvelle masculinité purgée des effets pervers de la masculinité hégémonique. 211 L’intervention possible Le sport constituerait un lieu d'intervention privilégié, car il serait possible en agissant en milieu sportif de toucher un grand nombre de jeunes hommes et de mobiliser peu de ressources puisque près des trois quarts des hommes de l’âge de 14 à 25 ans s’adonnent à la pratique d’un sport plus de trois fois par semaine en particulier les sports d’équipe tels que le hockey, le soccer et le football américain. De plus, de nombreuses recherches montrent que les interventions concrètes auprès des hommes plus traditionnels auraient plus de succès que les interventions abstraites (Dulac, 2001; Tremblay et L'Heureux 2002, 2005). Par le biais de l’activité sportive, il serait possible d’intervenir de façon concrète auprès des hommes. Le sport pourrait, comme c'est le cas présentement, demeurer un lieu de célébration de la masculinité, mais renouvelé, en y soustrayant les aspects traumatisants. Au lieu d’être un univers de génération et de reproduction d’hommes conformes au modèle de la masculinité hégémonique avec, dans son sillage, son lot d’effets pervers, le sport pourrait être un lieu de fabrication d’une nouvelle masculinité où les valeurs de respect et d’accomplissement de soi seraient à l’honneur. Le sport pourrait être un lieu d’apprentissage de l’expression des émotions et de la complicité affective avec d'autres hommes, un lieu de célébration d’une réelle fratrie masculine épanouissante. Pour ce faire, il faudrait abolir les règles actuelles de subordination, de marginalisation, de domination et de peur du féminin présentes dans le sport. En abolissant ces règles, il est possible de changer la construction du genre chez les jeunes hommes sportifs et de réduire ou même d’éliminer l’ostracisme, l’homophobie et l’efféminophobie dont sont victimes les hommes non conformes au modèle de la masculinité hégémonique. Nous suggérons d’éliminer dans les sports toutes les activités qui servent actuellement à perpétuer la masculinité hégémonique. À titre d’exemple, plutôt que d’être un prétexte pour écraser et subordonner les nouveaux joueurs aux plus anciens, les initiations pourraient devenir des fêtes où l’on accueillerait les recrues en célébrant leurs aptitudes et leur adresse. Il serait possible d’abolir la hiérarchisation de la virilité entre les hommes en supprimant l’évaluation de leurs performances génitales et en changeant les rituels notamment tribaux. Plus encore, plutôt que de passer sous silence et même d’être encouragés, les voies de fait et les actes de violence commis durant les activités sportives devraient être interdits et soumis aux mêmes règles et aux mêmes sanctions que lorsqu’ils ont lieu dans le reste de la société. Le sport n’a pas à être un lieu d’expression de sa colère par la violence. Il peut demeurer possible pour un jeune homme d’évacuer ses frustrations et sa colère dans l’activité physique en s’investissant dans sa propre performance plutôt que de se venger sur ceux qui ne correspondent pas au modèle attendu de masculinité. Le sport pourrait faciliter le dévelop- 212 pement des capacités de chacun. Les manques et les échecs seraient ainsi mis à profit par un mécanisme d’apprentissage de soi plutôt que d’être source de honte et de marginalisation surtout pour les garçons non conformes au modèle de masculinité hégémonique perçue comme idéal. La complicité entre les joueurs pourrait reposer sur leur amitié et leur force et non pas sur leur capacité à humilier et écraser les hommes non conformes au modèle de masculinité hégémonique. Par l’intervention dans le sport, il serait possible de changer les règles et les normes de la masculinité hégémonique actuelle et de faire sortir les hommes de la catégorie des « clientèles difficiles à atteindre ». Une formation adéquate pourrait être donnée aux entraîneurs et aux professeurs d’éducation physique ou de kinésiologie déjà sur le marché du travail ainsi qu’à ceux qui sont en cours de formation. Il est possible de sensibiliser les entraîneurs aux problématiques de construction du genre. En effet, il semble, à la lumière des recherches qui ont été faites, que les entraîneurs soient des agents de construction du genre sans pour autant en avoir la moindre conscience. Un travail important reste à faire pour changer les mentalités. Nous pensons qu’il existe une forme d’ouverture dans ce sens puisque le milieu sportif a rendu cette recherche possible par l’intermédiaire d’acteurs ouverts au changement. Dans un même ordre d'idées, les intervenants sociaux pourraient se familiariser avec le monde du sport et développer des interventions sur le terrain auprès des sportifs, comme le suggérait le Rapport Rondeau (2004). Les intervenants de quels domaines qu’ils soient devraient être conduits à faire une réflexion sur leur propre construction de genre et devraient se positionner en tant qu’homme ou femme. De plus, toutes interventions devraient tenir compte des deux profils de sportifs, car il n’est pas possible d'intervenir de la même façon auprès des grégaires et des solitaires. Les interventions de groupe misant sur la complicité et la valorisation mutuelle seraient à prévoir pour les grégaires, alors que les solitaires gagneraient à recevoir une intervention axée sur leurs particularités et leur individualité. Les jeunes hommes sportifs pourraient davantage prendre conscience de la place qu’occupe leur pratique sportive dans leur construction identitaire et leur sentiment d’être un homme ; les grégaires par une réflexion à propos de leur relation avec le groupe et les solitaires par une réflexion à propos de leurs référents idéalisés. En fait, il s’agirait d’amener à la conscience un certain nombre de processus qui actuellement sont plus de l’ordre de l’inconscient ou du non-dit. Les grégaires pourraient être amenés à plus d’acceptation de la différence quant à la non-conformité de genre et aux variations de l’orientation sexuelle. Ils pourraient prendre conscience de la part des rituels initiatiques et tribaux qui relève davantage d’homosexualité que d’homosocialité. Cela afin de les aider à prendre conscience de la place de l’homophobie dans leur vie et dans leur pratique 213 sportive. Il serait possible d’amener les grégaires à saisir la manière dont le sport leur sert d’alibi pour avoir des activités homosexuelles en se faisant croire qu’ils sont totalement hétérosexuels. Les joueurs célèbres et les idoles sportives pourraient être invités à faire des interventions publiques, afin de favoriser un changement dans les valeurs de la masculinité comme celles qu’a faites Joé Juneau chez les Inuits. Les sportifs qui sont hétérosexuels pourraient faire montre d’ouverture publique envers les personnes homosexuelles. Il faut se souvenir qu’en 2002, la fondation Émergence avait invité 63 personnalités (de notoriété hétérosexuelle) du monde sportif à participer au défilé de la fierté gaie. La fondation Émergence ne s’est pas heurtée à 63 refus, mais bien à 63 absences de réponse. Ce qui ressort de cela est que le sujet de l’orientation sexuelle est si sensible ou problématique chez les sportifs qu’il n’est pas même possible de répondre à une telle invitation. Même le fait de dire non à une telle invitation serait déjà en soi une compromission. Pour illustrer cela, il nous faut raconter l’anecdote de Guillaume Latendresse. En 2006, le nouveau joueur de hockey du Canadien, Guillaume Latendresse, avait accordé une entrevue à un magazine gai où il racontait sa passion pour le hockey et où il mentionnait son acceptation des personnes homosexuelles et que même un ami d’enfance était homosexuel. Il racontait comment le fait d’être hétérosexuel ne l’empêchait pas d’avoir des amis homosexuels. Les conséquences n’ont pas tardé. Dans les jours qui ont suivi, Guillaume Latendresse s’est vu reprocher non seulement ses propos, mais le simple fait d’avoir accepté de parler à une revue gaie. Il s’est excusé publiquement d’avoir fait cette entrevue et a affirmé s’être fait piéger et ignorer, au moment de l’entrevue, qu’il s’agissait d’un magazine gai. Il cédait ainsi aux pressions et conseil du milieu, entre autres de son agent et de la ligue de hockey majeur qui craignaient de voir un bel espoir du hockey mettre fin à sa carrière par trop d’associations avec l’homosexualité. Il reste donc bien du chemin à parcourir avant d’arriver à une ouverture du monde sportif à l’homophobie. Nous sommes conscients dans ce contexte que de demander aux sportifs homosexuels de faire leur coming-out est totalement utopique compte tenu du fait que ceux qui sont hétérosexuels ne peuvent même pas faire montre d’ouverture sans compromettre leur carrière. Il existe cependant des programmes d’intervention qui tiennent compte du mode de socialisation des garçons qui passe davantage par l’action. Par exemple, mentionnons les programmes mis en place par la Commission scolaire des Navigateurs. Les écoles de cette commission scolaire étaient aux prises avec une problématique de décrochage scolaire chez les garçons du secondaire. Afin de les aider à rester à l’école et à s’intéresser davantage à leurs études, il a été proposé aux garçons de former une équipe de football américain. La condition 214 pour être ou rester membre de l’équipe était de maintenir un certain minimum à leur moyenne scolaire comme c’est le cas pour le football universitaire. Les garçons ont adhéré en grand nombre et ceux-ci ont vu leurs rendements académiques augmenter d’autant. Un effet souhaitable, mais non désiré, s’est également produit. Les pères, qui avaient déserté depuis des lustres les comités de parents, sont revenus en grand nombre au sein de ces organisations, soucieux de voir leurs fils participer à une activité qu’ils prisent eux-mêmes. Une intervention comme celle-là a donc eu plusieurs conséquences positives, soit une nette diminution du décrochage scolaire chez les garçons, une augmentation de leurs résultats académiques, un retour des pères au sein de l’école et enfin, la possibilité pour de nombreux pères et fils de renouer leurs relations de filiation de manière très positive. Il existe d’autres programmes sportifs d’intervention auprès des jeunes hommes qui ont fait leur preuve comme au Mexique avec le « The Football, Health and Gender programme» (http://www.kit.nl/frameset.asp?/ILS/exchange_content/html/2005-2_fostering_alternative_v.asp&frnr= &) pour diminuer la prise de risque en matière d’itss et d’usage de drogues. Nommons également l’initiative de Gregory Hodges, directeur de la Frederick Douglass Academy, dans Harlem à New York qui a utilisé le basketball pour ramener et maintenir à l’école les garçons noirs. Le basketball a permis à ces jeunes hommes noirs de ne pas aller vers la criminalité et de développer leur capital social. Ces propositions peuvent sembler utopiques, cependant elles s’inspirent des multiples recommandations déjà émises par des chercheurs en service social, en sociologie ou en kinésiologie. Elles rejoignent également celles qu’avaient exprimées Messner et Sabo (1994). Il y a aussi des programmes comme celui de la Women’s Sports Foundation (Ittakesateam.org ; homophobiainsports.com) et de l’Université du Massachusetts. Les interventions proposées par ce programme sont faites directement auprès des jeunes, des entraîneurs, des parents et des professeurs. La Women’s Sports Foundation et l’Université du Massachusetts, diffusent des dépliants, des affiches et des messages télévisés en faveur d’une nouvelle masculinité dans le sport. Le but est de lutter contre l’homophobie et l’efféminophobie. Ainsi, pour lutter contre l’homophobie, l’efféminophobie et les conséquences de la masculinité traditionnelle, il faut déconstruire la masculinité hégémonique, la déloger là où elle se trouve, soit dans le sport notamment. Il est possible de mettre fin à la hiérarchisation et à la violence entre les hommes en favorisant une nouvelle complicité entre hommes et une forme d’entraide, de mettre fin au sexisme, d’enseigner de nouvelles valeurs aux jeunes sportifs, d’être inclusif et de pousser la réflexion sur la condition masculine et la construction de l’identité de genre. Cette recherche servira, nous l’espérons, de réflexion à de nombreux intervenants afin de faire émerger une nouvelle masculinité et de nouvelles interventions. 215 12 RÉFÉRENCES AKOUN, André, et Pierre ANSART 1999 Dictionnaire de sociologie, Paris, Le Robert/Seuil AMNESTY INTERNATIONAL 1998 Briser le silence, Toulouse, Amnesty International 2001 Identité sexuelle et persécutions, Paris, Amnesty International ANTIL, Thomas 1985 « Pourquoi les hommes meurent-ils plus jeunes », Nursing Québec, 5 (7) 28-33 ASSOCIATED PRESS 2005 « Good Looks may Equal Better Pay ? » Associated Press, Saint-Louis, April 08 AUGUSTIN, Jean-Pierre, et Claude SORBETS 1996 La culture du sport au Québec, Talence, La maison des sciences de l’homme d’Aquitaine BADINTER, Élizabeth 1992 XY, de l’identité masculine, Paris, Odile Jacob BAIRNER, Alan 1999 « Soccer, Masculinity, and Violence in Northern Ireland, Between Hooliganism and Terrorism » Men and Masculinities, 1 (3), janvier, 284-301 BARONE, Dennis 2001 « Locker Room Lessons » Aethlon: The Journal of Sport Literature, 19 (1) automne 25-38 BEAN, Billy 2004 Going the Other Way: Lessons from a Life in and Out of Major League Baseball, New York, Marlowe & Company BECKER, Howard 1985 [1963] Outsiders, Paris, Métailié 2002 [1998] Les ficelles du métier, comment conduire sa recherche en sciences sociales, Paris, La Découverte, coll. « Guide repères » BELOTTI, Elena Gianni 1974 Du côté des petites filles, Paris, Des Femmes, coll. « Femmes pour chacune » 216 BERGLING, Tim 2001 Sissyphobia, Gay Men and Effeminate Behavior, New York, Harrington Park Press BERSANI, Leo 1987 Le rectum est-il une tombe ? 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Le but en est de mieux connaître les contextes et les circonstances de la construction de l’identité masculine chez les jeunes hommes sportifs. J’accepte de répondre aux questions qui me seront posées sur ma vie personnelle au cours d’une entrevue semi-dirigée, d’une durée approximative d’une heure. Je suis informé que cette recherche scientifique est effectuée par Simon Louis Lajeunesse (dont la carte de visite vous est fournie) étudiant au doctorat à l’École de service social et supervisée par Gilles Tremblay, Ph. D., chercheur et professeur à l’Université Laval (dont la carte de visite vous est fournie aussi). La carte de visite de l’ombudsman de l’Université Laval est également fournie. J'accepte que ces résultats soient publiés sous forme d'articles ou d'ouvrages, attendu que mon anonymat et que tout détail qui pourrait permettre de m'identifier seront strictement préservés. Je confirme que le chercheur m'a indiqué une liste de personnes-ressources si j’ai besoin d’aide ou de soutien à la suite de cette entrevue. Il m’a aussi spécifié le but de cette recherche et les moyens qui seront pris pour préserver la confidentialité de mes propos. À cette fin, je signe d'un pseudonyme cette autorisation d'utilisation de mes propos, lesquels seront transcrits à des fins de recherches uniquement et sous l'utilisation de ce pseudonyme (cela à partir d'enregistrements magnétiques et/ou de notes dont l'accès sera limité aux chercheurs travaillant spécifiquement à cette étude, et gardés en lieu sûr). Il est bien entendu que tout détail personnel qui pourrait permettre de m'identifier sera sciemment modifié par le chercheur pour préserver confidentialité et anonymat. L’avantage de participer à cette recherche est de contribuer à l’amélioration des connaissances dans la construction du genre masculin. On m'a informé de la possibilité de me retirer à tout moment de cette recherche et on m’a remis, notamment à cet effet, les coordonnées professionnelles des chercheurs. Je reconnais témoigner volontairement, librement et honnêtement de mon expérience personnelle. ( ) J'accepte que mon témoignage verbal soit enregistré sur magnétophone aux seules fins de cette recherche. Cet enregistrement sera effacé une fois la recherche dûment complétée (avant le 30 juin 2003). ( ) Je n'accepte pas que mon témoignage verbal soit enregistré. Lieu et date : Signature du participant (pseudonyme) : Signature du chercheur interviewer : Le numéro d’approbation du comité d’éthique à la recherche de l’Université Laval est le 2002-011. 233 13.2 Annexe 2 Guide d’entrevue Ces questions sont un guide, un aide-mémoire des thèmes qui doivent être abordés durant l’entrevue. Elles ne sont pas posées systématiquement. En suivant la méthode de la théorisation ancrée, il est essentiel de laisser parler le répondant, de le suivre dans son discours, mais aussi de le guider de façon à s’assurer que tous les points seront mentionnés lors de l’entrevue. Généralités Âge Rang dans la famille Niveau de revenu de la famille d'origine et revenus actuels Père Mère Frère Sœur Animal domestique Lieux de vie Pourquoi as-tu décidé de participer à cette recherche ? Sport et masculinité Tous les sportifs 1-Quelles activités sportives pratiques-tu ? (1)22 2-Raconte-moi ce qui t'a amené à pratiquer ce sport ? (1) 3-As-tu toujours pratiqué cette activité, comme au secondaire ou au cégep ? (1) 4-Comment se passaient les cours d’éducation physique au secondaire ? (1) 5-Qu’est-ce que cela t’apporte de faire du sport, et ce sport en particulier ? (1) 6-Dis-moi ce que signifie pour toi faire du sport ? (1,4) 7-Quelles différences il y a à faire un sport d’équipe ou individuel ? (1,2) 8-Pourquoi ne pas avoir choisi le patinage artistique ou le ballet par exemple ? (2,3,4) 9-Si tu ne pratiquais plus ce sport ni aucun autre, qu’est-ce que cela changerait ? (1) 10-Combien de temps tu consacres par semaine à l’activité sportive ? (1) 11-Quelles sont tes idoles sportives ? (1,4) 12-Dans ton enfance, quel genre de bande dessinée tu aimais (l’Araignée, capitaine America...) (4) 13-Parle-moi de ton entraîneur, ton coach... (1, 4) 14-Raconte-moi comment se passent les batailles dans ton sport, la violence. (1,2,3,4) 15-Dis-moi comment le fait de jouer devant un public influence ton jeu ? (2,4) 16-On dit bien des choses sur les vestiaires et sur les conversations qui s'y tiennent. Peux-tu m'en parler ? (1,2,3) 17-Quels sont les comportements ou les gestes à éviter dans les vestiaires, ou les faits et gestes qui te rendent mal à l'aise ? (2,3) 18-Séduction et sport... (2,4) Sportifs d’équipe 19-Qu'est-ce que cela t'apporte d'être dans cette équipe ? (1,2) 20-Que signifie pour toi être membre d'une équipe sportive ? (1,2,4) 21-Raconte-moi comment on entre dans une équipe comme celle dont tu es membre ? (1,2) 22-Comment se passent les initiations ou les épreuves ou les grades à passer ? (1,2,4) 23-Parle-moi de ton équipe, de tes coéquipiers. (1,2,3,4) 24- Que veut dire le fait d’avoir la barbe longue avant un match important ? (pour les répondants pratiquant le hockey et le football). (1,2,4) 25-À quoi sert le noir sous les yeux ? (pour les répondants pratiquant le hockey et le football) (1) 26-Que veut dire le cri final de l’entraînement et autres cris que vous lâchez dans certaines circonstances ? (pour les répondants pratiquant le football) (1,2) 27-Raconte-moi les liens que tu entretiens avec les membres de l'équipe ? (1,2) 22 Les chiffres entre parenthèse font référence aux quatre objectifs spécifiques de cette recherche. 234 28-Quels sont les gestes et touchers qui se font entre les membres des équipes desquelles tu as été ou es membre ? (3) 29-Pourrait-il y avoir des femmes dans ton équipe ? (1,2) 30-Comment réagirait ton équipe si un de ses membres se révélait homosexuel ou bisexuel ? (2,3) Homophobie et efféminophobie 31-Peux-tu me définir ce que c’est qu'être un homme ? (1,2,4) 32-Qu'est-ce qu'être viril ou masculin ou ne pas l’être suffisamment ? (2,3,4) 33-Quelles sont les caractéristiques physiques ? (2,3,4) 34-Quelles sont les caractéristiques psychologiques ou émotives ? (2,3) 35-Quelles sont les valeurs ou les qualités que tu trouves masculines ou viriles et celles qui ne le sont pas ? (2,3,4) 36-Quels gestes sont possibles entre deux hommes ? (2,3) 37-Lesquels ne sont pas possibles ? (2,3) 38-Y a-t-il des gars que tu trouves moins virils ou masculins que d'autres ? Pourquoi ? (2,3,4) 39-Qu'est-ce qu'être efféminé selon toi ? (2,3) 40-Qu'est-ce que tu penses des gars efféminés ? (2,3) 41-T’est-il arrivé de te moquer de gars que tu trouvais efféminés ? (2,3,4) 42-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ? (2,3) 43-T’est-il arrivé de tabasser ou de voir se faire tabasser un gars efféminé ? (2,3) 44-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ? (2,3) 45-T’est-il arrivé de prendre la défense d’un gars qu’on ridiculisait ou malmenait parce qu’il avait l’air efféminé ? (1,2,3) 46-Si oui, raconte-moi comment cela c’est passé ?( 1,2,3) 47-Sur une échelle de 1 à 10, 10 étant le maximum viril et de masculinité (et 1 le minimum), où est-ce que tu te situerais ? (2,4) 48-Si un gars (membre de ton équipe) te disait que tu as parfois des gestes efféminés, comment réagirais-tu ? (2) 49-Si un gars te disait qu'il pense que tu es homosexuel ou bisexuel, comment réagirais-tu ? (2) 50-Si un autre gars de ton équipe se révélait homosexuel ou bisexuel, comment réagirais-tu et comment crois-tu que ton équipe réagirait ? (2,3) 51-Quelles sont les tâches domestiques que tu associes au monde féminin ? Pourquoi ? (2,3) Images 52-Montrer la photo numéro 1, Le droit d'aimer. Qu'en penses-tu et de quoi cette photo parle-t-elle ? (2,4) 53-Montrer la photo numéro 2, collage haine. Que t’inspirent ces photos ? (3,4) 54-Montrer la photo numéro 3, le cloueur. Que t’inspire ce gars ? Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ? (2,4) 55-Montrer la photo numéro 4, un gars appuyé sur son vélo. Que t’inspire ce gars ? Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ? (2,4) 56-Montrer la photo numéro 5, le gars plus féminin en fête. Que t’inspire ce gars ? Est-ce que quelque chose te laisse soupçonner son orientation sexuelle ? Avec quel gars te sentirais-tu le plus à l'aise et pourquoi ? Lequel pourrait jouer dans ton équipe ? (2,4) 57-Montrer la photo 6, les gars de dos. Réaction ? (1,2,3,4) 58-Montrer la photo 7, les deux joueurs de baseball. (2,4) 59-Montrer la photo 8 d’initiation, (triste) (1,4) 60-Montrer la photo 9 d’initiation, (joyeuse) Quel différence y a-t-il entre les deux scènes précédentes soit la 8 et la 9 ? Quels sont les gestes qui sont possibles et quels sont ceux qui ne sont pas possibles dans une circonstance comme celle-là ? (par exemple regarder l'autre, lui parler, le toucher...) (1,4) Remerciements. 235 13.3 Annexe 3 Photos présentées durant les entrevues. Photo numéro 1 236 Photo numéro 2 237 Photo numéro 3 238 Photo numéro 4 239 Photo numéro 5 240 Photo numéro 6 241 Photo numéro 7 242 Photo numéro 8 243 Photo numéro 9 244 13.4 Annexe 4 Affiche de recrutement des répondants 245 13.5 Annexe 5 Dépliants et autocollants 246 247 Auto collant.