Zibeline n°14 en PDF

Transcription

Zibeline n°14 en PDF
4
1
Q
du 18/12/09 au 22/01/09 | un gratuit qui se lit
La Culture
en
cadeau
Politique culturelle
Orchestre Philharmonique du Pays d’Aix
Rencontres artistiques du Var
4
5
Théâtre
Le Gymnase, la Minoterie
La Criée, le Massalia
Le Merlan, le Lenche, Miramas, Port-de-Bouc
Entretien avec Charles-Éric Petit, Gyptis, Bernardines
Daki Ling, Toursky, Montévidéo
Arles, Rousset, Aix, Martigues
Aubagne, Aix, Berre L’Étang
Martigues, Grasse
Châteauvallon, Draguignan, Gap
Ouest Provence, Port-de-Bouc, Cavaillon
Avignon, Arles, Nîmes
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8
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16, 17
18, 19
Danse
Groupe Dunes, Dansem
Ballet d’Europe, 3bisf, Toursky
Martigues, Châteauvallon, BNM
Pavillon Noir (Aix), Château-Arnoux, Gap
Ouest Provence
20
21
22
23
24
Arts de la rue
Gap Arles, Sirènes et midi net
24, 25
Musique
Opéra
Concerts
Nîmes, Agenda
Disques
26, 27
28 à 38
39
40, 41, 42, 43
Arts visuels
Toulon, Istres
Entretiens avec Michel Butor et Danièle Ubeda
Athanor, Buy-Sellf Art Club
Dukan et Hourdequin, Art-Cade, Complex, VIP Art Galerie
La Valette, Musée des Tapisseries (Aix)
Seconde Nature (Aix)
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45
46
47
48
49
Cinéma
Turin, Fotokino, Lech Kowalski
Festival Tous Courts
Hommage à Jacques Rozier, Institut de l’Image,
Polygone étoilé
50
51
52
Livres
Rencontres littéraires
Agenda
Livres : jeunesse, arts, littérature, essais
53, 54
55
56 à 65
Philosophie
Echange et diffusion des savoirs
66, 67
Histoire et Patrimoine
Musée départemental de l’Arles Antique
La Pensée de Midi
68
69
Sciences et techniques
Forum PACA Sciences et citoyenneté, agenda
70, 71
Éducation
Orchestre Français des Jeunes, Averroès Junior
Alternative positive, Picasso Métamorphoses
Prix lycéen du livre PACA
Laterna Magica
Les Zibulons
Rubrique des adhérents
72, 73
74
75
76
76, 77
78
Offrez
des livres
Vivons-nous encore en démocratie ? Le parlement vient
d’adopter une loi transformant télévision et radio publiques en
bras armés de l’État. Le gouvernement a désormais la main
mise sur leur financement -en l’absence de recettes
publicitaires- et sur leur direction -qu’il nomme et révoque.
Les journalistes, dans ces conditions, pourront-ils continuer à
faire leur travail ?
Il y a peu de chances… La pièce de Thierry Bédard et JeanLuc Raharimanana, Madagascar 47, revient sur la répression de
l’armée coloniale française : elle a été brutalement retirée du
catalogue du Ministère des Affaires Étrangères, qui prévoyait
pourtant une tournée dans l’Océan Indien. La censure s’exerce,
indirecte, insidieuse, par le retrait des financements publics
lorsque le discours dérange… Qu’en sera-t-il à la télévision ?
Les lycéens mènent depuis plus de trois semaines un
mouvement de grève exemplaire, contre la réforme des lycées,
la grande braderie de l’Éducation publique. Les médias de
masse n’en parlent que lorsque certains débordent, cassent,
usent de la force. Et ne disent rien des trois enfants arrêtés à
Grenoble dans leur salle de classe, pour une reconduite à la
frontière qui n’assume pas son nom d’expulsion. Comment
sera-t-elle nommée quand la télévision publique sera devenue
télévision d’État ?
Il n’y a pas de démocratie sans liberté réelle de la presse,
de la culture, de l’éducation, pas de démocratie si le gouvernement élu impose sans concertation ses vues, ses choix et
ses hommes.
Il nous faut désormais contrecarrer la propagande. En
publiant, en parlant, en résistant. En fermant la lucarne
insidieuse et les médias dominants, pour nous tourner vers
ceux qui ne sont soumis ni aux grands groupes, ni au pouvoir.
Et en changeant nos habitudes de consommation qui
appauvrissent les rares lieux où la pensée encore palpite.
Alors achetez la presse indépendante, offrez des livres, des
disques, des instruments pour que chacun sache que la
musique se fait. Des places de théâtre, d’opéra et de cinéma
pour que vos enfants découvrent qu’il y a d’autres spectacles.
Ils feront peut être la moue, préférant le dernier iPod, la
dernière console, le téléphone aux photos qui glissent comme
dans Minority report. Mais si nous voulons qu’ils ne vivent pas
ce cauchemar sécuritaire, ne renonçons pas à leur faire
connaître nos joies.
AGNÈS FRESCHEL
04
POLITIQUE CULTURELLE
COMMUNAUTÉ DU PAYS D’AIX
Partager le plaisir
Une communauté d’agglomérations
qui investit dans un orchestre
symphonique, voilà une démarche
qui surprend ! Surtout quand elle
s’attache à diffuser la musique
dans de petites communes,
de concerts… gratuits !
Jean Bonfillon, maire de Fuveau et Vice-Président
de la communauté du Pays d’Aix (CPA), délégué à
la Culture, explique sa démarche avec une grande
clarté…
Zibeline : Comment est né cet orchestre ?
Jean Bonfillon : D’une volonté d’irriguer le
territoire aixois en termes de musique classique. Et
cela autour de deux périodes : celle des festivités
de fin d’année avec un répertoire viennois, dans la
tradition du concert de Noël, et une autre tournée
en juin, avec une musique plus élaborée. Dans un
premier temps l’orchestre a tourné dans 5
communes du Pays, puis dans 10, et l’an dernier
déjà dans 23… transformant les vœux des maires
en grands rassemblements festifs ! Ainsi, à Fuveau,
nous avons accueillis 1000 personnes, certains
venant de loin d’ailleurs, certains peu habitués à
entendre de la musique symphonique en direct…
Quels sont les changements cette année ?
Il s’agit d’un développement dans la continuité :
l’orchestre symphonique s’épaissit, devient
«philharmonique», sera géré directement par la
CPA et se dote d’un nouveau chef. Le répertoire
aussi évolue : autour de Strauss, Jacques Chalmeau
a prévu des incursions chez Mendelsson et
Beethoven. Cela sera plus notable encore cet été,
avec Dvorak par exemple. Mais l’orchestre sera
toujours destiné à constituer la première marche
d’un accès à la musique classique, avec un
répertoire plutôt facile d’accès.
La volonté de démocratisation de la culture passe
rarement par la mise en place d’un orchestre
philharmonique. Pourquoi ce choix particulier ?
La CPA a une politique culturelle très active, en
matière de soutien aux compagnies théâtrales et
de danse, d’arts de la rue ; pour les musiques
actuelles aussi, et une politique d’expositions bien
sûr. Mais je sais trop ce que la musique a pu
m’apporter, et m’apporte encore, pour en priver mes
concitoyens, en particulier ceux qui ne feraient pas
la démarche d’aller vers elle. Il faut faire partager
ce plaisir, ce bonheur. Nous faisons par ailleurs un
travail de fond pendant le festival d’Art Lyrique, et
réfléchissons à l’enseignement musical, à sa
nouvelle organisation. Mais cette mission de
démocratisation et d’irrigation du territoire nous
semble essentielle.
L’orchestre est-il entièrement financé par la CPA ?
Pour les deux opérations dont il est question, oui.
C’est un orchestre formé de professionnels, que
nous mandatons pour ces deux séries
d’événements, mais qui a bien sûr toute liberté de
se produire ailleurs, avec d’autres…
PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS FRESCHEL
© X-D.R
Relever le niveau artistique
Le nouveau chef de l’Orchestre
Philharmonique du Pays d’Aix
dévoile son ambition à la tête
de la formation locale
Zibeline : Jacques Chalmeau, on vous connaît peu
dans la région… D’où venez-vous ?
Jacques Chalmeau : Je viens à Marseille depuis
longtemps pour des raisons personnelles et j’ai
dirigé Carmen au Festival de Lacoste l’an dernier...
On va dire que je suis parisien, même si je suis né
en Normandie. C’est là que j’ai fait mes études
musicales. J’ai ensuite voyagé au gré de mes obligations professionnelles dans de nombreux pays,
surtout en Italie et en Russie, comme pianiste et
chef d’orchestre. Par exemple, du fait que j’ai suivi
l’enseignement d’un professeur de piano russe, j’ai
été amené à diriger au Conservatoire Tchaïkovski,
puis à fonder l’Orchestre Philharmonique de Moscou
avec lequel j’ai beaucoup joué. Mais c’est difficile
aujourd’hui là-bas ! J’ai ensuite fait partie de
l’équipe de direction de l’Opéra de Lyon pendant
cinq ans et décidé dernièrement de retrouver mon
indépendance… Et comme la région marseillaise
possède un formidable potentiel culturel…
… on vous a nommé à la tête de l’Orchestre
Philharmonique du Pays d’Aix !
Oui ! On m’a sollicité pour faire évoluer cet
orchestre qui pendant cinq ans a joué essentiellement des programmes «légers». Mon ambition
première est de fédérer les musiciens autour
d’œuvres symphoniques majeures pour atteindre un
meilleur niveau artistique, plus professionnel. Et
constituer à l’avenir un répertoire stable.
Comment avez-vous choisi votre programme ?
Il faut toujours envisager trois paramètres ! Un bon
programme doit satisfaire d’abord les musiciens,
avec lesquels il est nécessaire de créer de vrais
rapports humains, ensuite le public qui vient passer
un bon moment, enfin il faut que ça entre dans
«l’histoire» du chef. La 7e symphonie de Beethoven,
je l’ai souvent dirigée ! Et il y a aussi, pour cette
tournée, des pièces festives de Mendelssohn et
Brahms, des bis enlevés… C’est un programme qui
fait plaisir et qui semble trouver, depuis les
premières répétitions, l’adhésion des musiciens.
On vous retrouvera plus tard dans l’année ?
Oui, avec une tournée estivale autour de la
Symphonie du «Nouveau monde» de Dvorak ou au
festival de Musique Sacrée à Saint–Michel pour le
Stabat mater de Pergolèse et l’un des derniers
grands oratorios de Haendel : Solomon.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JACQUES FRESCHEL
Philharmonique à domicile !
Si vous avez la chance de crécher à Venelles, Fuveau,
Saint-Cannat, Cabriès, Rognes, Peynier, Le Puy
Sainte-Réparade, Pertuis, Simiane-Collongue,
Peyrolles, Meyreuil ou Châteauneuf-le-Rouge…
pas besoin de mettre les pneus-neige pour entendre
l’Orchestre Philharmonique du Pays d’Aix. Jacques
Chalmeau vous joue Beethoven à domicile, et c’est
gratuit ! Et quand le programme annonce sa 7e
symphonie (ah, ce fameux mouvement lent au
rythme dactylique !) à côté de pages de Mendelssohn
extraites du Songe d’une Nuit d’été, de la Symphonie
italienne ou de joviales Danses hongroises de
Brahms… on n’hésite plus ! Un «tour» qui s’achève
en point d’orgue, à Aix, au Grand Théâtre de
Provence!
PAYS D’AIX. Tournée du 9 janv.
au 1er fév. 04 42 21 69 69
Programme consultable sur www.aixenmusique.fr
RENCONTRES ARTISTIQUES DU VAR
POLITIQUE CULTURELLE
05
L’art
marionnettique
en débat
Les nouvelles écritures du théâtre de marionnettes
et d’objets faisaient débat aux Rencontres artistiques
du Var qui, avec pertinence, joignaient
la parole aux gestes
À l’occasion des Rencontres artistiques du Var à Toulon (voir Zib 13), le
Théâtre Massalia de Marseille et le
Pôle Jeune Public du Revest-les-Eaux
invitaient publics et professionnels à
réfléchir sur les nouvelles écritures du
théâtre de marionnettes et d’objets. Un
questionnement que le Théâtre de Cuisine aborda concrètement à travers une
petite forme spectaculaire, Christian
Carrignon posant avec justesse et
humour toute la complexité du savoir
faire de l’artiste-metteur en scène et
comédien -et toutes les potentialités
de ce langage inventif. De fait, cette
introduction donna corps et âme aux
débats mieux qu’un flux de paroles…
Même démonstration efficace de
Jacques Templeraud, fondateur du
Théâtre Manarf, qui préféra parler de
cours pratique plutôt que de conférencespectacle à propos de son intervention
Le mouvement communicatif. Seul
face au tableau noir, les poches bourrées d’élastiques et de bouts de papier,
il donna une formidable leçon de
théâtre avec un minimum d’effets.
Quant aux interventions plus théoriques, celle de Stéphanie Lefort,
auteur de Marionnettes : le corps à l’ou-
vrage, permit de retracer à grandes
enjambées la riche histoire de la
marionnette, depuis son enfance (qui
a à voir avec le sacré) jusqu’à la
plénitude de l’âge adulte (où les
techniques n’ont rien d’étanche), en
passant par son adolescence rebelle
(qui fait table rase de la suprématie
du texte). Sans oublier d’esquisser
une définition et d’éclairer ses origines en faisant référence aux notions
d’outil, de technique, de transformation de la matière d’une part, et
aux figures de Dédale et de Narcisse
d’autre part. Avec un allant communicatif, Stéphanie Lefort réussit la
gageure d’évoquer 4000 ans d’une
histoire foisonnante, «un véritable
chaos» dit-elle, avant de conclure :
«la marionnette est un objet imaginaire nécessaire à notre survie».
En revanche, en l’absence de Chantal
Guinebault-Szlamowicz, docteur en
arts du spectacle, le silence qui suivit
la lecture de sa communication sur le
Signe théâtral, procédés rhétoriques,
notion d’interprète-plasticien au théâtre
d’objets montra toute la difficulté des
intervenants à rebondir sur la symbolique des signes et l’amphibologie du
Marionnettes de la cie Pseudonymo © X-D.R
Sombsthay, Cyril Bourgois, David
Girondin Moab et Philippe Foulquié.
On évoqua Claude Lévi-Strauss et son
ouvrage La Pensée sauvage dans lequel
il fait référence au bricolage (le bris et
le collage chers également à Roland
Shön) et les surréalistes «pour dire
que le théâtre d’objets est enfant de
la société de consommation». On
s’interrogea sur l’apport des outils
numériques dans la représentation du
monde (quid de la réalité et de la
virtualité ?), sur l’écriture et le texte,
«une autre matière, élastique, qui se
forme, se déforme comme un objet à
part entière»…
Mais c’est en retrouvant la réalité de
la représentation en compagnie du
Théâtre de Cuisine, des 4 Vents et
de Pseudonymo que les objets inanimés reprirent véritablement sens !
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
théâtre d’objets plus particulièrement…
La rencontre se focalisa alors sur les
nouvelles technologies et les nouvelles écritures en présence de Roland
Shön, Christian Carrignon, Catherine
Rencontres organisées
par le Conseil général du Var
du 24 novembre au 3 décembre
LE GYMNASE | LA MINOTERIE
THÉÂTRE
07
Vos folies sont les miennes
Rarement trois heures de théâtre se
sont écoulées si rapidement. Pourtant
le texte est grave, terrible, l’univers
lourd et oppressant. Lars Nören nous
plonge sans intermédiaire dans
l’univers de la maladie mentale, au
cœur d’un asile psychiatrique, dans les
salles communes des patients : sans
personnel soignant, sans extérieur, un
huis clos qui pourrait être cauchemardesque… Il n’en est rien. D’abord
parce que quelques chansons entonnées en chœur font office d’appels
d’air bienvenus, drôles et sentimentaux. Ensuite parce que le texte
est construit en ménageant une
progression remarquable : les histoires
de chacun circulent, se développent,
faisant émerger du chœur des 14
personnages des révélations individuelles, moments paroxystiques qui se
produisent généralement sans violence, mais pas sans douleur. La mise
en scène de Jean-Louis Martinelli
est d’une fluidité remarquable, et les
comédiens circulent dans les espaces
subtilement cloisonnés comme des
danseurs dans un décor, ou des
fourmis sur leur terrain de prospection.
Mais l’intérêt de Kliniken est ailleurs :
les comédiens, passionnants, font voir,
sentir, comprendre la profonde
humanité de ces êtres relégués audelà des marges. Le poids social n’est
jamais pour rien dans leur
décompensation, ils vivent dans un
monde anormal et ressemblent à ce
que nous pourrions être, à quelques
virgules d’existence près. Lorsqu’à la
fin les deux plus atteints sombrent,
ceux qui restent et semblent curables
sortent Kliniken de la tragédie : l’espoir
est là, dans leur chanson commune,
dans leur manière de souffrir
ensemble, serrés, de la mort des plus
malheureux d’entre eux.
AGNÈS FRESCHEL
© Pascal Victor
Kliniken a été joué au Gymnase
du 2 au 6 déc.
rapproche le metteur en scène et
l’auteur. Le jour se lève, Léopold est le
premier texte à multiples personnages
de Valletti qui, jusqu’en 1988, se
consacrait à des monologues dont lui
seul semble posséder la recette (un
savant équilibre de mensonges, de
mots pour rien, de fantasmes et de
confessions). Mais cette pièce à neuf
personnages, aux répliques courtes,
presque sans tirade, met justement en
scène l’échec et les faux-semblants
des relations humaines : l’un parle à
son chien imaginaire, l’épouse s’enfuit
le lendemain des noces, les
personnages ne savent se nommer, se
parler, se comprendre. Et c’est d’un
drôle ! Un texte majeur de Valletti, sans
doute alors au sommet de son art.
les mots, lorsqu’ils sont forts et justes,
suffisent à recréer le réel, et même à
s’y noyer.
Chanot : il est fort possible que seuls
les Marseillais s’y retrouvent, dans
cette géographie. Mais jusque chez les
chtis on en rigole…
Jésus de Marseille de Serge Valletti,
Christian Mazzuchini et la chienne
Pile Poil, qui mérite un Oscar pour sa
fine interprétation… Jusqu’au 20 déc.
La Minoterie a ri
SYLVIA GOURION
À venir au Gymnase
Le premier spectacle de l’année 2009
promet d’être passionnant. Quand
Michel Didym met en scène Serge
Valletti les répliques fusent… comme
dans Poeub, créé en 2005, ou mieux
encore dans le magnifique solo
accompagné de Christiane Cohendy
Et puis quand le jour s’est levé je me
suis endormie. C’est encore une
histoire d’aube (bien terne) qui
Le Jour se lève, Léopold
Du 16 au 24 janvier
0820 000 422
www.lestheatres.net
Des larmes au rire
La baignoire déborde
À partir du roman de Marie Darrieussecq, Naissance des fantômes, la
Compagnie LESGENSD’ENFACE a
proposé à la Minoterie, du 27 au 29
nov, un monologue mis en scène par
Cécile Quaranta, et en images de
Stéphane Vuillet. Dans ce décor
minimaliste, une femme déroule le flux
de ses pensées ; son mari est parti.
Elle le répète suffisamment pour qu’on
le comprenne ! Cela pourrait donner
lieu à une autopsie du couple. Mais on
nous montre un être envahi par des
fantasmes auxquels le mari faisait
rempart. Sitôt parti, la folie en profite
pour coloniser l’esprit de sa femme :
éviscération, déchirement de l’intérieur,
comme toujours chez Darrieussecq…
La violence des paroles ne suffisant
pas, on a recourt à un malheureux
poulpe, malmené pour l’occasion. Pour
appuyer encore le propos, de temps à
autre, un film est projeté sur le mur ;
images d’une séparation. Une mise en
scène à la fois décalée et trop explicite:
En ce mois de décembre, il est bon de
revoir les principales étapes de la vie
du Christ… à la sauce kakou. C’est un
drôle d’Evangile, où les pizzas sont
miraculeuses, où le démon roule en
moto, où une station service remplace
l’étable. Un Xésus incrédule narre ses
mésaventures dans une langue pagnolesque mâtinée par un passage dans
les «quartiers nord». Quelques lourdeurs assumées ne parviennent pas à
plomber la verve et la bonne humeur
de l’ensemble ; Xésus se démène
comme un beau diable pour nous faire
rire et il y parvient. C’est un morceau
de bravoure que les Béatitudes revues
et corrigées par un pizzaïolo. Son
monologue loufoque entraîne les
spectateurs dans des pérégrinations
qui le mènent de l’Estaque aux Goudes
en passant par les marécages du Parc
Naissance des fantômes © Sandra Ecochard
À venir à la Minoterie
À nos morts, une pièce très belle et
très forte de la Cie Mémoires vives,
créée dans une grande émotion lors de
Zone Danse Hip Hop à Miramas et
à Istres (voir page 24). Pour tous ceux
qui aiment la danse, le théâtre et
l’histoire, les 9 et 10 janv.
Une Carte blanche à la Cie Itinerrances de Christine Fricker, pour
que la danse rencontre la musique et
joue avec les mots, à travers 10
interprètes musiciens, danseurs et
comédiens. Du 22 au 24 janv
La Minoterie
04 91 90 07 94
www.minoterie.org
08
THÉÂTRE
LA CRIÉE | LE MASSALIA
D’une atteinte imprévue
Au Gymnase
la Criée vagabonde
a programmé la plus
belle perle irrégulière
de notre littérature
théâtrale…
3 femmes
Le Cid © Bellamy
Corneille se définissait comme un
«poète dramatique», mettant l’accent
sur l’importance des mots dans son
théâtre, où l’action importe moins que
le lyrisme… Toute l’intelligence de la
mise en scène d’Alain Ollivier tient
dans cette importance accordée à la
force du verbe. On se suspend aux
lèvres des acteurs qui restituent les
antithèses, la frénésie baroque, les
finales féminines, les anaphores
enflées, la musique et les excès d’une
langue décidément superbe… et on se
souvient, étonné, que chaque vers,
chaque tirade, chaque stichomythie du
Cid se déguste en retenant son souffle.
Et en découvrant l’humour aussi qui
pointe dans les répliques des
Suivantes, agacées par les obsessions
vindicatives de leurs Maîtresses…
La réussite de l’entreprise tient à un
parti pris délicat, volontairement antinaturel : les vers sont chantés (sans
emphase), certaines caractéristiques
phonétiques de la langue du XVIIe sont
restituées, et les ports de bras, les
ports de têtes altières dessinent des
signes dans l’air. Quant aux
personnages, ils sortent, comme des
coucous, par trois portes de bois
rappelant une horloge mécanique. Ils
frôlent le ridicule, sans y sombrer, et en
se relevant pour atteindre au sublime.
Rodrigue est un ange blond, innocent
puis martial, Chimène la douleur
même, et les mains de l’Infante,
graciles, fascinent. Un très beau
moment de théâtre suspendu…
(voir également l’avis des Zibulons,
page 77)
AGNÈS FRESCHEL
Sortez vos ados
Après les réjouissances de Noël
marquées par une version de Pierre et
le Loup en figurines animées, avec
grand orchestre (voir Zib 12), le Massalia consacre son mois de janvier à
des spectacles visibles en famille, quand
on a de grands enfants. L’Entreprise,
Cie de François Cervantes, s’installe
pour plusieurs spectacles jusqu’en
fin février, à la Seita. Et commence
par la reprise d’Une île (du 13 au 31
janv), sa très belle création de la saison dernière, que toute l’équipe de
Zibeline vous recommande avec
chaleur (voir l’article sur notre site
www.journalzibeline.fr).
Dans le même temps l’Anima Théâtre
proposera un spectacle de marionnetUne île © Christophe Raynaud de Lage
tes, avec écran et théâtre d’ombres : cela
s’appelle Mister H, entendez le double
de Mister J, celui qui le créa un jour, à
Londres, en testant sur lui-même une formule désinhibitrice… (du 13 au 16 janv).
Pour les plus grands encore, les presque adultes, un spectacle de la Cie Du
Zieu dans les bleus : Ursule (du 20 au
31 janv) est la deuxième partie de la
trilogie des Suppliantes, que la Cie
consacre aux grandes figures tragiques féminines. Il s’agit cette fois d’une
pièce inédite d’Howard Barker qui
met en scène des jeunes religieuses,
vierges, confrontées au désir d’un
prince, et à leur propre relation à la
chair. Un texte traversé d’absolues
puretés, d’absolues violences, et
d’impossibles renoncements. Comme
l’adolescence?
A.F.
Théâtre Massalia
04 95 04 95 70
http://massalia.lafriche.org
Le hall de la Criée a accueilli du 4 au 6
déc un Cabaret portugais en deux
parties : si le fado qui concluait était un
peu trop classique et sage, la lecture
proposée par Ninon Brétécher, par
la voix posée d’Emmanuelle Rozes, a
permis d’entendre une très belle
œuvre poétique : celle de Sophia de
Melio Breyner, députée portugaise
après la Révolution des oeillets… On
entendit tour à tour l’amour de la terre,
des couleurs et de la mer, la grande
sensualité des vers, et le surgissement
soudain de la douleur comme une
révélation dans l’engourdissement des
jours… L’envie de lire son œuvre, après
ça, passait dans le public comme un
souffle ému
À venir à la Criée
Un autre cabaret, toujours littéraire
et musical : Violaine et Hélène
Schwartz lisent et chantent, s’accompagnant au piano, des lettres
anciennes et récentes, des
échanges épistolaires.
Bien à vous, du 9 au 11 janvier, hall
de la Criée
On retrouve la pianiste et la comédienne au Merlan, qui de vagabond
devient lieu d’ancrage pour la
Criée. Ce spectacle est porté par
la metteur en scène qui avait, il y a
deux ans, proposé un fascinant
Thomas Bernhardt, L’Ignorant et
le Fou. Célie Pauthe met en scène
cette fois une pièce de Bergman,
S’agite et se pavane, qui ressemble
par bien des traits au texte de
Bernhardt : il y est question de folie
et de fantômes, mais aussi de
création
artistique,
de
représentations, de voix cachées
et d’histrions…
S’agite et se pavane,
du 16 au 24 janvier, Le Merlan
La Criée
04 91 54 70 54
www.theatre-lacriee.com
LENCHE | MERLAN | MIRAMAS | PORT-DE-BOUC
THÉÂTRE
09
Sous la peau
Le Merlan a choisi de rapprocher l’art
de la science autour du thème de la
transparence du corps. Tomodensitométrie, cubitus, organe, corps, malaise,
anatomie, geste, coronaire, scanner,
éthique, image, squelette, verrou,
humain, magnétique, thorax, saignée...
Le corps attire, le corps intrigue. Et ce
n’est donc pas un hasard si cette thématique est développée au moment où
le Parc Chanot reçoit l’exposition Our
Body (voir pages 71 et 77). La question
de l’intérieur du corps est, semble t-il,
au centre de nos préoccupations. Il est
vrai qu’il n’y a pas si longtemps, il était
impossible de voir l’intérieur d’un corps
vivant. Aujourd’hui, avec les nouvelles
technologiques, le corps est scruté,
exploré jusqu’au fond des entrailles.
Mais cette exploration n’est plus l’apanage du «corps» médical, elle suscite
l’intérêt des artistes, des historiens,
des anthropologues, des philosophes
et pose des questions d’éthique et
d’esthétique. Comment perçoit-on le
corps aujourd’hui ? Comment l’imagerie
médicale façonne notre représentation
du corps ? Comment peut s’opérer la
captation artistique d’une image
médicale? Le Merlan a proposé un
certain nombre de cartes blanches
afin chacun expose ses réflexions sur
ce thème.
Beaucoup d’exposés, d’hypothèses,
d’expérimentations passionnantes et
de grande qualité : au cinéma et en
partenariat avec le FIDMARSEILLE, des
courts et des longs métrages ont été
projetés comme ce film remarquable
de François Deligny : Le moindre
geste où l’introspection se traduit par
l’observation détaillée du comportement d’un jeune homme de 16 ans
qualifié d’irrécupérable pour la société.
Spectacles ?
Pour Marion Baë et sa partenaire, il
est possible de reprendre contact avec
son squelette par le contact avec
l’autre et l’espace environnant. Devant
un public amusé et conquis, elle entame une conférence dansée, le Petit
traité d’artnatomie, où chaque os en
jeu est nommé, touché, senti.
Deux autres soirées spectacles étaient
prévues, qui se sont transformées en
spectacle-conférence. Pour Cervantès
et la cie l’entreprise le corps théâtral
interroge sa capacité à devenir transparent au profit d’un personnage. Dans
un jeu autour de la mort, de la maladie,
de l’âge, les mécanismes de séduction
sont démontés pour chacun de ses
acteurs soit «seul ensemble». Erikm,
invite à voyager au centre de l’humain
parlaprojectiond’unfilm,uneinstallation
Je tremble © Elisabeth Carecchio
dans laquelle le spectateur déambule
tout en regardant et écoutant des
formes «radiographiques» d’un film fantastique sur l’exploration des organes
d’un corps humains.
La deuxième soirée a finalement été
une succession de projections-conférences : un cinéaste parle d’une jeune
femme affublée d’yeux avec des
rayons X, et une conférence explique
le travail d’un artiste, Xavier Lucchesi,
qui scrute notamment au scanner les
œuvres de grands maîtres afin d’y
découvrir, peut-être, le secret de leur
génie. En violation de l’œuvre ?
Les propositions spectaculaires, dans
l’ensemble peu abouties, se sont
révélées moins intéressantes que les
discours scientifiques, ou les films.
Question de moyens mis en œuvre
sans doute, mais peut être aussi que
les artistes auraient besoin de quitter
Narcisse une fois pour toute ?
CLARISSE GUICHARD
À venir au Merlan
L’événement sans doute de cette fin
d’année. Joël Pommerat a un talent
fou, tous les théâtres se l’arrachent.
Pour deux soirs seulement Je tremble 1
et 2 passent par Marseille, après la
création du second volet au Festival
d’Avignon. Le premier épisode avait
déjà suscité une émotion folle l’an
dernier, au Merlan, qui coproduit le
spectacle (voir Zib 7). À découvrir
absolument, si vous arrivez à vous
trouver des places. Les 19 et 20 déc
04 91 11 19 20
www.merlan.org
Au fil des jours
On est au théâtre, même si les décors
et les costumes (superbes) semblent
sortir d’une scène de cinéma. C’est là
l’une des forces - mais pas la seule ! de la pièce de Jean-Claude Grumberg, L’Atelier, mise en scène et jouée
par la cie Eclats de Scène. D’un
grand réalisme, elle nous plonge dans
cet après guerre immédiat, de 1945 à
1952, dans l’atelier de confection de
Monsieur Léon où vont se croiser juifs
et non juifs, les jeunes oublieux et les
plus âgés qui tentent de vivre malgré
tout, les «revenus de» et ceux qu’on
attend. Mais point de pathos dans
l’évocation saisissante de cette époque terrible ; les comédiens sont d’une
justesse remarquable, évitent la caricature et jouent dans un bel ensemble
les scènes collectives où tout se dit ou
se suggère. Grâce à une scénographie
inventive, on passe des années sombres et grises à un avenir plus coloré
sans y prendre garde, comme si la
scène s’éclairait peu à peu de petites
touches de lumières, de respirations
moins pesantes. Les années passent,
entrecoupées d’un air jazzy joué par
les quatre musiciens du Quartet de
Luxe, et l’on se dit que l’on aurait aimé
passer plus de temps encore avec ces
belles personnes.
À venir au Lenche
D.M.
L’Atelier a été joué du 26 nov au 6
déc au théâtre de Lenche et le 9 déc
au théâtre de la Colonne à Miramas
© F. Pavanello
Le Théâtre de Cuisine prend ses
quartiers au Panier, pour le plaisir de
vos enfants
Ce ventre-là est un très joli spectacle
sur ce que fantasment les élèves lorsque leur maîtresse est enceinte… du
13 au 17 janv.
Ka-O est un spectacle pour tout petits,
de Katy deville, qui raconte comment,
au début du monde, les formes ont
organisé l’espace… du 20 au 24 janv.
L’anthologie du théâtre d’objets propose un historique amusé des divers
techniques de manipulation du 27 au
31 janv. Également au Sémaphore
(Port-de-Bouc) le 23 janv. 04 42 06
39 09.
Théâtre de Lenche
04 91 91 52 22
10
THÉÂTRE
ENTRETIEN AVEC C.-E. PETIT | GYPTIS | BERNARDINES
Rupture générationnelle
Dallas © Philippe Malone
Matière mouvante qui s’est structurée
au fil des rencontres avec le public, au
cours de lectures, d’ateliers, au sortir de
résidences de création, Notre Dallas se
dévoile dans son intégralité au théâtre
Gyptis du 20 au 24 janvier. Entretien
avec Charles-Éric Petit, auteur et
metteur en scène
Zibeline : Qu’allons-nous découvrir en janvier au
Gyptis ?
Charles-Éric Petit : Les deux premiers actes
resserrés, et un acte III réécrit, qui déplace le propos
qui initialement caricaturait les personnages.
L’acte III se terminait alors sur le modèle d’Agamemnon d’Eschyle : Sue Ellen revenait, pleine de
vengeance, avec Clive Barnes et annonçait la perte
et la fin de J.R. Pour des questions pratiques on remet
tout en question ! Ce qui est présent dans l’acte II, à
savoir la thématique de l’héritage, se renforce dans
l’acte III. On tire un peu cette thématique de l’héritage, en ouvrant aussi au tragique et au lyrique. Et en
faisant surtout se répondre, parce que c’est l’enjeu,
Dallas d’hier et sa perception aujourd’hui.
C’est un projet qui pourrait ne jamais s’arrêter ?
Je pense qu’il risque de nous tenir encore un petit
moment ! Ça dépend de l’accueil qui nous sera fait au
Gyptis, et des partenaires financiers. Mais le projet
est passionnant parce que le public a une expérience
intime de la série. Dallas est pour nous un prétexte
pour rencontrer les gens et leur donner la parole.
Quel est le sentiment collectif de cette parole ?
Il y a un tabou générationnel. Je suis parti d’une
volonté de dialogue : je voulais me mettre en regard,
moi qui ai 30 ans, face à cette série qui a 30 ans, et
interroger les pères. Sans inquisition, sans vouloir
culpabiliser cette génération. Mais le tabou est celuici : il porte l’échec politique. La rupture générationnelle
est très compliquée, la possibilité de transmettre
aussi. La phrase clé de la pièce pour moi c’est
«Générer ou autocréer, voilà notre question». On est
une génération autocréée, qui a coupé à un moment
donné avec son passé. Donc, forcément, la question
de la transmission devient compliquée. Quel héritage
transmettre à notre génération ? Et nous, de notre
côté, comment nous mettre en rupture, et en rupture
de quoi ?
Ça passe donc par cette interrogation artistique ?
C’est là que notre pari n’est pas toujours pris à sa
juste valeur. C’est glissant parce que Dallas c’est
hégémonique, ça a une résonance intime, sociologique, historique : chacun y vient avec ses fantasmes.
La perche pour moi est dans cet endroit de dialogue,
dans ce que ça raconte, et tant mieux si c’est du
théâtre. Si ce projet dure 5 ans c’est aussi parce qu’il
lui faut 5 ans pour trouver son véritable impact. Et il
est déjà beaucoup plus clair !
Suite aux réactions ou suite à l’écriture collective ?
Les deux. L’écriture collective signifie que les acteurs
s’empare d’une proposition. Ce qui est génial en ce
moment où je réécris tout, c’est que j’ai encore en
tête la musique des acteurs, et je peux rentrer en
dialogue avec eux par ce truchement-là. Avec le
temps qui se passe et les choses qui se déposent.
C’est en ce sens-là qu’elle est collective. Je fais avec
eux, avec ce qu’ils sont, avec leurs propositions.
Autant de représentations, donc, autant d’ajustements possibles et de questions qui se posent…
En ce moment où tout est si rigide c’est ça qui est
passionnant. Cet objet est endogonique, il est vivant,
tout bêtement. C’est l’intérêt de faire un texte vivant.
Les plis du rêve
Il sont presque tous là, Sacha, Nina, Olga, Smirnov et
Platonov à porter doucement les offrandes : plateaux
d’huîtres, champagne (Tchékhov trouva dans ses
bulles sa dernière réplique et son ultime respiration),
bouquets d’âme russe et de fleurs fraîches qu’on
abandonne sur les chaises. Création collective de
sept jeunes comédiens à partir de l’œuvre de
Tchékhov et première mise en scène d’Aurélie
Leroux, Tâtez-là si j’ai le cœur qui bat trouve une
palpite douce et propice aux réminiscences sourde.
Pas le rêve mais les plis du rêve, pas la citation mais
l’hommage. Il faut s’y abandonner sans chercher les
références, avoir confiance : chaque silence, chaque
geste en contient un autre ou son contraire.
Au début (mais on sait bien que tout a commencé
depuis longtemps) un comédien aux yeux noirs
souffle une bougie et la rallume dans le même
mouvement ténu et vacillant. La scène est lieu de
passages, de traversées; les portes s’ouvrent
«bonjour» pour se refermer «bonsoir» ; la profondeur
est suggérée par l’au-delà de la moustiquaire ou du
voile de mariée, l’autre table en miroir dressée à
l’identique, là où le bruit des cuillères sur les assiettes
en faïence donne la cadence; rien de métaphysique:
on y accède en ouvrant l’armoire ! La musique vient
de loin, avec la langue russe parfois et tout cela
fonctionne en un rituel un peu effacé, comme une
partition qu’on aurait oubliée sous la neige... Les
jeunes comédiens ont tous des talents subtils :
Roxane Clayet-Merle rosit très bien des joues,
Marion Duquenne sait friper son nez et retenir sa
larme à la paupière... Un duvet blanc, témoin du
passage d’un ange ou d’une mouette égarée
s’obstine à voleter au gré des mots. Poursuivons le
rêve !
MARIE-JO DHÔ
Tâtez-là si j’ai le cœur qui bat a été créé
aux Bernardines du 4 au 13 déc
À venir aux Bernardines
Encore une création ! Angela Konrad persiste dans
son exploration shakespearienne et propose son
Macbeth du 13 au 25 janv. Avec Frédéric Poinceau
en usurpateur poursuivi par ses spectres, quelques
sorcières, sa Lady, et sa faute.
Théâtre des Bernardines
04 91 24 30 40
www.theatre-bernardines.org
PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE MARÇON
Tatez-la si j'ai le coeur qui bat © Renaud Perrin
Notre Dallas
Mes Charles-Éric Petit
du 20 au 24 jan
Théâtre Gyptis
04 91 11 00 91
www.theatregyptis.com
DAKI LING | MONTÉVIDÉO | TOURSKY
Danse avec Mémère !
Sérénité
du poisson
rouge
Mémère a été joué
au Daki Ling
du 27 au 29 nov
À venir au Daki Ling
Le Club des cinq (clown),
les 9 et 10 jan à 20h
Deux matchs d’improvisation du MITHE: le 12 janvier
à 20h
(Corinthiens/Mesopotamiens)
et le 17 janvier à 20h (M.I.T.H.E./Bastia)
Un Concert insolite et magique
avec Guillaume Vallée,
les 15 et 16 janvier à 20h
Daki Ling
04 91 33 45 14
www.dakiling.com
Mémère © Latypique
CHRIS BOURGUE
À la porte de (chez) soi
Prenez un géant du théâtre, un grand texte, un génial
adaptateur, et vous obtenez un moment d’exception.
Michel Aumont est ici seul sur scène. Professeur
de philosophie bougon et passionné de Platon, il vient
d’interrompre la rédaction d’un article sur Le Phédon
et se retrouve, pour avoir raccompagné un étudiant,
à la porte de son appartement. Situation banale,
propre à la comédie, mais s’ensuit une marche dans
Paris qui s’avère révélatrice des limites, explorant les
frontières intimes, qui sont autant de portes
auxquelles nous nous heurtons. tre à la porte ne
recouvre par seulement la réalité physique de se
retrouver «enfermé dehors». L’apparence, les mots,
les habitudes, l’argent, la folie, tout est susceptible
de nous mettre à la porte, hors du monde, la dernière
exclusion étant la mort, leitmotiv lancinant et
obsessionnel. La douleur, le malheur individuel ne
renvoient qu’à nous-mêmes, nous excluent. Le
discours du philosophe a beau être rigoureux, il ne
peut endiguer cette course intime. «Plus on pense de
façon objective, moins on existe» écrivait Kierkegaard. L’auteur du roman dont est adapté la pièce,
Vincent Delecroix, en est le spécialiste, et il n’est
11
Luxe n°1 © Agnès Mellon
C’est un bien joli spectacle que la cie Latypique
nous a offert, qui ressemble à un voyage au pays des
souvenirs des jours anciens et à la tendresse possible
du présent, qui charme et qui émeut, en 35 minutes!
Présenté au Festival de Marionnettes de Sisteron, le
voilà à Marseille, au Daki Ling, lieu accueillant et
atypique. Marine Dubois et Bernard Roure ont des
formations qui se complètent, scénographie, voix et
bruitages, marionnettes, et allient leurs compétences
avec subtilité. Le spectacle se déroule dans une
vieille caravane pliante qui s’ouvre et se monte avec
le secours d’un spectateur réquisitionné au premier
rang. On découvre Mémère et ses petites habitudes
dans sa robe à grosses fleurs jaunes et orange, les
mêmes que celles du papier peint. Et Mémère bouge,
animée par Marine qui la porte sur son ventre et
partage son bras : elle ne font qu’un seul corps et
leurs déplacements sont une chorégraphie
chaloupée. Mémère parle seule pour combler sa
solitude : c’est Bernard qui parle, chantonne et fait
tous les bruits, installé au fond de la caravane avec un
micro. Mémère se prépare un gâteau pour fêter son
anniversaire, s’adresse à son mari dans son cadre
sur le mur, chantonne, se souvient d’un voyage en
amoureux et écoute la mer dans un coquillage. C’est
simple, c’est plein d’humour et de tendresse.
Une 2e partie proposait un théâtre d’objets réjouissant. Des objets sur une table : petits robots
mécaniques, canard et caniche en plastique, vieux
tourne-disques... Le tout filmé en direct et projeté sur
un écran en cadrage serré. Animations d’objets
dérisoires sur fond de Vol du bourdon ou chanson de
Bourvil, La tactique du gendarme ! Beaucoup de
justesse et d’humour !
THÉÂTRE
guère innocent que son personnage écrive sur le
Phédon : Socrate y meurt et nous interroge sur
l’essence de l’âme… Texte superbe, intelligent, subtil,
élégant, écrit, servi par un acteur époustouflant, que
nous suivons dans tous ses délires, ses errances, ses
emportements, ses remarques acides ou cocasses…
avec bonheur !
MARYVONNE COLOMBANI
À venir au Toursky
Le reprise de la Révolte des fous (voir Zib 8) le 19 déc
étant complète, on peut vous conseiller des
Chaussettes assez décevantes, où le talent hors
norme de Galabru n’efface pas les lourdeurs du
texte (du 8 au 10 janv). Quant à Voltaire’s Folies JeanFrançois Prévand l’a écrite avec des extraits de
pièces, de contes de lettres et de pamphlets du
philosophe… C’est dire si l’ironie doit y régner ! (les 16
et 17 janv).
Théâtre Toursky
0820 300 033
www.toursky.org
C’est une PEF (petite entreprise familiale) qui bat de
l’aile ; rien d’étonnant par les temps qui courent :
maman assortit ses godemichés à la cravate de son
mari car papa (c’est le même) ne peut pas... fiston
crayonne et dérange... L’écran déverse son lot
d’aphorismes couturiers : Yves St Laurent ou JeanPaul Gaultier disent des choses très mignonnes sur la
beauté et l’amour ; le luxe, chez ces gens-là, consiste
à vivre à petits pas sur un étroit praticable de défilé
de mode sous le regard des spectateurs latéraux qui
ne perdent pas un clignement d’oeil ni un rictus
égaré. Cette proximité, voire interaction, avec le
public qui ne peut risquer le moindre raclement de
gorge sans être toisé par l’acteur en tension, est la
Réussite n°1 de ce court premier volet (triptyque en
vue) encore bien fragile dans sa réalisation. Le texte
écrit et mis en scène par Geoffrey Coppini est
faible, hélas, dans sa distillation des aléas du couple,
malgré le malicieux recours à la précision lexicale des
économistes ; heureusement les brèves citations des
Liaisons Dangereuses de Laclos viennent à propos
nous rappeler que nous sommes dans le simulacre et
l’excès ; la gestuelle émotionnelle à la Greuze
(postures figées de grandiloquence et travail des
corps exposés à la lumière), les couleurs ravageuses
des robes de la blonde et blanche Clémence
Schreiber témoignent en effet d’une dépense
théorique et sensible qui pourrait justifier le titre mais
parvient faiblement à élever le sens ; «du luxe et de
l’impuissance» donc, pour paraphraser Jean-Luc
Lagarce. Et lorsque la main inexperte de l’enfant
caresse le congre flapi déniché dans l’aquarium en
un geste somptueusement odorant, tout le monde
regarde le poisson rouge qui tourne en rond.
MARIE-JO DHÔ
Luxe n° 1 / Investir
écrit et mis en scène par Geoffrey Coppini
a été donné à Montévidéo
le 4 et 5 déc
12
THÉÂTRE
ARLES | ROUSSET | MARTIGUES | AIX
Les mots du cœur
Réduction argentine
Loin de dénaturer
les accents tragiques
de la pièce de Tchekhov,
l’adaptation brillante
d’Oncle Vania par le metteur
en scène argentin Daniel
Veronese l’enrichit d’un
univers nouveau
© Dunn Meas
Jean Rochefort ne veut pas écrire ses
mémoires, il veut les jouer. Égrener sur
un plateau ses rencontres marquantes,
avec les textes, les auteurs, les comédiens… Un autoportrait qui le fait se
dévoiler un peu, en toute simplicité,
avec humour et émotion, en mêlant les
genres, et les époques. Passant, sans
en avoir l’air, de Bobby Lapointe à Henry
Miller, de Jacques Prévert à Primo Levi,
de Charles Trenet à Fernandel ou Jean
Yanne, textes joués, dits ou chantés,
Jean Rochefort nous présente son théâtre personnel, un univers où l’humour
le dispute à la fragilité et à la mélancolie. Les anecdotes font mouche,
convoquent Philippe Noiret, Michel
Serrault ou Michel Audiard, le conteur
ne s’arrêtant que le temps d’une phrase
musicale, ou d’un biscuit-confiture vite
avalé.
L’accordéoniste Lionel Suarez l’accompagne et souligne les textes, lance un
air qui le fait danser ou déclenche un
de ses sourires lumineux, et va jusqu’à
jouer le faire-valoir dans un numéro
hilarant qui démontre que Rochefort
imite à merveille la taupe qui découvre
le printemps, la femelle du gibbon ou
le caméléon. Décousu peut-être, mais
délicieux. Â l’image de ce grand
monsieur.
D.M.
Entre autres a été joué
le 6 décembre aux Salins
(Martigues) et jusqu’au 20 déc
au Jeu de Paume (Aix).
0820 000 422
www.lestheatres.net
Il ne reste plus grand-chose des conventions proprettes ni de l’espace des
salons russes. Autour d’une petite
table, sur un espace scénique plus que
réduit, les acteurs vont et viennent,
s’assoient les uns sur les autres. Ils
rient, parlent fort, s’écoutent peu, s’enlacent, pleurent à s’en rouler par terre,
se saoulent. À la vodka.
Remaniés par des langues latines, un
brin réécrits, les mots de Tchekhov
sonnent étonnamment juste. Au fond,
le metteur en scène opère peu de
modifications textuelles : quelques questionnements sur le théâtre, balayés par
un Serebriakov propulsé célèbre critique, un langage un peu plus familier. Le
profond désespoir de chaque personnage reste intact, plus sensible peut
être grâce au resserrement, et porté
par une troupe d’acteurs irréprochable
qui adopte un rythme parfait. La transposition, dont Daniel Veronese est
familier, puisqu’il s’était attaché auparavant aux Trois Sœurs, s’avère plus
que réussie: éclairante !
© Elena Consuegra
Espia a una mujer que se mata
a été joué au théâtre d’Arles
le 9 déc et au Théâtre des Ateliers
du 20 au 22 nov dans le cadre de
la programmation des ATP d’Aix
À venir aux ATP
Adel Hakim met en scène Mesure
pour mesure, la pièce de Shakespeare qui voit la vertu pudibonde
d’un Angelo porté au pouvoir se
transformer en puritanisme répressif, puis en vice avéré. Est-ce
l’exercice du pouvoir, ou la
méconnaissance de lui-même, qui
transforme ainsi l’Angelo? Un spectacle programmé dans la Salle
Emilien Ventre (Rousset) le 20 janv
04 42 26 83 98
www.atpaix.com
SUSAN BEL
80 jours, c’est mathématique !
Petit théâtre dans le théâtre, les
rideaux rouges de guignol resserrant
l’espace, sur une mini scène qui se
transforme aussi bien en compartiment de chemin de fer qu’en salle de
whist du «Reform Club», pour gentlemen flegmatiques et argentés… Le
sujet, tout le monde le connaît. Mais le
traitement vaut le détour, humour décalé, anachronismes moqueurs, jeux
de scène, mimiques désopilantes, traits
exacerbés, parodie de music hall…
tous les ingrédients, jusqu’à la musique
de Sylvain Meyniac, contrepoint ironique et farceur, sont réunis pour une
désopilante réussite. L’artifice du théâ-
tre mis en avant sert aussi d’élément
dramaturgique. Ainsi, les acteurs sans
moyens jouent en accéléré pour écoTour du monde © Valerie Lebeau
nomiser les décors (sic), et soulignent
par leurs fausses rencontres et reconnaissances, les nombreux rôles qu’ils
endossent. Distanciation, ironie, jeu
avec l’actualité, c’est un tel festival que
les acteurs ont parfois du mal à garder
leur sérieux ! Tous changent de peau
avec brio, Anaïs Harté, danseuse du
ventre, anglaise snob et princesse
indienne, malicieuse Aouda, Stéphane
Roux, un Phileas Fogg guindé, pince
sans rire à souhait, et anglaise rose
bonbon…, Eric Gueho, Passepartout
sans compter ses surnoms, inénarrable dompteur d’éléphant, Nicolas
Tarrin, Consul, et une multitude
d’autres rôles, et enfin, Sébastien
Azzopardi, inspecteur Fix à la Gabin
ou policier d’une mauvaise série allemande, metteur en scène et coauteur
de cette pièce avec Sacha Danino. 5
acteurs, 80 jours, 115200 minutes…
autant d’occasions de rire !
MARYVONNE COLOMBANI
Le Tour du monde en 80 Jours
a été joué Salle Emilien Ventre
(Rousset) le 6 déc
AUBAGNE | AIX | BERRE L’ÉTANG
THÉÂTRE
13
Le Maquis en tournée
Le théâtre de Maquis
écume la région avec ses
deux dernières création :
la Cie des spectres
et Farralone
Florence Hautier joue le roman de
Lydie Salvayre, La Compagnie des
spectres, en habitant la scène de sa
présence. De ses présences plutôt,
puisqu’elle campe tout à la fois, dans
sa belle robe rouge, avec un naturel
sidérant, Rose, sa fille, et l’huissier qui
vient les sortir de leur folie, recluses
qu’elles sont depuis l’arrestation, en
43, du frère de Rose… Un spectacle
qui séduit par sa vitalité, bouleverse à
l’évocation de l’Occupation, et analyse
des rapports mère-fille qui vont de
l’adoration à l’exaspération.
Farallone est une pièce comique, et
féroce, tirée du roman de Stevenson
adapté par Pierre Beziers. Il y est
question d’un voyage de fortune sur le
pacifique, de trésor et de champagne,
de cargaison et de déréliction. On y
chante (sur des airs de Martin
Béziers inspiré par… Beethoven) on y
rit, on y retrouve des figures de pirates
et de maquerelles, mais aussi la
noirceur de Stevenson, qui préfère
souvent les vices des crapules aux
déviances de la justice et de la loi
humaine, ou religieuse…
La Compagnie des spectres © Leïla Garfield
Château de Trets
le 20 janv
04 42 37 55 00
Le Forum, Berre L’étang
le 6 fev
04 42 10 23 65
La Cité du livre, Aix
le 13 fev
04 42 38 94 38
Farralone
A.F.
La Compagnie des spectres
MJC Aubagne
le 9 janv
04 42 18 17 17
Jeu de Paume, Aix
Le 16 janvier
04 42 38 94 38
Le Comœdia, Aubagne
le 5 fév
04 42 18 19 88
Atteindre ou attenter
En anglais attempt a les deux sens. Attempt to her life,
la pièce de Martin Crimp, est une mosaïque sous
forme d’énigme qui ne se résout pas, mais s’opacifie
peu à peu : il s’agit d’atteindre une femme, mais aussi
d’attenter à son existence même en embrouillant les
fils de sa réalité. Dans une forme d’écriture
dramatique très particulière, où les acteurs sont des
instances de paroles plutôt que des personnages, 17
récits forment le portrait hétérogène d’une femme
qui change d’âge, de profession, d’adresse et décline
son prénom d’Annie à Aniouchka. Stéphane Gasc, au
Jeu de Paume en 2004, en avait proposé une mise
en scène magistrale, façon loft story trash. Au
Comœdia c’est la Cie d’Yves Borrini, Le Bruit des
hommes, qui s’empare de ce texte où les voix se
présentent comme des témoignages et croisent leur
invraisemblances, disant ensemble l’impossibilité de
témoigner du réel d’une vie, dans une société où la
médiatisation du témoignage compte davantage que
la réalité des faits rapportés.
A.F.
Atteintes à sa vie
Martin Crimp
mes Yves Borrini
Theâtre Comœdia, Aubagne
le 16 janv
04 42 18 19 88
www.aubagne.com
Ce que parler
ne veut pas
dire
La Cie le Soleil Vert présente au
Théâtre Vitez un travail élaboré lors
d’une résidence au 3bisF. Il y est
question de la parole dans ses fonctions phatique et metalinguistique. Les
trois acteurs, et la danseuse Barbara
Sarreau, y improvisent une parole de
remplissage, tissée de ces mots que
l’on prononce non pour signifier des
concepts ou faire passer des informations, mais pour créer du lien, ou du
plein. Une mise en scène de Laurent
de Richemond, sur un schéma textuel,
base des improvisations, d’Arno Calléja.
A.F.
Mon corps est nul
Théâtre Vitez (Aix)
du 13 au 16 janv
04 42 59 94 37
www.theatre.vitez.fr
© X-D.R.
14
THÉÂTRE
MARTIGUES | GRASSE
Le Mal qui guette
Mefisto for ever est un spectacle marquant. Parce que
la fluidité de la scénographie, qui superpose avec brio
les gros plans vidéos et la présence réelle des
acteurs, tout en approchant leurs voix de nos oreilles,
est d’une maîtrise absolue : rarement la vidéo a été
si magistralement intégrée, sans ostentation vaine ni
redondance, à une mise en scène. Les acteurs
travaillent à l’échelle de notre perception, navigant
aussi entre les textes : celui de la fiction cadre -une
troupe de théâtre aux prises avec la montée, le
triomphe puis la défaite des nazis- et les grands textes
dramatiques qu’ils jouent, Shakespeare, Ibsen ou
Goethe décrivant mieux qu’eux-mêmes leurs états de
conscience.
Car c’est de dilemmes dont il est question, comme
dans tout grand texte dramatique. Hamlet ou Faust
en sont l’objet, ils tranchent, plus ou moins mal,
comme le directeur de ce théâtre qui à force de
concessions -par pragmatisme ? lâcheté ? simple
erreur de jugement ?- finit par servir le régime abject
qu’il voulait combattre de l’intérieur. Le texte de Tom
Lanoye met en garde contre le lent abandon des
idéaux, abandon qui guette les artistes en ces temps
de restrictions qui poussent à la concession politique.
Le spectacle était difficile : 3 heures de vrai texte,
parfois un peu verbeux, sans trop d’action, en
hollandais, dans la grande salle des Salins où les
surtitres, perdus dans les cintres, obligeaient les non
néerlandophones (nombreux !) à une gymnastique
visuelle entre les acteurs et le texte digne des
spectateurs de tennis. Mais le jeu en valait la
chandelle : quelque chose de vital, formellement,
fondamentalement, était dit.
À venir aux Salins
Le Théâtre de cuisine de Christian Carrignon,
décidément à l’honneur en ce début d’année (voir
page 9), propose son spectacle de marionnettes
inspiré d’Homère : il y est question de fabriquer de
l’épique… avec ce qui tombe sous la main ! Et figurezvous que ça marche, dès 10 ans ! Le 9 janv, La
répétition : une odyssée.
Pippo Delbono revient aux Salins avec sa dernière
création Questo buio feroce, un spectacle macabre
mais pas morbide, qui évoque et cite les images les
plus noires que l’humanité ait produites. Un défilé
expressionniste, beau et désespérant, des figures
de la souffrance humaine. Le 13 janv, en italien
surtitré (et peu bavard). Le diptyque de Sonia
Chiambretto mis en scène par Hubert Colas sera
décliné dans les deux salles. En commençant par
Mon Képi Blanc, hallucinant monologue hurlé d’un
légionnaire abruti, pour finir dans la petite salle du
bout de la nuit avec Chto, interdit au moins de 15 ans
(les 20 et 21 janv).
Mephisto for ever © Koen Broos
Mefisto for ever a été joué
aux Salins les 25 et 26 nov
AGNÈS FRESCHEL
Les femmes et la douleur
Outre Anne Sylvestre, le théâtre de Grasse accueille quelques femmes
sur son vaste plateau…
Dominique Blanc y lira le 30 janv la première étape
autobiographique de Duras, le journal qu’elle tint après
la guerre tandis qu’elle attendait, dans La Douleur, le
retour de son mari (également à Châteauvallon).
Mais avant cela la création d’un spectacle tout public
joué par deux comédiennes époustouflantes, qui ont
travaillé avec Omar Porras et ont acquis une virtuosité
hors du commun : dans Ernest ou comment l’oublier,
écrit et mis en scène par Ahmed Maddani, Stéphanie Gagneux et Camille Figuéréo jouent deux
vieilles femmes qui attendent depuis des années leur
amant mythique, cet Ernest qui les a abandonnées
au crépuscule de leur carrière d’acrobates, en promettant de revenir un jour choisir entre les deux l’élue
de son cœur… (les 22 et 23 janv).
L’Agora theatre viendra conter un autre combat : la
Cie belge germanophone, dirigée par Marcel Cremer,
vient jouer Les Croisés (les 15 et 16 janv), un spectacle créé en 2005 salué par le public, la critique et
de nombreux prix. Là encore, des femmes sont au
cœur de la pièce : il s’agit de Religieuses qui soignent
des mutilés de guerre et les exhibent ensuite, leur
Les Salins, Scène Nationale de Martigues
04 42 49 02 00
www.theatre-des-salins.fr
demandant, grotesques, de rejouer leur traumatisme… Un spectacle drôle et féroce qui s’attaque
aux manichéismes et aux combattants de Dieu (également aux Comoni, Pôle jeune public du Revest les
eaux (84), le 13 janv).
Avant cela, pour commencer l’année (les 7 et 8 janv),
Sylvie Testud et Bernard Giraudeau jouent en
texte de Max Frisch : Biographie sans Antoinette est
une pièce intéressante sur le déterminisme, mais qui
ne choisit pas assez franchement le rythme du vaudeville (voir Zib 13 page 9). Tandis que question rythme,
Bonaventure Gacon s’y connaît ! Un des acrobates
les plus doués de sa génération, trampoliniste virtuose, mais aussi, dans Par le Boudu, clown alcoolique
qui tangue et remue sa férocité somme toute généreuse. Un très beau solo de cirque, «plutôt pour les
grands» (les 9 et 10 janv).
A.F.
Théâtre de Grasse (06)
04 93 40 53 00
www.theatredegrasse.com
Talentueux
C’est avec beaucoup de douceur qu’Edouard Baer
pénètre dans l’univers de Patrick Modiano. Grave,
élégant, il va peu à peu s’effacer devant ce texte
sombre, implacable, bouleversant dans lequel l’auteur
analyse les vingt premières années de sa vie. Les
souvenirs s’enchaînent, douloureux, la voix d’Edouard
Baer se fait distante, détachée, mais toujours tendre,
un sourcil relevé soulignant l’absurdité de certaines
paroles. Dans cette lecture qui n’en est pas une, Baer se saisissant de temps en temps d’un texte,
d’une lettre, comme d’un accessoire qui soulignerait
le propos-, l’intimité qui s’installe est captivante.
Paradoxe de cette voix posée, balbutiante parfois,
comme absente par moment, dont le rythme travaillé
cisèle les mots.
Une interprétation humble et profonde de la part d’un
comédien décidément étonnant.
D.M.
Pedigree a été lu le 3 déc aux Salins
Edouard Baer © Zippo-Starface
CHÂTEAUVALLON | DRAGUIGNAN | GAP
THÉÂTRE 15
L’ Homme hyperbolique
À venir en Dracénie
Le petit chaperon rouge © Thomas Bartel
À venir à Chateauvallon
Falstafe © Loic Venon
Falstaff est gros, c’est même LE Gros catégorie
shakespearienne, comme une autre mesure de la
démesure du monde... Valère Novarina est jeune
lorsqu’il adapte librement Henry IV et Henry V (en
1975, à la demande de Marcel Maréchal) sortant de
l’ombre le héros encore alourdi d’un «e» bavard :
Falstafe est né, et ce vieux bébé est porté de nouveau, sur les fonts de scène, pour notre plus grand
bonheur, dans les bras épiques de Claude Buchvald.
La metteur en scène, qui en connaît un rayon côté
poids lourds, d’Homère à Claudel, et sait son
Novarina sur le bout des doigts (cinquième création!)
livre subtilement sa version musclée et tragique du
bouffon éternel.
Quand ça commence, dans la longue et jubilatoire
première partie, truculence et truanderie arpentent
et martèlent le plateau : le jeune prince (fragile et
attentif Mathieu Genet) se frotte crûment à la vie
aux côtés de l’immonde pédagogue ventru (finement
ubuesque Gilles Privat) qui ne mâche pas ses mots;
antithèse ambulante, le duo flanqué de deux autres
gredins enluminés fait flamber le verbe novarinien
pourtant encore un peu timide, en quête de son filon.
L’œil et l’oreille sont repus, tout fonctionne comme la
table à double fond du banquet philosophique, dispositif cher à Claude Buchvald, gâteau à l’endroit ou cul
par-dessus tête…
Mais le prince est appelé à régner et la deuxième
partie, non moins riche en défilés de trognes et de
corps de formidables acteurs qui gravent les misères
de la guerre, peine à trouver son rythme. Rejeté du
désormais souverain, emprisonné, Falstafe est
condamné à devenir innocent : quand la scène se
vide, le monde est vraiment devenu vieux...
L’année 2008 se clôt avec un magnifique cadeau : le
Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat est une
merveille qui vous enverra rejoindre les désirables
terreurs de vos enfants, et les fera trembler de
douloureuse douceur (jusqu’au 20 déc)…
La Douleur qui ouvrira 2008 sera plus adulte et
féminine : Dominique Blanc lit le journal de Duras,
celui de l’attente, après la Guerre, du retour de son
mari… Un grand texte, servi par une magnifique
comédienne (les 16 et 17 janv).
Quelques jours après (le 23 janv), une création :
Philippe Calvario met en scène une pièce du dramaturge allemand contemporain Von Mayenburg. Il
y sera question de Parasites, et de cinq personnages
acharnés à se poursuivre, et à se détruire.
A.F.
Châteauvallon, Ollioules (84)
04 94 22 02 02
www.chateauvallon.com
Un des temps forts de la saison de Draguignan : le
Festival Amarelles propose 8 spectacles de choix,
à voir en famille
-Le Petit Chaperon Rouge de Joël Pommerat
(voir ci-contre) ;
-Yaël Tautavel, une très belle odyssée, fantastique et
cruellement écolo, de deux frères partis à la recherche des animaux disparus ;
-La dernière création, forcément virtuose et poétique,
de la cie Accrorap de Kader Attou ;
-Un opéra de poche de Jacques Rebotier ;
-Deux installations théâtrales de la Cie Médiane ;
-Et deux spectacles inspirés de peau d’âne : pour
commencer, le festival Seule dans ma peau d’âne
d’Estelle Savasta, inspirée de Perrault ; et pour le
conclure, La vraie fiancée, d’après Grimm, écrit et
mis en scène par Olivier Py, et troisième étape de
son voyage cruel et symbolique au pays des contes
mystiques des deux frères romantiques : il y est
toujours question de pureté, de tentation, de
rédemption, et de beauté…
A.F.
Amarelles
du 10 au 30 janvier
Draguignan, Lorgues (84)
04 94 50 59 59
www.theatresendracenie.com
La portée des actes
Après avoir fêté dignement ses vingt ans en
compagnie de Catherine Marnas et Pippo
Delbono, le théâtre de Gap reprend ses quartiers
d’hiver… qui sont loin d’être inactifs ! Guy Pierre
Couleau, metteur en scène associé du théâtre,
créera du 13 au 16 janv Les Mains sales, de Sartre.
Parce qu’il aime le théâtre politique : la pièce met en
scène deux marxistes, une sorte de Lorenzo qui
Les mains sales © Synchro X
s’introduit dans l’intimité d’un chef pragmatique et le
tue non par idéalisme -il perd ses rêves à son contactmais par désillusion. Une manière pour Sartre de
prêcher, en 1948, pour un marxisme humaniste, qui
rejetterait d’un côté le terrorisme révolutionnaire, et
d’un autre côté les compromissions des
communistes (stalinien) au pouvoir. Albert Camus y
répondra, moins d’un an plus tard, avec Les Justes,
que Pierre Guy Couleau a mis en scène il y a deux
ans et qui aborde aussi le problème de la résistance
violente à un régime totalitaire. Un théâtre littéraire
longtemps jugé verbeux après les transformations
opérées par Beckett et Ionesco, mais dont la
pertinence de la réflexion politique et philosophique
compense bien le statisme, et l’absence d’innovation
formelle…
AGNÈS FRESCHEL
MARIE-JO DHÔ
Falstafe de Valère Novarina,
d’après Henry IV et Henry V de Shakespeare
a été joué du 20 au 22 nov à Châteauvallon
et le 25 nov à Draguignan
Les Mains Sales
Jean-Paul Sartre
mes Pierre Guy Couleau
du 13 au 16 janvier
Scène Nationale de la Passerelle, Gap (05)
04 92 52 52 52
16
THÉÂTRE
OUEST PROVENCE | PORT-DE-BOUC | CAVAILLON
Singulier destin
Pierre Lericq est seul sur scène ; son
personnage, Paul, est seul face à ses
jurés, le public autrement dit, à qui il
s’adresse régulièrement pour lui
raconter sa vie, pour la défendre. Parce
qu’il est coupable, Paul, il a tué son
père de plusieurs coups de compas
dans le corps, le dernier coup dans
l’œil, et sans chercher d’excuses il va
petit à petit faire remonter ses
souvenirs et nous conter, sans pathos,
son singulier destin. De l’acte
déterminant -son père «l’abandonnant» dans une ferme, une
semaine, où il sera entouré d’horribles
personnages qui abuseront de lui, à
son retour, silencieux, et déjà
coupable, à une vie qui lui échappe.
Son amour des mots va le sauver, il s’y
raccroche, et dans le texte ciselé de
Pierre Leriq chacun a son importance,
servant l’émotion, du rire à la douleur,
poétiques et sincères. Jeux de mots
donc, et jeu du corps qui sautille,
Le compas dans l'oeil © X-D.R
bondit, danse, cours, et se pose enfin,
l’acte perpétré, pour respirer une liberté retrouvée. L’énergie de Pierre Lericq
est communicative, réjouissante !
DOMINIQUE MARÇON
Le Compas dans l’œil
a été joué le 25 nov
au théâtre du Sémaphore
à Port-de-Bouc
Les rêveurs
n’ont plus triste figure
Sixième collaboration entre Philippe Vincenot et Laurent
Vercelletto, Le cas Quichotte réécrit le mythe de ce fier
chevalier idéaliste et absurde
Cas Quichotte © Patricjk Servius
Retenu dans une maison de repos qui
«sentl’urine,ladéfécation,leproduitdétergent, avec des notes de crasse et de
renfermé», Alonso Quijano s’imagine le
monde au-delà des murs qui l’enferment : le goût sucré des pâquerettes,
la bienveillance des oiseaux, la mer.
Son camarade de chambre, pourtant
bien conscient de s’appeler Robert, se
résout à répondre au nom de Sancho,
affirme avoir assisté aux péripéties que
Quijano se plaît à conter : «j’y étais : je
tenais le candélabre.»
Le médecin chargé du cas Quichotte
observe avec tendresse et agacement
leurs dialogues absurdes mais y prend
part, se figure les bouts de scotch qui
accrochent un dessin de Quijano et
Sancho au carrelage comme des pays
dispersés dans la mer et se plaint que
leurs oiseaux ressemblent davantage à
des martinets qu’à des colombes. Pour
finalement diagnostiquer à ses patients
une confusion visuelle.
C’est peu dire que le texte de Philippe
Vincenot rend hommage au roman de
Cervantès : il le transforme en hymne à
la rêverie, au voyage, à l’errance, à une
folie partagée. Un humour et un
enthousiasme communicatifs envahissent rapidement la scène qui passe du
noir pesant de l’asile au bleu et blanc
des songes de Quijano. Point de
désillusion, le rêve triomphe assez vite
de la rigidité d’un médecin et de ses
croyances, pour notre plus grand
bonheur.
SUSAN BEL
Le cas Quichotte a été joué
au Sémaphore le 5 déc
et au théâtre de Lenche (Marseille)
du 9 au 13 déc
Comment
vit-on ?
C’est la guerre vue d’ici, et vue de làbas. Ici c’est à Paris, là-bas à Beyrouth,
et la guerre celle qui dura quinze ans
au Liban. La jeune auteure-metteure
en scène Hala Ghosn oppose les
regards, et les ressentis, multiplie les
points de vue, fait se confronter les
personnages, avec beaucoup d’humanité et de finesse. Sur la scène, seuls
sont visibles deux balcons qui se font
face : celui de Rima, jeune veuve
libanaise, et de son jeune frère, Toufic,
membre d’une milice, et celui de
Marwan, qui vit chez sa tante, et dont
le frère et la sœur, Zyad et Mona, sont
à Paris, vivant la guerre par échos
médiatiques interposés. Entre les deux
balcons, la vie parisienne justement.
Simple mais astucieuse, la scénographie souligne les espaces de
chacun, les circulations, les dialogues:
parce que malgré la guerre on travaille,
on fait du sport, on regarde la télé, on
se séduit, on espère… Tout est question de perspective et donc de
compréhension, y compris dans une
scène savoureuse où Zyad, conférencier, va tenter d’éclaircir les raisons
du conflit. Qui comprend quoi, qui
ressent quoi ? Il n’y a pas de légitimité
dans la douleur, pas de degré dans les
souffrances, on vit, c’est tout. Et c’est
déjà beaucoup. C’est drôle, poignant,
intelligent, et l’interprétation brillante
des comédiens (certains passant
parfaitement d’un rôle à l’autre) est à la
hauteur de cette évocation sensible et
admirable de la guerre civile libanaise.
D.M.
Beyrouth Adrénaline
s’est joué au Théâtre de Fos
le 29 nov.
Beyrouth adrénaline © Marielle Bettembourg
À venir
au théâtre de Fos
Fos accueille la première en France
de la nouvelle création de la cie
québécoise Le Carrousel, Le Bruit
des os qui craquent. Le texte de
Suzanne Lebeau, grande figure
de la dramaturgie pour le jeune
public, interroge la place de
l’enfant dans le monde et les
discours qu’il est «permis» et
nécessaire d’avoir à son endroit. Le
Bruit des os aborde la douloureuse
réalité des enfants soldats, au
travers de trois personnages :
Elikia, enfant dont la vie bascule
lorsque éclate la guerre civile et qui
deviendra soldat et victime ;
Joseph, jeune confident qui va lui
rappeler sa famille, son enfance et
son humanité ; et Angelina, la seule
adulte, l’infirmière qui les reçoit à
l’hôpital où ils arriveront après
s’être enfuis, et les accompagnera
dans le difficile retour à une vie où
les enfants peuvent grandir comme des enfants. Un long travail
d’écriture, «sans naïveté», qui décrit
un monde sombre mais bien réel,
qui ne peut laisser indifférent. Le
spectacle s’adresse à tous, à partir
de 10 ans.
Des gens, mise en scène par
Zabou Breitman, est une adaptation théâtrale des documentaires
Faits divers et Urgences de
Raymond Depardon. Des tranches
de vies ordinaires, dialogues glanés
au cœur d’un commissariat et d’un
hôpital psychiatrique incarnés par
Zabou Breitman et Laurent Lafitte
avec beaucoup d’humanité et de
sensibilité.
Des gens
mes Zabou Breitman
le 20 janvier
Le Bruit des os qui craquent
Cie Le Carrousel
le 13 janvier
Théâtre de Fos
04 42 11 01 99
www.scenesetcines.fr
le 16 janvier
Théâtre de Cavaillon
04 90 78 64 64
www.theatredecavaillon.com
THÉÂTRE 17
Jusqu’à la folie
Quelle
histoire !
Le concept de bonheur à travers les siècles et les
langues, telle est la proposition réjouissante
d’Arnaud Meunier et de la compagnie de la
mauvaise graine. De textes philosophiques et
poétiques du XVIIe siècle aux articles de Courrier
International, le voyage s’annonce fourni tant il est
vrai que la notion de bonheur s’inscrit dans chaque
époque comme une éternelle révolution. Alors, où en
sommes-nous du bonheur, nécessité ou utopie ?
Le spectacle se promènera en Nomade(s) à Maubec
(le 6 jan), Vaugines (le 7), Joucas (le 8), Châteauneufde-Gadagne (le 9), Morières (le 12) et Mérindol (le
13).
Puis Yannick Jaulin se contera, avec sa manière si
particulière de partager ses fictions avec le public. Il
dévoilera des fragments de vie, de l’enfance passée
à rêver de sauver le monde jusqu’au faux pas de
l’enrôlement dans une secte, de l’aveuglement
jusqu’à la révélation qui suivra. Terrien est comme un
bout de territoire arpenté avec tous ceux qui vivent,
qui veulent le suivre pour prendre une leçon de vie.
D.M.
En quête de bonheur
Cie de la mauvaise graine
Tournée Nomade(s)
du 6 au 13 janvier
Terrien
Yannick Jaulin
Les 20 et 21 janvier
Théâtre de Cavaillon
04 90 78 64 64
www.theatredecavillon.com
Terrien © Nicolas Joubard
on aurait aimé un peu
plus de finesse. Seules
les femmes de la
campagne qui l’entourent
arrivent à donner à leur
apparition une certaine
flamboyance, de même
que le danseur et
comédien Shahrokh
Moshkin Ghalam dans
le rôle du berger séduisant et du danseur de
flamenco, qui parvient, à
traverssonjeuousadanse,
à insuffler la sensualité
violente qui manque tant
au spectacle.
Yerma © X-D.R
Yerma est cadenassée dans sa maison et dans le rôle
que l’on veut lui faire jouer : celui d’épouse et de
mère. Loin de le remettre en question, elle veut le
jouer pleinement face à Juan, le mari aimé, paysan
taiseux arc-bouté sur son travail et sur les traditions.
Mais son corps refuse cette partition : le manque
d’enfant devient lourd, insupportable et violent.
La poésie de Lorca est obscure, puissante et rêche.
Elle ne souffre ni la distance ironique ni la médiocrité.
La mise en scène de Vicente Pradal (sur une
commande de la Comédie Française) répond à cette
exigence à travers une esthétique élégante, une
scénographie précise et raffinée. Chaque détail est
soigné : le décor est imposant, sobre et inspiré, servi
par des lumières subtiles qui portent l’intensité des
tableaux. Le chant et la danse donnent au jeu une
couleur tout à la fois incandescente et délicate,
notamment avec l’utilisation originale du piano.
Quand le spectacle s’ouvre sur le chant profond
d’Alberto Garcia, le regard s’affûte sur cette
scénographie noble. L’émotion affleure. Et pourtant,
dès que les acteurs commencent à jouer, la magie
disparaît. Le jeu de Coraly Zahonero heurte, gestes
outranciers, mots déclamés jusqu’à l’emphase quand
D.M.
Yerma a été joué à l’Olivier le 10 déc
À venir à l’Olivier
Christophe Lindon met en scène un texte de JeanClaude Brisville, L’Antichambre (le 13 janvier). Une
incursion au cœur du siècle des lumières et
particulièrement au cœur du salon de la marquise du
Deffand, femme d’influence, qui use de son pouvoir,
et de sa proximité avec les grands penseurs, pour
faire et défaire les réputations. L’arrivée, à sa
demande, de sa nièce, Julie de Lespinasse, en tant
que dame de compagnie la détruira, cette dernière
s’avérant être intelligente en plus d’être jeune…
Danièle Lebrun, Roger Dumas et Sarah Biasini
interprètent à merveille ce huis clos de salon.
Théâtre de L’Olivier
04 42 56 48 48
www.scenesetcines.fr
Cher Groucho
Rassemblée et mise en lecture par Patrice Leconte,
La Correspondance de Groucho Marx est lue par
Jean-Pierre Marielle, lunettes rondes et moustache
noire, Groucho dans l’âme, et Pierre Vernier,
alternativement l’un ou l’autre des correspondants
auxquels s’adresse Groucho Marx, tandis que le
Groucho Trio ponctue le tout de joyeux intermèdes
jazzys. La matière ne manque pas, c’est une
correspondance riche, pleine de finesse et
d’autodérision, des petits bijoux de réparties incisives,
autant avec les amis qu’avec des producteurs
hollywoodiens. Créé à l’origine pour le Festival de la
correspondance de Grignan, le spectacle manque de
rythme. Mises bout à bout, et malgré le dialogue qui
s’installe par moment entre les deux acteurs, les
lettres perdent un peu de leur intérêt ; la forme ellemême, la lecture, ne prête pas forcément à la
fantaisie. Et malgré le plaisir évident que les deux
acteurs prennent à se répondre, et l’engouement des
(excellents) musiciens, la torpeur guette, diluant les
mots, et les histoires.
D.M.
Correspondance de Groucho Marx a été joué
le 28 nov au Théâtre de la Colonne à Miramas,
le 30 nov salle Emilien Ventre à Rousset,
les 18 et 19 décembre au Théâtre de Nîmes
18
THÉÂTRE
ARLES | AVIGNON | NÎMES
Un été avignonnais
Depuis quatre ans
le Festival d’Avignon
organise des rencontres
mensuelles, le rendez-vous
des curieux, qui réunissent,
le temps d’une soirée, des
spectateurs et des artistes.
Des rencontres accessibles
à tous qui laissent le temps
à la discussion.
Le premier rendez-vous, le 18 nov, fut
en quelque sorte une remise en route,
un bilan de l’édition 2008. Et pour se
replonger dans l’ambiance, le documentaire de Michel Viotte, Partage de
midi, acteurs en liberté fit une belle
transition, permettant à chacun de se
remémorer la création de Gaël Baron,
Nicolas Bouchaud, Charlotte Clamens
Valérie Dréville et Jean-François
Sivadier à la carrière de Boulbon.
Comment mettre en débat les ressentis des spectateurs ? Car c’est bien là
la volonté de Vincent Baudriller et
Hortense Archambault, les directeurs
du Festival. Donner la parole non pas
pour analyser les spectacles, mais pour
appréhender la réception de chacun.
Et la parole est prise, le micro circule
beaucoup ce soir-là, beaucoup de
remerciements, quelques «analyses»
de l’état de la création aujourd’hui (et
le Festival est là pour en donner une
vision), des retours sur les propositions
2008 et sur leur cheminement après
l’été (beaucoup sont en tournée partout en France), sur une vision populaire
de la manifestation avignonnaise… Très
disponibles, les deux directeurs prennent le temps de répondre à chacun,
s’arrêtant sur les interrogations pour
faire progresser les réflexions.
Deuxième rencontre, le 8 déc, la première avec un artiste présent au Festival
2009. Joël Jouanneau est là pour
parler de son projet Sous l’œil d’Œdipe,
avec trois des comédiens qui participerontàl’aventure:MélanieCouillaud,
Sabrina Kouroughli et Alexandre
Zeff qui en lisent un passage.
C’est une traversée théâtrale que proposera l’auteur et metteur en scène,
une plongée dans le théâtre grec par
le biais de la famille des Labdacides,
une conversation avec Sophocle, vingtcinq siècles après. Pour comprendre
de l’intérieur ce qu’est une malédiction, pour se pencher sur les rapports
frères/sœurs qui lui tiennent tant à
Joel Jouanneau © Mario del Curto
cœur, pour faire dialoguer Sophocle avec
les auteurs contemporains qui l’accompagnent et qu’il affectionne. «SiSophocle
avait croisé Emily Dickinson, Pierre
Michon, William Faulkner… aurait-il écrit
la même pièce ?» Pour la réponse,
prière de patienter jusqu’en juillet…
La prochaine rencontre
se tiendra le 12 janvier à 20h30
dans la salle Benoît XII
avec Wajdi Mouawad,
artiste associé du Festival 2009
D.M
L’Annonce faite
à la femme…
C’est un spectacle total que nous a offert ce soir
la compagnie de Serge Barbuscia au Balcon…
Que de poésie, de recueillement, mais de douleur aussi
dans les textes choisis !
Pour ces Quatre saisons d’une femme,
d’après La Vie au commencement de
Jean Reboul, cinq personnages, dont
quatre figures féminines, se partagent
un espace dépouillé. La mise en espace
de Serge Barbuscia, en demi-teintes,
distille les images d’une chorégraphie
projetées sur un mur, des chants orientaux, des percussions cristallines ou
affirmées. Les notes d’un violoncelle
égrènent la partition d’Elisabeth Amalric,
inspirée de Bach ou Chostakovitch, et
ponctuent les mots, hymne à la femme
et à son être : «C’est à une femme que
© Djouadou
je m’adresse, la femme est une énigme,
là est son destin» nous dit Jean Reboul,
psychanalyste et gynécologue, qui interroge (et envie ? ) le vide créateur des
femmes.
Dans cette succession de scènes où
le silence a lui aussi un rôle, la force du
jeu scénique d’Hélène Azema et l’éloquence de Serge Barbuscia s’imposent.
Hymne à la femme bien sûr, mais aussi
hymne à l’Art, «secours du monde»,
dont les représentants, «les artistes,
ces prophètes de l’impensable, nous
permettent de supporter ce que nous
ne pourrions supporter.» Car au travers
de murmures, cris, chants, paroles,
récitations, rires et incantations, ces
Quatre saisons sont simplement un
hymne à la vie, à son foisonnement et
à ses inconcevables mystères…
CHRISTINE REY
Les Quatre saisons d’une femme
ont été créées au Théâtre du Balcon
les 5 et 6 déc.
Moderne
Le téléphone Sans fil, ou comment
parler sans se parler… Mis en scène
par Marc Olinger, le texte de Sergi
Belbel rend compte de cet anachronisme moderne : sans face-à-face
comment est-il possible de s’aimer, se
rencontrer, se découvrir ? En pleine
crise relationnelle, les quatre protagonistes vont échanger par messagerie
interposée, se servant de cet outil pour
braver les non-dits et faire tomber les
masques.
D.M.
Sans fil
mes de Marc Olinger
les 15 et 16 janv
Théâtre du Chêne Noir, Avignon (84)
04 90 82 40 57
www.chenenoir.fr
Sans fil © Christophe olinger
19
Histoires
de corps
La cigogne et le coucou, voilà qui démarre comme
une fable. Peut-être en est-ce une d’ailleurs, une fable
fraternelle qui conterait leur cohabitation forcée dans
un nid de fortune -après que les oiseaux sont tombés
en plein vol-, jusqu’à la complicité naissante et plus si
affinité. Agnès Limbos met en scène Martine Godard (cigogne blessée qui ne s’en laisse pas compter) et Thierry Hellin (coucou autoritaire et
envahisseur), deux volatiles irrésistibles et très humains. À voir à partir de 5 ans le 14 janv.
Dans Déversoir (le 20 janv), qui s’adresse aux plus
grands (à partir de 14 ans), l’intimité familiale sera au
cœur de la performance d’Angela Laurier. Un écran
sur lequel le père et le frère (schizophrène) racontent
et se racontent, et devant eux le corps virtuose de
l’artiste circassienne qui dit la révolte et la tendresse,
les blessures, la résistance. Une performance en
forme de délivrance.
Enfin, la cie le GdRA viendra conter ses Singularités
ordinaires, où chorégraphies, acrobaties, textes et
chants se répondront pour tisser trois histoires de
vies. Celle d’Arthur, musicien-guérisseur, de Wilfride,
danseuse étoile retraitée de l’Opéra de Paris, et de
Michèle, «la nègre», qui passe son temps dans un bar
marseillais. Ordinaires et singuliers.
D.M.
Théâtre d’Arles
04 90 52 51 51
www.theatre-arles.com
Singularites ordinaires © Christophe Modica.
Flamenca
Réjouissant
Oscillant entre la farce burlesque et le drame, Le Mois de Marie, tiré des Dramuscules de Thomas Bernhard, met en scène deux vieilles qui observent l’enterrement du «brave» monsieur Geissrathner, fauché par un conducteur turc.
Références directes aux habitantes de son village natal de Bavière dans les années
30, ces personnages personnifient un racisme brutal et radical qui pourrait
presque paraître contemporain… Frédéric Garbe et Gilbert Traïna, de l’Autre
Compagnie, campent ces deux commères avec drôlerie et poésie. Le spectacle
est précédé d’une lecture de textes courts de Thomas Bernhard par Alain CescoRésia sous la direction de Frédéric Garbe.
Immortalisée par la musique de Bizet,
Carmen pourrait l’être par celle
d’Antonio Moya dans une mise en
scène de Juliette Deschamps.
Spectacle musical en 11 tableaux,
Rouge, Carmen est une réécriture
Juliette Deschamps © Marion Gronier
fidèle du texte de Merimée dans
lequel Don José «raconte à la première
personne les sept épisodes de son
histoire d’amour» dit Juliette
Deschamps. C’est un monologue sur
fond de flamenco et de chansons
gitanes, l’ultime entrevue des deux
amants que le somptueux décor du
peintre catalan Miquel Barceló devrait
rendre plus fiévreuse encore. Un huis
clos fatal ponctué de claquements de
talons, de chants envoûtants et de
guitares ensorcelantes. «Une histoire de
prédation et de mépris» à laquelle rien
ne peut mettre fin.
D.M.
D.M.
Le Mois de Marie
L’Autre compagnie
les 15 et 16 janv
04 90 85 52 57
www.theatredeshalles.com
Rouge, Carmen
les 7 et 8 janv
Théâtre de Nîmes (34)
04 66 36 65 00
www.theatredenimes.com
20
DANSE
GROUPE DUNES | DANSEM
D’ici à Marseille 2013
Retrouvailles avec le Groupe Dunes qui, même s’il parcourt le globe en tout sens,
réside bien à Marseille !
Madeleine Chiche et Bernard
Misrachi, directeurs artistiques du
Groupe Dunes, ont les pieds sur terre,
à Marseille, et la tête dans les étoiles.
Car depuis quatre ans, le duo conjugue
son quotidien «hors situ» à Strasbourg,
Vilnius, Osnabrück ou Buenos Aires au
gré de ses interventions ou de ses
projets. Ce qui ne l’empêche pas
d’œuvrer à une nouvelle intervention
sur le toit-terrasse de la Friche la Belle
de Mai, D’ici là, qui scellera ses
retrouvailles avec l’espace de 8000
mètres carrés si habilement transcendé en 1999 avec Vous êtes ici !
L’installation paysagère devrait voir le
jour en 2011 car, disent-ils d’une seule
voix, «Marseille ne doit pas s’arrêter en
attendant 2013.» Pour l’heure,
Madeleine Chiche et Bernard Misrachi
ont convié amis et professionnels à un
petit tour dans leur studio, preuve
tangible de leur enracinement à
Marseille, pour évoquer leurs
réalisations en France et à l’étranger.
Écrans vidéos en circuit permanent,
projections
d’images
murales,
profusion de
câbles et
de moniteurs, compositions sonores
en flux tendu : dans l’obscurité du
studio, nous voici au cœur de leurs
créations multimédias «dans lesquelles
ils interrogent la présence du spectateur, ses modes de lecture et de
perception.» On pourrait craindre que
l’usage des nouvelles technologies ne
les ait déconnectés du réel ! Bien au
contraire, leurs réalisations proposent
une nouvelle approche du réel en
ancrant les images dans cette même
réalité. À la différence près que leur
perception de l’espace urbain est
alimentée par leurs recherches sur les
principes d’interactivité, les sons,
l’environnement, la lumière, l’architecture, sans oublier l’humain, invisible
mais omniprésent. À la différence près,
aussi, que leur travail puise sa source
dans le mouvement dansé lié à leur
expérience de chorégraphes : «Nous
n’avons peut-être fait que déplacer la
scène, en substituant aux corps des
danseurs ceux des spectateurs, qui
dansent aussi parfois.» Chaque installation étant non reproductible, sa
sauvegarde est mémorisée par une
énième vidéo, pâle ersatz de la
création in situ mais trace
indispensable.
On retiendra donc, parmi les dernières
commandes, l’intervention en intérieur
En périphérie du silence à Lablabanque à Béthune : en dépit d’un
cahier des charges contraignant, des
spécificités du lieu, de la couleur et des
espaces vitrés notamment, ils ont
choisi d’investir le centre de
production et de diffusion en arts
visuels en sculptant l’espace avec
l’image et le son spatialisé.
Autre expérimentation singulière, en
extérieur cette fois, l’installation More
and Less sur le quai Island Brygge de
Copenhague, no man’s land incongru
aux abords des artères commerciales
flambant neuves, lambeaux d’un bâtiment aujourd’hui totalement démoli.
Dans ce monceau de gravats, leur
création soulignait les vestiges d’une
industrie à jamais balayée… Comme à
chaque fois, le Groupe Dunes relève un
défi technique, réinvente l’espace, et
propose au public de lire - autrement son environnement.
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Groupe Dunes
Friche la Belle de Mai, Marseille
04 91 50 00 19
Dansem finit en beauté
Cette édition fut riche
de surprises auxquelles
Dansem ne nous avait
pas toujours habitués
Norwich, Handle with care - Groupe Dunes
Après Rachid Ouramdane à Arles,
Abou Laagra à Istres et Gat à Avignon
(voir Zib 13), le festival s’est recentré à
Marseille et conclu au Merlan, par deux
soirées pour le moins contrastées…
Que dire du travail de Karry Kamal
Karry ? La Matrice des Anges, créée le
10 déc, est une pièce prétentieuse, très
discutable dans son propos parfois
mystico-sectaire («l’espritcritiques’arrête
où la foi commence…») et parfois
ridiculo-grotesque dans ses phrases
répétées à l’envi («l’intérieur n’est pas
à l’intérieur», «tu es à l’extérieur de l’intérieur de toi»…) ou la longue anecdote
du calamar coréen, fable incompréhensible assénée par une (magnifique)
danseuse hilare affublée d’un accent
plus que prononcé. Reste que certains
moments sont d’une beauté plastique
sensualité qui ose presque la pornographie… entre deux mouvements
infantiles, répétitifs ou insignifiants !
Rien de tout cela dans le travail de
Paco Decina. Le chorégraphe napolitain travaille avec une subtilité rare sur
les zones où la lumière devient obscure.
Indigo, dansé le 13 déc au Merlan, est
une pièce lente où rien n’est démonstratif, mais qui vous embarque avec elle
en se jouant des frontières. Entre le
mutisme et le son : la pièce commence
Paco Decina © Laurent Philippe
par un long moment où les danseurs
bougent sans bruit, dans un silence qui
ressemble à une effraction dans la
surdité, puis les sons débarquent,
répétitifs, électroniques, en boucles, et
s’élaborent jusqu’au mouvement final.
Mais rien de linéaire dans cette progression, qui revient en arrière et
reprend lentement ; la danse, de
même, est fondée sur de lentes mises
en mouvements, au sol pour la plupart,
des unissons parfaits, avec quelques
accélérations soudaines, des arrachages circulaires, des portés qui
amènent la pièce vers une verticalité
retrouvée. La lumière dispense des
taches blanches aux frontières desquelles les corps dansent toujours, dans
l’entre-deux, l’Indigo. Sans démonstration virtuose, mais sans jamais non
plus manquer leurs pas. Magnifique !
AGNÈS FRESCHEL
BALLET D’EUROPE | TOURSKY | 3BIS F
THÉÂTRE
21
Le plaisir du mouvement
C’est peu dire que ces danseurs-là ont du talent et du
charme. Leur jeunesse pétille, mais aussi leur
maîtrise du corps et de l’espace. Ils osent des
mouvements d’ensemble très «dansés», et de
véritables compositions chorégraphiques, guidées
non par le concept mais par le mouvement. Ainsi, au
fil des sept pièces présentées à La Friche par les sept
chorégraphes du Ballet d’Europe, on a pu apprécier
des moments surprenants : Fabrice Gallarague, en
moins de 4 minutes, propose un moment de
jubilation intense où neuf danseurs se lâchent à toute
vitesse, tout à un plaisir communicatif. Jean-Philippe
Bayle met au point un duo arachnéen où les corps
couverts de bandages jouent avec les fils de l’autre.
Aline Richard tente une danse narrative sur le désir
féminin, partagé entre l’amour romantique et un
fantasme de chair, et Natacha Franck, superbe,
éclate de vitalité dans le numéro central conçu par
Christophe Roméro, qui transcende la fitness façon
Fame… Enfin la pièce de 20 minutes qui clôt le
programme, créée par Florencia Gonzales pour
neuf de ses camarades, fait preuve d’une véritable
maturité de chorégraphe : parce qu’elle construit son
rythme en contrastes et progression, maîtrise les
mouvements d’ensemble et les duos, dans lesquels
elle ose quelques portés…
AGNÈS FRESCHEL
Sade, le retour
Comme chaque année M.C. Pietragalla revient faire
un tour à Marseille, et s’apprête à faire salle comble
au Toursky. Après la saga de mineurs et celle de
Ferré, il s’agit à présent d’évoquer Sade. La
perversion ? La Liberté ? L’apologie du sexe violent
et de la douleur ? Non, Pietragalla et Julien
Derouault veulent faire voir «le théâtre des fous» et
«l’incarcération». Avec huit danseurs qui, malgré Sade,
tenteront, par les corps, d’atteindre la grâce. Or, si
Sade l’atteint, c’est par la distance transcendante de
l’écriture : retrouver cet esprit-là avec une musique de
Laurent Garnier et la voix d’Alain Delon, dans un
spectacle coproduit par Pierre Cardin, semble a
priori un peu illusoire…
A.F.
© Agnès Mellon
Les Worshops du Ballet d’Europe
ont été dansés à la Friche
les 28 et 29 nov
© Pascal Elliott
Bis, Citron, Vélo
Le dispositif Tridanse met en réseau trois lieux de
création, le 3bisF à Aix, le Citron jaune à Port-SaintLouis et le Vélo Théâtre à Apt pour permettre à un
chorégraphe de présenter diverses étapes de son
travail en cours. Yann Lheureux répète actuellement
Manifestement, un solo accompagné d’une création
vidéo (Lionel Palun), plastique (Christophe
Cardoën) et musicale (François Richomme),dont il
montrera une étape de travail le 15 janv à Aix, le 29
janv à Port-Saint-Louis puis le 10 fév à Apt. Une
mise en réseau qui permet l’éclosion d’œuvres
nouvelles, associées à des ateliers de pratique dans
chacun des lieux.
A.F.
Sade ou le théâtre des fous
Pietragalla Cie
du 22 au 24 janv
www.toursky.org
3 bis F
04 42 16 17 75
www.3bisf.org
22
DANSE
MARTIGUES | CHÂTEAUVALLON | BNM
Les larmes coulent dedans
Il est parfois difficile de rendre compte de l’émotion que suscite un spectacle.
Au Bois dormant fait partie de ceux-là. Essayons
mais, surtout, leurs aspirations. Le texte de Marie
Desplechin, lui aussi bouleversant, se parle à la première
personne, débute par une expérience intime de la séparation
d’avec un être aimé, enfermé à l’intérieur d’un pavillon
psychiatrique, alors qu’elle reste «enfermée à l’extérieur».
Après avoir livré cela elle raconte sa rencontre avec Thierry,
avec les autistes, puis établit lentement un rapport au conte,
à la métamorphose finale, le baiser magique qui rend les
crapauds à leur humanité… Question de frontières encore,
mais de passage aussi, et du bonheur qu’il y a à les franchir,
même temporairement, imperceptiblement.
La musique de Benjamin Dupé ouvre la pièce, mais
l’accompagne aussi tout au long, entrant en vibration avec
le corps du danseur, lui donnant ses impulsions, y puisant les
siennes, et tissant de sa guitare, avec brio et émotion, un
univers sonore de glissades et de secousses, strident puis
doux, jamais calmé. Car le plus beau encore sont les rares
moments de rencontre entre les solitudes des trois acteurs:
quand Thierry touche Marie, que Marie le nomme, que
Benjamin et Thierry se voient, se répondent. Ou encore
quand dehors un quatrième corps se met à danser,
inattendu, dans le bois réel qu’on apercevait derrière la vitre.
Une passerelle encore, une porte fermée qu’on va ouvrir et
qui, comme l’arrivée d’un Prince Charmant, remettra
d’aplomb le bois couché qui jusque là servait de sol à la
danse…
AGNÈS FRESCHEL
Thierry Niang © Agnes Mellon
C’est un spectacle sur l’autisme. Ou plutôt, sur la douleur
qu’il y a à aimer ceux qui ont décroché, ceux qui vivent de
l’autre côté de la raison, de la communication, de la
verbalisation. Sans jamais juger des causes, des conditions
et des traitements possibles des maladies mentales
évoquées, Au Bois Dormant propose des passerelles, des
voies d’accès, modestes, réelles…
Pour cela ils s’y sont mis à quatre : la pièce se présente sous
la forme d’un trio hétérogène, dirigé pas le regard discret de
Patrice Chéreau. Mais le cœur du spectacle, où tout bat,
où tout visiblement a pris naissance, réside dans le corps
vibrant de Thierry Thiêu Niang. Il a passé des mois avec
des adolescents autistes et y a fabriqué une gestuelle inédite,
non pas calquée sur leurs gestes mais s’en inspirant, les
transcendant, donnant à voir leurs douleurs, leurs blocages
Hiroaki Umeda © Dominique Laulanne
Au Bois dormant a été créé
à l’École de Danse de Martigues du 10 au 13 déc.
Il sera repris à Châteauvallon (84) le 28 janvier
04 94 22 02 02
www.chateauvallon.com
À venir aux Salins
Tango Metropolis les 19 et 20 déc : avec le Daniel Binelli
quintet (bandonéon magique !), Pilar Alvarez et Claudio
Hoffmann, et 8 des meilleurs danseurs argentins. Le must,
pour les amateurs !
Question de goûts, le solo léger de Georges Appaix, sera
après le Massalia dans la petite salle du Bout de la nuit. Un
nom qui lui va comme un gant de soie, à ce solo qui
décidément aime l’intimité, mais voyage beaucoup… les 8
et 9 janv, pour commencer l’année tout près de l’intelligence
des choses, et de guingois
Deux soli de Hiroaki Umeda. Le danseur japonais sculpte
un univers dansé totalement original. Sur une musique
électroacoustique et des projections de lumières d’une
grande précision, jouant de contrastes profonds, aux
frontières de l’obscurité, de l’éblouissement et de la
stridence, l’homme met son corps en jeu. Sa danse passe
elle aussi de l’immobilité à la vitesse la plus effrénée : c’est
qu’il emprunte à la fois au Bûto ses tensions en dedans, ses
replis lents de douleur, et au hip hop ses saccades, sa
vitesse, son énergie libérée. Vous avez dit contrastes ?
Les Salins, Scène Nationale de Martigues
04 42 59 94 37
www.theatre-des-salins.fr
Trop blanche?
© Agnès Mellon
La carte blanche laissée aux danseurs
du BNM s’est révélée décevante : bien
sûr les interprètes sont magnifiques de
technicité, et d’émotion parfois. Mais
leurs univers restent superficiels, et
leurs combinaisons, duos ou soli,
assez pauvres. Seules trois pièces se
détachaient un peu de discours rebattus sur le couple : un duo blanc, assez
sensuel, d’Anton Svir, un solo inspiré
des lenteurs tendues du Bûto de Yoshi
Kinoshita, et une pièce gastronomico
comique de Fanny Barrouquère, qui
avait l’audace de tenter une danse
burlesque. Ce qui, après tout, en une
soirée, est déjà ça !
A.F.
Les Cartes Blanches
se sont déroulées
les 4 et 5 déc au BNM
PAVILLON NOIR | CHÂTEAU-ARNOUX | GAP
DANSE
23
Les insomnies de Karolyn Klarkson
À force de déguisements,
d’accessoires et de personnages,
les nuits de Karolyn Klarkson
risquent l’insomnie.
C’est sucré jusqu’à donner
mal au cœur
Carolyn Carlson s’est inventé un double pour parler
aux enfants : Karabine Klaxon, autrement dit Karolyn
Klarkson. Dans sa première pièce destinée au jeune
public, créée en 2006, la chorégraphe américaine fait
débouler sur le plateau cinq danseurs et un musicien,
généreux homme-orchestre sur lequel toute l’architecture repose. Sans lui, tout s’écroule ! Le fil de
l’histoire est tellement ténu qu’on pourrait croire qu’il
n’y a pas d’histoire…, sauf qu’il s’agit des rêves de
Mademoiselle Karabine Klaxon, jeune ingénue à la
recherche de son doudou perdu. Ou quelque chose
comme ça… Frêle prétexte qui offre à Carolyn Carlson
l’occasion de jeter en vrac un monstre, un animal sauvage,
deux hommes grenouille, un robot, de tendres petites
fées, un épouvantail et tutti quanti. Le tout englouti sous
un amoncellement d’accessoires et de panoplies :
casques de plongée, tuyaux en PVC, gants de boxe,
mannette de jeu vidéo, arbre sacré, oiseau magique…
Bref, un fourre-tout sans queue ni tête qui danse (pas
beaucoup), qui chante (effet comédie musicale garanti),
qui gesticule (beaucoup), rampe (parfois), se
© Agnès Mellon
contorsionne (grâce ou à cause des costumes, selon
son humeur). La parade dégouline de bons sentiments
et d’images faciles. Heureusement, il y a toujours une
bonne âme pour nous sauver, même dans les pires
rêves : Jalalu-Kalvert Nelson mène la danse avec brio et
joue sa partition avec tellement de plaisir qu’il attrape au
vol les enfants pour les faire jouer des percussions sur
scène. Ça marche à tous les coups et les petits en
redemandent…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Les rêves de Karabine Klaxon
ont été dansés au Pavillon Noir
du 4 au 8 déc
Perfection plastique
Deux jambes apparaissent dans la lumière, arpentent la
scène redevenue sol, redevenue terre. Les pas souples
et sûrs redessinent les trois cercles de terre ocre qui
délimitent autant d’univers particuliers, le village, la
brousse, la ville et sa modernité. Le silence, les respirations, le bruit des pas participent à un spectacle où le
corps devient porteur à la fois d’une histoire, d’une
tradition, et chantre de la modernité.
Le propos du danseur, en résidence au Pavillon Noir, est
de présenter une œuvre au cheminement achevé. Ce
jeune chorégraphe du Kenya retrace le récit d’un apprentissage, qui s’ancre dans un passé et donne sens à son
présent. Avec humour, lors de la conversation libre avec
les spectateurs qui l’ont ovationné, il montre tout ce que
le hip hop doit à la danse Masaï. Loin de se laisser enfermer
dans le folklore, l’artiste exploite les gestes traditionnels,
les retranscrit, sans les dévoyer, nous entraîne dans un
mondeoùchaquegestepeutdonnerlieuàuneinterprétation.
Mais au-delà de ces explications éclairantes on reste
simplement subjugué par la perfection plastique du travail
présenté. Admirables en effet, la technique souveraine
de l’artiste, sa maîtrise extraordinaire du moindre muscle,
sa précision. Le chasseur ou l’oiseau, le danseur de village ou l’amateur de techno, Anuang’a se glisse dans ces
personnages avec le même brio. Une autre manière
d’atteindre l’universalité ?
MARYVONNE COLOMBANI
A journey into the future
a été créé au Pavillon Noir
les 27 et 28 nov
Faux pas toc
Entity © Ravi Deepres / Odette Hughes, Anh Ngoc Nguyen
À venir au Pavillon Noir
Dix danseurs de la Cie de Wayne Mac Gregor viennent
présenter sa nouvelle création, Entity du 15 au 18 janv.
Sa danse, toujours virtuose, cherchant des contacts
multiples et souvent brutaux entre les corps, se
confronte ici à l’omniprésence d’écrans, et à deux
musiques aux timbres contrastés : un quatuor à cordes,
et de la musique électronique.
Pavillon Noir, Aix
0811 020 111
www.preljocaj.org
Pour la troisième fois de la saison, le Théâtre Durance
accueille en ses murs une compagnie en résidence, qui
mène en son sein un travail jusqu’à son terme, c’est-àdire jusqu’à la représentation. Il s’agit cette fois d’une
recréation du chorégraphe Thierry Baë qui, après ses
deux soli paradoxaux qui racontaient son impossibilité
de danser, ou même d’être là, revient sur cette pièce
pour 6 interprètes, agrémentée de films, qu’il avait créée
en 2003 avant le succès de Journal d’inquiétude… Il y
nouait déjà des liens particuliers, ambigus, entre le réel,
le virtuel, l’imaginaire, entre le spectacle et la vie. Cette
reprise constitue pour lui le terme d’un travail sur le faux
en art… et sera également sur la scène de Gap quelques
jours après la recréation.
A.F.
Tout ceci (n’)est (pas) vrai
Thierry Baë
Théâtre Durance, Château-Arnoux (04)
le 16 janv
04 92 64 27 34
www.theatredurance.com
La Passerelle, Gap (05)
le 20 janv
04 92 52 52 52
24
DANSE
OUEST PROVENCE | GAP
Nécessité de mémoire
Ils ont à coups sûrs atteint leur but. Les
artistes hip hop de la cie Mémoires
Vives, sous l’impulsion de leur
MC/directeur artistique Yan Gilg,
voulaient faire bouger les rangs avec
leur création engagée À nos morts, qui
rend hommage à tous ceux -soldats
ivoiriens, malgaches, burkinabé,
camerounais, antillais, marocains,
algériens, tunisiens-, qui furent enrôlés
dans l’armée française, tirailleurs de
toutes les guerres…
Dépassant largement le cadre strict
d’une chorégraphie hip hop, le
spectacle mêle chansons rap, danse,
images d’archives et de documentaires
(fruit d’un remarquable travail de
recherche), racontant, de façon
chronologique, cette histoire enfouie
dont la restitution est nécessaire. Du
chemin des Dames à la guerre
d’Indochine, des Aurès jusqu’au
groupe Manouchian, c’est un
condensé de l’aveuglement du
colonialisme français qui saute aux
yeux et aux oreilles, sans démagogie ni
rancœur, mais avec beaucoup
d’émotions et de sensibilité. Sobre, le
dispositif permet la pertinence des
chants et des danses, libère les
mouvements,
chaque
tableau
s’accompagnant d’images fortes,
oubliées pour la plupart, et dont la
visée pédagogique n’est d’ailleurs pas
sans intérêt. Le but est atteint, doublé
même : la réhabilitation de cette
mémoire, qui réaffirme des valeurs de
tolérance et de respect, enrichit un peu
plus encore la culture hip hop, «art
noble qui se voulait d’abord humaniste
et intelligent» rappelle Yan Gilg.
DOMINIQUE MARÇON
À nos morts a été créé le 18 nov
au théâtre de La Conne à Miramas,
et le 22 nov au théâtre de l’Olivier
à Istres, dans le cadre de Zone
Danse Hip Hop
A nos morts © X-D.R
Enfermés
Partant du postulat que chaque être
est une prison et qu’il faut amputer une
part de soi-même pour réussir à vivre
avec les autres, la cie E.go utilise la
métaphore de l’aphasie dans une pièce
pour quatre danseurs qui tentent de
tisser des liens. D’une prison faite de
barreaux souples ils vont progressivement sortir ; les corps hésitent, se
lancent enfin, se frôlent, forment une
communauté réduite qui dit la difficulté
de communiquer avec peu de moyens.
Comment rester soi-même sans être
soumis ou sans soumettre l’autre ?
Comment le comprendre sans
l’agresser ? Les duos se forment et
s’équilibrent, se servant des codes
gestuels du hip hop pour sortir de
l’isolement, énergiques, libres. Et
ensemble.
D.M.
Aphasie a été dansé
au théâtre de Fos
le 21 nov dans le cadre de Zone
Danse Hip Hop
La rue dedans…
La Passerelle fêtait ses 20 ans et
donnait rendez-vous à son public pour
un spectacle de rue… sur la scène.
Entendez, tous sur la scène,
spectateurs compris ! Il s’agissait pour
la Cie Parnas de reprendre Le Crabe
et le hanneton, créé dans la rue, et de
l’adapter aux circonstances hivernales
et alpines… L’étonnant est que cela
resta un spectacle «de rue» : le lien
avec les spectateurs participatifs, la
présence de la fanfare des Sex
Pistons, et surtout, le rapport à
l’exploration commune du lieu
scénique gardèrent la quintessence du
spectacle in situ, lié au lieu et aux gens.
Reprenant l’éloge paradoxal des Lois
de Murphy -celles là qui énoncent que
le pire arrive toujours, servant ainsi de
caution à l’élaboration d’un monde
sécurisé-, la joyeuse troupe invite son
public à un lancer collectif de tartines
beurrées -censées se retrouver bien
sûr du côté du beurre-, puis à une
exploration des dangers de l’espace
scénique : lointain trop attirant,
quatrième mur qui se dématérialise,
mur du jardin qui a trop absorbé de
textes et qui, si on s’en approche, vous
contamine… Franck Manzoni, qui a
joué 12 pièces sur cette scène, fit alors
un numéro épatant de collector de ses
différents rôles, et le public reconnut,
lycéens compris, Koltès, Brecht,
Dubillard, Olivier Py…
Car ce théâtre, en 20 ans, est devenu
un lieu où la mémoire se construit. Joël
Giraud, Vice-Président de la région
PACA délégué à la montagne, souligna
dans le discours qui suivit
l’exceptionnel travail de la Scène
Nationale, son accompagnement au
long cours des artistes qu’elle soutient,
la qualité constante de la culture
qu’elle propose dans une région rurale,
et de montagne, enclavée, et les
30000 spectateurs fidèles qui chaque
année s’installent dans ses sièges.
Exemplarité soulignée également par
François Brouat, Directeur Régional
des Affaires Culturelles, dans une lettre
adressée à Pierre André Reiso,
directeur de la Passerelle depuis 20
ans…
A.F.
Les 20 ans de la Passerelle se sont
fêtés les 9 et 10 déc à Gap
ARLES | SIRÈNES ET MIDI NET
En terre et sur l’air
25
c’est une nouvelle de poids, le Départ
de la Tournée Mondiale du Père Noël se
fera de la place de la République, grâce
à la cie Aérosculpture et à la cie
Karnavires : un délire pyrotechnique et
aérien prometteur ! Sans oublier le
spectacle d’ouverture avec la cie
Grupo Puja et son K@osmos en
altitude (le 20 déc), la yourte de la cie
Prise de Pied et son Thé Perché, la
Montgolfière de l’Agence Mélusine,
les comptines des Petites Poucettes de
la cie Rêves et Chansons… Un grand
rendez-vous populaire, dont la qualité
ne se dément pas !
Une 5e édition s’annonce,
pour de Drôles de Noël
arlésiens qui vont mettre
la ville sens dessus dessous !
Un peu raccourcie dans le temps, très
dense donc, mais toujours pleine de
surprises, la manifestation s’apprête à
envahir les places, les rues et le ciel
d’Arles, mais aussi, comme l’an passé,
la façade de l’Eglise Saint-Trophime.
Xavier de Richemont proposera de
nouveau ses Chromatiques éclairées
stupéfiantes, couvertures intégrales et
bigarrées en sept tableaux ; de l’Empire
byzantin aux fresques italiennes, les
détails s’en trouvent magnifiés, vivants.
Côté spectacles, une quinzaine de
compagnies devraient faire le bonheur
de tous, avec notamment quatre créations annoncées : celle de la cie
ARTS DE LA RUE
DOMINIQUE MARÇON
Noosphère de la cie Aya Contemporary Circus © X-D.R
Hybride, présente tout au long du festival, avec deux guides très particuliers,
Les Smockings, qui vous accompagneront de vos pérégrinations ; sous
chapiteau, place Paul Doumer, la cie
Khoros revisitera le Songe d’une nuit
d’été de Shakespeare, avec marion-
nettes pour de Drôles de songes ; une
cie australienne, la cie Aya Contemporary Circus, fera le déplacement en
NooSphere au Théâtre d’Arles avec
utilisation de d’instruments traditionnels indiens, australiens et européens,
de la danse et de la jonglerie ; enfin, et
Drôles de Noëls
du 20 au 24 déc
Office de tourisme d’Arles
04 90 18 41 20
Service culturel d’Arles
04 90 49 37 40
Tragédie à Grande Vitesse
Phèdre, à la manière d’un mélo ou d’un
vaudeville avec cousine orpheline,
belle-mère et bonne. La mise en scène
joyeusement décalée répond au
burlesque du texte, sorte de récit
bourré d’incises, un texte à la Renaude
quoi. Et à la fin, quand une espèce de
balayeur futuriste vient embarquer les
bateleurs essoufflés, on se prend à
imaginer ce que sera la Phèdre version
longue que Renaud-Marie Leblanc est
en train de concocter…
FRED ROBERT
© Agnès Mellon
Lorsque Lieux Publics a sollicité
Renaud-Marie Leblanc pour une
performance dans le cadre désormais
célèbre et attendu de Sirènes et Midi
Net, le metteur en scène est resté
quelque peu perplexe, ne se sentant
pas vraiment à l’aise avec le théâtre de
rue. Et puis, il a eu, c’est chez lui une
habitude, une bonne idée. Puisqu’il
travaille actuellement sur Phèdre de
Racine, pourquoi ne pas utiliser ce
matériau textuel ? Et puisque la
consigne veut que la représentation
débute à la première sirène de midi et
s’arrête net (ou presque) à la seconde,
pourquoi ne pas charger un auteur
contemporain d’écrire une version
speed de la pièce ? C’est ainsi que,
deuxième bonne idée, il a commandé à
sa complice Noëlle Renaude de
collaborer avec lui. Cela donne
Racines, 10 minutes de jubilation
théâtrale menée tambour battant, que
le grand auteur classique n’aurait sans
doute pas désavouées, même si le
registre en est résolument changé.
Le spectacle évoque le Grand Siècle,
avec airs de ballets à la Lulli, costumes
et perruques, l’Antiquité aussi avec le
proscenium sur lequel virevoltent les
acteurs, qui tiennent tous les rôles à
eux 3. Sur ce long tréteau qui coupe le
parvis en deux, troisième bonne idée,
se joue en accéléré la passion de
Racines a été joué par la Cie
Didascalies and Co, sur le parvis
de l’Opéra de Marseille
mercredi 3 décembre
26
MUSIQUE
OPÉRA
Britten l’enchanteur
La première représentation
du Songe d’une nuit d’été
de Benjamin Britten,
à l’opéra de Toulon
le 5 décembre, a remporté
un immense succès
Une des plus belles pages d’opéra du
XXe siècle servie par une production
remarquable, associée aux opéras de
Nancy et de Caen, a offert au public
toulonnais une soirée étincelante.
Quelques notes caressées aux cordes
suffisent, glissandos et portamentos
coulants, et nous voici transportés au
cœur de la forêt mystérieuse, théâtre
féerique émergeant des profondeurs
de l’orchestre. Surgit alors le roi
Obéron, créature surnaturelle et inquié-
tante, à la tessiture de contre-ténor,
que Britten a fait sortir du répertoire
poussiéreux où il était jusque là cantonné. Timbre doux, posé et presque
immatériel, Rachid Ben Abdeslam
s’impose naturellement dans ce
monde merveilleux. Sa reine Tytania
trouve en Maïra Kerey les coloratures
équivoques conformes à sa nature fantastique alors que le bavard Puck,
campé par le comédien Scott Emerson,
ne fait que causer. Et dès qu’il prend
la parole, l’excellent trompettiste
Pascal Reymond débite les phrases,
musicales cette fois, dans une grande
virtuosité pour un duo improbable
qui cimente l’ouvrage.
Dirigé de mains de maître par le
spécialiste du genre Steuart Bedford,
© Frederic Stephan
ancien collaborateur et assistant de
Britten lui-même, l’orchestre laisse
s’échapper de la fosse des couleurs à
la fois impressionnistes, subjectives
et éthérées à la faveur d’une palette
riche de deux harpes, d’un célesta et
d’un clavecin, en plus des pupitres
habituels. L’atmosphère enchanteresse créée par Shakespeare se trouve
magnifiée par la mise en scène pétil-
lante de Jean-Louis Martinoty,
secondé par Daniel Ogier dont les
costumes mi-futuristes mi-chimériques, tout enguirlandés de loupiotes,
transparaissent au rythme des jeux de
lumières obscures et ouatées de
Fabrice Kebour. Véritable synthèse
des arts, cette production a tout
d’une grande !
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Aïda : le triomphe !
Une belle distribution vocale, un chef, un orchestre
et des chœurs exemplaires, des danseurs étonnants,
de somptueux costumes et des projections vidéos
féeriques… tout a concouru au succès de
Verdi à l’Opéra de Marseille !
© Christian Dresse
Pour réussir un grand Verdi il n’y a
pas de secrets : il faut de grandes
voix… la scène phocéenne n’en a pas
manqué ! En tête, dans le rôle-titre,
l’Américaine Adina Aaron a prouvé
par ses qualités vocales et son
engagement scénique qu’elle est
actuellement l’une des plus grandes
interprètes de l’Ethiopienne. Même si
l’emploi d’Amnéris (traité en véritable
négatif visuel de sa rivale) n’est pas
tout à fait dans les cordes de Béatrice
Uria-Monzon, la mezzo française a
compensé un timbre un peu sourd,
manquant de «spinto», par des atouts
musicaux et un vrai talent de tragédienne. Côté hommes, le Coréen Ko
Seng-Hyoun a époustouflé (comme
à Orange en 2006) dans le rôle
d’Amonasro, grâce à sa voix d’airain
et une présence captivante ! L’aisance
scénique n’est pas, par contre, l’attrait
premier de Walter Fraccaro… cependant son Radamès fut vaillant.
On note que l’enchaînement des spectacles a laissé quelque trace sur les
organismes : le 5 décembre (après
cinq représentations en dix jours !),
on a perçu dans les pianissimi aériens
de la soprano un poil de souffle parasite, quand le ténor s’est avéré un
peu court sur les ultimes aigus… Les
basses solides Wotjek Smilek
(Ramfis) et Dmitry Ulyanov (le Roi),
comme le chant généreux de Sandrine
Eyglier (la Prêtresse) ont complété
un plateau vocal brillant.
Dans la fosse, Nader Abassi a conduit, avec précision et souplesse, un
orchestre en grande forme, quand les
chœurs sont passés du plein éclat
glorieux à de fascinants «sotto voce».
Le ballet «afro-guerrier» de Laurence
Fanon a été particulièrement plébis© Christian Dresse
cité : c’est qu’on aime retrouver, comme
pour Manon dernièrement, de vraies
chorégraphies à l’opéra !
Mais le succès n’aurait pas été total
sans l’absolue féerie des projections
vidéos imaginées par Charles Roubaud.
En fond de scène ou sur les côtés, les
décors pyramidaux ont donné lieu à
d’habiles emboîtements d’images,
effets d’optiques, travelling cinématographiques du plus beau résultat…
Jusqu’au final où, suivant le livret, le
tombeau s’est ouvert sur un ciel
nocturne… nous laissant, pour de
longues heures encore, la tête dans
les étoiles !
JACQUES FRESCHEL
27
Vieilles perruques
et divas fantasques
Le 6 décembre au Théâtre du Jeu de Paume, ce qui fut
autrefois un divertissement impérial a été représenté
devant un plein parterre d’enfants (et de parents).
Un spectacle loufoque qui a fait mouche !
En 1786 étaient joués à Schönbrunn,
devant l’empereur, deux opéras commandés sur le même sujet : le
Directeur de Théâtre de Mozart et
D’abord la musique, ensuite les paroles
de Salieri. Autre temps : ce spectacle
est aujourd’hui destiné à un «jeune
public». Comme quoi la démocratisation en matière d’accès à la culture
a fait des pas de géant, malgré les
dires de certains…
Ceci dit, l’adaptation conçue par
Jean-François Héron pour la Compagnie Interlude est une réussite. Cette
sorte de vaudeville, avec dialogues
parlés, ajustés en français, est un
habile condensé du «buffo» italien de
Salieri et de ce qu’il reste des numéros allemands du singspiel mozartien.
Le sujet : un poète (Pierre VillaLoumagne) et un musicien (JeanChristophe Filiol), caricatures des
«vieilles perruques» du XVIIIe siècle,
tentent de produire, sous la houlette
du «Direktor», un opéra en quatre jours.
Sur ce, surgissent deux sopranos
hystériques et gémellaires, enrubannées et corsetées, qui se disputent le
statut de «prima donna». Cette
situation donne lieu à d’irrésistibles
shows clownesques où rivalisent, en
vocalises fantaisistes et mimiques
bouffonnes, Monique Borelli et
Lucille Pessey… alors qu’au piano
Jan Heiting joue l’homme-orchestre.
La mise en scène rythmée de Julien
di Tomaso, souvent déjantée, intègre
les airs tragiques ou parodiques et
permet à la joyeuse troupe d’exprimer
tout son talent.
JACQUES FRESCHEL
Magie
Homérique
de l’Ensemble vocal Philharmonia à
se surpasser, alors qu’au clavier somptueusement orchestral, l’omniprésente
Marie-France Arakelian a, comme de
coutume, fait des merveilles.
Pourtant on ne sait si les Aubagnais ont
véritablement réalisé leur chance !
Certes, la salle a pleinement acclamé
le ténor Luca Lombardo… mais a-telle saisi que le chanteur, qui remplace
régulièrement Villazon défaillant,
triomphe urbi et orbi dans Carmen, à
Bastille ou au Stade de France, dans
Louise, Les Contes d’Hoffmann, Macbeth
ou Werther et partout dans… Tosca ?
Ah, que son E lucevan le stelle fut
somptueux ! On ne comprend toujours pas pourquoi ce Marseillais, l’un
des plus grands ténors actuels, n’est
pas à l’affiche de l’Opéra de sa propre
cité… où il se contente de passer des
vacances ! C’est maintenant ou jamais!
C’est Le Retour d’Ulysse de Monteverdi
que nous proposait le Théâtre de
Nîmes les 11 et 12 déc, mis en scène
par William Kentridge sous la direction musicale de Philippe Pierlot et
l’ensemble Ricercar Consort. Cet
opéra de 1640, même s’il porte en
germe, après l’Orfeo, toute la tradition lyrique à venir reste finalement
très loin de l’écoute habituelle de
l’amateur d’opéra… La magie de la
mise en scène en a révélé toute la
richesse. Des marionnettes grandeur
nature, parfois manipulées avec adresse
par les chanteurs dans le lointain,
matérialisaient un trompe-l’oeil (baroque ?) tout en finesse et donnaient
une consistance physique aux figuralismes qui dominent dans cette
musique. Une projection au symbolisme très achevé complétait en fond
de scène l’atmosphère intime de cette
production aux accents anciens mais
au look de théâtre contemporain. Un
peu pris de court dans le Prologue,
Ulysse (Julian Podger) s’est ensuite
bonifié, et Pénélope (Romina Basso)
s’est plongée avec conviction dans
une trame dramatique suggérée par
les continuos. Le public fut conquis
par cette poésie riche, sensible et
fascinante. Quand donc cet Ulysse
reviendra-t-il visiter la région ?
JACQUES FRESCHEL
PIERRE ALAIN HOYET
Le cadeau de Luca
Pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance de
Puccini, le théâtre d’Aubagne affichait, le 22 novembre, un
beau plateau vocal… et un ténor royal : Luca Lombardo !
Le concert affichait quelques scènes
et fameux airs tirés de La Bohème,
Turandot, Manon Lescaut, Tosca ou Butterfly… avant la somptueuse Messe
de Gloire du grand vériste italien. Au
fil des apparitions, on a apprécié les
aigus scintillants de Monique Borelli,
comme l’émission généreuse, l’élan
communicatif de la soprano Brigitte
Hernandez. Bien connu de la famille
lyrique locale, Claude Méloni (depuis
bientôt 30 ans, le baryton forme des
générations d’artistes dans sa classe
de Chant au Conservatoire de Marseille) conserve, à près de 70 ans, une
noblesse de ton et une conduite des
phrasés d’une rare élégance. On retient
également la prestation prometteuse
de l’un de ses protégés dans le bref
air de Colline : Rémi Ortega. La direction expressive et fine de Jean-Claude
Latil, pour les cinq parties de l’ordinaire liturgique, a poussé les amateurs
Mozart-Salieri © X-D.R
Il Ritorno de Ulysse © X-D.R
28
CONCERTS
MUSIQUE
Amante et pénitente
Cantates et sonates
Avec L’amour de Madeleine, le 6 décembre à l’église
Ste Catherine, spectacle conjuguant déclamation
et chant baroques, Euterpes a conclu son festival
automnal par un point d’orgue d’une grande
richesse littéraire et musicale
Si le talent du contre-ténor Max Emmanuel Cencic
est indéniable, son récital du 27 novembre à St Victor
a également révélé une formidable flûtiste :
Dorothée Oberlinger
Marie Cristina Kiehr © X-D.R
Dieu qu’elle l’a aimé son doux Jésus
la Marie-Madeleine évangélique !
Jamais peut-être la prose de Bossuet
n’a exprimé avec autant de stridence
la passion dévorante qui a animé l’ancienne pécheresse… Sa méditation
intitulée L’Amour de Madeleine (avec
aussi des extraits de l’Elévation sur
Marie-Madeleine de Bérulle) exhumée
pour l’occasion par la musicologue
Catherine Cessac, a été lue avec exaltation par «le» spécialiste de la
déclamation baroque : Benjamin
Lazar. Certes, il fallu quelques
minutes d’adaptation aux «r» roulés,
«an» ouverts à la gasconne, «t» et «s»
prononcés en fin de mot, «oi» convertis
en «ouai», pour dépasser l’«exotisme» de la diction et recevoir de plein
fouet toute la puissance du texte.
En contrepoint, partageant la même
posture extatique, Marie Cristina Kiehr
a interprété des pages de Charpentier
consacrées à Marie-Madeleine. Sa voix
très «phonogénique», homogène sur
tout le registre, adoptant un pur style
baroque (plat et peu vibré, doucement ornementé et conduit en soufflets)
a séduit la nombreuse assistance, en
particulier dans le prépondérant «Sola
videbat in antris», déploration funèbre de l’amante face au supplice du
Golgotha.
Autre sommet du programme : un
inédit Lamento della Maddalena composé par Monteverdi sur son célèbre
Lamento d’Ariane ! Même si on peut
attendre, dans ce morceau de bravoure,
une voix plus ample de tragédienne,
on n’a pas pour autant boudé son
plaisir… D’autant que le Concerto
Soave, conduit des claviers par JeanMarc Aymes, a tissé, au fil du concert,
un échéancier soyeux de basse de
viole, d’arpèges de théorbe, de chatoyantes ritournelles de violons…
Une cérémonie lyrique qui a exalté le
théâtre baroque des passions !
Le timbre est chaleureux, vibrant, la
technique sûre, les phrasés sont élégants, sans un brin de mauvais goût
et, par-dessus tout, le contre-ténor
Max Emmanuel Cencic file quelques
pianissimi captivants, d’une rare
beauté. Il arrive souvent que ces voix
présentent un timbre un peu plat,
sombre… Ce n’est pas le cas chez cet
artiste au vibrato brillant et dont les
passages de registres sont imperceptibles. Sans rien enlever au talent de
Philippe Jarrousky, davantage reconnu aujourd’hui, on place Cencic à
sa hauteur !
Mais un virtuose peut en cacher un
autre. Dans ce programme alternant
des Cantates de Haendel et Scarlatti,
les Sonates instrumentales du même
Haendel et de Sammartini ont révélé
une flûtiste hors-pair. Dorothée
Oberlinger a époustouflé par la suavité de ses ornements et sa virtuosité
sans faille. Véritable Paganini des
flûtes alto et soprano, la musicienne
a furtivement volé la vedette à la tête
d’affiche !
Max-Emmanuel Cencic © X-DR
On regrette seulement d’avoir attendu
le bis pour voir Cencic abandonner les
partitions dans lesquelles il s’est
continuellement plongé. À ce niveaulà, particulièrement pour des pièces
qui sont presque des monologues
d’opéra, chanter par cœur s’avère indispensable afin que le public capte,
dans le regard de l’interprète, les sentiments passionnés qui s’expriment
par le texte !
JACQUES FRESCHEL
JACQUES FRESCHEL
Carte blanche romantique
Dans le cadre d’une Ouverture Soliste,
l’ensemble Télémaque a proposé un programme de musiciens dits Romantiques
au Ballet National de Marseille. Le
pianiste Nicolas Mazmanian a inter-
prété Intermezzi op.117 de Brahms,
pièce composée à pleine maturité,
testament pianistique. Associations
de thèmes d’une grande profondeur
et d’une grande virtuosité.
© Agnès Mellon
Yann Le Roux-Sèdes, au violon,
nous offre ensuite À Paganini pour
violon solo d’Alfred Schnittke. Là
encore une pièce d’une grande complexité avec des trilles qui, mélangées
à des citations coupées par de grands
coups d’archet, barrent la mélodie
pour qu’elle ne se fixe pas dans notre
mémoire. Interprétation talentueuse
qui se termine en désaccordant le
violon. Intervient ensuite le cor joué
par Marilyn Pongy dans un Trio pour
violon, piano et cor op.40 de Brahms
d’une expression grave et excentrique.
L’Escalier du Diable de György Ligeti
est probablement le clou de la soirée.
Le piano solo nous emmène dans des
crescendos incessants et vertigineux…
Puis, en seconde partie du concert,
le trio de Ligeti : le violon et le cor
jouent un phrasé de six notes, l’ar-
chet est tiré en monocorde, le piano,
presque absent dans le premier mouvement, repart dans des montées
mélodiques avec le cor. Un 2nd mouvement vivassissimo et un 3e au
rythme sauvage et précis, beaucoup
d’asymétrie dans cette pièce aux
accents de musique d’Europe de l’Est,
climat énergique, turbulent, au
propos parfois très jazzy. Une pièce à
la fois moderne dans son écriture,
classique par sa forme et… romantique par ses effets !
DAN WARZY
Ensemble Télémaque / Ouverture
soliste lors de carte blanche
aux musiciens de l’ensemble joué
le samedi 6 décembre au BNM
29
Messiaen… heureusement !
Trio
complice
C’est dans une atmosphère
tendue qu’a débuté le
concert de l’O.L.R.A.P.
au Toursky le 2 déc : des
menaces de liquidation
pèsent plus que jamais sur
l’orchestre vauclusien et
les subventions nationales
ont été ôtées à la scène
marseillaise…
Après des Danses sacrées et Danses
profanes de Debussy zébrées d’arpèges
de harpe, Véronique Muzy s’est installée au siège d’un énorme Steinway.
Certes, un tel instrument est inadapté
aujourd’hui au discours mozartien : de
fait, le dialogue orchestre/piano fut
conçu au XVIIIe siècle pour un pianoforte à la puissance plus modeste !
Toutefois, certains artistes distillent
sur clavier moderne des perles d’une
grande suavité. On en fut loin… et le
style Sturm und Drang du 20e Concerto
en ré mineur n’excuse en rien un jeu
sans nuance, déséquilibrant grossièrement les plans sonores !
Fort heureusement, l’hommage à
Messiaen, en seconde partie d’un
concert qui avait initialement pro-
Michel Bourdoncle © X-D.R.
grammé le contemporain Challulau
(remplacé par Mozart, plus porteur…)
a réconcilié le public avec l’émotion
musicale… et fait oublier un temps
les banderilles lancées contre la culture. Il faut dire que les Trois petites
liturgies de la présence divine conservent, depuis 1945, tout leur impact,
fondé sur l’alternance de mouvements
rythmiquement furieux et de lumineuses harmonies. Michel Bourdoncle
a tenu avec maestria la phénoménale
partie de piano, quand Jonathan
Schiffmann (plus à l’aise ici que dans
Dès les premières
mesures on devine qu’on
ne va pas entendre du
Mozart habituel ce 23 nov
à l’église Ste Catherine…
C’est qu’avec le Centre
Régional d’Art Baroque
Euterpes, un Week-end
classique ne peut l’être
tout à fait !
Mozart) a conduit habilement percussions et cordes. On n’a que peu entendu,
en fond de scène, le texte énoncé par
les voix raides et peu juvéniles de la
Maîtrise Gabriel Fauré… Mais elles
ont été avantageusement doublées
par les Ondes Martenot, instrument
vibrant et insolite grâce auquel Claude
Samuel Lévine a pu rendre justice
(et justesse) à une oeuvre magistrale.
JACQUES FRESCHEL
Un duo hétérogène
Alice Pierlot © X-D.R
Le 18 nov, à la Faculté de Médecine de Marseille, si le violoncelle de François Salque
a ravi les sociétaires… Le piano d’Eric Le Sage a quelque peu déçu
Souvent, dans un duo violoncelle et
piano, le premier instrument revêt un
rôle de soliste, quand le second se
trouve davantage confiné à l’accompagnement «faire-valoir». La position
du violoncelliste situé devant le
piano, lui tournant le dos, renforce
habituellement cette impression.
Toutefois, les grands compositeurs de
musique de chambre s’attachent
d’ordinaire à répartir soigneusement
le dialogue instrumental : le dessin
mélodique n’est pas l’apanage du seul
archet, le décor harmonique nonexclusivement dévolu au clavier… Ce
fut le cas pour les opus exécutés lors
de la 1277e séance de la Société de
Musique de Chambre de Marseille.
Au demeurant, si le violoncelliste
François Salque s’est avéré un
chantre bourré d’imagination, Éric Le
Sage au piano a paru plus fade et
moins inspiré… Au son large, ouvert
et brut du premier, vibrant et lyrique,
puissant ou feutré, reproduisant avec
une grande sensibilité le mezza-voce
d’un baryton ou d’une soprano, le
second a répondu par un jeu frustrant. Sans une once de faute de
Francois Salque © X-D.R
goût, techniquement irréprochable et
des doigts à revendre… mais le
pianiste s’est accroché vainement,
dans la Sonate en ré mineur de
Debussy, la Sonate n°2 op. 117 de
Fauré, les Pièces dans un style populaire de Schumann, à ce que son
compagnon de récital lui suggérait.
Plus à l’aise dans la Sonate n°3 op.69
de Beethoven, Le Sage a pourtant
manqué de couleurs, de lumière, de
respiration, jouant souvent trop fort,
trop dur, trop droit…
Visiblement ces deux-là ne vont pas
ensemble ! Pris de cours pour les bis
(rejouant l’intégralité de la Sonate de
Debussy !), hormis l’immanquable et
superbe Après un rêve fauréen, le duo
a laissé le public sur sa faim.
JACQUES FRESCHEL
Les cordes en boyau du Trio AnPaPié
résonnent merveilleusement. Dans
les différents mouvements du programme et le Divertimento en mi
bémol de l’enfant de Salzbourg, le
son est chaleureux, les phrasés
respirent, les tenues hésitent entre
une blancheur toute baroque et une
vaporeuse coloration vibrée. Alice
Piérot (violon) endosse le costume
du chant supérieur, quand Fanny
Paccoud (alto) et Elena Andreyev
(violoncelle) dessinent aux étages
inférieurs des arabesques rebondies.
Chose exceptionnelle dans ce répertoire : les musiciennes jouent par
cœur ! Cela n’est pas sans risque et il
est arrivé à l’une, peut-être distraite
par une volée de cloche intempestive, ou l’autre, ailleurs, d’oublier
furtivement un bout de phrase
musicale… Mais qu’importe ! Cette
posture originale a permis au public
de mieux suivre, au fil des regards
complices et des gestes synchrones,
le fin discours mozartien.
J.F.
30
MUSIQUE
CONCERTS
Entre India song et Barry Lindon
C’est à une charmante promenade dans les
partitions du 7e art que le Trio Pythéas nous a
conviés le 5 déc à l’auditorium de l’hôtel Pullman,
sur la Corniche de Marseille. Un décor de cinéma
pour de la musique de film, ambiance feutrée et
fauteuils confortables, une chaleur qui avait
tendance à malmener les instruments, mais la
magie musicale a su opérer. Après la présentation
érudite et humoristique de Gérard Abrial, les trois
musiciens ont fait preuve de leur indéniable talent.
La musique originale d’India Song de Carlos
d’Alessio ouvrait le bal, dans lequel éternellement
dansent Delphine Seyrig et Michaël Lonsdale ; la
suite de Bach pour violoncelle seul, qu’interpréta
avec brio Guillaume Rabier, nous replongeait dans
l’ambiance torturée du huis clos de Sonate
d’automne de Bergman ; les accents de Williams
laissaient les échos de La liste de Schindler répondre
à la Ballade n°1 de Chopin toujours dans le monde
tragique de la guerre du Pianiste. Le merveilleux
thème de Barry Lindon, pardon, du Trio n°2 de
Schubert, fermait un spectacle qui connut les
rappels qu’il méritait. Il est vrai que les noms des
films venaient à l’esprit avant celui des compositeurs, tellement ces morceaux leur sont liés d’une
manière indissociable ! L’interprétation sûre et
magistrale de Marie-France Arakélian au piano, le
toucher sensible du violon de Yann Le Roux, ont
conquis une salle comble. Un très joli moment de
musique sans cinéma !
MARYVONNE COLOMBANI
Ensemble Pytheas ©X-D.R
Noël baroque
L’ensemble Pythéas et le ténor Laurent Blanchard
ont proposé un concert de Noël rassemblant des
airs enjoués du répertoire baroque, et un quatuor
de Mozart à des auditeurs plus qu’enthousiastes.
On ne fut pas déçu de l’interprétation généreuse
des Cantates de Bach ou des quelques airs de
Haendel et Purcell par Laurent Blanchard, ni de
l’aplomb du quatuor. On regrette cependant l’acoustique de l’Eglise qui n’a malheureusement pas
permis d’apprécier à sa juste valeur la transcription
de Sitkovetsky pour trio à cordes des Variations
Goldberg, rendue pourtant avec beaucoup de
précision et de solidité.
On put également entendre le Canon de Pachelbel
et le fameux Aria de la Suite n°3 de Bach : le plaisir
du quatuor à exécuter ces grands classiques était
communicatif, et transmettait ce mélange d’entrain
et de sérénité au goût d’hiver. Celui que l’on peut
connaître lors des fêtes de fin d’année… ce qui est
somme toute le but pour un concert de Noël !
SUSAN BEL
Le Concert de Noël a été joué
par Pytheas le 13 déc à l’église
Saint Ferreol (Marseille)
Marathon Beethovenien au Théâtre de Nîmes
Abdel Rahman El Bacha © Alvaro Yanez
C’est un relais longue distance que
nous ont proposés sept pianistes pour
parcourir l’intégrale des sonates de
Beethoven
Lundi 1er décembre, n° 10 et 11 avec humour en
guise d’échauffement. Puis, le tempo allègre du
sostenuto de la Clair de lune nous fait craindre le
pire… Jean-Efflam Bavouzet assume ses choix et
tient la route avec cohérence et sans défaillance
pour la suite : tout est enchaîné avec brio et le
pianiste, un pied qui pulse en dehors du siège, se
libère avec les n° 12, 13 et 18. Ça swingue chez
Beethoven et ça court d’un pas jubilatoire à Nîmes!
Mais il y en aura pour tous les goûts : on enchaîne
avec Andrei Korobeinikov époustouflant de force,
d’assurance et de vitalité (Apassionata et op 101
& 109...) en regard de la grande sensibilité
d’Emmanuel Strosser. C’est le contraste école
Française et Russe que panache avec brio Claire
Désert le lendemain. Les hommes n’ont qu’à bien
se tenir et chapeau bas Mesdame : Ho Jeong Lee
confirme le lendemain dans La Pathétique. Entre
ces deux dernières, Abdel Rahman El Bachat. Que
dire ? Il est hors compétition : sa fluidité nous
emmène dans des mondes insoupçonnés en
adéquation totale avec les n° 21 & 22.
Les Dieux de la musique étaient au rendez-vous,
Nîmes en était le théâtre !
PIERRE-ALAIN HOYET
Ho Jeong Lee © X-D.R
31
Soie,
béton,
Ébène
Pour 3 euros
et 2 héros
Beau programme
au Galet de St-Martin
de Crau dans le cadre
du Festival des Nuits
pianistiques le 22 nov
Mozart et Beethoven successivement interprétés par Girard & Girard
(Anne-Marie et Thomas) : un couple
fait écho à un autre couple, sous la
bénédiction de l’Orchestre Lyrique
d’Avignon (en difficulté, et sous tutelle... voir Zib 12 et 13) dirigé par
Volker Schmidt-Gertenbach (au
tarif de 3 euros à l’initiative de la
Mairie de St-Martin de Crau...).
Une Ouverture des Noces pour chauffer
l’orchestre avec brio et tonicité : les
cordes fusent, les vents contre-
chantent et les timbales ponctuent,
Mozart est bien là et on s’attend à
voir arriver Susanna et Figaro ! En
lieu et place Anne-Marie Girard nous
livrent un ultime Concerto n° 27 KV
595 en si bémol dans un style parfait
et épuré (une pédale un peu trop
dosée ou un effet de l’acoustique
sacrée ?), un jeu sobre perlé et délicat, tout en nuances. C’est Mozart !
Anne-Marie se libère au fil de l’œuvre,
l’orchestre répond avec tact et entretient la sagesse mesurée et le bon
goût de la pianiste.
Thomas Girard prend le relais après
une virile Ouverture des créatures de
Prométhée, caractère auquel ne déroge pas le 5e Concerto totalement
révélé par son interprète, engagé et
sensible. L’alliage des timbres avec les
cordes est magnifique dans le mouvement lent et la cohésion confirmée
dans le rondo et les entrées qui gagnent en confiance au fil des refrains.
Quel(s) couple(s) ! Parfois, les modestes (Anne-Marie et Thomas Girard
enseignent à la dynamique Ecole de
Musique intercommunale des
Alpilles de la Camargue et la Crau)
n’ont rien à envier aux plus grands...
et mériteraient d’être plus souvent
sur scène !
PIERRE-ALAIN HOYET
Un pianiste aux doigts d’or…
Soirée merveilleuse ce 25 nov à l’opéra d’Avignon,
qui a offert sa scène au pianiste russe mille fois auréolé,
et partout triomphant, Boris Berezovsky
Boris Berezovsky © X-D.R
Ce prodige aux doigts d’or, âgé de 40
ans, enchante les scènes internationales depuis de nombreuses années.
Un changement de programmation
nous a permis d’écouter la sonate
Waldstein de Beethoven (au lieu de
l’Appassionata ) dans laquelle le pianiste a usé d’une palette sonore
infinie, mêlant sobriété du geste et
beauté du son.
Dans les Scherzi de Chopin (remplaçant
la Wanderer-Fantaisie de Schubert), il
fut enchanteur, comme si, par magie,
des milliers de perles délicates s’envolaient du clavier… Le summum de
la perfection (car il faut croire qu’elle
existe !) fut atteint dans la Sonate en
Si mineur de Liszt: parti sur un tempo
diabolique -mais n’était-ce pas pour
donner toute sa place à Méphisto
présent dans l’œuvre ?-, Berezovsky
a joué cette sonate de haute voltige
en rendant au compositeur toute son
âme: l’on peut parler ici, sans hésitation, d’interprétation transcendante!
Il fit salle comble, fut chaudement et
longuement applaudi, et revint offrir
deux bis. Car ce soir-là le piano était
bien possédé, mais non par le Diable
de Franz Liszt : par Boris Berezovsky,
divin poète virtuose !
CHRISTINE REY
Quatuor Ebene © X-D.R
Le Quatuor Ebène,
accompagné par Éric
Le Sage lors du concert
du 23 nov au Méjan
à Arles, a fait entendre
tous les états de la
matière…
Le béton, c’est cette magnifique
interprétation du molto vivace central
de Schumann, bissé bien évidemment (Quintette pour piano et cordes
op 44). La soie, c’est cette révélation
de l’écriture dense et imbriquée de
Fauré (Quintette pour piano et cordes
op 89) qui suggère une trame de
tissu noble. Tour de force supplémentaire : ils passent de Fauré à Schumann,
stylistiquement très différents, sans
rompre avec leur cohérence. Nos musiciens révèlent, totalement engagés
dans leurs interprétations, ce qui
s’est passé en cinquante ans d’histoire de la musique. C’est de la haute
couture, et la révélation juste et passionnée d’une architecture musicale
de haut vol.
PIERRE-ALAIN HOYET
32
MUSIQUE
CONCERTS
Récitation
Scénographie ne chante point
Au Grand Théâtre de
Provence, le 11 décembre,
on annonçait du théâtre
musical : I went to the
house but did not enter…
On n’y est pas entré
non plus !
Comment ! Tu n’as pas vu la dernière
création d’Heiner Goebbels ? Avec
quelle économie de moyen ce metteur
en scène allemand exerce une irrépressible fascination sur les spectateur ?
Comment il cultive la réserve naturelle
du Quatuor Hilliard…. et jusqu’où ce
compositeur scrute, fragmente les
textes z’essentiels et énigmatiques de
T.S. Eliot, Maurice Blanchot, Franz
Kafka, Samuel Beckett, exploite leur
«méfiance envers les formes narratives
linéaires», contradictions et questionnements poétiques sans réponse, «sans
contenu»… leur échec ?
Disons-le tout net : on s’ennuie à
observer dans le silence, de longues
minutes durant, quatre silhouettes
débarrasser au compte-goutte, dans un
carton à haut-fond, des tasses rangées
sur une table, la théière, et puis les
fleurs et son vase, la nappe… et la
table elle-même, le tapis, les rideaux…
avec la tringle !… (et tout repositionner ensuite, à l’inverse, sur le même
tempo assommant) ; à écouter des
mélodies raides, polyphonies syllabiques rasoir, qui ne chantent jamais,
ou alors chevrotantes, des harmonies
plates sur des rythmes lancinants, dans
une chambre d’hôtel à la lumière d’un
projecteur de diapos au cadrage trop
large…
Quel dommage qu’une telle débauche
de moyens esthétiques s’avère si stérile! Car la scénographie est léchée,
réglée au pied à coulisse : virtuosité
dans la création des lumières, ambiances sonores finement travaillées
(au deuxième tableau particulièrement
réussi), décors impressionnants… Et
les quatre voix anglaises, en harmonies,
possèdent une suavité qui fait
ardemment regretter de ne pouvoir les
entendre dans Pérotin ou Ockeghem,
qui leur vont si bien !
Le Trio Wanderer, depuis
vingt ans qu’il «voyage» à
travers le monde, a acquis
une réputation telle qu’une
affiche à leur nom suffit
à emplir les salles de
concert… Ce fut le cas
du vaste auditorium du
Grand Théâtre de Provence,
le 20 novembre
© Agnès Mellon
Si le mot «Wanderer» évoque assurément Schubert, il n’a jamais été aussi
pertinent que pour ce récital-là !
Songez que les mélomanes ont entendu
deux des plus beaux joyaux de la
musique de chambre : ses illustres Trios
en si bémol et mi bémol ! Tous
attendaient le fameux Andante de
l’Opus 100. On n’a pas été déçu… mais
pas non plus totalement emballé !
Certes, le trio français est particulièrement remarquable dans le soin
apporté au mixage des timbres, tout en
JACQUES FRESCHEL
Les enfants et la Mort
Le théâtre des Salins
est bondé de bambins qui
piaffent, le 21 nov. Sur
le plateau, les musiciens
de Télémaque chauffent
leur biniou. Pour capter
l’attention, le maestro
Raoul Lay entre et salue
lentement : le silence
se fait!
© Agnès Mellon
À l’écoute du conte de Grimm Le
vaillant petit tailleur (vous savez : «Sept
d’un coup !») narré par la comédienne
Julie Cordier, les bambins jubilent, car
les sonorités illustratives (glissandos
figurant la chute des mouches, combat
percussif des géants, fanfare crâneuse
de cuivres, féerie toute ravélienne…)
habilement composées par Tibor
Harsànyi renforcent l’intérêt du récit.
Et le tour est joué !
Mais l’enjeu est tout autre après quel-
ques minutes d’entracte! Dans deux
ronds de lumière, une clarinettiste et
un contre-bassiste se font face,
dessinent des contrepoints énigmatiques. Le langage musical s’avère
subitement plus moderne, l’atmosphère
vire à l’étrange…
Dès la présentation des motifs musicaux, à la manière de Pierre et le loup,
on comprend qu’on n’a pas affaire à
simple un conte naïf. À la différence de
Prokofiev, les thèmes ne représentent
pas seulement des personnages, comme
la Princesse ou le Roi, mais aussi des
«Idées» que l’on n’associe que rarement
au monde de l’enfance : Dieu, La Mort…
C’est que La Mort marraine de Grimm
est un conte à part, offrant de nombreux niveaux de lecture : biblique,
symbolique, analytique… Au premier
degré, à son écoute, un enfant ordinairement constitué risque au mieux
d’être angoissé, au pire de décrocher…
Mais ce ne fut pas le cas à Martigues,
en partie grâce au jeu habile et minimaliste de Julie Cordier… pas un brin
racoleur ! La comédienne laisse la place
à l’imaginaire et, surtout, elle s’efface
quand il le faut devant la partition du
compositeur. La facture moderne et
lyrique de Raoul Lay, poétique, tantôt
puissante ou sarcastique, doucement
dissonante, colle à souhait à l’univers
onirique et implacable du récit.
Au final, le pari est gagné : non
seulement ce conte difficile a fasciné,
mais les pitchouns ont écouté sans
ciller… de la musique contemporaine !
Vous savez, celle qu’on qualifie
sempiternellement d’inaudible et
d’élitiste…
JACQUES FRESCHEL
33
soignée
Trio Wanderer © Achim Liebold
nuances subtiles, correspondances
synchrones des phrasés : leur technique
est éprouvée, l’entente magistrale ! De
plus, dans ces opus hyper-connus, ces
trois-là adoptent des choix personnels :
comme celui récurrent de prendre
finement appui sur la pulsation, afin
d’accorder aux mouvements une unité
stylistique qui les tirent élégamment du
coté de la danse. Cependant, leur jeu
léché et implacablement raisonné a, de
temps à autre, semblé un peu récité,
La forza tranquilla
manquant de vie, de fantaisie, de
fragilité, de risque… d’émotion !
Le piano délicatement coloré de Vincent
Coq a pâti d’une utilisation abusive de
la sourdine (sans doute par peur de
couvrir les cordes) : du coup il a parfois
manqué de corps dans les contrechants. Au violoncelle profond et
lyrique de Raphaël Pidoux, le seul à
nous entraîner, au-delà des notes, vers
des rivages rêvés trop furtivement
abordés, le violon de Jean-Marc
Phillips-Varjabédian a répondu par des
sonorités ni très nettes, ni très
rondes… un peu sèches !
Ceci dit, la leçon est toujours belle
quand elle est signée Schubert !
JACQUES FRESCHEL
© X-D.R
Baroques parodies…
Ce mois-ci, l’ensemble des Festes d’Orphée a proposé
deux programmes à Marseille et Aix : Splendeurs
du baroque italien et Grands motets provençaux en Noël
Petit choeur des Festes d'Orphée © X-D.R
Si les qualités musicales de l’ensemble instrumental, tout comme des
chœurs et des solistes, est indéniable, et fort agréable, le premier
programme s’avéra peu surprenant :
le choix des œuvres de Lotti,
Monteverdi et Carissimi manquait
un peu d’originalité, ou d’intérêt
musical.
On ne peut en dire autant des Motets
provençaux, qui composaient un
répertoire moins attendu et qui
pourtant paraît nettement plus
familier ! Car le concert, construit de
manière pédagogique, présentait aux
auditeurs des œuvres illustrant un
Le concert symphonique, donné le 12 décembre dans
l’auditorium du palais du Pharo, a révélé un formidable
pianiste italien : Andrea Lucchesini
point précis d’Histoire musicale. Celui
de la reconversion, puisque nous
avons pu en apprendre un peu plus
sur le procédé de la parodie dans les
«Noëls», transformant une musique
pré-existante en récit de la naissance
de Jésus ! On reconnaît alors,
amusés, le thème De bon matin repris
par Auphand pour son Dixit. On
repart heureux d’en avoir appris
encore un peu sur le répertoire
baroque provençal, qui gagne
décidément à être connu !
SUSAN BEL
C’est dans le 2e mouvement du 4e
concerto de Beethoven qu’Andrea
Lucchesini a scellé son succès. Par la
douceur de son chant et de
souveraines suppliques, il a,
patiemment, fait céder la formation
orchestrale, l’emportant dans les
ultimes mesures. Plutôt qu’Orphée
pleurant Eurydice, on a imaginé le
sage Sarastro chantant avec la voix
de Pamina, luttant contre la
puissance négative de cordes
grandiloquentes… À côté d’un jeu
d’une sensibilité supérieure, Andrea
Lucchesini a fait entendre, dans les
mouvements allants, une sonorité
d’une rare homogénéité, claire et
ronde, sans dureté, un style perlé,
souple, facile et élégant, adjoignant
quand nécessaire, comme dans
l’impressionnante cadence de l’allegro
initial, une puissance virtuose tout
expressive. L’abondant public de
l’auditorium, lui aussi vaincu, a
finalement laissé partir le musicien se
reposer en coulisses, après deux
brillants bis, cerises rougeoyantes sur
un savoureux gâteau.
Emmené par le volubile et pointilleux
chef italien Evelino Pido, l’Orchestre
Philharmonique de Marseille a
répondu positivement à son sens du
détail et des respirations. Dans «La
Grande» Symphonie n°9 de Schubert,
la qualité des solos de l’harmonie a
estompé les travers d’une œuvre,
certes novatrice et épique, mais
s’égarant parfois dans des redites
fastidieuses. C’est qu’on préfère sans
doute le Schubert plus intime des
Lieder et de la musique de chambre !
JACQUES FRESCHEL
34
MUSIQUE
CONCERTS
Opérettes à la fête
Jeunesse
Lyrique
Entre Noël et l’Epiphanie,
fête rime avec… opérette !
Pour bébés… et femmes
enceintes
Rossini & Beaumarchais
A Marseille on chante avec La Veuve
Joyeuse une délicieuse «Heure exquise qui nous grise…» (les 31 déc. 2,
6 et 8 janv. à 20h, le 4 janv à 14h30),
quand à Avignon (également programmé par le Théâtre de Nîmes),
on se souvient de Luis Mariano et de
son fameux falsetto dans Le
Chanteur de Mexi…iii coooh!!! (les
27 et 31 déc à 20h30, le 28 déc à
14h30).
Si à Toulon on danse sur Theodorakis
pour un Zorba le Grec accompagné
en direct par le chœur et l’orchestre
de l’Opéra municipal (les 27 et 31 déc
à 20h, le 28 déc à 16h), on patiente
un peu sur la Canebière, à l’Odéon,
pour l’inusable succès de Francis
Lopez Quatre jours à Paris (les 17 et
18 janv à 14h30) et à Miramas pour
un rare «bouffe» signé Delibes par
Les Brigands : La cour du Roi Pétaud
(le 16 janv à 20h30).
MARSEILLE. Opéra 04 91 55 11 10 /
Odéon 04 96 12 52 70 http://marseille.fr
AVIGNON. Opéra-Théâtre 04 90 82
81 40 - www.mairie-avignon.fr
NÎMES. Théâtre 04 66 36 65 10 http://www.theatredenimes.com
TOULON. Opéra 04 94 92 70 78 www.operadetoulon.fr
MIRAMAS. La Colonne 04 90 50 05
26 / www.scenesetcines.fr
Baroque
Noël
L’ensemble Eleusis (voix, flûtes,
harpes et viole de gambe) dirigé par
Corine Tièche joue Charpentier Bach
et des Noëls traditionnels.
MARSEILLE. Le 20 déc à 17h –
Eglise adventiste de Saint-Tronc Entrée libre
04 91 26 20 14
Mozart à Paris
Un étonnant voyage baroque présente, autour de Sonates de Mozart,
des pièces de compositeurs aujourd’hui oubliés que le jeune
Salzbourgeois rencontra lors de son
second séjour dans la capitale
française. Sharman Plesner (violon)
et Jean-Paul Serra (pianoforte)
jouent donc Johann Schobert et le
Chevalier de Saint Georges.
Jazz
Scène ouverte
Le jazz-band des élèves et enseignants de la Cité de la musique fait
le bœuf en sous-sol.
MARSEILLE. Le 12 janv à 21h à La
Cave 16 rue B. Dubois. Entrée libre
04.91.39.28.28 www.citemusique-marseille.com
Just Jazz quartet
Le batteur aux influences africaines
Aldo Romano improvise avec Henri
Texier (contrebasse) Géraldine Laurent
(saxophone) et le clarinettiste Mauro
Negri.
AIX. Le 15 janv à 18h30
au Musée des Tapisseries
MARSEILLE. Le 16 janv à 20h30
à la Bastide de la Magalone
Baroques Graffiti 04 91 64 03 46 www.baroquesgraffiti.com
Musique spirituelle
du soir: le temps de Noël
Le chœur La Passacaille dirigé par
Françoise Espitalier, accompagné à
l’orgue et par un quatuor à cordes,
chante une Cantate de Buxtehude, un
Choral de Mendelssohn et un chœur
extrait du Messie de Haendel.
AIX. Le 20 janv à 19h –
Chapelle des Oblats
Festes d’Orphée
04 42 99 37 11 - www.orphee.org
AIX. Le 20 janv à 20h30 au Grand
Théâtre de Provence.
04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net
Modern Pop Quartet
Régis (vocal et percussions) et
André Ceccarelli (batterie), père et
fils, accompagnés du pianiste Eric
Legnini et du contrebassiste Laurent
Vernerey reprennent les titres de leur
dernier album pour un voyage swing
de Broadway à Londres.
AUBAGNE. Le 20 janv à 21h
au Comœdia
04 42 18 19 88 www.aubagne.com
Voilà une expérience rare et
originale! Si Raoul Lay a déjà
«composé pour le jeune public avec la
complicité d’Olivier Py, ou encore à
partir de contes des frères Grimm», il
va encore plus loin dans Nokto. Avec
la complicité du metteur en scène
Jean-Pascal Viault, il conçoit un
spectacle qui prend les bébés au
sérieux. Le temps s’y étire, aux sons
éthérés d’une voix de soprano, d’une
flûte, de percussions, et conduit au
rêve en stimulant l’imaginaire…
LE REVEST. Les 6, 8 et 9 janv.
à 19h30. Maison des Comoni
04 94 98 12 10 www.polejeunepublic.com
http://lyonne-en-scene.com www.ensemble-telemaque.com
Oh !
La soprano Annabelle Playe, à partir
d’opus d’Aperghis, Berberian,
Cage… explore le son, manipule la
langue, détourne le maniement
d’objets, crée un monde poétique à
l’usage des tous-petits (dès 3 ans).
La Compagnie Opéra éclaté représente le Barbier de Séville de Rossini
en remplaçant les récitatifs de l’opéra
par les extraits de la pièce éponyme
de beaumarchais. Mathias Vidal,
Jean-Michel Ankaoua, Hermine
Huguenel, Christophe Lacassagne,
Jérôme Varnier, Alain Herriau sont
dirigés du piano par Corine Durous,
dans une mise en scène d’Olivier
Desbordes.
DRAGUIGNAN. Le 4 janv à 17h.Théâtre
04 94 50 59 59 www.theatresendracenie.com
Diva au Faron
La soprano Adina Aaron, qui vient de
triompher dans Aïda à Marseille,
chante Vienne et des airs d’opéras et
d’opérettes pour le Concert du
Nouvel-an toulonnais, accompagnée
par l’orchestre maison (dir. Giuliano
Carella).
Adina Aaron © X-D.R
MARSEILLE. Cité de la Musique –
Auditorium
04 91 39 28 28 www.citemusique-marseille.com
Solistes
Son et lumière
Le clarinettiste Jean-Christian
Michel choisit de fêter ses 40 ans de
carrière dans l’abbaye où il donna
jadis son premier concert : «jazz et
musique sacrée à résonance spatiale»
avec «effets laser volumétriques en
chorégraphie de lumière».
MARSEILLE. Les 18 et 19 déc
à 20h30 à St-Victor.
Espace Culture : 04 96 11 04 61 www.jean-christian-michel.com
Boris le Grand
Immanquable ! Le Cours Mirabeau
attend, après son triomphe avignonnais (voir p.31) le tsar des pianos
Boris Berezovsky dans Beethoven,
Schubert et Liszt. Un phénomène de
puissance virtuose et de musicalité !
AIX. Le 22 janv à 20h30 au Grand
Théâtre de Provence
04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net
TOULON. Le 8 janv à 21h Opéra
… Et récital du CNIPAL le 15 janv.
à 19h au Foyer.
04 94 92 70 78 www.operadetoulon.fr
Mozart Short Cuts
Il y a quelques temps, Laurence
Equilbey (artiste associée au G.T.P.)
concevait pour Nîmes un «opéra
imaginaire» de Mozart , mis en scène
par Macha Makeïeff et Jérôme
Deschamps et accompagné par
l’Orchestra of the age of
enlightenment. Cette suite d’airs
poursuit à sa manière l’exploration
aixoise de l’œuvre de Wolfi.
AIX. Les 15 et 16 janv à 20h30
au Grand Théâtre de Provence
04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net
35
Musique de chambre
Symphonique
Quatuor Gabriel
Tomasi en portrait
L’an neuf
Trois orchestres
Fondé en hommage à Fauré il y a 20
ans, l’ensemble français interprète les
Quatuors avec piano n°1 en ut mineur
du dit Fauré et l’Opus 23 du belge
Joseph Jongen… à découvrir !
La Cité de la Musique ouvre ses
portes pour rendre hommage, deux
jours durant, au compositeur Henri
Tomasi disparu il y a une quarantaine
d’années. À l’occasion de la parution
de la première biographie du
musicien (dont le talent et l’aura
méritent bien davantage !), Jacques
Bonnadier anime une rencontre avec
l’auteur Michel Solis (entendez son
fils Claude Tomasi) avant la
projection
de
deux
filmsdocumentaires sur ce Corse né à
Marseille (le 8 janv. à partir de
18h30).
C’est ensuite à l’Ensemble Pythéas
au grand complet, emmené par le
violoniste Yann Le Roux-Sèdes, de
célébrer la musique de chambre de
Tomasi. Une œuvre multiforme,
lyrique et sensuelle, s’échelonnant de
1928 à 1969 (le 9 janv. à 21h –
Approche musicologique par Lionel
Pons à 19h30)
L’année 2009 commence en fanfare
dans la Cité des papes avec Les 100
violons tziganes de Budapest (le 3
janv à 20h30) suivis du concert du
Nouvel an 2009 par l’OLRAP et les
Ballets de l’Opéra sur des musiques
signées Piazzola et Offenbach (le 10
janv à 14h30 ou 20h30, le 11 janv. à
17h – Entrée libre).
Exceptionnel ! L’Orchestre National
de France (dir. Daniele Gatti) joue
la 4e Symphonie de Brahms et se joint
à Mihaela Ursuleasa pour le 3e
Concerto pour piano de Bartok (Le
20/12) avant que l’Orchestre
Français de Jeunes dirigé par
Dennis Russell ne prenne le relais
dans la 8e symphonie de
Chostakovitch et, en compagnie de
Laurent Korcia pour le Concerto pour
violon de Tchaïkovski (le 23 déc, voir
page 72).
Emmanuel Krivine enfin, à la tête
de La Chambre Philharmonique
dirige Haydn sur instruments
d’époque (le 10 janv).
MARSEILLE. Le 6 janv
A 20h30 à la Faculté de Médecine
S.M.C.M. adhésions 04 96 11 04 60
Du Danube à la Volga
L’Opéra municipal poursuit son cycle
de musique de chambre en affichant
des solistes du crû : Augustin
Bourdon (violon), Alain Geng
(clarinette) et François Killian
(piano) jouent Berg, Khatchatourian,
Stravinsky et Bartok.
MARSEILLE. Le 10 janv
à 17h au Foyer
04 91 55 11 10 http://opera.marseille.fr
Bicentenaire Haydn &
Mendelssohn
L’un est mort en 1809, l’autre est né
cette année-ci ! Les Musiciens
d’Hélios jouent deux trios pour
piano, violon et violoncelle de ces
deux-là ! L’un est en la… et pas en
si… l’autre est en ré !
AIX. Le 14 janv à 18h30 –
Musée des Tapisseries.
04 42 21 69 69 www.aixenmusique.fr
MARSEILLE. Cité de la Musique –
Auditorium 4 rue Bernard Dubois
04 91 39 28 28 - www.citemusiquemarseille.com
Brigitte Engerer © X-D.R
AVIGNON. Opéra-Théâtre
04 90 82 81 40
www.mairie-avignon.fr
Violon et orchestre
AIX. Concerts à 20h30
au Grand Théâtre de Provence
04 42 91 69 69 www.legrandtheatre.net
Renaud Capucon © X-D.R
À Marseille, Louis Langrée dirige
L’Apprenti sorcier de Dukas, et la Suite
n°2 de Daphnis et Chloé de Ravel.
L’orchestre philharmonique accompagne également le violoniste Renaud
Capuçon dans Tzigane du même Ravel
et l’Introduction et Rondo capriccioso
de Saint-Saëns
MARSEILLE. Le 10 janv à 20h à l’Opéra.
Cantiques d’Amour
04 91 55 11 10 http://opera.marseille.fr
On attend, au bord du Rhône, la
pianiste Brigitte Engerer dans Bach,
Schubert et Liszt, en compagnie du
comédien Daniel Mesguich qui lira
des poèmes de Baudelaire, Aragon,
Lamartine et Verlaine.
ARLES. Le 23 janv à 20h30 au
Méjan
04 90 49 56 78 – www.lemejan.com
Contemporain
Derniers cris !
L’école de Vienne
L’ensemble vocal Musicatreize complète et affine son
programme de concert sur le thème des «Cris». A côtés
des inusables Cris de Paris de Janequin, Roland
Hayrabedian dirige Cries of London de Berio, Les Cris de
Marseille de Régis Campo, et… Cris de Ohana. De
surcroît, on découvre une création : les derniers Cris de
Nancy de Jean-Christophe Marti et Jean Poinsignon.
L’Ensemble Télémaque poursuit sa série de ses concerts
thématique en Portraits composés. C’est au tour du
fameux trio viennois, géniteur d’un pan entier de la
musique du XXe siècle, de passer sous le moule analytique
et pédagogique de Raoul Lay. Après cela les «Libertés et
contraintes» de la «Musique atonale» feront partie des
conversations les plus courantes du plus profane des
amateurs… Avec évidemment, au programme, Berg,
Webern et un chef-d’œuvre : le Pierrot Lunaire d’Arnold
Schönberg (Brigitte Peyré : soprano).
MARSEILLE. Le 15 janv à 20h au Temple Grignan.
Atelier d’écoute autour du programme le 13 janv
à 17h à l’Alcazar – Entrée libre
04 91 00 91 31 - www.musicatreize.org
MARSEILLE. Le 23 janv. à 19h.
Archives départementales Gaston Defferre.
04 91 08 61 00 - ww.ensemble-telemaque.com
Fin de tournée
Noëls du Cg13
Les traditionnels concerts de Noël du
Conseil Général des BdR. s’achèvent
au pied du sapin, juste avant la dinde
aux marrons !
Tchoune et ses Gitans sont à
Marseille - Eglise St-Just le 19 déc à
19h, à l’église de Miramas le 20 déc
à 21h et sur l’esplanade de la
Tourette le 21 déc à 17h.
La Maîtrise des Bouches-du-Rhône
chante aux Milles - Eglise Sainte
Marie Madeleine le 19 déc à 20h30,
Marseille - Eglise Saint-Pierre SaintPaul le 20 déc à 19h45, à Fos - Eglise
Saint Sauveur le 21 déc à 17h, à
Fontvieille - Eglise Saint-Pierre Es
Liens le 22 déc à 20h30, Martigues
Salle du Grès le 23 déc à 20h30.
Picante mêle mélodies aztèques et
boléros mexicains à Marseille - Eglise
Saint-Mître le 19 déc à 20h - Eglise
Saint-Henri le 20 déc à 20h30 Eglise Saint-Pierre le 22 déc à 20h30
- Eglise Saint-Loup le 23 déc à 20h30
ou Salon - Collégiale Saint-Laurent le
21 déc à 17h.
Convivencia chante les classiques de
Noël. à Aix - Eglise d’Encagnane le
19 déc à 19h ; Marseille - Eglise de
l’Immaculée Conception le 20 déc à
20h30 - Eglise du Canet le 22 déc à
20h - Eglise Ste Emilie de Vialar le 23
déc à 20h30 ou Gignac - Espace
Marcel Pagnol le 21 déc à 17h.
JACQUES FRESCHEL
36
MUSIQUE
CONCERTS
Un écrin de voix
dans un monde de brutes…
Même si elles n’aiment pas être «mises en boîte», ces nouvelles artistes suivent une même
direction, un chant clair et retenu et une guitare en bandoulière, traçant la même voie
qu’avait emprunté Tracy Chapman il y a vingt ans...
Soyons chauvins, commençons par Soha, qui retrouvait
ici son ancien employeur, l’Espace Julien (28/11), sur
scène cette fois : pas dépaysé par son flow reggae-ragga,
le public se laissa porter par les accordéons et la guitare
de Jamba, de Cuba au Cap vert, en passant par Paris (une
superbe reprise des Ptits papiers de Gainsbourg). Les
carnets de voyage de Grace, en première partie, démarrent
aux USA, berceau du folk, qu’elle apprivoise avec des
parents musiciens. Mais c’est l’Afrique là aussi qui évitera
de s’échouer dans un virage pop trop mièvre, laissant
place à une belle émotion.
Tout comme Mélissa Laveaux, qui partageait la scène
avec Eric Bibb à Cavaillon (5/12). Cette jeune pousse de
23 ans «veut être accessible», et tisse un lien entre Folk
et Blues, jouant sur sa guitare de façon percussive, pour
se rapprocher peut-être des ses racines caribéennes. Sur
son My Space, une démo de huit titres l’a fait signer en
France pour sortir Camphor and Copper, sensible et
attachant, qui attend désormais une diffusion au Canada.
La France a réservé le même accueil à la militante Asa,
prix Constantin, et déjà plus de 70 000 albums vendus,
débordant de bonheur et de chaleur sur la scène de
l’espace Julien (10/12). Son Fire in the mountain a illustré
en rappel l’autre fil conducteur unissant toutes ces
femmes : s’approprier le rythme reggae pour y diffuser un
message de paix...
Leurs disques sont à ranger à coté de ceux de Césaria
Evora, Norah Jones, Tuck & Patti, Rokia Traore, Jill Scott
ou Erika Badhu, (de telles références évitent les
étiquettes!), mais aussi Annabel Lamb ou Eddie Brickell,
deux artistes des années 80, dont leurs voix semblables en
font l’écho exact. Ils suivent la vague de succès lancée
par Ayo, qui devrait laisser le même sentiment au Dock
des Suds le 20 janvier prochain : Capitaine de ce
renouveau folk-cool au féminin, et dans les mains du
reggae-man Patrice, elle chantera les chansons de son
deuxième album, et devrait elle aussi nous faire rêver,
apaiser nos consciences, et dispenser une chaleur
bienfaisante.
Melissa Laveaux © Herve Milliard@artimage
X.RAY
Camphor and Copper
Melissa Laveaux
No format - Universal
Ayo, le 20 janv au Dock des Suds
Hissé haut, le niveau !
Baptisé du nom du fruit emblème de la Réunion, la
Margose, voici que s’arrête en rade de Marseille un voilier
fédérateur qu’aucun amateur de musique ne laissera filer...
Avec dans ses cales un programme
qui tient la route, résumé sous une
bannière universelle : Mieux vivre
ensemble, ici et ailleurs. À son bord,
le créateur de ce festival Margose,
Christian «Acecool» Ortolé, qui
avait déjà amené Lockwood sur les
rivages d’Arménie au Dôme en 2007.
L’ancre sera jetée dès le 14 janvier,
dans les Studios Decanis, pour
l’inauguration d’un Web café littéraire
«Aimé Cesaire», pour «aimer ces
aires», de rencontres et d’ouverture
culturelle avec les Antilles.
Sur le pont supérieur, une «plateforme promotionnelle dotée d’un esprit
collectif» et une place réservée au
jeune public, avec des contes, projections vidéo, concerts, répétitions,
interventions d’artistes et associations.
Mais ce qui rend original un tel
débordement d’activité, c’est l’identité éco-citoyenne de tous ses
participants : tous issus du courant
universaliste, ils ont naturellement
accepté un tel projet, des participants d’Urban Creole avec le
marseillais David Walters, aux plus
virtuoses des jazzmen d’aujourd’hui,
anciens d’Ultramarine ou Sixun,
s’illustrant aussi au festival Carib’in
jazz de Paris et ici programmés sous
le nom de Sakesho... On pourra donc
déambuler autour de techniciens hors
pairs comme Sylvain Luc, toucher les
baguettes (bio ?) de Steve Gadd,
participer à une masterclass en compagnie de Moktar Samba, se rincer
les oreilles pour des rencontres
hautes en couleurs (comme Sandra
Nkaké), et se mettre à l’œuvre pour
sauver la planète. Du cocktail de
bienvenue offert aux adhérents (non
alcoolisé !) à l’affiche du dernier soir,
unissant Richard Bona, Sylvain Luc
et Steve Gadd, ce festival, contre
vents et marées, s’implique et met le
cap vers une vision alternative
bourrée de bonnes intentions, qui ne
David Linx © X-D.R
devrait pas décevoir vu le nombre et
la qualité des musiciens s’exprimant
sur ce sujet...
X RAY
Acecool présente du 14 au 17
janvier le festival Margose,
l’inauguration de l’espace Aimé
Césaire, masterclass inédites,
et concerts.
À l’Espace Julien jeudi 15 (Sandra
Nkaké, David Walters, Gérald
Toto, David Linx et invités) et
samedi 17 (collectif Playtime par
Acecool, Zépis, Malafa, Blanc
Métis et invités, puis concert
exceptionnel Richard Bona, Sylvain
Luc, Steve Gadd et invités)
Renseignements
aux Ateliers Decanis
www.margose-festival.com
Débordements
kaléidoscopiques
Sensibiliser et faire partager la passion
du free-jazz aux étudiants dans des
espaces inattendus, tels sont les défis
que cinq étudiants en Master Management en Manifestations Culturelles de
l’IMPGT d’Aix-en-Provence ont decidé
de relever pour couronner leur
dernière année d’étude.
William Memlouk, spécialiste de la
chose jazzistique, nous propose une
introduction très documentée juste
avant le concert. Il a parlé de «la
capacité de ces musiciens à se mettre
en danger», et l’aventure mettra le
trio sur le fil du rasoir. Michel Portal
(clarinette, saxo) a pratiqué dans ses
jeunes années les musiques populaires
basques mais a également collaboré à
des projets musicaux avec Pierre
Michel Portal © Georges Bartoli
Boulez, Luciano Berio, Mauricio Kagel
ou encore Stockhausen. Homme aux
multiples facettes, il utilise des cris
(à la manière des tennismen !) pour
évacuer les trop-pleins d’émotion que
lui procurent les improvisations avec
ses acolytes. Bruno Chevillon est
probablement un des contrebassistes
français les plus recherchés. Par son
écoute d’une acuité sensible, il donne
la réplique d’une façon très intelligente et intuitive aux propositions
de ses partenaires. Ses réponses sont
toujours la démonstration d’une
éloquence extrêmement riche et
créative. Quant à Daniel Humair,
c’est un batteur qu’il faut absolument
voir jouer ! Pour prendre en compte
toute la dimension de sa gestuelle, de
son humour et de son énorme talent.
DAN WARZY
Ce concert a été donné le 29 nov
au Théâtre du Jeu de Paume
à Aix-en-Provence en partenariat
avec Les concerts d’Aixwww.concertsdaix.com
Petit conte de Noël au soleil
Il était une fois deux
acolytes musiciens,
l’un grand, l’autre plus
petit, qui allaient mener
de front un rêve fou…
La vie dans les vignes provençales
n’est pas celle de Kingston, mais
grâce à des connections efficaces, Al
et Mehdi ont retrouvé le goût de
leurs racines musicales… Déjà embarqués dans 10 ans de concerts avec
leurs potes Sons of Gaïa, Ras
Poletti, ou Gang Jah Mind, ils ont
entraîné dans leur sillage Aubagne, le
temps des fêtes annuelles de la Paix,
organisées par la ville avec la MJC de
Pin Vert et le Kabba Roots soundsystem. Car ils rapportaient à chacun
de leur voyage ce rêve de faire
tourner ces anciennes stars ici.
Confrontés à la désertification de
musiciens dans les studios au profit
des machines, ils se sont retroussés
les manches, en tournant avec Putus
& Fuzzy, le regretté Eloquent, puis
Assassin et Johnny Clarke.
Un matin de janvier 2007, un appel
de la radio Irie F.M leur asséna un
coup de bambou : ils voulaient
produire un de leurs intrumentaux, le
DST riddim, et faire venir toute la
hype dancehall y poser leurs voix.
C’est de cette façon que le reggae se
vend en Jamaïque, et ce coup fut leur
première bouffée de succès, aux
cotés de Junior Kelly, I Wayne,
Fatan Mojah, et surtout Morgan
Heritage (le titre Headline dans leur
dernier album).
Mais leur ambition n’est pas restée
sur le coin d’un cendrier, et toutes
ces voix d’or de l’âge du roots, qui
s’étaient tues depuis l’arrivée du
ragga, attendaient de reprendre le
chemin des studios. Un cadeau magique donc, ce Ghetto living de Linval
Thompson. Un instant de «pures
bonnes vibes», nostalgique sans être
obsolète, et un duo avec Warrior
King qui fait déjà parler de lui : un
Handcart Band prometteur…
X-RAY
Ghetto Living
Linval Thompson
sur I Tunes dès le 23 Décembre
www.myspace.com/thehandcartband
38
MUSIQUE
CONCERTS
D’ici Noël
Et pour continuer…
Même si lors des fêtes de fin d’année il ne se passe pas Après une rentrée musicale bien remplie, c’est le moment
grand-chose, musicalement il y a toujours moyen de des grandes résolutions pour cette nouvelle année
culturelle
dénicher un ou deux bons concerts !
(19/12), et le Cargo de Nuit (Arles)
qui fait monter sur scène Raoul Petite
(19/12) et Pascal Ayerbe et Cie
(21/12).
Pour les piétons du centre ville marseillais, la Machine à Coudre est une
très bonne alternative : Great Smut
Zarma Orchestra conclura l’année
(20/12) alors que vous pourrez
repartir pour 2009 sur de nouvelles
bases avec le punk hardcore américain et allemand de The Effort et Fall
Appart (6/1). Petit message à celles
et ceux qui ne s’arrêtent jamais : La
revanche du Pire Noël sera sur la
scène de l’Intermédiaire le jour J
(25/12). Joyeux Noël ?
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Les blerots de ravel © Matthieu Ollitraut-Bernard
Tout d’abord il est encore temps de
monter la rue Breteuil pour se rendre
au Grim à Montévidéo. Les derniers
concerts du 6e Festival Nuit d’Hiver,
de l’écrit à l’improvisé ne doivent
pas vous faire hésiter avec les Electronic Cowboy Cacophony (19/12)
et la contrebassiste improvisatrice
compositrice (ouf) Joëlle Léandre
(20/12) pour, entre autres réjouissances, la présentation de son livre A
voix basse, qui ouvrera la soirée de
clôture du festival, au demeurant
animée et festive : G. Foccroulle au
piano pour des pièces de Braxton,
Aixonoespanic venu tout droit de
Barcelone et un mix de soirée en
mode aléatoire pour conclure. Le
lendemain (21/12), retrouvailles dès
17h en compagnie de l’électronique
Ninh Lê Quan et de Tony di Napoli
pour découvrir la musique sur pierre !
Après tout, pour les inconditionnels
de l’Espace Julien, Noël peut tout
autant se préparer dans une ambiance métal au gros son de Dagoba
(19/12) ou hip hop engagé de Médine
et rap palestinien de 3D All Star &
Gaza Team (20/12).
Quelques rues plus loin, le sympathique café concert le Paradox joue les
prolongations avec Monzon (22/12).
Comme quoi, on a toujours le choix,
la preuve avec l’Usine (Istres) qui
accueille Les Blérots de Ravel
UN BON CONCERT
À VENIR
Après les Chemirani’s le 15 janv, le
Forum de Berre l’Etang programme
le 23 janv prochain Carmen Maria
Vega. Une petite bombe de femme
impétueuse et menteuse, ses textes
en Français la font plus passer pour
un titi parisien qu’à une Dolores hispanique, et sa musique proche de
Django Reinhardt (avec uniquement
une guitare et une contrebasse) est
tranchante et drôle. Un univers de
comédie acoustique proche de Tryo,
Thomas Dutronc, dont elle a fait les
premières parties…
X.R
Pendant cette période peu active,
certaines salles font le break, comme
le Bathazar qui éponge ses malheurs
depuis leur récente inondation. Au
menu, seul l’habituel Cooking sound
au Variétés, et après les recettes
japonaises de l’an dernier, c’est du
100% bio servi ce 16 janv, sur une
assiette, avec un ticket de ciné et un
DJ pas tout à fait au régime, MC Big
Bouddha.
Tout aussi zen, la Meson maintient
le service dans cette trêve hivernale :
Avec un concert de musique indienne
(27/12) de Nabankur Battacharya,
en soutien à un enfant malade de
Calcutta, où l’accent méridional et la
mandole d’invités membres de Dupain
fraterniseront avec la tradition des
tablas. Puis viendra Raphaël Imbert
le jour de l’Epiphanie (4/1), accompagné du banjoïste américain (rencontré
aux «Nuits d’hiver» de l’an dernier)
Paul Elwood, où les deux extrêmes
blues et free sauront là aussi se rejoindre. Enfin, c’est la sauce gitane
d’El Titi mêlé aux ingrédients cubains
de son groupe qui en sera le plat du
jour (9/1, et le 10 avec la danseuse
Florence Deleria).
Mais la cerise sur le gâteau (des Rois)
reste la venue d’un célèbre Sound
System de «UK Dub», en gare de
l’Affranchi, à Saint Marcel (17/1).
Comprenez par-là des anglais derrière
leurs platines, adeptes des rythmes
jamaïcains, de ce lourd son de basse
sortant de rangées d’enceintes, soule-
vant son public lors du passage de
sélections inédites sur un système de
son puissant et artisanal ! Cette «Dub
Station»* est la meilleure façon de
ressentir le pouls du reggae. Musical
Riot, l’association aixoise qui s’investit à fond dans ce style depuis six
ans déjà, par le booking et la promo
d’artistes comme Aba Shanti ou les
Hollandais King Shiloh, a amplifié le
mouvement en s’étendant partout en
France, et même les Parisiens font
appel à eux pour des soirées similaires au Trabendo. Iration Steppas,
déjà présents en 2006 pour le tour en
Pays d’Aix, sont deux artistes très
versatiles, pouvant prendre un virage
Trip-hop (avec Kitachi) ou collaborer
avec leurs homologues français, le
dernier Improvisators Dub prouvant
tout leur dynamisme et un certain
renouveau dans le genre. Ne pas rater
ce train, pour démarrer l’année avec
entrain !
On attendra ensuite la rêveuse Ayo,
et le virulent Kéziah Jones, tous
deux au Dock des Suds, les 20 et 31
janv prochains. Mais d’ici là, toutes
les résolutions seront oubliées…
X-RAY
* Troisième édition des Dub
Stations, avec Jacin’, Lion Roots
Sound, et IRATION STEPPAS with
Mark Iration et Dan Man, le 17 janv
à l’Affranchi, 212 bd de Saint
Marcel, entrée : 10 €
Ayo © Jean-Marc Lubrano et Clam
04 42 10 23 60,
www.forumdeberre.com
DERNIÈRE MINUTE
El Ache de Cuba propose une foire
aux disques vinyles pour tous les
accros de la galette, alors pourquoi
pas se faire plaisir avec du vintage en
ces fêtes de Noël, ce samedi 20
décembre de 13 heures à 19 heures,
avec tables d’écoute à disposition…
X.R
04 91 42 99 79,
www.elachedecuba.com
NÎMES | AGENDA
MUSIQUE
39
Du cante au baile, flamenco !
C’est la 19e édition d’un festival qui fait de Nîmes
une ville flamenca durant dix jours. Toute la diversité
du genre est au rendez-vous, des interprètes de légende
aux jeunes prodiges qui s’imposent, avec de grandes
soirées prometteuses
Parmi les rendez-vous attendus, une
soirée qui verra se succéder sur la
scène du Théâtre Juan José Amado,
Fernando Terremoto et José
Antonio Pantoja «Chiquetete» (qui,
soulignons-le, choisit Nîmes pour son
grand retour événement au flamenco)
pour un hommage au cante. Trois
styles et sensibilités différentes, Trois
voix pour l’histoire (le 22 jan à 20h au
Théâtre). Autre événement, et de taille,
la présence, pour la première fois sur
une même scène, de toute la famille
Galván ! Car ils n’ont jamais dansé
ensemble, José, le père, Eugenia de
los Reyes, la mère, Israel, le fils, et
Pastora, la fille. Se distinguant chacun
sur les scènes internationales, ils
offriront au public du Théâtre, le 23
jan, le spectacle unique d’un grand
moment de flamenco gitan. En grand
habitué du festival nîmois, Diego
Carrasco, insaisissable chanteur à la
voix cassée, réunira à nouveaux pu-
ristes du cante jondo et amateurs
d’un flamenco modernisé, avant que
le jeune guitariste surdoué Antonio
Rey n’enflamme l’Odéon (le 20 jan à
20h). Côté espoirs, Alfredo Lagos,
que les Nîmois avait découvert en
2006 aux côtés de Terremoto et Israel
Galván dans Edad de Oro, revient,
plus créatif que jamais. Le même soir,
Alicia Gil, chanteuse sévillane atypique, offrira son chant pur, dépouillé
(le 21 jan à 20h à l’Odéon).
Le sud de la France ne sera pas en
reste avec la venue de la danseuse
marseillaise La Rubia, désormais
installée à Jerez, et du chanteur Portde-Boucain Luis de Almeria, l’une
des grandes voix du flamenco en
France (le 19 jan à 20h à l’Odéon).
Les enfants aussi seront comblés avec
un spectacle présenté pour la
première fois en France : Malgama est
le fruit d’un mélange unique, celui
des arts du cirque, de la danse et du
Mujeres © Luis Castilla
flamenco, une rencontre détonnante
pour un spectacle qui ne l’est pas
moins (le 17 jan à 18h30 au Théâtre).
Enfin, Mujeres viendra clore ce
festival foisonnant. L’émotion sera au
rendez-vous pour le dernier grand
spectacle de Mario Maya, figure
historique du baile décédé en
septembre ; une rencontre explosive
entre trois femmes aux tempéraments
différents mais complémentaires :
Merche Esmeralda, authentique
«maestra», Rocio Molina, dernière
grande révélation de la danse
féminine, et Belén Maya, fille de
Mario (le 24 jan à 21h et le 25 jan à
15h au Théâtre).
D.M.
Festival de flamenco de Nîmes
du 15 au 25 janvier
Au Théâtre, à l’Odéon et à travers
la ville
04 66 36 65 10
www.theatredenimes.com
Au Programme
MARSEILLE
BMVR-Alcazar : Les Cris, atelier d’écoute de
Musicatreize commenté par Jean-Christophe Marti
(13/1)
04 91 55 56 34, www.bmvr.marseille.fr
Cabaret Aléatoire : Jack de Marseille (20/12),
Simon Bassline Smith, Sigma (16/1), Kamelancien,
Tunisiano, Olkainry, Black Marche, Non sens (23/1)
04 95 04 95 09, www.cabaret-aleatoire.com
El ache de Cuba Maudit comptoir (19/12), Lukesky
+ guests (20/12)
04 91 42 99 79, www.elachedecuba.com
Embobineuse : Art & Terrorisme 4, L’abominable
antifestival international des blanches dans la
maison noire (19 et 20/12)
04 91 50 66 09, www.lembobineuse.biz
Espace Julien : Dagoba et invités (19/12),
Medine, 3D all star & Gaza Team (20/12)
04 91 24 34 10, www.espace-julien.com
La Machine à Coudre : The Great Smut Zarma
Orchestra, Devil Crockett, Demons (20/12), The
effort (6/1)
04 91 55 62 65, www.lamachineacoudre.com
Leda Atomica Musique : Kabar Labolition (20/12)
04 96 12 09 80, http://ledatomica.mus.free.fr
Paradox : Alexandre Manno en trio, Nordeste Brasil
(19/12), Nimba (20/12), Monzon (22/12)
04 91 63 14 65
Le Lounge : Drôles de Drames & guests (20/12)
www.myspace.com/lelounge13
VITROLLES
AIX
COUSTELLET
Le Korigan : Rakel Traxx, Rockett Queens, The
Martins (20/12), Georgovia, Neo Cultists, Asserben,
Odium (27/12), Misery Index, Hate Eternal, Aeon,
See You Next Tuesday (21/1)
04 42 54 23 37, Luynes
Le Pasino : 100 violons Tziganes (6/1)
04 42 59 69 00, www.pasino-aixenprovence.com
AUBAGNE
Moulin à Jazz / Charlie free : The Nu Band (10/1),
projection du film Let’s Get Lost de Bruce Weber sur
Chet Baker (24/1)
04 42 79 63 60, www.charliefree.com
La Gare : Une Nuit au Pakistan (20/12)
04 90 76 84 38, www.aveclagare.org
SALON
Portail coucou : Boogie Balagan (20/12)
04 90 56 27 99, http://portail.coocoo.free.fr
SIMIANE
L’Escale : Alatoul, Les Doigts de l’Homme (19/12),
Escale électro (17/1)
06 29 75 09 71, www.mjcaubagne.fr
Office de la culture : Bizet était une femme
par la cie La Rumeur (10/1)
04 42 22 62 34,
www.mairie-simiane-collongue.fr
AVIGNON
CHÂTEAU-ARNOUX/SAINT-AUBAN
Théâtre des Doms : Le jazz perd le nord : Mâäk’s
spirit (16 et 17/1 à 11h30), Fabien Degryse Trio,
Animus Anima (16/1 à 20h30) et Melanie de Biasio
Quintet (17/1 à 20h30)
04 90 14 07 99, www.lesdoms.be
Théâtre Durance : Novo Quartet (20/1), Claire
Diterzi (23/1)
04 92 64 27 34,
www.theatredurance.com
40
MUSIQUE
DISQUE
Offrez des disques !
L’objet reste agréable, le son incomparable,
et si le disque continue à s’effondrer ce sont
les enregistrements qui vont se raréfier…
Qu’allez-vous donc télécharger, après ?
Alors, quelques idées de cadeaux, sur quatre pages.
Pour tous les goûts : vos enfants, vos amis
et vos parents…
Le baroque
Le CD
jeunesse
Le Quatuor Modigliani s’est brillamment produit, le 2 décembre dernier,
à l’auditorium de la Faculté de
Médecine de Marseille dans le cadre
de la saison de la Société de Musique
de Chambre. Les adhérents désireux
de prolonger le plaisir de l’écoute, ou
ceux qui voudront découvrir l’un des
meilleurs jeunes quatuors français
actuels, se procureront leur deuxième
enregistrement. Présent sur les scènes
de concerts depuis seulement trois
ou quatre ans, après un CD consacré
à Mendelssohn, Schumann et Wolf, le
Quatuor Modigliani grave trois chefsd’œuvre de Haydn. On entend les
fameux Lever de Soleil (op. 76 n°4 en
si bémol), Le Cavalier (op.74 n°3 en
sol mineur) et l’Opus 54 n°1 en sol
majeur dans des interprétations
pleines d’assurance, de lyrisme, de
générosité et de vigueur rythmique,
le tout doublé d’un naturel certain
dans l’expression… Une réussite !
Le pasticcio est un plat italien mélangeant différentes saveurs pour un
goût succulent mais également un
florilège transalpin baroque d’airs
d’opéras parfois oubliés et d’auteurs
différents. L’ensemble français Pasticcio
Barocco, au demeurant cosmopolite,
s’est naturellement tourné vers le
style résolument varié du compositeur violoniste Jean-Marie Leclair et
ses sonates opus 4 pour deux
hautbois et basse continue. Goût
français et style italien au sein des
mêmes opus : l’apogée des «goûts
réunis» est remarquablement illustrée
par la virtuosité et la musicalité de
David Walter et Hélène Gueuret sur
instruments modernes. Que ce soit
dans un gravement pointé «à la
française» ou un presto d’écriture
fuguée, le timbre clair, précis et léger
des deux solistes trouve un alliage
parfait dans un continuo dynamique
sans surcharge aux clavecin, basson
et à la contrebasse. Agrémentée d’une
récréation musicale opus 8 très réussie,
cette première galette consacrée à
Leclair se déguste avec délectation.
On a découvert le conte de Grimm Le
petit tailleur, mis en musique par
Tibor Harsànyi, le 21 novembre
dernier sur la scène des Salins à
Martigues, joué par l’ensemble Télémaque (voir page32). On entend ici
un bel enregistrement de l’histoire
par des musiciens de l’Orchestre de la
Suisse Romande avec Caroline Sageman au piano. En récitant fantasque,
Smaïn fait la preuve d’une grande
d’imagination et interprète le conte
avec nuances et drôlerie. Lors de
cette captation en partie en direct
(on y entend par moments des
enfants qui réagissent au spectacle),
à Genève, embobinée par les magnétos de Lyrinx et les micros de René
Gambini, le Comique ajoute un opus
musical cher à nos têtes blondes (ou
brunes) : le Carnaval des animaux. À
la partition fantaisiste de SaintSaëns, Smaïn agrège un commentaire
savoureux qui réactualise les fameux
portraits sonores : de La Marche
royale du Lion aux Tortues mollassonnes, des Kangourous sauteurs au
Cygne majestueux…
J.F
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Le jeune
quatuor
Joseph Haydn – Quatuors à cordes
Quatuor Modigliani
CD MIRARE MIR 065
Pasticcio Barocco
Jean-Marie Leclair
Hérissons production
La star
Après Roberto Alagna chante
Mariano (double-disque de platine),
la star enregistre des chants traditionnels siciliens. Le ténor français s’y
engage pleinement, le timbre ensoleillé, la verve démonstrative, et rend
hommage à l’île de ses parents. «C’est
le disque d’un Sicilien cherchant ses
racines» précise Roberto ! Ces
tarentelles et valses lentes, chants de
charretiers ou de banquet, on les
clamait aux sons des guitares, chez
les Alagna, le dimanche à la fin du
repas. Les arrangements signés Yvan
Cassar habillent les mélodies
populaires de soieries cinématographiques de cordes et de vents, du
duduk arménien ou de la mandoline,
de tissus orientaux… En clin d’œil à
Nino Rota, on entend aussi la
chanson du film Le Parrain. Un disque
déjà classé parmi les meilleures
ventes au rayon classique !
J.F.
J.F.
Sicilien
Roberto Alagna
CD DEUTSCHE GRAMMOPHON
4801302
L’histoire du petit tailleur –
Le carnaval des animaux
CD Lyrinx LYR 2258
La compil.
György Cziffra (1921-1914) baigna
dans la musique dès son plus jeune
âge et fut un enfant prodige. Comme
de nombreux Hongrois (son professeur le compositeur Ernst von
Dohnányi par exemple), il subit la
double-peine de l’histoire : l’alliance
avec les Nazis puis le joug communiste. Il fut prisonnier de guerre de
1941 à 1947, puis prisonnier
politique de 1950 à 1953, condamné
aux travaux forcés. Un miracle fait qu’il
a pu redonner des concerts, retrouver
l’usage normal de ses mains et fuir en
1956 pour s’exiler à l’Ouest : en
France. Rapidement ses moyens exceptionnels font fureur dans Liszt,
Chopin, les partitions les plus acrobatiques. Il adopte le prénom de
Georges lors de sa naturalisation en
1968, après avoir fondé le festival de
la Chaise-Dieu en Auvergne.
C’est tout simplement l’un des pianistes les plus prodigieux du XXe
siècle ; aussi l’un des plus populaires,
invité régulier de feue l’émission Le
Grand Echiquier. Un coffret de 40 CD,
intégrale (ou quasi !) de ses enregistrements studio de 1956 à 1986
vient de paraître ! De quoi ravir les
fans, les nostalgiques, ou simplement
ceux qui voudraient entendre le
virtuose dans Les Années de
pèlerinage, Les Etudes d’exécution
transcendantes, les transcriptions de
l’Ouverture de Tannhäuser, du Vol du
bourdon, de la Danse du Sabre et les
Danses hongroises de Brahms… et
Chopin, Beethoven, Tchaïkovski,
Franck…
JACQUES FRESCHEL
Coffret Cziffra – ses enregistrements
studio 1956-1986
Coffret 40CD chez EMI classics
Le DVD festif
Les DVD d’opérettes d’Offenbach
mises en scène par Laurent Pelly,
qui paraissent régulièrement autour
des fêtes de fin d’année, recueillent
un vif succès. Après La Belle Hélène
et La Grande Duchesse de Gerolstein,
c’est au tour de La vie parisienne
d’être revisitée par le fantaisiste
homme de théâtre… et ce film
devrait connaître le même bonheur
que les précédents. Dans cet opérabouffe, davantage que dans les autres
opérettes classiques du «Mozart des
Champs-Élysées», les dialogues
parlés occupent une place prépondérante. Du coup, ce sont souvent
des comédiens chantant qui interprètent l’ouvrage… au détriment de la
qualité musicale ! Ce n’est pas le cas
ici : les chanteurs (qui jouent fort
bien la comédie) se nomment
Devellereau, Wesseling, Bou, Naouri,
Fouchécourt… Ils sont accompagnés
par l’orchestre et les chœurs de
l’Opéra de Lyon (filmés fin déc.
2007). Et la réactualisation contemporaine de l’opus est burlesque à
souhait !
J.F
La vie parisienne
DVD Virgin classics 50999
5193019 6
Disque classique
42
MUSIQUE
DISQUES
Lignée
Après la venue deux années de suite
à Marseille de Séun, la comparaison
ne pouvait être évitée, ce 22 nov,
lorsque Femi Kuti s’est produit sur la
scène de l’Espace Julien : chacun des
deux rejetons de Fela Kuti assume
l’hérédité de l’Afro-Beat à sa façon !
Autant dire que la malédiction du
«fils de», dans la grande famille des
artistes, n’est pas respectée en
Afrique, le legs parental étant même
le fondement culturel de l’émancipation des générations suivantes…
Son dernier cd, Day by day, suit la
lignée avec la présence de son fils de
13 ans qui participe librement à
l’effort créatif du père, sans pouvoir
encore le suivre en tournée. L’AfroBeat a été largement digéré, sur They
will Run par exemple, pour des
saveurs plus jazzy-soul, et la bonne
teneur en cuivres se confirme dans
son show, certes moins hypnotique
et radical qu’avec le frangin... Des
ralentissements, voire des lenteurs,
sont suggérés, qui ne s’inscrivait pas
jusque là dans l’héritage familial.
Femi construit ses titres en concert
avant de les accoucher sur disque,
comme le faisait son père, mais au
final ne semble pas être autosatisfait…
Une recherche perpétuelle, bouleversante, qui laisse jaillir des notes de
nervosité et de mal-être dans la
direction de son orchestre.
X-RAY
Day by Day
Femi Kuti
Labelmaison – PIAS
À la grâce
de Grace
L’élégance esthétique marinée de
glam rock fait de Jad Wio un groupe
à part, au gré des métamorphoses et
performances scéniques de son leader
emblématique Denis Bortek. L’œuvre
personnelle excentrique, telle qu’il la
définit lui-même, se joue du
conformisme épidermique pour
creuser une démarche immaculée aux
confins du rock. Sombre et duveteux,
l’album Nu cle air pop, édité en
coffret collector, sort de l’ombre pour
se mettre à nu. Jouvence contagieuse
pour les onze titres majoritairement
écrits en français et noir fantasque,
pour une atmosphère voisine du glam
gothique caverneux ! Composée de
ballades pesantes ou de rock bien
trempé de facture minimaliste, la
livraison se veut intimiste et
reluisante à la fois. Inclassable en
somme, à l’image de ce groupe hors
du commun qui compulse tel un ovni
sonore l’univers mystique et
romanesque du rock français.
Le CD-Livre Cooksound orchestré par
Laurent KOUBY (musicien, gastronome et créateur d’évènements) nous
propose une dégustation sonore
autour d’une balade groove électro
suave et délectable. Le concept
novateur et assurément original de
l’association musico culinaire (qui
organise des cooksound party) met
tous nos sens en émois devant un
cocktail de musique ensoleillée servi
juste à point. Le chef à double
casquette nous mijote ses deux
passions et gagne son pari ! L’ouvrage
trilingue (français-anglais-japonais)
propose 13 recettes typiques provençales telles que l’Anchoïade,
l’Aïoli, les Tomates à la provençale ou
les Calissons, accompagnées de 13
bouchées sonores concoctées par la
crème des artistes marseillais, musiciens-gourmands de surcroît, histoire
de cuisiner en rythme et d’éveiller ses
papilles auditives (Stéphane le
Borgne, Dimitri Shapko, David
Walters et Loop entre autres).
Gourmets, enfilez vos tabliers et
savourez la musique !
Après une longue traversée du désert,
Hurricane renoue avec la Grace : cette
grande dame proche de l’âge de la
retraite cultive le charme et l’énergie,
sur des chemins inattendus. Des Bahamas à Paris, beaucoup d’hommes se
sont approchés d’elle (Helmut Newton,
Jean-Paul Goude, Andy Warhol) pour
redessiner ses contours ambigus,
jusqu’à une certaine débauche de sens.
Sur disque, l’égérie de l’icônerie Gay des
années 80 a imposé sa voix lourde et
profonde… aujourd’hui intacte. La
fidèle paire rythmique reggae, les
«Jamagical» Sly and Roobie, flanqués
de Barry Reynolds et Wally Badarou,
restituent le son d’époque, dans Well
well well et Love you to life. Mais cette
jamaïcaine d’origine manœuvre ici avec
eux un tournant plus acid jazz et triphop : produit cette fois par Ivor Guest
(Misty Oldland), avec Tony Allen,
Brian Eno ou la voix de Tricky, la
lourdeur et la précision jamaïcaine se
plaquent sur des envolées de cordes
pleines d’amertume, un peu dans la
lignée de Massive Attack. C’est d’ailleurs à leur concert à Londres le 19 juin
dernier, que Grace Jones bravait un
nouveau départ, confirmé par cet
album à l’esthétique superbe, décelant
un foisonnement d’idées musicales
autour de cette femme de caractère.
FRÉDÉRIC ISOLETTA
SONIA ISOLETTA
X-RAY
Éclairage
de nuit
Nu cle air pop
Jad Wio
Exclaim / Warner
Musique
à déguster
CD-Livre Cooksound
Laurent Kouby ed. Actes Sud Naïve «Marseille-Provence»
Hurricane
Grace Jones
Wall of sound – PIAS
43
L’Abbé Bill
Aux portes d’Addis Vainqueur du K.O
Bill Deraime revient prêcher la bonne
parole avec un nouvel album,
adaptant la tournure Gospel
et Funk de sa musique aux douze
cordes d’une guitare retrouvée
pour l’occasion…
Faire du neuf avec du vieux aboutit
souvent au bricolage. Dans les mains
du label Real World de Peter Gabriel,
cela devient un travail d’orfèvre
rigoureux, lorsqu’il touche sans les
heurter deux sensibilités éloignées
En réponse au chaos de la crise
mondiale, l’Afrique a deux mots
à nous dire, et les uppercuts
musicaux lancés par cet ancien
boxeur sénégalais servent d’élixir
contre la fatalité
Certains le prennent pour un illuminé, mais la carrière
de cet ancien éducateur (dans une des premières freecliniques) l’a amené à faire jouer des bluesmen
américains bien avant de sortir ses albums. Il a
ensuite connu la vie facile, jalonnée de tubes
éloquents comme C’est dur, S’coue-toi, Le chanteur
maudit ou Babylone tu déconnes, puis une descente
aux enfers bénéfique : «Sinon, je serai devenu un con,
dans un milieu style Obispo, où tu dois être comme
eux…». Revenant d’un pèlerinage marital qui l’a sauvé
d’une probable dépression, le mystique Bill a trouvé la
foi en un vrai groupe, présent au Garden’Blues
festival à Marseille le 10 oct pour présenter sa
dernière liturgie, Bouge encore. Une idée lumineuse
d’avoir remis au goût du jour ses anciens titres : «Je
n’avais jamais trouvé le courage avant, mais avec cette
guitare, on obtient un son bien plus large». Tous ses
vieux tubes sont ressuscités, et cinq nouvelles prières
invoquées, en respect à tous ces exclus auxquels il a
voué sa vie.
La route vers Addis et ses rythmes millénaristes avait
été dégagée par les Éthiopiques, qui ne s’étaient
guère arrêtés au carrefour du Dub, cette expression
musicale s’inspirant du Reggae jamaïcain et d’une
vision spirituelle de l’Éthiopie de Hailé Sélassié : Jah
Shaka à Londres en est le maître du genre, et tient à
garder près de sa table de mix’ la photo de cet
Empereur-Dieu. Si lui ou Jah Wobble avaient pu
défricher de telles frontières, c’est Dubulah,
producteur attitré du label et remixeur derrière le
Temple of Sound, qui concilie ces mondes aux
antipodes, et jette ici un regard vierge sur la croisée
inexplorée des deux Cultures. Des riffs reggae et des
échos puissants font face à une corde ancestrale de
messenqo, et des voix atypiques se posent sur du
roots, comme dans Sima edy. Mais l’invitation à
approfondir notre connaissance de ce peuple se révèle
plus passionnante encore à l’écoute du très jazzy Neh
Yelginete ou du bluesy Shegye shegitu.
Après 47 ans d’indépendance, d’indifférence, ils sont
de plus en plus nombreux et déterminés, ces artistes
africains qui s’approprient le rythme reggae dans ce
pays. Le vétéran Marcel Salem les encourage et en
appelle à la vigilance. La Kora de Djeli Moussa
Diawara (Kora Jazz trio) côtoie le one drop
jamaïcain, retenu avec aisance et agrémenté de
chœurs féminins à la Tiken Jah. La comparaison
s’arrête là, cette production plus modeste rapprochant
l’artiste de son environnement traditionnel. Même si
sa voix reste un trop peu en retrait, ses textes
touchent nos consciences endormies, épinglent les
problèmes, soutenus par des breaks puissants sur
Hypocrite et Wonna caakke, et jusqu’à un dénouement
final acoustique sublime. Après la mémoire des
tirailleurs traitée dans son premier cd, un second
round sans concession.
X-RAY
X-RAY
X-RAY
Bouge encore
Bill Deraime
autoproduitdistribution Mozaïc
A town called Addis
Dub Colossus
Real World –
Harmonia Mundi
Africa Vigilance
Marcel Salem
I-Welcom – Socadisc
L’invitation au voyage
Lofofora : toujours l’hallu
Le pop psychédélique serait-il de
retour ? Saturnin sort du four sa
première galette éponyme et nous
laisse présager un bel avenir.
Tranquille, perché et lunaire, Christophe Talon, alias Saturnin, nous fait
voyager dans un monde parallèle créé
de toutes pièces, fantastique et
féerique, par ses chansons aux
accents cosmiques, somnambuliques,
presque progressifs. Sur un instrumentarium synthétique, chimérique
et riche en couleurs se couche le
mélancolique, faisant sonner ses
mots comme une lecture de poèmes
éthérés et subjectifs. Dans les bacs
depuis novembre 2008, Saturnin est
une véritable invitation au voyage au
cœur d’un monde sonore peu
défriché, du moins ces temps-ci. Il
Lofofora, groupe phare de la scène
rock française depuis près de 19 ans,
sort un nouvel opus intitulé Mémoire
de singes. Les rockers de la bande
emmenée par le chanteur Reuno
nous plongent dans un univers aux
sonorités fusionnelles d’éléments
punk, hardcore et métal. Se retrouvent sur ce nouvel album, et comme
à leur habitude, des paroles engagées
et militantes ainsi que toute l’énergie
et la rage qu’on leur connaît. Puisant
son inspiration dans le climat social
et politique actuel, Lofo excelle dans
la description cynique du monde et
ce tout au long des 13 titres qui
composent ce recueil. Le groupe
profite de cette sortie pour éditer un
luxueux coffret, leur premier, avec les
cinq albums mythiques retraçant leur
joue sur du velours et s’aventure à
pas feutrés dans un espace infini,
laissant le champ libre à son
imagination sonore incommensurable. Il reste des places à bord….
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Saturnin
Saturnin
Busy Line Discograph
discographie (5 titres, Lofofora,
Double, Le fond et la forme et Les
choses qui nous dérangent).
Néophytes, il n’est pas trop tard donc
pour vous intéresser de près à ce
groupe déjanté !
SONIA ISOLETTA
Mémoires de singes
Lofofora
At(h)ome Wagram
44
ARTS VISUELS
TOULON | ISTRES
Pierre Beloüin,
un artiste multi plates-formes
Avec Marseille et Nice,
la halte toulonnaise
de Pierre Beloüin porte
un éclairage différent
sur son travail qui fait du
temps un élément majeur
C’est une histoire au long cours que
celle de l’exposition de Pierre Beloüin
à la galerie des Musées (Remparts) de
Toulon. Awan~Siguawini~~Spemki~~~
(Extended Version 2008), qui signifie
Air-Au printemps-Paradis en langue
indienne, fait suite à une résidence en
2006 à Langage Plus au Québec. Làbas, Pierre Beloüin s’immerge dans
les paysages et la solitude, entretient
une relation épistolaire par mails
interposés avec l’artiste Nicolas
Ledoux, et passe commande à douze
compositeurs d’autant de séquences
sonores, interessé par les images mentales produites par
l’écoute«. Des divagations musicales nées des matières
brutes prélevées in situ et transmises par voie numérique…
De cette expérience, Pierre Beloüin a créé plusieurs œuvres
qu’il expose sous différents angles, feuilleton ininterrompu
dont on a vu un premier extrait au Frac à Marseille, un
deuxième aujourd’hui à Toulon et un troisième au Dojo à
Nice. Chaque fois dans une version nouvelle, combinaison
d’images montées en vis-à-vis de bandes sonores invitant
le public à un plongeon physique et mental, images
arrêtées tirées en grand format permettant au spectateur
de s’isoler grâce au casque d’écoute, vidéo réalisée sous la
forme d’un diaporama et d’une lecture du texte de Nicolas
Ledoux par Sophie Bocquet, mis en son par Coccon. De
cette matière vivante et riche naîtra peut-être une
réalisation cinématographique…
© Pierre Béloüin
Croquons
ensemble
© Pierre Béloüin
En attendant, un Special Kit réalisé avec Nicolas Ledoux, À
chaque jour suffit sa peine, est édité par Optical Sound et
Monografik comme une énième trace de cette aventure
protéiforme. Un kit qui comprend deux éditions de 24 pages
en quadrichromie, un DVD avec deux films d’une durée 98
minutes, une photo originale et un jeton de casino
spécialement désigné Casino’23 en nacre synthétique et
dorure à chaud. Rien de surprenant ni dans la forme ni dans
le fond quand on sait que cet artiste multimédia, comme il
se définit lui-même, aime à produire de petites éditions qui
collent à ses projets, et à naviguer entre plusieurs médiums.
Marseille-Toulon-Nice
Ce parcours inédit a été rendu possible grâce à la coproduction des trois lieux d’exposition, notamment la direction
des affaires culturelles de Toulon qui souhaite favoriser les
partenariats dans la région. Depuis trois ans, la galerie des
Musées (Remparts) s’est ouverte aux pratiques émergentes de la création contemporaine : en 2009 elle exposera
Cédric Teisseire, Catherine Bay, Françoise Huguier et
Cyprien Gaillard, espérant ainsi s’inscrire dans la dynamique de la Villa Noailles à Hyères, du centre d’art Tamaris
à La Seyne-sur-Mer ou Le Moulin à La Valette. Une galerie
conçue comme une préfiguration à l’ouverture d’une galerie
d’art au sein des musées de la Ville. Affaire à suivre…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Pierre Beloüin
jusqu’au 3 janvier
Galerie des Musées (Remparts), Toulon (84)
04 94 91 45 60
Le 6 décembre, le CAC d’Istres organisait sa première rencontre-débat
sur la question «du dessin dans l’art
contemporain» dans le cadre de l’exposition d’Abdelkader Benchamma
Même les choses invisibles se cachent.
Dans la petite salle comble, ont
participé à la discussion avec le public
animée par Béatrice Béha responsable de l’artothèque intercommunale
de Miramas, les artistes Adbdelkader
Benchamma, Noémie Privat, Christophe Boursault ; et Michel Barjol
représentait la galerie Martagon,
Corinne Girieud le Blog du Dessin
Contemporain, Claude Lorin pour
Zibeline. Y ont été vantées les vertus
du carnet de croquis, de la pratique du
dessin, et regretté une certaine
prédilection, dans l’enseignement et
les galeries contemporaines, pour les
arts vidéo et numériques… alors que
nombre de jeunes artistes aiment à
pratiquer les arts plastiques : ceux du
contact et de la matière.
Encouragé par ce premier succès,
Bernard Hennequin, directeur du
centre d’art reconduira l’expérience
lors de l’exposition de Frédéric
Clavère en 2009.
A.F.
Centre d’art et artothèque :
www.ouestprovence.fr
Lire l’article de C. Girieud sur
http://d0010.org
de g. a d. Beatrice Beha, Noemie Privat,
Michel Barjol, Abdelkader Benchamma © C. L
ENTRETIENS AVEC MICHEL BUTOR ET DANIÈLE UBEDA
ARTS VISUELS
45
«J’ai tellement raturé…»
Michel Butor était
à Marseille sur l’invitation
de Paradigme pour
l’édition d’un livre d’artiste,
Collecte, mis en lecture
par Jean-Claude Nieto
le jour du vernissage
Michel Butor dans les ateliers Vis-à-Vis, 2008 © X-D.R
Le trop bref passage de Michel Butor
a permis de saisir au vol quelques
paroles sur son travail. L’écrivain à la
figure bachelardienne s’est prêté avec
grâce à nos questions, très disert.
Pour autant, il ne dira pas tout !
Zibeline : Je voudrais remercier tout
d’abord -puisque je l’ai aujourd’hui
devant moi- l’auteur des Mots dans la
Peinture mais aussi celui la DescriptiondeSanMarco etde L’embarquement
de la Reine de Saba…
Michel Butor : Ah oui ? je suis content
que ces textes vous aient apporté une
vision particulière dans votre formation artistique. L’écrivain voit les
choses aussi à sa façon et il essaie de
le faire avec ses mots, ses images.
Vous venez de réaliser Collecte avec
l’atelier Vis-à-Vis, ici à Marseille.
Quelle a été votre part ?
Ils m’ont contacté pour me proposer
le travail préparé dans leurs ateliers,
plusieurs livrets. J’ai fait les textes en
rapport, des choses sur le voyage, le
titre aussi.
Vous êtes très régulièrement sollicité
pour des collaborations croisées.
Quels sont vos projets actuels ?
Oh ! il y en a des dizaines ! Je travaille
en ce moment aux tomes neuf et dix
de mes œuvres complètes. Et puis des
artistes m’envoient ou m’apportent
des livres. et j’essaie d’écrire à l’intérieur. Ou bien dans certains cas il y a
des textes qui sont déjà faits que
j’envoie à des artistes qui me les
demandent ou à des sortes d’éditeurs
spécialisés dans le livre d’artiste
comme ici. Peu à peu ça se fait, c’est
toujours intéressant à voir. Je me
demande toujours ce que je vais
pouvoir mettre dedans. Évidemment,
je regarde si je n’ai pas de textes prêts
qui pourraient aller, ce qui m’arrive
parfois, mais le plus souvent je suis
obligé de faire quelque chose de
nouveau. C’est aussi intéressant pour
moi, ça m’oblige à faire des choses
nouvelles que je n’aurais jamais faites
avant. Donc ça m’ouvre des quantités
de portes. Ça me maintient jeune, et
me permet de dire le monde autrement.
C’est-à-dire ?
De parler du monde, qui est toujours
le nôtre, mais vu autrement. On a
fortement besoin de le voir autrement.
Le monde tel qu’il est actuellement ne
satisfait pas le poète ?
Non, il ne me satisfait pas tel qu’il est
actuellement avec tout ce qui se passe.
Alors il faut le changer.
Il y a donc toujours à faire ?
C’est toujours très difficile. Il y a
toujours des problèmes à résoudre,
c’est ça qui est intéressant. Il y a des
Éclaircissements ?
Nous avons demandé à Danièle Ubeda de nous présenter le projet à l’origine de Collecte.
Zibeline. C’est votre première collaboration avec Michel Butor. Quelle a
été votre démarche ?
Michèle Ubeda : En effet c’est notre
premier projet avec Michel Butor et
nous étions un peu impressionnés
avant de le rencontrer ! Nous lui avons
envoyé six livrets fabriqués autour de
l’idée du comportement de voyage.
Lorsque Michel Butor abandonne le
romanen1962, ila commencéà voyager
pour ne plus s’arrêter (les États-Unis,
le Japon beaucoup) en plus de ses
fonctions d’enseignant. Donc nous
avons conçu cette proposition comme
un itinéraire dans le temps et dans
l’espace. Le livret évoque le carnet de
notes.
Le livret Lucarne fait référence à
l’antiquité…
Oui, Michel Butor a écrit par rapport à
cette période, et ici c’est une feuille
de carnet de notes qui date de 1938,
celui-là un extrait de carte d’état
major de la Champagne.
Est-ce en rapport avec la vie de
l’auteur?
Non, c’est pour l’aspect visuel, les graphismes des routes, des chemins, la
géographie du voyage.
On retrouve dans ce livre la grande
importance que vous attachez à
l’objet, la qualité de fabrication,
l’aspect matériologique.
Nous avons choisi du papier pur
chiffon Arjomari, du buvard, des impressions sur feuilles de calque, des
gaufrages ou des découpes, des
pliages qui impliquent donc des
manipulations.
Michel Butor est intervenu dans les
espaces laissés libres, en marge, sans
utiliser les possibilités offertes des
pliages (caché/dévoilé) ou les opacités
du calque.
C’est lui qui a écrit les textes et donné
tous les titres, mais en respectant la
part plastique du projet comme il le
fait toujours, peut-être pour ne pas
empiéter sur la création de l’autre.
On s’aperçoit en lisant ses textes qu’il
donne souvent un nombre de lignes
fixe à ses paragraphes. Pour Collecte
c’est à chaque fois sept. Savez-vous
pourquoi ?
Non ! Michel Butor aime rencontrer,
mais il ne parle pas beaucoup de ce
qu’il fait ! Mais je lui demanderai à
notre prochaine visite.
ENTRETIENS RÉALISÉS PAR CLAUDE LORIN
Une exposition de livres tirés
de la collection de l’écrivain
sur ces trois dernières années
est présentée jusqu’au 20 déc.
Un film est en cours de réalisation
dans la collection Artimentaires.
couverture du livre d'artiste Collecte consacré
à Michel Butor, édition atelier Vis-à-Vis, 2008
Collecte
Michel Butor/Atelier Vis-à-Vis
collection Vice-Versa, 2008
24 exemplaires, 520 /450 euros
en souscription
Atelier Vis-à-Vis / Paradigme
04 91 33 20 80
www.ateliervisavis.com
artistes qui m’inspirent alors là ça
marche, d’autres moins.
Travaillez-vous sur plusieurs projets à
la fois ?
Oui, j’ai beaucoup de projets entassés
à l’intérieur de mon bureau. Je ne sais
pas quand j’arriverai à tout faire ! Et de
temps en temps il y a une urgence
parce que le peintre a une exposition,
le musicien un concert. Autrement les
choses attendent. Quand c’est mûr,
alors j’y vais. Il faut forcer un peu.
Parce que les gens attendent. Alors je
fais ce que je peux.
Il y a ces obligations qui arrivent de
l’extérieur ; mais comme pour d’autres
créateurs existe-t-il chez Michel Butor
une nécessité intérieure ?
Les choses marchent parce que ça
vient aussi de moi, seulement j’ai la
chance d’avoir beaucoup d’occasions.
Ces occasions me permettent de sortir
ce que j’ai besoin de sortir. Ça m’aide
beaucoup parce que j’ai tellement
raturé !
46
ARTS VISUELS
ATHANOR | BUY-SELF ART-CLUB
Beau de bête indéterminée
blancs n’apporteront pas plus d’informations contextuelles, tout juste une
évocation d’un paysage rocheux et
aride. L’ambivalence accuse un
espace de sens interlopes.
L’esthétique mise en avant par Lina
Jabbour évacue radicalement toute
jubilation et on peut concevoir
facilement une certaine retenue du
visiteur face à une telle chimère. Ici le
cadavre n’est pas exquis !
C.L.
Isidore
Lina Jabbour
jusqu’au 31 janv
Buy-sellf Art Club
04 91 50 81 22
www.buysellfartclub.com
Lina Jabour, Isidore, installation, dessin et techniques mixtes, 2008 © Yohanne Lamoulere-Transit
Depuis Dada et le Surréalisme,
l’univers de l’art moderne et contemporain est peuplé d’objets hybrides et
ambivalents. La proposition réalisée
par Lina Jabbour pour l’espace de la
galerie Buysellf en poursuit l’exploration en ajoutant un sentiment
d’indétermination inquiétante, déjà
présent dans son travail graphique. À
commencer par son titre, Isidore.
Prénom à la sexualisation mixte mais
plutôt masculine, évoquant aussi
l’animalité d’un personnage de dessin
animé (Isidore le chat malin…?).
D’ailleurs l’installation se compose,
entre deux dessins muraux opposés,
d’une sculpture hybride au centre de
la pièce. Un plateau peint en gris, noir
et blanc, en forme de peau de bête qui
aurait subi l’aplatissement rectiligne
d’un rouleau compresseur : la sensualité de la fourrure se dissipe pour
laisser place à une représentation
froide. Cette distance est renforcée
par un léger surélèvement invisible
par rapport au sol : le socle traditionnel disparaît mais sa fonction
persiste paradoxalement dans le vide
sous-jacent et sombre. S’y ajoutent
-apparemment non conformes à
l’anatomie humaine- deux excroissances spatiales symétriques (bras/
antennes ?) faites d’os humains en
résine, peintes (badigeonnées ?) de
blanc laiteux, couronnées chacune
par la tête griffue de balais à feuilles
de jardinier, grise aussi. Un gris que
l’on désigne dans le métier de moyen,
ni clair ni foncé, comme la couleur du
sol (mais il parait que la relation est
fortuite). Les deux interventions
peintes en noir sur le bas des murs
Décollages et transfigurations
Le bestiaire de François
Mezzapelle perd pied
et prend de l’air
sous les plafonds
de la galerie Athanor
Ces derniers temps ses drôles de
zozos semblent s’échapper de la
pesanteur terrestre pour filer au
plafond. Si les formes rondouillantes
persistent à gonfler certaines sculptures en de balourdes baudruches
incapables du moindre frémissement
de désolidarisation de leurs surfaces
d’appui, le panthéon métamorphe
mezzapellien s’enrichit de nouvelles
hybridations rompant avec les formes
gibbeuses précédentes et les arrièretrains callipyges.
Le contraste est saisissant puisque
tout ce qui faisait contact pesant avec
le sol a désormais disparu : suppression des pieds jusqu’au buste pour ne
conserver plus que la tête ; au
polyester stratifié des corps ont été
© C.L
substituées de nouvelles matières
(fourrure, tissus, chevelure, spirale
plastique ou papier aluminium, fil de
fer, broderies, ficelle, pierre…). Ainsi
délestés de leur fardeau, impitoyablement décharnés et désincarnés,
désubstancialisés, ces mannequins
hybrides se sont élevés vers le plafond
auquel ils sont désormais suspendus.
Ils recouvrent parfois quelque indice
d’humanité : coiffure, costume,
tunique… Cependant les vêtements ne
sont qu’enveloppes vides, l’air et son
corollaire métaphorique d’anti-matière
les emplissant de rien, un rien
inquiétant quand même.
Avec ses Zélateurs acérés coiffés
d’hélices improbables, Mezzapelle
annonçait-il dans les années 2001
cette tentative encore illusoire de se
libérer de l’attraction terrestre ?
CLAUDE LORIN
Transport
François Mezzapelle
Galerie Athanor
jusqu’au 10 janvier
04 91 33 83 46
© C.L
DUKAN | HOURDEQUIN | ENCHÈRES
Syncretic paintings
Sam Dukan et Marc Hourdequin montrent
et partagent ce qu’ils aiment : la peinture.
Après Emmanuel Barcillon, Joffrey Ferry, Alicia Paz
présente ses grands formats récents.
D’apparents enfantillages.
Dans l’esthétique initiée en leur temps
par le Pop art et l’Art brut, on ne compte
plus aujourd’hui les artistes qui se
sont emparés du quotidien.
Au lieu de détourner le vernaculaire
des objets en stratégies spectaculaires dans le monde de l’art, Alicia
Paz s’obstine à peindre. Ses tableaux
s’apparentent à des chromos surdimensionnés intégrant nombres d’icônes
extraites des divertissements populaires (teletubbies, super héros de
BD, monstres de dessins animés) et
des représentations stéréotypées (récits
pour enfants, rites de Noël,décors
asiatisant…). Justement, Alicia Paz se
plait à jouer avec ambivalence des
différents niveaux de représentation.
Comme dans ces paysages à la chinoise où le spectateur hésite entre
représentation peinte (elle-même
variable : aplats au pinceau, pochoir à
l’aérographe, empâtements imitatifs…)
et collages d’images simulant le réfé-
rent déjà peint, nature d’image
(papier, décalcomanie, stickers),
inclusion d’objets réels et/ou leur facsimilé jouxtant la chose peinte… On
pense à la Nature Morte à la Chaise
Cannée de Picasso et aux Combine
Paintings de Rauschenberg, mais en
bien plus réjouissant !
Dans cette profusion hétérogène, la
peinture d’Alicia Paz agit par un
jubilatoire syncrétisme. Ses origines
mexicaines y seraient-elles pour un
peu ?
C.L.
Alicia Paz
jusqu’au 17 janvier
Galerie Dukan et Hourdequin
www.dukanhourdequin.com
Chinoisierie (2008) huile, acrylique et collage sur toile 210 x 170 cm © Todd-WhiteArt Photography.
ARTS VISUELS
47
Un os dans
les enchères
Vue de l'exposition aux Grands Bains Douches © Yohanne Lamoulere
Ça y est ! La joie légèrement factice de
fin d’année s’exhibe en guirlandes
clignotantes (seule forme actuelle
d’alternative ?) et signale le départ de la
course aux cadeaux…
Ce n’est pas la crise globalisée qui arrêtera le rituel… À
vérifier cependant dans le secteur de l’art, les indicateurs de
tendance du côté des galeries d’art marseillaises.
VIP Art Galerie proposait début du mois une expo-vente
spécial fêtes avec des œuvres de Bentin, Daderian et Ozenda
à moins de 1000 euros. Dans quelques jours, Complex invite
à une «vente aux peuchères» du 19 au 21 décembre, avec
commissaire «friseur».
Plus orientée générosité caritative fut la mise en vente, sous
le marteau de maître Leclere, d’une vingtaine de vestes
customisées par des artistes de bonne notoriété (Surian,
Marchetti, Le Gouic, Muntaner…) à l’occasion de la journée
de lutte contre le sida.
Toujours bien armé, Damien Leclere aux Bains Douches n’a
donc pas cassé la baraque le 11 décembre. Bien que les prix
établis par les artistes eux-mêmes fussent attractifs, moins
de la moitié de la quatre-vingtaine de pièces a trouvé
acquéreur. Ainsi le grand tirage couleur et romantique,
Sleeping Zône de Mélanie Terrier resté en sommeil.
Reste à savoir si de telles initiatives sont profitables.
Collectionneur, vendeur d’art, spéculateur, galerie, et, pour
l’artiste, quid de sa côte réelle ? Comment réinvestir et
soutenir le marché de l’art, quels acheteurs attendons-nous,
qu’attendons-nous pour acheter ?
Laissons passer les fêtes.
C.L
Art-Cade
04 91 47 87 92
www.art-cade.org
Complex
09 54 92 23 21
www.complexmarseille.fr
VIP Art Galerie
04 91 55 00 11
www.leclere.auction.fr
Le Triangle de la solitude
de Sophie Urbani
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ARTS VISUELS
LA VALETTE | MUSÉE DES TAPISSERIES
Le corps, cet obscur
objet du désir
En proie à la migraine
et aux insomnies, l’artiste
marseillaise Michèle Sylvander
s’offre une nouvelle promenade
au rayon de l’intime
La dernière surprise de Michèle Sylvander, c’était
en septembre dernier chez Marianne Cat à
Marseille, lors de la présentation de son film
d’artiste Une brève histoire d’Amour, conçu comme
«un roman-photo en mouvement.» Une histoire
d’amour tournée au ralenti qui se terminait
tragiquement dans un crash sonore… Michèle
Sylvander abordait l’image cinématographique avec
cette gourmandise qui l’anime depuis ses premiers
travaux, ne cessant depuis les années 1990 d’offrir
un large spectre d’images.
C’est justement cette diversité de médiums que
révèle aujourd’hui l’Espace d’art Le Moulin, à La
Valette, qui réunit œuvres anciennes et inédites :
photographies, sculptures, dessins (transferts
d’images et crayons de couleur), film et vidéo, toutes
habitées par un même appétit de la métamorphose.
Une promenade en Céphalée, titre de l’exposition
varoise, est arc-boutée autour du corps et de ses
infinies représentations. Corps tantôt éclaté,
difracté, comme si en radioscopant le cerveau ou
l’oreille, Michèle Sylvander explorait l’intérieur de
l’âme. Corps plongé dans une spatialité aqueuse,
comme dans ses Autoportraits 1-2-3 de 1995 qui
jettent le trouble aux voyeurs que nous sommes
devenus. Corps transgressé, outil d’évocations
sensuelles équivoques comme dans sa série La
Toison d’or de 2008, natures mortes
photographiques mettant en scène un buisson de
filets de poils blancs aussi foisonnant qu’une touffe
pubienne. Corps ambigu traité avec une douceur
exceptionnelle dans sa toute dernière sculpture en
plâtre, Twins, qui figure avec sérénité et tendresse
deux frères siamois. Corps barricadé aussi, comme
dans ses autoportraits au visage grillagé de 2006, In
God We Trust, plongés dans un noir carcéral et une
féminité interdite. Le visage (son visage) dupliqué en
masque mortuaire, quand il n’est pas lapidé ou
décapité…
Autant de miroirs -et de mirages ?- que Michèle
Sylvander réplique au fil du temps qui passe, ce
même temps qui laisse des traces sur les corps (son
corps) et dont elle a fait œuvre. À l’endroit ou à
l’envers, son corps est sa carte d’identité, son arbre
généalogique. «Sa prison», dit-elle, et l’objet de tous
ses désirs…
Et la nouvelle surprise de Michèle Sylvander, c’est
actuellement au Moulin, où elle livre sa toute
première sculpture musicale, Tu me fais tourner la
tête, véritable exploit technique et ivresse poétique.
Réalisée en Plexiglas, cette sphère translucide
tourne sur elle-même au ralenti, tandis que des
hauts parleurs diffusent en boucle, depuis l’intérieur
de leur cocon douillet, ce must de la chanson
française. Édith Piaf immortelle ? Sans doute un
mirage de plus…
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Michèle Sylvander
jusqu’au 24 janvier
Espace d’art Le Moulin, La Valette (83)
04 94 23 36 49
Tchèques en blanc et noir
Au Musée des Tapisseries,
Bernard Lesaing expose
une série de clichés noir et blanc
alternant portraits d’artistes et
paysages tchèques. Les éditions
praguoises Kant ont édité
le catalogue. Plus une petite
sélection d’œuvres
d’artistes du pays.
Bernard Lesaing a visité la République tchèque à
plusieurs reprises. La première fois, adolescent, par
reportage interposé lors de l’invasion de la
Tchécoslovaquie en 1968. L’impression laissée ne le
quitte plus. Un an avant la Révolution de velours
(1989) il fait une escapade à partir de Munich puis
est invité en 2005 pour une exposition. S’en suit un
projet en hommage aux artistes tchèques qui
nécessitera trois ans de gestation et d’allersretours. L’exposition comme le catalogue déroulent
la linéarité du voyage mais, entre les visites auprès
des artistes plasticiens, écrivains, cinéastes ou
musiciens, traduites par d’élégants portraits tirés en
noir et blanc sur papier baryté, alternent les
moments de paysages vécus comme de secondes
rencontres. L’anecdotique ou le descriptif,
l’évènementiel ou la dramaturgie du reportage
laissent place le plus souvent à l’acte empathique du
portrait que n’auraient pas renié August Sanders ou
Diane Arbus. La mise en espace, quoique
nécessairement linéaire par force des lieux, conçue
par la conservatrice Christelle Roy, sert avec
sobriété le propos du photographe.
L’exposition se poursuit avec une sélection de
quelques œuvres d’artistes tchèques, deux peintres,
Vaclav Machan, Michal Blazek et un sculpteur, Jiri
Netik, invités en retour à présenter leur travail à Aix.
On retiendra notamment le grand tableau de Michal
Blazek, aux puissants contrastes colorés, inspiré par
les paysages de Colombie. Pour 2009, l’ensemble
des photos sera présenté au Centre culturel tchèque
de Prague pour revenir à Lyon et Cannes.
C.L.
B. Lesaing - Teresa Konickova
Visages et paysages tchèques
jusqu’au 31 décembre
Musée des Tapisseries
04 42 23 09 91
www.aixenprovencetourism.com
www.imagesetrecherche.org
catalogue
66 ill. n&b
trilingue: français, tchèque, anglais
éditions Kant, 2008, 20 euros
SECONDE NATURE
ARTS VISUELS
49
Les murs ont des oreilles
contemporaine en présence d’artistes qui
investissent les mondes virtuels et le réseau :
Collectif Dardex/Mort2faim, France Cadet, Lionel
Scoccimaro, Pascal Silondi et Damien Berthier.
Seconde nature se pose à Aix où la
Ville met à sa disposition l’Espace
Sextius. Histoire d’un nouveau lieu
pérenne pour les arts numériques
et les musiques électroniques
Il y a vingt-cinq ans déjà, l’Espace Sextius à Aix
résonnait des musiques acousmatiques de François
Bayle et Bernard Parmigiani, se souvient le sociologue Samuel Bordreuil, qui inaugurait le 11 décembre
dernier la Scène numérique de Seconde nature dont
il est Président d’honneur. L’Espace Sextius est donc
le nouveau temple des arts numériques et des musiques électroniques : après dix ans de pérégrinations
sur le territoire Aix-Marseille entre l’École supérieure d’art, la salle du Bois de l’Aune et la Fondation
Vasarely, Seconde nature trouve ici un espace de
visibilité pérenne. Une installation bouclée en quelques mois… à faire pâlir les sans logis !
Mais si certains s’étonnent de cette mise à disposition du lieu par la Ville, cette décision ne fait aucun
doute pour Sophie Joissains, 8e adjointe au Maire :
«On a véritablement eu raison de vous confier ce lieu
municipal car on a fait confiance à l’avenir. Vous avez
fait un parcours exemplaire depuis vos premiers pas
à l’École supérieure d’art et, grâce à vous, nous
accueillerons peut-être en 2013 la Biennale des
jeunes créateurs d’Europe et de la Méditerranée.»
Même engouement partagé par Patricia Larnaudie,
6e adjointe, qui soutient pleinement Seconde nature
dans son projet de développement de ses activités
au cœur de la cité, évoquant même «un pari sur
l’avenir et sur l’intelligence…»
Quant à Jean-Paul Ponthot, complice de la première
heure, il a eu le plaisir d’accueillir à l’École supérieure d’art la première édition d’Arborescence :
«J’ai vu dans cette association des qualités que je
souhaite voir se développer chez nos étudiants… Les
contenus qu’ils mettent en œuvre sont proches de
nos réflexions pédagogiques.» Et d’ajouter : «Les
territoires électroniques sont ceux que nous
occupons en permanence.» Au vu de la foule
présente ce soir-là, mêlant représentants des
collectivités territoriales, professionnels, artistes et
public, les arts numériques et les musiques électroniques sont vraiment des territoires de partage.
Un lieu pluridisciplinaire
Depuis la fusion en 2007 des associations Biomix et
Terre active qui a donné naissance à Seconde
nature, l’équipe a mis en place un projet artistique
transversal de grande ampleur. «On n’affiche pas les
arts numériques comme un art nouveau. Ce sont
des pratiques artistiques développées par des
artistes issus de plusieurs domaines : la musique,
la littérature, la vidéo, les arts visuels», rappelle son
directeur Pierre-Emmanuel Reviron, intimement
convaincu «que le développement des nouvelles
technologies ne peut se faire sans son corollaire, le
développement durable.»
Concrètement, il s’agit de soutenir les artistes,
«moteur et essence même du projet», par la
diffusion et la production d’évènements, de concerts
ou d’expositions. Par le développement aussi
Un troisième festival
Inauguration de la Scene Numerique © X-D.R.
d’activités de proximité pour aller à la rencontre de
tous les publics (scolaires, centres sociaux,
entreprises…) et la réalisation de projets à
l’international (lancement en février du projet
européen Terraz, développement depuis trois ans
d’actions à Beyrouth, accueil du BJCEM…). En 2009,
la question de la diffusion sera traitée sous forme
séquentielle avec cinq cycles de programmation
constitués chacun de rencontre, workshop,
exposition, concert et résidence d’artiste. Un premier
rendez-vous sera proposé du 8 au 31 janvier autour
du Game Art, «Récréations», une manière ludique
et artistique de s’interroger sur les rapprochements
entre l’univers des jeux vidéo et la création
Le festival Seconde nature représentant près de
quarante pour cent de l’activité de l’association, la
troisième édition aura lieu en juillet prochain dans la
continuité de Territoires électroniques et
d’Arborescence. Il devrait se dérouler comme
précédemment à la Cité du livre et à l’École
supérieure d’art, à l’Espace Sextius bien sûr, même
si l’équipe lorgne déjà du côté de Grand Théâtre de
Provence et du Pavillon noir…
En attendant la concrétisation de nouvelles collaborations, le festival s’inscrira en vis-à-vis de
l’exposition Picasso Cézanne (voir page 74) en
abordant la thématique de la métamorphose.
Soutenue par la Ville, la Communauté du Pays d’Aix,
le Conseil général 13, la Région et l’État à hauteur
de 631000 euros en 2009, Seconde nature devrait
sortir grandie de sa chrysalide et poursuivre son
vol...
MARIE GODFRIN-GUIDICELLI
Seconde nature / La Scène numérique
Espace Sextius, Aix-en-Provence (13)
04 42 64 16 50
Inauguration de la Scene Numerique © X-D.R.
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CINÉMA
TURIN | FOTOKINO | LECH KOLAWSKI
Match-making
À Turin, lors des 6e Journées Européennes de coproduction, des producteurs
régionaux ont fait face à l’audiovisuel
européen…
Au départ, il y a l’idée. De court ou de long métrage,
de fiction ou de documentaire. Mais après, il faut
convaincre de l’intérêt et du réalisme du projet de
film ! C’est là qu’interviennent le pitching et le matchmaking. Ces pratiques, évidemment américaines,
sont apparues en Europe il y a une dizaine d’années,
dans les forums professionnels. La première consiste
à présenter son projet, en quelques minutes, devant
un parterre de gens susceptibles d’être preneurs.
Quant au match-making, c’est une sorte de speed
dating pour partenaires potentiels, la plupart du
temps producteurs et diffuseurs.
L’Union Européenne encourage vivement de tels
forums. La Région PACA, très active en matière
d’audiovisuel, également. Ainsi une délégation régionale s’est rendue à Turin, du 18 au 20 nov. Conduite
par Isabelle Nobio, responsable du programme
Média pour le Sud, elle comprenait quatre producteurs qui ont retrouvé une centaine de leurs collègues
dans le Lingotto, ancienne usine Fiat reconvertie en
centre de congrès, pour trois jours de match-making
intensif.
Seul, Paul Saadoun, de 13 Productions, était venu
sans objectif précis. Mais la réputation acquise dans
toute l’Europe par sa série Palettes lui a valu d’être
assailli de propositions, dont il a jugé certaines
intéressantes.
Alexandre Cornu, des Films du Tambour de soie,
proposait un projet de documentaire qui replace
Pétain dans le contexte des droites européennes de
l’époque. Et il cherchait un partenariat pour les images
d’archives. Bingo ! Outre des contacts prometteurs
avec des Allemands, il a découvert qu’avec ce sujet
il pouvait postuler au fonds de soutien à l’audiovisuel
du Bade-Wurtemberg !
Deux tables plus loin, son confrère Fred Premel, de
Tita Productions, bataillait comme un diable pour faire
avancer son projet sur Bela Tarr qui sera, s’il se
réalise, le premier portrait filmé du cinéaste hongrois.
Dans sa ligne de mire : le responsable des programmes de nuit de la RAI, dont l’engagement pourrait
être déterminant.
À ce trio de Marseillais s’ajoutaient les Arlésiens de
Station Animation, venus présenter La mare aux têtards,
série TV pour la jeunesse, et un projet de longmétrage d’animation, Suzy et Milpli. «Dans de gros
marchés comme le MIP, les gens sont peu disponibles,
expliquaient-ils. Ici, on a le temps de discuter et ça
peut vraiment tilter. En plus, on se fait une notoriété, on
confronte des expériences, on détecte des talents.
Bref on bâtit les collaborations futures.»
À les voir tous à leur pupitre, défendant mordicus
leurs projets de films dans un invraisemblable mélange d’anglais, d’italien et de français, on ne pouvait en
douter !
JEANNE B.
Avec Taupek
rêves, pleine de poches, et l’a fabriquée avec l’aide
des animaux de la forêt… Cet épisode a été précédé
de La Petite taupe et le parapluie, dont sept enfants de
l’atelier animé par Catherine /Vincent ont créé la
bande son.
Petits et grands ont pendant quelque temps oublié la
pluie, le froid, les embouteillages en rêvant avec la
petite taupe.
ANNIE GAVA
À venir à Laterna Magica
Les gosses de Tokyo de Ozu
Un mercredi après-midi d’hiver, pluvieux et glacial sur
le boulevard d’Athènes, à Marseille. Pourtant, au
Rendez-vous des Quais, des enfants sont venus, très
nombreux, des tout-petits accompagnés d’adultes qui
paraissent aussi heureux qu’eux. Ils ont rendez-vous
avec la petite taupe et très vite, la salle est pleine.
C’est à Fotokino qu’on doit cette après-midi avec le
dessin animé de Zdenek Miler, une des nombreuses
propositions de Laterna Magica qui se tient 3 au
21 décembre. Le public a pu ainsi voir le tout
premier épisode de la série, réalisé en 1957, en tchèque, traduit en direct par Nathalie Guimard.
La petite taupe est née d’une commande au
dessinateur Zdenek Miler d’un film d’animation sur la
fabrication de vêtements. C’est ainsi que la petite
taupe (en tchèque, taupe se dit krtek) a fait ses
premiers pas à la recherche de la salopette de ses
Le dernier week-end du festival ménage de bonnes
surprises cinématographiques !
La soirée de clôture, le 19 déc à 20h aux Variétés,
propose un ciné concert : Gosses de Tokyo, de Ozu,
est un chef-d’œuvre intemporel du cinéma japonais
(1932), proche du burlesque américain par l’humour,
mais plus cruel envers les patrons, et tourné à la
hauteur des enfants, héros du film. Uli Wolters,
jazzman, accompagnera la projection de ses
compositions (percu et sax).
Mais il y aura aussi, pour finir en beauté avec les tout
petits, des projections de dessins animés le matin et
l’après-midi des mercredi 17, samedi 20 et dimanche
21 : des histoires de jouets aux Variétés, Mia et le
Migou à l’Alhambra… Pour fêter Noël dignement !
09 50 38 41 68
http://fotokino.org
Lech in Marseille
Le 12 déc au Polygone Etoilé, l’association Peuple et
Culture-Marseille accueillait Lech Kolawski, par
envie de montrer les films de ce cinéaste américain
d’origine polonaise, qu’Éric Vidal, programmateur de
l’association, a découvert sur Arte avec East of
Paradise.
Lech Kolawski © X-D.R
Lech Kowalski, qui a mis en ligne une sorte de journal
filmé, un projet qui allie esthétique et urgence à dire,
camerawar.tv, en a montré le premier chapitre et
présenté celui qu’il comptait tourner à Marseille le
lendemain.
Après la projection du documentaire tourné à Cracovie,
The Boot Factory, Lech a parlé avec le public nombreux de ses choix de cinéma, de la place primordiale
du rythme, de sa conception du montage, l’important
étant les images qu’on enlève. Pour The Boot Factory,
son premier film en vidéo, dont la première partie est
en noir et blanc, il a suivi pendant une année de
jeunes punks qui ont créé une entreprise de
fabrication de chaussures en cuir et a utilisé des
caméras diverses -la première étant une Hi8- de plus
en plus perfectionnées adaptées aux scènes filmées.
Une rencontre passionnante qu’on aurait aimé
prolonger longtemps !
ANNIE GAVA
On peut retrouver Lech Kolawski
sur son site www.extinkt.com
FESTIVAL TOUS COURTS
CINÉMA
51
Des p’tits courts,
des p’tits courts,
toujours des p’tits courts !
La nuit de tous
les courts
plus fort, qui place le spectateur devant
René, en ciré jaune, «un cri sans écho»
cherchant désespérément, tout au long
du film, le chemin qui le sortira de la
solitude. René de Tobias Nölle ne laisse
personne indifférent.
Il a aussi accordé une mention spéciale
à 4960, un film auto produit par WingYee Wu : Josef et Aïda essaient de se
communiquer. Difficile ! Il étudie à
Chicago et elle, à Sarajevo, ne peut sortir
sans s’exposer aux snipers.
Le prix Libre Court a été décerné au film,
sans paroles mais aux images parlantes,
Mein Vater Schläft (Mon père dort) de
Grzegorz Muskala. Mika, (excellent
Maximilian Kirchner) âgé de dix ans,
qui vit à la campagne dans des condi-
Vendredi 5 décembre, vers 22h30, une
longuefile,bienrangée,devantle Mazarin,
à Aix. La plupart ne dépassent pas les
trente ans. Tous attendent patiemment
le début de la Nuit du Court, 21 films
répartis en quatre programmes, qui se
terminera au petit matin. Et pour «tenir
le court» trois pauses avec café, boissons et biscuits.
Cette année, une thématique : les regards de femmes sur le monde, des
films en compétition les années précédentes, des films de l’histoire du cinéma,
sans oublier les quatre films proposés
dans la carte blanche des Rencontres
Films, Femmes et Méditerranée. Des
films drôles, graves, des films d’animation, des documentaires, des films
expérimentaux, des fictions, parmi lesquels le dernier court métrage de
Blandine Lenoir, Pour de vrai.
Voir tous ces jeunes (près de 350 !)
assister jusqu’à l’aube à la projection de
ces courts métrages, dont certains sont
loin d’être faciles, fait chaud au cœur :
c’est entre autres le fruit d’années de
travail du Festival Tous Courts en direction du public scolaire. Cela devrait faire
réfléchir (et reculer !) tous ceux qui veulent,
aujourd’hui, réduire -voire détruire- l’éducation à l’image et les enseignements
artistiques.
La 26e édition du festival
Tous Courts d’Aix s’est déroulée du 1er au 6 décembre:
impossible, même sans dormir, de voir les 163 films
programmés !
Alors, certains voient les «carnets de
voyage», d’autres les «journaux intimes», films expérimentaux qui peuvent
surprendre parfois, d’autres les films
en compétition, 59 répartis en dix programmes (deux de plus qu’en 2007).
Tous peuvent rencontrer les cinéastes
et producteurs présents. Bien équilibrée, chacune des séances offrait
des films pour tous les goûts !
tions modestes, est obligé de remplacer
son père, très malade. Dix ans c’est encore l’âge où on joue et Mika, facilement
distrait par sa sœur plus jeune, doit faire
face. Un film, austère et poignant.
Patrice Carré pour Cinécourts n’a pu
trancher entre Zohar de Yasmine Novak
et Sa’et asary (A la fin du jour) de Sherif
El Bendary, qui a eu aussi le prix du jury
jeunes.
Primés aussi un tout premier film d’Emilie
Carpentier, tourné dans un village roumain, Les Ombres qui me traversent, Josh
de Govinda Van Maele, à la fois drame
et étude de milieu au Luxembourg et le
film d’animation de Michal Pfeffer et
Uri Kranot, Le Cœur d’Amos Klein.
ANNIE GAVA
Le coeur d'Amos Klein de Michal Pfeffer et Uri Kranot
Parmi tous ceux qu’on a pu déguster,
quelques-uns à savourer…
Dans Taxi Wala, Lola Frederich filme
avec sensibilité et poésie la rencontre
éphémère entre un chauffeur de taxi et
une femme perdue, incapable de rentrer
chez elle, qui ne sait qu’une chose : par
la fenêtre de son appartement, elle voit
passer des trains.
Dans La mort qui tue, adapté de la nouvelle éponyme, Hadrien Bichet suggère
par le non-dit et l’ellipse la sourde
violence qui anime une jeune fille, (superbement interprétée par Hande Kodja)
après la mort accidentelle de son frère.
Lucas sur terre de Maud Alpi parle du
deuil non fait : Lucas sort une bouteille,
puis va labourer du côté du silo, le jour de
l’anniversaire d’Isabelle qui aurait eu 25
ans…
Et puis, il y a ceux qui se sont
fait remarquer !
Le public a donné son coup de cœur à
Tony Zoreil de Valentin Potier, déjà
distingué à Rome, Prague et ClermontFerrand, qui traite de la différence sur un
mode léger et drôle : Tony, âgé de vingthuit ans, a, comme toute sa famille, de
très, très grandes oreilles et souffre
d’une sensibilité extrême au moindre
bruit. Sa vie est un véritable cauchemar
jusqu’au jour où… Une idée originale, une
réalisation soignée, mais un film qui ne
gagne pas forcément à être revu.
Le Jury a primé à l’unanimité un film,
A.G.
Motivé, motivé le jury !
Le public a pu rencontrer le Jury du 26e
Tous Courts, la comédienne et réalisatrice Blandine Lenoir, le critique Pierre
Murat, le délégué général du Festival
européen du film court de Brest, Philippe
Coquillaud et le producteur-réalisateur
Ron Dyens (Sacrebleu Productions).
«Tous ont été recrutés pour leur humanité»,
précise Christine Aublet-Béranger, la
Coordinatrice Générale de Tous Courts.
Une tâche fatigante mais passionnante,
selon eux : il faut savoir passer en une
heure et demie (durée d’un programme,
et il y en a dix !) d’un univers à un autre,
dépasser ses propres goûts cinématographiques pour laisser leur chance à
tous les films, repérer le REGARD derrière
la caméra, accepter d’être bouleversé
ou irrité, dérangé, découvrir des films
audacieux…
Ce qui les motive, c’est soutenir le court
métrage. Certains préfèrent le terme de
«film court» parce qu’on voit mieux que
c’est un film.
Certes on trouve beaucoup d’univers glauques, de situations dures dans les courts
Le Jury © Delphine Pincet
actuels, peu de comédies mais n’est-ce
pas logique puisque le cinéma est un
reflet de son temps ?
Les membres du jury, unanimement, reprochent une certaine absence de prise
derisque, aussi bien au niveau du scénario
qu’au niveau de la réalisation. Trop prudents
les réalisateurs de courts sélectionnés
en 2008 ? Trop soumis aux pressions des
producteurs ? «Il m’arrive d’essayer de
pousser des réalisateurs vers des pistes
plus audacieuses formellement, nuance
Ron Dyens, mais ça résiste !»
Le public présent à cette rencontre le
jeudi 4 décembre à la Fnac d’Aix aura pu
ainsi, pendant près de deux heures, faire
le point sur le court métrage.
A.G.
52
CINÉMA
JACQUES ROZIER | AGENDA
Tout Jacques Rozier
Pour les 20 ans d’Extérieur
Nuit, en mai, Michèle
Berson a tenu à rendre
hommage à Marseille,
sur le thème au «cinéaste
du présent», à Jacques
Rozier, réalisateur phare
de la Nouvelle Vague
Dans le cadre de la sortie d’un coffret
de six films a eu lieu la deuxième partie
de la rétrospective : treize films -fictions
et films pour la télévision où il s’est
formé- clôturés par une carte blanche
(Take me out the ball game, comédie
musicale de Busby Berkeley, 1949).
Cerises sur le gâteau : en chair et en os
le 28 nov Jacques Rozier, et Bernard
Menez, acteur révélé par Du côté
d’Orouët, sublime dans sa recette du
congre et roi de la samba dans Maine
Océan. Et le critique Emile Breton.
L’ouverture de cette deuxième partie a
tourné autour du «miracle» selon Rozier.
Pour la sortie de Philippine, Supplément au voyage en terre, conçu avec
Extérieur Nuit, il a raconté comment
le hasard (auquel il ne croit pas) fait
bien les choses : il a obtenu l’accord
parfait dans Adieu Philippine, film qui
l’a projeté au premier rang de la Nouvelle Vague, grâce à sa rencontre avec
une chanteuse corse dont le chant fut
le point d’orgue du film.
Rozier est beau comme le Jean Vigo
de Zéro de conduite dont il dresse un
portrait pour la série Cinéastes de notre
temps : accessible à tous et peu commun ; drôle et décalé ; intemporel et
engagé. Beau comme cette jeune femme qui retrouve ses 5 ans en revenant
dans la maison de vacances à la mer
Du côté d’Orouët.
Adieu Philippine aborde, l’air de rien, la
guerre d’Algérie ; Les Naufragés de l’île
de la tortue détourne l’image de Pierre
Richard pour dénoncer le tourisme mondialisé. Cinéaste de l’instant, Jacques
Rozier prend le temps de nous embarquer dans des histoires au long cours.
Et pour que l’on visionne Tout Rozier
en 2009, Extérieur Nuit débloquera les
films inédits si les subventions suivent…
Le créateur du Marcel Petigas de Maine
Océan n’a pas dit son dernier mot !
ARMELLE MARIÉ
Au programme
Cinéma en résistance
Au Polygone Etoilé
Du 14 au 27 janvier, l’Institut de
l’Image à Aix propose, avec un collectif d’associations, de fêter le 60e
anniversaire de la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme en programmant douze oeuvres humanistes ayant
contribué à dénoncer la barbarie et à
célébrer la résistance. Des films qui ont
traité «les grandes questions qui ont
façonné notre vision de l’humanité au
cours de ces 60 dernières années : la
Shoah, la condition des femmes, le combat des Noirs américains, l’apartheid, le
génocide cambodgien, le sort des prisonniers, et la question des sans-papiers
et de l’immigration.» (Régis
Dubois).
Samedi 17 janvier l’association 360 et
même plus propose une carte blanche
au peuple qui manque, structure de programmation et de distribution basée à
Paris.
Seront projetés deux films :
à 19 heures: lesAcciones(performances)
de Mujeres creando, féministes boliviennes en lutte contre les oppressions
patriarcales, les schémas coloniaux, les
politiques néolibérales.
à 21h 45 : Flaming Creatures de Jack
Smith, une des figures marquantes du
cinéma underground américain. Flaming
Creatures a déclenché dès ses premières projections l’ire de la censure
aux États-Unis et il a été longtemps
interdit (Jonas Mekas et Ken Jacobs ont
été arrêtés en 1964 pour avoir voulu le
présenter publiquement.)
Entre les deux films, repas, débat, rencontre avec les invitées, Aliocha
Imhoff et Kantuta Quiros
Parmi ceux-ci, les connus, Nuit et
brouillard d’Alain Resnais ; S21, la machine de mort Khmère rouge de Rithy
Pahn, les plus rares, Black Liberation
d’Edouard de Laurot ; les plus récents,
It’s A Free World de Ken Loach ou À
côté de Stéphane Mercurio, sans
oublier Black Panthers d’Agnès Varda
ou Punishment Park de Peter Watkins.
A.G.
Institut de l’Image (Aix)
04 42 26 81 82
www.institut-image.org
Black panthers d'Agnes Varda
Samedi 14 février, à 20 heures, le
collectif basé à Lyon, Grand Ensemble
est invité par 360 et même plus à présenter El - Bi’r (le Puits) de Béatrice
Dubell qui évoque le parcours d’un
prêtre anti-colonialiste à Lyon pendant
la guerre d’Algérie, l’abbé Albert Carteron,
surnommé par les Algériens de Lyon
«El-bi’r», l’homme des secrets bien
gardés. En évoquant son parcours, les
témoins lèvent le voile sur cette guerre
clandestine qui se menait sur le sol de
France.
A.G.
360°et même plus
04 91 91 50 08
www.360etmemeplus.org
Le Polygone Etoilé
04 91 91 58 23
www.polygone-etoile.com
RENCONTRES LITTÉRAIRES
On les rencontre sous des chapiteaux,
sur des places ou dans des ruelles, ils
prennent le frais aux terrasses et sur les
balcons ; on les déguste au comptoir,
pendant l’apéro, ou à une table de resto.
Bref, ils ont la bougeotte et semblent
tout faire pour attirer le public hors
des lieux battus ! Pourtant, nombre de
libraires proposent encore dans leurs
murs des rencontres au calme, loin
de la foule. Histoire de converser entre
amateurs de lecture, tranquillement,
simplement. De tels rendez-vous sont
fréquents, dans toute la région. En cette
période de rentrée littéraire, nous avons
assisté à quelques-uns uns d’entre eux.
Si ces rencontres ne sont pas secrètes,
elles n’en restent pas moins confidentielles, souvent faute de moyens de
communication… et prennent parfois
des allures de réunions d’initiés. Elles se
déroulent généralement en fin d’aprèsmidi ou en début de soirée, à l’heure où
la librairie ferme ses portes au public.
Les happy few motivés, et disponibles
en semaine, et en début de soirées,
s’installent alors dans un coin agrémenté de quelques chaises. Face à eux,
le (ou les) auteur(s), derrière une table
couverte de ses (leurs) œuvres ; à leurs
côtés, le ou la libraire en maître d’œuvre.
Les premiers instants sont souvent
laborieux ; même si l’assistance est peu
nombreuse, elle est très proche, donc
très visible. Mais une fois ce cap de la
gêne et du trac franchi, la rencontre se
fait et se fait bien.
Car on a beau avoir appris que l’œuvre
se suffit à elle-même, être convaincu
que les données biographiques sont de
peu d’intérêt, voir un écrivain en chair
et en os, dans son humanité ordinaire,
l’écouter lire des passages de ses textes
ou parler de son travail captive l’amateur de littérature.
Le travail du styliste
Eh oui, un auteur est un être humain
comme les autres, et son métier un vrai
labeur, qui nécessite du temps, de l’entraînement. C’est ce qu’ont répété à
l’envi Maylis de Kerangal (voir Zib
11) et Pierric Bailly (voir page 61),
invités par Dominique Paschal à la
librairie Prado-Paradis. Ces deux très
jeunes écrivains, cités pour de grands
prix littéraires, ont choisi de raconter
l’adolescence en été, de «traquer la grâce
adolescente, la beauté derrière la difficulté
d’être» de cet âge. Tous deux ont évoqué
leur volonté de transcrire la langue de
la jeunesse actuelle, et la difficulté de la
tâche. Car, en dépit des apparences, il
n’y a «rien de spontané», comme le souligne Pierric Bailly, qui établit un
LIVRES
53
Le charme discret
des rencontres
littéraires
C’est un fait, livres et auteurs se montrent et sortent
de plus en plus souvent de leurs rayonnages
et de leurs bureaux…
parallèle entre l’écriture et le sport. Maylis de Kerangal
rebondit en affirmant son mépris pour la notion d’inspiration
et le caractère très concret, technique de son travail. Les deux
romanciers, dans la lignée de Flaubert, font d’ailleurs ce qu’ils
nomment le «réglage à l’oral» du texte et revendiquent le soin
apporté à la langue et au rythme. Deux stylistes donc, sur des
modes très différents, mais animés d’une même énergie, qu’il
a été plus que plaisant d’entendre dialoguer et rire ensemble,
dans une connivence suscitée par la rencontre.
Entre lectrices
Autre lieu, autre ambiance. Catherine Cusset vit depuis
longtemps à New York et fait cette année sa première rentrée
littéraire en France. Mais elle est tout sauf débutante ! Un
brillant avenir (voir page 62) est son 9e roman ; et elle vient
de se voir décerner pour lui le Goncourt des Lycéens. Elle
parle d’ailleurs avec beaucoup d’humour et de modestie des
affres de ses rencontres avec les jeunes et de la vraie surprise
qu’a été pour elle cette distinction. Un public particulier
La Liseuse de Fragonard
est venu écouter la romancière à
L’Attrape-Mots. Surtout des lectrices
fidèles, qui ont tout lu et ont des
questions précises à lui poser, comme à
une connaissance, à une amie presque.
Présente aussi une jeune prof de lettres
qui souhaite faire étudier le roman à ses
lycéens. Atmosphère cosy dans un coin
de la librairie, où peu à peu l’auteure en
vient à évoquer son parcours (brillant,
lui aussi) de l’enseignement supérieur à
l’écriture. Catherine Cusset revient longuement sur Marie, son double
fictionnel, et aussi sur la question de la
langue. Car cette écrivaine française
écrit d’abord en anglais (elle dit s’y
sentir moins inhibée) avant de tout
réécrire en français !
Marie d’Hombres a choisi la formule
de la lecture pour faire connaître son
livre sur la Belle-de-Mai (voir page
60). Avec ses complices de l’Association
Récits, ils se sont donné la réplique sur
des extraits de l’ouvrage avant de
répondre aux questions de l’auditoire,
qui se sont poursuivies autour d’un
apéro convivial et informel, dans l’esprit
des éditions P’tits Papiers et de la
librairie Païdos.
Toutes ces rencontres ont bien sûr un
aspect promotionnel qu’il serait
absurde de nier. Elles aident toutefois à
faire connaître les nouveaux-venus de
la scène littéraire et apportent un
éclairage intimiste sur les œuvres. Et un
grand plaisir littéraire, lorsqu’au détour
de questions anodines surgissent de
vraies interrogations sur la démarche de
création. Un bonheur discret donc,
mais qui gagnerait à être partagé, et à
s’épanouir à la lumière !
FRED ROBERT
54
LIVRES
RENCONTRES LITTÉRAIRES
La préhistoire prend
des allures féministes !
Des romans d’aventures qui mettent en scène des filles… à nouveau !
Et Christine Féret-Fleury adore répondre aux questions
des ados, ses lecteurs…
C’est pour évoquer son roman Chaân, la Rebelle, paru en
2007 dans la collection Castor Poche chez Flammarion, que
l’auteure, qui réside tout près de là, est venue rendre visite aux
élèves du collège de Trets. De sa voix douce et nuancée, elle
répond au feu roulant des questions, et mène le jeu.
Les élèves : Pourquoi la préhistoire ? Pourquoi une fille ?
Christine Féret-Fleury : J’étais un jour en panne
d’inspiration, alors je suis sortie me promener sur la colline
derrière ma maison. C’est là que je l’ai rencontrée… Elle
courait dans les herbes, un épieu de bois durci au feu à la
main. Elle s’est à peine retournée. J’ai su que c’était elle qui
tenait mon histoire, j’ai eu envie de la suivre. Je me suis
plongée dans des livres concernant la préhistoire, je me suis
documentée. Pour cette période, les informations ne
constituent pas une somme énorme, j’avais dû travailler
beaucoup plus pour des romans ayant pour cadre le XVIIIe
siècle comme La Tour du silence ou les débuts du XXe pour
SOS Titanic. La difficulté du roman historique, c’est que tout
doit être vérifié dans les moindres détails. Ce qui rend la
recherche difficile, ce sont les sources qui se contredisent, alors
on est contraint à déterminer ce qui nous apparaît comme le
plus vraisemblable…
Le nom de Chaân ?
J’ai un cheval qui se nomme Chawan, il aime la liberté,
comme mon héroïne. Elle tient aussi de moi, elle est très
maladroite, mais c’est pour cela qu’elle ne se sent pas à sa place
et qu’elle en revendique une autre. Ses difficultés viennent du
fait que ses proches refusent de lui donner un autre statut.
C’est donc une féministe de la préhistoire ?
Mon histoire, ou plutôt celle de Chaân, se déroule pendant
la dernière période de la préhistoire, le néolithique, il s’agit
d’une période charnière, les peuples nomades sont en train de
se sédentariser. C’est pour cela que je l’ai trouvée intéressante
à traiter, en fait toutes les charnières de l’histoire le sont, car
les mentalités bougent, changent. Je me suis inspirée des
paysages de l’Ukraine pour le cadre, puisque c’est là que les
premiers chevaux seront domestiqués. Et l’un d’eux sauvera
Chaân.
Pourquoi écrire ?
J’ai toujours aimé lire et je n’ai jamais cessé de raconter des
histoires, à mes neveux, ma famille. Il n’y a qu’une seule façon
de remonter dans le temps, c’est par l’intermédiaire des livres.
La lecture et l’écriture constituent le meilleur moyen de vivre
mille vies. C’est pourquoi sans doute j’ai deux métiers, celui
d’éditrice et celui d’écrivain.
Où écrivez-vous ?
Partout ! Mais je dois avouer que je préfère toujours
m’installer devant un mur pour ne pas être distraite, n’avoir
pour seule fenêtre sur le monde que l’écran de mon
ordinateur. J’écris tous les jours. L’écriture selon moi, c’est
comme un muscle, il lui faut un entraînement quotidien. Il
n’y a pas de «robinet» d’inspiration, c’est une idée romantique,
l’inspiration c’est du travail.
Est-ce que vous faites un plan avant de commencer à écrire ?
Je ne fais jamais de plan au départ, mais 10 ans d’édition
m’ont permis d’en travailler la technique avec les auteurs. Dès
les deux premiers chapitres je sais quelle sera la taille de mon
livre. J’écris lentement, plusieurs livres à la fois, par tranche de
une heure pas plus de deux pages, ensuite, l’écriture perd en
densité. Le récit avance cependant, les évènements
s’imbriquent, c’est parfois comme sur une route, on ne voit
pas après les virages, il faut avancer pour que la suite se
dévoile.
Est-ce qu’en ce moment vous écrivez un autre roman ?
Bien sûr. Aujourd’hui, je suis en train d’écrire une trilogie
dont le premier tome est paru, Atlantis. C’est une expérience
nouvelle, puisque je l’écris avec ma fille. Je dois souligner
qu’elle est ma première lectrice et ma première critique !
Pourquoi accepter de rencontrer des élèves ?
Parce que je n’ai pas eu cette chance enfant. L’existence de
l’auteur était totalement dissociée du roman, alors que pour
moi c’était quelqu’un de magique ! Cela le rend plus humain,
et c’est bien…
Pour nous, même si nous vous rencontrons, vous conservez
cette magie !
…
PROPOS RECUEILLIS PAR MARYVONNE COLOMBANI
De Barreau en trophées
Le polar à la barre
Succès pour la première rencontre littéraire au Barreau, vendredi 12 décembre. Nombreux le public
de la Maison de l’Avocat, nombreux aussi les auteurs de romans judiciaires, policiers ou tout simplement
noirs. Pas mal d’entre eux étaient d’ailleurs juges et parties, puisque sur la vingtaine d’écrivains présents,
une bonne moitié sont ou ont été avocats, juges ou flics ! De quoi donner aux débats du jour, autour de
Mythe du polar et réalité judiciaire, toute leur épaisseur. Les discussions se sont déroulées autour de
tables rondes animées, faisant état, en dépit de tous les discours alarmistes, de la vitalité du genre, de sa
diversité. De sa nécessité aussi, face à une réalité judico-policière tellement banale qu’il faut bien la
mythifier un peu !
L’Arménie aux Archives
Le public s’est également pressé aux ABD Gaston Defferre, samedi 13 décembre, pour assister au 2e
Festival National du Livre Arménien. Toute l’intelligentsia arménienne était là, dès le début d’aprèsmidi, pour la séance de dédicaces ; de très nombreux auteurs, de tous les genres et pour tous les publics,
réunis dans une ambiance très conviviale. À noter l’énorme succès de Sophie Audouin-Mamikonian,
qui n’a pas eu le loisir de lâcher son stylo, tant étaient nombreux les jeunes et fervents lecteurs de sa série
Tara Duncan, «la petite sœur française de Harry Potter», paraît-il. Un peu vexant pour le réalisateur
Guédiguian ou l’historien Mutafian ! La journée s’est conclue par une table ronde sur la presse
communautaire arménienne aujourd’hui en France, avant la remise très attendue des prix : Henri Verneuil
2009 (roman) et Arménia 2009 (essai), entre autres, sous la présidence d’honneur de Mme Edmonde
Charles-Roux Defferre.
FRED ROBERT
AGENDA
LIVRES
55
Au Programme
AIX-EN-PROVENCE
FORCALQUIER
Des livres pour rendre l’art plus proche :
rencontre/débat animée par Sophie Curtil, peintre
et graveur, créatrice de la coll L’Art en jeu aux
éditions du Centre Pompidou, et de la coll Kitadi
aux éditions Dapper. Le 15 janvier à 18h30.
Une maison d’édition bien lunée : à la découverte
des éditions Nykta, du 5 janvier au 4 février ;
rencontre et lecture avec Jacques Fulgence et
Pierre Courtault autour du livre Cher Douglas,
le 8 janvier.
Cité du livre
04 42 91 98 88
Librairie La Carline
04 92 75 01 25
ARLES
MARSEILLE
La croissance : idéologie ou nécessité ?
Dans le cadre du forum Décroissance, vers une
décroissance conviviale ?
Attac Pays d’Arles organise deux tables rondes
le 17 janvier :
la première, de 15h à 17h30 réunira Paul Ariès,
Jean-Marie Harribey
et Jean-Claude Girard ; la seconde, de 18h à 20h,
Claude Llena, Les Casseurs de pub, la
Coopérative Longo Maï de Treynes, les marais
du Vigueirat et l’association Oasis Carapa dans
le Gard.
La confédération paysanne organisera un repas
paysan à partir de 20h.
Exposition En découdre : le textile
dans tous ses états, avec des œuvres de Florence
Garabé, Katarina Kudelova, Gregg Smith,
Kimsooja, Maja Bajevic, Angelo Filomeno,
Miguel Rothschild, Sébastien Rinckel, Julie
Legrand, Cathryn Boch, Aicha Hamu, Santiago
Borja. Du 8 janvier au 21 février.
Attac Pays d’Arles,
04 90 49 63 45,
www.local.attac.org/13/arles
AVIGNON
Rencontre/débat : Diffuser du jazz en région, animé
par Jean-Paul Ricard, directeur de l’Ajmi, le 17
janv à 14h30; État du jazz en Belgique francophone,
animé par Dominique Simonet, journaliste au
quotidien
La Libre Belgique, le 17 janv à17h.
Théâtre des Doms,
04 90 14 07 99,
www.lesdoms.eu
COUSTELLET
Exposition photo organisée par le collectif Des Yeux
Dans Les Oreilles intitulée Le Pixel Noir : photos
et graphisme mêlés autour du film noir, avec une
scénographie construite à l’instar d’une enquête
policière dans laquelle le public se fait détective.
Du 19 au 24 janv
La Gare,
04 90 76 84 38,
www.aveclagare.org
Espace Ecureuil,
04 91 54 01 01
Chilpéric 1er, portrait d’un roi Mérovingien mal aimé :
conférence de Frédéric Armand, auteur du livre
Chilpéric 1er, le roi assassiné deux fois aux éditions
La Louve. Le 17 janvier à 15h dans l’auditorium.
Formation et enseignement des sciences : quelles
réformes pour quels objectifs ? Pierre Arnoux,
chercheur à l’Institut de Mathématiques de Luminy
évoquera les réformes des années 80 et 90 et
analysera les réformes en cours. Le 24 janvier à 15
à l’auditorium.
Marseille-Barcelone : itinéraires
photographiques : cette exposition réunit deux
photographes, Frédéric Celly et Rodolfo Garcia
autour d’un projet commun qui est de saisir les
contrastes de ces deux villes méditerranéennes.
Jusqu’au 3 janvier dans la salle d’exposition.
Les clients en question : exposition proposée dans le
cadre de l’enquête menée par le mouvement Le Nid
sur les clients de la prostitution en 2004. Photos de
Marc Helleboid. Du 6 au 14 janvier dans l’allée
centrale.
BMVR Alcazar,
04 91 55 56 34,
www.bmvr.marseille.fr
Exposition des dessins originaux de Kamel Khélif
(pour L’Algérie, texte de Djilali Djelali, éd. Grandir,
2008) et de Mathilde Chèvre (pour La Maison de
Sabah, éd. Grandir, 2008). Jusqu’au 8 janvier.
Librairie Païdos
04 91 48 31 00
TOULON
Manga : les secrets d’un phénomène :
analyse des codes graphiques et différents genres
seront traités. Jusqu’au 27 déc.
Bibliothèque Municipale
04 94 36 81 20
56
LIVRES
JEUNESSE
Très grands albums pour tout petits !
De très grands livres sont
arrivés dans les librairies,
presque aussi grands
que leurs futurs lecteurs.
Encombrants mais
réjouissants !
Oméga et l’ourse (40x30 cm) présente
l’histoire inquiétante et captivante
d’Oméga, petite fille brune aux grandes
lunettes rondes, qui s’échappe avec une
ourse dans la forêt pour vivre une belle
aventure, qui pourrait mal tourner...
Les illustrations composites de Béatrice
Alemagna sont un mélange de
découpages, de photos, de dessins, de
collages avec de beaux camaïeux de
bruns et de verts ; le texte de Guillaume
Guéraud conte sobrement cette
aventure de séduction, sans estomper le
côté féroce et naturel de l’animal.
Au pays de Titus (28x42 cm) met en
scène un petit garçon de 7 ans qui ne
veut pas parler : il préfère regarder les
adultes dans les yeux et rêver aux
nuages, aux feuilles des arbres, au
mouvement des vagues. Il ne veut pas
se presser, pas obéir. Claudine Galea
joue avec les mots, invente de nouveaux
verbes d’action, détourne les emplois
habituels, créant un langage inventif et
savoureux comme celui des enfants.
Goele Dewanckel, sa complice pour la
3e fois, propose d’immenses peintures
d’une végétation et d’un bestiaire très
colorés, de personnages noirs et
rébarbatifs, et utilise de grands
graphismes rouges et noirs pour dire les
interdictions des adultes.
Deux livres à partager avec les enfants...
s’ils consentent à vous les prêter !
CHRIS BOURGUE
Oméga et l’ourse
Illustrations Béatrice Alemagna
Texte Guillaume Guéraud
éditions du Panama
16 euros
Au pays de Titus
Illustrations Goele Dewancke
Texte Claudine Galea
éditions du Rouergue
22 euros
Livre rose, livre objet
Il est des jours où les livres décident de
s’évader de leur forme première, de
rajouter des trous à leur quatrième de
couverture… de susciter une curiosité
tactile, d’égarer le mode classique de
reliure, de laisser conserver au papier la
continuité de l’histoire, suite
ininterrompue des feuilles, en fait, ici,
une seule, qui peut aussi se transformer
en construction mouvante. Livre à lire,
à toucher, à construire, à regarder aussi,
avec des dessins qui semblent s’être
évadés de tableaux de Chagall.
Qui frappe à la porte dérangeant toutes
les activités de la maisonnée, jeux de
balles, de déguisements, douche, linge à
ranger, cueillette ? Détails loufoques,
cadrages étonnants, traits vagues et
tendres… Hélène Riff dans ce petit
bijou aux teintes pastel raconte pour les
tout petits comme pour les plus grands
les
bouleversements
qu’amène
immanquablement une naissance. Une
petite merveille sensible et tendre, à
mettre entre toutes les mains.
Le tout petit invité
Hélène Riff
Albin Michel Jeunesse,
14,90 euros
MARYVONNE COLOMBANI
Geste domestique
Un matin, tous les gants sautent de la
corde à linge et deviennent Chouette,
Paon ou Cygne. Doigts-Rouges, qui n’a
pas de nom véritable puisqu’il n’a pas
trouvé sa moitié, décide à son tour de
faire le grand saut. Du rideau à la
chemise, de la machine à laver à la
corbeille à linge sale, le pauvre gant
solitaire part en quête de son alter ego,
rencontrant sur son chemin toutes
sortes d’animaux, de drôles d’oiseaux,
qui le houspillent, le chassent, le
regardent de haut. Après un périple
semé d’embûches, sur fonds de
serviettes éponge et de vêtements
colorés, le vaillant Doigts-Rouges
trouvera enfin gant à sa main. Uni à
Pouce-Jaune, il deviendra «le plus beau
Coq du quartier». Une bien jolie
histoire que celle que Mon petit doigt
m’a dit(e).
Et des jeux de mains pas vilains du tout.
Catherine Galodé, l’auteure marseillaise
de ce magnifique album, vient de
l’audiovisuel. Elle s’inspire ici d’un
travail réalisé pour la télévision avec le
plasticien Mario Mariotti. Les mains
peintes d’alors, les ani-mains, sont
devenues des mains gantées. Unies,
zébrées, à pois, en couleurs, elles restent
le signe de la métamorphose de
l’inanimé en vivant animé, et donnent
à cette épopée d’appartement un
caractère inédit et très original, qui
devrait enchanter les enfants… à qui
rien n’interdit d’imaginer d’autres anigants et de leur inventer de nouvelles
aventures.
L’album éclate de couleurs et de
créativité. Et puis, quelle charmante
manière de dire qu’à deux, on est plus
heureux.
FRED ROBERT
Mon petit doigt m’a dit
Catherine Galodé
éd. Alice Jeunesse,
12,90 euros
57
Que philosopher
c’est apprendre à grandir
C’est forte de ce principe que Juliette
Grégoire a créé, il y a un peu plus d’un
an, L’Initiale. Cette nouvelle maison
d’édition marseillaise publie une
collection «philosophique» destinée au
tout jeune public. Même format,
16x16 cm et 24 pages, même prix, 11
euros, soin semblable apporté aux
illustrations, les livrets de la collection
abordent certaines grandes questions
que se posent les petits.
Le premier, La Grande Couverture, dit
la naissance de l’autre, et la nécessité de
l’accepter. Lothar dans le Grand Cycle
traite du deuil et de la souffrance. En
tout, six titres pour permettre aux plus
jeunes de comprendre et de distancier.
Et à leurs parents de formuler plus
aisément, au détour de la lecture.
Parmi ces jolis livres cartonnés, mention
spéciale à Farces et Attrapes. À la
manière des disciples de Socrate, père
et enfant dialoguent. Et à la frénésie
consumériste du papa répondent les
doutes et les agacements de l’enfant.
Bien sûr, on trouve tout au Grand
Magasac, mais est-ce qu’on y trouve le
bonheur ? Là est la question… que le
papa préfère d’ailleurs éluder.
Le texte, violine et fuschia, épouse, sur
fond anis, les superbes illustrations de
Michel Diacoyannis. Collages et assemblages de photos, de papiers colorés, de
pliages, de traits et de dessins, leur
fantaisie poétique fait de ce bref ouvrage
un tremplin pour la réflexion, mais
aussi pour l’émotion esthétique. Bien
attrapé, l’hypermarché!
Farces et Attrapes
illustrations de Michel Diacoyannis
texte de Juliette Grégoire
L’Initiale, 11 euros
F.R.
Apprivoiser la mort
À l’image de son jeune héros,
Guillaume Bianco, dessinateur et
scénariste de Billy Brouillard, semble
doté du «don de trouble vue», celui que
les adultes perdent en tuant l’enfant qui
est en eux, celui qui conduit son crayon
et son histoire sur les sentiers non battus
d’une imagination fantasque. Mais
aborde de front le sujet, trop souvent
tabou aujourd’hui, de la mort.
Dès la couverture, qui reprend la
formule inscrite sur les cadrans solaires
«Vulnerant omnes, ultima necat» et
s’orne d’un bestiaire effrayant, on est
fixé. Dès les premières vignettes aussi :
le chat Tarzan est mort. Billy ne
comprend pas ; au début, il croit même
que l’animal fait semblant. Et lorsqu’il
lui faut bien admettre le fait, alors, il va
chercher à percer le mystère de la mort.
Billy va se mettre en quête de son chat
disparu et affronter les esprits
nocturnes, même les plus terrifiants.
L’album, pourtant, ne se résume pas à la
BD qui retrace -vignettes noir et blanc
arrondies, bien circonscrites, trait
soigné et aigu-, la lutte du garçonnet
contre les images de la mort. Ce qui fait
son charme et son originalité, ce sont
aussi tous les autres éléments qui s’y
intercalent : galerie de portraits macabres, extraits de la Gazette du Bizarre,
fiches techniques sur certaines créatures
surnaturelles, vampires, vermicolles et
autres coléopandres, poèmes fantastiques et miscellanées offrent des échappées
réjouissantes de fantaisie et d’humour
noir.
Ainsi, au fil des pages, qui à partir du
chiffre 13 n’en bougent plus, Billy apprend à composer avec l’irré-médiable,
à dompter ses peurs. Une leçon de
sagesse pleine d’esprit(s).
Cet album inaugure la collection Métamorphose de la maison d’édition
toulonnaise Soleil. Cette collection a
pour but d’éditer des œuvres à michemin entre le roman graphique et
l’album jeunesse. Avec une prédilection
pour le fantastique, mais surtout pour
les œuvres qui abordent par la fiction
des questions philosophiques. Avec
Billy Brouillard, Métamorphose a pris
un bon départ!
FRED ROBERT
Billy Brouillard, le don de trouble vue
Guillaume Bianco
éditions Soleil, collection
Métamorphoses, 22 euros
58
LIVRES
ARTS
Pour gourmands
cinéphiles
Ce n’est pas un coup d’essai pour les
auteurs : ils ont déjà proposé aux
gourmets des recettes inspirées par les
œuvres d’Agatha Christie, ou de la
Comtesse de Ségur… C’est au tour du
cinéaste amateur de bonne chère,
Alfred Hitchcock. L’ouvrage, publié
aux Cahiers du Cinéma, superbement
illustré par des photos des films du
maître ou par les photographies
culinaires de Philippe Asset nous
balade de Londres à la Côte Ouest des
États-Unis, avec quelques escapades
ailleurs. L’occasion de saliver devant le
tajine de la Mamounia de L’Homme qui
en savait trop, ou devant le smorgasbord
du Rideau déchiré. Ceux qui préfèrent
rester en Amérique pourront essayer la
salade new-yorkaise de La Corde, ou le
corn chowder de la Maison du docteur
Edwardes (le maïs n’y était pas
transgénique !). Et les becs sucrés ne
résisteront pas au moelleux Kendall de
La Mort aux Trousses, aux muffins aux
myrtilles (sauvages !) que réussit
divinement Miss Gravely dans Mais
Qui a tué Harry ? ou au birthday-cake
de Cathy, tout rose, des Oiseaux.
«Au moment de choisir le sujet d’un film,
je me sens à peu près dans la même
situation que le gourmet qui doit
composer un menu. On lui présente une
carte où tous les plats le tentent…»
écrivait Hitchcock dans la préface à
L’Homme du Nord-Express de Patricia
Highsmith.
Pour composer leur livre, Anne
Martinetti et François Rivière ont fait
le bon choix de montage : alternant
récit de la vie du cinéaste, anecdotes
croustillantes et 80 recettes retrouvées
au fil des films, sans oublier cocktails et
«soirées», le livre se déguste
savoureusement. La sauce est parfaite !
ANNIE GAVA
La sauce était presque parfaite
Anne Martinetti
et François Rivière
Les Cahiers du cinéma,
29,90 euros
L’art chez soi
Paru aux éditions Flammarion sous la
direction de Nadia Candet, le très bel
ouvrage Collections particulières,
150 commandes privées d’art
contemporain en France se visite
plus qu’il ne se feuillette. Invités à
déambuler dans les lieux de
collectionneurs mécènes français et
notamment à Marseille, vous serez sous
le charme de leurs collections
particulières présentant plus de 150
œuvres d’art contemporain. Parfois in
situ en intérieur ou en extérieur, Buren
côtoie Garouste, Arman, César,
Raynaud, Harring, Faustino ou encore
Lapie. Intimiste, ce beau livre grand
format jouit du concours du
photographe André Morin dont les
remarquables tirages rendent formidablement ces intérieurs confiés au
génie créatif d’artistes de renommée
internationale. Agrémenté d’essais
pertinents sur la commande privée
(historique, droit…) cette publication
rare, la première du genre, a la qualité
de présenter en regard de leurs œuvres
d’art les collectionneurs eux-mêmes,
sous forme de portraits très réussis par
Marie Clérin et Carine Soyer.
FRÉDÉRIC ISOLETTA
La collection Solo, aux
éditions Le Mot et le Reste,
nous dépose au carrefour
de la littérature et de la
musique le temps d’un texte
court, fruit d’une rencontre
marquante avec une chanson,
un album, une pochette
Beatlesmania
Le Rouge et le Bleu ou comment les
chansons des Beatles infusent dans l’existence est tiré de la plume alerte de
Jérôme Attal, lui-même chanteur
auteur compositeur. Cet amoureux
des mots nous livre son ressenti sans
concession autour des deux compilations phares des quatre garçons de
Liverpool. Né en 1970, et bien trop
jeune pour avoir vécu l’effervescence
de la Beatlesmania, il ne nous
emmène pas dans la nostalgie rouge
et bleue. Ce n’est pas une énième biographie, ni une analyse
musicale, juste un lien émotionnel et affectif écrit de manière
habile et subtile, un regard éthéré sur un compagnon de route
musicale qui a accompagné sa jeunesse. Un exercice de style
singulier.
Le rouge et le bleu
Jérôme Attal
Ed. Le Mot et le Reste,
coll Solo, 7 euros
Spooky who ?
Qui connaît donc les Spooky Tooth?
Hélas plus grand monde ! Le mérite
d’avoir ressuscité Spooky two, le second
et meilleur album du groupe de bluesrock outre manche (1969), revient à
Emmanuel Loi. L’intermédiaire à cette
heureuse entreprise ? Les éditions Le
Mot et le Reste et leur collection
Solo. Joli coup avec le blues rock
structuré et psychédélique qui rappellera de vieux souvenirs à ceux qui l’ont
vécu. Essai libre et réussi pour le
romancier qui nous conte sa relation «à vingt piges» avec les
bacs regorgeant de merveilles chez le disquaire du coin. Spooky
Tooth / Two, ce pou qui tousse se déguste sans chichi et peut
donner de bonnes idées aux amoureux du rock.
FRÉDÉRIC ISOLETTA
Collections particulières
dir. Nadia Candet
Flammarion, 65 euros
Spooky Tooth
Emmanuel Loi
Ed. Le Mot et le Reste,
coll Solo, 7 euros
59
Expérience d’écoute
La collection «Solo» publie de petits livres dans lesquels
un auteur décrit les émotions ressenties à l’écoute d’un
disque, d’un musicien, d’un groupe (voir ci contre).
Le dernier opus est signé par un jeune marseillais (né
à Toulon) vivant à Paris.
Jérôme Orsoni, va au-delà de la présentation scolaire
de l’album Standards, enregistré en 2001 par le groupe
«post-rock» Tortoise. Il développe, avec nuances,
l’intérêt historique du dépassement de la structure
couplet/refrain ou de la tendance à la disparition de la
voix dans cette nouvelle esthétique. Il analyse les plages
du disque, comme un musicologue le ferait d’une
sonate classique, interpelle le lecteur en lui faisant
partager l’intimité de son expérience acoustique… A
découvrir !
J.F
Tortoise/Standards
Jérôme Orsoni
Editions Le mot
et le reste,
7 euros
Biographie
Le 22e ouvrage de la série «Mélophiles»
(s’ouvrant «aux grands compositeurs peu
traités par l’édition francophone, voire
méconnus»), s’intéresse à un «classique»
du XXe siècle : Eric Wolfgang
Korngold. Il arrive que l’on cite son
nom à propos de son opéra symboliste
créé en 1920 : Die tote Stadt (La Ville
morte) d’après Bruges-la-morte de
Rodenbach. Mais on sait peu de
choses de cet enfant prodige, né en
1897, qui faisait l’admiration de
Mahler et Strauss, fils d’un critique
musical influent et élève de Zemlinsky.
L’œuvre conséquente de ce Viennois,
juif exilé aux USA (où il composera des
musiques de films), adopte une écriture
complexe malgré un ancrage dans le
post-romantisme tonal… jusqu’à sa
mort en 1957. Son catalogue est ici
décrypté par de judicieuses analyses, au
fil d’un récit chronologique illustré de
photos d‘archives.
Erich Wolfgang Korngold
Nicolas Derny
Éditions Papillon,
16,70 euros
J.F.
I can’t get no…
Voici un livre mythique ! En 1972, Robert Greenfield
suit les Rolling Stones lors de leur tournée
américaine : peut-être le premier grand «Tour» véritablement «pro» de l’ère du rock. A cette époque les
Stones sont «l’attraction mondiale numéro un. Le seul
grand groupe des années soixante encore présent sous sa
forme originelle…» Après le désastre d’Altamont en
1969, la bande à Mick et Keith sillonne à nouveau les
States, déclenche des émeutes de kids, entre des soirées
de débauche, nuits d’alcool et de drogue, et offre miraculeusement des concerts légendaires. Cet ouvrage,
«l’un des meilleurs jamais écrit sur le rock’n roll», épuisé
depuis trente ans, sujet aux rumeurs les plus extravagantes, reparaît en français : brut, psychédélique…!
J.F
S.T.P., à travers
l’Amérique avec
les Rolling Stones
Robert Greenfield
Editions Le Mot
et le Reste,
23 euros
Légende
Voici le premier ouvrage en français sur
la légende du rock Freddie Mercury !
Cette biographie comblera les
aficionados nostalgiques des gigantesques concerts de Queen, de leurs
clips vidéos baroques… et des chansons
mémorables : Bohemian Rhapsody, We
are the champions ou The show must go
on… Le jeune écrivain Selim Rauer a
interrogé les proches, mené une
enquête pointilleuse sur les origines du
chanteur né à Zanzibar en 1946... C’est
que ce «Divo» pop, foudroyé par le Sida
en 1991 (près de trois ans après sa
dernière prestation scénique), avait ses
secrets, ses failles… L’auteur en dévoile
une part, traçant finement le destin
fabuleux d’un jeune Indien parsi, élevé
près de Bombay et répondant au nom
de Farrokh Bulsara!
JACQUES FRESCHEL
Freddie Mercury
Selim Bauer
éditions Fayard,
20,90 euros
60
LIVRES
ESSAIS
Cache Cash, un jeu d’économistes
Connaissez-vous un économiste ? En avez-vous déjà rencontré un ? Non ? Nos deux auteurs,
membres de la confrérie, vous serviront de guide dans un monde fabuleux où analyses saugrenues et grandes questions existentielles se côtoient...
Leur but est évidemment initiatique :
dévoiler les attirances, les préoccupations, les compétences, les appétences de
ces bons esprits qui bouillonnent au
fond de leurs laboratoires d’économistes… Sur un mode amusant ils nous
entraînent, grâce à de lumineux travaux, à reconsidérer notre approche de
sujets triviaux : la monogamie vaut-elle
le coup ? Sans considérer sa justification
morale, sans penser aux bonnes mœurs
ou aux préceptes religieux, mais d’un
simple point de vue de rentabilité ! Et
bien oui, il est plus coûteux (économiquement et socialement) d’avoir plusieurs femmes -ou maris- qu’un seul
partenaire !
Armés de leur crible, les deux compères
se mettent ensuite à examiner l’interdiction de fumer dans les lieux publics
ou à l’école…
Mais même lorsqu’ils naviguent plus
près des questions usuelles de l’économie, ils portent un regard détaché et
ironique sur le problème du réchauffement climatique, ou sur l’inanité des
Sexe, drogue…et économie
Pas de sujet tabou pour les économistes
Alexandre Delaigue,
Stéphane Ménia
Pearson Education France,19 euros
À consulter également,
le site des deux «éconoclastes» :
http://econo.free.fr
prévisions des économistes ! Surtout,
leur morceau de bravoure illustre bien
tout l’intérêt de leur analyse décalée.
Face au créneau libéral, face à tous les
experts pontifiants ou aux politiques
éplorés et menaçants, nos deux héros
pourfendent un thème sacré entre tous
pour la nation : la dette publique. Non
seulement c’est un débat inutile, mais
pire, il est totalement inepte ! Oui, la dette
est utile ; non, l’État n’est pas en faillite
et le considérer comme une entreprise à
rentabiliser est une aberration !
Bien d’autres thèmes jalonnent ce parcours «éconoclaste» et rafraîchissant :
l’OMC et la banque mondiale, qui ne
servent à rien ; les maisons de disques
ou les laboratoires pharmaceutiques,
qui savent profiter de toutes les situations ; le bonheur, et comment l’apprécier… On l’aura compris, nos deux
compères, à la langue vivante et drôle,
nous permettent de porter un autre
regard sur les petits côtés de nos vies !
RENÉ DIAZ
La Belle abandonnée
«Oui, on parle sans arrêt de dégringolade
du quartier. Mais cette dégringolade est
transitoire. Le changement est en cours.
Mais il ne faut pas se tromper, par exemple
en construisant tous azimuts. Ce qu’il
nous faut ici, c’est un vrai projet politique
d’aménagement qui ne se réduise pas à de
la construction immobilière. Si on fait de
ce quartier un lieu-dortoir, il mourra.»
Serge Pizzo, président du CIQ de la
Belle-de-Mai ne mâche pas ses mots.
Et annonce dès la préface, l’objectif du
livre de Marie d’Hombres, D’une Belle
à l’autre : restituer la mémoire d’un
quartier populaire de Marseille, rendre
hommage au lieu et à ses habitants, afin
de lui donner un avenir.
Pour réaliser ce parcours de vie de
migrants, Marie d’Hombres a choisi
de relater l’histoire du 3e arrondissement de Marseille, au fil des récits de
ses habitants. Ceux-ci ont été entendus,
filmés, leur parole a été recueillie
pendant près de 2 ans. De ces multiples
interviews est né le livre, une pièce en 7
actes avec arrêts sur chœur des rumeurs
et épilogue sans concession, où des
«voix fictives largement inspirées de voix et
de personnes réelles» évoquent tour à tour
leur arrivée en France, leur installation
dans le quartier, leurs difficultés et leurs
joies. Cette chronique dramatisée suit
un siècle d’immigration : italienne au
départ, pied-noir dans les années 60,
D’une Belle à l’autre,
Parcours de vie de migrants à Marseille
Marie d’Hombres
Éditions P’tits Papiers,
Association Récits, 15 euros
comorienne et africaine depuis les années
80. Elle retrace aussi quelques moments
dramatiques, comme le bombardement
américain en 1944 ou la fermeture
progressive de toutes les entreprises qui
faisaient vivre le quartier.
La parole est livrée quasi-brute, sans
fioritures. Cette sincérité est touchante,
comme le sont les photographies de
Julien Anselme, qui font un terrible
écho aux documents d’archives. Les
vieilles photos noir et blanc témoignent
de la vitalité du quartier : rues en chantier, ouvriers et artisans au travail ou en
habits du dimanche ; même sur ces
images arrêtées tout cela vit et bouge.
Aujourd’hui, sous le béton écrasant des
piliers de l’autoroute, dans les rues aux
façades cimentées, derrière les portails
entrouverts des usines désaffectées, c’est
un présent de déshérence et de paupérisation qui saute aux yeux.
Raison de plus pour soutenir tous les
acteurs du projet dont ce livre est une
des facettes, afin que se réveille enfin la
Belle endormie.
FRED ROBERT
Ça va
cartonner !
Dans Carton, mobilier / éco-design /
architecture, Olivier Leblois retrace la
fabuleuse histoire de ce matériau.
L’auteur est lui-même architecte et
enseignant à l’École Spéciale d’Architecture de Paris (E.S.A). Spécialisé dans
les projets urbains et les collèges, il a
notamment crée le Fauteuil Carton
intégré aux collections permanentes de
nombreux musées du monde ainsi que
les Tables Basses Carton, Étagères,
Paravent Won…
Au fil des pages son ouvrage permet de
découvrir le carton en tant que matériau, mais également ses possibilités
architecturales et de design. Écologique, économique, modulable à souhait
et léger, le carton peut donc aussi accéder au rang de matériau d’art... Les
années 60 voient émerger des meubles
en carton, en premier lieu aux ÉtatsUnis, puis en France avec un architecte:
Jean-Louis Avril et son fauteuil cylindre de 1966. Puis viennent les années
70 et 80, avec les très médiatisées
productions d’un autre architecte :
Franck Gehry (musée Guggenheim à
Bilbao). De nos jours, en France, le
concept s’est un peu plus démocratisé,
avec notamment l’arrivée en 1993
d’Eric Guiomar et de sa Cie Bleuzen
qui par des formations en ricochet
étend sa technique sur tout le territoire.
Ainsi, l’éco-design, fort à la mode,
semble avoir de longs jours devant lui !
Alors, peut-on s’asseoir dans un fauteuil
en carton ? Pirouette cacahouette…
Assurément oui ! Ce très beau livre
exhaustif aux textes soignés et aux
illustrations pratiques est là pour en
témoigner.
SONIA ISOLETTA
Carton
Mobilier/éco-design/architecture
Olivier Leblois
éd Parenthèses, 32 euros
61
Rap, tulipes et tagazous
«Je suis très très chaude, nous crache Missy
Elliott du poste de Johannes. (…) Missy
éclabousse. Un bain de mousse, une
cambrousse de coton. Je flotte, je bronze.
Son chant bouillant.» Ainsi démarre le
récit, sur fond de R&B au beat «en
plastoc», et de syntaxe syncopée. C’est
Lionel, dit Petit Lion, qui tient cette
chronique adolescente, estivale,
jurassienne et déjantée. Revenu pour
l’été de Besac (Besançon), où il traîne
toute l’année ses guêtres d’étudiant
désabusé, «c’est pas mon truc les études»,
il retrouve avec délices son bled du 3.9.
et ses potes. Ceux de sa sœur Diane, en
fait, des humains pas encore «périmés»,
des lycéens en pleines bouffées
d’adolescence, avec des corps étranges,
qui semblent leur échapper pour vivre
une existence propre. L’une a des
jambes yo-yo, l’autre les cils qui
tombent, le troisième un trou dans
l’épaule. Ces bizarreries transitoires ne
les empêchent pas de vivre l’été
jurassien à plein tube, entre virées en
scooters, expéditions punitives contre
les barbares d’un autre village, soirées
alcoolisées, fêtes municipales et
baignades au lac. C’est l’été, il fait
chaud, les corps éclosent, s’ornent de
tulipes. Le désir s’en mêle. Et, sous l’art
consommé de la glande, sous le
détachement apparent et les expressions
crues, l’émotion affleure, amoureuse,
amicale.
Dans ce premier roman, Pierric Bailly
compose un hymne à l’adolescence
contemporaine, à cet âge qui flotte
entre deux, à tous les niveaux. À travers
son narrateur, il porte sur le groupe de
«tagazous» un regard attendri
(nostalgique ?) et rend à merveille le
«vague des passions» qui les habite et les
fait constamment osciller des pires
conneries aux envolées les plus lyriques.
Le style, élaboré au plus près de la
langue orale, mêle avec bonheur les
registres et donne à cette histoire d’un
été jurassien une dimension universelle,
épique parfois, et toujours poétique.
J.G
Ballard
ou la
vraie vie
Polichinelle
Pierric Bailly
P.O.L., 15 euros
FRED ROBERT
Le fruit des origines
La Pomme est le deuxième volet d’une
trilogie de l’écrivain turc, Enis Batur,
et se situe entre Amer savoir (2003) et
D’autres chemins (2008), textes
autofictionnels qui permettent à
l’écrivain de s’interroger sur la posture
de l’artiste, les relations entre les arts, les
mythes fondateurs, et celles qui
s’établissent avec le «consommateur» de
l’objet artistique. Il emprunte, dans La
Pomme, une écriture kaléidoscope qui
s’efforce, avec un véritable souci
scientifique, à donner une idée de la
réalité de l’histoire de l’extraordinaire
tableau de Courbet, L’origine du
monde. Se démarquant résolument de
la forme romanesque qui invente et
reconstitue la trame des possibles, il
nous livre une écriture lacunaire, à
l’image de ces reconstitutions de
musique antique pour lesquelles seuls
les fragments de manuscrits sont joués.
Ce qui ne l’empêche pas d’inventer des
rencontres que le jeu des probabilités
aurait rendues possibles, comme celle
de Dostoïevski et Khalil Chérif Pacha,
le commanditaire de cette œuvre qui a
attendu plus d’un siècle pour être
exposée. Qui était cet amateur d’art ?
Un excentrique, un joueur invétéré, un
malade, un voyageur instable, un
homme raffiné et subtil hanté par la
mort ? Quelles furent les relations de
l’ambassadeur de l’Empire ottoman à
Paris avec le peintre Courbet, qui paya
ses amitiés révolutionnaires avec
Proudhon, par une peine de prison ?
Pourquoi le peintre s’acharna-t-il à
«croquer» dans sa cellule des pommes ?
Ce fruit obscur, symbole de la
connaissance arrachée à l’arbre, n’est-il
pas aussi celui de notre mort, punition
ultime de l’éveil de notre conscience ?
Pourquoi si peu de représentations du
sexe féminin dans l’histoire de l’art, et
pourquoi tant de pommes sous le
pinceau de Courbet ?
Le texte d’Enis Batur, qui se veut «une
tentative de roman sur les techniques de
tissage», est un diamant aux multiples
facettes dans lesquelles le lecteur
musarde, s’instruit, réfléchit, suit avec
bonheur le romancier dans sa quête,
jusque dans son petit essai sur…
Guillaume Tell ! Encore une histoire de
pomme en fait ! Une «théorie de la
pomme» bien séduisante, d’ailleurs,
n’apprend-on pas, dans cet ouvrage
remarquablement traduit par Ferda
Fidan, qu’en Turc, les verbes «croquer»
et «rêver» sont paronymes… Pomme
des origines, métaphore de l’écrivain,
bonheur du lecteur…
MARYVONNE COLOMBANI
«Nous vivons dans un monde de
simulacres… la relation tissée entre
hommes et femmes de nos jours est une
sorte de roman. Nous vivons nos propres
vies comme des vies légendaires.» Ainsi
parlait le maître, dans un de ses derniers
entretiens.
Les propos de l’écrivain de sciencefiction (mais peut-être faudrait-il dire
de «fiction», tout simplement) sont
particulièrement intéressants. Ils
donnent quelques clefs pour mieux
comprendre un univers particulièrement complexe ; en effet, Ballard
travaille tout autant sur les distorsions
du corps que sur celles, plus classiques
dans la SF, du temps. Le tout dans son
décor préféré, celui de la «suburbia»,
espace indéterminé entre deux villes,
entre deux zones de banlieue. Là il
traque ce qu’il appelle un «néoréalisme», notion pour le moins
paradoxale dans la SF. «Ce n’est
évidemment plus le réalisme au sens où
aurait pu l’entendre quelqu’un comme
Flaubert… la plupart des éléments de
notre vision de la réalité sont en fait fictifs,
ce sont des éléments mythiques réifiés»
explique-t-il. Autrement dit, la SF ne
ferait qu’enregistrer les métamorphoses
internes de notre psyché collective.
Voilà une nouvelle grille de lecture des
œuvres de J.G. Ballard : sûrement la
plus inquiétante.
SYLVIA GOURION
La Pomme
Enis Batur
Traduction Ferda Fidan
Ed. Actes Sud, 21.50 euros
Hautes altitudes
J.G Ballard
Éditions Ère, 18 euros
62
LIVRES
LITTÉRATURE
Un rêve américain
Le neuvième roman de Catherine
Cusset, qui vit à New York depuis 20
ans mais continue d’écrire en français,
retrace le parcours d’Elena. Née en
Bessarabie dans les années 40, orpheline
ballotée de ville en région par les aléas
de l’Histoire, Elena grandit dans la
Roumanie communiste et antisémite
de Ceausescu. Amoureuse de Jacob, elle
l’épouse contre l’avis de ses parents
adoptifs et réalise avec lui son rêve
d’une vie nouvelle au pays de la liberté,
en Amérique.
L’histoire est donc celle d’une femme
déterminée à prendre son destin en
main, d’une Elena devenue Helen,
d’une intégration réussie à force de
Un brillant avenir
Catherine Cusset
éd. Gallimard, 21 euros
travail et d’efforts. Une famille unie,
une situation sociale et professionnelle
enviable, une maison confortable, tout
devrait aller pour le mieux. Ce n’est pas
vraiment le cas. Et c’est sans doute là
que réside la force du roman, dans la
mise en scène de la fêlure, du manque
fondateur de tout exil, et de sa
persistance malgré toutes les réussites
matérielles. Le personnage d’ElenaHelen s’enrichit de cette insatisfaction
profonde qui la caractérise. Et le roman,
des allées et venues entre les époques.
La structure, qui fait alterner le passé
très récent d’Helen avec les étapes de la
vie antérieure d’Elena, étoffe ce qui
n’aurait été sans cela qu’une chronique
Dans la chair des mots
C’est un petit livre, si fin qu’il pourrait
servir de marque-page, si léger qu’il
peut se glisser dans n’importe quel sac,
si lourd de sens qu’il semble vouloir
contenir un univers. Reprenant la quête
du mot qui résume le monde, Florence
Pazzottu se lance dans cette aventure
totalitaire d’une manière originale,
usant des grâces désuètes de l’abécédaire
pour nous conter sa vision de la
création. Le poème, forme allégorique,
émerge lettre à lettre, d’une union
sensuelle et débridée. L’érotisme des
mots qui entrent dans «la densité du
réel», palpite, dans le jaillissement de
semences nouvelles qui interrogent,
jouent avec humour et font enrager le
poète. Nous suivons ainsi les
S’il tranche,
Florence Pazzottu
Editions Amis d’Inventaire-Invention,
6 euros
tribulations cocasses des guillemets qui
se dissimulent sous le texte… C’est à
partir de la lettre U, après un drame que
vous devrez découvrir, que le poème est
mis en scène selon le schéma de
l’épopée. «Alors» scande, anaphore
héroïque, les six dernières lettres,
définissant par le vide des négations la
nature même du poème avant de lui
accorder une ultime définition.
Cet ouvrage poétique oscille ainsi
constamment avec humour entre la
tentation des paroles définitives du
maître et un contrepoint ironique, le
tout enveloppé dans une gangue
verbale où les mots se font chair. À
déguster…
MARYVONNE COLOMBANI
À trente-quatre mains et dix-sept voix
Est-ce un livre, est-ce un disque ? Ce
recueil cultive les deux lectures dans une
approche toute nouvelle, née à
l’occasion du festival littéraire des
Correspondances de Manosque. La
particularité de cet «objet hybride»
comme le souligne Olivier Chaudenson, directeur des Correspondances, repose sur l’union de chanteurs
et d’auteurs contemporains. Dix-sept
chanteurs pour dix-sept auteurs… que
rapprochent des pages biographiques
communes, des textes et un CD.
Chaque texte d’auteur est présenté par
un autre texte, celui de l’interprète qui
explique son choix, son coup de cœur,
sa fascination, pour celui ou celle dont
la langue, le rythme, l’analyse, l’ont
séduit. Cette reconnaissance de
Fantaisie Littéraire
Editions Le bec en l’air 2008
Les Correspondances de ManosqueLa Poste, 18, 50 euros
l’écrivain trouve alors son aboutissement dans le chant, l’appropriation
des mots par la voix, tantôt nue, tantôt
accompagnée, dans cette recréation du
sens par la lecture de l’autre. Le résultat
est à la fois original et intéressant, il
nous fait partager quelques mystères de
la création, nous interrogeant sur les
choix des artistes qui se dévoilent ici,
dans une introspection intime et
littéraire à la fois. Il y a des rencontres,
parfois fulgurantes, «le hasard, comme
le souligne Barbara Carlotti, n’existe
pas»! Des moments forts qui nous
amènent à découvrir de petits bijoux de
la littérature contemporaine… à lire et
à écouter !
M.C.
familiale de plus. On comprend mieux
aussi, au regard du parcours de cette
mère, les projections qu’elle fait subir à
son fils unique Alexandru, pour lequel
elle a tant rêvé d’un brillant avenir. Et
l’aversion qu’elle ressent pour Marie, sa
belle-fille française.
Ce roman vient de recevoir le prix
Goncourt des Lycéens. Sans doute les
adolescents ont-ils été eux aussi
sensibles à l’émouvante histoire
d’amour de Jacob et d’Elena, sur fond
d’une Histoire pas si ancienne mais
souvent méconnue.
FRED ROBERT
63
Méfiez-vous des bébés !
Autant vous prévenir ; une culture
béton est requise pour lire ce bouquin.
Comme la mienne ressemble à de la
confiture, je ne suis pas sûre d’avoir tout
compris… Bon, il s’agit d’un marmot
pas comme les autres. Certes, s’il aime
par-dessus tout le mamelon de sa
maman -voir Mélanie Klein pour les
histoires de bon et de mauvais sein- et
fait copieusement dans ses couches,
pour le reste, il n’a rien d’un bambin.
Doté d’un QI astronomique -autour de
475-, il lit Barthes, Proust ou Fitzgerald,
ce qui peut encore se comprendre, mais
aussi Thucydide et Xénophon dans le
texte ou encore Nietzsche, sans parler
de quelques autres, très connus mais
que je n’ai pas lus. S’ajoute à cette
boulimie livresque, une capacité
identique à rédiger et un mutisme total.
Voilà le phénomène.
Côté affectif, il est un peu plus dans la
norme ; il adore sa maman, qui le lui
rend bien, et déteste son papa -voir
Freud- qu’il a surnommé «le Bouffi». Le
fils prodige –rien à voir donc avec les
évangiles- est enlevé par une
universitaire coincée et mégalomane
qui veut lui disséquer le cortex pour
confirmer ses théories. Commence
alors une succession d’enlèvements
relatée par un bébé attentif et amusé ;
les motivations obscures -voir Satan- de
l’âme humaine donnent lieu à quelques
belles pages de méditations -voir Pascalérudites et truffées de références.
Traduit de l’américain, j’attendrai,
quant à moi, une version en français
courant dûment annotée pour le
conseiller aux lecteurs moyens de
Zibeline. Les autres ne m’ayant pas
attendu pour le lire !
SYLVIA GOURION
Images
sensibles
Glyphe
Percival Everett
traduit de l’américain
par Anne-Laure Tissut
Actes Sud, 21.80 euros
Jusqu’à son dernier souffle
Ce recueil de poésies
amoureuses inédites de Paul
Valéry est une surprise
savoureuse
Voilà le mallarméen Paul Valéry en
disciple pétrarquiste, l’académicien
impassible et cérébral en amoureux
fervent ! À 67 ans, donc, Valéry s’offre
un amour de jeunesse, et pour une
jeunesse, Jeanne Loviton dite Jean
Voilier, à qui il écrit plus d’un millier de
lettres et plus de cent cinquante
poèmes. Leur liaison dure huit ans et
finit avec la guerre, en 1945, lorsque
Jeanne rompt pour se marier avec
Robert Denoël. Alors Valéry relit et
commente une dernière fois ces
poèmes, avec une ironie douloureuse et
tendre, et meurt quelques semaines plus
tard.
Depuis cette relecture, les corona
poétiques se transforment en coronilla
mortuaires, tandis que la «chair vers
l’ombre affreusement recule.» Pour elle, il
a retrouvé et décliné toutes les formes
du lyrisme -sonnet, odes, ballades,
chansons-, il a pastiché Ronsard ou
Racine, Baudelaire ou Nerval. Pourtant,
ce florilège n’a rien d’un exercice de style
érudit. L’amant caresse ce corps féminin
épanoui et déjà absent comme il aspire
à la plénitude de ces formes poétiques
déjà disparues, dans une même
euphorie un peu mélancolique pour
une perfection intouchable. Les poèmes
sont vibrants de désirs, d’un érotisme
ardent, ils ont la sincérité de quelqu‘un
qui se dénude, le mysticisme de celui
qui croit en l’âme comme une forme
féminine et sensuelle de l’esprit.
Mais ils nous rappellent aussi que les
jeux de l’amour sont indissociables des
jeux poétiques, que nos passions les plus
intimes se vivent parce qu’elles se
projettent et se formulent dans des
fictions sans âge, et que nos désirs les
plus profonds se disent avec les mots des
autres.
Depuis 1987 l’association Autres &
Pareils de Martigues a réalisé une
centaine d’expositions, de manifestations culturelles, de publications et
coédite une revue avec les éditions Le
Bleu du Ciel. Brigitte Palaggi vit,
travaille et pratique l’art photographique à Martigues depuis 1976.
Quatre numéros de la revue sont réunis
sous le titre Parmi d’autres possibles
présentant un choix de clichés qui
couvrent une période de 30 ans.
Photos en noir et blanc aux gris multiples et raffinés, parfois proches des lavis
avec des fondus dans lesquels on peut se
perdre, surtout lorsque l’image montre
le ciel ou l’eau et les mélange tant que
l’on ne sait plus ce que l’on voit du réel
ou de son reflet, des bords du Rhône
ou des nuages. Les photos ne suivent
aucun ordre chronologique ou géographique et l’on est parfois amusés par des
rapprochements incongrus ou métaphoriques : certains voisinages laissent
rêveurs comme celui d’une belle paire
de fesses au grain parfait face aux vallonnements ondoyants d’un paysage
florentin ! D’autres sujets sont dérisoires: étendages, rideaux de dentelles,
chaises de jardin rouillées, bancs de
pierre sous les arbres, moisissures...
Brigitte Palaggi est attentive au travail
du temps, à l’effritement, à la rouille, et
nous offre des images sensibles, souvent
émouvantes. Peu de personnages,
quelques vieilles et des enfants,
quelques corps nus et discrets. Une vie,
accompagnée de textes d’auteurs amis.
CHRIS BOURGUE
Corona & Coronilla
Paul Valéry
Editions de Fallois, 22 euros
AUDE FANLO
Parmi d’autres possibles
éditions Le Bleu du Ciel, 20 euros
http://autresetpareils.free.fr
64
LIVRES
PHILOSOPHIE
À vos amours
Nous renouons avec
la question pourquoi ?,
titre de la jolie collection
des éditions Aléas
Que tous les titres de cette collection se
proposent de commencer par la question
pourquoi a de quoi déconcerter : la
poser, n’est-ce pas réactualiser l’énigme
des causes finales qui nous épargne de
comprendre et nous fait fuir la bonne
question, qu’est-ce que ? À quoi bon se
demander «pourquoi vivre» si nous ne
savons pas ce qu’est la vie ? C’est le
privilège de la philosophie de poser des
questions déroutantes et, comme l’écrit
Vladimir Biaggi dans l’avant-propos de
chacun des volumes de cette collection,
le «pourquoi» recouvre la «grâce de ces
questions infantiles dont la gravité et la
radicalité déstabilise et fait chanceler
l’évidence de ce qui s’impose de fait par
l’épaisseur de l’habitude et le poids de
l’opinion».
Pourquoi aimer de André Simha est
certainement la question la plus bête de
cette collection ! Et d’ailleurs l’auteur
l’avoue : nous aimons pour des raisons
obscures et indiscernables ; et puis on
n’a pas le choix d’aimer ou pas ! On
serait presque poussé à refermer le livre
à ce stade, comme s’il s’agissait d’une
bonne blague mais… Pourquoi n’est pas
forcement une interrogation sur les
causes mais sur le sens. Dans un langage
kantien, on peut dire que cette affaire
du pourquoi n’est plus celle de l’entendement qui va chercher les causes, mais
celle de la raison qui, dans ses envolées
existentielles, se pose des questions qui
la dépassent. (pas clair ? il fallait lire la
double page sur Kant de septembre !).
Se poser la question du «pourquoi
j’aime» revient donc à se demander : ça
fait quoi à ma vie, qu’y-a-t-il en moi qui
se modifie ? Suis-je dans une quête de
liberté ou d’aliénation par l’assouvissement sexuel, ou (purement ?) intellectuel
et platonique ? De plus «pourquoi
aimer» est de la même nature que
«pourquoi vivre», or «la raison n’a pas à
choisir de vivre mais de s’interroger sur la
meilleure manière de vivre». La question
du pourquoi n’est donc pas ici une
recherche des causes premières, mais
des effets (pour quoi) : l’affaire introductive et justificative étant réglée, on
peut continuer la lecture !
Passion de joie
La richesse et l’érudition de ce livre ne
quitte pas le fil directeur spinoziste :
l’amour est une passion de joie, et donc
une action ; son sens est l’épanouissement de notre puissance d’exister. S’il
nous diminue, que nous souffrons, c’est
que nous désirons dans le premier genre
de connaissance : celui où l’on vit dans
l’ignorance des causes qui agissent sur
nous, celui où nous sommes objet et non
sujet, où nous vivotons intellectuellement sans chercher à nous connaître
ni à comprendre le monde. Alors le
désir est souffrance, il est désir parce que
nous manquons : «mémoire et imagination creusent le réel pour le confronter à
une figure qualifiée de complète»… mais
illusoire.
Sautons cent pages et interprétons : de
cette ignorance peut surgir le masochisme ; car pourquoi aimer c’est aussi
pourquoi haïr, pourquoi faire mal :
peut-être parce que «marqués du signe
de Caïn les hommes ne cessent de manier
des signes qui répètent la violence
primitive».
Et terminons sur des réponses à cette
question : pourquoi aime-t-on puisque
l’amour qui naît du désir s’éteint avec
sa satisfaction ? Voie platonicienne : le
désir amoureux n’étant qu’une étape
dans l’ascension vers l’amour de la pure
beauté, l’amour doit se séparer du désir
et le transcender. Voie don juanesque
ou communiste : il faut dissocier l’amour
et la possession, donc renoncer à la
propriété privée de l’outil de production du désir ; le désir pur refuse
toute concession ou repentir ; il est
social et non plus exclusif !
Libre interprétation et (re)belle lecture!
Pourquoi aimer
André Simha
Ed Aleas, coll Pourquoi ?
12 euros
RÉGIS VLACHOS
Pèlerinage au musée
La charge de Bernard Deloche dans
ce très amusant exemplaire de pourquoi
ne va certes pas nous dégouter d’aller au
musée ; c’est un pamphlet subtil et
éclectique au titre éloquent : Pourquoi
(ne pas) aller au musée ? commence par
une attaque en règle de la réalité
muséale, suivie d’une défense par un
comparse dans l’autre moitié de
l’ouvrage. Bernard Deloche ne néglige aucune des pistes qui le poussent
en tant que philosophe et muséologue
(à l’apostasie inspirée !), à ne plus aller
au musée ; de bien belles pages sur l’oxymore incarnée qu’est le musée, glorifié
comme lieu du plaisir désintéressé, de
la délectation, et du grouillement populaire… alors qu’il reproduit l’ordre
social existant de par sa fréquentation
qui reste, par delà les discours républicanisant-démocratisant gnan gnan,
essentiellement celle de catégories
sociales privilégiées.
Le comparse François Mairesse
marchera sur des œufs pour nous
convaincre d’aller au musée, bien
conscient de la stricte composante
d’habitus social des motivations de ce
pèlerinage intellectuel. Forme de
rhétorique bien plus distanciée.
Intéressants moments sur le rapport
problématique avec la société capitaliste: le musée est-il lieu d’accumulation
de valeurs, la muséographie reproduisant en ce siècle les allées d’Ikéa, ou
bien reste-t-il le fascinant réceptacle
d’objets vrais présentant le curieux
privilège de leur inaliénabilité ? Un rare
lieu de calme et d’ennui sans
sollicitation marchande ? Comment
glander intelligemment, c’est vrai ça…
R.V.
Pourquoi (ne pas) aller au musée ?
Bernard Deloche,
François Mairesse
Ed Aleas, coll Pourquoi,
12 euros
65
La démocratie tue aussi
Comment le mensonge peut-il se substituer à la vérité de manière édifiante pour
produire des effets de coercition spectaculaires ? C’est tout l’objet de «la
propagande médiatique en démocratie», sous-titre de la somme de Chomsky et
Herman La fabrication du consentement. Quand la réalité dépasse l’impensable,
investigation empirique sur le concept de vérité…
Propagande de mort
Premier principe, la concentration capitalistique des médias : le marché réussit
là où les États totalitaires sont échoué ;
stratégie sans stratège terriblement efficace. Pourquoi une propagande est-elle
nécessaire dans une société développée
et libre ? S’en étonner revient à oublier
les deux soubassements ténébreux de
nos sociétés démocratiques : la nécessité
de maintenir l’ordre social, ainsi que la
sauvegarde d’un système capitaliste qui
ne va pas de soi.
Rosa Luxembourg le disait : si les gens
savaient, le régime capitaliste ne tiendrait pas 24 heures !
Il faut donc discréditer toute autre
forme d’alternative à ce système, et tous
les moyens sont bons. Y compris les
génocides. Cambodge 1973 : «Les
tapis de bombes des B-52 ciblaient les
zones les plus peuplées du Cambodge…
des centaines de km2 de terres fertiles à
forte densité de population» ; c’est la phase
I du génocide, occultée, on ne retiendra
que la phase II, celle de Pol Pot, guère
plus meurtrière. La destruction du Sud
Vietnam par bombardement avant
l’invasion terrestre : 150 000 morts…
Les victimes sont «indignes d’intérêt» et
on n’en parle pas : tout se résume au
combat du monde libre contre le
communisme… et aujourd’hui contre
le terrorisme : un million d’enfant
irakiens sont morts des conséquences
de l’intervention.
Manipuler la presse
Chomsky et Edward Herman analysent la manipulation étatique de la
presse dans la trame infiniment serrée
des dispositifs du pouvoir. Les mensonges les plus grossiers y ont plus de
valeur de vérité que les faits même : c’est
toute la définition de l’aliénation que
proposait Castoriadis : «Le sujet est
dominé par un imaginaire vécu comme
plus réel que le réel, quoique non su
comme tel.» Dans La fabrication du
consentement l’horreur des massacres se
conjugue à l’horreur de leur occultation
par la presse. Combat politique pour la
vérité alors que constatait Jacques
Bouveresse : «Les penseurs comme Chomsky
estiment que la meilleure défense contre le
mensonge, en particulier le mensonge
politique, est, pour commencer, une
connaissance précise des faits concernés ; et
on peut dire que celle qu’il se donne la
peine d’acquérir est tout simplement
impressionnante.» (Peut-on ne pas croire,
Agone, p 157).
Le moindre éclat de vérité est sous
condition politique disait Foucault ; et
celle de la presse, au premier chef, prise
qu’elle est, en sa foi naïve en une objectivité possible, dans les rapports de force
des intérêts économiques de ses propriétaires et des intérêts de la nation.
Les vérités de Chomsky, plus étayées
que celles de ses détracteurs, sont elles
aussi politiques et le revendiquent :
pour des médias indépendants, condition absolue pour vivre dans une société
réellement démocratique… et pacifique!
RÉGIS VLACHOS
Pour le répondant français
des analyses de Chomsky, on conseille
vivement les dossiers noirs
chez Agone - http://survie.org/
-Les-Dossiers-Noirs-.html
La Fabrication du consentement
De la propagande en démocratie
Noam Chomsky – Edward Herman
Ed. Agone, coll Contre-Feux,
28 euros
^
C’est un conseiller militaire présent au
Vietnam qui parle : «Ce qui séduisait
dans le mouvement révolutionnaire, c’est
qu’il représentait une nouvelle forme de
société, au sein de laquelle prendrait place
une nouvelle redistribution des valeurs, et
notamment du pouvoir, du statut de
chacun, aussi bien que des biens
matériels.» «Cette description et ce qu’elle
implique fut intégralement soustraite à la
vue de l’opinion américaine», et
Chomsky de poursuivre rappelant
l’insupportable réalité de l’histoire :
«Une fois les accords de paix définitivement dans l’impasse, les États-Unis et
leur régime client entamèrent leur œuvre
de répression internationale, massacrant
des dizaines de milliers de personnes…»
Cette somme de Chomsky est une
analyse méticuleuse des interventions
étasuniennes en Amérique centrale
(Salvador, Guatemala, Nicaragua) et
Asie (Vietnam, Laos, Cambodge), et de
ses répercussions dans les médias américains. Plus d’un million de morts en
Asie sur la période 1965-1975, 200000
en Amérique centrale du seul fait de
l’intervention nord américaine : aucune
trace dans les journaux du même
continent. C’est tout le fonctionnement de la propagande au sein d’une
société démocratique et capitaliste qui
est ici analysé.
66
PHILOSOPHIE
ÉCHANGE ET DIFFUSION DES SAVOIRS
La salle des délibérations du Conseil Général était
comme d’habitude bondée pour ces soirées d’échange
et diffusion des savoirs qui s’articulent cette saison
sur le thème de la violence. Elle accueillait le 4 décembre
Marcel Gauchet, célèbre auteur du Désenchantement
du monde. Le philosophe construit son œuvre
autour des rapports problématiques que notre modernité
entretient avec un passé fait de religion et de valeurs
qui ne se laissent pas facilement oublier.
Mais cette soirée, intitulée Sur l’effondrement du sens
des savoirs, nous réserva de multiples surprises…
Un sentiment étrange surgit dès les premiers mots de l’orateur : est-ce Marcel
Gauchet, ou alors Luc Ferry, Comte
Sponville ou Finkielkraut qui parle ?
«De bons esprits parlent de notion de
violence symbolique et je connais trop le
sens de la violence réelle pour la prendre
vraiment au sérieux.» Précisons que la
violence symbolique est un concept
sociologique rigoureux : il qualifie un
pouvoir non explicite qui parvient à
imposer des significations et à les rendre
légitimes, en dissimulant les rapports de
force qui le rendent effectif : hommes/
femmes ; privilégiés/non privilégiés;
possédants/salariés.
En bref, mettre en cause la violence
symbolique, et ce sans aucune explication, c’est d’emblée accréditer la thèse
d’une société pacifiée et de consensus ;
c’est-à-dire nier ce que même les
milliardaires américains admettent1. Il
aurait pour le moins fallu que l’orateur
s’en explique.
Mettons en abîme, et constatons une
première forme de violence symbolique, inhérente à l’exercice : celle de
l’orateur qui impose des idées dans une
auto-légitimation qui n’a pas à s’expliquer. Il y a toujours des relations de
pouvoir dans les interstices du champ
social, et par-là même violence ; on ne
peut y échapper mais encore faut-il les
mettre au jour, les révéler pour les
atténuer. Ici, il faut bien qu’il y ait des
conférences où l’un parle et les autres
écoutent ; mais le rôle de l’intellectuel
n’est-il pas d’en être conscient et de
tendre à en diminuer les effets par l’explicitation honnête de concepts pour le
moins polémiques ?
L’orateur poursuit : «S’il y a un domaine
où cette notion de violence symbolique
Violence
symbolique,
peut avoir une certaine pertinence, c’est
celui de l’expérience que nous faisons
aujourd’hui de l’histoire… ce à quoi nous
participons sans le contrôler.» Cette
violence, poursuit-il, est d’autant plus
forte que nous y participons sans la
comprendre, et donc qu’elle s’impose à
nous. Ce qui est la définition exacte de
l’aliénation : participer à un processus
qui s’impose violemment à nous sans
que nous en soyons conscient.
Implicites servitudes
aliénation
ou crise du
sens ?
Le concept est assez lourd pour que l’on s’y attarde, ce que ne
fait pas l’orateur… N’a t-on pas droit a un exemple de cette
violence symbolique de l’histoire dont il nous parle ? En fait,
l’implicite est un des traits de la violence symbolique ; on
suppose admises des valeurs par l’autre sans les expliciter, ce
qui évite d’être compris… et contredit ! Risquons un exemple
d’aliénation : les salariés non imposables admettent souvent
comme acquis le discours non explicité de la nécessité de
baisser les impôts…
Par-delà la forme, l’aliénation soulève un vrai problème philosophique : est-il sûr que celui qui y est soumis y participe?
Dans ce cadre nous sommes dans la servitude volontaire.
Même si, précisera Gauchet, l’aliénation est un concept
hégélien qui signifie le mouvement de l’esprit hors de lui afin de se remplir de déterminations- et qui ensuite retourne
à un soi qui n’est plus le même.
Mais est-ce bien la même aliénation que redéfinit Castoriadis
dans L’institution imaginaire de la société ? «L’aliénation c’est le
discours de l’autre ; le sujet est dominé par un imaginaire vécu
comme plus réel que le réel.» Il est crucial que de savoir si
vraiment le sujet est impliqué dans les processus d’aliénatio;
en quoi le salarié participe-t-il à la production de l’idéologie
dominante à laquelle il souscrit et qui lui fait pourtant
violence ? Une vraie précision à mener, qui aurait amené au
67
cœur du débat, mais le terrain du réel n’était pas celui de la soirée…
Cette expérience de l’aliénation historique, poursuit Gauchet, met à l’épreuve notre
intelligibilité du monde et participe à notre impuissance. C’est toute la définition
de la liberté sans pouvoir des modernes. Et le seul sens possible de la liberté est
«le gouvernement du monde en commun» ; qu’est-ce à dire ? On ne le saura pas.
En tout cas l’auteur poursuit sur la liberté : «Il n’y a rien de plus désespérant que
l’activisme sans but et la protestation sans proposition qui achève de certifier notre
impuissance. Très bien pour l’anticapitalisme, mais que met-on à la place ?». Voilà
comment Gauchet disqualifie d’un geste ceux qui expliquent le fonctionnement
violent du système capitaliste, et affirment qu’un autre monde est possible. Souvent
les penseurs dénigrent les explorateurs du réel…
Que propose donc Gauchet qui soit moins «désespérant» ? «Nous avons à apprendre
à agir historiquement par un réarmement intellectuel.» Belle formule de philosophe,
mais belle contradiction dans l’agir lorsqu’on écrit que ce monde est le seul
possible; ce qu’il confirme dans son dernier ouvrage, tout aussi abstrait, qui évacue
tout rapport au réel et au social, affirmant que «nous n’avons plus que du même
devant nous» (La révolution moderne p18).
En fait, lors de son intervention, aucun des termes clé sur lesquels il s’appuie n’est
défini : liberté, aliénation, violence symbolique, histoire, révolution restent dans le
flou…
Acculturation et dolorisme
Passons à l’éducation, sujet central de la conférence : «L’éducation offre un concentré
des mutations de notre condition historique, elle montre la radicalisation du mouvement
de la modernité.» Ce qui signifie, pour le philosophe, que l’éducation révèle le
problème de la culture et du savoir dans nos sociétés, qui est la tendance à la déculturation, c’est-à-dire la crise du sens des savoirs. Ceci se remarque exemplairement
dans l’école où, au travers des réformes, les savoirs doivent de plus en plus justifier
leur utilité, ce qui se renforce avec la généralisation des choix optionnels.
C’est le problème de fond pour Gauchet, qui n’entrera pas dans le champ politique,
mot qu’il ne prononcera jamais dans sa conférence. Or, ce sont les pensées réactionnaires qui ciblent une crise sur la question des valeurs sans considérer le
problème politique : ici la libéralisation du système éducatif, la mise en concurrence
et la ghettoïsation des établissements scolaires, le bac à deux vitesses, le recul de
l’offre en matière d’éducation publique… ne seront jamais évoqués.
Pour Gauchet cette crise du sens et des savoirs a pour cause ce phénomène
positif de détraditionnalisation qui commence au XVIIIe siècle
lorsque la raison l’emporte sur l’autorité de la tradition ; aujourd’hui
nous assistons à l’expression radicale et négative qu’a pris cette
détraditionnalisation puisqu’on ne se soumet plus à l’ordre hérité
du passé : «C’est la première fois dans l’histoire où pour nous il n’existe
plus que du passé mort et muet.» La connaissance dès lors prend un
nouveau statut, elle n’a plus qu’une signification individuelle et
actuelle. Avant la crise que nous connaissons le passé bénéficiait
d’une force qui n’avait pas besoin d’être justifiée. Ainsi cette acculturation produit des êtres qui ne savent pas qui ils sont.
On pourra s’interroger longtemps sur ce que l’auteur entend par
cette crise des valeurs, attendre longtemps des exemples précis de
cette déculturation, cette désintellectualisation ; et même s’il
certifiera par la suite ne pas être nostalgique de ce passé où les individus avaient plus de repères, il affirmera que la tradition doit être
réinventée. On se demande ce que peut être une tradition réinventée. Par
quel miracle conceptuel une tradition qui a une force aliénante et inconsciente peut-elle disparaître ? Ce qui est inconscient ne s’efface pas…
Contradictions
Mais alors, demandera-t-on au philosophe, d’où tirez-vous que les gens sont
aujourd’hui plus déculturés, plus désintellectualisés qu’avant ? Tout montre,
démocratisation ou massification du système scolaire aidant, que
les générations sont plus instruites aujourd’hui qu’hier.
Je voulais dire que les individus ont moins de repère
identificateurs qu’avant, répond-il. Pourtant le
constat de crise du sens semblait aller audelà…
Une autre remarque dans la salle : l’âge d’or de la culture européenne a produit les
plus grands crimes de masse, ceux du XXe siècle. Réponse ahurissante de Gauchet:
«il faut en finir avec ce dolorisme de notre expérience historique proche, qui nous
trompe sur la réalité de ce que nous vivons ; et si nous avions une meilleure appréciation
de ce qui s’est passé dans ce siècle, nous aurions une meilleure perspective des difficultés
nouvelles qui se présentent à nous.» «Et je n’ai pas attendu Sarkozy pour dire cela»
précisera-t-il.
En fait, au Conseil Général ce soir-là, nous avons vécu un grand moment de synthèse de ce qui se passe aujourd’hui dans la philosophie. Tout tend à :
-cibler la crise de l’éducation sur un problème de valeurs
-dénoncer toute pratique contestataire de la liberté au profit d’abstractions qui la
situent dans un ailleurs métaphysique, paralysant et inoffensif
-restaurer l’histoire dans une dynamique coercitive qui s’oppose au désordre de
l’identité contemporaine
-critiquer l’histoire qui vise à révéler les crimes des démocraties afin de conjurer
le dolorisme
-défendre une histoire prescriptive plutôt qu’une histoire-vérité, en escamotant
la question sociale qui risque de renforcer la lucidité et donc le dolorisme quant à
la réalité de nos démocraties…
En bref, on assiste à une décomplexion totale de la pensée qui concourt à renforcer
l’ordre dominant et ses injustices !
Foucault, vite !
RÉGIS VLACHOS
i
Warren Buffett, l’homme le plus riche du monde, ami de Bill Gates,
actionnaire de Coca-Cola et soutien de Barak Obama lors de la dernière campagne
a déclaré : «Il y a une lutte des classes aux États-Unis, c’est un fait, mais c’est ma classe,
la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner.»
Marcel Gauchet
© J. Sassier
68
HISTOIRE ET PATRIMOINE
MUSÉE DÉPARTEMENTAL DE L’ARLES ANTIQUE
L’antiquité voyage
Les richesses du Louvre sortent ; pour
certaines il s’agit de la première fois
depuis la fondation du musée en 1793 !
Oklahoma, Seattle, Indianapolis… L’antiquité se fait
star, et part en tournée. L’Amérique, plus gâtée que
l’Europe, larges contributions financières obligent, a
bénéficié, dans le cadre des échanges internationaux
conduits par le Louvre, de la venue de
l’exceptionnelle exposition concoctée par Cécile
Giroire et Daniel Roger, conservateurs au
département des antiquités Grecques, Etrusques et
Romaines du Musée du Louvre.
De l’esclave à l’empereur ; L’art romain dans les
collections du Louvre : cette remarquable manifestation est liée à la réinstallation des salles romaines
du Louvre, dans une perspective muséographique
actualisée. L’organisation des éléments de
l’exposition correspond à celle qui est prévue pour la
nouvelle structure du musée parisien, dont les
visiteurs ont ainsi un avant-goût.
Puis la section 3 présentera la maison, riche de
décors raffinés et élégants, quand elle se nomme
«domus» et appartient à un «dominus» fortuné qui
peut présenter à ses invités une luxueuse vaisselle
d’apparat. En opposition à cette image de paix, la
section 4 expose le thème de l’armée, la force de
Rome qui s’affirmera par ses conquêtes, maîtresse
du monde antique. La partie nommée «esclaves et
étrangers», ensuite, permet de mettre en lumière
les notions d’«otium» et de «negotium», le loisir et les
affaires, le premier favorisant les arts, le second, le
travail agricole, l’activité au service de l’état.
La religion succèdera à cette approche de la société
romaine, répartie entre domaine public avec les dieux
du panthéon officiel, et privé, chaque domus
sacrifiant aux dieux domestiques… Des cultes
orientaux arrivent à Rome, comme celui d’Isis ou de
Mithra, et trouvent leur place sans heurts. La section
VII est consacrée aux rites funéraires qui trahissent
tant d’éléments de la pensée spirituelle des peuples
pour l’archéologue ou l’historien.
Une chance rare !
Une grande variété d’œuvres
Les Provençaux, chance unique en Europe, auront la
possibilité de visiter cette exposition, du 20
décembre 2008 au 3 mai 2009. En effet, Arles
est la seule ville européenne choisie pour l’accueillir,
et ce grâce au partenariat entre le Musée
Départemental de l’Arles Antique et le Musée du
Louvre, sous l’égide du Conseil Général 13. Bien sûr,
la capacité d’accueil, quoique importante, ne peut
rivaliser avec celle des instituts américains et 150
pièces au lieu des 180 seront présentées. Cependant
nous aurons le privilège de contempler des œuvres
qui trop souvent attendent dans les réserves, et
même des chefs-d’œuvre plus connus qui parlent à
nos souvenirs d’écoliers…
Cette remarquable exposition joue sur une palette
d’une exceptionnelle variété de supports, statue
de 2m24 de ce citoyen en toge, ou celle si réduite et
fine de Mars (20,6cm), terres cuites, vaisselle
d’argent et de verre, bijoux, mosaïques, fresques, bas
reliefs, comme celui que tout le monde a croisé
dans ses livres, avec ce nom si incroyable de
«suovetaurile»!, en fait sacrifice de trois animaux
mâles, un porc, un mouton et un taureau dans le but
de purifier la terre….
Imaginez la précision et la délicatesse de la mise en
place de ces œuvres, déballées une à une avant de
trouver sa place dans l’intelligente organisation de ce
musée qui voyage…
Un parcours didactique
Selon les principes mis en œuvre habituellement
dans le Musée d’Arles, les pièces de la collection
suivent un itinéraire qui présente un panorama de la
vie à Rome, de l’esclave au plus haut sommet de la
hiérarchie sociale, l’empereur. Présentation qui ne se
veut pas exhaustive, mais suggestive. C’est pourquoi
l’écart chronologique est assez large, de la fin du Ier
siècle avant notre ère (-27, Octave devient Auguste,
même s’il ne prend pas le titre d’Empereur, mais
seulement de «princeps senatus») jusqu’au Ve de
notre ère (Romulus Augustule abdiqua devant Odoacre
en 476. Curieuse ironie du sort qui donne au dernier
empereur de Rome le nom de son fondateur !).
Le parcours thématique articulé en sept sections
nous conduira de la section consacrée à l’empereur,
ses pouvoirs et une galerie de portraits de la dynastie
Julio-Claudienne à celle des citoyens, qui se
décline en devoirs publics, et une représentation
particulière des femmes et des enfants, en opposition
à tous ceux qui, dans la Rome antique n’avaient pas
accès à la citoyenneté.
Portrait de Livie de Neuilly-le-Réal; Musée du Louvre, Br28
© 2006 Musée du Louvre et AFA/ Daniel Lebée et Carine Deambrosis
On vous dira que d’exceptionnelles mesures de
sécurité ont été prises, qu’un argent fou a été investi
dans le transport, la réfection, la restauration de
certaines pièces : tout ceci participe au caractère
unique de cette entreprise.
Réjouissons-nous plutôt de la chance qui nous est
offerte de fréquenter ainsi une période qui n’a pas
fini de nous éblouir et de nous enseigner. Laissonsnous transporter par les accents de la Muse de la
rhétorique, Polymnie aux chants multiples, qui clôt le
parcours. Gracieusement pensive, elle nous
interroge. De toute cette richesse, saurons-nous
retirer la quintessence ?
MARYVONNE COLOMBANI
De l’esclave à l’Empereur
L’art romain dans les collections du musée du Louvre
Du 20 déc au 3 mai
Musée départemental de l’Arles Antique
04 90 18 88 88
www.arles-antique.cg13.fr
Scenes dionysiaques, Musée du Louvre, P28 © 2006 Musée du Louvre et AFA/ Anne Chauvet
PENSÉE DE MIDI
Efflorescence des
discours
de haine
HISTOIRE ET PATRIMOINE
Amara Lakhous © X-D.R.
Le 2 décembre, avait lieu, à l’Institut Culturel Italien de Marseille,
une rencontre programmée dans le cadre de l’année européenne
du dialogue interculturel sur le thème des désirs de guerre
et espoirs de paix.
Étaient rassemblés, autour de la table
qu’animait Thierry Fabre, Amara
Lakhous, écrivain et anthropologue,
Biancamaria Bruno, linguiste et essayiste, Daniel Lindenberg, historien
des idées, universitaire et journaliste.
Poursuivant la thématique esquissée
au travers de la dernière livraison de
la Pensée de midi (voir Zib 13),
Thierry Fabre a sollicité la réaction de
ses invités à propos de l’efflorescence
du discours guerrier dans toutes les
strates de la société mondialisée.
Amara Lakhous a fait remarquer
combien il fallait prendre garde car
les mots précèdent souvent la violence sur les corps. Évoquant ces
discours de haine, il a rappelé les
écrits orduriers d’Oriana Fallaci sur
les musulmans italiens, comparés à
des rats. Fondamentalement, cette
pensée habille de noblesse les
préjugés populaires qu’elle érige en
références suprêmes. Mais, poursuit
notre intervenant, la détestation du
musulman, consécutive au 11 septembre, s’inscrit dans un cycle : ce fut
d’abord le marocain des années 40,
violeur, puis l’Albanais voleur des
années 90, pour en arriver aux gitans
(les tziganes roumains). La peur de
l’autre est une permanence sur
laquelle vient se greffer le discours
guerrier.
Biancamaria Bruno s’insurge aussi
contre les brûlots de la «Fallaci». Pas
question, pour elle, qu’un intellectuel
oublie son statut et déraille !
Attristée et désappointée, elle lâche
un constat bien funeste : l’Italie est
un pays pauvre et ignorant ! Confinés
au rôle d’experts auprès des médias,
les intellectuels se bornent au commentaire. Ils abandonnent leur rôle
d’agitateurs culturels, de producteurs
d’analyses et d’idées nouvelles! Cette
absence de réflexion permet à des
mouvements racistes et xénophobes comme la Ligue du Nord- de répandre
et faire progresser ces thèses dans
toute l’Italie. Pire, les promoteurs de
ces exclusions ethniques mobilisent
les couches populaires, les quartiers
ouvriers et développent une politique
du «campanile» (de clocher) qui
rejette les étrangers !
Dans le domaine des idées, Daniel
69
Lindenberg rappelle qu’en France les
traumatismes du 11 septembre et de
la présence de Le Pen au deuxième
tour de la présidentielle, ont été l’occasion d’une mutation du discours. Là
aussi, le préjugé devient le vrai, dans
un processus de «retour au réel» qui
rappelle le discours vichyste. Appuyé
sur des constats simplistes et faussés,
le discours alors transgresse les
tabous : racisme, misogynie, homophobie prennent place dans l’espace
public ! Ce triomphe discursif ne
bénéficie pas pour autant à l’extrême
droite : c’est le président actuel, avec
son ministère de l’identité nationale
et de l’immigration, avec sa politique
de préférence nationale déguisée, qui
en récolte les fruits. Ces idées
nauséeuses se diffusent : ni le personnel politique, ni les intellectuels
ne sont épargnés, y compris à
gauche!
Thierry Fabre élargit les considérations à l’Europe et Daniel Lindenberg
fait remarquer combien la déferlante
néo-conservatrice submergeait l’horizon intellectuel du vieux continent :
une pensée régressive triomphe en
Europe. Les vieilles idées du XIXe
siècle sont réactivées pour décrire
nos sociétés : la criminalité est
évoquée comme un problème génétique, ou encore l’anti-darwinisme, si
présent aux États-Unis, gagne du
terrain...
L’enjeu désormais est d’endiguer le
reflux de la pensée progressiste, le
triomphe de cette pensée antiLumières qui refuse l’universel
comme catégorie de pensée. Refus
qui ne peut qu’amener à un choc
des civilisations…
RENÉ DIAZ
Les Rencontres de La Pensée de Midi
ont eu lieu les 24 nov à l’IEP d’Aix,
le 2 déc à L’ICI de Marseille,
le 3 déc à la Fac de droit de Toulon
70
SCIENCES ET TECHNIQUES
SCIENCES ET CITOYENNETÉ
Les
para-orthodoxes
du progrès
20 novembre 2008. Le citoyen Zibernéthique est sollicité.
La question de la responsabilité civile interroge l’humain et son histoire
sur ses pratiques collectives ; le matin dans le questionnement philosophique, éthique et politique, l’après-midi dans l’engagement
et la pratique militante immédiate
Le matin à l’Hôtel de Région, ouverture à 9h30 du
6e Forum Sciences et citoyenneté sous la présidence du philosophe Pierre Le Coz, vice-président
du Comité National d’Ethique.
À 14h00, manifestation tout aussi citoyenne pour
la défense de l’Éducation Nationale et de la Recherche Scientifique Publique…
Six ans déjà que la région PACA organise une journée annuelle de réflexion sur le rapport des citoyens
avec la connaissance technologique et ses implications sociétales, aussi bien en tant qu’opérateurs,
qu’usagers. L’année dernière le forum intitulé Les
horizons du Savoir s’interrogeait sur les rapports
complexes entre Sciences, raison, et déraisons. La
crise a obscurci les horizons lointains et questionne
désormais l’odyssée du savoir en ce qu’il annoncerait la régression de l’humanité, ses Charybde et
Scylla, plutôt que l’idéal de son Ithaque.
Les paradoxes du progrès, ainsi se prénomme le
forum 2008. Un paradoxe allant «à l’encontre de
l’opinion généralement admise» que le progrès serait
© Tonkin prod.
«la progression de l’humanité vers un terme idéal…
vers le mieux». Le discours introductif de Michel
Vauzelle, aux accents lyriques, usait de mots si peu
usités dans la novlangue libérale qu’il réveillait
parfois agréablement chez l’antique lutteur des
réminiscences de saintes victoires contre cyclopes
et autre Circé ! «Injustice», «capitalisme effréné»,
«concurrence inhumaine», «misère morale», «exploitation»… Et aux détours des dunes du verbe, le
voyageur pouvait parfois même se ressourcer à la fraîcheur des mots de «liberté», «conscience», «raison»,
«démocratie»… Peut-être encore manquait-il au
tournant des mots l’oasis d’une «révolution» ?
Progrès mal-gré
Le progressisme dans toutes les acceptions du concept a profondément marqué le XXe siècle, pour
devenir une quasi-religion en sa fin. De l’Union
Soviétique censée se développer sur la base du
«matérialisme scientifique historique» jusqu’à
«l’Union Rationaliste» qui tente toujours de
lutter contre la pensée magique et l’illusion ésotérique, le progrès de l’humanité est le phare
d’Alexandrie. Mais comment orienter le navire progressiste de la science sur un repère en perpétuel
mouvement ?
Comme l’indiquait Hélène Langevin-Joliot, Directrice
de Recherche Honoraire au CNRS, présidente de
l’Union Rationaliste, lors de sa remarquable intervention intitulée «Où est passée la raison ?», qui dit
progrès dit mouvement historique de la connaissance. Et qui dit mouvement dit imprévisibilité
absolue de sa direction ! Poser une raison préalable
progressiste aux progrès revient donc à établir un
dogmatisme du développement de la connaissance.
Ce dogmatisme s’oppose au libre mouvement qu’il se
targue de canaliser et d’orienter.
Car le mouvement de la connaissance est, comme
le dirait Camus, condamné à l’absolue liberté. Le
scientifique est Ulysse, fils naturel de Sisyphe progressant sur la pente de son propre savoir et portant un
rocher de connaissance qui tend éternellement à
lui échapper. Le capitalisme a huilé la pente, le mythe
du progrès scientifique glisse, la pierre philosophale écrase la tête de Sisyphe et Ulysse, désespéré,
renonce à son odyssée universelle.
Faut-il pour autant envisager le progrès comme un
mythe ?
Quoi qu’il arrive, il y a foisonnement des pratiques humaines et c’est l’analyse a posteriori de
certains développements pratiques qui constitue ce
qu’on a coutume d’appeler progrès.
Par exemple la mécanique quantique marque un
«progrès» dans les pratiques instrumentales de la
physique dans un certain domaine d’application,
celui des ordres de grandeur de la constante de
Planck. Le «progrès» ne se vérifie que dans le
développement du champ des pratiques expérimentales (appareillages, manipulations...), sa
multiplication, sa complexification. Il n’y a de
«valeur» à ce progrès que celui que l’on veut bien
y lire philosophiquement, idéologiquement ou
moralement l’instant d’après, lorsqu’on le transcrit,
lorsqu’on le commente ou qu’on le nomme.
Subversion des pratiques
Des débats du forum, le mot de pratique est
étrangement absent. On parle de prospectives, de
données empiriques, de représentations, de nanoobjets. Car, comme l’indiquait Christopher Lasch
dans son remarquable ouvrage Le Moi assiégé
(Climats éditions), la société technologique libérale
réifie le progrès scientifique : la connaissance
devient un objet presque étranger à l’humain, qui
n’est concerné ni en tant que sujet désirant, ni en
tant qu’individu citoyen.
Ainsi la maîtrise pratique du monde se transforme,
et se réduit à une utilisation subjective d’objets
irrationnels produits par le monde. L’univers n’est
plus le réel engendré par les pratiques humaines
mais une connaissance extérieure, consommée
intrinsèquement. La société médiatique transforme
les acteurs du monde, y compris les scientifiques,
en spectateurs des objets consommables de ce
monde.
Cette objectivation des pratiques ne serait-elle pas
corrélative à la mise en doute de la réalité du
progrès ? Et si le progrès n’était justement rien
d’autre que le développement de la complexité des
pratiques sociales ? Et si la science c’était seulement la liberté d’Ulysse de guider sa voile où sa
pratique du vent marin le mène ? Et si la création
c’était seulement la liberté de Sisyphe de choisir
comment il pousse son rocher ?
Sans doute faut-il sortir du spectacle des choses
pour se réapproprier concrètement la pratique de
nos connaissances. Peut-être à nouveau pourraiton se remettre à rêver que le progrès progresse ;
que pierre qui roule n’amasse pas mousse mais va
plus vite, plus loin, plus longtemps ; que demain
sera plus riche en diversité des pratiques. Que
demain je pourrai être un Sisyphe heureux et
qu’Ulysse, mon fils naturel, continuera l’Odyssée de
la connaissance humaine. Alors seulement nous
pourrons mourir vivants et heureux.
YVES BERCHADSKY
Au programme
71
La réalité dépasse
l’affliction
Gageure d’appeler au BOYCOTT d’une
pseudo «manifestation scientifique»
sans jamais la citer. Car le paradoxe
du journalisme est que de parler de
cette foireuse exposition de Marseille
serait encore faire publicité à son
abjection sociale, humaine et politique. Notre triste ville est une des
seules de France à avoir accepté
d’héberger cette déjection spectaculaire entre nécrophilie et voyeurisme,
réprouvée par le Comité National
d’Ethique. Ce soir, après la roue de la
fortune… un paf obscène est à la une,
chantait Ferrat. Ce matin, Marseille,
future capitale européenne de la
culture, propose à 15 euros le peepshow de cadavres chinois : c’est moins
cher, moins procédurier et disponible
dans la force de l’âge grâce à une
espérance de vie qui épargne de n’enterrer que des vieillards ! Les cadavres
polymérisés prennent la pose et s’exposent aux regards, sous couvert de
découverte de l’anatomie ! D’ailleurs
Zibelecteur, mon ami, pour tes enfants
de moins de… trois ans, la série X est
gratuite ! Image lamentable, amère
de Marseille.
Pour tout renseignement complémentaire, consultez l’article de Pierre
Le Coz vice-président du Comité
Consultatif National d’Ethique. Et
voyez les réactions de nos Zibulons
traînés à cette expo (page 77) !
http://www.lemonde.fr/web/
imprimer_element/
0,40-0,50-1126341,0.html
Un bol d’air
et d’eau fraîche
Heureusement notre beau Museum
d’Histoire Naturelle de Marseille
lave à l’eau claire les souillures de
notre cité en nous proposant, depuis
le 18 oct jusqu’au 4 janv, l’exposition
Durance : la rivière en partage. Réalisée par le Musée des Civilisations
de l’Europe et de la Méditerranée
[MuCEM], dans le cadre du Plan
Durance Multi-Usages, cette exposition itinérante sur l’eau et ses
usages dans la Vallée de la Durance
commence son parcours en PACA par
le Muséum de Marseille et le Palais
Longchamp, site emblématique lié à
l’eau. Remodelée au gré des besoins,
la Durance, tantôt visible, tantôt
invisible, est une rivière aux visages
multiples : axe de circulation et de
communication, réservoir d’eau pour
l’alimentation des villes et des terres
agricoles, source d’énergie hydraulique et industrielle, espace de loisir.
Dénaturée, diminuée à des fins d’usages à l’équilibre fragile, elle n’en reste
pas moins une rivière, capable de
générer des crues dévastatrices et
porteuse de milieux naturels dont la
réhabilitation et la protection constituent aujourd’hui un enjeu majeur.
Outil de sensibilisation et de questionnement, ce projet est le fruit d’une
collaboration de nombreux acteurs de
la rivière, parmi lesquels EDF, l’Agence
de l’Eau Rhône-Méditerranée et Corse,
la Ville de Marseille et son Muséum
d’histoire naturelle.
http://www.museummarseille.org/marseille
_exposition_temporaire.htm
Fêtes et défaites ?
Dans le cadre d’une animation de
culture scientifique, les Sentiers de
la Connaissance, la ville d’Allauch
nous propose à l’issue d’une période
éprouvante pour les systèmes digestif,
cardiovasculaire et parfois nerveux,
une conférence animée par PierreHenri Rolland (Faculté de Médecine
de Marseille, Université d’Aix-Marseille 2): la bouffe et nos artères, le
20 janv à 20h, Espace Robert Ollive à
Allauch en entrée libre. Nous devrions
tout apprendre sur les pathologies
des vaisseaux sanguins qui constituent la seconde source des dépenses
de santé dans les pays occidentaux,
comme le montre un rapport récent
de l’OMS. Notre alimentation a été
souvent mise en cause dans ces
pathologies et les conseils abondent
dans ce secteur. Ce spécialiste de la
physiologie du système sanguin peut
certainement nous aider à voir clair
dans l’impact que peut avoir notre
alimentation sur notre santé.
Maison du Tourisme Louis Ardissone
04 91 10 49 20
[email protected]
72
ÉDUCATION
ORCHESTRE FRANÇAIS DES JEUNES | AVERROÈS JUNIOR
À la baguette !
Qui est l’Autre ?
Depuis sa création en 1982 par le
Ministère de la Culture, l’Orchestre
Français des Jeunes offre la possibilité de vivre une expérience unique
à de jeunes interprètes des Conservatoires Supérieurs de Musique: faire
partie d’un grand orchestre symphonique dirigé par un grand chef et
parfaire ainsi leur formation, et leur
connaissance du répertoire, par un
travail collectif qui demande concentration et discipline. Chaque année
une centaine d’étudiants, sélectionnés
sur audition, peuvent se former au
métier de musicien d’orchestre.
De très grands chefs se sont succédé
à la direction des jeunes instrumentistes. Depuis cet été, la baguette est
L'OFJ en répet avec Dennis Russell Davies © X-D.R
confiée à l’américain Dennis Russell
Davies dont le répertoire va du baroque au contemporain et
le parcours de Saint Paul et New York à Stuttgart, Bonn,
Vienne, Salzbourg et Paris !
Deux sessions ont lieu chaque année, l’une en été, l’autre en
hiver. Première étape : préparation par pupitres par des
professeurs eux-même musiciens dans les plus grands
orchestres ; actuellement ce sont Renaud Déjardin,
violoncelliste (révélation de l’Adami en 2000), David Walter,
hautbois, interprète et transcripteur de talent, et JeanJacques Justafré, cor, musicien contemporain et jazzman.
Ensuite travail avec le chef. Puis tournée en France et en
Europe, occasion précieuse et recherchée de voyager et de
découvrir d’autres musiciens, d’autres publics.
Pour la 2e année consécutive, la résidence de l’OFJ est abritée
par le Grand Théâtre de Provence dont les qualités
acoustiques et techniques sont appréciées... comme sans
doute les charmes de la vie aixoise !
Voilà une question que peuvent se poser
les collégiens après les projections des films
du dispositif Averroès junior... Mais ils ont déjà
trouvé des ébauches de réponses !
CHRIS BOURGUE
Simon et Léa ont 20 ans, respectivement contrebassiste
etaltiste.Tous2sontenchantésparl’expérience.L’orchestre?
ils adorent : «C’est très stimulant ! On découvre les œuvres
en les décortiquant puisque d’abord on travaille par pupitre,
puis le groupe s’agrandit peu à peu. C’est une formation de
très bon niveau qui permet de faire de jolis voyages !».
L’OFJ propose aussi des actions dans les établissements
scolaires : Musique et Histoire autour de la 8e symphonie
de Chostakovitch, composée en 43 pendant le siège de
Stalingrad. Mais ils font aussi des concerts de Musique
de Chambre dans des Centres de soins palliatifs, des
maisons d’Arrêt ou de retraite... Occasions de belles
rencontres qui remportent un franc succès !
Concert au GTP
le 23 décembre
(voir p.33)
Les films ont été choisis par Delphine
Camolli de l’association Tilt. Les
primaires ont eu droit au magnifique
Azur et Asmar de Michel Ocelot et un
programme de 3 films courts a été
proposé aux collégiens de 6e et 5e.
Des Courts métrages
dépaysants
Le premier Court, de Hany Tamba,
est libanais. Beyrouth After Shave
présente un vieux barbier ambulant,
bavard et généreux, appelé un jour
auprès de Monsieur Raymond qui vit
reclus et taciturne dans sa demeure
cossue depuis la mort de sa femme.
De grands portraits de la disparue
trônent partout et son fantôme
apparaît souvent pour parler avec son
mari, ce que les enfants ont eu un peu
de mal à comprendre : «Elle est pas
morte, on la voit !», occasion
d’expliquer la vivacité de l’amour et du
souvenir.
Petite lumière, film sénégalais de Alain
Gomis, met en scène une fillette qui
se pose des questions sur la réalité des
choses et des gens. Une façon de vivre
sa vie : «C’est moi la reine !» et d’ignorer
les autres. Les enfants ont trouvé son
comportement bizarre et auraient
voulu savoir «la fin». Mais les
expériences sensorielles n’en ont pas !
Le dernier : La Résidence Ylang-ylang
de Hachimiya Ahamada est un film
franco-comorien qui faisait partie de la
Sélection Semaine de la Critique à
Cannes cette année. Il est tourné aux
Comores. Djibril prend soin de la
maison de son frère qui vit à l’étranger.
Pendant ce temps un incendie détruit
sa case. Heureusement que la
solidarité joue et qu’on l’aide à
reconstruire. Ce film met en lumière
les problèmes de l’émigration : ceux
qui sont partis ne reviennent pas
toujours et ceux qui restent n’ont pas
les moyens de vivre décemment. Par
exemple ils se procurent l’électricité en
pratiquant des branchements interdits
et dangereux : c’est ainsi que les cases
brûlent ! Ce phénomène a beaucoup
intéressé les élèves dont quelques-uns
étaient d’ailleurs d’origine comorienne.
Les films ont été suivis d’un débat avec
Salim Hatubou, écrivain et conteur,
né en Grande-Comore, arrivé à l’âge de
dix ans dans les quartiers Nord de
Marseille. Il effectue un travail de
recherches sur la tradition orale et les
contes de son enfance au cours de
séjours réguliers aux Comores. Les
Contes de ma grand-mère, son premier
ouvrage, date de 1994 et il en a une
dizaine à son actif maintenant. Il anime
des ateliers d’écriture, notamment
dans les établissements en zones
sensibles. Il rappelle qu’il y a 80 000
comoriens à Marseille et que la culture
comorienne provient d’un brassage
Beyrouth after shave de Hany Tamba
73
Azur et Asmar de Michel Ocelot
entre les cultures africaine, musulmane, malgache... Il parle
de l’importance de l’éducation et de son projet de Maisons
de l’Enfance pour accueillir les enfants dans les villages et
créer du lien social.
Il évoque son amie Hachimiya Ahamada, née en France
en 1976, qui a découvert à 21 ans le pays d’origine de ses
parents : l’Archipel des Comores et a choisi d’orienter son
travail de mémoire sur les thèmes de l’exil et du
déracinement. Après avoir réalisé plusieurs documentaires,
La Résidence Ylang Ylang est son premier court-métrage de
fiction en 35mm. D’autres collaborations se feront
certainement entre les deux créateurs.
Des Longs métrages qui questionnent
Deux films ont été proposés qui mettent en lumière la
ressemblance des adolescents au-delà des frontières dans
leurs centres d’intérêt, leurs aspirations de liberté par
rapport au monde qu’on leur impose ! Ce sont le film iranien
de Jafar Panahi, Hors-jeu, et un film français réalisé par
Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, à partir de sa
BD, Persépolis, dont le succès fut fulgurant.
Hors-jeu, Ours d’argent au Festival de Berlin 2006, a été
projeté dans l’amphithéâtre du collège Edgard Quinet
(Marseille) devant deux classes de 3ème. Leur attention et
leur intérêt ont été exemplaires. Le thème de départ était
d’un abord facile puisqu’il s’agissait de foot ! Mais les
développements étaient sujets à de nombreuses questions
que ne manqueraient de poser les collégiens.
De quoi s’agit-il ?Simplement de filles qui veulent assister en
fraude au match de qualification de l’Iran contre le Bahreïn
le 8 mai 2005. Pourquoi en fraude ? Parce que la République
Azur et Asmar de Michel Ocelot
islamiste interdit aux filles d’assister à un match de foot !
Prétexte ? La promiscuité avec des hommes grossiers (ça
jure, les hommes !) n’est pas bonne pour elles ! Alors elles
essaient de se faire passer pour des garçons et ça ne
marche pas à tous les coups, loin s’en faut ! Elles se
retrouvent sous la surveillance de jeunes appelés qui
préfèreraient garder leurs vaches et elles leur donnent du fil
à retordre ! Inénarrable scène dans les toilettes évidemment
pas prévues pour des filles, dialogues surréalistes ! Les
scènes au stade ont été tournées le jour du match et donc
le réalisateur ne savait pas comment finirait son film ! Fort,
non ? Jafar Panahi voulait être au plus près de la réalité, c’est
pour cela qu’il n’a tourné qu’avec des non-professionnels. À
la fin, l’Iran gagne, c’est l’allégresse, et tout le monde se
retrouve à danser dans la rue au milieu des embouteillages
et des klaxons !
Les questions ont évidemment porté sur l’absence de liberté
des filles, l’autorité paternelle et militaire, la ségrégation
sexiste. Shadi Salam, musicienne et danseuse iranienne
d’origine kurde, et Maryam Chemirani, chanteuse francoiranienne, ont expliqué que 10% seulement de la population
était véritablement extrémiste et que le foot était pour les
femmes une façon de lutter pour leur liberté. Elles ont dit
aussi que le foulard n’était pas le problème le plus important
et qu’il y avait des façons de le porter avec négligence :
Shadi en a fait la démonstration. La richesse de la culture
perse a été évoquée et les deux jeunes femmes ont affirmé
leur espoir et leur confiance dans le changement de la
société. La séance s’est terminée en musique. Shadi a joué
de son sétâr, instrument à quatre cordes de la famille du
luth, puis d’un tambourin garni de pièces métalliques au son
extraordinaire, et Maryam a chanté une mélodie qu’elle a
ensuite traduite. Grand moment d’émotion ! Le principal du
collège a remercié l’EspaceCulture et les deux artistes pour
ce moment d’exception dans un collège en «Zone Sensible».
Shadi Salam participait également à la projection Persépolis
duquel. Primé à Cannes en 2007 nos lecteurs en ont
certainement entendu davantage parler !
CHRIS BOURGUE
Hors-jeu
à Portde-Bouc
C’est la 1re année
que Port-de-Bouc
participe à l’opération
grâce à l’enthousiasme
et l’énergie de la
nouvelle responsable
de son cinéma Le
Mélies, Geneviève
Houssay
Zibeline : Comment l’idée vous estelle venue ?
Geneviève Houssay : J’ai été
contactée par l’Espaceculture et je
voulais travailler avec la Médiathèque
qui fait un gros boulot d’initiatives
culturelles. Il y a une sorte de solidarité
entre les associations culturelles, et
pas d’argent. Port-de-Bouc est une
ville un peu oubliée ! Les enseignants
des établissements sont aussi très
motivés.
Quelle est la population scolaire et
comment a-t-elle réagi ?
La population est très métissée avec
des gitans et des magrhébins, et les
établissements font partie du dispositif
Ambition Réussite. Les élèves ont été
très attentifs, ce qu’ils voyaient les
renvoyait à leur propre culture. Ils
ont accroché au film et à la musique,
certains ont chanté avec Shadi.
C’était important aussi d’être dans une
vraie salle de cinéma, avec une autre
ambiance et un autre confort !
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CHRIS BOURGUE
74
ÉDUCATION
ALTERNATIVES POSITIVES | PICASSO MÉTAMORPHOSES
La
lumière
des
peuples
racines
© Agnès Mellon
L’association L’Alternative Positive vient d’organiser un
festival d’actualité, Entre tradition et modernité, dans le
cadre de la 11e semaine de la Solidarité Internationale. Créée
en 2005, l’association veut mettre en avant les initiatives qui
cherchent à construire un avenir plus harmonieux. Contes,
expositions de photos, de peintures, documentaires sur les
jeunes roumains, les sociétés tribales ou des guérisseurs
chamanes ont ouvert des horizons méconnus. Les difficultés
des Masaïs, qui, dépossédés de leurs terres ont du mal à
garder leur mode de vie pastoral, ont été expliquées par
Xavier Peron. Parallèlement une conteuse et un danseur
masaï, Anuang’a Fernando (voir page 21), ont témoigné
de la richesse de leurs traditions.
L’association n’a pas oublié de s’intéresser aux traditions
marseillaises en projetant le documentaire Paroles de la
Plaine de Pascal Boyadjian qui fait revivre la mémoire du
quartier avec témoignages des anciens et images d’archives.
Puis Éric Julien a captivé le public en racontant sa
rencontre avec les Indiens des Hauts Plateaux colombiens,
les Kogis, héritiers des traditions précolombiennes. Ceux-ci
l’ont soigné et sauvé d’un œdème pulmonaire il y a 22 ans.
Pour les remercier Éric Julien a créé une association qui
rachète des terres pour ces populations dépossédées. À ce
jour ce sont près de 2000 hectares que les Kogis ont
retrouvés et qu’ils ont pu réinvestir en reconstruisant des
lieux de prière par exemple. Peu à peu ils reconstituent leur
paysage et retrouvent leurs traditions : les hommes tissent
les végétaux, cousent les vêtements de la tribu, quant aux
femmes elles fabriquent des objets, notamment des sacs
aux motifs symboliques précis.
Fort de ses contacts répétés avec les Kogis, Éric Julien a
décidé de créer en France une École de la Nature et des
Savoirs. Depuis peu ce lieu de recherche et de formation
accueille des individus ou des groupes désireux de réfléchir
aux principes de développement durable et de les
expérimenter. Des stages, des séminaires sont proposés.
L’École, créée sous le patronage de Jean-Marie Pelt et
Edgard Morin, accueille les participants dans les hautes
vallées du Diois, après une heure de marche, histoire de se
mettre en jambes et dans l’esprit du lieu, un bâti ancien sur
4 ha de terres. Il s’agira d’«interroger nos pratiques et nos
représentations à la lumière des savoirs des peuples
racines» comme le dit Eric Julien.
CHRIS BOURGUE
Alternative Positive
www.alternative-positive.org
Ecole de la Nature et des Savoirs
www.ecolenaturesavoirs.com
Sous le
signe de
Picasso
Dès le 6 janvier, le musée Granet, à
Aix-en-Provence, présentera un
parcours multimédia axé sur
l’œuvre de Picasso, prélude à l’exposition estivale Picasso Cézanne.
Intitulé Picasso, Métamorphoses ce
parcours donnera des clés de lecture
sur le procédé de création de Picasso,
ses affinités avec Cézanne. Enfants et
adultes seront plongés au cœur du
processus créatif, immergés dans un
environnement d’images et de sons
sur lesquels ils pourront intervenir
grâce à des capteurs en se promenant
dans une forêt de tiges interactives au
rythme des étapes de la vie artistique
de Picasso.
L’objectif est de toucher 15 000
scolaires ! 300 projets ont été validés
par l’Académie et les classes recevront
une valise pédagogique, 100 classes
de primaires pourront visiter le
château de Vauvenargues, des
ateliers seront proposés… dans la
limite des créneaux disponibles ! Les
travaux d’élèves seront exposés lors
de la manifestation C’est sud
organisée toutes les années par la ville
d’Aix. Zibeline ne manquera pas de
suivre tout cela de près, en donnant la
parole aux élèves…
CHRIS BOURGUE
Picasso Métamorphoses
du 6 janvier au 15 décembre 2009
PRIX LYCÉEN DU LIVRE PACA
ÉDUCATION
75
Rencontrer l’écriture
L’auditoire était attentif et les questions pertinentes ! Le premier forum du Prix
littéraire des Lycéens PACA 2009 a ménagé ses bonnes surprises en Avignon,
au Théâtre du Chêne Noir, dès le mercredi 3 déc
Rencontres en live
Le Chêne Noir a accueilli les lycéens
de l’Académie Aix-Marseille avec croissants et café pour parler des livres des
auteurs présents pour ce premier
forum de l’année.
De quoi s’agit-il ? D’un prix littéraire
décerné par environ 500 lycéens et
apprentis à l’issue d’une année de
lectures d’auteurs contemporains et
vivants, et de rencontres avec ces
auteurs en chair et en os au cours de
deux forums (un pour chacune des
académies de la Région). Fin mai, les
lycéens voteront et éliront leurs champions, occasion d’une grande fête avec
présentation de travaux d’élèves et
distribution des prix.
Le projet a été lancé par la Région et
l’Agence Régionale du Livre (ARL) et est
en fonction depuis cinq ans. Chaque
établissement travaille en partenariat
avec une bibliothèque et une librairie.
Des visites d’imprimeries, d’artisans du
livre, des rencontres d’éditeur sont organisées afin que les différents métiers
du livre soient approchés.
Questions/réponses
Onze délégations de lycéens et apprentis se sont installées dans la salle
de spectacle : lycées d’Aix-en-Provence,
Brignoles, Gardanne, La Ciotat, Manosque, Marseille, Martigues, Sisteron et
CFA d’Avignon. Pascal Jourdana ouvre
la séance en donnant quelques conseils
pour la prise de dialogue : «Parlez sans
honte et dites ce que vous pensez !»
Amara Lakhous est interrogé sur la
façon dont il se moque avec humour
du racisme dans son livre déjà célèbre
Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio, best-seller 2006 en
Italie (voir Zib 8). Dans ce roman, des
gens d’origine et de cultures très diverses
vivent dans un quartier très populaire
de Rome et se rencontrent... dans un
ascenseur: «Lemécanisme du racisme
me laisse perplexe parce qu’on banalise
les événements. Il ne faut pas prendre
les racistes au sérieux. L’ascenseur est
le personnage principal, c’est un lieu
dans lequel les gens sont obligés de se
rencontrer, c’est une métaphore !»
D’origine kabyle et algérienne, l’auteur,
qui vient d’obtenir la nationalité italienne (voir page 69), est l’exemple même,
pour les jeunes, du brassage des
origines et des cultures.
Duog Thu Huong, née au Viet-Nam
en 1947, engagée dans la guerre contre
les Américains puis contre le régime
corrompu de Hanoï, militante pour les
Droits de l’Homme, a été assignée à
résidence surveillée durant 10 ans et
vit exilée en France depuis 2006. Les
Français, dont Danièle Mitterrand, se
sont battus pour sa libération. Dans
Itinéraire d’enfance, roman en partie
autobiographique, elle retrace la traversée du Vietnam pour rejoindre son
père de la jeune Bê, en compagnie de
son amie, à la fin des années 50, occasion de croiser toutes sortes de gens
du monde paysan, du petit peuple et
de montrer la rigueur du régime. Ce
roman de facture très classique a
semblé un peu long aux adolescents à
cause des descriptions. «Oui il est lent,
assume-t-elle. Le peuple vietnamien est
paysan et cela influence le style. Je suis
combattante professionnelle et
écrivaine dilettante !»
Originaire de Toulon et ancien travailleur à l’Arsenal maritime, Christian
Astolfi a lui aussi été interrogé sur la
partie «vécue» de son roman Les tambours de pierre : «Je vole des réalités et
je les recompose avec la fiction, je
traduis un univers, une ambiance.» Ainsi
le narrateur, médecin, est-il un «restaurateur de mémoire» qui retrouve des
souvenirs personnels en essayant de
soigner un malade d’Alzheimer. Il reconstitue ainsi des fragments de
mémoire, la vie des ouvriers des
chantiers navals, atteints de la maladie
de l’amiante, le souvenir d’un amour
perdu. Ouvrage plein de nostalgie pour
un passé qui ressurgit par bribes.
Amara Lakhous
éd. Actes Sud 18 euros
Christian
Astolfi
éd. La chambre
d’échos
14 euros
Zeina Abirached
éd. Cambourakis 20 euros
Duong Thu
Huong
éd. Sabine
Wespieser
24 euros
Efix-Levaray
éd. Petit à petit –
12,90 euros
Du côté des vignettes
Zeina Abirached, jeune libanaise, frappe un grand coup
avec Le jeu des hirondelles. On est tout de suite happé par
le dessin noir et blanc, au graphisme rigoureux qui donne
vie au décor de la pièce-refuge et à ses habitants. Beyrouth
1984, la ligne de démarcation surveillée par des francstireurs coupe la ville en deux. La petite Zeina a 3 ans et
attend ses parents avec les voisins qui viennent dans cette
pièce dès qu’il y a une alerte, galerie de portraits attachants
et émouvants.
Le dernier livre a deux auteurs : Jean-Pierre Levaray pour
le texte adapté de son premier livre Putain d’usine et Efix
pour le dessin. C’est l’éditeur qui les a présentés. Tous deux
ont connu le monde ouvrier, et le premier y est encore.
Questions sur le langage cru, grossier qui a surpris quelques
profs et élèves. Mais c’est la réalité de ce monde ! «Je voulais
écrire un livre politique, c’est le cri de l’ouvrier. Si j’étais
infirmier, j’aurais écrit Putain d’hôpital !». Efix a fait des essais
en couleurs, mais très vite le noir et blanc avec les gris
dégradés au crayon s’est imposé avec les silhouettes noires
en contre-jour.
Pour finir, les lycéens ont posé des questions d’ordre
général: quels conseils donner à un jeune écrivain
débutant? Quand trouvez-vous votre titre ? Avez-vous des
influences ? Tous les auteurs ont répondu avec application…
que tout commence par la lecture !
CHRIS BOURGUE
76
EDUCATION
LATERNA MAGICA | ZIBULONS
Jouer, créer : la belle vie !
Malgré les mouvements de grève lycéens, passés
sous silence d’ailleurs dans la plupart des médias,
Ce ne sont pas moins de 7 ateliers, d’environ une quinzaine
nos Zibulons sont sortis, et ont écrit, entre deux
de participants chaque fois, qui ont ainsi été proposés par
l’Association Fotokino et la 5e édition de Laterna Magica manifestations et blocages contre la réforme des
Grands et Petits ont pu s’approprier les proprier le récit et l’héroïne après avoir lycées qui se met en place dans la précipitation,
mystères des images et jouer les ap- pris connaissance des diverses inter- le flou le plus complet, et le mépris le plus total
prentis-sorciers avec feutres, ciseaux... prétations fixes ou animées, de
et beaucoup d’imagination ! Le but : nombre d’artistes. À leur tour les parti- des avis des enseignants. Nous remercions donc
jouer avec l’Art et se faire plaisir...
cipants ont travaillé avec des papiers doublement nos Zibulons pour leurs contributions…
À partir de son livre Méli-Mêlons (éd.
Seuil), Séverin Millet a proposé la
réalisation d’un Pêle-Mêle. Chaque
participant devait dessiner au feutre
son portrait en pied en 3 parties : la
tête, le tronc, les jambes. À la fin de la
séance ils ont échangé leurs parties,
ce qui était très drôle !
Un atelier de Flip Book, plus savamment appelés Folios-copes, a permis
de «s’initier à l’histoire de ce petit ciné
de poche, objet qui est de plus en plus
à la mode et permet de comprendre la
base du cinéma» comme l’explique
Nathalie Guimard, fondatrice de
l’association avec Vincent TusetAnrès. Déroulement de l’atelier : on
dessine un story-board de 24 images (il
y a 24 images à la seconde au cinéma),
puis on reprend ces 24 images sur 24
feuilles qu’on agrafe; on met une petite
couverture cartonnée et on obtient une
seconde de cinéma en faisant défiler
les feuilles. Encadré par 3 animateurs
l’atelier a concerné autant d’adultes
que d’enfants !
Les tout-petits se sont amusés avec
deslégumesetdesimagesd’Arcimboldo
pour réaliser des collages et des
coloriages, avec la référence à un livre
de jeux italien de Bruno Munari Dis-le
avec des signes (éd. Danese, 1980).
Un très intéressant travail sur l’Alice de
Lewis Carroll a réuni autant d’adultes
que d’enfants. Il s’agissait de se réap-
Mensuel gratuit paraissant
le deuxième jeudi du mois
Edité à 25 000 exemplaires
Edité par Zibeline SARL
76 avenue de la Panouse | n°11
13009 Marseille
Dépôt légal : janvier 2008
Directrice de publication
Agnès Freschel
Imprimé par Rotimpress
17181 Aiguaviva (Esp.)
photo couverture
© Agnès Mellon
Conception maquette
Max Minniti
découpés pour faire grandir ou rapetisser
Alice. Leurs images ont été photographiées, puis montées rapidement pour
constituer un petit film : effet
saisissant!
Un autre atelier a été consacré à l’illustration sonore : 7 enfants ont été
accompagnés dans la création de la
bande son d’un épisode de La petite
taupe du tchèque Znedek Miler (voir
page 50) par le groupe Catherine
Vincent. Des objets de toutes sortes
ont servi à la réalisation de bruitage et
les enfants ont imaginé et dit des
dialogues interprétés en direct.
Viendront un atelier de cartes à jouer
d’après le livre d’Italo Calvino Le
château de destins croisés qui proposera la création de cartes inspirées du
Tarot et un atelier de photomontage.
Fantaisie, humour et rêves à partir
d’images fixes ou animées, de quoi
donner envie de retourner en enfance
et de s’offrir un regard neuf !
CHRIS BOURGUE
À cadavres ouverts
Certains élèves du Lycée technologique Marie Curie
(Marseille) se sont rendus, avec ou sans leurs professeurs, à
l’exposition Our Body (voir page 71). D’autres ont refusé de s’y
rendre. Les avis sont tranchés…
Sous le prétexte de nous instruire, cette
exposition bafoue les droits de l’homme,
et exploite une nécrophilie sous-jacente.
Elle prétend être une confrontation avec
la mort, mais tout a été fait pour que les
cadavres aient l’air vivant. On peut douter
d’ailleurs de son aspect pédagogique,
son prix élevé allant à l’encontre d’une
ouverture à tous les publics, et les poses
parfois ridicules des cadavres ne
représentant guère l’approche sérieuse
d’un médecin. D’autant qu’administrativement aucune preuve n’a été donnée
par Gunther von Hagens de la provenance des corps : il n’y a qu’un seul
cadavre de fille, et d’après le Comité
national d’Ethique le fournisseur de ces
corps se situe entre trois camps de
travaux forcés, en Chine…
JULIETTE RIGHETTI, PREMIÈRE ARTS APPLIQUÉS
Ces ateliers ont eu lieu à la Galerie
Montgrand, au CRDP, aux Variétés
du 3 au 20 décembre
Films et ateliers pour enfants tout au
long de l’année.
Le Petit cinéma : www.fotokino.org
Il n’y a rien de spectaculaire dans la mort.
La mort est une chose qui s’associe à la
douleur et à la souffrance, pas au
divertissement.
ELODIE RIGAUD, BTS MODÉLISME
Rédactrice en chef
Agnès Freschel
[email protected]
06 09 08 30 34
Musique et disques
Jacques Freschel
[email protected]
06 20 42 40 57
Secrétaire de rédaction
Dominique Marçon
[email protected]
06 23 00 65 42
Musiques et disques
Frédéric Isoletta
[email protected]
06 03 99 40 07
Éducation
Chris Bourgue
[email protected]
06 03 58 65 96
Cinéma
Annie Gava
[email protected]
06 86 94 70 44
Arts Visuels
Claude Lorin
[email protected]
06 25 54 42 22
Philosophie
Régis Vlachos
[email protected]
Livres
Fred Robert
[email protected]
06 82 84 88 94
Sciences et techniques
Yves Berchadsky
[email protected]
Je trouve le concept tordu et malsain. La
mise en scène de cadavres me paraît
inappropriée, et la mise en spectacle
malsaine et morbide. Cela ressemble à
un scénario de contre utopie, où des
familles se divertiraient devant la mort…
VANESSA CHALVET, BTS MODÉLISME
C’est le fait que ce soit des vrais corps
qui est choquant, mais justement, c’est
ce qui est artistique, puisqu’exposer des
morts est hors du commun. L’art est
souvent mal jugé, censuré, parce que
justement il effraie ou dérange. Et
justement c’est parfois cela le but…
AMANDINE VOLPI, BTS MODÉLISME
Cette exposition au centre des débats
repousse le tabou de la mort. Bien qu’elle
fasse partie intégrante de la vie, est-il
utile de l’exposer ? En fait cette exposition exploite la tendance actuelle à
repousser les tabous comme objet de
commerce. Les places à 15 euros sont
excessives. De plus la télé et les jeux
vidéos banalisent déjà dangereusement
Histoire et patrimoine
René Diaz
[email protected]
Maquettiste
Philippe Perotti
[email protected]
06 19 62 03 61
Responsable commerciale
Véronique Linais
[email protected]
06 63 70 64 18
Ont également participé à ce numéro :
Susan Bel, Armelle Marié, Maryvonne
Colombani, Marie-Jo Dhô, Sylvia Gourion, Clarisse Guichard, Dan Warzy,
Marie Godfrin-Guidicelli, PierreAlain Hoyet, Christine Rey, X-Ray,
Ode Fanlau, Sonia Isoletta
Photographes : Agnès Mellon
Le Cid, poésie dramatique
Ô rage ! Ô temps perdu ! Ô théâtre
ennemi !
N’ai-je donc attendu que pour être
déçue
Et suis-je restée là dans la salle
enfermée
Que pour voir notre Cid si mal
interprété ?
Les Zibulons de l’Olivier
n’ont pas partagé
notre avis sur Le Cid
présenté par la Criée au
théâtre du Gymnase…
Ils s’y sont ennuyés !
Ô ennui! Ô sommeil! mortelle
somnolence!
Quand Chimène va-t-elle s’arrêter
de chialer ?
Et quand va donc finir la terrible séance,
© Bellamy
l’idée de la mort, on vit dans un monde
virtuel qui nous détache complètement
de cette réalité. Cette exposition sans
odeur, exposant des cadavres plastifiés
dans des poses plus vivantes que
mortes, nous retire notre humanité,
notre sensibilité.
ENGUERRAN
APPLIQUÉS
BARATOUX,
PREMIÈRE
Blanche Neige
libertine…
ARTS
Our Body est très instructif niveau
anatomie, bien que ces cadavres ne
paraissent pas réels.
ANISSA ZAGAYE, PREMIÈRE ARTS APPLIQUÉS
Très originale, cette expo nous donne
l’occasion d’en savoir plus sur le corps
humain.
CYRIL CACCHIANI, PREMIÈRE ARTS APPLIQUÉS
Certains la verront comme enrichissante
au niveau culturel, d’autres comme une
atteinte à la dignité humaine. Des cadavres chinois ont été plastifiés, découpés
et mis en scène, comme si la mort
pouvait avoir un côté artistique qui méritait d’être dévoilé. Ces personnes ont
vécu, ont eu des familles qui n’ont sans
doute pas eu leur mot à dire dans cette
affaire…
© Agnès Mellon
Si nous avons été étonnés, et touchés, par le classicisme de
Blanche Neige, notre Zibulone y a relevé une «touche
Preljocaj» plus crue, et moins inattendue…
C’est entre rêves d’enfants et symbolisme qu’Angelin Preljocaj nous offre l’un
des plus ambitieux de ses ballets. Avec
une mise en scène bien plus théâtrale
qu’habituellement, et des décors impo-
sants, il fait l’éloge du célèbre conte des
frères Grimm durant 2h de spectacle, et
l’on s’émerveille une fois de plus devant
la peau immaculée de blanche neige
accompagnée de ses 7 «nains» !
Quand pourrai-je rentrer chez moi
pour m’effondrer ?
Mais aussi
écouter le Cid c’est comme attendre
que la mémoire nous revienne
écouter le Cid c’est comme entendre
un vieux disque dont les paroles remontent peu à peu
écouter le Cid c’est comme se balader
dans le parc où on a appris à faire ses
premiers pas…
ÉLÈVES DE LA PREMIÈRE L
DU LYCÉE L’OLIVIER, MARSEILLE 12E
Mais à cette étonnante fidélité au
déroulement de l’histoire il ajoute le grain
de folie, cette touche si connue qui fera
l’intérêt de cet étrange ballet : il le
présente comme ode à la sensualité et
aux plaisirs ambigus de la chair,
représentés notamment par une «bellemère» sado-masochiste. Sa collaboration
avec Jean Paul Gauthier a sûrement
influencé ses choix !
Blanche Neige, ainsi que les courtisanes,
sont vêtues de costumes blancs et
fluides à la connotation érotique évidente. De plus le jeu sexualisé entre les
danseurs et danseuses est présent tout
au long de la représentation. Malgré tout
ces personnages frivoles et inconstants,
la belle-mère entourée de ses deux
langoureux félins contorsionnistes
représente à elle seule l’intrigue posée
par cette mise en scène libertine…
EMMA GARDEUR ÉLÈVE DU LYCÉE VAUVENARGUE
1ERE LITTÉRAIRE HISTOIRE DE L’ART
MANON OPRATO, PREMIÈRE ARTS APPLIQUÉS
On ne peut pas nier que le fait de payer
l’entrée d’un cimetière sans pierre tombale est peu banal ! En tous les cas, si
vous êtes nécrophiles et que vous avez le
portefeuille trop plein, n’hésitez pas !
UGO PIEL, PREMIÈRE ARTS APPLIQUÉS
Je pense qu’il est intéressant de montrer
de vrais cadavres au public. Cela lui
permet de prendre conscience d’une
réalité : la mort est de chair. Scandaleux
ou choquant cela provoque une
réaction: il nous faut peut-être voir un
cadavre à bicyclette pour enfin prendre
conscience de l’horreur de certains
spectacles que l’on paye.
KENZA MOHAMED EL HADJ, BTS MODÉLISME
El Condor passa au lycée Vauvenargues
Les lycéens qui étaient là ne connaissaient pas Los Calchakis.
Question de génération sans doute. Hector Miranda, argentin,
père fondateur du groupe, s’est donc d’abord fait conteur : le
quintette s’est formé en 1960, s’est donné le nom d’une vallée
où vivait une fiancée de Miranda, et a traversé le monde sur les
«ailes du Condor» et des disques d’or. Il a ensuite présenté les
instruments, au même titre que les membres du groupe : La
Kéna, petite flûte en roseau ; Alberto Rodriguez ; le Bombo,
tambour argentin taillé dans un tronc ; Enriké Capuano ; les
flûtes de pan ; Sergio Arriagaga ; les guitares et mandolines,
à 4, 6 ou 12 cordes ; Contreras ; et de grandes cosses de
flamboyants, converties en percussions.
L’assistance avait mordu à l’hameçon des quelques sons
entendus et des paroles déjà chantantes de Miranda. Le chant
de la Colombe sauvage est monté lentement, à partir d’un
dialogue entre deux flûtes, jusqu’à un moment puissant où les
rythmes, les souffles, la voix, les cordes grattées et pincées ont
fait vibrer les murs, nos oreilles, nos entrailles et nos pieds.
Ensuite, les guitares et les percussions ont presque réussi à
nous faire voir le Diable en liberté dans la salle des conseils du
lycée… Le concert impromptu s’est terminé sur une étonnante
reprise d’un Kyrie, avant-goût d’un grand projet de messe que
le groupe prépare avec le chœur de l’Atrium de Chaville et
l’actrice Marie-Christine Barrault. Chacun est ensuite retourné
en cours, avec un brin d’argentine accroché à la boutonnière.
Los Calchakis ont donné deux concerts à Aix : le 21 novembre,
dans le cadre du festival Musica Maestro et le 22 nov., au
théâtre Vitez, avec le chœur de la Noria.
LES ÉLÈVES DE SECONDE, OPTION FACULTATIVE HISTOIRE DES ARTS
78
FORMULAIRES D’ADHÉSION ANNUELLE
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vivant sous le même toit)
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Nos partenaires vous offrent invitations, réductions et avantages… Pour les places gratuites,
téléphonez-leur rapidement pour réserver, puis présentez votre carte de membre (1 place par carte
nominative). Pour les réductions, présentez simplement votre carte (réduction valable seulement pour
l’adhérent)
Les Bernardines
4 invitations par représentation
pour Séance
une proposition de Bruno Meyssat
le 20 déc à 15h
le 20 déc à 19h30
4 invitations par soir
pour Macbeth
de Heiner Müller d’après William
Shakespeare
mes Angela Konrad
le 13 jan à 21h
le 16 jan à 21h
Invitations à confirmer la veille de la date
choisie avant 17h au 04 91 24 30 40
Théâtre du Gymnase
10 invitations par soir
pour Le jour se lève, Léopold de Serge
Valetti
mise en scène de Michel Didym
le 16 jan à 20h30
le 17 jan à 20h30
le 20 jan à 20h30
le 21 jan à 19h
résa par mail à
[email protected]
Montévidéo
tarif réduit
à toutes les représentations
04 91 37 97 35
Adresse postale (1 par groupe)
Les Bancs Publics
1 place offerte pour 1 place achetée
pour tous les spectacles
04 91 64 60 00
Mail
Le Gyptis
pour tous les spectacles de la saison
tarif réduit B (15€ au lieu de 24)
à toutes les représentations
04 91 11 00 91
Téléphone
Chèques à libeller à l’ordre de :
L’amicale Zibeline
Adhésions à adresser à :
L’amicale Zibeline
76 avenue de la Panouse | n°11
13009 Marseille
Les cartes de membres vous seront adressées
par retour de courrier
LA RUBRIQUE DES ADHÉRENTS
Théâtre Vitez (Aix)
2 invitations par soir
pour Mon corps est nul
d’Arno Calléja
le 13 jan à 20h30
le 14 jan à 19h
le 15 jan à 19h
le 16 jan à 20h30
au-delà de ce quota d’invitations,
tarif à 8 € pour tous les spectacles
04 42 59 94 37
Scène Nationale (Cavaillon)
2 invitations par soir
pour Terrien
de Yannick Jaulin
le 20 jan à 19h
le 21 jan à 20h30
04 90 78 64 64
Pavillon Noir (Aix)
3 invitations pour 2 personnes
pour Entity
de Wayne McGregor
le 18 jan à 17h
04 42 93 48 00
Le Greffier de Saint-Yves (Marseille 1er)
librairie générale et juridique
10 rue Venture
5% de réduction
sur tous les livres
Les Salins (Martigues)
8 invitations par représentations
pour Questions de goûts
de Georges Appaix
le 8 jan à 20h30
le 9 jan à 21h
04 42 49 02 00
Librairie Regards (Marseille 2e)
Centre de la Vieille Charité
5% de réduction
sur tous les livres
L’histoire de l’œil (Marseille 6e)
25 rue Fontange
5% de réduction
sur tous les livres
OMC Simiane
4 invitations
pour Don Juan
Cie théâtre Asphodeles
le 17 jan à 20h30
04 42 22 81 51
Librairie Imbernon (Marseille 8e)
spécialisée en architecture
La Cité Radieuse
280 bd Michelet, 3ème étage
5% de réduction
sur tous les livres
Musicatreize
2 invitations pour 2 personnes
pour le Concert à quai
le 15 jan à 20h
et 6 places supplémentaires à 8 €
04 91 00 91 91
Librairie Arcadia (Marseille 12e)
Centre commercial Saint Barnabé Village
30 rue des électriciens
5% de réduction
sur tous les livres
GRIM
tarif réduit
pour tous les concerts
(10€ au lieu de 12€)
O4 91 04 69 59
Le Balthazar
entrée gratuite
pour tous les concerts du jeudi
04 91 42 59 57
L’institut culturel italien
vous offre
3 adhésions annuelles
d’une valeur de 32 €, cette « carte
adhérent »
vous donnera accès à tous les services de
l’Institut,
médiathèque et programme culturel.
demande par mail : [email protected]
ou au 04 91 48 51 94
Librairie Maupetit (Marseille 1er)
La Canebière
5% de réduction
sur tous les livres
Librairie L’écailler (Marseille 1er)
2 rue Barbaroux
5% de réduction
sur tous les livres
Librairie de Provence (Aix)
31 cours Mirabeau
5% de réduction
sur tous les livres
Librairie Au poivre d’Ane (La Ciotat)
12 rue des frères Blanchard
5% de réduction
sur tous les livres
La Pensée de Midi
vous offre
3 exemplaires du n° de la revue Le Mépris
5 exemplaires de Tanger, ville frontière
1 exemplaire de Beyrouth, XXIe siècle
par mail : [email protected]
Le Comité Régional de Tourisme PACA
Vous offre
2 kits de produits de beauté à base d’huile
d’olive
(gel douche, crème pour le corps et pour
les mains)
par mail : [email protected]
Si vous souhaitez devenir
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[email protected]