Pierre et Jean - Flammarion enseignants

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Pierre et Jean - Flammarion enseignants
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MAUPASSANT
Pierre et Jean
Édition avec dossier
d’Antonia Fonyi
no 1360 / 2,80 €
P
J EAN
ierre et Jean, souvent considéré comme une porte d’entrée
privilégiée pour étudier le genre narratif et ses formes au
lycée, présente l’avantage d’être court et accessible, ce qui
explique qu’il soit fréquemment étudié en seconde. Par la
richesse de ses personnages, par la place décisive qu’il occupe
dans l’œuvre de Maupassant et dans l’histoire du genre romanesque, ce roman peut également être mis à profit en classe de
première dans le cadre de l’objet d’étude : « Le roman et ses
personnages : visions de l’homme et du monde ».
Ce « petit roman », pour reprendre la formule de Maupassant
(p. 41), permettra tout d’abord aux élèves de première de réinvestir les acquis de la seconde, en approfondissant leurs compétences en matière d’étude de la narration et des points de vue,
et en faisant appel à leurs connaissances sur le naturalisme. Les
Instructions officielles de première préconisent de plus, à travers l’étude des personnages, d’« aborder le roman comme une
forme littéraire privilégiée de représentation de l’homme et du
monde », et, « en situant une œuvre dans son contexte littéraire,
historique et culturel », de s’interroger sur « l’évolution du
genre romanesque » : Pierre et Jean, dont la matière narrative
est celle d’un monde en transformation, et qui constitue un tournant au sein même de l’œuvre de Maupassant entre roman de
mœurs et roman psychologique, offre à cet égard de riches perspectives. Les rapports entretenus par cette œuvre avec le
« roman d’analyse » et le « roman objectif » évoqués par
Pierre et Jean
É T U D I E R P I E R R E E T
E N C L A S S E D E P R E M I È R E ?
I . P OURQUOI
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Maupassant dans sa préface (p. 49) constituent un angle d’approche pertinent pour étudier les représentations de l’homme et
du monde. Outre que Maupassant propose dans ce récit la peinture d’un milieu, celui de la petite bourgeoisie de province, le
port du Havre y ouvre sur un univers qui échappe au huis clos
de l’intrigue familiale : au-dehors se font entendre les sirènes
des grands transatlantiques où viennent s’entasser les
émigrants...
Enfin, Pierre et Jean retiendra l’attention du fait de sa
préface. « Le roman », publié en 1888, demeure d’un intérêt
tout particulier pour aborder les questions d’esthétique et de
poétique du genre narratif au XIXe siècle, pour définir de
façon critique ce que sont le réalisme et le naturalisme, et
pour comprendre le point de vue de Maupassant sur le roman
et la critique. Pourquoi ne pas choisir de surcroît d’y observer la façon dont l’auteur cherche à convaincre son lecteur ?
À rebours des idées reçues, « Le roman » questionne de
façon pertinente les rapports entretenus par Maupassant avec
le naturalisme zolien, et permet d’inscrire le cours dans la
perspective d’histoire littéraire et culturelle que recommandent les programmes.
La nouvelle édition GF se prête particulièrement bien à
ces perspectives d’étude, notamment par le choix de textes
complémentaires proposé par Antonia Fonyi dans le Dossier.
Celui-ci se compose tout à la fois d’écrits théoriques de
Maupassant sur le roman (p. 223 sq.), d’extraits œuvres
romanesques de Maupassant (p. 237 sq.), et d’une anthologie
sur les rapports entre mère adultère et fils dans différents
romans de la fin du XIXe siècle (p. 250 sq.). Cette édition
présente en outre, pour la première fois, les variantes du
manuscrit de la préface de Pierre et Jean (p. 207 sq.) récemment découvert par Antonia Fonyi : elles pourront donner
lieu à des prolongements inédits dans le cadre de l’objet
d’étude « Le travail de l’écriture ». La séance construite sur
l’étude de ces variantes et de celles du roman lui-même, dont
les plus significatives figurent également dans l’édition, aura
pour projet de « faire comprendre aux élèves, par l’observation d’exemples, que l’écriture exige un ensemble de
démarches et ne s’élabore pas sous l’impulsion d’une inspiration soudaine, ni par l’effet d’un don réservé à quelquesuns ». Enfin, les différentes illustrations rassemblées dans le
volume pourront être mises à profit dans le cadre de la lecture d’image.
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S Y N O P T I Q U E D E L A S É Q U E N C E
Séance
Supports
Séance 1
Intégralité du roman.
Première de
couverture de l’édition
GF.
Présentation (p. 8-13).
Chronologie
(p. 261 sq.).
Introduction
thématique à l’étude
du roman.
Situation du roman
dans son contexte.
Lecture d’image.
Recherches
documentaires.
Synthèse.
Séance 2
Incipit (chapitre I,
p. 59-60).
Excipit (chapitre IX,
p. 202-205).
Comprendre les enjeux
programmatiques de
l’incipit. Comparer
deux seuils de l’œuvre.
Lecture analytique.
Lecture comparée.
Séance 3
Intégralité du roman.
La révélation de
Pierre à Jean
(chapitre VII, p. 163167).
Réviser et comprendre
les spécificités de la
construction narrative.
Structure de l’œuvre
et remarques sur le
temps (notions de
temps de la narration,
temps du récit).
Parcours de l’œuvre et
synthèses.
Construction d’un
tableau synoptique.
Lecture analytique.
Séance 4
« Le roman » (p. 4157).
Dossier (p. 223-236 et
p. 237-245).
Comprendre le point
de vue de Maupassant
sur le roman et
sur le réalisme.
Étudier les rapports
de la préface
et du roman, entre
cohérence
et contradiction.
Lecture analytique.
Parcours de l’œuvre.
Séance 5
Le monologue
intérieur de Pierre
(chapitre IV, p. 123124).
Comprendre
le traitement
de la psychologie
du personnage
chez Maupassant.
Aborder le roman
comme une forme
littéraire privilégiée
de représentation
de l’homme.
Lecture analytique.
Séance 6
Intégralité du roman.
La visite de la
Lorraine (chapitre IX,
p. 198-199).
Aborder le roman
comme une forme
littéraire privilégiée
de représentation de
l’homme et du monde.
Parcours de l’œuvre et
synthèses.
Lecture analytique.
Séance 7
L’aveu de Mme Roland
à Jean (chapitre VII,
p. 172-175).
Le monologue intérieur
de Jean (chapitre VIII,
p. 176-180).
Variantes
correspondantes
(variante h, p. 217, et
variante b, p. 219).
Comprendre, dans
les réécritures et
les corrections qu’il
opère, les démarches
et le projet
de l’écrivain.
Lectures comparées.
Évaluer les acquis
de la séquence.
Sujet d’invention.
Commentaire
littéraire.
Dissertation.
Séance 8
Objectifs
Activités
Pierre et Jean
I I . T ABLEAU
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I I I . D É R O U L E M E N T
D E L A S É Q U E N C E
SÉANCE 1
INTRODUCTION ET MISE EN CONTEXTE
→ Ensemble de l’œuvre et première de couverture.
→ Présentation (p. 8-13) et Chronologie (p. 261 sq.).
Objectifs : Introduction thématique à l’étude du roman et
vérification de la lecture ; présentation du contexte dans
lequel s’inscrit l’œuvre.
• Travail préparatoire
– Lecture attentive du roman et de la préface.
– Retrouver les scènes du roman auxquelles la première
de couverture fait écho.
– Recherches ciblées, en vue de la présentation du
contexte esthétique : Zola, le naturalisme, Les Soirées de
Médan, Pot-Bouille, etc.
• Lecture d’image : analyse de la couverture
L’éditeur a choisi de faire figurer sur la couverture un
grand « lanet » (p. 148) dans lequel se trouvent des poissons,
le petit portrait d’un homme enfermé dans un cadre ovale, et
un bateau à vapeur. Sur l’avant de ce dernier se tient une
silhouette, disproportionnée, qui semble regarder au loin. Le
fond représente un ciel nuageux, et, au bas de la couverture,
l’océan.
La couverture donne à voir les principaux objets et thèmes
du roman :
– Le portrait de Maréchal. Sa dimension symbolique
peut faire l’objet d’un développement : il est à la fois souvenir d’enfance et preuve à charge pour Pierre (p. 122, 141,
166), relique amoureuse et faute dissimulée pour
Mme Roland (p. 133, 137, 140), paternité retrouvée pour
Jean (p. 140), chacune de ces significations étant rattachée à
un passage précis du roman, où le portrait agit sur l’un des
personnages.
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– Les bateaux à vapeur. Dès le chapitre I (arrivée du
Prince Albert et de la Normandie), ils symbolisent les rêves
de voyage et annoncent le destin final de Pierre, qui finira
par embarquer sur la Lorraine (p. 203). C’est d’ailleurs peutêtre lui qui, perché à la proue, semble chercher du regard...
la faute maternelle ? À moins qu’il cherche son destin, dans
ce ciel rempli de « brume » (p. 205) ?
– L’univers de la pêche. Le lanet et les poissons renvoient à la pêche, qui est l’un des grands thèmes du roman.
D’une part, c’est le divertissement favori de M. Roland
(p. 63), d’autre part, c’est au cours d’une partie de pêche à
marée basse que Jean demande la main de Mme de
Rosémilly (p. 155-156). La pêche, outre qu’elle est l’activité
par laquelle on tend à s’approprier un objet (du poisson, mais
aussi, au sens figuré, un appartement, un héritage, un portrait, une épouse...) 1, est une activité populaire que l’on peut
mettre en rapport avec les choix esthétiques de l’auteur.
Quant à la mer, avec ses ports et ses bateaux, elle constitue
à la fois un des lieux importants du roman et une frontière
physique du récit, qui s’achève lorsque Pierre prend le large.
• Le contexte de parution de Pierre et Jean
Afin de comprendre les enjeux esthétiques de Pierre et
Jean, il faut au préalable resituer le roman dans son contexte.
Dans cette perspective, les élèves liront les pages de la Présentation qui traitent du sujet (p. 8-13), et relèveront, dans
la Chronologie (p. 261 sq.), les dates principales ayant trait
à la carrière de Maupassant.
On notera avant tout que Pierre et Jean est publié dans un
contexte de remise en question du naturalisme, notamment
en ce qui concerne le choix d’appartenance sociale des personnages (voir Présentation, p. 9-12). Pour cette raison,
Maupassant privilégie un sujet petit bourgeois d’héritage, et
semble se tourner vers le roman d’analyse plutôt que vers
le « roman objectif ». L’étude de la préface « Le roman »
permettra, après quelques études préalables, de poursuivre
cette réflexion (voir séance 4).
1. Voir la Présentation d’Antonia Fonyi, qui analyse la façon dont les
différents personnages de Pierre et Jean se définissent par l’« être » et
l’« avoir » (p. 13 sq.).
Pierre et Jean
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SÉANCE 2
E´ TUDE DE L’INCIPIT
→ Incipit (chapitre I, p. 59-60).
→ Excipit (chapitre IX, p. 202-205).
Objectifs : Comprendre les enjeux programmatiques de l’incipit ; comparer deux seuils de l’œuvre.
• Travail préparatoire
– Lecture attentive et préparation du commentaire.
– Comparaison de l’incipit et de l’excipit ; relevé des
similitudes et des différences.
• Un début in medias res
Concis et efficace, l’incipit de Pierre et Jean est un
modèle du genre. Il place sous les yeux du lecteur le tableau
typique d’une famille de la petite bourgeoisie en pleine partie
de pêche, et l’anime d’un dialogue vif, en apparence anodin.
La vivacité et l’instabilité de l’incipit se mesurent dès son
début in medias res, à l’interjection : « Zut ! » (p. 59). Cette
ouverture inscrit d’emblée l’incipit dans une perspective réaliste, ce que ne démentent pas les dialogues qui suivent. Le
narrateur omniscient présente les cinq principaux personnages, donne les indications qui les identifient les uns par
rapport aux autres, esquisse un décor et une situation narrative initiale, enfin donne des indices sur l’action à venir.
Cet incipit présente cependant des lacunes notables. Il faut
remarquer l’absence quasi totale de cadre spatial, hormis
celui, intentionnellement vague, du « large horizon de
falaises et de mer » (p. 59), qui a la particularité de placer
l’intrigue sous le signe de l’eau, espace liquide et mouvant...
annonciateur de troubles futurs (on notera l’homonymie
« mer »/« mère » : voir Présentation, p. 28).
• La présentation des personnages
Les élèves pourront relever les indices physiques ou langagiers qui définissent progressivement les personnages,
notamment le « Père » Roland, « bonhomme » (p. 59 et 60)
dont le registre d’expression familier, les manies de pêcheur
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• Une scène de genre : la partie de pêche
L’incipit de Pierre et Jean présente une scène de genre,
la partie de pêche, dont le thème n’a rien d’étonnant dans la
littérature et la peinture réalistes. On en trouvera les signes
dans l’organisation précise du tableau (la répartition des
personnages dans la barque et leurs attitudes ; voir aussi la
gravure reproduite p. 61), dans l’immobilité de la scène traduite par les imparfaits et les participes, et dans la précision
des détails, typique du réalisme. L’importance des précisions
relatives à l’activité favorite de M. Roland, la pêche, peut
évoquer la peinture de marine, qui s’est souvent plu à représenter de telles scènes : songeons par exemple à l’œuvre
d’Eugène Boudin, natif de Honfleur, qui a puisé à la fois au
réalisme et à l’impressionnisme.
• Lecture comparée de l’incipit et de l’excipit
La similarité de la situation finale et de la situation initiale
rend nécessaire une comparaison entre ces deux passages,
qui sera l’occasion de rappeler les grandes règles de
construction du récit. Dans les deux cas, la scène se déroule
sur l’eau, lieu instable, lieu transitoire, lieu de sortie ou d’entrée de la Perle, évidemment, mais aussi d’un paquebot : le
Prince Albert (p. 69), puis la Lorraine, avec, à son bord,
Pierre (p. 201). Pour Pierre, l’entrée au Havre, au début du
Pierre et Jean
et les interjections dénotent le caractère commun, voire
trivial (cf. son « air satisfait de propriétaire », p. 60). À l’opposé, son épouse apparaît plus douce : endormie, elle « murmur[e] » pour lui répondre (p. 59). Un déséquilibre semble
donc se dessiner dès le début entre le bijoutier et sa femme...
présage, là encore, des événements qui vont survenir.
La présentation parallèle et simultanée des deux frères est
annoncée par le titre. Les élèves commenteront ici la façon
dont Maupassant les introduit, dans un jeu d’oppositions et
de parallélismes (« à bâbord »/« à tribord ») qui souligne leur
proximité tout en préparant leur éloignement. De fait, la rivalité se confirme juste après l’incipit, avec l’épisode du retour
au Havre à la rame (p. 67-68). La présence de Mme de
Rosémilly rompt quelque peu la symétrie qui existait avec le
quatuor des parents et des deux frères, mais elle apparaît
ainsi comme un enjeu possible, un élément dramatique,
hypothèse que son statut de jeune veuve vient corroborer.
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roman, précède le départ du Havre, l’exil, au dénouement.
Cette comparaison permettra d’attirer l’attention des élèves
sur le fait qu’une telle construction parallèle est très probablement intentionnelle, et qu’elle relève de l’art de la mise
en scène du narrateur. Ils en tireront des conclusions, notamment en rapprochant cet aspect du texte avec la théorie de la
« logique ordinaire des faits » évoquée dans « Le roman »
(p. 48). Est-ce vraiment une « logique ordinaire » qui crée
de tels effets de parallélisme ?
SÉANCE 3
TEMPS, ACTION, RÉCIT
→ Intégralité du roman.
→ La révélation de Pierre à Jean : chapitre VII, de « Je te
défends » à « dans l’escalier » (p. 163-167).
Objectifs : Réviser et comprendre les spécificités de la
construction narrative ; analyser la structure de l’œuvre ;
s’interroger sur la narration et le point de vue ; s’initier
aux notions de temps de la narration et de temps du récit.
• Travail préparatoire
Pierre et Jean se compose de neuf chapitres dont la
construction doit être bien claire aux yeux des élèves afin
que ceux-ci puissent se livrer aux premières interprétations.
On pourra rassembler dans un tableau synoptique les principaux éléments qui définissent la structure du roman (voir
ci-contre), et compléter ce document au gré des différentes
analyses. Les objets convoités seront soulignés.
• Analyse du tableau
– La régularité de construction. Le roman est composé
de neuf chapitres qui avoisinent chacun la quinzaine de
pages, à l’exception du chapitre I (légèrement plus long) et
du chapitre II (légèrement plus bref).
– Au premier plan narratif : le personnage de Pierre.
Dans la première moitié du roman, la narration est orientée
par le point de vue et les pensées de Pierre. Dévoré par la
crainte d’avoir trouvé dans l’héritage de Maréchal la preuve
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Principaux
points de
vue
Nombre
de pages
Une demijournée.
Pierre
p. 59-81
(22 pages)
Promenade de Pierre
au-dehors. Rencontre
de Marowsko.
Une soirée
(même journée
que dans le
chapitre I).
Pierre
p. 82-91
(9 pages)
III
Pierre cherche
un appartement.
Rencontre de la petite
bonne. Il commence à
soupçonner sa mère.
Une journée
(lendemain du
chapitre II).
Pierre
p. 92-109
(17 pages)
Chapitre IV
Sortie en bateau puis
visite à Marowsko.
Jean obtient
l’appartement
convoité.
Souvenirs de
l’enfance de Pierre
qui en vient à être
persuadé de la
culpabilité de sa mère.
Une journée
(lendemain du
chapitre III).
Pierre
(narration
rétrospective
de ses
souvenirs
d’enfance).
p. 110-125
(15 pages)
Chapitre
V
Pierre se rend à
Trouville. Il demande
à Mme Roland le
portrait de Maréchal.
Une journée
(lendemain du
chapitre IV).
Pierre
p. 126-142
(16 pages)
Chapitre
VI
Journée de la pêche
aux salicoques. Jean
demande Mme de
Rosémilly en
mariage : elle accepte.
Ellipse d’« une
semaine ou
deux » (p. 143)
avant la
journée de la
pêche aux
salicoques.
Externe ou
changeant.
p. 143-159
(16 pages)
Chapitre
VII
Visite de
l’appartement de Jean.
Dispute entre les deux
frères puis révélation
de Pierre qui s’enfuit.
Soirée (même
journée que
dans
le chapitre VI).
Jean
Externe
Jean
p. 160-175
(15 pages)
VIII
Pierre se voit suggérer
l’idée de s’embarquer
sur la Lorraine.
Le mariage de Jean
est confirmé.
Nuit du
chapitre VII au
chapitre VIII et
lendemain, un
mois avant
le départ de
la Lorraine,
le 7 octobre
(p. 182).
Jean
p. 176-189
Externe
(13 pages)
Mme Roland
IX
Préparatifs du départ
de Pierre. Visite de la
Lorraine. Départ.
Sept jours
consécutifs,
du 1er octobre
au départ
de la Lorraine
le 7 (p. 197).
Externe
Pierre
Passagers
de la Perle
Chapitre
Principaux
événements
Chapitre
Une partie de pêche
laisse entrevoir
la rivalité de Pierre
et Jean, notamment
au sujet de Mme de
Rosémilly.
Annonce de l’héritage
de Jean.
Chapitre II
Chapitre
Chapitre
Chapitre
I
Durée
p. 190-205
(15 pages)
Pierre et Jean
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de l’infidélité de sa mère, il oscille, dans les chapitres I à V,
entre jalousie (p. 84), projets d’avenir (p. 92-93), honte
(p. 127, 141) et colère (p. 114, 126). Le point de vue y est
en majorité interne, et l’on observe une proximité entre le
narrateur et Pierre dont les pensées nous sont révélées. Pierre
et Jean, en explorant les mouvements intérieurs du personnage, se rapproche du roman psychologique.
– Au centre du roman : la révélation dramatique. Le
personnage de Pierre disparaît du premier plan narratif à la
fin du chapitre V. Dès lors commence la seconde partie du
roman, qui raconte comment « crève » la « tumeur » qui a
grossi en lui (p. 166). Le début du chapitre VI, qui ne suit
plus Pierre, se déroule « une semaine ou deux » après la fin
du chapitre V (p. 143). Tout se passe en fait comme si
Maupassant, après avoir expliqué les déterminations du
comportement de Pierre, cédait la place au point de vue de
la famille Roland, afin de montrer de façon plus éclatante les
conséquences des soupçons de Pierre. L’épisode de la pêche
aux salicoques marque un tournant : la crise entre les deux
frères s’aggrave du fait du mariage prévu de Jean avec
Mme de Rosémilly (p. 164), et Pierre commence à devenir
insupportable à Mme Roland (p. 168-169). À partir du chapitre VII, c’est Jean qui semble servir de point de repère à
la progression narrative, sans toutefois qu’apparaissent ses
pensées (mis à part p. 176-178, passage retravaillé par
Maupassant : voir variante b, p. 129).
– L’accélération du récit vers le dénouement. À partir
de la dispute entre Pierre et Jean (p. 163-167), Pierre semble
être beaucoup moins présent dans le récit. Une seule journée
occupe les chapitres VII et VIII : le temps ralentit, comme pour
mettre l’accent sur les conséquences irrémédiables de l’aveu
de Pierre (« tu es le fils de l’homme qui t’a laissé sa fortune », p. 165). Dans le chapitre IX, en partie consacré à la
visite du bateau, le temps semble en revanche s’accélérer
considérablement, comme pour expulser Pierre du cadre narratif : ce chapitre contient à lui seul toute la semaine qui
précède le départ. Ainsi, vers la fin, l’organisation temporelle
du récit varie : le temps se précipite, n’est plus compté et
n’est plus perçu à partir d’un point de vue particulier.
D’un chapitre à l’autre, d’un objet convoité à l’autre, et
dans une progression temporelle qui va s’accélérant, le
roman de Maupassant manifeste le parfait équilibre de sa
construction. On y distingue une partie préliminaire, une
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révélation dramatique, et les conséquences impliquées. Le
rapport étroit entre Pierre et le narrateur montre ici que le
roman se donne pour objet d’analyser le mouvement des pensées de Pierre dès lors que les soupçons se sont introduits
dans son esprit, puis d’en relater les conséquences en abandonnant son point de vue exclusif.
La scène dans laquelle Pierre livre à Jean le fond de sa
pensée tandis que leur mère s’est réfugiée dans la chambre
représente un point d’orgue du récit ainsi que son basculement. Elle rend visible et irréversible ce qui était auparavant
caché : c’est la « catastrophe » par excellence, qui précipite
le sort des personnages.
La scène suit une logique de progression rigoureuse, qui
rappelle celle d’une scène de théâtre. Cette impression est
renforcée par le fait que les protagonistes se trouvent dans
un espace clos pareil « à un décor de théâtre » (p. 160). L’affrontement, attendu par le lecteur, prend d’emblée la forme
d’un duel (« le mot qui pourrait blesser son frère jusqu’au
cœur », p. 164), soumis à des rebondissements : Pierre est
l’agresseur et domine un temps, puis Jean se rattrape, « exaspère » (p. 164) son frère, et voit « porter ses coups »
(p. 165). Enfin, Pierre reprend le dessus avec son insupportable confession qui décontenance Jean (p. 165-166).
Le passage prend tout son sens du fait d’un procédé de
double énonciation : Mme Roland est en coulisse, et les
conséquences les plus graves de la révélation de Pierre ne
sont pas tant liées à leur destinataire (Jean), qu’au fait que
la mère entend tout. Cela est manifeste lors du monologue
intérieur de Jean, quelques pages plus loin (p. 176-178). On
remarquera le balancement entre le silence et la parole qui
conduit la scène, chacun des deux frères exigeant tour à tour
le silence de l’autre (« Je te défends de dire », p. 163 ; « je
t’ordonne de te taire », p. 164 ; « Tais-toi », p. 165).
Si elle revêt les caractères de l’affrontement théâtral et
semble même évoquer la tragédie du fait de l’aveu qui rend
la fin du roman presque inéluctable, cette scène n’en est pas
moins une scène romanesque. La présence du narrateur
omniscient le montre, qui donne des causes aux comportements et explique comment les coups échangés portent droit
Pierre et Jean
• Lecture analytique : la révélation de Pierre,
une scène théâtrale (p. 163-167)
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au cœur des deux frères. Même dans ce passage éminemment
dramatique, c’est encore par le souci de la psychologie que
Maupassant est guidé.
SÉANCE 4
LE RÉALISME EN QUESTION
→ « Le roman » (p. 41-57), et plus particulièrement le passage suivant : de « Le lecteur qui cherche uniquement »
à « la vie diffère de la vérité dans son livre » (p. 43-45).
→ Dossier (p. 223-236 et p. 237-245).
Objectifs : Comprendre les conceptions esthétiques défendues par Maupassant dans « Le roman », à travers une
étude d’ensemble du texte et une lecture analytique ;
étudier les rapports de cette préface et du roman, entre
cohérence et contradiction.
• Travail préparatoire
– Lecture de la première partie du Dossier (« Maupassant :
écrits sur le roman », p. 223-236).
– Repérer le plan du « Roman », en donnant un titre à
chacune des parties identifiées, pour préparer l’analyse de la
progression de l’argumentation.
• Maupassant et sa vision du genre romanesque
Dans la première partie du « Roman » (du début à « dans
son livre », p. 41-45), Maupassant se livre à une réflexion
sur la diversité des esthétiques, qui rend difficile la perception unitaire du genre romanesque. La conséquence est la
suivante : il faut laisser l’écrivain créer en fonction de son
tempérament et de ses choix personnels (p. 44, l. 125 sq.).
On proposera la lecture analytique d’un passage choisi (de
« Le lecteur qui cherche uniquement » à « la vie diffère de la
vérité dans son livre », p. 43-45) pour mettre l’accent sur
l’argumentation de Maupassant.
– Une argumentation fondée sur des postulats implicites.
On décèle une tendance à la typisation (« le lecteur », p. 43, l. 92 ;
« l’écrivain », p. 44, l. 94 ; « le critique », p. 44, l. 114), puis à
la généralisation (utilisation du présent de généralité ; passage
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au pluriel : « le lecteur »/ « le public », p. 44, l. 98 ; et « l’écrivain »/« nous », p. 44, l. 119). Il ne s’agit pas tant pour
Maupassant de démontrer que de convaincre. En passant d’une
modalité déontique à l’autre et par l’emploi de plusieurs rythmes
ternaires, il dévoile sa vision de l’écriture romanesque.
– L’utilisation d’un lexique juridique fait ici de Maupassant
l’avocat de la défense du romancier, même si le pronom « nous »
le rend à la fois juge (« si nous jugeons un naturaliste », p. 45,
l. 143-144) et partie. C’est le « droit » (p. 44, l. 130) qui est
invoqué, celui de l’écrivain, par exemple celui du naturaliste, à
« montrer la vérité, rien que la vérité et toute la vérité » (p. 44,
l. 123).
– Un plaidoyer pour la liberté artistique. Les juxtapositions
et les énumérations montrent qu’à travers la défense implicite de
l’écrivain naturaliste, c’est en fait tous les écrivains qui se voient
défendus, au nom de la nature différente des tempéraments et des
projets. Les énumérations qui égrènent les visions différentes du
roman introduisent dans le plaidoyer une variation rhétorique, à
même de séduire le lecteur. Aux impératifs individuels du public
(« faites-moi », p. 44, l. 104 sq.), se substituent dans une sorte de
péroraison finale des impératifs collectifs englobant Maupassant
dans la sphère du public : « laissons-le » (p. 45, l. 139).
• La définition du réalisme selon Maupassant
Dans la seconde partie de la préface (de « Il est évident
que des écoles » à la fin, p. 45-57), Maupassant s’attache à
définir l’art des romanciers qu’il défend. Le réalisme n’est
pas la transcription du réel telle que l’expérience de la vie
nous le fait connaître (citation de Boileau, p. 47, l. 235) ;
il s’agit d’une représentation élaborée par l’écriture (« les
Réalistes de talent devraient plutôt s’appeler des Illusionnistes », p. 48, l. 276-277). De plus, la « réalité » n’a de sens
que subjectif : elle est l’expression d’un « tempérament qui
s’analyse » (p. 49, l. 300).
• Un rapport ambigu entre préface et roman
Pierre et Jean n’est pas l’exemple de ce dont « Le
roman » serait la théorie. Au contraire, si une certaine cohérence se dessine entre les deux textes, elle s’accompagne de
divergences notables. On montrera les ambiguïtés du discours de Maupassant dans ce qu’il ne considère d’ailleurs
pas lui-même réellement comme une préface : « Je n’ai point
l’intention de plaider ici pour le petit roman qui suit » (p. 41,
l. 1-2). La Présentation d’Antonia Fonyi (p. 7-8), ainsi que
Pierre et Jean
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le Dossier (« “Le roman” : un double discours », p. 223-227)
fournissent des perspectives éclairantes pour mettre en avant
ce rapport ambigu entre préface et roman.
Pierre et Jean témoigne de l’ambiguïté des choix de
Maupassant, qui mêle « roman d’analyse » et « roman objectif » (voir p. 49-51, l. 301-400). Si le premier type de roman,
d’après ce qu’il dit dans la préface, paraît moins l’intéresser
– il le rejette également dans un article de 1882 cité dans le
Dossier (« Maupassant : écrits sur le roman », p. 229-230) –,
il n’en demeure pas moins que toute la première partie de
Pierre et Jean est consacrée à la genèse du soupçon chez
Pierre et à la façon dont progresse chez lui l’idée de la culpabilité maternelle, jusqu’à ce qu’il se décide à faire éclater la
tumeur qui le ronge. Il est donc peu probable que
Maupassant « cache » la psychologie « au lieu de l’étaler »
(p. 50, l. 338-339). Le roman psychologique, au départ rejeté
par Maupassant, semble bien être en somme l’un des grands
modèles de Pierre et Jean, modèle d’ailleurs réhabilité par
l’écrivain dès 1884 (voir l’article cité dans le Dossier,
p. 231-232).
• Perspectives complémentaires
– Ces réflexions seront avantageusement complétées par
une lecture de la seconde partie du Dossier, « Du roman de
mœurs au roman psychologique » (p. 237-245), où Antonia
Fonyi retrace le parcours qui a conduit Maupassant à infléchir ainsi son écriture de l’un à l’autre, faisant de Pierre et
Jean une « œuvre de transition » (p. 237).
– Pour sensibiliser les élèves au travail de l’écrivain, qui
sera étudié plus précisément dans la séance 6, on leur demandera de parcourir les variantes du « Roman » (p. 207 sq.), en
attirant leur attention sur les principales d’entre elles,
commentées par Antonia Fonyi dans son édition (voir p. 6,
note 2 ; p. 225, note 1 et p. 227, note 1).
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SÉANCE 5
PIERRE ET JEAN ET LE ROMAN PSYCHOLOGIQUE
→ Le monologue intérieur de Pierre : chapitre IV, de « Je
suis fou » à « Qu’allait-il faire ? » (p. 123-124).
Objectifs : Étudier un des monologues intérieurs les plus
significatifs du roman ; s’interroger sur la tentation du
roman psychologique chez Maupassant.
La première partie de Pierre et Jean relate comment Pierre
se convainc progressivement de la culpabilité de sa mère.
Les deux personnages secondaires que sont Marowsko et la
petite bonne de la brasserie ont eu pour rôle d’instiller le
doute dans son esprit (p. 91 et 101), et le fait que Jean a
obtenu l’appartement tant convoité du boulevard François-Ier
semble être un élément déclencheur (p. 114). Après avoir
déjà été tenté d’accuser sa mère, après y avoir renoncé,
Pierre se trouve pris dans une réflexion qui le fait plonger
dans ses souvenirs et reconstituer la figure de Maréchal
(p. 122). Il ne lui en faut pas plus pour se persuader à
nouveau de la culpabilité de sa mère. Cet extrait est particulièrement marquant dans la mesure où l’innocence et la
culpabilité entretiennent une proximité stupéfiante : c’est sur
ce revirement psychologique, véritable moteur du personnage, et sur ses conséquences qu’il faut s’interroger.
• Entre ressassement et progression
Le cheminement difficile de la pensée, rendu par le discours indirect libre, par les répétitions et par la ponctuation
tout à la fois interrogative et exclamative, tient à la double
nature de la démarche de Pierre – entre enquête obsédante et
auto-analyse menant à une vérité inavouable, dans un
mélange de logique et de divagation. (Sur la parenté de la
démarche du docteur Pierre avec la « démarche psychanalytique », voir Présentation, p. 23 sq.)
Pierre et Jean
• Situation du passage dans son contexte
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• La mise à distance de la figure maternelle
– Une femme comme les autres. C’est au terme d’une
« instruction judiciaire » (Présentation, p. 26), et en opérant
une mise à distance de la figure maternelle, que Pierre parvient à formuler l’accusation contre sa mère. On notera
l’évolution des termes désignant la mère : « sa mère [...] cette
femme simple, chaste et loyale ! » (p. 123) ; « une femme
jeune, jolie, vivant à Paris » (p. 123) ; « la femme éloignée
et vieillie » (p. 124). Pour qu’il puisse accepter la culpabilité
éventuelle de sa mère, il est nécessaire que Pierre admette in
fine qu’elle est une femme « comme une autre » (p. 124).
– Un type romanesque. Autre élément de mise à distance : la mère, telle que l’envisage Pierre, se rapproche d’un
type romanesque – celui de la jeune femme mariée contre
son gré et qui tombe amoureuse d’un autre. Pierre décline
ainsi les éléments de ce roman sentimental : « un homme,
un jour, était entré comme entrent les amoureux dans les
livres » (p. 124).
• Un personnage pris entre action et dilemme
Au monologue intérieur de Pierre succède la rage qui le
conduit à vouloir tuer, à vouloir frapper, alors qu’il souhaitait
embrasser sa mère au début du passage (« comme il l’eût
embrassée, caressée », p. 123). Cela permet de saisir le revirement qui s’opère chez lui, et du même coup le projet de Maupassant : montrer les déterminations psychologiques qui précèdent
et expliquent l’action. Pourtant, Pierre apparaît également ici
comme un personnage privé d’action : à son dilemme – « qu’allait-il faire ? » (p. 124) – répond, comme déjà auparavant
(p. 199, 122), une « sirène » qui le prive de moyens (« n’ayant
plus de force », p. 124) et symbolise un avenir qui va le voir
prendre le chemin de l’exil plutôt que de l’action.
• Conclusion
Ce passage traduit tout à fait la conception naturaliste du
personnage : à la manière d’un héros zolien, Pierre y apparaît
comme traversé d’impulsions qu’il ne guide qu’à moitié, au
gré de son investigation dans ses souvenirs et en lui-même.
S’il est encore maître de ses pensées, à la différence, par
exemple, d’un Jacques Lantier dans La Bête humaine 1, on
1. Voir p. 96, note 1, le rapprochement suggéré entre ces deux romans.
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s’aperçoit que Maupassant en fait tout de même un personnage divisé, à la manière du héros du Horla (voir Présentation, p. 24). Le revirement qui s’opère en Pierre s’explique
de manière rationnelle, au terme d’une douloureuse opération
qui, porteuse de vérité, le conduit vers l’exil final. Reste que
cet exercice de vérité est également celui que se fixe le
romancier qui vise à rendre compte du réel.
• Lecture complémentaire
SÉANCE 6
VISIONS DE L’HOMME ET DU MONDE
→ Intégralité du roman.
→ La visite de la Lorraine : chapitre IX, de « Alors il erra
sur le navire » à « ne pouvant supporter leur vue »
(p. 198-199).
Objectifs : Aborder le roman comme une forme littéraire
privilégiée de représentation de l’homme et du monde, à
travers un parcours thématique et une lecture analytique 1.
• L’image d’un monde en transformation
– Le développement des liaisons transatlantiques. La
présence simultanée de la Perle et de la Lorraine dans la rade
du Havre situe Pierre et Jean à une époque bien précise : à
la fin du XIXe siècle, les liaisons transatlantiques et le
commerce international se développent, sans toutefois que
les voiliers cèdent entièrement la place aux paquebots.
1. Les parcours thématiques dans l’œuvre sont multiples : aussi nous
bornerons-nous ici à esquisser ceux qui paraissent les plus intéressants
pour donner un aperçu de l’époque à laquelle écrit Maupassant.
Pierre et Jean
Afin de mettre en perspective le traitement du thème
« Mère et fils » dans Pierre et Jean, les élèves pourront lire
la dernière partie du Dossier (p. 250-263), qui éclaire,
extraits à l’appui, la manière dont ce thème est traité dans
d’autres œuvres de Maupassant et dans deux romans de la
fin du XIXe siècle : André Cornélis, de Paul Bourget, et Un
simple, d’Édouard Estaunié, dédicacé à Guy de Maupassant.
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« Paquebots », « bricks », « goélettes », « trois-mâts » (p. 70)
se côtoient donc. Ils apportent à la fois les produits des pays
lointains (les steamers viennent « du Brésil, de la Plata, du
Chili, et du Japon », p. 84, et c’est bien du « raisin noir venu
des pays chauds » que mangent les convives lors du dîner
qui fête Jean, p. 104), mais ils emportent en retour des foules
d’immigrants vers le Nouveau Monde (p. 199).
– Le Havre, ville en plein essor économique. Voir la
Présentation, p. 13.
– La naissance de l’électricité. On pourra s’intéresser
aux éclairages et aux lumières dans Pierre et Jean : lampe à
pétrole « qui charbonn[e] » (p. 81), bec de gaz (p. 89),
bougie, mais aussi installations électriques (voir p. 84,
note 1, et p. 147, note 1).
• Opinion et publicité
Si l’honneur maternel est menacé dans Pierre et Jean, la
renommée et sa remise en cause sont également présentes
sous une autre forme dans le roman. Le pharmacien Marowsko souffre de son anonymat, malgré les liqueurs qu’il
invente, car il ne parvient pas à les vendre : il a besoin de
publicité, de trouver un nom vendeur (p. 89-91). Ce n’est
pas autre chose que recherche Pierre lorsque surviennent ses
grands projets de réussite – de la publicité dépend son
succès : « Rien de plus facile que d’arriver là avec de la
réclame habile, des échos dans Le Figaro » (p. 93). Cet
aspect du roman sera l’occasion de rappeler aux élèves
l’essor de l’opinion, de la réclame et de la presse au
XIXe siècle, voire de proposer en lecture complémentaire un
extrait de Bel-Ami.
• Pratiques sociales : des bains de Trouville
aux cafés du Havre
– L’épisode des bains à Trouville (p. 133 sq.) est synonyme pour Pierre de perdition et le renvoie à l’idée de la
trahison maternelle. Cependant, sa présence dans le roman
constitue un témoignage littéraire de la mode des bains de
mer, qui ont connu un grand succès à partir du début du
XIXe siècle. Là encore, il serait particulièrement intéressant
de mettre en relation ce passage avec certaines œuvres
d’Eugène Boudin (Scène de plage, 1862) ou de Claude
Monet (Plage à Honfleur, 1865, Plage à Trouville, 1870).
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– Les cafés du Havre. Pierre, révulsé par l’image des
bains à Trouville, semble chercher des compagnies plus
faciles dans les cafés, les brasseries (p. 99). Le célèbre café
Tortoni, auquel il envisage de se rendre au début du roman
(p. 82), a réellement existé et pourra donner lieu à des travaux de documentation.
Depuis le début de Pierre et Jean, les grands paquebots
qui font le trajet de la Normandie jusqu’en Amérique ou en
Angleterre sont apparus plusieurs fois, toujours aperçus de
l’extérieur (voir par exemple p. 69). À présent que Pierre a
obtenu une place de médecin à bord de l’un d’eux, la
Lorraine, la description romanesque investit ce lieu en même
temps que le nouveau médecin qui découvre sa cabine. Cette
description en diptyque sera l’occasion d’étudier une vision
de l’homme et du monde, à travers le spectacle des
passagers.
– Logique de la description. C’est par une errance sur le
bateau que la description se justifie. Pierre ne passe pas par la
partie du navire réservée à la seconde classe (voir p. 199,
note 1) ; son regard est uniquement dirigé vers les deux antipodes
du monde flottant qui est désormais le sien : le salon (passagers
riches) et l’entrepont (émigrants). Cette ellipse descriptive laisse
supposer que la description est investie d’une intention : celle de
faire ressortir le contraste entre les conditions de voyage des deux
catégories de passagers.
– Luxe du salon, misère de l’entrepont. Métaphores désignant l’entrepont comme un endroit aveugle (« souterrain »,
« mine », p. 199) vs champ lexical de l’apparence (« œil », « perspective » « public », « théâtre », p. 198) suggérant que l’espace
« illimité » et luxueux du salon est dévolu à la représentation de
soi, entre pairs.
– Deux humanités. Noms collectifs (« humanité », « foule »,
« troupeau », « tas ») et lexique lié à l’animalité pour désigner les
pauvres (p. 199) vs détermination des riches par leur nationalité
ou leur revenu (p. 198). On pourra comparer ce passage avec la
plage de Trouville, où la foule des visiteurs, même dense, donne
lieu à une tout autre description (p. 134-135).
– Un point de vue critique. Le salon, dont le narrateur qualifie le luxe de « banal », apparaît comme un endroit déshumanisé.
Au contraire, les accumulations d’épithètes et de répétitions dans
l’évocation des émigrants partant pour l’Amérique contribuent à
Pierre et Jean
• Lecture analytique : la description de la Lorraine
(p. 198-199)
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produire un rythme et une émotion chez le lecteur, comme si
Maupassant voulait prendre celui-ci à témoin de cette épopée
misérable et laborieuse.
SÉANCE 7
LE TRAVAIL DE L’ÉCRITURE
→ L’aveu de Mme Roland à Jean : chapitre VII, de
« – Laisse-moi » à « Elle essaya de se lever » (p. 172175).
→ Monologue intérieur de Jean : chapitre VIII, de « Quand
il fut » à « Il monta l’escalier » (p. 176-180).
→ Variantes correspondantes : chapitre VII, variante h,
p. 217, et chapitre VIII, variante b, p. 219.
Objectifs : Comprendre, dans les réécritures et les corrections qu’il opère, la démarche et le projet de l’écrivain.
• Travail préparatoire
Le travail de comparaison de deux versions d’un texte
requiert un travail préparatoire minutieux. Les élèves pourront d’abord, chez eux, relever dans deux colonnes les différences notables d’une version à l’autre, en adoptant un code
couleur pour les ajouts et un autre pour les suppressions.
Certaines interprétations pourront également être demandées.
• Introduction
Parmi les différents passages pour lesquels notre édition
présente un état antérieur du texte, deux peuvent être retenus
comme donnant lieu à des modifications majeures témoignant d’un travail significatif de l’auteur :
– L’aveu que Mme Roland fait de son adultère à Jean
(chapitre VII, variante h), passage entièrement retravaillé dans
la version définitive.
– Le long monologue intérieur de Jean dans lequel celuici se demande comment éloigner Pierre, juste avant le repas
au cours duquel il est décidé que Pierre partira comme médecin sur un paquebot (chapitre VIII, variante b).
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Tonalité d’ensemble des deux versions
– La première version de l’aveu (p. 217-218, variante h)
est caractérisée par un discours extrêmement décousu, où
aposiopèses et ruptures de construction sont la règle. La
fonction phatique envahit ce texte également marqué par les
répétitions (« toi... toi... toi... », p. 217 ; « comprends-tu,
comprends-tu, dis, comprends-tu ? », p. 218). Maupassant
semble laisser libre cours à une prose qui rappelle celle de
l’auteur de théâtre, peut-être plus naturelle, mais d’une lisibilité moins évidente.
– La seconde version (p. 172-175) atténue au contraire ce
surplus d’émotion qui empêchait le discours d’être fluide à
la lecture. Maupassant recourt désormais à une syntaxe où
les liens logiques sont réaffirmés, où la répétition laisse place
à la variation et semble être le nouveau moyen de l’expression de l’émotion, jusqu’à atteindre une certaine éloquence
dans l’aveu.
L’évolution du personnage de Mme Roland
– Dans la version initiale, Mme Roland apparaît comme
« une femme d’ordre et de chiffres », un personnage qui a
« pensé à tout » ; elle est notamment préoccupée de la question
de l’héritage qu’elle entend résoudre « tout de suite » (p. 218).
Ce n’est pas elle, mais Jean, qui s’inquiète de la réaction de
Pierre (p. 218). Dans la version finale, au contraire, la question
de l’héritage n’apparaît pas à cet endroit ; la mère implore
Jean de trouver une solution pour éloigner Pierre (« Sauve-moi
de lui », p. 174), et le champ lexical dominant est celui de
l’affect et de la souffrance (« bouleversée », p. 171, « voix si
douloureuse », « torture », « larmes », p. 172). On peut penser
que Maupassant, en remaniant le passage, a voulu insister
davantage sur l’émotion et l’égarement de Mme Roland, garants
de sa douleur, donc de son honnêteté. La gravure reproduite
p. 175 de l’édition, qui contraste avec celle que nous donnons
page suivante, donne à voir la « tendresse passionnée » (p. 171)
unissant mère et fils.
• Le monologue intérieur de Jean :
un passage déplacé en tête de chapitre
Le manuscrit présente un passage de la version finale qui
a été en partie supprimé, en partie déplacé. Signalé par la
Pierre et Jean
• L’aveu de Mme Roland : un passage réécrit
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Illustration du chapitre VI de Pierre et Jean.
Gravure sur bois de G. Lemoine, d’après un dessin de Géo-Dupuis
(in Œuvres complètes illustrées de Maupassant, Ollendorff, 1903)
L’édition GF reproduit plusieurs gravures de G. Lemoine. On comparera la
gravure ci-dessus, qui fait écho à la scène p. 144-146, à celle donnée dans l’édition, p. 175, où la mère pleure dans les bras de Jean. Tandis que le narrateur ne se
prononce jamais en faveur d’un frère ou de l’autre, l’illustrateur semble accentuer
l’opposition, d’origine biblique, entre le bon et le mauvais fils : en témoigne le
contraste entre Pierre qui observe froidement sa mère dans l’une des gravures, et
Jean qui la recueille dans l’autre. Dans la gravure ci-dessus, par la manière dont
il construit la scène, l’illustrateur enferme Mme Roland dans une série de cadres
constitués par la cheminée, le corps de son fils, un meuble derrière elle : pour elle,
il n’y a aucune issue. Le visage de la mère est dissimulé, et son attitude de contrition est soulignée par les jeux de lumière. Le regard de Pierre, lui, est écrasant :
penchant la tête légèrement sur le côté, il la « juge » (p. 145). Ses bras croisés
marquent un caractère inflexible ; il ne manifeste pas les qualités attendues du bon
fils (le pardon, la compassion), qui sont en revanche celles de Jean, comme le
suggère la gravure p. 175. L’analyse du rapport entre texte et image pourra être
complétée par l’étude des gravures données p. 87, 95 et 129, qui mettent en scène
les deux frères.
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Le travail du rythme narratif
Si le passage a été déplacé en tête de chapitre, c’est tout
d’abord probablement pour une raison de cohérence et de
rythme narratifs. Ce passage réflexif voit Jean résoudre la
crise survenue au chapitre précédent et prendre les décisions
qui mèneront au dénouement final : pardonner à sa mère,
éloigner Pierre et accepter l’héritage de son vrai père, le tout
dans un temps extrêmement condensé. La position de ce passage en tête de chapitre permet de justifier ce qui se passe
ensuite.
Dans la première version, en outre, le passage réflexif
intervenait entre deux passages dialogués : le premier entre
la mère et Jean, le second entre Pierre et Jean. Entre ces
deux conversations, un monologue intérieur pouvait paraître
maladroit : il en va en effet de l’impression d’adéquation
entre le temps du récit et le temps de la narration. C’est sans
doute la principale raison pour laquelle Maupassant a choisi
de le déplacer.
L’évolution du personnage de Jean
Le passage revêt une importance particulière, puisqu’il
consiste en une justification psychologique des actions
humaines ; en ce sens, il est à rapprocher de ce que dit
Maupassant dans « Le roman ». Dans la première version,
Jean, avant toute chose, « cherch[e] le moyen d’éloigner
Pierre » (p. 219). Dans la version finale, il semble davantage
préoccupé par la question de son héritage (de « Mais une
idée soudaine l’assaillit » à « il retourna vers la fenêtre »,
p. 177-178). Cette dimension est en germe dans le manuscrit,
qui évoque, sans l’exploiter, une « préoccupation secrète »
de Jean, qu’il « ne s’avou[e] pas à lui-même » : celle « de
ne pas compromettre son mariage » (p. 219), donc son héritage. En faisant passer la question de l’héritage – qui
concerne Jean seul – avant la question de l’éloignement de
Pierre et Jean
variante b p. 180, il retranscrit les réflexions de Jean, juste
après l’aveu de sa mère. Le passage montre le cheminement
de ses pensées, depuis le pardon accordé à la mère jusqu’à
la réflexion qui aboutit à la décision d’obtenir l’éloignement
de son frère Pierre – le tout accompagné par une description des mouvements psychologiques qui expliquent la décision de Jean. Une partie de ce passage a été reprise au début
du chapitre VIII de la version définitive.
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Pierre – qui sauverait leur mère –, Maupassant fait ressortir
l’« égoïsme » du personnage de Jean (p. 178), et exploite la
veine psychologique, en donnant à voir l’héritier en plein
dilemme (p. 178).
SÉANCE 8
ÉVALUATION FINALE
• Sujet d’invention
Critique littéraire, vous écrivez un article sur Pierre et
Jean qui incitera Maupassant à publier « Le roman ». En utilisant le registre polémique, vous l’attaquez sur les points
dont il se défend dans cette préface.
• Commentaire littéraire
Vous ferez du passage de la demande en mariage de Jean
un commentaire littéraire : de « Jean maintenant ne trouvait
rien » à « il vide la mer, ce gaillard-là » (p. 154-156).
• Dissertation
« Les Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des
Illusionnistes » (« Le roman », p. 48). Dans quelle mesure
cette phrase de Maupassant vous semble-t-elle se rapporter
à votre lecture de Pierre et Jean ?
I V . B IBLIOGRAPHIE
La bibliographie très complète donnée en fin de volume
(p. 277-285) fait notamment le point sur les différentes adaptations cinématographiques de Pierre et Jean, dont certaines
pourraient être exploitées en prolongement de la séquence.
Étienne LETERRIER.