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 MARQUES
Epuisement International ou Epuisement Européen du
droit à la marque
Exposé présenté à la Conférence EFE " Panorama du droit pharmaceutique " Paris 6 Mai 1999 Le droit à la marque est un droit exclusif d'utilisation, cependant le produit marqué mis sur le marché doit pouvoir circuler librement selon les modes normaux de commercialisation ; l'accord du titulaire est alors implicite bien qu'il puisse exceptionnellement être démenti par les faits (par exemple : pratique de la marque d'appel). Ainsi, par la première mise sur le marché, le titulaire de la marque "épuise"‐t‐il son droit à la marque. La jurisprudence de la CJCE a constamment considéré que les dispositions des articles 30 à 36 du Traité de Rome s'opposaient à ce que le titulaire du droit à la marque l'exerce pour l'opposer à la libre circulation dans l'ensemble du Marché commun de produits qu'il avait mis sur le marché d'un Etat membre sous la marque. Pour formaliser ce principe de l'épuisement du droit dans la Directive rapprochant les législations des Etats membres sur les marques et dans le Règlement sur la marque communautaire, le législateur communautaire a dû trancher entre les tenants de l'épuisement strictement communautaire et les tenants de l'épuisement international (ou mondial). L'"épuisement international" signifie que le titulaire de la marque ne peut exercer son droit à la marque pour interdire l'importation d'un produit portant cette marque exporté de quelque pays que ce soit où le produit a été licitement mis sur le marché par le titulaire de la marque ou avec son accord. A. La thèse favorable à l'épuisement international : Si l'épuisement était limité à la Communauté, la possibilité qui serait donnée au titulaire de la marque d'interdire l'importation parallèle en provenance de pays tiers serait défavorable au consommateur européen : "l'action en justice contre l'importateur parallèle vise principalement à protéger, dans le pays d'importation, la distribution du produit de marque, organisée d'une manière donnée, contre les perturbations dues à des importations indésirables (...) www.bdl-ip.com Une analyse plus précise encore des pratiques permet d'établir que des intérêts touchant la politique des prix sont en général liés à ces intérêts relatifs à la distribution : on n'assiste pratiquement à des importations parallèles que lorsque le produit de marque est nettement moins cher dans le pays d'exportation que dans le pays d'importation. (...) Le problème des importations parallèles apparaît sous son jour véritable : dans la majorité des cas, il se ramène à la seule question de savoir si, sous sa forme territoriale, le droit des marques peut être utilisé pour répartir les marchés et faire ainsi prévaloir des intérêts en matière de distribution et de prix. (...) Le droit des marques risquerait d'être utilisé également par des titulaires de marques communautaires originaires de pays tiers (tels que les Etats­Unis ou le Japon) aux fins de protéger le Marché commun contre les importations de produits authentiques à bon marché provenant des pays d'origine (les Etats­Unis ou le Japon) et de neutraliser de la sorte la concurrence des importateurs parallèles indépendants. Un tel résultat serait contraire non seulement aux objectifs du droit des marques, mais aussi aux buts fondamentaux du Marché commun". (Extrait de "Le Principe de l'épuisement du droit sur la marque dans les Etats membres et dans certains pays tiers ‐ Commission des Communautés Européennes 1979 par F.K. Beier et A. Von Mühlendahl) B. La thèse favorable à l'épuisement strictement communautaire • La marque reste un droit territorialement limité : ainsi, par exemple, une entreprise française titulaire d'un enregistrement français et d'un enregistrement américain de la même marque épuisera‐t‐elle son droit sur la marque française par la commercialisation en France et son droit à la marque américaine par la commercialisation aux Etats‐Unis. L'importation des Etats‐Unis en France sans son consentement de produits marqués sera une contrefaçon de la marque française. • La qualité ou les caractéristiques des produits offerts sous la marque peuvent être adaptés aux besoins spécifiques ou aux goûts des consommateurs locaux. Admettre que l'on ne puisse opposer son droit de marque à des importations parallèles de tels produits pourrait induire le consommateur européen en erreur et empêcherait la marque de remplir sa fonction de garantie. • L'épuisement communautaire est justifié par le principe de libre circulation des produits à l'intérieur de la Communauté Européenne. L'absence de libre circulation internationale des produits ne justifie pas l'épuisement international. C. La Directive Dans sa proposition initiale de Directive, la Commission avait opté pour l'épuisement international. Les débats au Parlement européen qui ont finalement conduit à l'adoption de l'épuisement communautaire montrent que l'intention du législateur communautaire a bien été d'exclure l'épuisement international : www.bdl-ip.com "Toutefois, après un examen approfondi, nous sommes arrivés à la conclusion que les répercussions négatives que le principe de l'épuisement international pourrait avoir sur la politique commerciale devaient faire pencher la balance. En effet, la proposition de la Commission défavorise les entreprises de la Communauté par rapport à celles des pays tiers qui n'appliquent pas le principe de l'épuisement international. La Communauté fournirait ainsi une prestation préalable unilatérale. (...) Par conséquent, la Commission peut donner son assentiment à la suppression du principe de l'épuisement international si votre Assemblée se prononce en ce sens." (M. Narjes, Membre de la Commission, débats du Parlement Européen du 12 octobre 1983) Article 7 ‐ Epuisement du droit conféré par la marque 1.Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle‐ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté (depuis 1994 dans l'Espace Economique Européen) sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. 2.Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce. Cet article doit être rapproché de l'article 5 qui précise les droits conférés par la marque : 1.La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires : a)d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle‐ci est enregistrée ; b)d'un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l'identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l'esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d'association entre le signe et la marque ; 2.Tout Etat membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle‐ci jouit d'une renommée dans l'Etat membre et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice. 3.Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit : www.bdl-ip.com a)d'apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement ; b)d'offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe ; c)d'importer ou d'exporter les produits sous le signe ; d)d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité. (...) L'article 7 introduit donc bien une exception au droit d'interdire l'usage de la marque et doit être interprété restrictivement. D.La Jurisprudence Des observations qui précèdent, il ressort que la Directive, tant dans son esprit que dans sa lettre, exclut l'épuisement international. La jurisprudence nationale des Etats membres le reconnaît en général et en France en particulier : • Carrefour c. Ocean Pacific Sunwear ­ Cass.com. 2 décembre 1997, PIBD n° 649 La société américaine Ocean Pacific avait donné à une société israëlienne la licence de ses marques en Israël. Des vêtements ainsi marqués mis sur le marché israëlien ont été importés en Europe sans l'accord de la société américaine par une société belge et revendus en France par Carrefour. La Cour d'Appel de Paris a condamné Carrefour pour contrefaçon des marques françaises. La Cour de Cassation saisie d'un pourvoi a ainsi statué : "Attendu que la société Carrefour fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle avait commis des actes de contrefaçon, alors, selon le pourvoi, qu'en l'absence de toute contestation relative à l'apposition de la marque sur le produit et, partant, au caractère authentique du produit ainsi marqué, le titulaire de ladite marque ne peut s'opposer, par application de l'article 422.2° du Code pénal applicable en la cause, à la commercialisation par un tiers de ce produit ; qu'en en décidant autrement, l'arrêt viole ledit article 422.2° du Code pénal ; Mais attendu que l'arrêt retient que lorsque la commercialisation d'un produit a eu lieu dans un pays étranger à la Communauté européenne ce qui est le cas en l'espèce puisque l'importation en France trouve son origine en Israël par l'intermédiaire de la Belgique, l'usage de la marque sans autorisation de son titulaire, auteur du dépôt en France, est interdit ; qu'ayant relevé, que les produits portant la marque avaient été importés dans un Etat membre de la Communauté Européenne sans l'autorisation du titulaire de ladite marque, la cour d'appel a déduit, à bon droit, que celui­ci avait un droit de suite et de contrôle jusqu'à l'acquéreur final en France, en l'occurrence la société Carrefour France ; www.bdl-ip.com d'où il suit que le moyen n'est pas fondé". Cette décision est un rejet catégorique de l'épuisement international. Cependant, les juridictions d'Etats ayant récemment adhéré à l'Union Européenne et en particulier lorsque leur droit national admettait jusqu'alors l'épuisement international, se posent encore la question et, en ce qui concerne l'Autriche, l'ont posée à titre préjudiciel à la CJCE. • Silhouette International Schmied GmbH & Co. KG c. Hartlauer Handelsgesellschaft mbH (Aff. C­355/96 ­ Arrêt du 16 juillet 1998) La société Silhouette fabrique et commercialise sous sa marque SILHOUETTE en Autriche et dans la plupart des pays des lunettes de prix élevé. En octobre 1995, elle a vendu à bas prix à une société bulgare 21.000 montures démodées en demandant que ces montures ne soient vendues qu'en Bulgarie ou dans les pays de l'ex Union Soviétique et ne soient pas ré‐exportées. La société autrichienne Hartlauer a acheté ces marchandises ‐ on ne sait à quel vendeur ‐ et les a proposées à la vente en Autriche à partir de décembre 1995. La société Silhouette a engagé une action judiciaire en Autriche pour y faire interdire la vente de ces produits. Elle a soutenu ne pas avoir épuisé son droit à la marque, la Directive ne prévoyant l'épuisement que si les produits ont été mis dans le commerce sur le territoire de l'E.E.E. par le titulaire de la marque ou avec son consentement, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. L'action de Silhouette a été rejetée par les premières juridictions. Silhouette a formé un pourvoi devant la Cour Suprême d'Autriche (Oberster Gerichtshof). Celle‐ci a constaté que dans l'exposé des motifs de la loi autrichienne transposant la Directive en droit interne, il était laissé à la pratique juridique le soin de régler la question de la validité du principe de l'épuisement international. L'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice la question suivante : "Convient­t­il d'interpréter l'article 7, paragraphe 1 (...) de la Directive en ce sens que le droit conféré par la marque permet à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage de celle­ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce sur le territoire d'un Etat qui n'est pas une partie contractante ?" La Cour de Justice, pour rendre sa décision, a retenu deux arguments essentiels du rapport de l'Avocat Général Jacobs : ‐ la Directive, dans ses articles 5 à 7, contient une harmonisation complète des règles relatives aux droits conférés par la marque et ne saurait donc être interprétée en ce sens qu'elle laisserait aux Etats membres la possiblité de prévoir dans leur droit national l'épuisement des droits conférés par la marque pour des produits mis dans le commerce dans des pays tiers, www.bdl-ip.com ‐ cette interprétation est au surplus la seule qui soit pleinement susceptible de réaliser la finalité de la Directive, qui est de sauvegarder le fonctionnement du marché intérieur. Le Gouvernement suédois a soutenu que l'article 7 de la Directive laisse aux Etats la possibilité de prévoir dans leur droit national un épuisement non seulement pour des produits mis dans le commerce dans l'E.E.E. mais également pour ceux mis dans le commerce dans les pays tiers. Les gouvernements allemand, français, italien, britannique et même autrichien ont plaidé pour une limitation de l'épuisement à l'E.E.E. La Cour a dit pour droit : "L'article 7, paragraphe 1, (...) s'oppose à des règles nationales prévoyant l'épuisement du droit conféré par une marque pour des produits mis dans le commerce hors de l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement". E.Conclusion En l'état actuel des textes et de la jurisprudence : ® le droit du titulaire sur sa marque ne lui permet pas d'interdire la commercialisation dans l'E.E.E. d'un produit qui a été mis sur le marché dans un Etat de l'E.E.E. par lui‐
même ou avec son consentement, sauf motifs légitimes tels altération ou modification de l'état des produits. A cet égard, la CJCE a interprété l'article 7 alinéa 2 de la Directive en ce sens que le titulaire de la marque peut légitimement s'opposer à la commercialisation ultérieure d'un produit pharmaceutique lorsque l'importateur a reconditionné le produit et y a réapposé la marque à moins : * qu'il soit établi qu'une telle utilisation du droit de marque contribuerait à cloisonner artificiellement les marchés entre états membres * qu'il soit démontré que le reconditionnement ne saurait affecter l'état originaire du produit contenu dans l'emballage * qu'il soit indiqué clairement sur le nouvel emballage l'auteur du reconditionnement du produit et le nom de son fabricant * que la présentation du produit reconditionné ne puisse nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire * que l'importateur avertisse, préalablement à la vente du produit reconditionné, le titulaire de la marque et lui fournisse, à sa demande, un spécimen du produit reconditionné CJCE, 11 juillet 1996, PIBD n° 620 ­ Bristol­Myers Squibb c. Paranova ® le titulaire de la marque peut interdire la commercialisation dans l'E.E.E. de produits www.bdl-ip.com importés sans son consentement et qui ont été mis sur le marché dans un pays tiers par lui ou avec son consentement. Pour le moment, si l'avantage est aux partisans de l'épuisement strictement communautaire, leur enthousiasme doit être tempéré par l'observation suivante : La Directive Communautaire a pour but de rapprocher les dispositions nationales ayant l'incidence la plus directe sur le fonctionnement du marché intérieur et, comme toute réglementation de droit dérivé, elle doit être interprétée à la lumière des règles du Traité de Rome relatives à la libre circulation des marchandises. Ainsi, même si le principe de l'exclusion de l'épuisement international semble admis et que le titulaire de la marque a donc le droit d'interdire l'importation non souhaitée dans l'Espace Economique Européen de produits authentiques qu'il a mis sur le marché de pays tiers, l'exercice de ce droit pourra lui être refusé s'il a pour effet de restreindre ou de fausser la concurrence dans la Communauté. C'est ce qu'a rappelé fort à propos la CJCE : CJCE, 28 avril 1998 Javico International et Javico AG c. Yves Saint Laurent Parfums SA ­ Aff. C­306/96 "1)l'article 85, paragraphe 1 du traité CE s'oppose à l'interdiction faite par un fournisseur établi dans un Etat membre de la Communauté à un distributeur établi dans un autre Etat membre, auquel il confie la distribution de ses produits dans un territoire situé hors de la Communauté, de procéder à toute vente dans un territoire autre que le territoire contractuel, y compris le territoire de la Communauté, tant par commercialisation directe que par réexpédition depuis le territoire contractuel si cette interdiction a pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence à l'intérieur de la Communauté et si elle risque d'affecter les courants d'échange entre les Etats membres. Tel peut être le cas lorsque le marché communautaire des produits en cause est caractérisé par une structure oligopolistique ou par un différentiel sensible entre les prix du produit contractuel pratiqués à l'intérieur de la Communauté et ceux pratiqués à l'extérieur de la Communauté et lorsque, compte tenu de la position occupée par le fournisseur des produits concernés et de l'ampleur de la production et des ventes dans les Etats membres, l'interdiction comporte un risque d'influence sensible sur les courants d'échanges entre les Etats membres susceptible de nuire à la réalisation des objectifs du marché commun (...)". Gérard DASSAS © CABINET BEAU DE LOMENIE – 1999 www.bdl-ip.com