le cas du tissu traditionnel

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le cas du tissu traditionnel
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Table des matières
______
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$3(5d8*e1e5$/685/$48(67,21 1.1. QUELQUES TENTATIVES DE DÉFINITION ................................................................................................5
1.2. ORIGINE ET CONTENU ...........................................................................................................................6
1.3. TYPOLOGIE DES ACTIVITÉS INFORMELLES ............................................................................................7
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/HVHFWHXUQRQVWUXFWXUpHQPLOLHXXUEDLQ ,,
/(6(&7(857(;7,/(75$',7,211(/ 2.1. IMPORTANCE DU TEXTILE DANS LES SOCIÉTÉS TRADITIONNELLES ........................................................9
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2.2. LES TYPES DE PRODUITS MIS SUR LE MARCHÉ .....................................................................................11
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/(6,1129$7,2167(&+1,48(6'$16/(6(&7(857(;7,/(75$',7,211(/ 3.1. LES INNOVATIONS TECHNIQUES ..........................................................................................................17
3.2. LES CRÉATEURS DE MODE ET L’AVENIR DU SECTEUR TRADITIONNEL..................................................18
3
-XLOOHW
4
,1752'8&7,21
Il n’est plus possible de parler de l’économie africaine sans évoquer le rôle du secteur informel de plus
en plus omniprésent tant dans les campagnes que dans les villes. Mais plus ce secteur tend à
concurrencer les activités dites formelles, plus se pose la question de sa définition, de son contenu et
de son mode de gouvernance. Sans élucider cette question, il sera difficile de considérer ce secteur
comme un facteur de la croissance et de la transformation qualitative des économies ouest-africaines.
Bien que, sous l’effet de la mondialisation, le secteur informel tende à se généraliser à l’ensemble des
pays de la planète1, de nombreux doutes subsistent quant à sa capacité à contribuer efficacement au
processus du développement.
,
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A partir des travaux sur la question, il est possible d’identifier plusieurs tentatives de définition dont
les plus courantes concernent le caractère récent des unités de production, leur expansion en nombre,
la genèse des producteurs, l’importance de l’apprentissage et la faiblesse du capital engagé. Ces
définitions sont souvent complétées par d’autres critères tel que le statut légal de l’entreprise en
matière fiscale, juridique et d’enregistrement statistique.
Ces tentatives de définition sont malheureusement limitatives par rapport à la pratique des activités
informelles en Afrique de l’Ouest. Elles excluent l’agriculture d’autosubsistance qui se pratique dans
les campagnes avec des techniques rudimentaires et selon une forme d’organisation de marché dont le
système ne dépasse guère celui du village ou du clan. Elles ne prennent pas non plus en compte le
secteur de distribution en aval de toutes les activités de production. Ces lacunes montrent qu’une
définition de l’informel doit davantage insister sur la notion de mode de vie, pour ne pas dire de
civilisation, issu des différentes mutations provoquées par le partage colonial et dans le prolongement
d’une vieille tradition socioculturelle. Par conséquent, le point de départ le plus intéressant pour
formuler toute définition objective du secteur informel doit être le caractère dualiste de l’économie :
induit par le fait colonial, il se manifeste par un clivage au sein du fonctionnement de la société entre
lettrés, grands bénéficiaires des avantages de la colonisation, et illettrés, largement en marge du
processus actuel de la « modernité ». Autrement dit, la colonisation a développé des logiques
économiques et de gestion de la société qui ne sont pas encore accessibles à tous. Ainsi, la meilleure
définition des activités informelles serait celle qui considèrerait ces activités comme étant le
prolongement de l’économie traditionnelle mais se développant aujourd’hui dans un environnement
marqué par de profondes mutations. Les limites entre l’économie traditionnelle et l’économie dite
moderne se traduisent ainsi par le phénomène d’informalisation du secteur moderne et vice-versa.
Quoi qu’il en soit, l’informel dans le contexte de l’Afrique de l’Ouest regroupe plusieurs types
d’activités :
1
x
L’agriculture traditionnelle d’autosubsistance largement pratiquée par la majeure partie de la
population et dont la production alimente les échanges de type villageois. A cela s’ajoute une
autre agriculture péri-urbaine pourvoyeuse de légumes frais pour la ville ;
x
Les petits métiers urbains et ruraux (artisanat traditionnel, petite production artisanale…) ;
x
Les échanges non enregistrés se déroulant sur les marchés périodiques ou dans les principaux
cordons frontaliers ;
Cf Les contrebandiers de la mondialisation. Alternatives Economiques, n°216, juillet-août 2003.
5
x
Les activités de services comme la restauration populaire, les métiers de tailleurs, de coiffeurs
ou de transporteurs urbains… ;
x
La sous-traitance industrielle par les petits artisans pour la fabrication des pièces détachées ou
autres biens nécessaires au montage industriel.
Ce sont les quatre premiers types d’activités qui, prolongeant la vieille logique d’économie
traditionnelle, sont largement répandus en Afrique de l’Ouest. Leur développement actuel s’explique
par des facteurs objectifs tels que les contraintes géographiques caractérisées par l’étroitesse de
l’espace national, la rareté des ressources naturelles et l’appauvrissement continue des pays africains.
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L’origine du secteur informel et son contenu résultent de l’impossibilité pour une importante couche
de la population de s’insérer dans les structures économiques imposées par la colonisation. La
modernisation de la société africaine et de son économie à partir de l’entreprise coloniale n’a concerné
qu’une faible couche de la population aujourd’hui dépendante des activités dites formelles.
Malheureusement, au fur et à mesure de l’évolution des sociétés africaines, il se dessine une forte
marginalisation d’une importante couche de la population peu touchée par les bienfaits de la
colonisation et toujours dépendante des vieilles structures de production traditionnelle sous leur forme
agricole, artisanale et commerciale.
Cette activité informelle devient de plus en plus prépondérante, non seulement à cause de la part
importante de la population qui s’y adonne mais aussi en raison de la crise économique très profonde
que traversent actuellement les pays africains suite au mauvais fonctionnement de l’État et aux
conséquences des différents programmes d’ajustement suggérés par les institutions internationales.
L’informalisation des économies dites modernes tient à trois facteurs complémentaires :
x
L’extraversion croissante des activités économiques : la superposition de l’économie de
marché sur des structures traditionnelles qui ont, jusqu’à la veille de la pénétration
occidentale, déterminé les valeurs et les relations sociales et crée des situations hybrides très
mal maîtrisées de nos jours ;
x
Le rôle de la fiscalité comme moyen de prélèvement et de fonctionnement de l’État colonial,
lequel a rendu non transparentes les activités dites formelles ;
x
La non-performance des appareils de planification qui fait que l’État moderne est souvent
incapable de maîtriser statistiquement tous les besoins de sa population. Il en résulte une
distorsion parfois très grande entre l’offre (en emplois, en biens alimentaires et autres), et la
demande réelle. Les marges sont souvent occupées ou satisfaites par des acteurs qui éprouvent
des difficultés à intégrer les circuits officiels du fait de l’existence de barrières de toute nature.
Un pan entier des activités économiques échappe ainsi au contrôle de la statistique.
L’informalisation peut également revêtir un aspect clandestin ou parallèle pour éviter les
agents du fisc et se protéger contre le mauvais fonctionnement des structures étatiques.
Cette situation de prélèvement par la taxation sous diverses formes a revêtu un caractère aigu ces
dernières années du fait de l’aggravation de la crise économique. L’effondrement des unités de
production et l’impossibilité pour l’État de jouer un rôle régulateur de l’activité économique ont
poussé de nombreux acteurs à se rabattre sur d’innombrables petits métiers au sein desquels les
femmes occupent une large part. Alors que les grands agrégats économiques sont dans le rouge, la
population se satisfait des revenus, fussent-ils modestes, que lui procurent les activités parallèles.
6
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Sous le terme de secteur informel fonctionnent une multitude d’activités tant à la campagne qu’à la
ville.
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Aujourd’hui, dans les campagnes, la monétarisation de l’économie a un impact particulier sur les
activités exercées par la population. Le développement des cultures de rente donne lieu à la
cohabitation de deux structures de production dans les villages. Les grandes exploitations sont prises
en charge par les structures étatiques ou privées à travers un bon encadrement, un financement correct
et une organisation rationnelle de la commercialisation. Parallèlement, les cultures vivrières ne
bénéficient d’aucun soutien bien qu’elles soient à la base de la sécurité alimentaire de toute la
population. Son encadrement est entièrement laissé aux bons soins du paysan selon sa logique et ses
maigres moyens.
L’économie rurale en Afrique de l’Ouest est à la fois liée à la production vivrière d’autosubsistance,
aux petits métiers, aux activités de transformation et de distribution sur les marchés locaux et
régionaux avec une certaine spécialisation ethnique par secteur.
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L’urbanisation galopante des villes ouest-africaines est due à l’exode rural, à l’afflux des migrants
étrangers et depuis peu des réfugiés. Une grande proportion de nouveaux arrivants sur le marché
urbain du travail a tendance à chercher de l’emploi dans le domaine non agricole. Il en résulte un
développement spectaculaire de petits métiers. La prolifération de ces petits métiers vient atténuer la
distorsion entre la croissance de la population et celle de l’emploi du fait que la population urbaine
croît à un rythme plus rapide que l’emploi. Une étude du BIT2 mentionne néanmoins que ces
tendances varient d’une ville à une autre, en fonction de facteurs aussi bien politiques, économiques,
culturels que sociaux.
A titre d’exemple, dans la ville de Lomé au Togo, le taux de croissance de l’emploi dans les activités
de service et de production est de l’ordre de 2,7% par an, alors que la croissance urbaine croît à un
rythme annuel de 6,6%. A Bamako, au Mali, les croissances annuelles de l’emploi et de la population
urbaine semblent équilibrées autour de 5%. En Mauritanie, le rythme annuel de croissance de
l’emploi est supérieur à 11% tandis que celui de la croissance urbaine à Nouakchott, principale ville
du pays, est de 8,6%3.
Dans ce contexte, les citadins cherchent des emplois informels en exerçant des activités qui existaient
auparavant dans les campagnes mais aussi certaines activités de maintenance des produits importés,
notamment dans le domaine de la réparation et du recyclage.
La création de nouvelles activités urbaines se heurte aux contraintes de développement de pays
africains en majorité peu favorables à l’implantation d’entreprises personnelles, lesquelles nécessitent
des moyens techniques et financiers considérables qui font défaut à la grande majorité de la population
urbaine.
Les impératifs de survie poussent les travailleurs excédentaires des zones urbaines à trouver un emploi
quelconque pour subvenir à un minimum de leurs besoins. D’où la floraison de petites activités
urbaines qui sont autant d’ opportunités d’emplois et de revenus offerts par le secteur non structuré et
qui témoignent de l’ampleur du manque d’emplois dans le secteur moderne.
2
3
BIT, le secteur non structuré et l’emploi urbain en Afrique de l’Ouest, Genève, 1987.
Maldonado C., petits producteurs urbains d’Afrique francophone, Genève, BIT/PME, 1987.
7
L’observation du paysage urbain dans les pays d’Afrique de l’Ouest montre que l’emploi dans le
secteur non structuré est caractérisé par une certaine segmentation qui permet de distinguer plusieurs
catégories de secteur informel :
x
L’informel de production. C’est le cas de toutes les activités se rapportant aux métiers du bois,
du métal, du tissage et de la confection ;
x
L’informel de services comme les travaux de maintenance des appareils importés ou la
réparation (mécanique, électricité, plomberie), le cirage de chaussures ou la restauration
populaire, sans oublier les travaux de blanchisserie, de repassage ou de transport (comme par
exemple les taxis motos au Bénin, au Niger, au Nigeria et au Togo).
x
L’informel d’art, notamment les travaux de peinture, de sculpture, de décoration et de
broderie ;
x
L’informel de distribution et d’échanges très visibles sur le terrain, qu’il s’agisse de
l’animation des marchés périodiques, des tabliers fixes ou ambulants, des commerçants
colporteurs qui sillonnent les villages, les carrefours de circulation et les artères des villes
africaines, ou les trafiquants de toute nature qui agissent au niveau des frontières d’État ou des
principaux nœuds commerciaux. Ces trafiquants ont une grande envergure territoriale et
spatiale. Ici apparaissent de véritables communautés marchandes dont la stratégie repose sur
les trafics parallèles ou clandestins souvent qualifiés de contrebande. Ces activités d’échanges
sont contrôlées par de puissants réseaux et par des diasporas4.
Quelles que soient les formes que prennent les activités informelles dans les sociétés africaines, on
peut dire qu’elles seules garantissent désormais la sécurité de la majeure partie des populations rurales
et urbaines. En effet, l’intervention de l’État dans les secteurs-clés de l’économie ne s’est pas soldée
par une réussite, ces secteurs demeurant incapables de jouer un rôle moteur pour la croissance. La
conséquence en est la généralisation de la crise qui se manifeste le plus souvent par le déséquilibre
chronique de la balance commerciale aggravé par un endettement considérable. Cela se traduit par un
affaiblissement croissant du pouvoir économique de l’État comme en témoignent la poussée de
l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat touchant toutes les catégories sociales. Parallèlement à cette
crise de l’État, on observe la consolidation du secteur informel qui implique désormais la majeure
partie des acteurs privés.
C’est donc la situation du marché du travail dans le secteur moderne qui est à l’origine du
développement de l’auto-emploi, caractérisé par l’incitation pour certaines catégories sociales de
créer des emplois informels qu’elles pourront gérer et rendre compétitifs afin de se procurer des
revenus substantiels pour leur survie. Les cadres et les stratégies d’intervention diffèrent en fonction
du milieu et de la catégorie socioprofessionnelle d’appartenance. Pour certaines catégories sociales, le
secteur informel devient alors un refuge.
Il existe cependant des activités informelles dynamiques, autour desquelles se développent quelques
innovations capables d’avoir des effets multiplicateurs sur l’emploi. Du point de vue de l’étude des
déterminants structurels de la compétitivité ouest-africaine développé ici, le secteur textile traditionnel
est exemplaire et justifie ici une étude de cas.
,,
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L’étude du secteur textile traditionnel semble pertinente pour plusieurs raisons :
4
Les contrebandiers de la mondialisation, op. cit.
8
x
L’ancienneté du secteur textile et son profond enracinement dans la société permettent de bien
comprendre le phénomène de superposition entre secteur moderne et activités informelles et
les conséquences de cette superposition dans les mutations de l’économie ouest-africaine ;
x
Ce secteur a un effet multiplicateur important, avec environ une dizaine de filières allant de la
culture du coton en passant par sa récolte, la filature, la teinture des fils, le tissage, la teinture
du pagne tissé, la bonneterie, la confection, le lavage des produits et la vente. Ces différentes
filières font du secteur textile le plus grand pourvoyeur d’emplois en Afrique de l’Ouest après
l’agriculture. Il utilise environ 65 à 70% des artisans au Mali, 50% au Burkina Faso, entre 30
et 40% au Ghana. Dans la ville d’Iseyin peuplée d’environ 200.000 habitants au Nigeria,
chaque famille possède son métier à tisser ;
x
Malgré son ancienneté, le secteur textile reste encore dynamique à cause de l’abondance de la
matière première, de la qualité des produits mis sur le marché et surtout de la valeur
symbolique de ces produits. Ainsi, le boubou des hommes et des femmes demeure depuis des
temps anciens une des meilleures façons d’exprimer l’élégance africaine.
Dans la recherche de l’affirmation culturelle, seuls la manière de s’habiller et les noms qu’on porte
restent encore les meilleurs moyens d’expression de l’authenticité africaine. « Les textiles africains
sont comme des livres pour la connaissance des peuples, de leur histoire, de leurs coutumes et de leur
savoir-faire. Tout s’y révèle signifiant, tout y est WHVW, les fibres, les techniques de tissage, les colorants
et les motifs »5. Ces tissus expriment une certaine vitalité, une extraordinaire aisance par la
somptuosité, la noblesse et l’éclat des couleurs. Il témoigne d’une élégance inimitable et du rang social
que l’on s’adjuge dans la société. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs modernes africains
s’expriment eux aussi à travers les costumes traditionnels. La valorisation de ces costumes par la
nouvelle élite confère au secteur textile un dynamisme exceptionnel qui laisse penser que ce secteur
peut jouer un rôle dans la compétitivité de l’économie ouest-africaine. En effet, c’est dans ce secteur
que s’observent les facteurs de changement positifs comme par exemple l’originalité, les innovations
technologiques et les meilleurs prix. Loin du secteur de survie, on approche ici un mouvement
dynamique largement soutenu par la demande locale, nationale et régionale.
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&DUWH
L’ethnologie occidentale a toujours présenté les peuples noirs comme légèrement vêtus, n’utilisant
que la peau des bêtes ou l’écorce d’arbre tannée. Pourtant, plusieurs sources témoignent du fait que le
continent noir connaissait le tissage de vieille date. Les récits arabes parlent déjà depuis le IXème
siècle de notre ère de la richesse vestimentaire de certaines communautés africaines et de la qualité de
leur tissu6. Marque de pouvoir et de richesses, les textiles sont porteurs de messages symboliques et
jouent un rôle important dans la vie quotidienne et rituelle. Chaque région du continent a inventé et
développé sa propre technique de filature, de tissage et de teinture. On dénombre d’importants foyers
de production en Afrique de l’Ouest dont les plus originaux par la qualité de leur tissage sont :
5
6
x
Les Manjack de la Guinée Bissau et de la Casamance au Sénégal fabriquent un tissu écru
connu sous le nom de UDEDO, entièrement brodé à la main ;
x
Les Sénoufo et les Baoulé de Côte d’Ivoire qui tissent le pagne NLWD, aujourd’hui très
populaire.
x
Les Ashanti et les Ewe du Ghana sont les maîtres du tissu NHQWH avec ses différentes
variantes locales appelées 1VDGRXDVR et $GLQNUD;
Germain Viatte, in Bernhard Gardi (Editeur) : Le Boubou – c’est chic, Musée national des Arts d’Afrique
et d’Océanie. Paris, 2002, p3.
Michel Coquet : textiles africains, Edition Adam BIRO, Paris, 1993, p15.
9
x
Les Malinké du Mali bien connus pour leur ERJRODQ et surtout leur technique de batik
appliquée aux tissus importés ;
x
Les populations du Burkina Faso sont réputées pour la fabrication du IDVRIDQL devenue
depuis quelques années une activité de masse ;
x
Les Yoruba et les Haoussa du Nigeria produisent O¶DVRRNp largement fabriqué à Iseyin et
les tissus écrus en pays haoussa ;
x
Les Fon de l’ancien Dahomè sont bien connus pour leur tapisserie et les tentures
d’Abomey, etc.
Toutes ces zones de tissage sont anciennes et peuvent se répartir en deux zones géographiques selon la
nature et la qualité des produits mis sur les marchés.
/HIR\HUVRXGDQRVDKpOLHQ
Le monde soudano-sahélien est de loin le plus connu pour son textile traditionnel parce que bien décrit
par les exploiteurs arabes. Selon ces Arabes, l’Afrique soudanaise a découvert les étoffes presque au
même moment que l’Europe. Les Soudanais ont su créer leur propre industrie de filature et de tissage
dans des centres célèbres comme Tombouctou, Gao et Djenné. Par la suite, cette industrie textile est
devenue si florissante que l’Afrique occidentale a pu exporter ses tissus vers le monde arabe. Les
cotonnades de Gao et de Djenné sont vendues aux Berbères du Sahara et de là exportés vers le
Maghreb où l’achetaient les Arabes du Nord. Ainsi, à partir du XIème siècle, le tissu du Soudan
circulait dans toute la Méditerranée. Mais c’est dans la région ouest-africaine que ce produit a connu
sa plus grande expansion pour atteindre d’un côté le haut Sénégal, le Toucouleur, le Soninké et les
pays wolof et de l’autre le Dioula et le Mandé. Le rôle du Mandé fut particulièrement actif dans la
zone forestière de la Côte d’Ivoire, du Liberia et de la Sierra Leone actuels.
Le deuxième pôle de ce foyer soudano-sahélien sont les pays haoussa et le Bornou qui ont pris la
relève de Tombouctou, Gao et Djenné après l’occupation marocaine à la fin du XIVème siècle. Le
succès de ce deuxième pôle était tel que la ville de Kano fut considérée par les Anglais au XIXème
siècle comme le Manchester d’Afrique de l’Ouest : l’importance de son tissage couvrait une région
extrêmement vaste allant du Bornou Kanem en passant par le Kordofan pour atteindre toute l’Afrique
orientale.
/HIR\HUIRUHVWLHU
Ce foyer comprenait le pays akan (le Ghana actuel), la région ewe (le Togo), le Danhomey (le Bénin
actuel) et le pays Yoruba (le Nigeria actuel). Mais à la différence du foyer soudano-sahélien, où les
cotonnades livrées sur le marché sont assez semblables, chaque zone forestière a su inventer son
propre style avec des techniques et des motifs assez différents.
Les Baoulés de Côte d’Ivoire fabriquent un NDWL sur fond indigo principalement. Les Ashanti du Ghana
produisent du NHQWH largement dominé par la couleur jaune, les Fons d’Abomey dans l’ancien
Danhomè se sont surtout spécialisés dans les tentures ornées de motifs d’animaux aux couleurs vives.
Les Yorubas préfèrent O¶DVRRNp, en bandes larges de huit à dix centimètres fabriquées à partir de
coton et de soie : ici, les couleurs dominantes sont plutôt le mauve, le bleu indigo et le kaki, avec
des rayures blanches, dorées ou vertes qui donnent plus de relief au tissu.
Ces différents foyers ont survécu jusqu’à nos jours en s’adaptant à toutes les évolutions techniques
ainsi qu’aux exigences du marché. La survie de cette activité textile a été largement dépendante de la
protection dont elle jouissait de la part des dignitaires locaux. Presque tous les rois et leur cour ont
trouvé dans cette activité un élément important de leur prestige. Beaucoup de ces rois ont créé des
corporations de tisserands pour travailler à l’intérieur des cours royales : Oyo (Yoruba), Bida (Nupé),
Abomey (Danhomè), Kumasi (Ashanti), Nikki (Bariba), (pour ne citer que ces exemples) abritaient
d’importantes communautés d’artisans au sein desquels les tisserands étaient les plus représentatifs.
10
Ces tisserands fabriquaient des tissus de qualité exceptionnelle, uniquement destinés au roi, à sa
famille, à ses dignitaires et courtisans. Les objets offerts en cadeau étaient constitués des ERXERXVet
pagnes fabriqués par ces artisans.
Chez les Haoussas, les Kanouris et les Foulbés, du Nord-Nigeria et du Nord-Cameroun, les meilleurs
tailleurs et brodeurs de boubou siègent également à la cour des Emirs ou des Lamidos. C’est de ces
différentes cours que beaucoup sont partis pour s’installer dans les principales villes du Sud où ils ont
réussi à constituer de véritables corporations de tailleurs et de brodeurs (à l’instar du quartier des
briqueteries à Yaoundé au Cameroun ou du quartier Zongo à Cotonou au Bénin).
/HVW\SHVGHSURGXLWVPLVVXUOHPDUFKp
Les tissus traditionnels mis sur le marché sont très variés tant du point de vue de la largeur des bandes,
des motifs représentés que de la qualité du produit et de l’usage qui en est fait. Chaque région
d’Afrique de l’Ouest tout en respectant les exigences traditionnelles, tente de s’adapter à la demande
actuelle.
Les tissus disponibles sur le marché offrent une gamme très large parmi laquelle quelques-uns
méritent d’être mentionnés :
x
Au Mali, les couvertures peules et bambaras, les pagnes peules, les tapis, le bogolan et le basin
teint ;
x
En Guinée, les pagnes teints à l’indigo de Labé et de Kindia ;
x
Au Sénégal, le UDEDO de la Casamance, ou le WKLROL wolof;
x
Au Ghana, le NHQWH ashanti et ewe;
x
En Côte d’Ivoire, le .DWL baoulé et le pagne sénoufo ;
x
Au Bénin, les tapisseries d’Abomey ;
x
Au Burkina Faso, le IDVRIDQL, très répandu sur l’ensemble du territoire ;
x Au Nigeria, le pagne haoussa, le tissu nupe, O¶DVRRNH et l’DGLUqYoruba.
Les tissus qui font l’objet d’une demande nationale et internationale sont tout de même limités et la
très large gamme se réduit au ERJRODQ et au EDVLQ teint malien, au NHQWHakan et éwé, au IDVRIDQL du
Burkina Faso, aux tentures d’Abomey, O¶DVRRNH d’Iseyin et à l’DGLUq d’Abèokuta au Nigeria.
/HERJRODQ
Le bogolan est la création exclusive des populations Bambara et Dogon du Mali. Il s’agit d’un tissu
aux couleurs de la terre. La teinture est réalisée avec la terre recueillie du fond des marigots et des
feuilles d’un arbre local appelé le « galama ». Cette feuille sert de fixateur tout en conférant au
bogolan sa teinte jaune ocre.
Ces tissus traditionnellement portés par les populations ont été valorisés à partir de 1980 par un
styliste malien, Seydou Nourou Doumbia, mieux connu sous le nom de Chris Seydou. Celui-ci a
redessiné les motifs du bogolan de façon plus raffinée et mieux adaptée à l’esprit contemporain.
Profitant du slogan « Consommer malien », il a permis au public africain et international de découvrir
ce tissu original grâce à la Fédération des créateurs africains lancées à Accra (Ghana) au début de
l’année 1993. C’est ainsi que le bogolan a conquis le monde entier pour devenir à la fois un tissu
d’habillement, de décoration et d’ameublement. Mais c’est dans la décoration et l’ameublement que le
bogolan a connu le plus de succès en Occident.
11
/HEDVLQWHLQW
De toutes les étoffes qui ont alimenté sur plusieurs siècles l’économie de traite, deux ont totalement
intégré les habitudes vestimentaires africaines et ont fait la fortune de nombreuses femmes. Il s’agit
d’un côté du basin, encore appelé damas, et de l’autre le wax hollandais produit à l’usine d’Helmond
par la société Vlisco.
Le basin a trouvé son terrain de prédilection dans les pays sahéliens avec pour épicentre le Mali, tandis
que le wax hollandais s’est enraciné dans les États du golfe de Guinée en choisissant le Togo et
notamment la ville de Lomé, sa capitale, comme base de rayonnement régional.
Mais à la différence du wax consommé à l’état brut (certes à partir des motifs et couleurs proposés par
les Africains à la société Vlisco), le basin est totalement repris par les artisans africains pour lui
conférer une nouvelle personnalité à partir de laquelle il devient un produit de l’artisanat local. C’est la
raison pour laquelle ce produit mérite une attention particulière.
Le basin teint représente de nos jours un des sommets de l’artisanat malien. Il s’est si bien adapté aux
exigences de la mode africaine qu’il reste actuellement l’une des activités les plus rémunératrices du
secteur informel. Nombreux sont ceux qui estiment que le basin teint malien est de loin la plus
précieuse des étoffes commercialisées en Afrique occidentale. Depuis l’indépendance des États
africains, les ventes annuelles du basin oscillent entre 15 et 20 millions de mètres7.
Le basin le plus demandé est le « blanc sur blanc ». C’est ce « blanc sur blanc » qui possède une
structure à l’éclat satiné si recherché par les teinturières qui se chargent de le transformer en lui
conférant de nouvelles couleurs à base de l’indigo ou de la teinture chimique. Cette activité de teinture
est pratiquée par toutes les femmes maliennes sans distinction de rang social ou ethnique. La majorité
de ces femmes est analphabète et est majoritairement originaire de la région de Kayes. Mais il arrive
de plus en plus que des femmes scolarisées exercent cette activité assez lucrative. Chaque teinturière
est maîtresse de son atelier et travaille avec une équipe d’apprentis recrutés de préférence dans la
famille élargie ou chez les connaissances qui veulent faire apprendre un métier à leurs enfants. Ce
travail de teinture comporte plusieurs étapes qui exigent une main-d’œuvre nombreuse : l’attache des
tissus, le motif à représenter, la préparation de la teinture, le trempage du tissu, le séchage, le lavage et
le repassage. Chacune de ces phases répond à une technique spéciale appelée respectivement le NRVVL,
le EDWLN, le WLWULN, le SORQJL, la VDOGH et le EURGDJH.
Le Mali compte actuellement plusieurs milliers d’ateliers de basin dont les plus connus sont ceux de
Awa Cissé, Kady Sylla, Kebe Tatou Sambake, Adam Ba Konare. Ces deux dernières figurent dans le
dictionnaire des femmes célèbres du Mali. Elles font régulièrement la Une des journaux de la sousrégion comme Jama, Amina et Divas. Madame Kebe Tatou Sambaké est considérée comme une
femme à part : c’est l’une des rares intellectuelles du groupe qui, munie d’un brevet de technique en
comptabilité, a délaissé la fonction publique pour se lancer dans la teinture. Petit à petit, elle a forgé
sa réputation à Bamako puis dans toute l’Afrique de l’Ouest où elle recrute ses apprenties. Elle a
créé un centre de formation en teinture artisanale en 1998 qui accueille actuellement une vingtaine de
stagiaires venant de tout le Mali et des pays environnants, attestant ainsi le niveau de popularité auquel
est parvenu cet art de la teinture malien.
Cet artisanat de basin s’est aussi développé presque partout dans la sous-région avec des pôles
importants en Guinée, au Sénégal, au Bénin et au Nigeria. Pour éviter une certaine concurrence,
chaque région essaie de développer ses propres motifs et couleurs. Cependant, les teinturières
maliennes demeurent de loin les plus performantes et les plus connues. Leurs productions circulent
dans toute l’Afrique noire et sont adoptées par les hauts dignitaires de l’administration africaine pour
leurs tenues d’apparat.
7
B. Gardi : le boubou - c’est chic, op cit, p150.
12
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Ce tissu est le plus prestigieux des textiles traditionnels en Afrique de l’Ouest en raison du soin avec
lequel il est fabriqué. Cette fabrication est désormais tenue en main par les Baoulés de Côte d’Ivoire,
les Ashantis du Ghana et les Ewés du sud du Togo. Les métiers à tisser existants permettent
uniquement la fabrication des bandes de 20 à 30 centimètres de large. Sur ces bandes sont dessinées
des figures géométriques en coton vif ou en fil de soie. À l’origine, les différents motifs étaient
attribués par les rois et servaient à reconnaître les fonctions de leurs différents dignitaires.
Aujourd’hui, le respect de ces motifs n’est plus que symbolique. Néanmoins couleurs et motifs sont
propres à chaque zone de fabrication : les Baoulés fabriquent les .HQWH sur fond bleu, les Ashantis
préfèrent plutôt le jaune, tandis que les Ewes font la synthèse entre le bleu et le jaune, avec une
prédominance de bleu.
Au Ghana plus d’une vingtaine de NHQWH se distinguent par leurs motifs et leurs couleurs. Ici, le tissu
est plus connu sous le nom deDGLQNUD. Ce tissu est porté par les rois, les dignitaires et les chefs de
familles. Son coût, assez élevé, ne permet pas au bas peuple d’en disposer facilement. Mais la valeur
actuelle du NHQWH vient de l’usage qu’en font depuis peu les Afro-Américains et les stylistes africains.
Aux Etats-Unis, le NHQWH intervient sous forme de bandes dans la toge des universitaires, des avocats et
des religieux d’origine négro-africaine. Ce choix a revalorisé ce tissu outre Atlantique, ce qui gratifiant
pour les artisans akan et éwé. Ainsi, le NHQWH commence à bien s’exporter. Selon le conseil des
exportateurs ghanéens, 3.304 tonnes de kHQWH ont été exportées en 2001 pour une valeur de
13,953 millions de dollars. En 2002, ce chiffre est porté à 27.702 tonnes pour un montant de
223,806 millions de dollars. De cette quantité, 97,42% vont au Etats-Unis, 0,71% en Côte d’Ivoire et
0,18% en Australie.
Parmi les créateurs de mode qui ont privilégié le NHQWH comme matériau Nora Banerman, originaire
du Ghana, habille depuis une dizaine d’années les reines de beauté, en particulier les gagnantes des
concours de Miss Ghana et de Miss Univers, se faisant ainsi l’ambassadrice du NHQWH à travers le
monde. Citons encore l’ivoirienne Alice Yapo Akichi (alias Michèle Yakice) et Chris Seydou du
Mali.
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Selon les données statistiques du Burkina Faso, 5% de la population active du pays intervient dans le
secteur textile traditionnel. Ce secteur représente la moitié de l’artisanat burkinabé et emploie environ
275.000 personnes réparties selon le tableau ci-après.
Tableau 1 : ,PSRUWDQFHGXVHFWHXUWH[WLOHDX%XUNLQD)DVR
Secteurs d’activité
Hommes
Femmes
Total
Filature du coton
Activités principales
Activités secondaires
137
1.108
6.060
166.685
6.197
167.793
Tissage
Activités principales
Activités secondaires
2.156
6.206
61.987
8.155
64.143
14.631
Teinture
Activités principales
Activités secondaires
161
624
3.644
178
3.644
882
Source : Plan Directeur de la Formation de l’Artisanat au Burkina Faso, 1990.
13
Dans la seule ville de Ouagadougou, la capitale, on dénombre plus de 4.000 tisserands. La ville est
divisée en trente secteurs. Chaque secteur possède au moins une association de tisserands qui regroupe
entre 20 et 50 adhérents.
Traditionnellement, ce métier était réservé aux hommes. Aujourd’hui ce sont plutôt les femmes qui
tissent. Celles-ci sont, pour la plupart, regroupées en coopératives de fabrication et de vente dont les
plus connues sont :
x
L’Union Artisanale de Production (UAP-Godé) regroupant une trentaine de femmes ;
x
La Coopérative de Production Artisane des Femmes de Ouagadougou (COPAFO) avec
environ une cinquantaine d’adhérentes ;
x
La Coopérative des Femmes Artisanales du Burkina (CEFAB) avec environ une trentaine
d’associées.
À part Ouagadougou, il existe aussi des artisans organisés dans la plupart des villes de l’intérieur
comme Bobo-Dioulasso et Kedougou. Cette dernière localité possède même un centre de formation au
métier de teinturier bien équipé.
Le succès que connaît actuellement le tissage burkinabé est dû à l’effort du gouvernement pendant la
période révolutionnaire, avec la création de la société Faso-Fani qui a emprunté son nom au tissu
traditionnel burkinabé dont la production reste tout de même assez variée. Cette société a été créée
vers les années 1980 pour mieux lutter contre la pauvreté en milieu rural par la valorisation de
l’artisanat. Elle a racheté tous les tissus produits par les coopératives et s’est chargée de leur
commercialisation, assurant ainsi un débouché sûr aux artisans. Pour stimuler la consommation, le
slogan « consommer local » fut lancé. Tout le monde s’habillait alors en Faso-Fani à commencer par
les hauts dignitaires du pays. Mais cette politique de soutien au tissu traditionnel fut arrêtée avec la fin
de l’époque révolutionnaire : le secteur a été abandonné et les difficultés du marché ont resurgi
Auparavant, plusieurs efforts d’encadrement et d’équipement des coopératives avaient été faits qui
permettent à cette activité de continuer à fonctionner et à alimenter le marché.
Le succès du secteur textile burkinabé repose actuellement sur la qualité des tissus produits et sur les
innovations qui ont été introduites dans la fabrication, comme par exemple l’apparition des métiers à
tisser d’origine indienne qui donnent des tissus de grande largeur d’environ 1 mètre 20, de trame assez
fine. Les fils utilisés par les artisans proviennent également d’une autre unité industrielle locale, la
filature du Sahel, montée par la société Gonfreville. Quant à la teinture, elle est assurée par une autre
société, l’Unitex, qui approvisionne les artisans en produits chimiques d’origine allemande.
L’introduction de nouveaux métiers, la fourniture des fils et des colorants industriels ont donné un
nouvel élan à ce secteur qui parvient à mettre sur le marché des tissus de bonne qualité largement
consommés au Niger, au Togo, au Mali, au Ghana et au Bénin. Ces tissus sont utilisés pour la
confection de nouveaux styles d’habillement comme par exemple le boubou GDJDUD bien valorisé par
les nationalistes africains comme Rawlings, l’ancien Président du Ghana.
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Les activités textiles traditionnelles couvrent quatre zones géographiques au Bénin :
x
x
x
x
Le Sud-Est peuplé en majorité de Yoruba ;
Le Nord-Est occupé par le Bariba ;
Le secteur de Djougou largement dominé par les Lokpa et les Yowa ;
Le Plateau d’Abomey au centre peuplé des Adja-Fon.
14
Chacune de ces régions produit son propre tissu. Mais le plus connu est de loin celui d’Abomey avec
ses tentures et tapisseries largement soutenues par les rois du Danhomè et revalorisé par les Français
pendant la colonisation sous la forme de tentures murales.
Ces tentures représentent des dessins figuratifs d’animaux (oiseaux, poissons), d’objets d’art et de
scènes de la vie quotidienne. Parmi les animaux, les plus représentés sont le lion et le buffle, symboles
de la puissance du royaume, de ses dignitaires et de leur invulnérabilité. Quant aux oiseaux, ce sont les
plus prestigieux comme le paon, le pélican et le calao qui sont les plus prisés. Pour ce qui est des
objets d’arts, il s’agit surtout des récades et des sièges royaux. Les scènes de la vie relatent les récits
de guerre, le contact avec les Européens et les événements marquants la vie de la cour royale.
Ces différents symboles dictés par les rois étaient reproduits généralement sur des tissus de couleur
rouges, jaunes, bleues ou noires puis appliqués et cousus sur une toile servant de fond. La toile ainsi
obtenue raconte une histoire tirée du folklore, des scènes de guerre, des légendes et du vécu quotidien.
Ces toiles, destinées initialement à la décoration murale, sont devenues depuis peu des motifs de
nouvelles modes créées à la fois par les artisans béninois et africains. Ainsi, le styliste Nawel El
Assade de Côte d’Ivoire confectionne des robes et chemises à partir des tentures d’Abomey. Il en est
de même d’une autre artiste béninoise, Rabiatou Alli Badirou qui a créé la marque « La Perle noire »
dont la vocation essentielle est de promouvoir des textiles traditionnels africains, en particulier
béninois.
A côté de ces tentures, s’est aussi développé un autre art du tissage portant sur des tissus à fond blanc,
sur lesquels sont tissés les mêmes motifs que ceux des tentures. Ces tissus sont faits de larges bandes
de 20 à 30 cm et servent à plusieurs usages : habillement, décoration et ameublement. Cette
innovation connaît actuellement un certain succès auprès des tisserands béninois, dont la plupart se
sont constitués en coopératives comme au Burkina Faso. Les plus connues de ces coopératives sont
celles qu’animent d’un côté Victorine Kossou à partir de la Fondation Cibako8 et de l’autre Alphonse
Ahouado dont l’atelier se trouve à Abomey. Les deux artistes travaillent en étroite collaboration avec
une Française, Tatiana Luciani, dont la boutique est située au 63 avenue Mozart dans le seizième
arrondissement parisien et qui se charge de faire la promotion des tissus béninois en France et en
Europe.
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Les Yoruba représentent l’un des principaux groupes ethniques du Nigeria dont l’aire d’occupation est
la partie sud-ouest de ce pays. Ce groupe est connu dans le monde pour la finesse de son art,
particulièrement les bronzes d’Ifè et du Bénin qui ont fait la fortune et la réputation de plusieurs
musées en Occident. Cet art s’est étendu aux textiles avec deux produits phares : l’DVRRNp dont la
zone de production par excellence est la localité d’Isèyin (Etat d’Oyo), et l’DGLUq produit dans la ville
d’Abèokuta (Etat d’Ogun). A ces deux centres de production textile s’ajoutent des pôles secondaires
dans les Etats d’Ondo, Eki, et dans la région d’Ijebu.
L’DVRRNp a fait la célébrité des rois Yoruba et de certaines grandes dames nigérianes grâce à la
supériorité de leurs vêtements. Il continue d’être valorisé par les dignitaires Yoruba à travers le titre de
chef si prisé actuellement au Nigeria et où le besoin d’authenticité est l’un des plus forts en Afrique.
L’aso-oké permet de fabriquer plusieurs modèles de boubous dont le plus célèbre est appelé DJEDGD.
Richement brodé, leDJEDGD est la tenue de prestige des autorité traditionnelles d’Afrique de l’Ouest :
Bénin, Togo, Burkina Faso, Sierra Leone, Cameroun. A côté de l’DJEDGD (aussi appelé le grand
boubou) existent des formes moins amples comme l’DWRXou le GDQVLNL exclusivement adoptées par les
Yoruba eux-mêmes.
8
Fondation créée à la mémoire de son mari.
15
Les femmes portent l’DVRRNpsous la forme d’une tenue en quatre pièces : un pagne roulé autour de la
taille (appelé DVRLUR), une camisole (appelée ERED ), une écharpe jetée sur l’épaule gauche (LOHND ) et
le foulard (appelé JHOH). Cette tenue portée par les femmes est vraiment somptueuse et s’apparente au
sari indien. Elle est considérée comme la plus importante tenue d’apparat des femmes dans tout le
golfe du Bénin, depuis le Nigeria jusqu’au Ghana.
Outre sa popularité et sa forte consommation dans la sous-région, le tissu aso-oké est également
récupéré par les stylistes nigérians comme Jones Adebayo9 ou Yèmi Osunkoya10. Ce dernier a lancé la
griffe « Kosybah Creation » et ses produits sont très prisés à Paris et à Londres. En 2002, il fut invité
par les parlementaires britanniques pour présenter une collection de vêtements faits en DVRRNp.
Pour ce qui est du tissu DGLUp fabriqué à Abèokuta (Etat d’Ogun), c’est un tissu teint avec la technique
de nouage et de batik fortement dominé par la couleur indigo. Ce tissu est la version populaire du
textile yoruba, porté par le tout-venant en raison de son bas prix. Il fut longtemps adopté par les
premiers Afro-Américains ayant séjourné en Afrique comme tissu de décoration. De nos jours, ce tissu
s’est généralisé à toute l’Afrique de l’Ouest.
Cette typologie des tissus traditionnels témoigne de la variété des productions textiles en Afrique de
l’Ouest. De nombreuses manufactures de textile modernes essaient de reproduire ces anciens motifs.
C’est le cas du ERJRODQ malien, du NDWL baoulé et du NHQWp ghanéen actuellement repris par les usines
Uniwax de Côte d’Ivoire, du Ghana et du Sénégal. Cette valorisation industrielle a quelque peu terni la
qualité des tissus traditionnels en même temps qu’elle montre les limites de cette récupération
industrielle. Cet échec donne encore davantage de valeur à l’art traditionnel africain. Pour mieux se
protéger de la contrefaçon, les artisans africains ont depuis peu opté pour des innovations
technologiques qui permettent de penser que ce secteur peut jouer un rôle important dans l’économie
ouest-africaine.
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La possibilité de faire du secteur informel un instrument de développement des pays africains dépend
fortement de la capacité de ses acteurs à innover pour saisir les opportunités du marché. Toutes les
activités informelles ne sont pas capables d’innovation compte tenu de leur instabilité dans le temps et
dans l’espace. Cette instabilité tient souvent à l’origine des acteurs dont la plupart sont issus de
l’exode rural ou des migrations étrangères. Ces acteurs connaissent des difficultés de logement, ce qui
les prive d’attache fixe et de lieu de travail convenable, d’où l’importance des tabliers et des
travailleurs ambulants que l’on trouve sur les principales artères urbaines d’où ils sont régulièrement
chassés ou délogés lors des grands travaux d’entretien et d’aménagement urbain.
Le secteur textile est en revanche moins vulnérable à cette instabilité car tout comme celui de
l’agriculture, il est fortement intégré au mode de vie des populations Il prolonge même les activités
agricoles dans la mesure où la principale matière utilisée dérive pour une grande part de l’agriculture,
notamment de la culture du coton et de bien d’autres plantes utilisées dans la teinture. Ce n’est donc
pas un hasard si le tissage occupe une importante couche de la population. En se développant en ville,
le tissage est resté lié à la campagne. Le besoin de s’habiller des populations rurales a fait transférer
une partie des artisans vers les campagnes à travers de petits centres urbains.
Etant donné sa parfaite intégration à la vie des populations, le secteur textile traditionnel paraît donc
moins vulnérable, bien qu’il soit largement concurrencé par les tissus de production industrielle
importés ou fabriqués sur place, et par les habits usagés importés du marché international. Toutefois, à
la différence des tissus industriels ou importés, les tissus traditionnels présentent une certaine solidité
9
10
Diplômé de la Central School of Fashion de Londres
Diplômé de Paris Academy School of Fashion.
16
et une valeur symbolique qui leur permettent de résister à la concurrence. Pour mieux faire face à cette
dernière, de nombreuses innovations techniques sont proposées, tant dans le domaine de la filature
que du tissage ou de la teinture. Ces innovations confèrent à ces tissus une nouvelle qualité qui pousse
les créateurs de mode à s’y intéresser fortement.
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Elles proviennent pour une large part de l’intérêt croissant dont jouit le secteur textile aux yeux des
jeunes déscolarisés. Par leur intervention, ces jeunes apportent plusieurs éléments qui tiennent compte
des goûts des consommateurs. Mais compte tenu de l’importance des emplois que génère le secteur,
certains pays ont décidé de mieux encadrer le textile traditionnel en sollicitant le concours de
l’Onudi11. De cette initiative naissent de plus en plus de PME avec le souci de mieux structurer le
secteur. Les meilleures actions enregistrées dans le domaine concernent le Burkina Faso, le Mali et le
Ghana dans l’amélioration de la teinture, qui reste l’une des faiblesses du tissage traditionnel. En effet,
les teintures traditionnelles tirées de l’indigo ou des écorces d’arbres ne résistent souvent pas au
lavage. La teinture défectueuse a longtemps pénalisé les tissus traditionnels face aux cotonnades
importées.
Les produits chimiques importés d’Europe remplacent également peu à peu les colorants traditionnels.
Actuellement, un important programme de formation à l’endroit des tisserands burkinabé est mis en
place à travers le projet Onudi. Celui-ci a permis de mettre à la disposition des femmes artisans un
important fond d’appui aux activités rémunératrices (FAARF). Ce fond, d’un montant de 372 millions
de francs CFA, a bénéficié sous forme de prêt à 5.547 récipiendaires dès sa mise à disposition en
septembre 1998. Aujourd’hui, 22.000 femmes dont le tiers exerce dans le tissage traditionnel ont pu
bénéficier d’une assistance financière12.
Au Mali, les innovations observées dans le secteur du tissage passent par le canal de la Fédération
Nationale des Artisans du Mali (FENAM), avec le soutien financier de la GTZ et de la Coopération
suisse. La plupart des tisserands et teinturières du Mali sont membres de cette fédération. La
présidente de l’association des teinturières est Madame Kebe Tantou Sambaké, déjà mentionnée.
Selon elle, l’avenir du textile traditionnel dépendra de l’amélioration des techniques de teinture. C’est
pour cette raison qu’elle a décidé de créer une école de formation financée sur ses fonds propres.
Au Ghana, c’est l’Université de technologie de Koumassi qui travaille à l’amélioration des tissus
traditionnels (NHQWH et EDWLN). Grâce à ses recherches, il existe désormais sur le marché une série
d’innovations techniques qui commencent à faire leurs preuves tant en ce qui concerne la finesse des
produits que le « design » de nouvelles tenues taillées dans le batik. Ces activités représentent un
secteur en pleine expansion dans les principales villes du Ghana et particulièrement à Accra où l’essor
du batik favorise l’émergence de jeunes créateurs dont certains sont organisés en coopératives
disposant de leur propre boutique d’exposition comme « African Art » située au quartier Osu.
Ce sont les mêmes préoccupations qui animent Victorine Kossou avec la Fondation Cibako. Sa
coopérative est bien connue à Cotonou, la capitale économique du Bénin, où elle encadre un groupe de
jeunes dans ses ateliers qui se trouvent au Village artisanal.
Les résultats obtenus à partir des innovations laissent penser que le secteur textile traditionnel peut
devenir une des composantes du décollage économique et de la compétitivité ouest-africaine. Cet
espoir repose aussi sur l’intérêt que les créateurs de mode africains portent à ce secteur.
11
12
Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Onudi).
Information donnée par Ouedraogo R. Patrice, responsable du programme intégré de l’ONUDI, Ministère
du Commerce, de la Promotion de l’Entreprise et de l’Artisanat.
17
/HVFUpDWHXUVGHPRGHHWO¶DYHQLUGXVHFWHXUWUDGLWLRQQHO
Cette question a déjà été largement abordée dans la partie consacrée à la typologie des tissus
traditionnels. L’avenir de l’activité textile dépend largement de son intégration aux circuits
internationaux de consommation. Cette intégration ne peut se faire que grâce à une bonne stratégie
promotionnelle sur la qualité et la beauté des produits. De ce point de vue, toutes les recherches
actuellement menées sur l’élégance africaine ont besoin d’être encouragées. Dans un ouvrage
récemment publié sur la question, Renée Mendy-Ongoundou présente bien les efforts accomplis par
les stylistes africains pour promouvoir le tissage traditionnel par une vingtaine de stylistes et de
couturiers qui se sont engagés dans cette voie. Parmi eux, Seidnaly Sidahmed (connu sous le nom
d’Alphadi). Ce Nigérien est actuellement le créateur de mode africain le plus médiatisé, ce qui fait de
lui un des meilleurs ambassadeurs du textile traditionnel africain. Il y a aussi Béatrice Anna Arthur,
métisse russo-ghanéenne qui est à la fois mannequin et créatrice. Elle estime qu’avec l’AGOA13 les
Africains ont un défi à relever en matière de textile. C’est grâce à ces stylistes africains que ce défi
pourra être relevé. Cela permettra au coton de devenir un produit de consommation locale et de ne plus
alimenter uniquement l’économie d’exportation.
Il existe un marché mais cela suppose que les efforts entrepris en termes d’innovations techniques
continuent à donner de bons résultats. Il y a aussi un autre domaine encore peu connu sur le marché
international mais offrant de belles perspectives aux tisserands africains, celui de la broderie. C’est
pourtant dans ce domaine que le secteur textile malgache tend aujourd’hui à supplanter l’île Maurice
et à conquérir une part importante du marché européen. Il devient urgent de sortir la broderie du
secteur exclusif du boubou pour l’étendre aux autres produits du textile tels que le linge de table, les
rideaux ou l’ameublement. Pour le moment, ce sont les artistes béninois qui s’orientent dans cette
direction. Mais les produits mis sur le marché restent encore peu compétitifs en raison de leur qualité
exceptionnelle. Ces rideaux pourraient trouver leur marché sur place, par exemple dans l’hôtellerie et
l’administration. Ils peuvent également alimenter le commerce international pour les mêmes usages.
Le développement qui vient d’être fait montre bien que le secteur informel africain présente des
aspects dynamiques pouvant lui permettre de répondre efficacement aux exigences du marché
international. Il suffit pour cela d’une bonne incitation qui offrirait de meilleures opportunités aux
artisans. Certains secteurs comme celui du bazin teint ont déjà réussi à s’imposer sur place. D’autres
secteurs méritent d’être promus, tels que le tissage d’art et de décoration. Sur ce terrain, les artisans
d’Abomey (Bénin) ont des perspectives intéressantes, à condition que leur activité quitte le secteur
touristique pour devenir une entreprise industrielle. Ce tissage d’art et de décoration a encore besoin
d’un meilleur encadrement des artisans. Il en est de même de la broderie pour laquelle les pays comme
le Nigeria et le Cameroun recèlent d’importantes potentialités.
Tout compte fait, l’Afrique de l’Ouest dispose d’importantes potentialités de développement
différentes de celles qui mobilisent actuellement, comme par exemple les ressources minières
stratégiques. Elle a besoin pour cela d’entrepreneurs capables de dépasser les préoccupations
mondialistes actuelles pour proposer de nouvelles filières de production originales et autonomes, qui
prendraient appui sur le savoir-faire local. De telles possibilités exigent que soient explorées toutes les
niches dans lesquelles le secteur informel offre beaucoup de potentialités.
13
African Growth Opportunity Act (Agoa)
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