dossier de presse - Kunstenfestivaldesarts

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dossier de presse - Kunstenfestivaldesarts
Dossier de Presse
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Press Office Kunstenfestivaldesarts
Anne-Sophie Van Neste
responsable
[email protected]
022264579
Alessandra Montecchi
assistante
[email protected]
022264578
Administration
Quai du Commerce 18
1000 Bruxelles
Centredufestivalcentrum
Kaaitheater
20, Square Sainctelette
1000 Bruxelles
Tickets & Info
+32 (0) 70 222 199
+32 (0) 70 222 209 (fx)
Edition & traduction
Monique Nagielkopf
Isabelle Grynberg
Isabelle Dumont
Anne Vanderschueren
Alain Kinsella
Brigitte Brisbois
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Mission
Le Kunstenfestivaldesarts est un festival de créations au sein duquel des artistes partagent
leur vision personnelle du monde avec des spectateurs prêts à remettre en question et élargir
leur champ de perspectives.
Le Kunstenfestivaldesarts est un festival résolument urbain et cosmopolite. Nous faisons
partie, chaque jour davantage, d'un réseau complexe de communautés où les concepts de
nation, de langue et de culture sont relativisés, voire dépassés. La ville est l'environnement
par excellence qui rend cette communauté cosmopolite visible.
Le Kunstenfestivaldesarts affiche à son programme des œuvres scéniques et plastiques
créées par des artistes francophones et néerlandophones, occidentaux et non occidentaux.
Le Kunstenfestivaldesarts se déroule chaque année au mois de mai, et s'étale sur trois
semaines durant lesquelles des dizaines de théâtres et de centres d'arts bruxellois lui ouvrent
gracieusement leurs portes.
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Edit07
Kunstenfestivaldesarts année O7. Un projet qui continue. Quel projet ? Celui de soutenir la
création d’œuvres artistiques contemporaines singulières. Celui de réunir ces œuvres en un
temps et un espace donnés. Celui de rassembler des personnes. Celui de faire circuler et
partager des idées, des visions et des intuitions.
Kunstenfestivaldesarts année O7 : une trentaine d’œuvres artistiques, conçues avec soin et
engagement, pour nous rappeler l’importance des langues et des corps particuliers qui ne se
réduisent pas en un discours, qui échappent. Une trentaine de choix, précis et précieux, pour
nous rappeler la nécessité aujourd’hui de ne pas suivre les sentiers formatés, de ne pas
confirmer les clichés. D’être exigeant, sans (s’)exclure. Indépendant sans s’enclaver.
Nous vivons dans un petit pays qui, plus que jamais ces derniers mois, excelle à baliser ses
territoires. Élargissons l’espace plutôt que de le réduire. Les artistes présents au festival nous
viennent de nombreuses parties du monde. Ils ont souvent fait l’expérience de plusieurs
villes, cultures et communautés. Chacun d’eux est un carrefour d’influences diverses, chacun
d’eux est un et multiple. Il y a plus de marge que l’on ne le croit entre le particularisme, le repli
sur soi, et la mondialisation qui rend tout uniforme.
Le Kunstenfestivaldesarts offre un espace large et fluide qui fonctionne par résonances et
réflexions, car toutes ses singularités se donnent à voir et s’expérimentent ensemble. Les
lignes qui le traversent ont beau être en pointillés, elles n’ont pas été tracées au hasard.
Andcompany & Co. sonde les traces du Communisme, Pollesch fustige l’Ostalgie. À Riga,
Hermanis monte un texte rageur et plein d’ambiguïté du Russe Sorokin. À Zagreb, Rajkovic
et Jelcic constatent de désolantes solitudes. Y a-t-il une place aujourd’hui, en plein
néolibéralisme triomphant, pour d’autres idéologies ? Une alternative au modèle occidental
exponentiel, alors que l’Europe s’unifie et surtout s’uniformise ? La faillite d’une pensée
collective, au-delà de la course individuelle au profit, se retrouve dans bien des projets de
cette édition. Et les artistes n’hésitent pas à en revenir aux manifestes et autres textes
fondateurs, Das Kapital chez Rimini Protokoll ou La Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme chez Forsythe.
Il s’avère urgent de pouvoir s’imaginer un futur. Pour y atteindre, le regard se fait souvent
rétrospectif et la matière de bien des œuvres consiste en un choix de témoignages, une
compilation d’archives. Textes et documents historiques, récits personnels et ouvrages
classiques sont télescopés dans le temps. Des monologues d’anciens nazis interrompent des
lieder de Schubert chez Josse De Pauw. Des archives visuelles et des images filmées dans
les métropoles indiennes d’aujourd’hui se fondent dans les “essais filmés” futuristes du Otolith
Group, et dans La Didone, une création en première mondiale du Wooster Group, la guitare
électrique accompagne le luth et le baroque entre en synergie avec la science-fiction…
Prendre le temps, approfondir et affiner un langage artistique ensemble. Bon nombre des
projets de cette édition apparaissent comme des démarches collectives, des tentatives de
construire ensemble. La collaboration y est recherchée. De Keersmaeker rencontre la
plasticienne Ann-Veronica Janssens, Fiadeiro ou Droulers œuvrent en groupe.
Aller voir du côté de l’enfance est une autre stratégie pour s’imaginer un futur.
Les enfants soldats de Goma de Sarah Vanagt, les adolescents de Tallin d’Anu Pennanen ou
les écoliers mis en scène par Tim Etchells, autant de projets qui interrogent les lisières de
l’enfance et de l’âge adulte, de l’innocence et de la responsabilité. Outre Etchells, le festival
présente cette année l’œuvre de plusieurs auteurs-metteurs en scène. Des textes rédigés et
mis en scène en un même geste créatif. Des paroles violentes (Grootboom), des mots qui
cherchent ardemment à rattraper la réalité (Pollesch, Maxwell) ou qui se déconnectent des
corps (Okada). Des langues mobiles, nouvelles, qui traduisent l’être social soumis à un
environnement complexe, un réseau inextricable de possibilités, de vérités et de fictions.
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Mai O7, trois semaines durant, ces œuvres singulières irriguent Bruxelles, ensemble. Et nous
font circuler dans la ville. Nous croiser. Par exemple au Kaaitheater, le QG du festival cette
année, lieu de rencontres et de fêtes nocturnes. Pour que le projet continue…
Christophe Slagmuylder & l’équipe du Kunstenfestivaldesarts
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SCÈNE
PIERRE DROULERS CREATION
FLOWERS
TIM ETCHELLS/VICTORIA CREATION
THAT NIGHT FOLLOWS DAY
RENÉ POLLESCH
L’AFFAIRE MARTIN ! OCCUPE - TOI DE SOPHIE, PAR LA FENÊTRE
CAROLINE ! LE MARIAGE DE SPENGLER. CHRISTINE EST EN
AVANCE.
HIROAKI UMEDA
ACCUMULATED LAYOUT CREATION
WHILE GOING TO A CONDITION
ANDCOMPANY&CO.
LITTLE RED ( PLAY) : “HERSTORY "
JOSSE DE PAUW / MUZIEKTHEATER TRANSPARANT /
COLLEGIUM VOCALE CREATION
RUHE
EDIT KALDOR CREATION
11
11
15
15
19
19
23
23
23
25
25
29
29
33
POINT BLANK
33
ENRIQUE DIAZ
37
SEAGULL-PLAY
37
JOÃO FIADEIRO / RE.AL
43
PARA ONDE VAI A LUZ QUANDO SE APAGA ?
43
RICHARD MAXWELL / THE N.Y.C PLAYERS
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THE END OF REALITY
TOSHIKI OKADA / CHELFITSCH
FIVE DAYS IN MARCH
CIE ISABELLA SOUPART CREATION
K.O.D. (KISS OF DEATH)
MPUMELELO PAUL GROOTBOOM
47
51
51
55
55
57
TELLING STORIES
57
ESZTER SALAMON
61
AND THEN
ALVIS HERMANIS / NEW RIGA THEATRE
ICE. A COLLECTIVE READING OF THE BOOK WITH THE HELP OF
IMAGINATION IN RIGA
61
65
65
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THE WOOSTER GROUP CREATION
LA DIDONE
NATAŠA RAJKOVIĆ & BOBO JELČIĆ
S DRUGE STRANE (DE L’AUTRE CÔTÉ)
ANNE TERESA DE KEERSMAEKER & ANN VERONICA
JANSSENS/ROSAS CREATION
KEEPING STILL – PART 1
HAUG-WETZEL / RIMINI PROTOKOLL
KARL MARX / DAS KAPITAL : ERSTER BAND
THE FORSYTHE COMPANY
DECREATION
HUMAN WRITES CREATION
69
69
71
71
75
75
77
77
81
81
81
IMAGE
MICHEL FRANÇOIS CREATION
LA RICARDA (APPROPRIATION TEMPORAIRE) / STUDIO
THE OTOLITH GROUP CREATION
OTOLITH I – OTOLITH II
MARCEL BERLANGER CREATION
TORE
SARAH VANAGT CREATION
POWER CUT
ANU PENNANEN CREATION
SÕPRUS – ДPYЖБA (FRIENDSHIP)
A MONUMENT FOR THE INVISIBLE
KRIS VERDONCK
STILL I – III
SIMON SIEGMANN
ASSISCOUCHÉDEBOUT CREATION
85
85
89
89
93
93
97
97
101
101
101
105
105
109
109
RENCONTRE
ANDCOMPANY&CO.
STATES OF THE UNION : EURORA ! CREATION
113
113
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INSERT07
COSMOPOLITIQUE
FESTIVAL D’AUTEURS
UTOPIES D’HIER POUR LE FUTUR
117
117
117
118
RESIDENCE AND REFLECTION
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CREDITS
121
ADRESSES
123
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DANCE / VISUAL ARTS – BRUXELLES
Pierre Droulers CREATION
Issu de Mudra, l’école de danse bruxelloise de Maurice Béjart, Pierre Droulers poursuit sa
formation chez Grotowski en Pologne. Il participe aux ateliers de Robert Wilson à Paris et, en
1978, découvre l’œuvre de la Judson Church à New York. La vue d’un spectacle de Steve
Paxton à la St Mark's Church le ramène alors vers la danse.
Un an plus tard, Droulers s’associe au saxophoniste et compositeur Steve Lacy pour
présenter un solo à Bruxelles. Paraissent ensuite de nombreuses chorégraphies de son cru,
dont Tao avec Sherryl Sutton (1980), Tips avec le futur Grand Magasin (1982), Pieces for
Nothing avec Minimal Compact (1983) et Comme si on était leurs Petits Poucets (1991) et
Jamais de l'Abîme (1993), un diptyque basé sur le roman Finnegans Wake de James Joyce.
Parallèlement, Pierre Droulers danse pour d’autres chorégraphes, dont Anne Teresa De
Keersmaeker et Michèle Anne De Mey (1986-1989).
Au-delà de ses créations personnelles, il collabore à des projets artistiques et pédagogiques
avec PARTS, le CNAC à Châlons, l’École des beaux-arts d’Aix-en-Provence et l’École de
recherche graphique (ERG) à Bruxelles. À Marseille, Droulers ouvre le studio Bird, à la fois
atelier résidentiel pour artistes et lieu d’échanges entre le Nord et le Sud.
En 2005, il travaille pour le Kunstenfestivaldesarts en s’associant au plasticien Simon
Siegmann, au compositeur George van Dam et à l’écrivain Jean-Michel Espitallier dans le
cadre d’Agora, un projet présenté au Parc de Bruxelles.
Au mois de juillet de la même année, il rejoint Michèle Anne De Mey, Thierry De Mey et
Vincent Thirion à la tête de la direction artistique de Charleroi/Danses.
FLOWERS
La Raffinerie
4, 5, 8, 9/05 > 20:30 (1h15’)
6/05 > 18:00
–26/60+
€15 / €12
Rencontrez les artistes après le spectacle : 5/05
Concept & chorégraphie : Pierre Droulers
Avec Olivier Balzarini, Yoann Boyer, Sébastien Chatellier, Jara Serrano Gonzales, Manon
Greiner, Marielle Morales, Katrien Vandergooten, Michel Yang
Création lumières : Yves Godin
Musique : Thomas Turine
Images & vidéo : Sima Khatami
Création décor : Arnaud Meuleman
Costumes : Anne Masson, Eric Chevalier
Collaborateur artistique : Olivier Balzarini
Coordination : Katia Lerouge
Diffusion : Ludovica Riccardi
Présentation : La Raffinerie, Kunstenfestivaldesarts
Production : Charleroi/Danses-La Raffinerie
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts
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Ton projet s’appelait d’abord Floors et tu avais envie d’explorer l’architecture de ce
lieu que tu habites désormais en tant que créateur et directeur, La Raffinerie. Il s’est
ensuite resserré sur les questions architecturales et symboliques de la maison.
Ensuite, il s’est appelé Flowers. Comment décrirais-tu ce cheminement et comment
cette évolution se retrouve-t-elle dans le spectacle ?
Pour venir à la Raffinerie, j’ai déménagé mon ancien studio. Pendant ce déménagement, en
voyant l’état des choses, les objets épars, les costumes sur les cintres, suspendus aux
tringles, les boîtes en carton empilées, j’ai pensé à l’esprit dans lequel j’aimerais travailler sur
ce projet : les interprètes passeraient dans une sorte de déménagement, s’appropriant
momentanément une robe, un vêtement, un objet, un souvenir, « en passant » mais avec
intensité. Ça a été un moment important dans l’orientation du travail. Je voulais en effet
réfléchir sur des questions d’architecture et d’espace, mais en tant que lieux de mémoire, en
tant qu’ils sont habités, « éveillés » par la personne qui s’y trouve. Après Ma et Inouï, j’ai eu
envie de m’intéresser vraiment à des aspects qui concernent les êtres, les corps, la présence
plutôt qu’à des questions liées aux données concrètes et réelles des espaces. Tout, ou
presque, est dans l’exergue du spectacle. C’est une phrase que j’ai empruntée au philosophe
Emmanuel Levinas : « La fonction originelle de la maison ne consiste pas à orienter l’être par
l’architecture du bâtiment et à découvrir un lieu – mais à rompre le plein de l’élément, à y
ouvrir l’utopie où le « je » se recueille en demeurant chez soi. »
Pour ce projet, tu es allé travailler avec les interprètes en Provence, à Saint-Rémy,
dans l’atelier que ton père a occupé jusqu’à sa mort il y a une dizaine d’années. Vous
n’étiez pas sur le même pied, eux et toi, par rapport à la charge émotionnelle du lieu,
même si tu avais déterminé pour eux des consignes de travail qui prenaient ces
dimensions en compte.
Sans aucun doute, ils étaient chez moi. Mais les interprètes présents ont, pour la plupart, fait
la création d’Inouï avec moi en 2003-2004 ; je choisis un interprète non pas pour ce que je
peux faire de lui, mais dans l’idée qu’il peut m’accompagner dans un cheminement de
création.
Je leur ai raconté des choses sur mon père, j’ai montré son travail de peintre, évoqué ce qu’il
explorait dans son travail ; ils en ont pris, ils en ont laissé, mais ils s’en sont imprégnés, ils ont
réagi à tout cela. Le lieu avec sa situation, sa configuration – il y a un petit jardin –, sa
blancheur, ils ont pu véritablement l’habiter. Nous étions chacun très proches de nousmêmes, des autres aussi : nous dormions là, nous y mangions, et aucun d’entre nous, une
fois la journée de travail finie, ne rentrait « chez lui ». Quand je dis qu’ils ont habité le lieu, je
veux dire essentiellement qu’ils ont été en mesure d’être partie prenante dans les différentes
propositions de travail liées au lieu.
Tes spectacles semblent souvent fonctionner par diptyques. Mountain/Fountain et De
l’air et du vent, Ma et Inouï par exemple. Quel statut a Flowers ?
Ils ne se sont révélés comme diptyques qu’a posteriori. Le diptyque est un principe du réel :
toute chose a son contraire, le jour n’existe pas sans la nuit, etc. Ce qui adviendra avec
Flowers, je ne le sais pas. Comme le suggère le titre du spectacle, Flowers » est un instant
intense, mais éphémère, bref. Et pour rester dans la métaphore, ce spectacle s’appuie sur
une texture fine, frêle.
Tu as travaillé dix ans rue des Ateliers, dans un studio dont l’orientation était
remarquable. Y entrant le matin, tu voyais à l’est se lever le soleil sur le studio, et la
journée finie, tu sortais à l’ouest au soleil couchant. À présent, tu travailles au
cinquième étage de la Raffinerie, dans une boîte noire. Est-ce que cela t’inspire
quelque chose de particulier ?
Flowers est traversé par une oscillation de l’obscurité à la lumière. Comme dans tout lieu
qu’on a connu, la charge émotionnelle sourd à nouveau quand on y revient. C’est ce qui
m’arrive à la Raffinerie où j’ai déjà travaillé quand j’étais beaucoup plus jeune, du temps du
Plan K. Ce que j’étais à l’époque réapparaît aussi d’une certaine façon. Historiquement, ce
passé est celui de la période « punk » ; mais cet esprit n’est pas seulement lié à un temps
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historique, il perdure. Et le retour dans ce lieu réveille alors en moi quelque chose de plus
tranché que les sentiments que m’inspire la mémoire du studio de la rue des Ateliers, en
parallèle peut-être aux qualités de lumière que tu évoquais. Ici, tu es dans le noir ; et en hiver,
quand tu sors, le soleil est parti.
En te connaissant un peu, on a le sentiment d’une « fêlure » chez toi, entre une époque
« punk » que tu as vécue et une période de désolation qui serait comme un paysage
presque de désastre. Ça t’évoque quoi ?
Cette « fêlure », c’est en fait ce qui se tient entre la colère et la mélancolie. Petit, je cassais
mes jouets. La période « punk » convenait donc très bien à ma colère intérieure. L’envers de
cela, chez moi, c’est la mélancolie. La mélancolie, c’est quand les images que tu vois sont
désertées de leur contenu. Ce sont deux aspects de la même chose : d’un côté une charge
de vie, d’énergie, de l’autre le vide d’énergie, le désert de sens.
Tu n’es plus très loin de la date de création. À ce moment-ci, tu te retrouves à nouveau
confronté à la nécessité de « composer » ton spectacle. Quel est ton sentiment par
rapport à ce moment du travail ?
Je suis moins préoccupé par l’architecture de la pièce et, d’une façon générale, par des
questions formelles. Je cherche une forme qui soit liée à l’impulsion plus qu’à l’emprise ou la
maîtrise. Il y a une tension, une friction, une résistance mutuelle entre la « machinerie » à
l’œuvre – ne serait-ce que le plateau, les sols, les murs, etc. – et la vulnérabilité du
mouvement, la fragilité du geste qui forme comme une partition à deux voix. À ce stade-ci, je
ne sais pas jusqu’à quel point ces voix se rejoignent. Je résiste pourtant à la tentation de trop
écrire. Parce que cette tension ne génère pas seulement de la fragilité. Elle est aussi une
source d’énergie, celle de la colère de la révolte, de l’insurrection.
Un fleuriste à qui nous avons rendu visite nous a dit : « une fleur c’est un sexe, ça n’existe, ça
n’éclôt que le temps de la reproduction, et puis ça meurt ». Cela évoque pour moi la fragilité
tout autant que la fulgurance du principe vital. Formellement, je reste sur la même image :
pas de continuum, mais des tensions, des explosions, des contagions, des dilatations, du
chaos aussi.
Qu’attends-tu du travail sur Flowers ?
J’ai fait autrefois une pièce sur Orphée avec le chanteur et poète de Tuxedomoon, Winston
Tong. Ce qui me touche dans l’histoire d’Orphée, c’est qu’il transgresse la consigne. Il se
retourne vers Eurydice, alors qu’il ne devrait pas : pour moi, c’est cela la grandeur de
l’humanité. Il aime Eurydice, donc il se retourne ; il ne peut pas faire autrement. C’est cela
que j’aimerais bien toucher dans Flowers avec les interprètes : qu’on fasse des choses tout
simplement parce qu’on en a le désir impérieux, sans en questionner la nature : que ce soit
intéressant ou pas, que ce soit de la danse ou non, etc. L’idée n’est pas de balancer
indistinctement tout et n'importe quoi, mais de se permettre d’exprimer ce qui doit se dire ou
se manifester au moment d’énergie dans le jeu des corps, des regards, des choses. Ce qui
me fait penser à cette phrase que me disait un jour Béjart : « La vulgarité est un surplus
d’énergie. » L’énergie l’emporte sur le rapport au bon goût, aux convenances, ou à
l’harmonie.
Tu parles souvent d’ « éveiller » les choses autant que les situations ou les personnes.
Quelle est la place de la matière dans cette conception des choses d’inspiration
bouddhiste ?
Il y a eu, au Centre Pompidou, une exposition consacrée à « la chambre idéale ». La
chambre que j’avais préférée, c’était celle d’un architecte autrichien : une petite salle vide où
il avait posé différents rouleaux de papier peint et, sur la cheminée, un vase avec des fleurs. Il
nous proposait simplement de mettre les fleurs de notre choix et de choisir ensuite le papier
peint qui convenait le mieux. Ici, clairement, par le biais d’un matériau « pauvre », le papier
peint, c’est l’esprit de tous ceux qui « éveillent » le lieu. Il y avait d’autres propositions de
chambres luxueuses, bétonnées de décoration pour l'éternité, mais dans son projet à lui, tu
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avais toute la modestie et la force d’une proposition qui touche à l’essence de ce que c’est
que d’habiter un lieu, tout en prenant en compte l’impermanence foncière des choses.
Cela pour dire que le carton peut lui aussi devenir une matière lumineuse. Tout dépend du
statut qu’on lui accorde. Une certaine pauvreté du matériau contribue à éveiller et l’esprit et
l’objet. J’entends « éveiller » au sens où l’on entend l’éveil que procure la méditation.
Seras-tu sur le plateau ?
J’ai envie d’aller sur le plateau et d’intervenir pour ouvrir des moments, fermer des situations,
faire bouger le plateau, stimuler, apaiser, non comme maître-d’oeuvre, mais sur le même pied
que les autres et en temps réel. C’est une façon de leur renvoyer en miroir ce qu’ils
pourraient éventuellement soulever d’eux-mêmes à un moment ou à un autre. Ce qui compte
dans Flowers, c’est le fait d’animer les choses d’un souffle, de donner une énergie qui touche
à l’endroit le plus vivant de chacun. Ce qui peut être très noir aussi ; quand je dis « vivant »,
ça ne veut pas forcément dire heureux.
Pierre Droulers, avec Sofie Kokaj et Tarquin Billiet.
Conversation à trois, propos recueillis.
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THEATRE - SHEFFIELD / GENT
Tim Etchells/Victoria CREATION
Tim Etchells est un artiste, performer et écrivain basé à Sheffield, UK. Il est avant tout
directeur artistique de la célèbre compagnie Forced Entertainment créée en 1984.
Parallèlement à son œuvre – théâtre, performance ou autre – avec Forced Entertainment,
Etchells a réalisé de nombreux projets de collaboration. Il a e.a. à son actif une longue
complicité avec le photographe Hugo Glendinning sur des projets d’arts visuels ainsi que
nombre de créations avec une série d’artistes issus de plusieurs disciplines, chorégraphes ou
autres, tels Vlatka Horvat, Wendy Houston, Franko B et Meg Stuart.
Etchells a donné de nombreuses conférences sur les nouvelles performances et installations
et la plupart de ses essais sont publiés dans des livres et des journaux, citons notamment
Performance Research, ArtPress et Frieze. Il a donné des ateliers, des cours et organisé des
projets au Royaume-Uni, en Europe et au-delà dans des contextes aussi nombreux que
variés, de DasArts Amsterdam à Tisch à New York en passant par Goldsmiths, à Londres.
Parmi ses publications figurent son recueil d’essais sur les performances contemporaines et
Forced Entertainment Certain Fragments (Routledge, 1999) et les ouvrages de fiction
Endland Stories (Pulp Books,1999) et The Dream Dictionary for the Modern Dreamer
(Duckworths, 2001).
Parmi les performances récentes de Forced Entertainment, citons le spectacle rock tout en
déconstruction, Bloody Mess (2004) et Exquisite Pain (2005), basée sur le texte de l’artiste
conceptuelle Sophie Calle. La dernière pièce du collectif s’intitule The World In Pictures, une
« histoire de l’humanité » fragmentée, dont la première a été jouée en 2006.
THAT NIGHT FOLLOWS DAY
KVS – BOL
4, 5, 7/05 > 20:00 (1h10’)
6/05 > 15:00
NL > FR
–26/60+
€15 / € 12
Rencontrez les artistes après le spectacle : 5/05
Concept, texte & mise en scène : Tim Etchells
Assistante à la mise en scène : Pascale Petralia
Scénographie : Richard Lowdon
Costumes : Ann Weckx
Création lumières : Nigel Edwards
Traduction en néerlandais : Catherine Thys, Pascale Petralia & Marika Ingels
Entraînement & accompagnement des enfants : Lotte De Vuyst
Entraînement chant : Françoise Vanhecke (o.v.)
Coordination artistique : Marika Ingels
Responsable de la production : Wim Clapdorp
Production : Victoria (Gent)
Coproduction : Festival D'automne/Centre Georges Pompidou (Paris), Steirischer Herbst
(Graz), Productiehuis Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg)
Avec le soutien de Fierce! Festival Birmingham, Theaterfestival Spielart München,
Kunstenfestivaldesarts
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Pour la compagnie théâtrale gantoise Victoria, poser une question atypique aux artistes pour
les mettre au défi compte parmi les tâches essentielles. Une des manières d’y parvenir, c’est
de passer toutes sortes de « commandes artistiques » inattendues dans le but d’attirer les
artistes sur de nouveaux territoires. La nouvelle œuvre de Tim Etchells, That Night Follows
Day, s’inscrit clairement dans cette approche.
Voici plusieurs années, Victoria avait prévu de créer une trilogie de pièces ou de
performances. L’idée était de demander à des gens de théâtre n’ayant jamais travaillé avec
des enfants de créer quelque chose uniquement avec des enfants. Pour être clair et précis,
l’objectif n’était pas de faire du théâtre pour jeune public – Victoria s’intéressait dans ce cas à
des pièces s’adressant à un public d’adultes.
La première pièce de cette trilogie était üBUNG, de Josse De Pauw, qui a fait l’ouverture du
KunstenFESTIVALdesArts en mai 2001 avant de partir en tournée pendant plusieurs années,
dans le monde entier. Pour le second volet de la trilogie, Victoria a approché Tim Etchells,
directeur artistique et auteur pour la célèbre compagnie britannique Forced Entertainment.
Lors de notre rencontre, il nous a parlé de ses motivations, de ses inspirations, de ce qui l’a
intéressé dans son travail avec les jeunes et du projet That Night Follows Day.
Lorsque Dirk Pauwels m’a proposé de créer une pièce jouée par des enfants, mon intérêt a
été immédiat. J’ai tout de suite songé à ma propre expérience avec mes deux enfants, à la
manière dont ils m’inspirent au fil des ans, et à la maestria avec laquelle ils m’ont amené à
revoir ma conception du langage, du théâtre, des performances, de la société… en fait, à tout
remettre en question. Par ailleurs, j’ai également été amené à repenser aux différentes
manières dont mon travail avec le groupe de performances Forced Entertainment, basé à
Sheffield, avait régulièrement tourné autour d’une certaine idée de spectacle inspiré par les
enfants. Mais bien que je me souvienne avoir, de temps en temps pendant les dernières dix
années, vaguement fantasmé sur l’envie de créer quelque chose avec ou pour des enfants, je
dois avouer que mon expérience concrète dans ce domaine était totalement inexistante. La
proposition était à la fois enthousiasmante et source de défi.
En travaillant avec Forced Entertainment, notre fascination collective pour les formes
populaires quoique marginales et quelque peu discréditées de spectacles pour adultes – par
exemple les stand-ups, cabarets, scènes de sexe, séries B ou films amateurs – a toujours
rivalisé avec notre amour pour les spectacles d’enfants. Dans de nombreux projets au fil du
temps, nous avons utilisé l’esthétique des décors « faits maison » et des costumes
improvisés, typiques des spectacles et des jeux d’enfants. À d’autres moments, nous avons
joué sur la naïveté dans la narration ou sur le dialogue « bébête » de la pantomime anglaise,
ou sur le style de jeu et les structures bricolées des spectacles scolaires – ces textes,
chansons, danses et poèmes qui se bousculent, axés autour d’un thème quelconque tel que
« la santé », « l’espace » ou « la vie sous-marine ».
Je suppose que ce que nous avons aimé dans toutes ces choses, c’est l’esthétique du
système D – ce sentiment de créer un événement en peu de temps et avec des moyens
limités. Nous avons aussi aimé la manière dont les spectacles pour et par des enfants
escamotent les questions qui sont au cœur de la dramaturgie – tous ces attrape-nigauds un
peu lourds du naturalisme – en faveur de solutions plus simples, plus délicieuses et
certainement plus pragmatiques, détachées de l’emphase du jeu scénique. Les chansons, les
costumes, les blagues et les danses s’amalgament pour construire une petite histoire.
Lorsque Victoria m’a demandé de répondre à la proposition de monter un projet avec des
enfants et des jeunes pour 2007, j’ai eu deux idées initiales « concrètes ». L’une filait tout
droit vers le théâtre amateur et les spectacles bancals que je décrivais plus haut, tandis que
l’autre empruntait une autre direction – s’inspirant peut-être plus de l’esthétique des
spectacles scolaires. La première idée – celle de créer une sorte de tableau en costumes
présentant une « histoire du monde » un peu naïve – s’est rapidement transformée pour
devenir un point de départ de The World in Pictures, dans le cadre de Forced Entertainment
version 2006. Elle est devenue une tentative glorieusement chaotique de raconter l’histoire de
l’humanité en 90 minutes, avec des textes largement tronqués, de nombreuses interruptions
inopinées et un grand nombre de costumes improvisés. Il me semblait tout à fait judicieux et
inique d’emmener les adultes de Forced Entertainment dans cette direction, tandis que mon
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autre idée – plutôt sobre – pour Victoria avait rapidement révélé son utilité et son efficacité
comme point de départ du projet que j’ai créé avec les enfants à Gand.
Lorsque j’ai commencé à travailler sur That Night Follows Day, je suis parti de l’idée d’un
chœur non chantant – un chœur d’enfants et de jeunes – pouvant parler seuls ou à l’unisson
des différentes manières dont les adultes façonnent, encadrent, expliquent et définissent le
monde où ils habitent. J’imagine que je voulais découvrir la manière dont les parents, les
enseignants et le monde adulte en général construisent le monde pour les enfants avec
lesquels ils interagissent, en tentant de mettre l’accent sur certaines choses et d’en cacher
d’autres, de l’expliquer, de le rendre sûr, compréhensible, amusant, intéressant ou tout
simplement vivable à leur niveau.
Vous choisissez nos vêtements.
Vous nous chantez des chansons.
Vous nous regardez dormir.
Vous nous dites que la Terre est ronde.
Vous nous racontez des histoires.
Vous nous dites de ne pas avoir peur des ombres.
Vous nous dites que le bruit qu’on entend n’est parfois que le vent qui souffle dans les arbres.
Je me suis mis à écrire. En quelques mois, j’ai composé un très long catalogue de phrases
disparates qui tentaient de refléter les nombreuses manières dont les adultes articulent et
façonnent le monde pour les enfants et les ados. Je me suis inspiré de mes observations, de
mes conversations avec mes enfants, de mes souvenirs d’enfance et de mon expérience
comme parent et comme « professeur » lors de différents ateliers. Armé de ce texte en
devenir – des listes, encore des listes et toujours des listes – nous avons commencé les
ateliers et les conversations avec les enfants à Gand… et le texte a grandi, changé et a
entamé un glissement.
Vous coupez nos cheveux et nos ongles.
Vous gardez les photos de quand on était petit.
Vous remplissez des boîtes de friandises et de sandwiches.
Vous nous prenez la main dans les rues animées.
Vous prenez les pièces de nos tirelires en promettant de les y remettre plus tard.
Vous nous regardez en nous filmant avec la caméra vidéo et, si quelque chose rate, vous
dites « ce n’est rien » ou « recommence, et cette fois, sans regarder la caméra ».
Vous nous faites sauter.
Vous préparez de grandes surprises.
Dans le spectacle que nous avons créé – avec une troupe de 17 enfants et jeunes
adolescents de 8 à 13 ans – la relation entre adultes et jeunes s’articule dans le texte, ainsi
que dans les relations concrètes et la mise en scène. Les enfants sont disposés en groupes
formels – nets et propres, délimités par une structure linéaire – comme on les place si
souvent devant un public d’adultes à l’école, dans les fêtes, les concerts, les récitals et pour
les photos de classe. Dix sur dix en conduite. Parlant à l’unisson. Bien alignés, regardant droit
devant et parlant sans détour de la situation – des enfants vus par les adultes, jouant pour
eux.
En travaillant avec Forced Entertainment, j’ai créé de nombreux spectacles qui s’interrogent
sur les relations entre les interprètes et le public – des œuvres telles que First Night, Speak
Bitterness et Showtime – passant en revue les extrêmes de tous les besoins, le voyeurisme,
le désir et les attentes que la situation théâtrale elle-même semble générer. Peut-être que,
dans That Night Follows Day, la différence réside dans le fait que les relations de pouvoir, si
souvent inhérentes au théâtre – entre les acteurs et le public, entre les « amuseurs » et les
« amusés » – sont renforcées ici par ces autres cadres et systèmes de besoins, désirs,
pouvoir et attentes qui se mettent en place lorsque des adultes regardent des enfants et que
des enfants jouent pour des adultes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a de la
tension dans l’air, une électricité – une tension par rapport à ce qui pourrait se produire et
comment, ce qui pourrait être dit ou tu, voire ce qui devrait ou ne devrait pas être dit.
17
Au début de nos répétitions à Gand, j’ai d’abord été surpris de retrouver nombre de thèmes,
de limites et de plaisirs que je trouve en travaillant avec des adultes. Je me suis fréquemment
rendu compte que je pouvais mettre en scène des versions des mêmes tâches et exercices
qu’avec des artistes professionnels et des élèves beaucoup plus âgés, fréquentant les
universités et les cours de théâtre. En effet, les questions qui assaillaient en permanence
mon esprit en observant les jeunes participants des premiers ateliers réalisés dans le cadre
du projet étaient identiques à celles que je me suis souvent posées à propos des interprètes
dans un sens plus large – quels que soit leur âge ou le contexte.
Peuvent-ils tout simplement se trouver là, sous les regards ? Ressentent-ils le poids de ce
qu’ils disent ou font ? Comment gèrent-ils le regard du public ? Sentent-ils l’atmosphère
changer lorsque cela se produit ? Sont-ils capables de sentir et de gérer ce qui se passe
autour d’eux ? Entre eux ? Entre eux-mêmes et nous, qui les regardons ? Sont-ils capables
d’être là, de parler et de regarder ceux qui les regardent ?
Pour exprimer les choses autrement, sont-ils capables d’être là tout simplement, de faire ce
qu’ils ont à faire, en prenant le temps de penser, de parler, d’attendre et de mesurer les
conséquences ?
Du début du projet aux générales, ce qui m’a surpris, c’est qu’il y a des enfants d’à peine huit
ans dont le talent est de parler, ou de rester là à vous regarder, calmes, détendus concentrés,
tout à fait à l’aise. En travaillant sur ce projet, j’ai été fasciné par cette qualité et j’estime que
c’est une chance de collaborer avec un groupe de jeunes aussi riches, avec qui j’explore le
texte et qui me font part de leurs préoccupations. Certains étaient déjà montés sur scène
dans des contextes différents. D’autres n’avaient jamais vraiment joué. Mais je suis certain
que, pour ce projet, le manque de formation et d’expérience est moins important que la
simple faculté de tout simplement être là – ce mystérieux mélange de banalité et de grâce.
Fort de ce sentiment et soutenu par mes collègues Pascale Petralia (assistante à la mise en
scène), Ann Weckx (costumes), Nigel Edwards (éclairage), Richard Lowdon (scénographie)
et l’exceptionnelle équipe de Victoria, la création de That Night Follows Day est une aventure
qui m’a beaucoup enthousiasmé. J’espère que vous serez au rendez-vous pour découvrir
cette production.
Tim Etchells
18
THEATRE-BERLIN
René Pollesch
René Pollesch est né en 1962 à Friedberg. Il étudie l’art dramatique à Giessen avec Andrzej
Wirth et Hans-Thies Lehmann et participe, entre autres, aux projets scéniques d’Heiner
Müller, George Tabori et John Jesurun.
Après ses propres pièces et mises en scène à la Probebühne de Giessen, il travaille avec sa
compagnie à Frankenthal, exécute ses premières commandes pour le Theater am Turm à
Francfort et met en scène son texte sur la TAT-Probebühne. Il traduit et adapte Ovide,
Shakespeare et Purcell. Par ailleurs, pour la maison d’édition de théâtre Rowohlt, René
Pollesch fait de nouvelles traductions de Comédies de Joe Orton. En 1996, il reçoit une
bourse pour travailler au Royal Court Theatre à Londres où il assiste aux séminaires de
Harold Pinter, Caryl Churchill et Stephen Jeffries. En 1997, il reçoit une bourse de l’Akademie
Schloss Solitude à Stuttgart.
Depuis la saison 2001/2002, René Pollesch est directeur artistique du Prater, petite salle de
la Volksbühne à Berlin. Il y crée, en collaboration avec le scénographe Bert Neumann, e.a.
Stadt als Beute (septembre 2001), Insourcing des Zuhause-Menschen in Scheiss-Hotels
(octobre 2001), Sex (janvier 2002) et 24 Stunden sind kein Tag. Escape from New York et
Freedom, Beauty, Truth and love (2003-2004). En 2005, son spectacle Pablo in der Plusfiliale
était à l'affiche du Kaaitheater à Bruxelles et le Kunstenfestivaldesarts a présenté son
spectacle Hallo Hotel… !
L’AFFAIRE MARTIN ! OCCUPE - TOI DE SOPHIE, PAR LA FENÊTRE
CAROLINE ! LE MARIAGE DE SPENGLER. CHRISTINE EST EN AVANCE.
Kaaitheater
4, 5 / 05 > 20:30 (1h10’)
6/05 > 15:00
DE > FR & NL
–26/60+
€15 / €12
Rencontrez les artistes après le spectacle : 5/05
Texte & mise en scène : René Pollesch
Avec Christine Groß, Caroline Peters, Sophie Rois, Volker Spengler, Martin Wuttke
Scénographie : Bert Neumann
Dramaturgie : Aenne Quinones
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
Production : Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin)
19
Mère, nous sommes séparés de nos vies !
À quoi se réfère-t-on aujourd’hui lorsqu’on écrit des textes dramatiques ?
Et qu’est-ce que ces histoires qui nous touchent de près, mais dans lesquelles nous
n’apparaissons plus du tout ? Qu’est-ce que cette notion rebattue d’authenticité à laquelle on
se heurte constamment ? Comment se fait-il que des sujets se transforment et développent
des stratégies de survie, alors qu’il n’est plus possible de les aborder avec la « vieille pensée
européenne » ?
Ne pourrait-on pas tirer de l’aliénation un profit émotionnel ? Ne pourrait-on pas, pour
changer, associer la réussite au hasard et l’amour à l’argent ?
Est-ce que toute communication ne repose pas, en fin de compte, sur des images racistes et
sexistes qui ne sont lisibles que parce qu’elles répondent au consensus ? Et n’est-il pas
« beaucoup plus porteur d’étaler devant nous tout notre savoir ? Et d’y associer des
sentiments qui n’émeuvent que nous et personne d’autre ? » comme il est dit dans L'Affaire
Martin ! etc. ?
Voilà quelques-unes des questions sur lesquelles René Pollesch base son travail théâtral.
Des observations qui partent du point de vue que nous ne pouvons « plus nous référer à un
langage dans lequel nous nous racontons des histoires qui ne sont pas les nôtres : la
séparation entre l’animal et l’homme, l’unification du corps et de l’âme... » Autrement dit « ce
jargon blanc, masculin, hétérosexuel qui ne se perçoit pas comme un jargon, mais comme la
langue dominante et universelle ». En lieu et place, il s’agit d’une manière de voir qui inclut
l’économisation graduelle de toutes les sphères de la vie et où, avec la meilleure volonté du
monde, on ne trouvera plus nulle part de sujet bourgeois autonome. Mettre des images sur ce
qui n’est pas encore tangible, telle pourrait être une des devises de René Pollesch, ou, pour
reprendre sa formulation : « Mes soirées s’attaquent à certaines conceptions et images que
nous traînons encore et conformément auxquelles nous essayons aussi d’agir, mais nous n’y
arrivons plus. Ce conflit m’intéresse beaucoup. Lorsque je sens chez moi une désorientation
dans les rapports sociaux, je m’oriente au moyen de mes textes. » Ce dont il s’agit ici, c’est
de ce qui, dans le théâtre, est généralement marginalisé et n’a pas encore valeur universelle :
les vies particulières des participants et une réflexion sur leurs propres conditions de travail et
de vie.
Cela suppose un changement de perspective : se comprendre comme partie intégrante de
ces conditions ou, comme le dit la biologiste Donna Haraway : « Nous ne devons pas parler
pour, mais avec quelqu’un. C’est tout. » Car « les autres n’ont peut-être pas besoin de
quelqu’un qui parle pour eux. On fait toujours, avant tout, comme s’ils n’avaient pas de
langage, et alors la représentation entre en jeu », explique Pollesch lorsqu’il critique le théâtre
de représentation ; un théâtre qui n’est jamais critique qu’en apparence, parce qu’il reproduit
en fin de compte les processus sociaux qu’il est censé critiquer, occultant ainsi en
permanence son propre contexte de production et le coupant complètement du « produit
artistique », comme si le théâtre et les rapports qu’on y entretient les uns avec les autres ne
faisaient pas partie de la réalité. Pollesch, en revanche, met en avant ce caractère
contradictoire de ses propres conditions de production ; ce qui l’intéresse, c’est de trouver
comment parler de quelque chose au-delà de cette « position de classe moyenne masculine
qui trouve toujours le bonheur chez les autres ».
À cette fin, l’auteur, qui est aussi son propre metteur en scène, a développé au cours de ces
dernières années une nouvelle forme théâtrale. Le texte n’est jamais achevé lorsque les
répétitions commencent, il prend au contraire naissance au fil des échanges avec les
participants et reste à tout moment à leur disposition. Pendant plusieurs semaines, on discute
des contenus, on rejette, on débat à nouveau ; on analyse des textes théoriques, de
Haraway, Foucault ou Agamben, on examine des intrigues de films pour voir si elles sont
exploitables et on développe des types de jeu pour la soirée concernée. Pollesch n’a pas
besoin d’acteurs exécutants mais pensants, le texte devient le moteur. Comédie, soap ou
formats télévisés servent de véhicule pour transporter d’autres contenus. Aucun des acteurs
n’a pour mission de camper un rôle quelconque au sens classique, ni d’expliquer et de
représenter sur scène des situations ; ce qui importe, c’est l’analyse collective du sens, la
remise en question permanente de sa propre position face aux mutations fulgurantes de la
société à l’ère de la mondialisation et d’une insécurité existentielle croissante.
20
« Ne pourrait pas s’en tenir enfin aux engagements ? Oui, bon, mais notre relation est
tellement PRÉCAIRE ! Et les engagements, ils sont tellement PRÉCAIRES aussi ! Qu’est-ce
qu’on va faire avec tous ces engagements précaires ? »
Pollesch, qui en est aujourd’hui à quelque 150 pièces et monte jusqu’à sept productions par
an, n’est pas un auteur qui souhaite que ses textes soient pris comme des « vérités
éternelles ». Il les considère comme un matériau, comme une sorte d’appareil théorique que
chacun peut utiliser pour s’orienter dans son propre quotidien. Traiter du quotidien plutôt que
de la représentation du quotidien est l’un des principes fondamentaux du théâtre de
Pollesch : « Mes réalisations vivent d’une certaine compétence pour ce qui constitue mes
problèmes, de mon désir de me situer, de m’orienter, et de l’énergie que cela implique. » En
l’espèce, la complexité va de soi, et il s’agit chaque fois de pousser plus loin le discours qui
démasque la normalité comme étant une construction et qui nous intime jour après jour : « Ne
prenez pas cet air authentique ! ».
C’est avec la pièce Heidi Hoh, présentée en 1999 au Podewil, à Berlin, que Pollesch a
découvert la possibilité d’une réflexion sur son propre quotidien dans le théâtre. C’est là qu’il
s’est penché pour la première fois sur son quotidien professionnel et sur les mécanismes qui
sous-tendent la prétendue réalisation de soi. Au début, ses pièces étaient souvent comprises
à tort comme des comédies trash ; désormais, elles sont synonymes d’une forme
d’expression sans équivalent, effectivement apte à raconter quelque chose sur des sujets
actuels : « Nous ne sommes pas des sujets autonomes comme il y en a dans les pièces de
théâtre. Nous avons intériorisé le contrôle et notre subjectivité est ce à quoi nous travaillons,
ce que nous vendons. »
Pollesch, qui a grandi à Friedberg en Hesse, est diplômé de l’Institut de sciences théâtrales
appliquées de Gießen, dirigé à l’époque par Andrzej Wirth. Cette école de renom prône une
mise en relation étroite de la théorie et de la pratique. C’est dans les murs de l’institut qu’il
élabore ses premiers projets avec des condisciples et rencontre des professeurs invités tels
que Heiner Müller, George Tabori ou John Jesurun. Au début des années 90, il produit à son
compte plusieurs soirées au Theater am Turm de Francfort. Après une assez longue période
de chômage, il est invité, à la fin des années 90, à Berlin, Lucerne et Hambourg, puis Sao
Paulo, Tokyo et Vienne. Depuis 2001, il est directeur artistique de la Volksbühne im Prater,
sorte de station de base où il n’a cessé, ces dernières années, de développer sa méthode de
travail. René Pollesch compte aujourd’hui, aux côtés de Frank Castorf, Christoph Marthaler et
Christoph Schlingensief, parmi les metteurs en scène les plus marquants de la Volksbühne
de Berlin.
Aenne Quinones
21
22
DANCE-TOKYO
Hiroaki Umeda
Hiroaki Umeda (°1977) commence par suivre des cours de danse classique et de hip hop
alors qu’il est étudiant en photographie à l’Université Nihon au Japon.
En 2000, il fonde la compagnie S20 et crée ses propres pièces. Réalisé avec une vidéo et un
bande son minimalistes, son solo While going to a condition (2002) fait sensation lors des
Rencontres chorégraphiques internationales en France. Depuis, ce spectacle a fait le tour du
monde, et le travail d’Umeda a trouvé un écho international. En 2003, il est invité à participer
au FIND (Canada), avec une nouvelle création, Finore.
Umeda n’est pas seulement danseur-chorégraphe, il signe également la conception visuelle
et sonore de ses pièces. Par ailleurs, il réalise des vidéos et danse dans le cadre de
collaborations avec d’autres artistes musiciens et vidéastes.
Parmi les jeunes chorégraphes japonais de renommée internationale, il est considéré comme
un artiste particulièrement prometteur.
Kaaitheaterstudio’s
6, 8, 9, 10/05 > 20:30 (1h)
5/05 > 22:00
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 6/05
ACCUMULATED LAYOUT CREATION
Chorégraphie : Hiroaki Umeda
Avec Hiroaki Umeda
Son : S20
Lumières : S20
Coproduction : Théâtre National de Chaillot (Paris), La Chaufferie (Saint-Denis)
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
WHILE GOING TO A CONDITION
Chorégraphie : Hiroaki Umeda
Avec Hiroaki Umeda
Son : S20
Création visuelle : S20
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
23
Umeda, le corps désarticulé et sublimé
Qui, du corps, du son ou de l'image dicte sa loi ? Difficile à dire. En la souhaitant minimaliste,
Hiroaki Umeda a fait de sa chorégraphie While going to a condition une force insécable ; 24
minutes pendant lesquelles « musiques », images projetées sur grand écran et gestuelles
montent en puissance, transformant le chorégraphe-danseur nippon en une véritable
machinerie sono-esthéthique. Tour à tour marionnette défiant la pesanteur, fil de fer électrifié
et doux fluide, Umeda dégage une grande force corporelle. Un corps désarticulé puis
sublimé, porté par des sons très binaires et rehaussé de bandes lumineuses. (…)
Ouest-France du samedi 3 juin 2006
Human Machine, on the Go
Les efforts qu’Umeda déploie pour montrer son corps comme une machine sont fructueux.
Dans son spectacle engageant, While going to a condition, il se tient en profil et sa silhouette
bouge à peine de sa position originale : les pieds enracinés dans le sol, la tête inclinée dans
une courbe douce. Sur un écran placé derrière lui, des lignes géométriques noires et
blanches dansent sur la cadence d’une partition électronique, qui malgré des plages
crépitantes de friture, demeure aussi rythmée qu’un ardent solo de batterie. Mais au-delà de
la partition ou des effets du scénario visuel, signés aussi par Umeda, la puissance de la
performance réside dans le mouvement sinueux qui anime le corps du chorégraphe. Comme
un bonhomme en fer-blanc dans les veines duquel coulerait de l’huile, Umeda reflète les
pulsations de la partition dans une accumulation de mouvements qui s’amorcent aux pieds et
s’élèvent graduellement, prenant possession de ses jambes ployées et de son torse
élastique.
GIA KOURLAS, NewYorkTimes, 8 oktober 2005
Vous trouverez bientôt plus d'informations détaillées concernant les 2
projets de Hiroaki Umeda sur notre website.
24
PERFORMANCE – AMSTERDAM / DÜSSELDORF / FRANKFURT AM MAIN
andcompany&Co.
andcompany&Co. est un collectif d’artistes international créé par Alexander Karschnia, Nicola
Nord et Sascha Sulimma.
Le théoricien Alexander Karschnia écrit et donne des conférences sur le théâtre, Nicola Nord
est dramaturge-metteur en scène, performer et chanteuse. Ensemble, ils conçoivent la
conférence Na(ar) het Theater pour l’École des beaux-arts d’Amsterdam en 2006. Quant à
Sascha Sulimma, il est à la fois artiste du son, musicienne et DJ. En 2003, andcompany&Co.
participe au Festival Plateaux du Künstlerhaus Mousonturm (Francfort) avec une installation
scénique intitulée Souffleurs du Mal. A l’occasion de la fermeture du TAT (Theatre at the
Tower, Francfort) en 2004, le groupe crée For urbanites - nach den grossen Städten, un
spectacle sur la mort du théâtre. Suite à un voyage d’étude le long de la frontière grécoturque, andcompany&Co. réalise Europe an alien, un spectacle traitant des migrations, de
l’exil, du passage des frontières, de la mythologie antique et de l’identité. Lorsque le collectif
travaille avec l’artiste visuelle Noah Fischer, andcompany&Co. remporte le Swing Space
Award du Lower Manhattan Cultural Council et présente la performance Revolutionary
Timing, qui fait appel à la technique du montage d’Eisenstein.
Souvent, ce sont les conférences, les projets spécifiques à un lieu et les &Co.Labs avec des
artistes de différentes disciplines issus de contextes divers qui donnent l’impulsion d’un
nouveau spectacle. Pour little red (play): «herstory » et States of the Union: Eurora!, le
collectif a collaboré avec Bini Adamzcak, une écrivaine basée à Francfort, auteure du livre
Communism. Small story how finally everything will change.
LITTLE RED ( PLAY) : “HERSTORY "
Théâtre Les Tanneurs
9, 10, 11, 12/05 > 20:00 (1h15’)
DE & EN > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 10/05
Avec Bini Adamczak, Alexander Karschnia, Nicola Nord, Sascha Sulimma
Objets lumineux : Noah Fischer
Scénographie & accesoires: Flashkes
Présentation : Théâtre Les Tanneurs, Kunstenfestivaldesarts
Production : andcompany&Co., Theater Gasthuis (Amsterdam)
Coproduction : Freischwimmer Festival (Forum Freies Theater Düsseldorf, Gessnerallee
Zürich), Kampnagel Hamburg, Sophiensaele Berlin, DasArts (Amsterdam)
Avec le soutien de Fonds Darstellende Künste e.V. (Bonn)
25
Que faire après la « fin de l’histoire » ? La metteuse en scène et auteure de performances
Nicola Nord est issue d’une famille d’Allemagne de l’Ouest aux convictions profondément
communistes. Dans le cadre de ce projet, elle a cherché et trouvé des gens qui ont milité en
faveur du communisme de ce côté-ci du rideau de fer – ce qui n’était pas sans risque
(licenciement, etc.). Le « socialisme réel » de l’Est représentait pour eux une utopie. Archive
for utopias, lost and found, c’est ainsi que Nicola a intitulé sa collection de documents et
matériaux présentés dans un minibus VW rouge, spécialement aménagé à cet effet, qui a
voyagé d’un festival à l’autre en Allemagne et aux Pays-Bas. De nos jours, pour parler
d’utopie, on a besoin de ce « mot en C » qui est aujourd’hui « u-topique » au sens premier du
terme : il n’a plus de place. Le communisme est devenu un signifiant vide de sens, un
fantôme…
1
Dans la production théâtrale little red (play), l’histoire devient « herstory » : depuis la
perspective intersidérale du troisième millénaire, Nicola Nord jette un regard rétrospectif sur
les grandes utopies politiques du siècle passé et sur les idéologies de leurs ennemis. Avec
ses collègues d’andcompany&Co., elle réalise un docu-fiction sur un passé qui aurait pu
devenir notre présent. À travers un collage surréaliste de textes, d’images et de musique, elle
voyage dans le temps et opère un retour sur le futur que représentait la nuit du passage à l’an
2000 ! Des planificateurs socialistes avaient calculé que leur économie aurait supplanté le
système capitaliste en l’an 2000 ; Mikhaïl Gorbatchev voulait se débarrasser de toutes les
armes nucléaires avant l’an 2000 et little red, la petite rouge, rêvait encore que le monde
entier serait devenu rouge à cette date. Sur scène, little red part à la recherche des moments
marquants de la Guerre froide et se met en quête de futures causes à défendre, elle troque
des autocollants Mickey Mouse contre des médailles d’Ernst Thälmann tandis que Walt
Disney est interrogé par la commission des activités anti-américaines mise en place par
McCarthy. John Lennon rencontre Vladimir Lénine, et Ronald Reagan, Donald Duck. Come
together, right now, over me…
little red (play) enchaîne dans un tempo vif des chansons et textes accompagnés de
musique, ça et là interrompus par des jeux de conversation absurdes, des interviews ou de
l’activité physique.
La structure de cette pièce est comparable à une suite. Les différents mouvements ou actes
sont bien distincts, ils ne se chevauchent pas, mais des éléments ou des personnages
connus réapparaissent tout au long du spectacle. On y trouve des références à deux styles
musicaux très différents : les débuts de la musique électronique de science-fiction et les
chansons de Brecht, Weill et Eisler – une merveilleuse adaptation, datant de la même
époque, des chansons allemandes de travailleurs avec toutes leurs connotations
révolutionnaires et militaristes. Tantôt la musique apparaît dans sa pureté sans avoir été
remaniée – un morceau d’idéalisme et de démagogie –, tantôt elle est adaptée sous forme de
musique électronique absurde et branchée. Tout le spectacle offre une parodie de certaines
traditions et techniques artistiques : le théâtre brechtien, la pratique théâtrale actuelle en
Allemagne et la télé-réalité (à la manière de René Pollesch), le sampling et le looping dans la
musique électronique, l’esthétique futuriste rétro, le Dada, le suprématisme et la satire
politique absurde. Sur scène, les rêves futuristes semblent s’être incarnés dans une bande
dessinée. Mêlant de multiples matériaux, l’animation scénique de Flashkes et Noah Fischer
crée un espace dans l’ici et le maintenant pour laisser s’exprimer l’expérience qui suit le
silence après l’échec des tentatives socialistes. little red (play): « herstory » est un savoureux
petit conte rouge teinté d’esthétique de l’ancienne RDA. Une aventure « ostalgique » qui
sonde notre présent, quelque part entre les utopies révolues… et celles encore à venir ?
Bini Adamczak a écrit le livre Kommunismus. Kleine Geschichte, wie endlich alles anders
wird (Le Communisme. Petite histoire, comment tout va enfin changer, unrast-Verlag, 2004).
Elle l’avait d’abord présenté sous la forme d’une conférence-performance intitulée Le
communisme raconté aux enfants. Cela se passait lors du colloque Indeterminate!
Kommunismus organisé en novembre 2003 à l’Université Johann Wolfgang Goethe de
Francfort-sur-le-Main. À la même occasion, le travail vidéo little red de Nicola Nord était
projeté au Künstlerhaus Mousonturm. La série little red comporte aussi des archives et
interviews qui furent présentées dans un minibus rouge, baptisé archive for utopias, lost and
1
Le mot anglais « herstory » est un néologisme ; dans le discours féministe, il est utilisé pour faire
référence à l’histoire (history = his story : son histoire à lui) selon la perspective féministe (herstory =
her story : son histoire à elle).
26
found au festival OFF-Limits à Dortmund et à DasArts Daily à Amsterdam en 2005. little red
(play): ‘herstory’ est le projet final de Nicola Nord pour DasArts (De Amsterdamse
School/Advanced Research in Theater and dance Studies). andcompany&Co. projette
d’élaborer une trilogie sur la fin du communisme. Intitulée Time Republic, leur prochaine
pièce sera créée au Festival Steirischerherbst en septembre 2007.
Alexander Karschnia
27
28
THEATRE / MUSIC – BRUSSEL
Josse De Pauw / Muziektheater Transparant /
Collegium Vocale CREATION
Après ses études au Conservatoire Royal de Bruxelles, Josse De Pauw (°1952) fonde la
compagnie légendaire Radeis. Ensuite, avec Hugo de Greef, il pose les bases de la structure
Schaamte, d’où naîtra plus tard le Kaaitheater. Ses pièces de théâtre Weg et Larf ont été des
succès internationaux, elles ont été couronnées en 2000 par le Prix Océ Podium Prijs. En tant
qu’acteur, il a travaillé avec le cinéaste Dominique Deruddere pour Wait until spring, Bandini
(1989), Hombres Complicados (1997) et Iedereen beroemd (2000). Ce dernier a été nominé
aux oscars dans la catégorie meilleur film étranger. Il a collaboré avec Jaco van Dormael au
film Le Huitième Jour (1996). En 2001, il publie son livre autobiographique Werk, un recueil
de récits, d’anecdotes et de textes de théâtre. De juillet 2000 à juin 2005, Josse De Pauw
occupait la fonction de directeur artistique de Het Net à Bruges ; de juillet 2005 à juin 2006, il
était directeur artistique de la Toneelhuis à Anvers. Nous le retrouvons aujourd’hui, artiste de
théâtre indépendant.
Le Collegium Vocale de Gand a été créé en 1970 sur l’initiative de Philippe Herreweghe. Il
fut l’un des premiers ensembles à appliquer à la musique vocale les nouveaux principes
d’interprétation de la musique baroque. Des musiciens tels que Gustav Leonhardt, Ton
Koopman et Nikolaus Harnoncourt manifestent d’emblée leur intérêt pour l’approche fraîche
et dynamique de cet ensemble flamand, et il en résulte une étroite collaboration. C’est dans
les années 80 que l’ensemble établit pleinement sa renommée et est invité à se produire sur
toutes les scènes importantes et dans les grands festivals musicaux en Europe, en Israël, aux
États-Unis, en Russie, en Amérique du Sud, au Japon, à Hong-Kong et en Australie.
Le répertoire du Collegium Vocale de Gand ne se classe pas dans un style bien défini. Avec
un souci constant de la qualité de l’interprétation, l’ensemble se concentre sur les œuvres
polyphoniques de la Renaissance, les oratorios classiques et romantiques ainsi que sur la
musique contemporaine. La musique baroque et plus spécifiquement les œuvres de J.S.
Bach et de G. F. Händel occupent la place centrale dans le programme de l’ensemble.
RUHE
Tour & Taxis
9, 10, 11, 12/05 > 20:30 (1h15’)
11/05 > 22:30
NL > FR
–26/60+
€15 / €12
Rencontrez les artistes après le spectacle : 10/05
Concept & mise en scène : Josse De Pauw
Avec Carly Wijs, Dirk Roofhooft, Tom Jansen, Josse De Pauw (en alternance)
Direction musicale : Christoph Siebert
Choeur : Collegium Vocale Gent
Musique : Franz Schubert, Annelies Van Parys
Adaptation du texte : Tom Jansen, Josse De Pauw
Basé sur le livre De SS'ers de Armando et Hans Sleutelaar
Création décor : Herman Sorgeloos
Image : David Claerbout (Remerciements à la galerie Micheline Szwajcer)
Présentation : Tour & Taxis, Kunstenfestivaldesarts
Production : Muziektheater Transparant
Coproduction : Zeeland Nazomerfestival, Kunstenfestivaldesarts
En collaboration avec Festival Spielmotor (Munich)
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RUHE est un récital brutalement entrecoupé de témoignages d'individus qui se sont engagés
volontairement chez les SS en 1940. Leur motivation principale : tendre vers l'harmonie,
comme pour les choristes aujourd’hui présents. Et comme c'est le cas dans une chorale
exigeante, ceux qui chantaient faux devaient être bannis.
Pour cette nouvelle production, Josse De Pauw a choisi de se servir de lieder de Schubert,
d’une œuvre de la musicienne Annelies Van Parys, des monologues que Tom Jansen et lui
ont adaptés pour la scène à partir d’extraits de l’ouvrage De SS’ers (Les SS) d’Armando et
Hans Sleutelaar, ainsi que d’une image du plasticien David Claerbout. De Pauw a invité
douze choristes du Collegium Vocale de Gand, les comédiens Tom Jansen, Dirk Roofthooft
et Carly Wijs, dans un décor de Herman Sorgeloos. Les choristes chantent les lieder sans
accompagnement musical et sont interrompus par deux témoignages.
Dans les années 60, les artistes néerlandais Armando et Hans Sleutelaar ont rassemblé des
interviews de personnes qui faisaient partie des SS pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les enregistrements ont été transcrits, les questions supprimées. Demeurent des
monologues où ces gens essayent de décrire leurs pensées et leurs sentiments d'alors, de
comprendre pourquoi leur vie a pris un tel tournant. Sans témoigner de regrets, mais à jamais
marqués par le passé.
Lors de sa publication en 1967 De SS’ers a suscité une vague d’indignation. Nombreux
étaient ceux qui estimaient le livre abominable, voire fascisant : « un danger pour la santé
publique », « une incitation à la violence antisémite ». D’autres le trouvaient par contre très
impressionnant : « un portrait déshonorant de monstres », « une analyse nécessaire des
motivations de ceux de nos compatriotes qui ont rejoint les hordes brunes à l’époque ».
Les rédacteurs, Armando et Hans Sleutelaar, ont écrit dans leur préface : « Il existe en tout
cas une analogie entre les combattants qui ont choisi le bon côté et ceux qui ont opté pour le
mauvais : tous espéraient que leur pays sorte de la guerre en meilleur état que lorsque celleci l’avait frappé. Le sort des résistants, pendant et après la guerre, est connu de tous. On
ignore cependant tout de la vie des monstres qui étaient leurs ennemis jurés… Après la
guerre, aucun historien n’a jugé nécessaire de citer un ancien SS en tant que témoin
historique. »
Josse De Pauw : « L’une des raisons pour lesquelles nous avons créé ce spectacle est que
le livre agit de manière déstabilisante, et c’est ce qui nous a captivés dans sa lecture. On
commence à le lire avec la conviction d’être à des années-lumière de toute tentation fasciste,
de n’avoir rien en commun avec cette idéologie. Mais il s’avère que ces anciens SS sont au
fond des gens comme les autres, dont la pensée présente des concordances avec la nôtre. »
Tom Jansen : « Cette lecture pousse à remettre en question notre propre fonctionnement et
à évaluer dans quelle mesure il est possible de légitimer ses décisions a posteriori. »
Josse De Pauw : « Il n’est en effet pas indispensable que la pensée détermine l’action. C’est
d’ailleurs ce que dit le personnage de Tom à un moment donné : « On peut donner raison à
Marx sans s’affilier au parti communiste.» Le choix de rejoindre la Waffen-SS peut
parfaitement être irrationnel. Il faut en outre tenir compte du fait que la vision qu’on en a est
teintée après coup par le résultat. Les vainqueurs peuvent se targuer d’avoir des héros dans
leurs rangs, les vaincus ne comptent que des criminels de guerre dans les leurs. »
Tom Jansen : « En somme, nous nous situons en permanence dans ce que Kafka qualifie
de combat entre le passé et l’avenir. »
RUHE est le premier spectacle que Josse De Pauw crée avec la compagnie Muziektheater
Transparant. À l’occasion de Bruges 2002, De Pauw et Jansen avaient présenté le spectacle
SS, basé, à peu de choses près, sur le même matériau textuel. Leur fascination persistante
pour ces textes les a incités à chercher une forme différente, plus intime, pour RUHE.
Pour ce spectacle, Herman Sorgeloos a réuni quelque deux cents chaises, sur lesquelles le
public prend place, entre les choristes et les comédiens. Ce décor répond à une recherche
d’harmonie et de cohésion : chanteurs, acteurs et public constituent une communauté, du
centre de laquelle des individus se lèvent pour faire entendre leur voix.
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Pendant le spectacle est projetée l’œuvre Ruurlo, Bocurloscheweg, 1910 de l’artiste David
Claerbout. Ce montage vidéo, qui date de 1997, montre un paysage typiquement hollandais
qui, telle « une carte postale figée », paraît prendre vie au fur et à mesure qu’on le contemple.
La projection évoque la peinture paysagiste de certains maîtres hollandais et s’accorde avec
l’œuvre d’Armando et sa fascination pour l’engagement doublée d’indifférence de la nature.
Les douze choristes du Collegium Vocale de Gand chantent des lieder de Franz Schubert et
une nouvelle composition d’Annelies Van Parys. L’ineffable beauté de ces lieder contraste
violemment avec la rudesse du langage et du contenu des témoignages.
Le mobile de ce spectacle n’est pas de provoquer l’indignation ou d’affirmer un quelconque
point de vue politique, mais de dévoiler la confusion intrigante du matériau textuel dans cette
production, à la fois belle et pénible. Car comme le dit Armando : « La beauté est suspecte. »
David Cornille
Josse De Pauw
Les citations de Josse De Pauw et Tom Jansen sont reprises d’une interview de Sally De
Kunst, Schoonheid is niet pluis (La beauté est suspecte), parue dans De Morgen, le 12 juin
2002.
Armando :
www.armandomuseum.nl
David Claerbout :
www.gms.be
Muziektheater Transparant :
www.transparant.be
Collegium Vocale Gent :
www.collegiumvocale.com
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THEATRE – BUDAPEST / BRUSSELS / AMSTERDAM
Edit Kaldor CREATION
Edit Kaldor (° 1969, Budapest) étudie le théâtre et la littérature à New York avant de devenir
membre du Love Theatre de Peter Halasz en 1993. A ses côtés, elle travaille comme
dramaturge et vidéaste jusqu’en 1999. Elle s’installe ensuite en Belgique, où elle se
passionne pour les nouveaux médias. Quelques années plus tard, elle poursuit sa formation
chez DasArts à Amsterdam. En 2003, elle se fait remarquer avec sa performance en solo Or
Press Escape, où le récit s’élabore au fil de séances quotidiennes devant l’ordinateur. Dans
New Game (2004), elle se livre à des expériences sur la transposition du formatage des jeux
électroniques à la scène. Elle continue avec une série de crashtests : des solos inspirés par
une personne donnée dont les qualités de performance suggèrent une forme déterminée.
Crashtest 01: Drama (2005) est présenté au STUK à Louvain après une période de
répétitions de cinq semaines. Sa création la plus récente s’intitule Point Blank.
POINT BLANK
Beursschouwburg
10, 11, 13, 14/05 > 20:30
12:05 > 22:00
EN > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 11/05
Concept : Edit Kaldor
Sur scène : Nada Gambier, Edit Kaldor
En collaboration avec Frank Theys, Nada Gambier, Nicola Unger, Io Tillett Wright and
Monika Rinck
Directeur technique: Hans Meijer
Software : Marc Boon
Présentation : Beursschouwburg, Kunstenfestivaldesarts
Production : Filter vzw (Anvers), Productiehuis Rotterdam (Rotterdamse Schouwburg), Kata
(Amsterdam)
Producteur exécutif : wp Zimmer (Anvers)
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Sophiënsaele (Berlin), Parc de la Villette
dans le cadre des Résidences d'Artistes 2007 (Paris), Votnik (Bruxelles) et P.S.122 (New
York)
Avec le soutien de Vlaamse Overheid, VSBFonds, het Fonds voor Amateurkunst en
Podiumkunsten (Utrecht), Theater Instituut Nederland (Amsterdam)
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Dans vos pièces précédentes, Or Press Escape et New Game, la technologie occupe une
place prépondérante : Or Press Escape s’articule entièrement sur le bureau d’un ordinateur et
New Game nous emmène dans un environnement de jeu vidéo. Dans Point Blank, le
personnage principal observe l’univers à travers le viseur de son appareil photographique.
Quelle importance revêt ce truchement de la technologie dans votre œuvre ?
Lorsque je prépare un spectacle, je ne prends pas le média comme point de départ. Avec le
spectacle Or Press Escape, je voulais par exemple aborder le sujet de la solitude. Mais il va
de soi que dès que l’on s’adresse de manière directe au public, on affaiblit la situation. Pour
résoudre ce problème, j’ai utilisé l’ordinateur comme écran réflecteur ou intercesseur, afin
d’éviter d’avoir à m’adresser directement au public. Par ailleurs, nous sommes en 2007 et la
technologie est ma réalité ; je n’envoie plus de lettres mais des courriels, cette interview se
fait par le biais de Skype au lieu de se faire en direct ou par téléphone. Ces instruments me
paraissent en outre plus intéressants : ils m’inspirent plus, ils stimulent plus mon imagination
que la table et la chaise classiques de la scène théâtrale ou les décors factices en cartonpâte. Je maîtrise ces instruments et me sens à l’aise avec eux. Je ne me considère
cependant pas comme une artiste des nouveaux médias. Mais le fait est que je ne donne
plus mes photos à développer, je les stocke dans mon ordinateur. Donc je travaille avec ce
matériel. C’est aussi un choix d’ordre pratique. En ce qui concerne Point Blank, il est bien
plus simple de montrer les photos en les projetant sur un écran que de demander au public
de les faire passer dans la salle.
Pourquoi choisissez-vous alors si explicitement le média théâtre ?
J’aime créer du théâtre pour la concentration que cela requiert. Le théâtre a une durée
particulière qui permet de construire une histoire plus complexe et profonde ; j’aime le
contexte de la présence physique du public et des interprètes et le potentiel d’intimité qu’il
offre. Je suis aussi sensible à ce que le spectateur reçoive assez d’espace pour en faire
l’expérience. Mais si les interprètes ou le spectacle dominent trop la situation – en étant trop
bruyants, extravertis, rapides, cabotins… l’intimité potentielle est entravée.
Personnellement, je trouve très intéressant de voir les comédiens travailler sur la scène ; voir
quelqu’un appuyer sur un bouton et remarquer que la lumière s’allume, me paraît
particulièrement théâtral et permet de partager la concentration. Dans ce spectacle, j’ai une
fois de plus fait des choix d’ordre pratique. Il faut bien que quelqu’un projette les photos, donc
je suis assise au bord de la scène, à peine visible.
La question de la solitude de l’individu est-elle selon vous une question radicalement
contemporaine ?
En observant mon environnement à l’heure actuelle, je vois un monde dans lequel on s’isole
plus aisément de son entourage, en regardant la télévision ou en travaillant à son ordinateur.
Je constate que moi, j’ai beaucoup de mal à mener une conversation normale après avoir
passé des heures devant mon ordinateur.
Pour Point Blank, vous avez choisi comme protagoniste une jeune femme de 18 ans
qui capte son univers par le biais de photos. En quoi ce point de départ vous semblaitil intéressant ?
Le spectacle s’appuie sur le vécu d’une jeune femme de cet âge que je connais. J’ai
beaucoup d’affinités avec elle, car j’ai un parcours similaire. À l’âge de 16 ans, j’ai déménagé
à New York, seule, sans mes parents. Cela m’a pris quelques mois avant de trouver une
école qui accepte de m’inscrire en l’absence de mes parents. Pendant tout ce temps, je
n’avais rien à faire, je ne connaissais personne, donc je passais mon temps à suivre les gens
dans la rue. C’est ainsi que j’ai découvert la ville. En général, je perdais rapidement de vue
ceux que je suivais, ou encore je me lassais de les suivre.
Pour cette jeune femme, l’observation des gens est un moyen d’acquérir de l’expérience à
travers autrui. Elle veut en savoir plus, connaître les options qui s’offrent à elle pour opérer
ses propres choix. Et ceux-ci peuvent être très différents. Aujourd’hui encore, j’ai pris le train.
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J’étais entre un jeune homme de 22 ans environ, en complet rayé, qui aurait pu être agent
immobilier et, de l’autre côté, un jeune hippie du même âge. Les êtres humains opèrent des
choix divers dans la vie. L’environnement familial dans lequel on grandit est bien entendu
déterminant, et faire des choix suppose un minimum de luxe. Prendre des photos apporte à
cette jeune femme une meilleure compréhension des options qu’elle observe autour d’elle et
de la manière de laquelle elle pourrait mener sa vie. La curiosité joue, elle aussi, un rôle
important. À 18 ans, la vie représente encore un grand mystère.
À travers la projection de ces photos, on obtient une autre forme de théâtre. On
regarde plus une coupe transversale de la vie quotidienne d’une personne qu’une mise
en scène.
Ce qui m’importe dans Point Blank, c’est d’ouvrir le théâtre aux personnes qui sont sur les
photos, de créer dans le théâtre un passage qui mène à la « vraie vie ».
Edit Kaldor en conversation avec Elke Van Campenhout
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THEATRE – RIO DE JANEIRO
Enrique Diaz
Le metteur en scène brésilien Enrique Diaz (°1968) n’a que dix-huit ans lorsqu’il devient
cofondateur de la Companhia dos Atores de Rio de Janeiro. Au début des années 1990, cette
troupe se fait remarquer avec le spectacle A Boa A Qu, inspiré de l’œuvre de Jorge Luis
Borges.
Diaz a signé la mise en scène de nombreux spectacles, tant classiques que contemporains.
Lui-même acteur, il accorde une place centrale à l’apport des interprètes et à la dimension
physique de leur jeu. Depuis 1998, il dirige aussi le Coletivo Improviso, né de la rencontre
d’artistes issus d’univers différents lors d’un atelier pour danseurs et acteurs. Ce collectif fait
intervenir la multidisciplinarité et l’improvisation pour porter un nouveau regard sur les
questions liées à l’urbanité.
Montré dans différentes villes brésiliennes ainsi que dans des festivals et des théâtres du
monde entier, le travail de Diaz a été plusieurs fois primé au Brésil. Rehearsal.Hamlet lui a
valu le Prix de la critique française pour le meilleur spectacle étranger de la saison
2005/2006.
SEAGULL-PLAY
Théâtre National
11, 12, 14, 15/05 > 20:15 (1h40’)
13/05 > 15:00
POR > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 12/05
Mise en scène : Enrique Diaz
Avec Bel Garcia, Emílio de Mello, Enrique Diaz, Felipe Rocha, Gilberto Gawronski, Isabel
Teixeira, Mariana Lima
Texte : Anton Tchekhov (adapté par les acteurs et le metteur en scène)
Création décors : Afonso Tostes
Création lumières : Maneco Quinderé
Création costumes : Marcelo Olinto
Musique : Lucas Marcier, Rodrigo Marçal (Arp.x Studio)
Chorégraphie : Cristina Moura
Assistante à la mise en scène : Daniela Fortes
Vidéo : Daniela Fortes and Enrique Diaz
Montage vidéo : Adriana Borges
Régie plateau : Marcos Lesqueves
Régie son : Lucas Marcier
Régie lumières : Leandro Barreto
Surtitrage : Daniela Fortes
Assistante décor : Aurora dos Campos
Assistant lumières : Formiga
Assistante costumes : Patrícia Muniz
Production : Rossine Freitas
Projet : Emílio de Mello, Enrique Diaz & Mariana Lima
Présentation : Théâtre National de la Communauté française, Kunstenfestivaldesarts
Production en Europe : Made in Productions (Marne-la-Vallée)
Coproduction : La Ferme du Buisson - Scène Nationale de Marne-La-Vallée
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« Plus d’un siècle après sa première en 1896, La Mouette reste l’une des œuvres
théâtrales les plus jouées au monde. A l’instar de Tchekhov, le metteur en scène
brésilien Enrique Diaz fait se fondre art et réalité. Sa mise en scène restitue avec acuité
l’essence du texte, où sont développés des thèmes tels que la perte des idéaux et la
soif de reconnaissance. Pour ce faire, Diaz propose une longue séquence de mises en
abîme où les scènes de fiction dans la campagne russe alternent joyeusement avec la
réalité sur scène. Les acteurs entrent et sortent continuellement de leur rôle, changent
de personnage et jonglent allègrement avec les accessoires. Une pièce in progress
dans lequel les indications scéniques s’annoncent haut et fort, les scènes se
succèdent à un rythme effréné et où l’on ne craint pas les dérapages. Ainsi en semblet-il, du moins… Avec une fausse nonchalance, Enrique Diaz démonte les mécanismes
du théâtre. Le sens du collectif, l’apport de chaque acteur et l’aspect physique de son
jeu constituent des éléments clés chez Diaz. »
Idées « essayistes » sur Seagull-play d’Enrique Diaz
L’exemple du personnage de Treplev, et particulièrement ses nombreux échecs dans La
Mouette de Tchekhov, illustrent le fait que cette pièce peut être comprise comme une série
de tentatives : tentatives de créer, tentatives d’exister même. En ce sens, la pièce traite de la
tentative de faire quelque chose dans la vie, d’envisager la vie comme une série constante
d’essais.
Dans l’œuvre de Tchekhov, on peut identifier un certain type de « tentatives », où les idées
ne trouvent pas d’aboutissement, sont éparpillées, avec de l’espace entre elles… l’auteur ne
répond pas aux questions qu’il soulève et se trouve souvent des deux côtés des sujets qu’il
traite… dans une sorte de mouvement d’auto-analyse, d’auto-réflexion. Tchekhov critique le
jeu de Treplev dans La Mouette pour se critiquer lui-même… tout comme Enrique Diaz et son
équipe se critiquent en mettant sa pièce en scène.
Diaz et le groupe d’acteurs qui constituaient à la base le noyau créateur de Seagull-play ont
suivi cette idée « essayiste » où l’on distingue, derrière les scènes, les pensées du créateur
exposant le processus de création et son questionnement sur celui-ci. Cet assemblage
intégrait le matériau des répétitions, mêlant parfois les idées jaillissant des acteurs pendant
qu’ils jouaient sur scène à des informations conscientes et subconscientes relatives aux
personnages, ou racontant la même histoire selon différents points de vue, mêlant fiction et
réalité.
L’équipe artistique voulait mettre cette pièce en question, porter ses doutes sur scène et
exprimer ses opinions à propos du travail. La mise en scène suit une méthode semblable à
celle utilisée pour Rehearsal.Hamlet (la dernière pièce d’Enrique Diaz, avec la Companhia
dos Atores). Elle exploite le fait de se trouver, en présence du public, dans un théâtre qui
ouvre un espace pour évoquer le texte original et la situation de l’auteur lui-même ; l’idée de
« jouer le jeu », de se demander de quoi il s’agit et de ne pas devoir « être » le personnage,
mais plutôt de passer d’un rôle à l’autre, y compris celui de l’auteur, ou encore le
« personnage » du metteur en scène comme le fait Diaz – qui joue également dans le
spectacle. Cette manière d’interpréter Tchekhov nous donne envie de l’écouter et de lui
répondre.
De plus, Seagull-Play tente de nous rapprocher du contexte de la création et de la mise en
scène de la pièce à l’origine. Comment parvenir à transposer dans le présent l’époque à
e
e
laquelle cette œuvre a initialement été écrite et présentée (fin du XIX , début du XX siècle) ?
Comment transposer une époque où le théâtre s’est profondément transformé sous
l’influence de Stanislavski et du Théâtre d’Art de Moscou (et de Meyerhold…) ? Comment
utiliser le fait que Tchekhov soit tombé malade alors qu’il n’avait pas 30 ans et soit mort à 44
ans, après avoir demandé une coupe de champagne et proclamé « Ich sterbe… » (je
meurs…), pour en faire une histoire d’aujourd’hui ? Pour prendre du recul par rapport à
l’échelle du temps, dans une vision transgénérationnelle, de nos parents ou grands-parents à
nos fils ou petits-fils… des vivants à ceux qui ne sont plus (comme cette histoire de l’actrice
Bel Garcia qui, lors de la création du spectacle, racontait qu’un jour, son fils avait parlé d’un
temps avant sa naissance, l’évoquant comme l’époque « où il était encore mort… ») ? Le
38
groupe lui-même est piégé entre l’artiste jeune et explosif qui a besoin d’ouvrir l’espace pour
affirmer sa singularité et celui, plus âgé, pour qui la mort est devenue la principale
préoccupation, qui se met à penser à la manière dont les choses vont continuer sans lui, aux
générations futures, et s’emploie à gérer l’idée de sa propre absence.
En un sens, Tchekhov traite de la menace d’un monde qui subit des transformations radicales
e
sous l’influence de l’avant-garde du début du XX siècle, et de la tension entre les anciennes
structures du pouvoir et les nouvelles forces transformatrices. Il semble toutefois se distancier
de ce conflit (auquel il donne une apparence « familière »…), en montrant ses forces
« brutes » sur scène. Il y a une sorte de jeu mathématique à l’œuvre, qui combine les
différents âges, le futur et le passé, l’amour, l’image de Hamlet et l’histoire d’un jeune homme
qui voit dans l’art la seule manière de grandir, qui a le sentiment que son art peut lui
permettre de traduire un sentiment nouveau, une nouvelle poésie, une nouvelle notion de la
vie. Cependant, la nature ne change pas : elle demeure le témoin silencieux du drame
humain.
On pourrait dire que le temps et l’art sont deux des thèmes principaux de La Mouette.
« Comment représentons-nous le temps sur scène ? » Ce défi – parmi les premiers pour le
metteur en scène et les acteurs du spectacle Seagull-play – est également la première ligne
prononcée dans cette adaptation. La question interne au processus a été intégrée dans le
texte : au début, l’actrice qui interprète le rôle de Macha se demande comment représenter le
temps sur scène et comment créer des personnages de manière à ce que des temps
intérieurs distincts coexistent dans la même pièce.
Comment mettre en scène la concurrence du non-simultané, le paradoxe présent chez
Tchekhov ? Comment donner l’idée d’un présent qui englobe une diversité de temps ?
Pendant qu’un personnage dit « J’aimerais être… », l’autre dit « Je serai… » et un troisième
« Je me souviens que j’étais… ». Cette contradiction a été observée et il a été décidé de
l’explorer.
Le texte inclut également des façons distinctes de mesurer le temps, c’est-à-dire un temps
mécanique et un temps historique. Il existe plusieurs références sur le rapport des
personnages au temps. Par exemple, Treplev dit de sa mère : « Lorsqu’elle n’est pas près de
moi, elle a 38 ans, mais ma présence lui rappelle qu’elle en a 45, et plus 38… ». Et dans la
structure même de la pièce, on a un écrivain jeune et un autre d’âge mûr, une jeune actrice et
une autre, plus âgée et célèbre. L’acte premier commence au crépuscule, le second à midi, le
troisième en matinée et le quatrième, la nuit. Le livre de Trigorine s’intitule Jours et Nuits.
Tchekhov a noté : « J’écris une pièce […] Elle a un paysage (une vue sur un lac), on y parle
beaucoup d’art et de littérature, il n’y a pas beaucoup d’action mais cinq tonnes d’amour ». La
pièce traverse des thèmes universels tels que le temps, le conflit des générations, l’art, les
formes nouvelles et anciennes, la projection des sentiments et des désirs familiers, la mort,
etc.
e
Le début du XX siècle a été marqué par les « formes nouvelles », l’avant-garde en art et en
science, de nouveaux sujets, de nouveaux modes de pensée… C’est une référence
récurrente dans La Mouette et elle est présentée par Tchekhov comme une opposition entre
le réalisme (ancien) et le symbolisme (nouveau). L’auteur lui-même crée une sorte de base
réaliste pour certains détails très symbolistes, et il le fait en l’occurrence avec les « formes
e
nouvelles », celles du début du XX siècle jusqu’à nos jours. L’intrigue est néanmoins
présente du début à la fin ; le texte de Tchekhov a été presque intégralement conservé et
repris dans Seagull-play ; en outre, Tchekhov et Diaz avouent tous deux ouvertement leur
attachement pour les formes anciennes. Après tout, Tchekhov a conçu sa pièce comme une
comédie. Une des préoccupations de l’équipe était d’évoquer les deux styles, comme le fait
l’auteur. Les formes nouvelles – le théâtre de Treplev – et anciennes – le théâtre d’Arkadina –
sont chacune mises en valeur de la même manière dans cette pièce. Seagull-play a parfois
recours au jeu figuratif, métaphorique ou pseudo-réaliste, dans un chevauchement de styles
et d’idées très similaires à celui de Tchekhov.
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Par exemple, que représente la mouette assassinée dans la pièce ? Quel est son
symbolisme ? Celui de la société qui assassine l’élan créateur de l’artiste, ou qui le façonne ?
Est-ce la relation entre la nature et l’art ? Comment un artiste représente-t-il une idée et
comment le spectateur la reçoit-il et la comprend-il ? L’art est un jeu dynamique…
L’assemblage de Diaz & co se veut quelque part au milieu, entre réalité et fiction, entre les
miracles de l’infiniment grand et de l’infiniment petit – pour citer Angela Matterno (consultante
pour la pièce). À moins qu’il ne veuille inviter le spectateur à participer à un jeu qui développe
des situations hilarantes, des considérations sur l’« être artiste », l’« être famille » ou l’« être
humain », un jeu qui provoque des tensions et de l’émotion mais qui, par-dessus tout,
possède un sens très fin de l’humour.
La pièce renferme à la fois une vision romantique et une autre, plus réaliste de l’art. Nous
pouvons imaginer Treplev comme quelqu’un qui a atteint les « sommets » de la création
artistique, comme le dit Dorn (le médecin qui sympathise avec Treplev) dans une réplique :
« Si je pouvais, ne fût-ce qu’un seul jour, connaître l’élévation de l’esprit qui touche les
artistes au moment de la création, j’aurais détesté ma charge matérielle et tout ce qui la
concerne et l’aurais abandonnée dans les hauteurs, loin de la Terre… ». À un moment de la
pièce, Treplev met un casque russe – acheté dans une rue de Moscou – représentant la
Terre vue du dessus, la différence entre l’esprit et la matière, l’incorporel, l’absence de
gravité. Conformément à sa vision romantique de l’art, ce qu’il attend de sa vie est –
paradoxalement – une préparation à la mort…
Par ailleurs, Nina, dans son dialogue final, est plus centrée, plus « enracinée », et considère
l’art comme un travail au quotidien, exigeant de croire dans la création et de travailler
intensément pour lui donner une aura. C’est un élément important de La Mouette, et la pièce
propose une vaste réflexion sur les difficultés du travail artistique et sur le fait qu’il est parfois
plus important de traverser ces difficultés que de rechercher la gloire et la renommée que l’art
peut apporter… La pièce se concentre sur la possibilité de vivre à travers l’art, par le travail
artistique, au quotidien, et de continuer à créer avec amour et passion.
Enrique Diaz explique qu’il aime débattre sur l’art, sur ses formes nouvelles ou plus
conservatrices, ainsi que sur la manière dont l’artiste se transforme en mythe. Dans La
Mouette, il y a une discussion curieusement contemporaine sur le « culte de la célébrité » des
artistes, qui rend la relation entre l’art et la vie d’autant plus intéressante dans la pièce.
L’écrivain est vu comme quelqu’un qui passe son temps à puiser dans la réalité qui l’entoure
la matière de sa création et, comme dans le cas de Nina et Macha, parvient même à
emmener de (soi-disant) gens ordinaires vers les « hauteurs » artistiques, lorsqu’ils sentent
qu’ils peuvent être une source d’inspiration pour le créateur. Tout cela ressemble
étrangement à la survalorisation actuelle des « anonymes » de la télé-réalité.
Le style de Tchekhov dégage une sorte de légèreté. Il parle du drame du quotidien, mais le
saupoudre d’une légère superficialité. Dans La Mouette, la vie semble s’apparenter à une
répétition en vue de la mort… Macha, personnage jeune et sombre, ouvre chaque acte de la
pièce. Toujours vêtue de noir, souffrant à la place de Treplev : c’est la conception obstinée
qu’elle a de sa vie. Elle ne cesse de se plaindre, non sans un certain sens de l’humour.
Treplev souffre lui aussi, mais dans le but de créer (ou parce qu’il crée ?) ; Arkadina souffre
en tant que mère et artiste ; le fils de Nina et Trigorine meurt à l’âge de 3 mois… Tchekhov
considère la mélancolie de la vie comme une pulsion au service de la création artistique. Il
parle de la souffrance sans aucun sentimentalisme. Il utilise un ton sans envolées, un ton de
comédie. De même que l’idée du temps était liée à la tension entre la vie et la mort, l’idée de
la mort est connectée à la création.
« À quoi devez-vous renoncer pour créer ? » Nous devons toujours tuer quelque chose ou
voir la mort de quelque chose pour pouvoir créer.
Enrique et ses acteurs ont tenté de suivre ce registre dans la création de Seagull-play, tant au
niveau du concept que de l’interprétation.
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La création et les répétitions de Seagull-play ont pris 6 mois – même si le projet a été conçu
bien avant le début des répétitions. Il est né d’une discussion entre Enrique Diaz, Emílio de
Mello et Mariana Lima – tous deux metteurs en scène expérimentés, également acteurs dans
le spectacle. Chacun avait déjà travaillé des pièces de Tchekhov et ils avaient très envie de
poursuivre leur travail sur son œuvre.
Enrique Diaz & Daniela Fortes
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DANCE – LISBOA
João Fiadeiro / RE.AL
Fils de réfugié politique, né à Paris en 1965, João Fiadeiro a vécu à Alger, au Salvador, au
Brésil, puis au Portugal à partir de 1972. De 1983 à 1988, il suit une formation au Gulbenkian
Ballet de Lisbonne et séjourne régulièrement à New York, où il découvre le travail de
pionniers de la danse postmoderne américaine comme Trisha Brown, Steve Paxton et David
Gordon. En 1989, il s’intéresse aux méthodes de composition de Wim Vandekeybus et à la
technique de contact-improvisation enseignée par Dieter Heitkamp et Howard Sonnenklar à
Berlin.
La même année, on lui propose de devenir membre du Gulbenkian Ballet. Avec d’autres
artistes, il crée Pos d'Arte, un forum de réflexion artistique.
Toujours en 1989, Fiadeiro entame ses activités chorégraphiques et réalise Plano para
Identificar o Centro. L’année suivante, il fonde la compagnie RE.AL, avec laquelle il crée
inlassablement de nouveaux spectacles. Depuis 1997, la « composition en temps réel » est
devenue l’élément clé de ses recherches. Il s’agit d’une méthode d’improvisation basée sur
l’utilisation consciente et maîtrisée de l’intuition, visant à libérer le corps de la tyrannie des
réflexes conditionnés.
Depuis 1997, Fiadeiro est régulièrement invité à animer des ateliers de « composition en
temps réel » au Portugal comme à l’étranger.
Pendant toute sa carrière, João Fiadeiro a travaillé avec d’autres chorégraphes ou artistes.
Le spectacle de danse Para onde vai a luz quando se apaga ?, avec lequel il est invité au
Kunstenfestivaldesarts 07, est le fruit d’une collaboration avec le cinéaste Pedro Costa.
PARA ONDE VAI A LUZ QUANDO SE APAGA ?
La Raffinerie
12, 14, 15/05 > 20:30
13/05 > 18:00
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 13/05
Direction artistique et chorégraphie : João Fiadeiro
Avec : António Pedro Lopes, Cláudia Dias, Gustavo Sumpta, Márcia Lança, Lenaïg Le Touze
Conception de l'espace scénique : Walter Lauterer
Composition et sonorisation : noid aka/Arnold Haberl
Assistante de direction artistique : Rita Natálio
Lumières : Mafalda Oliveira
Accompagnement critique: David-Alexandre Guéniot, Emil Hrvatin, Marcelo Costa, Marie
Mignot, Paula Caspão, Virginie Thomas
Direction de production : Sofia Campos
Production exécutive : RE.AL
Coproduction : Culturgest (Lisbonne), Festival Montpellier Danse 2007 (Montpellier),
Kunsten Festival des Arts (Bruxelles), RE.AL (Lisbonne)
Résidence artistique : O Espaço do Tempo (Montemor-o-Novo)
Soutiens : Lusitânia, companhia de seguros, Forum Dança, Lisantigo, Atelier RE.AL.
Remerciements : André Gonçalves, ARCO, Espaço do Urso e dos Anjos et Alkantara
Stagiaires : Helen Kaklea/Centre National de Danse Contemporaine (Angers) & John
Romão/Escola Superior de Teatro e Cinema (Lisbonne)
43
Entre les possibles et le réel
Extraits du journal de Para onde vai a luz quando se apaga ?
Dimanche, 14 janvier 2007. Nous commençons demain. L’un des principaux défis de cette
œuvre est de savoir si je serai capable de mettre en pratique la théorie que je développe
2
depuis des années. Je ne parle pas seulement de la « composition en temps réel » une
méthode qui a déjà sa vie propre et ne dépend pas vraiment de moi. Avant tout, j’entends
laisser les interprètes faire leur travail… me mettre dans une position où je puisse agir
comme catalyseur, filtre et incitateur, sans céder à la tentation de résoudre les situations et
de prendre des décisions avant d’avoir vu concrètement ce dont il s’agit. Et être capable de
perdre. On ne peut posséder que ce qu’on est capable de perdre.
Lundi, 15 janvier 2007. Premier jour des répétitions. Nous avons commencé par le début,
vers lequel tout doit revenir : les interprètes. Márcia [Lança] et Gustavo [Sumpta] me donnent
l’impression de ne « pas avoir de corps » ; Cláudia [Dias] et António [Pedro Lopes], par
contre, « débordent » de leur corps ( je ne suis pas encore sûr de Lenaig [Le Touze], mais je
pense qu’elle vit dans un monde à part, un peu indéchiffrable, ce qui me plaît beaucoup).
Ce que je veux dire par là , c’est que pour Márcia et Gustavo, la matière avec laquelle ils
travaillent se situe en dehors de leur corps, dans la manipulation d’objets, ce qui les fait
« disparaître » et leur donne une qualité périphérique. Dans leur cas, ce qu’il reste, c’est la
trace et le sillage de leur présence. Ils sont ce qu’ils font. Cláudia et António, quant à eux, font
ce qu’ils sont. Leur corps (ce qu’ils pensent, ressentent, veulent, et leur contraire) sont au
centre de leurs préoccupations et, par conséquent, de leurs actions.
Chez chacun d’eux, ce qui m’intéresse le plus est une sorte de solution de compromis qui
éveille une plage de possibilités allant d’une présence fonctionnelle à l’« éruption » latente de
l’humain. (…)
Enfin, nous avons parlé de l’idée du collectif et de notre conception des principes
fondamentaux que nous partageons tous, non parce que nous croyons en une transcendance
ou en l’autorité d’un maître, mais parce que nous l’avons construite. Nous sommes donc les
complices d’un même crime. Ce qu’il y a de fascinant, c’est que personne n’a inventé ces
principes. Ils ont toujours été là. Pendant toutes ces années, notre travail a consisté à les
reformuler, les systématiser et leur donner vie. Notre objectif est de créer un langage
commun pour que les contenus, les images et les vocabulaires des interprètes soient
protégés, et que leur marque d’auteur entre dans le matériau de la composition.
D’emblée et sans aucun effort, nous avons dressé la liste de quelques-uns des principes
servant de points cardinaux pour notre « cartographie » de référence :
1 Il est vital de savoir où l’on se trouve. On ne peut initier un mouvement que lorsqu’on sait
où l’on est. On ne peut sortir que lorsqu’on est à l’intérieur. Je ne peux me perdre que si je
sais où je suis.
2 Il est essentiel d’intégrer l’idée que toute chose a une fin. C’est la seule manière que nous
3
ayons d’accepter cette fin et de nous libérer de tout ce qui peut arriver .
3 « Ne pas choisir » n’est pas une option. De même que « ne pas être » ou « ne pas faire »
ne sont pas des options. Lorsqu’un interprète ne prend pas de décision, il choisit de « ne pas
choisir », et la dérive devient inévitable.
4 Il est essentiel d’accepter que nous ne pouvons pas contrôler le « sens » de ce que nous
représentons et voulons dire. Ce n’est qu’alors que nous pouvons renoncer à la volonté de
représenter et commencer à nous concentrer sur le fait de simplement « être là, sur place ».
2
La méthode de composition en temps réel est un système de principes et de règles en évolution
constante que j’ai développé et qui tente, le plus possible, d’apporter une réponse au paradoxe du
danseur à la fois objet et sujet. L’intégralité de mon œuvre est construite autour de cette méthode et du
cadre de références que ce système permet.
3
Jacques Derrida traite précisément de la différence entre futur et avenir pour distinguer le futur
prévisible, qui se déroule selon nos prévisions, et le futur imprévisible auquel nous sommes confrontés.
Dans Derrida, un film de Kirby Dick et Amy Ziering, Jane Doe Films, 2006.
44
5 Au lieu de donner un sens, une signification à ce que nous faisons, il devrait y avoir un
sens et une direction dans ce que nous faisons. On ne peut rien chercher, mais tout doit être
trouvé. Le résultat, ce doit être le reste. C’est pourquoi nous devons travailler avec ce qui
existe déjà et révéler ce qui est là, même potentiellement, caché dans l’ombre. Révéler plutôt
que créer. Suggérer plutôt qu’affirmer.
6 Sur scène, une émotion vraie « n’existe pas » et, même lorsqu’elle se produit, nous ne
devons pas la craindre parce que personne n’y « croira ». Il ne faut pas que les gens croient,
ce n’est pas important, mais ils doivent avoir confiance.
7 Intégrons l’idée que penser à ce qu’on va dire est une chose, mais que s’exprimer
véritablement en est une autre. Penser, c’est ouvrir une possibilité. Dire, c’est créer un
événement définitif. Il n’est plus possible de revenir en arrière, et c’est une condition sine qua
non pour être pleinement là, ici et maintenant (c’est la différence entre la projection et la
réalisation ?
Je me plais à penser que mon travail requiert une attention et une tension semblables à
celles d’un jeu d’échec où il faut, par exemple, effectuer au moins trois mouvements (et
habituellement plus) pour atteindre le roi, l’objectif final. La métaphore des limites imposées
par la nature même du jeu est parfaitement adaptée à notre travail, tout comme cette autre
idée forte qu’il faut repartir à zéro après chaque mouvement de l’adversaire. On décèle le
talent d’un joueur à la manière dont chacun de ses mouvements ouvre des possibles et crée
un espace pour « porter le coup de grâce », à un moment précis (… une surprise pour
l’adversaire, mais le résultat d’un minutieux calcul pour le joueur). Nous devons abandonner
tous les possibles à partir du moment où nous sommes confrontés à l’évidence d’un fait
inattendu. Bien que l’« inattendu » soit extrêmement rare pour un joueur expérimenté, c’est
précisément pour cet instant que je travaille – pour voir un bon joueur vivre le suspense d’un
mouvement inattendu, intrigant et énigmatique de son adversaire. Je pense sincèrement que
c’est précisément dans cet espace vide, ces parenthèses où la vie est suspendue pour un
court instant, que l’art (comme le jeu) devient sublime.
Serai-je capable de créer une œuvre échappant complètement à mon contrôle et d’atteindre
la qualité que je reconnais à d’autres pièces (peu nombreuses), où l’objet résultant n’est pas
manipulé, où, bien que « fait main », on ne perçoive pas « la main de l’auteur » ? Une œuvre
dans laquelle ce qui est montré est à la fois inattendu et inévitable ?
Quelques éclaircissements sur les extraits du journal de Para onde vai a luz quando se
apaga ?
Le programme en sept points que mentionne mon texte est une méthode que j’ai établie peu
à peu au cours des dix dernières années. C’est une méthode de composition qui doit me
préserver de ce que l’on veut trop facilement faire. Quand je travaille en studio, je veux éviter
le plus possible de partir d’une idée préconçue. Car le faire conduit à ne plus s’inquiéter que
d’obtenir un résultat. On se repose alors sur toute son expérience passée pour geler déjà tout
le processus créatif dans la phase même de préparation. Pour moi, il est très important de
commencer ce processus sans y être préparé, afin que chaque œuvre, ou chaque objet que
je crée, soit encore et toujours une découverte, la révélation d’un processus.
Toute ma méthode de travail est donc un combat avec le corps entraîné des danseurs et les
conventions du vocabulaire de la danse. Le système que j’ai élaboré au cours de ces dix
années, n’est pas un « style » ; ce n’est, pour moi et pour les autres danseurs, rien de plus
qu’un outil, un cadre référentiel auquel nous nous rapportons. Même, comme c’est souvent le
cas, quand nous ne savons pas où nous allons. Et cela nous libère justement du besoin de
savoir où nous allons.
Mais il est important de savoir que nous n’employons ce « système » que dans le cadre de la
pratique quotidienne de répétition ; c’est une manière de créer une ouverture dans le
processus de création. La méthode n’est pas liée à une œuvre spécifique, mais fonctionne
plutôt comme une éthique de travail, une façon de chercher les différentes manières de
représenter les choses, une ouverture vers les diverses méthodes de création.
45
Lorsque nous nous attelons finalement de façon structurée à une production, nous
appliquons également ces principes, mais dans le cadre d’un schéma bien plus rigide. Pour
cette pièce, nous avons par exemple improvisé pendant trois semaines, selon les principes
postulés, en partant toujours d’un studio vide : les danseurs et moi nous tenions hors de l’aire
de jeu, à la place du spectateur, et nous regardions l’espace vide. Jusqu’à ce que quelqu’un
ait envie, suivant sa propre impulsion, de remplir cet espace. Il lance alors une proposition,
l’amène à sa conclusion logique, et on en discute ensuite avec tout le groupe.
Après quelques semaines, un parallèle entre l’espace vide et le territoire des danseurs se
crée. Un chevauchement d’espaces personnels, chacun d’entre eux étant créé par l’un des
danseurs, dans lesquels on pratique une sélection. Des quarante perspectives individuelles
ainsi posées, 4 ou 5 ont été sélectionnées, à partir desquelles nous avons travaillé.
Je trouve important de créer mes œuvres à partir d’une telle collaboration. Le groupe, le
collectif, est une donnée qui m’effraie, mais c’est justement pourquoi elle est intéressante. Le
processus de travail est dès lors une forme de pensée collective : on s’intéresse à la façon
dont un groupe fonctionne, dont on fonctionne soi-même à l’intérieur d’un groupe, on étudie
comment la réalité est produite dans les œuvres, et comment sa propre perception ne peut
naître que de la confrontation avec celle des autres. Travailler en collaboration est donc d’une
importance capitale pour moi, mais il y a toujours anguille sur roche, car le spectacle doit
finalement refléter ma propre vision, la façon dont je vois les choses. Il se trouve que
l’intéressant, en matière de « vision », est que je sois incapable de dire d’avance ce que je
veux voir : je ne peux le dire que quand je l’ai vu.
Je ne peux par exemple pas dire à mes danseurs ce qu’ils doivent faire, au début d’un
processus de répétitions. Je ne peux que leur parler, et mettre l’espace vide à leur
disposition. C’est pourquoi leurs choix sont importants, tout comme il est capital qu’ils fassent
ces choix à partir de leur intention propre, et pas pour me plaire.
Une fois que leurs choix sont visibles, ma vision prend, elle aussi, forme et consistance, et je
peux leur donner le feedback nécessaire. Bien je ne puisse pas travailler à partir d’une
question concrète, je le peux très bien à partir d’une confrontation concrète avec le matériau.
Et cette confrontation va elle-même de pair avec une concertation poussée, au cours de
laquelle tous les danseurs ont voix au chapitre.
L’utopie de la création est pour moi un moment dans lequel la pièce se crée elle-même : ce
moment où elle naît comme par évidence à partir du travail sur le plateau, sans hiérarchie,
sans territoire, dans une telle luminosité que toute discussion est futile, et que mon nom n’a
pas besoin de légitimer les choix finaux. On devrait idéalement arriver à ne plus avoir besoin
de discuter de ce que l’on veut faire, et que l’œuvre soit ce qui résulte du consensus : ce qui
reste une fois que l’on s’est entendu sur les principes de base.
Naturellement, une telle utopie n’est pas toujours et partout atteignable. Il m’arrive de m’en
approcher dans un solo, mais faire coïncider la pratique et la théorie dans un spectacle
collectif est bien plus difficile. L’utopie réside aussi dans l’idée que les principes pourraient
subsister de manière autonome et générer un résultat stable. En d’autres termes, qu’ils
résistent au temps. La même méthode pourrait donc engendrer des résultats toujours
nouveaux, toujours autres, parce qu’ils seraient faits dans un autre contexte, avec d’autres
danseurs, et d’autres préférences. Ce ne serait dès lors ni plus ni moins qu’un langage
partagé, qui permettrait d’exprimer des choses extrêmement différentes.
João Fiadeiro
46
THEATRE – NEW YORK
Richard Maxwell / The N.Y.C Players
Richard Maxwell (°1968) a étudié l’art dramatique à la Illinois State University et entame sa
carrière professionnelle au sein de la Steppenwolf Theatre Company. Il devient cofondateur
et directeur du Cook County Theater de Chicago, où il présente sa première pièce, Fable, en
1993. Deux ans plus tard, Maxwell part pour New York, où il travaille notamment comme
directeur artistique des New York City Players.
Selon le New York Times, Maxwell est l’un des artistes les plus novateurs et marquants du
théâtre expérimental américain de ces dix dernières années. Ses œuvres brossent un tableau
incisif des relations sociales quotidiennes de l’Amérique d’aujourd’hui en nous montrant des
gens ordinaires en situation de crise. Son approche se distingue par un jeu d’acteur dépouillé
qui tranche avec le caractère univoque du théâtre psychologique.
Traduites en six langues, les pièces de Maxwell sont jouées dans le monde entier. Son
spectacle House a été crédité d’un Obie Award tandis que les Good Samaritans lui ont valu le
Best in Festival Award du Theaterspektakel de Zürich. En 2004, plusieurs de ses textes ont
été publiés par le Theater Communications Group.
Maxwell compose lui-même la musique de ses spectacles et a enregistré deux CD :
Showtunes et I'm feeling so Emotional.
THE END OF REALITY
Théâtre Les Tanneurs
15, 16, 18/05 > 20:30 (1h30’)
17/05 > 18:00
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle: 16/05
Texte & mise en scène : Richard Maxwell
Avec : Thomas Bradshaw, Alex Delinois, James Fletcher, Makeda Christodoulos, Sibyl
Kempson, Brian Mendes
Création décors & lumières : Eric Dyer
Création costumes : Kaye Voyce
Conseiller et entraîneur au combat : Brian Mendes
Régisseur plateau : Scott Sherratt
Conseiller vidéo : Jonathan Gabel
Photographe : Michael Schmelling
Présentation : Théâtre Les Tanneurs, Kunstenfestivaldesarts
Production : Barbara Hogue
Coproduction : Steirischer Herbst (Graz), BITE:06 Barbican (Londres), Wexner Center for
the Arts at The Ohio State University with support from Doris Duke Charitable Trust, The
Walker Art Center with support from the William and Nadine McGuire Commissioning Fund,
The Kitchen, Judith and Richard Greer, the New York State Council on the Arts, a state
agency
47
La réalité de la scène : Richard Maxwell and the New York City Players
Alors que de nombreux critiques perçoivent l’œuvre de Richard Maxwell comme délibérément
exempte d’art et comme un travail d’amateur, le metteur en scène et dramaturge s’est fait
4
connaître comme celui qui « crée des gens, non des rôles ». Pas surprenant, dès lors, que
son style – qualifié d’« antistyle » par les critiques de théâtre – soit le reflet de son propre
antithéâtralisme et de son dégoût général pour le théâtre. Ses premières œuvres à Chicago,
comme cofondateur du Cook County Theatre Department, se présentent comme une série de
facéties antithéâtrales. Maxwell accepte la réalité de la scène, c’est-à-dire la construction
artificielle d’un spectacle, comme point de départ puis comme décor d’une série d’affirmations
qui en découlent, d’attentes, de constructions comportementales présidées par les
conventions du médium.
Maxwell travaille avec des artistes professionnels formés ou non. Pour chacun d’eux, acteurs
ou non, le processus de répétitions est à la fois difficile et libérateur : difficile dans le sens où
l’objectif de Maxwell est d’aider l’artiste à mener un parcours, parfois assez douloureux,
d’identification et de désactivation des impulsions apprises, qui guident le comportement
selon ce que l’artiste a le sentiment de devoir faire, ou qu’on attend de lui ou d’elle, et de
l’encourager à être un interprète plutôt qu’une personne ; le processus peut être libérateur
dans le sens où les artistes, sans aucune obligation d’assumer psychologiquement et
d’incarner les personnages fictifs qu’ils représentent, ne sont par conséquent absolument pas
tenus de représenter un état émotionnel présumé appartenant aux personnages. Dans
l’approche de Maxwell, les interprètes sont seuls avec eux-mêmes, leurs propres émotions
étant invariablement déclenchées par le jeu, le texte et la scène. Cette approche a généré
une esthétique remarquablement unique et singulière qui a largement attiré l’attention de la
critique internationale en raison de son imparable honnêteté, au point que les commentaires
s’accordent à utiliser des termes tels que « vérité » ou « réalité » pour décrire les spectacles.
Dans un article de la revue Village Voice, intitulé « The Unbelievable Truth », le critique
James Hannaham conclut : « En arrachant le masque du théâtre, [Maxwell] révèle une sorte
5
de vérité trop rare sur scène ». Dans sa critique de Boxing 2000, Pamela Gien du Wall
Street Journal écrit : « Il est difficile d’interpréter sans « jouer », mais les membres de la
troupe – parmi lesquels certains n’ont jamais joué auparavant – créent un portrait vivant de
6
personnages qu’ils semblent être, tout simplement ». Sarah Hemming du Times relevait
récemment que « les personnages de Maxwell semblent presque avoir perdu une couche de
peau : ils ont l’air vulnérables, même lorsqu’ils se conduisent mal… Peut-être ses spectacles
nous émeuvent-ils parce qu’ils se rapprochent de ce que [Maxwell] appelle « l’essence de
7
l’être » : cette vérité qui émane d’une personne lorsqu’elle retire son masque social ».
Ce que Maxwell tente de faire, tout simplement, c’est d’ôter la pression qui consiste à vouloir
transformer, divertir, et d’y parvenir uniquement par la sophistication et la virtuosité, en
remplaçant la tyrannie de la perfection par une conscience de l’artificiel et, en définitive, par
les conditions angoissantes dans lesquelles se déroulent les spectacles sur scène. Cela
implique un retour à l’interprète et au public, une sensibilité renouvelée à l’égard de la
vulnérabilité de l’« être humain » dans son essence. Lors des répétitions, l’accent a été mis
sur l’éveil des interprètes à la conscience du moment présent, générée par ses partenaires et
par les impératifs de l’action sur scène, pour que « l’ici et maintenant » devienne la principale
priorité. L’idée que si l’acteur reste vivant, conscient et impliqué dans le moment présent,
sans idées fixes prédéterminées quant au sens et aux émotions, le spectacle devient plus
« ouvert » à l’interprétation du public. Le spectacle est « ouvert » non seulement sur le plan
de l’interprétation, mais aussi de son exécution. Comme les acteurs ne sont liés qu’à l’« ici et
maintenant », il en résulte un spectacle qui peut sensiblement changer d’une fois à l’autre. Ce
souci de développer un état de conscience supérieur dans le moment de la représentation est
4
Robin Pogrebin, “A Playwright Who Creates People, Not Roles,” New York Times 25 Sept. 2000, sec.
E:1.
5
Jason Hannaham, “The Unbelievable Truth,” Village Voice 23 June 1998: 78.
6
Pamela Gein, “Theater: A Real Knockout --- Mr. Maxwell’s Boxing Tale Makes Inarticulateness an
Art Form,” Wall Street Journal 27 Sept. 2000, sec. A: 24.
7
Sara Hemming, “More Than Words: the Silent Blend in Maxwell's House,” The Times 7 March 2005.
Online Edition.
48
à plusieurs égards un héritage qui place Maxwell dans une lignée de créateurs du théâtre
américain d’avant-garde, parmi lesquels le Living Theater, Richard Foreman et le Wooster
group. Entre les mains de Maxwell, cette préoccupation a produit un mode de spectacles très
particulier qui a suscité l’intérêt des critiques aux États-Unis et à l’étranger.
Le processus qu’utilise Maxwell génère une signature indissociable de ses pièces, réputées
pour leurs portraits bruts et énigmatiques de la vie américaine contemporaine, portées par un
discours elliptique et fragmenté qui oscille malicieusement entre la prose lyrique et la langue
de la rue. Son écriture capte avec une précision saisissante les schémas de langage qu’on
entend au quotidien. Le résultat est un mélange d’ironie et de sincérité, porteur d’émotions et
toujours déroutant, de sorte qu’il n’est pas étonnant de se retrouver, en tant que spectateur
de ses pièces, confronté à des moments de sublime au cœur de la banalité quotidienne de la
culture américaine. À première vue, qualifier les pièces de Maxwell de « tarantinesques »,
8
comme l’a fait un journaliste , peut sembler étrange. Cependant, les réflexions récentes d’un
critique cinématographique du magazine New Yorker à propos de Tarantino, réalisateur
américain connu pour le grotesque de son style (ou) le grotesque qu’il cultive dans ses films,
s’appliquent très certainement à Maxwell et établissent peut-être un parallèle étrange entre
eux, dans le fait que les deux artistes ont un faible pour la minutie et les mondanités. Le
critique du New Yorker parle de cet amour du lieu commun comme d’une version « fast-food
de la madeleine de Proust », une sorte de nostalgie du présent et, assez paradoxalement, du
quotidien. C’est la nostalgie d’un monde qui existe toujours, pour une vie que vous vivez
9
toujours. Dans un sens, la volonté farouche de capturer le moment présent dans un
spectacle peut être considérée comme symptomatique de cette forme particulière de
nostalgie.
Cela explique peut-être, en partie, pourquoi des moments étonnamment tendres émergent
d’un processus qui admet l’artifice. Maxwell recherche une sorte d’authenticité de présence
dans la conscience très lucide qu’a l’interprète des conditions dans lesquelles il joue sur
scène – une acceptation, plutôt qu’un déni, de cette situation étrange et artificielle qui
consiste à se retrouver sur un plateau avec un texte, pour dire des mots à un public dont les
attentes sont énormes. Sa méthode vise à transcender le poids oppressant que ces attentes
peuvent exercer sur les interprètes, en leur donnant l’occasion de se réapproprier euxmêmes, dans leurs intentions et impulsions propres, tout en se pliant aux contraintes de
l’artifice. C’est la raison pour laquelle Maxwell a très vite l’impression que ses répétitions
deviennent « métaphysiques ». Les interprètes y réactivent leurs sens pour faire face à cette
expérience parfois terrifiante qu’est un spectacle sur scène : « L’entraînement permet en
grande partie d’affronter son trac, d’apprendre à gérer cette chose extraordinaire. […] Je
pense que, souvent, s’exercer amène à nier l’angoisse et la peur. Pour ma part, je préfère
voir les gens à la fois peureux et braves ».
Natalie Alvarez, Ph.D.
Assistante à l’Université de Brock
8
9
Jason Zinoman, Review of Boxing 2000 in Time Out: New York 21-28 Sept. 2000: 171.
Larissa MacFarquhar, “The Movie Lover,” New Yorker 20 Oct. 2003: 159.
49
50
THEATRE - TOKYO
Toshiki Okada / chelfitsch
Toshiki Okada (°1973) étudie les sciences commercia les à l’université de Keio au Japon,
après quoi il fonde en 1997 une entreprise unipersonnelle dénommée chelfitsch. Le terme de
« chelfitsch » (avec un petit c) fait allusion à l’anglais « selfish ». La déformation enfantine du
mot renvoie selon Okada à l’infantilisation croissante de la société japonaise, très sensible
dans des villes comme Tokyo.
Le premier spectacle de chelfitsch, The Gorge, a été créé au Yokohama Soutetsu Theatre de
Yokohama, ville natale d’Okada.
Compte tenu de l’importance particulière accordée au corps de l’acteur, les spectacles
d’Okada sont souvent assimilés à des chorégraphies. The Air-Conditioner (2005) est même
présenté à la finale du Toyota Choreography Award 2005.
Parmi ses autres spectacles, citons : Be surprised at their hopes (2001), On the Harmful
Effects of Marihuana (2003) et Enjoy (2006).
La pièce Five Days in March (2004), avec laquelle Okada participe au Kunstenfestivaldesarts
07, a remporté le 49ème Kishida Drama Award pour sa remise en question créative du
théâtre et le regard critique qu’elle porte sur le Japon actuel.
FIVE DAYS IN MARCH
Kaaitheaterstudio’s
16, 17, 18, 20/05 > 20:30 (1h25’)
19/05 > 18:00
Japanese > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 17/05
Mise en scène : Toshiki Okada
Avec Ruchino Yamazaki, Taichi Yamagata, Hiromasa Shimonishi, Syoko Matsumura, Eiji
Takigawa, Nanboku Tohmiya, Souichi Murakami
Régisseur plateau : So Ozaki
Lumières : Tomomi Ohira
Son : Norimasa Ushikawa
Administration : Akane Nakamura
Tour manager : Fumiko Toda
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
Merci à Yasuo Ozawa, Hiromi Maruoka, ST spot, Super Deluxe
Avec le soutien de la Japan Foundation (Paris) & The Saison Foundation
51
Toshiki Okada est un auteur dramatique acclamé pour le langage de ses pièces : du
japonais oral, qualifié d’ « hyperréaliste » par la façon dont ses personnages
s’expriment en courtes phrases hachées, parfois à peine quelques propositions sans
sujet ni verbe, à l’instar des bribes de conversation de la vie quotidienne. Les
performances qu’il présente avec sa compagnie de théâtre chelfitsch sont
caractérisées par une gestuelle unique en son genre, qui a attiré l’attention du monde
de la danse contemporaine. Notre entretien avec Okada a porté sur la nouveauté et le
côté aventureux de son monde d’expression verbale, et sur la « richesse physique »
qu’il veut exprimer. (…)
Au cours de ma dernière année d’études, j’ai lu un livre qui a m’a profondément marqué : For
Contemporary Colloquial Theater d’Oriza Hirata. Ce que dit Hirata, c’est qu’il est étrange qu’
un acteur ait une quelconque conscience de soi quand il interprète un texte ; cette théorie du
travail théâtral m’a beaucoup influencé. Elle représente d’ailleurs le point de départ de ce que
je fais aujourd’hui. Avant d’avoir lu ce livre, j’avais participé à un atelier de deux jours dirigé
par Hirata. Sa méthode, qui consiste à détourner la conscience qu’a l’acteur du texte, en lui
infligeant intentionnellement une contrainte physique, m’a fortement inspiré.
Que voulez-vous dire par « infliger une contrainte physique à l’acteur » ?
Par exemple, en faisant se dérouler deux conversations simultanément sur la scène. Pendant
que l’acteur parle avec quelqu’un d’un côté du plateau, une autre conversation se déroule de
l’autre côté, obligeant l’acteur à poursuivre sa part du dialogue tout en réagissant à l’autre
conversation. C’est une méthode, à première vue simple, pour détourner la conscience du
texte qu’a l’acteur.
À la même époque, j’ai lu un autre essai très intéressant, qui a eu un grand impact sur moi. Il
s’agit de Le monde d’aujourd’hui peut-il être restitué par le théâtre ? de Bertolt Brecht. Sa
critique du « quatrième mur » (cette frontière visible entre la scène et le public et l’idée que
les acteurs sont conscients d’un quatrième mur) m’a beaucoup inspiré.
Pour moi, il y a une connexion fluide et naturelle entre ce que dit Brecht et ce que dit Hirata. Il
est clair que tous deux constituent les bases de ma démarche actuelle.
C’est en partant de là que vous avez inventé ce langage dramatique unique en son
genre, que l’on appelle maintenant « le japonais oral hyperréaliste ». Quel processus
vous y a conduit ?
L’une des choses qui m’ont amené à écrire ces textes aux phrases inarticulées, qui ne
semblent mener nulle part, est l’expérience que j’ai vécue en travaillant à mi-temps comme
transcripteur d’entretiens enregistrés. Ils provenaient de conversations avec des
représentants de communautés régionales, menées par un comité d’experts cherchant à
stimuler la culture et l’économie de ces communautés.
Cette transcription était ennuyeuse, mais aussi intéressante sous certains aspects. Et ceci
parce que si l’on transcrivait mot à mot, on ne comprenait pas ce que les gens essayaient de
faire passer. Mais d’une façon ou d’une autre, à la fin de la conversation, l’interview
commençait à prendre forme et l’on percevait ce que l’interlocuteur cherchait à dire, même si
les mots en eux-mêmes ne disaient rien de clair ou d’articulé. Cette constatation surprenante
a joué un grand rôle pour moi.
Toutefois, lorsque j’écris une pièce, je ne me sers pas de la technique de transcription
d’enregistrements de conversations. J’écris tout moi-même. Certains suggèrent donc que je
devrais essayer d’écrire des dialogues plus articulés ! Mais si je le faisais, une partie de ce
que je trouve important serait perdu. Je reproduis la façon réelle et inarticulée dont la plupart
des gens parlent, parce que l’une des choses que je veux exprimer est ce que cette
inaptitude révèle, le contexte dans lequel elle s’inscrit.
Est-ce parce que vous voulez que le public éprouve la fascination d’être capable de
comprendre le sens général de ce qui est dit, même si les détails en sont pratiquement
incompréhensibles ?
Plus encore, ce qui m’intéresse est le fait qu’il s’agit de notre vie verbale, telle qu’elle est.
N’est-ce pas la façon dont nous parlons en réalité ? On peut évidemment critiquer ce genre
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de discours verbal, mais cela ne m’intéresse pas de dire qu’il est bon ou mauvais, ni de le
critiquer. Le fait est que nous vivons dans ce genre d’environnement verbal. Certaines
personnes diront que puisque nous vivons dans un monde qui s’exprime avec difficulté, nous
devrions au moins essayer d’employer une langue correcte et raffinée au théâtre. Mais je
trouve cela une attitude bornée. À mon avis, le japonais que les gens utilisent couramment
est plus riche et plus positif.
Votre type de japonais hyperréaliste – avec ses phrases qui passent de l’une à l’autre
sans interruption, ou qui n’ont pas de sujet, si bien que l’on ne sait plus qui est le sujet
– donne un aspect plus qu’ambigu aux dialogues.
Il y a un point de départ distinct concernant cet aspect. Pour le festival tenu au Yokohama ST
Spot, j’ai écrit un solo pour un acteur, intitulé On the Harmful Effects of Marijuana d’après le
titre de la pièce de Tchekhov Les Méfaits du Tabac. C’est alors que j’ai eu l’idée de mettre en
scène un personnage qui parle d’un ami, puis qui se transforme peu à peu en l’ami en
question. Depuis, j’ai écrit quelques pièces dans lesquelles plusieurs personnages subissent
cette métamorphose. Cette idée est aussi sous-tendue par une œuvre de William Faulkner.
Dans la nouvelle Absalom, Absalom!, les personnages sont rendus par le style de l’écriture,
et j’ai pensé que ce moyen serait encore plus intéressant et efficace, appliqué au théâtre.(…)
Je crois qu’il y a un aspect fictionnel à l’écriture d’une pièce de théâtre…
En termes d’écriture dramatique, de composition, ce qui me passionne, c’est la continuité. Je
n’établis pas de plan ou de synopsis, avant d’écrire une pièce. Pour moi, la chose la plus
importante est qu’il y ait une véritable continuité dans la façon dont une scène mène à une
autre.(…)
Réfléchissez-vous consciemment au rhythme de vos textes ? Même quand je les lis, je
constate qu’elles sont extrêmement rythmées.
Cela n’a rien de conscient, quand j’écris. Mais une pièce est faite pour être lue à haute voix.
Donc, c’est une œuvre qui doit donner envie de la déclamer, et qui gagne en signification
quand elle est dite à haute voix. Il est agréable d’entendre que vous ressentez le rythme rien
qu’en lisant, mais je refuse tout type de présentation délibérément rythmique du texte quand
la pièce est mise en scène. Je suis d’avis que l’acteur doit avoir un mouvement totalement
étranger au rythme du dialogue. Que vous sentiez ou non le rythme quand vous lisez le texte,
n’a rien à voir avec ce que je tente de faire quand j’écris.
Au caractère très spécifique de vos dialogues s’ajoutent les mouvements corporels,
uniques en leur genre, qu’accomplissent vos acteurs.
Cela découle de l’influence d’Oriza Hirata, et de sa technique de détourner la conscience des
dialogues en détournant la conscience vers le corps. À cet égard, j’ai continué à suivre son
exemple. Mais, tout comme porter une attention exagérée aux mots en arrive à les anéantir,
détourner trop l’attention vers le corps peut aussi tuer la présence corporelle. C’est pourquoi
l’on ne peut pas détourner la conscience vers le corps non plus. Dès lors, sur quoi faut-il
focaliser la conscience ? Expliquer ce qui suit est très difficile ; on peut parler en termes
d’images ou de signifié, mais en réalité, ce que je veux dire, c’est qu’il doit y avoir quelque
chose dans l’être humain qui précède le texte ou l’expression du corps. Quand on dit quelque
chose ou qu’on exécute un geste, cela doit être sous-tendu par une raison, quelque chose à
l’intérieur qui en est l’origine. C’est là que je veux emmener la conscience. J’encourage
maintenant les acteurs à développer ce quelque chose en eux-mêmes, dans le studio, quand
nous répétons
Ce que je veux dire, c’est qu’avoir une source intérieure dont chaque mot ou mouvement
émane est un élément essentiel du théâtre. […] Je crois que jouer, dire les dialogues, sur la
base d’une image émanant du texte est totalement erroné. Ce dont je parle, c’est de l’image
dans le point intérieur d’origine de tous les mots et mouvements.(…)
Vous avez précédemment dit être influencé par Brecht. Votre pièce Five Days in March, qui a
gagné le Kishida Award, a pour motif la guerre en Irak. Vous vous posez des questions,
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semble-t-il, sur la relation profonde entre le réel et le théâtre ainsi que sur la fonction du
théâtre dans la vie réelle.
Je crois que ce sont des questions qui méritent des réponses séparées. Tout d’abord,
laissons la guerre en Irak de côté pour le moment et parlons du rôle du théâtre dans le
monde réel. L’idée que, parce que le théâtre se déroule en vase clos, il peut être traité
comme un monde fictionnel, me met mal à l’aise. Disons qu’il s’agit du mensonge du
« quatrième mur ». Car en fait, le public est indéniablement présent et la durée de la pièce est
un temps partagé avec lui. Ou, en d’autres termes, je ne crois pas que la notion de théâtre
s’effondre si on ôte le soi-disant quatrième mur.
Quant à l’autre question, j’aimerais dire ce que je pensais à l’époque de Five Days in March.
Je voulais exprimer quelque chose sur la guerre. Par exemple, je crois que nous affilier à des
mouvements pacifistes ne semble pas nous convenir. Pourtant, nous avons nos opinions, nos
émotions. Nous sommes concernés, mais à une certaine distance ; ce qui ne veut pas dire
que nous ne nous sentons pas concernés. C’est l’idée que je voulais montrer, et elle contient
aussi cette distance. Certains trouvent que cette œuvre montre des jeunes qui se moquent
bien de la guerre et ne s’intéressent qu’au sexe, mais moi, je trouve que cette pièce est une
œuvre qui plaide sérieusement contre la guerre.(…)
Hirofumi Okano
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DANCE / THEATRE- BRUXELLES
Cie Isabella Soupart CREATION
Isabella Soupart maîtrise plusieurs disciplines artistiques. Cette comédienne, danseuse,
créatrice de théâtre et chorégraphe bruxelloise a étudié le ballet classique et la danse
contemporaine (Sana Dolsky), ainsi que les arts de la parole et du théâtre (Kleine Academie).
Elle a participé aux ateliers de Yoshi Oida, Trisha Brown, Susan Strasberg, Nicole Mossoux
et Dominique Duzinsky.
En 1998, elle fonde la Compagnie Isabella Soupart. Dès lors, elle s’applique à développer un
langage théâtral particulier, qui relie le mouvement, la parole, le son et l’image. Après Al
Dente (2000), Boiling Point (2003) et Erase-e(x)3 (2005), elle crée le spectacle In the Wind of
Time dont la première a eu lieu au cours de l’édition Kunstenfestivaldesarts 2005. En 2007,
Isabella Soupart sera à nouveau notre invitée avec sa nouvelle création, K.O.D. (Kiss of
Death) d’après Hamlet de Shakespeare, dans laquelle elle décortique et démystifie les
mécanismes et les structures du pouvoir.
K.O.D. (KISS OF DEATH)
KVS – BOX
16, 17, 18, 19/05 > 20:30 (1h20’)
20/05 > 18:00
EN & FR > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 17/05
Conception/Mise en scène/Chorégraphie : Isabella Soupart
Avec Bérengère Bodin, Itsik Elbaz, Charles François, Zoë Poluch, Olivier Taskin
Musique live : Filip Wauters
Scénographie : Jim Clayburgh
Création vidéo : Kurt D'Haeseleer
Création sonore : Thomas Turine
Assistante à la création sonore : Malena Sardi
Création lumières : Xavier Lauwers
Ingénieur du son : Marc Doutrepont
Costumes : Nathalie Maufroy & Lieve Meeussen
Dramaturgie : Hildegard De Vuyst
Présentation : KVS, Kunstenfestivaldesarts
Production : Compagnie Isabella Soupart
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), KVS (Bruxelles), La Ferme du Buisson
(Marne-la-Vallée), Les Halles (Bruxelles).
Avec le soutien du Ministère de la Communauté française de Belgique – Direction générale
de la Culture.
MALENA SARDI comme "assistante à la création sonore"
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Révélée au Kunstenfestivaldesarts en 2005 avec In the Wind of Time, Isabella Soupart est
actrice, danseuse, metteuse en scène et chorégraphe.
En 2006, deux de ses créations étaient à l’affiche de Toernee General, un programme
conjoint du KVS et du Théâtre National : In the Wind of Time, et Erase-E(x), le troisième volet
d’une chorégraphie au départ d’un projet de JojiInc, dont les deux premières parties ont été
créées par le Wooster Group et Anne Teresa De Keersmaeker.
Ses créations entre théâtre, danse, composition sonore, cinéma et architecture
scénographique, reflètent un univers très personnel. Travaillant sur la superposition, la mise
en opposition et la synchronisation, Isabella Soupart dégage la structure de ses pièces au fil
d’une longue période de répétitions. Comme un puzzle ou plutôt comme un assemblage
d’éléments « contradictoires » (intégration de textes de registres et de langues différents,
danse, expériences sonores, musicales et visuelles multiples), elle mélange toutes les pièces,
en sélectionne soigneusement certaines et conçoit une nouvelle entité, à partir d’une logique
qui lui est propre. Le théâtre ici n’est pas inféodé aux mots. Le geste y est central, producteur
d’effets et de significations autonomes. C’est de la déconstruction du texte et du mouvement
que jaillit toute la force du sens.
Isabelle Soupart signe une nouvelle création, K.O.D. (Kiss of Death), inspirée de l’une des
œuvres emblématiques de Shakespeare. Hamlet est ici projeté dans un monde régi par les
puissances médiatiques, empreint de l’univers cinématographique d’Antonioni, de David
Lynch, de documentaires sur l’ex-Union soviétique, de la chanson pop…
La situation initiale de K.O.D. est celle d'une famille puissante, à la tête d’un État, sous le feu
des médias. Chacun surveille, chacun est sous surveillance. Les journalistes traquent,
commentent et analysent les événements. Comment ne pas penser à l’« hypersurveillance »
qu’exercent certains États – ou d’autres groupes de pouvoir – sur les individus ? Grâce aux
technologies nouvelles, ce contrôle de tous les instants ne connaît pas de limites. Existe-t-il
encore une séparation entre la vie publique et politique et la vie privée ? L’œuvre de
Shakespeare devient dès lors un réservoir de situations contradictoires et explosives.
« Denmark’s a prison ».
Par opposition aux manœuvres tactiques de son entourage, relevant de la plus pure stratégie
militaire, Hamlet (dédoublé en deux acteurs) apparaît comme un électron libre, parfois
intrigant, mais surtout imprévisible ; un guerrier incontrôlable, devenu dangereux pour ceux
qui pensaient le maîtriser.
Dans K.O.D. l’empoisonnement du père d’Hamlet est presque imperceptiblement mis en
regard de celui de Viktor Ioutchenko (l’actuel président de l’Ukraine) et d’Alexandre Litvinenko
(ex-agent du KGB) ; le pillage qui suit les accords politiques entre le Danemark et la Suède
présente des similitudes avec les manœuvres des superpuissances d’aujourd’hui…
Plus que tout, K.O.D. démontre comment le pouvoir établi empiète sur la vie privée et
corrompt les émotions des individus : l’amour bascule dans la folie, l’érotisme se transforme
en violence.
« Something is rotten in the state of Denmark ».
La thématique de K.O.D. est tout à fait actuelle et traite d’un monde dans lequel notre rapport
au pouvoir et aux médias est dénaturé. Dès lors, où se situe la frontière entre l’être et le
paraître ?
Sur fond de musique rock et d’une chorégraphie dansée et théâtralisée, cinq acteursdanseurs, dominés par l’énergie, se heurtent aux mécanismes du pouvoir, à la violence de
l’amour, à la folie et à la destruction. Hamlet « revisited ».
Isabella Soupart & Hildegard De Vuyst
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THEATRE – PRETORIA
Mpumelelo Paul Grootboom
Mpumelelo Paul Grootboom (°1975) est né à Meadowlan ds en Afrique du Sud. D’abord
tenté par une carrière scientifique à l’université, Grootboom comprend rapidement qu’il n’est
pas fait pour les sciences. Il s’adonne alors à sa passion pour l’écriture et le cinéma et
devient scénariste pour la télévision et le théâtre.
En 1993, la rencontre avec John Rogers de Bataleur Films marque un tournant dans sa
carrière. Devenu sa personne de confiance et son mentor, Rogers le présente à Aubrey
Sekhabi, avec lequel Grootboom crée de nombreux spectacles.
En plus d’être écrivain, Grootboom est aussi metteur en scène. Il a notamment signé la mise
en scène de A Midsummer Night's Dream, Cards, King Lear et In This Life.
Depuis 2002, il travaille comme « development officer » au Théâtre national d’Afrique du Sud,
ce qui lui donne le temps et les moyens de se consacrer pleinement à l’écriture, la mise en
scène et la production.
En 2005, il reçoit le National Standard Bank Young Artist Award, tandis que son spectacle
Relativity : Township Stories lui vaut le Naledi Theatre Award.
TELLING STORIES
KVS – BOL
17, 18, 19/05 > 20:00
EN > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 18/05
Texte & mise en scène : Mpumelelo Paul Grootboom
Avec Mandla Gaduka, Sello Zikalala, Peter Molale, Nomcebo Gumede, Kedibone Tholo,
Koketso Mojela, Molefi Monaisa, Confidence Ndunyelo, Shadrack Dlomo, Fumani Shilubana
Directeur plateau : Thimson Seema
Assistant à la direction plateau : Lesley Isaac Sekgabi
Présentation : KVS, Kunstenfestivaldesarts
Production : South African State Theatre (Pretoria)
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« Telling Stories est un portrait sans fard de la vie dans les townships après l’abolition
de l’apartheid. Madi, jeune écrivain noir, crée une pièce de théâtre sur le thème de la
criminalité dans les banlieues noires. Pour donner à son histoire tout le réalisme qui
s’impose, il tente de s’approcher d’un groupe de délinquants du township. Ce qui
commence comme une enquête de terrain dégénère rapidement en une spirale
vertigineuse de trahisons, de violence et de meurtres. Les mises en scène de
« Township Tarantino », comme on surnomme parfois Grootboom en Afrique du Sud,
sont truffées de références cinématographiques. Rythmées par une bande-son trash et
par de la musique de danse populaire, les scènes se succèdent à une allure effrénée.
L’ironie du ton rend la réalité nue un peu plus digeste. À partir de quel moment le
concept de « tout pour l’art » n’est-il plus justifié ? Et quand la (re)présentation de la
violence devient-elle du voyeurisme ? »
Au début de sa carrière, l’écrivain Mpumelelo Paul Grootboom participe à un concours
d’écriture New Directions (NET). Barney Simon, à l’époque directeur du Market Theatre et
responsable de l’atelier des jeunes écrivains, dit à Paul que si son manuscrit, My sister
Mapule, ne ressemblait à rien, il avait cependant le sens du dialogue. Il lui expliqua en quoi
son texte ne « fonctionnait » pas : il écrivait à propos de personnes et d’un sujet qu’il ne
connaissait pas (en l’occurrence la polygamie). Barney l’encouragea donc à écrire sur luimême.
C’est ce que fit Paul, en écrivant son histoire, celle d’un écrivain. S’inspirant des townships où
il était né, il raconta l’histoire d’un écrivain qui rencontre deux délinquants. Barney lui avait
promis de lire le manuscrit et, s’il le trouvait bien, s’était engagé à l’adapter personnellement
pour le mettre en scène au Market Theatre.
La rédaction terminée, Paul baptisa sa pièce Madi et voulut la donner à Barney.
Malheureusement, celui-ci était à l’hôpital et il mourut quelques semaines plus tard. Telling
Stories est une nouvelle version de ce texte d’origine.
Le script de Telling Stories se lit plus comme un scénario de film qu’une pièce de théâtre.
C’était également l’intention expresse de Paul Grootboom : porter à la scène le « plaisir », la
« beauté » et la nature « défragmentée » d’un film.
« Bien que pour l’instant, sur le plan de la mise en scène, le style ne soit pas encore
totalement défini, une chose est sûre : il ne sera en tout cas pas « normal ». Bien sûr, je
compte m’inspirer des styles existants tels que l’agit-prop, le réalisme, le théâtre abstrait,
mais l’idée est d’utiliser ces possibilités lors des répétitions pour créer quelque chose qui
n’existe pas encore dans le monde du théâtre ».
En premier lieu, cette intention s’est concrétisée par un jeu avec les limites entre le public des
interprètes. Dans certaines scènes, Grootboom met intentionnellement une distance, par
exemple en demandant aux personnages de « rapporter » explicitement leur histoire au
public, ce qui est très proche de la technique de distanciation brechtienne. À d’autres
moments, il recourt à des attributs si clairement irréels (comme la poupée de Layane) que le
public ne peut que très difficilement s’identifier à la situation. D’autres scènes encore sont
construites avec tant de réalisme que les spectateurs sont quasiment contraints d’y adhérer.
« Parfois, je pousse les choses encore plus loin dans cette séparation entre public et
comédiens. Par exemple, lors du viol de Tumi dans la première moitié de l’histoire : je veux
que cette scène surplombe le public, pour faire en sorte que les spectateurs soient les
branches de l’arbre dont elle parle dans son récit. »
Cette idée constitue également l’articulation thématique et ironique d’un des monologues de
Madi :
“That is why, I believe, you have come here
today as an audience to this story... you are
voyeurs... you want to watch a representation
of your lives, your loves, your pain... other
people's pain, love, sex, and everything you
can think of... you want to watch it, but you don't
want to partake in it... that's what my
teacher meant - I think - when he said...
there's a voyeur in everyone of us...”
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Le problème central de la mise en scène est de savoir ce qu’on peut montrer ou pas, jusqu’où
on peut aller. Les acteurs doivent-ils se préparer en coulisses ou peuvent-ils rester en standby ? Le texte traite de la nudité du processus de création. Cette nudité est présente dans la
mise en scène et dans la présentation de la pièce. Elle n’empêche toutefois pas un réalisme
extrême et un jeu naturaliste .
« Dans toute la pièce, le choix des acteurs est basé sur le concept de « casting
physionomique ». Le physique d’un acteur ou d’une actrice est plus important que son talent
– et je ne parle pas uniquement de beauté, parce qu’en fait, la plupart d’entre eux ne sont pas
précisément beaux. Pour moi, une partie de la beauté qui s’exprime dans la pièce vient des
petits tics et expressions de certains personnages, qui doivent être interprétés par des
acteurs bien précis ».
Certaines scènes sont accompagnées par des mélodies quasi classiques, renvoyant
spécifiquement à des films célèbres tels que La double vie de Véronique de Kieslowski, Eyes
Wide Shut de Stanley Kubrick, etc. À d’autres moments, c’est de la pop de tous les jours, ou
des ballades de Norah Jones, Indie Arie, Bob Dylan et Tom Waits.
« On raconte que Federico Fellini avait envisagé d’appeler son film 8 1/2 The Beautiful
Confusion mais qu’il s’était ravisé. Cependant, pour qui l’a vu, 8 ½ est un bel exemple de
confusion. Cette pièce, elle aussi, est conçue comme une « belle confusion ». J’entends par
là que les moments et les personnages passent de la laideur à la beauté, et surtout à la
lumière. Pour cela, à certains moments de l’histoire, la lumière est braquée d’une manière
particulière sur les acteurs. Dans le passé, j’ai mené de nombreuses expériences avec les
couleurs et les angles d’éclairage, en tentant de repousser toujours davantage les limites de
la lumière. Dans cette production, je veux réutiliser cet acquis et pousser l’expérience encore
plus loin . »
Elke Van Campenhout
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PERFORMANCE – BUDAPEST / BERLIN
Eszter Salamon
Après une formation en danse classique à l’Académie nationale de danse de Budapest,
Eszter Salamon s’installe en France où elle travaille avec divers chorégraphes (1992-2000).
En 2001, elle signe son solo What a Body You Have, Honey et collabore avec Xavier Le Roy
pour réaliser Giszelle, présenté au Festival d’Avignon. Suit, en 2002, sur invitation de la
Comédie de Clermont-Ferrand, Woman Inc.©, un spectacle réunissant dix-huit femmes entre
7 et 74 ans.
En 2004, Salamon est artiste en résidence au Podewil TanzWerkstatt de Berlin, où elle crée
Reproduction. Elle est aussi lauréate de la bourse « Villa Médicis hors les murs ».
En 2005, la première version de Magyar Tàncok est présentée au festival Les Intranquilles de
Lyon ; parallèlement, Eszter Salamon conçoit une mise en scène sur la musique de Karim
Haddad dans le cadre de Seven attemped escapes from Silence, un projet du Staatsoper
unter den Linden de Berlin. La première de Nvsbl est créée au Choreographisches Zentrum,
Pact Zollverein d’Essen en 2006.
AND THEN
Beursschouwburg
18, 20, 21/05 > 20:30
19/05 > 22:00
EN/HUN > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 19/05
Mise en scène : Eszter Salamon
Avec Aude Lachaise, Eszter Salamon, Bojana Cvejić
Concept & dramaturgie : Eszter Salamon / Bojana Cvejić
Caméra & montage : Minze Tummescheit
Assistant montage : Arne Hector
Concept lumières : Sylvie Garot
Concept son & musique: Peter Lenaerts/ Peter Connelly
Musique: Peter Lenaerts/‘aisikl
gloomy Sunday
Percussion: Teun Verbruggen
Guitare: Youri Van Uffelen
Bass: Bert Lenaerts
Guitare Barytone: Peter Lenaerts
water accident
Percussion: Ephraim Cielen
Guitare: Youri Van Uffelen
Guitare Barytone: Peter Lenaerts
Assistante plateau: Marie-Marine Pouderoux
Production & organisation : Alexandra Wellensiek & Barbara Greiner
Team Budapest:
Direction de la production : Klára Kunsági, Zoltán Imely,
Maquillage: Bea Téren, Julianna Kollàr
Assistant technique: Imre Tajti
Props: Attila Feherhegyi
Recherche: Cécile Buclin, Simone Pallechi
Traduction française: Céline Schwaller
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Présentation : Beursschouwburg, Kunstenfestivaldesarts
Coproduction : Festival d'Automne (Paris), Les Spectacles Vivants-Centre Pompidou
(Paris), Les Subsistances-Résidence (Lyon), Pact Zollverein-Choreographisches Zentrum
(Essen), Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles), Centre National de la Danse (Paris),
TanzQuartier (Vienne)
Soutenu par Botschaft (Berlin), Centre Chorégraphique de Montpellier LanguedocRoussillon, Hauptstadtkulturfonds (Berlin), Hebbel-am-Ufer (Berlin) et Flórián Mühely - Mozgó
Ház Alapítvány (Budapest)
Avec le soutien de IDEE, programme culturel de l'Union européenne
Imaginez : vous ramassez un album photos dans la rue. Vous l’ouvrez et vous voyez
des gens que vous ne connaissez pas : des photos de vacances, des attitudes et des
gestes familiers, des visages d’étrangers qui vous sourient comme si vous étiez un de
leurs proches ou un de leurs bons amis à qui ces photos étaient destinées… Est-ce
bizarre de jeter un œil furtif dans la vie des autres quand, par le plus pur des hasards,
on a croisé la preuve de leur existence ?
Après Magyar Tàncok, qui met en scène une autobiographie professionnelle à travers le rôle
que joue l’histoire nationale dans la formation d’une danseuse, Eszter Salamon a découvert
une liste impressionnante de centaines de femmes portant le même nom qu’elle. Elle a
poursuivi ses recherches sur l’histoire du nom Eszter Salamon et a contacté un nombre
considérable d’ homonymes vivant en Hongrie, en Israël, aux États-Unis, en Angleterre, en
France et en Allemagne. Tout ce que contient l’expression courante « what’s in a name »,
tout ce que cela signifie d’être connecté à un certain nombre de gens qui partagent une
chose aussi minime et arbitraire qu’un nom l’ ont conduite à rencontrer et à interviewer ces
homonymes, puis à concevoir un projet de spectacle qui explore le fait de porter le même
nom et d’être différent, toujours déjà un personnage de fiction.
Eszter Salamon et Bojana Cvejić partent des questions suivantes : « Quand les autres sontils vraiment autres, des autres insignifiants, dont la vie ne nous concerne en aucune façon ?
Si nous cueillons leurs expressions hors du contexte de leur vie, deviennent-elles creuses,
fictives, fantomatiques, opaques et pâles, sont-elles encore personnelles ou simples coquilles
vides prêtes à recevoir n’importe quelle vie ? Comment ressentons-nous les différences
quand elles ne sont pas soulignées ni célébrées comme des marqueurs d’identité mais
qu’elles ont l’air de coïncidences ou de similitudes sans importance ? Comment les faisonsnous parler comme tout le monde et pas comme quelqu’un en particulier, investi d’une
mission et d’une nécessité de présenter son identité ? »
Après avoir filmé avec Minze Tummescheit des interviews de 8 femmes portant le nom
d’Eszter Salamon (une consultante en art à Newcastle, 55 ans; une juriste de Szeged, 57
ans; une jeune femme qui chante dans des chœurs parallèlement à son emploi temporaire
chez IBM à Szeged, 25 ans; une ancienne enseignante et conseillère à la jeunesse du
ministre de la Culture, et maintenant productrice indépendante de cartoons, de
documentaires et d’événements à Budapest, 37 ans; une styliste et compositrice de musique
de film à Budapest, 34 ans; un professeur d’italien et de cinéma à l’université de Budapest,
37 ans; une étudiante à Zalaegerszeg, dans le sud-ouest de la Hongrie, 16 ans, et Hannah
Birnfeld de Hambourg, 80 ans, amie d’une Eszter Salamon aujourd’hui décédée, avec qui elle
partagea l’enfer d’un camp de concentration. Salamon et Cvejić ont décidé que les
homonymes de Salamon se représenteraient elles-mêmes sur scène. Les deux créatrices se
sont attachées à la composition d’une réalité fictive sur base du matériel documentaire
rassemblé pendant les interviews. Dans ce but, elles ont développé un dispositif qui
transforme le film en représentation et la scène en écran (et vice versa). Qu’entend-on par
film, théâtre? Voici les procédés qui sont à l’intersection de ces médias et de ces genres de
performance :
1 Les « homonymes » (7) sont invitées à rejouer des parties de leur interview dans un studio.
Le style dans lequel elles sont filmées est théâtral – il détache leurs paroles du contexte
quotidien et leur confère toute une gamme de pauses, de blancs ou de profondeurs. Leur
discours devient artificiel, c’est-à-dire qu’il est rejoué et reproduit à partir de la conversation
62
spontanée, puis mis en scène au moyen du mouvement d’une caméra et à partir de la
relation entre ce qui est entendu, ce qui est dit, ce qui est visible dans le film ou à l’extérieur
du cadre, sans compter la différence de perception si nous entendons ce qui est dit ou si
nous suivons la traduction des sous-titres, etc.
2 Le film fait partie intégrante de la représentation, il est mis en scène dans un décor théâtral
conventionnel. L’écran et la scène définissent un seul lieu, où l’espace d’un médium se replie
ou se déploie dans l’espace de l’autre grâce à plusieurs paramètres communs : l’agencement
théâtral du studio de cinéma et de la scène de théâtre, la continuité des éclairages, les
diverses connexions entre les performeuses qui évoluent entre l’écran et la scène, la
chorégraphie de la caméra et du son.
3 4 personnages apparaissent dans l’espace de la performance : Eszter Salamon ellemême, Eszter Salamon la chanteuse de Szeged, Aude Lachaise, qui incarne un homonyme
visuel (sosie) d’Eszter Salamon, et Bojana Cvejić, qui représente Esther Salamon de
Newcastle en jeune femme – toutes circulent également entre la scène et l’écran. Les
performeuses partagent le matériau des personnes d’origine appelées Eszter Salamon (ou
elles-mêmes) et sont des personnages dans la mesure où les homonymes sont également
représentées comme des personnages dans le film. L’enjeu n’est pas une interaction entre le
faux et le réel, ou le faux doublant le réel, mais une fictionnalisation qui s’applique à la fois
aux homonymes et aux performeuses.
4 Dans un montage qui inclut l’action sur scène, la scène est déjà prise en compte au stade
du tournage du film.
Par conséquent, l’écran et la scène sont composés d’une seule image du point de vue du
spectateur. Autrement dit, la scène n’est pas un endroit de parasitage qui commente, traduit
ou fictionnalise le matériau documentaire de base. La scène et l’écran échangent tous deux
leurs fonctions d’origine sans que l’un cède la priorité à l’autre, de sorte que le spectateur
regarde un film sur scène et une pièce de théâtre dans un film, le tout composant un seul et
même événement ici et maintenant. Chaque aspect de la performance, filmée ou jouée sur
scène, répond à une chorégraphie minutieuse : le regard, les gestes des corps, les
mouvements de la caméra, la mise en forme d’instantanés ou d’images cinéma, l’espace
dans le film, en dehors de l’écran, en dehors de la scène et sur scène, le positionnement de
la voix, le son, les objets (quelques accessoires et des meubles), et, élément capital, la
distribution des personnages dans leur ordre d’apparition et leurs interactions par rapport à
l’espace et à la voix. La technique de jeu utilisée ici pourrait se comparer à celle de l’opéra,
dans la mesure où le film et la scène sont coordonnés de manière si étroite et précise que les
laps de temps sont fixes, comme si le texte devait être chanté avec un accompagnement
orchestral en direct. Ce que nous entendons également par « opéra », c’est une déconnexion
entre l’action et la bande-son, celle-ci pouvant être potentiellement perçue comme une
couche autonome, une partition musicale. La bande-son hyperréaliste qui amplifie les sons
des gestes et des mouvements est, dès lors, une chorégraphie en elle-même, qui explore les
possibilités de celle qui parle et de l’endroit d’où elle parle (le visible, l’audible, l’absent et le
présent) et de sons émis pour suggérer le visuel. Le principe de base est le suivant : il y a
toujours plus dans le son que dans l’image, et on le compose en mixant des sons concrets
(par ex. des sons issus de contextes manquants) et de la musique, de la musique jouée dans
le film et des éléments de musique de la scène (puisque, parmi les homonymes et les
interprètes, certaines sont musiciennes).
Plan de travail
La préparation du projet a commencé en mars 2006. Les interviews ont été réalisées en
septembre 2006, en Angleterre, en Allemagne et en Hongrie. Le « livret » a été écrit entre
septembre et décembre. La maquette du scénario et le script ont été finalisés vers la mijanvier 2007 entre Montpellier et Berlin. Le film a été tourné à Budapest pendant les deux
premières semaines de février. Le montage et la performance ont été réalisés en parallèle
entre la fin février et le 19 avril à Lyon (Les Subsistances).
Bojana Cvejić
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64
THEATRE – RIGA
Alvis Hermanis / New Riga Theatre
Alvis Hermanis (°1965) termine ses études d’art dra matique au Conservatoire d’État de
Lettonie en 1988.
Son premier spectacle, Marquise de Sade d’après un texte de Yukio Mishima, remporte le
Best Production of the Year Award et le Best Debut in Stage Direction Award du Festival de
théâtre de Lettonie en 1993. Depuis, Hermanis travaille au Nouveau Théâtre de Riga (NRT),
où il monte plusieurs pièces par an et est nommé directeur artistique en 1997. Mais Hermanis
ne se contente pas d’écrire ou d’adapter des textes : il joue souvent dans ses propres pièces,
dont il signe aussi la création visuelle.
Maintes fois primé en Lettonie, son travail figure à l’affiche de divers festivals internationaux
en Europe, en Russie et au Canada. Lors des Salzburger Festspiele de 2003, Hermanis se
voit décerner le Young Directors Project Award.
Le spectacle Ice. Collective Reading of the Book with the Help of Imagination in Riga, avec
lequel Alvis Hermanis est invité au Kunstenfestivaldesarts 07, a remporté l’Innovation of the
Year Award du Festival de théâtre de Lettonie en 2006.
ICE. A COLLECTIVE READING OF THE BOOK WITH THE HELP OF
IMAGINATION IN RIGA
Théâtre National – Studio
18, 19, 21, 22/05 > 20:00
20/05 > 15:00
(3h30’ break included)
LAV > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 19/05
Mise en scène : Alvis Hermanis
Avec : Sandra Zvīgule, Regīna Razuma, Inga AlsiĦa, Iveta Pole, Jana Čivžele, Liena
Šmukste, Gundars ĀboliĦš, Andris Keišs, Varis PiĦėis, Ivars Krasts, Edgars Samītis,
Aleksandrs Radzēvičs, JevgeĦijs Isajevs, Antons ZamišĜajevs
Création décors, création costumes & photographie : Monika Pormale
Dessins : Harijs Brants
Présentation : Théâtre National de la Communauté française, Kunstenfestivaldesarts
Production : New Riga Theatre
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« Avant de commencer la mise en scène du premier volet de Ice, j'ai reçu une lettre de la part
de l'auteur du roman, Vladimir Sorokin. Il m'y donnait différents conseils. Le premier était de
ne pas trop me laisser emporter par l'ironie puisqu'il s'agit d'une histoire sur la fraternité
perdue et sur l'impuissance affective de l'être humain. Le dernier de ses conseils était de n'en
suivre aucun. »
Alvis Hermanis
A Collective Reading of the Book with the Help of Imagination in Riga est le troisième volet
d'une trilogie théâtrale qui a vu l'équipe de création – le metteur en scène Alvis Hermanis, les
artistes et les designers Monika Pormale et Harijs Brants – s'investir à partir du même
matériau littéraire dans différentes composantes scéniques.
La première partie du projet – A Collective Reading of the Book with the Help of Imagination
in Frankfurt – a été présentée pour la première fois le 22 janvier 2005 au Schauspielhaus de
Francfort.
La deuxième partie – A Collective Reading of the Book with the Help of Imagination in
Gladbeck – a été mise en scène d’abord pour le festival international de la Ruhr Triennale qui
s'est tenu en Allemagne en août 2005. Elle était interprétée dans une immense usine
désaffectée. Les acteurs du Frankfurt Theater et du New Riga Theatre ont conjugué leurs
efforts dans la réalisation de ce spectacle. L'exposition d'arts visuels au milieu de la
représentation théâtrale constituait une nouveauté.
La troisième partie du projet – Ice. A Collective Reading of the Book with the Help of
Imagination in Riga – a été présentée le 16 septembre 2005 au New Riga Theatre. Les
acteurs se sont produits sur la petite scène, tout près des spectateurs – ce qui transformait la
lecture du livre en une action collective à laquelle participaient les comédiens et le public.
Pour reprendre la terminologie propre aux films, on pourrait caractériser la pièce de Francfort
comme un plan moyen du projet ; à Gladbeck, c'était le plan d'ensemble qui dominait la
scène – avec 24 acteurs et les espaces immenses de cette usine désaffectée –, tandis que le
spectacle de Riga se concentrait sur les acteurs, d'où la métaphore du gros plan, focalisant
l'attention sur l'interaction entre les interprètes et leur public.
Le metteur en scène Alvis Hermanis dit à propos de l'ensemble du projet : « Le lieu constitue
la différence majeure. À Gladbeck, tout était gigantesque; à Riga, nous jouons dans un
espace réduit, de sorte que le spectacle devient une pièce de théâtre intime. Le texte,
toutefois, ne change pas, le message reste intact. Nous ne parlons pas ici de trois pièces
différentes, mais, plutôt, de trois versions du même matériau. L'espace détermine comment
l'acte scénique évoluera ; l'environnement est un acteur à part entière. »
Interview d'Alvis Hermanis, le 11 avril 2007
Ice provient d'un concept théâtral entièrement nouveau. La représentation change de
forme en fonction de chaque lieu où se donne le spectacle, mais il y a bien plus : pour
la mise en scène, vous vous inspirez également de principes cinématographiques. De
plus, vous attribuez au public un rôle totalement différent, en lui faisant regarder des
livres d'images pendant les représentations et en instaurant le concept de la « lecture
collective ». Dans quelle mesure cette représentation est-elle un exemple « typique »
de la manière dont vous abordez la langue du théâtre, et dont vous tentez de la
renouveler ?
Selon moi, toutes mes créations sont totalement différentes les unes des autres : chacune
suit ses propres règles. Avant et après Ice, j'ai réalisé des spectacles très différents et, en ce
moment, je ne travaille plus non plus de cette manière. La représentation de Bruxelles est la
version intime de Ice. Comme vous le savez, j'ai réalisé trois pièces différentes à partir du
même texte.
J'ai encore fait cela récemment avec la reprise d'une pièce que j'ai créée il y a dix ans pour le
Schauspielhaus de Zurich. La pièce parlait d'étudiants et je travaillais à l'époque avec de très
jeunes comédiens. Maintenant, j'ai repris la pièce avec des acteurs plus âgés.
D'un côté, on change une pièce parce qu'on n'était peut-être pas tout à fait satisfait du
résultat de la première création, ou parce qu'on se rend compte après coup qu'on a fait des
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erreurs. D'un autre côté, on reste aussi toujours un peu frustré par le texte qu'on a mis en
scène, ou l'idée qu'on a représentée sur scène, alors qu'il existe tellement plus de virtualités
qu'on ne peut en montrer en un spectacle. La plupart du temps, beaucoup de possibilités
restent en suspens. Et comme je suis très paresseux, et que je ne lis pas énormément, c'est
à chaque fois le matériau le plus fort qui continue à ressortir dans mes spectacles. Et cela ne
concerne naturellement pas seulement les textes, parce que le théâtre ne réside absolument
pas dans le prolongement du texte. Il manie une langue qui lui est totalement personnelle et il
ne peut en aucune manière devenir l'esclave de la littérature. C’est un autre médium, avec
d'autres règles.
Qu'est-ce qui vous a séduit dans le livre Ice de Vladimir Sorokin ? Qu'est-ce qui vous a
poussé à mettre ce livre en scène aujourd'hui ?
Sorokin est pour moi, en particulier dans ce roman, le chroniqueur le plus honnête et le plus
précis de la manière dont notre société contemporaine fonctionne. Il sait surtout dévoiler les
machinations de la manipulation qu'on nous impose à travers l'idéologie, l'économie et la
culture d'entreprise. Les stratégies de manipulation restent la plupart du temps sous la
surface : la manière dont elles fonctionnent relève des informations que l'on occulte et que
l'on tait. Sorokin en revanche les aborde et les révèle au grand jour.
Ce matin, je suis revenu de Moscou où nous avons aussi joué ce spectacle, et j'ai été frappé
dans toutes les interviews de voir à quel point Sorokin est un sujet sensible pour la société
russe. Je devais presque m'excuser à chaque fois d'avoir choisi ce matériau. Pour la plupart
des Russes, il est considéré comme un agitateur et un pornographe. Pour moi, en revanche,
e
e
Sorokin est au XXI siècle ce que Boulgakov était à l'Europe de l'Est du XX siècle : dans son
livre Le Maître et Marguerite, il dévoile tous les aspects de la vie, le pouvoir et les
manipulations de la vie dans l'Europe de l'Est, et son texte est considéré comme le roman le
plus important de cette période. Selon moi, Sorokin est l'équivalent de Boulgakov, mais à
notre époque.
Je n'ai cependant pas choisi le texte de la pièce pour des raisons politiques, mais plutôt parce
qu'il était assez savoureux pour être joué, riche en images poétiques, et donc idéal pour être
traduit dans la langue du théâtre. C'est ce qui compte le plus pour moi.
Ignorez-vous alors en grande partie les aspects politiques du texte dans votre
spectacle ?
Les gens de ma génération, là où je vis, ont participé durant la majeure partie de leur
existence à la grande expérience du socialisme social, ou communisme. Nous nous en
sommes un peu lassés. C'était une expérience intéressante, mais cela suffit maintenant pour
moi aussi. Je ne pense pas qu'un artiste doive changer le monde. L'art est entièrement
métaphysique, il est d'une nature beaucoup plus subtile que la politique. Nous sommes des
poètes, non des activistes politiques. Lorsque je lis des commentaires sur des spectacles
d'Europe de l'Est écrits par des critiques venus d'une autre région du monde, je retrouve la
plupart du temps l'hypothèse suivante : nous nous occuperions de politique dans notre travail,
nous serions davantage des activistes que des artistes. Cependant, nous vivons dans un tout
autre contexte, dans lequel le métier d'artiste apolitique est plus estimé que l'implication
politique.
Appliquez-vous aussi cette attitude apolitique dans les choix que vous faites en tant
que directeur artistique du New Riga Theatre, où vous pouvez également programmer
d'autres metteurs en scène ?
Je pense que nous devons revenir aujourd'hui à un certain nombre de valeurs démodées
comme l'éthique et les émotions. Ce sont des notions conservatrices, mais, selon moi, le
théâtre doit témoigner d'une grande conscience morale et d'un grand professionnalisme.
D'après ma rencontre avec l'équipe artistique du Kunstenfestivaldesarts, je sais que vos choix
sont très radicaux, bien plus que dans notre théâtre. Le précédent spectacle que nous avons
joué au Kunstenfestivaldesarts était, c'est assez amusant, Le Revisor : une pièce de théâtre
radicalement démodée, mise en scène de manière très conservatrice. C'était assez radical
pour Frie Leysen à l'époque, parce que, pour être radical maintenant, on ne peut rien faire
d'autre que d'apparaître comme radicalement conservateur.
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En tant que créateur, avez-vous toujours créé à partir de ce point de vue
conservateur ?
Non, c'est lié à l'âge selon moi. Si on a 18 ans et qu'on n'est pas révolutionnaire, on n'a pas
d'âme. Si on a 40 ans et qu'on est encore toujours révolutionnaire, on n'a pas de cervelle. Les
vrais révolutionnaires doivent avoir été tués ou avoir atterri en prison. Les artistes qui
vieillissent avec des aspirations révolutionnaires ont quelque chose de pitoyable, de
quasiment misérable.
Elke Van Campenhout
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THEATRE / MUSIC – NEW YORK
The Wooster Group CREATION
The Wooster Group est un ensemble de performeurs, de techniciens et d’artistes qui créent,
avec la metteuse en scène et membre fondatrice Elizabeth LeCompte, des œuvres pour le
théâtre et les médias. Depuis ses débuts, au milieu des années 70, le Wooster Group a
produit dix-neuf pièces de théâtre, quatre spectacles de danse, trois drames radiophoniques,
cinq œuvres filmiques ou vidéos, ainsi que les huit premiers monologues de Spalding Gray.
Le noyau dur de The Wooster Group se compose d’une quinzaine de personnes. Le groupe
travaille en outre avec une large équipe d’associés, avec lesquels il collabore régulièrement
en fonction des projets. Leur lieu, le Performing Garage, est un théâtre modulable de 99
places, situé dans le bas Manhattan. Le Group possède et gère le Garage en tant
qu’actionnaire de la Grand Street Artists Co-op, fondée à l’origine par le mouvement artistique
Fluxus dans les années 60.
LA DIDONE
Kaaitheater
19, 20, 22, 23, 24/05 > 20:30 (1h30’)
En & IT > FR & NL
–26/60+
€20 / €16
Rencontrez les artistes après le spectacle : 20/05
Musique : Francesco Cavalli
Livret : Gian Francesco Busenello
Mise en scène : Elizabeth LeCompte
Avec Ari Fliakos, Scott Shepherd, Kate Valk, Judson Williams
Chant : Hai-Ting Chinn (mezzo soprano), Kamala Sankaram (soprano), Andrew Nolen
(barytone), John Young (ténor)
Instrumentalistes : Hank Heijink (luth et théorbe), Harvey Valdes (guitare électrique),
Jennifer Greisbach (clavier), Kamala Sankaram (accordéon et flûte)
Direction musicale : Bruce Odland
Création décors : Ruud van den Akker
Création costumes : Antonia Wagner
Lumières : Jennifer Tipton, Gabe Maxson
Son : Matt Schloss, Joby Emmons
Vidéo : Zbigniew Bzymek, Anna Henckel-Donnersmarck
Directeur plateau : Teresa Hartmann
Directeur technique : Aron Deyo
Assistante à la mise en scène : Jennifer Griesbach
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
Production : The Wooster Group, Kunstenfestivaldesarts
Production exécutive : Bozkurt Karasu
Coproduction : Rotterdamse Schouwburg, Grand Théâtre du Luxembourg, CC Belem
(Lisbonne), Edinburgh International Festival
Avec le soutien de l'Ambassade des États-Unis
69
e
Au XVII siècle, lorsque Francesco Cavalli et Gian Francesco Busenello composent et
écrivent La Didone (1641), l’opéra est encore une forme artistique nouvelle, en pleine
évolution. Cavalli, ses collaborateurs et d’autres compositeurs expérimentaux de l’époque,
œuvrant surtout en Italie, donnent libre cours à leur envie de remettre à l’honneur
l’expérience du théâtre grec classique, où quelques acteurs et un chœur récitaient des vers,
dansaient et jouaient de la musique dans de vastes amphithéâtres en plein air. Dans une
tentative de recréer cette magnificence, les compositeurs d’opéra restreignent l’usage de la
polyphonie vocale en faveur de l’écriture de textes pour solistes et portent une attention
particulière à la déclamation et à la rhétorique. Pour La Didone, Cavalli soumet une suite
d’accords simples et un accompagnement discret au pouvoir absolu de la voix humaine, dans
un espace acoustique pur.
Pour le livret, Busenello s’inspire de l’Énéide de Virgile et de la légende épique de Didon et
Énée. L’histoire veut que le prince troyen Énée, fuyant la guerre et échouant après une
violente tempête sur les rives de l’Afrique du Nord, y rencontre la reine de Carthage, Didon ; il
en tombe éperdument amoureux et se trouve pris au piège de l’amour, de la trahison, du
pouvoir et de la folie. À l’époque, Busenello a essuyé bien des critiques pour avoir modifié
l’issue tragique du matériau source en permettant à Didon de survivre à son suicide et de
couler ensuite des jours heureux aux côtés de Jarbas (un roi fou, rencontré dans une autre
version de l’histoire de Didon).
Dans sa mise en scène de La Didone, Elizabeth LeCompte introduit un autre produit de la
culture italienne dans ce panachage en faisant se télescoper le mythe du naufrage d’Énée
avec celui des vaisseaux spatiaux naufragés de Terrore nello spazio (1965). Dans ce film du
maître légendaire du fantastique et de la science-fiction, Mario Bava, le vaisseau spatial
Argos s’écrase sur la planète Aura et son équipage se voit contraint de mener un combat
désespéré contre des zombies pour récupérer leur « déflecteur de météores », d’une
importance vitale. Les élégantes combinaisons spatiales en cuir, les paysages planétaires
inhospitaliers, les pugilats et les batailles aux fusils à rayons avec les morts-vivants du film
culte de Bava forment une synergie inattendue avec les structures baroques de la partition de
Cavalli et les thèmes classiques de la légende de Didon.
Sur scène, les performeurs de La Didone passent avec aisance des codes et gestes formels
de l’opéra italien classique aux bravades fanfaronnes du film de série B des années 60, dans
un paysage de science-fiction réfracté par un prisme baroque. Le scénographe Ruud van den
Akker a incorporé des vidéos de Zbigniew Bzymek et d’Anna Henckel-Donnersmarck dans le
décor. Jennifer Tipton, une collaboratrice de longue date du Wooster Group, assure la
lumière. L’ensemble instrumental de La Didone, dirigé par Bruce Odland, jette un pont entre
les siècles. Le flux musical, porté par le théorbe de Cavalli qui date d’une époque antérieure à
l’amplification acoustique, est « contrepointé » par les plages de guitare électrique
contemporaine et les simulations numériques qui sillonnent le temps et l’espace musical
comme l’Argos de Terrore nello spazio.
The Wooster Group
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THEATRE – ZAGREB
Nataša Rajković & Bobo Jelčić
Né à Mostar en 1964, Bobo Jelčić décroche son diplôme de metteur en scène à l’Académie
d’art dramatique de Zagreb en 1990. Nataša Rajković est née en 1966 à Zagreb ; après des
études de philosophie et de littérature comparée à l’université de sa ville natale, elle débute
comme traductrice, essayiste et auteure de fictions pour la Radio nationale de Croatie. En
1993, elle se lance dans la dramaturgie avec Bobo Jelčić. Pendant les années qui suivent,
elle contribue à la création de Garages de J. Arjouni, de The Tourist Guide de B. Strauss et
Woyzeck de G. Büchner.
Depuis 1996, ces deux artistes écrivent et conçoivent la mise en scène de leurs propres
spectacles. Toujours en quête de formes d’expression actuelles, leur objectif est de proposer
une alternative au formalisme – tant classique que conceptuel – qui a détourné le grand
public du théâtre ces dernières années. Leur approche particulièrement originale se
caractérise par une observation incisive de la vie quotidienne et par des interactions intenses
avec l’acteur, ou plutôt l’humain derrière l’acteur. Ce sont d’ailleurs les histoires personnelles
des metteurs en scène et des acteurs qui fournissent le matériau de Promotanja
(Observations, 1997). Dans Usporavanja (Slowing Down, 1998) et Nesigurna prica (Uncertain
Story, 1999), ils se servent de bribes de conversations et de situations banales traitées avec
une extrême simplicité pour démasquer la théâtralité sur scène comme dans la vie. Ces deux
spectacles leur ont valu de nombreux prix en Croatie.
S DRUGE STRANE (DE L’AUTRE CÔTÉ)
Théâtre 140
22, 23, 24, 25, 26/05 > 20:30 (1h15’)
CR > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 23/05
Mise en scène : Nataša Rajković et Bobo Jelčić
Avec Ksenija Marinković, Krešimir Mikić, Jadranka ðokić, Nikša Butijer
Création décors : Maja Levanić
Présentation : Théâtre 140, Kunstenfestivaldesarts
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Bobo Jelčić & Nataša Rajković
S Druge Strane (De L’autre côté)
Le style de Bobo Jelčić et Nataša Rajković est tout à fait particulier et leurs scénarios se
reconnaissent entre mille. Forts de cette singularité, ils ont créé depuis 1997 des pièces très
bien accueillies (Observations, Slowdowns, An Uncertain Story /Nesigurna priča, Heimspiel,
A Walking, Talking, et Improvising Workshop…), qu’ils ont présentées en Allemagne
(Duisburg, Hambourg, Francfort, Munich), en Croatie et sur les grandes scènes
internationales : à Vienne, au Québec, etc.
En 2001, ils étaient à l’affiche du Kunstenfestivaldesarts avec le spectacle Nesigurna priča.
De l’autre côté est le second projet conçu pour et avec le Théâtre des Jeunes de Zagreb
(ZKM), l’un des théâtres les plus énergiques et les plus en vue à l’heure actuelle en Croatie.
Ils écrivent et mettent en scène leurs propres projets, cherchant toujours à proposer des
alternatives au théâtre classique et conceptuel. Leur mode d’expression original s’appuie
d’une part sur l’observation attentive du quotidien et l’emploi de simples accessoires pour
explorer le point d’intersection entre le réel et le fictionnel, et de l’autre sur une approche
singulière de la direction d’acteurs, privilégiant une interaction intense et directe. De l’autre
côté est le résultat d’une recherche spécifique de Bobo Jelčić et Nataša Rajković avec quatre
comédiens.
L’histoire s’articule autour d’une femme, dans une phase difficile de son existence : elle perd
pied dans le combat qu’elle mène contre ses démons et imperfections. Autour d’elle, d’autres
veulent, eux aussi, raconter leur histoire. Le pivot de la pièce oscille entre la solitude et
l’égoïsme. Mère et fils, voisins et amis révèlent non seulement leurs relations, mais leurs
émotions et pensées secrètes les uns pour les autres. Les éléments surréalistes et
naturalistes s’enchevêtrent subrepticement, de sorte que l’on ne sait plus ce qui est réel ou ce
qui ne l’est pas. Cet univers intérieur, intime et subconscient devient transparent, plastique et
matérialisé. Tout devient de l’ordre du possible : dire ce qui nous passe par la tête,
transformer son esprit en un espace où les autres nous écoutent. Mais même en ouvrant leur
cœur et en s’exprimant sans inhibitions, les protagonistes ne se sentent pas soulagés. Ils
demeurent les mêmes êtres, aux prises avec les mêmes problèmes.
Dans un scénario singulier, qui frappe par ses vérités que l’on pense souvent tout bas mais
que l’on ne dit jamais tout haut, le tandem Rajković-Jelčić font fusionner le théâtre et la réalité
à travers la technique du collage. Bien que leur public soit entretemps familiarisé avec cette
méthode, ils ont une fois de plus créé un théâtre vif et non conventionnel, dans lequel ils
abolissent l’idée même et l’importance du mimétisme. Car, pourquoi imiter, si sur la scène,
les comédiens peuvent transcender la réalité, même lorsqu'ils sont les proies faciles d’une
forme de voyeurisme auquel ils se prêtent volontiers. Le théâtre est la vie et la vie est le
théâtre. Il n’existe pas de copies. L’association de ces deux images, et plus particulièrement
le choix de la structure dramatique parfaitement classique ainsi que l’authenticité et la
fraîcheur du spectacle, nous permettent de percevoir nos propres biographies, notre vécu et
celui de la « famille moyenne » avec ses rituels, ses espoirs et ses contrariétés mesquines.
Dubravka Vrgoč (manager de Bobo Jelčić et Nataša Rajković) :
Au lieu de suivre le modèle séculaire dans lequel le théâtre imite la réalité, Nataša Rajković et
Bobo Jelčić préfèrent créer un théâtre où la réalité et l’imagination se fondent. Fidèles au
principe du hasard et de la coïncidence, les auteurs réunissent des fragments d’événements,
généralement étrangers à l’intrigue, au récit ou à l’action, et construisent ainsi une chose
ouverte qui deviendra peu à peu une pièce de théâtre. Des manuscrits d’un tel éclectisme
permettent la création simultanée d’une intégration et d’une désintégration théâtrales ; un
processus auquel la littérature a recours depuis quelques décennies. Les auteurs et les
comédiens ne sont pas intéressés par la finalité, mais par le processus : ils ne questionnent
pas la possibilité de reproduire la réalité, mais cherchent à capter des moments de la vie
quotidienne, qui porteront tant les traces du vécu personnel du comédien que celles du
personnage qu’il incarne. Ce jeu, éliminant toute différence entre l’actif et le passif, annule la
contrainte de suivre des modèles établis ou des conceptions déterminées. Ainsi, le théâtre
devient insaisissable, étendu ou disséminé à travers la réalité et vice-versa. Il n’y a jamais de
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perspective, lecture, idéologie, solution, sujet, centre ou périphérie unique… « parce qu’on
est toujours de l’autre côté ».
Bobo Jelčić et Nataša Rajković :
De l’autre côté est un spectacle qui traite de la vie de quatre personnes solitaires et de leurs
tentatives de raconter leur histoire au public. Ces histoires n’ont rien d’exceptionnel ou de
grandiose, mais pour les protagonistes, elles ont une importance capitale, car elles
représentent tout ce qu’ils ont. Qui plus est, l’histoire d’une vie a beau tenir en une seule
phrase, en fin de compte, il est rassurant de savoir que cette phrase peut être formulée de
millions de manières différentes.
Que l’on se sente submergé, une fois la quarantaine atteinte, par le sentiment que la vie n’a
pas de sens, n’a rien d’inhabituel. On pourrait qualifier cet état de « crise ». On pourrait
affirmer qu’à trente ans, il est normal d’être ambitieux et de vouloir s’imposer tel que l’on est.
On pourrait dire qu’à vingt-cinq ans, on est encore fort jeune et qu’il faut attendre de vivre ses
propres expériences. Dans la foulée, on pourrait ajouter que tout finira bien par s’arranger.
Mais, pour être honnête, il faudrait conclure en disant que tout ne s’arrangera peut-être pas,
que l’on ne sait jamais, que rien n’est jamais acquis, qu’il faut avoir de la chance et que tout
en dépend. Il faudrait déclarer que la vie est plus simple pour ceux qui ont de la chance, et
que ceux qui ne le sont pas ont besoin d’aide. Et qu’il nous faudrait apprendre à voir nos
différences afin de devenir des personnes meilleures, d’arrêter d’exclure de nos vies les
malheureux parce qu’il est plus facile de penser qu’ils sont les seuls responsables de leurs
malheurs. Certains ne le sont vraiment pas.
1 La communication est le point de départ de chaque projet. Le processus de répétitions
nous permet de la sorte de nous concentrer sur l’évolution de l’aptitude du comédien à
communiquer. Les comédiens sont supposés communiquer leur rôle, il ne faut pas qu’ils se
transforment en leur personnage. Il est important qu’ils remettent simultanément en question
leur position d’interprète et celle du personnage afin qu’ils soient capables de passer de l’un à
l’autre sans aucune tension apparente. Le but d’une telle approche est de rendre le récit et le
spectacle plus réaliste et plus crédible, même quand tout est purement fictionnel. Au final,
nous obtenons une communication sous forme d’échange d’information, ou plutôt sous forme
d’attention.
2 Dans notre approche du travail, nous réservons un traitement particulier au texte. Nous
tentons d’écrire pour de la performance théâtrale, nous ne cherchons pas à faire de la
littérature. Le texte se construit à partir d’un processus et dans ce sens, il devient plus direct
et plus fluide. Il n’est que l’un des éléments théâtraux dont nous nous servons. Il est peut-être
mineur d’un point de vue littéraire, mais il en est d’autant plus efficace. Il est bel et bien là, il
est écrit, bien qu’en commençant à travailler à cette pièce, il n’existait pas.
3 Le contenu n’est ni précis, ni spécifique. Il se disperse à plusieurs niveaux et tout devient
banal, mais des échanges de formalité ou des confessions émouvantes surgissent. Il n’y a
pas de récit linéaire, mais l’histoire s’articule à partir de différentes situations et de divers
niveaux, résultant sur une image globale de personnes et de situations qu’il n’est pas facile
de décrire en quelques mots simples.
73
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DANCE – BRUSSEL
Anne Teresa De Keersmaeker & Ann Veronica
Janssens/Rosas CREATION
Après ses études à Mudra et la Tisch School of the Arts de New York, Anne Teresa de
Keersmaeker (°1960) présente sa première production Asch en 1980. Deux ans plus tard,
avec Fase, four movements on the music of Steve Reich, elle crée sa première chorégraphie
influente. En 1983, parallèlement à la création de Rosas danst Rosas, Anne Teresa De
Keersmaeker fonde sa propre compagnie, Rosas. La recherche de la chorégraphe se
concentre sur la relation entre la musique et la danse à travers la musique de e.a. Béla
Bartók (Bartók/Aantekeningen), György Ligeti et Eugène Ysaÿe (Achterland), Thierry De Mey
(Amor constante, April me), Steve Reich (Fase, Drumming, Rain), et le rapport entre la danse
et le texte (In real time, Kassandra). Rosas est compagnie en résidence à la Monnaie depuis
1992, ce qui lui permit de travailler avec orchestre et d'aborder l'opéra (I due Foscari, Hanjo).
En 1995, elle fonde P.A.R.T.S., sa propre école de danse.
Ann Veronica Janssens (°1956 / Folkstone (GB), habite à Bruxelles), arti ste plastique, dont
l'œuvre est liée à des notions telles que la perception, le vide, l'(im)matérialité et l'infinitude.
Elle a récemment présenté des expositions solo aux MAC Galeries contemporaines des
musées de Marseille (2003), à l'Openluchtmuseum Middelheim (2003, cat.), à la Kunsthalle
de Berne (2003), à l'Ikon Gallery à Birmingham (2002), à Art Unlimited / Art Basel (2002), à la
Neue National Galerie de Berlin (2001), au Kunstverein de Munich (2001), au Salzburger
Kunstverein (2000) et au pavillon belge lors de la quarante-huitième biennale de Venise
(1999). Elle a récemment participé à des expositions de groupe, parmi lesquelles on compte
Aux Origines de l'Abstraction (Musée d'Orsay, Paris, 2003), Lost Past (Merghelinck Museum,
Ypres, 2002), Casino (SMAK, Gand, 2001), Voici (PBA, Bruxelles, 2000) et Orbis Terrarum
(Musée Plantin-Moretus, Anvers, 2000).
KEEPING STILL – PART 1
Rosas Performance Space
22, 23, 24, 25, 26/05 > 20:00 & 22:30 (1h10’)
–26/60+
€15 / €12
Mise en scène : Anne Teresa De Keersmaeker & Ann Veronica Janssens
En collaboration avec Robert Steijn
Dramaturgie : Claire Diez
Présentation: Rosas & Kunstenfestivaldesarts
Production : Rosas & De Munt / La Monnaie
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts
Solo avec Partenaire
Anne Teresa De Keersmaeker en dialogue avec l’espace sensoriel et lumineux d’Ann
Veronica Janssens.
75
76
THEATRE – BERLIN
Haug-Wetzel / Rimini Protokoll
De 2000 à 2002, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel ont élaboré une trilogie non
pas avec des acteurs, mais avec des experts en circonstances de vie exceptionnelles: 4
dames octogénaires vivant dans un hospice, s’improvisaient spécialistes de F1 et
chercheuses en matière de grande vitesse, sur la scène de Kreuzworträtsel Boxenstopp
(Frankfurt 2000/01) ; 5 adolescents en pleine mue partageaient leur érudition et leurs travaux
pratiques sur le plaisir de tirer dans Shooting Bourbaki (Luzern e.a. 2002, 1er prix NRW
Impulse Wettbewerb 2002); 5 experts médicaux et para-médicaux faisaient état de leur
expérience en matière d'approche professionnelle de la mort dans Deadline (Hamburg e.a.
2003).
Sous le dénominateur Rimini Protokoll, Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel ont
attiré l'attention sur eux avec un second champ d'expérimentations théâtrales : intensifier la
présence d’endroits publics n’ayant rien à voir avec le théâtre par des interventions plus ou
moins manifestes.
Pour les Theaterformen 2002 de Hanovre, ils firent de la place du Kröpke aux grandes heures
d’affluence un théâtre surpeuplé, dont les protagonistes – les gens faisant leurs courses, les
passants, les agents de police, etc. – ignoraient qu'ils faisaient partie d'une scène regardée
e
du haut du 10 étage d'un immeuble de bureaux par des spectateurs équipés de jumelles et
d'écouteurs. Une expérience articulée par la perspective des caméras de surveillance.
Dans le cadre de Theater der Welt 2002, Rimini Protokoll invita plus de 200 électeurs de
Bonn à participer aux débats du Parlement de Berlin, entre 8h30 à 0h45, en simultané et en
« live ». Deutschland 2 diffusa ainsi les propos tenus en commission, les interventions et
interpellations, en direct de Berlin vers Bonn, à l’instar d’une copie pirate. A Bonn, chaque
citoyen prit la place d'un député dans une maquette de Parlement et chaque discours tenu à
Berlin était endossé par un nouveau visage et une nouvelle voix.
En janvier 2004 vint Zeugen! Ein Strafkammerspiel (Berlin, Hanovre). Après le pouvoir
législatif, ce fut au tour du pouvoir judiciaire d’être examiné dans sa dimension théâtrale : un
avocat, une accompagnatrice de témoins, une juge profane, un inculpé, un spectateur
passionné, un ébéniste et deux acteurs construisirent en scène leur propre salle d'audience
en vue d'un méta-procès durant lequel ils débattirent du tribunal comme lieu de ritualisation
de la justice.
« Ils ne font pas de trafic d’armes mais du trafic d’art. Fourguant l’art dans la réalité par
contrebande, ils observent le public qui en observe les explosions. La fraude est réussie
quand la frontière ténue entre le « réel » et le « manipulé » n’est plus perceptible », écrit Die
Zeit à propos de Rimini Protokoll.
KARL MARX / DAS KAPITAL : ERSTER BAND
KVS – BOL
23, 24, 25, 26/05 > 20:00 (2h)
DE > FR & NL
–26/60+
€12,5 / €10
Rencontrez les artistes après le spectacle : 24/05
Concept & mise en scène : Helgard Haug, Daniel Wetzel/Rimini Protokoll
Avec Thomas Kuczynski, Ulf Mailänder, Talivaldis Margevics, Jochen Noth,
Christian Spremberg, Ralph Warnholz, Franziska Zwerg, Archibald Peeters
Création décors : Helgard Haug, Daniel Wetzel/Daniel Schulz
Vidéo : Helgard Haug, Daniel Wetzel
Dramaturgie : Andrea Schwieter/Imanuel Schipper
Présentation : KVS, Kunstenfestivaldesarts
Production : Düsseldorfer Schauspielhaus
Coproduction : Hebbel-Am-Ufer (Berlin), Schauspielhaus Zürich, Schauspielhaus Frankfurt
77
Karl Marx et les auto-interprètes
Das Kapital, l’œuvre majeure de Karl Marx, est une analyse et une critique de la société
capitaliste. Un texte théorique totalement inapproprié à l’argument d’un spectacle de théâtre,
dirait-on. Erreur. À Düsseldorf, de jeunes créateurs portent à la scène Das Kapital.
Thomas Kuczynski a fait le compte : lire aux spectateurs l’intégralité de son scénario fort de
751 pages en consacrant une heure de « réflexion intense » à chacune, « ce qui est
indispensable pour bien comprendre cet ouvrage », exigerait toute une année de travail. Ou
encore 90 fois l’Anneau du Nibelung de Wagner. À tout prendre, mieux vaut choisir Karl Marx,
Kuczynski en est convaincu – même si l’on n’y consacre que 100 minutes, soit la durée d’une
pièce de théâtre.
Talivaldis Margevics a aussi fait ses calculs. À Riga, où il vit, Das Kapital, tome I de Karl Marx
est vendu à 1 000 euros au marché noir. Par contre, Mein Kampf d’Adolf Hitler ne coûte que
20 euros. Un Marx vaut donc cinquante Hitler. En d’autres termes : X marchandise A
= Y marchandise B. Telle est l’équation de base du mode de production capitaliste, d’après
Karl Marx.
Christian Spremberg a accumulé un capital. Il possède 20 000 disques et les fait écouter : les
« Travellers » chantent la banqueroute du porte-monnaie, des chansons socialistes façon
RDA prônent le « carpe diem », Ford fait de la publicité pour la nouvelle Taunus, le fantôme
du château Hui Buh, un héros de la littérature enfantine allemande, fait cliqueter sa chaîne.
Voilà ce qui se passe sur les planches quand le collectif de metteurs en scène RiminiProtokoll met les fers au feu. Ce n’est pas l’action qui compte, mais le sujet. Ce ne sont pas
des comédiens qui jouent, mais des profanes qui se livrent. Et ce ne sont pas les metteurs en
scène qui donnent leur interprétation du sujet, mais les biographies des « experts du vécu »
qui s’entrecroisent. Ainsi naissent des collages à couleur humaine, et ceux-ci ont fait de
Rimini-Protokoll l’un des fleurons du théâtre allemand contemporain.
Samedi avait lieu la première de Das Kapital au Schauspielhaus de Düsseldorf.
Le procès Mannesmann et Ackermann ? La « sous-classe », ce nouveau concept qui fait
scandale ? La fermeture de la filiale de téléphonie mobile de BenQ ? Hartz IV, la dernière
réforme du marché du travail ? Heuschrecken et « les sauterelles », ce terme utilisé pour
désigner les investisseurs sans scrupule ? Autant de scandales qui ont secoué l’Allemagne
ces derniers temps. Helgard Haug et Daniel Wetzel ont renoncé à citer ces exemples que ne
peut éluder la critique du capitalisme dans la patrie de Marx en l’an 2006. Les metteurs en
scène ne font pas de remontrances à l’économie de marché, ils mettent simplement le
citoyen alias consommateur en face des contradictions de sa société.
Le spectateur est assailli par une pléthore de références, issues d’un siècle et demi d’histoire
ouvrière, sociale et philosophique autour de Marx. Au consommateur des produits RiminiProtokoll d’en juger par lui-même. Pour tout soutien, il a droit aux mots-clés et slogans tirés
de la biographie de chaque acteur, qui aurait aussi pu être la sienne.
Jochen Noth, 65 ans, porte un costume. Jochen Noth en portait un aussi lorsque, vers ses
25 ans, il provoqua un scandale en faisant flamber de l’argent en public – avec son briquet et
non en spéculant. Le film en noir et blanc de sa jeunesse défile sur deux écrans placés dans
les rayons de la bibliothèque qui sert de décor à Das Kapital. Dans les années 60, Noth, alors
membre de l’Union socialiste allemande des étudiants (SDS) et du comité central de l’Union
communiste d’Allemagne de l’Ouest, a été emprisonné et exilé en Chine. Amnistié, il revient
en 1988, fonde une entreprise et fait faillite quelques années plus tard. Marx, aller-retour.
Dans son exemplaire du Kapital – dont il avait méticuleusement souligné à la règle les idées
maîtresses – Noth retrouve un vieux tract du Comité général des étudiants d’Heidelberg
(AStA) au verso duquel figurent quelques dessins obscènes. « Vous voyez à quoi on
s’intéressait aussi, alors », explique Noth. Et il se lance dans la lecture d’un rapport où une
jeune camarade raconte comment le nombre de participants aux cours sur Marx à l’université
d’Heidelberg – une fois par semaine, de 22 heures à minuit – passa rapidement de 80 à 4.
78
Recherche, petites annonces, bouche à oreille : c’est ainsi que les metteurs en scène Haug
et Wetzel ont déniché leurs huit acteurs.
Il y a là ceux qui étudient Marx, comme le professeur d’économie Kuczynski, le dernier
directeur de l’Institut d’histoire économique de la RDA. Il y a ceux, comme Noth, qui ont jadis
été séduits par ce que d’autres avaient fait de Marx. Et ceux qui ont eu à subir ce que
d’autres avaient fait de Marx, comme le réalisateur Margevics, accusé de dissidence par
l’URSS et par conséquent brimé, ou encore l’interprète russe-allemand Franziska Zwerg, qui
aspirait à quitter la RDA pour la RFA.
Il y a là ceux qui n’ont pas pu résister longtemps aux tentations du capitalisme, comme
l’électronicien Ralph Warnholz, jadis pris par le démon du jeu, qui dirige aujourd’hui un
groupe d’entraide pour joueurs. Il y a ceux qui n’ont, à vrai dire, aucune chance dans le
système capitaliste, comme Christian Spremberg, collectionneur de disques et employé dans
un centre d’appels, qui rêve de participer à la version allemande de l’émission « Qui sera
millionnaire ? ». La seule édition du Tome I du Capital qu’il puisse lire comprend une
douzaine de volumes : elle est écrite en braille.
C’est en se basant sur leurs récits à la première personne et sur le Capital de Marx que Haug
et Wetzel ont tissé le canevas du spectacle. Ils ont répété pendant trois semaines à peine, et
le déroulement de la pièce change quotidiennement.
Dix jours avant la première, les membres de la troupe sont installés dans quatre vieux
canapés disposés en carré dans la salle de répétition : étude de texte. « Cette partie, on va la
sauter aujourd’hui car elle n’existe pas encore », annonce le metteur en scène Wetzel. Les
stylos raturent la dernière version imprimée du scénario. « Ici, j’ai droit à deux ou trois
minutes ? » s’enquiert Jochen Noth. Et que fait-on des sept préceptes du groupe d’entraide
de Ralph Warnholz ? Chez Rimini-Protokoll, les acteurs qui interprètent leur propre vie sont
co-metteurs en scène et co-auteurs.
Dix minutes plus tard, le désarroi se lit dans les regards. « Un peu de confusion, ce n’est pas
plus mal », dit le metteur en scène Wetzel, « c’est comme ça qu’on aura quelque chose de
spontané. » Le théâtre façon Rimini, c’est aussi du happening et de la performance.
Le collectif Rimini est actif depuis 2002. Haug, Wetzel et leur collègue Stefan Kaegi, qui ne
participe pas à Das Kapital (également présenté à Berlin, Francfort et Zurich), se sont
rencontrés pendant leurs études de théâtre à Gießen, un vivier de créateurs des arts
scéniques en Allemagne.
Ils se sont fait connaître grâce à Deutschland 2 : ils avaient alors demandé à des citoyens
rassemblés à Bonn de répéter en direct tout ce qui se disait lors d’une session du Bundestag
à Berlin – de neuf heures à minuit. Dans Sabenation, ils donnaient la parole à d’anciens
employés de la compagnie aérienne belge Sabena, en faillite. Dans Wallenstein, d’anciens
politiciens de la CDU et des vétérans de la guerre du Vietnam parlaient de pouvoir et de
trahison – une pièce de Schiller sans un mot de Schiller.
Rimini-Protokoll cherche l’authenticité. Les « experts » sont censés jouer leur vie et non le
rôle de leur vie. Ainsi, lors d’une répétition de Das Kapital, quand Ralph Warnholz se met à
prendre des poses comme un acteur de série télévisée, la metteuse en scène Haug préfère
retrouver « l’ancien Warnholz, celui qui se contente de raconter son histoire ».
Pourquoi Das Kapital ? « Cet ouvrage est incontournable », répond Helgard Haug. « Il suscite
la polarisation comme aucun autre, mais aussi une nouvelle volonté de s’y confronter. »
Notamment à cause des scandales de BenQ et d’Ackermann & Co. « Nous profitons du
capitalisme, mais à bien des égards, nous le trouvons épouvantable », poursuit Haug. Voilà
ce qu’est leur pièce : un état des lieux.
Également au tableau de la situation en 2006, des révolutionnaires qui s’inspirent de Marx.
Sascha Warnecke n’a pas 20 ans, il porte un T-shirt kaki avec une étoile rouge sur la poitrine
et il voudrait qu’en 2015, la révolution socialiste ait renversé la situation en Allemagne.
79
Membre du Parti communiste allemand (DKP), il a protesté des journées entières contre
McDonald’s et raconte qu’un passant « a spontanément renversé par terre son coca devant
le directeur de la filiale. » Du haut des murs couverts de livres, l’ex-révolutionnaire Noth
observe le successeur de son successeur.
Mais à la fin, Rimini-Protokoll s’autorise tout de même quelques compromis. Ulf Mailänder
entre en scène et raconte à la première personne l’histoire de l’escroc Jürgen Harksen. Grâce
à sa combine intitulée « facteur 13 », il a extorqué des centaines de millions à des nantis en
tablant sur leur cupidité sans limites : une possibilité que Marx avait déjà prévue en 1867. Le
vrai Harksen ne peut malheureusement pas participer au projet théâtral : il est en prison pour
escroquerie. Mais Mailänder a écrit sa biographie – tout comme celle de Jürgen Schneider,
un ancien requin de l’immobilier qui a floué la Deutsche Bank.
Dans le projet Rimini suivant, en revanche, ce sera le tour de véritables directeurs et
commissaires en chef – et ceux-là n’auront nullement besoin de répéter. Au printemps
prochain, Haug et Wetzel veulent en effet emmener le public dans un théâtre où se joue la
véritable vie économique : à l’assemblée générale d’une grande multinationale.
Handelsblatt (online), Chr. Nesshöver, 6 novembre 2006
80
DANCE / PERFORMANCE / INSTALLATION – FRANKFURT / DRESDEN
The Forsythe Company
Ayant grandi à New York, William Forsythe y a suivi la majeure partie de sa formation de
danseur. A l’âge de vingt ans, il débarque en Europe et devient chorégraphe en résidence au
Ballet de Stuttgart. En même temps, il crée des spectacles pour diverses compagnies à
Munich, La Haye, Londres, Bâle, Berlin, Francfort, Paris, New York et San Francisco.
En 1984, il prend la direction du Ballet de Francfort, une fonction qu’il assume pendant vingt
ans. C’est alors qu’il signe quelques-uns des spectacles de théâtre dansé les plus applaudis
de notre temps, comme The Loss of Small Detail (1991). Après la fermeture du Ballet de
Francfort en 2004, Forsythe fonde une nouvelle compagnie basée à Francfort et à Dresde :
The Forsythe Company. Tandis que ses créations récentes sont exclusivement interprétées
par The Forsythe Company, ses œuvres antérieures figurent désormais dans le répertoire d’à
peu près toutes les grandes troupes de ballet du monde.
William Forsythe est unanimement considéré comme l’un des chorégraphes majeurs de la
danse contemporaine. Il a libéré le ballet des conventions classiques pour en faire un art
éminemment dynamique, en phase avec le XXIe siècle.
Ses conceptions chorégraphiques sont le fruit d’un dialogue avec les principaux mouvements
artistiques de l’époque actuelle, depuis la performance et les arts visuels jusqu’à l’architecture
et aux multimédias interactifs.
DECREATION
Théâtre National
24, 25/05 (1h10’)
–26/60+
€20 / €16
Rencontrez les artistes après le spectacle : 25/05
Chorégraphie : William Forsythe
D'après un texte de Anne Carson
Mise en scène : William Forsythe
Lumières : Jan Walther/William Forsythe
Musique : David Morrow
Costumes : Claudia Hill
Dramaturgie : Rebecca Groves
Création vidéo : Philip Buβman
Création son : Niels Lanz/Bernhard Klein
Présentation : Théâtre National de la Communauté française, Kunstenfestivaldesarts
Production : The Forsythe Company
HUMAN WRITES CREATION
Halles de Schaerbeek
26/05 > 20:00-23:00
–26/60+
€20 / €16
Concept : William Forsythe & Kendall Thomas
Scénographie, lumières & costumes : William Forsythe
Création son : Dietrich Krüger, Niels Lanz, Thom Willems
Présentation : Halles de Schaerbeek, Kunstenfestivaldesarts
Production : The Forsythe Company
81
Rendre possible l’impossible : Decreation et Human Writes de William Forsythe
Dans la carrière de tout artiste, il arrive un moment où les principes et les paradigmes de
création et de production, adoptés de longue date, sont remis en question. En trente ans de
carrière, William Forsythe a créé trois pièces qui peuvent être considérées comme les piliers
de sa conception du ballet, de ses prémisses historiques et de ses modes de fonctionnement.
Gänge, dont le premier volet a été produit par le Ballet Frankfurt en 1982, entamait son
exploration du monde du ballet sous l’angle d’un discours composé de règles
chorégraphiques et de descriptions verbales, issues de la réflexion des danseurs sur leur
quotidien, qui conduisait à la création de leurs rôles sur la scène. The Questioning of Robert
Scott †, présenté en première par la compagnie Ballett Frankfurt en 1986, a suscité l’intérêt
de Forsythe pour la coordination physique du corps du danseur de ballet lui-même.
L’alignement classique des membres a été déstructuré et réaligné ; l’orientation du corps
dans l’espace a été modifiée de manière révolutionnaire en faisant se déplacer l’attention du
danseur, traditionnellement portée sur des points dans l’espace, vers des pulsations émanant
de son corps ; la structure chorégraphique a été élargie en percevant les positions et les
mouvements comme des informations susceptibles d’êtres lues, assimilées et réinjectées
dans la structure. Tout cela a débouché sur ce que nous appelons aujourd’hui le « style
Forsythe » ou, plus précisément, sa sensibilité spécifique au mouvement.
Cependant, William Forsythe, dont on connaît l’intérêt pour de nombreux domaines
artistiques et scientifiques, a toujours refusé de se laisser étiqueter. Si, pendant près de deux
décennies, Robert Scott a servi de référence à la remise en question des principes du ballet,
Decreation se veut le modèle d’un nouveau domaine d’investigation. Dès sa première, le 27
avril 2003 au Bockenheimer Depot de Francfort, Decreation faisait pressentir la naissance
d’un nouveau courant. Dès lors, le premier intérêt de Forsythe n’est plus le séquencement de
mouvements dans le temps et l’espace, ni l’invention de structures chorégraphiques qu’il
incombe aux danseurs de remplir par des improvisations structurées, mais d’explorer des
états physiques auxquels le corps est amené par des méthodes spécifiques de création de
mouvements.
Le titre Decreation fait référence à l’opéra éponyme de l’auteure canadienne Anne Carson,
dans lequel elle entremêle trois histoires pour parler d’amour, de jalousie et du voyage de
l’âme vers Dieu. Anne Carson met la mythologie de Mars et de Vénus trompant Vulcain, en
e
regard d’un texte de Marguerite Porète, une mystique du XIII siècle, qui explore son amour
pour Dieu par le biais de l’idéal de l’amour courtois. La troisième ligne de pensée s’inspire de
la relation à Dieu de la philosophe française Simone Weil, dont Carson s’est nourrie pour
surmonter la douleur de son propre divorce. C’est à partir de ce ces triangles amoureux que
Carson distille la perspective de Decreation : un processus d’autoquestionnement, un
fructueux travail de sape de l’ego, aboutissant à la création d’un espace pour une chose
jusque-là inconnue et inédite. Les textes dits ou chantés par les interprètes proviennent
toutefois d’un autre ouvrage d’Anne Carson, The Beauty of the Husband.
Comme il en est toujours le cas pour William Forsythe, ces histoires ne sont pas
représentées sur scène par des personnages qui interprètent l’amour, la traîtrise, la jalousie
ou l’espoir. En lieu et place, le chorégraphe en tire des principes structurels dont découle une
certaine qualité de mouvement. L’histoire, ou sa teneur, ne se déroule donc pas dans les
personnages, mais dans la présence physique de leurs corps décentrés. Lors des répétitions,
que de nombreux danseurs ont décrites comme particulièrement ouvertes, ludiques et
expérimentales, plusieurs moyens ont été utilisés pour rendre le mouvement impossible. Les
danseurs s’entravaient de cordes tout en essayant d’exécuter certains pas. Les mouvements
étaient ensuite répétés sans cordes, modifiant dès lors la sensibilité avec laquelle ils
pouvaient être exécutés. Un danseur avait reçu pour tâche d’exécuter « tous les mouvements
possibles » en une minute et demie. À supposer que « tous les mouvements possibles »
puissent être imaginés, personne ne serait capable de les accomplir en un temps aussi limité.
Mais l’idée, en elle-même, a suffi à ouvrir des voies qui ont eu un impact réel sur les
mouvements effectués, que l’on a dessinés et enregistrés avec du charbon sur des morceaux
de carton blanc, les danseurs s’y jetant parfois pour laisser la trace de leur corps.
De cette exploration ludique de l’impossible s’est dégagé un principe : celui de la voie
indirecte qu’empruntent le mouvement et l’émotion, de leurs rebonds, des détours qu’ils
82
décrivent avant d’arriver à un résultat inattendu. Dana Caspersen qualifie le principe du
mouvement ainsi découvert de « cisaillement » : « C’est un état dans lequel le corps entre, et
dans lequel aucune approche, vocale ou physique, n’est directe. Par exemple, lorsqu’on
s’approche d’un micro ou d’une personne, nos pensées peuvent aller dans cette direction
alors que notre corps s’en écarte comme par ricochets, s’éloignant de la pensée, dans une
série de réfractions obliques. Le corps devient une prolifération de courants angulaires, un
10
état de réaction complexe et fragmentée ».
Les traces de ces expériences se retrouvent dans l’œuvre. Dans la première scène, une
femme filme la moitié inférieure du corps d’une danseuse et la projette sur un écran placé à
l’arrière du vaste plateau. Une autre danseuse entre en scène et se place derrière l’écran,
son corps devenant ainsi un assemblage de deux images qui ne correspondent pas. D’une
bouche grotesquement déformée, elle parle d’un menteur et d’un traître, et accuse son
interlocuteur imaginaire de mener une double vie, tandis que ses doigts accusateurs tiraillent
et déchirent ses propres vêtements. Vers la fin de la pièce, une table ronde installée près de
l’écran est amenée vers l’avant. Les danseurs prennent leur chaise et s’asseyent autour de la
table couverte de poussière de charbon. Une danseuse, tenant une cigarette allumée entre
les orteils, se roule dessus jusqu’à ce que son corps soit totalement couvert de suie. Soudain,
les danseurs rompent cette scène aux allures de rituel en traînant leurs chaises vers l’arrière
du podium et en se dispersant.
De son idée originale de mettre en scène l’opéra d’Anne Carson Decreation, Forsythe n’a
gardé que le niveau sonore, qui marque la pièce de son empreinte.
Forsythe chorégraphie le visage de ses interprètes : leur bouche contredit les mouvements
du reste de leur corps, rendu grotesque, au travers duquel rugit leur voix. Le son, qui provient
directement des mouvements, est de surcroît déformé par des filtres électroniques. David
Marrow signe la musique, qu’il interprète en direct au clavier. Elle se compose de séquences
et de notes individuelles, oscillant et bondissant nerveusement entre les aigus et les graves,
comme sur le point de disparaître dans l’abysse.
Le mouvement qui en résulte est « sans usage » au meilleur sens de l’acception, c’est-à-dire
qu’il n’a pas d’intention, et n’est donc virtuellement pas tenu de représenter quoi que ce soit.
Le résultat n’est pas une chorégraphie composée de pas. La pièce est structurée selon des
principes théâtraux : contraste entre proximité et distance des actions dans l’espace,
dynamique des scènes et de la musique. Decreation crée des corps investis de forces
conflictuelles, mais refuse de les emmener vers un endroit spécifique. Les corps sont défaits
ou « dé-créés » parce qu’ils sont des corps pluriels. Les danseurs se défont de toute forme
ou identité traditionnellement associée à l’unité du corps. N’ayant plus besoin d’être « un », ils
se dé-créent pour faire place au mouvement, n’interprètent ni rôle, ni personnage, ne suivent
aucune technique chorégraphique. Si ce n’est celle d’une sensibilité particulière qui consiste
à répondre aux mouvements autour d’eux, à les absorber comme par osmose, en se
distançant de leur corps au cours du processus.
Au cours des dix dernières années, William Forsythe s’est appliqué à la création de
performances-installations qui dépassent de loin l’espace du théâtre classique. Des projets
tels que White Bouncy Castle, City of Abstracts, ou Scattered Crowd créent des situations de
laboratoire dans lesquelles le public est amené à se mouvoir en suivant des paramètres
sciemment élaborés. Parmi ces projets, Human Writes se distingue par ses implications
politiques. En collaboration avec Kendall Thomas, professeur en droit à l’Université Columbia
à New York, William Forsythe a créé un spectacle qui prend pour point de départ la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ratifiée par les Nations unies en 1948. Le titre
joue sur l’homophonie entre les mots rights (droits) et writes (écrit), tandis que les danseurs et
le public entreprennent d’épeler ensemble les termes de la Déclaration. Les danseurs et le
public partagent le même espace, qui se transforme à mesure que le public prend part à
l’action.
10
Dana Caspersen, “Der Körper denkt: Form, Sehen, Disziplin und Tanzen”, in: Gerald Siegmund,
William Forsyth - Denken in Bewegung, Berlin: Henschel Verlag, 2004, p. 114 [version originale de la
citation en anglais].
83
Ce spectacle, présenté en première à la Schiffbauhalle de Zurich en octobre 2005, a
également été joué à Dresden-Hellerau et à Francfort. Selon la taille de la salle, 40 ou 60
tables s’y dressent, soigneusement alignées et nappées de papier blanc. En y regardant de
plus près, on y découvre, finement écrits au crayon, des mots et des phrases extraits de la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Ce sont ces mots qui doivent apparaître
pendant les trois heures de la performance, et auxquels il faut s’atteler afin de leur donner
pleine visibilité, et, par implication, force de loi.
Le spectacle recourt à des improvisations utilisées lors des répétitions de Decreation.
L’impossibilité, par exemple, cesse d’être un simple principe pour devenir le mécanisme par
lequel des mouvements imprévus sont générés dans la sphère sociale. Tous les écrits
doivent être exécutés de manière indirecte et dans des conditions laborieuses pour souligner
la difficulté d’appliquer les principes de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme dans
le climat politique actuel de prétendue menace terroriste. Les cordes et le charbon sont les
instruments de la lutte contre l’arbitraire. Sur la table, un danseur couché sur le dos tient un
morceau de charbon dans chaque main. Normalement, il bougerait les mains pour écrire.
Mais ici, elles restent immobiles pendant que le danseur se tortille sur la table ; ce ne sont
donc pas les mains qui écrivent, mais d’autres parties du corps.
Au début, les danseurs travaillent seuls à leur table tandis que le public se promène et
regarde les différentes manières dont ils remplissent leurs tâches. Après quelque temps, le
public est invité à se joindre à eux et à les aider. À mesure que les actions gagnent en
dynamisme, les tables, renversées, empilées ou dressées à la verticale, jettent des ponts
entre différents espaces du spectacle, jusque-là isolés. La communication entre les
participants s’intensifie. Un danseur demande à une personne du public de tenir un bout de la
corde dont il tient l’autre bout. On insère un morceau de charbon dans la corde que l’on fait
vibrer ensemble, et le charbon percute la table comme un marteau sur un clou. Chaque
danseur a créé son propre univers de petits spectacles, dans le respect des paramètres de la
voie indirecte. Ils sont totalement libres de modifier l’ordre des saynètes.
Bien que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ne gagne pas en lisibilité, une
chose devient claire. Ce n’est qu’en œuvrant ensemble que la tâche peut être accomplie. Ce
n’est qu’en nous salissant les mains (avec le charbon) que nous pouvons changer la
situation. Human Writes crée à la fois un espace d’expériences concrètes et d’échanges, et
un imaginaire dans lequel nous agissons comme si l’impossible était à notre portée. Voilà le
geste politique de cette performance-installation qui crée un espace imaginaire, dans lequel
la validité de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme peut émerger. Les lettres, les
mots et les phrases de la Déclaration nous lient. Que l’on tourne autour, que l’on s’en éloigne
ou que l’on s’en détourne, leur force continue à nous interpeller en permanence.
Gerald Siegmund
84
INSTALLATION – BRUXELLES
Michel François CREATION
Michel François (°1956) vit et travaille à Bruxelle s. Son œuvre éminemment singulière
combine la photo, la sculpture, l’installation et la vidéo, dans une démarche qui consiste à
isoler des détails ou des fragments de gestes, de situations et d’objets de la vie courante, en
les extrayant de leur contexte ou en les confrontant.
Michel François nous introduit dans un univers ludique et poétique, empreint de légèreté sans
jamais être futile, où l’étrangeté se profile dans le familier, l’irréductible chaos dans
l’apparente banalité.
Le besoin de créer lui-même des objets en vue d’ajouter quelque chose à la réalité a
progressivement cédé le pas au désir de donner du sens en recadrant et réorganisant ce qui
existe déjà. Ainsi, ses œuvres antérieures sont régulièrement « recyclées » dans des
créations plus récentes ; au lieu d’exposer des objets individuels, il investit tout l’espace
d’exposition par des compositions formées d’éléments disparates, glanés au fil de ses
pérégrinations.
Depuis les années 1980, Michel François multiplie les expositions, tant en Europe qu’à
l’étranger. Ses travaux ont notamment été présentés au Mois de la Photo à Montréal (2001),
à la Fondation Mirò de Barcelone (2001), au Printemps de Cahors (2000), à la 48ème
Biennale de Venise (1999) où il représentait la Belgique, et à la Biennale internationale
d’Istanbul (1997).
LA RICARDA (APPROPRIATION TEMPORAIRE) / STUDIO
La Raffinerie
4/05 > 18:30
vernissage
6, 13/05 > 15:00-18:00
5, 8, 9, 12, 14, 15/05 > 15:00-20:30
10, 11/05 > 15:00-19:00
Last screening 30’ before closing
Concept: Michel François & Jean-Paul Jacquet
Avec Ann Veronica Janssens, Angel Vergara, Harald Thys, Jos de Gruyter, Richard Venlet,
Loic Vanderstichelen, Simon Siegmann, Pierre Droulers, Jordi Colomer, Joerg Bader,
François Curlet, Rosa Barba, Lucia Bru, Michel François
Présentation: La Raffinerie-Charleroi/Danses, Kunstenfestivaldesarts
Production: Multiplicité asbl/Laurence Fagnoul & Michel François
Coproduction: Cimaise et Portique-Centre départemental d'art contemporain asbl, Centre
culturel de Malines, Établissement d'en face, Communauté française de Belgique-Service
arts plastiques, CGRI, Charleroi/Danses, Cabinet de la Ministre-Présidente de la
Communauté française, VAF, Château Gonthier, Michel de Wouters Productions
85
Michel François, plasticien au carrefour de plusieurs disciplines — sculpture, vidéo,
photographie —, s’est fait connaître par ses installations, terrains d’impressions composites
où les objets, moins détournés de leurs fonctions premières que déplacés, viennent redéfinir
les codes de la perception sensorielle dans des zones volontairement indécises : bureau
augmenté, salon intermédiaire… Faisant se côtoyer des matériaux vivants ou inertes pour en
explorer le potentiel de fiction, Michel François n’a eu de cesse de révéler à la
compréhension et au regard l’autre face des œuvres plastiques. Renvoyés à leur état
matériel, les objets exposés par le plasticien, tout en devenant plus concrets, apparaissent a
contrario plus abstraits.
Sculpteur, il ôte quelque chose à la sculpture ou ajoute de l’espace alentour ; ce qui est
compact tombe en pièces : la moquette perforée ; ce qui est positif devient négatif : l’ombre
portée d’un projecteur. Photographe, il dédouble ou inverse les perspectives afin de diffracter
les points de vues.
La démarche plastique de Michel François ne s’arrête toutefois pas à la production de
l’œuvre ; elle se poursuit au-delà, par l’impact qu’exerce sur l’architecture de l’espace le corps
« au travail » du visiteur dont les déplacements, et parfois les interventions concrètes,
participent de la vie de l’installation.
De fait, fasciné par la possibilité de sonder ce qui se produit quand on présente au public un
objet ou une image, Michel François fait du spectateur le sujet actif de son travail, organisant
de véritables parcours où celui-ci mobilise plus que son regard : son corps tout entier
s’investit dans des environnements où s’étalent, au sens plein du terme, tous les signes et
modèles de ce qui habituellement fabrique et institue de la représentation : l’affiche, la
chambre noire, l’espace muséal, le studio de télévision…
Il importe pour le plasticien de faire voir, en portraitiste des territoires urbains et médiatiques
de la société occidentale, les artefacts autant que les rebuts du monde réel.
Ce redéploiement de l’œuvre plastique en direction de la topologie est pour beaucoup dans
l’intérêt porté par Michel François à la maison de la famille Gomis, située sur le domaine de
La Ricarda, à quelques kilomètres de Barcelone en Catalogne. Cette bâtisse moderniste,
œuvre de l’architecte Antoni Bonnet, a la particularité d’avoir été construite dans les années
cinquante sur un terrain boisé près de la mer, lieu autrefois isolé, qui s’est retrouvé
progressivement coincé entre l’extension de la banlieue barcelonaise et les pistes de
l’aéroport.
Cette propriété sophistiquée, avant de devenir inhabitable et d’être laissée à l’abandon, fut un
important lieu de rencontres d’artistes aussi fameux que Tapiès, John Cage ou Miró.
L’opportunité d’en faire à nouveau le cœur d’une expérience artistique collective a trouvé en
Michel François, dont le goût pour les espaces précaires est connu, un propagateur motivé.
En juillet 2006, il a donc invité 13 personnes — plasticiens, vidéastes, chorégraphes,
scénographes et curateurs (Joerg Bader, Joël Benzakin, Lucia Bru, Jordi Colomer, François
Curlet, Jos de Gruyter et Harald Thys, Pierre Droulers, Ann Veronica Janssens, Simon
Siegmann, Loïc Vanderstichelen, Richard Venlet, Angel Vergara) — à s’emparer du lieu avec
lui pour réaliser une séquence filmée, avec ou sans acteurs, dont les seuls paramètres
communs seraient l’unité d’espace (La Ricarda) et de temps (l’été 2006). La finalité du projet
était de produire un moyen métrage cosigné par tous, dont les fragments filmés de chacun
fusionneraient grâce à la dynamique du montage.
Il en a résulté une surprenante appropriation temporaire des lieux, faite d’épisodes
énigmatiques qui, mis bout à bout, s’enrichissent mutuellement. Les intervenants invités à La
Ricarda pendant quelques semaines ont, à partir du cadre imposé — évoqué par des pièces
aussi différentes que la salle de bain, les chambres, le salon ou encore le parc autour de La
Ricarda —, filmé des scènes aux temporalités diffuses qui contrastent singulièrement avec
les lignes très graphiques du bâtiment. Cette prise de possession des lieux, matière à
improvisations et à sensations, s’est organisée selon que l’hôte a privilégié un détail ou au
contraire une vision d’ensemble de la bâtisse. Filmée, traversée ou non par des personnages,
La Ricarda forme la trame mouvante d’un récit aux entrées multiples. Laissé à l’appréciation
86
d’un spectateur embarqué pour un voyage à la dérive, le lieu, vu comme à travers un prisme,
se transforme dès lors en autant d’éclats sonores et visuels, parfois comiques, parfois
absurdes, souvent inquiétants, qu’il y a de réalisateurs et d’univers en présence. De sorte
qu’on ne sait plus si ce sont les réalisateurs qui se sont approprié les lieux ou bien si c’est La
Ricarda, personnage à part entière, qui s’est approprié les réalisateurs pour finir.
Cette possible symétrie et ce renversement se retrouvent également dans l’installation que
propose Michel François, seul cette fois-ci, à la Raffinerie, dans le cadre d’une carte blanche
qui lui a été confiée pour la présentation de Flowers du chorégraphe Pierre Droulers.
Studio est un dispositif qui met en scène une douzaine de projecteurs autour d’un cyclo,
accessoire technique utilisé par les photographes professionnels pour annuler les ombres
autour des objets à photographier. Ce panneau est ici un miroir à la surface ondulée,
réfléchissant les lumières des douze projecteurs. Un éclairage qui paradoxalement n’en est
plus un, l’objet éclairé disparaissant complètement sous le feu des projecteurs.
Michel François expérimente à nouveau la possibilité d’une mise en abyme de la notion
d’exposition, et place la représentation du côté de l’illusion. Le spectateur ne voit plus rien,
l’objet qui devrait permettre de mieux voir disparaît, le spectacle figuré ici par cette
scénographie d’instruments techniques ne renvoie plus qu’à un vide que seul pourrait
combler l’imaginaire du spectateur. Michel François dit d’ailleurs de ce dispositif, que
complète une pile de mille exemplaires à distribuer d’une affiche noir et blanc représentant la
niche du chien désormais inutilisée de La Ricarda, qu’il est une sorte d’image inversée du
film.
De fait, si le film existe et si son tournage a bel et bien eu lieu, l’installation en revanche est
construite sur une absence. Pas d’images, pas de réalisateurs, pas d’acteurs, seul le
spectateur par son regard peut faire exister la scène, sauf qu’il n’en perçoit que le cadre et la
lumière aveuglante. Cette tentative de mise en échec de la figuration témoigne du lieu
d’exposition comme d’un espace dont chacun d’entre nous est sans doute tout à la fois aussi
bien le maître que le serviteur.
Raya Baudinet
87
88
FILM – LONDON
The Otolith Group CREATION
The Otolith Group a été fondé en 2002 par Anjalika Sagar et Eshun Kodwo. Tous deux vivent
et travaillent à Londres, leur ville natale.
Anjalika Sagar a étudié l’anthropologie sociale à la School of Oriental and African Studies de
l’Université de Londres. Cofondatrice de The Otolith Group, elle est également à l’origine du
réseau de presse indépendant Multitudes, créé en 2002. Elle s’intéresse à la relation entre
image, texte et son ainsi qu’au film-essai. Elle travaille comme curatrice, animatrice,
essayiste, réalisatrice, vidéaste et photographe. Son œuvre prolifique a été exposée dans le
monde entier.
Eshun Kodwo a étudié la littérature anglaise à l’Université d’Oxford. A la fois essayiste,
curateur et animateur, il intervient dans des conférences et des symposiums internationaux
sur les archives audiovisuelles et l’« archéologisation du futur ». Auteur du célèbre More
Brilliant Than The Sun : Adventures in Sonic Fiction (Quartet, 1998), il écrit régulièrement
pour des revues comme Frieze Magazine, The Wire et Sight and Sound.
Les concepts d’« archivage » et de « futur » occupent une place centrale dans les travaux de
The Otolith Group, que Sagar et Kodwo considèrent comme le creuset d’une approche
expérimentale mêlant l’image, le son, le texte et les objets. Leurs recherches sont également
relayées par la conception et l’organisation de plateformes de discussion sur les pratiques
artistiques contemporaines.
OTOLITH I – OTOLITH II
Argos
Otolith I
24/03 – 19/05 > 12:00-19:00
Tuesday till Saturday
Otolith II
14/05 > 20:00
première
15/05 – 19/05 > 12:00-19:00
22/05 – 26/05 > 12:00-19:00
Tuesday till Saturday
EN > no subtitles
Présentation : Argos Centre for Art and Media, Kunstenfestivaldesarts
Production : The Otolith Group
Coproduction : If I Can't Dance (Amsterdam), Kunstenfestivaldesarts
89
Otolith I
La compagnie The Otolith Group a été fondée en 2002 par l’artiste Anjalika Sagar et le
théoricien culturel Kodwo Eshun, de pair avec l’artiste Richard Couzins. Leur collaboration
débouche, en 2003, sur Otolith I : un essai filmique, qui analyse le potentiel des images
d’archives et la poésie de la mémoire médiatisée, profondément influencé par Sans Soleil
(1992) de Chris Marker et par les œuvres cinématographiques du Black Audio Film
Collective, comme Handsworth Songs (1986). Le nom du collectif vient de l’« otolithe », une
petite concrétion de l’oreille interne qui intervient dans le sens de l’équilibre et de l’espace.
Otolith I tente de questionner notre orientation, de réorienter notre perception du monde en
entrelaçant histoires privées et publiques dans une méditation sur d’irréductibles projets
utopiques. « Earth is out of bounds for us now; it remains a planet accessible only through
media », voilà ce que le spectateur entend au début du film ; une proposition d’un avenir
postnucléaire dans lequel l’humanité est condamnée à l’espace. Les nombreux voyages
spatiaux ayant fait perdre aux hommes la fonction de leurs « otolithes » l’Homo Sapiens ne
peut plus se déplacer sur la terre. En lieu et place, les nouveaux mutants examinent des
images : « sifting aging history from the tense present in order to identify the critical points of
the twentieth century ». La narratrice, Dr Usha Adelbaran Sagar – une descendante fictive
d’Anjalika Sagar – est une habitante de l’espace en l’an 2103. C’est de cette perspective
qu’elle passe en revue les nombreuses générations de femmes de la famille Sagar, et qu’elle
relie ses propres expériences à celles de la grand-mère de Sagar pendant les années 1960,
lorsque cette dernière a rencontré la cosmonaute russe Valentina Tereshkova, la première
femme à décrire une orbite autour de la terre. « For us », dit la narratrice, « there is no
memory without image and no image without memory. Image is the matter of memory ».
Cherchant à comprendre les dimensions complexes de l’histoire, la vie sur terre et l’évolution,
elle met côte à côte des images dont la qualité et le registre varient du tout au tout : les prises
de vues en 35 mm des « champignons » atomiques qui ont marqué à jamais la conscience
collective ; des séquences vidéo des marches de la paix londoniennes précédant la guerre
d’Irak ; des souvenirs privés enregistrés en Standard 8 à Londres et à Haridwar pendant les
années 1970. The Otolith Group a aussi filmé Sagar, planant en microgravité dans la « Cité
des Étoiles » de la banlieue de Moscou, où sont entraînés les cosmonautes. La
désorientation physique temporaire de Sagar est rendue par l’emploi de types contrastants de
pellicules, qui rendent le monde en tonalités et couleurs différentes, tout en évoquant et en
redéfinissant le passé. En mettant différents fragments d’histoire en regard des conflits
actuels – l’Inde et le Pakistan ont opté pour l’armement nucléaire – The Otolith Group projette
un « past-potential-future », qui permet différentes perspectives sur le présent.
Otolith II
Otolith II consigne certains moments de la vie dans les bidonvilles, ces quartiers dont on peut
augurer la ville du futur. Ces moments forment l’inventaire des épisodes de ce que Mike
Davis appelle The Planet of Slums, un inventaire qui se fonde sur une esthétique absurde,
propre aux habitations informelles de ces quartiers miséreux. Le film montre donc les
conditions réelles de l’économie globale en se focalisant sur les détails des activités et des
loisirs, de l’autonomie et de la pauvreté des femmes qui y vivent. L’idée est de filmer
l’architecture coutumière des bidonvilles de Bombay et de faire ainsi émerger une série de
questions sur le potentiel de la situation urbaine, et sur les façons dont il est possible de vivre
dans des circonstances à première vue invivables. Comment comprendre cette forme
d’habitat ? Cette cohabitation fait-elle naître une solidarité que l’on ne saurait réduire à une
simple stratégie de survie ? Ou l’esthétique de l’habitat est-elle un index direct de constante
paupérisation économique ? Nous est-il possible de dresser un constat du présent-quidevient-avenir (present becoming future) qui ne se fonde pas sur la comparaison et le
développement ? Voilà les questions qui ont présidé à ce film-essai qui est simultanément un
film de science-fiction sur le présent.
L’intention de cette œuvre n’est pas tant de générer de la connaissance qui engendrerait à
son tour de l’empathie, comme c’est le cas pour la plupart des documentaires. L’intention est
de proposer des images et des sons qui soulèvent des questions, des énigmes et des
provocations sur le potentiel de l’image et du son dans ces circonstances. Ce potentiel ne se
dissout pas dans la forme de l’image muette, typique de l’art vidéo, pas plus qu’il n’est
90
expliqué par la voix off qui accompagne le documentaire. En lieu et place, il est développé
dans une série de rencontres avec le présent à partir du point de vue d’une narratrice fictive.
e
Cette narratrice du XXII siècle nous parle de l’histoire future de l’habitat. Elle ne nous
explique pas pourquoi ou comment les bidonvilles ont fait leur apparition, mais ce qu’ils sont
devenus. Le film prend très au sérieux la possibilité que les villes du futur seront entièrement
constituées de bidonvilles et autres favelas. Nous ne cherchons pas à savoir qui en sont les
habitants, mais qui ils seront et ce qu’ils deviendront.
Otolith II développe le langage audiovisuel du film-essai en combinant de nouvelles
séquences à du matériel d’archives existant. Dans le film, les deux sortes d’images sont
placées dans un cadre fictionnel. Nous voulons dire par là que nous produisons de l’art dans
lequel les personnages historiques sont placés dans un contexte fictif, pour générer une
œuvre qui touche tant à la fiction qu’au documentaire, mais ne saurait être réduite à l’un des
deux. Otolith II se situe dans le prolongement d’Otolith I dans la mesure où l’œuvre fait appel
à de vastes archives photographiques, portant sur des féministes communistes de l’Inde, en
délégation auprès d’ouvrières de différents pays : Union soviétique, Vietnam, Japon, Guyane
et Chine. Le film compare trois moments d’urbanisation : la planification urbanistique des
e
e
années 1950, l’urbanisme du début du XXI siècle, et l’avenir fictionnel du XXII siècle,
évoqué par la narratrice, mais qui ne nous est pas donné à voir.
Dans Otolith II, les différentes périodes sont marquées par des tonalités différentes. Otolith II
enrichit le langage audiovisuel en conjuguant l’emploi des couleurs avec la pratique actuelle
de modulation affective. En 2002, en réponse à l’angoisse du public américain après le
11 septembre 2001, le nouveau Département de Sécurité intérieure états-unien a introduit
une palette de codes d’alerte face aux menaces terroristes. Le vert signifie « risque
modéré », le bleu « vigilance », le jaune « risque accru » l’orange « risque élevé » le rouge
« risque grave ». Ce système d’alerte a été conçu pour moduler l’angoisse publique en
augmentant et en diminuant leur anxiété, avant qu’elle ne devienne trop forte. Cela ne dit rien
sur la nature ou le lieu de la menace, parce que la diversité culturelle de la population signifie
qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la couleur et l’action. Otolith II, transposant ce
système d’alerte dans un contexte totalement différent, suggère que la rencontre avec les
images et les sons de The Planet of Slums cause une autre sorte d’anxiété, et utilise les
codes couleurs du système d’alarme antiterroriste à travers tout le film.
91
92
INSTALLATION – BRUXELLES
Marcel Berlanger CREATION
Marcel Berlanger est né en 1965 à Bruxelles où il vit et travaille.Très jeune, il apprend les
trucs et ficelles de la peinture avec son grand-père, Walter Hasseweer.
Il fait ses études à l’École de recherche graphique (ERG), notamment avec Joëlle Tuerlinckx,
Marc Vanhove, Marthe Wéry et Pierre Carlier. À la sortie des études, il rencontre Jan de Nys
avec qui il travaille depuis l’ouverture de la galerie In Situ en 1993. Il participe à de
nombreuses expositions collectives nationales et internationales, tout en enseignant à l’ERG.
Son intérêt pour la peinture — et son interaction avec le contexte d’exposition — le conduira
à Venise sous le commissariat de Laurent Jacob, et à Rome avec Pierre-Olivier Rollin et
Frank Maes.
Il collabore depuis quelques années avec sa sœur Francoise Berlanger à des créations
pluridisciplinaires de théâtre, performance et musique. Cela aboutit à la création
de Penthesilea en 2006. Marcel Berlanger travaille depuis peu avec la galerie Rodolphe
Janssen à Bruxelles.
TORE
Wiels
4/05 > 18:00
vernissage
5/05 – 26/05 > 15:00-20:00
Wednesday till Sunday
10/05 > 15:00-19:00
With musical interventions by Ictus
at 19:00, 20:00, 21:00
Concept : Marcel Berlanger
Création lumières : Julie Petit-Etienne
Musique : Cédric Dambrain
Présentation : Wiels, Kunstenfestivaldesarts
Coproduction : Wiels, Kunstenfestivaldesarts
Avec le soutien de : CERA Foundation
93
Le tout premier problème qui s’impose est celui de la peinture
Cette discipline est, à mon sens, d’une mobilité limitée. Elle a des habitudes fixes. Dans le
contexte du kunstenfestivaldesarts, on se retrouve dans une situation beaucoup plus
théâtrale, dans laquelle l’œuvre entre en résonance avec les représentations qui figurent au
programme. Ou bien, dans une situation dont on fait partie, comme je l’ai vécu avec
Penthesilea l’année passée. Autrement dit, le contexte devient une mise en question des
tableaux, qui ne sont plus exhibés dans la sécurité du white cube qu’est le musée, mais dans
des espaces qui ne sont en fait pas conçus dans ce but. Surgissent ainsi de nouvelles
possibilités de montrer des tableaux, par exemple dans une black box plutôt que dans un
white cube, ou dans une boîte en marbre noir luisant, une architecture lourde qui, en plus,
reflète. Que peut-on faire dans ce genre d’espace ?
Des fresques aux Frères Lumière : la lumière comme matériel
Les années 90 ont été en grande partie façonnées par l’art vidéo, donc par les images
luminescentes. J’ai trouvé là une piste intéressante pour chercher comment créer cette
lumière dans la peinture, d’une manière directe, physique et naturelle. D’autre part, le théâtre
est aussi un défi, en tant que contexte de travail, parce que je dois travailler avec des
éléments de base comme la lumière et l’espace, je deviens un peintre dans l’espace, je peins
avec de la lumière.
Pour obtenir cette luminosité, j’utilise souvent des écrans : des surfaces qui, à la fois, laissent
passer et retiennent la lumière. Cette base est essentielle pour moi : elle détermine le
tableau. Pour cette œuvre-ci, j’ai élaboré une série d’écrans, un système transparent, où la
transparence ne réside pas tant dans le matériau de l’écran, mais dans le mode de peinture :
les différentes couches de couleurs sont visibles et communiquent entre elles, elles font office
de filtres de la lumière. C’est une technique qui permet de voir le sous-jacent ; toutes les
étapes du processus de travail. C’est pourquoi le procédé est si essentiel dans ce que je fais.
Je travaille aussi souvent avec des toiles perforées, la toile elle-même devient de ce fait la
peinture. On voit à travers le tableau, on crée une percée vers l’autre côté. On peut aussi se
mouvoir dans l’image et ajouter l’image sous-jacente à sa perception. Le trou n’est rien, juste
un manque. Mais en même temps, il est plus réel et plus présent, plus physique que la
représentation peinte.
On pourrait dire que mon œuvre a été influencée par les Frères Lumière : par cet instant
ultime qui a précédé l’apparition du cinéma, lorsqu’il n’y avait qu’une projection, une image
quasi-réaliste, captée par une caméra statique. L’image avait, à l’époque, suscité
l’étonnement profond des spectateurs et le plaisir de pouvoir regarder quelque chose qui était
ailleurs. Mais le cinéma n’était alors pas encore de la fiction, c’était une captation réelle de la
caméra. Et c’est pour cela que la lumière, la vibration visible des rayons lumineux, était
encore très présente dans l’image.
Et puis, il y a aussi les fresques italiennes : Giotto, Piero della Francesca, Masaccio, qui
m’intéressent principalement en raison de la relation qui existe dans leur travail entre l’image
et le support de l’image, et la luminosité obtenue.
La mobilité de la luminosité
L’année passée, dans mon travail de peintre-scénographe pour le spectacle Penthesilea qui
était au programme du kunstenfestivaldesarts, j’ai été confronté au problème du texte. J’avais
conçu un dispositif et je voulais pénétrer le texte, mais également l’illustrer. Je ne voulais pas
que mon installation devienne une partie du décor. Mais, en même temps, elle n’est pas
autonome, parce qu’elle se coule dans le spectacle, parce qu’elle est ce qui reste du
spectacle : un vestige, un décor sans acteurs.
Pour TORE, je veux travailler sur la mobilité de l’installation elle-même, en utilisant les
fluctuations de la lumière : une lumière qui bouge. Au théâtre, on voit encore trop souvent une
lumière qui cadre et fixe l’action, c’est elle qui détermine le point focal que le spectateur voit.
94
Pour ma part, je veux une lumière qui flâne, une ombre qui passe, que cette ombre et le
passage du temps soient les éléments les plus importants. C’est en ce sens que ce travail
rejoint les fresques, qui ont été en grande partie définies par le jeu avec le temps, l’heure de
la journée, l’éclairage. La lumière joue même ici un jeu théologique. Au centre d’art
contemporain Wiels, il y a une rangée de fenêtres au-dessus de l’espace d’exposition, mais
aujourd’hui, nous n’avons plus la patience d’attendre les modifications naturelles de la
lumière, donc nous avons occulté les fenêtres et utilisé de la lumière artificielle.
Les spectateurs sont confrontés à un système de strates : les tableaux, et parallèlement, un
mur de lumière. Ils peuvent évoluer entre la lumière et les tableaux, ou regarder l’ensemble
de l’autre côté, parce que l’image peut se voir recto verso. Dans les fresques, l’image créée à
360° raconte une histoire. On passe de la chute d’È ve jusqu’au revirement, la rédemption des
péchés dans la figure de Marie, qui est aussi l’image charnière dans les tableaux. Dans mon
travail, la lumière part dans toutes les directions, je ne lui en impose aucune. Parce
qu’aujourd’hui, dans la société, nous sommes partout confrontés à des images publicitaires
lumineuses, surtout en ville. Une campagne de pub gigantesque a utilisé Les joueurs de
cartes de Cézanne, mais en renversant l’image : le tableau était tout simplement inversé dans
les affiches lumineuses. Ce procédé brise la composition, c’est évident, surtout s’il s’agit de
personnages.
Dans TORE, les figures sont réversibles, les toiles font plutôt office de sculptures à travers
lesquelles le spectateur peut se promener et qu’il regarde chaque fois d’un œil neuf. En
même temps, il est invité à flâner, à prendre son temps et à s’installer sur les gradins pour
contempler. Il s’agit là d’une disposition très théâtrale.
À un autre niveau, mon travail entretient une relation étroite avec le processus musical, avec
la musique en tant que principe porteur de structure. Je tente en fait d’illuminer les choses
dans le son. La musique est l’instigatrice d’une certaine signification, d’une certaine
orientation, elle crée automatiquement un espace. Dans cette optique, je voulais travailler
d’abord avec un chœur, un ensemble que je considère très proche d’une peinture. Cela aurait
été un chœur disséminé, un groupe de personnes qui tentent de former une communauté par
le biais du son. La voix personnelle qui s’insère dans l’ensemble, pour le rendre possible.
Pour moi, c’est très semblable à une série de tableaux, où chacun fait partie de l’ensemble.
L’idée du chœur s’est avérée impraticable, et nous travaillons maintenant avec l’ensemble
Ictus qui joue une composition pour musique électronique et violoncelle.
TORE est un terme de mathématiques et de topologie. C’est une sorte de roue qui apparaît
dans de nombreux dessins. En psychanalyse, Lacan l’utilise comme une articulation du désir.
Et c’est exactement ma démarche : je m’adapte à la demande du Wiels et du
Kunstenfestivaldesarts, c’est là une tâche exigeante. En effet, où est l’apport personnel dans
l’exécution d’une commande ? Comment exprimer son désir ? Dans TORE, cette forme
hypotopique revient sans cesse : une forme qui divise et organise l’espace, l’idée du cercle.
Au moment où l’on va créer, on a l’idée du sublime devant les yeux. Pendant l’exposition, il
ne reste qu’un décor, un vestige. Ce qui reste après le processus de travail, après le travail,
après la représentation.
Elke Van Campenhout
95
96
FILM / INSTALLATION – BRUSSEL
Sarah Vanagt CREATION
Sarah Vanagt vit et travaille à Bruxelles. De 1994 à 1998, elle étudie l’histoire aux universités
d’Anvers, du Sussex et de Groningen, et s’inscrit ensuite à la National Film and Television
School (UK) en section documentaire. Son œuvre reflète son grand intérêt pour le cinéma et
l’histoire. Son projet de fin d’études, After Years of Walking, se concentre sur la réécriture de
l’histoire du Ruanda après le génocide de 1994. Dans Little Figures, un documentaire court et
expérimental, elle fait mener à trois enfants d’immigrés une conversation imaginaire entre
trois personnages historiques, immortalisés en statues bruxelloises. Dans Begin, Began,
Begun, elle explore à nouveau le monde imaginaire de l’enfance, mais cette fois-ci il s’agit
d’enfants ayant grandi dans le secteur des combats, aux confins du Ruanda et de la
République démocratique du Congo. Sa dernière installation vidéo en date, Les Mouchoirs de
Kabila, qui a été montrée l’an passé au KVS, part en quête des univers en miniature que les
enfants congolais construisent au cours de leurs jeux. En mai 2007, le Kunstenfestivaldesarts
présente Power Cut, une installation filmique dans laquelle Sarah Vanagt, met une fois de
plus en exergue l’imaginaire des enfants-soldats congolais.
POWER CUT
KVS – TOP
4/05 > 17:00-19:00
vernissage
5/05 – 26/05 > 15:00-19:00
Wednesday till Saturday
Rencontrez Lieve Joris : 13/05 à 17:00
Concept & réalisation : Sarah Vanagt
Caméra : Nyabwinja Daniel, Kobito Patrick Tonton, Chamatari Dodo o.l.v. Petna Ndaliko
Katondolo, Sekombi Katondolo
Montage : Inneke Van Waeyenberghe
Son : Pete Connelly
Chant : Kayigi Abdoul, Karege Blaise
Présentation : KVS, Kunstenfestivaldesarts
Production : Balthasar vzw (Bruxelles)
Coproduction : Desire Productions (Bruxelles), CEPV (Goma), Argos Center for Art &
Media, KVS, Kunstenfestivaldesarts
Avec le soutien de Vlaams Audiovisueel Fonds (VAF)
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Sarah Vanagt à propos de Power Cut
Power Cut se greffe directement sur un projet précédent, Les Mouchoirs de Kabila : une
installation vidéo dans laquelle je montrais le monde des jeux que pratiquent les enfants de
Goma, un village situé à la frontière du Congo et du Rwanda. Les enfants, spontanément,
jouaient aux « élections », avant même que celles-ci aient eu lieu. Bien entendu, ces
élections, les premières à être organisées au Congo depuis 1960, étaient alors le sujet de
toutes les discussions. Leur jeu accusait clairement les tensions des conflits ethniques de
l’après-guerre avec les Tutsis congolais, qui sont considérés comme des Rwandais, bien
qu’ils n’y soient jamais allés. La population tutsie a été purement et simplement divisée et
disséminée par les frontières coloniales, totalement arbitraires.
Pendant le tournage des Mouchoirs de Kabila, j’ai rencontré certains militaires tutsis
congolais, qui avaient combattu pour le Rwanda en tant que membres du RCD
(Rassemblement Congolais pour la Démocratie). Entre 1998 et 2003, avec le support du
Rwanda, ils détenaient le pouvoir sur le Congo oriental. En 2003, un gouvernement de
transition sous la direction de Kabila s’est mis en place, qui reconnaissait encore quatre viceprésidents, anciens chefs rebelles. Cet accord a subi bien des critiques qui ont conduit aux
élections de 2006.
C’est donc avec ces anciens rebelles que je passais mes soirées dans un salon à regarder
du football et de la publicité à la télévision. Et comme il est courant au Congo, l’électricité
tombait régulièrement en panne. Parfois pour cinq minutes, parfois pour quelques heures. À
ces moments-là, les soldats se mettaient à parler. Ce souvenir m’est resté gravé en
mémoire : trois semaines durant de conversations dans l’obscurité, avec pour toute lumière le
feu de leurs cigarettes, et leurs voix qui racontaient le passé et le présent : la marginalisation
et la haine dont ils étaient victimes, mais aussi les raisons de cette haine, et ce qu’ils avaient
fait pendant la guerre.
Dans son livre Les soldats sans frontières, Lieve Joris décrit la position de ces rebelles. Ils
tendaient à magnifier leur position de force et optaient pour la discipline rwandaise face au
chaos constant du Congo. Après la guerre, ils se sont évidemment retrouvés assis entre deux
chaises. Pendant le projet, je ressentais une énorme distance vis-à-vis de ces histoires qui
dataient de leur période d’enfants soldats. Généralement, les enfants soldats sont interviewés
dans toute leur tristesse, avec force détails horribles de leurs viols et en focalisant sur la
déréliction qu’ils ressentent. Mais on ne parle presque jamais des effets à long terme. « Chez
vous en Europe, on peut se permettre d’offrir un soutien traumatologique. Au Congo, il n’y a
pas de place pour cela », affirme l’un des interlocuteurs. Leurs histoires sont poignantes, ils
vivent dans l’angoisse constante, dans un infini combat pour la survie.
Pour Power Cut, j’ai finalement décidé de continuer à travailler avec deux de ces soldats.
L’un d’eux essaie d’assimiler son passé en cherchant des solutions pacifiques pour les Tutsis
congolais. C’est un révolutionnaire, qui veut se battre pour la liberté et pour des solutions à
l’intérieur du Congo.
L’autre a déserté l’armée et est encore en proie à la dépression. Il ne croit pas aux idéaux
d’unité et de justice que l’armée lui a fait miroiter, alors qu’il ne voyait que tribalisme et famine
et que les soldats n’étaient même pas rétribués. Les enfants soldats n’ont pas eu la
possibilité d’aller à l’école et plus tard, ils n’en sont pas dédommagés. Il a perdu le goût et le
sens de sa vie, et il en fait porter la faute aux Belges, qui, voulant « diviser pour régner », ont
dessiné des frontières absurdes, puis sont tout simplement partis. Pour lui, la Belgique ne
peut échapper à son devoir moral, qui est de revenir et d’enseigner la démocratie.
Ma première idée était de donner une caméra à chacun, en leur demandant d’enregistrer
eux-mêmes leur histoire et d’envoyer le matériel recueilli. Malheureusement, tout
l’équipement d’enregistrement a été saisi au cours d’une arrestation, et nous avons dû
prendre d’autres mesures. Au bout du compte, nous avons simplement eu des conversations
téléphoniques. Et peut-être était-ce la meilleure solution, car l’intimité créée par le téléphone
nous ramenait à l’intimité des moments passés au salon, dans ces soirées. La possibilité de
réagir directement, même de façon minime, rendait les histoires plus directes, instaurait le
dialogue.
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C’est sans doute la première fois que leur histoire est racontée, car entre eux, ils ne parlent
plus de la guerre. Ils éprouvent pourtant un besoin immense de parler, de témoigner. Cela
place le réalisateur dans une situation difficile, car d’une part, il n’est pas un journaliste et de
l’autre, il n’a aucune aide concrète à proposer. Il lui est également difficile de faire la
distinction entre une information fausse et une information véridique. Mais il n’en est pas
moins important d’écouter ces histoires. Ne serait-ce que pour contrebalancer l’amas
d’informations acquises par la lecture, par l’expérience de l’écoute. On est assis dans le
salon, et on est face au caractère fragmentaire du processus d’assimilation de leur
traumatisme. Ceci est en contradiction flagrante avec la manière occidentale de considérer
leur problème. Parfois, il s’agit de choses banales, mais entendre parler de Congolais
importants qui viennent en Belgique pour nettoyer des toilettes, remet les choses en
perspective. Le choix du salon relève aussi de la volonté d’expérience. Je ne veux pas tant
faire circuler des informations que placer le public dans une obscurité où l’histoire peut entrer.
En fait, je n’ai jamais projeté de faire des films sur l’Afrique, le Congo ou la domination belge.
Tout a commencé par un film au Rwanda qui portait sur la relation entre l’historiographie et la
politique. Le Rwanda était à ce moment donné un cas intéressant en la matière, mais cela
n’allait pas plus loin. Ma problématique est donc plutôt historio-philosophique. C’est à partir
de là que j’en suis arrivée aux jeux des enfants de Les Mouchoirs de Kabila, qui écrivent
l’histoire à leur manière, avec les bribes et les fragments de Goma. En tant que réalisatrice de
documentaire, je me pose avant tout les questions suivantes : Qu’est-ce que l’histoire ?
Quelle est l’importance de l’histoire collective dans chaque vie personnelle ? Power Cut en
est une parfaite illustration.
Elke Van Campenhout
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FILM / INSTALLATION – HELSINKI
Anu Pennanen CREATION
Anu Pennanen (°1975) vit à Helsinki, où elle fait d es études à l’Académie des Beaux-Arts de
2001 à 2003. Dans son travail audiovisuel, elle interroge la façon dont nous abordons les
espaces publics urbains, comment nous y vivons, travaillons, rêvons... En explorant des lieux
spécifiques, les films de Pennanen donnent la parole aux gens qui ont investi le territoire
urbanisé tout en le remettant en question. Elle travaille régulièrement avec des adeptes de la
musique expérimentale.
Ses travaux ont été présentés dans des musées et des festivals un peu partout dans le
monde et ont fait l’objet d’expositions personnelles aux Pays-Bas et en Finlande.
De Markten
05/05 > 18:00
vernissage
6-26/05 > 12:00-18:00
Tuesday till Saturday
Sõprus – Дpyжбa (30’)
Subtitles EN
A Monument for the Invisible (12’)
SÕPRUS – ДPYЖБA (FRIENDSHIP)
Concept, mise en scène & montage : Anu Pennanen
Avec Ilja Alpatov, Erich Gartvich, Madis Mäeorg, Sille Paas, Ronald Pelin, Häli Ann Reintam,
Olena Romanjuk, Mari Tammesalu, Steven Vihalemm
Musique : Stefan Németh
Cinématographie : Kasimir Lehto
Son : Anne Tolkkinen
Assistante à la mise en scène : Eva Klemets
Présentation : De Markten, Kunstenfestivaldesarts
Production : Leela Põdra
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts
A MONUMENT FOR THE INVISIBLE
Concept, mise en scène & montage : Anu Pennanen
Musique : Mika Vainio
Cinématographie : Jussi Eerola
Conception son : Pelle Venetjoki
Présentation : De Markten, Kunstenfestivaldesarts
Production : Minna Långström
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts
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A Monument for the Invisible (2003) et Friendship (2006)
L’histoire des usagers de l’espace urbain paraît infinie. Badauds, promeneurs de chiens,
touristes, acheteurs, skateboarders, punks et marginaux en tout genre – chacun percevant et
usant différemment du même espace. Deux films d’Anu Pennanen, A Monument for the
Invisible (2003) et Friendship (2006), partagent plusieurs thèmes majeurs et posent les
mêmes questions : Quel usage la population fait-elle de l’espace urbain ?
A Monument for the Invisible se déroule à Helsinki, plus précisément dans le nouveau
quartier résidentiel de Ruoholahti et sur le site de construction de la nouvelle gare d’autobus
et du centre commercial de Kamppi, un quartier du centre-ville. Ces sites architecturaux,
représentatifs du nouvel urbanisme et de ses surfaces translucides et brillamment éclairées,
font principalement appel à notre sens visuel. Dans le film, Johanna, le personnage principal,
étudie cependant ce paysage de verre et de pierres à l’aide de ses mains et de sa canne, car
elle est aveugle. Sa cécité n’est toutefois pas dépeinte comme une infirmité qui entraverait
ses explorations de l’environnement. Le film est construit autour d’interviews de personnes
malvoyantes et des expériences personnelles de l’artiste, qui partage son temps entre les
deux parties de la ville qu’elle a filmées. Deux perceptions, aux antipodes l’une de l’autre,
s’imbriquent donc dans le scénario, dont la protagoniste Johanna est coauteure.
Le film démontre de manière convaincante qu’un mal-voyant est beaucoup plus sensible à la
tridimensionnalité de l’espace qu’une personne dotée d’une vue normale. Car jouir de la vue
émousse graduellement l’impact des signaux visuels comme les éclairages, les panneaux de
signalisation ou d’affichage. La population voyante finit par circuler à travers la masse
d’informations visuelles sans y prêter la moindre attention, comme si la profusion
d’informations rendait aveugle. Pour les non-voyants par contre, chaque bribe d’information
spatiale, d’une importance cruciale pour l’organisation de l’orientation quotidienne, détient
une qualité physique. Lorsque l’ouïe et le toucher remplacent la vue, le vécu de l’espace
s’organise d’une façon radicalement différente, profondément ancrée et individuelle. Ce n’est
donc pas le fruit du hasard si la bande-son du film est assurée par Mika Vainio, le célèbre
artiste finlandais d’acoustique expérimentale. Membre du duo Pan Sonic, ce dernier s’est
penché sur la question de l’utilité de notre organe auditif dans notre orientation générale.
Friendship (2006), la dernière en date des réalisations d’Anu Pennanen, se déroule à Tallinn,
la capitale de l’unique nation postcommuniste nordique, l’Estonie. À l’instar de A Monument
for the Invisible, le film explore la relation complexe entre l’individu et l’environnement urbain.
Ici, Pennanen brosse le portrait d’un groupe de neuf adolescents russes et estoniens, dans
une ville qui connaît une urbanisation ultrarapide.
Trois sites architecturaux font partie intégrante du scénario. Le film commence à Maarjamäe,
un mémorial construit en 1975 sur des tombes de soldats allemands pour commémorer les
soldats russes morts durant la Seconde Guerre mondiale. Il nous emmène ensuite au centre
culturel Linnahall, autrefois le centre événementiel des Jeux Olympiques de Moscou de 1980.
Cette gigantesque pyramide de béton est située sur le port, juste derrière les murs d’enceinte
du vieux Tallinn. Pour finir, nous voyons Viru, le nouveau centre commercial géant et sa gare
2
d’autobus, qui s’étend sur 32 000 m et a transformé le centre historique de la ville en un
paradis pour investisseurs. Inutile de préciser que les trois lieux sont empreints d’une charge
historique, architecturale et politique prégnante, ce que rappellent de petits flash-back
sonores tout au long du film. À l’heure actuelle, au vu de l’urbanisation galopante, des conflits
ne manquent pas de naître entre investisseurs, urbanistes et défenseurs du patrimoine
historique. Par ailleurs, ces lieux constituent un terrain de jeu commun pour les adolescents
locaux, dont les aventures quotidiennes – faire du skateboard, boire un verre, se rencontrer,
flâner – se déroulent dans le même triangle. Le mémorial de Maarjamäe et le Linnahall sont
les lieux de prédilection des skateboarders, tandis que le centre commercial Viru est
particulièrement populaire parmi les lycéens qui s’y rendent en foule après les cours ; un
Disneyland pour ados en quelque sorte. Chaque jour, de petits drames amoureux et sociaux
y ont lieu. Anu Pennanen a exploré cet univers avec empathie et curiosité. Des conversations
et des ateliers qu’elle a organisés avec des adolescents, l’artiste a distillé le scénario d’un
documentaire de fiction dans lequel chacun interprète son propre rôle. Cependant, vu leur
102
âge juvénile, la charge mentale des sites qui leur servent de toile de fond leur est quasi
inconnue.
Les jeunes gens sélectionnés pour le film forment deux groupes distincts : les Estoniens et
les Russes. Pour les jeunes Estoniens, le passé soviétique des lieux qu’ils fréquentent leur a
été transmis par leurs parents ou par leurs cours d’histoire, mais ils n’en ont pas fait
l’expérience personnelle. Après tout, ils n’étaient pas encore nés aux temps de la
« Révolution chantante » de 1988 et de l’accession à l’indépendance en 1991. Parallèlement,
les jeunes Russes n’ont pas le complexe de l’occupant dont leurs parents souffraient – avec
toutes les conséquences sociologiques et politiques qu’il a engendrées. S’ils ont hérité
quelque chose de ce passé, c’est une sensibilité accrue à l’injustice sociale. Bien que la
population estonienne se compose des deux groupes nationaux dans une proportion presque
égale (60% et 40%), ces deux univers parallèles ne savent presque rien l’un de l’autre. Dans
le cas des adolescents, chaque groupe perçoit l’autre comme essentiellement différent,
séparé non seulement par la langue mais par les choix en matière de divertissements et de
musique. Pourtant, ils vivent tous dans la même ville et partagent le même besoin de se
divertir.
Ainsi, ils se retrouvent dans un même espace public en plein essor, où règne la devise : « je
consomme donc je suis », qui décrit malheureusement trop justement les nouvelles valeurs
d’un jeune pays capitaliste comme l’Estonie. Il faut reconnaître qu’au quotidien, les activités
adolescentes se heurtent souvent aux préoccupations immobilières des vigiles du bâtiment.
Les planches à roulettes abîment l’édifice, les rassemblements de jeunes au sein du centre
commercial peuvent dissuader les citoyens nantis d’y dépenser plus d’argent et les graffitis
sont le pire cauchemar des propriétaires. Au demeurant, ces jeunes causent bien trop de
tracasseries au regard de leur contribution minimale à la marge bénéficiaire.
Quant aux groupes d’adolescents, cette situation les pousse à se rencontrer et même à
s’unir : car quel ciment est-il plus fort qu’un ennemi commun qui vous expulse d’un lieu ?
L’apogée du film est une bataille de billes de peinture contre une sculpture installée à côté du
centre commercial de Viru. Une nouvelle amitié se forge entre des adolescents qui ne savent
pas qu’en ex-Union soviétique, le mot « Druzhba » (amitié) qualifiait la tronçonneuse la plus
populaire de la nation.
Karin Laansoo
103
104
FILM / INSTALLATION – BRUSSEL
Kris Verdonck
Les différentes formations qu’a suivies Kris Verdonck (°1974)– arts visuels, architecture et
théâtre – se retrouvent dans son travail : on peut situer ses créations à la frontière entre les
arts plastiques et le théâtre, l’installation et la performance, la danse et l’architecture.
Comme metteur en scène et plasticien, il a déjà réalisé une large variété de projets, e.a. 5,
(KunstenFESTIVALdesArts 2003), Catching Whales Is Easy (Beursschouwburg, 2004), II
(KunstenFESTIVALdesArts 2005, Kaaitheater, La Bâtie) et Variatie II (Vlaams Cultuurhuis de
Brakke Grond, 2006).
STILL I – III
Mont des Arts / Kunstberg
10, 11, 12/05 > 21:00-00:00
Concept, mise en scène & son : Kris Verdonck
Dramaturgie: Marianne Van Kerkvoven
Caméra : Vincent Pinckaers
Montage : Aliocha Van der Avoort
Présentation : Kunstenfestivaldesarts
Production : stilllab
Producteur executif : Margarita Production
Coproduction : La Notte Bianca Rome
Avec le soutien de Notti Bianche Europa 2006
Remerciements à: Congrespaleis / Palais des Congrès, Eglise Protestante de BruxellesMusée, Ville de Bruxelles / Stad Brussel
105
1 Le metteur en scène et plasticien Kris Verdonck a été à plusieurs reprises l’hôte du
Kunstenfestivaldesarts avec des séries de performances et d’installations. Tant dans 5 (2003)
que dans II (2005), les spectateurs allaient d’un « événement » à l’autre le long d’un parcours
qui faisait tour à tour d’eux des spectateurs de théâtre, assis et regardant ce qu’on leur
donnait à voir, et des visiteurs de musée plongés au cœur d’une installation.
2 Dans l’édition 2007 du Kunstenfestivaldesarts, l’œuvre de Kris Verdonck est présentée
d’une manière tout à fait différente. Sur deux murs du Mont des Arts (3, Coudenberg), donc
en plein air, sont projetées deux images gigantesques. Malgré le titre Still I & III, qui réfère à
des photographies, à des natures mortes, il s’agit d’images en mouvement : deux
personnages, nus et fort volumineux, sont emprisonnés dans un espace exigu. De temps à
autre, ils esquissent d’infimes mouvements, cherchant la position la moins inconfortable pour
supporter leur fâcheuse situation.
Cette œuvre a été créée en septembre 2006, à la demande de La Notte Bianca (la nuit
blanche) à Rome, où les images ont été projetées une nuit durant sur l’une des façades
mégalomanes de l’EUR, une banlieue romaine construite par Mussolini. La précarité de la
situation dans laquelle se trouvent ces personnages, si fragiles malgré leur volume, contraste
singulièrement avec l’architecture démagogique du régime fasciste. « Grand » et « puissant »
sont des qualificatifs que l’on a tendance à conjuguer de pair. Mais les personnages en
question démontrent plutôt la vulnérabilité, le désespoir et la maladresse de ce qui est
devenu trop encombrant et n’est de ce fait – à l’instar des dinosaures – plus adapté à son
milieu naturel et condamné à disparaître. Ils bougent encore : des petits gestes
spasmodiques, derniers efforts infructueux pour tenter de fuir, les animent, bien qu’au fond,
ils aient déjà abandonné tout espoir et soient réduits à l’état de « nature morte ». Au-delà de
la panique et résignés dans leur hâte, les corps ne manifestent plus que quelques
frémissements, fredonnant doucement, comme pour résister encore un peu…
3 Ces images ne peuvent être séparées du contexte dans lequel elles sont projetées.
L’architecture environnante fait partie intégrante du concept et de la perception de l’œuvre.
C’est en effet la conjonction du contraste et de la concordance avec l’environnement qui
confère aux images une stratification si troublante pour le public.
Le caractère plurivoque des images utilisées – une constante dans l’œuvre de Kris Verdonck
– établit un lien entre Stills et les précédentes installations et performances de l’artiste. Car
Kris Verdonck choisit toujours des images avec de nombreuses significations potentielles,
porteuses d’interprétations diverses. L’épreuve du feu à laquelle une image, née dans la
phase initiale de la création, est soumise est la suivante : une image est « bonne » et
« utilisable » si elle peut s’ancrer malgré les significations conflictuelles qu’elle réunit ou
projette.
4 Dans Visibilité, l’un des textes du recueil Leçons américaines : Aide-mémoire pour le
prochain millénaire, l’auteur italien Italo Calvino décrit la manière dont il manie et intègre les
images dans son écriture. L’approche de Kris Verdonck ressemble sous plus d’un aspect à
celle d’Italo Calvino. Car pour Calvino, qui considère l’imagination comme un moyen de
connaissance, les images ne sont « pas uniquement visuelles, mais également
conceptuelles ». Il l’exprime en ces termes : « Bref, mon approche veut conjuguer la
formation spontanée d’images avec la pertinence du raisonnement. » Il conçoit par
conséquent l’imagination comme « une collection du potentiel, de l’hypothétique, de ce qui
n’est pas, n’a pas été et ne sera peut-être pas, mais aurait pu être. » (…) « Je crois que toute
forme de connaissance doit aller puiser dans ce réceptacle de la multiplicité potentielle.
L’esprit du poète, tout comme l’esprit du savant à certains moments décisifs, fonctionne par
association d’images, suivant un processus qui constitue le système le plus rapide de liaison
et de choix entre les formes infinies du possible et de l’impossible. L’imagination est une sorte
de machine électronique : en tenant compte de toutes les combinaisons possibles, elle choisit
celles qui obéissent à une fin, ou qui sont tout simplement les plus intéressantes, les plus
agréables, les plus amusantes. »
5 Les Stills de Kris Verdonck accumulent des significations potentielles. La mégalomanie de
l’architecture dans laquelle sont montrées les images réfère entre autres aux bâtiments qu’a
dessinés et fait édifier Albert Speer, l’architecte attitré et plus tard ministre de la guerre de
106
Hitler. Ses constructions visaient avant tout à impressionner le peuple et ressemblaient à des
mausolées, évoquant donc bien plus le gigantisme et la mort que la dimension humaine et la
vie, l’inachevé et l’imparfait. « Dans l’architecture fasciste, le temps n’est jamais une
dimension qui a évolué de manière organique et résulte du passé, mais le temps inexistant
de l’utopie ; celle-là même qui exprime son absence de fantaisie en ressemblant comme deux
gouttes d’eau à un passé lointain, et ne pourra jamais devenir une réelle dimension
temporelle, mais uniquement un espace imposant dans lequel l’humain n’a plus de place en
tant qu’individu. » (J. Bernlef, De Menselijke Maat. Over Albert Speer en Kurt Schwitters).
Les images projetées par Verdonck rappellent en outre les sculptures idéalisées, et pour cela
naïvement agrandies, des « héros du régime », comme celles d’Arno Breker pour le régime
national-socialiste allemand, ou la peinture du réalisme socialiste sous le régime stalinien. En
montrant des personnages dans leur maladresse et leur impuissance, Verdonck élimine toute
connotation héroïque.
Les deux figures projetées fredonnent doucement des extraits à peine reconnaissables
d’opéras de Wagner. Ce dernier était à la recherche du monumental, du grandiose, de ce qui
pouvait dépasser la petitesse humaine. À y regarder de plus près, l’univers fellinien n’est, lui
non plus, pas très éloigné de ces Stills.
Ils font également penser à des culturistes ou évoquent des images de mammographies, des
niveaux de signification comme la captivité, l’oppression…
Ce sont littéralement des personnes écrasées, qui ne se constituent plus que d’un corps, de
chair et d’os, sans âme ni volonté. Des personnages que leur foi en l’Idéal et le Bien absolu a
livrés aux mains du Mal et privés de leur liberté de mouvement. Leur souffrance est agrandie,
ils sont donnés en pâture, pas crucifiés mais encoffrés…
6 Les réactions enthousiastes qu’ont obtenues les Stills à Rome ont fait germer l’idée d’une
tournée de projections à travers le continent européen sur les divers édifices d’architecture
« nationale-socialiste » ou « totalitaire ». Outre la Rome de Mussolini et le Berlin de Hitler, il y
a le Belgrade de Milosevic, le Madrid de Franco, la Varsovie de Gomulka, le Moscou de
Staline, etc. Les Stills renferment en effet une sévère critique implicite de toute image
fascisante de la société.
À Bruxelles, le choix s’est porté sur un lieu aussi imposant et nourri de démagogie.
7 Notre petit royaume n’a pas engendré de dictateurs du calibre de Hitler, Staline ou
Mussolini. Mais si le nombre de morts qu’un chef d’État compte à son actif peut valoir comme
critère, la politique coloniale du roi Léopold II le fait rejoindre le rang macabre de ces tyrans.
e
À la fin du XIX siècle, la colline que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Mont des
Arts est un quartier animé, avec des ruelles et des impasses, des petits commerces et des
maisons closes. En 1883, Léopold II décrète que ce « cancer insalubre » doit être rasé pour
faire place à ses grandioses plans urbanistiques. Le bourgmestre de Bruxelles, Charles Buls
tente d’empêcher l’anéantissement de ce quartier populaire, mais le roi achète
systématiquement tous les terrains par le biais d’hommes de paille. Buls, battu à plates
coutures, démissionne de ses fonctions. Le quartier est rasé, le terrain reste quelques
décennies en friche, couvert de gravats, envahi par les mauvaises herbes. En 1910, un an
après la mort de Léopold II et à l’occasion de l’Exposition universelle, Albert I y inaugure un
jardin qui devient un lieu de prédilection des Bruxellois. Ceux-ci protestent donc en masse
lorsque, en 1955, ce parc est sacrifié aux soubassements et à l’édification de l’actuel Mont
des Arts. Quant au plan de Léopold III, datant de 1935 et honorant son prédécesseur Albert I
par la construction d’une nouvelle bibliothèque (l’Albertine), il n’est réalisé qu’en 1969 et
inauguré par Baudouin I. Ainsi, presque tous les souverains belges ont été impliqués dans le
projet du « Mont des Arts ».
8 L’image et la pensée qui collent le plus longtemps à nos rétines et à nos méninges après
avoir regardé Still I & III, est celle de l’homme comme un Atlas échouant. Les deux
personnages projetés ont probablement un jour caressé l’illusion de supporter les bâtiments
sur lesquels on peut les voir. Atlas était un dieu, il pouvait porter le faix du monde. Mais
l’homme est incapable de ce genre d’entreprise colossale. La réputation de Stakhanov,
l’ouvrier modèle des débuts de l’Union soviétique qui pouvait extraire quatorze fois plus de
charbon que la quantité imposée par l’État, s’avère une vaste supercherie, consciemment
orchestrée. Son exemple héroïque a servi pendant des années à stimuler la productivité de
tous les ouvriers soviétiques. L’homme contemporain vit à nouveau dans l’impossible rêve de
107
« pouvoir porter le monde ». Pris de vertige devant l’évolution technologique dans un monde
globalisé, il s’imagine pouvoir se mesurer aux machines, suivre leur rythme et renier la
dimension humaine. Entretemps, il s’effondre sous le poids du stress et la pression de
productivité, dans une société basée sur la survival of the fittest (est-ce une survie ? et pour
combien de temps encore ?) qui exclut sans pitié les éléments les plus faibles de sa
communauté.
Marianne Van Kerkhoven
108
INSTALLATION - BRUXELLES
Simon Siegmann
Le scénographe et plasticien français Simon Siegmann vit et travaille à Bruxelles. Il a étudié
le graphisme à l’ERG (École de Recherche Graphique) à Bruxelles. En matière d’arts de la
scène, il a collaboré avec Pierre Droulers, Michèle Anne De Mey, David Zambrano, Thierry
Smith et Thomas Hauert. En 2005, il était l’hôte du Kunstenfestivaldesarts où il a présenté
Agora, à la fois une installation, un espace de représentation et une présentation de mobilier
urbain.
ASSISCOUCHÉDEBOUT CREATION
Kaaitheater
CENTREDUFESTIVALCENTRUM
04-26/05
Concept : Simon Siegmann
Réalisation : Jean-François Wyseur
Directeur technique : Marc Dewit
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Le scénographe et plasticien français Simon Siegmann transforme le Kaaitheater en un
centre du festival avec un restaurant-à-ramper, un café-couché et un balcon-aéroport.
Les clés de tout le projet sont contenues dans le titre : Assiscouchédebout.
Toutes les scénographies, installations ou architectures d’intérieur (au choix) font partie d’un
tout, mais elles fonctionnent aussi de façon autonome. Chaque installation est une réponse à
l’un des espaces du Kaai, dans sa fonction normale. Mais simultanément, elles affichent
toutes ensemble une seule et même identité : celle du kunstenfestivaldesarts 07.
Comme le suggère le titre, il s’agit d’un projet articulé, au sens littéral et figuré. Littéral, parce
que le corps joue un rôle important dans chacune des propositions (surtout au niveau des
genoux) ; mais aussi au figuré, parce que le projet articule un décalage entre la fonction de
l’endroit et la situation proposée. Concrètement : on peut manger par terre mais aussi assis,
discuter couché sur un lit dans un night-club dortoir, gravir des escaliers qui ne mènent nulle
part et prendre l’air sur un balcon au rez-de-chaussée qui ressemble à une piste
d’atterrissage.
Comment vous est venue l’idée du café-couché et du restaurant-à-ramper ?
L’idée du restaurant a été une sorte de réaction au lieu, ou plutôt à ce dont il avait l’air. En
fait, j’avais envie de faire table rase, et c’est à partir de cette pulsion qu’est né le projet : un
sol surélevé qui efface une grande partie du restaurant tel qu’il est habituellement. L’idée de
pousser les gens près du plafond et de proposer une vue en plongée sur le bar, bref de
susciter un renversement de la situation, me plaisait. C’est de là qu’est née l’idée de mettre le
public par terre, en contrepoint du bar, pour rendre tangible à tous le jeu de « vue d’en
dessous » et de « vue d’au-dessus ». Et finalement, d’opter pour une esthétique épurée pour
l’endroit, peut-être un peu asiatique dans ce cas.
Le café-couché dans le foyer a vu le jour presque au même moment. Je cherchais quelque
chose dans le prolongement du restaurant, et dans le même esprit, et j’avais envie d’effacer
la sensation d’être dans un hall de gare. Les deux colonnes et le grand mur me faisaient
l’effet d’un plateau, avec son cadre et son fond. J’ai voulu renforcer l’idée d’un petit théâtre en
peignant le mur, les colonnes et le plafond en noir. Les lits et les tables de nuit – qui peuvent
aussi servir de tabourets – fonctionnent aussi sur le mode théâtral. Le rapport entre l’intimité
suggérée par les lits, et le fait que l’on se trouve dans un lieu public, impliquent une
théâtralisation de la situation. Pour le café-couché, la présence d’un DJ et le fait qu’il s’agit
d’un espace nocturne donnent une certaine orientation au projet... Des lits dans un bar de
nuit, a-t-on besoin d’explications ?
Est-ce que vous voulez dire par la subversion des fonctions ?
Le terme de subversion est un peu fort. Je ne crois pas que mettre des lits dans un espace
public suffise à vous qualifier de subversif. Pour être subversif, il faudrait un contexte bien
plus politique, ce qui n’est pas le cas. Mais le projet contient une ironie sur la situation et elle
n’est pas innocente. Cette ironie doit être perçue comme une prise de recul par rapport à
l’objet et à sa fonction. Il s’agit en fait d’une forme de résistance, c’est une manière de mettre
nos habitudes en exergue, de les rendre caduques. Ce n’est pas une opposition radicale,
mais une mise en doute. Notre capacité à douter en tant que garantie de la conscience de ce
qui nous entoure...
Quels sont les éléments de base de votre démarche ? La lumière, la couleur, démarrezvous d’un concept ou basez-vous votre recherche sur des matériaux ? En d’autres
termes, comment concevez-vous un espace ?
L’outil principal de mon travail est la synthèse. Je passe mon temps à synthétiser les tenants
et les aboutissants d’un projet : qui, quoi, comment, pourquoi. L’objectif, le but, c’est le vide.
Je veux trouver un espace vide dans les conditions du projet. Formuler une réponse qui va
dans le sens de la demande tout en le contrariant. Être la fois « à l’intérieur » et « à
l’extérieur », pour et contre, en accompagnant et en désignant les limites, investi et à
distance.
110
Je suis séduit et je rejette tout en bloc, dans un même mouvement. J’essaie souvent de m’en
sortir par l’humour...
Dans quelle mesure êtes-vous influencé par la façon dont l’espace sera utilités, par
exemple par le genre d’activités qui s’y dérouleront ?
Ce n’est pas tant la façon dont ce que je fais sera utilisé qui m’intéresse et me motive, mais le
détournement des conventions. Je ne fais jamais rien d’impraticable, il est bien plus jouissif
de savoir que ce que j’ai inventé va être utilisé, être vivant...
Par ailleurs, j’aime déstabiliser l’utilisateur, lui faire voir ce qu’il considère comme acquis sous
un autre angle.
Dans ce sens, la scénographie est un champ parfait : je peux simultanément investir
l’architecture par le biais du but fonctionnel du projet tout en suivant une approche plastique,
où la forme fait sens.
Dans le fond, faire de la scénographie c’est réaliser des installations d’utilité publique.
Dans quelle relation à la vie quotidienne votre projet s’inscrit-il ? Je veux dire : de
quelle façon est-il co-créé par les utilisateurs ?
La notion de fonctionnalité m’a toujours intéressé. Pendant mes études d’arts plastiques, je
travaillais sur des objets du quotidien, dont je faisais des moulages, des empreintes (par
exemple, un presse-citron) qui rendaient caduque la fonction pour se focaliser sur la forme,
l’impact visuel, l’histoire que ce type d’objets peut évoquer pour nous. Ces objets provenaient
la plupart du temps de ma cuisine. La « main » et la « bouche » étaient omniprésentes, et
ceci à cause de l’absence de fonction. Il ne restait que ce qu’on aurait pu en faire, une
mémoire de l’objet.
Récemment, j’ai fait un jeu de trois dés en pâte à modeler noire cuite.
L’un des dés porte un 4 sur toutes ses faces, le deuxième, un 2 et le troisième, un 1.
Lorsqu’on les jette, on obtient donc toujours la combinaison gagnante du jeu de 421. Son titre
est : « La chance du débutant ».
Les réactions des femmes et des hommes à cet objet sont assez comiques, mais ne
manquent pas d’intérêt : les femmes apprécient l’aspect tactile de l’objet, tandis que les
hommes jubilent à l’idée de gagner à tous les coups...
Ce projet résume assez bien mes ambitions quant à l’utilisation du public d’un projet comme
Assiscouchédebout : qu’on en fasse ce que l’on veut, du moment que l’on y trouve du
plaisir...
Simon Siegmann en conversation avec Elke Van Campenhout
111
112
PERFORMANCE – AMSTERDAM / DÜSSELDORF / FRANKFURT AM MAIN
andcompany&Co.
andcompany&Co. est un collectif d’artistes international créé par Alexander Karschnia, Nicola
Nord et Sascha Sulimma.
Le théoricien Alexander Karschnia écrit et donne des conférences sur le théâtre, Nicola Nord
est dramaturge-metteur en scène, performer et chanteuse. Ensemble, ils conçoivent la
conférence Na(ar) het Theater pour l’École des beaux-arts d’Amsterdam en 2006. Quant à
Sascha Sulimma, il est à la fois artiste du son, musicienne et DJ. En 2003, andcompany&Co.
participe au Festival Plateaux du Künstlerhaus Mousonturm (Francfort) avec une installation
scénique intitulée Souffleurs du Mal. A l’occasion de la fermeture du TAT (Theatre at the
Tower, Francfort) en 2004, le groupe crée For urbanites - nach den grossen Städten, un
spectacle sur la mort du théâtre. Suite à un voyage d’étude le long de la frontière grécoturque, andcompany&Co. réalise Europe an alien, un spectacle traitant des migrations, de
l’exil, du passage des frontières, de la mythologie antique et de l’identité. Lorsque le collectif
travaille avec l’artiste visuelle Noah Fischer, andcompany&Co. remporte le Swing Space
Award du Lower Manhattan Cultural Council et présente la performance Revolutionary
Timing, qui fait appel à la technique du montage d’Eisenstein.
Souvent, ce sont les conférences, les projets spécifiques à un lieu et les &Co.Labs avec des
artistes de différentes disciplines issus de contextes divers qui donnent l’impulsion d’un
nouveau spectacle. Pour little red (play): « herstory » et States of the Union: Eurora!, le
collectif a collaboré avec Bini Adamzcak, une écrivaine basée à Francfort, auteure du livre
Communism. Small story how finally everything will change.
STATES OF THE UNION : EURORA ! CREATION
Kaaitheater
CENTREDUFESTIVALCENTRUM
4/05 – 25/05 > 00:00 (10’)
Wednesday till Saturday
25/05 EUROPARTY
&Co.SOUNDSYSTEM feat.
Dj Sascha Sulimma vs.
Aleksandr Kirillov
Concept : andcompany&Co.
Avec Bini Adamczak, Alexander Karschnia, Nicola Nord, Sascha Sulimma&Co.
Présentation : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts
Production : andcompany&Co., Kunstenfestivaldesarts
113
Un rêve. Un rêve rouge. Un rêve avec une longue barbe… Il y a près de 160 ans, Karl Marx
fêtait la Saint-Sylvestre avec l’Association des travailleurs allemands sur la Grand-Place de
Bruxelles et publiait, quelques semaines plus tard, le Manifeste du parti communiste : « Un
spectre hante l’Europe : le spectre du communisme… » En quelques mots, les traits d’un
monde nouveau étaient esquissés tel un soleil rouge qui se lève : EURORA ! Une tentative
d’appliquer la rhétorique révolutionnaire au nouveau vieux continent, ce lieu si particulier qui
depuis le Moyen Âge s’appelle « Europe ». Les artistes d’andcompany&Co. se sont penchés
sur l’ambivalence du mot allemand Heimsuchung, qui évoque à la fois le fait de hanter et la
recherche d’un chez-soi, un Heim (un foyer) ou une Heimat (une patrie). Le fantôme cherchet-il un lieu de séjour ? ou la maison, l’ancien État-nation, a-t-elle toujours été hantée ? À en
croire Jacques Derrida (Spectres de Marx : L’État de la dette, le travail du deuil et la nouvelle
Internationale), le spectre n’est pas apparu à un moment donné, mais il a toujours existé
depuis que l’Europe existe : « La hantise marquerait l’existence même de l’Europe. » Marx et
Engels décrivent cette expérience comme une dramaturgie de l’Europe moderne avec ses
grands projets unificateurs. Lorsqu’on cherche les traces ténues du spectre en Europe, on
peut relire le Manifeste du parti communiste comme un document fondateur de l’Union des
États ou comme une lettre secrète déposée dans le sous-sol de la « maison commune ». Estce là un testament par lequel un héritage nous est transmis ? Ou est-ce la « poésie de
l’avenir » (Marx, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte) ? Pendant les trois années de son exil à
Bruxelles, après avoir été expulsé de Paris par Monsieur Guizot, Marx s’intéressa aux
fantômes : et comme le terme allemand Geist signifie à la fois « esprit » et « fantôme », Marx
peut être considéré à juste titre comme le premier chasseur de fantômes en philosophie,
faisant ainsi tomber Hegel à la renverse. Avec Friedrich Engels, il entama la rédaction de Die
Deutsche Ideologie (L’idéologie allemande), une œuvre où il réglait ses comptes avec les
philosophes allemands de son temps, en chassant les fantômes de saint Max (Stirner) et
d’autres hégéliens de gauche. Mais en même temps, il faisait réapparaître les fantômes et les
invitait à rester tout en les conjurant de conspirer avec lui. À cet égard, Marx était comme
Hamlet qui n’est jamais parvenu à savoir s’il pouvait croire le fantôme de son père l’exhortant
à la vengeance. Voilà qui nous ramène à la question : que faire aujourd’hui, cinquante ans
après la signature des Traités de Rome ? Devrions-nous accueillir les spectres – ou les faire
disparaître ? À voir… Lors de la soirée d’ouverture du festival, lorsque sonneront les douze
e
coups de minuit, l’heure du fantôme, et que l’on passera du 4 ou 5 mai 2007 : la date du 189
anniversaire de Marx. What, has this thing appear’d again to-night ? Réapparition du fantôme.
Depuis la terrasse d’Elseneur jusqu’aux craies de Champagne et aux granits d’Alsace,
l’Hamlet européen regarde des millions de spectres dans La Politique de l’esprit de Paul
Valéry : « Mais il est un Hamlet intellectuel. Il médite sur la vie et la mort des vérités. Il a pour
fantômes tous les objets de nos controverses ; il a pour remords tous les titres de notre
gloire. » La Crise de l’esprit, c’est la crise de la vieille Europe dans l’entre-deux-guerres, au
moment où, selon Valéry, les nations européennes ont cessé d’exercer une domination
intellectuelle et culturelle sur le monde. À Bruxelles, Hamlet est déchiré entre son travail de
clarification concernant l’« aventure spirituelle » (Frantz Fanon) de l’Europe en Asie, en
Afrique et en Amérique au cours des cinq cents dernières années, et sa volonté d’exercer des
responsabilités dans le monde après la chute du mur. Lors d’une nouvelle lecture du même
texte, Derrida insiste sur la récurrence des termes « cap » et « capitale » dans la réflexion de
Valéry sur l’Europe (L’Autre Cap, suivi de La Démocratie ajournée). La question est toujours
d’actualité : qu’est-ce que la capitale de l’Europe ? sur quoi mettons-nous le cap ? Tandis
qu’en 1869, Marx condamne la brutalité avec laquelle la police traite les ouvriers en grève à
Bruxelles, concluant que la Belgique est le gendarme du capital contre le travail (Die
belgischen Metzeleien), aujourd’hui la classe ouvrière européenne manifeste à Bruxelles, la
capitale de l’Europe.
L’heure d’une petite leçon d’histoire a sonné. Alors que Bruxelles sera en pleine campagne
électorale, les artistes d’andcompany&Co. rallieront la ville avec, dans leurs bagages, un
concept politique anachronique dans lequel certains voient une promesse, d’autres une
menace : l’eurocommunisme. Ce qui ressemble à une vision utopique ou paranoïaque de
e
l’Union européenne du XXI siècle, a vu le jour dans les années 1970 : les partis
communistes d’Europe de l’Ouest (Italie, Espagne, France) l’ont inventé comme « troisième
voie » entre le capitalisme libéral de l’Ouest et le « socialisme réel » de l’Est. Aujourd’hui, ce
concept résonne dans les questions politiques urgentes de notre temps : libre-échange contre
114
tarifs protectionnistes, marché commun contre État providence national, capital global contre
travail transnational. Dans le discours sur le libre-échange qu’il a tenu à Bruxelles le
9 janvier 1848, Marx affirmait que les tarifs protectionnistes étaient une mesure conservatrice
tandis que le libre-échange, destructeur, allait accélérer la révolution sociale – il était donc en
faveur du libre-échange ! Dans le même ordre d’idées, les artistes d’andcompany&Co.
er
participeront le 1 mai prochain à l’Euromayday, vêtus des costumes de leur spectacle little
red (play) : ainsi verra-t-on des personnages de bande dessinée s’engager dans
l’europropagande cosmopolite.
Originaires de Francfort-sur-le-Main – la « ville de l’euro » et par conséquent la capitale
financière de l’Europe –, Alex, Bini, Nicola, Sascha & Co. vont récupérer le concept
d’eurocommunisme et faire revivre le Comité de correspondance communiste que Marx et
Engels avaient fondé pendant leur exil à Bruxelles, afin d’imaginer un langage au-delà du
langage économique. Bini, fraîche émoulue de l’École de Philosophie de Francfort, dira la
bonne aventure devant le Théâtre royal de la Monnaie, traduire le langage de l’argent en
langage humain et prêtera voix aux discours silencieux des billets de banque et pièces de
monnaie. Nicola et Sascha s’enquerront de notre constitution et récolteront le « désir du
jour » afin de reconstituer l’état de l’union et de construire un nouveau projet pour l’union des
États. Ancien dirigeant du parti Chance 2000 (un parti formé d’artistes et fondé en 1998 par
Christoph Schlingensief), Alex fera campagne auprès des gens assis sur les marches de la
Bourse afin de collecter quelques cents pour sa « statue vivante » – y a-t-il plus puissant
symbole de changement qu’une main pleine de cents ? Tout au long du mois, les artistes
d’andcompany&Co. sillonneront la ville avec leur auto-mobile for utopias, lost and found, un
minibus rouge équipé d’une table et de chaises de camping, et ils s’installeront pour un piquenique paneuropéen au Parc Léopold afin de commémorer le 11 septembre 1989, date à
laquelle la Hongrie a ouvert une brèche dans le rideau de fer, frayant ainsi un chemin à
l’unification de l’Allemagne et de l’Europe – et par conséquent à l’eurocommunisme. Selon
Boris Groys dans le Communist Post-Scriptum, la décomposition de l’Union soviétique par le
Parti communiste n’était qu’une étape logique, d’un point de vue dialectique, dans la
réalisation du communisme. VORWÄRTS ! VOORUIT ! EN AVANT !
P.-S. : Georg Weerth, un camarade de Marx et Engels, écrivit un poème ironique sur les
émigrés allemands à Bruxelles. Il s’y moque de la contradiction qui règne entre la nostalgie
qu’ils éprouvent pour leur terre natale et la vie luxueuse qu’ils mènent au Café des Arts. Ils
suscitent juste l’intérêt des espions de leur patrie et du représentant de l’État prussien, « et toi
/ comte noble, puissant, toi / Henckel von Donnersmarck !! » Son arrière-arrière-petit-fils,
Florian, vient de remporter un Oscar pour son film Das Leben der Anderen, dont se moque
d’une manière remarquable la pièce de René Pollesch L’Affaire Martin ! Occupe-toi de
Sophie, Par la fenêtre, Caroline ! Le Mariage de Spengler. Christine est en avance.
&Co.SOUNDSYSTEM se chargera de faire disparaître les fantômes europrussiens grâce au
choc de l’électro-folk et de la pop eurorusses : avec Sascha Sulimma et Aleksandr Kirrilow,
l’heure sera à l’EUROPARTY ! Dance, dance, revolution !
Alexander Karschnia
115
116
Insert07
COSMOPOLITIQUE
Cosmopolitan. Le nom du célèbre magazine de la femme contemporaine, qui de Paris à
Tokyo, assume avec aisance son rôle de mère, dirigeante d’entreprise, passionnée de
salsa, cordon bleu, routarde à ses heures et bénévole au magasin Oxfam de son
quartier.
Cosmopolitan est la projection glamour de notre société cosmopolite, de moins en moins
enclavée dans ses frontières. La télévision et l’Internet rendent le monde toujours plus
accessible et proposent à l’individu qui veut s’y frayer un chemin une profusion déconcertante
de possibilités. Aujourd’hui, tout un chacun se mesure simultanément à l’aune de cultures
très diverses. Dans ses choix de citoyen et de consommateur, ses loisirs, ses convictions
religieuses, sa quête d’éthique et d’esthétique, ses relations personnelles et professionnelles,
chacun appartient parallèlement à plusieurs dizaines de microcommunautés, souvent reliées
à un réseau mondial d’individus du même bord.
Le cosmopolite est conscient de l’intensification de la mondialisation de son existence, et des
nouvelles responsabilités qu’elle implique. Loin de se ranger sous une quelconque bannière
commune et de laisser la pensée unique guider sa réflexion et ses actes, il cherche sa voie à
travers le riche éventail des communautés, qui se déploie largement au-dessus des frontières
de la nation, de la langue et de la culture dites d’origine.
La ville, par excellence, est le lieu où cette mutation est la plus tangible. Pôle d’attraction et
carrefour, les cultures différentes s’y croisent et s’y associent en constellations toujours
différentes. La ville est par conséquent la meilleure assise pour l’élaboration de la notion de
solidarité. Elle fonctionne comme une cellule de réflexion transculturelle et fait entrer en
dialogue un “citoyen du monde” avec un autre.
Dans la vie quotidienne, les citadins se rencontrent – dans un magasin, dans la rue, dans un
café – et l’autre tend à perdre son “étrangeté“. Parallèlement, nos pensées et nos actes sont
perpétuellement remis en question par les opinions différentes de notre voisin.
La coexistence, dans la société cosmopolite, engendre sans cesse de nouvelles identités :
des constructions flexibles et modulables, s’appuyant sur des croyances et des usages très
divers.
Autant d’animaux fabuleux issus d’un imaginaire fluctuant à l’extrême… Parfois sphinx, qui,
quand l’étrangeté de l’autre le force au silence, s’enferme dans sa propre énigme ; parfois
phénix, qui de chaque violence due à l’incompréhension sait faire éclore l’idée nouvelle.
FESTIVAL D’AUTEURS
Le Kunstenfestivaldesarts est sensible à l’originalité de la démarche de l’« artisteauteur ».
Les artistes présents au festival parlent en leur propre nom et posent, de là où ils se trouvent,
un regard personnel sur le réel. Homme ou femme, venu des quatre coins du monde, inspiré
par l’ expérience individuelle autant que par la pensée collective, chacun d’eux veut partager
son histoire avec le spectateur. Et c’est dans ce geste que l’œuvre dépasse le cadre de son
origine donnée. Dès le moment où elle touche le spectateur, qui se reconnaît dans le langage
de l’autre, l’histoire transcende son contexte culturel et sa dimension autobiographique pour
révéler au spectateur un univers qu’il n’aurait jamais appréhendé sous cet angle. L’artisteauteur est une personnalité qui fait perdre sa qualité d’évidence à la façon dont nous voyons
ce qui nous entoure, ce qui nous est familier et qui, ainsi, nous le rend à nouveau visible.
A travers son média de prédilection, qu’il s’agisse de texte, d’image, de mouvement ou de
son, chacun peaufine une écriture originale. La signature indélébile de l’artiste-auteur se
traduit par la rigueur avec laquelle il cherche une forme à même de refléter ses choix
117
artistiques. Son désir d’exprimer et de partager son point de vue l’amène continuellement à
questionner ses propres outils.
Le point de vue de l’artiste-auteur est aussi riche que spécifique. Quoique reconnaissable, il
est indissociablement lié à un parcours et à un mode de vie qui lui sont propres. Lors du
festival, toutes ces positions particulières sont mises en regard les unes des autres. De cette
multitude de résonances, d’autres harmonies peuvent émerger. Loin de toute fascination
multiculturelle pour l’Autre, qui ne tend qu’à maintenir la distance et l’ incompréhension et
empêche toute identification, mais à travers un questionnement permanent et réciproque, qui
fait se déployer notre propre univers bien au-delà de ses frontières.
UTOPIES D’HIER POUR LE FUTUR
e
En ce début de XXI siècle, tout porte à croire que la répulsion qu’ont suscitée les
e
excès des expériences sociales et politiques du XX siècle a cédé la place à une
curiosité constructive.
Les ruines de ces ambitieuses entreprises sociétales du siècle passé, qui faisaient se
rejoindre idéologie avec bonheur individuel et développement industriel, enflamment les
imaginations. Des archéologues assoiffés de connaissance exhument, bribe par bribe, les
vestiges d’un optimisme dont les ailes avaient été rognées : du communisme utopique à
l’idéal de progrès du capitalisme.
On observe par exemple aujourd’hui que le marxisme est à l’heure de la révision. Les textes
originaux de Karl Marx sont époussetés et leur langage se révèle très différent de
l’interprétation imbue d’idéologie dont nos esprits avaient conservé le souvenir. Le plaidoyer
de Marx en faveur de la protection de l’intégrité de l’individu contre le maelström de
l’industrialisation galopante contraste violemment avec le collectivisme stérile auquel le
communisme a été identifié par la suite.
La critique du capitalisme débouche sur la construction prudente d’une nouvelle utopie.
L’analyse critique de l’économie mondialisée a entraîné la prise de conscience d’une absence
cruelle de solidarité. Les tentatives d’affaiblir l’impact prépondérant des afflux de capitaux sur
les questions sociales et écologiques ont débouché sur une pensée cosmopolite, qui fait
apparaître au grand jour le lien inévitable entre prospérité et exploitation. Une pensée
éthique, qui fait office d’antidote à l’économie de profit, dans laquelle tout individu est réduit à
un consommateur répertorié, et toute décision politique sapée par les intérêts supranationaux
des grandes entreprises.
On sent renaître un besoin d’utopie. Quelques-uns des artistes de ce festival analysent cette
aspiration en cherchant, sous les décombres historiques, des assises valables pour l’avenir.
Les vestiges esthétiques et philosophiques du siècle passé sont déterrés. Au-delà de
l’horreur transparaît la nostalgie, à travers la violence collective sourdent les convictions
personnelles de ceux qui l’ont vécue. Les artistes furètent dans les fragments d’idéaux
envolés et d’esthétique désuète, à la recherche de petites et grandes vérités. Ils en
reconstituent le puzzle, ils en distillent l’utopie fragile d’un futur cosmopolite.
118
Residence and reflection
Cette année encore, Le Kunstenfestivaldesarts, en collaboration avec le Vlaams Theater
Instituut, invite des artistes venus des quatre coins du monde à suivre le festival de près. Dix
jours durant, en compagnie de quelques-uns de leurs collègues belges, ils s’immergent dans
les salles de spectacle et sont les spectateurs d’une sélection de projets présentés dans le
cadre du festival. Autour d’une table, ils partageront leurs réflexions, observations et points de
vue critique, au départ de ce qu’ils auront observés içi ensemble, mais aussi de ce qu’ils
expérimentent individuellement dans leurs pratiques et contextes respectifs.
Cette année, leurs discussions seront liées à trois conférences qui approfondiront certaines
lignes de force du festival : l’auteur et sa condition aujourd’hui, le cosmopolitisme et les
nouvelles utopies. Ces conférences seront ouvertes au public !
Par le biais du projet Residence and reflection, le festival désire ouvrir un espace au sein
duquel différents contextes culturels, convictions politiques, réflexions éthiques ou champs
esthétiques sont mis en regard les un des autres. Ou comment la confrontation de différents
regards portés sur les spectacles présentés en ce mois de mai élargit et nuance notre
perception de la pratique artistique contemporaine, de la place de l’artiste dans la société et,
qui sait, de la vie.
119
120
Credits
Conseil d'Administration / Raad van Bestuur
Marion Hänsel, Geert van Istendael (présidents) > Damien Levie (trésorier) > Herman Croux
(secrétaire) > Olivier Alsteens, Eric Antonis, Paul Aron, Jean-François Gerard, Paul
Goossens, Diane Hennebert, Stefan Hertmans, Anne Hislaire, Frie Leysen, François
Schuiten, An van. Dienderen, Els Witte (membres)
Collaborateurs / Medewerkers
Christophe Slagmuylder (directeur artistique) > Roger Christmann (directeur financier) >
Barbara Van Lindt (collaboratrice programmation) > Hilde Maes (collaboratrice à
l’administration) > Tine Declerck (secrétariat programmation) > Mercedes Cubas (logistique)
> / Anne-Sophie Van Neste (presse & R.P) > Veerle Vanderleen (publications) > Julien
Lepièce, Kira Kohnen, Laurent Lallemand, Michèle Rossignol (collaborateurs communication)
> Elke Van Campenhout (dramaturge) > Sophie Alexandre (responsable production), Klaus
Ludwig (collaborateur production) > Eva Wilsens, Helga Baert (assistantes production) >
Marc Dewit (directeur technique) > Anneleen Mahy, Pierre Willems (collaborateurs technique)
> Fie De Maeyer (responsable billetterie) > Alessandra Montecchi, Diane Fourdrignier
(bénévoles – stagiaires / vrijwilligers - stagiaires)
Collaborateurs externes / Externe medewerkers
Bouchra Liemlahi / Art Consult (comptabilité) > Erik Borgman / Werkhuis ! (traductions
simultanées) > Casier & Fieuws (graphisme) > Jérôme Franck (web design) > Pieter Jelle De
Brue / Corvo Solutions bvba > Françoise Meulemans / Ticketing Software Benelux (système
de billetterie) > Bob J. Ward / MD + M (informatique), Régie Mobile pour la Culture
(assistance plateau)
121
122
Adresses
Argos
Rue du Chantier 13
1000 Bruxelles
http://www.argosarts.org
TRAM 18
METRO 1A, stop Yser
Beursschouwburg
Rue A. Orts 20 – 28 A
1000 Bruxelles
www.beursschouwburg.be
TRAM 3, 52, 55, 56, 81 (Bourse)
BUS 48, 95, 96 (Bourse)
METRO De Brouckère
Halles de Schaerbeek
Rue Royale Sainte-Marie 22a
1030 Bruxelles
www.halles.be
TRAM 90 (Robiano), 92, 93, 94 (Ste-Marie)
BUS 58 (Ste-Marie), 65, 66 (Robiano)
METRO 2 Botanique
Kaaitheater
Square Sainctelette 20
1000 Bruxelles
www.kaaitheater.be
TRAM 18 (Yser)
BUS 47 (Porte d’Anvers)
De Lijn 129 - 190 - 212 - 213 - 214 - 230 - 231 - 232 - 233 - 235 - 240 - 241 - 242 - 243 - 246 250 - 251 - 260 – 355
METRO 2 Yser
Kaaitheaterstudio’s
Rue Notre-Dame-du-Sommeil 81
1000 Bruxelles
www.kaaitheater.be
TRAM 18 (Porte de Ninove)
BUS 63 (Porte de Ninove)
De Lijn 126 - 127 - 128
KVS – BOL / KVS - TOP
Rue de Laeken 146
1000 Bruxelles
www.kvs.be
TRAM 18 (Yser)
BUS 46, 47 (Porte d’Anvers)
METRO 2 Yser
KVS - BOX
Quai aux Pierres de taille 7
1000 Bruxelles
www.kvs.be
TRAM 18 (Yser)
BUS 46, 47 (Porte d’Anvers)
METRO 2 Yser
123
De Markten
Vieux Marché aux grains 5
1000 Bruxelles
www.demarkten.be
TRAM 3, 52, 55, 56, 81 (Bourse)
BUS 48, 95, 96 (Bourse)
METRO 1A 1B Sainte-Catherine
Mont des Arts / Kunstberg
entre le Palais des Congrès et l’Eglise Protestante
Coudenberg 3-5
1000 Bruxelles
BUS 71
METRO Gare Centrale
La Raffinerie-Charleroi/Danses
Rue de Manchester 21
1080 Bruxelles
TRAM 82 (Pl. de la Duchesse de Brabant)
BUS 63, 89 (Pl. de la Duchesse de Brabant)
METRO Gare de l’Ouest
Rosas Performing Space
Avenue VanVolxem 164
1190 Bruxelles
www.rosas.be
TRAM 18, 52 (Châtaignes)
Théâtre 140
Av. Eugène Plasky 140
1030 Bruxelles
www.theatre140.be
TRAM 23, 90 (Diamant)
BUS 21, 28, 29, 63 (Plasky)
Théâtre Les Tanneurs
Rue des Tanneurs 75
1000 Bruxelles
www.lestanneurs.be
TRAM 92, 93, 94 (Sablon) 23, 55, 90 (Porte de Hal/Hallepoort) 18, 23, 52, 55, 56, 81, 82, 90
(Lemmonier) 23, 52, 55, 56, 81, 82, 83, 90 (Midi)
BUS 27, 48 (Place du Jeu de Balle), 95, 96, 34 (Sablon) 27, 49, 50, 78 (Lemmonier) 27, 49,
50 (Midi)
METRO 2 Hallepoort / Porte de Hal & Zuid
Théâtre National de la Communauté française
Boulevard Emile Jacqmain 115
1000 Bruxelles
www.theatrenational.be
TRAM 3, 52, 55, 56, 81(De Brouckère)
BUS 47 (Porte d’Anvers) 29, 46, 47, 60, 65, 66, 71 (De Brouckère)
METRO 1A 1B De Brouckère METRO 2 Rogier & Yser
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Tour & Taxis
Shed 3 bis Porte d’acces 16
Avenue du Port 86c
1000 Bruxelles
www.tourtaxis.com
BUS 14 (Tour&Taxis), 89 (Picard)
DeLijn 356
TRAM 18 (Sainctelette)
METRO 2 (Ribaucourt) 1A (Belgica)
Wiels
Avenue Van Volxem 354
1190 Bruxelles
www.wiels.org
BUS 49, 50 (Wielemans)
TRAM 18, 52
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