Musiques de film : différences entre orchestrations acoustiques
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Musiques de film : différences entre orchestrations acoustiques
Stéphane Meer* *[email protected] Musiques de film : différences entre orchestrations acoustiques & avec ordinateur Aujourd'hui, les capacités de l'ordinateur à reproduire les sons d'orchestre sont extrêmement diversifiées. Ainsi peut-on jouer une phrase de violon à la main droite, cependant que la main gauche gère les choix d'attaque, de dynamique, de legato, etc. Ainsi peut-on gérer le « souffle » des instruments à vent, à l'aide de molettes ou de pédales, et transposer (ou non) ces nuances à d'autres instruments de la même section. Il existe deux grandes familles de « banques » orchestrales : 1. La Vienna Symphonic Library (VSL), que le compositeur allemand-américain Hans Zimmer utilise dans ses films. Ainsi, pour Pirate des Caraïbes, a-t-il utilisé une pièce bourrée d'ordinateurs, chacun gérant un instrument - l'un le violon, l'autre l'alto, un autre les percussions, et ainsi de suite jusqu'au terminal chargé d'enregistrer et de « dispatcher » les sons aux bons moments. La plupart du temps, comme dans Gladiator, il mélange sons acoustiques & sons d’ordinateurs. 2. Le Symphonic Orchestra East&West (SOEW) est l’autre grande banque de sons. Elle est disponible à trois niveaux de prise de son pour chaque instrument : proche, central (niveau du chef d’orchestre) ou surround (niveau de la salle). La possibilité de rapprocher ou d'éloigner les instruments des micros fait toute la différence pour reproduire le fondu orchestral. Il s'agit d'un travail d'équilibre à soigner entre les différentes acoustiques. Lorsque l'on commence à manipuler ce genre d'outil, le premier piège est d’imaginer que tout est possible, qu’il n’est plus besoin d'orchestre, que l’on peut tout faire. C'est faux, bien sûr ! Il ne s’agit que d’un outil, qui sonne comme l'orchestre mais n'est pas l'orchestre ! Il faut donc écrire pour lui, et ne pas essayer de le faire passer pour ce qu'il n'est pas. Avantages de l'ordinateur, pièges & points faibles 1 Un ordinateur joue toujours juste, il joue en place avec de multiples fonctions, manuelles ou automatiques, pour gérer la précision ou le flottement rythmique. Pour se synchroniser avec l'image, il est imbattable et propose des fonctions de calcul de tempo automatiques pour caler tel son sur telle image. L'ordinateur n’est pas limité en budget : si vous voulez utiliser quarante cors ou douze timbales (une par demi-ton), rien n'est plus simple. Vous souhaitez deux cents chanteurs et programmer leur texte, c'est possible (en utilisant Symphonic Choir). Si le réalisateur ou l'équipe de production décide que la musique doit être modifiée pour le lendemain, ce n’est pas impossible. On peut copier-coller, ralentir, accélérer, transposer, etc. Où est sa limite ? Elle est dans le phrasé. Malgré toutes les fonctions et possibilités d'édition, les instruments restent joués à partir d'un clavier. Si vous voulez programmer Itzhac Perlman ou même Hélène Grimaud sur ordinateur, le résultat sera nul. Dans la caisse de résonance d'un piano, il se produit, en effet, des millions d'interférences harmoniques... L'ordinateur, lui, produit les sons que vous lui demandez, mais sans la moindre interférence. Dans mon ouvrage audio/musical dédié à Hélène Grimaud, j'ai utilisé le plus gros piano échantillonné disponible : de toute nouvelle génération, un véritable monstre de 100 gigas reconstituant un Steinway D de concert, dans l'un des meilleurs studios d'enregistrement américains. Je vous propose de l'écouter sur www.musicaltales.com (chapitre 3). Vous entendrez un magnifique piano certes, mais auquel il manque la résonance acoustique naturelle de la caisse. Ce qui fonctionne le moins bien avec un ordinateur, ce sont les phrasés solos. Au début du chapitre 5, j'ai eu beaucoup de mal à m'en sortir pour faire jouer le thème au violon solo puis au violoncelle. Honnêtement, on y perd beaucoup. D'autres passages plus complets, avec une infinité de choix d'associations de couleurs, la possibilité de rééquilibrer les volumes à volonté, sont réussis. En ce qui concerne les chœurs, les ensembles sont enthousiasmants. Par contre, les solistes sont limités à quelques vocalises, dans l'état actuel de la technique. Même problème pour ce qui concerne le texte : théoriquement on peut tout faire, mais pratiquement cela fonctionne pour certains mots, pas pour d'autres. Si vous utilisez un logiciel américain, il ne saura pas prononcer le U français… D’ailleurs, même en y passant des heures et des jours, on ne comprend pas bien la prononciation. 2 Dans mon « histoire musicale fantastique », j'ai résolu le problème en créant une langue imaginaire, la langue du Monde des brouillards. Je suis parti d'une phonétique que j'ai mise au point par tâtonnements pour que ça sonne. Au chapitre 5, il y a des ensembles dont je suis assez fier. Au chapitre 4, j'ai mélangé les chœurs informatiques avec la voix de la soprane Nathalie Chevalier. Dans un contexte rock gothique, cela fonctionne à merveille. Plus en détail pour la musique de film Une différence essentielle entre l'acoustique et l'ordinateur, c'est le fondu. Tous les chefs d'orchestre savent qu'il est difficile d’obtenir, d’une somme d'instruments, un ensemble homogène. C'est ce que l’on appelle le fondu, qui est un aspect de la sonorité. Les différences de fondu ont des conséquences très importantes lors du mixage des films. Un orchestre à la sonorité globale, bien fondue, bien « dans la pièce », peut se marier avec voix & bruitages sans quasiment aucun conflit. L'avantage est que l'on entendra bien mieux la musique, dans le film. Par contre, des mixages très brillants, tels ceux de La Guerre des étoiles, ne fonctionnent que parce que le film est conçu pour cela. Dans le film Hook ou la revanche du Capitaine Crochet, les mêmes sonorités d'orchestre ne fonctionnent pas aussi bien : musique sous-mixée que l'on entend à peine (c’est dû au choix des micros). La prise de son moderne utilise un « arbre » central derrière le chef d’orchestre, puis des micros de proximité. Plus on met de micros de proximité, plus la sonorité est précise, mais au détriment, peut-être, d’autres éléments du film. ©DR Qu'en est-il pour l'ordinateur ? Si vous avez compris le principe, vous imaginez bien que l'ordinateur donne souvent, quant au fondu, un résultat catastrophique. Alors qu’il est si facile d'obtenir un pseudo-orchestre, simple addition d'instruments qui ne se « fondent » pas… D’autre part, ne surtout pas imaginer que si l’on a des sons trop présents il suffira d’ajouter de la réverbération pour les distancier : en effet, lorsqu’un instrument est éloigné, on n'entend pas le son direct, mais le son de la salle. Tandis qu’une réverbération électronique donne le son direct, suivi du son de la salle, ce qui - pour l’obtention du fondu - est très différent. Il existe aujourd'hui de magnifiques « réverbérations à convolution » qui reproduisent - par analyse - l'exacte acoustique de telle ou telle salle de concert ou cathédrale…. Mais vous n'obtiendrez pas le son d'un orchestre qui aurait réellement joué en ces lieux, pour la raison que je viens d'indiquer. 3 C'est pour cela que la banque de sons East&West est supérieure car elle propose, pour chaque instrument, un choix de distance de micro, ce qui est essentiel pour le fondu. Avec l’ordinateur, il faut lutter en permanence contre l’envie d’isoler le plus beau son. De la plus belle clarinette, par exemple - alors que celle qui se fondra le mieux sera, peut-être, la moins bien définie, la plus sourde... Travail perpétuel, recherche de l'inaccessible perfection… Pour chaque orchestration, les paramètres changent et il faut toujours tout redécouvrir, les meilleures combinaisons de micro pour chaque instrument, les combinaisons de nuances, etc. Sur ordinateur, le niveau sonore est indépendant de la nuance ; en revanche, la variation de volume joue énormément sur le fondu. Exemple : une flûte a un gros volume à faible nuance, et un faible volume à intensité élevée. Avec un ordinateur il est possible de faire entendre forte une flûte jouée pianissimo. De manière générale, on pourra mixer bien plus fort une musique d'orchestre acoustique qu'une musique orchestrale jouée par ordinateur. Ce qui est le cas pour quasiment toutes les séries de dessins animés où les musiques par ordinateur sont sous-mixées. Remarque importante : ce concept ne s'applique pas aux musiques rock, électroniques ou de variété, car il s’agit là de mixages compressés. La « dynamique » (différence entre passage fort & faible) d'une symphonie est de l'ordre de 40 à 60db ; pour une chanson de l’ontarienne Avril Lavigne, elle est de 3db ! ©DR En conclusion L’ordinateur est un instrument qui peut certes utiliser des sons d'orchestre, mais ce n'est pas un orchestre ! Si vous écrivez directement pour l’ordinateur, pour pourrez obtenir des merveilles, mais si vous transposez une partition d'orchestre sur ordinateur, vous serez - dans le meilleur des cas… - médiocre. J'espère vous avoir convaincu d’explorer - comme il convient - cet instrument aux possibilités infinies. Pour vous faire une opinion, écoutez les 90’ de mon programme www.musicaltales.com - entièrement réalisé sur ordinateur [Site sur lequel on peut me poser des questions - ne serait-ce que pour connaître les coordonnées des spécialistes de ce genre de configurations]. 4