Etude de la prononciation du français
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Etude de la prononciation du français
Université de Khon Kaen Faculté des sciences humaines et sociales Section de français Etude de la prononciation des étudiants thaïlandais en apprentissage du français et majeure de français à l’université de KHON KAEN, Thaïlande. par Christian LE CORRE KHON KAEN, mai 2013 Résumé. Le français langue étrangère appris à l’université de Khon Kaen en Thaïlande présente des particularités qui se manifestent au niveau de la production orale des apprenants. Cette façon de prononcer le français, qui vient principalement des habitudes articulatoires de la langue maternelle, peut produire un ensemble de phénomènes nuisibles à la communication orale, voire même de la rendre impossible auprès d’un locuteur natif. Nous souhaitions recenser l’ensemble de ces manifestations phonétiques. En comparant le système phonologique de la langue de départ et de la langue cible, nous avons observé des différences que nous avons mises en évidence dans un premier corpus de mots. Puis nous avons mis à l’épreuve de la répétition une classe d’étudiants en deuxième année. Les résultats ont montré que les capacités d’articulation étaient satisfaisantes et que ces difficultés articulatoires supposées pouvaient être surmontées par des exercices appropriés. La deuxième partie de notre étude concerne les faits prosodiques de la langue. La langue thaïe présentant la particularité d’être une langue tonale, les phénomènes d’accentuation sont plus ou moins dépendants des tonèmes. Le français possède un registre important de contours intonatifs ainsi qu’une accentuation reliée à la structure syntaxique des énoncés dont la fonction est démarcative et rythmique. Pour étudier ces aspects suprasegmentaux, nous avons fait écouter seize stimuli verbaux à sept francophones vivant dans la région. Ces énoncés avaient été enregistrés auparavant lors d’un examen de production orale sans lecture et sans rapport direct avec cette étude. Il en ressort que la grande partie de ces énoncés ne sont pas intelligibles. Il est à noter que nos « auditeurs » ne sont pas familiers de cette façon d’articuler leur langue comme les professeurs d’université natifs ou non-natifs. L’origine de cette inintelligibilité est à mettre, semble-t-il, au crédit des deux aspects segmentaux et suprasegmentaux. Les énoncés du second corpus ont montré encore de nombreuses faiblesses dans l’articulation des phonèmes et dans la structure des syllabes, particulièrement au niveau du passage de la consonne initiale à la voyelle et de la transition entre les syllabes. Les aspects prosodiques demeurent des éléments non maîtrisés. Les voyelles qui se trouvent dans la dernière syllabe d’une phrase sont souvent trop longues. Si le groupe rythmique est repéré et le débit suffisamment rapide, la syllabe accentuée peut se faire sentir, mais elle a une tendance à monter en fréquence, ce qui ne correspond pas au français. La mélodie de la phrase rappelle celle d’une phrase interrogative. C’est probablement la somme de plusieurs manifestations bruyantes qui a gêné nos auditeurs. II Des progrès peuvent être faits rapidement par un travail régulier matérialisé par des exercices d’écoute, de souplesse articulatoire visant à une meilleure fluidité et de sensibilisation au rythme et à l’accentuation des groupes syntaxiques. Les éléments qui ressortent de cette étude devraient contribuer à la création d’outils pédagogiques adaptés à notre public d’apprenants thaïlandais. Mots-clés : Accent, accentuation, phonèmes, phonétique acoustique, phonétique articulatoire, ton, prosodie, interférence, transfert, amplitude, fréquence, groupes rythmiques. III Abstract. French as a foreign language learned at Khon Kaen University, Thailand, has features that occur in the oral expression. This way of pronouncing the French language, which comes mainly from articulatory habits of the mother tongue, can cause a range of adverse effects to oral communication, or even make it impossible with a native speaker. We wanted to identify all of these phonetic events. Comparing the phonological system of the source language and the target language, we observed differences highlighted in the first corpus of words. Then we tested the repetition of these words with a class of second-year students. The results showed that the articulation skills were satisfactory and that these supposed articulatory difficulties could be overcome by appropriate exercises. The second part of our study concerns the prosody of the language. Thai language has the particularity of being a tonal language; stress is more or less dependent on tonemes. The French language has a large number of intonation contours and an emphasis connected to the syntactic structure whose function is demarcating and rhythmic. To study these suprasegmental aspects, we asked seven French native speakers living around Khon Kaen to listen to sixteen verbal stimuli. These statements were previously recorded during a review of oral expression without reading and not directly related to this study. It appears that the majority of these statements are not intelligible. It should be noted that our "listeners" are not familiar with this way of articulating their native language as university teachers, native or non-native. The origin of this unintelligibility seems to come from both segmental and suprasegmental aspects. The second corpus showed still many weaknesses in the articulation of phonemes and syllables in the structure especially concerning the initial consonant and vowel transitions between syllables. Prosodic aspects remain uncontrolled elements. If the rhythm section is identified at a sufficiently fast rate, the stressed syllable can be felt, but it has a tendency to increase in frequency, which does not occur in native French. Vowels that are in the last syllable of a phrase are often too long and rising. The sentence melody recalls an interrogative sentence. This is probably the sum of these non-pertinent « noises » that hampered our listeners. Progress can be made quickly through regular work materialized by listening exercises, flexible articulation for better flow and awareness of rhythm and accentuation of syntactic groups. Elements that emerge from this study should contribute to the creation of educational tools for our Thai learners. Keywords: Accent, accent, phonemes, acoustic phonetics, articulatory phonetics, tone, prosody, interference, transfer, amplitude, frequency, rhythmic groups. TABLES DES MATIÈRES 1. Introduction…………………………………………………………….……. 1 1.1. Buts…………………………………………………………………….…… 3 1.2. Hypothèses………………………………………………….………………. 3 1.3. Méthode…………………………………………………………………….. 4 2. Cadre théorique………………………………………………………………. 4 2.1. La notion de crible phonologique…………………………………………... 4 2.2. L’analyse contrastive……………………………………………………….. 5 2.3. Prononciation et intelligibilité……………………………………………… 6 3. Contexte………………………………………………………………………. 7 3.1. Les apprenants………………………………………………………………. 7 3.2. La langue thaïe…………………………………………………………….... 8 3.3. Comparaison des systèmes phonologiques………………………………… 10 3.4. Les aspects prosodiques…………………………………………………….. 15 3.5. L’apprentissage de l’écrit…………………………………………………... 16 4. Le premier corpus………………………………………………...………….. 18 4.1. Description…………………………………………………………………... 18 4.2. Echelle d’évaluation……………………………………………………….... 20 4.3. Analyse des résultats………………………………………………………... 20 4.4. Regroupement des difficultés articulatoires majeures………………...…….. 28 5. Le second corpus……………………………………………………………… 29 5.1. Description…………………………………………………………………... 29 5.2. Les auditeurs……………………………………………………………….... 30 5.3. Les outils de mesure………………………………………………………..... 30 5.4. Procédure d’analyse………………………………………………...……….. 31 5.5. Analyse…………………………………………………………………….... 32 5.6. Résultats et tendances générales…………………………………………….. 46 6. Conclusion…………………………………………………………………...... 47 7. Bibliographie et webographie………………………………….…………….. 49 1 1. Introduction Jacques Delors, qui fut le président de la Commission Européenne pendant de longues années, avait, disait-on, un « accent1 » français lors de ses interventions en anglais. S’il est vrai qu’un léger accent n’est sans doute pas un obstacle à l’intercompréhension, l’anglais, dont les nombreuses variantes ont habitué les locuteurs à une certaine « souplesse auditive », présente de fortes similitudes grammaticales et lexicales avec le français, ce qui peut compenser une articulation approximative. Même si, d’un point de vue de l’oralité, les deux langues révèlent des caractéristiques différentes, d’autres langues, comme le thaï, ont des propriétés inconnues des francophones et des anglophones. Ce sont ces caractéristiques particulières de la langue maternelle qui, lorsqu’elles sont reproduites dans la langue étrangère produisent cet accent : un ensemble de phénomènes acoustiques non-utiles, de nature phonémique ou prosodique2, qui selon leur importance vont diminuer l’intelligibilité du message. Apprendre une langue étrangère, c’est acquérir la capacité d’identifier des sons, des mots et aussi de les reproduire, ce que le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues définit comme « la compétence phonologique » (CECRL, 2005, p.91)3. Or, la maitrise de ces pratiques articulatoires nouvelles ne se fait pas naturellement ou sans effort. Les méthodes de didactique du FLE (français langue étrangère) ont alternativement concédé une place d’importance variable à la prononciation4 de la langue en cours d’apprentissage. Il ____________________________ 1 Dans l’usage courant, façon de prononcer indiquant une origine géographique, régionale ou étrangère. En phonétique, l’accent ou accentuation désigne la mise en relief sonore d’un son ou d’une séquence de sons au détriment des autres (en général une syllabe). L’accentuation présente différents aspects selon la langue. 2 Les éléments prosodiques constituent avec les phonèmes la forme sonore des langues. C’est la manière de dire, de gérer et de rythmer le débit de la parole. On qualifie d’éléments prosodiques tout ce qui est en dehors du segmental, à savoir : l’accentuation, le rythme et les pauses, et l’intonation (la mélodie). On peut considérer la prosodie comme un super système englobant l’organisation accentuelle, intonative et temporelle du lexique. 3 Le cadre commun de référence pour les langues (CECR ou CECRL) est l’aboutissement de dix années de recherches menées par des linguistes de 41 pays du Conseil de l’Europe et publié en 2001. Ce travail gigantesque a permis de mettre en place une harmonisation de la didactique des langues vivantes. Le Cadre constitue une approche totalement nouvelle et fournit une base commune pour la conception des programmes, l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation. Le CECR propose une échelle de compétences linguistique par niveaux, indépendamment de la langue enseignée. 4 Par prononciation on entend articulation mais aussi perception. Prononcer, c’est entendre et produire des sons et des faits prosodiques d’une langue. 2 semble que de nos jours, après une période de rejet venant de la méthode communicative, la tendance soit au retour de la pratique de la phonétique et de la prosodie en classe de français langue étrangère. À l’université de Khon Kaen, le français est enseigné depuis 1987. En juillet 2012, le nombre d’étudiants en majeure est de 224 personnes réparties en quatre classes. Ce sont de jeunes adultes de 17 à 22 ans, en majorité des filles. Les opportunités de parler français sont rares, car peu de francophones vivent à Khon Kaen et la région n’a pas d’attrait touristique particulier. Dans le cursus suivi, la classe de troisième année reçoit un apprentissage de la phonétique lors du second semestre. Par la suite, un cours optionnel de phonologie peut être suivi. Nous avons observé que malgré ces cours, des étudiants en quatrième année, avec une bonne connaissance de la grammaire et un vocabulaire satisfaisant, avaient des difficultés à être compris par des locuteurs natifs. Il apparaît également que ces personnes ont souvent peu conscience de la qualité de leur articulation et des effets de celle-ci. Il est même arrivé que presque rien des informations énoncées lors d’un exposé oral ne soit intelligible par un enseignant pourtant habitué à l’accent des apprenants. Il y a là quelque chose de troublant. Nous savons que la langue maternelle joue un rôle considérable dans la production orale par l’intermédiaire d’interférences et de transferts. Pour un français, il n’est pas très difficile de reconnaître et de s’adapter à l’accent d’un Anglais ou d’un Allemand. Nombreuses sont les caricatures qui nous ont habitués à ces accents. Mais de quelle nature sont les transferts du thaï vers le français ? Ces transferts sont-ils des obstacles importants à l’échange communicatif ? Quelles distorsions auxquelles nous sommes peu habitués risquent de mettre en péril l’échange verbal ? Les linguistes TARDIF et D’ANGLEJAN (1981) ont constaté qu’une prononciation de la langue cible fortement teintée des caractéristiques phonétiques de la langue maternelle pouvait constituer une source d’interférence ou de « bruit » dans le décodage psycholinguistique lorsque l’auditeur n’est pas familier avec cette prononciation. 1.1 Buts Le but principal de ce travail est de mettre en lumière la manière dont la langue thaïe, que nous appellerons dorénavant L1, influence la prononciation du français, que nous appellerons L3, l’anglais étant la L2. Par une analyse des « habiletés phonétiques productives » de nos apprenants, nous essayerons d’identifier et d’établir une hiérarchie des éléments qui constituent les obstacles principaux à l’intelligibilité en situation de communication orale. Nous tenterons d’évaluer le lien qui existe entre l’anglais et le français en tant que L2 et L3 et nous ne manquerons pas de souligner l’influence de l’écriture. 3 1.2 Hypothèses. Nous supposons que les particularités phonétiques et syntaxiques de la langue thaïe sont en grande partie responsables de ce conditionnement oral ; d’abord en anglais, puis en français. Il existe néanmoins des relations complexes entre les trois langues et une confusion évidente qui vient de la graphie de l’anglais et de l’écriture du thaï, langue dont les emprunts anglais, par ailleurs, sont nombreux. D’un point de vue phonologique, le français présente de plus grandes similitudes avec le thaï que l’anglais dont l’apprentissage semble poser quelques problèmes récurrents. Nous émettons l’hypothèse que les difficultés les plus importantes dans la production orale du français pour nos apprenants thaïlandais sont en grande partie de l’ordre du suprasegmental, qu’il s’agit davantage d’une accentuation irrégulière et d’une transition inappropriée entre les syllabes entraînant un manque de fluidité et de rythme des groupes syntaxiques. 1.3 Méthode La première partie porte sur le cadre théorique dans lequel nous nous plaçons pour notre analyse. Ensuite, nous décrirons les particularités du français et du thaï dans l’optique d’une analyse comparative des aspects segmentaux et suprasegmentaux avec quelques appréciations de l’anglais (L2). Puis l’étude expérimentale se déroulera en deux étapes : 1. Nous ferons une analyse segmentale de l’articulation des consonnes et des voyelles à l’aide d’un enregistrement venant d’un corpus de mots que nous avons choisis à partir d’une analyse contrastive des phonèmes de L1 et L3. 2. Nous testerons l’intelligibilité de la prononciation à l’aide d’extraits d’un second enregistrement soumis à des francophones vivant à Khon Kaen et n’ayant aucun rôle dans l’enseignement. Ce second corpus est une suite de stimuli verbaux allant de trois à seize syllabes issus d’enregistrements précédents. À partir des appréciations de nos « auditeurs », nous essayerons d’identifier les causes des insuffisances articulatoires et prosodiques. Cette dernière partie offrira sans doute quelques explications significatives des transferts de la langue maternelle tant du point de vue segmental que suprasegmental. Les notations phonétiques seront écrites dans l’alphabet phonétique international.5 _____________________________ 5 L’alphabet phonétique international (API) est un ensemble de caractères servants à écrire les sons du langage selon le principe qu’un son équivaut à un seul caractère écrit, quelle que soit la langue. C’est la seule norme servant à écrire toutes les langues du monde. Nous utiliserons la norme API du Petit Robert 2010. 4 2. Cadre théorique Selon Roman JAKOBSON, lorsqu’un enfant commence à parler, ses possibilités articulatoires, jusque-là conséquentes, se réduisent aux sons du système phonologique de sa langue maternelle, il perd ainsi une « aptitude naturelle » pour une « aptitude culturelle ». Parallèlement à l’acquisition des sons de sa langue maternelle, qu’il associera à du sens, c’est aussi le début d’un comportement auditif sélectif qui commence pendant l’enfance. 2.1. La notion de crible phonologique Chaque langue est constituée d’unités discrètes que nous appelons des phonèmes, mais ces derniers possèdent de nombreuses variantes combinatoires décrites par la phonétique. Dès les années 50, l’analyse acoustique de la parole indiquait que les formants des voyelles, qui caractérisent le timbre de la voix, étaient modifiés en fonction du contexte consonantique et donc que l’unité de base pour les études de développement de la synthèse vocale 6 ne pouvaient être que la syllabe. L’articulation d’une consonne peut-être, elle aussi, modifiée par une voyelle. En français, par exemple, la vélaire /k/, que l’on trouve dans le mot « cou », a une articulation palatale dans le mot « qui ». Le contexte, sans qu’il soit porteur de sens, a donc des manifestations acoustiques. Sans aucune connaissance en phonologie, un locuteur natif saura toujours distinguer ce qui dans un message oral produit par un autre natif est pertinent de ce qui ne l’est pas : il n’aura pas conscience que le /k/ de « cou » est différent de celui de « qui » car cette différence phonétique n’apporte rien de sémantique. Ce même locuteur natif, un tant soit peu averti, sera également apte à reconnaître des variantes libres, géographiques ou sociales comme l’accent du Midi ou le r roulé, tout en ayant conscience que ces phénomènes ne jouent pas un rôle distinctif. Toutes les manifestations sonores non pertinentes sont considérées comme « du bruit ». Lorsque le récepteur du message n’est pas un natif, est-il en mesure de faire abstraction de toutes les manifestations sonores non pertinentes ? Les entend-t-il davantage ? Pour lui, cela est-il du bruit ? Il y a donc un comportement sélectif, conscient ou non, dans l’attitude du récepteur. C’est donc dans la perception du message que se trouve ce tri sélectif. TROUBETSKOY (Principes de phonologie, trad. française : 1964) a parlé de « crible phonologique » dès 1939. Ce crible serait une sorte de filtre qui ne laisserait passer que les traits phoniques pertinents d’une langue. Tout comme la gymnastique articulatoire _____________________________ 6 Technique informatique qui permet de créer de la parole artificielle à partir d’un texte. 5 spécifique à une langue donnée, qui finalement est assez limitée au regard des capacités articulatoires de l’être humain, notre attitude réceptive est, elle aussi, soumise à une sorte de « posture » qui traduirait les signes verbaux de la parole en catégories fonctionnelles. De plus, ce crible spécifique à chaque langue, rend le récepteur « sourd » aux catégorisations opérées par une autre langue que la sienne et que dans le cas de l’apprentissage d’une langue étrangère, c’est le résultat de ce passage au crible qui produirait les accents étrangers. Concrètement, nos erreurs de prononciation viennent du fait que nous ne savons pas, du moins au début d’un apprentissage, reproduire un son qui nous est inconnu et que nous allons chercher celui qui nous semble le plus proche dans notre système phonologique. C’est à partir des notions de crible et de surdité phonologiques que, dès 1952, Petar GUBERINA, chercheur à l’Institut de Phonétique de Zagreb, a établi les principes de la théorie verbotonale, fondée sur la correction auditive de malentendants. Aujourd’hui encore, ces principes sont utilisés dans la correction phonétique en apprentissage d’une langue étrangère. Dans le cadre de l’apprentissage du français pour des étudiants thaïlandais, nous pensons que le champ de ce crible ne se limite pas à la phonologie mais qu’il englobe également tous les aspects suprasegmentaux de la langue de l’apprenant et qu’en retour, lorsque cet apprenant s’exprime oralement, il produit un message associé à des bruits « non identifiés » par un francophone non initié. 2.2. L’analyse contrastive Aux Etats-Unis d’Amérique, c’est l’analyse contrastive développée par LADO dans « Linguistics Across Culture (1957), qui a évoqué la notion de transfert et d’interférence. L’analyse de Lado cherchait à démontrer qu’en faisant la description et la comparaison de la langue maternelle et de la langue cible, on pouvait prévoir les structures qui poseraient des problèmes, ce qui semble être du bon sens. Par la comparaison des deux langues, tant du point de vue de la grammaire, du lexique ou de la prononciation, on pouvait lors de l’apprentissage de L2 supprimer l’enseignement de schémas similaires tandis qu’il serait nécessaire de porter une emphase sur les différences. Dans les années 70, on critiqua beaucoup cette idée, car toutes les erreurs en L2 ne pouvaient s’expliquer par des transferts. Néanmoins, c’est dans le domaine de la phonologie que les prédictions de la linguistique contrastive fonctionnent le mieux. Les recherches de FLEGE, la notion de similarité (1987), tendent à montrer que l’apprenant n’aurait pas de difficulté avec l’acquisition des sons de L2 très différents de ceux de L1, alors que des sons proches seraient plus difficiles à assimiler. 6 Nous reparlerons plus tard de cette idée, car elle nous semble intéressante dans le cas du thaï L1 et du français L3. De nos jours le rôle important des transferts de la langue maternelle est reconnu par une grande partie des chercheurs. Les didacticiens, quant à eux, ont comparé les systèmes des langues en situation d’enseignement-apprentissage, de manière à identifier et à analyser les erreurs. Dans notre cas, il ne fait aucun doute que des transferts importants s’opèrent non seulement entre L1 et L3 mais aussi entre L2 (anglais) et L3. Enfin, on distingue aujourd'hui les interférences du premier degré, par calque de la langue, et les interférences du second degré qui se situent à une échelle plus grande, d’ordre cognitif et culturel. Notre étude ne porte pas sur ce dernier aspect, qui relève davantage de sociolinguistique. 2.3. Prononciation et intelligibilité L’intelligibilité se définit comme ce dont on peut saisir aisément la signification, que l’on peut comprendre sans difficulté. Aucune langue ne possède toutes les propriétés articulatoires d’une autre. Qui veut apprendre à parler une langue étrangère devra donc maitriser un ensemble de nouvelles pratiques articulatoires. C’est la qualité de la production des unités distinctives et de leurs combinaisons, des structures syllabiques, des jonctures, de l’accentuation, de l’intonation et du rythme qui va produire du sens. Plus cette articulation sera proche de celle du natif plus l’intelligibilité sera grande. Tout défaut de l’émission et toute altération lors de la transmission risquent de réduire l’intelligibilité du message si les éléments phoniques détériorés rendent impossible la reconstitution de ce message. L’intelligibilité n’est pas facile à évaluer, car elle dépend de plusieurs facteurs comme l’habitude qu’à un natif avec tel autre locuteur non natif, les connaissances de la langue de l’autre, mais aussi de la disposition psychologique à accepter un certain nombre d’erreurs qui sous-entend un effort de concentration supplémentaire. Que dit le CECR ? On ne peut pas dire que le CECR (CECRL, 2005, p.92) soit très précis dans le domaine de la compétence phonologique. Pour le niveau A1 : la prononciation d’un répertoire très limité d’expressions et de mots mémorisés est compréhensible avec quelque effort pour un locuteur natif habitué aux locuteurs du groupe linguistique de l’apprenant / utilisateur. Il n’est donc pas nécessaire de se faire comprendre auprès de natifs non-habitués pour obtenir un niveau A1. À partir du niveau B1, la prononciation doit être clairement intelligible, même si un accent étranger est quelquefois perceptible et si des erreurs de prononciation proviennent occasionnellement. 7 3. Contexte Apprendre à parler une langue peut quelquefois nous sembler être un défi. S’imaginer devoir écouter, comprendre et communiquer avec un étranger peut être séduisant ou stressant. On peut avoir parfois l’impression de se mettre en scène, de ne plus être soimême en adoptant un comportement différent et en utilisant d’autres repères sociolinguistiques. Le texte reste un contact indirect non soumis au temps et à la spontanéité qu’un échange oral impose. Lorsque nous sommes en contact direct avec un natif, il n’est pas toujours facile de se concentrer simultanément sur le vocabulaire, la grammaire, la prononciation et l’attitude corporelle et culturelle à adopter, sans avoir le temps de préparer quoi que ce soit. C’est ceci qui peut-être angoissant, car l’échange oral demande une réactivité immédiate et fait appel à toutes les compétences linguistiques. En Thaïlande, il ne fait aucun doute que les examens de langue étrangère que redoutent le plus les étudiants sont les examens oraux et individuels face à leur professeur locuteur natif. 3.1 Les apprenants Les apprenants sont tous de nationalité thaïlandaise et ont été scolarisés depuis l’âge de cinq ans ou plus tôt. Leur langue maternelle n’est pas toujours le thaï, appelé aussi siamois, langue officielle du pays et parlée dans la plaine centrale et en milieu urbain. Khon Kaen se trouve dans le Nord-est, une région comprenant dix-neuf changwat, équivalents de nos départements. Dans cette région peuplée de plus de vingt millions d’habitants, on parle différentes langues régionales qui, pour la plupart, sont à rapprocher du laotien qui est aussi une langue de la famille des langues Tai-Kadai. La majorité de nos étudiants viennent de cette région et ont grandi en entendant une langue à la maison et une autre à l’école, si l’on veut considérer qu’il s’agit là de langues différentes bien qu’elles présentent de fortes similitudes. Il existe aussi quelques minorités qui utilisent des parlers locaux appartenant à la famille des langues Môn-khmères. Enfin, quelques étudiants viennent de Bangkok. Issu d’une longue volonté d’unification nationaliste datant des années 40, la seule langue diffusée à l’école est le thaï. Pour ce qui est de cette étude, et étant donné que tous les apprenants maîtrisent la langue officielle, seule langue écrite, nous ne considérerons pas une situation de départ différente entre nos étudiants dans l’apprentissage du français. La première langue étrangère apprise est l’anglais. Tous ces étudiants ont commencé leur apprentissage au cours préparatoire, certains à l’école maternelle. En ce qui concerne le français, la plupart ont suivi des cours au lycée, en Mathayom 4, 5 et 6, ce qui équivaut en 8 France aux trois années précédant le Baccalauréat. Il est important de signaler que les conditions de l’enseignement du français ne sont pas souvent idéales, si bien que ces élèves arrivent à l’université avec un niveau de faux débutants. 3.2 La langue thaïe, L1. Le thaï est une langue isolante (ou analytique) par opposition aux langues flexionnelles, comme le français et l’anglais. Elle ne présente aucune flexion de ses classes grammaticales, l’expression du genre, du nombre ou du temps se faisant par ajout d’un mot supplémentaire. En thaï, la plupart des mots ont une seule syllabe, qui, par le processus de composition, produisent des morphèmes polysyllabiques. Certains morphèmes libres utilisés comme termes génériques sont proches de nos préfixes. Depuis le début du XXe siècle, sous l’influence de la Grande-Bretagne, puis des Etats-Unis d’Amérique, de nombreux mots anglais sont entrés dans la langue thaïe. La prononciation de ces mots est souvent dépendante de la manière dont ils ont été transcrits dans l’alphabet thaï. Bien souvent, l’origine de ces mots n’est plus identifiable tant leur prononciation est différente de celle du mot anglais, même quand il s’agit de noms propres. Par ailleurs, cet ensemble de mots, dont l’orthographe est parfois difficile, a quelque peu modifié les correspondances graphèmes phonèmes, surtout chez les jeunes, sensibilisés à l’anglais dès le plus jeune âge. Le thaï est une langue polytonale. Les tons7, au nombre de cinq, se manifestent par une variation de la hauteur de la voix. Ce ne sont pas des expressions des sentiments ou des accents contrastifs, il s’agit de variables distinctives du point de vue lexicologique. Ainsi le mot ปู /pu:/ (prononcé sur le ton moyen) veut dire « crabe » tandis que ปู่ /pù:/ (prononcé sur le ton bas) veut dire « grand-père paternel ». De nombreux occidentaux qui tentent quelque peu d’apprendre le thaï sont déroutés par ce système tonal. ____________________________ 7 Un ton (ou tonème) est une variation de la hauteur d’une syllabe qui a une valeur distinctive dans les langues tonales. Bien que considéré comme suprasegmental, un ton n’en demeure pas moins très proche d’un phonème. Il ne doit pas être confondu avec l’accent tonique qui ne peut pas produire une paire minimale. 9 Spectrogramme des tonèmes du thaï proposés sur un site web 8 De gauche à droite, articulation des mots : ปา /pa:/, ป่ า /pà:/, ป้ า /pâ:/, ป๊ า /pá:/ et ป๋ า /pǎ:/ Le ton égal-moyen, que nous ne marquons pas graphiquement /pa:/ (lancer) Le ton bas que nous marquons d’un accent grave /pà:/ (bois, forêt) Le ton descendant avec un accent circonflexe /pâ:/ (tante) Le ton haut avec un accent aigu /pá:/ (papa) Le ton montant que nous marquons d’un accent circonflexe renversé /pǎ:/ (homme aisé et âgé) La phonétique auditive a démontré que ce que l’oreille percevait ne correspondait pas à la réalité sonore analysée par la phonétique acoustique 9. Il va de soi que le cerveau traite l’information sonore de manière sélective et subjective. Il n’est donc pas surprenant d’entendre des occidentaux dire qu’ils n’entendent pas de différence sonore entre les deux mots /pu:/ et / pù:/ (crabe et grand-père) cités plus haut, ce genre d’opposition n’existant pas dans leurs langues maternelles. Des spécialistes qui étudiaient le comportement de Français en cours d’apprentissage de l’anglais et qui n’entendaient pas l’accent lexical (stress en anglais) ont parlé de « surdité accentuelle ». Dans notre cas nous pourrions la nommer « surdité tonale ». Imaginons maintenant l’apprentissage d’une langue étrangère par un natif thaï, en reprenant l’idée de crible phonologique, et sans oublier qu’une voyelle est toujours accompagnée d’un des cinq tons, il est prévisible que chaque syllabe de la L2 et de la L3 sera « criblée », c’est-à-dire traduite dans une des cinq formes tonales. Il faut également se poser la question de l’intensité liée aux tons. Il semble raisonnable de penser que le ton descendant et le ton montant demandent une plus grande énergie articulatoire que le ton égal-moyen et le ton bas. Ces habitudes articulatoires ont sans aucun doute une influence non négligeable sur la prononciation de la langue étrangère. ____________________________ 8 9 http://slice-of-thai.com/tones/#intro La phonétique acoustique décrit les paramètres acoustiques des unités vocales qui sont la fréquence, mesurable en cycles/seconde (cps), ou Hertz (Hz), l'amplitude, dont l'unité relative est le décibel (dB), la durée, calculée en centièmes (cs), ou millièmes de seconde (ms) et le timbre, dont les composants sont appelés formants F1, F2, F3, F4. Divers appareils, comme l'analyseur de mélodie, l'oscillographe, le spectrographe, permettent ainsi de déterminer s'il s'agit de sons aigus ou graves, compacts ou diffus, forts ou faibles, longs ou brefs. 10 3.3 Comparaison des systèmes phonologiques de L1, L3 et L2 Le système phonologique du thaï comporte 21 phonèmes consonantiques, 18 phonèmes vocaliques et 6 diphtongues. Pour la représentation phonologique des consonnes, nous avons choisi le tableau proposé par M. Gilles DELOUCHE, Professeur des Universités à l’Institut National de Langues et Civilisations Orientales (INALCO) dans sa Méthode de thaï, Volume 1, 1994 à la page LP.3 Occlusives sourdes Occlusives sonores Non- Aspirés Nasales Latérales Vibrantes Sifflantes Semivoyelles aspirés h Glottales Vélaires k kh Palatales c ch ŋ j l Cérébrales Dentales d t th s n f Labiodentales Bilabiales r b p ph m w Les cases dont le fond est gris indiquent un phonème ne pouvant apparaître en position finale. Nous voyons donc que seulement dix phonèmes peuvent se trouver dans cette position : / /, /k/, /p/, /t/, /n/, /m/, /ŋ/, /j/ et /w/. Ces finales, en particulier les occlusives, sont articulées très légèrement et par conséquent sont à peine audible pour une oreille non exercée. Dans ce tableau, nous remarquons immédiatement les oppositions entre les consonnes non-aspirées et aspirées pour cinq couples d’occlusives sourdes. La glottale sourde aspirée /h/, quelquefois reconnue comme fricative sourde dans différentes études, ne perd en rien son opposition avec la glottale non-aspirée. Compte-tenu du fait que l’aspiration - qui est en réalité une expiration - est distinctive, on comprendra que le volume d’air expiré soit important. Nous remarquons également que les aspirées sont représentées à juste titre par le symbole /h/ et non par un h en exposant /-h / comme on le trouve souvent dans les manuels de thaï anglo-saxons et qui indiquerait une aspiration légère et donc insuffisante pour être distinctive. Ce détail n’est pas sans importance pour cette étude. 11 Pour comparer les systèmes phonologiques des langues qui nous intéressent, nous avons intégré dans un même tableau les phonèmes consonantiques des deux langues. Bien que d’autres proposent un tableau présentant le point d’articulation de manière verticale, nous l’avons gardé sur un plan horizontal, ce qui, selon nous, permet une meilleure lisibilité comparative de gauche à droite. Occlusives Nasales Latérales Fricatives Vibrantes Semivoyelles Sourdes Non- Sonores Aspirés Sourdes Sonores aspirés Glottales h Uvulaires R Vélaires k kh Palatales c ch g ŋ G Alvéolaires Dentales j l t th d n Labiodentales Bilabiales p ph b H j s z f v r m w V - Sur fond gris foncé, les 8 phonèmes qui n’existent pas en thaï. Nous pouvons ainsi prévoir les difficultés de prononciation suivantes : 1. La sonorité de l’occlusive vélaire /g/ et de trois fricatives /j/, /z/ et /v/. 2. La fricative sourde alvéolaire /H/ et la nasale palatale /G/. 3. La vibrante uvulaire /R/ et de la semi-voyelle /V/. - Sur fond gris clair, les cinq phonèmes communs aux deux langues, mais qui ne peuvent pas se trouver à la finale en thaï : /d/, /b/, /l/, /s/ et /f/ 10 ______________________ 10 Nous ne connaissons pas d’étude sociolinguistique sérieuse concernant l’influence du nombre toujours croissant de mots empruntés à l’anglo-américain sur la prononciation du thaï. Les étrangers qui parlent thaï quotidiennement auront certainement observé qu’il y a une forte tendance chez les jeunes à articuler les finales de ces mots comme en anglais : กอล์ฟ /kO:f/ (golf), แก๊ส /kεs/ (gaz), โก ้ช /kotH/ (entraîneur). 12 Nous anticipons une prononciation difficile de /l/, /s/ et, dans une moindre mesure, /d/ et /f/ en finale, considérant que la fréquence orale des consonnes du français en pourcentage est la suivante 11 R l s H t k p d m n v f 6,9 6,8 5,8 4,9 4,5 4,5 4,3 3,5 3,4 2,8 2,4 1,3 … Les mots français qui se terminent par une syllabe fermée du type –VCC comme « vendre », « perle », « maigre » ou « câble » poseront probablement des problèmes. Description des voyelles thaï Fermées Mi fermées Mi ouvertes Ouvertes antérieures i e ε centrales i ɘ postérieures u o O a Il existe également trois diphtongues : /ia/, /ia/ et /ua/. Chacune des voyelles et des diphtongues possède une variante longue et une variante brève. français Fermées Mi-fermées Mi-ouvertes Ouvertes antérieures i y e ø ε œ centrales ə* postérieures u o O a * Les centrales [ɘ] et [ə] (cette dernière identifiée comme intermédiaire entre mi fermée et mi ouverte par l’API) sont des sons trop proches pour être distinctifs. Le français possède donc trois voyelles orales supplémentaires : /y/, /ø/ et /œ/ toutes trois labialisées, auxquelles il faudra rajouter les trois nasales indispensables : /C/12, /B/ et la nasale arrondie /I/. Il n’y a pas de diphtongue en français. ________________________ 11 Bernadette GROMER et Marlise WEISS : Lire, tome 1 : apprendre à lire. Armand Colin 1990 12 Pour [C] et [œ̃ ], le nouveau Petit Robert 2010, dans sa préface, page XXIX, précise que « Cette évolution (…) à envisager comme de possibles homonymes des mots qui ne se distinguant que par les voyelles [C] et [œ̃ ], prononcés de façon identique par beaucoup de Français (ex : brin et brun). 13 Distribution comparée des semi-voyelles / w / et / j / dans une syllabe. Nous rappelons que /V/ n’existe pas en thaï. /w/ Initiale En deuxième position Finale après une consonne Français rare oui, cacahuète fréquente inexistante louis, quoi, soie, jouer, douane, moine, froid Thaï /j/ fréquente Initiale rare : seulement après fréquente : suit une voyelle ou /k/ et /kh/ กว่า, ขวา une diphtongue En deuxième position Finale après une consonne Français fréquente fréquente peu fréquente hier, yaourt, cueillir, bien, avion, ciel, fier, fille /-ij/, feuille moyen, fouiller, plusieurs, pied, viaduc /-œj/, soleil /-εj/, détail /-aj/, payer, prier*, nouille /-uj/ oublier* Thaï fréquente inexistante fréquente après les voyelles /u/, /ə/, /o/, /a/, /O/, et /ua/ * Après deux consonnes à l’initiale le /i/ termine la syllabe tandis que le /j/ est initiale de la suivante comme dans /pRije/ (2 syllabes) ou /ublije/ (3 syllabes). Il nous semble raisonnable de prévoir que lorsque les semi-voyelles /j/ et /w/ se trouvent en deuxième position immédiatement après une consonne initiale, elles seront plus difficiles à prononcer. De plus, en position finale les groupes /-ij/, /-œj/, /-εj/ n’apparaissent pas dans la langue des apprenants. Structure de la syllabe - En français, de nombreux mots commencent par une combinaison de consonnes (CCV), en particulier avec r ou l en deuxième position : prendre, croire, brûler, grand, pleuvoir, slogan, glace, etc. Plus rarement, ces groupes de consonnes sont articulés en finales (dans 14 des mots isolés qui se terminent par une syllabe fermée) 13 : votre, battre, couple, poivre, etc. - En thaï, aucune combinaison de consonnes n’apparait en position finale dans une syllabe. À l’initiale, elles se limitent à ce tableau 14 : r l w k kr kl kw kh khr khl khw t tr p pr pl ph phr phl Ce tableau résume les combinaisons possibles de l’écriture. Dans la langue parlée, le /r/ est très souvent prononcé comme un /l/ quelle que soit sa position. Le /l/ qui apparaît en deuxième position est souvent inexistant dans la prononciation, ปลา (poisson) est prononcé /pa:/ Un mot sur l’occlusive glottale / / En thaï, la fermeture brutale de la glotte, appelée arrêt glottal ou « coup de glotte » est utilisé de deux manières : - lors de la phonation d’une voyelle qui doit être brève, car la longueur de la voyelle, nous ne l’oublions pas, est pertinente. - lorsqu’un mot commence apparemment par une voyelle, cette voyelle est précédée d’une fermeture glottale, ce qui a pour incidence d’empêcher toute forme de liaison et d’enchaînement. En principe, les nombreux enchaînements vocaliques du français ne pourront phonologiquement se faire que dans les rares cas qui correspondent à une diphtongue du thaï. Par exemple lorsqu’on dit : Où allez-vous ? /ualevu/ (-ua-) ou encore dans « Rémy a une sœur » /RemiaynsœR/ (-ia-). Quelques considérations sur le système phonologique de l’anglais L2 Nos étudiants ont tous commencé l’apprentissage de l’anglais dès leur entrée à l’école primaire. La langue anglaise possède de nombreuses variantes géographiques. En Thaïlande un grand nombre de professeurs d’anglais confirmés ont fait leurs études de troisième cycle aux Etats-Unis d’Amérique, partenaire économique, diplomatique et _____________________________ 13 En réalité un mot qui se termine par un e muet, sera enchainé au mot suivant si ce dernier commence par une voyelle (votre + ami /vO tRa mi/) Cet enchainement produit une syllabe ouverte. Si le mot suivant commence par une consonne le e muet sera prononcé /vO tRə by ro/ 15 14 Gilles DELOUCHE, Méthode de thaï, Volume 1, 1994 à la page LP.4 militaire considérable, et surtout perçu comme « le » modèle de développement de référence. L’anglo-américain possède un système phonologique de 42 phonèmes dont 24 consonnes et 18 voyelles incluant sept diphtongues. Huit consonnes et semi-voyelles sont inexistantes en thaï parmi lesquelles on en trouve 5 communes au français et à l’anglais : /g/, /H/, /j/, /z/ et /v/. La langue anglaise est enseignée à l’école pendant neuf années avant de commencer l’apprentissage du français, en conséquence, il nous est permis de penser que l’articulation correcte de ces phonèmes ait progressé. Concernant les finales, l’anglais compte un nombre important de syllabes fermées par la fricative /s/ (notamment le pluriel des noms) mais aussi des syllabes terminées par /l/, /d/ et /f/. Compte-tenu de nos constats antérieurs, seules les consonnes /R/ et /G/ et la semi-voyelle /V/ sont réellement nouvelles. En ce qui concerne les voyelles, les apports de l’anglo-américain ne sont en rien utilisables pour l’apprentissage du français. Nous conservons donc nos trois voyelles antérieures labialisées : /y/, /ø/ et /œ/ et les trois nasales indispensables. Ce qui fait un total de neuf phonèmes nouveaux parmi les 34 requis. 3.4 Les aspects prosodiques. Il est probable que les apprenants auront tendance à articuler les syllabes avec un des cinq tons de leur langue. Une oreille francophone sera particulièrement sensible aux manifestations du ton descendant et du ton montant. Il existe des études qui portent sur le système tonal du thaï, malheureusement, elles donnent peu d’indications sur les aspects de l’intonation et du rythme. En 1979, Arthur S. ABRAMSON s’interrogeait sur la manière de manifester des sentiments ou de marquer une emphase sur une partie de la phrase (accent contrastif) dans une langue à tons comme le thaï. Il observe alors qu’il n’y a pas d’intonation de phrase proprement dite, et qu’il y a deux sortes d’équivalence : d’une part, les manifestations de l’émotion se concrétisent par l’emploi de particules finales, surtout dans la langue courante et d’autre part que pour marquer l’accent contrastif, les syllabes sont accentuées sans toutefois compromettre le contraste tonal qui doit rester phonémique. Nous ajouterons que, comme le thaï est une langue qui se veut euphonique, des redoublements de mots sont couramment utilisés pour marquer une emphase et que la langue possède par ailleurs un registre d’interjections conséquent. En comparant le français à d’autres langues européennes comme l’anglais, l’italien et l’espagnol, certains chercheurs ont conclu que le français n’avait pas d’accent. Toutefois, la majorité des auteurs s’accorde à dire que la dernière syllabe d’un groupe rythmique se 16 distingue des autres par un allongement. Il ne s’agit pas d’un accent lexical comme en anglais (le stress) qui se trouve le plus souvent sur la première syllabe des mots. Les manifestations du rythme se font par les groupes syntaxiques en français tandis qu’en anglais, la syllabe accentuée sert de référence au rythme et c’est pour cette raison que certaines syllabes de l’anglais ont une durée très courte et nous semblent inaudibles. Nous présumons que des interférences complexes sont à prévoir entre une langue 1 avec un système de tons, dont deux, par la variabilité de leurs fréquences dans le temps, se manifestent par un volume plus important, une langue 2 sans ton mais qui possède une accentuation de mots et de phrase et une langue 3 qui au regard de son absence d’accent lexical et de la régularité de ses syllabes, parait tout à fait uniforme, voire plate. L’anglais et le français possèdent cependant plusieurs intonations de phrase. 3.5 L’influence de l’écrit. L’alphabet thaï et l’alphabet latin15 sont appris en même temps, en général dès l’école maternelle. Par mimétisme, on a donné un nom à chacune des lettres de l’alphabet latin, en général le nom d’un animal ou d’un objet courant qui commence par cette lettre (Ant pour A, Bird pour B, etc.). On trouve ce type d’affiche dans presque toutes les écoles primaires. Pour chaque lettre, on y voit la majuscule, la minuscule, et près de celle-ci une transcription thaïe de la prononciation de la lettre, un petit dessin représentant le nom de la lettre, le nom de l’animal en anglais, une transcription thaïe de la prononciation de ce mot et sa signification en thaï. Il semble donc que la prononciation de ces mots ne puisse se faire que par l’intermédiaire de l’alphabet thaï… ainsi, le [g] est remplacé par le [k], goat [gəʊt] devient โกท [kot] et le [v] est remplacé par [w], van [væn] devient แวน [wε:n]. ______________________________ 15 En Thaïlande, tout le monde connaît les chiffres arabes, mais mis à part quelques lettrés, on ne connaît pas l’alphabet latin, couramment appelé อักษรอังกฤษ (alphabet anglais). Sur des formulaires de l’administration, on trouve ceci : เขียนชือเป็ นภาษาอังกฤษ ce qui veut dire : « écrivez votre nom en anglais ». Les nombreux mots étrangers ont été transcrits ou translittérés au fil du temps selon plusieurs techniques mais il semble que chaque lettre de l’alphabet latin ait un équivalent graphique en thaï, selon un principe d’intuitivité de la prononciation de l’anglais et que ces équivalences graphiques soient mémorisées. 17 Nous n’oublions pas que l’alphabet latin, qui fut inventé pour écrire le latin, est utilisé aujourd'hui pour écrire plus de 100 langues dans le monde, mais que chaque langue dispose de son propre code de lecture. Dans les années 1950, LADO avait évoqué la question de la lecture dans l’apprentissage d’une langue étrangère. Il s’agissait d’interférences graphiques entre une L1 et une L2 toutes deux écrites avec l’alphabet latin. Dans notre cas, nous pourrions avoir une influence de la graphie anglaise dans la prononciation du français, d’autant plus qu’un grand nombre de mots anglais empruntés au français ont gardé la même orthographe. On comprend qu’il ne sera pas facile pour un apprenant thaï de se détacher de « l’alphabet anglais » pour lire le français d’autant plus que l’anglais, encore plus que le français, est sans doute la langue dont la relation phonèmes-graphèmes est la plus instable et dans cette situation on doit faire le choix d’un apprentissage phonétique très tôt ou celui, plus économique, de la « transcription phonologique adaptée » comme indiqué sur les images cidessus. L’écriture du français en thaï peut aussi influencer la prononciation. Il existe un certain nombre de manuels d’apprentissage du français dans le commerce qui n’ont trouvé comme seul moyen d’enseigner la prononciation du français que de l’écrire en thaï. Nous comprenons facilement la déformation que cette « méthode » peut engendrer. « Bonjour monsieur » [bI juR me sjø] devient บงจูมงชเี อิอ, c’est-à-dire [boN cu: moN si ə:] … Nous n’utilisons pas ce genre de manuel pour enseigner le français dans notre faculté. 18 4. Le premier corpus Le but recherché de cette expérience est de mesurer l’aptitude des apprenants à reproduire oralement les mots de la L3 qu’ils ont entendus. Nous avons donc écarté toute forme de lecture pour éviter que la graphie n’intervienne dans le processus. Ce sont donc des mots préalablement enregistrés à l’aide du logiciel de son Audacity que nos apprenants devaient répéter. Un premier enregistrement du corpus a d’abord été fait sur une piste, dans une pièce calme, la voix est celle d’un locuteur natif et tous les mots sont articulés clairement avec un volume sonore confortable. Ensuite, les voix de 51 étudiants de deuxième année ont été enregistrées sur une deuxième piste à l’aide d’un casque et d’un microphone dans une pièce calme, entre 18 heures et 22 heures. Aucun document écrit n’était à leur disposition. Sept étudiants étaient absents. 4.1 Description Le corpus regroupe 165 items sur un espace sonore de 9 minutes et 45 secondes, soit un peu plus de 2 secondes pour écouter et répéter chaque item. Les mots d’une syllabe sont au nombre de 126, ceux de deux syllabes 37 et deux ont trois syllabes. Bien que nos étudiants connaissent plus de la moitié de ces mots, peu de temps leur était donné pour les identifier. Ils avaient d’ailleurs pour consigne de répéter le mieux possible ce qu’ils entendaient sans chercher à comprendre le sens des mots. Afin de mieux les préparer à la tâche qu’ils allaient accomplir et de leur donner confiance, quatre mots supplémentaires ne présentant aucune difficulté pour eux, ont été ajoutés au début de l’enregistrement (ma, mot, mie, mou), ils ne font pas partie du corpus. Le principe de base est de ne proposer qu’une seule difficulté phonétique par item 16. Nous n’avons pas tenu compte des phonèmes de la L2 pour le choix des items. Ce corpus présente une liste de mots organisés de la manière suivante : 1. Les phonèmes consonantiques que la L1 ne connait pas : /g/, /R/, /G/, /H/, /j/, /z/ et /v/ d’abord en position initiale d’une syllabe puis en position finale si cela est possible. Ces mots comportent tous des voyelles qui existent dans la L1 et y figurent dans cet ordre : /a/, /ε/, /e/, /i/ (antérieures), puis /O/, /o/ et /u/ (postérieures). 2. Les semi-consonnes du français à l’initiale et à la finale pour [j] ____________________________ 16 Quelques rares items (comme le mot campagne) présentent deux difficultés (/B/ et /G/). Dans ce cas l’évaluation ne porte que sur l’une d’entre-elles. 19 3. Les consonnes et semi-consonnes [R], [l], [w], [j] et [V] en deuxième position après les phonèmes /b/, /p/, /d/, /t/, /k/, /f/, /g/ et /v/ dans la mesure du possible. 4. Les finales de syllabes constituées de phonèmes qui n’apparaissent qu’à l’initiale en thaï : /d/, /b/, /l/, /s/ et /f/. 5. Les phonèmes vocaliques qui n’existent pas en thaï : /œ/, /ø/, /y/, /C/, /B/ et /I /. 1. Consonnes absentes du thaï. [g] gars gai [R] rat [G] signer [H] chat [j] Jacques [z] Zaza [v] va Guy raie riz gomme roue mare mignonne chez zéro vais vos fatigue pire encore joue page gaz vous parler partir campagne bâche pèche gilet sixième bague mer peigne chaud chou j’aime goût seize avec niche douche neige orange balise cave élève mariage japonaise active mauve 2. Les semi-consonnes du français [j] yoyo taille soleil conseil [w] oui oiseau [V] huit gentille œil fauteuil douille nouille oisif huile 3. Les consonnes et les semi-consonnes en deuxième position [-R-] bras [-l-] près prix gras gris grotte blé plate plaie classe moi loi [-w-] bois [-j-] brique drap groupe quoi miette ciel panier [-V-] nuage tuer nuit maigre clé fouet craie cri frais frite vrai flou miauler depuis trop tigre flic souhait pied lui travail glace louer Dieu glisser Louis monsieur oublier fuite 4. Les finales absentes en thaï [-d], [-b], [-l], [-s] et [-f]. laide douce coude canif lobe belle malle bol facile masse baisse noces touffe 20 5. Les voyelles absentes : [œ], [ø], [y], [C], [B] et [I] jeune sœur bœuf neuf cœur peur nœud meut queue peu feu jeudi du lu bu connu bureau fumée main bain pain teint ment banc paon temps sans fend mon bon pont ton fond saint son fin 4.2 Echelle d’évaluation Pour apprécier la prononciation des items de notre cursus, nous nous sommes basés sur l’échelle de Sharon LAPKIN (1985), Professeur de français Emérite de OISE (Ontario Institute for Studies in Education) au Canada. Cette échelle très simple a pour avantage de prendre en compte la prononciation des sons sans tenir compte des faits prosodiques. Elle propose quatre niveaux : 0 = faible beaucoup d’erreurs, fort accent. 1 = moyenne quelques erreurs, accent moyen. 2 = bonne peu d’erreurs. 3 = excellente sans accent, comme un locuteur natif Cette échelle est utilisée pour des énonciations imitatives de groupes de mots qui ont souvent plus de cinq syllabes. Pour cette raison nous avons adapté cette échelle comme ceci : 0 = incompréhensible. 1 = prononciation avec un accent mais compréhensible ou prononciation d’un mot pouvant constituer une paire minimale avec le mot de référence. 2 = prononciation satisfaisante. 4.3 Analyse des résultats Nous avons donc écouté chacun des 51 enregistrements composés de 165 items pour donner une appréciation de 0, 1 ou 2. Pendant l’enregistrement, tous les apprenants ont fait un effort de concentration, le contexte du logiciel, du casque, du micro et de l’isolement y sont probablement pour quelque chose. Nous avons aussi remarqué que lorsqu’il y avait des séries, après quelques rares silences et quelques hésitations, la prononciation s’améliorait sensiblement. Le détail des résultats se trouve sous forme de tableaux dans l’ordre chronologique de l’écoute. 21 T0 indique le total des apprenants ayant obtenu l’appréciation 0 pour un item / 51. T1 indique le total des apprenants ayant obtenu l’appréciation 1 pour un item / 51. T2 indique le total des apprenants ayant obtenu l’appréciation 2 pour un item / 51. La moyenne T2 en % = (somme de T2 x 100) : (Nb d’items x 51) Les consonnes [g] Initiale ou finale de syllabe T0 T1 T2 gars 29 18 4 gai 24 23 4 Guy 27 20 4 gomme 24 22 5 [g-] : moyenne T2 = 9 % goût 13 32 6 bague 10 25 16 fatigue 2 29 20 [-g] : moyenne T2 = 35 % La prononciation de ce phonème n’est pas satisfaisante. Quand nos apprenants entendent le mot « gars » après les quatre mots de préparation (ma, mot, mie, mou), peu sont capables d’identifier le phonème [g], souvent prononcé [k] mais aussi [ŋ], [G], [m], ou [n]. Il y a sans doute une confusion entre voisement et nasalisation. 32 personnes sur 51 ont prononcé « cou », cinquième mot de la série, à la place de « goût ». On peut donc dire qu’après quelques tâtonnements, leur choix a porté sur la vélaire sourde. En ce qui concerne [g] en position finale, l’articulation semble meilleure, probablement parce qu’elle est portée par une voyelle allongée. Néanmoins, la moitié d’entre eux prononcent « bac » pour « bague ». [R] Initiale ou finale de syllabe T0 T1 T2 rat 1 6 44 raie 1 6 44 riz 0 6 45 roue 1 7 43 [R-] : moyenne T2 = 86 % mare 0 3 48 mer 0 2 49 pire 1 5 45 encore 0 6 45 parler 0 8 43 partir 0 10 41 [-R] : moyenne T2 = 89 % L’articulation du [R] est bonne puisque plus de 80 % de notre groupe la maîtrise. [Ȃ] Finale de syllabe T0 T1 T2 signer 2 1 48 mignonne 0 5 46 peigne 1 6 44 campagne 1 7 43 Moyenne T2 = 89 % Une minorité prononce [j] dans « mignonne » et [n] dans « peigne » et « campagne ». 22 [H H] Initiale ou finale de syllabe T0 T1 T2 chat 3 5 43 chez 4 3 44 chaud 2 1 48 chou 0 3 48 bâche 1 13 37 [H H-] : moyenne T2 = 89 % pèche 3 12 36 niche 1 18 32 douche 4 16 31 [-H H] : moyenne T2 = 67 % L’articulation semble plus difficile à la finale, [-H H] est parfois remplacé par [-s] . Nous avons également entendu [-ts] dans les mots « niche » et « douche ». [j j] Initiale ou finale de syllabe T0 T1 T2 Jacques 1 39 11 j’aime 1 33 17 gilet 0 33 18 joue 0 34 17 page 1 20 30 [j j-] : moyenne T2 = 31 % neige 1 17 33 orange 2 19 30 mariage 1 23 27 [-j j] : moyenne T2 = 59 % La sonorité est absente dans la plupart des cas. Ainsi « Jacques » est prononcé « chaque ». Ce n’est pas une surprise. En position finale, et précédée d’une voyelle légèrement allongée, l’articulation de la sonorité de [j j] semble un peu plus facile pour nos étudiants. [z] Initiale et finale de syllabe T0 T1 T2 Zaza 0 23 28 zéro 0 20 31 sixième 0 9 42 gaz 1 12 38 seize 1 7 43 [z-] : moyenne T2 = 66 % balise 0 7 44 japonaise 0 8 43 [-z] : moyenne T2 = 82 % Comme pour le phonème précédent la sonorité fait parfois défaut à l’initiale. Nous avons noté que l’allongement de la voyelle qui précède [z] a été parfaitement entendu et parfois prolongé pour permettre le voisement de la finale. Par ailleurs, le mot « zéro » a souvent été prononcé [ziRo] comme en anglais mais nous n’avons pas tenu compte de la voyelle. [v] Initiale et finale de syllabe. T0 T1 T2 va 2 4 45 vais 2 6 43 vos 0 4 47 [v-] : moyenne T2 = 91 % vous 0 4 47 avec 0 0 51 cave 0 4 47 élève 2 1 48 active 2 0 49 mauve 1 2 48 [-v] : moyenne T2 = 94 % 23 Les semi-consonnes. [j] Initiale ou finale de syllabe T0 T1 T2 yoyo 0 0 51 taille 0 0 51 soleil 0 2 49 conseil 0 3 48 [j-] : moyenne T2 = 100 % gentille 1 4 46 œil 0 1 50 fauteuil 1 0 50 douille 1 3 47 nouille 0 5 46 [-j] : moyenne T2 = 95 % [w] Initiale de syllabe T0 T1 T2 oui 3 1 47 oiseau 1 1 49 oisif 0 0 51 [w-] : moyenne T2 = 96 % Les quelques mots français qui commencent pas ce phonème ne posent aucun problème. [V V] Initiale d’une syllabe T0 T1 T2 huit 0 9 42 huile 22 2 27 [V-] : moyenne T2 = 68 % Le mot « huit » a été identifié et bien prononcé par plus de 80 % des apprenants, tandis que le mot « huile » a été confondu avec « mille » par un individu sur trois. Consonnes et semi-consonnes en deuxième position après une consonne initiale. [-R-] et [-gR] (maigre et tigre). T0 T1 T2 bras 9 10 32 brique 8 13 30 près 1 17 33 prix 3 13 35 T0 T1 T2 gras 6 30 15 gris 8 26 17 grotte 1 28 22 groupe 9 34 8 drap 6 12 33 maigre 9 29 13 travail 0 5 46 tigre 5 29 17 trop 1 6 44 craie 9 13 29 cri 1 11 39 frais 10 19 22 frite 5 13 33 vrai 3 22 26 Moyenne T2 = 54 % 24 Le taux de réussite est insuffisant. Lorsque le phonème /R/ suit l’initiale, il est quelquefois prononcé comme un [l] dans « bras » ou « brique ». Il arrive qu’il soit remplacé par la glottale aspirée [h], dans « près » ou « prix » ou qu’il disparaisse dans les mots « frais », « vrai » et « frite » prononcés [fε] et [fit]. C’est l’association [gr] qui semble le plus difficile, ce qui est normal compte tenu de l’absence des deux phonèmes en thaï. C’est après [t] que le [R] est le plus clair (travail, trop). [-l-] T0 T1 T2 blé 2 7 42 plate 7 17 27 plaie 6 15 30 classe 1 13 37 clé 2 9 40 flic 4 8 39 flou 4 11 36 glace 3 33 15 glisser 0 29 22 Moyenne T2 = 63 % Le phonème [l] est assez souvent absent des mots « plate », « plaie », « classe » et « flou ». Le groupe [gl-] est le plus difficile. [-w-] T0 T1 T2 bois 1 3 47 moi 0 7 44 loi 1 16 34 quoi 0 18 33 souhait 1 20 30 fouet 5 17 29 louer 19 13 19 Louis 5 15 31 Moyenne T2 = 65 % Les mots « loi » et « quoi » sont parfois prononcés avec la diphtongue [ua]. Les mots « souhait » [swε] et « fouet » [fwε] normalement prononcés en une syllabe le sont en deux syllabes distinctes. D’autre part la voyelle a tendance à la diphtongaison en [ei] [-j-] T0 T1 T2 miette 3 2 46 ciel 0 8 43 panier 0 9 42 pied 0 11 40 miauler 0 1 50 dieu 2 4 45 monsieur 0 0 51 oublier 1 4 46 Moyenne T2 = 79 % Les résultats sont satisfaisants. Le mot « ciel » est parfois prononcé « sienne », quand à « pied » il est articulé en deux syllabes /pije/ comme « piller ». Le mot « monsieur », devenu courant obtient 100 %. 25 [-V V-] T0 T1 T2 nuage 4 12 35 tuer 2 7 42 nuit 0 3 48 lui 1 5 45 Moyenne T2 = 82 % depuis 5 4 42 fuite 2 10 39 Quelques absences de [V] dans le mot « fuite ». Les finales absentes en thaï : [-d], [-b], [-l], [-s] et [-f]. T0 T1 T2 laide 0 1 50 coude 0 4 47 lobe 0 0 51 belle 0 1 50 Moyenne T2 = 96 % malle 0 0 51 bol 0 1 50 facile 0 5 46 masse 0 0 51 baisse 0 2 49 noces 0 0 51 douce 0 6 45 canif 0 2 49 touffe 2 4 45 Toutes ces finales sont clairement articulées. Les voyelles orales [œ] T0 T1 T2 jeune 0 1 50 sœur 0 1 50 bœuf 0 0 51 neuf 0 0 51 cœur 0 2 49 peur 0 1 50 Moyenne T2 = 98 % Curieusement, le timbre de cette voyelle normalement labialisée est net sans labialisation. [ø] T0 T1 T2 nœud 22 11 18 meut 17 13 21 queue 2 12 37 peu 2 10 39 feu 1 12 38 jeudi 0 0 51 Moyenne T2 = 67 % Placé après la série [œ], ce phonème, plus fermé, n’a pas été identifié tout de suite par la plupart de nos apprenants. [nø] a été prononcé [ny] ou [ni]. L’identification se fait beaucoup mieux à partir du mot « queue » [kø] prononcé [kə], et nous remarquons qu’elle s’améliore jusqu’à « jeudi » qui est prononcé [Ȣədi], ce qui est tout à fait acceptable. Nous comprenons qu’il n’est pas aussi facile de prononcer [ø] que [œ] sans arrondissement des lèvres. 26 [y] T0 T1 T2 du 8 8 35 lu 14 11 36 bu 2 8 41 connu 2 11 38 bureau 0 13 38 fumée 0 13 38 Moyenne T2 = 74 % Après quelques doutes pour identifier le son [y] dans les trois premiers mots (« du » et « lu » sont prononcés [də] et [lə]), le choix est fait entre [y] pour une majorité (38 sur 51) et [u]. Nous notons que la première syllabe du mot « bureau » que nous pensons être reconnu par nos apprenants est moins souvent bien prononcée que le mot « bu » articulé par mimétisme... Les voyelles nasales [C C] T0 T1 T2 main 8 17 26 bain 8 19 24 pain 8 17 26 teint 4 20 27 saint 3 17 31 fin 5 14 32 Moyenne T2 = 54 % Ce phonème pose deux types de problèmes : - absence de nasalisation, [a], [α] de l’anglais ou [O] - ajout d’un appendice, souvent [k] (saint / cinq), [ŋ] ou même [R]. [B B] T0 T1 T2 ment 14 21 16 banc 7 25 19 paon 6 23 22 temps 1 13 37 sans 1 11 39 fend 1 12 38 Moyenne T2 = 56 % Ce phonème pose également deux types de problèmes : - Le mot « ment » premier de la série est souvent prononcé [mO] ou [mOR]. - Ici aussi, un appendice est ajouté : [k] dans « ment » et « banc », ou [t] dans « temps », « sans » et « fend ». Nous avons constaté que la voyelle est souvent articulée avec une énergie articulatoire excessive, ce qui la rend trop brève et parfois proche de [I] dans les trois derniers mots. Malgré tout, on note que la prononciation est nettement meilleure à la fin de la série. 27 [I I] T0 T1 T2 mon 2 15 34 bon 2 9 40 pont 0 9 42 ton 0 8 43 son 0 6 45 fond 0 6 45 Moyenne T2 = 81 % Au début de la série, nous entendons parfois [o]. Bien que les résultats soient satisfaisants, notre vigilance a permis de constater une confusion entre [I] et [B] pour six personnes, les mots « temps » et « ton », « sans » et « son » ou « fend » et « fond » sont prononcés de la même manière, avec une voyelle intermédiaire toujours associée à une terminaison [k] ou [ŋ] et avec une énergie articulatoire importante. Dans le travail de discrimination, que nous anticipons ici, il serait souhaitable, dans un premier temps, d’allonger la voyelle pour permettre la suppression de l’appendice. 4.5 Remarques générales Les bonnes surprises viennent de [R], [G], [H], [v], [œ], [I]. Ils obtiennent au moins 80 %. Toutes les finales -VC sont bien articulées. Parmi les phonèmes qui ne sont pas bien prononcés à 80 %, on trouve [V] à l’initiale 68 % (mais les mots sont rares), [z] et [y] recueillent 74 %. Les résultats sont insuffisants pour la voyelle orale [ø] qui peut être travaillée en opposition avec [œ] dans des paires minimales du type masculin / féminin comme danseur / danseuse. Les nasales [C] et [B] ne donnent pas satisfaction (seulement un peu plus de la moitié). Les sons [R], [l] et [w] placés en deuxième position après l’initiale posent aussi des problèmes. Enfin, les phonèmes /g/ et /j/, sont les phonèmes les moins bien prononcés. Les résultats sont meilleurs lorsque ces sons se trouvent en position finale. Comment se fait-il que le /R/ qui n’a pas bénéficié des huit années d’apprentissage de l’anglais soit mieux articulé que le /g/ qui existe en anglais ? Comment expliquer que lorsque nous avons deux consonnes à l’initiale et que la deuxième est /R/ou /l/, les résultats soient nettement moins bons avec le /g/ qu’avec les autres consonnes initiales ? Au début de l’écoute, le /g/ n’a pas été reconnu comme tel. Nos apprenants ont entendu « du bruit ». S’ils savaient prononcer correctement ce phonème en anglais, ils le feraient aussi pour le français. On a sans doute jugé cette articulation sonore superflue dans les cours d’anglais. Mais pourquoi donc ? L’anglais n’a pas d’opposition [k] / [g]. Décrit par la phonétique, le son [k] n’apparaît jamais 28 à l’initiale d’un mot anglais mais en deuxième position après l’initiale comme dans « skin », [skin]. Ce [-k-] est en distribution complémentaire avec [kh] à l’initiale comme dans « kean » et est toujours écrit /k/ en phonologie. En anglais, c’est donc le son [kh] qui est en opposition avec le [g] à l’initiale. Les didacticiens thaïs formés à l’anglophonie, ont donc assimilés le son [g] (sonore) de l’anglais à la sourde [k] du thaï pour y établir une distinction adaptée à [kh] qu’ils prononcent [kh]17. On a privilégié la distinction portant sur l’aspiration, or cet artifice, qui ignore le voisement, dessert considérablement l’apprentissage du français, car nombreuses sont les paires minimales qui opposent [g] et [k] comme gare et car, grotte et crotte, ou bac et bague. Voici un tableau récapitulatif des occlusives vélaires à l’initiale pour les trois langues : [k] [g]. [kh] [kh] oui - - oui anglais - ← oui oui → - français oui oui - - thaï ←Apprentissage de L2 en Thaïlande→ Quant à la fricative alvéolaire /j/, qui est assez rare en anglais, il lui manque, comme le /g/ sont trait phonique sonore pour qu’elle soit bien prononcée. Nous n’oublions pas que lorsque le /g/ et les trois fricatives sonores se trouvent en position finale, la voyelle qui les précède doit être allongée. 4.4 Regroupement des difficultés articulatoires en fonction de la position du phonème. En gris, pourcentage de réussite (une case = 2 %) % [g-] [j-] [-g] [-R-] [C] [B] [-j] [-l-] [-w-] [-H] [ø] [V-] [z-] [y-] [-j-] 80 60 40 20 - _________________________________ 17 Dans sa description phonétique du thaï, M. Hass transcrit le ก [k] par un [g]. Bien que ce modèle soit depuis longtemps abandonné par les autorités académiques thaïlandaises pour la romanisation du thaï, il se perpétue dans la transcription inverse, ainsi tous les emprunts anglais commençant par un « g » sont écrits avec le ก [k]. 29 5. Le second corpus Ce second corpus n’a pas été créé artificiellement comme le précédent pour les besoins d’une tâche. Ni les mots, ni les syntagmes, ni les phrases n’ont été choisis. Pour évaluer l’intelligibilité de la production orale de nos apprenants, nous avons sélectionnés des extraits de monologues produits par ces mêmes apprenants quelques mois plus tôt dans le cadre d’un examen oral où ils devaient raconter une petite histoire amusante en français. Durant cet examen, il leur avait été demandé de parler en continu pendant au moins une minute et il ne leur était pas permis de lire. Ici aussi, nous ne voulions pas associer la lecture à l’expression orale. Néanmoins, le processus de lecture a quelque peu joué un rôle car c’est à partir d’un document écrit qu’ils ont préàparé leurs histoires. Face à l’examinateur, l’attention de l’étudiant s’est portée sur la « récitation » sans réel effort de prononciation. L’attitude de l’examinateur était neutre et il n’a, à aucun moment, interrompu l’apprenant. 5.1 Description Les seize séquences retenues, proviennent d’un enregistrement de la voix d’étudiants de deuxième année lorsqu’ils étaient en fin de première année. Les stimuli verbaux sont classés selon le nombre de syllabes : au début ceux de trois syllabes, puis progressivement plus long jusqu’à 16 syllabes pour le dernier. Les stimuli ont été sélectionnés selon deux critères importants : - La structure correspond au minimum à celle d’un syntagme. Ce sont deux groupes nominaux, une apposition, deux propositions et onze phrases. - Nous n’avons retenu que les énoncés ne présentant aucune erreur de grammaire. Nous avons également écarté les séquences dont les liaisons obligatoires n’avaient pas été faites. 1. La journée (…) 2. Je regrette. 3. Le passager (…) 4. Le vent l’emporte. 5. Son père est soucieux. 6. Ne crie pas si fort ! 7. Ils sont très amusants. 8. Si j’étais en prison, (…) 9. Elle se plaint à l’hôtesse. 30 10. (…), fier de son superbe travail, (…) 11. Je veux la garde des enfants. 12. Il est tellement dans la lune (…) 13. Il entend alors sa femme crier. 14. Celui qui conduit a un air rêveur. 15. Votre mari a une dépression très grave. 16. C’était facile à dire vu qu’il était déjà dans la voiture. 5.2. Les auditeurs. Pour évaluer l’intelligibilité de ces énoncés de manière objective, nous avons fait appel à sept francophones vivant une grande partie de l’année à Khon Kaen. Ces personnes n’ont jamais exercé la profession d’enseignant de langue et ne sont pas familiers avec la langue thaïe. - Laure, 42 ans, Belge. - Yvon, 46 ans, Français. - Nicola, 47 ans, Suisse. - Maximilien, 60 ans, Français. - Guy, 64 ans, Français. - Gianni, 65 ans, Italien (francophone depuis le plus jeune âge). - Jackie, 68 ans, Français. Chacun de ces intervenants a reçu un formulaire et un CD sur lequel les stimuli verbaux avaient été enregistrés. Nous leur avons demandé d’écouter une fois chaque séquence et de noter tous les mots qu’ils comprenaient. Les quatre premières séquences pouvaient être écoutées une seconde fois, car elles comportent moins de cinq syllabes. 5.3 Les outils de mesure. Pour mesurer les aspects acoustiques de nos enregistrements et repérer les éventuels problèmes d’intelligibilité, nous proposons une visualisation des extraits avec le logiciel Speech Analyser du SIL (Summer Institute of Linguistics) sous la forme de trois niveaux : un oscillogramme, un spectrogramme et une courbe indiquant la fréquence fondamentale F0. Ces figures seront comparées avec celles représentant les mêmes stimuli prononcés par un locuteur natif. - Ce que nous dit l’oscillogramme. 31 Il indique la durée mesurée en millisecondes (ms) en abscisse et l’amplitude sonore mesurée en pourcentage en ordonnée. - Ce que nous dit le spectrogramme. Les formants de /e/, F1 (environ 500 hertz), F2 (environ 2000 hertz), et F3 (environ 2700 hertz). Les formants sont les zones fréquentielles dont l’intensité est renforcée, ce sont ces indices (en particulier F1 (de 250 à 750 Hz) et F2 (de 750 à 2500 Hz) qui donnent le timbre et permettent d’identifier les voyelles. Il indique la durée en abscisse, la fréquence en ordonnée, mesurée en hertz, et les formants des voyelles, les bruits de friction ou d’explosion qui permettent de repérer les syllabes. - Ce que nous indique la courbe de la fréquence fondamentale (F0) La fréquence fondamentale est la fréquence la plus lente d’un son complexe. Elle est produite au niveau du larynx et mesurée en hertz. Elle est en moyenne de 80 à 200 hertz pour un homme et de 200 à 350 hertz pour une femme. Sa variation indique l’accentuation, l’intonation ou des tons pour les langues tonales. Une interruption indique un son non-voisé. 5.4 Procédure d’analyse. Nous allons examiner maintenant ce que nos sept auditeurs ont compris. Pour chaque séquence, nous proposons un petit tableau en trois parties. - A : compréhension complète. - B : compréhension partielle et bonne. - C : compréhension nulle ou partiellement mauvaise. 32 Ensuite, si la compréhension nous parait insuffisante nous comparerons les graphiques à ceux d’un locuteur natif et nous essaierons d’identifier les éléments responsables de ces malentendus selon deux aspects : l’aspect structurel des sons (voisement, occlusion, friction et constitution des formants F1 et F2) et l’aspect temporel (modulation d’amplitude, variation de l’intonation et rythme). Les unités mesurées peuvent être des phonèmes, des syllabes, des mots, des syntagmes ou des phrases. 5.5 Analyse. 1. La journée (…) A:2 C : Nulle : 3 B:0 La chenille : 2 À droite : enregistrement de référence d’un locuteur natif masculin. Deux personnes ont entendu « la chenille ». Trois n’ont rien compris. On remarque la rupture de F0 au niveau du /j/ qui n’est pas voisé, mais remplacé par un bruit de friction de faible amplitude dont les fréquences sont supérieures à 2000 Hz. Le /R/ est absent. Le /e/ a une durée de 400 ms contre 200 ms à droite. Les formants de /e/ F1 mesuré chez deux natifs aux alentours de 450 à 500 Hz sont à 831 Hz tandis que F2 qui normalement se tient vers 2000 Hz est à 2482 Hz, l’identification de la voyelle s’avère donc plus délicate. On note aussi la constance de F0 qui se maintient vers 250 Hz sans mouvement oscillatoire. Il y a donc une difficulté évidente chez l’apprenant à articuler la deuxième syllabe. 33 2. Je regrette. A:0 C : Nulle : 0 B:0 Je regarde : 7 Nos sept auditeurs ont tous entendu « Je regarde ». Au niveau de la troisième syllabe, le /R/ est inaudible. L’amplitude et la durée du /ε/ sont disproportionnées rendant la voyelle si compacte que l’on ne distingue plus ses formants. De plus, il y a une variation de F0 pendant la durée de l’articulation de cette voyelle de 200 à 250 Hz. La courbe de la fréquence fondamentale a une tendance générale croissante, ce qui correspond à un patron intonatif de type interrogatif. Même si on dit « Je regrette ? », la fréquence fondamentale ne varie pas de cette façon entre le début et la fin de cette voyelle car elle est trop brève. Ceci correspond au ton montant du thaï. En outre, ce qui a probablement trompé nos auditeurs est le fait que dans « je regarde », on comprenne que le /a/ soit quelque peu allongé pour permettre l’articulation du /R/ et du /d/ en syllabe fermée. 3. Le passager (…) A:5 C : Nulle : 1 B:0 Le potager : 1 Cinq personnes ont compris, malgré l’articulation du /j/ en /H/ et une troisième syllabe allongée et montante. Nous remarquons que le /H/ est prononcé avec une énergie très importante. S’agit-il d’une technique visant à compenser l’absence de voisement ? 34 4. Le vent l’emporte. A:2 B : Le vent … : 1 C : Nulle : 4 Le /v/ est prononcé /w/ avec une articulation puissante et l’occlusion de la troisième syllabe est brutale, très amplifiée et terminée par une sorte d’expiration prononcée [-Oh] / [-Bh]. La voyelle nasale /B/ qui apparaît deux fois est bien articulée quoique légèrement trop brève. 5. Son père est soucieux. A:0 C : Nulle : 3 B : Son père est … : 1 Son père est outilleur : 2 Son père était-il heureux ? : 1 Trois personnes ont entendu « Son père », aucune n’a entendu « soucieux ». 35 Au niveau de l’oscillogramme, l’amplitude est très variable entre les syllabes. La deuxième syllabe est très amplifiée par rapport aux autres. Les voyelles sont omniprésentes et les consonnes discrètes et brèves. Le /s/ par exemple, normalement identifiable dans le spectre par le bruit de friction à 3500 Hz, est repérable à l’initiale de la dernière syllabe, mais ne dure que 20 ms alors qu’il fait 70 ms chez le locuteur natif. On le voit très nettement par l’interruption de la courbe de F0 à la quatrième et à la cinquième syllabe. Le verbe être n’est pas enchaîné au mot précédent et la transition des formants est brutale et quasi-interrompue alors que l’on voit très nettement le mouvement ondulatoire de F1, F2 et F3 sur le spectrogramme de droite. La dernière syllabe /siø:/ est prononcée avec un /i/ de 100 ms et un /ø:/ de 450 ms. 6. Ne crie pas si fort ! A:5 B : Ne crie pas … : 1 C : Nulle : 1 7. Ils sont très amusants. A:0 C : Nulle : 1 B:0 Ils sont très émouvants : 2 Ils ont treize … : 1 Ils ont treize enfants : 3 Cette phrase n’a été comprise de personne. 36 Dans cette phrase de six syllabes, on voit que l’attaque est brutale au niveau des voyelles sauf dans la syllabe /my/ prononcée /mu/. Les voyelles sont donc accentuées et ont une sorte de trainée dont l’amplitude décroit, tandis que les consonnes sont brèves. Sur le spectrogramme de gauche, on constate des contrastes verticaux à l’endroit où « éclatent » les voyelles. Les syllabes ne sont pas régulières. La syllabe /za/, prononcée /zə/, a une durée trois fois inférieure à la précédente. Il y a une confusion entre /s/ et /z/ et la fin de la phrase est curieusement prononcée /zəmusB/. La voyelle /ε/ est très compacte entre 2000 et 3000 Hz 8. Si j’étais en prison (…) A:7 B:0 C:0 Cette proposition a été bien comprise. 37 9. Elle se plaint à l’hôtesse. A:0 B : Elle se … : 1 C : Nulle : 6 Sur le spectrogramme de gauche, on remarque des lignes verticales au niveau de l’irruption des voyelles dans les deuxième, troisième, quatrième et dernière syllabes alors que dans le spectre de référence, les transitions entre les formants sont moins abruptes. Le /s/, initiale de la deuxième syllabe, comporte des « turbulences » sous le niveau des 3000 Hz, ce qui est anormal. La courbe F0 non-interrompue indique une sonore. La syllabe suivante /plC/ prononcée /pC/ est marquée par une évolution croissante de la fréquence de 230 Hz à 320 Hz sur une durée de 220 ms. Nous constatons le même phénomène pour la dernière syllabe : une voyelle caractérisée par sa durée (236 ms contre 143 ms) et par sa montée en fréquence de 215 Hz à 290 Hz tandis que son amplitude décroit. Par ailleurs, la finale ressemble davantage à un /H/ qu’à un /s/. Le schéma intonatif du premier groupe de mots « elle se plaint », a une tendance montante, ce qui est acceptable. Cela ne peut être le cas pour la seconde partie de la phrase qui doit avoir une tendance décroissante. Elle se plaint à l’hôtesse. Le manque de compréhension de nos auditeurs vient certainement des 3e et 6e syllabes dont les caractéristiques segmentales et suprasegmentales ne sont pas conformes. 38 10. (…), fier de son superbe travail, (…) A:0 B : … travail : 2 … de son … travail : 1 C : Nulle : 1 finir … travail : 1 finir de son super travail : 1 finir de son sous … travail : 1 Visiblement, les problèmes se trouvent au début et au milieu de l’énoncé. La première syllabe est prononcée en deux syllabes /fi-je/, on le voit nettement sur l’oscillogramme. Le mot « superbe » n’a pas été compris pour plusieurs raisons. D’abord, il est prononcé en deux syllabes au lieu de trois. La première est articulée /su/ de façon trop brève tandis que la seconde, prononcée /pε:b/ est beaucoup plus longue, montante, une fois de plus. Le /R/ est absent et le /b/ tout juste perceptible. On constate également que le formant F2 à 1600 Hz est amplifié dans la deuxième partie de l’articulation de la voyelle /ε/. Le /h/ prononcé à la place du /R/ dans le mot « travail » semble être accepté par nos auditeurs. Il est vrai qu’il est proche du /R/ uvulaire. D’autre part l’intonation de la phrase n’est pas juste. En effet, la phrase complète étant la suivante : « Le pâtissier, fier de son superbe travail, lui présente son gâteau. », il semble normal que l’intonation de « travail » soit légèrement montante et au moins au niveau de « superbe » car la phrase n’est pas terminée. La phrase aurait pu commencer par « Fier de son superbe travail », cela ne change rien. 39 11. Je veux la garde des enfants. A:1 C : Nulle : 1 B:0 Je le regarde … : 1 Je regardais son … : 1 Je vais regarder son … : 1 Je veux regarder enfants : 1 Je veux garder des enfants : 1 Nous allons examiner cette phrase en détails, d’abord par son aspect structurel, syllabe par syllabe. Les formants F1, F2 et F3 sont indiqués par un tracé horizontal. Première syllabe /jə/ : le fort bruit de friction au-dessus de 2000 Hz et l’absence de sonorité du larynx (F1 ne commence que pour /ə/), indique un /H/ La seconde syllabe /vø/ présente un /v/ quasiment absent et une attaque abrupte de la voyelle qui est très compacte entre F1 et F2 La troisième syllabe /la/ est prononcée avec un /l/ confus (F3). Pas un seul des auditeurs n’a compris « la garde des ». La quatrième syllabe est problématique, car elle est prononcée /ka:/. L’occlusion est moins marquée que chez le locuteur natif (la barre verticale que l’on voit dans le spectre ne descend pas en dessous de 1500 Hz). La voyelle /a/, allongée, voudrait remplacer le /R/ et est immédiatement reliée à la syllabe suivante /de/ alors que le natif opère un silence de 150 ms entre le /d/ final de « garde » et le /d/ initial de « des ». La syllabe /zB/ articulée avec une initiale sourde sans aucune amplitude, est caractérisée par une voyelle plutôt bien prononcée avec des formants F1 et F2 d’une fréquence similaire au natif mais d’une amplitude insuffisante. 40 Enfin, la dernière syllabe est marquée par une initiale discrète, d’une durée trop courte et surtout d’une voyelle qui éclate et perd progressivement de son intensité sur une durée de 410 ms contre 140 ms. Les deux tableaux suivants indiquent l’intensité (en haut) et la variation de F0. Sur le graphique du haut, on constate que l’accentuation est portée sur les deux premières syllabes et la dernière, les trois autres sont faibles. Ces syllabes sont plus régulières chez le natif et le mot « garde » est un peu plus appuyé. En bas, la forme de la fréquence est concave. Elle débute à environ 300 Hz, se trouve à 240 Hz au milieu de l’énoncé et poursuit une remontée. Durant la dernière syllabe, la voyelle /B/ commence à une fréquence de 288 Hz, monte à 412 Hz, puis redescend un peu à environ 380 Hz. Pour résumer, il y a donc des problèmes de plusieurs natures. Les consonnes sont trop brèves, manquent souvent d’amplitude et ne sont pas voisées. Les voyelles sont abruptes, souvent trop longues et varient en fréquence (souvent montante) en fin d’énoncé. Les énoncés qui suivent étant un peu plus long, nous ne nous attarderons pas aux faits segmentaux et nous nous intéresserons davantage à l’accentuation liée au rythme et à l’intonation des énoncés. Les deux graphiques supérieurs indiqueront l’intensité des syllabes et l’intonation de l’apprenant. 41 12. Il est tellement dans la lune (…) A:5 B:0 C : Nulle 2 Malgré un débit plus lent de l’apprenant (2050 ms contre 1780 ms), l’énoncé se comprend en deux groupes rythmiques marqués par une légère accentuation des syllabes « -ment » et « lune ». Précisément, ce sont ces deux syllabes qui nous intéressent, car elles indiquent une accentuation démarcative, la phrase se poursuivant par « qu’il ne voit pas … ». Nous constatons que, pour ces deux syllabes, la courbe d’intensité en haut et la fréquence fondamentale qui indique l’intonation générale ont à peu près la même tendance chez le locuteur natif. Ce qui veut dire que si l’amplitude diminue, la fréquence baisse. Il se trouve que chez l’apprenant thaï, l’amplitude diminue graduellement (on le voit très bien à la syllabe « -ment » prononcée avec une voyelle longue) tandis que la fréquence monte, phénomène qui, nous semble-t-il, est plutôt rare en français. Cinq auditeurs ont compris l’énoncé, car l’accentuation est assez bonne. 42 13. Il entend alors sa femme crier. A:0 C : Nulle : 4 B:0 Il entend alors … prier : 1 … alors sa femme prier : 1 … alors maintenant ça va briller : 1 Cet énoncé a été prononcé en 2,34 secondes contre 2,40 secondes pour le natif, ce qui est sensiblement la même chose. Cependant, le découpage de la phrase est différent. Si le débit était très lent, on pourrait concevoir quatre groupes de souffle : Il entend - alors - sa femme - crier. Mais, ce n’est pas le cas, car « Il entend alors » est prononcé en 820 ms, donc plutôt rapidement, ce qui suppose que la suite soit articulée sans rupture entre « sa femme » et « crier ». Dans le mot « crier », nous observons que la fréquence diminue simultanément avec l’intensité, comme en français. Avec la deuxième syllabe du mot « alors » qui descend en fréquence, le contour de la phrase est relativement bon. 43 14. Celui qui conduit a un air rêveur. A:0 B : Celui qui conduit … : 1 Celui qui conduit a … : 1 C : Nulle : 0 Celui qui conduit à la mer … : 1 Celui qui conduit a un air heureux : 2 Celui qui conduit a un air très heureux : 1 Celui qui conduit a un air très vieux : 1 Aucun auditeur n’a compris la phrase entière. Cinq ont tout-de-même compris la première partie. L’articulation des phonèmes est bonne, mis à part les deux /R/, finales des mots « air » et « rêveur ». La liaison /nεR/ est faite. Le débit de l’apprenant est très lent : 4,35 s contre 2,9 s pour le natif. La phrase est articulée en quatre groupes, tous terminés par une voyelle allongée (le /i/), décroissante en volume et légèrement croissante en fréquence. La voyelle de la syllabe « veur », articulée sur 550 ms, montre même une variation de l’amplitude, décroissante, croissante puis décroissante, tandis que la fréquence monte. Enfin, le nom et l’adjectif sont séparés par une demi-seconde, ce qui est perturbant. 44 15. Votre mari a une dépression très grave. A:0 C : Nulle : 4 B:0 Votre mari a une passion … : 1 Bonjour Marie … : 2 La durée de l’énoncé est de 2,75 s pour l’apprenant et de 2,82 pour le natif. Le dernier mot est articulé /ka:v/ La tendance est à l’accentuation des syllabes /Ri/, /sjI/ et /gRav/, ce qui est juste, toutefois, les variations de l’amplitude sont rapides et importantes alors qu’elles sont plus nuancées chez le locuteur natif. La durée des syllabes est très irrégulière : 0,10 s pour /de/ et 0,36 s pour /tRε/. Du point de vue du rythme, nous avons 11 syllabes, normalement prononcées en trois groupes : 4 - 5 et 2 syllabes, les deux dernières syllabes ne doivent pas être séparées. Le dernier mot /gRav/ est articulé en 0,50 s pour les deux personnes, mais le /a/ qui pour le natif représente 0,25 s soit la moitié de la durée totale, représente 0,39 s pour l’apprenant. La courbe de l’intonation de phrase montre une forme convexe, la fréquence devrait descendre pour articuler le mot « grave ». « Votre mari a une dépression » est articulé assez rapidement, il ne devrait donc pas y avoir de rupture de F0 entre /Ri/, /a/ et /y/. Or il y a une rupture après le /i/ et une baisse d’intensité 45 très visible entre les syllabes privées d’enchaînement vocalique comme nous montre cet agrandissement de la structure des formants : À gauche : apprenant, à droite : natif. / ri - a - yn / / ri - a - yn / 16. C’était facile à dire vu qu’il était déjà dans la voiture. A:0 B : C’était facile … : 1 C’était facile … dans la voiture : 1 C’était facile… qu’il était déjà dans la voiture : 2 C’était facile à … qu’il était déjà dans la voiture : 2 C : Nulle : 0 C’était facile à dire … qu’il était déjà de retour : 1 Ici, un problème de rythme n’a pas permis à un seul auditeur de comprendre le message. La structure syntaxique comprend deux propositions. La subordonnée commence par « vu que » et non pas par « que ». Le fait que le /y/ de /vy/ soit prononcé /u/ a probablement joué un rôle négatif dans l’intelligibilité du message, un exemple où des erreurs de différents types qui s’ajoutent rendent la compréhension plus difficile. 46 5.6 Résultats et tendances générales. L’analyse acoustique a révélé quelques phénomènes réguliers aussi bien segmentaux que prosodiques. Les énoncés les plus courts nous ont permis de reconsidérer les difficultés phonémiques prévisibles de l’analyse contrastive comme par exemple l’absence de voisement. Les consonnes sonores sont parfois remplacées par une sourde prononcée avec une grande énergie articulatoire. Le /R/ et le /l/, fréquents en deuxième position après l’initiale (très, plaint), sont à peine audibles. Nous remarquons qu’ils sont quelquefois tout simplement absents. Les semi-voyelles en deuxième position entraînent une prononciation en deux syllabes (fier et soucieux). D’une manière générale, les syllabes qui commencent par une consonne constrictive sont prononcées avec une initiale trop brève et une voyelle qui « éclate » d’une façon abrupte. On remarque d’ailleurs dans les spectrogrammes des traits verticaux qui indiquent des ruptures de la fréquence fondamentale et un manque de fluidité entre les formants. Ce manque de fluidité est constaté également dans le cas des enchaînements vocaliques. Les voyelles présentent souvent une durée allongée en particulier quand elles se trouvent à la fin d’un groupe rythmique. Les syllabes se trouvent donc affectées par une transition qui manque de souplesse entre consonnes et voyelles et par une certaine irrégularité dans la durée. Nous savions qu’en thaï les consonnes finales sont articulées avec légèreté. Il semble que les consonnes initiales aient une durée brève mais intense alors qu’en français elles sont plus longues et moins amplifiées. Pour ce qui concerne les groupes rythmiques, il apparait que les syllabes ouvertes à la fin des groupes de souffle sont régulièrement lues longues et montantes alors qu’en français, dans le cas d’une assertion, la dernière syllabe est descendante. L’intonation de phrase se trouve donc modifiée. Souvent relativement plate, elle a une tendance à la convexité. La voyelle qui la termine est lue très longue et tout en perdant de son amplitude monte en fréquence, un peu comme le ton montant en thaï. Pour les apprenants thaïlandais, il y a donc une confusion évidente dans la perception auditive de l’amplitude et de la fréquence. Pour l’auditeur natif, une voyelle anormalement longue et accompagnée d’une variation de sa fréquence pendant son émission est troublante car inhabituelle. 47 6. Conclusion À partir d’une analyse contrastive entre le thaï, langue des apprenants et le français langue cible, nous avons anticipé les principales difficultés susceptibles de poser des problèmes d’articulation de faits segmentaux. Compte-tenu d’un corpus assez réduit dont les items ne présentaient qu’une difficulté à la fois, il est évident que des lexèmes contenant des structures syllabiques du type CCVC ou CVCC, qui ne sont pas rares, demanderons plus d’efforts et de pratique. Pour mieux appréhender la prononciation sans passer par un code écrit, nous avons enregistré un premier corpus en vue de tester les capacités de reproduction articulatoire de nos apprenants. La tâche à exécuter était donc un exercice d’imitation, présentant une mise en scène où chacun des 51 participants, seul avec un casque et un micro, devait s’appliquer. Cet exercice, qui demandait beaucoup d’attention auditive, a donné des résultats au-dessus de nos prévisions. Les difficultés majeures ne sont pas toutefois des surprises et proviennent du mode d’articulation sourde / sonore des consonnes et orale / nasale des voyelles de la langue française. Si on peut considérer quelques résultats inattendus comme l’articulation des consonnes finales qui a donné satisfaction, il est important de souligner que la tâche a été vécue par les apprenants comme une sorte de test et que c’était sans doute la première fois qu’ils exécutaient un exercice de répétition individuel aussi long depuis qu’ils apprennent le français. À l’aide d’un second corpus, constitué de seize énoncés, nous avons évalué ce que sept francophones, étrangers à « l’accent » de nos étudiants, avaient compris et n’avaient pas compris. Ces seize stimuli provenaient d’un enregistrement antécédent fait auprès de quelques-uns de ces mêmes apprenants quelques mois plus tôt. Lors de cet enregistrement, dont le but n’avait pas été précisé, nos apprenants s’étaient concentrés sur la récitation d’un monologue (une histoire amusante) appris plus ou moins par cœur. À ce moment précis, leur attention ne s’est vraisemblablement pas portée sur l’articulation des phonèmes et la prosodie. L’examinateur n’a d’ailleurs pas toujours compris pourquoi ces histoires étaient drôles. Après avoir recueilli les informations auprès de nos sept auditeurs, nous avons tenté de trouver les raisons à l’origine de l’inintelligibilité. Il n’est pas toujours facile de savoir pourquoi ce que nous comprenons n’est pas compris d’autrui. Nous nous sommes donc servis d’un logiciel d’analyse vocale afin de comparer les stimuli enregistrés avec ceux d’un locuteur natif. Dans cette partie de l’analyse, qui était en principe dirigée vers des faits suprasegmentaux, nous nous sommes quelque peu attardés aux aspects phonologiques. Nos observations montrent que l’articulation des phonèmes est nettement moins bonne que lors 48 du premier exercice car nous avons retrouvé les problèmes segmentaux auxquels nous nous attendions dans la première partie de l’analyse. Nos apprenants sont donc potentiellement aptes à prononcer, mais ces capacités ne sont pas consolidées à cause d’un manque évident de pratique orale ou d’exercices phonétiques variés. Par ailleurs, nous avons découvert des éléments nouveaux au niveau de la constitution des syllabes qui, dans une certaine mesure, pourraient être en partie responsables des problèmes. Les consonnes constrictives initiales, qui pourtant appartiennent à la langue de départ, comme le /s/ et le /f/, ont une durée d’émission très brève. Les syllabes, pour autant, présentent des durées semblables, car elles sont généralement constituées d’une voyelle qui, lors de son émission, est très amplifiée. Il est nécessaire de se souvenir que dans la langue thaïe, une voyelle brève est distincte d’une longue et que par ailleurs elle est le support du tonème, elle a donc une valeur distinctive double. Nous avons également analysé les aspects prosodiques des énoncés qui présentent au moins deux groupes rythmiques du point de vue de l’accentuation, du rythme et de l’intonation de phrase. Il en ressort que l’accentuation ne distingue pas vraiment la dernière syllabe des groupes des autres syllabes si ce n’est qu’elle précède une légère pause. Souvent, les fluctuations montantes et descendantes de la courbe d’intensité, qui indique le volume sonore, sont plus amplifiées que chez le natif de référence pour toutes les syllabes. Le rythme, qui est fonction du débit, se réalise parfois d’une façon saccadée avec des pauses inappropriées où trop longues. Enfin les contours intonatifs du français ne sont pas du tout acquis et restent le point faible. Ce que nous appelons l’accent tonique, qui se matérialise dans les phrases déclaratives par une syllabe amplifiée, mais dont la fréquence baisse, est fréquemment associé à une fréquence montante, comme dans une phrase interrogative, avec toutefois la différence que la voyelle est brève dans ce cas et que sa fréquence ne varie pas pendant son articulation. Quant à la courbe intonative de phrase, elle commence et elle finit souvent à la même fréquence, avec une légère baisse en milieu de parcours. Il semble qu’il soit difficile pour nos apprenants d’associer un volume sonore croissant à une fréquence sonore qui diminue. Les résultats donnés ici proviennent d’un monologue et non pas d’un échange verbal spontané qui ferait sans doute apparaitre d’autres phénomènes prosodiques. Les patrons intonatifs et les faits prosodiques du français sont complexes et demandent un apprentissage particulier et une pratique régulière. Des exercices ciblés, qui passent d’abord par une sensibilisation auditive, doivent être intégrés dès le début de l’apprentissage. Par ailleurs, un nouveau type d’exercices de correction phonétique, inexistant aujourd’hui, doit être produit 49 compte tenu des particularités des apprenants thaïlandais en FLE. Ceux qui souhaitent améliorer leur production orale devront également s’habituer à être autonomes. Une meilleure prononciation facilitera la communication et permettra d’aborder les locuteurs natifs avec une plus grande confiance en soi et donc plus d’efficacité. 7. Bibliographie et webographie ABRAMSON, A. S. (1979) Lexical tone and sentence prosody in Thai in Proceedings of the International Congress of Phonetic Sciences. Institute of Phonetics, University of Copenhagen. CHAMPAGNE-MUZAR, et C. BOURDAGES, C. (1993) Le point sur la phonétique. Paris CLE International. Conseil de l’Europe (2005) Cadre européen commun de référence pour les langues. Division des politiques linguistiques Strasbourg. Editions Didier GROMER, B. et WEISS, M. (1990) Lire, tome 1 : apprendre à lire. Armand Colin. GUIMBRETIÈRE, E. (1994), Phonétique et enseignement de l’oral, Didactique du français, Paris : Didier/Hatier. LADO, R. (1957), Linguistics across Cultures, Michigan, University of Michigan Press. LAPKIN, S. (1985). Some procedures for testing French speaking skills in immersion classrooms. Association canadienne des professeurs d’immersion 8/3. LAURET, B. (2007), Enseigner la prononciation du français : questions et outils, Paris, Hachette FLE. LEFEUVRE, F.et MOLINE, E. (2011) Unités syntaxiques et unités prosodiques. Langue française, revue trimestrielle, n° 170. Paris. Larousse / Armand Colin PETERFALVI, J.M. (1966), La perception de la parole d'après les expériences de synthèse acoustique. In: L'année psychologique. Vol. 66, n°2. p. 559-577. REY A. et REY-DEBOVE J. 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