La Vie de Marianne, Marivaux (1731-1741)
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La Vie de Marianne, Marivaux (1731-1741)
!"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' La Vie de Marianne, Marivaux (1731-1741) Deuxième partie À peine fus-je assis, que je tirai de l’argent pour payer le cocher ; mais Mme Dutour, en femme d’expérience, crut devoir me conduire là-dessus, et me trouva trop jeune pour m’abandonner ce petit détail. Laissez-moi faire, me dit-elle, je vais le payer ; où vous a-t-il pris ? Auprès de la paroisse, lui dis-je. Eh ! c’est tout près d’ici, répliqua-t-elle en comptant quelque monnaie. Tenez, mon enfant, voilà ce qu’il vous faut. Ce qu’il me faut ! cela ! dit le cocher, qui lui rendit sa monnaie avec un dédain brutal ; oh ! que nenni ; cela ne se mesure pas à l’aune. Mais que veut-il dire avec son aune, cet homme ? répliqua gravement Mme Dutour : vous devez être content ; on sait peutêtre bien ce que c’est qu’un carrosse, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on en paye. Eh ! quand ce serait de demain, dit le cocher, qu’est-ce que cela avance ? Donnez-moi mon affaire, et ne crions pas tant. Voyez de quoi elle se mêle ! Est-ce vous que j’ai menée ? Est-ce qu’on vous demande quelque chose ? Quelle diable de femme avec ses douze sols ! Elle marchande cela comme une botte d’herbes. Mme Dutour était fière, parée, et qui plus est assez jolie, ce qui lui donnait encore une autre espèce de gloire. Les femmes d’un certain état s’imaginent en avoir plus de dignité, quand elles ont un joli visage ; elles regardent cet avantage-là comme un rang. La vanité s’aide de tout, et remplace ce qui lui manque avec ce qu’elle peut. Mme Dutour donc se sentit offensée de l’apostrophe ignoble du cocher (je vous raconte cela pour vous divertir), la botte d’herbes sonna mal à ses oreilles. Comment ce jargon-là pouvait-il venir à la bouche de quelqu’un qui la voyait ? Y avait-il rien dans son air qui fît penser à pareille chose ? En vérité, mon ami, il faut avouer que vous êtes bien impertinent, et il me convient bien d’écouter vos sottises ! dit-elle. Allons, retirez-vous. Voilà votre argent ; prenez ou laissez. Qu’est-ce que cela signifie ? Si j’appelle un voisin, on vous apprendra à parler aux bourgeois plus honnêtement que vous ne faites. [ …] Oui, malotru ! oui, douze sols, tu n’en auras pas davantage, disait-elle. – Et moi je ne les prendrai pas, douze diablesses ! répondait le cocher. – Encore ne les vaux-tu pas, continuait-elle ; n’es-tu pas honteux, fripon ? Quoi ! pour venir d’auprès de la paroisse ici ? Quand ce serait pour un carrosse d’ambassadeur, tiens, jarni de ma vie ! un denier avec, tu ne l’aurais pas ! J’aimerais mieux te voir mort, il n’y aurait pas grande perte ; […] C’est moi qui te le dis, qui ne suis pas une chiffonnière, mais bel et bien Mme Dutour, mdame pour toi, madame pour les autres, et madame tant que je serai au monde, entends-tu ? Huitième partie Valville n’est point un monstre comme vous vous le figurez. Non, c’est un homme fort ordinaire, madame : tout est plein de gens qui lui ressemblent, et ce n’est que par méprise que vous êtes si indignée contre lui, par pure méprise. C’est qu’au lieu d’une histoire véritable, vous avez cru lire un roman. Vous avez oublié que c’était ma vie que je vous racontais : voilà ce qui a fait que Valville vous a tant déplu ; et dans ce sens-là vous avez eu raison de me dire : Ne m’en parlez plus. Un héros de roman infidèle ! on n’aurait jamais rien vu de pareil. Il est réglé qu’ils doivent être constants ; on ne s’intéresse à eux que sur ce pied-là, et il est d’ailleurs aisé de les rendre tels ! il n’en coûte rien à la nature, c’est la fiction qui en fait les frais. Oui, d’accord. Mais, encore une fois, calmez-vous ; revenez à mon objet, vous avez pris le change. Je vous récite ici des faits qui vont comme il plaît à l’instabilité des choses humaines, et non pas des aventures d’imagination qui vont comme on veut. Je vous peins, non pas un cœur fait à plaisir, mais le cœur d’un homme, d’un Français qui a réellement existé de nos jours. ' !"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' De Libris qui vulgo dictuntur romanses oratio, Père Porée (1736) « Que les sages administrateurs des Etats portent leur attention sur ce fait, et, afin que le mal ne s’insinue pas davantage, qu’ils y veillent avec la sévérité opportune et rigoureuse des lois. La loi veille à ce que personne ne nuise à quiconque par quelque méfait que ce soit. Que ne veillet-elle également à ce qu’on n’écrive pas de livres, qui bien pires encore par leur méfait, troublent l’esprit des hommes et fascinent les cœurs ? La loi interdit à quiconque de mettre en vente des aliments susceptibles d’introduire dans l’organisme les germes nuisibles des maladies. Que n’interdit-elle encore de vendre des ouvrages qui, par une nourriture bien plus nocive encore, font pénétrer dans les cœurs les poisons mortels de l’amour ? La loi prescrit que personne n’importe de l’étranger des marchandises auxquelles soit attaché le moindre soupçon de contagion. Que ne prescrit-elle aussi que ne soient pas introduites d’Espagne, d’Italie, d’Angleterre, de Hollande, de Grèce, de Perse, de l’Inde, et du Japon des marchandises érotiques qui, bien plus malsaines encore par leur contagion, contaminent la cour, la ville et les provinces de leur virus infâme ? Pourquoi ce qui est prévu pour un danger n’est-il pas prévu pour l’autre ? Est-ce parce que, dans l’état, la santé des corps exige de grands soins ? Mais l’intégrité des âmes en demande-t-elle de moindres ? Que soit donc accordé à l’état ce qu’exige la santé, corrompue depuis longtemps chez nous, et bientôt perdue, des esprits et des cœurs. Que les lois transpercent, que les flammes détruisent, et fassent disparaître si faire se peut de tout le territoire toutes les œuvres empoisonnées des auteurs de romans. Et qu’ainsi on prenne enfin soin un jour de la littérature et de l’état ». Les Aventures de Télémaque, Fénelon (1699) « Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein. Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d’Hercule. […] Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or. Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais. L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l’air vers le milieu du jour. […] Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris. […] On voit en ce pays peu d’artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d’exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. [Les femmes] emploient le cuir de leurs moutons à faire une légère chaussure pour elles, pour leurs maris et pour leurs enfants ; elles font des tentes, dont les unes sont de peaux cirées et les autres d’écorce d’arbres ; elles font, elles lavent tous les habits de la famille, et tiennent les maisons dans un ordre et une propreté admirable. […] Quand on leur parle des peuples qui ont l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies et de pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme, ils répondent en ces termes : « Ces peuples sont bien malheureux d’avoir employé tant de travail et d’industrie à se corrompre eux-mêmes ! Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l’injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’) rendre les hommes mauvais ? Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l’ambition, par la crainte, par l’avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu’ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur. » ' !"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' Julie ou La Nouvelle Héloïse, Rousseau (1761) Lettre XI de Saint-Preux à milord Edouard […] Après avoir admiré l’effet de la vigilance et des soins de la plus respectable mère de famille dans l’ordre de sa maison, j’ai vu celui de ses récréations dan un lieu retiré dont elle fait sa promenade favorite, et qu’elle appelle son Elysée. […] Ce lieu, quoique tout proche de la maison, est tellement caché par l’allée couverte qui l’en sépare, qu’on ne l’aperçoit de nulle part. L’épais feuillage qui l’environne ne permet point à l’œil d’y pénétrer, et il est toujours soigneusement fermé à la clef. A peine fus-je au dedans, que, la porte étant masquée par des aunes et des coudriers qui ne laissent que deux étroits passages sur les côtés, je ne vis plus en me retournant par où j’étais entré, et, n’apercevant point de porte, je me trouvai là comme tombé des nues. En entrant dans ce prétendu verger, je fus frappé d’une agréable sensation de fraîcheur que d’obscurs ombrages, une verdure animée et vive, des fleurs éparses de tous côtés, un gazouillement d’eau courante, et le chant de mille oiseaux, portèrent à mon imagination du moins autant qu’à mes sens ; mais en même temps je crus voir le lieu le plus sauvage, le plus solitaire de la nature, et il me semblait d’être le premier mortel qui jamais eût pénétré dans ce désert. Surpris, saisi, transporté d’un spectacle si peu prévu, je restai un moment immobile, et m’écriai dans un enthousiasme involontaire : « […] Julie, le bout du monde est à votre porte ! […] je n’y vois point de travail humain. Vous avez fermé la porte ; l’eau est venue je ne sais comment ; la nature seule a fait tout le reste ; et vous-même n’eussiez jamais su faire aussi bien qu’elle. ! Il est vrai, dit-elle, que la nature a tout fait, mais sous ma direction, et il n’y a rien là que je n’aie ordonné. […] Je me mis à parcourir avec extase ce verger ainsi métamorphosé ; et si je ne trouvai point de plantes exotiques et de productions des Indes, je trouvai celles du pays disposées et réunies de manière à produire un effet plus riant et plus agréable. […] Dans les lieux plus découverts je voyais çà et là, sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de noisetier, de sureau, de seringa, de genêt, de trifolium, qui paraient la terre en lui donnant l’air d’être en friche. […] Mme de Wolmar, me tirant de ma rêverie, me dit en me prenant sous le bras : « Tout ce que vous voyez n’est que la nature végétale et inanimée ; et, quoi qu’on puisse faire, elle laisse toujours une idée de solitude qui attriste. Venez la voir animée et sensible, c’est là qu’à chaque instant du jour vous lui trouverez un attrait nouveau. ! Vous me prévenez, lui dis-je ; j’entends un ramage bruyant et confus, et j’aperçois assez peu d’oiseaux : je comprends que vous avez une volière. ! Il est vrai, dit-elle ; approchons-en. » Je n’osai dire encore ce que je pensais de la volière ; mais cette idée avait quelque chose qui me déplaisait, et ne me semblait point assortie au reste. […] C’étaient les bocages de ce coteau qui servaient d’asile à cette multitude d’oiseaux dont j’avais entendu de loin le ramage ; et c’était à l’ombre de ce feuillage comme sous un grand parasol qu’on les voyait voltiger, courir, chanter, s’agacer, se battre comme s’ils ne nous avaient pas aperçus. Ils s’enfuirent si peu à notre approche, que, selon l’idée dont j’étais prévenu, je les crus d’abord enfermés par un grillage ; mais comme nous fûmes arrivés au bord du bassin, j’en vis plusieurs descendre et s’approcher de nous sur une espèce de courte allée qui séparait en deux le terre-plein et communiquait du bassin à la volière.[…] « Cela est charmant ! m’écriai-je. Ce mot de volière m’avait surpris de votre part ; mais je l’entends maintenant : je vois que vous voulez des hôtes et non pas des prisonniers. ! Qu’appelezvous des hôtes ? répondit Julie : c’est nous qui sommes les leurs ; ils sont ici les maîtres, et nous leur payons tribut pour en être soufferts quelquefois. ! Fort bien, repris-je ; mais comment ces maîtres-là se sont-ils emparés de ce lieu ? Le moyen d’y rassembler tant d’habitants volontaires ? ' !"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' Je n’ai pas oui dire qu’on ait jamais rien tenté de pareil ; et je n’aurais point cru qu’on y pût réussir, si je n’en avais la preuve sous mes yeux. » « La patience et le temps, dit M. de Wolmar, ont fait ce miracle. Ce sont des expédients dont les gens riches ne s’avisent guère dans leurs plaisirs. Toujours pressés de jouir, la force et l’argent sont les seuls moyens qu’ils connaissent : ils ont des oiseaux dans des cages, et des amis à tant par mois. Si jamais des valets approchaient de ce lieu, vous en verriez bientôt les oiseaux disparaître ; et s’ils y sont à présent en grand nombre, c’est qu’il y en a toujours eu. On ne les fait pas venir quand il n’y en a point ; mais il est aisé, quand il y en a, d’en attirer davantage en prévenant tous leurs besoins, en ne les effrayant jamais, en leur faisant faire leur couvée en sûreté et ne dénichant point les petits ; car alors ceux qui s’y trouvent restent, et ceux qui surviennent restent encore. Ce bocage existait, quoiqu’il fût séparé du verger ; Julie n’a fait que l’y enfermer par une haie vive, ôter celle qui l’en séparait, l’agrandir, et l’orner de nouveaux plants. […] Voilà comment la patrie des pères est encore celle des enfants, et comment la peuplade se soutient et se multiplie. » […] ! Ainsi, lui dis-je, de peur que vos oiseaux ne soient vos esclaves, vous vous êtes rendus les leurs. ! Voilà bien, reprit [Julie], le propos d’un tyran, qui ne croit jouir de sa liberté qu’autant qu’il trouble celle des autres. » […] Il y a pourtant ici, continuai-je, une chose que je ne puis comprendre ; c’est qu’un lieu si différent de ce qu’il était ne peut être devenu ce qu’il est qu’avec de la culture et du soin : cependant je ne vois nulle part la moindre trace de culture ; tout est verdoyant, frais, vigoureux, et la main du jardinier ne se montre point ; rien ne dément l’idée d’une île déserte qui m’est venue en entrant, et je n’aperçois aucun pas d’hommes. ! Ah ! dit M. de Wolmar, c’est qu’on a pris grand soin de les effacer. […] Ces deux côtés, continua-t-il, étaient fermés par des murs ; les murs ont été masqués, non par des espaliers, mais par d’épais arbrisseaux qui font prendre les bornes du lieu pour le commencement d’un bois. Des deux autres côtés règnent de fortes haies vives, bien garnies d’érable, d’aubépine, de houx, de troëne, et d’autres arbrisseaux mélangés qui leur ôtent l’apparence de haies et leur donnent celle d’un taillis. Vous ne voyez rien d’aligné, rien de nivelé ; jamais le cordeau n’entra dans ce lieu ; la nature ne plante rien au cordeau ; les sinuosités dans leur feinte irrégularité sont ménagées avec art pour prolonger la promenade ; cacher les bords de l’île, et en agrandir l’étendue apparente sans faire des détours incommodes et trop fréquents. » En considérant tout cela, je trouvais assez bizarre qu’on prît tant de peine pour se cacher celle qu’on avait prise ; n’aurait-il pas mieux valu n’en point prendre ? « Malgré tout ce qu’on vous a dit, me répondit Julie, vous jugez du travail par l’effet, et vous vous trompez. Tout ce que vous voyez sont des plantes sauvages ou robustes qu’il suffit de mettre en terre, et qui viennent ensuite d’elles-mêmes. D’ailleurs, la nature semble vouloir dérober aux yeux des hommes ses vrais attraits, auxquels ils sont trop peu sensibles, et qu’ils défigurent quand ils sont à leur portée : elle fuit les lieux fréquentés ; c’est au sommet des montagnes, au fond des forêts, dans des îles désertes, qu’elle étale ses charmes les plus touchants. Ceux qui l’aiment et ne peuvent l’aller chercher si loin sont réduits à lui faire violence, à la forcer en quelque sorte à venir habiter avec eux ; et tout cela ne peut se faire sans un peu d’illusion. » [« Wolmar :] Que fera donc l’homme de goût qui vit pour vivre, qui sait jouir de lui-même, qui cherche les plaisirs vrais et simples, et qui veut se faire une promenade à la porte de sa maison ? Il la fera si commode et si agréable qu’il s’y puisse plaire à toutes les heures de la journée, et pourtant si simple et si naturelle qu’il semble n’avoir rien fait. Il rassemblera l’eau, la verdure, l’ombre et la fraîcheur ; car la nature aussi rassemble toutes ces choses. Il ne donnera à rien de la symétrie ; elle est ennemie de la nature et de la variété ; et toutes les allées d’un jardin ordinaire se ressemblent si fort qu’on croit être toujours dans la même : il élaguera le terrain pour s’y promener commodément, mais les deux côtés de ses allées ne seront point toujours ' !"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' exactement parallèles ; la direction n’en sera pas toujours en ligne droite, elle aura je ne sais quoi de vague comme la démarche d’un homme oisif qui erre en se promenant […] » […] Ce matin je me suis levé de bonne heure et avec l’empressement d’un enfant je suis allé m’enfermer dans l’île déserte. Que d’agréables pensées j’espérais porter dans ce lieu solitaire, où le doux aspect de la seule nature devait chasser de mon souvenir tout cet ordre social et factice qui m’a rendu si malheureux ! Tout ce qui va m’environner est l’ouvrage de celle qui me fut si chère. Je la contemplerai tout autour de moi ; je ne verrai rien que sa main n’ait touché ; je baiserai des fleurs que ses pieds auront foulées ; je respirerai avec la rosée un air qu’elle a respiré ; son goût dans ses amusements me rendra présents tous ses charmes, et je la trouverai partout comme elle est au fond de mon cœur. Du contrat social, livre II, Rousseau (1762) [Chapitre VI] Quand je dis que l’objet des lois est toujours général, j’entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites, jamais un homme comme individu ni une action particulière. Ainsi la loi peut bien statuer qu’il y aura des privilèges, mais elle n’en peut donner nommément à personne ; la loi peut faire plusieurs classes de citoyens, assigner même les qualités qui donneront droit à ces classes, mais elle ne peut nommer tels et tels pour y être admis. […] Sur cette idée on voit à l’instant qu’il ne faut plus demander à qui il appartient de faire des lois, puisqu’elles sont des actes de la volonté générale ; ni si le Prince est au-dessus des lois, puisqu’il est membre de l’État ; ni si la loi peut être injuste, puisque nul n’est injuste envers luimême ; ni comment on est libre et soumis aux lois, puisqu’elles ne sont que des registres de nos volontés. […] J’appelle donc République tout État régi par des lois, sous quelque forme d’administration que ce puisse être : car alors seulement l’intérêt public gouverne, et la chose publique est quelque chose. Tout gouvernement légitime est républicain. […] Les lois ne sont proprement que les conditions de l’association civile. Le Peuple soumis aux lois en doit être l’auteur ; il n’appartient qu’à ceux qui s’associent de régler les conditions de la société. [Chapitre XII] Pour ordonner le tout, ou donner la meilleur forme possible à la chose publique, il y a diverses relations à considérer. Premièrement l’action du corps entier agissant sur lui-même, c’est-à-dire le rapport du tout au tout, ou du souverain à l’État, et ce rapport est composé de celui des termes intermédiaires, comme nous le verrons ci-après. Les lois qui règlent ce rapport portent le nom de lois politiques, et s’appellent aussi lois fondamentales, non sans quelque raison si ces lois sont sages. Car s’il n’y a dans chaque État qu’une bonne manière de l’ordonner, le peuple qui l’a trouvée doit s’y tenir : mais si l’ordre établi est mauvais, pourquoi prendrait-on pour fondamentales des lois qui l’empêchent d’être bon ? D’ailleurs, en tout état de cause, un peuple est toujours le maître de changer ses lois, même les meilleurs ; car s’il lui plaît de se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a droit de l’en empêcher ? La seconde relation est celle des membres entre eux ou avec le corps entier, et ce rapport doit être au premier égard aussi petit et au second aussi grand qu’il est possible : en sorte que chaque citoyen soit dans une parfaite indépendance de tous les autres, et dans une excessive dépendance de la Cité ; ce qui se fait toujours par les mêmes moyens ; car il n’y a que la force de l’État qui fasse la liberté de ses membres. C’est de ce deuxième rapport que naissent les lois civiles. ' !"#$%&'&('&)(*+(,-.&'/$0)'%&'#"1$0'/.'23&'4'/,%&11&'&('5#"0(,6#&)'/.'7&0#&' Résumé de Julie ou La Nouvelle Héloïse PREMIÈRE PARTIE : LA FAUTE DE JULIE ET DE SAINT-PREUX A Clarens, petite ville au pied des Alpes, un jeune roturier, Saint-Preux, précepteur de Julie d'Étanges et de sa cousine Claire, déclare sa passion et arrache l'aveu qu'il est aimé. Julie se reprend bientôt et elle éloigne Saint-Preux ; les deux jeunes gens souffrent de la séparation ; quand il revient, elle lui cède. Cependant, ni Claire, ni l'ami de Saint-Preux, Milord Edouard, ne parviennent à obtenir du baron d'Étanges, qui d'ailleurs a promis sa fille à M. de Wolmar, son consentement à une mésalliance. DEUXIÈME PARTIE : LE SÉJOUR DE SAINT-PREUX À PARIS Saint-Preux est parti pour Paris avec Milord Edouard. Il écrit à Julie des lettres désespérées. La jeune fille repousse la tentation de s'enfuir pour le rejoindre en Angleterre dans une propriété de Milord Edouard. De Paris, Saint-Preux se livre à d'austères considérations sur la vie parisienne, sur la société, sur la tragédie et la comédie, sur les femmes, sur l'Opéra... Mais un jour, à Clarens, la mère de Julie découvre les lettres de Saint- Preux. TROISIÈME PARTIE : LE MARIAGE DE JULIE Malgré les efforts de Claire, qui a fait elle-même un mariage de raison, Saint-Preux ne veut pas s'effacer. Mais Mme d'Étanges meurt, minée par le chagrin. Julie, tourmentée par le remords, se résout à rompre avec Saint-Preux, cède à la volonté de son père et épouse sans amour M. de Wolmar : elle espère trouver dans le sacrement du mariage la force nécessaire pour lui rester fidèle. Saint-Preux, désespéré, veut se tuer ; Milord Edouard l'en empêche. Pour chercher l'oublit, il entreprend un voyage autour du monde. QUATRIÈME PARTIE : LA VIE À CLARENS Six ans ont passé. Julie vit en paix à Clarens avec M. de Wolmar et ses enfants ; elle finit par avouer son secret à son mari. Sur ces entrefaites, Saint-Preux, toujours amoureux, annonce son retour ; et M. de Wolmar, qui veut le guérir, le fait venir à Clarens. Après des explications d'une parfaite netteté, la vie en commun s'organise dans la confiance réciproque. M. de Wolmar s'absente ; au cours d'une promenade en bateau, ils retrouvent des lieux jadis témoins de leur amour ; ils sont un moment tentés de renouer. CINQUIÈME PARTIE : LE BONHEUR À CLARENS M. de Wolmar est revenu ; la vie en commun reprend, paisible et heureuse. Claire, veuve, s'installe à Clarens. Un seul élément de trouble : Julie est croyante , M. de Wolmar est sceptique. Les vendanges ont lieu dans une atmosphère de fête. Au cours d'un voyage avec Milord Edouard, Saint-Preux, une nuit, a un rêve qui l'inquiète ; il redoute de ne plus jamais revoir Julie et rentre bouleversé ; heureusement, il la retrouve et vérifie l'inanité de sa crainte. SIXIÈME PARTIE : INQUIÉTUDE ET MORT DE JULIE Julie cherche vainement à unir Claire et Saint-Preux. Inquiète, elle se livre à la dévotion et retrouve le calme dans les pensées mystiques. Comme elle s'est jetée dans le lac de Genève pour sauver un de ses enfants qui se noyait, elle tombe malade et meurt en chrétienne. Elle laisse à Saint-Preux une dernière lettre où elle formule le souhait qu'il épouse Claire, qu'il demeure auprès de M. de Wolmar et veille à l'éducation de ses enfants. Mais Saint-Preux ne se résigne pas d'emblée à une telle sagesse et sombre dans le désespoir. Résumé extrait de P.-G. Castex, P. Surer, G. Becker, Histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 1974. '