La ville est vivante - Séminaire du 6 au 8 avril 2010
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La ville est vivante - Séminaire du 6 au 8 avril 2010
La ville est vivante Séminaire du 6 au 8 avril 2010 - Hambourg Actes 3 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité La Fabrique de la Cité, un forum de réflexion sur la ville de demain. Expert dans les domaines de la construction, de la route, des réseaux de télécommunication et d’énergie, de l’immobilier, des concessions de transport et de grands équipements, le Groupe VINCI est par nature et depuis toujours au service de la Cité. À l’heure où la ville concentre tous les grands enjeux du XXIe siècle la mobilité, le développement durable, l’urbanisme, l’emploi, la mixité, … - le Groupe VINCI souhaite apporter une contribution concrète à la réflexion (think tank) sur la ville de demain. Comment concevoir des bâtiments, des quartiers, des villes durables ? Comment mieux partager la ville ? Tels sont les défis quotidiens auxquels est confronté le groupe VINCI. Telles sont les questions qu’il souhaite mettre au cœur du débat public. C’est pourquoi VINCI crée la Fabrique de la Cité, un forum (think tank) dont la vocation est de produire des idées innovantes sur la ville durable, en confrontant les points de vue des acteurs. La Fabrique de la Cité 1, cours Ferdinand de Lesseps - 92851 Rueil Malmaison Cedex - FRANCE Tel : +33 (0) 1 47 16 40 42 www.lafabriquedelacite. La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Sommaire OU V ER TU R E. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 01 TA B L E R OND E N°1 : ETA T D ES L I EU X ET ENJ EU X D E L A D EMOGR A PHI E U R B A I NE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 04 Quelles sont les évolutions démogra phiques à l’œ uvre da ns les villes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 04 Evolutions démographiques et enjeux à Hambourg. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 04 Paris / Athènes : regards croisés entre deux métropoles européennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 07 Quelles c onséquenc es sur l’orga nisa tion du territoire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Phénomènes et tendances dans les pays occidentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Immigration, démographie et villes européennes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Adapter l’habitat à l’évolution démographique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 TA B L E R OND E N°2 : COMMENT F A I R E F A CE A U X EV OL U TI ONS D EMOGR A PHI QU ES ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 A ntic iper les évolutions pour mieux s’y prépa rer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Evolutions démographiques et concessions autoroutières. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 D évelopper l’a ttra c tivité des villes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Présentation de l’étude sur l’attractivité des villes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Hambourg : ville attractive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 TA B L E R OND E N°3 : COMMENT A D A PTER L ES TER R I TOI R ES A U X CHA NGEMENTS ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Le rôle des politiques publiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Les technologies au service de la ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 Le cas des villes en décroissance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Villes durables : de la vision à l’action – Séminaire de la Fabrique de la Cité. Ouverture A c c ueil des pa rtic ipa nts pa r Pierre D upra t, direc teur de la c ommunic a tion, V I NCI Chers amis, bonjour, bienvenue à Hambourg pour ce troisième séminaire de la Fabrique de la Cité. Il me revient de vous présenter rapidement le programme de cet évènement qui pour deux jours, nous rassemblera autour du thème « La ville est vivante : évolutions démographiques et leurs impacts sur l’évolution des villes ». Je voudrais vous dire deux mots des raisons qui nous ont conduits à choisir cette ville magnifique de Hambourg pour accueillir nos travaux. Je rappellerai d’abord que le choix nous a été soufflé par l’architecte David Mangin qui nous rejoindra ce soir. Il faut rendre à César ce qui est César. C’était son idée et je crois que c’était une bonne idée. Comme vous le savez, Hambourg a été profondément marquée par la deuxième guerre mondiale et a eu besoin de se réinventer et de se forger en quelque sorte une nouvelle identité. Si vous avez jeté un coup d’œil aux documentations que l’on vous a remises dans vos dossiers, vous avez peut-être observé qu’ici, l’eau est omniprésente. La Ville communique beaucoup sur la présence de l’eau. Les espaces verts sont assez intelligemment exploités et mis en valeur dans cette ville de Hambourg. Les bâtiments ont attiré et attireront quelques-unes des plus grandes signatures de l’architecture internationale. Au total, les atouts d’Hambourg sont nombreux. Ils se sont développés considérablement en cinquante ans et ils séduisent évidemment une population toujours plus nombreuse. Nous en arrivons à notre thème. Hambourg est aujourd’hui la septième plus grande ville d’Europe et la deuxième ville d’Allemagne, avec 1,8 million d’habitants. C’est un chiffre qui est en croissance régulière. Hambourg jouit d’un solde migratoire positif, ce qui dénote un peu dans le paysage allemand. Peu de grandes villes en Allemagne peuvent en dire autant. Elle a été attributaire du titre de capitale verte européenne en 2011 et elle est très souvent lauréate de nombreux prix d’architecture dont très récemment celui du Mipim. Hambourg est réellement la ville en vogue en Allemagne. Je crois qu’elle était un bon choix pour traiter le thème de ces deux journées. Evidemment, comme dans toutes les villes qui sont sujettes à autant de succès et à autant de demandes, cet état de fait crée des responsabilités. C’est ce que nous diront d’ici quelques instants messieurs Walter et Kellner qui sont les représentants de la Mairie d’Hambourg et que je salue. Comme lors des deux éditions précédentes, nous avons fait le choix de privilégier des tables-rondes thématiques qui vont être introduites par une, deux ou trois courtes interventions. Je demande d’ailleurs à chacun de respecter son timing afin de pourvoir favoriser les échanges entre nous dans la salle. C’est un élément important dans nos séminaires de la Fabrique de la Cité. C’est d’ailleurs ce même principe qui nous a conduits à limiter le nombre de participants pour que nous soyons dans une dynamique de groupe plus tonique. La première table-ronde va être l’occasion de caractériser les évolutions démographiques et leurs conséquences sur la ville. Après la présentation des politiques locales que j’évoquais à l’instant, nous porterons un regard croisé entre Paris et Athènes. Brunella Boselli, représentant l’OCDE, livrera une vision d’ensemble sur les pays occidentaux. Nous nous attarderons ensuite sur deux phénomènes démographiques particuliers et à leurs incidences majeures sur la ville. Je veux parler de l’immigration et du vieillissement. Après un déjeuner que nous prendrons ici, à l’hôtel, par souci de commodité, nous verrons quels sont les moyens pour faire face aux évolutions démographiques. Cette seconde table-ronde sera donc l’occasion pour nous de regarder la façon dont les entreprises anticipent les évolutions pour mieux s’y préparer. Pour la première fois dans l’histoire de la Fabrique de la Cité, deux personnes prévues à cette table-ronde nous ont fait faux bond au dernier moment. Geneviève Ferone de Veolia devait intervenir et n’interviendra pas puisque sa fille a eu la mauvaise idée de faire une crise d’appendicite brutale et violente. Nous nous passerons donc malheureusement de la présence de Geneviève. David Azema de la SNCF s’est quant à lui arrangé pour que la CGT organise une grève reconductible et il nous a donc fait lui aussi faux bond. En tout cas, André Broto, de VINCI Autoroutes, défendra vaillamment les couleurs de cette table-ronde. Bon courage, André ! Nous clôturerons cette journée sur le ressort particulier qu’est l’attractivité des villes, au travers d’une étude que nous avons commandée à Julien Damon et au Groupe Futuribles. Cet exercice plutôt théorique sera complété par une expérience pratique qui a été menée ici même, à Hambourg, notamment autour de la notion de marketing urbain. Au terme de cette riche journée de travail, nous nous retrouverons dans un cadre sympathique pour dîner en ville, au restaurant Tafelhaus. Demain matin, nous irons visiter le quartier d’HafenCity, pour nous imprégner des réalisations locales. Nous reprendrons ensuite nos travaux pour une table-ronde qui sera consacrée aux solutions pratiques pour adapter les territoires aux changements. Villes en décroissance, technologies urbaines et politiques publiques seront au menu de ce dernier moment d’échange. Puis, nous nous en irons et nous nous préparerons au cinquième séminaire de la Fabrique de la Cité. 1 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Inventer aujourd’hui la ville de demain, c’est l’objectif passionnant que nous nous sommes fixés à la Fabrique de la Cité. Il nous reste plus qu’à y travailler pendant ces deux jours et je cède tout de suite la parole à YvesThibault de Silguy. L’ensemble de l’animation des deux journées sera confiée à A lex Ta ylor as usual qui est notre anchorman préféré ! Yves-Thibaut de Silguy, président du Conseil d’administration de VINCI, va ouvrir nos travaux. Yves, c’est à toi. Mesdames, messieurs, je vous remercie. Ouverture des tra va ux pa r Y ves-Thiba ult de Silguy, président du Conseil d’a dministra tion de V I NCI Merci, Pierre. Bonjour à toutes et à tous. Merci aux représentants de la Ville d’Hambourg d’être parmi nous et de nous accueillir dans cette formidable cité, ville dynamique et vivante s’il en est. C’est pour moi un grand plaisir de vous accueillir à ce quatrième séminaire de la Fabrique de la Cité. Rappelez-vous, le premier était à Londres où nous nous étions interrogés sur les politiques publiques, en particulier sur les problèmes liés à la mobilité. Le deuxième avait eu lieu à Paris, sur le Grand Paris et le développement économique de la capitale et de la région capitale. L’année dernière, le séminaire avait eu lieu à Copenhague et avait porté sur l’aménagement urbain. Nous nous étions placés du point de vue des décideurs, des politiques publiques et au niveau des infrastructures. Comment agencer une ville ? Quels services de transport déployer ? Comment faire pour dynamiser une métropole ? Nous avions parlé planification, stratégie, financement comme si d’une certaine manière d’ailleurs, il suffisait de décider d’un projet pour que se réalisent immédiatement les effets escomptés. La réalité n’est peut-être pas tout à fait aussi simple. Les élus que certains d’entre vous sont dans cette salle, ne doivent-ils pas quotidiennement s’efforcer de convaincre leurs concitoyens, leurs mandants, du bien-fondé de leurs décisions ? Les opérateurs de services que certains sont aussi dans cette salle, n’ont-ils jamais été confrontés à une infrastructure en déficit, à cause d’un manque de clientèle ? Les bâtisseurs que nous sommes ne font-ils pas régulièrement face à des oppositions très concrètes, notamment de riverains qui remettent en cause tel ou tel projet ? La ville est donc vivante. C’est le titre de notre séminaire. Cette ville vivante est aussi vivace, animée et en mouvement. Elle ne se construit pas systématiquement par le haut. Nous devons nous demander en permanence comment satisfaire les aspirations de nos concitoyens et comment dans la définition, la mise en œuvre et l’exécution des stratégies, les décideurs doivent prendre en compte ces aspirations et ces attentes. A cet égard, il y a un élément clé : la démographie. En effet, les évolutions démographiques poussent les élus à agir. D’une certaine façon, c’est la demande qui provoque l’offre. Par exemple, quand les populations vieillissent, il est nécessaire d’adapter l’offre de services et l’offre de logements. Au contraire, quand les populations rajeunissent, il faut satisfaire une demande d’écoles, de crèches. Quand les populations décroissent, comme à Liverpool ou à Leipzig, cela entraîne une baisse de la fiscalité locale et donc des recettes municipales, ainsi qu’un surdimensionnement des services publics. Comment doit-on s’adapter ? Quand les populations migrent, se déplacent, comment gère-t-on ces mouvements ? Lorsque la population croît, se renouvelle et est dynamique - tel est le cas en particulier à Hambourg - comment fait-on pour accompagner cette évolution ou mieux. Comment l’anticipe-t-on ? Voilà quelques exemples pour vous montrer que nos populations sont exigeantes et que leurs attentes sont toujours plus grandes. Pour s’assurer que l’offre répond bien à leurs demandes, les décideurs, les élus, les planificateurs, les opérateurs, les bâtisseurs doivent être à l’écoute des populations et doivent être également vigilants pour comprendre l’évolution de leurs besoins. Anticiper, prévenir le changement, l’accompagner, adapter les politiques : voilà à présent des composantes nécessaires à l’élaboration d’une stratégie urbaine bâtie sur le long terme. Ce sont aussi les thèmes que je vous propose de traiter au cours de ces deux jours. Avant de laisser la parole à nos invités, je profite moi-même d’avoir la parole pour vous présenter Rémi Dorval qui est l’ancien président de Solétanche Bachy, une filiale spécialisée dans les fondations profondes, notamment chez VINCI et qui vient d’être nommé directeur délégué du Groupe VINCI auprès de Xavier Huillard. Parmi ses attributions, il s’est vu donné le développement de la Fabrique de la Cité. C’est lui qui désormais aura la responsabilité de notre Think Tank. Je le remercie d’avance parce que je lui ai demandé de conclure à ma place les travaux, jeudi après-midi. Je dois en effet partir demain matin, à Paris, à un enterrement. Je ne veux pas être trop long. Pour terminer, je vous rappelle que l’objet de notre cercle de réflexion est d’échanger pour comprendre les intérêts des différents acteurs de la ville que l’on appelle maintenant les stakeholders. S’ils ne sont pas divergents, ils ne sont pas pour autant nécessairement identiques. Les élus, les opérateurs de services et les constructeurs n’ont pas tous les mêmes préoccupations. Je formule le souhait que ces deux jours de débat nous permettent de faire rencontrer ces idées, ces logiques, de les faire se croiser, si possible de les faire converger pour essayer de se forger une vision commune de la ville de demain puisque c’est la vocation de la Fabrique de la Cité. L’une de ses vocations est aussi d’aider chacun d’entre 2 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité nous dans l’exercice de ses fonctions, et de mieux comprendre les enjeux urbains pour ensuite adapter nos pratiques et notre savoir-faire. J’espère que dans cette optique, nous pourrons tirer des enseignements utiles des réflexions que nous allons engager à Hambourg. D’avance, je vous remercie et vous souhaite un bon séminaire. A lex Ta ylor, journa liste, modéra teur Merci beaucoup, Yves-Thibaud de Silguy. Je suis ravi de vous retrouver. Nous allons tout de suite donner la parole à Jörn Walter, directeur de l’Urbanisme à la Ville d’Hambourg. Merci de nous accueillir dans votre belle ville d’Hambourg. Vous pouvez l’applaudir pour son hospitalité. I ntervention de J örn W a lter, direc teur de l’U rba nisme à la V ille d’Ha mbourg. Mesdames, messieurs, nous sommes très heureux d’accueillir à Hambourg la quatrième édition de la Fabrique de la Cité, avec ce titre « La ville est vivante ». Voilà le thème qui nous occupera. Je vous livre d’abord quelques informations. Cette ville compte environ 1,7 million d’habitants. Si la population allemande décroît, celle de notre ville est en constante évolution vers le haut. Nous nous enorgueillissons de pouvoir compter environ 5 000 résidents de plus chaque année. Cela a bien sûr des répercussions sur la ville et sur son avenir. Nous sommes très heureux de pouvoir vous accueillir ici à Hambourg. Hambourg est une ville ancienne dont les origines remontent au VIIème siècle. Nous avons traversé plusieurs ères, parfois difficiles, y compris du point de vue économique, notamment dans la période actuelle. La surface totale d’Hambourg est d’environ 750 000 kilomètres carrés. Fait tout à fait significatif pour la ville, nous avons un port qui représente environ 10 % de la superficie de Hambourg. La population active représente environ un million de personnes. 30 % d’entre elles ont des besoins en mobilité urbaine. Notre ville s’est beaucoup transformée au cours des dernières années et des dernières décennies. Il est tout à fait vrai que nous sommes en pleine phase de restructuration urbaine et programmatique. Certes, l’économie internationale nous a guidés, elle a impacté notre profil au fil des siècles, et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Les frontières sont tombées. A l’ère de l’information, nous voyons que les barrières tombent entre le travail, la culture et les loisirs et nous pensons que les répercussions seront très positives à l’avenir. Le potentiel de la ville vient justement de ce nouveau besoin d’intégration. Tout porte à croire que la ville accueillera de grandes évolutions technologiques, une forte production culturelle et génèrera de nouvelles formes de vie et de loisirs. Il est donc très important d’élaborer de nouvelles politiques d’urbanisme. Nous voulons faire d’Hambourg une ville en croissance, mais aussi une ville durable. C’est notre slogan. Une croissance intelligence et durable : voilà le mot d’ordre. Nous espérons en effet pourvoir renforcer la compétitivité de la ville, tout en faisant un cadre de vie agréable pour les résidents. Nous sommes donc une ville axée sur les services, sur l’information. Nous devons nous adapter. Des grands projets tout à fait intéressants sont donc menés à Hambourg et ils ont un lien important avec le thème qui vous occupe. Nous voulons faire de Hambourg la métropole du savoir. Cela se reflète, comme je l’ai dit, dans les projets urbains qui ont lieu actuellement, en particulier HafenCity, et dans le développement interne de la ville qui fera accroître la superficie de la ville de 30 %. C’est là un développement très important pour Hambourg. Il nous donne l’occasion d’augmenter notre superficie urbaine et d’augmenter notamment le nombre d’emplois de 30 000. Le nombre de résidents augmentera quant à lui de 12 000. Grâce à la ville nouvelle, les résidents trouveront un nouveau cadre de vie, renouvelé par rapport au XIXème siècle. Vous savez que la ville est traversée par l’Elbe. Vous en entendrez parler plus longuement lorsque vous écouterez monsieur Kellner, juste après moi. Grâce au Wilhelmsburg et grâce à la rivière, nous souhaitons effectuer la liaison entre la partie nord et la partie sud de la ville, entre les parties privilégiées et moins privilégiées, afin d’avoir une continuité. C’est donc l’expression d’une société urbaine cosmopolitaine. Nous souhaitons développer les friches industrielles internes à la ville, tout en maîtrisant les répercussions du changement climatique. Toute politique urbaine doit être fondée sur l’égalité, la transparence, l’ouverture. Elle doit proposer un cadre de vie de qualité qui donne à tout à chacun les mêmes droits et offre un cadre solidaire. Les autorités locales doivent pouvoir encourager les initiatives locales et favoriser la cœ xistence de cultures différentes et d’initiatives individuelles. Votre réunion ici à Hambourg va dans ce sens. J’espère que ce travail sera aussi porté dans d’autres pays, comme en France. Nous suivons de près vos débats et nous essayons de les concrétiser, notamment en 2013 par le biais de l’exposition internationale sur la construction, IBA, en 2012 et d’autres manifestations. Je vous souhaite des travaux très fructueux. J’espère que vous pourrez néanmoins apprécier l’une des premières vraies journées de printemps ici à Hambourg et que le beau temps vous accompagnera lors de votre visite à HafenCity et l’île sur l’Elbe demain. Merci beaucoup. 3 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité T abl e -ronde n° 1 : Etat des lieux et enjeux de la démographie urbaine A lex Ta ylor, journa liste, modéra teur Passons maintenant à la première table-ronde. Ce matin, nous allons nous intéresser à un état des lieux et aux enjeux de la démographie urbaine. Quelles sont les évolutions démographiques à l’œuvre dans les villes dans lesquelles nous résidons ? Nous allons tout d’abord nous intéresser aux évolutions tout à fait particulières de la ville qui nous accueille aujourd’hui, Hambourg. Un représentant de l’équipe municipale d’Hambourg, Andréas Kellner, va nous proposer une introduction. Quelles sont les évolutions démographiques à l’œuvre dans les villes ? A ndréa s Kellner, Offi c e for R egiona l a nd L a ndsc a pe pla nning à la V ille de Ha mbourg Evolutions démogra phiques et enjeux à Ha mbourg Bonjour à tous. Merci de m’avoir invité à parler devant un tel auditoire. J’espère ne pas trop vous décevoir en annonçant que je ne vais pas beaucoup parler de l’évolution démographique de cette ville dont les faits clés ont déjà été mentionnés par monsieur Walter. Hambourg connaît une croissance moyenne et régulière. Cette croissance s’explique davantage par l’immigration de populations que par un développement naturel. Je vais concentrer mon propos sur les outils dont dispose l’urbanisme pour organiser cette croissance dans la dimension spatiale et surtout dans une qualité durable. J’espère que vous conviendrez de ma démarche qui consiste plus à parler de projets d’urbanisme qu’à donner des chiffres secs de l’évolution démographique.. Je voulais aussi vous introduire un peu mieux à ma fonction dans cette ville. Dans le programme, je suis annoncé comme membre de l’Office for Regional and Landscape planning, ce qui n’est pas vraiment le cas. En effet, je suis directeur d’une équipe spécialisée qui est directement liée à l’équipe politique de notre ministère. Mon équipe est responsable du projet directeur du Sénat, « le saut par-dessus l’Elbe » dont monsieur Walter vient de parler. Je vais vous présenter ce projet dans le contexte général des évolutions urbaines et des stratégies. Vous avez déjà vu les chiffres clés. Je pense que nous pouvons donc avancer un peu plus vite. Je voudrais attirer votre attention sur les qualités essentielles de cette ville que vous pouvez avoir déjà constatées par vous même. Nous avons d’un côté le fleuve de l’Elbe qui a marque le profil d’Hambourg en ce qu’il a joué un rôle décisif dans l’existence même de cette ville portuaire. De l’autre, il y a des lacs et des rivières, grandes qualités de l’espace public qui marquent également le profil de la ville. Pour respecter le thème donné, vous pouvez voir ici l’évolution démographique des années passées ainsi que les pronostics pour les prochaines années. La tendance est toujours à la croissance. Cette croissance doit bien sûr être maîtrisée de façon durable. C’est l’un des grands défis actuels, dans le contexte de mondialisation et avec la concurrence des grandes villes et des régions métropolitaines. En vous disant cela, vous saisissez ensuite les enjeux qui en découlent. Vous les connaissez très bien. J’avance un peu plus vite pour en venir aux approches de notre ville et à la manière dont nous essayons de trouver notre chemin vers la ville de demain, comme vous l’avez nommée. Hambourg est d’abord une ville ouverte au monde, une ville bienvenue à tous, à ceux qui viennent en touristes ou à ceux qui veulent travailler. Ici, par exemple, vous pouvez voir la foire commerciale que l’on vient juste de finir de construire. Nous accueillons aussi ceux qui viennent pour rester. Ils représentent un certain nombre et c’est à eux que l’on doit la croissance de la population. Une autre grande tâche tient à l’intégration de ceux qui viennent pour rester et qui apportent leur propre culture. Il existent quelques dizaines de cultures différentes dans cette ville et il faut les appréhender non pas comme une problématique mais comme un atout. Nous avons défini cinq messages de la croissance durable et nous avons décidé de les poursuivre politiquement. Vous les voyez détaillés sur le slide. Les urbanistes sont surtout imprégnés du premier message qui est de créer la ville dans la ville. Un développement durable qui essaie de ne pas trop consommer l’espace vert et de préserver la nature jouit déjà d’une tradition dans cette ville. Vous voyez ici un schéma des années 20 qui montre une continuité avec la trame du développement actuel, suivant des axes qui préconisent la sauvegarde de l’espace naturel. Dans les années 1990, en raison de l’unification allemande, 4 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité nous avons vu une importante croissance de population avec une forte migration est-ouest. Nous avons continué à développer la ville selon ces axes qui sont visibles sur cette fiche. Actuellement, une nouvelle vision de la planification spatiale est discutée politiquement. Vous voyez qu’elle ressemble assez aux précédentes, mais elle comporte tout de même des différences importantes dont je vais parler plus tard. Nous nous concentrons plus qu’auparavant sur le développement des quartiers dans la ville, avec une revitalisation des friches, tout en requalifiant l’espace public. Quand on densifie la ville, il faut augmenter la qualité de l’espace libre restant. En disposant de moins d’espace, il faut qu’il soit de qualité supérieure. Ici, vous pouvez voir les différentes friches auxquelles nous nous sommes attaqués et que nous sommes en train de développer. Tout cela produit bien sûr beaucoup de trafic, ce qu’il ne faut jamais oublier. Il faut toujours combiner les projets d’urbanisme avec des stratégies pour maîtriser les besoins de déplacement. Dans ce domaine aussi, je pense que la ville développe des approches assez durables. Par exemple, nous allons réintroduire les lignes du tramway qui existaient à Hambourg jusque dans les années soixante, tout en complétant le réseau existant des métros, des RER, etc. En rouge, vous voyez l’extension du métro 4 vers HafenCity, mais qui va aussi un jour, je l’espère, si nos moyens nous le permettent, être prolongée vers le sud, dans la région du « Saut pardessus l’Elbe » dont je vais vous parler en détail. Comme à Paris et dans d’autres villes, nous avons établi un système de vélos publics, tout cela pour offrir des alternatives à la voiture et gérer le trafic. Il y a déjà des blessures dans la ville, à cause de grandes voies routières. Nous nous en occupons aussi, même si nous ne pouvons pas le faire partout. Ici vous en voyez un exemple. Un quartier existant a été coupé par un axe autoroutier dans les années 70, un chantier typique à l’époque. Aujourd’hui, nous avons développé les plans et les financements pour réaliser une couverture de trois à quatre kilomètres au-dessus de cette autoroute qui va être couverte par des jardins. Le long de l’autoroute, le terrain libéré des jardins ouvriers va être ensuite développé pour y installer de nouveaux logements, ce qui permet de vendre du foncier pour contribuer au financement de toute la mesure. Maintenant, je vais me concentrer sur les espaces localisés en bordure de l’eau parce qu’ils sont une qualité unique de notre ville et nous ont permis de développer des projets intéressants et durables sur des sites anciens. Pour ceux qui ne connaissent pas beaucoup Hambourg, voici quelques mots sur le développement des structures portuaires. A l’époque, comme vous le voyez, on devait charger et décharger de nombreux bateaux. Il fallait donc avoir un port constitué de beaucoup de petits bassins. À votre droite, vous voyez la structure typique d’un port d’antan. Aujourd’hui, à l’inverse, les ports containerisés ont besoin de beaucoup d’espace derrière les berges. Les vieux ports existants ont donc besoin soit de changer leur structure, soit de déménager vers d’autres lieux. Le premier lieu où les besoins actuels ne pouvaient plus être satisfaits se situait le long des berges nord avoisinant le centre de la ville. Le port ne pouvait pas changer de structure en raison de sa position topographique et naturelle. Dans les années 80, le port a donc commencé à quitter cet endroit. C’était une chance unique pour la ville de retrouver l’eau et d’établir des projets que vous allez, je l’espère, voir demain, le long de ces berges nord, tout près du centre de la ville. Ce projet établi le long de la rivière est ce que l’on appelle ici un bourg qui est connu par tous comme étant le collier de perles, des perles de projets, des perles d’architecture. Après cette première expérience, nous nous sommes mis à transformer une autre partie portuaire, plus centrale, qui est juste au sud de la cité. Nous avions là la chance unique de regagner 150 hectares pour le développement urbain. Cet espace appartenait à l’époque au centre-ville. Dans le passé, le port avait pris cette partie de la ville pour se développer, avec de nombreux bassins qui formaient une structure tout à fait moderne pour l’époque. Dans les années 90, nous avons offert au port un autre site pour établir un terminal de containers moderne. En redonnant cette partie portuaire à la ville, nous avons eu la chance de développer ce projet de HafenCity que vous allez voir demain. Sur les berges opposées, nous avons conçu nos plans pour la candidature aux Jeux Olympiques 2012. Comme vous le savez, nous n’avons pas été choisis, mais cette première idée de procéder à des développements importants en face des berges nord, au sud de la branche nord de l’Elbe, a beaucoup changé la perception des urbanistes sur cette partie de la ville. Pour eux, auparavant, la ville se terminait au bord de l’Elbe. Au sud de la branche nord de l’Elbe commence un terrain plus ou moins oublié par les urbanistes. C’est un terrain marqué par le port, mais aussi par un quartier plutôt récent qui s’est développé en suivant le port au XIXème siècle. Il s’agit de la plus grande île fluviale d’Europe. C’était un espace assez hostile par le passé. Il ne s’agissait pas d’une île, mais d’un archipel d’une dizaines d’îles. Je vous mentionne avec plaisir que ce sont les Français, les troupes de Napoléon qui ont construit le premier pont traversant toutes ces îles du sud vers le nord. Malheureusement, cette traversée a établi une tradition de grandes voies qui jusqu’à aujourd’hui traversent ce quartier. Elle conduit à une structure fragmentée qui crée des difficultés au sein du quartier, non seulement du fait des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi du fait de ces barrières nord-sud qui posent problème pour le développement urbain. De plus, il y a eu une grande inondation en 1962 et une centaine de résidents se sont noyés. La population 5 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité traditionnelle d’ouvriers du port a commencé à quitter l’endroit et le quartier est devenu l’adresse des immigrants. La Ville a réagi en construisant des grands ensembles d’HLM, dans les années 70, ce qui a renforcé les problèmes au lieu de les résoudre. Dans les années 2000, nous avons commencé à voir le potentiel de cette région, notamment de par sa situation tout à fait centrale dans la ville, comparée à d’autres quartiers beaucoup plus éloignés du centreville. Ce quartier jouit vraiment d’une situation centrale, mais aussi de sa situation au bord de l’eau, avec d’anciens bassins, des canaux, etc. Nous avons imaginé pouvoir développer petit à petit d’autres projets qui pourraient améliorer la structure et l’image de ce quartier. Nous avons donc organisé un grand atelier international, en 2003, avec la participation d’architectes, mais aussi avec de nombreux résidents et de nombreux autres Hambourgeois. Nous avons formé des équipes mixtes qui ont développé leurs idées pour les différents endroits. Il y avait des résidents de l’île de Wilhelmsburg mais aussi des résidents du nord de la ville qui ne connaissaient pas encore ce quartier. Nous avons eu des étudiants, des collègues de l’administration, etc. Tous les résultats ont été évalués, combinés et intégrés dans une vision générale, ce qu’on appelle le schéma directeur du « saut par-dessus l’Elbe ». Pour la première fois, nous n’avons pas abandonné les axes, mais nous avons ajouté des points forts de développement dans le centre de la ville, là où il n’y avait auparavant qu’un développement portuaire. Comment avancer pour réaliser cette stratégie ? Beaucoup de villes ont des idées et des visions, mais il faut trouver ensuite le moyen d’avancer vers la réalisation du projet. Nous nous sommes servis d’un outil très allemand, nous avons décidé de réaliser une exposition internationale d’architecture, IBA, que certains parmi vous connaissent peut-être. En bref, il s’agit de définir un endroit dans la ville où sont typiquement concentrés les problèmes actuels de nombreuses villes, puis d’essayer de créer des projets pilotes et innovants pour résoudre ces problèmes qui sont caractéristiques de la situation internationale pour qu’on puisse les présenter à une date donnée. Il faut bien sûr concentrer des ressources financières et humaines pour établir ce laboratoire d’urbanisme. Nous prenons des risques en marchant sur ce chemin, mais sans risque, il n’y a pas d’innovation. Un vrai laboratoire pose toujours des questions dont les réponses ne sont connues qu’à la fin. Comme vous pouvez le voir au travers de ces différentes affiches, cela fait près d’un siècle que les IBA ont lieu en Allemagne. Le nôtre aura sa présentation finale en 2013. Je vous invite déjà à nous revoir dans trois ans pour vous donner le résultat. A Hambourg, nous avons trois grandes thématiques qui ont déjà été mentionnées par monsieur Walter : − La ville cosmopolite : le besoin d’intégrer plutôt que de problématiser le fait d’avoir plus de trente nationalités dans le quartier existant qui compte environ 50 000 habitants. − Les métro-zones. Comment traiter cette structure fragmentée pour qualifier les endroits qui sont moins attractifs pour s’y établir ? − Faire face aux enjeux de l’effet de serre qui est une thématique inévitable de nos jours. Nous espérons trouver des solutions modèles avec les projets de l’IBA. Ici vous voyez l’endroit où l’IBA est en train d’être préparée ainsi que les quarante projets que nous allons décliner selon les trois thèmes. Je pense que vous allez en voir et en entendre beaucoup plus demain. Je vais donc seulement vous donner quelques exemples. Prenons la thématique de la ville cosmopolite. L’intégration des immigrants a beaucoup à voir avec l’éducation. Nous allons donc développer un centre scolaire de conception innovante pour pouvoir offrir de meilleures chances aux élèves des familles immigrantes et créer également un centre culturel, ouvert aux adultes pour pouvoir échanger ces biens culturels et favoriser la connaissance mutuelle de ceux qui, aujourd’hui, vivent leur propre culture de façon isolée. Ici, vous voyez ensuite un projet très emblématique. Un ancien bunker de la seconde guerre mondiale va être transformé en centrale thermique, avec des panneaux solaires sur le toit et il va servir à un quartier existant à proximité. Ce quartier va être en même temps modernisé et mis en lien avec l’économie d’énergie. Tout cet ensemble va s’ajouter à toutes nos mesures sur cette thématique. Une autre grande mesure concerne ces voies d’autoroute qui ont coupé des quartiers existants. Ici vous voyez la voie existante. Nous allons la déplacer vers l’est et la rebâtir le long de la voie ferroviaire, pour libérer ce quartier de ces barrières et de toutes ces émissions, pour pouvoir le développer dans le futur. On peut déjà voir la voie déplacée le long de la voie ferroviaire. Nous sommes déjà en train de bâtir le nouveau centre du quartier de Wilhemsburg qui va consister en des immeubles de logements, des bureaux, mais aussi des offres de loisirs. Pour donner l’exemple, notre ministère va déménager. A la fin de cette année, nous allons commencer à bâtir nos nouveaux bureaux pour déménager en 2013. Cela va être combiné avec une exposition internationale des jardins, juste en face de ce nouveau centre qui est déjà bordé de vert aujourd’hui, mais qui va être transformé en un grand parc. Ce parc va être dédié aux résidents qui vivent dans le quartier, mais il constituera aussi une nouvelle attraction pour tous les hambourgeois. L’exposition des jardins aura naturellement lieu en 2013. 6 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité L’IBA a également la responsabilité considérable de faire perdurer la participation citoyenne qui a déjà été mobilisée. Même avant l’atelier, nous avions établi un système de participation des résidents. L’IBA continue à discuter les plans, à demander aux gens quels sont leurs besoins et essaie autant que possible de respecter les résultats obtenus. La communication s’étend aussi vers l’extérieur. Nous devons faire connaître l’endroit qui est toujours, pour beaucoup d’Hambourgeois, un terrain inconnu. Il faut en outre organiser des évènements culturels pour attirer les gens et leur monter les qualités de l’endroit. Pour ce faire, il existe des festivals de musique, des installations d’art, etc. Pour l’IBA, cette année est une année de présentation intermédiaire. Aussi c’est un bon moment pour venir assister à la présentation des projets dans l’état où ils sont actuellement. Il y a déjà quelques chantiers et beaucoup de concours qui sont terminés et dont les résultats peuvent être exposés. Il ne faut cependant jamais oublier que l’IBA n’est qu’une étape elle-même, qu’elle n’est qu’un outil pour dynamiser le processus du « saut par-dessus l’Elbe ». Nous faisons déjà des plans pour ce qui viendra après. Un projet très discuté actuellement est celui de savoir si nous devrions déménager une partie de l’université qui est elle aussi en croissance et qui a besoin de nouveaux locaux. Il serait judicieux de créer un deuxième lieu d’implantation de l’université, en face de HafenCity, là où nous avions des projets olympiques. Nous pourrions établir un nouveau quartier qui ressemblerait un peu à la HafenCity, avec une qualité exemplaire d’établissements universitaires. Pour finir, j’aimerais vous rappeler qu’Hambourg a gagné le concours de la capitale verte pour 2011. L’année prochaine, nous allons présenter le résultat de tous nos efforts, non seulement sur le développement urbain durable, mais aussi sur beaucoup d’autres thématiques où la ville essaye d’être innovante et exemplaire. Je vous remercie de votre attention. A lex Ta ylor Merci beaucoup pour cette présentation de la ville. Je vous rappelle que demain, nous allons visiter certaines parties de l’IBA et que vous allez pouvoir vous rendre compte qu’Hambourg est une ville vaste. Si vous ne connaissez pas le port, vous verrez que c’est une véritable ville en lui-même. C’est absolument immense. Nous allons pouvoir nous en rendre compte demain par nous-mêmes. Après la présentation de la ville où nous nous trouvons, nous allons maintenant comparer les enjeux démographiques dans deux villes assez différentes de ce point de vue : Paris et Athènes. Nous allons commencer avec Catherine Barbé de la Mairie de Paris que j’ai plaisir à retrouver. Ca therine B a rbé, D irec tric e Généra le à la V ille de Pa ris Pa ris / A thènes : rega rds c roisés entre deux métropoles européennes Je ne vais pas vous présenter les projets urbains de Paris. Il y aurait aussi matière à présenter beaucoup de choses. J’ai été directrice de l’Urbanisme de la Ville de Paris de 2001 à 2008 et nous avions développé beaucoup de projets. Je vais zoomer beaucoup plus sur le thème de notre matinée, c’est-à-dire sur la démographie parisienne, ses caractéristiques et en quoi elles peuvent inspirer les acteurs publics et les décideurs privés pour développer leurs stratégies sur ce territoire urbain. La présentation se décomposera en deux parties. Une première partie très descriptive va reposer essentiellement sur les premiers résultats du recensement de 2006 tels qu’ils ont été explorés par l’atelier parisien d’urbanisme. J’essaierai ensuite d’en tirer quelques enseignements plus généraux. Je vais vous présenter beaucoup de diapositives et nous allons commencer par cette carte. La plupart des cartes reprennent la même typologie. Les résultats du recensement sont présentés au sein d’une cartographie qui représente le cœur de l’agglomération parisienne dont je rappelle brièvement les caractéristiques. C’est une région qui comprend près de 11 millions d’habitants et une zone dense qui elle-même en représente 9 millions. Au sein de cet ensemble, Paris compte 2,180 millions d’habitants et représente surtout un territoire tout petit. On nous a cité la superficie de Hambourg à l’instant. Je rappelle que Paris fait 105 kilomètres carrés. La densité y est donc absolument exceptionnelle, elle est l’une des plus élevées au monde. Je crois que cette carte sur laquelle je reviendrai en conclusion, illustre bien cette démographie de ville-centre tout à fait particulière que l’on retrouve dans un certain nombre de grandes villes européennes et occidentales. Rick Bell qui vient de New-York le confirmerait également, mais pas avec une telle intensité. La densité parisienne est tout à fait exceptionnelle. La démographie de ville-centre se caractérise donc par une forte densité d’habitants, ainsi que par une forte densité d’emplois puisqu’en général, les villes-centres concentrent les emplois. Nous sommes aussi sur ce point dans une situation tout à fait exceptionnelle. Paris comptait 1,640 millions d’emplois en 2006 et la densité d’emplois a progressé légèrement ces dernières années, comme d’ailleurs le nombre d’habitants. Paris présente les mêmes caractéristiques que Hambourg. La ville-centre attire de nouveau, après une forte baisse de population entre 1900, où Paris comptait trois millions d’habitants, et les années 60 où la population est descendue à deux millions. Le nombre d’habitants augmente de nouveau et l’augmentation est encore plus 7 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité remarquable en nombre d’emplois, après une chute assez importante dans les années 90 via la délocalisation de grandes entreprises en périphérie qui n’était pas compensée par la création de nouvelles entreprises, ce qui est le cas aujourd’hui. Pour conclure sur cette caractéristique de Paris, comme celle d’autres grandes villes-centres, je dirais que Paris a une mixité fonctionnelle très importante puisque nous avons un emploi et demi par actif résident et donc des flux très importants qui sont représentés par le schéma suivant un peu plus compliqué. Vous aurez loisir de le regarder, si Clément nous remet une clé avec tous les documents comme l’année dernière. Ces flux restent encore très importants entre le reste de l’Ile-de-France et Paris, mais ils deviennent aussi de plus en plus importants de Paris vers la périphérie. Les résidents parisiens vont travailler de plus en plus en Ile-deFrance qui elle-même a de plus en plus d’emplois localisés en dehors de Paris. J’ai donc parlé de cette démographie de ville-centre. Il est important de souligner que les statistiques de ce recensement de 2006 montrent également que bien que la situation de Paris soit spécifique, comme vous l’avez vu dans la cartographie colorée que je viens de vous présenter, cette tendance se développe également progressivement en petite couronne. Finalement, cette démographie parisienne et ses caractéristiques, notamment la segmentation par tranche d’âge dont on parlera plus tard, se retrouvent dans la petite couronne, avec un taux de croissance naturelle assez important et un solde migratoire plutôt négatif qui vient du fait que les gens continuent à quitter Paris après leur retraite. Ce sont des caractéristiques du cœur de l’agglomération assez différentes de celles de l’Ile-de-France, de la province et de la France métropolitaine où les tendances en solde migratoire ne sont pas les mêmes et où la population a plutôt tendance à augmenter par les effets migratoires, alors qu’en Ile-de-France et particulièrement à Paris, elle baisse par ces effets migratoires. Cela été longuement commenté, notamment par l’ouvrage de Laurent Davezies « La République et ses territoires ». Ce sont des phénomènes extrêmement intéressants qui confirment que l’Ile-de-France doit continuer à être dynamique pour continuer à nourrir tous ces habitants qui vont ensuite s’installer en province. C’est en tout cas l’une des pistes de Laurent Davezies. Je vais parler maintenant de la structuration de cette population. Elle est différente de celle de la population française. Vous voyez la pyramide des âges française en marron et la pyramide des âges parisienne. Vous voyez que Paris compte moins de personnes âgées et d’enfants, mais que la tranche d’âge entre vingt et quarante ans y est extrêmement gonflée, hommes et femmes confondus, par rapport à la population française. Je pense que c’est une caractéristique des villes-centres qui attirent les étudiants et les jeunes actifs, mais elle prend à Paris une dimension toute particulière. Si l’on zoome sur les différentes catégories, on voit que les 20-34 ans sont très présents, non seulement à Paris, mais également dans un certain nombre de communes périphériques. Comme je vous le disais, l’effet démographique de la ville-centre commence à gagner les communes limitrophes. La cartographie colorée insiste particulièrement sur le fait que Paris compte moins d’enfants. Ce phénomène est décrit à gauche et est mis en perspective historiquement, à droite. Même si le nombre d’enfants a commencé à remonter un peu dans certains arrondissements parisiens, entre 1999 et 2006, Paris compte moins d’enfants de moins de vingt ans que dans le reste de l’agglomération. C’est particulièrement net. Paris compte également moins de personnes âgées que dans le reste de l’agglomération, ce qui n’est peut-être pas une caractéristique de toutes les villes-centres. Bien que la tendance soit moins nette qu’en ce qui concerne les enfants, il y a toujours des départs élevés au moment des départs en retraite. Je vous présente également quelques éléments sur la structure familiale qui est assez originale. Paris compte certes une population importante d’immigrés, mais beaucoup moins considérable que dans le 93, comme le montre également cette cartographie. Ce phénomène de ville-centre est somme toute assez modéré. Je crois qu’il faudrait que l’on regarde ce phénomène sur l’ensemble de la petite couronne pour avoir des caractéristiques que l’on retrouve dans d’autres villes-centres et d’autres métropoles mondiales. Je pense par exemple à Londres ou à New-York. La taille des ménages est faible. C’est lié au fait qu’il y a énormément de ménages qui ne comprennent qu’une seule personne. Nous le savons intuitivement, mais cette cartographie le met en exergue. Le nombre de famille a connu une légère progression qui est représentée par la carte de droite, mais le nombre de familles avec des enfants de moins de vingt ans est moins important que dans le reste de l’agglomération. C’est l’une des caractéristiques parisiennes. Je reviendrai d’ailleurs en conclusion sur cette légère progression des familles parce que ce phénomène était inattendu et a parfois provoqué ponctuellement des engorgements d’équipements publics (crèches et écoles maternelles) qui semblaient inacceptables aux yeux des habitants et qui ont bousculé les services municipaux au cours de ces dix dernières années. Enfin, Paris compte une proportion importante de familles monoparentales. Ce fait est peut-être lié au phénomène de ville-centre et à d’autres phénomènes tels que la taille des logements et la forte densité d’équipements publics. Avoir un enfant à Paris, dans des conditions un peu difficiles, est cependant peut-être moins compliqué qu’en périphérie. Les familles monoparentales souhaitent donc rester à Paris. Voilà pour les caractéristiques de cette structure familiale parisienne qui sont assez originales. 8 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Je vous donne maintenant quelques éléments sur la structure de l’emploi. Il y a du chômage à Paris, certes moins que dans le 93, mais Paris n’est pas un îlot de richesses et de plein emploi au milieu d’une France morose. La diagonale montre bien que les arrondissements du nord-est de la capitale se raccrochent en fait aux zones d’emploi les plus difficiles du nord-est de l’agglomération. En termes de chômage, la structure d’emplois n’est finalement pas très différente du reste de l’agglomération. En revanche, elle est très différente en ce qui concerne la composition sociologique. Nous savons également intuitivement que Paris est de plus en plus une ville de cadres. C’est un phénomène contre lequel essaie de lutter la Municipalité, avec des outils qui ne sont pas suffisamment puissants pour renverser la tendance et pour maintenir une réelle mixité sociale. On voit donc la baisse inéluctable des ouvriers et des employés, l’augmentation des professions intermédiaires et surtout l’augmentation des cadres et des professions supérieures. Bien que nous retrouvions ces tendances sur l’ensemble de la France (graphiques verts) et sur l’ensemble de l’Ile-de-France (graphiques pourpres), le fait est plus accentué à Paris qui a respectivement une proportion de cadres plus élevée et d’ouvriers et employés plus faible. Enfin, pour conclure ce descriptif de la situation parisienne, je vous présente quelques éléments sur le parc de logements qui est lui aussi très spécifique. Comme je l’ai dit au tout début, le nombre de logements traduit la forte densité de population, avec une moyenne de 153 logements à l’hectare, avec certains arrondissements comme le III ème et le XI ème qui ont plus 200 logements à l’hectare. C’est une densité tout à fait exceptionnelle, à la fois par rapport aux autres communes de l’agglomération, par rapport aux autres métropoles mondiales, et encore plus par rapport aux villes de taille intermédiaire ou autres métropoles françaises. Les logements sont très anciens. A l’image de la situation qui nous a été décrite pour Hambourg et pour le reste de l’Allemagne, il y a eu beaucoup de destructions, mais la situation est particulièrement caractéristique à Paris puisque les deux-tiers des logements ont été construits avant la deuxième guerre mondiale et parfois même avant la première guerre mondiale. Vous savez que le rythme de construction s’est extrêmement ralenti entre les deux guerres et a complètement chuté à partir de 1939. Il y a donc une forte proportion de logements construits avant 1949 qui présentent tout à fait les caractéristiques d’un parc ancien, c’est-à-dire de très petits logements. Paris est une ville de logements d’une et deux pièces. On l’oublie un peu trop facilement car Paris a toujours cette image de ville riche, de ville patrimoniale où il n’y a que de beaux appartements haussmanniens. Ce n’est absolument pas le cas. Paris comptait des catégories riches et des catégories pauvres au XIXème siècle. En 1860, au moment de l’annexion des communes limitrophes, Paris était une ville agglomération, si je puis dire, et comprenait sa banlieue dans son territoire. Ceci est resté morphologiquement. Ces immeubles ouvriers du nord-est de Paris sont restés. Ils ont certes été colonisés par des catégories d’habitants plus élevées socialement, comme nous l’avons vu dans le graphique d’emplois, mais ils sont restés de petits appartements et parfois des appartements encore très inconfortables. Même si la situation n’a rien à voir avec la situation des années 60 où le taux de logements inconfortables était très élevé à Paris, d’après le recensement, encore 10 % des logements seraient inconfortables. Il faut faire attention à ces données déclaratives, mais encore 10 % des logements n’ont pas un confort total. C’est le moins que l’on puisse dire. Comme vous le voyez, ils sont concentrés dans le nord de la capitale, principalement dans le XVIIIème, le X ème et un peu dans le IIIème. Depuis plusieurs décennies, la Municipalité a une politique active de résorption de l’insalubrité. Elle commence à porter ses fruits, mais nécessite encore un effort très important pour amener ce parc très ancien à un niveau de confort correct. L’Apur n’a pas encore cartographié totalement l’efficacité énergétique ou thermique de ce parc, mais les premiers travaux en matière de thermo-photographie montrent que ce parc ancien est plutôt exemplaire en la matière. Il est très compact, très dense et assez solidement construit. Il ne se défend donc pas trop mal face au froid et au chaud, ce qui est plutôt une bonne nouvelle puisque ce parc immobilier a une inertie très forte face aux changements et à la démolition. Près de 10 % de ces immeubles sont protégés, soit par l’Etat en ce qui concerne les monuments historiques, soit par le Plan local d’urbanisme. Il s’agit donc d’une inertie réglementaire et patrimoniale et non pas seulement financière. Ce parc présente par ailleurs un certain nombre d’avantages. L’avant-dernier tableau porte sur le statut social. Paris est une ville de locataires, situation évidemment très différente par rapport à la France. Paris compte 61 % de locataires, plus un certain nombre d’hébergés à différents titres. Cela n’a rien à voir avec les statistiques sur la France entière qui donnent une large majorité de propriétaires. Enfin, la dernière statistique présente une caractéristique extrêmement intéressante qui devrait susciter quelques commentaires. Le taux de motorisation est particulièrement faible. Moins d’un ménage sur deux a une voiture à Paris. Un ménage sur trois, dans les arrondissements du centre, rive droite, n’ont pas de voiture. Cette situation est tout à fait extraordinaire et exemplaire en Europe, même par rapport à Amsterdam et d’autres villes plutôt exemplaires en matière de lutte contre la circulation automobile. Cette caractéristique est liée à la situation décrite par les diapositives précédentes : forte densité d’habitats, d’emplois, mais aussi 9 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité d’équipements publics. Les déplacements sur des courtes distances sont faits principalement à pied et par transport en commun. Vous avez vu que l’effet ville-centre que l’on retrouve dans d’autres grandes métropoles attire toujours les jeunes actifs, mais ne repousse plus les familles puisque la population augmente tout doucement et qu’elle augmente essentiellement par un excédent naturel et davantage de naissances. Les familles restent donc à Paris. Pourquoi restent-elles à Paris ? Elles restent vraisemblablement pour toutes ces caractéristiques liées à la densité que je viens de décrire. Au cours de l’analyse du recensement précédent, nous avions déjà observé que les grandes métropoles françaises qui avaient une politique active d’embellissement de leur centre et d’amélioration de la qualité de vie au centre de la ville, gardaient leur population, voire retrouvaient de la population. Je crois que ce qui vient de nous être dit sur Hambourg confirme aussi ce phénomène. Une politique urbaine qui vise la qualité de vie des habitants, le confort, mais aussi le rayonnement de la ville attire ou maintient les habitants sur place. Si elle est doublée d’une politique familiale assez active, que ce soit en matière de garde de la petite enfance, de densité d’écoles maternelles, d’équipements, de prestations sociales et culturelles en tous genres, a priori, les familles ont tendance à rester sur place, particulièrement les familles monoparentales, comme je l’évoquais tout à l’heure. Pour le moment, la part des personnes âgées n’augmente pas. Elle est même en baisse constante depuis 1948. Combien de temps cela va-t-il durer ? Nous sommes assez réservés. A Paris, nous avons l’impression, mais c’est intuitif et cela mériterait des travaux de recherche, que les comportements et les attentes des personnes âgées ou des personnes qui deviennent âgées, semblent évoluer. La qualité de l’offre de services de la ville-centre – offres culturelles principalement, offres culturelles nationales puisque nous sommes dans la capitale, mais aussi offres culturelles locales (bibliothèques, centres de loisirs, etc…) – a tendance à maintenir les personnes âgées sur place. Comme d’autres villes-centres, nous allons peut-être être confrontés à une augmentation de la part des personnes âgées, mais pour le moment, ce n’est pas le cas à Paris. Vous avez vu également que les contraintes liées à l’âge et à la structure du parc de logements existant sont très fortes. Néanmoins elles ont permis de stabiliser l’emploi et de garder les familles. Pendant longtemps, dès les années 60, on a pensé que le parc immobilier parisien n’était pas adapté à l’emploi. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles La Défense a été créée et développée, pour offrir un parc alternatif beaucoup mieux adapté. On a vu également, ces dernières décennies, que d’autres pôles de bureaux se sont développés dans la première couronne, notamment à Saint-Denis, ainsi qu’en deuxième couronne dans les villes nouvelles. Néanmoins, l’emploi a pu se stabiliser à Paris et même légèrement progresser ces dernières années. Je pense que le parc est certes inadapté aux grandes entreprises, mais qu’il est assez adapté aux jeunes entreprises qui se créent et qui ont besoin de cet effet souple, de ce tissu économique intense et de cette excellente desserte qui offre d’autres avantages. Nous avons vu également que ce parc très âgé n’était pas très confortable pour les familles. Néanmoins, il a permis de les garder. Apparemment, les familles arbitrent entre l’inconfort ou la petite taille du logement et l’offre de services publics de proximité. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que les familles sont particulièrement exigeantes en matière d’offres de services publics de proximité. À la fin des années 90, quand il y a eu tout d’un coup une pénurie de places dans les écoles maternelles des XVIIIème et IX ème arrondissements, il y a eu une panique de la part des services de la Ville de Paris parce que nous n’avions pas vu arriver ce sursaut démographique, - notamment dans ces arrondissements où la population baissait fortement depuis les années 50 et inversement - et les habitants ont été extrêmement exigeants. Ils restaient à Paris justement parce qu’ils pensaient qu’il y avait une offre de services publics meilleure qu’ailleurs. Nous avons donc développé activement une politique de construction d’écoles maternelles, une politique de construction de crèches pour satisfaire à cette exigence très forte des habitants. Enfin, l’effet ville-centre (densité, mixité, etc.) se transmet aux communes limitrophes et nous avons vu qu’elles ont désormais les mêmes tendances qu’à Paris, alors qu’a contrario, dans la troisième couronne, les tendances démographiques sont très différentes : vieillissement de la population, forte présence de familles avec beaucoup d’enfants. On voit bien qu’il y a finalement deux comportements démographiques différents, suivant que l’on est au grand cœur de l’agglomération ou sur ses franges. Voilà les quelques enseignements que je vous proposais de tirer de la démographie parisienne. Je suppose que la démographie d’Athènes est très différente. A lex Ta ylor Merci beaucoup. Je vais profiter de votre présence pour vous poser une question. Vous avez parlé des outils que la Ville de Paris a essayé de mettre en œuvre pour changer le profil sociologique, pour réintroduire les ouvriers et les employés. Quels outils avez-vous développés pour rendre la ville encore plus attractive à des gens qui ont du mal à payer les loyers ? Ca therine B a rbé 10 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité C’est essentiellement une politique très active de construction de logements sociaux. Elle est imposée par la loi Solidarité renouvellement urbain de décembre 2002, mais la Ville de Paris a souhaité atteindre les objectifs plus tôt que le législateur ne l’y obligeait. L’objectif est d’essayer d’avoir 20 % de logements sociaux en 2014, de mémoire. Ce n’est pas forcément suffisant puisque simultanément, tous ces logements insalubres du nord de Paris dont je parlais ont progressivement disparu sous l’effet de la spéculation immobilière. La Ville développe d’autres outils, soit pour aider les catégories intermédiaires à se loger à Paris, soit pour réduire le coût des prestations sociales et familiales que la Ville offre à ses habitants, que ce soient les cantines scolaires ou la garde des jeunes enfants pour lesquelles les tarifs sont modulés en fonction des revenus. Ce n’est probablement pas suffisant, mais je pense tout de même que cette politique commence à avoir un certain effet. A lex Ta ylor Merci, Catherine. On va sans doute vous interroger à nouveau sur des questions concernant plus particulièrement Paris, au cours de ces deux journées. Nous sommes ravis d’accueillir maintenant Thomas Maloutas de l’Institut de sociologie urbaine et rurale d’Athènes, une ville très différente de Paris, mais qui a aussi, j’imagine, quelques points en commun avec elle. Merci. Thoma s Ma louta s, direc teur de l’I nstitut de soc iologie urba ine et rura le d’A thènes Je tiens tout d’abord à remercier les organisateurs pour cette invitation. Mon intervention portera sur Athènes que beaucoup d’entre vous doivent connaître moins bien que Paris. Je dois vous donner des éléments de contexte pour que vous compreniez les enjeux sociodémographiques que je vais développer. Lorsque vous vous apprêterez à atterrir à Athènes, un jour de beau temps, vous aurez certainement l’impression, en regardant par le hublot, que le tissu urbain se compose d’une masse indifférenciée de béton qui n’est limitée que par un littoral. Maintenant, cette masse semble s’étendre au-delà des deux montagnes qui autrefois, bordaient la ville. C’est là le résultat d’un urbanisme non concerté, non planifié qui a vu surtout le jour pendant la période d’après-guerre, lorsque la population de la zone métropolitaine a augmenté très rapidement, passant de 1,5 million au début des années 1950 à 3,5 millions au début des années 1980. Au cours des soixante dernières années, Athènes a dû faire face à des défis sociodémographiques très différents. Tout d’abord, pendant les trente premières années, Athènes a dû faire face à une migration interne massive, suite à la guerre civile grecque. Il y a eu une pénurie sévère de logements pour répondre à ces afflux massifs de population. Il y a eu dans le même temps un développement industriel relativement anémique qui n’était pas en mesure d’intégrer les nouveaux venus dans les villes d’un pays dont l’économie demeurait essentiellement agraire par nature. Comme pour le reste de l’Europe du sud, cela a mené à des vagues d’émigration très importantes à destination des bassins d’emploi de l’Allemagne de l’Ouest, de la Belgique, de la France et d’autres pays occidentaux et nordiques. Nous pouvons dire en bref que cette période fut une période d’urbanisation rapide de la capitale grecque et une période d’émigration intense. Contrairement à ce qui s’est passé dans les régions développées et industrielles de l’Europe et de l’Amérique du nord, en Europe du sud, l’urbanisation intense, dans cette période de l’immédiate après-guerre, a été le résultat de facteurs de répulsion de zones rurales en crise plutôt que de facteurs d’attraction urbains. On aurait pu penser que les bassins d’emploi industriels avaient des besoins impérieux de main d’œuvre. L’absence d’industrie, intervenant clé dans l’urbanisation du sud de l’Europe – je ne parle pas de régions comme le Piémont – a mené à un modèle d’urbanisation et à des régimes de protection sociale qui présentent des similitudes importantes parmi les quatre pays de cette grande région. La présence réduite de l’industrie, le moindre développement de l’Etat providence ont privé, dans une large mesure, les villes d’Europe du sud des principes d’organisation qui sous-tendent d’habitude les plans d’urbanisme, avec des zones d’activités clairement identifiées, une organisation interne, etc… Au contraire, les villes d’Europe du sud ont connu une croissance démographique rapide. Elles en ont fait une sorte de dynamisme économique et ont utilisé la construction de logements comme un élément clé qui a donné naissance à différents secteurs industriels liés au logement. D’un autre côté, il faut savoir que l’Etat a choisi une forme moins directe d’intervention sociale. On a favorisé le modèle de la reproduction sociale fondé sur la famille où plusieurs services pouvaient être organisés et pouvaient être mis à disposition de façon individuelle par la famille, plutôt que d’être assurés par la collectivité et par l’Etat. Athènes est certainement l’archétype de ce type d’urbanisation européenne, un modèle qui a fait du logement plutôt que des emplois industriels, l’élément central de la croissance de la ville et de l’intégration sociale. Dans les années cinquante et soixante, les migrants ruraux, à destination de la ville, ne pouvaient pas espérer avoir un poste industriel qui leur assurait un certain service et niveau d’équipement tel que logement, système de santé et éducation. Leur intégration à la société urbaine dépendait plutôt du fait de trouver un endroit où ils puissent s’installer, vivre, survivre et d’essayer ensuite de trouver un poste dans un marché de l’emploi relativement volatile. 11 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Les solutions d’emploi qui existaient pendant cette rapide croissance démographique ne se fondaient pas sur un modèle collectif d’investissements publics dans de grands projets de construction de logements, comme c’était le cas dans de nombreux pays européens après la guerre. Les solutions locales étaient presque exclusivement des projets de logements à petite échelle qui étaient soit encouragés, soit simplement tolérés par l’Etat. Deux différents types de logement ont dominé pendant cette période de l’immédiat après-guerre. Il y avait tout d’abord des constructions privées, sur des petits lots, en frange urbaine. Ces lots étaient achetés en général par des individus. Il y avait subdivision de grandes propriétés qui devaient être utilisées à d’autres fins que le logement, par exemple comme jardins horticoles, etc. Une construction de logements illégaux a eu lieu ensuite, mais ils étaient tolérés. Il y a même eu un appui politique, avec un système politique clientéliste. Environ 500 000 personnes ont eu ainsi accès au logement, grâce à ce système, dans des pavillons de qualité médiocre. En général, il s’agissait de maisons individuelles qui avaient été construites par les personnes qui les habitaient, surtout dans les zones ouvrières, dans la partie ouest de la périphérie de la ville. L’impact de ce système de logement est toujours visible dans le tissu urbain puisqu’il y a de vastes zones d’espace périurbain qui sont devenues des zones urbaines, sans qu’il y ait pour autant une mise à disposition d’infrastructures nécessaires et de services publics dont nous aurions besoin. L’autre grand type de système de logement, toujours dans l’immédiate période de l’après-guerre, était un système de construction d’immeubles d’appartements. En général, un petit propriétaire terrien et un petit promoteur s’associaient pour construire ces immeubles. Ce système a été extrêmement porteur puisqu’il a donné naissance à plus de 34 000 immeubles d’appartements de cinq étages ou plus et ce, au cours d’une trentaine d’années, alors qu’avant les années 1950, il n’existait qu’un millier d’immeubles d’appartements à Athènes. Ce système a été soutenu et aidé par l’Etat, avec des allègements fiscaux qui ont réduit le coût de la construction d’appartements de 20 % environ. Il y a eu, à la fin des années 1960, une augmentation des cœ fficients de construction, ce qui a encore renforcé les effets de ce système, surtout dans la zone centrale de la ville. Ce système a conduit à une augmentation de la population de 40 %, ce qui correspond environ à 250 000 nouveaux résidents, seulement pendant les années 1960. L’impact de ce deuxième système de logement fondé sur les immeubles d’appartements est encore plus important que le premier système de pavillons. L’effet positif a été de mettre à disposition des logements à faible coût pour les classes ouvrières et les classes moyennes, pour ces ménages qui étaient déjà trop urbains, d’une certaine façon. Les effets négatifs ont été très nombreux puisque pendant la période d’apogée de ce système, le patrimoine construit de la ville a disparu dans une très large mesure et de nombreux hôtels particuliers et immeubles d’appartements néo-classiques ont été démolis pour faire la place à ces constructions nouvelles qui occupaient des surfaces beaucoup plus importantes. Ce remplacement du parc de logements a eu pour résultat une densification sans précédent des zones résidentielles, dans le centre-ville et dans son pourtour. De plus, ce système de mise à disposition de logements populaires et à bas coût n’a pas été accompagné de la mise à disposition des services sociaux ou des infrastructures de transport nécessaires. Cette fois, cela a conduit à une détérioration très rapide des conditions de vie en centre-ville et cela a également encouragé un certain nombre de personnes des classes favorisées à quitter le centre-ville. Ce mouvement s’est également amplifié à cause des problèmes intenses de pollution atmosphérique et des problèmes de circulation très difficiles depuis les années 1970. Il est remarquable de voir que 62 % des catégories socioprofessionnelles supérieures vivaient dans le centre-ville en 1971 et qu’en 1991, ce pourcentage était passé à 27 % seulement. Athènes a été confrontée au défi très important de sa croissance démographique rapide, des années d’aprèsguerre jusque dans les années 80. La ville a favorisé la solution de logements individuels à bas prix. C’est peut-être une façon d’intégrer la société urbaine et la stabilité politique. L’Etat a essayé de voir quel était l’impact politique et économique de ces solutions et est resté relativement indifférent à ce que cela voulait dire pour l’avenir. La ville en tant que telle n’a jamais été une stratégie et une question prioritaire pendant cette période. Dans les années 1990, de nouveaux défis sont apparus. Dans les années 1980, la dynamique démographique essentielle était la redistribution interne de la population de la ville. Dans les années 1990, la population s’est déplacée surtout vers les zones périurbaines et il y a eu une perte de population nette dans le centre. Il y a eu une tendance de déplacement des populations vers les grandes banlieues et cette tendance se poursuit aujourd’hui. Elle a créé un étalement urbain impressionnant et elle n’a jamais fait l’objet d’une analyse en profondeur et encore moins d’une réglementation efficace. Une autre tendance démographique pendant cette période récente concerne le vieillissement de la population en Grèce. La Grèce a rejoint l’Italie et l’Espagne, aves des taux de fécondité extrêmement faibles, ce qui constitue bien entendu un poids pour les systèmes de protection sociale dans le contexte de l’Europe du sud. Il faut savoir que les soins aux personnes âgées sont assurés surtout par le cercle familial. La situation peut devenir très problématique lorsque des personnes âgées sont à la charge de moins de descendants et qu’il y a une moindre natalité ou lorsqu’il n’y a plus aucun descendant pour assurer ces soins. C’est un défi démographique majeur et pour l’instant, il n’y a pas eu de réponse politique particulière. C’est la source d’une 12 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité population de sans-abris de plus en plus importante. Ce phénomène n’existait pas en Grèce ni à Athènes il y a une vingtaine d’années. Pendant le même temps, les jeunes générations de femmes sud européennes sont employées de plus en plus souvent. Ainsi, le modèle familial traditionnel est de moins en moins pérenne puisqu’il se fonde sur la disponibilité d’un travail non rémunéré par les femmes. Des pressions s’exercent également sur les ressources que les familles distribuent de façon interne entre les générations. Désormais, il y a une dépendance accrue des jeunes qui font des études plus longues ou qui sont au chômage et qui veulent dépendre de leur famille plus longtemps. Cela aggrave le phénomène. Le défi sociodémographique le plus important pour Athènes, au cours des vingt dernières années, est l’immigration, ce qui est un trait commun avec d’autres métropoles de l’Europe du sud. Dans les années 1990, la croissance démographique d’Athènes était due exclusivement à l’arrivée d’immigrants. En 1991, il n’y avait que 2 % d’étrangers à Athènes. La plupart venait de pays européens et d’autres pays économiquement avancés. En 2001, le nombre d’étrangers atteignait 10 % et plus de 20 % de ces immigrants vivaient en centre-ville. A l’image des migrants nationaux des années 1950 et 1960, ils n’étaient pas attirés par la ville elle-même, mais venaient plutôt animés par des facteurs de répulsion, après l’effondrement des régimes communistes dans plusieurs pays des Balkans voisins. Voilà ce qui a été responsable de cette immigration massive à Athènes au début des années 1990. Une nouvelle vague d’immigration s’est développée au cours de cette même décennie, en provenance des zones instables en conflit au Moyen-Orient (des Irakiens, des Afghans, des Iraniens, des Kurdes), ainsi que des personnes d’autres origines ethniques venues de la région autour de la Grèce et qui sont de plus en plus attirées par Athènes. Leur intégration semble de plus en plus difficile, plus difficile en tout cas que pour l’ancienne vague d’immigration. Les réponses politiques ont été relativement rares. En tout cas, elles sont arrivées un peu tard, ce qui a conduit à une sorte de laisser-faire. Il n’y a aucun agenda politique en ce qui concerne les questions sociodémographiques de la ville. Athènes a tout de même saisi à bras le corps l’opportunité des Jeux Olympiques de 2004 pour faire une véritable politique de la ville, mais cette politique de la ville n’a jamais vraiment vu le jour. La modernisation des infrastructures n’a pas été accompagnée par un projet global pour l’avenir de la ville. Il y a eu la construction de deux lignes de métro, un projet de périphérique, plusieurs projets d’amélioration du réseau routiers, deux lignes de tramways, un nouvel aéroport et des sites archéologiques dans la zone plus large de l’Acropole ont fait partie d’un projet d’espace piéton continu. Tout cela a eu un impact positif sur l’organisation de la ville et sur son image, mais ces efforts n’étaient pas intégrés à une perspective très claire qui aurait été dessinée pour l’avenir de la ville à plus long terme. De nombreux investissements ont été réalisés pour des bâtiments olympiques et des centres sportifs, mais ils ont été abandonnés ou n’ont pas été utilisés à plein six ans après les jeux. De plus, ces nouvelles infrastructures ont eu un impact sur les prix de l’immobilier. Il n’y a pas eu de règlementation et ce développement n’a pas été utilisé comme un outil politique. Par conséquent, il est surprenant qu’Athènes qui manque chroniquement de politique, de planification et d’urbanisme, ne soit pas en proie à des problèmes plus graves. Nous aurions pu penser que l’expansion des banlieues allait augmenter le facteur de ségrégation puisque ce sont surtout les classes moyennes et les classes supérieures qui se sont déplacées vers les zones résidentielles, à la périphérie de la ville. Il y aurait pu y avoir un autre problème : l’augmentation relative de la population vieillissante aurait dû conduire à une crise du système de protection sociale sachant qu’en Grèce, seulement 3 % des personnes de plus de 75 ans vivent dans des maisons et des institutions en dehors du cercle familial. Les vagues d’immigration auraient dû augmenter le phénomène de polarisation, tant spatiale que sociale, en tout cas, d’après des auteurs comme Saskia Sassen, étant donné que les nouveaux immigrants occupent les emplois peu enviables et les segments les plus médiocres du marché du logement. De plus, l’impact de l’immigration sur la structure sociale de la ville aurait dû être encore plus négatif qu’il ne l’a été, étant donné que la première vague d’immigration du début des années 1990 a coïncidé avec la fin d’une longue période de mobilité sociale soutenue. Il y aurait dû avoir un impact plus fort sur la structure sociale. Cependant, d’une façon peut-être un peu fortuite, ces défis, sur le plan sociodémographique, se sont compensés les uns les autres. Le vieillissement de la population d’origine, associé à l’emploi de plus en plus fréquent des femmes d’origine grecque a créé une demande de services de soins et de services à la personne que les services sociaux peu développés ne pouvaient pas satisfaire. Par conséquent, les immigrants, les femmes immigrantes en particulier, ont pu remplir cette lacune, entrepris des tâches domestiques, et endossé des rôles féminins traditionnels que les femmes locales ne pouvaient plus endosser puisqu’elles s’étaient tournées vers d’autres professions. Les salaires faibles des immigrants ont fait que l’entreprise de ces tâches domestiques est devenue une pratique diffuse sur le plan social qui n’était pas limitée à une minorité de ménages privilégiés. En parallèle, les immigrants qui étaient arrivés en Grèce, après une longue période de mobilité sociale intense, avaient épuisé les positions les moins enviables du marché du travail. Ils ont déplacé, plutôt que remplacé, les travailleurs de la population d’origine dans des postes. On a réduit ainsi des frictions potentielles. Les immigrants ont surtout été employés par de nombreuses petites 13 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité entreprises familiales qui étaient au bord de la faillite avant leur arrivée. Nous avons ainsi assuré la survie de ces entreprises familiales. Ainsi, même si l’immigration en Grèce et en Europe du sud en général, n’avait pas été appelée de nos propres vœux dans le contexte occidental des années 60 et d’un marché de l’emploi en pleine expansion, ces immigrés qui n’avaient pas été invités ont trouvé leur place sur le marché local de l’emploi et ont renforcé le modèle de reproduction sociale centré sur la famille et lui ont permis de survivre. Comment l’immigration a-t-elle affecté la polarisation sociale et spatiale ? Pour ce qui est de la polarisation sociale, au cours des vingt dernières années, la structure professionnelle pour la population d’origine a évolué vers la professionnalisation plutôt que vers la polarisation. Ainsi, les catégories socioprofessionnelles supérieures ont augmenté, alors que les catégories socioprofessionnelles ont diminué. L’afflux d’immigrants a contribué à la polarisation sociale puisqu’un pôle professionnel a ainsi été gonflé. Ce type de polarisation ne devrait pas être compris de la même manière dans des villes telles que New-York, Londres, Paris ou Tokyo. A la différence de ces villes, à Athènes, le pôle le plus important est beaucoup moins lié à une sorte d’élite d’affaires internationales dont la présence pourrait avoir un effet très fort sur le marché du travail, sur les préférences en termes de logement, sur les valeurs de l’immobilier et même sur les identités de voisinage par un processus de gentrification. À Athènes, le pôle social local supérieur est surtout le fait de la population d’origine et son impact sur la polarisation spatiale est relativement limité. Par exemple, pour ceux qui occupent les positions intermédiaires (comme le personnel infirmier, les policiers, les professeurs, ect…), il n’est pas difficile de trouver un logement près du lieu de leur emploi. Ils peuvent se loger pratiquement partout. Quel a été l’impact des immigrants sur la polarisation sociale ? De façon paradoxale, les indices de ségrégation sociale sont réduits lorsque les immigrants s’ajoutent à la population d’origine. Cela est dû à la structure du parc local de logements. En Grèce, il n’y a pas de système d’habitation à loyer modéré et toutes les autres formes de logement social ne sont pas accessibles aux immigrants, surtout parce que pendant de nombreuses années, leur présence dans le pays était illégale. Ainsi, ces immigrants étaient obligés de trouver un logement dans la partie la plus abordable de la location privée. Il faut savoir que ce secteur ne se trouvait pas dans les zones ouvrières traditionnelles où habitaient les strates sociales inférieures et où ces personnes étaient propriétaires de leur logement, mais il se trouvait dans les zones fortement peuplées, autour du centre où la valeur des logements était dépréciée. Ce quartier a été progressivement abandonné par de nombreux ménages qui faisaient partie de la classe supérieure et de la classe moyenne. Les immigrants ont trouvé des logements abordables, des petits appartements, dans les étages inférieurs au sein des immeubles d’appartements. Ces immeubles d’appartements ont été les plus frappés par la dévaluation, en raison des problèmes de pollution acoustique, de l’absence de lumière, etc. Nombre de ces appartements étaient vacants, avant même que les immigrants arrivent. L’installation des immigrants dans les zones densément construites autour du centre a conduit à une forme particulière de ségrégation verticale. Il s’agit en fait d’une différenciation sociale et ethnique systématique, au sein même des immeubles d’appartements, déterminée par la hiérarchie des étages. C’est exactement le contraire de ce qui se passait à Paris il y a plus d’un siècle. Dans certaines zones, cette ségrégation verticale signifiait que les immigrants et les Grecs appartenant à la classe moyenne habitaient dans les mêmes bâtiments, mais à des étages différents. Cela était vrai dans une partie très importante de la ville, pour environ un tiers de sa population. Il semble qu’une fois encore, les choses se sont organisées d’elles-mêmes, sans qu’il y ait de problèmes potentiels et sans qu’il y ait de réponses de nature politique émanant des autorités locales ou des autorités de l’Etat. Cependant, ce type d’approche, en autopilote pourrait-on dire, a certainement atteint ses limites. Il y a de nouveaux défis à l’horizon et certains d’entre eux sont déjà présents. Après une longue période de croissance économique, avec une croissance annuelle du PIB de 4 %, nous sommes, comme vous le savez déjà tous, au début de ce qui semble être une longue période de difficulté économique. Je crois que c’est là un euphémisme. Ainsi, ce qui n’a pas été investi dans les politiques par le passé sera plus difficile à financer demain. Etant donné les pressions économique actuelles, les mesures qui ont été entreprises par le gouvernement pour remédier à cette situation impliquent notamment une réduction de l’économie souterraine. Un impact positif à long terme devrait résulter de telles mesures, mais dans un avenir proche, ces mesures peuvent perturber la cohésion sociale de la ville. La main d’œuvre issue de l’immigration sera plus réglementée et deviendra donc plus chère. Elle sera moins abordable pour les petites entreprises et pour les ménages privés qui verront parallèlement leur niveau de revenus réduit. Le chômage des immigrants qui n’a pas été un problème pendant un certain temps en Grèce, deviendra certainement une difficulté. Plusieurs services sociaux, assurés par la main d’œuvre immigrante bon marché, devront être mis à disposition par d’autres individus. Ces questions ne doivent pas être réglées au niveau de la ville, mais leur impact doit être anticipé au niveau de la ville. La première vague d’immigration semble avoir été intégrée, non pas sans problème, mais d’une façon relativement adéquate. La nouvelle vague d’immigration sera peut-être beaucoup plus difficile à intégrer. 14 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Dans un récent projet de recherche, nous avons été en mesure de déterminer un certain nombre de groupements ethniques de migrants qui présentent des caractéristiques relativement différentes en termes de bagage éducatif, de conditions de vie, de conditions de travail, de compétences, de structure des ménages, de ratio hommes/femmes, etc. Tout cela leur donne des chances d’intégration tout à fait différentes. Ils n’ont donc pas tous les mêmes chances d’intégration ni les mêmes chances de mobilité sociale au sein de la structure sociale de la ville. Les groupements ethniques du Moyen-Orient et de la péninsule indienne qui se caractérisent par de faibles niveaux de qualification, une mauvaise éducation, une absence relative de structure familiale et un très mauvais niveau de vie et de travail, sont plus difficiles à intégrer, alors que pour d’autres, la situation est tout à fait différente. Ces immigrés qui ne peuvent pas s’intégrer risquent d’être relégués au rang de sous-prolétaires nomades. Si ces problèmes potentiels restent sans règlementation encore pendant longtemps, apparaîtront nécessairement au premier plan des questions de criminalité et de sécurité. Il faut donc pouvoir mettre en place des politiques efficaces. L’épiphénomène des questions de sécurité risque cependant de porter ombrage à ces questions sociales fondamentales. Les efforts et les ressources politiques devront être canalisés vers des mesures politiques qui instaurent une discrimination sur le plan social. Le programme pour la régénération et la revitalisation du centre de la ville et pour le retour des résidents ressemble d’ores et déjà à un programme ouvertement anti-immigrant où l’on voudrait faire le ménage. C’est un programme de la tolérance zéro. Il semble que le maire Juliani attire de plus en plus d’admirateurs à Athènes et ailleurs. La ville a besoin de nouvelles politiques pour faire face à ces problèmes sociodémographiques. Pendant longtemps, la ville a été habituée à laisser ses problèmes se régler d’eux-mêmes. Pour différentes raisons, ceci a plutôt bien fonctionné au cours de diverses périodes suivant la guerre et il est difficile de mettre en place des politiques efficaces, étant donné les conditions économiques négatives actuelles, mais il est essentiel de mettre en place ces politiques pour traiter des questions sociales fondamentales, afin d’en contrôler les conséquences. C’est la vision de la ville qui en dépend, pour un avenir qui soit pérenne et équitable au plan social. Merci. A lex Ta ylor Merci beaucoup. Une petite question. A quoi attribuez-vous le fait que les ambitions issues des Jeux Olympiques n’aient pas été suivies d’effets ? Est-ce l’absence d’un volontarisme politique ? Est-ce un manque de finances ? En ce moment, à Londres, les médias parlent de l’effet Jeux Olympiques sur la ville. On aimerait tirer les enseignements d’Athènes. Est-ce un manque de vision ? Thoma s Ma louta s En effet, il n’y a pas beaucoup de vision à Athènes, mais c’est surtout l’absence d’un plan maître dans lequel aurait dû s’inscrire l’effort olympique. Ce manque est probablement le résultat de l’absence d’une culture de planification. On a tendance à penser la ville comme la ville de l’Antiquité. A lex Ta ylor C’est donc une question politique. Thoma s Ma louta s Oui, c’est politique. C’est aussi historique. Nous n’avons pas les compétences disponibles sur place. Il y avait vraiment une absence d’infrastructures. Là où il y a absence d’infrastructures, on peut placer des infrastructures. En revanche, lorsqu’il y a absence de compétences, il est difficile de combler ces lacunes en l’espace de quelques années. Nous verrons ce que nous réservera l’avenir. A lex Ta ylor Merci beaucoup, Thomas. Avant la pause, je profite de la présence de Julien Damon pour lui poser une question. Vous êtes professeur associé à Sciences-Po, vous allez nous présenter cet après-midi une étude sur l’attractivité des différentes villes. Pouvez-vous nous dire un petit mot sur l’attractivité d’Athènes et de Paris ? Qu’est-ce que vous avez retenu ? J ulien D a mon, professeur a ssoc ié à Sc ienc es-Po De la présentation qui nous a été faite, je retiens que Paris, bien qu’elle soit empreinte de contrastes et d’inégalités, a cette idée forte qu’elle est la plus belle ville du monde. Elle est toujours attirante et s’organise pour que les populations qui y vivent s’y sentent bien et pour faire venir de l’extérieur touristes et moyens. Athènes est quant à elle une ville particulièrement inquiète. Je vous le montrerai cet après-midi. J’ai récupéré les données d’un audit urbain qui montre que sur 75 villes de l’Union, la population athénienne est la population qui exprime le plus de craintes à l’égard de l’insécurité, de l’environnement, ceci n’étant pas lié à la crise actuelle puisque les données datent de six mois. Ces deux villes historiques du cœur de l’Union européenne sont pour le moins dans des situations extrêmement différentes. J’ai noté aussi qu’il y a à Athènes, l’apparition de problèmes qui sont gérés à Paris depuis très longtemps. Un sujet que je trouve 15 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité intéressant est celui des sans-abris. Si je vous ai bien entendu, il y a vingt ans, il n’y avait pas de problème de sans-abris à Athènes et la ville commence à s’en préoccuper actuellement. Quelles conséquences sur l’organisation du territoire ? A lex Ta ylor Nous allons poursuivre avec Brunella Boselli de l’OCDE. Vous allez nous parler des phénomènes et tendances dans les pays occidentaux. B runella B oselli, sta tistic ienne à l’OCD E Phénomènes et tenda nc es da ns les pa ys oc c identa ux Je viens de l’OCDE, de la direction pour le développement territorial. Je travaille sur les statistiques relatives aux villes et aux régions. Je vous propose aujourd’hui d’aborder des questions que je n’analyserai pas dans le détail, mais dont je vous donnerai un bon aperçu. Voici un exemple des résultats de nos travaux sur les villes et les collectivités. Il y a d’abord une analyse des tendances et de la performance socioéconomique des villes. Nous menons une évaluation qui sert à élaborer des recommandations en matière de politique générale. Nous organisons une table-ronde de l’OCDE des maires et des ministres consacrée à la stratégie urbaine. La prochaine édition aura lieu le 25 mai. Nous avons déjà enregistré la participation de personnes très importantes : les maires de Paris, de Bordeaux, de Rome et un certain nombre de ministres. Ces tables-rondes sont plutôt importantes. Des ministres ont l’occasion de parler à des maires. L’échelon du pouvoir central parle aux échelons locaux et territoriaux. Nous pensons que ceci est très important pour ce qui a trait au développement urbain. Nous avons aussi mis au point une base de données internationale très importante portant sur 78 régions métropolitaines et urbaines de l’OCDE, c’està-dire sur le cœur de la ville et sa couronne, avec ce que cela implique en termes de déplacement. Nous avons également une publication qui s’intitule « Villes compétitives dans une économie mondiale » et nous participons également à l’élaboration de politiques nationales aux côtés des pays membres de l’OCDE. Je vous propose tout d’abord un graphique qui montre l’évolution de l’urbanisation dans le monde, dans les pays de l’OCDE. La ligne en bleu représente la population urbaine dans les pays de l’OCDE et la ligne hachée en bleu représente la population rurale dans ces mêmes pays. Vous voyez que cette dernière diminue, alors que la première augmente. Le phénomène est encore plus vrai au niveau mondial. La population rurale décroît, alors que la population urbaine croît. Ces données partent de 1950 et comportent des projections jusqu’en 2027. Concernant la croissance de la population dans les régions urbaines, dans les agglomérations de l’OCDE, on voit que la population augmente, surtout depuis les quinze dernières années. La croissance moyenne de la population urbaine qui est représentée par la barre bleu foncé, est d’environ 1 % par an. Certaines régions sont en tête de peloton : Phénix, Huston, Atlanta, Dallas et Istanbul, soit des villes américaines, plus Istanbul qui appartient à un pays qui est dans une phase de développement qui n’est pas vraiment dans la moyenne des pays de l’OCDE. Voici d’autres graphiques qui vous montrent l’évolution de l’urbanisation dans les pays de l’OCDE. Nous voyons tout d’abord la croissance de l’urbanisation par type de région. Toutes les régions des pays de l’OCDE sont prises en compte, selon le niveau NAT 3, soit le niveau départemental pour la France. Nous voyons des régions à prédominance urbaine et d’autres à prédominance rurale. Elles sont classées en fonction de la densité de population. Vous voyez que les régions à prédominance urbaine ont le taux de croissance le plus rapide. Elles ne sont pas les seules puisque certaines zones rurales et intermédiaires affichent également une croissance démographique forte. Vous voyez ensuite, en pourcentage, l’évolution de la population vivant dans les grandes zones urbaines et les variations annuelles. La barre grise représente la croissance démographique nationale et la partie sombre de cette même barre représente la croissance démographique dans les grandes régions urbaines. Vous constatez que le taux de croissance est plus fort dans les régions urbanisées. Je vous présente maintenant quelques transparents sur la concentration urbaine en Europe. Vous voyez que l’Europe a une forte densité de population autour des Pays-Bas, de la Belgique et de Londres. Ce sont les régions d’Europe où l’on trouve la plus forte concentration urbaine. Vous voyez ensuite la situation au Japon et en Corée, comparée à d’autres pays de l’OCDE de la région Asie-Pacifique. Aux Etats-Unis, vous voyez apparaître clairement la partie nord-est, New-York, Toronto, Boston, ainsi que Mexico, Los Angeles et Miami dans une moindre mesure. 16 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Nous voyons ici que les pays de l’OCDE affichent de manière générale des taux d’urbanisation assez stables. Le processus d’urbanisation est à mettre en relation avec le processus de développement. S’agissant de pays qui sont déjà développés, le processus d’urbanisation s’est stabilisé. Les pays développés ont un niveau d’urbanisation plus élevé, alors que les pays en développement affichent une croissance plus forte et un taux d’urbanisation plus faible. Vous voyez la proportion de la population urbaine par rapport à la population générale. Nous voyons que le niveau d’urbanisation est parallèle au niveau de développement. Les économies émergentes ont quant à elles un taux d’urbanisation beaucoup plus rapide que la moyenne de l’OCDE, alors que le taux global d’urbanisation est plus faible que dans les pays développés. En Chine, entre 1997 et 2010, la croissance de la population urbaine aura été de 281 %, en Inde de 168 % et au Brésil de 153 %. La croissance de la population urbaine reste tout de même importante, même dans les pays développés. J’aimerais vous donner quelques éléments de contexte concernant les stades d’urbanisation et de développement. Nous parlons des pays développés par rapport aux pays en développement. Les stades précoces de développement économique voient une croissance rapide de la proportion urbaine de la population. Il y a donc un exode rural. Les villes se peuplent rapidement. Au stade intermédiaire de développement économique, l’attraction de la ville se fait moindre. Les villes se vident en faveur des banlieues vertes ou des villes de taille moyenne. Au stade de maturation économique, la proportion de la population urbaine croît très faiblement. Nous pouvons même assister à une déperdition de la population urbaine. Vient ensuite le stade postindustriel, avec une forte proportion de population urbaine, mais qui reste stable. La population se renouvelle surtout dans les grandes agglomérations et la croissance alimente surtout les villes de taille moyenne. On voit alors les anciennes villes industrielles se dépeupler, ce qui pose des problèmes particuliers. Dans les années 50 aux Etats-Unis et dans les années 60 en Europe du nord, comme nous l’avons dit, l’exode rural s’est ralenti. Avec la mondialisation, les emplois manufacturiers sont sortis des pays développés. Il y a eu délocalisation. Le secteur des services qui a une moindre emprise spatiale, s’est alors accru et a concentré la plupart des emplois. Ces pays se sont intéressés surtout à acquérir une main d’œuvre spécialisée. Dans les années 70 et 80, le cœur des grandes régions urbanisées a concentré ces activités. La taille des ménages s’est amoindrie et les femmes ont été plus présentes sur le marché du travail. Les postes de travail se sont professionnalisés. Les familles qui tout d’un coup avaient deux revenus, pouvaient se payer les logements au centre-ville. Les grandes villes sont donc devenues très désirables, ont présenté une forte attraction pour les foyers à deux revenus. Voici les tendances d’urbanisation sur les quinze dernières années. Elles sont très fragmentées. Le secteur tertiaire s’est renforcé, tout comme la mondialisation. Le capital humain s’est concentré et de plus en plus de femmes travaillent. Par conséquent, certaines villes, fortement liées à leur structure industrielle, ont continué leur déclin. Sunderland ou Whitehaven au Royaume-Uni ou Lens et Valenciennes en France ont encore du mal à tirer leur épingle du jeu. Parallèlement, les emplois sont de plus en plus professionnalisés et d’anciennes villes de taille moyenne telles qu’Oxford, Toulouse ou Boston ont été moins affectées par cette décentralisation industrielle. Elles ont pu tirer leur épingle du jeu et connaître une bonne croissance. Elles exercent une attraction très forte sur la population. Nous sommes confrontés aujourd’hui au processus de contre-urbanisation qui a démarré dès les années 70. A l’origine, il s’agissait d’un retour à la vie rurale, d’un retour à la campagne, mais cela n’a fait qu’urbaniser la campagne. C’est ce que l’on a appelé la ville tentaculaire. Une plus grande efficacité dans l’offre de transport a également permis les déplacements entre la troisième couronne, la grande périphérie et les villes, ce qui a provoqué le doublement des surfaces urbaines dans la deuxième moitié du XXème siècle. On voit donc un étalement des villes. Vous voyez ici l’occupation des sols à Shanghai. Vous voyez en noir la ville telle qu’elle était en 1988 et en rouge telle qu’elle était en 2002. Une photo plus récente montrerait l’étalement encore plus marqué de la ville. Ce graphique vous montre à droite la croissance de la population dans le cœur des villes et dans les banlieues. Souvent, la banlieue affiche une croissance plus rapide que le cœur de ville. En parallèle, cet étalement commence à être visible dans les BRIC, au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine. Ces pays en sont à ce stade de leur urbanisation. Il est visible ailleurs également, ce qui donne lieu à des inquiétudes écologiques, des inquiétudes vis-à-vis de la sécurité alimentaire, étant donné l’emprise de la ville sur des terres agricoles. Je voulais également attirer votre attention sur le graphique de gauche qui identifie les tendances à l’expansion urbaine dans les villes de l’OCDE. La croissance est certes importante, mais moins rapide dans les BRIC et dans les autres pays du monde. Nous savons que l’urbanisation est associée à des niveaux plus élevés de revenus et de productivité. La proportion plus élevée de population urbaine est généralement à corréler à un PIB par habitant plus élevé que la moyenne nationale. C’est vrai par exemple au Japon. Le Japon a affiché une croissance plus rapide que les autres pays asiatiques et un taux d’urbanisation plus rapide aussi. Nous voyons aujourd’hui la même chose en Chine et en Inde, des pays à forte croissance et à urbanisation très rapide également. 17 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Les effets associés à ces économies urbaines ne sont pas sans limite. Il y a des externalités négatives associées au phénomène de grande concentration dans les zones urbaines. Nous devons nous poser la question du coût pour la société. Ces coûts sont peut-être insoutenables. Je parle par exemple des coûts en matière de transport. Les rues sont encombrées et il y a une perte de productivité en raison des déplacements qui prennent plus de temps. Je peux parler aussi de la criminalité, de l’augmentation des coûts de la santé. Il y a certes des avantages liés à l’urbanisation de l’économie, mais également des coûts. Les villes et les régions autour des grandes agglomérations doivent résoudre ce paradoxe urbain : plus forte croissance, davantage de richesses, mais également plus de chômage et plus d’exclusion. Un tiers des 78 grandes régions affichent un taux de chômage plus élevé que la moyenne nationale. Ce sont des problèmes partagés auxquels il faut trouver des solutions locales. Des régions urbanisées ont également des taux d’activités intermédiaires moins élevés. Certaines régions connaissent une grande pauvreté : 50 % à Mexico, 22 % à Rotterdam 15 % à Paris. D’autres connaissent des problèmes de polarisation spatiale. Dans dix pays de l’OCDE, jusqu’à 10 % de la population vivent dans des zones défavorisées. Comme le disait notre collègue grec, les politiques publiques doivent permettre d’intervenir et de contrer ces phénomènes, pour que les agglomérations urbaines constituent une bonne solution, une solution efficace. Un rapport publié par l’OCDE, que j’ai déjà cité, souligne que lorsque les villes deviennent trop importantes et comptent plus de six millions d’habitants, leurs résultats économiques commencent à baisser, en raison des problèmes que j’ai évoqués. Cette performance économique des villes n’est pas uniquement liée à la taille de la ville. Ces économies autour des agglomérations existent parce que les travailleurs et les entreprises sont en interaction et produisent des gains. Il y a une adéquation entre les besoins et la demande. Il y a d’autres déterminants de la croissance que sont le capital physique, le capital humain, l’innovation. Il faut donc des politiques publiques au niveau régional et local pour maximiser le potentiel de ces économies urbaines. Je vous remercie de votre attention. A lex Ta ylor Juste une question. Vous parlez des déterminants de la croissance et vous citez l’innovation. Pouvez-vous nous en dire plus ? B runella B oselli L’innovation est un déterminant de la croissance parce que lorsque l’on innove par de nouveaux produits, l’on crée. C’est la Silicon Valley par exemple. A lex Ta ylor C’est donc une nouvelle forme de développement B runella B oselli Tout à fait. C’est un type de développement endogène qui mène à une amélioration des résultats économiques. Nous travaillons actuellement tout particulièrement sur l’innovation régionale. Il est très important de gérer la question de l’innovation au niveau local et régional. L’innovation est le fruit du labeur de plusieurs acteurs. Il n’y a pas qu’un seul secteur qui peut encourager une politique de l’innovation. Cette politique doit faire intervenir tous les acteurs de la région (des universités, des instituts, des entreprises). Tous ces acteurs doivent travailler en collaboration afin de susciter de l’innovation dans une région. Cette innovation est favorable à la croissance de la région. C’est très important et c’est l’un des éléments sur lesquels l’OCDE et probablement la Commission européenne mettent l’accent pour l’élaboration des politiques en faveur de l’innovation, c’est-à-dire la participation de tous les acteurs de la société. A lex Ta ylor Merci pour ce point de vue de l’OCDE. Maintenant, nous allons entendre la vision de la Commission européenne, avec Margit Tünnemann. Ma rgit Tünnema nn, Progra mme ma na ger – Commission européenne Phénomènes et tenda nc es da ns les pa ys de l’U nion européenne Bonjour. Je travaille pour la Commission européenne, pour la DG Politiques régionales et dans cette unité, je suis responsable de tout ce qui est urbanisme et cohésion territoriale. J’aimerais commencer cette présentation par un petit aperçu des tendances démographiques dans les villes européennes en mettant l’accent exclusivement sur l’Union européenne. Nous avons réalisé une étude urbaine au sein de la Commission européenne. A la vue des évolutions démographiques totales dans les villes européennes, vous verrez apparaître des points rouges de taille différente, surtout en périphérie, au nord-est, au sud-est et au sud-ouest. Pour ce qui est de l’immigration, vous constatez que les points chauds se situent surtout au centre. Les tendances sont donc inversées. 18 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Voyons maintenant les différentes tendances. Dans les pays d’Europe occidentale, il y a des villes qui croissent et d’autres qui se réduisent. C’est vrai aux Pays-Bas, en France, en Allemagne et en Belgique. En Europe centrale et en Europe de l’est, les villes ont vu surtout une déperdition de leur population. Dans la partie sud de l’Europe, nous constatons surtout de la croissance démographique. Ainsi, la situation en matière de croissance démographique et de décroissance est très diversifiée en Europe. D’ici à 2050, nous avons prévu que plus de 80 % des Européens vivraient dans des zones urbaines. La population évolue de façon très substantielle entre différentes villes et différents pays d’Europe. L’immigration est un phénomène très important, surtout pour les grandes villes. Nous voyons également qu’il y a des tendances sous-jacentes différentes qui peuvent se présenter en même temps et au même endroit, ce qui rend les décisions politiques plus difficiles à prendre. Il y a un vieillissement de la population. C’est une tendance lourde. D’ici à 2060, 30 % des Européens auront 65 ans et plus. Les régions de l’Union européenne devront faire face à la plus grande dépendance des personnes âgées, après le Japon. La population vieillit. Vous voyez la situation en 2000, puis en 2013 et au-delà. Voyons maintenant le rôle des villes au sein de l’Union européenne. Nous voyons que les villes constituent un schéma d’implantation très distinct en Europe. Comparé à l’Amérique du nord, l’Europe compte relativement peu de grandes agglomérations, mais a un réseau très dense de villes de taille moyenne, ce qui garantit une qualité de vie relativement élevée, non seulement dans les villes d’ailleurs, mais également dans les zones rurales avoisinantes. En effet, les villes fonctionnent également au service de ces zones qu’elles desservent en matière de services publics, d’infrastructures, etc… Pour l’Union européenne, les villes sont les lieux où se passe l’innovation, où existent les connaissances, les qualifications et la créativité. Les villes sont les moteurs pour combattre l’évolution climatique, avec l’efficacité énergétique, les sources renouvelables d’énergie utilisées dans le domaine des transports et dans le domaine de la construction. C’est surtout dans les villes que ce phénomène devra se produire. Parallèlement, les villes sont le centre d’activités culturelles et de l’inclusion sur le plan social et de l’intégration. Ceci étant dit, il paraît tout à fait clair que les villes sont la clé de la réalisation des objectifs économiques, de la cohésion sociale et de la cohésion territoriale. Comme vous le savez, un nouvel objectif du Traité a été initié l’année dernière et a précisément pour objet la cohésion territoriale. En la matière, les villes seront appelées à jouer un rôle majeur. Les villes sont également des partenaires clés pour réaliser les objectifs de l’Europe à l’horizon 2020. Les ministres se sont mis d’accord sur ces objectifs, objectifs pour une croissance inclusive, pérenne et intelligente. Nous parlons souvent de cette croissance et de ces villes inclusives, pérennes et intelligentes dans notre unité. Nous voyons qu’il y a un lien étroit avec ces objectifs. J’en viens maintenant aux évolutions démographiques. Il s’agit évidemment d’un défi important pour les villes européennes, mais aussi pour l’urbanisme en général. Dans les villes, il y a une société vieillissante, il y a une immigration en croissance qui pose un problème important d’intégration sociale d’une part et d’adaptation des infrastructures et des services de l’autre. Que les villes soit en croissance ou en décroissance, ce sera un défi grandissant. De plus, il y a de plus en plus de changements en matière de besoin de mobilité. Ceci aura des conséquences sur les services publics, sur les services d’intérêt général et sur les infrastructures telles que la prestation de soins, de services éducatifs, de formations, de mobilités, de transports, de logements, etc. Il y a également un risque accru de polarisation spatiale et de déconnexion, pourrait-on dire. Il peut y avoir une ségrégation sur le plan résidentiel et sur le plan du marché du travail en raison de facteurs liés à la composition sociale, ethnique ou à la pyramide des âges. Il peut également y avoir une fuite des cerveaux technique. L’immigration est à la fois un défi et un potentiel à exploiter. Nous avons vu, selon nos projections, que le taux de dépendance était accru. Il y aura donc des pénuries de main d’œuvre qu’il faudra satisfaire dans les années à venir. Il faut savoir que le taux de fécondité de la population migrante reste supérieur à celui de la population d’origine. Suite à ces nouvelles tendances, nous allons essayer de voir maintenant quelles sont les politiques urbanistiques qu’il convient de mettre en place. Le premier objectif sera de garder et d’améliorer l’attrait présenté par les villes européennes. Ce sont des endroits où les gens doivent pouvoir venir vivre, travailler et investir. C’est d’autant plus vrai dans la perspective européenne. Ce sera un objectif important que de donner le pouvoir aux villes, de les soutenir et de les accompagner pour adapter leurs services et leurs infrastructures, pour dégager le plein potentiel de l’immigration et pour assurer la cohésion sociale. J’aimerais également dire qu’il est important d’autonomiser et de soutenir ces villes surtout parce que l’Union européenne en tant que telle n’a pas de compétence en matière d’urbanisme, même si nos politiques ont une dimension urbaine incontestable. Nous sommes là pour aider les villes à s’adapter et à répondre à ces défis. Nous sommes également convaincus que nous avons besoin de mettre en place des politiques complémentaires et des programmes qui permettent de trouver des solutions adaptées aux spécificités locales. C’est important. Nous avons vu qu’il y avait des tendances contradictoires, différentes et coexistantes. Il faut également des programmes qui puissent permettre des solutions qui soient intégrées et cohérentes. 19 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Pour conclure mon exposé, j’aimerais mettre l’accent sur ce que nous faisons au sein de la DG pour les politiques régionales, pour assurer un urbanisme durable et pérenne en Europe. Le soutien des politiques de cohésion envers les villes nous permet d’accompagner les actions d’urbanisme pour améliorer l’attrait des villes, à la fois pour les citoyens et pour les entreprises. Plusieurs actions peuvent être financées. Par exemple, dans ce contexte, nous pouvons assurer des services clés dans des zones en dépopulation, tels que des services de soins et des services sociaux pour les personnes âgées. Nous avons un plan de développement intégré, surtout pour les zones un peu défavorisées. Nous pouvons mener des actions d’intégration pour des groupes cibles précis, des mesures en matière de transports, etc. Quels sont les outils et instruments politiques dont nous disposons ? Il y a le Fonds européen pour le développement régional. Cela a commencé dans les années 1990. Nous avons accompagné l’urbanisme local avec des projets pilotes. Ensuite, il y a eu deux périodes de financement, avec l’initiative de la Communauté URBAN qui a mis surtout l’accent sur l’inclusion sociale dans les quartiers défavorisés. L’approche intégrée et les partenariats locaux forts sont mis en avant. Il y a également des instruments pour la mise en réseau de villes, ce qui est très important. Le programme URBACT est destiné à créer un réseau de villes et va permettre aux villes d’échanger et d’apprendre les unes des autres au sein de l’Union européenne. Avec l’initiative URBAN, nous avons soutenu 200 villes en Europe. Dans la période de financement prévue, 2007-2013, nous sommes allés un peu plus loin. La dimension urbaine est devenue transversale à tous les programmes, ce qui veut dire que maintenant, les actions d’urbanisme font partie des programmes opérationnels, tant au plan régional qu’au plan national. Il ne s’agit plus d’une initiative unique de la part de la Communauté, ce qui signifie que toutes les villes européennes sont désormais éligibles au fonds de développement régional de l’Union européenne. Pour ce qui est de l’enveloppe budgétaire, environ dix milliards d’euros sont affectés aux axes de priorité urbaine. Nous estimons que même en dehors de ces axes prioritaires, au total, nous aurons environ trente milliards d’euros d’investissements totaux dans les villes, issus de ce fonds de développement régional. Pour conclure, j’aimerais simplement me tourner brièvement vers l’avenir. Nous sommes en train de commencer à discuter des soutiens futurs que nous pourrons apporter aux villes après 2013, en provenance de la DG Développement régional. Nous avons déjà eu des discussions, il y a deux ou trois messages à faire passer. D’une part, dans les grands axes du développement futur de notre aide aux villes, il faudra bien entendu sauvegarder cette approche intégrée. J’ai été d’ailleurs très heureuse d’entendre la présentation et l’exposé sur Athènes. Je crois que nous avons vu très clairement quelle était la valeur ajoutée d’une approche intégrée et d’une approche participative. Nous avons également vu, avec l’exemple d’Athènes, ce qui pouvait ne pas marcher. D’autre part, il est nécessaire de promouvoir le partenariat et l’implication au niveau local. Il est également nécessaire de renforcer les approches innovantes ou novatrices. J’aimerais également mentionner que nous avons lancé nous-mêmes un exercice prospectif qui s’appelle « Les villes de demain », pour essayer de sensibiliser les villes aux principaux défis qui les attendent, pour identifier les bonnes pratiques des approches innovantes et pour essayer de relever ces défis. A partir de ces bonnes pratiques, nous verrons comment la politique de cohésion après 2013 peut aider les villes à mieux répondre à ces défis. Merci de votre attention. A lex Ta ylor Suite à votre présentation, avez-vous l’impression que les villes européennes s’écoutent plus les unes les autres ? S’inspirent-elles davantage les unes des autres ? Avez-vous des exemples de villes qui ont repris des initiatives qui avaient été développées ailleurs ? Ma rgit Tünnema nn, Progra mme ma na ger – Commission européenne Nous avons un certain nombre d’exemples. Le programme URBACT dont je vous ai parlé en est un. C’est un très bon programme qui promeut et encourage la coopération et les échanges entre les villes. Je vous donne juste un exemple, un exemple que j’aime bien d’ailleurs. La ville de Barcelone a travaillé avec une ville en Angleterre. Ces deux villes ont travaillé sur des questions de cohésion sociale, sur les mesures qu’elles pouvaient entreprendre pour intégrer les populations d’immigrants. Elles ont inventé un projet. Selon ce projet, les enfants se voyaient enseigner la musique et il y a eu le financement d’un grand orchestre de jeunes. Cela a très bien marché et cette approche a été transférée d’une ville à l’autre. Je ne sais plus quelles étaient les deux villes impliquées, mais l’idée a tellement bien fonctionné à Barcelone que la même chose a été faite en Angleterre. Dans le cadre du même programme, nous avons un certain nombre de projets qui assurent un réseau de villes dans l’ensemble de l’Europe. Les villes peuvent échanger, apprendre les unes des autres et s’inspirer des approches qui ont été mises en place ailleurs. A lex Ta ylor Étant donné que nous sommes en avance sur l’horaire, nous avons le temps de prendre quelques questions. 20 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Y ves Croz et, direc teur du L a bora toire d’éc onomie des tra nsports et professeur à l’université de L yon J’ai une question qui concerne l’une de vos premières diapositives. Vous avez dit qu’il y avait deux facteurs importants qui comptaient dans les zones urbaines : d’une part, la capacité d’attirer plus de migrants et d’autre part, la nécessité d’améliorer la cohésion sociale. Comment les deux peuvent être compatibles ? Ma rgit Tünnema nn A l’évidence, c’est l’un des défis les plus importants qui nous est posé. D’un côté, nous avons besoin d’immigration ; d’un autre côté, nous avons déjà des migrants dans un certain nombre de villes. Nous ne pouvons pas canaliser cette immigration et c’est ce qui se passe en pratique. Certaines villes sont complètement débordées par l’arrivée massive de migrants. Si les villes attirent plus de migrants, elles devront s’assurer qu’ils seront bien intégrés dans la vie de la collectivité. Sinon, cela créera des problèmes et les villes n’utiliseront pas le potentiel offert par ces mêmes migrants. C’est là une situation difficile. Nous avons en la matière de très bons exemples. Ceci est cependant parfois la source de nouvelles difficultés. J’ai un exemple sur la question de l’intégration des Roms. Lorsqu’une ville réussit bien à intégrer ces Roms, l’effet pervers tient au fait que d’autres Roms viennent, attirés par ce que cette ville a fait. Il faudra de nouveau déployer des efforts pour les intégrer et dès lors, une autre vague d’immigration arrivera. A un certain moment, la ville décide de s’en tenir là. C’est un problème qui dépasse la ville, qui est un problème régional, national, voire international. Nous ne pouvons pas résoudre toute la question de l’intégration des Roms dans notre ville uniquement. Il faudra également en tenir compte pour que la ville ne soit pas victime de son propre succès. C’est une question qui est liée à l’intégration sociale. A lex Ta ylor Y a-t-il une autre question pour Margit en ce qui concerne l’Union européenne plus particulièrement ? D e la sa lle Vous avez évoqué, dans l’un de vos premiers tableaux, la caractéristique de l’Europe qui est de compter un réseau de 500 villes de plus de 100 000 habitants. J’avoue que de temps en temps, je suis un peu gêné que l’on focalise systématiquement sur les grandes villes. Paris et le désert français de 1947, c’est terminé ! Je pense qu’un réseau de petites et de grandes villes forme une ossature essentielle pour la cohésion territoriale de nos territoires européens. Je voudrais que l’on insiste un peu plus sur ce réseau de villes intermédiaires qui me paraît être le maillon le plus riche. J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit sur le fait que l’étude de l’OCDE dit qu’au-delà d’un certain seuil territorial, il y a des effets économiques négatifs. Je crois qu’aujourd’hui, l’attractivité des villes intermédiaires, de Toulouse à Nantes, de Grenoble à Nancy, etc. montre que nous devrions peut-être, dans un contexte de crise des finances publiques, réorienter les investissements publics vers ces villes, ce qui me paraît être plus productif que de tout focaliser sur les très grandes villes. A lex Ta ylor C’est un plaidoyer que vous nous faites chaque année, mais toujours de manière aussi vigoureuse ! Ma rgit Tünnema nn Je crois que le plaidoyer était bien mené, je n’ai rien à y ajouter. A lex Ta ylor Merci beaucoup. Merci, Margit. Merci d’avoir donné la perspective de l’Union européenne. Après le point de vue de l’OCDE et celui de l’Union européenne, nous allons maintenant examiner plus en détail deux caractéristiques spécifiques dont nous avons déjà parlé. Dans quelques instants, nous allons parler de l’immigration et du vieillissement de la population. Serge Weber est avec nous. Vous êtes de l’université Paris-Est Marne-La-Vallée, vous allez nous parler de l’immigration et de la démographie dans les villes européennes. Serge W eber, Cherc heur, géogra phe – U niversité Pa ris-Est Ma rne-L a -V a llée I mmigra tion, démogra phie et villes européennes Merci beaucoup. Merci aux organisateurs de La Fabrique de la Cité de m’avoir proposé de venir aujourd’hui. L’atonie démographique, dans tous les pays européens, en particulier dans un certain nombre de villes, pose des défis multiples. Depuis le début des années 2000 et seulement depuis le début des années 2000, l’Union européenne a enfin entériné que pour la première fois depuis 1974, il y avait besoin de faire venir des nouveaux migrants. Si la ville est le cadre privilégié des interactions entre catégories différentes de populations et plus généralement du vivre ensemble, il est tout de même étonnant de voir que les arrivées 21 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité sont très dépendantes de politiques d’immigration le plus souvent restrictives qui restent une prérogative des Etats nations, dans le cadre de l’espace Schengen. Ce n’est pas la moindre contradiction de cette réalité. Impossible donc, quand on parle de nouvelle migration en ville, de ne pas tenir compte du niveau communautaire et du niveau national qui privilégient une immigration économique qualifiée, maîtrisée, c’està-dire contrôlée, plutôt qu’une immigration de peuplement, l’immigration de peuplement restant encore un gros mot en Europe. Il n’est pas pour autant facile de planifier une immigration de peuplement aujourd’hui. En effet, les migrants choisissent eux-mêmes, prennent leur décision eux-mêmes, décident de leurs trajectoires qui vont bifurquer ou non. Ils vont projeter de rentrer peut-être l’année prochaine. Bref, l’immigration n’est jamais définitive dans le projet. Son échelle est bien sûr européenne et transnationale. Se pose donc aujourd’hui la question, pour les villes, de produire des politiques attractives pour les migrants, non seulement pour les élites, mais pour tous les migrants qui peuvent contribuer à dynamiser la vie urbaine. Ils sont traditionnellement considérés comme des pauvres, mais il faut se souvenir qu’ils ne sont jamais les plus pauvres dans leur pays de départ qui sont toujours des pays en transition et en renégociation des statuts sociaux. Je vais vous proposer de voir comment les migrants récents construisent aujourd’hui leur ville par le bas, comment ils s’adaptent aux contraintes et aux entraves, comment ils inventent un autre type d’urbanité et ce à partir des exemples que je connais le mieux, soit des exemples européens et en particulier italiens. Dans une première partie qui va être un exposé plus traditionnel, avant de passer à des exemples, je voudrais voir comment la métropolisation et les migrations récentes sont aujourd’hui très liés puisque la métropolisation engendre une demande accrue en nouveaux migrants. Comme vous le savez tous, la métropolisation s’est accélérée, avec l’insertion des grandes villes dans la globalisation. A ce titre, les villes les plus internationalisées ont connu une bipolarisation du marché de l’emploi : multiplication des emplois les plus qualifiés et multiplication des emplois subalternes, des emplois d’entretien, de service à la personne, de sécurité, de restauration, mais aussi de construction dans le bâtiment. Les premiers n’existent pas sans les seconds et plus les métropoles sont compétitives, plus elles expriment le besoin d’une armée de travailleurs mobiles pour des services qui sont très concurrentiels. Cette dynamique socioéconomique qui est aujourd’hui polarisée, s’accompagne d’un redéploiement du peuplement des aires métropolitaines : étalement urbain, versement péri-métropolitain vers des villes ou des bourgs qui étaient jusqu’à maintenant à l’écart, formation de régions urbaines et de city regions de plus en plus étendues, gentrification des quartiers centraux populaires, embourgeoisement des quartiers déjà aisés et départ des ménages ouvriers de façon générale des centres-villes. Ceci s’accompagne d’un vieillissement prononcé de la plupart des quartiers centraux et péricentraux. Cette évolution a un triple impact sur la demande en travail migrant : demande d’aide à domicile pour les personnes âgées et pour les enfants, demande pour la construction dans le BTP et les infrastructures et demande pour les services subalternes aux entreprises dans les quartiers centraux. Cette demande en travail migrant est complexifiée aujourd’hui par l’évolution du marché du travail qui va vers une segmentation toujours plus marquée, une flexibilisation et une précarisation. La majorité des relations de travail avec les nouveaux migrants sont aujourd’hui réglées par l’intérim, le contrat atypique, la durée déterminée. D’une façon plus générale, l’auto-emploi et la part de l’informel sont de plus en plus importants. Aujourd’hui, on qualifie les travailleurs migrants « d’entrepreneurs d’eux-mêmes », pour reprendre les mots de la sociologue française Liane Mozère. Autrement dit, ils sont prestataires de leur force de travail. En conséquence, dans toutes les villes européennes, notamment dans celles qui accueillent beaucoup de migrants, se pose la question des travailleurs à statut juridique précaire. Se posent avec plus d’acuité la question des travailleurs sans papiers, la question du séjour irrégulier, la non-reconnaissance juridique de la présence et de la participation à la croissance. Le débat est partout le même. Faut-il régulariser ou non les travailleurs sans papiers ? Ces débats ont été posés peut-être avec plus d’acuité en Italie, en Espagne et dans le sud de l’Europe d’une façon générale, avec finalement, des régularisations massives qui ont été votées et qui ont posé un certain nombre de questions aux autres pays. Cependant, il faut être attentif : régulariser des migrants, même en masse, ne signifie pas pour eux sortir définitivement de la précarité juridique. Il faut toujours avoir à l’esprit que pour les migrants, la trajectoire juridique est réversible. En effet, quand on a un permis de séjour d’une année, on n’est pas absolument sûr d’en avoir un pour une deuxième année et on peut redevenir sans-papiers sans aucun problème. Pourtant, il ne faut pas croire que les travailleurs sans-papiers sont tous des travailleurs au noir. Dans la plupart des cas, les travailleurs sans-papiers travaillent avec des contrats, cotisent, tout comme leur patron, et payent des impôts sur le revenu. Il est certain toutefois que leur accès aux droits sociaux est limité et parfois nul quand il s’agit d’identités d’emprunt. Toutes ces caractéristiques montrent qu’il s’agit d’une classe sociale comme une autre qui fait partie intégrante de la société et du système de production de richesses. 22 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Ceci permet alors de remettre en question un stéréotype : celui du coût de l’immigration. L’immigration coûterait cher au pays d’accueil. Les rares études qui ont été effectuées sur le coût effectif de l’immigration récente et qui sont des études italiennes, espagnoles, britanniques ou allemandes, montrent qu’au contraire, l’immigration récente a apporté un apport essentiel à la croissance et beaucoup de richesses. Bref, cette question du coût de l’immigration est avant tout un stéréotype. D’où aujourd’hui, le phénomène récurrent des mouvements de grève de sans-papiers qui sont par exemple en France, assez visibles depuis 2008 et qui sont légitimés par la revendication d’une citoyenneté au moins partiellement reconnue. La ville est à ce titre un laboratoire social et politique exceptionnel, donnant lieu à des solidarités ou à des confrontations très variées. Nous pouvons prendre des exemples parisiens ou des exemples à Bologne, en Italie. Par rapport à des villes du nord-est de l’Italie, vous avez peut-être entendu récemment des déclarations d’élus tout à fait étonnantes, à savoir de véritables déclarations de chasse à l’immigré. Nous avons de tout. Aujourd’hui, il me semble que des événements sociaux qui s’ancrent dans l’espace urbain, comme des squats, des piquets de grève, des centres sociaux, sont indéniablement des marqueurs forts de cette nouvelle réalité et ils peuvent parfois entrer en opposition avec une certaine méfiance des politiques urbaines. A ce titre, je voudrais proposer une piste de réflexion sur la question du titre de séjour. Le permis de séjour est avant tout un passeport et l’espace de vie du migrant est un espace transnational, avec des ancrages multiples, une grande inventivité pour assurer, dans le pays d’origine, la présence dans l’absence. Beaucoup de sociologues ont montré, notamment pour ce qui concerne les ménages transnationaux, l’ascension résidentielle, le transfert d’épargne et plus généralement ce que l’on appelle la culture du lien chez des migrants qui sont aujourd’hui connectés entre ici et là-bas. C’est ainsi que l’on peut poser une deuxième question : celle de l’intégration. Aujourd’hui, de quelle intégration parle-t-on quand on parle de l’intégration des nouveaux migrants ? Intégration sociale ou intégration nationale ? C’est déjà un premier point. Intégration à quoi ? L’analyse des réseaux sociaux migrants actuels montre que la densité, la quantité et la qualité des liens entretenus par les migrants sont bien plus intégratrices que pour des ménages ou des individus nationaux installés, mais également isolés. L’intégration nationale est aujourd’hui un devoir de l’Etat : assurer l’égalité de traitement à tous, à commencer par l’égalité de statut. Dans le cadre des politiques migratoires européennes qui concernent tous les pays membres, cette intégration est plutôt envisagée comme un préalable au titre de séjour, c’est-à-dire qu’elle est prise à rebours de son sens véritable. De plus, la migration n’est plus, si elle l’a déjà été, un déracinement émigré/immigré. Elle est au contraire une routine de circulation entre plusieurs pôles de destination et le pays d’origine, dans une géographie qui est aujourd’hui diasporique des mobilités. C’est ce que l’on appelle l’installation dans la mobilité qui produit des territoires circulatoires. C’est un mode d’habiter l’Europe. Ces migrants sont en général des Européens au premier titre. Enfin, cette géographie des migrations qui met en relation de multiples ancrages urbains construit des dispositifs économiques et commerciaux, supposant en ville l’émergence de centralités économiques où, dans les cas où cela a été étudié, comme à Marseille ou à Naples, le volume des transactions et le chiffre d’affaires produits peuvent être tout à fait spectaculaires. Ce sont de réelles centralités économiques. Celle d’Istanbul est sans doute la plus impressionnante. Ces centralités économiques sont plus rattachées à l’échelle globale qu’au simple hinterland métropolitain, au même titre que d’autres activités mondialisées. Elles ont cependant le tort, peut-être, de maintenir des centralités populaires dans des centres-villes aujourd’hui. Je vais maintenant aborder quelques points plus précis, avec des photographies de différents travaux que j’ai menés. J’ai travaillé surtout sur l’agglomération romaine en Italie et sur les pays d’Europe du sud. La précarité statutaire a bien sûr un effet direct sur l’insertion résidentielle. Cette insertion résidentielle représente une marginalisation et une invisibilisation du logement. Il y a un processus de diffusion dans la ville, c’est-à-dire que l’on ne sait pas exactement où habitent les nouveaux migrants. Il n’y a pas de concentration aujourd’hui, mais il y a parfois des phénomènes de spécialisation, des choix résidentiels qui peuvent être mis en œuvre par les migrants eux-mêmes, par exemple, dans des quartiers centraux vieillis où il y a une offre ou dans des quartiers d’habitat social abandonnés, comme dans certaines périphéries de Barcelone. Ces spécialisations résidentielles sont le résultat du système D, c’est-à-dire des gens que l’on connaît qui connaissent des gens qui ont un logement et qui peuvent nous aider. De ce point de vue, elles sont une garantie contre le risque encouru par le migrant dans son quotidien urbain. Dans certains cas, par exemple en Italie, cela a donné lieu à des transformations radicales de villages, de bourgs péri-métropolitains tout à fait impressionnantes, avec un rajeunissement de la population, notamment du fait des populations roumaines. Je pense au Latium ou au Piémont. Cependant, dans l’entre-temps, des bidonvilles réapparaissent, des bidonvilles qui nous rappellent tout à fait les années 60, avec les vagues précédentes d’immigration. Ces bidonvilles qui s’installent dans des interstices urbains liés très fortement aux infrastructures de transport, sont tout à fait impressionnants aujourd’hui. Même s’ils sont petits, ils sont très nombreux. 23 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Vous voyez en haut à gauche des logements sur les chantiers. Ce sont des chantiers de rénovation de maisons, d’appartements ou d’immeubles. Aussi, derrière les palissades, de façon invisible, s’installent des habitats temporaires, le temps de la durée du chantier. Vous voyez en haut à droite un bidonville dans la banlieue romaine, sous un viaduc juste à côté du Tibre que vous devinez à gauche et à côté d’une voie de chemin de fer. Ce genre de tout petit bidonville est absolument répandu. Vous voyez à gauche une autre forme de dissimulation, à savoir un atelier de confection chinois qui est dans un quartier péricentral romain, derrière des portes apparentes de parking. Enfin, une autre forme d’invisibilisation est ce que l’on appelle en Italie « le ghetto diffus », c’est-à-dire des colocations de migrants dans des appartements tout à fait indifférenciés. Cela rejoint toutes les questions qui se posent aujourd’hui à propos des marchands de sommeil, du logement chez l’employeur, etc. soit toutes ces formes très informelles d’habiter. Sachez pour l’exemple que l’enquête que j’ai faite montrait que louer un seul lit que l’on partage dans une chambre peut coûter entre 300 et 500 euros par mois. Il s’agit donc de coûts importants. Les centralités migrantes sont par ailleurs des centralités commerciales structurantes et correspondent à des logiques transnationales et non pas seulement locales. Le développement, dans un certain nombre de villes européennes, de bazars et de marchés aux puces attire une clientèle migrante très importante qui envoie des biens de consommation dans le pays d’origine. En effet, les migrations sont aujourd’hui avant tout des migrations de consommation, pour augmenter le standard de vie dans le pays d’origine et pour résister au déclassement social lié à la transition. Cette connexion au transnational se lit dans l’émergence, de façon informelle, de terminaux ou de plateformes d’interconnexion transnationales, avec des bus ou des microbus qui assurent la logistique du local au local, c’est-à-dire du point de destination de la migration vers le point d’origine. A Rome, à Naples ou à Pescara, il y a ces multiples bus. Le plus connu est celui que vous voyez à gauche et qui s’appelle Garbatella. Chaque dimanche, 15 000 personnes viennent faire leurs transactions pour envoyer des paquets, de l’argent, etc. Ces terminaux informels qui ont une centralité et un sens tout à fait évident à l’échelle transnationale, posent des problèmes aux politiques urbaines puisqu’ils sont en général dans des endroits qui sont en voie de requalification. Que fait-on ? Est-ce qu’on les conserve ? Est-ce qu’on les déplace ? Est-ce qu’on les interdit ? La plupart du temps, ils sont interdits et déménagent automatiquement et de façon informelle. Ceci nous amène à observer les rythmes de la mobilité et les temporalités de la mobilité migratoire aujourd’hui. Dans cette logique de circulation transnationale, les liens avec les pays d’origine sont toujours importants. Par exemple, ici, vous pouvez voir des liens économiques, avec l’émergence de bazars dans les pays de l’est, en Roumanie, en Pologne et en Ukraine. Des investissements immobiliers vont transformer radicalement le tissu urbain des anciens pays de l’est. En Ukraine, sur la photo, vous voyez apparaître un quartier d’immigrés, de gens qui sont partis en Italie et qui ont investi dans du logement individuel, ce qui était tout à fait impossible pendant les 70 années qui ont précédé. Enfin, les suiveurs que sont les investisseurs italiens, comprennent qu’il y a un marché des gens qui travaillent et qui ne gagnent pas forcément beaucoup d’argent. Ils vont donc investir. Vous voyez ici, dans l’un des bâtiments historiques d’une ville moyenne, Kamaniets-Podilskyï, une très grande usine de confection qui est remplie d’ouvrières ukrainiennes. Une entreprise italienne et un transporteur italien s’occupent de l’exportation. Cette deuxième phase consiste à suivre les migrants jusque chez eux pour voir comment la mobilité du capital peut accompagner la mobilité du travail. Enfin, il y a une mobilité très spécifique à l’intérieur de l’aire urbaine puisqu’à chaque point d’interconnexion des transports publics, vont apparaître des petites centralités informelles, microscopiques, commerciales la plupart du temps, mais aussi de sociabilité et de communication d’informations. Ceci est très important à comprendre. Tout à l’heure, nous voyions une géographie du dimanche puisque les migrants doivent maximiser leur temps de travail et minimiser leurs loisirs. Il y a aussi une géographie du changement de moyens de transport. Dans beaucoup d’endroits, des gens vont, en cinq à dix minutes, devoir rejoindre un employeur ou un autre, une tâche ou une autre qui sont aux deux extrémités de la ville, ce qui va être l’occasion d’échanger ou de créer. Je conclurai sur la dernière photographie qui est un peu ironique. Vous voyez à droite une campagne de publicité lancée par le gouvernement de Berlusconi « Immigrés clandestins : moins 40 % » et juste endessous des sans-papiers qui piquent-nique le dimanche. Ils sont donc quand même bien là, même s’il y en a moins 40 %. Je tirerai rapidement trois conclusions. Premièrement, aujourd’hui, dans les villes européennes, les migrants récents amènent à réinterroger certains aspects de la citadinité, de la pratique des espaces publics et de la diversité en ville. Comme vous avez pu le deviner, des termes tels qu’exclusion, intégration, risque ou sécurité sont évidemment des termes qu’il faut essayer d’entendre dans leur sens premier et non pas seulement dans le sens dominant de certains discours actuels. Deuxièmement, cette invention d’une ville qui est à la fois la même et qui est pourtant différente pour les migrants récents et pour les installés repose sur un savoir alternatif, des pratiques spatiales alternatives, des rythmes et des centralités alternatifs. Je pense que ces 24 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité questions peuvent donc inviter à penser l’aménagement des villes - notamment du point de vue de la centralité - sans avoir peur d’un centre-ville populaire ou en tout cas populaire dans sa fréquentation. Enfin, troisième conclusion possible : la citoyenneté à la fois citadine et économique de ces habitants de la ville doit être aujourd’hui relativisée face à un dispositif juridico-administratif qui semble anachronique dans des villes qui sont mondialisées, pour des populations qui ne sont pas moins mondialisées que les élites circulantes. Merci beaucoup pour votre attention. A lex Ta ylor Pour que l’on comprenne bien, quelles sont les politiques publiques que vous préconisez après votre étude ? Quelles sont celles qui marchent le mieux ? Serge W eber Cela dépend de l’échelle évidemment. Je ne pense pas que pour la question de l’immigration, des politiques spécifiquement urbaines soient possibles à mettre en œuvre. L’essentiel est de permettre une indifférenciation des statuts, une sorte d’égalité de statut, à savoir ne pas avoir peur d’attribuer des titres de séjour. Le titre de séjour n’est pas un risque d’invasion, mais bien un permis de circuler. Quand la personne en a un, elle peut aller s’installer où elle veut en Europe et revenir à la maison. Tout le monde l’a vu quand l’Italie a régularisé des sans-papiers. Après quatre ans ou cinq ans d’immobilité en tant que sans-papiers, tout le monde est rentré en Ukraine, en Pologne ou en Roumanie pour investir, etc. Je pense que c’est l’une des premières bases. Ensuite, les questions sur la centralité, sur la mixité et sur la diversité ne doivent pas être pensées uniquement comme des questions urbaines. Ce sont des questions sociales et à questions sociales, politique sociale générale et non pas seulement d’aménagement urbain. Cla ude V a llette, Président de l’A genc e d’U rba nisme – V ille de Ma rseille Vous avez parlé des sans-papiers et de la question des migrations. Je voudrais savoir pourquoi vous dites que l’intégration est plus réussie pour une masse d’immigrants plutôt que pour des individus isolés. Je n’ai pas très bien compris comment cela est possible. Serge W eber Aujourd’hui, les migrants ont énormément de liens, non pas forcément dans leur pays de destination ni dans la ville où ils ont immigré, mais partout dans le monde. Nous avons des migrations diasporiques et les liens sont entretenus avec le pays d’origine, avec des gens qui ont immigré ailleurs. Il y a une pluralité de liens qui est entretenue par les nouvelles technologies de communication, par skype, par tout un tas de moyens. Ainsi, en termes de socialisation, les migrants ne sont pas isolés. C’est un point qui est oublié. L’intégration sociale se fait. Il ne faut pas penser l’intégration seulement d’un point de vue national. C’est ce que je voulais dire. Je ne sais pas si ma réponse est beaucoup plus claire. A ndréa s Kellner Vous allez visiter l’IBA demain, si je suis bien informé. Demandez-leur quels sont les projets en relation avec le thème de la ville cosmopolite. Demandez-leur ce que nous faisons sur les projets de formation, les projets culturels, etc. Je pense qu’il y a des approches intéressantes. Il y a des expériences dont les effets sont à attendre, mais il y a aussi des idées dont nous pourrions discuter entre nous. A lex Ta ylor J’ai vu que François Cusin, de Paris-Dauphine, est dans la salle. Comment peut-on intégrer ces problématiques de flux migratoires dans la prospection démographique ? François Cusin, maître de conférence – Université Paris-Dauphine Je pense que l’intérêt de l’exposé est de monter que les flux sont pluriels. Quand on réfléchit à l’attractivité des villes, on pense d’abord à attirer des élites, des talents, des compétences, mais il est bien entendu que ces talents sont de grands consommateurs de services, notamment de services à la personne. Lorsqu’il y a des mouvements de populations très qualifiées, il y a aussi des mouvements de populations peu qualifiées. Nous connaissons bien ce phénomène en France, comme dans toutes les grandes métropoles mondiales. Je suis allé une fois dans un avion qui reliait l’Indonésie à Hong-Kong et j’ai vu toutes les nounous indonésiennes qui revenaient début septembre à Hong-Kong pour travailler pour les couples biactifs qui travaillent dans les finances ou dans les affaires. Je crois que c’est un phénomène dual. Comme le rappelait Catherine Barbé à propos de Paris, les villes globales sont des villes duales. Il faut les penser comme telles. Elles sont duales dans leur cœur de ville, elles sont duales parce qu’elles présentent des oppositions entre le centre, la banlieue et la périphérie. Leur cœur a vocation à rester dual, avant que, pour certaines, elle ne s’embourgeoise complètement. Il faut penser 25 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité l’articulation entre des populations qui participent, à travers des échanges marchands, à un même marché, mais qui ont des caractéristiques sociales souvent divergentes et des différences culturelles. Le défi est de penser l’articulation entre des populations très différentes pour faire une mixité. Le cas parisien est assez singulier parce qu’il montre que cette dualité se fait dans l’évolution des populations, plutôt au détriment des couches moyennes et moyennes inférieures. Paris est une ville qui se développe par le haut et les personnes qui travaillent dans les services sont regroupées soit dans le centre soit dans la périphérie. Dans une ville duale, se pose quand même la question des classes moyennes. Si nous voulons raisonner à grands traits, la mixité doit articuler au moins trois types de populations. C’est l’un des défis majeurs pour les grandes métropoles. A lex Ta ylor Il ne faut jamais oublier non plus que les phénomènes sont parfois particulièrement transitoires. Je vais souvent à Londres. Il y a cinq ans, on disait que Londres était en train de devenir une ville catholique tant il y avait de Polonais qui arrivaient. Il y avait des églises polonaises partout. Depuis un ou deux ans, ce phénomène a disparu. Il faut faire aussi attention aux effets de mode. Merci beaucoup, Serge Weber. Après les flux migratoires, nous allons nous intéresser à un autre cas spécifique dont tout le monde a parlé ce matin et qui est de plus en plus important partout en Europe. C’est le cas du vieillissement. Nous accueillons Muriel Boulmier, présidente de Ciliopée, qui va nous en parler. Je dois être la seule personne dans la salle à ne pas savoir exactement ce qu’est Ciliopée. Pouvez-vous me le rappeler rapidement ? Muriel B oulmier, présidente de Ciliopée A da pter l’ha bita t à l’évolution démogra phique Bonjour à tous. Je vous rassure, personne ne sait ce qu’est Ciliopée. C’est une PME du Lot-et-Garonne. D’abord, monsieur, j’exprime une solidarité profonde et publique à votre intervention. Les villes moyennes sont le schéma de la cohésion territoriale européenne. Merci à la Fabrique de la Cité de m’avoir invité pour présenter le travail que j’ai fait à la demande de Christine Boutin et qui est une mission ministérielle sur l’adaptation de l’habitat aux défis démographiques. Je vous dirai un mot en conclusion de la deuxième mission que m’a confiée Benoît Apparu sur un thème connexe. Après cette matinée fort riche où j’ai beaucoup appris, je commencerai par dire que l’Europe vieillit et comme elle ne s’en rend pas compte, le vieillissement devient une idée neuve pour elle. Pour moi, ceci résume tout le thème que j’ai à traiter avec vous et qui tient du paradoxe, des malentendus, mais également des représentations. Bien comprise, la démographie est l’une des sciences les plus prédictives qui soient. C’est une science avec laquelle nous avons un recul et une familiarité qui auraient pu laisser à penser que nous verrions bien cette courbe se dessiner et que nous verrions dans le même temps des politiques publiques se dessiner de manière parallèle. A vrai dire, à part les gros événements de guerre et de maladie que dieu merci, l’Europe n’a pas connus depuis maintenant cinquante ans, nous savons que les choses sont écrites. Comme le disait hier soir mon voisin au dîner, la démographie est l’une des choses les plus magnifiques pour faire ressortir les éléments que nous voulons mettre en exergue. Ce malentendu tient d’ailleurs en France à ce que vous évoquiez tout à l’heure à propos du désert français. La confusion de la vieillesse et du vieillissement date du pacte intergénérationnel de la reconstruction de l’après-guerre où il était bien normal que les trois âges qui se dessinaient alors et dont le temps s’est considérablement étiré dans les cinquante ans qui ont suivi, fassent que les actifs portent la retraite de ceux qui, dans les premiers temps, ont participé à la reconstruction de la France. Il s’est installée une chose parfaitement illustrative de notre système de protection sociale français qui est l’un des plus beaux qui soit. Nous arrivions à la retraite, autour de 65 ans dans la courbe démographique et la retraite va aller jusqu’à la vieillesse et pratiquement jusqu’à l’espérance de vie. Dès lors, la vieillesse est devenue un risque à protéger et un risque de sécurité sociale. Nous avons la Caisse nationale de Sécurité sociale. Puis le temps a passé et les choses ont évolué. On vieillit, mais longtemps et en bonne santé. La retraite, qui de 1945 à 1960, était un temps réservé à quelques privilégiés, est devenue aujourd’hui une telle vérité que je l’ai nommée « une nouvelle génération intermédiaire ». Entre le premier temps de l’enfance et de l’adolescence qui est celui de l’éducation et de la formation et qui s’est lui-même étiré de 14 à 22 ans aujourd’hui, le temps de l’activité qui est normalement jusqu’à 60 ans, mais en vérité jusqu’à 59 ans – nous avons la productivité la plus forte, mais le temps d’activité le plus faible – et le temps d’après qui a augmenté avec le système des préretraites, nous avons créé une nouvelle génération intermédiaire pour laquelle il convient de réorganiser la vie, ce qui n’a pas été fait. A cette révolution silencieuse, sont venues s’ajouter deux fragilités. La première qui commence à être révélée, c’est la fragilité économique. 74 % des plus de 65 ans sont propriétaires. On se dit qu’il n’y a pas de 26 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité problème et que le revenu est assuré. Selon l’expression anglaise, on peut être riche de son bien, mais pauvre en revenu. C’est le cas puisque nous savons que la majorité des propriétaires occupants sont impécunieux. Il y a ensuite une fragilité des revenus eux-mêmes puisque depuis 2006, pour la première fois, les retraités ont un niveau de vie qui est inférieur de 10 % à celui des actifs. L’éventail des revenus après la retraite est de 1 à 7. Enfin, nous savons que vont arriver dans cette période longue d’inactivité, ceux qui ont connu la discontinuité de l’emploi et pour lesquels le mécanisme d’amortisseur social de la retraite et de la retraite complémentaire ne s’exercera pas de la même manière. Si j’insiste pour vous faire partager la conviction que la vieillesse n’est ni une maladie ni un handicap, mais un process normal, il n’empêche qu’elle comporte un grand nombre de fragilités qui s’appellent notamment les accidents domestiques. Je me souviens que lorsque j’étais administrateur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, il avait été développé un plan de prévention d’accidents domestiques, ce qui fait que je ne peux pas être dans ma cuisine sans remettre la queue de la poêle face au mur. Nous savons que les accidents domestiques sont terribles parce qu’ils provoquent 10 000 décès par an. Ces 10 000 décès par an sollicitent la compassion des familles et des proches, mais ne sollicitent pas la finance publique. En revanche, il y a 134 000 personnes qu’il faut traiter parce que l’accident domestique a accru une fragilité qui ne leur permet pas de rester dans le logement. La Grande-Bretagne a développé une politique publique sur l’adaptation du logement, sur budget d’Etat, pour permettre le retour à domicile des personnes victimes d’un accident domestique parce que le coût sanitaire de l’hébergement est beaucoup plus fort. Ceci n’est pas possible en France puisque le budget de l’Etat et le budget de la Sécurité sociale, voté par le Parlement mais financé par les entreprises, ne peuvent pas se compenser. C’est la raison pour laquelle Christine Boutin m’a demandé, à l’époque, de réfléchir sur ce sujet de l’adaptation. En effet, une fois que nous avons listé l’ensemble des enjeux, nous constatons que l’habitat tient un rôle absolument central. Si j’aimerais à la fin vous convaincre que vieillir est une chance, j’aimerais aussi que nous partagions la conviction qu’habiter est une solution. Comment travailler ? Vous avez évoqué la ville de Paris, madame. Pierre-Henri Lebat me disait que Paris Habitat avait fait trois catégories de logements : les logements adaptés, les logements adaptables et ceux pour lesquels on ne faisait rien. J’ai été excessivement séduite par ce pragmatisme de l’approche. J’aimerais replacer ce sujet dans un contexte européen puisque l’histoire de la mission a commencé ainsi, avec une étude que j’ai menée avec Opinion Way, que j’ai présentée devant le Parlement européen et qui s’intitulait « La représentation du vieillissement ». Nous nous sommes rendu compte que le vieillissement n’était pas la même chose en France, en Grande-Bretagne et en Espagne. A quel âge est-on âgé ? A quel âge est-on vieux ? Les Français sont beaucoup plus dynamiques dans leur approche. En France, on est âgé à 70 ans et on est vieux à 79 ans. En Grande-Bretagne, on est âgé à 69 ans et on est vieux à 71 ans. En Espagne, on est âgé à 65 ans et on est vieux à 80 ans. C’est particulièrement intéressant. Comment adapter l’habitat ? D’abord, qu’est-ce que l’habitat ? L’habitat n’est pas uniquement le logement. L’habitat est une sphère qui se compose en trois espaces qui pour être adaptés et accessibles, doivent être fluides. Il s’agit de la sphère privée qui est le logement, de la sphère partagée qui peut être la partie commune et l’espace public. En effet, il est inutile d’adapter un logement si le transport ou le trottoir n’est pas adapté. Ce sont des éléments de votre métier que vous connaissez parfaitement bien. Il faut donc adapter le logement avec un certain nombre de paliers. Cela renvoie à ce qu’est le domicile. En vérité, 90 % des personnes qui vieillissent disent vouloir vieillir à domicile. Cela m’a amené à interroger des sociologues sur ce qu’est le domicile. Trois définitions m’ont été données. Monique Eleb dit que le domicile est un espace de négociations. Vincent Caradec dit que c’est un espace où l’on se protège de l’étrangeté au monde qui apparaît au fur et à mesure que le vieillissement s’installe. La définition que je préfère est peut-être celle de Bernard Ennuyer qui dit que le domicile est où l’on est maître chez soi. Ceci m’a mené à réfléchir sur la réticence des personnes âgées à adapter leur logement. Pourquoi ne veulent-elles pas l’adapter ? Vous savez comme moi que le vieux est l’autre et non pas celui qui parle, etc. Cela donne lieu à un certain nombre d’observations assez drôles. Nous constatons que c’est là la limite de l’adaptation et du médical à la maison, de l’approche des NTIC parce qu’à un moment donné, il y a une dépossession du domicile qui fait que le refus est total. C’est pour cette raison que Monique Eleb dit que l’espace de négociation est un premier espace. Parmi les problèmes qui se posent pour l’adaptation du logement au phénomène du vieillissement, il y a évidemment le repérage des situations. C’est le travail que je suis en train de mener plus avant. Comment adapte-t-on un logement ? On l’adapte de manière à ce qu’il soit préventif des risques liés au vieillissement. Pour ma part, je pense qu’il va être difficile de traiter la dépendance par l’habitat. Je crois que l’habitat retraité comme un élément de prévention organisé permettra de repousser le champ de la dépendance et permettra, avec des moyens financiers moins importants, de solliciter l’effort le plus puissant pour traiter le phénomène de dépendance qui n’est d’ailleurs pas liée uniquement à l’âge, mais aussi à la maladie, notamment à Alzheimer qui est la plus connue. 27 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Certes, nous vieillissons en bonne santé et nous créons une génération intermédiaire, à revenus fragilisés. Devons-nous répondre au vieillissement avec l’offre nouvelle de logements ou avec le logement ancien ? Pour moi, la réponse est toute faite. Il faut observer que le renouvellement du parc de logements en France est de 1 % par an. Si l’on croise le nombre de logements et le nombre de propriétaires occupants, même mes pauvres connaissances arithmétiques me permettent de voir que l’enjeu se trouve dans l’existant. Le professeur Toubiana me disait : « Il ne faut pas confondre handicapés et personnes âgées ». Les personnes âgées sont largement capables de monter deux étages sans ascenseur, de monter sur un trottoir, dès lors qu’elles le font à leur rythme et dans le confort, alors que les aménagements indispensables pour le handicap doivent se comprendre différemment. Il faut donc que nous arrivions à travailler avec les copropriétés. Je ne vous dis rien du logement social parce que le logement social est un monde organisé, professionnel, qui a un lien ténu avec ses locataires qui restent longtemps dans leur logement. L’adaptation du logement est donc devenue un phénomène normal, anticipé et d’ailleurs assez innovant. La situation est beaucoup plus compliquée dans le logement privé. La diversité et même l’atomisation des acteurs, le manque d’interlocuteurs font que cet enjeu est excessivement difficile. Je vois la difficulté que j’ai, pour la deuxième mission, à trouver des interlocuteurs avec lesquels nous puissions construire des propositions. Avant de terminer par un mot à la mode, je voudrais vous dire que je suis quand même heureuse de voir que dans la stratégie 2020 de l’Union européenne, le vieillissement est cité cinq fois. 2012 va être l’année du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle. J’ai travaillé, il y a quinze jours, avec le Président Olbrycht qui est le président de l’intergroupe URBAN au Parlement européen et il a pris en compte le vieillissement. Il est PPE polonais ; dans les nouveaux états membres, le sujet du vieillissement et de l’habitat est encore plus aigu qu’il n’est chez nous. Madame, vous évoquiez le renouvellement et la renégociation des fonds régionaux. Le Président Olbrycht a dit : « Et si le vieillissement en faisait partie ». Nous partageons tous un intérêt à organiser notre vie avec le défi climatique et je me dis qu’il serait bien dommage de ne pas organiser notre vie avec le défi démographique qu’est le vieillissement. C’est pourquoi je trouve intéressant que les régions françaises, à Malmö l’année dernière et les gouvernements locaux européens, en février 2010 à Barcelone aient traité le sujet, que le Parlement européen s’en occupe et que la Commission européenne l’ait visé à cinq reprises dans la stratégie 2020 qu’elle a publiée en mars 2009. L’adaptation du logement ou l’intergénérationnel ? Il paraît que les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain. Je vous demande d’avoir la sagesse de ne pas trop fantasmer sur l’intergénérationnel. Au début de mes travaux, je trouvais que c’était l’une des meilleures idées qui soient. En regardant un sondage qu’avait fait Ipsos pour Notre Temps, je me suis rendu compte que les personnes âgées disaient que le fait de partager un logement avec des jeunes était une excellente idée. Puis, au fur et à mesure que se décomposaient les questions, lorsqu’on en arrivait à leur demander si elles étaient prêtes à le faire dans un avenir proche, seulement 4 % répondaient « pourquoi pas ». Utopie ou réalité ? Nous pouvons catégoriser l’habitat intergénérationnel de trois façons. L’habitat partagé, c’est-à-dire des personnes âgées qui reçoivent des jeunes, est un mouvement associatif qui est très intéressant, mais qui a donné lieu à 3 000 cohabitations et qui demande une culture de l’habitat partagé. Si les personnes ne partagent pas de la même manière la salle de bains, il y a peu de chance que la cohabitation fonctionne pendant très longtemps. Nous ne pouvons pas faire rentrer cet habitat partagé dans un effet de masse trop important. Il y a également l’habitat aménagé qui se situe plus dans l’offre nouvelle. Comment ajoute-t-on une pièce complémentaire ? Comment fait-on des logements qui se répondent de manière proche ? Puis, il y a un habitat organisé. Je trouve l’exemple d’Alicante particulièrement remarquable. Comme vous le disiez, les villes du sud ont un problème avec leur centre puisque les personnes sont beaucoup plus propriétaires qu’en France et que le centre a été repris en locatif plutôt par une population immigrée, etc. Madrid, Alicante, Athènes, etc. essaient de reconquérir leur centre. Alicante a eu une politique de renouvellement urbain de centre-ville, a repris des quartiers, les a démolis, les a reconstruits et a installé une occupation intergénérationnelle contractuelle, organisée et aménagée où des jeunes couples, contre un loyer moindre, rendent des services de la vie quotidienne. Pour réfléchir à ce sujet pour la France, nous allons nous heurter très vite au droit du travail puisque la baisse de loyer va être considérée comme un travail dissimulé, etc. Je rêverai d’un peu plus de souplesse pour de tels éléments de service. Il n’empêche que le vieillissement de la population est vraiment une chance particulière. A l’image de l’appel à projets qu’avait lancé la Commission européenne l’année dernière « Design for all », politique d’innovation des PME, le Limousin et l’Auvergne qui ont un solde migratoire positif, ont mis en place un certain nombre d’éléments. Ils ont pris le vieillissement comme une base d’innovation, le Limousin en créant un pôle d’innovation d’accessibilité et d’adaptation du logement. Je vais m’appuyer sur eux pour proposer un label d’artisans pluridisciplinaires pour intervenir dans le logement. L’Auvergne quant à elle a mis en place un territoire en e-contact, avec des technologies excessivement simplifiées qui cassent la barrière élitiste des NTIC, culturelles et générationnelles et qui permettent que cette population survive dans des régions où la présence des petites entreprises du bâtiment est plus fine que celle du boulanger. Ce sont des territoires que 28 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité je souhaiterai que nous respections parce que le Limousin a cette particularité de représenter, avec dix ans d’avance, l’Europe que nous aurons nous-mêmes à partager et à organiser dans dix ans. Merci. A lex Ta ylor J’ai envie de poser une question impossible tant elle est vaste. Il y a toujours le stéréotype comme quoi l’attitude vis-à-vis des personnes âgées est radicalement différente en Chine par exemple ou dans d’autres pays asiatiques par rapport à ce qui se passe en Europe. Vous n’avez pas prononcé le mot de « jeunisme ». Dans nos médias et nos sociétés, nous traitons parfois les vieux avec mépris. Est-ce que cette attitude est en train de changer en Europe ? Est-ce qu’elle est en train de changer dans les pays asiatiques qui sont de plus en plus portés sur le développement urbain ? Muriel B oulmier C’est un sujet absolument passionnant. La Chine a un regard sur ses personnes âgées différent du nôtre, peutêtre par tradition, mais pas uniquement. Il y a un indice qui s’appelle l’indice du vieillissement et qui est le suivant : quel temps met un pays pour doubler sa population de plus de 60 ans ? L’Europe et la France ont mis cent ans. La Chine et le Maroc ont mis 25 ans, la Lybie 17 ans. A la fin du mois de janvier dernier, j’intervenais dans un colloque sur la ville méditerranéenne et j’ai dit que la ville méditerranéenne vieillissait. A priori, ce vieillissement n’apparaît pas, mais il se vérifie. Le ministre de l’Urbanisme du Burkina Faso, petit pays pauvre d’Afrique, nous disait que les épidémies et les maladies faisaient que la population était dans des catégories que nous connaissions. Chez eux, l’ensemble des facteurs croisés (l’augmentation de la médecine, etc.), me disait-il, font que la population vieillit et qu’ils sont complètement désarmés pour traiter ce vieillissement. Par ailleurs, l’image du vieillissement est l’image un peu sémantique de la retraite. La retraite, c’est la débâcle, la défaite. En France, la retraite est le glas des situations privilégiées. Pour ma part, je préfère répondre par l’espérance de vie. Des sociologues et des philosophes ont fait de l’humour sur le sujet en se demandant quand le mouvement de libération des femmes allait se transformer en mouvement de libération des vieux. J’ai lu aussi quelqu’un qui disait : « Un homme sur deux est une femme. Qui dira qu’un vieux sur deux est un électeur ? ». Etc. L’idée est de savoir quand cette nouvelle génération intermédiaire qui est excessivement engagée, va s’organiser pour tenir vraiment son rôle, après avoir été abattue par la marginalisation, la mauvaise image et le retrait. D’ailleurs, jusqu’à la Renaissance, pour faire sérieux, on se vieillissait. Y ves-Thiba ud de Silguy Madame, je voudrais réagir à vos propos. Je trouve en effet très intéressantes et très stimulantes ces recherches de nouvelles formules, compte tenu du vieillissement qui est un phénomène majeur de nos sociétés contemporaines. Je voudrais réagir quand je vous entends dire que le vieillissement est une chance. J’ai des parents qui ont 90 ans, qui sont vieux, qui sont malades et qui veulent rester chez eux. Ils ont toujours vécu à leur domicile. C’est chaque jour plus difficile, ils souffrent le martyr. Il faut trouver du personnel, ce qui coûte cher. Nous essayons de les maintenir à leur domicile. La médecine fait qu’à chaque fois qu’il y a quelque chose, on les envoie à l’hôpital et on les ramène. Indépendamment de tout ce qui est tenté, je me demande si le vieillissement est vraiment une chance dans la vie. Muriel B oulmier Je suis heureuse que vous ayez posé cette question parce qu’elle pose les interrogations de fin de vie. Après 60 ans, il y a trois âges. Il y a l’âge 60-75 ans qui est excessivement actif, il y a l’âge 75-85 ans où naissent les premiers polyhandicaps que l’on sait absolument résoudre et il y a l’après 85 ans. Comme vous l’évoquiez, l’après 85 ans laissent voir les signes de la grande dépendance. Outre toutes les inégalités génétiques que nous connaissons les uns les autres, il n’y a que des réponses de politiques publiques d’hébergement organisé et des réponses qui sont très personnelles. J’ai été frappée de voir que désormais, les tables de mortalité des assurances vont jusqu’à 106 ans. J’ai l’une de mes amies qui me dit qu’il faut observer les signaux faibles parce qu’ils sont les tendances de demain. Nous ne sommes pas au bout des interrogations qui sont parfois des interrogations malheureuses, comme vous l’évoquiez. A lex Ta ylor J’aimerais juste poser une question à Shirley. J’aimerais savoir ce qui se passe aux Etats-Unis. Quid de ce phénomène aux Etats-Unis ? Il vient d’avoir un grand débat national sur le système de santé. Est-ce que l’on s’occupe bien des courbes toujours croissantes de personnes âgées ? Les villes vont-elles être adaptées ? Shirley Ybarra, Consultant déplacements senior – Reason Foundation Je crois qu’à certains égards, peut-être parce que nos constructions sont plus neuves, l’habitat est mieux adapté au vieillissement. Je vous donnerai l’exemple de ma tour en copropriété qui a peut-être vingt ans. Ces nouveaux immeubles sont construits avec l’accessibilité intégrée (les lumières, les rampes d’accès, etc.). 29 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Maintenant, est-ce que les villes prennent cela en compte ? Je vis en centre-ville, dans un bâtiment qui est plutôt récent. Il faut se poser la question. Je travaille dans le domaine du transport et nous menons cette réflexion depuis dix bonnes années. Comme vous, nous avons des autobus accessibles aux handicapés, des quais de train conçus il y a déjà vingt ans pour les handicapés, des trains régionaux et des métros accessibles également. La question est de savoir en fait à quel âge nous sommes vieux et ce que nous en pensons. Je crois que nous sommes plus agiles aujourd’hui, dans la vieillesse. C’est une question sur laquelle nous menons une réflexion. Y a-t-il une recette magique, une panacée ? Non. Nous parlons pour notre part des other drivers. C’est une autre catégorie. A quel âge est-on trop vieux pour manier une automobile, dans le pays de l’automobile ? Fra nk D hersin, direc teur des rela tions institutionnelles – V I NCI Conc essions Je rebondis sur ce que le Président disait. Je me souviens d’un mot du Général De Gaulle qui disait « la vieillesse naufrage ». Je pense sincèrement que nous ne vieillissons pas tous de la même façon. Nos villes vont être face à deux événements très importants : l’afflux de ces naufragés vieux et l’afflux de ces naufragés qui arrivent du fait des migrations et du fait de la crise économique. Les villes sont face à ces deux phénomènes énormes qui vont arriver en même temps. Il va falloir gérer ces deux sortes de naufragés de manière forte. A lex Ta ylor Muriel, il y a quelques personnes qui souhaitent intervenir. Je leur donne la parole et vous conclurez ensuite. Cha rles-Eric L ema ignen, Président de la Communa uté d’A ggloméra tion d’Orléa ns Je dirais deux choses. Il me semble qu’une statistique montrait que l’espérance de vie en bonne santé évoluait plus vite que l’espérance de vie. J’aimerais que vous nous précisiez cela. Deuxièmement, je m’adresserai plutôt aux concessionnaires et aux privés. J’ai l’impression que l’offre de services à la personne est un marché qui progresse beaucoup moins vite que ce que nous aurions pu imaginer, en particulier pour les personnes âgées. Pourquoi ? A lex Ta ylor Je donne la parole à Muriel pour qu’elle fasse une petite conclusion à tous ces points vastes. Muriel B oulmier Je confirme que l’allongement du temps de la vie est l’un des facteurs excessivement importants, mais la révélation est le fait de vieillir en bonne santé. On vit plus vieux en bonne santé. Ensuite, à quel âge est-on vieux ? Il y a l’approche statistique, l’inégalité génétique et la capacité ou non d’avoir un environnement familial ou d’hébergement. Les tranches de revenus participent incontestablement aux solutions à proposer. Vous avez abordé un sujet que je n’ai pas abordé parce qu’il est un champ en lui-même et qui concerne le service à la personne des personnes vieillissantes. Je l’ai abordé dans mon premier rapport. Vieillir est au moins une espérance, si ce n’est une chance. En tout cas, c’est un secteur développeur d’emplois. J’en veux pour preuve ce qui s’est passé à Rome l’année dernière, lorsque s’est posée la question à propos des sanspapiers. La question a été réglée, les sans-papiers ont été reconduits à la frontière, sauf ceux qui s’occupaient des personnes âgées. Pour la première fois, les personnes âgées se sont mobilisées contre le fait que les immigrés qui s’occupaient d’elles puissent être reconduits car elles ne trouvaient pas de personnes pour les remplacer. Je trouve que dans le contexte communautaire, il y a là un vaste gisement d’emplois. En France notamment, je pense que nous pourrions développer la VAE et que nous pourrions développer également l’engagement des jeune seniors pour s’occuper des seniors plus âgés. Le service à la personne âgée a ceci de particulier qu’il n’est pas un lien de prestataire/client. C’est un lien interactif entre deux acteurs dont l’un est client et l’autre est prestataire. Il faut donc professionnalisme et confiance. Je crois qu’il y a là un champ considérable à investiguer. Je pense que nous pourrions prévoir un programme de professionnalisation partagée pour permettre un certain nombre d’échanges au sein de l’espace Schengen. Qu’il soit en dur ou en soft, le marché raccroché à l’organisation du temps de vie est à nos portes. Il suffit juste d’y réfléchir pour qu’il naisse. A lex Ta ylor Muriel Boulmier, merci pour votre intervention. Je voudrais juste ajouter un petit mot personnel. Je vis ce que vous vivez, monsieur le Président. Il ne faut surtout pas tomber dans le piège anglais qui est grotesque et qui comporte un tas de lois sur la santé et la sécurité. Mes parents ont besoin d’aide. Une jeune femme de 35 ans n’a pas le droit de toucher à des ciseaux parce qu’elle peut se couper. Ma belle-mère qui a de l’arthrite lui demande de toucher des ciseaux. Elle n’a pas le droit. Elle a le droit de vider la poubelle dans un sac, elle 30 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité n’a pas le droit de prendre le sac hors de la maison parce qu’elle pourrait éventuellement voler quelque chose. Ce sont des lois idiotes. Elle n’a pas le droit de monter sur un escabeau d’un étage. Ce sont des lois idiotes. Nous payons ces aides à domicile. L’Union européenne est dans la salle, peut-être peut-elle faire en sorte que ces lois ne touchent pas d’autres pays parce qu’elles atteignent des proportions absolument grotesques. Rick Bell, pouvez vous résumer notre matinée en quelques minutes ? R ic k B ell, D irec teur d’A rc hitec ture Généra l de l’a ntenne de New-Y ork de l’I nstitut a méric a in Je voudrais simplement parler de ce que j’ai appris ce matin et des idées qui sont venues des autres. Je voudrais remercier notre hôte, VINCI, et surtout monsieur De Silguy. Nous avons dit ce matin que la stratégie bâtie sur le long terme est nécessaire pour dynamiser les métropoles. Je voudrais aussi remercier nos hôtes, ici à Hambourg, Jörn Walter et Andréas Kellner, qui nous ont parlé d’une ville accueillante, pour nous mais aussi pour les familles, une ville qui a réparé les blessures du passé. Les différentes présentations que j’ai entendues ce matin ont parlé d’abord d’âge. Comment les villes se sontelles accommodées à la population vieillissante ? Nous avons parlé également d’accueil. Comment faire des villes attirantes pour tout le monde ? Comment animer le futur des villes avec un centre-ville assez attirant pour les plus jeunes ? (Inaudible). Des endroits pour parler avec les autres et avoir accès aux connaissances. C’était mon rêve de faire du vélo à Paris. Hier, j’ai réussi, même s’il était difficile de trouver une place pour le stationner. A l’Hôtel de Ville, c’est d’ailleurs beaucoup plus simple qu’ailleurs. Dans l’expo, les images de Paris après-guerre sont formidables. A New-York, nous avons notre propre rêve qui est (inaudible). Tout le monde, ce matin, a parlé de l’importance des logements. (anglais). Cela a été fait avec un processus participatif et inclusif réel qui existe, me semble-t-il, à Paris. Je suis loin et de temps en temps - pas assez souvent - à New-York. Nous avons également parlé ce matin d’éco-mobilité, non seulement du vélo, mais aussi des tramways, des autres façons de se déplacer dans les villes. A Copenhague, l’année dernière, on avait dit que plus d’un tiers des habitants arrivaient au travail à vélo, le matin. Nous essayons de faire cela à New-York et à Paris. D’ailleurs, cela existe. Pour ce faire, il faut avoir des places pour stationner les vélos. Nous avons parlé aussi de continuité, non seulement des bâtiments anciens et neufs, mais aussi du transport. On a parlé de solidité. Pour moi, il s’agit de durabilité. Il faut aussi tenir compte de la situation économique. Les effets de la crise économique de ces deux dernières années ont conduit à une diminution de la rapidité de construction. A New-York, avec le Département, nous avions fait des bâtiments pour (anglais). Pour conclure, nous pouvons peut-être parler de beauté. Vous voyez Beaubourg ; à droite, le planétarium de New-York. C’est une image du futur, peut-être spirituelle ; elle donne une idée de ce que l’on peut voir. Demain, nous verrons le futur. Le futur est peut-être maintenant ou peut-être demain. Merci beaucoup pour votre invitation. C’est un grand plaisir. Je veux remercier aussi tous les intervenants. Catherine Barbé qui a parlé des services maternels et familiaux et des qualités de logement qui permettent de conserver les familles et d’attirer de jeunes adultes à Paris. Thomas Maloutas qui nous a parlé d’Athènes. Pour ma part, j’ai retenu une certaine espérance pour le futur parce que tout le monde peut réparer ce qui n’a pas très bien marché dans le passé. Brunella Boselli qui a parlé de l’évolution rapide dans les villes de l’OCDE, avec le taux de chômage et les problèmes sociaux qui en résultent. Margit Tünnemann qui a parlé des villes comme des places d’intervention de la croissance. Serge Weber qui a trouvé les mots justes pour parler de la métropolisation des effets de la précarité, mais aussi de l’importance externe d’une culture du lien, du lien entre ici et là-bas. J’aime beaucoup cette expression. Muriel Boulmier qui a parlé de l’effet du vieillissement sur les villes. Au cours de ces deux jours, je voudrais parler de santé publique. Nous avons collaboré avec le Département de Santé, à New-York, pour faire un livre. J’ai quelques exemplaires avec moi. Comment intégrer les questions de santé publique pour permettre, même aux gens du troisième âge, d’avoir une façon de vivre beaucoup plus active ? Pour les personnes âgées, la mobilité est très importante. Il est par exemple important qu’elles puissent marcher dans les parcs. Il faut avoir des sièges, des places assises, etc. Le mobilité n’est pas toujours le mouvement, mais est aussi son contraire. C’est peut-être quelque chose que nous verrons à Hambourg demain. Merci beaucoup. 31 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité T abl e -ronde n° 2 : Comment faire face aux évolutions démographiques ? Anticiper les évolutions pour mieux s’y préparer A lex Ta ylor Nous allons voir cet après-midi comment nous pouvons anticiper les évolutions pour mieux s’y préparer. Nous allons commencer avec les concessions autoroutières. André Broto de Cofiroute va nous dresser un premier portrait. A ndré B roto, Cofi route Evolutions démogra phiques et c onc essions a utoroutières Bonjour. Je parlerai du territoire historique des sociétés d’autoroute en deux diapositives et une image, juste pour rappeler que maintenant, les autoroutes prennent en compte les attentes sociales, notamment de paysages. L’image que vous voyez vous présente apparemment un site naturel qui est en fait totalement artificiel. La diapositive que vous avez sous les yeux représente l’évolution du réseau autoroutier depuis une trentaine d’années. 8 000 kilomètres d’autoroutes ont été construits et financés en trente ans, sans impact sur les budgets publics. La valeur de ces autoroutes est d’environ 50 milliards d’euros. Je dirais même qu’elles ont généré des ressources pour les pouvoirs publics puisqu’actuellement, quand vous payez un euro de péage, 35 centimes partent dans les caisses de l’Etat sous forme de TVA, taxes diverses, impôt sur les sociétés, etc. Cette image illustre également l’accessibilité. Elle donne pour chaque commune, avec trois couleurs de bleu, la distance par rapport au premier échangeur autoroutier, exprimée en minutes, soit quinze minutes pour le bleu foncé, trente minutes pour le bleu moyen et quarante-cinq minutes pour le bleu pâle. La tâche blanche que vous voyez était, il y a une dizaine d’années, exactement le département de l’Orne. Pour ce qui est du réseau Cofiroute que je connais bien, nous comprenons pourquoi les élus de ce département ont demandé à corps et à cris et ont obtenu l’autoroute A28 qui a depuis été mise en service. Ajoutées à ce qui était construit avant 1980 et à quelques autoroutes sous maîtrise d’ouvrage Etat, ces autoroutes totalisent un réseau de 10 000 kilomètres qui irriguent finement le territoire, en symbiose avec un peu plus de 300 000 kilomètres de routes départementales, 20 000 kilomètres de route nationales et un peu plus de 600 000 kilomètres de voies communales. L’ensemble des réseaux routiers totalisent un million de kilomètres, ce qui correspond, en ratio, à 1,5 ou 1,6 kilomètre par kilomètre carré. Cela donne une idée de la finesse de desserte des territoires et de la façon dont vivent ensemble ces quatre réseaux. Les principaux défis de la prochaine décennie sont d’abord d’élever le standard environnemental des autoroutes anciennes. En effet, environ la moitié du réseau a été construite avant les textes de protection de l’environnement, avant la loi sur l’eau de 1992 et avant tous les textes sur la biodiversité. C’est ce que nous appelons l’éco-autoroute. Le deuxième défi consistera à anticiper le développement du rôle du transport collectif de la route. A tort, nous avons assimilé récemment la route à la voiture. C’est incompréhensible parce que la route a assuré le tiers de la consommation de transport collectif en 2007, avec 47 milliards de voyageurs transportés par bus et autocars, à comparer aux 93 milliards pour l’ensemble des systèmes ferrés, soit un rapport d’un tiers/deux-tiers. Cela va être appelé à se développer avec l’ouverture à la concurrence dans le domaine interurbain. Enfin, avec l’arrivée des lignes à grande vitesse sur le segment de la grande vitesse, l’autoroute doit, dans les années à venir, oser la proximité au niveau des services (aires de service, aires de repos, mais aussi peut-être les échangeurs). Voilà les quelques défis que nous avons à relever dans la prochaine décennie pour ces réseaux qui sont arrivés à maturité. Je vous propose maintenant de rentrer dans le cœur de notre sujet qui concerne la ville. Je partirai du cas de la région Ile-de-France, à partir d’un clin d’œil qui illustre les embarras de Paris, en 1929. Vous voyez donc que les problèmes ne datent pas d’aujourd’hui. Parfois, nous sommes un peu schizophrènes. Nous avons l’impression que tout change très vite et qu’il faut donc vite faire quelque chose, mais nous voyons qu’il y a des déterminants et que nous sommes sur le long terme. Avant de parler des concessions, je vais parler des évolutions démographiques, des évolutions de l’offre de transport, principalement ferrée. Avant de répondre à la question de savoir s’il y a une place pour les concessions autoroutières, encore faut-il savoir s’il y a des endroits où l’offre de transport collectif ne permet pas de répondre à la demande. Comme madame Barbé l’a rappelé tout à l’heure, il y a un siècle, la région Ile-de-France comptait 5 millions d’habitants dont 3 à l’intérieur de Paris et 2 en banlieue. Un siècle plus tard, les 3 millions sont devenus 2 et les 2 millions, en banlieue, sont devenus 9,7 millions. De manière prospective, il semblerait que nous pouvons 32 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité nous attendre à environ 15 % d’augmentation de la population dans une vingtaine d’années. Il est assez remarquable de voir comment ont réagi les aménageurs il y a un siècle pour offrir de l’accessibilité aux Parisiens. En une douzaine d’années, ils ont construit un métro, un réseau qui totalise un peu plus de 140 stations. Autrement dit, ils ont offert de l’accessibilité au transport collectif à 60 % de la population en à peine une douzaine d’années. Vous voyez l’évolution de la population francilienne depuis deux siècles. Est représentée en noir la population de Paris qui est passée par un maximum de 3 millions et qui est aujourd’hui de 2,180 millions. En vert clair, est représentée la proche couronne et en vert sombre la grande couronne. Je vous propose de regarder plus en détail la façon dont s’est produit l’étalement urbain au cours du dernier siècle, entre l’époque où l’Ile-deFrance comptait environ 5 millions d’habitants et aujourd’hui où la population est de 11,7 millions d’habitants. Ces diagrammes montrent l’augmentation de population par quart de siècle. La première barre représente Paris, sur un rayon d’environ cinq kilomètres. Sur la période 1901-1926, 170 000 habitants se sont installés à Paris, un peu moins de 350 000 dans une couronne de trois kilomètres et dans une couronne entre cinq et huit kilomètres, un peu plus de 350 000 dans une couronne de huit à onze kilomètres, etc. Dans le quart de siècle suivant, 1926-1954, vous voyez que le nombre d’habitants commence à fléchir en très proche couronne et à Paris. La frange sur laquelle la population s’installe en priorité s’éloigne de Paris. Dans le quart de siècle qui va de 1954 à 1975, ce phénomène de l’étalement urbain est beaucoup plus marqué puisque l’échelle a changé. Paris enregistre une baisse d’environ 600 000 habitants, d’à peine 100 000 sur la couronne entre cinq et huit kilomètres. L’étalement est très nettement marqué et va assez loin. Dans le dernier quart de siècle, 1975-1999, la zone où s’installent en priorité les populations est à trente kilomètres. Il y a certes les villes nouvelles, mais elles ne suffisent pas à expliquer ces croissances et surtout ces décroissances. Nous avons donc l’impression que l’étalement urbain est un phénomène extrêmement lourd. Il est d’ailleurs assez curieux de constater qu’il y a 35 ans, un dénommé Bussière avait établi un modèle mathématique qui devait prédire l’étalement urbain de la ville de Lyon et de la ville de Paris. Nous avons récemment refait les exercices de monsieur Bussière et avec son modèle mathématique, nous avons trouvé exactement ce que nous constatons dans la réalité. Où en sommes-nous aujourd’hui ? La carte suivante illustre les densités. Vous voyez quatre cercles, l’un de cinq kilomètres qui est Paris, l’un de vingt kilomètres, un autre de trente-cinq kilomètres et un dernier de cinquante. Il faut voir que les échelles sont assez importantes puisqu’un rayon de trente-cinq kilomètres correspond à cinquante fois la surface de Paris. Nous voyons que cet étalement est assez isotrope, assez homogène. Nous devinons un peu les villes nouvelles, mais nous sentons bien que l’étalement ne s’est pas concentré sur les villes nouvelles. Nous avons le sentiment que ce phénomène est inéluctable. Dans le cadre d’un groupe de travail avec l’Association Internationale Permanente des Congrès de la Route, nous travaillons, en prévision du congrès mondial de l’année prochaine, sur ces phénomènes de densité, de transport et de place de la route. J’ai une carte d’un collègue japonais que vous voyez ici. L’échelle est la même, afin d’éviter les distorsions liées à des échelles différentes. A Tokyo, l’urbanisation s’est faite en doigt de gant, le long du système ferré. Nous allons essayer d’en expliquer les raisons. Elles remontent environ à quatre-vingts ans, si j’en crois ce que nous dit ce monsieur. En tout cas, pour la région Ile-de-France, la situation est différente et elle semble inéluctable puisque la ville de 2050 est connue à 80 %. Je vous présente quelques cartes sur les densités. En ce qui concerne la taille des ménages, ce matin, vous nous avez présenté le cas de Paris ; vous avez ici le cas de la région complète. Dans Paris, la taille moyenne des ménages est inférieure à 2, elle est de 1,8 ou 1,9 et en proche ou grande couronne, la taille moyenne des ménages est de 2,9, 3,1, 3,3, voire au-delà. Si l’on regarde le potentiel fiscal, la tendance est inversée, assez logiquement. Les potentiels fiscaux les plus élevés sont à Paris et dans quelques communes vertes, le reste étant assez bas. Je reviens à ces problèmes de densité. Vincent Piron qui n’est pas parmi nous aujourd’hui, avait, il y a une vingtaine d’années, mis ces densités sur un diagramme. Vous avez en abscisse la distance par rapport au centre de l’agglomération et chaque point représente soit une commune soit un arrondissement de Paris. Les densités nettes d’emploi et de population sont exprimées par hectare. Il avait mené par ailleurs une étude dans d’autres villes (Lyon, Marseille, Oslo, Lisbonne) et il avait constaté quelque chose que l’on constate dans de nombreuses villes, à savoir que le domaine de pertinence pour les transports collectifs lourds se fait audelà d’une certaine densité de population et d’emploi et qu’en-dessous d’une certaine densité, il n’y a plus que le minibus ou la voiture pour faire face à la demande de transport. Regardons ce que sont devenus les réseaux de transport. Je n’ai pas représenté sur cette carte l’ensemble des lignes ferrées en grande couronne, mais uniquement le RER et le réseau de métro. Vous constatez que dans Paris, le réseau est maillé et qu’à l’extérieur de Paris, pour faire simple, il y a principalement un réseau radial. Dans chaque couronne – nous avons pris des couronnes de cinq kilomètres de largeur – nous avons mesuré la population qui habitait à moins de 400, 500 et 600 mètres d’une station de RER ou de la SNCF. A Paris, la 33 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité totalité de la population est à moins de 400 ou 500 mètres d’une gare de métro, ce qui n’est pas le cas dès que l’on s’éloigne un peu. Vous voyez ici par exemple 600 000 à 700 000 habitants qui n’habitent pas à côté d’une station. Sur l’ensemble de la région Ile-de-France, selon l’hypothèse de rayon que l’on prend, nous arrivons à cinq ou sept millions d’habitants qui habitent à plus de 400, 500 ou 600 mètres d’une gare de RER. Quelles en sont les conséquences ? Je vous montre ici un extrait de l’enquête globale sur les transports de 2001. Vous savez que l’on pose un tas de questions à nos concitoyens. Les questions portaient sur le trajet domicile/travail. Les gens déclarent l’endroit où ils vont travailler, la distance qui est mesurée à vol d’oiseau parce qu’on ne sait pas exactement par où ils passent, ainsi que le temps et la durée du déplacement. Cette enquête déclarative révèle que lorsque les gens prennent un mode ferré pour aller au travail, ils annoncent une vitesse très faible. Dans Paris, à certains endroits bien placés, ils déclarent des vitesses relativement fluides. Si l’on fait le même exercice avec les habitants qui ont déclaré aller au travail en voiture, on trouve des vitesses de déplacement beaucoup plus élevées, ce qui explique la difficulté qu’il y a à se rendre sur son lieu de travail avec un réseau radial. Finalement, la plupart des habitants se rabattent sur la voiture parce que c’est la seule solution qui correspond à leur désir de ne pas trop perdre de temps. Pour résumer l’accessibilité au réseau de transport collectif en site propre, si je reviens à la carte de tout à l’heure, vous voyez que dans le centre de Paris, environ deux millions d’habitants ont accès à un réseau maillé et ont un excellent niveau de service avec le métro. Qui plus est, il est isotrope. Vous prenez deux points, origine et destination, n’importe où dans Paris, vous avez une bonne chance de pouvoir y aller en métro, sans trop insulter la ligne droite. Par contre, en ce qui concerne les habitants qui ont la chance d’habiter à côté d’une station de RER en banlieue, il y a deux cas. S’ils habitent par exemple à côté de la station de Saint-Germain-en-Laye et qu’ils ont en outre la chance de travailler à Paris ou à La Défense, le transport en commun est extrêmement efficace. L’origine et la destination sont sur la même ligne. Par contre, s’ils habitent à côté de la station de Saint-Germain-en-Laye, mais qu’ils travaillent à Saint-Quentinen-Yvelines ou à Saclay, ils vont prendre la voiture. Si nous calculions la probabilité pour que quelqu’un ait intérêt à utiliser ce réseau radial, je pense que nous arriverions à un chiffre inférieur à 10 %. Je pense d’ailleurs que ce chiffre a été calculé par les équipes qui travaillent sur le PDU. Cela explique le projet de rocades ferrées qui vont réduire un peu le handicap, mais qui vont le réduire de manière relativement modeste. Ensuite, les six à sept millions d’habitants qui n’ont pas la chance des deux millions qui habitent à Paris sont exclus de fait du service de transports collectifs en site propre. Ils ont à leur disposition d’autres transports collectifs (le bus, l’autocar). Ils peuvent aussi utiliser des parkings de dissuasion, prendre leur voiture, aller à la gare, mais je crois savoir qu’il y a environ 100 000 places de stationnement offertes au droit des gares RER ou SNCF. On voit bien que l’ordre de grandeur n’est pas le bon. Nous pouvons imaginer la même chose avec des vélos, mais l’ordre de grandeur n’est pas non plus le bon. Nous pouvons imaginer le covoiturage. Il reste presque toujours la route et surtout le bus. Regardons maintenant la consommation de transports en Ile-de-France, d’après l’enquête globale des transports de 2001. La consommation de transports effectuée en site propre ferré, par jour ouvrable, est de 51 millions de kilomètres parcourus, tous motifs confondus, que ce soient des trajets domicile/travail, des trajets d’affaires ou professionnels, des trajets de loisirs, d’écoles, etc. Les autres modes motorisés (les bus, les taxis, les voitures et les deux-roues motorisés) représentent quant à eux 107 millions de kilomètres parcourus par jour. La marche et les deux-roues représentent enfin sept millions de kilomètres parcourus par jour. Sur un total de 165 millions de kilomètres parcourus chaque jour, dans notre quotidien, dans nos mobilités, la marche et les deux-roues en nombre de déplacement, représentent peut-être des parts importantes, mais en consommation de transports, en distance, ils pèsent à peine 4 ou 5 %. Ils pèsent douze millions de déplacements quotidiens et simplement 4 à 5 % du total. Les modes motorisés représentent 23 millions de déplacements par jour pour 160 millions de kilomètres parcourus. La distance moyenne à vol d’oiseau est de huit kilomètres, ce qui veut dire que la distance réelle est peut-être d’une douzaine de kilomètres. Regardons maintenant comment se combinent l’offre et la consommation de transports en Ile-de-France. Nous venons de voir que la consommation de transports motorisés est assurée pour les deux-tiers et pour un tiers par les réseaux en site propre. L’offre se compose de 200 kilomètres de métro. Nous avons la chance, à Paris, d’avoir une densité de métros absolument phénoménale. Il y a 2,5 kilomètres de métro par kilomètre carré. C’est d’ailleurs à rapprocher du 1,5 kilomètre de route par kilomètre carré sur le territoire national. Cela donne une idée de la finesse de desserte du territoire. L’offre se compose également de 600 kilomètres de RER, de 50 kilomètres de tramway et de 800 kilomètres de train de banlieue. L’offre se compose donc au total de 1 700 kilomètres. Les routes globalisent environ 11 000 kilomètres dont 500 kilomètres de voies rapides urbaines gérées par la Dirif, la Direction interrégionale des routes d’Ile-de-France, 300 kilomètres de routes nationales et 300 kilomètres d’autoroutes. Les routes secondaires, routes départementales et voies urbaines, représentent environ 10 000 kilomètres. Comme vous le savez tous, en heure de pointe, la plupart des réseaux en zone centrale sont saturés. En pratique, nous pouvons dire que depuis une vingtaine d’années, les infrastructures n’ont pas suivi la demande, 34 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité tant dans le domaine des transports collectifs que dans le domaine routier. Je rappelle que l’on s’attend à une augmentation de la demande de transport de 15 à 20 % en vingt ans. On peut dire que l’on va essayer de rapprocher les emplois et les lieux de résidence et que l’on va remplir les dents creuses. Certes, c’est important, il faut le faire, mais il ne faut pas oublier le stock qui représente sept millions d’exclus des transports collectifs. Nous voyons sur ce document les limites techniques et financières de l’exercice. Si l’on fait une rocade de 130 ou 150 kilomètres, elle pèsera environ 10 % sur l’offre actuelle. Nous pouvons estimer qu’elle sera placée au bon endroit et qu’en termes de service rendu, elle ne pèsera pas 10 %, mais plutôt 15 %. Cependant, vous voyez que nous sommes à peine à l’échelle de ce que l’on attend en vingt ans et nous ne rattrapons pas le déficit d’investissements que nous avons accumulé sur les vingt dernières années. On n’a rien fait sur les deux-tiers de demandes de transport assurés par la route. Il y a donc un vrai problème, non seulement dans le domaine des transports collectifs, mais aussi dans le domaine de la route. Dans le domaine de la route, de mon point de vue, le problème est aggravé parce que nous voyons pointer des opérations de reconquête urbaine. Je pense par exemple que les voies de berge rive droite seront, dans un certain nombre d’années, réaffectées aux piétons, tout comme peut-être d’autres voies. Nous avons vu les évolutions démographiques, l’offre de transport, la consommation de transport, le rôle incontournable de la route. Y a-t-il une place pour les concessions ? Si oui, laquelle ? Nous pouvons imaginer plusieurs cas de figure. Nous pouvons réduire la place des infrastructures routières et recourir au sous-sol en zone dense. Nous pouvons rechercher trois autres objectifs : optimiser les axes existants, améliorer l’exploitation, financer les aménagements nécessaires, qu’ils concernent le bruit, la couverture ou qu’ils soient parfois des élargissements. Nous pouvons aussi avoir envie d’agir sur les comportements, d’envoyer des signaux à nos concitoyens pour leur dire qu’il faut se déplacer à deux ou trois par voiture et qu’il est préférable de prendre le bus ou d’avoir des véhicules qui polluent moins. Je vous parlerai de ce qui se passe aux EtatsUnis. Ce sont des petites expériences, mais elles méritent d’être citées. C’est ce qu’ils appellent les voies HOT et la tarification au signal. Je voudrais tout de même rappeler, toujours d’après l’enquête globale sur les transports de 2001, qu’un peu moins de six millions d’actifs se rendent à leur lieu de travail en utilisant un mode motorisé. Cette même enquête nous apprend que le matin, pour aller au travail, ils mettent en moyenne 39 minutes. Il y en a probablement plus de deux millions qui mettent une heure pour aller au travail le matin et une heure pour revenir le soir, soit dix heures par semaine, ce qui signifie finalement que le fait d’aller travailler coûte 45 heures à l’un de ces actifs. Cela interpelle sur l’optimum, non seulement en matière d’efficacité économique, mais également en matière d’aspirations individuelles. Le recours au sous-sol ne date pas d’aujourd’hui. Dans le journal L’Illustration, en 1929, était exposé, place Saint-Augustin, un projet de réseau souterrain. Il y avait même des coches, c’était assez curieux. Le projet dont nous pouvons parler puisqu’il est pour 50 % en service, concerne le bouclage de l’A86, la deuxième rocade de la région Ile-de-France, sur les dix kilomètres restants, dans un secteur très sensible, tant sur le plan historique avec les sites classés du château de Versailles et de la Malmaison, que sur le plan des espaces verts. Le projet déclaré d’utilité publique prévoyait un tunnel réservé aux voitures et un tunnel pour les poidslourds. Il est en service sur les 4,5 premiers kilomètres et il sera mis en service début 2011 sur les 4,5 derniers kilomètres. Vous avez ici une vue des deux niveaux du tunnel. Je rappelle que la concession a une durée de 70 ans, soit quatre générations. C’est aussi pour cela que je vous ai montré des vues qui remontent de quatre générations en arrière, à partir de 1929. Le financement est entièrement assuré par les recettes du péage. Le projet n’a pas reçu de subventions. Le coût des travaux est extrêmement important puisque le tunnel réservé aux voitures représente 2,2 milliards d’euros. La première section a été mise en service en juin 2009 et les 4,5 derniers kilomètres sont prévus d’être mis en service début 2011. La politique tarifaire a mis en place des tarifs variables de 1,50 euro la nuit à 4,50 euros en heure de pointe et bien sûr des abonnements. Y a-t-il un potentiel pour des projets de ce type en région Ile-de-France ? Au début des années 90, nous étions dans ce que l’on a appelé après coup les Trente Glorieuses. A l’époque, nous ne savions pas qu’elles allaient s’arrêter. Nous étions dans une logique où nous voulions couvrir le territoire de projets. Cette carte, extraite du schéma directeur d’Ile-de-France, approuvé en avril 1994, illustre les ambitions. Tous les projets bleus étaient des projets à péages et en grande partie en souterrain. Je ne vais pas vous dire qu’il faut réaliser tous ces projets, mais il y a quelques endroits qui mériteraient d’être aménagés. Il y a par exemple des barreaux manquants entre l’A4 et l’A86 où il y a une baïonnette et un trafic extrêmement chargé. Sur la francilienne, la troisième rocade de la région Ile-de-France, il y a une section manquante qui pose problème depuis une vingtaine d’années et nous pouvons penser qu’elle va se faire en grande partie en souterrain. Enfin, toujours sur la francilienne, un autre secteur n’est pas bouclé. Il s’agit d’un secteur sensible avec la vallée de Chevreuse et le plateau de Saclay et il y a un gros projet de pôle et de cluster. Nous pouvons penser à d’autres projets, mais je laisse à chacun le soin de faire son marché sur cette carte. 35 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Quelles sont les expériences à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, qui méritent d’être citées ? Ce sont les voies HOT. Je vous montre deux exemples, l’un à los Angeles et l’autre à Minneapolis. A Los Angeles, c’est un projet sur une autoroute qui porte le numéro 91, située entre une zone d’habitat et une zone d’emploi. En 1994, cette autoroute radiale supportait un trafic extrêmement élevé dès quatre heures du matin et le soir dans l’autre sens. Par contre, elle avait l’avantage d’avoir un terre-plein central de 27 ou 28 mètres de large. Dans le cadre d’un consortium américain, nous avons proposé de construire et de financer une autoroute à péage au milieu d’une autoroute gratuite. Elle a été mise en service en 1995. Je voudrais dire quelques mots sur cette vue. Il y a toujours une congestion sur l’autoroute dite gratuite, c’est-à-dire payante pour le contribuable, mais nous maîtrisons la fluidité à l’aide d’une grille tarifaire adaptée qui varie en fonction de la demande. La congestion est la pire des régulations parce que le trafic d’une voie congestionnée diminue. Vous savez que le trafic est maximum lorsqu’on roule à peu près à soixante kilomètres/heure. Dès lors, il peut y avoir 2 000 véhicules par heure et par voie. A certains endroits bien choisis sur le périphérique parisien, nous trouvons même 2 200 véhicules par heure et par voie. En revanche, lorsque la vitesse tombe à vingt kilomètres/heure, le nombre de véhicules est à peine de 800 par heure et par voie. En termes d’utilité collective, la congestion est donc la pire des régulations. En termes environnementaux, c’est évident également. Le pot d’échappement d’une voiture sur une voie congestionnée tourne deux fois plus longtemps que celui d’une autre voiture. En termes de CO2 , la congestion est donc également la pire des régulations. Comment régulons-nous la fluidité ? Avec une grille tarifaire qui a démarré, la première année, avec trois tarifs et qui, il y a environ deux ans, a évolué comme le montre le graphique. Vous voyez qu’il y a un sens entrant le matin, avec un tarif de 1,05 dollar le lundi qui monte à 2,20 dollars très tôt le matin parce que la demande augmente (3,30, 3,40, 3,75) et qui diminue ensuite. Le soir, pour rentrer au domicile, les tarifs sont assez bas jusqu’à quatre heures de l’après-midi, puis passent à 4,40 dollars et à 5,70 dollars. Le jeudi et le vendredi, les Américains sont beaucoup plus nombreux à être pressés de rentrer chez eux le soir. La grille tarifaire traduit en fait le comportement sociologique des Américains. Nous faisons en quelque sorte du yield management, nous allons chercher le surplus de l’usager. A Minneapolis, le projet est encore plus étonnant, même s’il est plus petit. Il y avait à Minneapolis ce que l’on trouve dans de nombreuses villes aux Etats-Unis, à savoir des voies rapides à trois voies, la voie de gauche étant réservée aux véhicules à haute valeur ajoutée que sont les ambulances, les bus et les voitures avec plus de trois personnes à bord. Le gestionnaire de cette voie était confronté à un problème d’acceptabilité sociale. Les deux voies ouvertes à tout le monde étaient congestionnées matin et soir et les automobilistes électeurs ne comprenaient pas que la voie de gauche soit aux trois-quarts vide. Ils nous ont donc demandé si nous avions une idée pour augmenter l’utilité collective de la voie de gauche. Nous avons décidé de l’ouvrir aux usagers pressés, moyennant un péage, ce qui génère des recettes. Ils nous ont dit qu’ils voulaient que la voie soit fluide. Nous avons donc décidé de faire évoluer le tarif toutes les trois minutes. Cette voie est gratuite pour les bus, les autocars et les deux-roues. Toutes les trois minutes, sur seize kilomètres, le tarif change et non dans une petite plage puisqu’il varie de 0,25 dollar à 8 dollars. Nous avons noté une forte amélioration de la fréquentation, de l’utilité collective et surtout de l’acceptabilité sociale. Depuis, on nous a demandé d’appliquer le même système sur une autre voie et il a dû ouvrir il y a deux ans. Pouvons-nous appliquer ce projet en région Ile-de-France ? Nous pensons que les centaines de kilomètres de voies urbaines mériteraient au moins une expérience puisque ce sont des projets gagnant-gagnant. On y gagne sur tous les plans : en débit, en émission de CO2 , en acceptabilité sociale et sur le plan financier puisqu’on crée de la ressource financière. Puisque nous sommes en Allemagne, je vous montre un autre exemple de tarification au signal. C’est le télépéage poids-lourds, avec une tarification au signal selon le principe pollueur/payeur puisque la tarification est non seulement fonction de la distance et du nombre d’essieux, mais aussi fonction de la classe de pollution. Les distorsions sont tout de même assez importantes entre les poids-lourds classe Euro 5 et les poids-lourds classe Euro 1 et 2. En 2008, le tarif était de 10 centimes d’euro pour les moins polluants et de 14,5 euros pour les plus polluants. Au 1 er janvier 2009, les augmentations ont été sévères, avec un quasi doublement pour les classes 1 et 2. Le système marche parce que la proportion de poids-lourds circulant à vide est tombée à moins de 10 %. Le nombre de containers transportés par train a augmenté, tout comme la part des véhicules propres. Vous voyez sur ce diagramme la répartition du trafic par classe de pollution (Euro 5, Euro 4, Euro 3, 2, 1). La première barre représente le premier semestre, lors de la mise en service en janvier 2005, la deuxième barre le deuxième semestre 2005, etc. Vous voyez que les classes 1 et 2 diminuent et que la classe Euro 3 s’est mise à diminuer également. La tarification a donc permis d’obtenir ce déplacement de la flotte de véhicules poids-lourds vers des véhicules moins polluants, en Allemagne. Les ressources financières sont importantes puisqu’elles ont représenté, en 2006, 3,5 milliards d’euros. Une partie de ces ressources financières est affectée au financement des extensions et élargissements du réseau, via le HOT modèle dont je vous ai cité un certain nombre de projets. Je ne peux pas terminer sans rappeler les atouts des voiries souterraines. En comparant le projet de l’A86 avec d’autres projets, notamment aux Etats-Unis, on s’aperçoit que le fait de réaliser un ouvrage au tunnelier 36 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité et non pas en tranchée ouverte que l’on recouvre ensuite, est extrêmement important puisque cela permet de maintenir le fonctionnement de la ville pendant la phase des travaux. Cela permet aussi une souplesse d’insertion dans la cité si l’on fait des entrées et des sorties qui ressemblent à des entrées et sorties de parking souterrain. Par rapport au péage généralisé, le péage est ici payé en échange d’un véritable service rendu, d’un confort et d’un temps gagné. Enfin, le système est fondé sur la liberté de choix. Voilà ce que je voulais vous dire pour ouvrir la discussion. Je vous remercie. A lex Ta ylor Dans cinquante ans, que va donner tout cela ? A ndré B roto Quand on investit 2,2 milliards d’euros sur quatre générations, il est en effet important de se poser la question de ce qui va se passer non seulement dans cinquante ans, mais aussi dans quatre-vingts ans. Après toutes les études que je vous ai montrées et d’autres dont je ne vous ai pas parlé, nous avons confiance dans la mobilité des personnes, avec un changement des motifs. Par exemple, nous constatons une croissance relativement importante du motif loisir ou du motif affaire professionnelle. S’agissant du mode de transport, je ne sais pas si dans cinquante ans, les véhicules auront deux roues, trois roues ou quatre roues, mais nous pensons que le pneu a encore de beaux jours devant lui. La concurrence avec les transports collectifs est un sujet important parce que l’Etat peut par exemple décider de faire une voie rapide en transport collectif au droit du projet. Il est clair qu’il y aura une concurrence, mais nous avons fait un certain nombre d’études qui montrent l’extrême malléabilité des écoulements. Il y a une vingtaine d’années, on avait instrumenté la voie de berge pour voir comment elle fonctionnait. Puis, coup de chance, une crue de la Seine a obligé la Ville de Paris à fermer la voie de berge. Nous nous sommes dit qu’il était intéressant d’analyser ce qui s’était passé. Le premier jour a vu le désordre le plus complet. Ensuite, nous avions l’impression que la voie de berge n’avait jamais existé ; tout s’était redéployé. Il y a donc une grande malléabilité de l’écoulement de voitures. Nous avons mesuré également dans le passé quelque chose qui est assez étonnant. Tout se passe comme si les capacités routières se remplissent en priorité et lorsqu’elles sont pleines, les transports collectifs se remplissent. D’ailleurs, si vous regardez les courbes horaires des trafics transports collectifs et des trafics voitures, vous verrez très bien que le transport collectif écrête la pointe et qu’en dehors de l’heure de pointe, la voirie est pleine et que le transport collectif est vide. Il y a donc un macro-équilibre entre la route et les transports collectifs en site propre. A lex Ta ylor Yves Crozet, je suis sûr que vous avez des commentaires. Vous êtes le patron de l’Institut des transports. Y ves Croz et, direc teur du L a bora toire d’éc onomies des tra nsports Je ne le suis plus, je l’ai été pendant onze ans et le CNRS nous limite à douze ans, ce qui est une très bonne chose. Je suis toujours membre du laboratoire d’économies des transports et il m’arrive aussi de présider le Think Tank de l’Union routière de France. A ce titre, je voudrais dire que je suis tout à fait d’accord avec ce que vient de dire André Broto, notamment sur la question du péage. Il faut pousser le raisonnement un peu plus loin et dire que la route est aujourd’hui dans une situation aberrante par rapport aux autres industries de réseaux, c’est-à-dire l’électricité, le téléphone, l’eau. Chaque fois que vous utilisez ces réseaux, vous payez. Or vous ne payez pas la route, sauf bien sûr les autoroutes à péages ou les parties à péages. Cela va changer parce que mécaniquement, la route coûte cher à la collectivité et il n’est pas durable du point de vue de l’environnement d’avoir une incitation à la mobilité gratuite. Je suis tout à fait convaincu par l’idée de péage. Je suis en revanche moins convaincu par l’utilisation qui a été faite du modèle de Bussière. André a présenté un schéma de 1990 qui montrait l’ensemble des projets autoroutiers qui n’ont pas vu le jour. Il faut se poser la question : pourquoi ces projets autoroutiers n’ont pas vu le jour, alors qu’on nous disait qu’ils étaient rentables ? Il y avait une très belle thèse de Francis Papon sur les autoroutes de première classe nous montrant que tout cela était rentable. Pourquoi n’ont-ils pas vu le jour ? André Broto vous a donné la réponse au début de sa présentation. Il vous a montré le réseau du métro, il ne vous a pas montré le réseau des autoroutes. Dans le modèle de Bussière, la variable clé, c’est la vitesse. Si la ville est vivante, elle nous file entre les doigts. Dès que vous mettez de la vitesse dans une ville, immédiatement, vous défabriquez la ville. Mes collègues des Etats-Unis le comprennent bien. Si l’on met des autoroutes urbaines qui approvisionnent le Central business district, on observe que les emplois se développent à un endroit et que se développe, autour 37 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité du Central business district, un ghetto de riches et un ghetto de pauvres blacks, hispano et chinois. Les riches vont travailler très loin parce qu’ils ont de la vitesse. Souvenez-vous de ce que nous a montré Catherine Barbé ce matin. A quel moment la population et le nombre d’emplois sont remontés à Paris, alors qu’ils ne cessaient de descendre ? C’est au moment où monsieur Tiberi, puis monsieur Delanoë ont envoyé des signaux très fermes en disant que la vitesse routière était terminée et que les axes rouges allaient être arrêtés. Il faut bien le comprendre. Le fait que l’étalement urbain se soit accéléré et que la densité ait baissé dans les villes est bien sûr lié à l’augmentation de la taille de la ville, mais il est lié également au fait que l’on a donné de la vitesse routière. Comme la voiture est un outil merveilleux qui donne une accessibilité rapide à 360 degrés, beaucoup mieux que le ferroviaire, la ville s’étale. Elle s’étale à Paris, comme nous l’avons vu, de façon tout à fait différente qu’à Tokyo. Il faut bien comprendre qu’aujourd’hui, les élus hésitent beaucoup avant de faire une nouvelle rocade autoroutière dans une agglomération, à Lyon, à Toulouse ou à Bordeaux. Partout, il y a une forte demande de rocade, mais aussi une forte hésitation. Cette forte hésitation ne vient pas seulement des Verts qui seraient des gens qui n’ont rien compris. Elle vient du fait que l’élu se pose cette question : si je donne ce moyen à la ville, la ville ne va-t-elle pas me filer entre les doigts ? Est-ce que cette infrastructure ne va pas être très vite saturée ? C’est le paradoxe bien connu de Downs. Je prendrai l’exemple de la ligne 14 à Paris. On a fait la ligne 14 qui est un super outil et la ligne 14 est saturée aujourd’hui. Elle est tellement efficace par rapport aux autres qu’elle est saturée. Dès qu’un segment autoroutier est mis en place quelque part, immédiatement, il attire le trafic. Je ne dis absolument pas qu’il faut se débarrasser de la route. Loin de moi cette idée. Je dis que nous ne pouvons pas penser aujourd’hui le développement de la route sans avoir une approche très liée au transport collectif. Je suis obligé de vous raconter cette histoire. La construction du métro au début du XXème siècle à Paris est fabuleuse mais vous savez qu’elle s’est faite dans une zone dense et qu’on a fait rouler le métro à droite parce qu’on ne voulait surtout pas que ce réseau soit connecté au réseau ferroviaire et que les habitants aillent habiter loin de Paris. On a fait un mode rapide dans Paris qui ne pouvait pas être connecté à l’équivalent du RER. Il faut bien comprendre que ceux qui ont pensé le métro en 1900 ont pensé un mode rapide qui était destiné à une zone dense et qui ne devait pas sortir de la zone dense. Il faut l’avoir en tête. A chaque fois que l’on propose une autoroute, elle paraît évidemment séduisante, mais le planificateur se demande ce qu’il va faire avec la ville et ce qui va lui filer entre les doigts. La ville se défait autant qu’elle se fait. Je crois qu’il faut bien avoir tout cela en tête. C’est pourquoi, à mon sens, nous protégeons mieux la route aujourd’hui en mettant en avant toutes les hypothèses de péages. Par exemple, pour la ville de Lyon que je connais bien, je ne suis pas hostile au périphérique ouest qui va boucler le périphérique parce qu’il n’est pas envisageable qu’une ville comme Lyon n’ait pas de périphérique bouclé, mais une autoroute qui vient faire une saignée dans la ville. Il faut boucler le périphérique, mais nous ne pouvons pas ne pas parler du péage qui lui est associé. Il est inacceptable et inaudible de ne parler que du périphérique. Voilà quelques idées. A lex Ta ylor Je suis très touché par ce que vous avez dit sur la ligne 14. J’habite à Châtelet. Au début, nous pensions que la ligne 14 allait être géniale et depuis deux ans, elle est complètement saturée. Ne pouvaient-ils pas le prévoir ? Y ves Croz et Ils l’ont prévu, mais les fonds publics sont ce qu’ils sont. Maintenant, on améliore la ligne 1 sur laquelle va aussi être installé le métro automatique et on va essayer d’améliorer les autres lignes. Un système urbain est un système où il y a une homéostasie, un équilibre qui se fait. Dès que l’on met un système beaucoup plus performant que le reste, immédiatement, le système est déséquilibré. A lex Ta ylor Que va-t-il se passer sur la ligne 1 qui est déjà complètement saturée lorsqu’elle sera plus efficace ? Monsieur Lemaignen. Cha rles-Eric L ema ignen, président de la Communa uté d’A ggloméra tion d’Orléa ns Je partage l’analyse d’Yves Crozet, à un bémol près. Je crois qu’il faut différencier les pénétrantes des contournements. L’une et l’autre n’ont pas du tout la même approche. Je prends l’exemple de la ville de Rennes. La ville de Rennes a un contournement complet. Avec une politique très forte du schéma de cohérence territoriale, on a réussi à faire une ville très dense au centre de la boucle et à côté, une zone verte 38 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité extrêmement bien protégée, avec quelques éco-quartiers très significatifs. Je crois que c’est une très bonne maîtrise. Il y a une pression aujourd’hui. Nous ne pouvons plus politiquement faire de voies de contournement en milieu urbain. Les associations écologistes et d’autres associations les rendent absolument impossibles. C’est vrai pour la route, c’est vrai aussi pour le fer, comme le montre la voie de contournement de l’interconnexion sud des TGV. A lex Ta ylor André Broto, vous souhaitez dire quelque chose. A ndré B roto Nous avons étudié beaucoup de projets. Parmi ceux que vous avez vus, il y avait des radiales dont l’A14 et la desserte de Roissy par la route et il y avait des rocades dont le doublement du périphérique au sud et à l’est et l’A86. Quand nous étudions les risques de ces projets, nous sommes obligés de regarder la résilience de ces projets vis-à-vis des politiques publiques. Pour peu que les gestionnaires ne soient pas les mêmes aux deux extrémités et que la Ville de Paris n’ait pas envie de voir augmenter le trafic entrant, il est imprudent de se lancer dans une concession avec un pareil risque. Par contre, la politique révélée de tous les gestionnaires de rocades est d’accorder la priorité aux rocades. En gros, quand ils ont un conflit soit pour des feux soit pour des largeurs de bretelles ou autres, entre une rocade et une radiale, leur politique révélée est de donner priorité à la rocade. Il vaut donc mieux avoir des projets de rocade, surtout si les exploitants sont les mêmes aux deux extrémités, ce qui est le cas pour l’A86. C’est beaucoup plus confortable. Concernant la vitesse, je suis d’accord avec Yves Crozet, mais je n’ai pas ses compétences. Je sais qu’il a fait beaucoup d’études sur la vitesse et la consommation de la vitesse par nos concitoyens. J’ai l’impression que dans un même territoire, on a envie de s’offrir de la vitesse à soi-même. C’est ce que l’on fait avec les lignes à grande vitesse. En revanche, si l’on est dans une logique de compétition, si une entité administrative, la ville de Paris par exemple, se pose la question de la vitesse, on n’a pas envie de mettre de la vitesse. La vitesse permet quand même d’aller plus loin, plus souvent et multiplie donc le champ des possibles auxquels nous pouvons accéder. Le sens de l’histoire va vers la vitesse. Est-ce qu’on ne peut pas aller plus vite ? Est-ce que nos concitoyens qui passent dix heures par semaine dans les transports ne préfèreraient pas en passer seulement quatre et travailler quatre heures de plus pour gagner plus ? Est-ce que la compétitivité économique de la région ne serait pas meilleure ? Shirley Y ba rra , Consulta nte dépla c ements seniors – R ea son Founda tion Mon collègue, fondateur de la Reason Foundation, a écrit, en 1988, sur quelque chose pour lequel il n’avait pas de nom et en 1993, il les a appelés les « hot lines », ces voies-express. Nous avons des autoroutes départementales ou inter-état. Très tôt, nous avons mis en place ces voies-express à péages, mais nous avons vu qu’elles étaient sous-utilisées. Nous nous sommes donc posé la question de savoir comment nous allions améliorer ou augmenter le taux d’utilisation de ces voies. D’où l’idée des car pool. C’est un service payant de partage de voitures qui a été introduit au tout début des années 90. A l’époque, la technique n’était pas assez évoluée pour nous permettre d’appliquer un péage variable, mais le péage dont vous avez parlé, celui de Cofiroute, a une grille tarifaire fixe. D’autres routes ont ce vrai système de péage variable ajusté toutes les trois ou dix minutes. La toute dernière évolution dans ce domaine est d’encourager davantage de transports en commun. Il y a des voies spéciales, des bus rapides qui peuvent garantir les horaires de passage. Les temps de trajet sont garantis grâce à ces voies. Bon nombre des projets qui sont en cours de développement portent justement sur des voies à péage, avec des zones de stationnement et d’arrêt dédiées aux autobus. Il y en a en Floride, au Texas, il y a un grand projet autour de Washington qui est d’ailleurs sur une rocade. Nous nous orientons vers ce genre de projets et ils se multiplient aux Etats-Unis. Nous introduisons également le transport public. C’est une solution beaucoup plus flexible et souple que les solutions ferrées et la mise en place est beaucoup moins onéreuse. Il faut simplement faire des aires de stationnement et des arrêts d’autobus, plutôt que la pose de rails qui est onéreuse. Nous maîtrisons beaucoup mieux les coûts du transport public. En tout cas, nous sommes heureux que ce soit Cofiroute qui gère ces routes. V inc ent R ena rd, direc teur du progra mme fa brique urba ine – I ddri Je voudrais faire deux remarques à propos du lien entre l’infrastructure routière ou autoroutière et la création de valeur dans les milieux immobiliers. Mon premier point est directement lié à la question de l’étalement. La vitesse crée de l’étalement. Je voudrais faire deux commentaires à ce propos. Nous n’avons jamais empêché les gens qui ont des moyens importants d’aller habiter là où ils le souhaitaient. L’infrastructure de transport renvoie à la question du financement. Par contre, en France et plus gravement en Espagne, nous vivons dans un système où le pouvoir d’achat et la production de logements pour les faibles revenus font se développer le phénomène inquiétant de l’étalement urbain des pauvres, loin des transports en commun. C’est là où se joue 39 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité la dictature du parcellaire. Le pauvre est prié d’aller habiter loin des transports en commun où l’on propose des terrains proches de la gratuité, mais qui sont absolument calamiteux en termes de bilan carbone. Par ailleurs, en termes de création de valeur, il est de plus en plus suggéré en France une pratique assez développée aux Etats-Unis, le special assessment, où un supplément de property tax permet de financer en partie des équipements d’infrastructure. Récemment, on m’a demandé, au cabinet de monsieur Blanc, d’aller discuter l’opportunité de financer une modeste infrastructure de 25 milliards d’euros par récupération des plus-values. Je voudrais dire deux choses. Si nous souhaitons pratiquer ce mode de financement, faisons des infrastructures uniquement là où elles vont permettre de créer beaucoup de plus-value. Il n’est pas certain que ce soient des formes urbaines optimales. Deuxièmement, des raisons concrètes et objectives et un calcul de coin de table montrent que l’on ramassera au maximum quelques centaines de millions. Ce n’est pas une idée sérieuse ni sur le plan des formes urbaines ni sur le plan du financement des infrastructures de transport. A lex Ta ylor Louis-Roch Burgard, j’aimerais bien vous entendre puisque vous êtes directeur général délégué de VINCI Concessions. Pour revenir sur la thématique de cette table-ronde, comment peut-on anticiper et prévoir tout cela ? L ouis-R oc h B urga rd, direc teur généra l délégué de V I NCI Conc essions Nous essayons de prévoir, mais généralement nous nous trompons, comme le veut la prévision. Dans le développement de ce type de projets, nous sommes dans deux situations différentes. Nous nous adressons soit à des marchés qui sont mûrs soit à des marchés en développement. De ce point de vue, notamment pour la demande de transports routiers, les pays développés ont souvent d’une part des taux de croissance de population plus faibles et d’autres part des taux de motorisation qui sont déjà assez élevés et qui ne progressent plus, voire qui décroissent dans certains cas. Les pays en développement sont quant à eux dans une situation radicalement différente. Ils connaissent une très forte croissance de la population et une très forte croissance du taux de motorisation. Nous voyons apparaître deux types de schémas et il est difficile de concilier les deux. Dans les pays développés, il y a des infrastructures à réaliser, mais elles sont de plus en plus chères et ont une utilité de plus en plus faible. Elles sont en tout cas de plus en plus difficiles à réaliser. Dans les pays en développement, la situation est tout autre. Je voudrais revenir sur ce qu’a présenté André Broto concernant Paris au début du XXème siècle, ce qui était très intéressant. Un pays comme l’Inde est en train de construire très vite des choses très laides qui défigurent la ville, mais qui procurent un tel avantage par rapport à la situation existante qu’en réalité, toute cette approche est complètement balayée. Pour ce qui est des durées de concession, André Broto parlait de 70 ans. Une durée de concession, en Inde, est de 15 ans parce que les taux de croissance du trafic sont aux alentours de 15 %. Sommes-nous capables de nous préparer à tout cela ? Je pense qu’il y a un point qui est important, que nous sommes en train essayer d’intégrer et que nous n’avons pas encore beaucoup évoqué. C’est un sujet qui est un peu « tarte à la crème » aujourd’hui, mais qui commence à apparaître : celui de la multimodalité, c’est-àdire la complémentarité des modes de transport. Je pense que les parkings-relais, comme on les appelait, qui ont voulu être développés de façon tout à fait volontariste, n’ont pas marché jusqu’à un certain moment. Aujourd’hui, ils sont saturés et il y a plutôt un manque dans ce domaine. Je crois que nous sommes loin d’avoir exploré toutes les facettes de cette multimodalité, notamment dans les centres urbains denses où en réalité, l’intensification des infrastructures sera difficile quoi qu’il en soit. Le tunnelier est un bon système, mais il est cher et difficile à réaliser. Encore une fois, les pays en développement sont dans une tout autre problématique. Dans les pays développés, cela amène à l’information. Comment informe-t-on les gens sur le bon transport à utiliser au bon moment ? Aujourd’hui, on se dit que c’est encore loin devant nous. En réalité, je pense que c’est assez proche. Nous avons une information en temps réel qui est de plus en plus précise et je pense que les modes de déplacement, collectifs et individuels, se font de moins en moins concurrence et s’additionnent de plus en plus, pour peu que nous arrivions à donner aux utilisateurs une visibilité sur le temps de transport. Dans les enquêtes déclaratives qui ont été faites, je me demande si les usagers ne sous-évaluent pas le temps qu’ils passent dans leur voiture par rapport au temps qu’ils passent dans un transport collectif. Il s’agit de donner la visibilité aux gens. Il faut qu’ils soient sûrs qu’en utilisant différents modes de transport, ils mettent par exemple 39 minutes, ce qu’ils déclarent pour la voiture, mais ce qui n’est pas forcément la réalité. A lex Ta ylor Il se trouve que j’habite entre Paris et Berlin et j’ai des modes de fonctionnement totalement différents dans les deux villes. A Paris, j’habite à Châtelet et il ne me viendrait pas à l’idée d’utiliser ma voiture parce que je passerais trois-quarts d’heure à chercher une place pour stationner. Je ne me suis pas servi de ma voiture depuis six mois. J’utilise le Veli’b à Paris. A Berlin, c’est tout le contraire. Comment peut-on anticiper les 40 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité besoins ? On m’aurait dit il y a cinq ans que j’allais utiliser un vélo en permanence à Paris, je ne l’aurais pas cru. C’est en fonction des modes politiques et des aléas du pouvoir. Est-il possible de prévoir ? A ndré B roto Nous avons mis cinq ans pour nous doter d’une équipe d’économistes extrêmement compétente, avec Jean Delons que certains ici connaissent. Nous avons pratiqué ce que j’appelle des regards croisés. Depuis vingt ans, un ou deux ingénieurs à temps plein travaillent sur les densités, la malléabilité des flux, les transports collectifs, les politiques révélées des exploitants, sur du benchmarking. Par exemple, concernant les bus, nous regardons le fonctionnement de Madrid, de Séoul et de Chiwawa au Mexique. A Séoul par exemple, ils ont 8 000 bus, 200 kilomètres de voies affectées aux bus et 600 caméras. Les bus sont gérés par ordinateur, un peu comme la flotte satellite. Ils optimisent les courses et rendent le service très fiable vis-à-vis des clients. Examiner tous ces signaux faibles à l’étranger ou chez nous nous permet non pas de réduire à nul les risques, mais au moins de les anticiper et d’essayer d’imaginer des parades. Je vous disais qu’il y a une vingtaine d’années, Cofiroute s’était focalisé sur certains projets plutôt que sur d’autres, par exemple sur l’A86. C’était une analyse des risques politiques qu’il y avait à faire des radiales ou à avoir des gestionnaires différents le long de mêmes projets. Voilà quelques exemples. J a n L öning, président d’A vis F ra nc e J’ai une question sur l’acceptabilité publique et politique des péages. Il y a une notion de discrimination financière, qu’il s’agisse de tronçons particuliers ou de péages urbains, comme ils existent par exemple à Londres. Quelle est votre vision sur l’acceptabilité des péages ? Quelle est par ailleurs la vision des élus ? A ndré B roto Je vous remercie, c’est une question intéressante. Nous avons fait du benchmarking, nous avons observé ce qui se passait à Prado Carénage à Marseille, sur l’A14 à Paris, sur la SR 91 aux Etats-Unis et sur TEO BPNL Eperly à Lyon. Pour nous, Lyon a confirmé l’hypothèse que défend aussi Vincent Piron et qui est celle de l’amertume. Quand un projet conduit à avoir des perdants, il y a de fortes chances pour qu’il y ait un rejet social du projet. Que s’est-il passé à Lyon ? Le contrat de concession prévoyait qu’à la mise en service, il fallait diminuer les capacités sur le boulevard Laurent Bonnevay qui était le boulevard concurrent du tunnel. Il y a eu un embouteillage et les oppositions se sont engouffrées dans la brèche. Dans le projet A86, le tarif est de 4,50 euros pour quatre kilomètres et demi. Comment se fait-il que ce tarif est socialement accepté ? Dans la conception du projet, nous avons veillé à ce qu’il y ait des externalités positives, à ce qu’il n’y ait pas de perdants. Nous avons veillé à ce que tous les gens qui circulent dans le secteur, non usagers du projet, tirent quand même un bénéfice de l’existence du projet parce qu’ils circulent mieux sur la côte de la Jonchère ou sur l’ancienne nationale 321 et parce que l’échangeur préexistant sur l’autoroute A13 marche mieux maintenant qu’auparavant. Pourquoi marche-t-il mieux maintenant ? Parce que nous avons fait des tunnels secondaires qui vont chercher nos clients à l’amont de cet échangeur et qui les restituent à l’aval. Ce sont des détails techniques, mais pour que les projets passent aujourd’hui, il faut que nous nous engagions dans des logiques de gagnant-gagnant, gagnant pour ceux qui à un moment donné sont pressés et veulent utiliser ce service, mais aussi pour ceux qui ne l’utilisent pas. Nous nous sommes dès le début, posé une question : va-t-il y avoir, aux Etats-Unis, une autoroute pour les pauvres gratuite et une autoroute pour les riches ? Très rapidement, les enquêtes ont montré qu’il y avait une très grande dispersion des comportements, non seulement d’un individu à un autre, mais aussi, pour le même individu, d’un jour à l’autre. Au lieu d’avoir une utilisation de l’autoroute à péage deux fois par jour pendant cinq jours, la moyenne était environ égale à la moitié. La moyenne était de 2,7 passages par semaine. Cela veut dire que le même individu est pressé certains jours et que d’autres jours, il fait un autre déplacement et ne paye pas le péage. Le marché des déplacements est donc extrêmement dispersé et nous devons aller vers des projets gagnant-gagnant, autant que faire se peut. A lex is Perret, direc teur généra l a djoint du pôle tertia ire – Nex ity Je suis ancien conseiller technique du Président du Grand Lyon et du Maire de Lyon. Je reviens sur le dossier de TEO qui sera une bonne entame à mon intervention. Concernant TEO, la majeure partie de la classe politique lyonnaise a voulu l’échec. Le drame du resserrement du boulevard Laurent Bonnevay a été fabriqué de toutes pièces. Tout aurait pu très bien fonctionner, avec un boulevard Laurent Bonnevay un peu resserré. Certes, les tarifs initiaux des péages étaient un peu trop onéreux par rapport aux facultés contributives des clients, mais je pense que le concessionnaire aurait ajusté ses tarifs en fonction de la fréquentation de l’ouvrage. Je reviens sur l’intervention qui a été faite tout à l’heure. La clé des déplacements passe inéluctablement par la mobilité. Nous l’avons vu à Lyon de façon caricaturale avec la mise en place de Vélo’v. Il y a eu une explosion de la fréquentation absolument significative, sur des trajets qui étaient très différents de ce qui avait été estimé dans les modèles élaborés par Decaux. 41 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Par ailleurs, on pêche de façon systématique sur l’information. Aujourd’hui, nous avons assez peu de systèmes d’information. Malgré les BlackBerry, l’i-phone et tous les Smartphones que l’on possède tous les uns les autres, nous avons assez peu d’informations quant aux temps de transport et quant à la multimodalité que nous pouvons mettre en œuvre. Enfin, je voudrais revenir sur la responsabilité du politique et sur la responsabilité du citoyen par rapport à une société qui a évolué. En France, c’est un sujet de société qui est un peu le corolaire du sujet des retraites. Nous sommes tous empreints de la culture de l’Etat providence, mais en tant que Français, nous avons bien du mal à arrêter les limites et les contours de l’Etat providence. Pourquoi ? Parce que nous avons eu l’habitude d’avoir un Etat qui pensait parfois à notre place, qui nous offrait énormément de services et des services gratuits. Aujourd’hui, la route, les transports en commun, le Vélo’v ou le Véli’b sont des services qui ont un coût. Il faudra donc bien un jour se poser la question de savoir si l’Etat providence peut tout financer ou si une partie doit être mise à la charge de l’usager. On parle d’usagers, mais aujourd’hui, nous sommes des consommateurs de services et de transports. Nous avons du mal à faire cet exercice. Nous l’avions vu à l’occasion de TEO et nous le voyons à l’occasion des débats sur les autoroutes à péages ou sur le financement des transports en commun. Aujourd’hui, nous sommes plus des consommateurs que des usagers, eu égard à l’impécuniosité de l’Etat. A l’instar du discours responsable qui est en train d’être tenu sur les retraites et qui va conduire à recaler l’âge de la retraite en France, il doit y avoir un discours responsable sur l’usager du service public qui est devenu un consommateur de services. Ce sont des services publics parce qu’ils sont accessibles à tous, mais ce sont d’abord des services avant d’être des droits. Nous les utilisons et nous devons donc les payer. Certes, il faut trouver des systèmes de redistribution pour que les plus pauvres ne subissent pas une limitation de la mobilité, mais il faut avoir un discours responsable. A Lyon, nous avons assisté à une caricature de l’irresponsabilité de la quasi-totalité de la classe politique locale à propos du tronçon nord du périphérique. Ce tronçon n’aurait jamais dû être un drame ni le sujet de règlements de compte. Si tel n’avait pas été le cas, le tronçon ouest aurait été fait et il y aurait eu, à mon avis, une gestion de la planification urbaine de l’agglomération lyonnaise beaucoup plus intéressante. Depuis une quinzaine d’années, l’agglomération lyonnaise a perdu son temps à cause d’une erreur de l’histoire, mais aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas de drame à financiariser les transports, à dire que la route est payante, qu’il ne revient pas toujours à l’Etat de payer et que l’utilisateur doit payer. A lex Ta ylor Vous avez parlé des Vélo’v et vous avez dit que vous vous étiez trompés entre les prévisions et la réalité. Pourquoi ? Est-ce difficile d’anticiper la façon dont les gens vont utiliser des vélos pendant une demi-heure ? A lex is Perret Nous nous sommes trompés d’abord parce nous avons eu toutes les peines du monde à mettre en place un système de vélos en libre-service à l’échelle d’une agglomération de 1,2 million d’habitants et de 55 communes. Cela a été extrêmement difficile à mettre en place. Le contrôle de légalité ne nous a pas facilité la tâche devant la mise en place d’un système souple. Nous en avons eu la caricature à Paris, quand la Ville a voulu ouvrir le service aux communes limitrophes. En France, le contrôle de légalité qui est fait pour parer à des dérives est parfois un frein au progrès et à l’évolution. C’est l’Etat de droit qui le veut, mais la conséquence est souvent une perte de temps significative. Pourquoi nous sommes-nous trompés ? Comme vous le disiez tout à l’heure très justement, la ville est mobile et en mouvement et l’usager n’a donc jamais le comportement exact auquel on s’attendait. Nous l’avons vu avec la fermeture des berges à Paris. Le premier jour, il y a eu un véritable bazar et le lendemain, le système s’est adapté. A Lyon, on nous avait prévu l’apocalypse lorsqu’on a fait les berges du Rhône. L’apocalypse a duré une journée. Il en est de même lorsqu’on règle les problématiques de stationnement en mettant le stationnement payant. On voit les voitures disparaître de l’espace public. A lex Ta ylor Merci beaucoup. Yves Crozet, juste un mot sur les Vélo’v. Y ves Croz et Vélo’v ou Véli’b, nous pourrions en parler des heures. Je ferai deux remarques. D’une part, le vélo est un bien individuel qui est devenu performant parce qu’on en a fait un transport collectif. On est obligé de le rendre. D’autre part, le coût d’un Véli’b aujourd’hui à Paris, en frais moyens, est de 3 000 euros par an, à cause d’énormes problèmes de vols et de dégradations. Cette dépense est payée par les publicités. La Ville accepte de perdre cette recette qu’elle aurait pu avoir par les publicités et de la laisser à Jean-Claude Decaux. Il y a un financement croisé qui montre d’ailleurs que nous ne pourrons pas multiplier par dix le nombre de Véli’b parce qu’il n’y a pas assez de panneaux publicitaires. 42 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Il est intéressant de montrer qu’il aurait été bien meilleur marché d’offrir un vélo à chaque ménage parisien. En commandant plusieurs dizaines de milliers de vélos, la Ville les aurait payés 200 euros pièce, ce qui n’aurait pas coûté 3 000 euros par an. Quand le citoyen a un vélo privé avec lui, il ne sait pas qu’en faire. Les vols sont importants. Aux Pays-Bas, les vols de vélos sont énormes. Un vélo privé est très gênant, alors que le vélo public est souple. C’est une histoire intéressante. A lex Ta ylor Bertrand Porquet de GDF-Suez, comment anticipez-vous tout cela ? J’animais une convention pour vous, à Barcelone, avec monsieur Mestrallet, la semaine dernière, je sais à quel point vous tenez à anticiper les besoins énergétiques. Comment vous adaptez-vous à tout ce que l’on a dit sur la gestion des villes ? B ertra nd Porquet, direc teur a djoint de l’a ména gement urba in dura ble – GD F-Suez Bonjour. C’est compliqué car en matière énergétique, l’évolution démographique n’est qu’une des composantes de la fluctuation de la demande. Il faut prendre en compte la climatologie, la volatilité des prix, l’évolution démographique et la volonté manifeste exprimée de l’efficience énergétique. Il faut donc coupler ces différents éléments pour essayer d’anticiper les besoins. Comment pouvons-nous essayer de réagir à cette évolution démographique ? En plus, nous sommes dans un système de concession de longue durée, de 20, 25 ou 30 ans. Rentre donc en ligne de compte une dimension de prospective. Or, on sait que la prospective a des limites. Nous sommes donc plutôt dans une logique d’adaptation que de prospective à long terme. Il faut d’une part essayer de faire en sorte que le système soit réversible, c’est-à-dire que l’on ne s’engage pas ad vitam sur un système qui serait corrélé à cette volatilité des prix à l’infini. Nous essayons de décorréler le prix de l’énergie utilisée au prix du baril par exemple. Nous l’avons vu dans les premiers dossiers relatifs à la mise en place de biomasse. Beaucoup de producteurs de biomasse ont cherché à coupler le prix de la tonne de bois et du ballot de paille sur le pétrole, alors que ce sont des marchés qui sont radicalement différents. Le marché du pétrole est un marché structuré ; le marché de la paille et le marché du bois ne sont absolument pas structurés, en tout cas en France. Nous essayons de mettre en place une logique de réversibilité. D’ailleurs, cette réversibilité est de plus en plus sollicitée par les collectivités. Plus une seule collectivité aujourd’hui ne vient nous voir en nous demandant un système unique. Elles nous demandent plutôt si demain elles pourront sortir de ce système et quelles seront les solutions. Pour essayer également de s’adapter à la demande qui est liée à la fois à l’évolution climatologique et à l’évaluation démographique, on parle aujourd’hui de mixité énergétique. Elle permet d’offrir à une collectivité une, deux ou trois solutions pour répondre à ses besoins en énergie. Nous allons par exemple coupler un système classique gaz/hydrocarbure avec un système secondaire fait d’autres sources d’énergie. A lex Ta ylor J’ai animé quatre tables-rondes sur la mixité chez GDF-Suez la semaine dernière, j’abonde complètement dans votre sens. Monsieur Broto, le mot de la fin avant la pause. A ndré B roto Les problèmes de démographie et de mobilité sont des sujets passionnants. Je constate que tous ceux qui s’y intéressent à un moment donné y restent. Je pense que ces sujets touchent très profondément la notion de liberté. A l’opposé de la mobilité, il y a la prison. Je constate que lorsqu’à Paris, on essaye de brider la mobilité par la voiture, elle s’échappe via des deux-roues. Je pense que tout le monde est d’accord sur ce point. Finalement, la roue libre a un bel avenir. Il nous appartient de la rendre grenello-compatible. Je pense qu’il aura un jour des flottes de minibus gérées par satellites et ordinateurs parce qu’avec les densités moyennes et faibles, c’est le seul moyen, avec le covoiturage, de limiter l’empreinte carbone. A lex Ta ylor Merci beaucoup, monsieur Broto. Nous allons parler de l’attractivité des villes et de notre sondage, après une pause de vingt minutes. Merci. 43 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Développer l’attractivité des villes A lex Ta ylor Nous allons terminer nos travaux d’aujourd'hui avec une étude sur l’attractivité des villes : qu’est-ce qui rend une ville plus attractive qu’une autre ? Cette étude est coproduite par la Fabrique de la cité, Julien Damon et le groupe Futuribles. Nous allons l’aborder en trois parties. Je propose de vous donner la parole après chaque partie durant un quart d’heure. Les trois thèmes sont les suivants : attractivité, exercice de prospective à partir des évolutions démographiques puis d’une autre étude réalisée à Hambourg , et enfin, les enseignements à en tirer. Pour nous présenter la première partie, relative à l’attractivité des villes, Julien Damon et François de Jouvenel vont intervenir en duo. J ulien D a mon, professeur a ssoc ié – Sc ienc es Po Fra nç ois de J ouvenel, direc teur d’études – Futuribles Présenta tion de l’étude sur l’a ttra c tivité des villes J ulien D a mon Nous allons effectivement fonctionner en trois temps pour vous présenter les résultats d’un travail que nous a commandé la Fabrique de la cité mais qui n’a pas été une étude simple, unique, originale. C’est plutôt le fruit d’un travail collectif, avec des personnes qui se sont réunies trois ou quatre fois pour discuter autour de plusieurs thèmes. D’abord, celui des changements démographiques auxquels sont confrontées les villes – en l’occurrence, nous avons observé ce qui se passait dans huit grandes villes que nous avons dites « occidentales » : Berlin, Bruxelles, Athènes, Londres, Paris, Prague, New York, Moscou… Nous avons aussi étudié les définitions et les moteurs de l’attractivité ; vous verrez que ce n’est pas si simple. Enfin, nous nous sommes exercés à la prospective, et c’est l’homme de l’art, François de Jouvenel, qui vous décrira cet exercice permettant de décrire les éléments nécessaires pour réfléchir au futur sur cette question de l’avenir et de l’attractivité des villes. Le menu vous a déjà été annoncé et vous voyez qu’il est alléchant. Allons donc directement à l’essentiel. Je vous présenterai quelques petits croquis plus ou moins percutants mais qui peuvent vous donner envie de discuter et de débattre. Car ce que l’on m’a demandé de faire, c’est de « papoter », avec un débit que je n’espère pas trop rapide, et de dire deux ou trois choses plus ou moins solides, plus ou moins discutables pour que, précisément, nous ayons des temps d’échange. Nous en prévoyons trois dans les deux heures formidables que nous allons passer ensemble. Au sujet de l’attractivité, il y a une bonne question à se poser : de quoi parle-t-on ? Ce n’est pas si évident et, pour le montrer, voici un exercice bien simple, qui consiste à dénombrer les occurrences du terme « attractivité » dans les dépêches de l’Agence France presse. « Attractivité » n’est pas un néologisme ; on doit pouvoir en découvrir la trace dans l’histoire. En tout cas, c’est terme d’usage relativement neuf, qui désigne de l’attrait des populations pour des professions. On a d’abord parlé de l’attractivité médicale : jusqu’en 2000, c’était essentiellement cela que l’on évoquait dans les dépêches AFP que j’ai pu recenser. C’est devenu progressivement un souci de réputation pour les collectivités territoriales, avec une explosion de ce sujet au cours de la dernière décennie, ce qui en fait la nouveauté. Et je note, bureaucratiquement, à la française, que c’est entré dans le droit. Vous connaissez tous notre célèbre Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) qui a été rebaptisée, en 2005, Délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité des territoires. Le terme à la mode était celui de « compétitivité ». Tout récemment, elle été rebaptisée Datar, pour renouer avec l’histoire ; mais le deuxième « a » désigne maintenant « attractivité ». Nous avons donc même des outils administratifs pour nous préoccuper d’attractivité. Je pense qu’il est bon de donner quelques chiffres relativement simples, même si, pour nombre de croquis que l’on projette, c’est en général illisible. J’ai pris là quelques chiffres tirés de la première version de l’Audit urbain qui nous a été présentée ce matin par l’intervenante de la Commission européenne. Pour mesurer l’attractivité, il suffit d’étudier le solde naturel – même s’il faut s’entendre sur le pas temporel que l’on prend en considération : année, mois, décennie. Un sondage mené par Gallup dans le cadre de l’Audit urbain indique les parts respectives des populations que l’on dit être nées dans le pays, et non dans la ville, de la population immigrée de première ou deuxième génération de l’Union européenne et de la population immigrée de première ou deuxième génération non issue de l’Union européenne ; ceci pour souligner le fait que ce sont pour beaucoup les capitales et grandes villes qui sont concernées par cette problématique d’attractivité. Les petites flèches désignent Londres, Paris, Hambourg et Athènes, qui sont les villes sur lesquelles nous nous sommes penchés. 44 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Il y a un deuxième moyen rapide pour avoir une idée de ce qu’est l’attractivité, et qui, à mon avis, est le meilleur : demander aux gens ce qu’ils pensent. Une étude TNS Sofres demande trois choses à des habitants de villes très différentes, sur un échantillon très contrasté qui va de Tokyo à Mexico, en passant par Shanghai, Paris, New York et Londres. Elle indique d’abord la part des personnes qui déclarent être nées dans la ville qu’ils habitent actuellement, qui est de 33 % seulement à Paris et de 80 % à Mexico. Il est aussi demandé aux interrogés s’ils ont envie de partir de la ville où ils habitent, car s’il y a attraction, il y a aussi l’inverse, à savoir répulsion. Les réponses proposées sont : « oui, le plus vite possible », « oui, dans quelque temps », ect… À la différence de ce qui était évoqué ce matin, les villes européennes, du point de vue des habitants, ne sont pas forcément les plus attractives. Ce sont en effet les habitants de Shanghai et de Tokyo qui souhaitent le moins quitter leur ville de résidence, alors que les taux sont relativement élevés à New York, à Londres et a fortiori, à Mexico – mais, dans ce dernier cas, pour des questions de qualité de vie qui n’échappent pas au public de connaisseurs que vous êtes. Enfin, une troisième question me semble assez intéressante, également en termes de qualité de vie : le souhait d’élever ses enfants dans la ville. Les réponses montrent une partition assez nette : à Mexico, moins de la moitié de la population indique souhaiter voir ses enfants grandir dans la ville qu’ils habitent actuellement, et c’est encore à Shanghai et à Tokyo que les taux sont les plus élevés, avec respectivement deux tiers et 90 % de la population. Je vous ai présenté rapidement ces deux chiffrages à travers cette carte et ce cartogramme parce qu’il y a mille données et mille idées autour de l’attractivité. Nous allons l’approcher par plusieurs séries de données et, au terme de ce premier quart d’heure, je chercherai à les clarifier. L’attractivité se mesure aussi beaucoup par une compétition de marketing urbain, qui passe par des enquêtes internationales réalisées généralement par des banques – en l’occurrence, UBS –, par des hebdomadaires de référence et par des cabinets de conseil généralement spécialisés dans la gestion de l’expatriation. Ce qui est assez curieux est que lorsqu’il s’agit de désigner la ville la plus chère du monde, il y a à peu près une étude par semaine qui sort dans la presse pour expliquer que c’est Oslo, Luanda, Tokyo ou Paris. Il y a ainsi une compétition des enquêtes et une non-congruence des résultats. Pourquoi ? Parce que ce que l’on cherche à mesurer là, ce sont des parités de pouvoir d’achat, afin de connaître le coût de la vie pour les expatriés. Maintenant, les élus de ces grandes villes s’interrogent pour savoir si, véritablement, le coût de la vie y est trop élevé, ce type d’enquête pouvant se décliner aux échelles nationales ; et on les trouve dans le contexte français. Des actions plus remarquables sont menées pour avoir une idée du coût de la vie. Ainsi, plutôt que les parités de pouvoir d’achat, auxquelles le commun des mortels ne comprend pas grand-chose, on peut s’appuyer l’indice du Big Mac – il en existe aussi un pour le I-pod, mais je n’en ai pas trouvé une représentation aussi nette. Pour avoir une idée du coût de la vie, on se réfère au nombre de minutes de travail qu’il est nécessaire de fournir pour pouvoir s’acheter ce plat essentiel. En moyenne, dans les 200 villes où a été menée l’enquête, il faut un peu plus d’une trentaine de minutes. L’intérêt est qu’il existe des classements sur l’attraction, la répulsion, l’attractivité ; les enquêtes ont bien sûr des résultats différents car, lorsqu’il s’agit de mesurer le coût de la vie et la qualité de la vie, on ne pondère pas les critères de la même manière, sachant que les différents critères ne sont pas tous pris en considération dans les enquêtes. L’une des meilleures enquêtes est probablement celle qui est liée au Big Mac. L’attractivité n’est pas seulement une question de pouvoir d’achat et de coût de la vie. C’est aussi la question de la qualité de la vie, qui est plus difficile à apprécier car elle agrège des données et des appréciations hétérogènes. Dans ces enquêtes sur le coût de la vie, des informations sont rapportées sur les villes où il fait bon vivre. Si vous lisez la presse, de Libération aux Échos, en passant par Le Figaro ou Le Monde, vous avez la restitution de ces enquêtes, pas en première de couverture, certes, mais qui rendent compte de la ville où il fait le meilleur vivre. Ce sont Vienne, en février, et Vancouver, en mars, qui arrivent en tête. Je dis ceci pour montrer qu’il y a une compétition des palmarès et des hiérarchies qui se développe en matière d’attractivité à partir d’enquêtes, et ceci, de manière extrêmement récente, voire même fulgurante. En effet, j’ai pu observer qu’il y avait même des entreprises, que l’on n’attendait pas dans ce domaine, qui se sont mises à fournir leur palmarès, de matière très intelligente. À l’ouverture du sommet de Copenhague, Siemens a ainsi sorti son palmarès des villes européennes les plus vertes. D’autres grandes entreprises, dont l’une est représentée ici – je pense à IBM –, se lancent dans des travaux sur les smart cities pour apporter des analyses, des données, de l’information, du débat, comme dans le cadre de la Fabrique de la cité et, potentiellement, des classements. Revenons-en à l’essentiel, qui est de poser des questions aux habitants. Je m’appuie pour ce faire sur des données qui ne sont pas encore publiques et ne le seront que ce mois-ci, qui ont été collectées dans le cadre du deuxième Audit urbain. La Commission nous a présenté ce matin une analyse générale adossée à la démarche de l’Audit urbain. Celui-ci consiste aussi en sondages sur la qualité de vie réalisés auprès d’habitants dans 75 villes de l’Union européenne. J’ai pu avoir accès à quelques-unes des données, que je vous restitue ici, à partir de quelques questions et quelques affirmations. Les villes dont j’ai sélectionné les résultats sont des villes dont on est allé explorer le passé démographique et les projections démographiques 45 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité disponibles – mais aussi Hambourg, puisque c’est la ville qui nous invite – sur des questions bien simples comme, par exemple, la facilité à trouver un logement à prix raisonnable. Vous voyez que nous ne vivons pas dans le même monde : à Berlin, en tête du palmarès des 75 villes enquêtées, plus de la moitié de la population (51 %) considère que l’on peut trouver facilement un logement à prix raisonnable. Pour les Parisiens, il faut trouver les 2 % de coupables qui estiment que ce n’est pas aussi malaisé. Mais en tout état de cause, Paris se classe au dernier rang en la matière. Il y a toujours un débat entre les opinions et les données objectives sur le coût et les difficultés d’accéder au logement. Mais les opinions comptent beaucoup en matière d’attractivité, qui est à la fois attraction et attrait, c'est-à-dire l’aspect plus psychologique, symbolique, des représentations de l’avenir que l’on peut avoir. En général, on se sent en sécurité en ville. Pour confirmer ce qui a été dit ce matin sur Athènes, la situation y est préoccupante de facto. Mais elle est également préoccupante du point de vue des habitants eux-mêmes, qui le déclarent : à Athènes, il y a seulement 56 % des gens qui se considèrent en sécurité dans la ville, et les Athéniens sont au dernier rang des 75 villes de cet échantillon. Hambourg, avec 94 %, n’est pas au premier rang, mais dans les cinq premières villes. On retrouve dans l’Audit urbain une approximation à l’égard des questions de durabilité, d’environnement, etc., donc, de satisfaction à l’égard des espaces verts. Et l’on observe la même gradation – ou dégradation, selon la manière dont on le lit : Hambourg est une ville où il fait bon vivre, comme le disent les gens qui y habitent et ceux qui la développent, alors qu’Athènes, du point de vue des Athéniens, est une ville extrêmement difficile à vivre. En tout cas, elle l’est beaucoup plus que l’ensemble des villes de cet échantillon. Au-delà des enquêtes dont on peut disposer, au-delà des palmarès, qui sont un peu une compétition, avec tout de même un brin d’étrangeté, nous avons cherché à réfléchir et à poser ce que pouvaient être les composantes et les déterminants de ce que l’on baptise l’attractivité. De manière assez judicieuse, nous sommes parvenus à en trouver dix, qui est un chiffre rond – mais nous pourrons discuter, bien sûr, de ce qu’il peut manquer ou de ce qu’il conviendrait de désagréger –, et nous nous sommes efforcés, de manière simplissime, mais pour avoir une idée de la réalité, d’écrire ce que pouvaient être les ressources objectives pour juger une ville sur chacune de ses composantes, chacun des déterminants de son attractivité et les ressources symboliques. Le tableau qui vous est présenté montre, dans le cadre des composantes géographiques, quelque chose de bien simple, sur quoi les pouvoirs publics et les habitants ont finalement très peu de prise : le climat et la situation géographique. La composante géographique peut retentir d’un point de vue symbolique quant à la valeur que les habitants et les aspirants à l’habitation ou au déplacement vers cette ville veulent bien lui accorder. En clair, que valorisent-ils le plus : la montagne ou la mer ? La composante patrimoniale, ce sont les monuments qui identifient la ville et en font un facteur d’attraction, de reconnaissance d’identité. Les ressources symboliques sont les réalisations actuelles. C’est le star system en urbanisme et en architecture que l’on connaît aujourd'hui, qui fait qu’une signature compte désormais autant qu’une réalisation. S’agissant de la composante que nous avons qualifiée de géopolitique – c’est discutable, mais en débattre n’aurait pas grand intérêt –, la ressource objective est l’accessibilité, la possibilité d’être au cœur de réseaux. La ressource symbolique est le sentiment, pour les habitants ou pour ceux qui aspirent à le devenir, d’être dans un environnement central dans le pays, le territoire, la région où ils se trouvent. La composante démographique, du point de vue objectif, est la description des populations et des évolutions, des âges, des migrations, des compositions historiques. La ressource symbolique est l’image des populations : les Marseillais ne sont pas comme les Parisiens ni comme les Athéniens. Pour la composante économique, la ressource objective s’apprécie à partir des indicateurs classiques de richesse, de taux d’emploi, de chômage. Et vous avez aussi une image de dynamisme économique, qui, d’ailleurs, est repérée par Mercer, avec un sondage Opinion Way qui demande aux entrepreneurs quelle est la ville qu’ils pensent la plus dynamique et quelles notes ils affectent à différentes villes ; ce qui permet ensuite de les classer en termes de dynamisme économique. La ressource objective de la composante sociale, ce sont les points évoqués précédemment de qualité et de coût de la vie. Les ressources symboliques sont cette part importante du sujet de l’attractivité sur laquelle nous reviendrons ; c’est le cosmopolitisme, c'est-à-dire la capacité d’être plutôt bien ensemble en étant différents, ce qui n’est pas simple et qui, à mon avis, est un sujet majeur. En effet, pour simplifier, il y a le côté « Bisounours » de l’attractivité, qui consiste à vouloir attirer les gens, ce qui rendra la ville dynamique, et il y a le côté sombre de la force, qui considère que pour l’attractivité, il faut parfois chercher à répudier certaines personnes ou à repousser certaines parties de la population. En dessous de la composante sociale, il y a une composante que j’ai qualifiée d’infrastructurelle. Le terme existe, ce n’est pas un néologisme. Il s’agit de l’ensemble des services et équipements publics ou privés qui 46 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité permettent la qualité de vie en ville. La ressource symbolique est la qualité de ces services, qui va de l’engorgement de la gestion des déchets à la congestion des transports publics et privés. La composante institutionnelle est la place que tient la ville dans l’organisation – le terme à la mode est la gouvernance locale, régionale, nationale. Bien sûr, les capitales, surtout dans un contexte français, un peu moins dans un contexte allemand, ont un avantage comparatif en termes d’attractivité. La ressource symbolique est le rayonnement, à mesurer, comme cela a été fait, par le nombre de cartes postales qui présentent un des monuments de la ville et le diffusent partout dans le monde entier, ce monument pouvant être la mairie ou le parlement. La composante culturelle comprend l’ensemble des sites touristiques. La ressource symbolique, que l’on peut aussi mesurer par la technique des cartes postales, est la notoriété médiatique. Je termine par une dernière composante, que l’on devrait désormais mettre en premier : il s’agit du sujet un peu rabâché de la durabilité. L’une des ressources objectives, en termes de composante environnementale, est le nombre d’espaces verts et leur qualité ainsi que la mesure de l’empreinte écologique de la ville au total et de ses habitants. La ressource symbolique est la capacité à se vendre comme une ville durable - sousentendu plus durable que les autres - pour arriver en tête du classement des villes durables. Voilà pour le premier moment d’information et d’orientation sur ce sujet de l’attractivité, dont je souligne qu’il est relativement neuf dans nos préoccupations, même s’il s’appuie sur des questions de monuments et d’histoire et qu’il est plus ou moins éternel. Selon moi, c’est un élément crucial du marketing urbain et donc, à ce titre, de la compétition des villes plus que de leur coopération joyeuse. A lex Ta ylor Il est indiqué, pour les espaces verts, que 83 % des gens de Paris et Berlin pensent qu’ils ont les mêmes espaces verts, pour habiter moi-même dans les deux villes, je peux dire qu’en pratique, ce n’est pas vrai. Il y a beaucoup plus d’espaces verts à Berlin. Berlin compte 3,6 millions d’habitants sur une surface qui est celle de l’Île-de-France. Il est normal qu’il y ait plus d’espaces verts. S’agit-il de la perception des gens ou de la réalité ? J ulien D a mon Ce n’est que du ressenti. Tout ce que je viens de préciser sur cet Audit urbain correspond à ce que pensent les gens. Il n’est peut-être pas aussi difficile que cela de trouver un logement à Paris, mais il n’y a que 2 % des gens qui, habitant Paris, considèrent que l’on peut y trouver aisément un logement à un prix raisonnable. Pour les espaces verts, les Berlinois et les Parisiens sont à égalité en termes de satisfaction alors qu’en termes d’offre, les Berlinois ont bien plus que le bois de Vincennes et le bois de Boulogne. A lex Ta ylor Les Berlinois ont carrément une forêt au milieu de leur ville. J ulien D a mon Pour évoquer le titre qui nous réunit, il y a des chiffres qui nous permettent de dire que la ville est vivante : on compte les kilomètres de tuyaux et de routes. Mais, en même temps, dans la vie, il y a des sentiments, des aspirations et des opinions. C’est ce que je mettais ici en avant. A lex Ta ylor Votre étude n’est donc fondée que sur les opinions, le ressenti des gens, et vous n’avez pas tenu compte de l’aspect factuel. C’est bien la méthodologie que vous avez choisie ? J ulien D a mon Tout à fait. Nous avons davantage mis l’accent sur les représentations. A lex Ta ylor Vous auriez pu mesurer en fonction des surfaces réelles d’espaces verts. J ulien D a mon Il y a deux méthodes, c’est exact. Vous choisissez un ensemble de critères pour décrire ce qu’est une ville durable et vous avez Hambourg, Stockholm, Berlin qui arrivent au premier ou au troisième rang selon la composition de vos indicateurs. Mais si vous demandez aux gens ce qu’ils pensent, vous observez qu’il y a quelques points d’étonnement. J’ai par exemple été très surpris – mais la présentation de ce matin a confirmé que je n’avais pas à l’être – par la qualité de vie qui est estimée quasiment détestable à Athènes. On peut juger que vivre près du 47 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Parthénon, dans une telle capitale historique, même s’il y a eu beaucoup de pollution et de béton, est relativement agréable au regard d’autres villes qui, d’un point de vue objectif, sont plus dégradées. A lex Ta ylor N’y a-t-il pas non plus un certain snobisme, un snobisme inverse ? Je le remarque par exemple à Paris, de la part de gens qui y habitent depuis très longtemps et qui disent : « je déteste Paris, c’est stressant… », mais qui adorent quand même leur ville. Il y a parfois un snobisme inverse qui situe vraiment les gens comme des Parisiens, parce qu’ils se permettent de détester Paris sous peine de passer pour des touristes. J ulien D a mon Pour répondre en toute rigueur, nous n’avons pas cette information dans les enquêtes. Mais il doit y avoir des éléments de réponse dans les questions sur la fierté d’appartenance. Je ne les ai pas sous la main, mais cela existe. Les Marseillais, par exemple, sont très fiers. A lex Ta ylor Pourquoi Orléans n’est-elle pas dans votre étude ? Vous allez souffrir… Cha rles-Éric L ema ignen, président de la c ommuna uté d'a ggloméra tion d’Orléa ns Parce que c’est trop petit ! Pour nous, les élus, notre travail est de faire du marketing territorial. Nous devons donc mettre en valeur l’attractivité de nos villes et tout faire pour la développer. D’ailleurs, quand une entreprise cherche à s’implanter, l’un des problèmes majeurs est celui des conjoints. Pour faire venir une entreprise qui a des cadres, la question qui est toujours posée est celle des conjoints : comment s’en occuper et ont-ils envie de venir ou non ? L’image de la ville est vraiment essentielle. Il me semble que, dans vos dix critères, il faudrait en ajouter deux. Le premier est l’offre éducative. L’enseignement supérieur, la recherche, le high-tech, tout ce qui a trait à l’innovation, à l’image de la ville par rapport à ces questions, est très souvent évoqué. Il y a un second thème que vous auriez dû citer, parce que c’est celui de notre convention : une ville vivante, c’est une ville animée. Dans la compétition du territoire, les conjoints entrent en considération, mais les jeunes également. Pour que l’on ait envie de vivre dans une ville et que l’on s’y sente bien, je pense que, au-delà même des critères que vous avez indiqués, l’animation, qui entre complètement dans les ressources symboliques, joue un rôle essentiel. A lex Ta ylor Qu’appelez-vous « animation » ? Cha rles-Éric L ema ignen C’est très simple : demandez à des jeunes de 18 à 25 ans où ils ont envie d’habiter. Il y a des villes qui, dans ce domaine, ont une piètre image. C’est le cas pour Orléans, dont l’image est en train de s’améliorer, mais est actuellement médiocre. En revanche, celle de Tours est très bonne. Bordeaux avait une mauvaise image, et elle devient bonne depuis les travaux qui ont été faits avec le tram et le centre-ville. Ce sont des choses qui évoluent. Et ce qui est le plus difficile à changer, c’est l’aspect culturel. Il y a parfois un volontarisme politique pour le faire changer. Le slogan : « Montpellier, la surdouée » est génial, parce qu’il a porté au maximum. Avec certains côtés symboliques et une volonté politique, vous pouvez transformer l’image d’une ville. Mais attention : on ne violente pas une ville. Elle a son histoire, sa culture, et ce sont des choses qui sont compliquées à changer. Géra rd Perrea u-B ez ouille, premier a djoint a u ma ire, ville de Na nterre, c oordina teur du Forum des a utorités loc a les À quoi sert de se poser cette question de l’attractivité, de la compétitivité ? J ulien D a mon Je me suis également interrogé à cet égard. Je pense qu’il y a une série de questions à se poser sur l’attractivité. Je vais les évoquer immédiatement, puisque je suis sollicité. Il y en a quatre : qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Qui ? On veut attirer les gens, les flux, les capitaux ; on veut attirer de la richesse, de l’animation, des monuments, VINCI, Véolia, des gares – mais pas à côté de chez soi. Je pense qu’il faut avoir ces quatre questions à l’esprit. On peut aussi vouloir attirer de nouveaux habitants, qui peuvent être des électeurs, des contribuables ou simplement des résidents ; et ce n’est pas la même chose. On peut vouloir attirer des emplois. Catherine Barbé nous a expliqué que Paris, sans que ce soit une success story en la matière, revenait un peu en gloire en matière d’emploi et d’habitants. Mais ce n’est pas exactement la même chose. L’attractivité est le mot pour désigner le fait que l’on peut faire venir habitants ou emplois. 48 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Où ? À quelle échelle veut-on faire venir les gens et où veut-on les faire venir ? La question de l’attractivité se pose aux échelles nationale, régionale, locale et infra-locale. Dans quel quartier veut-on faire venir les gens, renouveler ou, au contraire, rénover, réparer ? S’agissant du « où ? », une question me semble également importante : dans quels équipements, dans quels endroits ? Veut-on faire venir des touristes dans les hôtels pour qu’ils restent un peu plus longtemps que la journée ? Si l’on cherche à leur faire passer une nuit à Orléans, alors qu’il est désormais possible - bien qu’il n’y ait pas le TGV - de relier rapidement Orléans à Paris, on développe les bons restaurants ou les restaurants à coût adapté. Ou bien veut-on faire les venir dans des logements ? Dans ce cas, il faut des investissements. Comment ? C’est une question importante. Est-ce que cela compte, d’avoir des bonnes places dans les palmarès que j’ai cités à l’échelle internationale et que l’on peut aussi trouver à la simple échelle française ? Je pense que oui, parce que les élus les épluchent. Mais par ailleurs, des villes peuvent être attractives lorsqu’elles sont moins tolérantes que d’autres. J’y reviendrai aussi. Enfin, pour répondre à la question de Gérard Perreau-Bezouille, pourquoi ? À quoi tout cela sert-il, en effet ? De manière très prétentieuse, la question qui me stupéfie, c’est une phrase que je vais vous faire méditer, d’un auteur auquel je n’ai strictement jamais rien compris, mais que tout le monde cite : Heidegger. Il a dit : « la rose n’a pas de pourquoi ». Je laisse cela à la méditation de la Fabrique de la cité. Pour l’attractivité, il y a tout de même un pourquoi : à mon avis, dans les populations des villes occidentales dans lesquelles nous avons porté le fer et regardé ce qui se passait, la caractéristique cruciale est le vieillissement, plus ou moins accéléré. Faire venir des gens est un souci pour rajeunir les populations. Il y a aussi un autre souci, celui d’assainir fiscalement la situation et de faire venir des contribuables. Je rebondis sur le propos de Monsieur Lemaignen : l’animation des villes est en effet importante. Selon les enquêtes internationales, Berlin serait plus animée que Paris, ces temps-ci. Des journaux que nous lisons tous ont titré que Paris était une ville qui, sans être morte, perdait en attrait en termes de fréquentation et de qualité des boîtes de nuit. Mais, à cet égard, nous avons chacun nos idées en la matière. Je reviendrai ultérieurement sur l’offre éducative, mais elle compte dans l’offre infrastructurelle. Par « éducative », il faut entendre de la crèche aux universités du troisième âge, en passant par les équipements scolaires et universitaires. Enfin, vous avez mis le doigt sur un sujet qui, pour moi, est crucial : les femmes. Nous y avions réfléchi pour trouver des choses provocantes. Si vous voulez que votre ville soit attractive, il faut d’abord qu’elles le soient pour les femmes. En effet, dans le monde entier, des problèmes de démographie différents se posent, mais la démographie étant l’une des sciences les plus prédictives qui soient, elle a une base. Il y a trois gros traités de démographie édités par l’Inet. L’un des sujets s’attèle à développer comment on explique la fécondité. La première explication est que les gens se rencontrent ; c’est bien simple. Vous disiez qu’il fallait faire venir les conjoints –ce sont plus généralement les conjointes, même s’il y a égalisation, et c’est heureux, des conditions des hommes et des femmes – mais, pour les villes en déclin, qui ne se multiplient pas encore au rythme de ce qui se vit dans le cas russe, par exemple, le grand sujet est de faire venir des femmes. Thoma s Ma louta s, direc teur de l’I nstitut de soc iologie urba ine et rura le, A thènes Ce n’est pas tout à fait une question, et je ne prends par la parole pour défendre Athènes qui, de toute façon, est indéfendable. C’est plutôt pour exprimer mon scepticisme en ce qui concerne ce type d’exercice classificatoire. On classifie les villes, on classifie les universités, etc., à partir d’un grand nombre d’indices que l’on maîtrise plus ou moins bien. Et finalement, on arrive à des hiérarchies, des agrégats qui ne sont plus très évidents, qui se réifient et qui prennent une vie qui n’est plus liée à ceux qui les ont construits. Dans l’exemple d’Athènes que vous avez donné, les gens s’expriment à un pourcentage très faible pour dire qu’ils pensent que la sécurité, dans cette ville, n’est pas à un niveau acceptable. Mais, en même temps, la criminalité à Athènes est très basse. L’indice ne prend en compte que ce qui est exprimé. C’est la même chose avec les espaces verts à Berlin et Paris. Donc, quand on construit ces taxinomies, ces classifications, ces hiérarchies, à quoi cela sert-il, finalement ? J ulien D a mon Je suis totalement d’accord. Je suis étonné par la prolifération de ces études, et la plus belle étude du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Vous avez, d’un côté, du déclaratoire et de l’autre, des compositions parfois assez alambiquées, avec des agrégations de données qui sont pondérées de manière différente. Mais les élus les lisent et les habitants s’en préoccupent un peu en termes de tourisme, par exemple. Elles ont donc leur importance, même si elles ont des qualités diverses. Mic hel Ca nta l-D upa rt, urba niste Je voudrais vous poser une question sur Shanghai. Ne pensez-vous pas que tout cela est souvent contextuel et lié au libre mouvement des hommes et des idées, ainsi qu’aux attaches particulières dans une ville, surtout s’il y a plus de soleil qu’à Pékin ? 49 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité J ulien D a mon Vous dites deux choses : le climat et le droit. L’une des explications au fait qu’Athènes est une des villes qui a connu la plus grande croissance démographique dans la deuxième partie du XXe siècle tient au régime des Colonels : pour pouvoir bouger et avoir de la mobilité, il faut d’abord être libre. Quant au climat, le poète dit que la ville et la misère sont moins pénibles au soleil. De toute façon, l’héliotropisme est quelque chose que nous repérons partout. J a c ques Theys, direc teur de la mission prospec tive du CGD D -MEED D M J’ai vu des centaines de classements de cette sorte. Ils sont réalisés essentiellement par des journalistes ou par les gens qui les fabriquent, avec une combinaison de critères dont certains sont très discriminants et d’autres, pas du tout. Mais je n’en ai jamais vu un où l’on interrogeait directement les gens sur l’endroit où ils voulaient vivre vraiment. Ce sont souvent des classements faits de l’extérieur, par les personnes qui les fabriquent. Mais, finalement, dans tout ce qui a été présenté, il n’y en pas un qui demande de manière très simple : vous ne voulez pas habiter dans cette ville, mais dans laquelle voudriez-vous habiter ? Je n’ai jamais vu de question de ce genre. Peut-être en avez-vous vu, mais moi, je ne sais pas. J ulien D a mon Cela existe pour les destinations touristiques, mais ce n’est pas la ville où vous voudriez vivre. A lex Ta ylor Une bonne communication, pour une ville, peut tout changer. Il y a des villes qui ont cette aura. Je prends l’exemple de Toulouse, puisque personne ici ne la représente. Quand on parle de Toulouse, aujourd'hui, en France, on pense à une ville très sympathique, jeune, ville rose, etc. Et même pour moi, qui suis anglais et qui vis en France, quand on dit « Toulouse », je pense : « ah, c’est sympathique, Toulouse ! » Je ne sais pas pourquoi. Il y a d’autres villes, que je ne citerai pas, dont on ne pense pas cela. Une bonne communication peut complètement changer l’image, l’attractivité. Cela vaut la peine d’investir dans la communication. J ulien D a mon Par « communication », on entend généralement quelque chose de relativement déprécié. C’est péjoratif de dire juste de la « communication ». Le mot à la mode est « marketing urbain », « marketing territorial », et il y a des traités en la matière qui sont très intelligents et qui proposent de la qualité en matière de marque : slogan, personnalisation des élus locaux, capacité d’affichage dans des réunions internationales, capacité de promouvoir des événements ou qualités plus ou moins avérées… C’est cela, l’attractivité. C’est du marketing entre les villes. A lex Ta ylor Il y a aussi le buzz. Je reviens sur l’exemple de Paris et Berlin. Je vis depuis trente ans à Paris. Quand j’ai choisi de vivre aussi à Berlin, il y a quatre ans, tous les Français à qui je disais cela me répondaient : « mais pourquoi veux-tu aller à Berlin ? Il fait froid… », etc. Et maintenant, il y a un tel buzz autour de cette ville que chaque fois que je dis à un Parisien que je vis à Berlin – il y fait pourtant toujours aussi froid, et il y a fait encore plus froid, cet hiver –, les gens disent toujours la même chose : « j’ai entendu que Berlin était très sympathique ». Il y a un buzz incontestable qui s’est créé en France autour de Berlin, depuis deux ou trois ans. Géra rd Perrea u-B ez ouille, premier a djoint a u ma ire, ville de Na nterre, c oordina teur du Forum des a utorités loc a les Et quand on dit « Marzahn » au lieu de Berlin ou « le Mirail » au lieu de Toulouse ? A lex Ta ylor Bien sûr, les gens ne connaissent pas toutes ces parties, je suis d’accord avec vous. Je ne défends pas, je constate. J ulien D a mon Les noms des villes et les noms des quartiers sont devenus des marques, dans une certaine mesure, plus ou moins positivement connotées. Le Mirail est une partie de Toulouse. A lex Ta ylor C’est François de Jouvenel qui va nous présenter la deuxième partie de cet exposé. 50 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Fra nç ois de J ouvenel Je ne développerai pas une grande réflexion de prospective, qui durerait fort longtemps, sur cette question de l’attractivité. Je donnerai quelques éléments qui pourront animer nos débats. Les éléments de prospective que je vous livre ici sont des éléments qui sont issus de l’étude que nous avons menée avec Julien Damon, Futuribles et François Cusin, notamment, avec le concours d’un certain nombre de participants de la Fabrique de la cité. Nous les avons réunis plusieurs fois autour de la question de savoir comment les villes pouvaient réagir face aux évolutions démographiques et aux évolutions des modes de vie. C’est l’attractivité, mais vue selon un certain angle, essentiellement celui des modes de vie. L’attractivité est une question éminemment prospective, mais à laquelle il est assez difficile d’apporter une réponse globale, parce que l’attractivité d’une ville dépend nécessairement de la confrontation d’un certain nombre de tendances : des tendances très générales, qui peuvent être celles de la demande, et des tendances qui sont davantage celles de l’offre, c'est-à-dire de l’offre urbaine de la ville en elle-même. Parler de l’attractivité de manière très générale risque d’être un peu désincarné. L’attractivité d’une ville, en réalité, résulte bien de la confrontation d’un certain nombre de tendances générales, mais celles de l’évolution du territoire urbain particulier. C’est donc plutôt au niveau précis d’une ville que l’on peut développer une véritable réflexion de prospective argumentée et appuyée sur un certain nombre de données. N’attendez donc pas de cette brève présentation toute une théorie de l’attractivité pour demain et pour après-demain. Cela dit, si l’attractivité des villes dépend du jeu d’un certain nombre de tendances, on peut rapidement mentionner le fait que parmi ces tendances, certaines sont relativement générales. Ce sont notamment les tendances liées à l’environnement, celles qui sont liées à l’évolution de l’économie, à la transformation des systèmes institutionnels ou encore, aux transformations sociales, qui adressent un certain nombre de demandes aux villes ; à charge, pour ces villes, d’y répondre, de satisfaire ces demandes qui leur viennent de l’extérieur ou, au contraire, de les contrecarrer. C’est bien là que résident les marges de manœuvre des villes, qu’elles peuvent utiliser pour favoriser la réponse à telle tendance ou, à l’inverse, la contrer pour développer des projets urbains qui puissent permettre de construire la ville souhaitée. Une fois ceci posé, nous avons, dans ce travail de prospective avec la Fabrique de la cité, identifié un certain nombre de tendances générales d’évolution démographique et d’évolution des modes de vie, sur lesquelles nous nous sommes demandé quels étaient les principaux enjeux qu’elles pouvaient porter pour les villes et comment ces mêmes villes pouvaient y répondre. Soit qu’elles souhaitent favoriser les tendances, les accompagner, soit qu’elles souhaitent les contrecarrer pour tâcher de ne pas être attractives pour certaines catégories de population que l’on peut souhaiter ne pas voir arriver dans sa ville – ceci dépendant de choix essentiellement politiques qui peuvent être faits dans ces différentes villes. Je ne passerai pas en revue dans le détail l’ensemble des tendances que nous avons repérées. Cette analyse a fait l’objet d’un document qui doit probablement être à votre disposition. J’aimerais en présenter rapidement deux ou trois. Je mentionnerai ensuite quelques autres tendances que nous avons identifiées, mais sans nécessairement aller beaucoup plus loin dans l’analyse, d’autant plus que nous retrouverons des choses assez banales et connues, qui ont déjà été abordées précédemment. La première tendance, dont il est difficile de s’abstenir de parler, est celle du vieillissement démographique, qui revient dans les discussions depuis ce matin. C’est une tendance qu’en prospective, nous appelons une tendance lourde ; c'est-à-dire que quoi que l’on fasse ce soir, et même si l’on ouvrait les frontières demain matin, on n’inversera pas le vieillissement démographique. C’est une tendance avec laquelle l’ensemble de nos villes, dans le monde occidental, aura à faire. La question est de savoir comment la gérer et, éventuellement, de savoir comment les villes peuvent procéder pour faire en sorte d’accueillir favorablement ces personnes âgées, voire très âgées, donc dépendantes ou, au contraire, d’essayer de limiter leur nombre et donc, par là même, de les repousser, parce que le choix politique serait celui de villes plus jeunes. Dans les différents pays où se situent les huit villes sur lesquelles nous avons porté l’accent, dans notre étude, nous avons repris des projections de la division « population » des Nations unies sur les populations de 80 ans et plus et de 4 ans et moins. Pourquoi ces deux catégories d’âge ? D’abord, parce qu’à 80 ans, on a aujourd'hui une espérance de vie qui est encore de quatre ans, ce qui permet d’avoir un équilibre entre les deux. Par ailleurs, c’est assez intéressant parce que l’ensemble de ces courbes se croisent. Nous avons pris l’exemple de l’Allemagne, puisque nous sommes à Hambourg, mais sur l’ensemble des pays concernés, il y a des courbes en X, avec un pourcentage fortement croissant de personnes âgées de 80 ans ou plus, c'est-àdire entrant dans l’âge de la dépendance, et des populations de 4 ans et moins qui ont tendance à décroître, même si cette tendance peut être sujette à des variations beaucoup plus rapides et beaucoup plus importantes. En revanche, le volume des populations de 80 ans et plus, lui, est relativement sûr ; les variations sont assez peu importantes. La question qui se pose pour les villes, dans l’ensemble, est d’accompagner ce vieillissement démographique. Cela signifie développer l’offre de soins et les services à la personne, dont il a été dit ce matin que l’on n’y 51 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité arrivait pas, probablement parce qu’ils ne sont pour l’instants pas rentables ; c’est aussi avoir des services de mobilité adéquats, des offres culturelles adaptées à certaines catégories d’âge : aux seniors, qui vont de 55 à 80 ans, et aux personnes très âgées, qui n’ont peut-être pas les mêmes attentes. Il s’agit donc de développer l’ensemble de ces services qui permettent aux villes d’attirer des personnes âgées, voire très âgées ou, en tout cas, de les conserver plutôt que de les expédier dans d’autres villes qui ont davantage d’atouts dans ces domaines. Ou bien, il s’agit de chercher à atténuer le vieillissement de la ville et donc, de contrecarrer la tendance ; c'est-à-dire, en quelque sorte, d’évacuer les personnes âgées du territoire. Je suis intentionnellement provocant : c’est l’objectif de la prospective que de stimuler la réflexion et de poser un certain nombre de questions, et non d’apporter des réponses. De ce point de vue, on peut aussi envisager d’avoir un certain nombre de leviers qui permettent d’atténuer le vieillissement démographique dans les villes. Si le vieillissement coûte cher, l’atténuer peut être un objectif économique. Ceci peut se traduire, par exemple, par le choix délibéré de ne pas adapter les logements au vieillissement de la population, par des freins de toute sorte à la mobilité, par des priorités aux actifs dans certains services publics ou privés – queues séparées, par exemple… Pourquoi pas ? On peut envisager tout un ensemble de mesures, qui sont évidemment discutables, pour lesquelles un certain nombre de valeurs entrent en ligne de compte. Ceci pour dire que face à une même tendance, en l’occurrence celle de l’évolution démographique, vous pouvez avoir des réponses qui sont diamétralement opposées selon les villes ou, en tout cas, très différentes, et que c’est cette différence de réponses face à des mêmes tendances que vous pourrez savoir ou anticiper si votre ville sera plus ou moins attractive. Une autre tendance démographique, dont nous avons déjà beaucoup parlé, est l’augmentation des migrations internationales. C’est une tendance lourde parce qu’on la repère dans un passé relativement ancien et qu’elle ne devrait a priori pas s’inverser, demain, sauf politique de surveillance des frontières vraiment très accrue. Mais en l’occurrence, la tendance est plutôt à l’augmentation du nombre de migrants internationaux, sous l’effet de plusieurs facteurs. Il y a des populations hautement qualifiées qui sont de plus en plus mobiles et pour lesquelles la concurrence internationale pour les attirer est de plus en plus forte. Il y a également une mobilité appelée « nomadisme de misère », qui serait davantage liée à des flux de réfugiés sociaux ou de nouveaux types de réfugiés, les réfugiés climatiques – l’Onu envisage la possibilité de 250 millions de réfugiés climatiques à l’horizon de 2050. Sur cette question, les estimations sont extrêmement nombreuses et variées ; la question de la définition d’un réfugié climatique donne lieu à des débats et n’est pas du tout fixée. Face à cette tendance, qui est très diverse, puisqu’il y a différents types d’immigrés, le spectre de possibilités, pour les villes, est aussi extrêmement large. En effet, si toutes les villes ont a priori intérêt à attirer des travailleurs hautement qualifiés, elles n’ont pas toutes nécessairement envie d’accueillir des réfugiés issus du « nomadisme de misère ». Néanmoins, cet accueil de populations migrantes au niveau de vie inférieur par rapport aux populations locales peut être un atout important pour les villes, notamment si cela permet de développer des emplois et de créer un certain dynamisme économique et culturel, qui peut être largement valorisé dans certaines villes. On peut penser par exemple aux quartiers communautaires, à New York ou à Londres, qui montrent que ce type d’approche peut aussi participer à l’attractivité des villes. Une autre tendance, qui est plutôt une tendance d’évolution des modes de vie, est la hausse du travail féminin dans l’ensemble des pays de l’OCDE et des pays occidentaux. Cette tendance pose un certain nombre de questions prospectives pour l’attractivité des villes. En effet, il y a eu relativement récemment une inversion des tendances dans ce domaine. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, il y avait une corrélation entre les pays où le taux de fécondité des femmes était très élevé et ceux où les taux d’emploi féminin étaient faibles. Autrement dit, moins les femmes travaillaient, plus elles avaient d’enfants. Aujourd'hui, dans la plupart des pays développés, on est passé sur un autre registre, dans un autre modèle, où l’on voit une corrélation entre des taux de fécondité élevés et des taux d’emploi féminins élevés. Cela signifie qu’aujourd'hui, l’augmentation du travail féminin est une tendance relativement lourde qui n’entre plus en balancier avec la fécondité. La question de l’accompagnement de cette hausse du travail féminin, corrélée avec des taux de fécondité que l’on espère pas totalement nuls, implique la plupart du temps un certain nombre de choix et est lourde d’enjeux pour l’attractivité des villes. Julien Damon disait que l’un de ces grands enjeux était probablement d’attirer des femmes. Il faudrait préciser : des femmes jeunes, qualifiées, en âge de procréer, si l’on cherche à avoir une attractivité que l’on calcule en termes démographiques. L’une des grandes préoccupations, dans ce cadre, est que la ville puisse offrir des moyens d’articuler la vie professionnelle et la vie familiale. C’est quelque chose qui est assez connu, mais c’est un enjeu qui devient de plus en plus crucial dans la plupart des villes occidentales. Autre transformation des modes de vie qui est lourde de conséquences et qui a des implications pour l’attractivité des villes : la transformation des structures familiales, de manière générale. Dans l’ensemble du monde occidental, on a quitté le modèle de la famille nucléaire avec deux enfants et l’on entre de plus en plus dans des cellules familiales modifiées, avec des familles recomposées, des parcours familiaux plus compliqués et une augmentation relativement importante des ménages d’une personne. La taille des ménages a donc tendance à diminuer. C’est vrai pour la France, mais c’est une tendance assez générale, avec néanmoins quelques exceptions. Cette tendance à la baisse des ménages n’est évidemment pas sans 52 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité impact pour les villes, puisqu’elle a des répercussions immédiates sur le logement. Si je veux avoir une ville qui corresponde aux aspirations ou au changement des modes de vie de ma population, je vais nécessairement aller vers des logements plus petits. L’augmentation du nombre de ménages d’une personne ne signifie pas que les gens sont de plus en plus solitaires. Les ménages peuvent être de plus en plus réduits, mais avec un nombre de relations sociales assez important. Je peux vivre seul, mais avoir de nombreuses relations avec mes voisins, ma famille, etc. Pouvoir accompagner cette tendance, c’est donc non seulement travailler sur l’offre de logements pour qu’il y ait suffisamment de logements adaptés et de petite taille, mais aussi réfléchir à un certain nombre de lieux permettant la rencontre, la convivialité, des lieux peut-être neutres, propices à l’expression des nouveaux rapports sociaux qui peuvent résulter de cette baisse de la taille des ménages. Je n’approfondirai pas davantage le décryptage de ces différentes tendances. Je mentionnerai simplement les quelques autres tendances que nous avions repérées et sur lesquelles nous avons un peu travaillé et réfléchi collectivement, avec la Fabrique de la cité, pour nous demander quels étaient les enjeux liés à chacune d’elles et quels étaient les facteurs d’attractivité ou, au contraire, les facteurs de répulsion qui pouvaient être développés par les villes. Ces autres tendances, très générales, sont d’abord l’augmentation de ce que nous avons appelé le « travail éclaté », c'est-à-dire le fait que même si, aujourd'hui, dans la plupart des pays, l’emploi à temps plein – de type CDI, en France – reste encore la norme, il y a une augmentation très forte de nouveaux types de contrats de travail, d’emplois qui sont beaucoup moins normés que l’emploi traditionnel. Cela reste une tendance émergente, mais elle semble se confirmer. Cette augmentation du travail éclaté a des répercussions en termes d’organisation des temps de la journée, des temps de l’année, des temps de la vie, ce qui pose la question de savoir comment, dans la ville, on peut organiser cette nouvelle gestion des temps. L’aspiration à l’articulation des vies professionnelle et familiale est un leitmotiv, une aspiration des ménages qui devient de plus en plus forte, mais qui devient aussi de plus en plus compliquée, avec la hausse du travail féminin évoquée précédemment. À cet égard, les enjeux sont de mettre à leur disposition un certain nombre d’infrastructures ou de services qui permettent de favoriser cette meilleure articulation, comme l’accueil de la petite enfance. La diversification des liens sociaux va de pair avec la baisse de la taille des ménages. Cette tendance signifie que l’on a aujourd'hui des relations avec les autres qui sont beaucoup plus nombreuses qu’auparavant. On a beaucoup plus de contacts que l’on pouvait en avoir il y a cent ans, cinquante ans ou vingt ans. Ces contacts ne sont pas nécessairement beaucoup plus profonds, plus intimes, mais de plus en plus nombreux. L’accompagnement de cette aspiration à avoir de multiples liens sociaux peut passer, dans les aménagements urbains, par des choses aussi simples à concevoir, intellectuellement, que l’équipement en nouvelles technologies, le développement d’éléments qui peuvent favoriser la mise en contact avec les autres de manière plus simple qu’à l’heure actuelle. Les avancées technologiques peuvent éventuellement être mobilisées pour ce faire, le risque étant d’aller trop loin et de solliciter les individus à tel point que la déconnexion ne soit plus possible et qu’il y ait un phénomène de rejet. Tout est donc dans la nuance. L’accélération des rythmes et l’étalement des temps rejoignent la question du travail éclaté. C’est quelque chose d’assez classique ; je n’y reviens donc pas. S’agissant de la croissance des distances parcourues quotidiennement, il convient de mettre un point d’interrogation. Je ne sais pas si c’est une tendance. Cela a déjà été évoqué, et je ne m’y appesantis pas, mais c’est tout de même très fortement lié à l’augmentation des vitesses de déplacement. Je ne suis donc pas absolument certain que cela se développe davantage. Mais ce qui est certain est qu’il y a une aspiration générale à pouvoir joindre de plus en plus de lieux de plus en plus facilement. S’agit-il de joindre des lieux ou des services ? Là est la question. Une autre tendance que nous avons repérée est celle de la fragmentation territoriale, qui est liée à des processus de ségrégation « naturels », notamment dus au phénomène d’évitement, essentiellement lié à la classe moyenne. Je n’y reviens pas, mais la tendance naturelle serait d’avoir des quartiers de plus en plus homogènes socialement. La séduction par l’image de la ville est une autre tendance : Toulouse, la ville rose, etc. Il y a aujourd'hui une aspiration assez nette, qui n’est pas une tendance aussi lourde que les autres, à vivre dans une ville qui bénéficie d’une bonne cote et qui renvoie donc également une image valorisante de ses habitants. La dernière tendance que nous avons analysée est l’aspiration à la réalisation de soi, c'est-à-dire à s’exprimer davantage qu’auparavant, en passant par ce que certains sociologues ont appelé l’entrée dans des valeurs post-matérialistes : nos besoins primaires étant satisfaits, nous avons maintenant davantage besoin de nous exprimer vis-à-vis d’autrui et dans ce que nous faisons. Cette aspiration à la réalisation de soi peut se traduire par l’augmentation des loisirs et activités culturelles, l’augmentation de la fréquentation de lieux culturels. Ces 53 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité différents aspects peuvent donner lieu à un certain nombre de réalisations urbaines susceptibles ou pas de favoriser ou non l’attractivité. Que peut-on faire de toutes ces tendances, lorsque l’on essaie de réfléchir à l’attractivité ? Nous nous sommes essayés à une provocation plutôt qu’à un raisonnement. En prospective, on manie beaucoup la question des scénarios, c'est-à-dire des histoires des différents futurs possibles qui sont en germe dans la situation actuelle. On peut analyser un certain nombre de tendances qui, ensuite, peuvent s’infléchir, bifurquer, et ce qui est intéressant est d’imaginer comment agencer ces tendances les unes avec les autres pour construire des images globales de l’avenir. Sur un sujet aussi vaste que l’attractivité et également, un peu abstrait, qui n’est pas incarné dans une ville, il est difficile de faire des scénarios. Nous n’en avons pas fait. Mais nous nous sommes posé une question toute simple. Nous avons opté pour prendre deux axes – c’est le scénario à l’anglo-saxonne – et nous demander qui l’on cherche à attirer. La question simple qui guide cette réflexion est celle-ci : qui cherche-t-on à attirer ? Des jeunes ou des personnes âgées ? Des pauvres ou des riches ? C’est un peu brutal… Nous avons ainsi construit, selon les réponses que l’on apporte, une sorte d’archétype des villes de demain. Aucune ville ne ressemblera exactement à cela, car il est très difficile d’avoir des villes où il n’y ait que des riches et des vieux sans disposer de la main-d’œuvre permettant de faire fonctionner les choses. Ce sont des archétypes qui n’ont pas grand intérêt, si ce n’est de stimuler la réflexion et de se dire que les questions : « pourquoi développer l’attractivité ? » et surtout : « qui cherche-t-on à attirer ? », sont tout de même des questions cruciales que la prospective ne peut pas résoudre mais qui relèvent du projet urbain et qui sont donc des questions éminemment politiques. A lex Ta ylor Heinrich Lieser va nous présenter l’exemple très concret de Hambourg et de ses tendances démographiques. Heinric h L ieser, président-direc teur généra l de Ha mburg Ma rk eting GmbH Ha mbourg, ville a ttra c tive Merci de m’avoir invité. Je suis très heureux de vous saluer ici à Hambourg, où il fait très beau, aujourd'hui – comme toujours quand les Français sont là. Nous avons eu la semaine dernière un groupe de 250 entrepreneurs français. Il faisait beau comme aujourd'hui. Et il va pleuvoir après-demain. C’est notre destin. Je représente Hamburg Marketing ainsi que l’agence de développement économique de Hambourg. Je vais rapidement vous exposer la manière dont nous avons procédé pour trouver le contenu de la marque de notre ville. Quelle est la perception extérieure de la ville de Hambourg ? Je serai relativement bref, parce que la plupart des choses ont déjà été dites, du moins en théorie, et cela s’applique bien à Hambourg. Hambourg est une ville qui, sur son territoire métropolitain, compte près de 4,3 millions d’habitants, soit à peu près autant que Berlin. C’est la deuxième ville d’Allemagne et l’une de nos rares grandes villes : nous n’en avons que trois ou quatre. La surface de cette région métropolitaine couvre trois Länder : une partie du Schleswig-Holstein, au nord, une partie de la Basse-Saxe, au sud et l’État libre de Hambourg. Vous connaissez sans doute la situation. Nous sommes également un Land, nous avons un siège dans la deuxième chambre, à Berlin, un premier ministre, un gouvernement et tout ce qui s’y rattache. Le gouvernement de Hambourg a choisi, dès 2004, de définir un label pour la ville de Hambourg. Nous étions en effet convaincus – et nous le sommes toujours – que si l’on vend une ville comme un produit, on arrive mieux à communiquer ce qui la fonde et l’histoire qui est derrière. Au lieu de trop compliquer les choses, nous nous se concentrons sur les points forts qui constituent notre label. Pourquoi ? Pour les raisons mêmes qui ont été énoncées précédemment : pour attirer des talents, des touristes, des entreprises, pour créer une croissance économique. Tout ce qu’a dit Richard Florida ou d’autres compte évidemment pour nous aussi, à Hambourg. Que veut-on faire passer ? En 2004, nous avons lancé pour la première fois cette étude, que nous avons renouvelée l’an passé. Nous avons tout simplement demandé : que représente pour vous Hambourg ? Quels sont les thèmes positifs que vous lui attachez ? Quelle image positive cela donne-t-il pour vous ? Le point de départ est donc une enquête, et le fondement du label de Hambourg est justement la vision de l’extérieur que l’on en a. Notre label se définit par des tiers. Ce n’est pas nous qui en définissons le fond ; c’est la vue de l’extérieur qui compte pour nous et que nous essayons de renforcer. L’enquête n’a pas été très étendue. Elle a été menée avec des méthodes statistiques, en sondant 2 900 personnes dans le monde entier, dont les réponses me paraissent très surprenantes. Mais apparemment, c’est possible. Dans cette analyse, nous avons mis au point un questionnaire bien ciblé et portant sur des faits. Nous avons essayé de regrouper les réponses par facteurs et nous avons établi un profil sur lequel nous avons commencé à communiquer en 2004. 54 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité En 2009, nous avons renouvelé cette enquête et nous avons obtenu des informations très utiles, empiriques, fiables, sur l’évolution de l’attractivité de la ville de Hambourg, mais aussi sur le succès ou l’échec des mesures que nous avions prises au niveau national et international, auprès de notre cible. Nous avons également trouvé des réponses à la question : comment mieux faire connaître le label de la ville de Hambourg ? Quels sont les moyens pour attirer de nouveaux groupes, nos cibles ? Comment accroître aujourd'hui l’attractivité de la ville au sein de ces groupes ? Le résultat est réparti entre les grandes cibles : entreprises et personnes privées. Nous avons réalisé un sondage auprès de la « creative class », qui a donné lieu à des réponses un peu différentes. Mais ces différences ne sont pas assez notables pour que je les évoque dans le temps qui m’est imparti. Si cela vous intéresse, je pourrai vous envoyer les résultats plus tard. Le schéma présenté visualise les points les plus forts qui rendent la ville de Hambourg la plus attractive : en bleu pour les entrepreneurs en Allemagne ou à l’étranger et en rouge, pour les particuliers. Sont figurées en rouge et bleu les réponses des deux groupes sur les éléments d’attractivité jugés importants pour s’établir, vivre et se développer dans la vie privée ou économique. S’agissant des composantes, Julien Damon et François de Jouvenel ont mentionné plusieurs groupes, que j’ai d’ailleurs trouvés très intéressants : les conjoints, les jeunes, les expatriés, que l’on retrouve chez nous. L’un des éléments d’attractivité les plus forts, pour les entrepreneurs, est la qualité de métropole internationale de commerce. Hambourg compte 10 000 entreprises dans l’import export. C’est LA ville du commerce, en Allemagne ; il n’y en a pas d’autres. Elle exporte et importe énormément, parfois au mécontentement de votre gouvernement. Mais de toute façon, c’est ici que cela que cela passe. C’est pourquoi la ville de Hambourg a beaucoup profité de la globalisation dans sa croissance économique. Mais elle est évidemment parmi celles qui ont des difficultés pour se sortir de la crise. Hambourg a été définie, en 2004 – et cela a été réaffirmé en 2009 –, comme une ville ayant une compétence sur la Chine – plus de 400 entreprises chinoises sont établies à Hambourg, qui est, si l’on peut dire, la capitale chinoise en Allemagne. Ceci imprime un caractère particulier à la communauté économique de la ville. Puisque vous irez visiter demain la HafenCity, vous verrez Cosco, China Shipping, pour tous ceux qui connaissent un peu les grandes entreprises dans ce domaine : vous verrez tous leurs établissements ici. Ce qui joue également est la grande et longue tradition du port, qui fête chaque année son anniversaire. Cette année, ce sera le 820 e. C’est une très longue tradition portuaire, qui est bien installée dans les têtes et qui fait partie de l’image de Hambourg, et même peut-être pour vous, qui n’avez pas toujours connu la ville. Elle a une économie attrayante pour les entreprises. Un autre point fort relevé par les entrepreneurs a été confirmé par des faits très concrets. Ce n’est pas l’agence de développement économique qui l’a inventé, mais les réponses que nous avons eues : Hambourg a apparemment une réputation en matière aéronautique, qui joue un très grand rôle, mais aussi celle d’avoir les meilleurs éléments dans le domaine des agences publicitaires. Ces constats sont assez forts pour permettre de mettre en avant les atouts économiques de la ville. L’éducation est aussi un grand sujet, de même que celui de la « métropole au bord de l’eau », qui est un point important, notamment pour la « creative class », qui cherche des logements, si possible au bord de l’eau. Vous verrez sans doute demain les bâtiments en brique rouge, qui sont très attractifs et se vendent extrêmement bien, dans le secteur immobilier. À cet égard, le caractère de la ville au bord de l’eau nous est vraiment très profitable. Hambourg, comme Marseille, la ville avec laquelle nous sommes jumelés, en France, est aussi une ville de croisières. Vous visiterez demain plusieurs sites en construction, dont l’Elbphilharmonie. Avant de venir à Hambourg, j’étais à Paris. En 2006, il y avait une exposition d’architecture ; une affiche publicitaire pour cette exposition couvrait les murs du métro parisien et montrait l’Elbphilharmonie. J’ai trouvé cela très étonnant. Cela deviendra certainement notre opéra de Sydney et nous espérons que les investissements que nous réalisons bénéficieront à tous les touristes qui vont visiter la ville. Aujourd'hui déjà, la Hafencity et l’Elphilharmonie, même si les deux ne sont pas encore terminées, sont très connues et font l’objet d’une bonne communication à l’extérieur. Nous avons évoqué auparavant la métropole où il fait bon vivre. Les gens que nous avons interviewés ont confirmé les propos précédents : la qualité de vie, à Hambourg, est extraordinaire. Beaucoup de gens disent que c’est la plus belle ville du monde – après toutes les villes françaises, bien sûr. Mais c’est une autre histoire. Un nouveau point a été découvert cette année-là : apparemment, l’économie et la protection de l’environnement vont bien ensemble. La Commission européenne a désigné Hambourg comme la capitale verte pour 2011. Vous connaissez tous la capitale culturelle européenne qui, en 2013, sera Marseille, notre ville jumelée. Mais l’année dernière, la Commission européenne a inventé une distinction nouvelle : la capitale verte – European green capital. Hambourg a gagné dans toutes les catégories, ce qui m’a beaucoup surpris. 55 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Nous étions en compétition avec cinquante autres villes et nous avons gagné. Nous célébrerons cela l’année prochaine. C’est pour nous un extraordinaire facteur d’attractivité pour les entreprises et les individus. Je pourrais vous donner des exemples d’entreprises qui se sont installées ici depuis que nous avons ce titre. Ce n’est pas uniquement pour cela, mais c’est l’une des raisons. J’espère que VINCI sera l’une d’elles, bientôt. À vous de décider… Le rôle des conjoints et de la famille a été évoqué précédemment. Il était pour nous très important de savoir ce que pensaient les particuliers de la ville et quelle impression ils en avaient. Les réponses que nous avons eues indiquent que Hambourg est considérée comme la métropole numéro 1 pour le music-hall, en Allemagne. Les chiffres le confirment. Nous en sommes bien sûr très heureux. En revanche, tous ceux qui travaillent dans la « haute culture », c'est-à-dire pour les théâtres et surtout, les musées, ne sont pas très satisfaits, parce que même s’il y a 300 musées dans la métropole de Hambourg, peu nombreux sont ceux qui le savent. C’est un point sur lequel nous pouvons travailler. La dernière cible est celle des talents et des jeunes. Y a-t-il un réseau qui les attire ? Hambourg est-elle une ville dynamique ? Nous avons eu des réponses qui sont confirmées par les chiffres : Hambourg est une ville très importante pour les médias et les agents commerciaux. L’un des éléments les plus importants pour la communication à l’extérieur est la Reeperbahn, qui correspond un peu à votre Pigalle, avec quelques différences. Tout d’abord, le quartier est plus petit, mais il est aussi mieux intégré dans la ville, puisqu’il est presque en centre-ville. Vous le visiterez peut-être. C’est un quartier tout à fait agréable, où les Beatles ont fait leurs grands débuts, dans les années soixante. C’est pourquoi nous avons lancé le « Reeperbahn Festival », dont la diffusion est internationale et qui remporte un bon succès. Encore une fois, nous renforçons les points forts. Les personnes sondées nous ayant dit que dans la Reeperbahn, la musique et les clubs était importants, nous avons décidé de renforcer cette attractivité et nous avons inventé le Reeperbahn festival, que nous faisons rayonner au niveau international. Récemment, nous avons lancé Metropolis shopping, qui est un point important, surtout en Allemagne. Pour les conjoints, Hambourg est tout à fait considérée comme une ville de shopping. Vous aurez peut-être l’occasion de vous y promener quelques minutes. Cet aspect joue un rôle dans notre communication. De la même façon, ceux qui, au centre-ville et à ses grandes marques, préfèrent les magasins abordables pour tous les porte-monnaie, se trouvent bien à Hambourg, et cela a été confirmé dans les sondages. Je vous invite à revenir un jour lors des grandes fêtes populaires, dans lesquelles il nous faut investir. La ville injecte des moyens dans de nombreux événements publics, qui attirent énormément de gens. C’est pourquoi Hambourg est bien connue en Allemagne comme ayant à offrir quelque chose que l’on ne trouvera pas ailleurs, parce que nous utilisons toujours les mêmes points forts : la ville au bord de l’eau, la ville internationale, de commerce, de croisières ; toutes ces dimensions sont déjà connues, mais nous les réaffirmons. Et, d’après les chiffres dont nous disposons, cela fonctionne, apparemment. Aujourd'hui, Hambourg est l’une des villes les plus attractives pour les investissements, mais aussi pour les jeunes. C’est heureux, parce qu’en Allemagne, la croissance démographique n’est pas très brillante. Et j’espère que cela continuera ainsi. J’espère que j’ai pu me faire comprendre et je vous remercie pour votre attention. A lex Ta ylor Je propose que nous concluions sur les enseignements à tirer de l’enquête de la Fabrique de la cité. Ensuite, je donnerai la parole pour dix minutes d’échanges et de conclusions. Les enseignements à tirer de l’enquête J ulien D a mon Je suis ravi de pouvoir vous exposer ce que nous avons pu trouver dans le cadre de ce travail, qui vous sera restitué sur la clé USB qu’on vous remettra demain matin sous la forme d’une série de notes, plutôt que de gros rapports, qui ne se lisent pas bien. Vous aurez donc une note respectivement sur le classement des villes, sur ce qu’est l’attractivité et sur les évolutions démographiques passées et projetées dans les huit villes que nous avons signalées. Nous avons cherché à tirer des enseignements, mais, plus que cela – et c’est le jeu de la Fabrique de la cité –, des questionnements, et parfois, un peu de manière un peu provocante. C’est ce que je vais vous exposer ici. Je commencerai par quelque chose qui va vous intéresser : la ville étant vivante, je vais vous parler un peu de la mort. Je reprends là ce que François de Jouvenel a précisé dans le détail, à savoir les aspects démographiques, en insistant sur un point : il est courant de dire que nous vivons une période de mutation, de 56 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité transition. C’est absolument incontestable. La meilleure période de transition entre aujourd'hui et demain, c’est maintenant. Mais il y a des transformations qui sont récentes et profondes. C’est le cas en matière de vie familiale : les unions libres et naissances sans mariage, partout en Occident, ont considérablement progressé, proportionnellement à ce qu’elles étaient il y a trente ou quarante ans, dans chaque pays. C’est le cas aussi sur ce point singulier que je mets ici en évidence : la part des obsèques qui passent par des crémations. Elle a été multipliée par plus de 25 en un quart de siècle, dans le cas français. Si l’on prend en compte les aspirations et demandes des futurs usagers de ces services, d’ici à 2030, la moitié de la population passera par la crémation plutôt que par l’inhumation. Dans l’Union européenne, certes, il y a des distinctions : l’Irlande et l’Italie n’en sont qu’à 10 % ; les Danois ou les Suédois, à près de 80 %. En Allemagne, la proportion est de 40 %. Cela signale le côté récent et profond du changement – et certaines libérations potentielles de foncier, sur lesquels VINCI pourra peut-être investir... Autre tendance majeure, qui peut alimenter le débat sur les villes moyennes et les grandes villes : une carte assez originale, mais qui ne vous surprendra pas outre mesure, puisque nous en avons vue de similaires projetées par l’OCDE et que, de toute manière, cela illustre le même phénomène que celui que l’OCDE soulignait, à savoir que la tertiarisation, la globalisation et la concentration du capital humain se voient très nettement à l’échelle du globe. La richesse se concentre dans les grandes villes. Par « grandes villes », je n’entends pas que les « méga-cités » qui, dans le vocabulaire de l’Onu, sont les villes ou agglomérations de plus de 10 millions. Celles-ci sont aujourd'hui au nombre de 17 et devraient atteindre le nombre de 30 dans une dizaine d’années. Mais cela ne bouleversera pas la distribution des urbains dans le monde. Il y a près de 10 % des urbains, dans le monde, qui vivent dans ces très grandes villes. D’ici une dizaine d’années, cela ne devrait pas beaucoup bouger. En fait, la réalité urbaine est plutôt dans des agglomérations de 500 000 à un million d’habitants. Ce que je souligne là est qu’il y a une concentration croissante dans les villes, avec toutes les inégalités que l’on peut lire dans ce type de représentation. J’ai déjà évoqué l’attractivité, en quatre interrogations, et à la manière de Heidegger, en outre, alors que je ne l’avais pas prévu. C’est encore mieux. Je le répète tout de même : l’attractivité n’a pas nécessairement un pourquoi, mais elle a une réalité ; vous l’avez vu dans l’exposé qui vous a été fait. Pouvoir se vendre et se comparer est devenu un sujet de préoccupation majeur. Voici un petit tableau croisé très simple sur les politiques d’attractivité. Quelles peuvent être les cibles de ces politiques ? Elles peuvent être externes : des consommateurs, des touristes, de futurs habitants, des clients potentiels. Elles peuvent être internes : ce sont les habitants actuels. Il y a des politiques qui peuvent porter sur les produits de la ville, à savoir ses services, ses équipements scolaires, ses discothèques, etc. ; et elles peuvent porter sur la ville, comme produit – c’est qui nous a bien été décrit dans le cas de Hambourg. Si l’on on a une politique qui porte sur les produits de la ville avec une cible externe, l’ambition est d’attirer, de fidéliser les consommateurs, à Orléans ou à Hambourg, d’attirer de nouveaux habitants – peut-être à Nanterre. Dans les politiques d’attractivité, il y a aussi le souhait, en interne, de satisfaire les habitants et les électeurs. Pour la ville comme produit, il faut créer de la visibilité à l’extérieur, dire où elle se situe, quelles sont ses spécificités, ce qu’est sa marque, la marque de fabrique de la cité. Sur la ville comme produit en interne, l’enjeu est la fierté : il s’agit d’être capable de rendre les habitants fiers de leur environnement. Heinrich Lieser a beaucoup évoqué Richard Florida et la classe créative. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Richard Florida est un intellectuel international qui fait le tour du monde en racontant à peu près toujours la même chose, mais qui le raconte bien. Cependant, je discuterais un tout petit peu ce que sont ses théories. C’est un universitaire qui, désormais, est géographe à l’université de Toronto et qui a fait sa fortune autour d’un concept, celui de la classe créative. Qu’est-ce que la classe créative ? Ce sont trois choses : les entrepreneurs – vous, VINCI –, les artistes – nous, à Futuribles, par exemple – et les chercheurs – François Cusin qui, lui aussi, a participé à cette étude. Florida a une théorie bien simple, qui tient en trois « T ». Le centre de cette théorie est le « T » de talents : les talents sont ceux de la classe créative, qui regroupe ces trois catégories pour le moins hétérogènes qui sont la cible principale qu’il faut attirer dans les villes si elles veulent rester dynamiques dans la compétition mondiale. Caricaturons la position de Florida, qui retentit beaucoup sur le marketing urbain : si vous voulez être une ville dynamique et performante, vous devez attirer les gens talentueux. Et c’est tout. Vous n’avez pas d’autre chose à faire. Mais vous passez par tous les mécanismes et instruments que vous souhaitez. Le deuxième « T » de Florida est qu’il faut naturellement de la technologie. Mais c’est un lieu commun encore plus vrai et encore plus connu. Il faut des technologies pour que les universités et les idées soient connectées et développées. La troisième chose, qui est très importante dans la vision que l’on dit « floridienne », est la tolérance. Par tolérance, il faut entendre acceptation de l’étranger, de l’autre et du bizarre. Florida fait lui-même des index de la qualité de vie et des performances économiques en les corrélant. Il met en avant un index de la qualité de vie pour les gays et lesbiens, ce qui ne lui a pas été reproché mais qui a donné lieu à des critiques, et un 57 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité index de qualité de vie pour les « bobos », qui n’est pas qu’un sujet français : c’est d’abord issu de travaux de journalistes américains et anglais. Mais je mets à cela un point d’interrogation, parce que l’attractivité ne saurait se résumer à la seule quête des talents, à l’organisation des technologies et à la nécessité d’être plus tolérant. Ce n’est pas obligatoirement plus compliqué, parce que tout est plus compliqué, mais c’est discutable dans la cible principale. Monsieur Florida n’est pas le seul à invoquer cela. La plupart des gens qui se lancent dans l’économie géographique, aujourd'hui, sont d’accord avec cette orientation première consistant à dire que si l’on veut être attractif, il faut d’abord viser les diplômés, les créateurs, les entrepreneurs. Plutôt que d’investir différemment ou de manière un peu dispersée dans les différents équipements publics, il n’y a qu’une seule chose sur laquelle investir, pour mieux connecter les gens : les transports. Le troisième sujet, lié aux différents classements que j’ai évoqués et qui, il est vrai, sont surprenants, voire agaçants, dans une certaine mesure, est que si une ville veut vivre, il faut qu’elle soit inscrite dans les différents classements internationaux ou nationaux. Il importe donc, pour Hambourg, de dire qu’elle est en quinzième position et qu’elle était vingtième, auparavant. C’est absolument crucial, comme il est crucial pour Orléans ou Pleumeur-Bodou de dire que l’on progresse dans tel ou tel classement. Une chose plus discutable, plus polémique, est que tout cela s’accompagne du souci de voir les villes plus ouvertes, 24 heures sur 24, sans pour cela faire qu’elles vivent 24 heures sur 24, ne serait-ce que parce qu’il fait nuit et jour et que l’on doit éclairer différemment, ce qui est une des fonctions de l’une des entités de VINCI. Mais ceci s’accompagne d’une flexibilisation du travail et du droit du travail dans les villes. Enfin, je cite une jolie formule : « le cosmopolitisme harmonieux », dont il faut dire qu’il est une partie de l’identité des villes, actuellement. Ceci est le côté un peu « Bisounours » de l’attractivité. C’est pourquoi je vais tenter de souligner auprès de vous quelques paradoxes de l’attractivité. Ils me sont venus à l’esprit ce matin, en tout cas le premier : « s’il faut accroître l’immigration, chouette ! » Je ne connais pas beaucoup de pays qui, immédiatement, se disent avec indifférence qu’ils vont faire croître le nombre d’immigrés. Il y a un paradoxe : si l’on veut faire venir les gens, le souci est de pouvoir maintenir une certaine cohésion. Car si l’on veut faire venir des riches, on a aussi besoin de faire venir des pauvres pour organiser les services dont les riches peuvent avoir besoin. Deuxième paradoxe : s’agissant de ces questions d’attractivité et de classement, même s’il y a du benchmarking, de l’apprentissage mutuel – et c’est incontestable –, ces dynamiques s’inscrivent dans une logique plus générale de compétition et de concurrence urbaine très dure. Les talents sont une ressource rare, et il faut, les uns contre les autres, chercher à les attirer. Il y a une compétition urbaine, c’est vrai et, parallèlement, une coordination supra-urbaine, même européenne, par ce qui a été évoqué ce matin, non pas tant pour limiter cette compétition mais, dans une certaine mesure, pour en donner les règles, qui ne sont pas des règlements européens. Je pense qu’il y a un troisième paradoxe. En effet, ce marketing urbain et ces projets urbains portent en réalité sur deux extrêmes de la distribution des positions sociales : d’un côté, les talents – mais les talents ne sont pas le premier sentier de la distribution des revenus ; cela concerne peut-être 30 % de la population. Et, de l’autre côté, symétriquement, les personnes qui peuvent organiser, faire vivre les services dont ces talents ont besoin. C’est un peu en contradiction, ou en paradoxe – il faut trouver le terme le plus adéquat – avec ces classes moyennes qui, dans les politiques d’attractivité, ne sont pas repérées comme étant les cibles principales. Je vous propose trois oppositions finales, en franglais, qui me semblent ramasser les sujets que nous avons cherché à aborder sur ces questions des politiques à adapter en fonction de l’évolution des modes de vie, de la démographie et du souci d’attractivité. Il y a un grand sujet qui est de savoir s’il faut investir sur les territoires – j’entends par là soutenir publiquement la mise en place d’équipements ou de services – ou si, au contraire, il ne faut pas donner directement aux populations : par exemple, donner un vélo plutôt qu’organiser un service Velib’. En matière de rénovation urbaine, de politique de la ville, de gestion des quartiers en difficulté, de la Louisiane aux quartiers sensibles français, faut-il réhabiliter ou, au contraire, ne faudrait-il pas servir des chèques aux populations, à charge pour elles d’être responsables de ce qu’elles vont faire de cette contribution publique qui leur est apportée ? Un deuxième sujet est celui des talents, que l’on peut imaginer être une nouvelle forme du brain drain, dont nous avons beaucoup entendu parler et qui, dans une certaine mesure, est opposé, parallèle, concurrent à un autre phénomène que l’on peut appeler le care drain, qui se repère à l’échelle internationale. C’est ce que François Cusin déclarait avoir vu dans l’avion : ces migrations des nounous. Le care drain est le besoin qui peut être repéré partout pour faire vivre ces services et ces villes dynamiques et talentueuses. 58 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité La dernière opposition est celle du Nimby et du Wimby. Le Nimby est l’acronyme anglais qui signifie : not in my back yard. En clair, dans l’ensemble des populations qui peuvent être enquêtées, en particulier en Occident, tout le monde est d’accord pour qu’il y ait des services de prise en charge des personnes droguées, des sans-abri… En France, on est d’accord pour avoir du saucisson, mais on ne veut pas qu’il y ait une porcherie à côté de chez soi ; on ne veut pas que l’équipement collectif soit implanté juste à côté de chez nous. Ce Nimby est devenu un dilemme pour l’urbanisme, au cœur des préoccupations des élus, mais aussi des habitants, qui ne font pas montre d’un égoïsme démesuré en refusant simplement l’implantation, à côté de chez eux, de quelque chose qui va faire diminuer leur rente foncière. Mais se pose de plus en plus la question du Wimby, c'est-à-dire welcome in my backyard. Par rapport à des niveaux de ségrégation qui peuvent augmenter, emmenés par les classes moyennes, se pose le problème de la diffusion, dans la ville, d’équipements collectifs, avec des péréquations qui donnent un peu plus d’équité dans la distribution des services et équipements dont tout le monde a besoin. Je ne peux m’empêcher de terminer, puisque nous avons beaucoup travaillé sur les questions d’attractivité occidentale, en montrant que ce dont nous avons débattu là, ce que nous avons évoqué ici, concerne certes les villes, mais des villes bien particulières : les villes riches et bien nourries, de Hambourg à Berlin, en passant par Paris et Orléans. Le cartogramme que j’affiche expose ce qu’est le monde, représenté de manière originale, c'est-à-dire totalement déformé, en fonction de la part de population mondiale qui se trouve, sur chacun de ces territoires, connectée à des systèmes d’égout et d’assainissement de l’eau. Vous voyez là l’Afrique. Alors que l’urbanisation à venir est une urbanisation africaine et asiatique, nous en sommes, nous, à nous poser des problèmes de riches, sur ces questions d’attractivité. Voilà ce que je souhaitais dire, pour l’ensemble des questions que nous avons pu aborder, traiter, en concluant sur le fait que nous sommes ravis de l’opportunité qui nous a été offerte de nous pencher sur ce sujet, qui est un mélange de recherche et de marketing, le marketing étant en soi une quasi-science, désormais. A lex Ta ylor Je vous propose de balayer la salle pour prendre quelques réactions. Fra nç ois Cusin Nous avons passé en revue la plupart des palmarès qui existent et qui sont, d’un point de vue scientifique, assez peu satisfaisants. C’est plutôt une mine d’idées, à partir d’indicateurs. Ils traduisent une évolution dans la façon dont on réfléchit sur la ville et dans la façon dont les décideurs vont être amenés – ou le sont déjà – à prendre des décisions ; les décideurs politiques, économiques, et les décideurs que nous sommes, c'est-à-dire des citoyens ayant une certaine propension à la mobilité, et une propension croissante. Cela dénote, comme l’a rappelé Julien Damon, une concurrence entre les villes qui, à l’heure de la globalisation, va croissant. Cela dénote aussi que la mobilité géographique et professionnelle, même si elle est plus faible en France que dans les pays anglo-saxons, par exemple, va augmenter, et que les arbitrages vont plutôt porter sur des compromis entre des opportunités d’emploi et de la qualité de vie. Derrière cette notion d’attractivité, il y a l’idée de compétition croissante entre les villes et l’idée que la qualité de vie va être un élément décisif des choix de mobilité. Pour reprendre l’exemple d’Orléans, dans notre petit tableau, où il y a toutes les composantes de l’attractivité, il ne faut pas négliger celles qui sont de l’ordre symbolique. Effectivement, on analyse toutes les composantes objectives auxquelles vous faisiez allusion, en parlant du cas de Berlin et de ses espaces verts. Il y a des composantes objectives, dont on peut mesurer l’impact, mais il y a aussi les composantes symboliques, pour lesquelles c’est beaucoup plus difficile. Dans notre tableau, il y a un élément qui est assez décisif : le sentiment de centralité. Au fond, on observe que les Parisiens quittent Paris : le centre, la banlieue et le périurbain. Beaucoup arrivent, mais davantage encore partent. S’ils partent, c’est vers des villes de moindre ampleur, mais qui offrent ce sentiment de centralité. C'est-à-dire qu’elles ont une offre urbaine globale. Aujourd'hui, on peut être connecté au monde entier à travers Internet, pour l’information ; où que l’on soit, on peut télétravailler. De plus en plus de salariés le feront. Mais il y a cette idée d’offre globale, où des villes de moindre importance ou de taille moyenne ont maintenant leur épingle à tirer en jouant sur les leviers du marketing urbain, en faisant des choses et en le faisant savoir, mais en offrant des services globaux, dont l’animation. L’offre culturelle est décisive mais, peut-être plus que les musées, ce sont les offres de sortie qui sont déterminantes. Et un point essentiel que l’on connaissait, mais que l’on a vu apparaître clairement dans toutes les enquêtes que nous avons balayées, est la question des lieux de consommation. Il y a une évolution assez radicale, qui est parallèle dans la plupart des grandes villes françaises et des villes européennes : le retour en grâce des centres-ville, dans lesquels les lieux de consommation sont pensés de manière ouverte sur la ville. Je parlais du cas de Bercy village, à Paris. Ce sont des lieux mixtes où l’on travaille, on consomme, on habite, et c’est ce retour en grâce des centresville qui montre l’impact, l’enjeu symbolique et réel des lieux de consommation. 59 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Deux exemples : le marketing urbain. Il est important de faire savoir. Mais il y a des limites. À la fin des années quatre-vingts, Nantes a vendu pour des cadres parisiens les attraits d’une ville où il y avait de nouvelles opportunités d’emploi, et d’une ville « au bord de la plage ». Aux dires de notaires et d’agents immobiliers qui ont vu débarquer des Parisiens, ceux-ci ont cherché la mer… Le marketing, c’est efficace, mais il y a aussi un principe de réalité. Les gens sont repartis. À l’inverse, le meilleur exemple de marketing urbain qui s’est traduit dans les faits est celui de Londres, et notamment du quartier des Docklands. Il y a eu une mutation assez rapide d’une ville qui a beaucoup communiqué, mais qui a aussi transformé considérablement cette opportunité foncière extraordinaire, en plein cœur de ville. C’est devenu l’exemple type. À moindre échelle, on parle aujourd'hui, dans toute la littérature consacrée au marketing, de « l’effet Bilbao ». Dans ce cas, c’est l’acte symbolique et culturel qui a précédé, mais il y a eu une revalorisation assez radicale de la ville et du territoire environnant. Derrière le marketing urbain, il y a la communication, mais cette communication a des effets réels, parce qu’elle peut faire venir des populations et changer assez rapidement l’image de marque d’un territoire ou d’une ville. A la in L ec omte, président de la troisième sec tion a u c onseil généra l de l’environnement et du développement dura ble du MEED D M En écoutant les exposés de ce matin et de cet après-midi, je me demande si ce que l’on présente en termes d’attractivité, au fond, n’est pas un moyen de défendre nos villes européennes dans la concurrence mondiale et dans une Europe vieillie. La ville n’est-elle pas maintenant notre argument économique par rapport à une compétition dans le monde où des villes asiatiques ou sud-américaines se développent fortement ? Une deuxième chose me frappe, qui ne relève pas de la prospective, mais de la rétrospective : nous sommes passés de la ville sauvage du XIX e siècle – référons-nous à toute la littérature que nous connaissons – à la ville domestiquée, d’une certaine manière. Il me semble, et je mets cela en lien avec les éléments démographiques, que la ville est devenue un élément de protection très fort, à la fois pour les familles monoparentales, par exemple, qui y trouvent un certain cadre, et pour les personnes âgées seules. Il y a une transformation de la ville. Nous avons beaucoup parlé de la ville, mais pas des typologies de villes, et nous n’avons pas replacé les villes européennes dans l’ensemble des villes mondiales. U n pa rtic ipa nt À propos de l’image, définir un certain nombre d’objectifs est une bonne chose, mais il n’y a pas d’image possible sans projet. Cela a été très bien expliqué à propos de Nantes. Je vais prendre deux exemples. Que se passe-t-il à Bilbao ? Ce n’est pas l’architecture de Frank Gehry qui fait Bilbao, c’est Guggenheim, qui décide le paradoxe de mettre ses œuvres dans une œuvre à Bilbao. C’est cela qui nous étonne. Bilbao existait bien avant Guggenheim. C’était, et c’est toujours, le grand port atlantique de l’Espagne. Mais qui allait en weekend à Bilbao, avant que Guggenheim s’y installe ? Personne d’entre nous. Et subitement, on y court. C’est un phénomène paradoxal. Je vous donne une petite image. Un jour, le maire d’Amiens me dit : « ma ville a une image déplorable. Pas un seul cadre universitaire n’y habite. Pas un seul. » En étudiant la chose, il a même remarqué qu’il y avait des gens qui habitaient Villeneuve-Saint-Georges et qui mettaient une heure pour atteindre Paris, plus une heure pour atteindre Amiens. Ils venaient faire cours à l’université sur deux jours, en passant une nuit à Amiens et en se dépêchant ensuite de rentrer à Villeneuve-Saint-Georges. J’étais face à lui. Il ne m’a pas payé. C’était une consultation de vingt minutes, et il la raconte toujours – il s’agit de Monsieur de Robien. Je lui ai dit : mais pourquoi n’offririez-vous pas à dix enseignants un logement gratuit pendant un an ? Cela ne coûte pas très cher. Le patron de l’Opah, qui était là, a reconnu que c’était une bonne idée. Et, en effet, les enseignants sont venus. En un an, ils pouvaient économiser et s’acheter une résidence secondaire. Longtemps après, Robien m’a dit que cela avait parfaitement marché, qu’aucun n’était reparti et que tous les ans, il mettait dix logements à la disposition de nouveaux enseignants qui, au bout d’un an, payaient leur loyer. C’est un projet tout bête qui a fait qu’aujourd'hui, énormément d’enseignants universitaires habitent Amiens, ce qui n’était pas le cas avant. U n pa rtic ipa nt Tout ce débat sur l’attractivité est très intéressant, parce que cela montre une mobilisation des édiles au service d’un territoire. Il y a un fort mouvement régionaliste, que Raymond Barre avait théorisé quand il était maire de Lyon en parlant de « l’Europe des cités ». Il existe aujourd'hui une vraie compétition des villes, sur des critères certes peu rationnels, mais à la limite, peu importe, puisque cela permet aux classements d’évoluer et aux villes, de passer les unes devant les autres, ce qui est assez motivant pour les différents maires. Ceci amène quelque chose de très positif : il y a désormais une vraie volonté de faire du développement urbain comme vecteur d’attractivité, alors que pendant longtemps, il y a eu une prime à 60 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité l’immobilisme au niveau électoral. Aujourd'hui, un maire qui ne fait rien est battu ; un maire qui agit a toutes les chances d’être réélu. C’est cette note d’optimisme que je retiens. Quant à l’exemple de Bilbao, tout le monde peut avoir un Guggenheim, à condition d’accepter de se faire soulager de 150 M€ au passage. Il peut y en avoir un mais je ne crois pas qu’il puisse y en avoir une quinzaine. A lex Ta ylor C’est sur ces mots que nous allons conclure aujourd'hui. Quelques personnes souhaitaient s’exprimer, mais nous aurons encore largement le temps de vous donner la parole demain, lors de la table ronde qui suivra notre visite. Quelques mots de conclusion ? J ulien D a mon La ville a longtemps été considérée comme le problème, et ceci jusqu’à très récemment ; elle est aujourd'hui de plus en plus considérée, à l’échelle internationale, comme la solution. A lex Ta ylor Gérard Perreau-Bezouille, de la mairie de Nanterre et du Forum des autorités locales de périphérie, va nous présenter une petite synthèse de fin de journée. Conclusion Géra rd Perrea u-B ez ouille, premier a djoint a u ma ire de la ville de Na nterre, c oordina teur du Forum des a utorités loc a les Ce n’est pas une synthèse que je vais vous présenter. J’ai beaucoup appris, comme vous tous, à travers la grande densité de ce qui s’est dit. J’ai plusieurs questions à poser. En préliminaire, j’ai un petit problème d’échelle sur ce que l’on entend par ville. Beaucoup de contradictions traversent ce mot. En plus, la ville est parsemée de disparités, de fragmentations ; il y a des différences d’échelle. Il y a intérêt, y compris sur les dimensions de mobilité, à avoir une vision un plus précise de tout cela. Si l’on a une vision plus propre, plus proche de ce à quoi l’on veut aboutir, on saura peut-être mieux quelle ville nous voulons fabriquer et pour qui. J’ai un point de vue un peu particulier parce que j’anime un réseau qui regroupe 200 villes de banlieue du monde entier et qui s’appelle le Forum des autorités locales. Une plaquette est à votre disposition, qui rend compte du rendez-vous que nous avions organisé à Nanterre, en 2006, et nous en aurons un prochainement, à Getafe, dans la banlieue de Madrid. C’est aussi pour cela que j’ai ce point de vue et que j’ai cherché à agacer un peu en parlant précédemment du Mirail ou de Marzahn, puisque Marzahn fait partie de notre réseau, comme d’autres villes de banlieue. Toutes ces questions sont posées. Il y a un point qui a été soulevé à plusieurs reprises, mais qui n’a pas été exploré jusqu’au bout, et que l’on n’a peut-être pas suffisamment pris en compte – je prends l’exemple de Paris, mais on pourrait prendre celui de n’importe grande métropole du monde. C’est ce passage du 3 millions plus 2 millions, à 2 millions plus 7 millions, et plus 2 millions. Il faut bien mesurer ce que cela porte. C’est un phénomène mondial, et l’on fait le constat de manière intéressante par les transports, mais je crois que cela se pose dans toutes les dimensions de l’activité humaine dans les métropoles. L’une des questions majeures qui est posée aujourd'hui est non seulement de prendre en compte ce rapport entre centre et périphérie, mais d’inverser le regard, d’inverser les actions, d’inverser les décisions. En effet, « démographie » a une racine commune avec « démocratie », et quand on dit qu’il y a 7 millions de personnes qui vivent dans la couronne dense, ce sont elles qui sont maintenant majoritaires, dans ces métropoles ; et je pense qu’elles ont des choses à proposer. Je crois donc qu’il faut inverser le regard, mais aussi qu’il faut créer des regards transversaux. On m’a demandé de prendre la parole pour un « temps conclusif avec une note personnelle », mais j’ai plutôt envie de vous donner quelques remarques personnelles qui, après tout, seront peut-être conclusives. Cela permettra éventuellement d’avancer pour le travail de demain. J’ai accepté de faire cette conclusion parce que les deux thèmes qui ont été abordés cet après-midi correspondaient assez bien aux questions que je me pose aujourd'hui pour le développement de ma ville et pour le développement de la ville en général. Pour ma part, je suis plutôt favorable à l’extension des droits : les droits des citoyens, les droits des habitants, les droits des gens… Et je crois qu’il y a nécessité de revenir sur le droit à la ville. Comment, aujourd'hui, conçoit-on le droit à la ville ? Je crois qu’il faut aujourd'hui l’étendre à un droit à la métropole. Nous avons bien vu, à propos des transports, que la question de la mobilité était au cœur du droit à la métropole, à l’heure actuelle, dans des méga-métropoles comme il en existe aujourd'hui. 61 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité L’idée d’attractivité me convient bien aussi parce que pour moi, l’attractivité a un rapport avec l’identité de la ville, sa culture, ce qu’elle porte, le sens qu’elle donne à son action, c'est-à-dire donner de la fierté aux habitants pour qu’ils soient mieux dans leur ville et construire des solidarités actives. C’est un peu ce que je mets derrière la notion d’attractivité. Ce n’est pas forcément tout ce que j’ai entendu, mais ce n’est pas grave : cela permet d’avancer. Pour ma part, je suis premier adjoint d’une ville très attractive : j’ai VINCI, Véolia, Axa, la Société générale… J’ai même le fils du président qui voulait venir chez nous ! Donc, Nanterre attire… Mais est-ce que cette attractivité-là résout les problèmes posés dans ma ville ? C’est une question qui est plus complexe. 20 % des habitants vivent en dessous des minimums sociaux. Je vous fais grâce du nombre de demandeurs de logements, de chômeurs… Mais je voudrais indiquer que cette croissance que nous portons beaucoup et qui est derrière la notion de compétitivité ne fait pas forcément du développement local, même quand on s’y accroche. J’ai bien entendu qu’il fallait vouloir. Nous, nous voulons : nous menons quantité d’actions, nous avons des moyens financiers pour le faire, puisque toutes les entreprises que je citais paient des taxes, mais cela ne suffit pas, parce que – il y a d’ailleurs beaucoup d’études intéressantes sur le sujet – de nombreux emplois qui arrivent sont des transferts d’emplois venant d’ailleurs. Cela ne construit donc pas le développement local. J’ai noté trois mots : « inquiet », « perplexe », « interrogé ». Je vais vous donner quatre ou cinq pistes sur lesquelles, à partir du débat d’aujourd'hui, je suis inquiet, perplexe et interrogé. D’abord, je suis inquiet à propos des services publics et du discours, maintenant un peu récurrent, selon lequel, en gros, il ne serait plus besoin de services publics et où l’on pourrait, uniquement par un travail sur des services marchands, répondre à beaucoup de questions. J’en pose une : comment la femme de ménage ou le gardien de nuit des tours de la Défense, qui habite en Seine-Saint-Denis, pourrait-il venir y travailler quotidiennement s’il n’y avait pas de services publics ? C’est une première question. Ensuite, je suis inquiet par rapport à la place des gens. Les gens, on ne les voit jamais. Cela m’embête. On les voit en incidence. C’est ce que je ressens de la présentation. C’est vrai pour les gens et pour les habitants. On les voit de temps en temps : j’ai compris qu’ils étaient plus âgés, qu’ils n’étaient plus que des consommateurs. J’ai compris aussi, à un moment, que finalement, leur intervention gêne, alors que parfois, elle peut permettre d’avancer. Mais les associations gênent. Ensuite, ils ne décident plus grand-chose dans le cadre démocratique. Chaque fois que le mot « électeur » a été évoqué, c’était plutôt dans un sens péjoratif, pour dire qu’à cause des électeurs, il y avait des pesanteurs. En fait, ils sont gouvernés dans le cadre d’une gouvernance. Ils sont sujets ; ils ne sont plus acteurs. Et c’est un sérieux problème dans une métropole comme la métropole parisienne, qui concentre un cinquième de la population. Il ne faut pas s’étonner, ensuite, s’il y a un taux d’abstention aussi important aux élections, en France. Je suis aussi interrogé par un autre aspect, qui a été évoqué ce matin. Je connais bien Paris, donc je ne pose pas la question pour Paris ; mais de quel niveau parlaient les intervenants, ce matin ? Pour Hambourg, par exemple, est-ce l’État, l’État fédéré, la ville de Hambourg ? Y a-t-il une organisation métropolitaine ? Je crois que cela a une importance pour savoir comment cela se construit et je trouve très symbolique qu’Athènes, c'est-à-dire la ville que tout le monde a considérée comme la plus inquiète, la plus confrontée à des difficultés, soit présentée par un universitaire, c'est-à-dire par quelqu’un qui observe, mais pas quelqu’un qui agit. Je suis inquiet et interrogé par la notion d’attractivité, parce que si c’est une attractivité qui sert à exclure l’autre, quel qu’il soit, celui qui est à l’intérieur ou celui de l’autre ville, c’est une attractivité qui rejette et qui ne me convient pas. Je suis inquiet du fait de beaucoup de chiffres que j’ai entendus, mais je vous en fais grâce. En réalité, je crois que je suis inquiet d’une manière générale, que je suis interrogé, perplexe par rapport à la démesure. Nous sommes dans un monde de démesure. J’ai l’impression que nous n’avons pas encore digéré la crise systémique qui vient d’avoir lieu et tout ce qu’elle a comme conséquences, dans toutes les dimensions aujourd'hui posées, tant environnementales qu’économiques, financières, en matière d’emploi… Toute cette démesure m’interroge. Si je reprends l’exemple de Nanterre, je crois qu’il n’est pas encore trop tard pour que Nanterre apporte ce qui lui manque à un quartier d’affaires comme la Défense, qui est emblématique, qui a de l’attractivité, mais qui a du mal à trouver un second souffle. Il lui manque de l’humain, du vivant, il lui manque des gens. Et le tout, dans une métropole qui pourrait sans doute être beaucoup plus polycentrique, où chacun pourrait se retrouver mieux avec un rééquilibrage est / ouest. En effet, la question des transports est très importante, mais la ligne de métro et la ligne de RER sont saturées parce que les gens n’habitent pas de ce côté. Il y a toutes ces questions de mixité qui ne sont pas posées et qui devraient être au cœur de nos réflexions. Bref, il s’agit de concilier une ville à vivre, une ville à travailler, une ville à produire, une ville productive, au sens le plus grand que peut porter ce mot dans la vie d’aujourd'hui. Je crois encore possible de plaider pour 62 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité une sobriété heureuse, dans une ville humaine sensible et dans un monde qui est en train de se transformer, qu’on le veuille ou non. A lex Ta ylor Merci pour ces réflexions que vous nous apportez pour la nuit. C’est le propre de ce think tank, après tout. T abl e -ronde n° 3 : Comment adapter les territoires aux changements ? A lex Ta ylor Notre débat d’aujourd’hui a pour thème : comment adapter des territoires aux changements ? Nous allons commencer avec la ville vivante et les politiques publiques. Qui mieux pour en parler que Michel CantalDupart, architecte et urbaniste ? Il va nous étonner et nous surprendre et surtout nourrir nos débats. Mic hel Ca nta l-D upa rt, urba niste L e rôle des politiques publiques Je voudrais d’abord vous remercier parce que je suis très ému d’être à Hambourg. Je suis très ému que vous m’ayez invité. Je suis un grand amateur des rivières souterraines et il y a une rivière souterraine qui me fascine et me passionne : celle des morceaux d’Airbus qui partent d’ici et qui aboutissent à Toulouse pour être montés. Cette longue chaîne commence par embarquer sur un cargo qui s’appelle le « Ville de Bordeaux ». Le bateau en question s’en va chercher des pièces au Royaume-Uni et à Saint-Nazaire, arrive sur la Gironde et déverse ces pièces sur une barge qui elle-même passe sous le pont de pierres à marée basse - avec un marnage aussi fort que celui que nous avons rencontré au bord de l’Elbe tout à l’heure - puis, avec quelques centimètres, réussit à aller à Langon. Là, summum de l’intermodalité, les pièces sont chargées sur des camions qui ont fabriqué une route qui leur est réservée, sans ligne électrique. Ce convoi ne se promène que la nuit. Pour aller de Langon à Toulouse, il faut deux nuits et la journée étape se passe dans une petite ville qui, depuis 1900, a le même nombre d’habitants. Cette petite ville s’appelle Gabarret. Bien sûr, vous ne connaissez pas Gabarret, mais c’est le lieu où je suis né. Je suis donc dans un petit chaînon qui part d’ici et qui finira à Toulouse. Je vous remercie, Hambourg est une ville très exemplaire et une très grande ville européenne. La visite que l’on a faite ce matin me le démontre encore de façon cuisante. Ma première diapositive est une peinture d e Picasso qui est au MoMA et qu’il a intitulée « La table de l’architecte ». On cantonne assez les architectes aux dessins qu’ils font sur les tables de restaurant et aux crayons de couleur qui, en principe, hantent leurs poches. Je vais essayer de vous dire que la ville peut être une démarche et une vision qui sont peut-être à la synthèse d’un certain nombre de technologies. Je vais m’y employer. Comme à l’opéra, il va y avoir une ouverture, trois axes et un final. Nous avons parlé hier du problème démographique. A partir du début du XX ème siècle, de 1900 jusqu’à la fin du siècle, les plus grandes villes qui rassemblaient les populations les plus importantes étaient les villes les plus développées. Ceci est en train de changer totalement. Il y a quelques années, la ville de Lagos ne faisait pas partie des trente plus grandes villes du monde. Aujourd’hui, elle tend à être la troisième. La photo suivante vous montre un camp en Afrique. C’est un problème urbain. Les populations ne cessent de se déplacent, et cela, sans parler des immigrés. Vous voyez ensuite Disneyland, une ville imaginaire qui nous fait un peu rêver. Enfin, je vous montre une photo de SDF que j’ai prise à Issy-les-Moulineaux. Elle ne pourrait plus être prise aujourd’hui puisque des magasins remplacent maintenant ces arches qui servaient d’abri. C’est un problème que l’on trouve dans l’essentiel des villes et qui est devant nous. Troisièmement, on parle beaucoup de handicap mais très peu de l’obésité. Or l’obésité est un gros handicap. Je suis professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. Nous avons beaucoup travaillé avec le Professeur Hercberg, un nutritionniste qui a alerté les pouvoirs publics, il y a de ça une dizaine d’années, en leur disant que l’obésité arrivait en Europe et qu’elle allait se propager exactement comme elle se propage aux Etats-Unis. Il faut commencer à travailler. On parle de mauvaise nutrition et de mauvais comportements mais la ville est très responsable. Sachez qu’il est pratiquement impossible aujourd’hui pour un enfant de huit ans, de se promener seul dans une ville, ce qui était assez commun il y a une cinquantaine d’années. Il y a avait un auto-déplacement qui n’existe plus. On accuse le Coca-Cola et la télévision mais la ville est la première responsable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, avec le Professeur Hercberg, nous avons travaillé sur ce sujet. Nous voulions mettre, dans tous les ascenseurs : « Evitez de prendre l’ascenseur, prenez l’escalier ». J’essaie de le faire systématiquement, ce qui explique un peu que je sois en forme. 63 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Enfin, je voudrais aborder un dernier point très grave dans les villes. J’ai choisi cette photo du 11 septembre qui montre les New-Yorkais ébahis de voir ce qui arrive. Les phénomènes de terrorisme et de sécurité se posent à nos villes comme ils ne s’étaient jamais posés auparavant et ils ne régresseront pas. Premier acte : nous allons parler d’analogie. Plusieurs conférenciers parlent de la ville en faisant référence au corps humain. Vous voyez toutes les expressions qui ont à voir entre la biologie, la circulation et tout ce que l’on dit quand on parle de la ville. On a dit aussi que la ville s’étendait en tâche d’huile ou en doigt de gant. On trouve la ville un peu anthropomorphique. En fait, je préfère l’idée de l’arbre parce que l’analogie est plus forte. Une ville ne bouge pas. Elle est immuable, tout comme un arbre qu’il est difficile de bouger. L’arbre montre bien les choses. Pour filer la métaphore, on ne peut pas parler d’une commune comme d’un bout du tronc d’arbre et ommettre d’évoquer ses ramures et ses racines. Une agglomération a des racines. Pour prendre l’exemple de la visite que nous avons faite ce matin, il y a les racines des gens, celles des marins avec les drapeaux qui témoignent de la présence de bateaux pouvant venir de loin. Il y a les racines du fleuve qui a une mémoire et qui sait qu’il peut déborder et gêner la ville. Il y a donc une large approche patrimoniale qui dépasse les monuments que l’on crée. Pour ce qui est des ramures rappelons-nous qu’un arbre ne croît pas indéfiniment. Selon l’espèce, nous savons la dimension optimum qu’il aura, toutes variations comprises, en fonction de la composition du sol, etc. Pour que l’arbre vive, il faut qu’il y ait de la sève et donc une certaine circulation. Mais un arbre sécrète également des tas de choses et abrite des tas de pucerons et d’animaux. A base de bouillie bordelaise, on aimerait qu’il n’y ait aucun insecte dans les arbres et qu’ils soient purs. Je me méfie personnellement de rêver d’une ville sans habitant, de rêver de transports publics sans voyageur. On a parfois cette tendance à prévoir un vecteur de transport d’un point A à un point B qui ne servirait qu’à circuler très rapidement. J’aime bien cette analogie parce que dans l’arbre, il y a des oiseaux. Volontairement, j’ai pris l’exemple des oiseaux qui sont les pires qui soient pour les villes, à savoir des étourneaux, ces horribles oiseaux qui font caca sur toutes les voitures et qui stationnent sur les ramures de nos beaux arbres d’alignement que nous avons dans certaines de nos villes. J’ai une petite collection de nids et je vous en ai présenté certains qui rassemblent divers matériaux. Même si la composition est à peu près la même, la diversité architecturale vient agrémenter la ramure de nos arbres. Acte II : principes. Je reprends ici cet emblème des Borromées qui était sur leurs armes et qui était composé de ces trois anneaux. Ils sont enchevêtrés de telle façon que si vous en brisez un, les deux autres se disloquent ; ils sont mutuellement noués. Je pense que la réalité d’une ville, c’est d’une part son patrimoine, quel qu’il soit, patrimoine humain, patrimoine géographique et patrimoine monumental ; d’autre part, c’est la gestion d’un fonctionnement et des dysfonctionnements et enfin, c’est « la ville à faire », c’est-à-dire l’inventivité et la créativité. Dans la promenade que nous avons faite ce matin, nous avons vu comment tout cela fonctionne assez bien. C’est d’ailleurs assez admirable. Il y a un patrimoine qui est préservé, il y a toutes les connexions. Vis-à-vis du fleuve, je trouve que l’on est un peu léger en se mettant systématiquement hors d’eau parce que l’on provoque des bouleversements qui vont se répercuter ailleurs. Cela règle un certain nombre de fonctionnements et de dysfonctionnements de la ville. Cela crée également un nouveau quartier très près du centre. Nous avons vu comment nous pouvions aller facilement à pied d’où nous étions, dans la vielle ville, à cette ville nouvelle. En France, dans bien des quartiers qui sont faits aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Je pense en particulier à l’Ile de Nantes où il est encore difficile d’aller à pied du quai de la Fosse à l’Ile de Nantes, sauf peut-être en ce moment car le bateau « Le Belém » vient assurer un trait d’union. Enfin, nous avons vu aussi ce matin la ville à faire. Je trouve qu’Hambourg est un très bon exemple. Pourquoi ai-je pris ce triptyque et ces couleurs ? Parce que physiologiquement, nous possédons un filtre absolument incroyable en nous. Notre œil sait composer et décomposer ces trois couleurs qui nous permettent d’avoir une gamme chromatique parfaite. On retrouve cette vision à trois dimensions au XVIIIème siècle quand les encyclopédistes font l’Encyclopédie. C’est une invention de D’Alembert. D’Alembert dit qu’il faut tout traiter à partir de trois filtres : la mémoire, la raison et l’imagination. Ils vont donc tout traiter à partir de cela. C’est important parce que nous connaissons deux villes qui ont été faites sur les principes des encyclopédistes. La première, c’est Nancy. Nancy a la particularité d’avoir deux villes, une vieille ville et une ville neuve qui sont toutes les deux issues du Moyen-âge. Quand Stanislas va s’installer et quand le gouverneur de la France va s’installer en concurrence avec lui, Héré qui va faire la place Stanislas a l’idée absolument incroyable de disposer cette troisième ville non pas comme une troisième entité, mais dans les fossés qui séparent les deux villes entourées de leur enceinte. Il détruit l’enceinte et il fait donc la ville dans un endroit improbable. Il crée la ville de Nancy que nous connaissons et que nous admirons. Ce concept est très moderne. Il ne casse pas le patrimoine, mais il a l’imagination de faire une ville remarquablement moderne en cette seconde moitié du XVIIIème siècle. Le Premier Ministre Bompal s’est quant à lui dit inspiré des encyclopédistes français pour refaire Lisbonne qui avait été détruite par un tremblement de terre en 1755. Lisbonne était une ville entourée de murailles. Aussi Bompal décide d’ouvrir la ville. A l’image d’Hambourg, Lisbonne est une ville fluviale, même si à cet endroit, le Tage tient plus du fjord norvégien que de la rivière. Bompal ouvre une place sur ce port avec la volonté de s’ouvrir sur le monde entier et d’avoir une position d’accueil. Cela contrecarra l’enfermement qui existait auparavant. Ces choses ont été très bien dites hier 64 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité lorsque nous avons parlé de la tolérance des villes et de la manière dont nous pouvions les marquer tolérantes. Toujours par analogie, je passerai la ville au crible de la psychanalyse. Il est très intéressant de lire le livre de Freud quand il commence à parler du subconscient et du « malaise dans la civilisation ». Il raconte très bien comment notre subconscient est un peu comme une ville. Il compare notre subconscient et notre comportement à Rome. Il dit que Rome est faite d’une succession d’histoires. Selon que l’on soit promeneur et que l’on vienne déguster du bon café ou que l’on s’intéresse à la République ou l’Empire, on ne regardera pas les mêmes objets et on n’aura pas la même lecture de la ville. Sigmund Freund dans un premier temps, puis Jacques Lacan ont complètement déterminé ce qu’était l’approche analytique de tout individu. C’est incroyable de voir comment cela se rapproche de l’Encyclopédie puisqu’on y parle de symbolique, de réel et d’imaginaire. Rappelez-vous : mémoire, raison, imagination. Certes, la symbolique n’est pas la même chose pour les psychanalystes. C’est le langage et toute une culture. Le réel est une succession de choses plus conceptuelles, mais l’imaginaire, lui, a beaucoup à voir avec l’imagination. Dans son concept et son analyse de l’homme européen, Jacques Lacan dit que le trou central est le trou du désir. Je pense que la ville à faire doit être désirable. Nous devons faire des objets où nous avons envie de passer du temps. Ce matin, j’ai eu plusieurs fois envie de m’assoir aux terrasses. Elles n’étaient pourtant pas complètement meublées, mais j’avais le désir de m’assoir pour prendre un coup de soleil sur le nez ! Le désir de ville est fondamental. J’ai surtout parlé de la forme, mais nous devons aussi parler des gens. La ville est profondément topochronique. Elle est liée à un espace et au temps. Bien sûr, la ville doit être sensorielle, animée de tous les sens. J’ai été très heureux de voir cette préfiguration de la future salle symphonique. Dans un endroit improbable, en se penchant, nous pouvions écouter de la musique. Il y a une sorte d’approche sensorielle qui fait penser que c’est un endroit où l’on irait écouter de la grande musique, alors que l’on est dans un chantier plus ou moins bruyant. La ville sensorielle, c’est la ville du goût, c’est la ville des couleurs, c’est la ville visible, ce sont les perspectives. Nous avons entendu une très bonne symphonie ce matin. Enfin, les oiseaux donneront leur avis sur la taille des arbres, sur les ramures à abattre, sur les greffes à faire. La ville ne peut plus ne pas être participative. Pendant très longtemps – j’en parle en connaissance de cause – on disait aux gens que l’urbanisme allait leur expliquer les tenants et aboutissants de la ville. Je me rappellerais toujours d’un maire qui m’avait demandé de faire le réaménagement de la place de la mairie, mais qui avait dit que c’était mon idée et que j’allais l’expliquer. La situation a évolué. Maintenant, les élus sont plus proches des citoyens et organisent plus ou moins la participation. Je pourrai parler pendant une heure des diverses participations et de la manière de contourner un débat, etc. Passons à la diapo suivante. J’adore cette photo que j’ai prise un jour à Perpignan. C’est un trou fait dans un grillage pour permettre aux écoliers d’une zone urbaine sensible d’aller plus rapidement à l’école. J’ai trouvé ce passage très moral et je le garde en symbole parce que les villes se doivent d’avoir des chemins des écoliers. C’est peut-être la limite que j’émettrais sur la visite que nous avons faite ce matin. Que voulez-vous, c’est l’Allemagne et qui plus est Hambourg. Tout cela est clean et il est difficile de créer des traboules, des raccourcis. Comme il y aura beaucoup d’immigrés, Hambourg n’échappera pas à devenir malgré tout une ville un peu méditerranéenne. Faites-moi confiance. Troisième acte, le plus important. J’avoue que l’exercice que je fais est un peu gonflé parce qu’il y a actuellement un débat animé sur le sujet au Sénat : le Grand Paris. En ce moment, une petite joute va faire qu’une loi très importante sera votée ?. Pourquoi est-elle très importante ? Parce qu’elle est datée et que nous savons bien qu’il n’y a plus d’argent. Certes, mais je parle ici à des bâtisseurs, à des constructeurs. Vous n’allez pas arrêter de construire, que je sache ! Vous allez pouvoir construire plus librement car brutalement, des tâches de léopard vont s’installer sur l’agglomération parisienne. J’espère que ce sera fait en cohérence, qu’il y aura une certaine logique et qu’il y aura une vision stratégique. On va ressortir un article des poussières de nos règles d’urbanisme que sont les zones à aménagement différé qui donnent à l’Etat tout pouvoir de réaliser tel ou tel aménagement autour d’une base que sont les gares. Les gares seront le point d’orgue de toute cette évolution. Il y a neuf équipes dont celle du Groupe Descartes auquel David Mangin a participé. Je le remercie d’ailleurs car on m’a dit que c’était grâce à lui si nous étions à Hambourg. Pour en revenir à mon propos liminaire, je vais surtout vous parler de notre propre vision au sein du Groupe composé de Jean Nouvelle, Jean-Marie Duthilleul et moi-même. J’ai bien compris la leçon : ce n’est pas la ville sur la ville, c’est plus de ville sur la ville. Nous pensons qu’il faut arrêter l’extension des villes ou tout au moins la ralentir, qu’il faut mailler les transports en commun et arrêter de faire des grandes radiales qui ne font que concentrer les problèmes en des points qui ne peuvent plus les concentrer. Nous en avons parlé hier en abordant le sujet des lignes totalement saturées ou sursaturées. De plus, il n’est pas possible de faire un développement urbain sans intégrer les quartiers les plus débarqués, les zones urbaines sensibles. Nous pensons qu’il faut décider d’arrêter la ville et donc d’aménager les lisières. Aujourd’hui, la limite des villes est un lotissement qui tourne le dos à la campagne, tout simplement parce qu’on pense qu’un autre lotissement viendra plus tard. Il n’aura donc pas la vue et n’arrivera pas à se protéger. Nous avons vu ce 65 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité matin un très bel exemple de l’aménagement des lisières. Qu’est-ce que fait la ville d’Hambourg en aménageant les bords de l’Elbe ? Elle aménage les lisières. Comme on nous l’a très bien dit hier, personne n’avait vu qu’elles étaient là. Pourtant, elles étaient comme le nez au milieu de la figure. Il a fallu attendre cette décision d’aménager les bords du fleuve et de les organiser d’une autre façon. Je prendrai un exemple de Nantes où à partir d’un quartier excentré, en un quart d’heure, on a fait le tour de la ville alors qu’on n’a toujours pas atteint le centre. C’est un problème. Cette question de lisières provient d’un travail que j’ai fait il y a maintenant très longtemps pour sauver le site de Carthage. Il fallait déterminer ce qui était non pas la zone agricole et la zone urbaine, mais ce qui était la zone de fouilles et la zone où l’on pouvait construire. J’avais estimé qu’il fallait arrêter de construire. La mission de l’Unesco que je dirigeais avait pour objectif d’enlever les trésors et de faire un musée, pour pouvoir tout construire. J’ai convaincu les Tunisiens. A l’heure actuelle, avec une loi un peu bancale, ce périmètre est toujours protégé. Je leur ai dit que leur richesse était de garder ce patrimoine qui est très important. Comme vous pouvez le voir, je vais maintenant m’attarder un peu sur cette petite lisière qui a été aménagée autour d’un parc. Nous sommes à Agen et c’est au milieu de cette même lisière que l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire a aménagé ce qui est devenu un parc de la ville d’Agen. De la même façon, nous sommes en train de travailler sur la partie est du plateau de Saclay. Nous sommes en train d’imaginer comment le centre du plateau restera définitivement agricole et dès lors, comment créer un site, un peu comme cet agrégat d’immeubles que l’on a vu le long de l’Elbe ce matin. Nous pensons en outre qu’il faut travailler les pistes, voies et chemins. Je ne vais pas rentrer dans le détail, je vais simplement vous montrer une photo. Il s’agit du nord de l’aéroport d’Orly. Tous les parkings, toutes les voies, ainsi que la nationale 7 qui a été coupée brutalement, doivent être réorganisés, repris et revisités. S’il y a un endroit tout près de l’aéroport où les bruits d’avions ne sont pas entendus, c’est bien là. Je fais d’ailleurs tout un travail à Manhattan, à la demande des associations de ce centre de New-York, pour relier tous les parcs du nord de cette péninsule. Il faut également tenir compte du maillage. Nous en avons déjà parlé. Je vais simplement vous montrer une chose qui est très importante. Il a été dit hier une petite erreur. Quand le métro a été fait, il n’a pas été fait uniquement dans la zone dense de la ville de Paris. La ligne 1 a été faite en 1900, pour alimenter l’exposition universelle de 1900. C’était une vitrine remarquable. Le métro a été inauguré un peu après l’exposition universelle car il avait du retard. L’intelligence de Fulgence Bienvenue qui est l’ingénieur du métro, a été de faire tout de suite la ligne n°2, c’est-à-dire Etoile-Nation par Barbès-Rochechouart. Au moment où il a fait ce métro aérien, ce métro était dans des quartiers vides. Il y avait Montmartre, Belleville et la Villette qui étaient des villes constituées, mais le métro passait dans ce qu’était les fossés de Nancy que nous avons vus tout à l’heure. Il faut savoir que le métro a sécrété la ville et pas n’importe quelle ville : une ville dense avec les grands boulevards que l’on trouve aujourd’hui magnifiques. Nous proposons que dans l’agglomération parisienne, il y ait un maillage. Dans ce schéma que vous voyez, le schéma du « grand huit » de Christian Blanc est intégré. Nous ne nous prononçons pas sur la forme, nous laissons faire les spécialistes en la matière, mais nous savons qu’un schéma maillé doit exister. Nous devons pouvoir avoir des araignées partout qui distribuent en différents points de la capitale. Il n’est évidemment pas question d’avoir à transformer cette ville sans qu’il y ait une intervention forte sur notre urbanisme qui est un urbanisme qui marche sur la tête. Je vais prendre un exemple. Vous voyez des peintures de Mondrian, une photo d’Aulnay-Sous-Bois et une photo d’une maison de Mies van der Rohe. Quand le Bauhaus a été créé en Allemagne à Weimar, il a ressemblé des artistes qui ont travaillé sur l’esthétique des objets, sur des bouteilles, des cafetières, et sur des peintures. Ils ont repris les bases de ce qui s’est appelé le mouvement moderne. Ils ont même travaillé sur l’architecture. Cette maison de Mies van der Rohe et les nombreuses autres qu’il a faites sont sublimes. Cela devient en revanche complètement fou appliqué à l’urbanisme. Vous voyez ce grand ensemble d’Aulnay-sous-Bois. C’est d’un ridicule profond ! J’ai pris également l’exemple de dessins de Marcel Lods, un très bon architecte. Il travaillait un peu comme Mandrian et Kandinsky. D’ailleurs, ce sont de très beaux dessins, gardés à l’Académie d’Architecture. Ils ont donné la Pierre Collinet à Meaux, la Grande Synthe, et une ville grand ensemble, les Minguettes. Il n’est pas question de faire un Grand Paris sans y accrocher, tels des wagons qu’il faut forcément transporter, toutes les us qui existent. Ce n’est pas la forme des us qui est problématique, mais les mécanismes d’exclusion qui les entourent. Toutes les villes ont toujours fonctionné entre inclusion et exclusion. On fait des enceintes, on les détruit, on fait l’acquisition des faubourgs, on remet une enceinte, etc. Cela s’est arrêté au XIX ème siècle. Hier, nous avons parlé du Mirail. Sachez que Georges Candilis, quand il a fait le Mirail, n’a pas manqué de montrer comment sa forme urbaine avait à voir avec la forme centrale de Toulouse. Aujourd’hui, ce serait une ville durable puisqu’on ne peut pas y rentrer en voiture ni en ambulance à partir de 19 heures. Le problème, c’est qu’il y a 50 000 personnes en danger de mort toutes les nuits. Sachez qu’au deuxième étage de tous les immeubles du Mirail, vous voyez Airbus, le final de tout ce qui commence ici à Hambourg. 66 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Maintenant, parlons des nouveaux mythes et propagandes qui entourent la ville. Ils partent tous d’une notion que nous avons dans la tête et qui est difficile à crever, comme un abcès que l’on porte et qui nous rassure. Par exemple, quand on décide de faire un éco-quartier, souvent, on pense à l’arche de Noé. L’arche de Noé est une histoire que tout le monde connaît et qui appartient à différentes cultures. On a dit à un ivrogne, diton, de rassembler sa famille et de prendre un couple de chaque espèce animale. On connaît les dimensions exactes du bateau. C’est très technique, ce qui est d’ailleurs assez étonnant dans la Bible. C’est intéressant à lire parce que c’est très matériel. On connaît même les matériaux. Cela dit, dans le même bateau, il y avait des renards et des poules, des associations impossibles. On raconte bien une histoire. Cette histoire dit tous les mécanismes d’exclusion, de privatisation et d’enfermement que l’on voit dans la ville. Dante ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Dans sa Divine Comédie, il représentait l’enfer par une île. Thomas Moore ,quant à lui, pensait que la ville idéale était une île où tout le monde s’entendrait. Jules Verne, dans un de ses romans, imagine une île flottante faite d’une grande avenue centrale, avec d’un côté le catholiques et de l’autre les protestants, ce qui constituerait une sorte de ville idéale. Je vous montre cette carte. Ne croyez pas que j’insulte la ville de Marseille, ce que je me garderai bien de faire ici aujourd’hui. La moquerie que je vais faire sera destinée à la délégation interministérielle à la ville qui voulait que tous les quartiers dits sensibles soient entourés comme des patates. Ces patates sont terribles parce qu’elles marquent sur des cartes une certaine exclusion. Sur le site où j’étais il y a une dizaine de jours pour voir l’ensemble des quartiers, j’ai bien vu comment il fallait commencer à éplucher les patates pour réintégrer ces quartiers dans l’agglomération marseillaise. Quand nous avons commencé notre travail avec Jean Nouvel et Jean-Marie Duthilleul, nous avons dit de manière très ferme qu’il ne fallait surtout pas faire de patate. Nous interdisions aux différents acteurs de dessiner des patates. Pour terminer, je prendrai l’exemple de Saclay. Vous savez que l’on veut en faire un cluster. Il en a été question aussi hier. On veut y rassembler les écoles les plus dynamiques de notre Nation. Ce projet touche aux politiques publiques. On pense que les étudiants d’HEC vont parler aux Centraliens qui eux-mêmes échangeront avec les polytechniciens. Rien n’est moins sûr. Le président de la République nous a dit que ce qu’il voulait là, c’était la Silicon Valley. Comme nous travaillions avec des enseignants-chercheurs de la Columbia University, nous leur avons demandé comment avait démarré la Silicon Valley. D’abord, aucune puissance publique n’a décidé la Silicon Valley. C’est d’ailleurs étonnant parce que Berkeley est d’un côté de San Francisco et la Silicon Valley est de l’autre côté, comme si elle était un anti-Berkeley. Ils nous ont dit qu’au départ, la Silicon Valley s’est développée parce qu’il y faisait bon et que l’on y mangeait bien. Je peux faire un double témoignage. D’une part, sur le plateau de Saclay, quand il a fait très froid cet hiver, les congères avait disparu de toute l’agglomération parisienne, sauf sur le plateau de Saclay. Le verglas y reste plus longtemps, l’ambiance est sibérienne et nous sommes très loin de la température californienne. D’autre part, je travaille sur le plateau de Saclay et je dois hélas vous dire qu’à part deux ou trois kebabs particulièrement bien disposés auprès d’échangeurs ou de carrefours, on y mange épouvantablement mal, sauf « Au boudin blanc », le restaurant que tient madame Degène. Je peux vous dire qu’il y a du travail pour aboutir à la Silicon Valley. Pourquoi y mange-t-on bien ? Parce que le Mexique est tout à côté. C’est important. Il n’est pas question non plus de faire un grand Paris sans s’occuper de Paris. Ce serait trop bête de tuer la cerise pour mieux voir le gâteau. Nous ne pouvons pas faire un Grand Paris sans penser à y introduire de l’art. Pour finir, puisque j’ai parlé de Lisbonne, quitte à être enterré quelque part, autant que ce soit dans ce cimetière de Lisbonne qui est au bout de la ligne 28 et qui s’appelle « Le cimetière des plaisirs ». Pour revenir à l’aspect sensoriel des choses, il n’est pas possible d’imaginer une ville sans fête. Je vous remercie. A lex Ta ylor Avez-vous des questions particulières à poser à Michel Cantal-Dupart ? L ouis-R oc h B urga rd, direc teur généra l délégué de V I NCI Conc essions Je m’interroge sur ce que vous avez évoqué concernant l’aménagement des lisières. Dans une ville qui est tournée vers un fleuve ou qui est au bord de la mer, la lisière existe et surtout, elle est presque indépassable. Nous n’allons pas nous mettre, sauf dans certains cas, à construire sur la mer. L’aménagement est clair et surtout, il est pérenne. Est-ce que l’aménagement des lisières côté terre n’est pas en fait une sorte de réplique de la création des enceintes ? Certes, elles peuvent être belles et avoir des aspects esthétiques et inclusifs, mais elles sont amenées à être dépassées très rapidement. La ville, dans son extension terrestre, est en réalité très difficile à borner et à brider. Mic hel Ca nta l-D upa rt L’extension de la ville coûte très cher. Si nous considérons que le l’automobile est le complément des transports collectifs et que les transports collectifs sont le complément du transport automobile et particulier, il est bien évident que nous ne pouvons pas éternellement allonger la ville. Cela coûte trop cher. Cela demande des affectations, des rationalisations que nous sommes bien incapables de mettre en place parce 67 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité que nous ne sommes pas dans des Etats totalitaires et que nous ne pouvons pas dire aux gens que ceux qui travaillent chez Renault doivent habiter au-dessus de chez Renault et que ceux qui travaillent chez PSACitroën doivent habiter à Aulnay-Sous-Bois. Mardi prochain, je vais faire une conférence organisée par la MIF, devant les agriculteurs élus de l’Ile-deFrance. Pour la première fois, dans un document officiel et popularisé, on parle de l’agriculture comme on parle de la ville. Il ne vous viendrait pas à l’idée d’agrandir le XVI ème arrondissement sur le Bois de Boulogne. Le promoteur qui aurait cette idée ne pourrait pas la réaliser, même en proposant des logements exemplaires. Pour prendre un exemple, regardez les difficultés qu’il y a – j’en parle en connaissance de cause – à agrandir Roland-Garros. Le XVIème arrondissement a très bien su créer une lisière remarquable d’immeubles. Il en est de même le long du bois de Vincennes à Charenton. Quand il s’agit en revanche des plaines céréalières de l’Ile-de-France ou des plaines betteravières, l’attrait n’est plus le même. Il va falloir commencer à se soucier de la nourriture et des proximités de nos villes. Je parlais du plateau de Saclay. Il y a dix agriculteurs sur le plateau de Saclay. Quatre ont muté. Alors qu’il y avait un emploi et demi par exploitation, l’une de ces exploitations a aujourd’hui quarante emplois parce qu’elle fait de la proximité, du produit en vente directe. Les familles vont le dimanche matin acheter des œufs frais, etc. Un seul tente de faire de l’agriculture biologique. C’est de l’agriculture de proximité. Il faut que nous commencions à intégrer, dans nos plans d’aménagement et dans nos concepts, la protection des terres agricoles, ce qui se fait très bien à Montesson. J’ai vu un grand nombre de projets d’occupation de la plaine de Montesson, entre Carrières-sur-Seine, Chatou et Le Vesinet. La FNTP qui a puissance publique, a acheté des terres, mais ce sont de toutes petites parcelles ; Elle essaie de neutraliser l’agriculture, mais elle n’a pas réussi. A l’heure actuelle, comme je vous l’ai dit, le Sénat discute du Grand Paris. Sur la plaine de Montesson, poussent en pleine terre, sans tunnel, ni plastique, ni arrosage, des salades qui commencent à être distribuées en primeur sur les marchés autour de Montesson, alors que l’essentiel des salades qui sont distribuées chez nos primeurs poussent dans la région d’Almeria, sous tunnel et arrosées. Il faut y réfléchir. Les lisières de Paris qui représentent des milliers d’hectares sont maltraitées. Elles sont maltraitées par l’agriculture, maltraitées par la ville. Elles sont généralement des dépotoirs. D e la sa lle J’ai été très intéressé par l’exposé. Je voudrais simplement faire une remarque générale qui est liée au thème de la démographie. Nous sommes partis de D’Alembert, de Descartes, de la place Stanislas à Nancy, de Mondrian et donc de choses très géométriques. Nous pouvons cadrer la ville. Or, le débordement est le propre de la démographie et notamment de la démographie actuelle. On ne peut pas la cadrer. Dans le passé, la ville était à la fois une population, un endroit, une architecture dans un mur et un marché. Aujourd’hui, tout cela est complètement explosé et l’image de la ville démographique tient en des choses complètement différentes comme Laïos. Nous pouvons nous poser cette question : est-ce que l’urbanisme peut se substituer à une gestion des populations ? Foucault a parlé de la biopolitique, la ville vue comme une façon de gérer des populations. On sait qu’au XIXème siècle, Haussmann a géré les populations dangereuses en faisant une certaine architecture. Un certain urbanisme peut-il se substituer à une gestion des populations urbaines ? Voilà la question que je voulais poser. Mic hel Ca nta l-D upa rt J’y ai répondu un peu et je vais le rappeler. J’ai parlé d’un chemin des écoliers. Ce chemin des écoliers est très intéressant parce qu’il est à côté d’une école d’infirmières. Quand l’école d’infirmières qui a été implantée dans une zone urbaine sensible, est arrivée, le directeur de l’école qui avait très peur du quartier et a remplacé le grillage. Je lui ai dit qu’il avait tort, que le trou allait être refait dans les 24 heures et qu’il s’agissait d’un trou utile. Effectivement, dans la semaine, il y avait de nouveau un trou. Ils l’ont bricolé, mais il y a toujours un trou. C’est le chemin des écoliers et on n’y échappera pas. La ville ne peut plus ne pas être participative. Il y a trois niveaux de participation. Il y a la nôtre. C’est une certaine participation. On échange entre des gens qui ont des techniques différentes, des approches différentes, on s’enrichit. Je vais repartir plus intelligent dans l’avion d’Air France qui va nous ramener que lorsque je suis arrivé hier. C’est évident. Il y a la participation institutionnelle, celle des associations bien cadrées, des râleurs et des « éternels défenseurs de.. ». On sait comment négocier, comment discuter et faire passer quelque chose. Puis, il y a le grand nombre qui ne s’exprime pas. C’est la participation la plus complexe et la plus difficile à mettre en œuvre. Personnellement, quand je travaille sur des quartiers difficiles, j’ai ce que j’appelle le rouleau de calques. Nous n’avons plus de rouleau de calques depuis longtemps, mais j’en conserve un pour pouvoir me balader avec dans les quartiers. En le dépliant, je suis encerclé par des gens qui d’aucune façon, n’iront dans des manifestations, mais qui m’interrogent. C’est intéressant et très informel. L’avenir des villes doit passer par cette mise en œuvre de médiateurs urbains qui doivent permettre au plus grand nombre de s’exprimer. C’est passionnant parce que les gens s’approprient beaucoup plus facilement un 68 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité projet et sont beaucoup plus respectueux de l’homme d’imagination. De plus en s’appropriant le projet, ils en sont des éminents défenseurs. Ils participent ainsi à la sécurité et à la civilité dans la ville. A lex Ta ylor Quelle est la ville qui vous a le plus étonné du point de vue architectural ? J’ai envie de vous poser cette question. Mic hel Ca nta l-D upa rt C’est toujours le dernier amour que l’on aime le plus, mais on se rappelle toujours de la première fille que l’on a tenue dans ses bras. J’adore la ville de Nantes parce que j’y ai fait mes études. J’adore ce bourg de cabaret où on y a fait stationner les Airbus démontés. Il se trouve par ailleurs que je dois réaménager les abords de la cathédrale de Chartes. Le maire m’a demandé pourquoi je m’intéressais à ce projet. Il ne comprenait pas comment un architecte pouvait être complètement fasciné par cette construction qui au moment où elle a été faite, dépassait tout. Même encore aujourd’hui, on regarde cette cathédrale avec une grande humilité. Vraisemblablement, la ville que j’aime est celle où on m’appellera la semaine prochaine. Je ne la connais pas encore. A lex Ta ylor Merci beaucoup, Michel. Nous étions ravis de vous entendre. Nous sommes heureux d’avoir avec nous Colin Harisson qui est directeur de la stratégie Corporate auprès d’IBM et qui va nous parler des technologies. Comment les différentes technologies peuvent être mises à profit pour faire de nos villes des endroits plus vivables et plus conviviaux ? Vous avez la parole. Colin Ha risson, direc teur de la stra tégie – I B M Group L es tec hnologies a u servic e de la ville Je viens d’IBM, mais je ne vais pas vous parler d’ordinateurs. Vous parler d’informatique serait un peu à l’image d’un architecte qui parlerait du béton. Nous avons besoin d’informatique et IBM fait toujours des ordinateurs. L’année dernière, nous avons pu sortir 16 milliards de dollars de chiffre d’affaires dû à la fabrication d’ordinateurs. Cependant, nous sommes également une société de services, une société de logiciels et à l’heure actuelle, notre vision est de devenir une société qui apporte des solutions aux problèmes que nos clients rencontrent. Nous avons donc commencé, il y a environ quatre ans, à réfléchir à ce qui se passait dans le monde réel, c’est-à-dire dans le monde des villes. Un de mes collègues anglais est allé à des conférences de gestion des ressources en eau. Il n’y connaissait personne. Il se présentait en disant qu’il était de la société IBM et les gens le regardaient en lui demandant s’il ne s’était pas perdu et trompé de conférence. J’apporte peut-être ici une perspective un peu différente. Je me sens un peu isolé, je suis entouré d’éminents architectes, d’ingénieurs des travaux civils, de responsables, d’élus, de politiques etc. mais j’espère vous montrer que les technologies de l’information ont un rôle à jouer pour dessiner la ville de demain. Je vais vous dire tout d’abord ce qu’est Digital Foundation. Nous essayons de mettre les informations sous forme numérique. Il y a un certain nombre de processus qui sont à l’œuvre dans la ville et sur lesquels nous voulons informer. Je suis ingénieur de l’électronique. Nous avons vu cette merveilleuse maquette de HafenCity ce matin, je l’ai observée et je me suis demandé où étaient les gens. Les gens manquent. Où sont les courants, le vent, les bateaux ? Comme l’a dit l’intervenant précédent, il y a un risque d’oublier qu’il y a des gens dans ces villes qui vivent et qui génèrent de l’information. Ces dernières années, nous avons été en mesure de faire passer ces informations de façon utile. Plutôt que de faire uniquement de l’urbanisme, de la planification des villes, il faut savoir comment nous pouvons les faire fonctionner en temps réel. Cela a à voir avec la circulation d’informations et je vais en parler. Nous allons parler de quelques projets sur lesquels nous travaillons. J’espère qu’ils contribueront à vos réflexions. Je conclurai en disant quels sont les avantages de cette approche de mise à disposition de ces technologies de l’information. Commençons par l’économie. Vous voyez ici l’extrait d’un livre qui a été publié en 2002 ou en 2004 par un économiste vénézuélien, Carlota Perez. Elle étudiait le problème du cycle long en économie en expliquant pourquoi il y avait des périodes d’expansion très longues qui étaient suivies d’effondrements puis de nouvelles périodes d’expansion, etc. Elle a ainsi pu identifier cinq grands cycles depuis le début de la révolution industrielle de 1771. Tout commence avec une période d’innovation. Quelqu’un a une idée nouvelle, il y a une percée, avec un temps d’adhésion et d’acceptation relativement lent. Ensuite, l’invention prouve son utilité. Il y a ensuite une phase d’expansion extrêmement rapide avec énormément d’investissements dans cette nouvelle technologie. Il peut s’agir par exemple de ferroviaire. Ensuite, a lieu un effondrement. Vous 69 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité verrez que la plupart de ces cycles durent cinquante ou soixante ans. En tant que société d’informatique, nous nous intéressons surtout au cycle actuel. Nous pensions que nous étions à la fin du cycle du boom de l’internet. Madame Perez nous a dit que nous n’étions pas encore rendus au bout. Nous savons qu’il va y avoir des phases de décélération. Que se passe-t-il à la fin de ces cycles ? En général, des infrastructures sont construites dans le monde : un canal, des autoroutes, des voies ferroviaires ou dans notre cas, l’internet, c’est-à-dire l’infrastructure de l’information. Ces infrastructures restent à la suite de l’effondrement de l’économie qui a produit cette entité. Qu’obtenons-nous à ce moment-là ? Nous obtenons ce que j’appelle le socle numérique de la ville. Nous avons internet, nous avons des investissements dans l’automatisation et nous avons créé ce que l’on appelle un socle technologique. Il faut pouvoir avoir accès à l’information en temps réel, il faut que ce soit pratiquement immédiat. Il faut pouvoir voir par exemple combien d’énergie a été consommée, combien d’eau est en circulation, combien de véhicules passent par certains points de passage de la ville. Il faut s’en rendre compte en temps réel ou rapidement. Il faut donc examiner ces données de plus près et regarder plusieurs données ensemble plutôt que de façon isolée. C’est ainsi que l’on peut commencer à appliquer des modèles mathématiques. C’est ce que font les ordinateurs. Beaucoup des principes qui sont utilisés en matière d’urbanisme depuis des décennies peuvent désormais être intégrés à des processus décisionnels en temps réel, pour pouvoir gérer au plus près des besoins. En tant que société de l’information, nous essayons de voir comment les villes sont gérées, ce qui ressemble beaucoup à la manière dont était gérée la société industrielle il y a trente ou quarante ans. A cette époque, si vous étiez allés voir un constructeur aéronautique, vous auriez vu qu’il y avait des ordinateurs, mais que personne ne se parlait. Les achats portaient sur la base d’un plan qui avait été développé des mois auparavant, en ce qui concerne les volumes qui étaient nécessaires. De la même façon, les ressources humaines suivaient des plans sur la base des qualifications dont elles avaient besoin de se doter pour l’avenir. Il n’est plus possible de gérer une affaire commerciale de cette façon aujourd’hui. Une entreprise commerciale est différente. Il y a des boucles de feedback entre la demande et l’offre, qu’il s’agisse du capital humain, de pièces de rechange ou de finances. C’est exactement la même chose pour la gestion des villes. Ces boucles de contrôle ne sont pas fermées de la même façon. Les sociétés industrielles se sont comportées de cette façon parce que l’on savait que l’on pouvait améliorer la productivité, l’efficacité et l’usage qui étaient fait du capital. Il fallait qu’il y ait cette coordination. Je crois qu’il faudrait faire la même chose dans les villes. Voilà, me semble-t-il, un exemple simple de ce dont j’essaie de vous entretenir aujourd’hui. Nous avons parlé hier des péages sur les autoroutes, sur les ponts ou sur d’autres voies. Beaucoup de villes pensent que ces péages sont une source de recettes importantes et une façon simple et peu onéreuse de collecter des ressources fiscales. Vous voyez ici un système sur la côte est des Etats-Unis où il y a un dispositif radio, un autre à Singapour où il y a des caméras vidéos et d’autres systèmes électroniques. Lorsque les véhicules passent sous cette passerelle, il faut pouvoir les identifier. Il faut associer chaque véhicule à un compte et ensuite, débiter ce compte. Ce n’est pas un problème insurmontable et il existe de nombreux systèmes similaires dans le monde entier. C’est du bon business. Pour la ville, le retour sur investissement est en général extrêmement positif. Ces investissements se rentabilisent souvent en un an. Nous avons commencé autre chose. Nous nous sommes lancés dans un autre processus. Nous avons maintenant des dizaines de milliers de véhicules qui passent par ces portails chaque jour et nous savons, avec un degré très élevé de précision, combien de véhicules passent par tous ces points de passage, à n’importe quel moment de la journée. Nous avons ainsi une accumulation extraordinaire de données. La Ville de Singapour est venue voir la société IBM il y a trois ans en nous demandant ce qu’elle devait faire de toutes ces données accumulées. Les responsables avaient l’impression qu’il s’agissait du sous-produit d’un autre processus qui était perdu. Valoriser une ressource qui est libre et qui est produite demeure toujours une innovation. Ces données qui étaient collectées à Singapour ont pu être valorisées. Nous avons pu les utiliser pour prévoir l’encombrement environ une heure avant qu’il ne se produise sur les routes. Comment avons-nous fait ? Nous avons cherché des schémas de comportement dans les données historiques qui sont des indicateurs clés d’encombrement et de problèmes de trafic dans une ville. Nous pouvons utiliser d’autres indicateurs, comme les conditions météorologiques, les manifestations sportives, etc. Nous pouvons fondamentalement prédire des modèles. Si nous avons vu certaines attitudes dans certaines parties de la ville avec telle ou telle condition, nous pouvons dire dans une heure qu’on peut s’attendre à ce qu’il y ait un encombrement dans tel ou tel quartier. Ce laps de temps permet à Singapour de changer un certain nombre de choses, par exemple la tarification de ces péages. Grâce à ce type de mécanismes, nous pouvons faire dévier la circulation sur d’autres voies. Voilà ce qu’est pour nous une ville intelligente. Nous avons trouvé une ressource qui était disponible et accumulée dans d’autres processus. Nous avons analysé ces données en utilisant des algorithmes assez sophistiqués. Nous avons trouvé des indicateurs dans 70 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité ces données et nous avons pu nous en servir pour prendre des décisions plus intelligentes. Nous pouvons même aller plus loin. Nous pouvons certes prévoir l’encombrement, mais nous pouvons également donner des informations de grande valeur à des sociétés de logistique. Nous ne le faisons pas encore, mais c’est la voie du futur. Cela pourrait être une étape ultérieure. Voilà donc un bon exemple de ce que nous pouvons faire. D’autres exemples peuvent être donnés pour d’autres types de services. Les services essentiels que l’on retrouve dans les villes sont les suivants : production énergétique, qu’il s’agisse de chauffage urbain ou d’électricité, gestion de l’eau, mobilité, sécurité publique. Il est intéressant de voir comment les informations peuvent être acheminées du point d’entrée jusqu’au point de destination et vont aider à alimenter les décisions sur la gestion de ces services. Le flux vertical nous intéresse au premier chef. Nous essayons de faire de l’intégration pour bien comprendre. Il y a également le flux latéral, soit l’information qui va passer d’un secteur à l’autre, entre par exemple le système énergétique et le système de ressource en eau. Pomper de l’eau va consommer beaucoup d’énergie. Il y a des passerelles et il faut pouvoir intégrer ces différents secteurs. Le flux horizontal nous intéresse également. Je vous montre maintenant quelques exemples de ce que nous faisons, un projet à Malte notamment, à La Valette. Une société nous a invités il y a environ trois ans pour mettre en œuvre ce que l’on appelle un système de compteur intelligent qui remplace le système mécanique traditionnel de comptage. Il existe maintenant des compteurs électroniques qui peuvent être lus par réseau interposé, ce qui permet à la société de gaz ou d’électricité d’avoir une meilleure idée des différents niveaux de consommation. Il y a un autre avantage, à savoir que nous pouvons maintenant, grâce à ce compteur, donner aux utilisateurs de ces résidences et de ces bureaux, un feedback local sur leur niveau de consommation d’énergie. La plupart des gens ne savent pas combien d’énergie ils consomment. Nous savons si les lumières sont allumées ou pas, mais nous ne savons pas exactement combien d’énergie nous sommes en train de consommer. En permettant aux gens de voir combien d’énergie ils consomment, nous voyons qu’ils ont tendance à éteindre davantage les lumières. Pour les enfants, le système est pédagogique et ils ont tendance à renforcer ce message auprès de leurs parents. L’année dernière, cette société nous a demandé d’étendre ce processus aux compteurs d’eau. Elle veut faire ce travail à Malte parce l’île est isolée, n’a pas de source naturelle d’énergie et a très peu de ressources en eau. L’énergie doit être importée, l’eau doit être dessalée. C’est un environnement très difficile. Nous essayons de voir comment nous pouvons aider les villes à gérer au mieux les ressources limitées dont elles disposent. Voilà maintenant l’exemple de Rotterdam. La visite que nous avons faite ce matin m’a rappelé Rotterdam. Rotterdam est l’exemple type d’une ville delta. Il y a environ quarante villes de ce type dans le monde. Ce sont de grandes villes qui se trouvent au delta d’un grand fleuve et qui font face à l’océan. Dakar, Djakarta, Singapour sont d’autres exemples de ces villes delta. Il faut savoir qu’elles s’inquiètent de plus en plus des problèmes d’inondations. Il y a deux problèmes : d’une part l’augmentation du niveau des océans, d’autre part les aléas climatiques de plus en plus violents. Les aléas climatiques peuvent affecter Rotterdam de deux façons. Le Rhin commence en Suisse, passe par l’Allemagne puis arrive en France. A chaque fois qu’il y a un gros orage en Suisse, il se ressent jusqu’à Rotterdam. Le niveau des rivières peut augmenter de façon très importante, mais ceci peut être prévu. On sait quel vont être les répercussions des précipitations. Il y a également des orages qui viennent du nordouest, avec des vents qui ramènent des précipitations. Elles augmentent également le niveau des rivières et des fleuves. Pour Rotterdam, nous avons construit un modèle pour faire des mesures. A partir de capteurs dans l’océan, nous mesurons l’incidence des aléas climatiques pour voir s’il y a un risque ou non d’iodation. Aux Pays-Bas, comme vous le savez, 50 % des terres se trouvent en-dessous du niveau de la mer. C’est bien entendu une préoccupation pour l’ensemble du pays. Avec ce projet, nous les aidons à renforcer leurs défenses contre ces risques d’inondation. Je vous montre maintenant un projet aux Etats-Unis, à Dubuque, une petite ville de 60 000 habitants qui se trouve dans l’Etat de l’Iowa. Dubuque a été mentionnée plusieurs fois hier. Elle est tout à fait proche de ce qui a été dit à propos des villes en décroissance, des villes en transition comme on les appelle. Ce sont des villes qui ont perdu leur base industrielle. Il y a cent ans, Dubuque était une ville plus importante que Détroit. Elle était réputée pour le travail du bois et la menuiserie. Tout ce qui était fait en bois venait, dans une large mesure, de cette ville de l’Iowa. Cette industrie du bois n’existe plus, elle a tout simplement disparu. Elle a été laminée et transférée en Chine. En tout cas, elle n’est plus ce qu’elle était il y a trente ou quarante ans. La ville est toujours très attachée à cette identité. C’est comme si le port d’Hambourg fermait. Une identité de la ville est très rattachée à l’activité industrielle qui y a prévalu pendant fort longtemps. Cette ville a mis longtemps à accepter que l’industrie ne reviendrait pas et qu’il fallait qu’elle se trouve de nouveaux débouchés industriels. L’une des initiatives qui a été prise a été de transformer la ville en un endroit plus attrayant. Nous avons eu hier une discussion très intéressante à propos de la compétitivité des villes et de l’attraction exercée par les 71 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité villes. Voilà l’exemple typique d’une ville qui a décidé d’investir pour devenir une ville verte et moderne. Lorsque nous avons commencé la conversation avec les différents acteurs de cette ville, il y a un an, ils avaient énormément d’idées sur ce qu’ils voulaient réaliser, mais ils avaient peu d’idées sur la façon dont ils allaient s’y prendre. Nous avons donc passé plusieurs mois à passer en revue des desiderata pour voir sur quel projet nous pouvions nous positionner. Nous avons commencé à travailler sur la gestion des ressources en eau. Vous vous dites qu’une ville qui est sur le Mississipi n’aura sans doute pas beaucoup de problèmes d’eau, à part celui des inondations. Les centrales de traitement des eaux sont trop importantes pour la population existante. La population de Dubuque a décliné, il y a donc une surcapacité dans la plupart des services (eau, gaz et électricité). Comme il y a moins d’utilisateurs, l’eau est une ressource très chère. Les acteurs de la ville sont donc sensibles notamment à tous les problèmes de fuite. Ils avaient un problème pour localiser ces fuites. Se trouvaientelles chez les utilisateurs finaux ou dans le réseau ? C’est ce qu’ils voulaient que nous détections. Nous avons donc installé des débitmètres qui peuvent détecter des débits très faibles et donc identifier les fuites. Dans un quartier où la quantité d’eau facturée est bien inférieure à la quantité d’eau qui arrive, il y a plutôt des fuites dans les canalisations. Beaucoup de villes souffrent de ce type de fuites, mais les coûts de cette non-maîtrise deviennent insupportables. Nous ferons certainement d’autres choses avec la ville de Dubuque. Cette détection des fuites était le point de départ. Voilà donc le type de choses que nous pouvons faire en tant que société d’informatique ou en tant que société de systèmes d’information. Hier, nous avons beaucoup parlé de péages, de gestion de l’information du trafic, de l’intégration de différents prix Nous avons parlé du réseau intelligent qui est une demande très forte en matière de gestion d’énergie à l’heure actuelle. Le réseau électrique intelligent revêt d’autres aspects au sein de la ville. Il faut mesurer et gérer la consommation d’immeubles et de complexes dans l’ensemble du réseau. Il faut pouvoir contrôler la demande. On se tourne maintenant vers des sources d’énergie alternatives et il peut y avoir une production fluctuante. Avec ces énergies, pouvons-nous trouver le moyen de contrôler la demande pour qu’elle réponde à l’offre ? Lorsqu’il y a plus d’offres, pouvons-nous établir la bonne péréquation ? Pouvons-nous susciter une plus grande demande pour absorber cet excédent d’offre ? Nous essayons de mettre en place ce type de péréquations et ces équilibres. J’ai déjà parlé de ce que nous pouvons faire avec l’eau et de la protection contre les aléas climatiques, comme nous le faisons à Rotterdam. Nous avons des systèmes très puissants pour faire des micro-prévisions météorologiques. Nous le faisons sur un réseau très spécial d’environ 2 000 kilomètres, avec une résolution de 15 000 bits environ. Ce n’est pas le bulletin que l’on voit à la télévision ou ce que l’on entend à la radio. Evidemment, il faut que ce soit beaucoup plus précis. Il faut que ce soit à l’échelle d’un aéroport, d’un stade où se déroulera un événement sportif, etc. Nous pouvons aider par exemple des sociétés de services qui travaillent en plein-air à faire bon usage des conditions météorologiques et à faire face aux aléas climatiques. Simplement quelques mots en guise de conclusion. « L’information veut être libre » : tel était le slogan d’un groupe internet d’il y a vingt ou trente ans. C’était alors le mot d’ordre et c’est un défi. Nous reconnaissons qu’il s’agit d’un défi que de libérer l’information et de faire en sorte qu’elle s’écoule librement, soit au sein d’un organisme ou bien entre différents organismes ou bien entre différentes institutions. Nous trouvons que cette approche a un avantage fondamental pour les responsables d’institution, pour les responsables des villes et les élus, étant donné les contraintes auxquelles ils sont confrontés pour trouver des remèdes traditionnels à ces problèmes. Nous pouvons les aider avec l’information. Cela coûte beaucoup moins cher et est aussi beaucoup plus rapide à mettre en œuvre. Nous n’avons pas besoin de creuser des tunnels, de construire des routes, nous pouvons tout simplement mettre en place ces projets et avoir à la clé des améliorations en l’espace d’un an ou deux. Merci. Je vais maintenant répondre à vos questions. A lex Ta ylor Est-ce qu’il y a des questions ou des demandes de précision ? Gérard, est-ce que dans votre ville, ce genre de technologies peut vous apporter quelque chose pour les réseaux de distribution déjà en place ? Géra rd Perrea u-B ez ouille, Premier A djoint a u ma ire de la V ille de Na nterre Je crois que plusieurs questions sont posées. Il y a d’abord la question des réseaux. Depuis une dizaine d’années, nous avons travaillé (inaudible). Puis, il y a la question des solutions. Cela m’amène à une autre question. Je vois que l’information veut être libre. Est-ce que c’est la position d’IBM ? Colin Ha risson (inaudible) qui disait-on, avait volé les droits à brevets. Il s’agissait d’un pool de brevets, d’environ 80 brevets qui donnaient une situation privilégiée à Linux. Oui pour le libre, mais tout n’est pas libre et tout ce qui est libre n’est pas forcément gratuit. Il y a vingt ou trente ans, les logiciels étaient à toutes fins utiles et gratuits. C’était le matériel qui coûtait très cher. On livrait des logiciels à moindre prix. Je crois que c’est autour de 1990 que la tendance s’est inversée. On a commencé à faire payer le matériel moins cher et à faire payer les logiciels. Voilà où nous en sommes aujourd’hui. 72 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité A lex Ta ylor Merci. J’aimerais simplement souligner un paradoxe. Dans la ville idéale que vous décrivez, l’information est libre et gratuite, alors qu’il faut payer l’eau, le gaz, l’énergie, les transports. On voit bien qu’il y a un paradoxe. Il n’y a que l’information qui est libre et gratuite, mais tous les autres coûts. Toutes les autres consommations sont payantes. Colin Ha risson Vous avez raison. Il y a des exemples où l’information est associée aux services que vous devez payer. Il y a quand même des projets où des compteurs d’eau sont installés et où l’eau n’est pas facturée pour les usages résidentiels. C’est une décision qui revient aux autorités de la ville. Je crois que le problème vient du mot « free » qui peut vouloir dire « gratuit » ou « libre ». Nous voulions dire « libre » au sens d’accessible. A lex Ta ylor Bertrand Porquet, j’ai envie de vous poser une question. GDF-Suez est sur le Smart Metering en ce moment. Est-ce que vous développez des projets sur la gestion de l’eau, la gestion de l’énergie et la gestion des déchets de manière plus informatisée ? B ertra nd Porquet, direc teur a djoint de l’a ména gement urba in dura ble – GD F-Suez L’exemple de La Valette qui a été exposé nous concerne directement puisqu’IBM travaille avec une structure du groupe qui s’appelle Degrémont. IBM va lui commander l’ensemble des télémétreurs pour faire le relevé des informations. Un Groupe comme GDF-Suez regarde forcément ce genre de choses, le regarde de son côté et le regarde avec des partenaires comme IBM ou d’autres. On peut dire qu’IBM fait partie d’un nouveau genre d’aménageurs. Aujourd’hui, un certain nombre de collectivités se tournent vers IBM, vers Cisco, vers Orange pour réfléchir à l’aménagement urbain qui les concerne. Par exemple, la Ville de Bordeaux a lancé, il y a deux ans et demi, un appel à candidatures pour l’aménagement d’un certain nombre de zones. Orange avait été shortlisté pour cet aménagement. Au final, la Ville a choisi une version plus classique dans le paysage français puisque c’est Bouygues Immobilier qui a été retenu, mais il n’empêche qu’aujourd’hui, on rencontre IBM, Cisco ou autres. Thierry D ela rbre, D irec teur généra l d’A dva nc ity Je signale qu’a travers sa filiale Advitam, le Groupe VINCI est porteur d’un très gros projet sur les fuites des grosses canalisations d’eau qui font environ 20 % de la perte en eau dans les pays industrialisés et jusqu’à 80 % dans les pays en voie de développement. Parmi les opérateurs de ce projet collaboratif, il y a la Lyonnaise des Eaux. Sylva in V ittet, direc teur de la stra tégie – direc tion c ollec tivités territoria les ED F Comme mon collègue de Suez, je voulais vous indiquer que nous n’étions pas en reste. Depuis une dizaine d’années, nous travaillons dans les systèmes électriques intelligents. Opérationnellement, dans le domaine de l’énergie, il y a des projets qui fonctionnent pour maîtriser la demande en région Paca ou en région Bretagne. Il y a aussi des projets de couplage avec les énergies renouvelables pour tenir compte de l’effet fluctuant de l’énergie et des productions locales d’énergie. Tous ces systèmes électriques intelligents sont clairement l’énergie de l’avenir. Il s’agit de rendre l’énergie et la consommation que l’on en a plus intelligentes. Vous disiez que l’information était gratuite dans un certain nombre de cas. Donner à l’utilisateur une claire conscience de sa consommation, de ses usages, du type d’usages les plus consommateurs, lui laisser la possibilité d’organiser son temps pour l’usage de l’énergie, c’est lui donner un rôle citoyen qui va s’accroître de plus en plus. Je pense que dans les années qui vont venir, EDF et certains de ses concurrents seront naturellement très présents sur des projets de systèmes électriques intelligents. A lex Ta ylor Permettez-moi de vous poser une question très provocante, pour en terminer avec vous, Colin. Je suppose que c’est une question que l’on vous pose très souvent. Où cela s’arrête-t-il ? N’est-il pas dangereux de recueillir des informations sur tout ce que nous faisons, sur nos moindres gestes ? Colin Ha risson C’est une excellente question. Il est vrai qu’on me la pose souvent. Je vais vous donner un exemple concret, celui de la tarification différentielle des péages. Si on anticipe les embouteillages, on n’a pas besoin de savoir qui conduit le véhicule. On a besoin de savoir combien il y a de véhicules sur la route. Peu nous importe de personnaliser ces données. Il y a bien sûr fort à faire en matière de protection des données et de respect de la confidentialité. L’un de nos gros problèmes vis-à-vis des sociétés d’eau, de gaz ou d’électricité, c’est que souvent, elles ne veulent pas que les clients voient les données. Il y a des guerres sur la propriété des données. A qui appartiennent-elles ? Trois kilowatts la journée, un kilowatt le soir : j’aimerais moi-même 73 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité connaître ces informations si j’en suis l’origine. Je n’accepterai pas qu’une société me dise que je n’ai pas le droit de voir mes données privées. Il y a encore beaucoup à faire en la matière. A lex Ta ylor Je vous remercie beaucoup. Timothy Moss, direc teur d’études – I nstitut de L eibniz pour le développement régiona l et la pla nifi c a tion L e c a s des villes en déc roissa nc e Je suis très content d’avoir trouvé cette photo, celle d’un restaurant à Berlin, qui était auparavant une station de pompage des eaux usées. Je l’ai choisie parce que je crois qu’elle est très emblématique de ce que je vais dire cet après-midi. Je vais parler des villes en déclin, des villes en décroissance du point de vue de l’infrastructure. Je vais parler des répercussions de cette décroissance : changements démographiques, industrialisation, changements dans l’utilisation des ressources. Nous avons également parlé très brièvement, juste avant la pause, des problèmes de surcapacité créés par cette décroissance ou adaptation des infrastructures, problème pour les régulateurs et pour les consommateurs, etc. Ce sont des problèmes techniques, mais aussi des problèmes en termes d’organisation et de structure. Je vais passer cela au crible de la ville de Berlin. Je vais privilégier la perspective de la ville de Berlin, en raison du problème soudain qui s’est posé en matière de surcapacité et de déclin de la ville. Je vais d’abord parler du problème du stress hydrique à Berlin, après la réunification. Dès 1990, nous avons commencé à parler du manque d’eau pour alimenter la ville. Tout d’un coup, ce problème s’est transformé en problème d’infrastructure, en problème de surcapacité car il y eu une baisse de la consommation d’eau. Quels ont été les enseignements tirés par le régulateur ? Commençons par la problématique du stress hydrique. Nous avons parlé des problèmes d’approvisionnement en eau. Nous avons anticipé une crise d’approvisionnement en eau dès la réunification, en raison de la croissance soudaine de Berlin nouvellement réunifiée au sein d’une Allemagne unifiée, au sein d’une Europe unie. Nous parlions d’une augmentation soudaine de la population. Elle est aujourd’hui de 3,5 millions de personnes. Nous attendions un développement explosif, une reprise de l’économie s’accompagnant bien sûr d’une augmentation de l’usage de l’eau et de la consommation d’eau par habitant avec l’amélioration du niveau de vie. Nous savions qu’il y avait des limites aux ressources d’eau provenant de la région. Les sociétés de distribution d’eau ont entamé une grande campagne d’économie d’eau. Voici la campagne de 1995. Les régulateurs et les planificateurs ont publié un plan cadre de gestions de l’eau en 1994-1995, toujours dans le but d’optimiser la consommation et l’utilisation de l’eau autour de Berlin. C’est l’un des premiers exemples d’une collaboration tout à fait pratique et pragmatique entre Berlin et la région du Brandebourg environnant. Il s’agissait de l’eau, non pas du transport ou d’autres problèmes d’infrastructures. Que s’est-il passé en définitive ? Voici un graphique très intéressant, publié en 1996. Vous voyez ici la population de Berlin qui est de 3,4 millions d’habitants. Vous constatez qu’il n’y a pas eu une explosion démographique, que la ville n’a pas atteint les cinq ou six millions de personnes. Vous voyez ensuite la consommation d’eau en 1989 et en 1990. Comme vous le voyez, elle s’est effondrée. Vous avez en bleu Berlin-Est et en bleu plus foncé Berlin-Ouest. Dès 1996, nous attendions cette évolution démographique, soit vers le haut, soit vers le bas. Nous anticipions cette évolution de la consommation en eau un peu vers le haut ou un peu vers le bas. En fait, nous sommes dans la fourchette basse de la croissance démographique anticipée et les chiffres sont encore plus bas que les prévisions en termes de consommation d’eau. Le scénario a été plus « pessimiste » que prévu. Ceci n’est pas particulier à Berlin. Etudions cette période dans tous les länder d’Allemagne. Vous voyez que l’on retrouve le même phénomène ailleurs, en Allemagne, soit une baisse de la consommation d’environ 40 % sur deux ans. Cette tendance est presque généralisée. En République Tchèque, en Hongrie et ailleurs, on constate ce même scénario d’une réduction de la consommation d’eau forte de 40 %. Quelles en sont les raisons ? Il faut d’abord dire que la consommation ne s’est pas réduite à cause des campagnes d’économie ou à cause du plan cadre. Sans parler du changement démographique, la consommation s’est surtout réduite en raison de la désindustrialisation massive. Le nombre de personnes ayant des emplois industriels autour de Berlin s’est réduit environ de moitié après la réunification. Il y a bien sûr eu aussi une baisse de la démographie et une tarification au prix réel. L’eau ne comptait pratiquement rien en Europe de l’Est. Une tarification aux frais réels a été introduite à partir de 1990 et elle a été une vraie incitation à une moindre consommation. Il faut tenir compte également du remplacement des appareils 74 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité électroménagers moins gourmands en eau et en énergie de manière générale. D’autres phénomènes se sont associés à ces différents facteurs. Nous avons gagné un peu sur tous les tableaux. En parallèle de cette décroissance de la consommation d’eau, les réseaux d’adduction d’eau ont été renforcés. Il y avait auparavant deux réseaux indépendants, un à l’ouest et un à l’est. Déjà au temps de la division, on a renforcé les réseaux d’eau. Une fois que les deux réseaux ont été connectés, une partie de cette infrastructure s’est avérée redondante. On a amélioré aussi la qualité du réseau d’évacuation des eaux usées et d’adduction d’eau qui était de très piètre qualité en Europe de l’Est. Beaucoup de quartiers n’étaient pas encore raccordés au réseau d’évacuation des eaux usées de Berlin-Est. On connaît la théorie de l’infrastructure. Il faut commencer à investir dans l’infrastructure avant que les investisseurs ne répondent présents. Nous avons appliqué ce modèle de développement en Allemagne de l’Est et nous l’avons appliqué en Europe de l’Est et à Berlin en particulier. Dans le même temps, nous avons vu la municipalisation des services d’adduction et d’assainissement. Il revenait donc aux collectivités locales nouvellement formées de décider où elles allaient investir leur argent. Certaines ont trop investi dans le réseau d’adduction et d’assainissement d’eau. Le système était d’ailleurs complètement conçu pour l’Europe de l’Ouest, densément peuplée et appliqué tel quel en Europe de l’Est dont la structure démographique était tout à fait différente. Quelles sont les conséquences de cette réduction de l’utilisation et de cette surcapacité ? Il y a des conséquences non physiques et physiques. Lorsqu’il y a peu de débit d’eau dans les canalisations et dans les égouts, qui ont besoin d’être alimentés, cela a un impact négatif sur la qualité de l’eau. L’eau stagne trop longtemps dans les canalisations. Cela augmente les risques d’érosion des canalisations, les problèmes de blocage et de mauvaises odeurs. Par ailleurs, à Berlin, la nappe phréatique est affleurante au sol et le fait que l’on ait utilisé tant d’eau pour l’aménagement de la ville et pour alimenter les usines a maintenu le niveau de la nappe assez bas. Lorsque la consommation a baissé, le niveau de la nappe phréatique s’est rapproché de la surface. Les caves ont été inondées. On ne peut pas pomper l’eau, étant donné qu’elle vient d’en bas. Ce n’est pas comme une crue. Il y a donc eu des problèmes financiers conséquents. Que faire lorsqu’un quartier, crée en 1970, est constamment les pieds dans l’eau à cause de la remontée de la nappe phréatique? Il faut installer des pompes qui fonctionnent en permanence. Troisièmement, pour continuer à faire fonctionner le système de tout-à-l’égout, il faut pomper de l’eau pour nettoyer les canalisations, non pas à des fins de consommation, mais simplement pour entretenir le système, afin qu’il ne reste pas à sec. Cela entraîne bien sûr des coûts financiers et autres. Avec la consommation qui baisse, après avoir tant investi dans les années 90, comment résoudre l’équation de la récupération de son investissement ? On avait tablé sur une augmentation de la consommation, sur une augmentation de la population, alors qu’en réalité, la consommation baisse, ce qui entraîne une baisse des recettes qui permettent d’entretenir le réseau d’eau potable et d’eaux usées. Voilà donc le paradoxe. Les autorités ont été obligées d’augmenter les tarifs de l’eau, pour un réseau qui est déjà coûteux à entretenir étant donné qu’il est en surcapacité. Qu’en-est-il des coûts économiques et sociaux ? Ces tarifs devenaient insoutenables pour la population, avec des frais fixes très élevés. La clientèle était captive. A Berlin, on payait plus pour l’évacuation des eaux usées que les habitants des autres villes à l’ouest qui ne connaissaient pas les mêmes problèmes. Vous voyez que le problème se pose non seulement sur le plan financier et sur le plan technique, mais qu’il met lui-même à mal le problème des infrastructures. Je vous propose cet idéal de l’infrastructure modèle qui a été élaborée dans les années 50 et qui propose un approvisionnement universel et le déploiement de réseaux permettant de niveler les différences régionales. Nous constatons que la consommation n’a pas suivi cette tendance à la hausse que prédisait le modèle, ce qui signifie que les niveaux de consommation sont difficiles à anticiper. Cela rend bien sûr complexes les investissements. Il est difficile de savoir dans quoi nous allons investir pour l’avenir étant donné que nous ne pouvons pas prédire cet avenir. Nous constatons une différenciation spatiale croissante. Il est donc difficile d’assurer l’universalité du service. Certains quartiers appliquent des tarifs très élevés pour l’eau potable et pour l’évacuation des eaux usées. Les villes qui s’en sortent sont celles qui n’ont pas trop investi au mauvais moment et qui ne se retrouvent pas en surcapacité. La notion de consommateur est importante. Où est ce consommateur ? Il est absent. Il est possible de gérer l’offre lorsque l’on connaît la demande et qu’il y a un dialogue avec le consommateur. Si le consommateur est absent, s’il est parti en Allemagne occidentale, en France ou ailleurs, c’est difficile. Le consommateur n’est pas obéissant. Il y a eu des grèves de la faim à Brandebourg, en Saxe contre ces tarifs élevés. Les particuliers creusent maintenant leurs propres puits, veulent se rassembler pour financer des stations d’épuration contrevenant ouvertement à la règlementation municipale. Cela pose de gros problèmes étant donné qu’il faut envoyer la Police, les CRS, etc. Le consommateur n’étant plus là, c’est le réseau lui-même qui consomme sa propre eau. 75 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Il est intéressant de noter également que l’infrastructure peut devenir un poids, c’est-à-dire un élément qui obère le budget plutôt qu’un actif qui rapporte de l’argent. Généralement, le lien avec l’infrastructure générait de l’argent, ce qui est l’inverse ici. Il y a plusieurs anecdotes d’investisseurs qui demandent à investir en Allemagne de l’Est et qui demandent au maire combien ce dernier investit dans l’assainissement. Si l’investissement est trop important, les investisseurs proposent de financer la construction de leur propre usine d’assainissement, en pouvant contrôler l’investissement et la capacité. Qui dit surinvestissement dit surcapacité, ce qui crée énormément de problèmes par la suite. Quels sont les enseignements à tirer de cette expérience ? Il y en a un qui s’impose de lui-même et qui revient à ce que j’ai dit auparavant. Une plus grande précision dans l’anticipation des consommations futures d’eau est requise. Les périphéries peuvent être en pleine croissance alors que d’autres zones sont en décroissance dans la même ville. Il faut savoir exactement quels sont les usages, les consommations et pendant quelle période. Il faut également effectuer une vérification démographique permettant d’orienter les investissements futurs en infrastructures. Quel est le profit démographique de la communauté ? Quels seront les besoins futurs et à long terme ? Ce genre d’études n’a pas été fait au début des années 90. Il faut prévoir la possibilité de démanteler les réseaux d’eau pour pouvoir dimensionner les réseaux en fonction de la consommation réelle, afin d’éviter de devoir nettoyer le réseau et de consommer de l’eau. Nous avons introduit le processus de « Stadt Umbau », c’est-à-dire un processus de démolition de quartiers dans certaines villes en décroissance. Les aménageurs urbains essaient d’intégrer les opérateurs de réseaux d’eau dans ces opérations pour pouvoir assurer l’interconnexion des systèmes. Il est très important que l’aménagement urbain aille de pair avec le dimensionnement des réseaux d’eau. Il est par ailleurs important de pouvoir utiliser des technologies décentralisées, à petite échelle, pour les nouvelles zones peuplées, les nouvelles zones périurbaines ou quasi-rurales qui ne sont pas reliées au réseau principal. Il faut également une coopération régionale qui va permettre aux collectivités locales de travailler en coopération et de se partager le fardeau. Si une collectivité a été intelligente et n’a pas surinvesti, elle n’a peut-être envie de faire un partenariat avec la collectivité d’à-côté qui a surinvesti. Souvent, cela n’est possible que s’il y a une pression politique venue du haut. J’en viens maintenant à ma conclusion. Les infrastructures urbaines modèlent, mais sont également modelées par l’aménagement urbain. Il y a une influence croisée entre l’une et l’autre. L’aménagement urbain a très certainement une influence sur l’infrastructure et sur l’usage qui est fait de l’infrastructure. Les villes en décroissance le démontrent très bien. Je vous ai parlé de la tarification différenciée pour l’eau et pour le traitement de l’eau. Ces disparités spatiales accentuent les disparités socioéconomiques, alors que nos politiques sont souvent axées sur le contraire. Nous voulons niveler ou écrêter ces disparités régionales en proposant des systèmes d’adduction universels. Tout cela remet en question la viabilité économique des modèles appliqués jusqu’à présent. Le fait de baser l’infrastructure sur les anticipations à la hausse en termes de consommation est renversé dans le cadre actuel de décroissance urbaine. Souvent, la politique tarifaire peut elle-même créer un cercle vicieux. Si nous augmentons les tarifs unitaires, nous allons inciter à une réduction de la consommation, ce qui va générer des surcapacités et donc une baisse des recettes. Le modèle de tarification doit donc s’éloigner du modèle de modulation des tarifs pour passer à un modèle de tarifs forfaitaires. Le système de tarifs modulables a été institutionnalisé au cours des années 90. Aujourd’hui, on voit un renversement de tendance. La tendance est plutôt à l’application d’un tarif forfaitaire. Nous pouvons d’ailleurs remettre en question le modèle de service public universel. Il est à la base de la théorie de l’infrastructure. Il faut tenir compte de technologies, de réglementations et de modes de gouvernance adaptés à l’espace. Cette question de la décroissance des villes n’est pas universelle. En Allemagne de l’Est, il y a des zones où il y a une forte croissance économique et où la consommation d’eau a crevé le plafond, alors que dans d’autres zones, il y a une décroissance. La baisse de 40 % dont je vous ai parlé est une moyenne. Imaginez la situation dans les villes qui sont vraiment en déclin. On atteint moins 60 %, voire moins 70 %. Pour pouvoir maintenir ces systèmes, il faut un effort considérable. Voici quelques publications que je peux vous encourager à lire si vous voulez en savoir plus. Je vous remercie de votre attention. A lex Ta ylor Suite à votre intervention, je voudrais simplement dire que je ne suis pas du tout surpris de ce que vous dites. Nous avions pourtant l’impression qu’il n’y aurait pas suffisamment d’eau pour tout le monde. Dans le cas que vous venez de nous présenter, au contraire, il y a trop d’eau et il va falloir la canaliser. Est-ce qu’il s’agit d’une expérience que vous avez faite localement ? Pensez-vous au contraire que l’on retrouve cette expérience partout ? Dans certains cas, au contraire, il y a un sérieux problème de pénurie d’eau. 76 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Timothy Moss Il y a en fait deux problématiques. Il y a la surcapacité des infrastructures d’une part et le problème de la pénurie des ressources en eau d’autre part. Vous vous souvenez de ce que je vous ai montré au tout début, avec les différents états de l’Europe de l’Est. Pratiquement partout, l’usage de cette eau est en baisse de 40 %. Je crois qu’elle était de moins 35 %, jusqu’en 2005, en République Tchèque et de moins 35 à moins 40 % en Hongrie. Je ne sais pas quels sont les chiffres pour les autres pays. En tout cas, il s’agit d’un problème qui concerne essentiellement l’Europe de l’Est. Nous avons fait des recherches dans certaines parties de Rhénanie où il y avait une désindustrialisation. Il n’y avait pas un déclin très important de la population, mais surtout un départ des activités industrielles. Il peut donc s’agir d’un problème très local. Il peut y avoir une grande entreprise ou une usine qui existe dans une zone et il peut être difficile d’assurer l’entretien de l’infrastructure qui va être chargée de l’adduction et de l’alimentation en eau. C’est donc localisé. Il y a également des problèmes de ce type en Allemagne occidentale, mais certainement pas à une échelle aussi importante. En ce qui concerne la pénurie en eau, pourquoi y a-t-il eu une crise de l’eau dans la région de Berlin ? Parce qu’en Allemagne et surtout à Berlin, il y a un manque d’eau et on pense que cette pénurie va encore s’aggraver avec les aléas climatiques. C’est un problème d’environnement, c’est un problème climatique. Nous sommes en train de changer. On disait que le problème venait de l’alimentation en eau ; maintenant, on parle d’un problème de surcapacité des infrastructures. Ce sont deux discours qui évoluent en parallèle. Il y a ceux qui disent qu’il n’y a pas suffisamment de ressources en eau, à cause des aléas climatiques, à cause d’un manque de précipitations. Beaucoup de climatologues et d’institutions de recherche rejoignent ce point de vue. Puis, il y a ceux qui s’occupent de l’urbanisme, qui avancent le contraire et qui disent qu’il y a une surcapacité des infrastructures parce qu’il y a moins besoin de ces ressources en eau. A lex Ta ylor Quelles en sont les raisons d’après vous ? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur Berlin notamment ? Timothy Moss Il est très facile d’être sage une fois que l’événement s’est produit, mais un certain nombre d’erreurs ont été faites. Tout d’abord, trop d’argent, trop vite, a été mis à disposition pour ces investissements. Pourquoi les pays de l’Europe de l’Est ne connaissent pas les mêmes problèmes ? Simplement parce qu’ils n’ont pas eu suffisamment d’argent pour investir et pour construire les infrastructures au début des années 1990, date à laquelle on s’attendait à ce qu’il y ait une grande demande en eau dans les pays industrialisés. Ils avaient cet avantage. Ils pensaient que c’était un désavantage de ne pas avoir assez d’argent. Ils pensaient qu’en Allemagne de l’Ouest, il y avait beaucoup d’argent et donc beaucoup d’infrastructures et que cette situation était forcément positive. Certes, il y a des investissements intéressants puisque l’Allemagne de l’Ouest a pris de l’avance sur ces autres pays, mais d’un autre côté, on a construit des infrastructures qui ont conduit à cette surcapacité. Il faut être très circonspect quand il s’agit d’investir dans les infrastructures. Il y a également toutes les autres voies d’investissements. Nous avons essayé d’encourager les autorités locales à mettre en place leur propre structure démocratique, ce qui a été fait en 1990, après la disparition de la RDA. L’Allemagne de l’Ouest n’était pas un Etat centralisé, mais une démocratie. C’est une structure fédérale et beaucoup d’efforts ont donc été faits pour essayer de renforcer le pouvoir les autorités locales. Beaucoup d’argent a été mis entre leurs mains et un certain nombre de personnes n’étaient pas expérimentées. Un certain nombre de consultants sont par ailleurs intervenus et ils ont essayé de leur vendre d’énormes usines de traitement des déchets et des eaux usées, etc. Beaucoup de consultants étaient payés en fonction de la taille du contrat des installations qui étaient mises en place. Plus le contrat était important, plus la commission que touchaient ces consultants était importante. Le maire d’une communauté prenait des responsabilités extrêmement importantes. Il y a eu beaucoup d’argent et beaucoup d’investissements dans ces infrastructures. Il n’y a pas eu suffisamment de contrôle ni suffisamment de maîtrise de la situation. A lex Ta ylor Que va-t-il advenir à Berlin et en Allemagne de l’Est ? Vont-ils devoir reconstruire, réduire ou adapter les infrastructures ? Timothy Moss Comme je l’ai dit, il y a un certain nombre d’exemples de réduction de la taille des infrastructures. Cela est nécessaire. De grands immeubles ont été construits au cours des années 60 et 70, quand il y a eu un exode massif des populations. Vont-ils être démolis ou pas ? En tout cas, les plans d’urbanisme doivent en tenir compte. Il va falloir réduire et couper les réseaux dans certaines parties. Cela ne peut pas être fait de façon générale. Réduire ces infrastructures coûte également très cher. L’argent qui n’a pas été investi après 1990 devra peut-être être investi pour restructurer vers le bas ces infrastructures. Ce n’est pas très prometteur. L’idée de la coopération interrégionale est en revanche plus prometteuse. Nous essayons de répartir le 77 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité fardeau financier. Un certain nombre de villes n’a pas encore fait des investissements énormes. Elles doivent apprendre les leçons de cette expérience et réfléchir à d’autres types de solutions techniques, à des solutions plus sensibles à la demande. A lex Ta ylor Qu’en est-il des infrastructures de transport ? Est-ce que cela peut-être un exemple à suivre pour des villes plus vertes, plus écologiques ? S’il y a moins de demande en transport, est-ce que la ville va s’adapter ? Estce que ce qui est fait dans les transports peut être adapté à la gestion en eau ? Timothy Moss C’est une question intéressante. Certaines personnes sont certainement plus compétentes que moi pour y répondre. Je ne suis pas expert en matière de transport, comme vous l’aurez sans doute compris. Je réfléchis à ce que vous venez de me dire. Les problèmes des infrastructures relatives à l’eau sont tout à fait différents des infrastructures liées à l’énergie ou à l’électricité. En effet, l’eau est très territorialisée. Elle ne peut pas être transportée facilement. Les infrastructures peuvent coûter très cher et elles sont financées par les autorités locales, c’est-à-dire par ceux qui vivent dans le cru. Les délimitations géographiques sont très différentes de celles de l’emprise ferroviaire par exemple ou du transport routier. J’imagine qu’il y a beaucoup plus de possibilités de flexibilité avec le transport qu’avec la ressource très localisée qu’est l’eau. C’est tout à fait différent pour l’électricité de façon évidente puisque l’on transporte l’électricité très facilement. Ceci dit, avec le chauffage urbain, la ressource est aussi très localisée. Le chauffage urbain nécessite de l’eau, de l’air et ne peut pas être transporté sur des distances très importantes. Il dépend donc énormément de l’évolution démographique de la localité desservie. Peut-être d’autres personnes peuvent-elles intervenir sur la question des transports. D e la sa lle Est-ce que l’on retrouve le même problème sur l’eau dans d’autres villes d’Allemagne de l’Est comme Leipzig ? Timothy Moss Oui, absolument. Je vous ai parlé de la Saxe et Leipzig se trouve en Saxe. En saxe, il y a une baisse totale de 40 % de l’utilisation de ces ressources en eau. Je ne connais pas le chiffre précis pour Leipzig, mais j’imagine qu’il est aux alentours de 35 ou de 40 %. C’est une baisse par rapport au niveau de 1998. Leipzig est une ville où les différences entre les quartiers sont très conséquentes. Dans certains endroits, il y a eu beaucoup d’urbanisme, surtout dans les franges des banlieues. Dans d’autres quartiers, notamment dans les anciennes zones résidentielles, il y a eu une désindustrialisation et il y a donc beaucoup moins d’usages. D e la sa lle Depuis cinq ou six ans, nous connaissons également en France une baisse de la consommation d’eau de 2 à 3 % par an, ce qui pose aux autorités publiques, un gros problème en matière de traitement et d’assainissement puisque ce sont des charges fixes qui sont assises sur le nombre de mètres cubes consommés. A lex Ta ylor Je voudrais ouvrir ce débat sur les villes en décroissance. Tout le monde connaît l’exemple de Détroit, ville en décroissance, ville aux infrastructures en décroissance. Est-ce une question fondamentale pour un certain nombre de villes ? Quelles en sont les incidences ? Shirley Y ba rra , Consulta nte depla c ements senior – R ea son Founda tion C’est une question fondamentale. Détroit est un exemple très connu, mais je crois que Dubuque, dans l’Iowa a été également mentionnée, ainsi que d’autres grandes villes qui ont connu une désindustrialisation. Dans le domaine des transports, nous voyons également de bons exemples. Certains aéroports ou des dessertes aéroportuaires n’existent plus par exemple ou ne comptent plus que deux vols par jour. Il y a donc une décroissance en matière de transports. Certaines villes, comme Phœ nix par exemple, connaissent un déclin très rapide. Détroit, Pittsburg dans le Midwest et les zones alentours souffrent également de ce problème de décroissance. C’est triste à de nombreux égards de voir la situation dans ces zones. A lex Ta ylor Faisons le tour de la salle pour recueillir les points de vue de tout le monde. 78 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité R ic k B ell, D irec teur généra l de l’a ntenne de New-Y ork de l’institut a méric a in d’a rc hitec ture Je vais essayer de répondre à cette question d’une façon un peu différente. Dans certaines villes des EtatsUnis, la population est en déclin et l’infrastructure constitue un problème majeur, mais c’est surtout une perte de capital humain. En effet, c’est toute une génération qui est perdue avec cette décroissance de nos villes. Les gens quittent les villes pour aller s’installer ailleurs. Par conséquent, le système éducatif est en déclin. Ces villes n’attirent plus les professeurs. Les écoles déclinent également. Les infrastructures de transport et d’adduction d’eau ne sont pas les seules à décliner, il y a aussi une détérioration physique de tous les services sociaux. Tout le tissu s’effiloche. C’est un phénomène général. Même à New-York, ces facteurs de déclin s’observent un peu dans tous les domaines. Nous assistons à la spirale du déclin ou de la mort. Le capital humain s’en va, tout disparaît et tout s’effiloche. Il n’y a donc plus les mêmes services et le déclin de la qualité fait encore partir plus de monde. A Détroit, maintenant, le prix du foncier a énormément baissé. Ce que nous pouvons observer en matière de prix immobiliers est absolument incroyable. A un moment ou à un autre, il faut décider de changer de niveau de vie. Ce sont des coupes qui font très mal, qui sont très douloureuses. Beaucoup de villes dans le Midwest auront ce type de problème dans trente ou quarante ans. Il va être difficile de s’adapter et de tout revoir à la baisse. Nous l’avons vu par exemple à Sheffield en Angleterre où il y a aussi une industrialisation et où on a essayé aussi de passer à une autre échelle. U n intervena nt Au cours de cette journée, nous avons parlé de démographie, d’immigration, d’adaptation de l’habitat, d’infrastructures, mais j’ai envie de dire que ce sont des conséquences avales du moteur de la croissance qui est à l’amont. Par exemple, qu’est-ce qui fait qu’Hambourg est en croissance ? La surface du port est pratiquement égale à celle de la ville de Paris et elle a organisé son hinterland de manière à faire prospérer son moteur de la croissance. Elle est tournée vers le port, elle ne lui tourne pas le dos. Elle fait prospérer ce qui crée la croissance, la croissance et l’attractivité créant elles-mêmes la pleine démographie et la démographie ayant besoin d’infrastructures de transport, d’eau, etc. Je constate qu’en France, beaucoup de villes ont une attitude de repli. Au lieu d’organiser leur hinterland pour mieux affronter la compétition européenne et mondiale, on a l’impression qu’elles se ferment dans un territoire dont elles pourraient bénéficier et pour lequel elles pourraient aussi créer de la richesse. Ce n’est pas une question pour monsieur Moss, mais peut-être une réflexion pour la prochaine séance de la Fabrique de la Cité. Voilà où sont les vrais moteurs de la croissance ou de la décroissance dans la cité. Comment fabriquer de la cité ? La ville se transforme. Comment faire pour qu’elle se transforme dans le bon sens ? J a c ques Theys, direc teur de la mission prospec tive du CGD D – MEED D M J’avais trois remarques. Je travaille depuis longtemps dans la prospective. Depuis une depuis vingtaine d’années déjà, on prévoit une baisse de la consommation d’eau dans les villes, y compris dans les villes qui ne sont pas en décroissance démographique. Cela est prévu depuis très longtemps. Se pose un double problème. Peuvent d’une part se poser des problèmes de variation saisonnière. D’autre part, on ne veut pas trop écouter un discours de décroissance. C’est une première remarque. J’ai participé à une conférence de consensus à Paris sur l’avenir du réseau d’eau à Paris qui n’est pas une ville en décroissance, mais où il y a une baisse de la consommation. On a recommandé de ne pas abandonner notamment les réseaux d’eau non potable qui existent à Paris parce qu’il faut anticiper des utilisations d’eau qui seront peut-être différentes dans les vingt à trente prochaines années et qui seront liées aux changements climatiques ou à d’autres choses. Nous pouvons aussi réinventer des usages de l’eau, même s’il faut faire une voie de gestion économique. Il faut donc introduire aussi l’aspect prospectif de la demande. Concernant les villes en décroissance, il ne faut pas oublier que ce que l’on appelle les shrinking cities est un problème massif puisqu’il concerne plus de la moitié des villes européennes et plus de 40 % des villes développées. Ce n’est pas un problème marginal qui concerne uniquement les villes de l’est, comme on le pense. C’est un problème général. Je crois que ce n’est pas seulement un problème d’adaptation aux besoins qui sont en décroissance. Dans certains cas, il peut s’agir d’un problème de survie de ces villes. Un travail très intéressant a été fait sur les villes moyennes, en particulier sur les villes moyennes de Rhénanie-Westphalie. L’ensemble des villes moyennes de Rhénanie-Westphalie rassemblent quatre millions d’habitants et vont perdre un million d’habitants, soit 25 % de leur population. Leurs structures démographiques vont devenir horribles car 15 % de la population auront plus de 75 ans. Des emplois vont partir. C’est un cercle vicieux. Il faut trouver une nouvelle forme de coopération entre ces villes. Il ne s’agit pas seulement de gérer les problèmes ville par ville. Cela correspond aussi à la politique allemande d’aménagement du territoire. On raisonne souvent en termes de ville, mais je pense qu’il faut aussi raisonner en systèmes de villes, en particulier pour les villes moyennes. Il y a une politique active d’aménagement du territoire en Allemagne pour essayer de mettre en place une politique de service minimum pour les villes moyennes. Ce problème des villes en décroissance n’est pas un problème marginal. C’est vraiment un problème massif. 79 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité D e la sa lle Je voulais d’abord vous remercier pour la qualité de votre présentation, très stimulante. En me mettant à la place de VINCI, de Veolia, de GDF-Suez et de bien d’autres, si je généralise la situation de l’eau à d’autres utilities que nous avons évoquées, la décroissance démographique, d’une part, l’optimisation des systèmes d’autre part, avec tout ce qui va nous permettre de consommer moins d’eau, moins d’électricité, moins de gaz et d’avoir moins de déchets et peut-être moins de mobilité, je pense que nous allons passer des shrinking cities aux shrinking utilities. A lex Ta ylor EDF et GDF-Suez, vous souhaitez peut-être réagir. Sylva in V ittet, direc teur de la stra tégie – direc tion c ollec tivités territoria les ED F Je ne vais pas répondre exactement à la question sur les villes en décroissance. Il est clair que dans le domaine de l’électricité, un meilleur usage de l’électricité est vraiment à l’ordre du jour. Quand on parle de réseaux intelligents, c’est aussi permettre l’effacement d’un certain nombre de clients, c’est-à-dire la nonconsommation, un usage intelligent de l’électricité au bon moment. Monsieur l’évoquait tout à l’heure en parlant des besoins différents en eau en été et en hiver. Il en est de même pour l’énergie et pour l’électricité. On sait que la courbe de charges n’est pas la même tout au long de la journée. Dans le domaine de l’électricité, il faut avoir des réseaux pour passer les pointes, mais il est de plus en plus difficile d’avoir de nombreux ouvrages et d’installer des centrales de production dans un certain nombre de lieux. Je citais tout à l’heure la Bretagne et la Provence-Alpes-Côte-D’azur en France, mais la problématique est la même dans d’autres régions, dans d’autres pays du monde. Lors d’un certain nombre de passages de points, il faut être capable de savoir se délester et utiliser intelligemment l’électricité. Nous avons donc la même problématique. A lex Ta ylor Je crois que notre ami de GDF-Suez est en parfait accord avec vous, comme toujours. Mic hel Ca nta l-D upa rt Je voudrais appuyer ce qu’a dit monsieur Theys tous à l’heure, mais le dire de façon moins policée. Effectivement, à Paris, il y a deux réseaux d’eau potable et il y a une décroissance de la consommation d’eau potable. Depuis 150 ans, sur l’initiative de l’ingénieur Belgrand, avait été mis en place un réseau d’eau non potable pour nettoyer les rues et arroser les jardins. On monte l’eau de la Seine en direct dans des réservoirs et l’eau nettoie tout cela par gravitation. Les techniciens voulaient voir de la pression et petit à petit, ils ont perfectionné le système. Ce système est devenu un peu caduc. La Ville de Paris envisage d’abandonner ce réseau pour nettoyer les rues et arroser les jardins avec de l’eau potable, ce qui rééquilibrerait complètement la fabrication d’eau potable et la rendrait de nouveau rentable. C’est dramatique. Bien évidemment, Paris peut se le permettre, mais dans un monde où il y a des carences d’eau, qu’une ville qui possède ces technologies depuis plus d’un siècle et demi, ne soit pas capable d’être productrice de cette technologie, c’est dramatique. C’est une bagarre. Je dis à tous les élus que ce serait honteux et que s’ils le font, j’irai me mettre à poil sur les grilles de l’Hôtel de Ville ! Ca therine B a rbé, D irec tric e généra le – V ille de Pa ris Nous avons tous conscience que c’est un réseau original qui n’existe nulle part ailleurs et qui peut offrir des services que nous ne sommes peut-être pas encore capables d’imaginer. Je voudrais faire une proposition à Timothy Moss. Nous allons lancer un programme de discussions et des recherches avec des chercheurs de différents pays pour approfondir le travail de la conférence de consensus dont parlait Jacques Theys tout à l’heure. Si vous-même ou des personnes de votre institut souhaitaient collaborer à cette réflexion et notamment nous aider à imaginer ce à quoi pourrait servir, dans vingt ans ou dans cinquante ans, un réseau d’eau non potable dans une grande ville très dense pour des usages que nous ne sommes pas capables d’imaginer aujourd’hui, nous sommes très preneurs. Timothy Moss Concernant la réutilisation des eaux usées et des eaux grises, il y a un marché bien identifié : ce sont les pays musulmans. Dans les pays musulmans, il est inacceptable de retraiter l’eau, de repurifier l’eau. Dans certains pays, c’est même illégal. L’utilisation des eaux grises constitue un marché dans ces pays. A lex Ta ylor Y a-t-il d’autres demandes de parole, avant que je rende la parole à Timothy ? Beaucoup de points ont été abordés. Est-ce que vous souhaitez faire une conclusion générale sur les villes en décroissance ou rebondir sur un point particulier qui a été abordé ? 80 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Timothy Moss Merci. Nous avons entendu beaucoup d’idées très intéressantes et nous avons eu un échange très fructueux qui mérite d’être maintenu. J’ai parlé pour ma part de l’adaptation des structures et des villes en décroissance et de l’obstination des infrastructures techniques à ne pas s’adapter. C’est un problème permanent. Nous ne pouvons pas simplement démanteler les infrastructures existantes. Elles existent, il faut travailler avec. Il y a peut-être des nouvelles techniques décentralisées à apporter et elles doivent pouvoir s’articuler avec les technologies existantes. Je crois que c’est là l’une des grandes difficultés pour ceux qui planifient l’infrastructure, c’est-à-dire savoir quoi faire des portions du réseau qui sont sous-utilisées. C’est aussi un défi pour les écologistes et les défenseurs de l’environnement parce qu’il y a toute une logique d’économie d’eau qui s’applique. Autour de Berlin, les Verts ont beaucoup de problèmes à faire comprendre qu’il est encore nécessaire de réaliser des économies d’eau parce que la région n’est pas riche en ressources hydriques. Par contre, en ce qui concerne l’infrastructure, il y a une surcapacité et une pénurie d’eau avec laquelle il faut composer. Il est donc nécessaire de mettre en relation la pénurie d’eau dans la région avec le moindre débit d’eau dans les canalisations. Ce lien se fait par des groupes de réflexion qui réfléchissent chacun dans leur coin, mais qui ne se parlent pas beaucoup. Il faut instaurer un dialogue. Il y a des technologies intéressantes. Nous avons posé des questions sur la réutilisation des eaux grises, etc. J’aurais pu vous parler des techniques mises au point à Berlin, au début des années 90, pour économiser l’eau, pour recycler l’eau au niveau local : la collecte des eaux de pluie, le recyclage et le retraitement de l’eau, l’utilisation des eaux usées pour l’irrigation. On contourne ces techniques pour des raisons assez évidentes, mais d’autres ont été conservées. Le deuxième ouvrage que je vous conseille de lire fait une étude de ces différentes techniques. Celles qui ont de la valeur aujourd’hui sont celles qui permettent de réutiliser de l’eau là où c’est important. Par exemple, cela peut consister à réutiliser ou retenir l’eau de pluie lorsqu’il y a des orages. On a encore besoin de gros collecteurs d’orages pour la réutilisation de l’eau. Ces idées de réutilisation et de recyclage d’eau sont encore très présentes, même si on peut se poser la question du pourquoi de cette réutilisation lorsqu’il y a des problèmes avec l’eau dans les canalisations. Cette idée reste toutefois importante. Je participe à un nouveau projet de recherche sur les possibilités de réutilisation d’eaux retraitées à des fins agricoles, pour faire pousser des plantes qui seront utilisées pour la production d’énergie. C’est tout à fait faisable et cela permettra par exemple de résoudre en partie le problème de surcapacité. Nous avons parlé de la décroissance de la consommation. Il est vrai que la décroissance des villes n’est pas un problème spécifique à l’Europe de l’Est. Il existe ailleurs. Il y a un déni de cette décroissance. Les villes ne sont pas réveillées un jour en Europe de l’Est en découvrant qu’elles étaient en décroissance et qu’elles allaient devoir s’adapter. Pas du tout. Il y a eu un déni. Les collectivités locales ne voulaient pas croire à la décroissance, continuaient à penser à la croissance économique. Elles étaient toujours à la recherche d’un dernier gros investisseur qui allait tout arranger. Elles ont mis dix ans pour se rendre compte que ce dernier gros investisseur n’allait jamais venir frapper à la porte. Je vous donnerai un dernier exemple assez cynique qui vous en dit long sur la motivation. Le programme fédéral a mis en place un gros programme d’investissement « le Stadt Umbau », programme d’investissement des infrastructures qui a été accompagné d’un énorme budget. Des sociétés ont été payées pour détruire des quartiers et l’infrastructure qui la soustendait. Il y a eu tout d’un coup des trous de gruyère dans la ville et les villes ont bien dû se rendre à l’évidence et dire qu’elles étaient en décroissance et n’auraient donc plus les budgets et les investissements. C’est un cercle vicieux. Il y a d’autres manières innovantes de composer avec les problèmes de décroissance. En Saxe, l’IBA, une exposition internationale d’architecture, vient de voir le jour et elle traite justement de la décroissance des villes. Pendant les mois à venir, on parlera d’événements, il y aura des programmes et des thématiques sur les villes en décroissance. Que faire avec les villes en décroissance ? Des artistes, des sociologues, des économistes, des ingénieurs, etc. vont y participer. Si vous voulez plus de détail sur cette thématique, je vous encourage à visiter ces projets. A lex Ta ylor Merci beaucoup, Timothy. Rémi Dorval, vous avez la tâche de conclure. R émi D orva l, direc teur délégué de V I NCI Il me revient la tâche extrêmement difficile d’essayer de tirer une conclusion de ces deux journées extraordinairement riches. Pour commencer, je voudrais excuser de nouveau Yves-Thibault de Silguy qui aurait souhaité être avec nous aujourd’hui mais qui n’a pas pu pour des raisons personnelles. Il vous l’a dit hier et je souhaite l’excuser à nouveau. Je souhaiterais remercier également nos amis de Hambourg, monsieur Walter et monsieur Kellner, qui nous ont permis de faire cette réunion dans cette belle ville et surtout, d’avoir une présentation très concrète de notre thème « La ville est vivante ». Nous l’avons même vu ce matin à travers les visites et je crois que c’était extrêmement intéressant pour tout le monde. Merci Xavier Huillard d’être là. Je crois que votre présence montre tout l’intérêt des travaux qui sont menés au sein de la Fabrique. Merci également à toute l’équipe de la Fabrique qui a préparé ces journées. 81 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité Je vous disais que l’exercice est difficile, je dirais qu’il est doublement difficile. Il est difficile en soi parce que les débats ont été d’une telle richesse et d’une telle qualité que chercher à les résumer et à les conclure serait, à mon avis, les appauvrir. Je ne me risquerai pas à un tel exercice, d’autant plus que chacun a débouché certes sur quelques réponses, mais surtout sur des questions. C’est peut-être d’ailleurs ce qui en fait toute la richesse. Je ne voudrais donc certainement pas fermer les débats par des conclusions, mais plutôt essayer de retenir quelques éléments qui sont en eux-mêmes des poursuites de réflexion. L’exercice est également très difficile pour moi puisque comme vous le savez, j’ai été chargé très récemment d’animer cette Fabrique de la Cité. Je suis donc totalement novice, ce qui me permet de vous demander votre indulgence et de considérer les réflexions que je vais vous livrer comme des réflexions de novice pour lesquelles je vous demande, encore une fois, toute votre indulgence. Je ne vais pas essayer de faire une synthèse ni une conclusion, mais je vais vous livrer quelques réflexions qui sont celles du candide, de celui qui participe pour la première fois à des débats de ce type et vous dire ce qui m’a frappé. Premièrement, ce qui m’a frappé dans tous ces débats, outre leur qualité pour laquelle je remercie tous les participants, c’est l’extrême variété des thèmes abordés. C’est peut-être le thème général du séminaire qui le voulait. Lorsqu’on parle de la ville en mouvement, de la ville vivante, c’est la ville qui se transforme et elle se transforme dans tous ses aspects. Nous avons donc parlé de démographie urbaine, du vieillissement de la population, de transport et de mobilité, avec quelques esquisses de débats sur des problèmes de tarification, de prise en charge de coûts. Nous avons parlé de service public, de service à la personne, d’attractivité, de diversité dans la cité, de migration, d’équipement. Bref, l’ensemble des thèmes relatifs à la construction de la cité de demain était présent à travers ces débats. C’est probablement ce qui en a fait la richesse. Quelles conclusions peut-on en tirer ? Pour le novice que je suis, la première conclusion que j’en tire, c’est une extraordinaire justification de la Fabrique. En effet, on s’aperçoit que dès que l’on touche à un sujet de l’avenir de la cité, on touche en fait à une multitude de disciplines, à une multitude de thèmes et la confrontation entre les différents acteurs, entre les différents spécialistes de ces thèmes est inévitable et est absolument nécessaire pour faire avancer le débat. Excusez ce plaidoyer pro domo, mais c’est ma première conclusion. Je crois que la Fabrique a de beaux jours devant elle parce qu’elle se justifie pleinement et nos débats l’ont montré. Deuxièmement, j’ai cru percevoir deux motivations derrière l’ensemble des ces débats et de ces réflexions sur l’avenir de la cité. D’abord, comment répondre à des évolutions que l’on essaie d’anticiper et d’analyser, mais auxquelles nous sommes confrontés ? Ce sont des problèmes externes qui viennent à nous. Nous devons les anticiper et adapter la construction de la cité à ces nouvelles contraintes. C’est peut-être la démarche majeure qui était dans tous ces débats. Il y en a néanmoins une autre qui m’a paru intéressante, à savoir la volonté de modernisation, d’amélioration des conditions de vie par des nouveaux services et de nouveaux aménagements. Une démarche de progrès s’inscrit donc dans toutes ces réflexions. Ce n’est plus une réaction à une évolution subie, mais est une démarche proactive pour tenter d’améliorer l’organisation de la cité et donc la vie de nos concitoyens dans la cité. J’ai trouvé cela tout à fait intéressant. Parmi tous les thèmes qui ont été évoqués, deux me paraissent majeurs. Je retiendrai d’une part l’évolution de la démographie urbaine, même si ce thème vient un peu en décalage par rapport aux deux exposés qui viennent d’être faits sur les villes qui connaissent une régression. J’ai été extrêmement frappé par les quelques indications qui ont été données, notamment à partir des études de l’Union européenne et de l’OCDE, mais également à partir des études plus larges sur les évolutions mondiales, sur le fait que nous sommes face à une accélération de l’urbanisation, dans un avenir relativement proche puisqu’on parle de vingt, trente ou quarante ans. Qu’est-ce que c’est au regard des grands équipements et des grands choix qui doivent être faits ? La part de la population mondiale qui est appelée à vivre dans les cités est absolument considérable. Il y a un mouvement extrêmement impressionnant dont on n’a peut-être pas toujours pris la mesure, me semble-t-il, en tout cas par ceux qui ne sont pas des spécialistes comme vous, et qui est porteur de nombre de conséquences, à la fois en termes de réflexions fondamentales sur l’organisation de la cité et en termes de lancement de programmes et d’équipements qui vont s’avérer absolument nécessaires dans les années à venir s’ils ne le sont pas déjà. C’est le premier thème que je retiendrais. Le deuxième thème que je retiendrais est peut-être plus proche de nous et a été extrêmement présent au cours de ces débats. C’est l’évolution de la structure de la population urbaine. Derrière tous les débats sur le transport, sur l’aménagement de l’habitat, sur les services, cette question était permanente. Nous avons à faire face à une évolution rapide de la structure de population de nos villes, ce qui veut dire que nous sommes obligés de répondre à des besoins nouveaux, de mettre en place des services nouveaux, des infrastructures nouvelles qui sont un moteur extrêmement puissant pour la transformation des cités. Ces deux aspects n’ont certes pas la prétention ni de résumer ni de faire la synthèse de tous les débats, mais sont parmi les points qui m’ont le plus frappé. Je voulais vous en faire part. Je reviens quelques instants sur le premier aspect, sur cette augmentation de la population urbaine. Je me rappelle d’une carte déformée du monde qui montrait les équipements en infrastructures d’assainissement 82 La ville est vivante – Séminaire de la Fabrique de la Cité dans les différentes parties du monde. Les zones à plus forte croissance urbaine, c’est-à-dire l’Asie, l’Inde, l’Amérique du sud, y étaient représentées par des confettis, alors que les régions où la croissance urbaine est moindre, pour des raisons démographiques générales d’ailleurs, étaient surdimensionnées. Je crois qu’il y a des interrogations à avoir sur ce type de constats et d’analyses. Toutes ces réflexions et ces débats m’ont conduit à me poser deux thèmes de réflexion que je vous soumets. Il s’agit premièrement d’une réflexion sur le temps. Finalement, nous avons parlé pendant deux jours de transformation dans le temps, d’équipements dans le temps, de contraintes qui apparaissent. Tout cela a des horizons relativement longs par rapport à nos préoccupations quotidiennes, mais relativement courts lorsque l’on regarde le rythme des évolutions. Je crois que nous pouvons nous poser cette question : est-ce que nous sommes aujourd’hui bien outillés pour faire coïncider le temps de la transformation imposée, c’est-à-dire de l’urbanisation, de l’immigration, etc. et le temps de la réflexion, de la décision et de la réalisation des infrastructures et des changements de la cité ? Encore une fois, ce constat sur les infrastructures d’assainissement illustre parfaitement ce débat. A-t-on suffisamment anticipé ? A-t-on décidé suffisamment tôt ? Est-on équipé intellectuellement et techniquement pour prendre les décisions à temps, de manière à faire face à des évolutions que l’on connaît plus ou moins bien et que l’on anticipe plus ou moins bien ? Je vous soumets cette première réflexion sur le temps. Elle peut peut-être prospérer, si vous pensez qu’elle le mérite. La deuxième réflexion qui m’est venue à l’esprit en écoutant tous ces débats était en filigrane dans beaucoup d’interventions et rejoint un peu la première. C’est la réflexion sur le processus de décision. Nous sommes face à des décisions lourdes d’équipements de la ville, de changements de la structure de la ville, de services, etc. qui engagent l’avenir. Quels sont les processus de décision ? Je ne parle pas uniquement de la décision politique, administrative ou technique, mais également de tout ce qui conduit à la décision. A-t-on les outils d’analyse nécessaires ? J’ai été frappé de voir que sur certains points particuliers, on s’est aperçu que l’on n’avait pas su anticiper parce que l’on n’avait pas les outils de mesure. J’ai été aussi frappé de voir que l’on fonde finalement des analyses sur des opérations de recensement qui sont relativement anciennes parce que l’on n’a pas d’autres moyens. A-t-on les outils nécessaires pour analyser les situations, pour les anticiper ? At-on les outils nécessaires pour conceptualiser des solutions et pour s’assurer que ce sont les bonnes ? A-t-on également les outils nécessaires pour s’assurer que les décisions qui sont prises dans l’intérêt de nos concitoyens, mais qui leur convienne ? Les quelques mots qui ont été esquissés ce matin et hier sur les problèmes de concertation et parfois sur les difficultés à opérer une concertation pour arriver aux bonnes décisions, étaient à mon avis extrêmement intéressants. Voilà ce que je voulais vous dire, non pas en guise de conclusion, mais simplement pour essayer d’apporter quelques éléments de réflexion complémentaires à ce qui a été dit. Pardonnez-moi, encore une fois, pour la naïveté de ce propos qui est due à ma prise de fonction extrêmement récente. En tout cas, si vous me permettez de conclure par une note personnelle, lorsque Xavier Huillard m’a proposé, il y a quelques semaines, de passer une partie importante de mon temps à essayer d’animer cette Fabrique de la Cité, j’étais enthousiaste parce que je trouvais que l’idée était absolument formidable. Le concept me paraissait absolument passionnant et correspondre à une nécessité que je pressentais. Après ces deux jours, je peux vous dire que mon enthousiasme a redoublé. A travers tous les débats, j’ai perçu de manière tout à fait concrète non seulement l’intérêt, mais la nécessité de ce type de séminaire qui permet à des experts de métiers et de provenances extrêmement diverses de pouvoir débattre de ces sujets essentiels. J’espère donc que je serai capable de faire prospérer cette Fabrique dans les années qui viennent. Merci. A lex Ta ylor Merci beaucoup, Rémi Dorval. Je suis sûr que vous vous joignez à moi pour remercier l’équipe de Pierre et notamment Clément, de toute l’organisation et la préparation de cette journée. Merci, Pierre et à la prochaine fois. 83