dossier de presse

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dossier de presse
Florence Henri
PA R C O U R S D A N S L A M O D E R N I T É - P E I N T U R E S / P H O T O G R A P H I E S 1918 > 1979
30 OCTOBRE 2010 >
9 JANVIER 2011
Florence Henri, femme
et artiste sans frontières
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GILLES ALTIERI
Florence Henri, la photographie
comme réflexion
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GIOVANNI BATTISTA MARTINI
Double jeu
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JEAN-MICHEL FORAY
Biographie
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Photos disponibles
30
Fiche technique
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RELATIONS AVEC LA PRESSE Agence Observatoire - Véronique Janneau
Contact : Aurélie Cadot - Tél. 01 43 54 87 71 - Fax 09 59 38 87 71 - [email protected]
Florence Henri,
femme et artiste
sans frontières
GILLES ALTIERI, directeur de l’Hôtel des Arts
D
ans le domaine de la photographie, l’Hôtel des Arts porte un
intérêt particulier à la photographie dite « construite », non pas
celle qui se propose de capter un instant privilégié du monde
extérieur – le fameux instant décisif – mais la photographie comme
mode d’enregistrement d’une situation délibérément provoquée et
mise en scène par l’artiste ou d’une illusion de réalité qu’il a lui-même
conçue et fabriquée.
C’est le cas à des degrés divers de plusieurs photographes exposés à
l’Hôtel des Arts : photographies d’ateliers imaginaires réalisées à partir
de maquettes par Philippe de Gobert, vieilles photographies retravaillées et transfigurées de Carmen Calvo, photographies de tableaux
célèbres reconstitués au moyen de matériaux incongrus – chocolat,
confiture, poussière, clous, fil à coudre, etc. – par Vic Muniz, dispositifs divers faussant la perception de la réalité par Laurent Millet et Éric
Bourret, et photographies ambiguës et trompeuses de Sarah Moon.
L’autre point de convergence de ces photographes réside dans le rôle
éminent joué chez eux par la peinture dans laquelle ils puisent leurs
sources et leurs références, et avec laquelle ils entretiennent un dialogue plus ou moins visible mais constant.
Certains, tel Lucien Hervé, ont été des peintres avant de faire le choix
de la photographie, d’autres comme Philippe de Gobert, Laurent Millet
et Vic Muniz intègrent le thème de la peinture dans leurs photographies ; Günther Förg enfin, pratique les deux techniques et semble leur
accorder un égal intérêt.
Florence Henri entre naturellement dans cette mouvance, étant à la fois
une des grandes figures historiques d’« artistes utilisant la photographie » en raison du rôle éminent qu’elle a joué pour désaliéner l’image
photographique du réel dans les années vingt et trente, et par sa double
activité de peintre et de photographe.
L’exposition que nous lui consacrons est tout à fait inédite ; en effet si
son œuvre photographique bénéficie d’une indiscutable notoriété
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auprès des historiens d’art et d’un public international croissant, il en
va autrement de sa peinture qui demeure méconnue bien qu’elle ait
occupé une place centrale dans sa vie.
Curieusement les deux pans de son œuvre n’avaient pas été mis en
regard jusqu’ici ; l’exposition de l’Hôtel des Arts comble donc cette
double lacune en permettant non seulement de découvrir une part
essentielle de l’œuvre de Florence Henri, mais également en offrant
au visiteur la possibilité d’analyser les fécondes interactions entre les
deux modes d’expression et d’appréhender ainsi son œuvre dans sa
richesse, sa complexité et son étendue.
Une passion irrépressible
pour les formes les plus avancées de l’art
Née en 1893 à New York d’un père français et d’une mère allemande,
Florence Henri est destinée à mener une vie internationale. À la mort
de sa mère lorsqu’elle a de deux ans, elle part vivre avec son père en
Silésie dans sa famille maternelle. En 1902 – elle a alors neuf ans – elle
entre à Paris dans une institution religieuse où elle commence à étudier
le piano, puis va vivre à Vienne avec son père. À l’âge de quatorze ans
elle se rend en Angleterre pour y suivre des études musicales. Au décès
de son père survenu en 1907, elle réside à Rome où elle possède de
la famille. Elle donne deux concerts à Londres, mais en 1914, à l’âge
de vingt et un ans, décide soudainement d’abandonner la musique et
se rend en Allemagne où elle vivra une dizaine d’années. Elle fréquente
l’Académie des beaux-arts de Berlin et de nombreux artistes d’avantgarde deviennent ses amis parmi lesquels Hans Richter, Heartfield,
Hans Arp, Jean Pougny, Moholy-Nagy ainsi que l’écrivain et historien
Carl Einstein dont elle est très proche. À Munich elle noue des liens
d’amitié avec Théo et Nelly van Doesburg et suit l’enseignement
d’Hans Hofmann.
Sans être grand clerc, il est aisé de constater au simple énoncé des
événements tragiques et des péripéties qui ont émaillé les jeunes années de Florence Henri (orpheline de mère à deux ans et de père à
quatorze, contrainte en conséquence de mener une existence erratique à travers l’Europe) qu’elle était dotée d’une capacité de résistance peu commune – on parlerait aujourd’hui de résilience – aux
traumatismes infligés par la vie et qu’elle possédait une force de caractère exceptionnelle puisque, étant seule à pouvoir gouverner sa conduite, elle n’a jamais hésité à prendre des décisions radicales comme
celle d’arrêter la musique au profit de la peinture, à l’aube d’une possible carrière de concertiste.
Son indépendance d’esprit était également remarquable comme le
prouvent les options esthétiques qu’elle a choisies et la détermination
dont elle a su faire preuve en faveur des mouvements artistiques les
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plus transgressifs de son époque. À cet égard la liste des amitiés et des
liens qu’elle a tissés avec les plus éminents artistes contemporains est
tout à fait significative ; pour preuve les portraits photographiques de
ses amis Kandinsky, Fernand Léger, Robert et Sonia Delaunay, Hans
Arp et des nombreuses personnalités du monde intellectuel de son
temps qui suffiraient à lui assurer une place de grand témoin dans
l’histoire de l’art moderne du XXe siècle.
Cette attirance irrépressible pour les formes d’art les plus expérimentales lui fait naturellement fréquenter les institutions les plus avancées
dans l’enseignement de l’art, telles l’École des beaux-arts de Berlin avec
Schwitters, l’Académie moderne créée par Fernand Léger et Amédée
Ozenfant, et suivre les cours du Bauhaus où en 1927 elle commence
à s’intéresser à la photographie qui constitue pour elle un nouveau
champ d’expérimentation qui l’occupera de façon intense jusqu’au
début des années quarante.
Par ses photographies Florence Henri est rapidement reconnue comme
un élément majeur de l’avant-garde de son époque ; ainsi elle participe
en 1925 à l’exposition « l’art d’aujourd’hui », première manifestation
internationale de grande ampleur consacrée aux nouvelles tendances,
au côté notamment de Hans Arp, Willi Baumeister, Fernand Léger, Paul
Klee, Robert et Sonia Delaunay, ainsi que Laszlo Moholy-Nagy. Ses
photographies figurent dans les meilleures revues et elle participe aux
grandes expositions internationales de cette période.
Lorsqu’elle délaisse la photographie et adopte à nouveau la peinture
comme principal médium à partir de la seconde moitié des années
trente, c’est avec la détermination dont elle a fait preuve dans ses premières années de peinture et dans ses recherches photographiques.
N’obéissant pas à un parcours téléonomique qui prendrait pour point
de départ la figuration pour aboutir par décantations successives à
l’abstraction, comme cela a été le cas chez plusieurs peintres de sa
génération – Mondrian en étant la figure emblématique –, la peinture
de Florence Henri évolue par cycles fortement homogènes, tantôt
figuratifs tantôt abstraits, possédant une qualité picturale constante.
Sa palette généralement fraîche et colorée et une certaine façon de
poser la peinture la rapprochent de Kandinsky, Robert Delaunay, et de
plusieurs autres peintres avant-gardistes évoluant dans les mêmes cercles.
Privilégiant les petits et moyens formats sa peinture présente d’étonnantes qualités plastiques et reprend les principes de composition de
ses photographies.
Refusant (ou incapable) de s’installer dans le confort d’un style et d’une
manière, c’est à l’automne de sa vie, au cours des années soixante-dix,
qu’elle produit une série de collages abstraits géométriques réalisés à
partir de formes élémentaires combinées en séquences rythmées, qui
constitue sans conteste son travail le plus ingénu et le plus frais, en
même temps que le plus intransigeant et le plus radical. Une sorte de
retour final aux sources du Bauhaus. Une façon de boucler la boucle.
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Noir et blanc et couleur
Florence Henri commence vraiment à s’intéresser de manière créative
à la photographie en 1927 et réduit sensiblement son activité dans ce
domaine à partir des années quarante pour revenir à la peinture. Son
activité de photographe la plus intense n’a donc duré qu’une quinzaine
d’années qui ont pourtant suffi à faire d’elle un des photographes
majeurs des avant-gardes et de la modernité.
Les principaux ouvrages traitant de l’histoire de la photographie reproduisent ses œuvres et consacrent le rôle historique qu’elle a joué pour
faire de la photographie un art majeur. Dans la Nouvelle histoire de la
photographie éditée chez Bordas en 1995, Michel Frizot écrit :
« Avec Florence Henri s’établit plus spécifiquement le lien entre la
Nouvelle Photographie allemande et ses succédanés européens, parfois
tout à fait semblables au modèle germanique, parfois aussi teintés d’un
certain non-conformisme méditerranéen… ».
Dans l’ouvrage « La photographie du XXe siècle » publié aux éditions
Taschen, on trouve sous la plume de Marianne Bieger-Thielemann l’appréciation suivante :
« Florence Henri fit œuvre de pionnière de la Nouvelle Vision dans les
années vingt et trente. […] Ses Compositions au miroir représentent un
autre volet important de l’œuvre de Florence Henri. Dans ces compositions compactes, pensées jusque dans le moindre détail de fruits,
d’assiettes, de bobines de fil, de flacons de parfum ou de corps purement géométriques, elle est parvenue, à l’aide d’un ou plusieurs
miroirs, à briser le rôle de la perspective comme élément central de la
configuration de l’espace photographique. En cassant ainsi les différents
niveaux de l’image, Florence Henri reprenait pour une part les éléments cubistes de ses premières peintures abstraites. Pour une autre,
la construction rigoureuse de ses natures mortes et la fonction structurante de leur lacis de lignes sont une référence évidente au constructivisme ».
Emmanuelle de l’Ecotais, à propos des photographies de Florence Henri
dont le Centre Georges Pompidou possède dans sa collection cent
soixante-treize pièces, écrit :
« Ces œuvres se caractérisent par l’économie de leurs formes, la clarté
de leurs lignes et l’atmosphère hermétique qui les entoure. Mélange
puriste (natures mortes d’Amédée Ozenfant et de Le Corbusier) et constructiviste, ces compositions photographiques exploitent constamment le dialogue entre l’abstraction et la réalité ».
En mettant d’une part en évidence le lien qui unit sa peinture à sa
photographie et d’autre part le dialogue qui s’ établit entre l’abstraction et le réel, ces auteurs caractérisent avec justesse la logique qui traverse l’œuvre de Florence Henri. Son parcours atypique, qui à la fois
s’inscrit dans les courants majeurs de son époque auxquels elle imprime sa marque et au sein desquels elle est souvent pionnière, mais qui
couvre deux disciplines considérées comme concurrentes, voire anta-
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gonistes, ne fait pas immédiatement sens pour l’observateur et rend
l’œuvre de Florence Henri difficile à décrypter.
La mise en sourdine de son activité photographique dans les années
quarante – qui lui avait pourtant assuré le succès et la reconnaissance
internationale – au profit de la peinture ajoute au mystère. Un aspect
central de la personnalité de Florence Henri réside sans aucun doute
dans l’impossibilité de creuser longtemps un sillon et de s’installer
durablement dans la même situation, l’obligeant régulièrement à tenter
de nouvelles expériences artistiques comme à changer de cadre de vie.
Une instabilité constitutionnelle ou acquise à la suite des événements
qui ont marqué sa jeunesse nomade. La pratique alternée des deux disciplines et les changements de style dans sa peinture lui ont en conséquence apporté l’équilibre et le dépaysement dont elle avait besoin
pour conserver intact son enthousiasme créatif.
Toutefois en dépit de la diversité des pistes qu’elle a explorées dans les
deux médiums, l’œuvre de Florence Henri reste finalement cohérente.
En effet chaque champ qu’elle ouvre et explore à une période de sa vie
n’est pas définitivement clos lorsqu’elle y met un terme à la manière
d’une mine qu’on fermerait une fois le filon épuisé, mais prépare et
incube une phase ultérieure de son travail.
Ainsi par exemple, après les années de grande expérimentation photographique à la fin des années vingt, caractérisée par l’utilisation des
miroirs qui l’ont rendue célèbre – mais à laquelle on l’a trop souvent
réduite – elle peint de nombreux paysages qui adoptent les mêmes
principes de division abstraite de l’espace, qu’elle déconstruit et fragmente en différentes zones colorées un peu à la manière de Raoul Dufy,
un autre artiste discrètement audacieux.
S’il fallait caractériser d’un mot l’œuvre et la vie de Florence Henri, c’est
certainement celui de « liberté » qu’il faudrait employer. Qu’il s’agisse
en effet de ses innombrables déplacements dans les différents pays
d’Europe de sa naissance jusqu’aux années soixante, ou des multiples
aspects que revêt son travail artistique, l’évidence s’impose que Florence
Henri incarne le refus de toute entrave à sa liberté d’agir et de penser :
une femme et une artiste sans frontières.
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Florence Henri,
la photographie
comme réflexion
GIOVANNI BATTISTA MARTINI, conservateur des archives Florence Henri.
L
a scène artistique de son temps lui reconnaît un rôle de protagoniste et, aujourd'hui, nous pouvons appréhender l'ensemble de
son œuvre comme l'un des paradigmes de la modernité. Florence
Henri s'impose grâce à une subjectivité très riche, qui refuse les compromis et les conventions de la société de son époque. Elle développe
sa recherche personnelle en ne comptant que sur ses propres forces et
capacités, et construit son identité à travers les diverses expériences qui
animent alors les milieux culturels et artistiques à Londres, Rome, Paris,
Berlin, au Bauhaus ou sur les côtes de la Méditerranée. Elle incarne son
époque et représente avec succès l’essence même de cette dimension
du nouveau qui a marqué le siècle dernier, où s'entremêlent choix de
vie et exigences de la création artistique, s'identifiant avec un cheminement voué à la recherche de la liberté et de sa propre expression
artistique.
Née en 1893 à New York et morte à Compiègne en 1982, Florence
Henri traverse le XXe siècle comme une pionnière qui n'obéit qu'à un
esprit d'invention inconditionné. Artiste à part entière, elle s'approprie
avec habileté et lucidité les techniques et les modalités d'expression qui
lui permettent de répondre au besoin de produire des œuvres capables
d’aller au-delà de l'évidence de la réalité.
L’histoire de sa famille est tourmentée : elle perd sa mère à l'âge de
deux ans, puis son père quelques années plus tard, ce qui l'oblige très
tôt à mener une vie « nomade », à quitter les États-Unis pour passer
son enfance et son adolescence dans divers pays européens. Cela déterminera la formation de sa personnalité, forte et décidée, car d'emblée
elle n’a de comptes à rendre qu’à elle-même, entretenant un désintérêt
absolu envers les conventions de tous genres, qu'elles soient artistiques, sociales ou sexuelles.
L'étude et la pratique de la musique jouent, au début de sa formation,
un rôle essentiel, d’une part parce qu’elles coïncident avec ses années
de jeunesse et d’adolescence, d’autre part en raison de l’importance
des maîtres avec lesquels elle étudie et des personnalités qu'elle croise.
Parmi les premiers figurent Percy Grainger à Londres, Egon Petri et
Ferruccio Busoni à Berlin ; parmi les seconds, Ysaye, Kubelik, Russolo,
Edgar Varese et le célèbre pianiste Michael von Zadora, avec qui elle a
une brève relation amoureuse.
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Sa carrière de pianiste de concert débute à Londres et sur l'Ile de Wight
entre 1905 et 1907. À Rome, elle fréquente l’Académie de SainteCécile ; à Richmond elle poursuit ses études de piano ; en 1911 elle se
rend à nouveau à Londres, où elle joue des œuvres de Grieg, Liszt et
Franck à la Bechstein Hall ; en 1912, elle se fixe à Berlin.
Après avoir interrompu, brusquement et définitivement, son expérience
de concertiste – les contingences de la Grande Guerre l'empêchant
d'encaisser d'Angleterre une rente que son père lui a destinée – elle est
obligée de gagner sa vie en accompagnant musicalement des films
muets dans les salles de cinéma de Berlin. C'est alors qu'elle prend
conscience de l'impossibilité d'atteindre un degré d'excellence dans ce
domaine. La musique l'accompagnera néanmoins tout au long de sa
vie, depuis son intérêt pour le jazz, qu'elle partageait avec ses amis
Delaunay durant les années trente1, jusqu'aux concerts diffusés par la
télévision française qui, même dans son grand âge, constituaient pour
elle des rendez-vous indispensables, qu’elle n’omettait jamais d’inclure dans son emploi du temps.
Après avoir abandonné la musique, elle trouve à Berlin les impulsions
propices pour entreprendre des études de peinture. En effet, c'est là
qu'a lieu en 1912, à la Galerie Der Sturm, la remarquable exposition du
Blaue Reiter. Comme pour sa formation musicale, ses études de peinture sont scandées elles aussi par des déplacements continus, dictés
par son besoin croissant d'apprendre : elle commence par l'atelier de
Johannes Walter-Kurau à Berlin ; elle séjourne ensuite à Düsseldorf, où
elle suit les cours de Heinrich Nauen à la Kunstakademie ; puis, ce sera
le tour de Munich avec les cours de Hans Hofmann2, et du Bauhaus de
Weimar avec les enseignements de Klee et Kandinsky.
De 1921 à 1923, elle fréquente l'atelier d'Archipenko, où elle fait la
connaissance de plusieurs protagonistes de l'avant-garde russe, dont
Vladimir Maïakovski. Les rares dessins qui nous sont parvenus montrent combien cette expérience a contribué à l’affermissement de sa
connaissance de la complexité volumétrique de la figure et de son rapport à l'espace. À la même époque, elle se lie d'amitié avec Theo et
Nelly (Petro) van Doesburg et noue une profonde relation avec l'écrivain et historien d'art Carl Einstein, figure de premier plan de la recherche et de la critique d'avant-garde. Ensemble, ils effectuent un voyage
en Italie, où elle peint à Settignano une série d'œuvres consacrées au
paysage toscan3.
En 1924, elle s'installe à Paris, concrétisant enfin son aspiration à vivre
dans la capitale française. Elle fréquente l'académie Montparnasse dirigée par André Lothe, puis, quelques mois plus tard, pour clore un parcours d’études mouvementé, l'Académie moderne fondée par Fernand
Léger et Amédée Ozenfant.
1 - Cf. Annette Malochet, Atelier Simultané di Sonia Delaunay, Milan, Fabbri, 1984.
2 - À Munich, avec son amie Franciska Clausen, elle fréquente les cours de Hans Hofmann, avec qui elle
restera en contact pendant toute sa vie. Lettre de Hans Hofmann à Florence Henri, datée du 28/08/1964,
Archives Florence Henri.
3 - Parlant de Carl Einstein, Florence Henri se souvenait avec admiration de la figure du penseur et historien
et avec affection de ses qualités humaines, en citant souvent sa fin dramatique. Après avoir combattu
au côté des républicains durant la guerre civile espagnole, Einstein se suicida en France en 1940
pour échapper à la Gestapo.
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Les années passées avec Léger et Ozenfant – avec qui elle partage des
expériences intenses, comme la participation, en décembre 1925, à
l'exposition internationale L’Art d’Aujourd’hui à Paris – sont essentielles
pour la définition d'une syntaxe de la forme et de la couleur dans sa
peinture ; en fait, il ne s'agit pas d'apprentissage mais d'expériences qui
constituent une adhésion aux recherches menées dans ces années et à
la formulation de nouvelles propositions dans le vocabulaire de la
forme, du volume et de la couleur.
Non moins importants, ses deux séjours au Bauhaus – à Weimar
d'abord, où enseignent Klee et Kandinsky, puis, en 1927, à Dessau –
l'encouragent assurément à s'ouvrir à la dimension interdisciplinaire de
la recherche qui caractérise les cours de l'Institut dès sa fondation. C'est
dans ce cadre de quête inlassable de nouveaux moyens d'expressions
que l'on doit considérer sa conversion momentanée à la photographie,
en 1927, favorisée à coup sûr par l'amitié avec Laszlo Moholy-Nagy et
sa femme Lucia, à qui revient par ailleurs le mérite d'avoir introduit la
pratique photographique au Bauhaus.
L'intérêt qu'elle porte à ce nouveau moyen d'expression est également
stimulé par les théories que Moholy-Nagy expose en 1925 dans le huitième volume de la collection Bauhausbücher, intitulé Malerei Fotografie
Film (Peinture Photographie Film), ainsi que par l'expérience parisienne
qui lui fait apprécier, quelques années auparavant, la puissance dynamique de certains photogrammes du film Le Ballet Mécanique de Fernand
Léger (« le premier film sans scénario »).
Mais c'est la peinture qui lui permet d’aborder la photographie avec
maturité, loin des tentatives occasionnelles et expérimentales. D'emblée,
sa capacité à recourir à ce médium comme à un procédé avant tout
mental est évidente. L’artiste approfondit les ressources de la photographie surtout au niveau du langage, et explore de nouvelles approches opératoires dans la communication visuelle à travers de nombreuses techniques – le photomontage, le photocollage, l'effet basrelief, l'impression en négatif associée à l'impression en positif, la superposition d'images, le positionnement de surfaces réfléchissantes dans
la prise de vue, ou de diaphragmes entre l'objectif et le sujet, l’usage
de retouches comme moyen pour transformer et subvertir l'imagequ’elle utilise pour se mesurer aux grands genres de l’art comme le
portrait, la nature morte, le paysage, le nu, ou à des genres inédits
comme la photographie publicitaire ou de mode.
Florence Henri ne nous a pas légué de textes théoriques, mais ses correspondances avec Lou Scheper4 ou Pierre Minet5 par exemple, témoignent d'un raisonnement et d'une réflexion sur son travail dont elle
parle avec une extrême lucidité. Toujours à l’écart des conventions, l'artiste conçoit comme indissociables la création artistique et le quotidien. Même si, quand elle enseigne, elle produit de la théorie, elle le
fait sur un mode non conventionnel. Grâce à sa capacité de faire
observer les choses à partir d'un point de vue inattendu, en s'ouvrant
à des territoires inexplorés, ses procédés didactiques ne relèvent jamais
d'une démarche formelle ou traditionnelle mais sont toujours professionnels et attentifs.
4 - Dans une lettre conservée au Bauhaus Archiv à Berlin, Florence Henri confie à son amie qu'elle est lasse
de peindre, alors qu'elle a « une quantité incroyable d'idées sur la photographie ». 12 février 1928.
5 - Archives Florence Henri.
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C'est une personnalité très forte et communicative qui ressort des
témoignages de certaines de ses élèves des années trente, comme
Gisèle Freund,6 Lisette Model7 ou Dorothy Weyl8. Elle se fait comprendre par des phrases courtes, à travers des indications d'ordre plus opératoires que théoriques, non seulement pour ce qui est de l’aspect
technique de la photographie mais aussi sur le plan de la sensibilité
projectuelle et créative, nécessaire pour concevoir et composer des
images.
Les photographies de la première période, outre leur perfection formelle, surprennent par leur intentionnalité. Elles constituent de véritables manifestes programmatiques pour une nouvelle photographie et
prennent leur origine dans un vaste spectre de sollicitations culturelles,
dans lequel des expériences créatives multiples se chevauchent : le
cubisme, en premier lieu, et le constructivisme, mais aussi la dimension
métaphysique qui sera l'antichambre du surréalisme.
Dans le texte qui accompagne les photos de l'artiste, publiées dans le
n°17/18 de l’International Revue i 10 (décembre 1928), Moholy-Nagy
écrit :
« avec les photographies de Florence Henri la pratique de la photographie
aborde une nouvelle phase d’une toute autre ampleur que ce qu’il aurait
été possible d’imaginer jusque ici. Au delà de la composition documentaire, précise, exacte, des photographies définies à l'extrême, la recherche de
l'effet de lumière est abordée non seulement dans les photogrammes
abstraits, mais aussi dans les photographies de sujets concrets. Toute la
problématique de la peinture manuelle est assumée dans le travail photographique et, à l'évidence, se trouve considérablement élargie par le nouvel instrument optique. En particulier les images réfléchies et les rapports
spatiaux, les superpositions et les intersections sont explorées dans une
perspective et d'un point de vue inédits. »
Dans la composition Lanvin, réalisée pour la campagne publicitaire9 de
la célèbre marque de parfum, la boule noire est multipliée grâce à un
jeu de miroirs agencés angulairement l'un par rapport à l'autre de
manière à créer une sorte de collier. La mise en abyme de l'objet produit
une série de renvois à l'infini et contraint le spectateur à une lecture circulaire de l'image, forçant son regard au dialogue et à l'interaction. La
dimension troublante de cette idéation attire l'attention de l'observateur en même temps qu'elle le défie : l’artiste incite à découvrir cette
« illusion visuelle » qui lui permet de camoufler son invention formelle.
Les résultats de ses recherches photographiques bénéficient alors d'une
notoriété considérable auprès du milieu artistique international10, et sa
participation aux expositions Fotografie der Gegenwart à Essen et Film
und Foto à Stuttgart en 1929, Das Lichtbild à Munich en 1930, Foreign
6 - Gisèle Freund, Mémoires de l’œil, Paris, Éditions du Seuil, 1977.
7 - Lisette Model, Catalogue de l'exposition, Madrid, Fundación Mapfre, 23 septembre 2009 – 10 janvier 2010 /
Paris, Jeu de Paume, 9 février – 6 juin 2010.
8 - Lettre de Dorothy Weyl à Giovanni Battista Martini, Archives Florence Henri.
9 - « La Revue des Femmes », Paris, 1930.
10 - Ilse Bing Paris 1931-1952, catalogue de l'exposition, Paris, Musée Carnavalet, décembre 1987– janvier 1988.
10
Advertising Photography à New York en 1931, dans les années cruciales
où s'affirme une « nouvelle vision », est déterminante.11
Ses travaux sont publiés dans les plus importantes revues de l'époque,
entre autres L’Art Contemporain, Art et Métiers Graphiques, l'hebdomadaire polonais Tzeca, Cercle et Carré, The Studio, L’art vivant, la revue
annuelle anglaise Modern Photography, Advertising Display, tandis que
l'historien d'art Franz Roh sélectionne l'autoportrait de 1928 pour la
publication Foto-Auge, l'un des textes majeurs du XXe siècle consacré à
la photographie.
Bien qu'elle-même n'ait jamais réalisé de film, on ressent dans ses premières photographies des affinités et des procédés proches du cinéma
expérimental contemporain, par exemple dans le choix des sujets et
dans l'angle de vue à partir duquel ceux-ci sont représentés. Il n’est
donc pas étonnant que la première exposition personnelle qu’on lui
consacre ait lieu au Studio 28, un cinéma-théâtre qui accueille également des expositions d'art et où l'on projette en avant-première, la
même année, le film surréaliste L’âge d’or de Buñuel et Dalí.
De même, la réalisation de certains Portraits compositions des années
trente se rapproche des modalités relevant du tournage de film : l'artiste conçoit en effet de véritables plateaux où le modèle est maquillé
et transformé à l’aide de vêtements et d’ornements. Florence Henri
cherche des consonances entre le visage, les tissus et les bijoux, et utilise avec justesse la lumière qui confère à l'ensemble des éléments une
unité linguistique absolue. En raison de la spécificité de ces images, elle
est appelée en 1957 comme consultante extérieure pour la photographie à Hydra, où l'on tourne le film Ombres sous la mer de Jean
Negulesco, interprété par Sofia Loren et Alan Ladd.
Bien que les éléments de composition et de construction, qui tiennent
une place prééminente dans son processus de création, soient manifestes dès les titres qu'elle donne à la plupart de ses travaux photographiques ( Composition nature morte, Portrait composition ), considérer
ses intentions liées au contenu comme de simples exercices formels
signifierait donner une interprétation réductrice de la complexité de
son travail. C'est en ce sens qu’il faut tenir compte de ce qu'affirme
Rosalind Krauss dans son essai Photographie et surréalisme (dans l’ouvrage Le Photographique12), lorsqu'elle met en regard l’autoportrait de
1928 avec une œuvre de l'un des protagonistes du surréalisme :
« La fonction des boules chromées apparaît comme celle de projeter l’idée
de phallisme au centre de l'image et de mettre en place, comme dans la
photographie de Man Ray (Monument à Sade, 1933), un dispositif de
répétition et d'écho. Un rôle qui semble infiniment plus le leur que celui qui
consiste à promouvoir les valeurs formelles d'immobilité et d'équilibre. »
La lecture de l'image est renversée, se situant moins au niveau du
contenu formel qu’au niveau du contenant, moins sur l'objet figuré
que sur la manière de le représenter et de le subvertir. Mais ce qui
concourt encore plus à la subversion de ces images – outre l'usage du
11 - Le 24 juin 1929, Josef Albers écrit à Florence Henri au sujet de l'exposition Film und Foto à Stuttgart :
« Chère Monti, vous n’auriez pas imaginé cela. Mais dans mon catalogue de Stuttgart est annoté, en gras
derrière Florence Henri, « la meilleure ». Et c’est vrai… Votre vieux maître avant-gardiste… Alors mes
compliments et Bravo ! Aussi à Berlin chez Nierendorf : en particulier vos photographies… »
12 - Rosalind Krauss, Le Photographique, Paris, Macula, 1990.
11
miroir – c'est la pratique du photomontage. Dans certains travaux,
deux images du même objet sont associées, renversées l'une par rapport à l'autre, ce qui en modifie profondément la sémantique. À travers
l'artifice du photomontage, Florence Henri nous entraîne dans une
dimension fragmentée du réel.
En témoignent certains photomontages consacrés à Rome, où l’on
entrevoit la volonté de proposer une dimension recréée de la réalité.
Les objets représentés sont tangibles et réels, découpés avec soin et
extrapolés de leur contexte pour être ensuite restitués, à l'aide d'un
montage, dans un espace réinventé par l'artiste qui n'a plus rien de
figuratif ; la multiplication incongrue des sources de lumière et des perspectives, au moyen desquelles les éléments sont fixés en image, produit un effet de dépaysement qui fait penser davantage à une mise en
scène théâtrale. Les éléments architecturaux et plastiques semblent
jouer des rôles de fantômes qui revivent comme les symboles d'un
passé perdu. Le procédé technique dont l'artiste se sert est, à l’évidence,
sciemment révélé – l'assemblage des images initiales ne recèle aucune
« illusion visuelle » – et, malgré cela, les éléments qui occupent l'espace
de la composition évoluent dans leur propre dimension, magique, à
mi-chemin entre l'imaginaire et le réel.
Ce méta-espace, évident, contient une dimension riche en références
à l'iconographie métaphysique de De Chirico. Le questionnement sur
la représentation de l'espace et sur les dynamiques de la perception,
ainsi que son extraordinaire habileté technique dans l'usage du photomontage, conduisent l'artiste à réaliser en 1936 un Portrait-composition
qui, de par sa complexité conceptuelle et d'exécution, est emblématique de la profondeur et de la modernité de son travail.
Pour reconstruire une scène nocturne, Florence Henri imprime en
négatif l'image d'un paysage, puis le compose, en phase d'impression,
avec le portrait d'un modèle à la mantille, réalisé en extérieur et en
nocturne. L’illusion visuelle est ici parfaite et seul un regard attentif saurait
en deviner la genèse. Mais le halo de mystère qui entoure l'évocation
d'une nuit d'été que l’artiste a su créer résiste même à l'analyse la plus
technique et garde toute la fascination onirique de l'image.
Cet outil linguistique n’est pas le seul moyen que Florence Henri utilise
pour explorer les interprétations ambiguës de la réalité. Dans sa
Composition au vase, la représentation du sujet se dédouble en deux
prises de vue différentes sur un même négatif, ce qui introduit dans
l'œuvre le facteur temps. Cette simultanéité des prises de vue diffère
des propositions dynamiques et futuristes de Bragaglia ou – en remontant plus loin – des études sur le mouvement de Muybridge ou Marey.
Ici, l'artiste veut plutôt poser une question : laquelle des deux images,
présentées simultanément, correspond à la réalité ?
Autre exemple encore, la Composition de 1937, où l'effacement partiel
de l'objet dans la photographie nous rappelle le caractère illusoire de
la vision : ce que nous voyons ne peut être qu’une trace de ce que la
réalité laisse dans notre mémoire.
L'activité photographique exercée dans tout son potentiel conduit l'artiste à des résultats importants sur le plan de la fragmentation de la
forme, qu’elle transfère bientôt dans sa peinture avec des résultats analogues par le choix affirmé de sujets ouvertement figuratifs, comme les
paysages. Cette vision parcellisée de la réalité se traduit en peinture
12
sous forme de multiplication de surfaces uniformément colorées qui,
dans la composition voulue par l'artiste, évoquent celles des photographies, où elle exploite toutes les possibilités que la technique met à sa
disposition.
La pratique de la photographie amène l'artiste à reprendre la peinture
durant la seconde moitié des années trente. Dans ces années les orientations dans sa façon de photographier subissent une mutation substantielle. Désormais, le laboratoire privilégié de la création de l’image
n’est plus le studio avec ses lumières artificielles, c’est l’espace extérieur
qui devient la scène principale pour ses prises de vue, et l’utilisation de
la chambre à banc optique alterne avec le rolleiflex plus maniable.
Les modèles – qui, quelques années plus tôt, étaient soigneusement
préparés dans l'atelier avant d'être représentés à l'aide d'ingénieux jeux
d'ombres et de lumières – sont désormais placés à l'extérieur, même en
pleine campagne. En utilisant la lumière du jour, qui souligne le naturel
du sujet, ces images annoncent une esthétique qui marquera un certain
cinéma américain d'après-guerre et qui trouvera dans la Nouvelle
Vague française son expression la plus complète (À bout de souffle de
Godard, 1960, par exemple, ou Jules et Jim de Truffaut, 1962). Ce n'est
pas un hasard si, au cours des années cinquante, ces images seront
encore utilisées comme modèles féminins de la contemporanéité par
les mass media internationaux.
En représentant le paysage, sujet de plus en plus fréquent, les éléments
qui avaient caractérisé la dimension urbaine des photographies des
années vingt – structures en métal, enseignes, prises de vue angulaires
et vertigineuses de l'architecture – sont abandonnés. Dans les paysages
marins qui prennent le dessus, comme l'attestent ses séjours en Bretagne,
l'artiste interroge le rapport qui s'établit entre la figure humaine et
l'espace qui l'entoure dans un jeu d’échos de volumes, de masses et de
clairs-obscurs. Les natures mortes, photographiées à la lumière du jour
et inscrites dans la nature elle-même, se démarquent nettement, par
leur conception spatiale, de celles que l'artiste avait réalisées dix ans
plus tôt avec une rigueur géométrique, dans l'espace aseptisé de son
studio.
En 1936, Florence Henri déménage rue Saint-Romain, dans l’ancienne
maison de Max Jacob, et dispose désormais d'une terrasse qui se transformera souvent en véritable plateau pour nombre de ses photographies : le portrait au miroir de Pierre Minet (1937), par exemple, deux
autoportraits datant de 1938, plusieurs portraits du modèle VonVon, et
quelques compositions ayant les ombres pour sujet.
Dans la réalisation de l'image, le rapport avec l'espace extérieur – au
départ nécessairement lié à l'instantanéité temporelle de la prise de vue
– devient plus complexe par la construction d'une sorte de « laboratoire de la vision », comme c'est le cas dans l'autoportrait (1938) choisi
pour la couverture de ce catalogue.
L’artiste y apparaît réfléchie dans un miroir encadré ; en réalité,
le miroir est seulement simulé par le travail d'effacement, effectué sur
le négatif, de l'espace qui entoure la figure. Le cadre devient une métaphore du cadrage, donc une métaphore du regard, tout comme le
miroir est toujours, dans ses travaux, une métaphore de l'image photo13
graphique elle-même. La méta-représentativité de l'image est rehaussée
par la présence d'un cadre vide.
L’usage du miroir encadré renverse sur le plan de la prise de vue photographique les perspectives et les horizons lointains afin de simuler un
portrait comme dans le cas des deux travaux réalisés à Taissy : un autoportrait et un portrait de Pierre Minet, présenté à l'exposition, dans
lequel l’artiste a placé devant un mur extérieur un ensemble figurant
un intérieur domestique composé d’une table, d’un vase et d’un bol ;
le miroir encadré dans lequel l’écrivain se reflète renversant chez l’observateur la perception de l’espace extérieur- intérieur.
Cette conception originale – observer l'extérieur avec une attention
toujours renouvelée, à travers l'objectif photographique – souligne l’urgence de l'artiste à assouvir son besoin d'explorer, d’interpréter et de
transcrire, pas seulement en noir et blanc, les valeurs expressives que
seule la peinture peut offrir. La peinture et la photographie sont ainsi
orientées par une même vision comme deux vases communicants : la
peinture fait appel au cadrage photographique pour transcrire le paysage, sujet privilégié, tandis que la photographie enrichit la gamme
infinie des gris que seule une sensibilité de peintre peut suggérer.
Le parcours artistique de Florence Henri se déploie en dépassant les
contradictions apparentes, en alternant l'abstraction et la figuration, la
photographie et le collage, le travail en chambre noire et la peinture en
plein air, tout en maintenant constante une haute tension créative.
Les peintures qu’elle réalise à partir de la moitié des années trente,
caractérisées par des plans synthétiques de couleurs, réduisant le paysage à un ensemble fait de lumière et de structures, sont cohérentes
avec les travaux photographiques produits pendant une quinzaine
d’années, à partir de 1927, où les compositions, les miroirs et les photomontages donnent lieu à des sujets – qu'il s'agisse de natures mortes
ou de portraits – fort éloignés d'une simple reproduction photographique.
L’impossibilité de situer l’ensemble de l'œuvre de cette artiste dans un
cadre et des courants bien définis témoigne de son extraordinaire vitalité et reflète aussi une recherche personnelle qu'elle n’ a jamais considérée comme finie même dans les œuvres des dernières années de sa
vie, et qui trouve sa motivation la plus profonde dans la force spécifique
d'une liberté qu’elle avait su conquérir.
Traduit de l’Italien par Elio Ballardini
14
Double jeu
JEAN-MICHEL FORAY
Une énigme
Il y a une énigme Florence Henri. Elle tient à la fois aux passages entre
peinture et photographie qui caractérisent son œuvre, et, au sein de
ces deux pratiques, aux échanges continus opérés entre divers modes de
représentation. Pourquoi cette artiste, d’abord musicienne, puis peintre,
élève au début des années vingt de Fernand Léger et d’Amédée
Ozenfant, devenue à la suite de son passage au Bauhaus une photographe renommée, est-elle retournée à la peinture dans les années
quarante ? Elle est peintre de 1918 à 1927, une petite dizaine d’années.
En 1920 elle fait la connaissance à Berlin d’artistes dont l’influence
marque son œuvre naissante en l’infléchissant vers l’abstraction. Elle
entre ensuite en 1924 à l’Académie moderne de Fernand Léger et
Ozenfant et adopte en peinture une manière assez proche de celle de
ses maîtres. En 1927, elle suit les cours d’été du Bauhaus à Dessau,
abandonne la peinture pour la photographie, se fait connaître comme
photographe, produit de nombreuses œuvres dans des styles variés, et
enseigne. Après cette période d’activité très dense la photographie
passe au second plan : Florence Henri revient à la peinture dans les
années quarante et pratique alors une peinture de paysage, puis produit des œuvres abstraites du milieu des années cinquante aux années
soixante-dix.
Sa photographie, dont la force est indiscutable, porte une ombre sur
l’ensemble de son œuvre picturale qui reste mal connue, rarement montrée, peu ou pas commentée. Celle-ci constitue pourtant la part la plus
importante, en durée au moins, de la carrière de Florence Henri. Sur
plus de cinquante années d’activité créatrice, Florence Henri n’a pratiqué principalement la photographie qu’un peu plus d’une quinzaine
d’années, au cours desquelles elle a continué parfois à produire des
dessins ou des aquarelles.
Il est donc difficile de concevoir que les deux activités aient pu être totalement autonomes et séparées. Leur tressage pourrait permettre de
penser que la peinture était la matrice de l’activité photographique de
Florence Henri, celle-ci étant enchâssée dans celle-là. Ou, à l’inverse,
on peut considérer comme le font de nombreux commentateurs que
la photographie constitue l’essentiel de l’œuvre et que la peinture n’est
15
qu’accessoire, activité rajoutée par plaisir plus que par nécessité artistique. Mais Florence Henri n’a pas laissé d’écrits indiquant une préférence pour l’une ou l’autre des techniques, et l’examen de sa biographie, comme le témoignage de ceux qui l’ont connue, laisse plutôt
penser qu’elle accordait une égale importance à la photographie et à
la peinture. Dès lors des questions d’ordre méthodologique se posent.
Peut-on commenter la photographie sans jamais faire référence à l’œuvre
plastique ? Et inversement, peut-on commenter la peinture et la situer
dans son époque sans jamais évoquer la photographie ? Enfin, faut-il
scinder cette œuvre en deux parties étrangères l’une à l’autre ou faut-il
la considérer, et la juger, dans son ensemble ?
Les photographies de Florence Henri, dès ses débuts, mettent en scène
des miroirs, des images doublées ou divisées, des reflets. Le miroir est
une figure récurrente de son œuvre photographique, symptôme d’une
fondamentale ambivalence. Peut-être faut-il voir alors la peinture et la
photographie dans l’œuvre de Florence Henri comme aussi complémentaires que le sont un objet et son reflet dans un miroir. La photographie comme reflet – avec ses moyens spécifiques – de préoccupations présentes dans la peinture.
Un apprentissage
C’est en 1914 que Florence Henri s’inscrit à l’École des beaux-arts de
Berlin, délaissant de fait la musique. Sa formation, bien que Berlin ait
été dès avant la guerre un des lieux majeurs des avant-gardes en
Europe, semble avoir été paisiblement académique si l’on en juge par
les seules premières œuvres que nous connaissons d’elle, datées, parfois
approximativement, 1918. Ce sont des études de nus, des portraits,
des paysages. Si les nus sont très manifestement des œuvres d’apprentissage, des exercices d’atelier, les portraits témoignent d’une attention
au visage qu’on retrouvera plus tard dans la photographie. Ainsi un de
ces portraits pourrait annoncer les portraits photographiques ultérieurs
en ce qu’en arrière plan du personnage féminin on trouve un paysage
manifestement construit, comme ceux qui accompagneront plus tard
les Portraits Compositions de 1936 et 1937.
Les paysages, assez nombreux, datés 1918-1920 sont le plus souvent
des vues d’Italie, souvenirs peut-être des voyages qu’elle y fit avec Carl
Einstein, traités très sobrement1. L’un d’entre eux par exemple fait l’objet
d’une étude préparatoire avec un dessin assez précis. La peinture reprend le dessin mais supprime arbres et fils électriques, adoucit les
contours de l’horizon, pour ne garder que l’architecture de la scène et
en enlever ce qui relèverait de l’anecdote ou du pittoresque.
1 - Florence Henri et Carl Einstein semblent avoir eu une liaison entre 1918 et 1923.
De nombreuses photographies, conservées aux Archives Florence Henri à Gênes, montrent le couple
en Italie et à Berlin. Voir Liliane Meffre, Carl Einstein, 1885-1940, Itinéraires d’une pensée moderne,
Presses de l’université de Paris Sorbonne, Paris, 2002, pp. 214-216.
16
Le « retour à l’ordre » qui se produit en France à partir de 1919 dans
les arts plastiques et l’architecture, et qui conduit des artistes comme
Braque ou Derain à abandonner les audaces fauves ou cubistes au profit
d’une figuration assagie, pourrait peut-être avoir eu quelque influence
sur Florence Henri mais cela est peu probable dans la mesure où ce « rappel à l’ordre » procède de l’effondrement du cubisme et concerne surtout les artistes de la génération précédente. Il y a simplement à ce
moment là chez elle un goût naturel pour la figure qui la pousse spontanément vers la représentation et qui la poussera plus tard à pratiquer
une photographie descriptive et réaliste et à revenir à la peinture de
paysage.
Une première rupture intervient dans son œuvre en 1924, lorsqu’elle
commence à suivre les cours de l’Académie moderne fondée par Fernand
Léger et Amédée Ozenfant. Ce dernier, un des fondateurs avec Le Corbusier
du mouvement du « Purisme », propose une construction du tableau
fondée non sur l’émotion, mais sur la raison, de sorte que celui-ci
devienne une « machine à émouvoir ». Léger quant à lui est fasciné par
la ville, le monde industriel et le monde mécanique (il commence la
réalisation de son film Le ballet mécanique, en 1923, et vient d’achever
ses grands tableaux évoquant la ville ou le monde industriel, La ville,
1919, Les disques dans la ville, 1920, Le grand remorqueur, 1923 ; il
vient de publier un article-manifeste dans le Bulletin de l’effort moderne,
L’esthétique de la machine : l’objet fabriqué, l’artisan et l’artiste). Ses
écrits attestent de son goût pour les machines et pour les produits de
l’industrie qu’il voit non comme des concurrents de l’œuvre d’art mais
comme des modèles pour celle-ci.
Dans les peintures de Florence Henri les paysages d’Italie font désormais place aux vues de sites industriels : cheminées d’usines, grues,
ponts métalliques se substituent aux rues des villages toscans. Le style
même de ces œuvres provient directement de Léger avec une construction qui privilégie les volumes réguliers, une couleur posée en à-plats,
un effacement de toute anecdote, une absence de personnages (ou
alors ceux-ci réduits à l’état de silhouettes). On trouve même dans l’un
ou l’autre tableau une application du principe de « contrastes de formes »
théorisé par Léger et qui gouverne ses œuvres à cette époque : contraste
entre les courbes et les droites, entre les couleurs, entre les lignes et les
volumes. Les titres mêmes des tableaux de 1924 (Usine, plusieurs fois
employé, Pont, Pont et femme) rappellent les titres de Léger. Très visiblement Florence Henri prend plaisir à suivre les leçons de son maître en
adoptant sa technique picturale mais aussi en choisissant des thèmes
identiques aux siens. Mais les leçons de Léger iront au-delà de la peinture
et s’étendront aussi, plus tard, à la photographie : l’utilisation de prismes permettant une fragmentation de l’image et les gros plans sur des
17
objets très usuels dans le Ballet mécanique trouvent un écho dans les
compositions photographiques de 1929 réalisées avec des miroirs et
des objets communs, dont des boules chromées également présentes
dans le film de Léger2.
Ruptures
Une composition de 1924-1925 fait cependant évoluer le travail de
Florence Henri vers l’abstraction. C’est une simple scène : une cour d’immeuble avec une rambarde d’escalier, des fenêtres, une cheminée. Mais
l’image est fragmentée, comme décomposée puis recomposée par collage de morceaux épars, de sorte qu’elle perd toute exactitude documentaire et donne l’impression d’être une œuvre abstraite. Et les peintures
qui vont suivre, datées 1925, deviendront, elles, de véritables abstractions, dérivées du cubisme. Ainsi peut-on pour certaines d’entre elles
voir qu’elles trouvent leur origine dans une nature morte. On peut penser
que là encore Florence Henri suit Léger qui à partir de 1924 délaisse les
évocations de la ville et revient à la nature morte. Mais l’influence de
Léger s’arrête là, au thème de l’œuvre. Car Florence Henri acquiert une
véritable autonomie en ce que ses travaux, s’ils obéissent encore parfois
aux principes de son maître, dans les contrastes de formes notamment,
deviennent franchement des œuvres non figuratives (titrées au demeurant Compositions sans référence à un sujet précis). Le milieu artistique
qu’elle fréquente alors n’est sans doute pas étranger à ce passage à l’abstrait. À Berlin, par l’intermédiaire de Carl Einstein, à Munich, à Weimar,
à Paris enfin où elle réside elle a fait connaissance avec des artistes qui
se situent tous du côté des avant-gardes abstraites, Moholy-Nagy, Arp,
van Doesburg, Mondrian, pour les plus célèbres. C’est aussi un milieu
qui s’intéresse au Bauhaus et au projet artistique que porte cette institution. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Florence Henri, en 1927,
s’inscrive aux cours d’été du Bauhaus de Dessau.
C’est une seconde rupture que provoque ce séjour. Florence Henri produit cet été là des collages abstraits, légers, aérés, qui semblent ne rien
devoir aux peintures qui les ont précédés, plus compactes. Sans doute
2 - Fragmentation des objets et gros plans avaient déjà fasciné Léger dans le film d’Abel Gance, La Roue.
Dans un article paru en 1922 dans Comédia à propos de ce film, Léger, qui assure qu’Abel Gance
« a haussé l’art cinématographique au plan des arts plastiques », insiste sur le rôle de « l’acteur objet »,
de la machine devenue « personnage principal, acteur principal » présentée avec une infinie variété
de moyens, dont le gros plan et le fragment (article repris dans Fernand Léger, Fonctions de la peinture,
Gonthier, Paris, 1965, p.160). Il construira l’année suivante le Ballet mécanique sur une succession
de contrastes d’objets et de mouvements en utilisant entre autres un objectif à prismes dédoublant
les images. Le film n’a pas connu de projection publique avant 1925, à Berlin. Si Florence Henri ne l’a pas
vu en projections privées, elle n’a pu manquer de le voir par la suite, avant son séjour au Bauhaus.
Il a très certainement plus contribué à la formation de son style photographique des années 28 à 30 que
ne l’ont fait l’enseignement et les œuvres de Moholy-Nagy. Par exemple, des photomontages de 1928-1930,
titrés Composition abstraite, montrant soit des fragments de roue soit des objets reflétés dans des miroirs
renvoient assez clairement à certaines images du film.
18
peut-on y voir des traces de constructivisme, peut-être inspirées par
Moholy-Nagy (elle a parmi ses professeurs Moholy-Nagy, Kandinsky,
Paul Klee) qui enseignait à Dessau et qu’elle connaissait bien. Mais, plus
sûrement, il faut voir dans ces œuvres des créations absolument originales comme si Florence Henri avait voulu se débarrasser de la lourdeur
de la technique picturale et avait réduit ses anciennes compositions à
quelques éléments. On peut ainsi voir ces œuvres comme un allègement de la peinture, allègement qui aboutira finalement à l’abandon
de celle-ci. Et si elles font penser à d’autres œuvres contemporaines,
c’est peut-être moins du côté des constructivistes qu’il faut chercher
que du côté de Picabia et de ses dessins mécaniques de 1922, eux aussi
procédant d’une sorte de cure d’amaigrissement de la peinture3.
Mais il va surtout se produire durant ce séjour au Bauhaus un glissement de la peinture vers la photographie, à laquelle Florence Henri
commence à s’intéresser et à laquelle elle va s’adonner totalement dans
les années suivantes. Il s’agit d’ailleurs moins d’une rupture que d’un
transfert, d’une dérive. Les figures géométriques des compositions de 1927
(cercles, triangles, rectangles, droites, etc.) vont se retrouver dans les
photographies de 1928. Le dispositif du miroir qu’utilise alors Florence
Henri va lui permettre d’inscrire les figures planes des dessins dans un
espace, de renforcer leur côté aérien de figures sans attaches, de reflets
autant que d’objets.
D’une façon générale on peut dire que tout ce qui était dans la peinture de ces années 1918-1927 va être reversé dans la photographie. La
variété des styles qui caractérise les années de peinture, marquera de
même les années de photographie. Il y aura dans la photographie un
itinéraire au sein des styles que l’époque portait comme il y en a eu un
dans les années de peinture. Ce que la photographie a apporté de spécifique, ce sont les portraits, absents jusqu’alors, et la mise en scène de
ces figures évanescentes que sont les reflets dans les miroirs ou les vitrines.
À l’instabilité des reflets correspond l’instabilité des styles, cette instabilité étant un des traits fondamentaux de l’esthétique de Florence Henri.
De même que les dessins abstraits de 1927 ont conduit, par dérivation,
aux premières compositions photographiques, les paysages qu’elle
réalise à la fin des années trente lors de reportages photographiques
(paysages de Bretagne notamment, d’Espagne, vues de Paris et du sud
de la France) commencent à être transposés en peinture. À partir de
1936-1937 des gouaches, souvenirs de sites visités, apparaissent dans
son œuvre et doublent les reportages photographiques. Il s’agit souvent de notations sur le motif, proches de l’instantané photographique
par la rapidité. Mais on sent une volonté de saisir l’esprit d’un lieu plutôt
que d’en donner une représentation fidèle. Certaines gouaches qui
3 - Ces collages abstraits de 1927 font en effet moins penser aux œuvres de Moholy-Nagy que connaissait bien
Florence Henri qu’à certains des dessins que Picabia montra en 1922 à la galerie Dalmau de Barcelone.
Florence Henri ne les connaissait sans doute pas mais il y a chez l’un et l’autre artiste une même liberté
qui leur permet de réinterpréter à leur manière – qui est ici assez proche formellement – les grands
thèmes de l’abstraction d’alors.
19
évoquent des paysages d’Espagne sont ainsi faites de quelques traits, de
quelques taches de couleur – réduction d’un paysage à sa structure et
à sa lumière comme si Florence Henri satisfaisait là un besoin de couleur.
Et comme si elles étaient un prolongement, par d’autres moyens, des travaux photographiques.
Retour
Avec la redécouverte, ou le recommencement, de la peinture au cours
des années de guerre vient aussi l’abandon du portrait. Elle continuera
cependant à faire quelques portraits, mais en photographie. En peinture, Florence Henri ne s’intéresse désormais plus qu’aux paysages.
Toutes les œuvres réalisées entre 1940 et 1955 seront des paysages, le
plus souvent réalisés sur le motif. Des séries sont ainsi consacrées à la
Grèce, à Ischia, à Tossa del Mar. Il n’y a plus de lien direct entre ces
œuvres et les œuvres des années vingt. Les traits dominants de ces dernières, rigueur géométrique et austérité de la composition, ont disparu.
Une couleur franche et claire, un dessin rapide, volontairement imprécis,
qui tient de l’esquisse, des thèmes classiques dans la peinture de paysage, un port, une place de village, des maisons dans la campagne, un
bord de mer, voilà de quoi sont faites ces compositions. Une constante
stylistique les caractérise : c’est la couleur qui organise les tableaux.
Celle-ci est répartie en plusieurs surfaces distinctes, juxtaposées, comme
dans une composition abstraite, et c’est le dessin qui vient, à traits rapides,
donner un sens à l’ensemble. Il arrive parfois que le dessin fasse défaut,
ou soit à peine lisible – comme dans cette gouache de 1954 qui évoque
Ischia – et l’œuvre semble alors hésiter entre abstraction et figuration.
À partir de 1956, le dessin se retire de la composition. Reste les taches
colorées, mais distribuées de façon plus aléatoire, sans rapport avec un
paysage. Ce sont alors des œuvres qui se rattachent en apparence à cet
expressionisme abstrait qui domine une partie de la peinture européenne après 1945, Manessier, Bazaine ou Bissière en France, Nay en
Allemagne. Mais elles sont construites sur un principe qui reste le même
que dans les paysages antérieurs : des touches colorées juxtaposées à la
façon d’un patchwork (et Florence Henri réalisait des patchworks de tissus
depuis les années quarante). Ce principe d’organisation de la surface
colorée – tout comme le principe de construction du patchwork – est
sans doute un écho lointain des leçons d’Ozenfant, de Léger et du
Bauhaus. Une géométrie sous-jacente anime ces œuvres et la dernière
rupture, ou métamorphose, dans le travail de Florence Henri procède
d’un réveil soudain de cette géométrie.
20
Dans les années soixante-dix, Florence Henri réalise en effet des collages
rigoureusement abstraits, construits selon les principes qui organisaient
son travail au Bauhaus. Des cercles, des triangles, des carrés aux
contours nets et clairs, des réseaux de lignes parallèles constituent le
vocabulaire de base, très réduit, de ces compositions toutes faites de
légèreté : les formes semblent flotter dans un espace où elles peuvent
être librement associées. Elles sont libres de toute attache avec le réel et
se rencontrent, se joignent, se disjoignent, s’assemblent, s’opposent très
naturellement dans une façon de faire qui n’est pas sans rappeler la technique des papiers découpés qu’utilisait Matisse dans les années cinquante, certains étant assemblés eux aussi comme des patchworks. Et
c’est sans doute cette pratique du patchwork qui par dérivation a
conduit Florence Henri à utiliser le collage pour ces compositions avec
ce qu’il permet de mobilité et d’audace formelle.
La liberté de ces collages est le signe de la liberté de l’artiste, Florence
Henri, qui n’hésite pas à abandonner une manière, la peinture abstraite,
au profit d’un retour au décoratif (il y a d’ailleurs parmi ces œuvres un
projet pour un paravent) et à une technique radicalement différente.
Tout discours personnel, toute référence à des voyages ou à des choses
vues, toute référence au réel disparaît. Reste des œuvres énigmatiques
moins par ce qu’elles sont – des œuvres qui avec une vraie économie de
moyens, ne manquent ni de force ni d’inventivité – que par la difficulté
de les articuler avec celles qui les ont précédées. Bien qu’elles aient fait
l’objet d’une exposition à Gênes en 1984 elles restent méconnues et peu
comprises4.
C’est ce qui pousse quelques commentateurs à voir dans les travaux
photographiques de 1927 à 1938 une assomption de l’œuvre de Florence
Henri, un achèvement, sans voir que pour cette artiste toutes choses se
valent. Florence Henri a pratiqué les différentes esthétiques qui ont parcouru le siècle et son itinéraire, si singulier qu’il paraisse, n’est pas fondamentalement différent de celui de nombreux autres artistes, Picabia par
exemple, qui lui aussi est passé d’un style à l’autre, d’un genre à l’autre,
rompant brutalement avec une technique ou un style au profit d’une
autre. C’est une esthétique de l’indifférence que ces artistes ont mis en
place. La photographie de Florence Henri, avec ses jeux de miroirs, montre
souvent un monde irréel de reflets, un monde virtuel, évanescent, un
monde qui n’est qu’une illusion. Sans doute a-t-elle considéré les pratiques artistiques comme aussi illusoires que l’espace photographique.
Les techniques et les styles sont pour elle comme les cartes d’un jeu, toutes
différentes, mais toutes concourant à un même but et obéissant à une
même règle.
4 - Exposition à la galerie Martini et Ronchetti à Gênes, mars 1984. Catalogue.
21
Dans son rapport à la peinture et à la photographie, Florence Henri a
refait le parcours des premiers photographes qui furent d’abord des
peintres. Parmi ceux-ci, certains hésitèrent longuement, utilisant l’un ou
l’autre médium et se servant de la photographie comme d’un auxiliaire
de la peinture pour parvenir à donner du monde une représentation
exacte. Ce qu’ils ne pouvaient saisir par la peinture, ils le saisissaient par
la photographie5. C’est ce qui est arrivé à Florence Henri : la photographie lui a permis d’utiliser savamment les jeux de miroir mais aussi, et
peut-être surtout, de pratiquer l’art du portrait.
Car la pratique du portrait met en jeu la question de la représentation,
question qui traverse tout l’art du 20e siècle, soit qu’on la maintienne, par
la figuration ou la photographie, soit qu’on l’abandonne dans l’art
abstrait. Consciemment ou non, c’est en fonction de cette question – en
fonction de leur rapport au réel – que la plupart des artistes se sont
déterminés et ont choisi leurs voies. Florence Henri n’a pas voulu se
déterminer en art. Comme d’autres artistes autour d’elle, elle a tenté
d’enrichir son territoire artistique par la photographie, par l’usage de la
figuration, puis de l’abstraction. Elle a compris très tôt que désormais
seule la subjectivité des artistes fonde l’art et que peinture et photographie font partie d’un même champ au sein duquel les pratiques les plus
diverses coexistent. Elle a transposé dans son œuvre cette diversité et
s’est laissée guider par sa seule subjectivité. Que la photographie soit
devenue plus tard plus connue et plus commentée que son œuvre plastique n’invalide pas celle-ci. L’une comme l’autre participent d’une vision
globale dans un champ artistique élargi.
5 - Pour ne prendre qu’un exemple : parmi les élèves de l’atelier de Paul Delaroche à l’École des Beaux-arts
qui avaient en 1839 été encouragés par leur maître à utiliser le daguerréotype on comptait Le Gray, Le Secq
et Nègre. Si les deux premiers devinrent très rapidement des photographes à part entière, utilisant
le médium pour ses qualités propres, Nègre hésita longtemps, peignant sur des daguerréotypes, puis sur
des épreuves papier, traitant le même sujet en peinture et en photographie. À la fin de sa vie encore, installé
à Nice comme photographe professionnel, et reconnu, il pose pour un portrait photographique en peintre,
palette à la main, témoignage de sa nostalgie de la peinture. La naissance impure de la photographie,
cette invention de peintres, explique les nombreux aller-retour (et les nostalgies qui les accompagnent)
peinture-photographie que les artistes du 20e siècle connaîtront.
22
Biographie
1893
Florence Montague2 Henri naît à New York le 28 juin. Elle est la fille aînée3
d’un père français, Jean-Marie François Henri et d’une mère allemande,
Anne-Marie Schindler.
1895
Mort de sa mère. Son père, directeur d’une société pétrolière et contraint
à des voyages incessants, confie la petite Florence à la famille de sa mère
qui vit à Grunberg, en Silésie.
1902
Florence vit à Paris dans une pension de religieuses où elle suit des cours
de piano.
1905
Elle s’établit en Angleterre pendant trois ans. Elle vit entre Londres et
Sandown, dans l’île de Wight qui, à cette époque, était le centre d’intenses activités musicales où se rencontrent les grands concertistes de l’époque. Elle fait la connaissance d’Eugène Ysaye et de Kubelik. À Londres,
elle étudie au Conservatoire de Earl’s Court Road ; elle est l’élève de Percy
Grainger.
1907
Mort de son père à Paris. Florence vit toujours en Angleterre, et son héritage lui assure des revenus. Initialement cette sécurité économique lui
donne la liberté de choisir une vie dégagée des ambitions bourgeoises
habituelles et de suivre sa vocation artistique. Quand ses rentes ne seront
plus suffisantes, Florence Henri vivra de son travail d’artiste.
1907-1909
Après la mort de son père, elle va s’établir chez la sœur de son père, Anny
Gori à Rome. Grâce à un parent, Gino Gori, elle rencontre de nombreux
représentants des avant-gardes artistiques et littéraires de l’époque, comme
Marinetti, Russolo, Folgore et D’Annunzio. Elle fréquente le Conservatoire
de l’Académie Santa Cecilia, et fait la connaissance de Ferruccio Busoni,
qui sera son professeur. Après ce premier séjour à Rome, Florence Henri
reviendra souvent dans cette ville.
1 - Extrait de la biographie rédigée par Alberto Ronchetti et Giovanni Battista Martini à l’occasion de
la publication du catalogue de l’exposition Florence Henri, fotografie 1927-1938 au Museo Cantonale d’Arte
de Lugano en 1991.
2 - Tous les amis ont toujours appelé Florence Henri « Monti », petit nom qui vient de son deuxième prénom.
3 - Florence Henri avait un frère, René, élevé a Londres après la mort de leur mère, qui à vécu ensuite
en Amérique du Sud et est décédé à la Jamaïque.
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1909-1911
À nouveau en Angleterre où elle poursuit ses études de piano. En 1911,
donne des concerts à Londres, au Bechstein Hall (depuis 1917 Wigmore
Hall). Elle interprète Grieg, Liszt et Franck.
1912-1918
Elle part à Berlin pour continuer ses études de musique. Elle est l’élève
de Egon Petri puis de Busoni. Elle a une liaison amoureuse avec le célèbre
pianiste Michael von Zadora. Sa maison devient un lieu de rencontre
pour de nombreux compositeurs d’avant-garde et des musiciens, parmi
lesquels Edgar Varese.
En 1914, avec la déclaration de guerre, elle ne peut plus recevoir d’Angleterre l’argent de son héritage et pour vivre, elle accompagne au
piano les films muets dans un cinéma. Cette expérience négative et son
attitude très autocritique, lui font penser qu’elle ne pourra jamais égaler
les grands virtuoses du piano dont elle est l’amie. Florence Henri délaisse
la musique et se voue à la peinture. Elle fréquente l’Académie des beauxarts de Berlin avec Schwitters. Elle peint ses premières œuvres figuratives.
1919-1923
Rencontre avec l’écrivain et historien d’art Carl Einstein avec qui elle se
lie d’amitié. Elle fait la connaissance de plusieurs représentants de l’avantgarde parmi lesquels Hans Richter, Hans Arp, John Heartfield, Ivan Pougny
et Laszlo Moholy-Nagy avec lesquels elle noue des relations d’amitié.
Elle séjourne en Italie avec Carl Einstein, en Toscane, où elle réalise des
peintures et des dessins figuratifs.
Les sujets des œuvres de cette époque sont des personnes et des paysages
représentés dans une synthèse plastique qui met en évidence les volumes et dont l’aspect métaphysique est souligné par des couleurs qui
contrastent de façon particulière.
Elle suit les cours de Klee et de Kandinsky à Weimar, au Bauhaus.
Elle vit tantôt à Berlin tantôt à Munich. Dans cette ville elle fréquente les
cours de Hans Hofmann dans son école d’art (Gergenstrasse n. 40) ouverte
depuis 1915. Elle se lie d’amitié avec Théo et Nelly van Doesburg. À
Berlin elle travaille quelque temps avec Archipenko qui avait été avec
Lissitzky un des organisateurs de la première exposition d’art soviétique
qui eut lieu dans cette ville en 1922. Elle a ainsi l’occasion de rencontrer
plusieurs représentants de l’Avant-Garde russe parmi lesquels le poète
Maïakowsky qui est souvent son hôte.
Elle séjourne fréquemment à Rome où son oncle Gino Gori vient d’ouvrir
le Cabaret del Diavolo, lieu de rencontre important pour les artistes et les
hommes de lettres, entièrement décoré par Depero.
1924-1925
En juin à Sursee, près de Lucerne, elle épouse le Suisse Karl Anton Koster.
Ce mariage lui permet d’obtenir la nationalité suisse. Florence Henri s’installe à Paris au 14, boulevard Quinet. Elle s’inscrit à l’académie Montparnasse, dirigée par André Lhote.
Entre 1924 et 1925 elle fréquente avec Marcelle Cahn, Franciska Clausen
et d’autres, l’Académie moderne fondée par Léger et Ozenfant.
Fernand Léger qui est une des personnalités de pointe du milieu artistique parisien, vient de réaliser le film « Ballet Mécanique ».
Elle participe à la grande exposition parisienne L’Art d’Aujourd’hui, première
grande exposition internationale consacrée aux tendances de l’époque :
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cubisme, futurisme, purisme, surréalisme, constructivisme. Léger, Baumeister,
Crotti, Robert et Sonia Delaunay, Larionov, Gontcharova, Arp, Janco, les
exposants de De Stijl au complet, Depero, Prampolini, Moholy-Nagy,
Klee font partie des artistes présents à cette exposition, organisée par le
Polonais Poznansky. Elle se lie d’amitié avec les Delaunay.
1926
Elle expose à la Galerie d’Art Contemporain de Paris avec le groupe de
l’Académie moderne. Elle se lie d’amitié avec Céline Arnaud et Paul
Dermée, premier directeur de la revue « L’Esprit Nouveau ».
Ses œuvres, marquées à l’empreinte des recherches cubo-puristes de
l’Académie moderne, deviennent au fur et à mesure complètement
abstraites. Elle passe quelques mois entre Saint-Tropez et La Ciotat. À
l’automne, retour à Paris et changement de domicile : elle habite au 3,
rue Henri Regnault.
1927
Elle partage pendant quelques mois son atelier avec Prampolini qui est
alors occupé à réaliser des décors pour la Compagnia della Pantomima
Futurista, au Théâtre de la Madeleine.
De retour d’un voyage à Berlin, elle s’inscrit au cours d’été du Bauhaus
de Dessau. Là elle retrouve de nombreux artistes connus précédemment.
Elle réalise des œuvres abstraites caractérisées par le jumelage de la peinture et du collage. Elle fait ses premières expériences de photographe.
Parmi ses compagnons de cours se trouvent Lux Feininger, Margaret
Schall et Walter Funkat devenus par la suite des photographes connus,
ainsi que Max Bill.
Lucia Moholy fait plusieurs portraits photographiques de Florence Henri
qui à son tour photographie plusieurs membres du Bauhaus.
Dans cette période déterminante, elle se lie d’amitié avec Albers, Feininger,
Kandisky, Muche, Scheeper, Breuer et Gropius.
Elle retourne en France et à Marseille obtient le permis de conduire. Son
domicile à Paris est maintenant au 58 rue de la Convention.
1928
Entre la fin de l’année 1927 et le début de 1928, elle réalise des portraits
et des autoportraits photographiques au miroir. Un de ses tableaux
abstraits est publié dans Kubismus d’Albert Gleizes, Bauhausbücher n°13.
Elle travaille intensément la photographie et Laszlo Moholy-Nagy écrit le
premier essai sur ses photos abstraites dans la revue « I 10 » publiée à
Amsterdam dans le numéro de décembre.
1929
À partir de cette année-là ses œuvres sont régulièrement publiées dans
les revues d’art internationales les plus importantes telles que Die Form,
Advertising Display, Tezca, Arts et Métiers Graphiques, Modern Photography,
Art et Décoration, Stile Futurista, Vogue, Verve, etc.
Ses travaux photographiques éveillent un tel intérêt qu’elle reçoit des
invitations pour les plus importantes expositions internationales de
photographie créative. Elle participe à l’exposition Photographie der
Gegenwart au musée Folkwang de Essen, et à l’exposition internationale
Film und Foto à Stuttgart avec 21 photographies.
Au printemps Florence Henri déménage au 23, boulevard Brune.
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À Stuttgart est aussi publiée Foto Auge, avec une reproduction de
l’Autoportrait au miroir avec deux sphères chromées. La publication, conçue
par le photographe et historien d’art Franz Roh et le graphiste Jan
Tschichold, est un des textes les plus significatifs sur la photographie du
XXe siècle.
Elle fait la connaissance de Mondrian, qu’elle fréquente jusqu’en 1938,
quand il quitte Paris.
Elle adhère avec Arp, Domela, les Delaunay, Gropius, Kandinsky, Le
Corbusier, Léger, Moholy-Nagy, Mondrian, Vantongerloo, Ozenfant,
Pevsner, Sophie Taeuber-Arp, Vordenberge-Gildewart et beaucoup d’autres
à l’association artistique Cercle et Carré fondée par Michel Seuphor et
Joaquín Torres-Garcia pour soutenir et divulguer l’art abstrait-géométrique. Une de ses photos abstraites est publiée dans le second numéro
de la revue de l’association.
Elle collabore à la revue franco-polonaise L’Art Contemporain fondée par
Nadia Khodossievitch Grabowska et Jan Brzeckowski.
La dévaluation de la livre sterling, conséquence de la crise économique,
réduit considérablement l’héritage de ses parents, dans lequel jusqu’alors
elle puisait pour vivre. Elle ouvre un atelier de photographie qui devient
vite l’un des plus connus de Paris, et qui constitue son moyen de subsistance. Elle donne également des cours de photographie, activité qu’elle
exercera longtemps, formant ainsi une génération nouvelle de photographes. Parmi ses élèves qui deviendront par la suite des photographes
connus figurent Gisèle Freund et Lisette Model.
1930
Entre mars et avril, elle bénéficie d’une exposition personnelle au Studio
28 à Paris, un cinéma-théâtre qui présente des expositions d’art et où, la
même année, avait été projeté en avant-première le film L’âge d’or de
Dalí et Buñuel.Florence Henri participe à l’exposition internationale Das
Lichtbild à Munich.
Elle déménage au 216, boulevard Raspail.
Florence Henri réalise plusieurs portraits de femmes du milieu artistique
et de modèles choisis pour leurs traits particulièrement modernes. Ces
images sont utilisées souvent pour les couvertures de journaux et revues.
1931
Elle est invitée à l’exposition Foreign advertising photography à New York
où elle reçoit la mention honorable pour sa photo abstraite Zwirnhollern.
Le premier prix est décerné à Herbert Bayer, tandis que les autres « mention
honorable » sont attribuées à Man Ray, Moholy-Nagy, Alban et au Baron
de Meyer.
En juillet l’exposition Das Lichtbild s’ouvre à Essen, au musée Folkwang,
avec des étapes successives à Dusseldorf, Dessau et Breslau. L’exposition,
organisée par Kurt Wilhelm-Kastner et Max Burchartz, reprend le titre de
l’exposition qui avait eu lieu à Munich l’année précédente, mais très différente dans le choix des œuvres exposées.
Elle a une exposition personnelle de photographies à la Galerie Laxer
Normand à Paris et participe aux expositions : Die Neue Photographie au
Kunstgewerbemuseum de Bâle, Galerie d’Art Contemporain, Paris (peinture), Photographie d’aujourd’hui, Galerie La Plume d’or, Paris.
1932
Au cours de l’hiver 1931-1932 elle séjourne quelque temps à Rome où
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elle réalise plusieurs photographies qu’elle utilisera, dès son retour à
Paris, pour une série de photomontages.
Elle quitte son domicile du boulevard Raspail et se déplace au 8, rue de
Varenne, où elle habite jusqu’en 1936. Elle participe à l’exposition
Modern European Photography à la Julien Levy Gallery de New York avec
Man Ray, Walter Peterhans, Lee Miller, Herbert Bayer, Umbo, Maurice
Tabard, André Kertesz et Laszlo Moholy-Nagy .
Elle participe à l’exposition The Modern Movement in Photography à la
Royal Photography Society de Londres. En été, elle voyage en Espagne,
séjourne dans les îles d’Ibiza et Formentera.
1933
Le 22 janvier, inauguration d’une exposition personnelle au Kunstverein
Folkwang à Essen.
Elle réalise de nombreuses photos de nu féminin qu’elle utilisera pour
plusieurs photomontages. Elle participe aux expositions suivantes :
L’image photographique en France de Daguerre à nos jours, Galerie Braun,
Paris.
Salon du Nu, Exposition Internationale du Nu Esthétique, Galerie de la
Renaissance, Paris.
Les journaux intimes de Sonia Delaunay relatent l’intense vie sociale de
Florence Henri et de ses amis, parmi lesquels on citera Ciacelli, Mondrian,
les Delaunay, Marinetti, Gabo, Vantongerloo, Moholy-Nagy, qui se réunissent souvent à la Closerie des Lilas.
1934
Avec la fermeture du Bauhaus de Dessau (1933) commence en Allemagne
l’exode des artistes. Kandinsky va s’établir à Paris et Florence Henri fait
son portrait ainsi que ceux de Léger, et ensuite ceux de Arp, de Sonia et
Robert Delaunay, de Pougny et de Villon.
Au mois de mai elle fait une exposition personnelle de photographie à la
Galerie de la Pléiade, ensuite participe au Salon International d’Art Photographique à Paris.
1935
Elle séjourne quelque temps en Italie.
La revue Stile Futurista publie quatre de ses photographies dans un article
de Ciacelli concernant son travail.
L’article est un document rare témoignant des rapports qu’elle entretient
avec les futuristes, rapports qui existaient pourtant depuis longtemps, et
qui se maintenaient à Paris où plusieurs membres du mouvement futuriste habitaient ou s’y rendaient plus ou moins régulièrement.
En novembre, elle participe à l’exposition La publicité par la photographie
à la Galerie de la Pléiade.
1936/1939
À Paris, elle fait la connaissance de l’écrivain et poète Pierre Minet, elle
habite au n°17 de la rue St Romain dans la maison qu’avait habitée Max
Jacob. Sur la terrasse de son domicile parisien elle fait des portraits au
miroir, des autoportraits et des compositions.
À l’occasion de l’Exposition Universelle de 1937 elle réalise une série de
photographies au Palais de l’Air qu’elle intitule Structures. Elle participe à
l’importante exposition Photo 37 au Stedelijk Museum d’Amsterdam.
Pendant quelques années elle fait plusieurs voyages dans le sud de la
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France, en Espagne, et en Bretagne avec Pierre Minet. Elle réalise de véritables reportages photographiques qui sont publiés dans plusieurs revues,
dont Lilliput.
Elle photographie de plus en plus avec un appareil Rolleiflex, surtout
pour les prises de vue en extérieur. Dans ces années, les vues, les lumières
et même la typologie des sujets changent sensiblement. Les coupes géométriques et les lumières artificielles, qui caractérisaient ses travaux, sont
remplacées par des prises de vue qui mettent le sujet et le paysage sur le
même plan, avec des sources lumineuses principalement naturelles.
Parallèlement, elle se consacre à nouveau à la peinture de façon plus active,
s’inspirant des lieux visités. Même si elle réalise encore quelques portraits
photographiques après 1945, la guerre interrompt en fait son activité
créative de photographe.
1940/1945
Pendant ces années de guerre, elle se consacre principalement à la peinture et à la réalisation de « patchworks ». Son activité photographique se
réduit considérablement, car les matériaux font défaut et sous l’occupation des nazis la photographie est interdite. Cependant son travail continue : en 1940 elle réalise un reportage en Bretagne, à la Palud du Cosquer
(Finistère).
En 1942 elle rencontre l’écrivain allemand Ernst Jünger, dont elle fera
plusieurs portraits.
1946/1950
Pendant ces années elle fait des voyages dans les environs de Paris et
dans le sud de la France, où elle réalise des peintures.
Les œuvres de ces années-là se caractérisent par une série de changements dans le langage pictural. Elle commence par transcrire la réalité (la
plupart du temps des paysages) encore interposée par des divisions géométriques, puis le contour des choses perd au fur et à mesure sa définition et les équilibres de la surface peinte sont précisés seulement par la
couleur.
1951/1962
En 1952 elle quitte la maison-atelier de la rue St Romain et s’installe rue
de la Grande Chaumière. Elle y retrouve l’ami photographe Willy Maywald
qui habite dans la même rue et avec qui elle voyage souvent.
Ces mêmes années elle se rend à l’étranger pour de longs séjours à Tossa
(1953), à Ischia (1954), à Torremolinos (1955), à Mykonos et d’autres
îles grecques (1956 et années suivantes) et aux Iles Canaries (1959).
Durant la longue période d’absence de Paris, elle réalise de nombreux
tableaux s’inspirant toujours des lieux où elle séjourne.
En 1952 elle fait une exposition à la Galerie Nebelung de Düsseldorf, dans
laquelle elle présente ses œuvres les plus récentes.
Ses photographies des années 30 paraissent dans différentes revues
comme N-Z Wochenschau.
En 1953, à Paris elle réalise des portraits de la célèbre danseuse Rosella
Hightower et au cours des années suivantes elle fait les portraits du peintre
allemand E.W.Nay qui est son hôte dans son atelier parisien.
En mars 1955 Florence Henri présente une exposition personnelle de
peintures à la Duisburger Bücherstube.
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1963/1970
Elle quitte Paris pour s’installer définitivement à Bellival, petit village de
l’Oise où Jeanne Taffoireau a acheté une ferme, complètement restaurée
par les deux amies. Une partie de la maison devient l’atelier de Florence
Henri. Elle se consacre à la recherche picturale travaillant surtout à l’intérieur de son atelier et sa peinture reprend un aspect toujours plus
abstrait.
1970/1982
Elle s’occupe de l’édition et des tirages de ses photos à partir de ses vieux
négatifs, et vers la moitié des années 70 reprend la technique du collage
créant une dernière série d’œuvres abstraites avant qu’un grave accident
ne l’immobilise.
L’étude plus approfondie, par de nombreux historiens d’art, sur les
années vingt et trente, fait ressortir l’importance de son rôle dans le
milieu d’avant-garde de ces années-là.
À la suite de cet intérêt renouvelé, on lui dédie de nombreuses rétrospectives dans les galeries et les musées tels que le Westfälischer Kunstverein
de Münster et la Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden en 1976, le Musée
d’Art Moderne de la Ville de Paris et le Palazzo Pilotta de Parme en 1978,
le Banco di Chiavari e della Riviera Ligure de Gênes en 1979, le MNAM Centre Georges Pompidou à Paris, le Musée d’Art et d’Histoire de
Genève et le Musée de Chambéry en 1981.
Elle s’éteint à Compiègne le 24 juillet 1982. Elle est enterrée au cimetière
du Père Lachaise à Paris.
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Photos disponibles
FLORENCE HENRI
Jeanne Lanvin 1929
photographie - épreuve aux sels d’argent vintage
36,7 x 28,7 cm
FLORENCE HENRI
Portrait Composition Femme aux cartes 1930
photographie - épreuve aux sels d’argent vintage
39 x 28,5 cm
FLORENCE HENRI
Composition Nature Morte 1931 c.
photographie - épreuve aux sels d’argent vintage
45,9 x 37,7 cm
FLORENCE HENRI
Rome 1933-34
photomontage épreuve aux sels d’argent vintage
28,2 x 22,8 cm
FLORENCE HENRI
Portrait de Robert Delaunay 1936-37
photographie - épreuve aux sels d’argent vintage
49,5 x 39,7 cm
FLORENCE HENRI
Autoportrait 1938
photographie - épreuve aux sels d’argent de 1977
24,8 x 23,1 cm
30
Photos disponibles
FLORENCE HENRI
Composition 1924 - 1925
huile sur bois
33 x 41,3 cm
FLORENCE HENRI
Composition 1925 c. (datée 1922 par l’artiste dans les années ’60)
gouache et collage sur papier
41,5 x 52 cm
FLORENCE HENRI
Paysage 1936/1940
tempera sur carton
26,8 x 35 cm
FLORENCE HENRI
Paysage 1936/1940
tempera sur bois
27 x 35 cm
FLORENCE HENRI
Paysage 1936/1940
gouache sur papier
33 x 41 cm
FLORENCE HENRI
Paysage 1936/1940
gouache sur papier
33 x 41 cm
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Photos disponibles
FLORENCE HENRI
Sans titre 1950/1960
huile sur carton 33 x 41 cm
FLORENCE HENRI
Grasse 1940/1950
gouache sur papier 26,5 x 20,5 cm
FLORENCE HENRI
Sans titre 1950/1960
huile sur toile 38, 2 x 55, 5 cm
FLORENCE HENRI
Sans titre 1950/1960 huile sur toile 46,2 x 38,4 cm
FLORENCE HENRI
Composition abstraite 1977
collage sur carton 44 x 31,5 cm
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Fiche technique
L'exposition aura lieu à Toulon du 30 octobre 2010 au 9 janvier 2011
Le vernissage est prévu le 29 octobre à 18 h 30.
COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION
Giovanni Battista Martini, conservateur des archives Florence Henri
Un catalogue édité par le Conseil général du Var
à l’occasion de cette exposition comprendra des textes
de Gilles Altieri, Jean-Michel Foray et Giovanni Battista Martini
HÔTEL DES ARTS
Gilles Altieri, directeur
Entrée du public : 236 boulevard Maréchal Leclerc - Toulon
Adresse postale : Conseil général du Var - Hôtel des Arts - rue Saunier
BP 5112 - 83093 Toulon cedex
Tél. 04 94 91 69 18 - Fax 04 94 93 54 76
www.hdatoulon.fr
Horaires : exposition ouverte tous les jours de 10 h à 18 h,
sauf les lundis et les jours fériés.
Tarif : entrée gratuite
CONTACTS
Céline Ricci
Conseil général du Var - Hôtel des Arts
Tél. 04 94 91 69 18 - Fax 04 94 93 54 76
[email protected]
SERVICE DE PRESSE
Agence Observatoire - Véronique Janneau
Contact : Aurélie Cadot
Tél. 01 43 54 87 71- Fax 09 59 38 87 71
[email protected]
www.observatoire.fr
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