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Florence Henri PA R C O U R S D A N S L A M O D E R N I T É - P E I N T U R E S / P H O T O G R A P H I E S 1918 > 1979 30 OCTOBRE 2010 > 9 JANVIER 2011 Florence Henri, femme et artiste sans frontières 2 GILLES ALTIERI Florence Henri, la photographie comme réflexion 7 GIOVANNI BATTISTA MARTINI Double jeu 15 JEAN-MICHEL FORAY Biographie 23 Photos disponibles 30 Fiche technique 33 RELATIONS AVEC LA PRESSE Agence Observatoire - Véronique Janneau Contact : Aurélie Cadot - Tél. 01 43 54 87 71 - Fax 09 59 38 87 71 - [email protected] Florence Henri, femme et artiste sans frontières GILLES ALTIERI, directeur de l’Hôtel des Arts D ans le domaine de la photographie, l’Hôtel des Arts porte un intérêt particulier à la photographie dite « construite », non pas celle qui se propose de capter un instant privilégié du monde extérieur – le fameux instant décisif – mais la photographie comme mode d’enregistrement d’une situation délibérément provoquée et mise en scène par l’artiste ou d’une illusion de réalité qu’il a lui-même conçue et fabriquée. C’est le cas à des degrés divers de plusieurs photographes exposés à l’Hôtel des Arts : photographies d’ateliers imaginaires réalisées à partir de maquettes par Philippe de Gobert, vieilles photographies retravaillées et transfigurées de Carmen Calvo, photographies de tableaux célèbres reconstitués au moyen de matériaux incongrus – chocolat, confiture, poussière, clous, fil à coudre, etc. – par Vic Muniz, dispositifs divers faussant la perception de la réalité par Laurent Millet et Éric Bourret, et photographies ambiguës et trompeuses de Sarah Moon. L’autre point de convergence de ces photographes réside dans le rôle éminent joué chez eux par la peinture dans laquelle ils puisent leurs sources et leurs références, et avec laquelle ils entretiennent un dialogue plus ou moins visible mais constant. Certains, tel Lucien Hervé, ont été des peintres avant de faire le choix de la photographie, d’autres comme Philippe de Gobert, Laurent Millet et Vic Muniz intègrent le thème de la peinture dans leurs photographies ; Günther Förg enfin, pratique les deux techniques et semble leur accorder un égal intérêt. Florence Henri entre naturellement dans cette mouvance, étant à la fois une des grandes figures historiques d’« artistes utilisant la photographie » en raison du rôle éminent qu’elle a joué pour désaliéner l’image photographique du réel dans les années vingt et trente, et par sa double activité de peintre et de photographe. L’exposition que nous lui consacrons est tout à fait inédite ; en effet si son œuvre photographique bénéficie d’une indiscutable notoriété 2 auprès des historiens d’art et d’un public international croissant, il en va autrement de sa peinture qui demeure méconnue bien qu’elle ait occupé une place centrale dans sa vie. Curieusement les deux pans de son œuvre n’avaient pas été mis en regard jusqu’ici ; l’exposition de l’Hôtel des Arts comble donc cette double lacune en permettant non seulement de découvrir une part essentielle de l’œuvre de Florence Henri, mais également en offrant au visiteur la possibilité d’analyser les fécondes interactions entre les deux modes d’expression et d’appréhender ainsi son œuvre dans sa richesse, sa complexité et son étendue. Une passion irrépressible pour les formes les plus avancées de l’art Née en 1893 à New York d’un père français et d’une mère allemande, Florence Henri est destinée à mener une vie internationale. À la mort de sa mère lorsqu’elle a de deux ans, elle part vivre avec son père en Silésie dans sa famille maternelle. En 1902 – elle a alors neuf ans – elle entre à Paris dans une institution religieuse où elle commence à étudier le piano, puis va vivre à Vienne avec son père. À l’âge de quatorze ans elle se rend en Angleterre pour y suivre des études musicales. Au décès de son père survenu en 1907, elle réside à Rome où elle possède de la famille. Elle donne deux concerts à Londres, mais en 1914, à l’âge de vingt et un ans, décide soudainement d’abandonner la musique et se rend en Allemagne où elle vivra une dizaine d’années. Elle fréquente l’Académie des beaux-arts de Berlin et de nombreux artistes d’avantgarde deviennent ses amis parmi lesquels Hans Richter, Heartfield, Hans Arp, Jean Pougny, Moholy-Nagy ainsi que l’écrivain et historien Carl Einstein dont elle est très proche. À Munich elle noue des liens d’amitié avec Théo et Nelly van Doesburg et suit l’enseignement d’Hans Hofmann. Sans être grand clerc, il est aisé de constater au simple énoncé des événements tragiques et des péripéties qui ont émaillé les jeunes années de Florence Henri (orpheline de mère à deux ans et de père à quatorze, contrainte en conséquence de mener une existence erratique à travers l’Europe) qu’elle était dotée d’une capacité de résistance peu commune – on parlerait aujourd’hui de résilience – aux traumatismes infligés par la vie et qu’elle possédait une force de caractère exceptionnelle puisque, étant seule à pouvoir gouverner sa conduite, elle n’a jamais hésité à prendre des décisions radicales comme celle d’arrêter la musique au profit de la peinture, à l’aube d’une possible carrière de concertiste. Son indépendance d’esprit était également remarquable comme le prouvent les options esthétiques qu’elle a choisies et la détermination dont elle a su faire preuve en faveur des mouvements artistiques les 3 plus transgressifs de son époque. À cet égard la liste des amitiés et des liens qu’elle a tissés avec les plus éminents artistes contemporains est tout à fait significative ; pour preuve les portraits photographiques de ses amis Kandinsky, Fernand Léger, Robert et Sonia Delaunay, Hans Arp et des nombreuses personnalités du monde intellectuel de son temps qui suffiraient à lui assurer une place de grand témoin dans l’histoire de l’art moderne du XXe siècle. Cette attirance irrépressible pour les formes d’art les plus expérimentales lui fait naturellement fréquenter les institutions les plus avancées dans l’enseignement de l’art, telles l’École des beaux-arts de Berlin avec Schwitters, l’Académie moderne créée par Fernand Léger et Amédée Ozenfant, et suivre les cours du Bauhaus où en 1927 elle commence à s’intéresser à la photographie qui constitue pour elle un nouveau champ d’expérimentation qui l’occupera de façon intense jusqu’au début des années quarante. Par ses photographies Florence Henri est rapidement reconnue comme un élément majeur de l’avant-garde de son époque ; ainsi elle participe en 1925 à l’exposition « l’art d’aujourd’hui », première manifestation internationale de grande ampleur consacrée aux nouvelles tendances, au côté notamment de Hans Arp, Willi Baumeister, Fernand Léger, Paul Klee, Robert et Sonia Delaunay, ainsi que Laszlo Moholy-Nagy. Ses photographies figurent dans les meilleures revues et elle participe aux grandes expositions internationales de cette période. Lorsqu’elle délaisse la photographie et adopte à nouveau la peinture comme principal médium à partir de la seconde moitié des années trente, c’est avec la détermination dont elle a fait preuve dans ses premières années de peinture et dans ses recherches photographiques. N’obéissant pas à un parcours téléonomique qui prendrait pour point de départ la figuration pour aboutir par décantations successives à l’abstraction, comme cela a été le cas chez plusieurs peintres de sa génération – Mondrian en étant la figure emblématique –, la peinture de Florence Henri évolue par cycles fortement homogènes, tantôt figuratifs tantôt abstraits, possédant une qualité picturale constante. Sa palette généralement fraîche et colorée et une certaine façon de poser la peinture la rapprochent de Kandinsky, Robert Delaunay, et de plusieurs autres peintres avant-gardistes évoluant dans les mêmes cercles. Privilégiant les petits et moyens formats sa peinture présente d’étonnantes qualités plastiques et reprend les principes de composition de ses photographies. Refusant (ou incapable) de s’installer dans le confort d’un style et d’une manière, c’est à l’automne de sa vie, au cours des années soixante-dix, qu’elle produit une série de collages abstraits géométriques réalisés à partir de formes élémentaires combinées en séquences rythmées, qui constitue sans conteste son travail le plus ingénu et le plus frais, en même temps que le plus intransigeant et le plus radical. Une sorte de retour final aux sources du Bauhaus. Une façon de boucler la boucle. 4 Noir et blanc et couleur Florence Henri commence vraiment à s’intéresser de manière créative à la photographie en 1927 et réduit sensiblement son activité dans ce domaine à partir des années quarante pour revenir à la peinture. Son activité de photographe la plus intense n’a donc duré qu’une quinzaine d’années qui ont pourtant suffi à faire d’elle un des photographes majeurs des avant-gardes et de la modernité. Les principaux ouvrages traitant de l’histoire de la photographie reproduisent ses œuvres et consacrent le rôle historique qu’elle a joué pour faire de la photographie un art majeur. Dans la Nouvelle histoire de la photographie éditée chez Bordas en 1995, Michel Frizot écrit : « Avec Florence Henri s’établit plus spécifiquement le lien entre la Nouvelle Photographie allemande et ses succédanés européens, parfois tout à fait semblables au modèle germanique, parfois aussi teintés d’un certain non-conformisme méditerranéen… ». Dans l’ouvrage « La photographie du XXe siècle » publié aux éditions Taschen, on trouve sous la plume de Marianne Bieger-Thielemann l’appréciation suivante : « Florence Henri fit œuvre de pionnière de la Nouvelle Vision dans les années vingt et trente. […] Ses Compositions au miroir représentent un autre volet important de l’œuvre de Florence Henri. Dans ces compositions compactes, pensées jusque dans le moindre détail de fruits, d’assiettes, de bobines de fil, de flacons de parfum ou de corps purement géométriques, elle est parvenue, à l’aide d’un ou plusieurs miroirs, à briser le rôle de la perspective comme élément central de la configuration de l’espace photographique. En cassant ainsi les différents niveaux de l’image, Florence Henri reprenait pour une part les éléments cubistes de ses premières peintures abstraites. Pour une autre, la construction rigoureuse de ses natures mortes et la fonction structurante de leur lacis de lignes sont une référence évidente au constructivisme ». Emmanuelle de l’Ecotais, à propos des photographies de Florence Henri dont le Centre Georges Pompidou possède dans sa collection cent soixante-treize pièces, écrit : « Ces œuvres se caractérisent par l’économie de leurs formes, la clarté de leurs lignes et l’atmosphère hermétique qui les entoure. Mélange puriste (natures mortes d’Amédée Ozenfant et de Le Corbusier) et constructiviste, ces compositions photographiques exploitent constamment le dialogue entre l’abstraction et la réalité ». En mettant d’une part en évidence le lien qui unit sa peinture à sa photographie et d’autre part le dialogue qui s’ établit entre l’abstraction et le réel, ces auteurs caractérisent avec justesse la logique qui traverse l’œuvre de Florence Henri. Son parcours atypique, qui à la fois s’inscrit dans les courants majeurs de son époque auxquels elle imprime sa marque et au sein desquels elle est souvent pionnière, mais qui couvre deux disciplines considérées comme concurrentes, voire anta- 5 gonistes, ne fait pas immédiatement sens pour l’observateur et rend l’œuvre de Florence Henri difficile à décrypter. La mise en sourdine de son activité photographique dans les années quarante – qui lui avait pourtant assuré le succès et la reconnaissance internationale – au profit de la peinture ajoute au mystère. Un aspect central de la personnalité de Florence Henri réside sans aucun doute dans l’impossibilité de creuser longtemps un sillon et de s’installer durablement dans la même situation, l’obligeant régulièrement à tenter de nouvelles expériences artistiques comme à changer de cadre de vie. Une instabilité constitutionnelle ou acquise à la suite des événements qui ont marqué sa jeunesse nomade. La pratique alternée des deux disciplines et les changements de style dans sa peinture lui ont en conséquence apporté l’équilibre et le dépaysement dont elle avait besoin pour conserver intact son enthousiasme créatif. Toutefois en dépit de la diversité des pistes qu’elle a explorées dans les deux médiums, l’œuvre de Florence Henri reste finalement cohérente. En effet chaque champ qu’elle ouvre et explore à une période de sa vie n’est pas définitivement clos lorsqu’elle y met un terme à la manière d’une mine qu’on fermerait une fois le filon épuisé, mais prépare et incube une phase ultérieure de son travail. Ainsi par exemple, après les années de grande expérimentation photographique à la fin des années vingt, caractérisée par l’utilisation des miroirs qui l’ont rendue célèbre – mais à laquelle on l’a trop souvent réduite – elle peint de nombreux paysages qui adoptent les mêmes principes de division abstraite de l’espace, qu’elle déconstruit et fragmente en différentes zones colorées un peu à la manière de Raoul Dufy, un autre artiste discrètement audacieux. S’il fallait caractériser d’un mot l’œuvre et la vie de Florence Henri, c’est certainement celui de « liberté » qu’il faudrait employer. Qu’il s’agisse en effet de ses innombrables déplacements dans les différents pays d’Europe de sa naissance jusqu’aux années soixante, ou des multiples aspects que revêt son travail artistique, l’évidence s’impose que Florence Henri incarne le refus de toute entrave à sa liberté d’agir et de penser : une femme et une artiste sans frontières. 6 Florence Henri, la photographie comme réflexion GIOVANNI BATTISTA MARTINI, conservateur des archives Florence Henri. L a scène artistique de son temps lui reconnaît un rôle de protagoniste et, aujourd'hui, nous pouvons appréhender l'ensemble de son œuvre comme l'un des paradigmes de la modernité. Florence Henri s'impose grâce à une subjectivité très riche, qui refuse les compromis et les conventions de la société de son époque. Elle développe sa recherche personnelle en ne comptant que sur ses propres forces et capacités, et construit son identité à travers les diverses expériences qui animent alors les milieux culturels et artistiques à Londres, Rome, Paris, Berlin, au Bauhaus ou sur les côtes de la Méditerranée. Elle incarne son époque et représente avec succès l’essence même de cette dimension du nouveau qui a marqué le siècle dernier, où s'entremêlent choix de vie et exigences de la création artistique, s'identifiant avec un cheminement voué à la recherche de la liberté et de sa propre expression artistique. Née en 1893 à New York et morte à Compiègne en 1982, Florence Henri traverse le XXe siècle comme une pionnière qui n'obéit qu'à un esprit d'invention inconditionné. Artiste à part entière, elle s'approprie avec habileté et lucidité les techniques et les modalités d'expression qui lui permettent de répondre au besoin de produire des œuvres capables d’aller au-delà de l'évidence de la réalité. L’histoire de sa famille est tourmentée : elle perd sa mère à l'âge de deux ans, puis son père quelques années plus tard, ce qui l'oblige très tôt à mener une vie « nomade », à quitter les États-Unis pour passer son enfance et son adolescence dans divers pays européens. Cela déterminera la formation de sa personnalité, forte et décidée, car d'emblée elle n’a de comptes à rendre qu’à elle-même, entretenant un désintérêt absolu envers les conventions de tous genres, qu'elles soient artistiques, sociales ou sexuelles. L'étude et la pratique de la musique jouent, au début de sa formation, un rôle essentiel, d’une part parce qu’elles coïncident avec ses années de jeunesse et d’adolescence, d’autre part en raison de l’importance des maîtres avec lesquels elle étudie et des personnalités qu'elle croise. Parmi les premiers figurent Percy Grainger à Londres, Egon Petri et Ferruccio Busoni à Berlin ; parmi les seconds, Ysaye, Kubelik, Russolo, Edgar Varese et le célèbre pianiste Michael von Zadora, avec qui elle a une brève relation amoureuse. 7 Sa carrière de pianiste de concert débute à Londres et sur l'Ile de Wight entre 1905 et 1907. À Rome, elle fréquente l’Académie de SainteCécile ; à Richmond elle poursuit ses études de piano ; en 1911 elle se rend à nouveau à Londres, où elle joue des œuvres de Grieg, Liszt et Franck à la Bechstein Hall ; en 1912, elle se fixe à Berlin. Après avoir interrompu, brusquement et définitivement, son expérience de concertiste – les contingences de la Grande Guerre l'empêchant d'encaisser d'Angleterre une rente que son père lui a destinée – elle est obligée de gagner sa vie en accompagnant musicalement des films muets dans les salles de cinéma de Berlin. C'est alors qu'elle prend conscience de l'impossibilité d'atteindre un degré d'excellence dans ce domaine. La musique l'accompagnera néanmoins tout au long de sa vie, depuis son intérêt pour le jazz, qu'elle partageait avec ses amis Delaunay durant les années trente1, jusqu'aux concerts diffusés par la télévision française qui, même dans son grand âge, constituaient pour elle des rendez-vous indispensables, qu’elle n’omettait jamais d’inclure dans son emploi du temps. Après avoir abandonné la musique, elle trouve à Berlin les impulsions propices pour entreprendre des études de peinture. En effet, c'est là qu'a lieu en 1912, à la Galerie Der Sturm, la remarquable exposition du Blaue Reiter. Comme pour sa formation musicale, ses études de peinture sont scandées elles aussi par des déplacements continus, dictés par son besoin croissant d'apprendre : elle commence par l'atelier de Johannes Walter-Kurau à Berlin ; elle séjourne ensuite à Düsseldorf, où elle suit les cours de Heinrich Nauen à la Kunstakademie ; puis, ce sera le tour de Munich avec les cours de Hans Hofmann2, et du Bauhaus de Weimar avec les enseignements de Klee et Kandinsky. De 1921 à 1923, elle fréquente l'atelier d'Archipenko, où elle fait la connaissance de plusieurs protagonistes de l'avant-garde russe, dont Vladimir Maïakovski. Les rares dessins qui nous sont parvenus montrent combien cette expérience a contribué à l’affermissement de sa connaissance de la complexité volumétrique de la figure et de son rapport à l'espace. À la même époque, elle se lie d'amitié avec Theo et Nelly (Petro) van Doesburg et noue une profonde relation avec l'écrivain et historien d'art Carl Einstein, figure de premier plan de la recherche et de la critique d'avant-garde. Ensemble, ils effectuent un voyage en Italie, où elle peint à Settignano une série d'œuvres consacrées au paysage toscan3. En 1924, elle s'installe à Paris, concrétisant enfin son aspiration à vivre dans la capitale française. Elle fréquente l'académie Montparnasse dirigée par André Lothe, puis, quelques mois plus tard, pour clore un parcours d’études mouvementé, l'Académie moderne fondée par Fernand Léger et Amédée Ozenfant. 1 - Cf. Annette Malochet, Atelier Simultané di Sonia Delaunay, Milan, Fabbri, 1984. 2 - À Munich, avec son amie Franciska Clausen, elle fréquente les cours de Hans Hofmann, avec qui elle restera en contact pendant toute sa vie. Lettre de Hans Hofmann à Florence Henri, datée du 28/08/1964, Archives Florence Henri. 3 - Parlant de Carl Einstein, Florence Henri se souvenait avec admiration de la figure du penseur et historien et avec affection de ses qualités humaines, en citant souvent sa fin dramatique. Après avoir combattu au côté des républicains durant la guerre civile espagnole, Einstein se suicida en France en 1940 pour échapper à la Gestapo. 8 Les années passées avec Léger et Ozenfant – avec qui elle partage des expériences intenses, comme la participation, en décembre 1925, à l'exposition internationale L’Art d’Aujourd’hui à Paris – sont essentielles pour la définition d'une syntaxe de la forme et de la couleur dans sa peinture ; en fait, il ne s'agit pas d'apprentissage mais d'expériences qui constituent une adhésion aux recherches menées dans ces années et à la formulation de nouvelles propositions dans le vocabulaire de la forme, du volume et de la couleur. Non moins importants, ses deux séjours au Bauhaus – à Weimar d'abord, où enseignent Klee et Kandinsky, puis, en 1927, à Dessau – l'encouragent assurément à s'ouvrir à la dimension interdisciplinaire de la recherche qui caractérise les cours de l'Institut dès sa fondation. C'est dans ce cadre de quête inlassable de nouveaux moyens d'expressions que l'on doit considérer sa conversion momentanée à la photographie, en 1927, favorisée à coup sûr par l'amitié avec Laszlo Moholy-Nagy et sa femme Lucia, à qui revient par ailleurs le mérite d'avoir introduit la pratique photographique au Bauhaus. L'intérêt qu'elle porte à ce nouveau moyen d'expression est également stimulé par les théories que Moholy-Nagy expose en 1925 dans le huitième volume de la collection Bauhausbücher, intitulé Malerei Fotografie Film (Peinture Photographie Film), ainsi que par l'expérience parisienne qui lui fait apprécier, quelques années auparavant, la puissance dynamique de certains photogrammes du film Le Ballet Mécanique de Fernand Léger (« le premier film sans scénario »). Mais c'est la peinture qui lui permet d’aborder la photographie avec maturité, loin des tentatives occasionnelles et expérimentales. D'emblée, sa capacité à recourir à ce médium comme à un procédé avant tout mental est évidente. L’artiste approfondit les ressources de la photographie surtout au niveau du langage, et explore de nouvelles approches opératoires dans la communication visuelle à travers de nombreuses techniques – le photomontage, le photocollage, l'effet basrelief, l'impression en négatif associée à l'impression en positif, la superposition d'images, le positionnement de surfaces réfléchissantes dans la prise de vue, ou de diaphragmes entre l'objectif et le sujet, l’usage de retouches comme moyen pour transformer et subvertir l'imagequ’elle utilise pour se mesurer aux grands genres de l’art comme le portrait, la nature morte, le paysage, le nu, ou à des genres inédits comme la photographie publicitaire ou de mode. Florence Henri ne nous a pas légué de textes théoriques, mais ses correspondances avec Lou Scheper4 ou Pierre Minet5 par exemple, témoignent d'un raisonnement et d'une réflexion sur son travail dont elle parle avec une extrême lucidité. Toujours à l’écart des conventions, l'artiste conçoit comme indissociables la création artistique et le quotidien. Même si, quand elle enseigne, elle produit de la théorie, elle le fait sur un mode non conventionnel. Grâce à sa capacité de faire observer les choses à partir d'un point de vue inattendu, en s'ouvrant à des territoires inexplorés, ses procédés didactiques ne relèvent jamais d'une démarche formelle ou traditionnelle mais sont toujours professionnels et attentifs. 4 - Dans une lettre conservée au Bauhaus Archiv à Berlin, Florence Henri confie à son amie qu'elle est lasse de peindre, alors qu'elle a « une quantité incroyable d'idées sur la photographie ». 12 février 1928. 5 - Archives Florence Henri. 9 C'est une personnalité très forte et communicative qui ressort des témoignages de certaines de ses élèves des années trente, comme Gisèle Freund,6 Lisette Model7 ou Dorothy Weyl8. Elle se fait comprendre par des phrases courtes, à travers des indications d'ordre plus opératoires que théoriques, non seulement pour ce qui est de l’aspect technique de la photographie mais aussi sur le plan de la sensibilité projectuelle et créative, nécessaire pour concevoir et composer des images. Les photographies de la première période, outre leur perfection formelle, surprennent par leur intentionnalité. Elles constituent de véritables manifestes programmatiques pour une nouvelle photographie et prennent leur origine dans un vaste spectre de sollicitations culturelles, dans lequel des expériences créatives multiples se chevauchent : le cubisme, en premier lieu, et le constructivisme, mais aussi la dimension métaphysique qui sera l'antichambre du surréalisme. Dans le texte qui accompagne les photos de l'artiste, publiées dans le n°17/18 de l’International Revue i 10 (décembre 1928), Moholy-Nagy écrit : « avec les photographies de Florence Henri la pratique de la photographie aborde une nouvelle phase d’une toute autre ampleur que ce qu’il aurait été possible d’imaginer jusque ici. Au delà de la composition documentaire, précise, exacte, des photographies définies à l'extrême, la recherche de l'effet de lumière est abordée non seulement dans les photogrammes abstraits, mais aussi dans les photographies de sujets concrets. Toute la problématique de la peinture manuelle est assumée dans le travail photographique et, à l'évidence, se trouve considérablement élargie par le nouvel instrument optique. En particulier les images réfléchies et les rapports spatiaux, les superpositions et les intersections sont explorées dans une perspective et d'un point de vue inédits. » Dans la composition Lanvin, réalisée pour la campagne publicitaire9 de la célèbre marque de parfum, la boule noire est multipliée grâce à un jeu de miroirs agencés angulairement l'un par rapport à l'autre de manière à créer une sorte de collier. La mise en abyme de l'objet produit une série de renvois à l'infini et contraint le spectateur à une lecture circulaire de l'image, forçant son regard au dialogue et à l'interaction. La dimension troublante de cette idéation attire l'attention de l'observateur en même temps qu'elle le défie : l’artiste incite à découvrir cette « illusion visuelle » qui lui permet de camoufler son invention formelle. Les résultats de ses recherches photographiques bénéficient alors d'une notoriété considérable auprès du milieu artistique international10, et sa participation aux expositions Fotografie der Gegenwart à Essen et Film und Foto à Stuttgart en 1929, Das Lichtbild à Munich en 1930, Foreign 6 - Gisèle Freund, Mémoires de l’œil, Paris, Éditions du Seuil, 1977. 7 - Lisette Model, Catalogue de l'exposition, Madrid, Fundación Mapfre, 23 septembre 2009 – 10 janvier 2010 / Paris, Jeu de Paume, 9 février – 6 juin 2010. 8 - Lettre de Dorothy Weyl à Giovanni Battista Martini, Archives Florence Henri. 9 - « La Revue des Femmes », Paris, 1930. 10 - Ilse Bing Paris 1931-1952, catalogue de l'exposition, Paris, Musée Carnavalet, décembre 1987– janvier 1988. 10 Advertising Photography à New York en 1931, dans les années cruciales où s'affirme une « nouvelle vision », est déterminante.11 Ses travaux sont publiés dans les plus importantes revues de l'époque, entre autres L’Art Contemporain, Art et Métiers Graphiques, l'hebdomadaire polonais Tzeca, Cercle et Carré, The Studio, L’art vivant, la revue annuelle anglaise Modern Photography, Advertising Display, tandis que l'historien d'art Franz Roh sélectionne l'autoportrait de 1928 pour la publication Foto-Auge, l'un des textes majeurs du XXe siècle consacré à la photographie. Bien qu'elle-même n'ait jamais réalisé de film, on ressent dans ses premières photographies des affinités et des procédés proches du cinéma expérimental contemporain, par exemple dans le choix des sujets et dans l'angle de vue à partir duquel ceux-ci sont représentés. Il n’est donc pas étonnant que la première exposition personnelle qu’on lui consacre ait lieu au Studio 28, un cinéma-théâtre qui accueille également des expositions d'art et où l'on projette en avant-première, la même année, le film surréaliste L’âge d’or de Buñuel et Dalí. De même, la réalisation de certains Portraits compositions des années trente se rapproche des modalités relevant du tournage de film : l'artiste conçoit en effet de véritables plateaux où le modèle est maquillé et transformé à l’aide de vêtements et d’ornements. Florence Henri cherche des consonances entre le visage, les tissus et les bijoux, et utilise avec justesse la lumière qui confère à l'ensemble des éléments une unité linguistique absolue. En raison de la spécificité de ces images, elle est appelée en 1957 comme consultante extérieure pour la photographie à Hydra, où l'on tourne le film Ombres sous la mer de Jean Negulesco, interprété par Sofia Loren et Alan Ladd. Bien que les éléments de composition et de construction, qui tiennent une place prééminente dans son processus de création, soient manifestes dès les titres qu'elle donne à la plupart de ses travaux photographiques ( Composition nature morte, Portrait composition ), considérer ses intentions liées au contenu comme de simples exercices formels signifierait donner une interprétation réductrice de la complexité de son travail. C'est en ce sens qu’il faut tenir compte de ce qu'affirme Rosalind Krauss dans son essai Photographie et surréalisme (dans l’ouvrage Le Photographique12), lorsqu'elle met en regard l’autoportrait de 1928 avec une œuvre de l'un des protagonistes du surréalisme : « La fonction des boules chromées apparaît comme celle de projeter l’idée de phallisme au centre de l'image et de mettre en place, comme dans la photographie de Man Ray (Monument à Sade, 1933), un dispositif de répétition et d'écho. Un rôle qui semble infiniment plus le leur que celui qui consiste à promouvoir les valeurs formelles d'immobilité et d'équilibre. » La lecture de l'image est renversée, se situant moins au niveau du contenu formel qu’au niveau du contenant, moins sur l'objet figuré que sur la manière de le représenter et de le subvertir. Mais ce qui concourt encore plus à la subversion de ces images – outre l'usage du 11 - Le 24 juin 1929, Josef Albers écrit à Florence Henri au sujet de l'exposition Film und Foto à Stuttgart : « Chère Monti, vous n’auriez pas imaginé cela. Mais dans mon catalogue de Stuttgart est annoté, en gras derrière Florence Henri, « la meilleure ». Et c’est vrai… Votre vieux maître avant-gardiste… Alors mes compliments et Bravo ! Aussi à Berlin chez Nierendorf : en particulier vos photographies… » 12 - Rosalind Krauss, Le Photographique, Paris, Macula, 1990. 11 miroir – c'est la pratique du photomontage. Dans certains travaux, deux images du même objet sont associées, renversées l'une par rapport à l'autre, ce qui en modifie profondément la sémantique. À travers l'artifice du photomontage, Florence Henri nous entraîne dans une dimension fragmentée du réel. En témoignent certains photomontages consacrés à Rome, où l’on entrevoit la volonté de proposer une dimension recréée de la réalité. Les objets représentés sont tangibles et réels, découpés avec soin et extrapolés de leur contexte pour être ensuite restitués, à l'aide d'un montage, dans un espace réinventé par l'artiste qui n'a plus rien de figuratif ; la multiplication incongrue des sources de lumière et des perspectives, au moyen desquelles les éléments sont fixés en image, produit un effet de dépaysement qui fait penser davantage à une mise en scène théâtrale. Les éléments architecturaux et plastiques semblent jouer des rôles de fantômes qui revivent comme les symboles d'un passé perdu. Le procédé technique dont l'artiste se sert est, à l’évidence, sciemment révélé – l'assemblage des images initiales ne recèle aucune « illusion visuelle » – et, malgré cela, les éléments qui occupent l'espace de la composition évoluent dans leur propre dimension, magique, à mi-chemin entre l'imaginaire et le réel. Ce méta-espace, évident, contient une dimension riche en références à l'iconographie métaphysique de De Chirico. Le questionnement sur la représentation de l'espace et sur les dynamiques de la perception, ainsi que son extraordinaire habileté technique dans l'usage du photomontage, conduisent l'artiste à réaliser en 1936 un Portrait-composition qui, de par sa complexité conceptuelle et d'exécution, est emblématique de la profondeur et de la modernité de son travail. Pour reconstruire une scène nocturne, Florence Henri imprime en négatif l'image d'un paysage, puis le compose, en phase d'impression, avec le portrait d'un modèle à la mantille, réalisé en extérieur et en nocturne. L’illusion visuelle est ici parfaite et seul un regard attentif saurait en deviner la genèse. Mais le halo de mystère qui entoure l'évocation d'une nuit d'été que l’artiste a su créer résiste même à l'analyse la plus technique et garde toute la fascination onirique de l'image. Cet outil linguistique n’est pas le seul moyen que Florence Henri utilise pour explorer les interprétations ambiguës de la réalité. Dans sa Composition au vase, la représentation du sujet se dédouble en deux prises de vue différentes sur un même négatif, ce qui introduit dans l'œuvre le facteur temps. Cette simultanéité des prises de vue diffère des propositions dynamiques et futuristes de Bragaglia ou – en remontant plus loin – des études sur le mouvement de Muybridge ou Marey. Ici, l'artiste veut plutôt poser une question : laquelle des deux images, présentées simultanément, correspond à la réalité ? Autre exemple encore, la Composition de 1937, où l'effacement partiel de l'objet dans la photographie nous rappelle le caractère illusoire de la vision : ce que nous voyons ne peut être qu’une trace de ce que la réalité laisse dans notre mémoire. L'activité photographique exercée dans tout son potentiel conduit l'artiste à des résultats importants sur le plan de la fragmentation de la forme, qu’elle transfère bientôt dans sa peinture avec des résultats analogues par le choix affirmé de sujets ouvertement figuratifs, comme les paysages. Cette vision parcellisée de la réalité se traduit en peinture 12 sous forme de multiplication de surfaces uniformément colorées qui, dans la composition voulue par l'artiste, évoquent celles des photographies, où elle exploite toutes les possibilités que la technique met à sa disposition. La pratique de la photographie amène l'artiste à reprendre la peinture durant la seconde moitié des années trente. Dans ces années les orientations dans sa façon de photographier subissent une mutation substantielle. Désormais, le laboratoire privilégié de la création de l’image n’est plus le studio avec ses lumières artificielles, c’est l’espace extérieur qui devient la scène principale pour ses prises de vue, et l’utilisation de la chambre à banc optique alterne avec le rolleiflex plus maniable. Les modèles – qui, quelques années plus tôt, étaient soigneusement préparés dans l'atelier avant d'être représentés à l'aide d'ingénieux jeux d'ombres et de lumières – sont désormais placés à l'extérieur, même en pleine campagne. En utilisant la lumière du jour, qui souligne le naturel du sujet, ces images annoncent une esthétique qui marquera un certain cinéma américain d'après-guerre et qui trouvera dans la Nouvelle Vague française son expression la plus complète (À bout de souffle de Godard, 1960, par exemple, ou Jules et Jim de Truffaut, 1962). Ce n'est pas un hasard si, au cours des années cinquante, ces images seront encore utilisées comme modèles féminins de la contemporanéité par les mass media internationaux. En représentant le paysage, sujet de plus en plus fréquent, les éléments qui avaient caractérisé la dimension urbaine des photographies des années vingt – structures en métal, enseignes, prises de vue angulaires et vertigineuses de l'architecture – sont abandonnés. Dans les paysages marins qui prennent le dessus, comme l'attestent ses séjours en Bretagne, l'artiste interroge le rapport qui s'établit entre la figure humaine et l'espace qui l'entoure dans un jeu d’échos de volumes, de masses et de clairs-obscurs. Les natures mortes, photographiées à la lumière du jour et inscrites dans la nature elle-même, se démarquent nettement, par leur conception spatiale, de celles que l'artiste avait réalisées dix ans plus tôt avec une rigueur géométrique, dans l'espace aseptisé de son studio. En 1936, Florence Henri déménage rue Saint-Romain, dans l’ancienne maison de Max Jacob, et dispose désormais d'une terrasse qui se transformera souvent en véritable plateau pour nombre de ses photographies : le portrait au miroir de Pierre Minet (1937), par exemple, deux autoportraits datant de 1938, plusieurs portraits du modèle VonVon, et quelques compositions ayant les ombres pour sujet. Dans la réalisation de l'image, le rapport avec l'espace extérieur – au départ nécessairement lié à l'instantanéité temporelle de la prise de vue – devient plus complexe par la construction d'une sorte de « laboratoire de la vision », comme c'est le cas dans l'autoportrait (1938) choisi pour la couverture de ce catalogue. L’artiste y apparaît réfléchie dans un miroir encadré ; en réalité, le miroir est seulement simulé par le travail d'effacement, effectué sur le négatif, de l'espace qui entoure la figure. Le cadre devient une métaphore du cadrage, donc une métaphore du regard, tout comme le miroir est toujours, dans ses travaux, une métaphore de l'image photo13 graphique elle-même. La méta-représentativité de l'image est rehaussée par la présence d'un cadre vide. L’usage du miroir encadré renverse sur le plan de la prise de vue photographique les perspectives et les horizons lointains afin de simuler un portrait comme dans le cas des deux travaux réalisés à Taissy : un autoportrait et un portrait de Pierre Minet, présenté à l'exposition, dans lequel l’artiste a placé devant un mur extérieur un ensemble figurant un intérieur domestique composé d’une table, d’un vase et d’un bol ; le miroir encadré dans lequel l’écrivain se reflète renversant chez l’observateur la perception de l’espace extérieur- intérieur. Cette conception originale – observer l'extérieur avec une attention toujours renouvelée, à travers l'objectif photographique – souligne l’urgence de l'artiste à assouvir son besoin d'explorer, d’interpréter et de transcrire, pas seulement en noir et blanc, les valeurs expressives que seule la peinture peut offrir. La peinture et la photographie sont ainsi orientées par une même vision comme deux vases communicants : la peinture fait appel au cadrage photographique pour transcrire le paysage, sujet privilégié, tandis que la photographie enrichit la gamme infinie des gris que seule une sensibilité de peintre peut suggérer. Le parcours artistique de Florence Henri se déploie en dépassant les contradictions apparentes, en alternant l'abstraction et la figuration, la photographie et le collage, le travail en chambre noire et la peinture en plein air, tout en maintenant constante une haute tension créative. Les peintures qu’elle réalise à partir de la moitié des années trente, caractérisées par des plans synthétiques de couleurs, réduisant le paysage à un ensemble fait de lumière et de structures, sont cohérentes avec les travaux photographiques produits pendant une quinzaine d’années, à partir de 1927, où les compositions, les miroirs et les photomontages donnent lieu à des sujets – qu'il s'agisse de natures mortes ou de portraits – fort éloignés d'une simple reproduction photographique. L’impossibilité de situer l’ensemble de l'œuvre de cette artiste dans un cadre et des courants bien définis témoigne de son extraordinaire vitalité et reflète aussi une recherche personnelle qu'elle n’ a jamais considérée comme finie même dans les œuvres des dernières années de sa vie, et qui trouve sa motivation la plus profonde dans la force spécifique d'une liberté qu’elle avait su conquérir. Traduit de l’Italien par Elio Ballardini 14 Double jeu JEAN-MICHEL FORAY Une énigme Il y a une énigme Florence Henri. Elle tient à la fois aux passages entre peinture et photographie qui caractérisent son œuvre, et, au sein de ces deux pratiques, aux échanges continus opérés entre divers modes de représentation. Pourquoi cette artiste, d’abord musicienne, puis peintre, élève au début des années vingt de Fernand Léger et d’Amédée Ozenfant, devenue à la suite de son passage au Bauhaus une photographe renommée, est-elle retournée à la peinture dans les années quarante ? Elle est peintre de 1918 à 1927, une petite dizaine d’années. En 1920 elle fait la connaissance à Berlin d’artistes dont l’influence marque son œuvre naissante en l’infléchissant vers l’abstraction. Elle entre ensuite en 1924 à l’Académie moderne de Fernand Léger et Ozenfant et adopte en peinture une manière assez proche de celle de ses maîtres. En 1927, elle suit les cours d’été du Bauhaus à Dessau, abandonne la peinture pour la photographie, se fait connaître comme photographe, produit de nombreuses œuvres dans des styles variés, et enseigne. Après cette période d’activité très dense la photographie passe au second plan : Florence Henri revient à la peinture dans les années quarante et pratique alors une peinture de paysage, puis produit des œuvres abstraites du milieu des années cinquante aux années soixante-dix. Sa photographie, dont la force est indiscutable, porte une ombre sur l’ensemble de son œuvre picturale qui reste mal connue, rarement montrée, peu ou pas commentée. Celle-ci constitue pourtant la part la plus importante, en durée au moins, de la carrière de Florence Henri. Sur plus de cinquante années d’activité créatrice, Florence Henri n’a pratiqué principalement la photographie qu’un peu plus d’une quinzaine d’années, au cours desquelles elle a continué parfois à produire des dessins ou des aquarelles. Il est donc difficile de concevoir que les deux activités aient pu être totalement autonomes et séparées. Leur tressage pourrait permettre de penser que la peinture était la matrice de l’activité photographique de Florence Henri, celle-ci étant enchâssée dans celle-là. Ou, à l’inverse, on peut considérer comme le font de nombreux commentateurs que la photographie constitue l’essentiel de l’œuvre et que la peinture n’est 15 qu’accessoire, activité rajoutée par plaisir plus que par nécessité artistique. Mais Florence Henri n’a pas laissé d’écrits indiquant une préférence pour l’une ou l’autre des techniques, et l’examen de sa biographie, comme le témoignage de ceux qui l’ont connue, laisse plutôt penser qu’elle accordait une égale importance à la photographie et à la peinture. Dès lors des questions d’ordre méthodologique se posent. Peut-on commenter la photographie sans jamais faire référence à l’œuvre plastique ? Et inversement, peut-on commenter la peinture et la situer dans son époque sans jamais évoquer la photographie ? Enfin, faut-il scinder cette œuvre en deux parties étrangères l’une à l’autre ou faut-il la considérer, et la juger, dans son ensemble ? Les photographies de Florence Henri, dès ses débuts, mettent en scène des miroirs, des images doublées ou divisées, des reflets. Le miroir est une figure récurrente de son œuvre photographique, symptôme d’une fondamentale ambivalence. Peut-être faut-il voir alors la peinture et la photographie dans l’œuvre de Florence Henri comme aussi complémentaires que le sont un objet et son reflet dans un miroir. La photographie comme reflet – avec ses moyens spécifiques – de préoccupations présentes dans la peinture. Un apprentissage C’est en 1914 que Florence Henri s’inscrit à l’École des beaux-arts de Berlin, délaissant de fait la musique. Sa formation, bien que Berlin ait été dès avant la guerre un des lieux majeurs des avant-gardes en Europe, semble avoir été paisiblement académique si l’on en juge par les seules premières œuvres que nous connaissons d’elle, datées, parfois approximativement, 1918. Ce sont des études de nus, des portraits, des paysages. Si les nus sont très manifestement des œuvres d’apprentissage, des exercices d’atelier, les portraits témoignent d’une attention au visage qu’on retrouvera plus tard dans la photographie. Ainsi un de ces portraits pourrait annoncer les portraits photographiques ultérieurs en ce qu’en arrière plan du personnage féminin on trouve un paysage manifestement construit, comme ceux qui accompagneront plus tard les Portraits Compositions de 1936 et 1937. Les paysages, assez nombreux, datés 1918-1920 sont le plus souvent des vues d’Italie, souvenirs peut-être des voyages qu’elle y fit avec Carl Einstein, traités très sobrement1. L’un d’entre eux par exemple fait l’objet d’une étude préparatoire avec un dessin assez précis. La peinture reprend le dessin mais supprime arbres et fils électriques, adoucit les contours de l’horizon, pour ne garder que l’architecture de la scène et en enlever ce qui relèverait de l’anecdote ou du pittoresque. 1 - Florence Henri et Carl Einstein semblent avoir eu une liaison entre 1918 et 1923. De nombreuses photographies, conservées aux Archives Florence Henri à Gênes, montrent le couple en Italie et à Berlin. Voir Liliane Meffre, Carl Einstein, 1885-1940, Itinéraires d’une pensée moderne, Presses de l’université de Paris Sorbonne, Paris, 2002, pp. 214-216. 16 Le « retour à l’ordre » qui se produit en France à partir de 1919 dans les arts plastiques et l’architecture, et qui conduit des artistes comme Braque ou Derain à abandonner les audaces fauves ou cubistes au profit d’une figuration assagie, pourrait peut-être avoir eu quelque influence sur Florence Henri mais cela est peu probable dans la mesure où ce « rappel à l’ordre » procède de l’effondrement du cubisme et concerne surtout les artistes de la génération précédente. Il y a simplement à ce moment là chez elle un goût naturel pour la figure qui la pousse spontanément vers la représentation et qui la poussera plus tard à pratiquer une photographie descriptive et réaliste et à revenir à la peinture de paysage. Une première rupture intervient dans son œuvre en 1924, lorsqu’elle commence à suivre les cours de l’Académie moderne fondée par Fernand Léger et Amédée Ozenfant. Ce dernier, un des fondateurs avec Le Corbusier du mouvement du « Purisme », propose une construction du tableau fondée non sur l’émotion, mais sur la raison, de sorte que celui-ci devienne une « machine à émouvoir ». Léger quant à lui est fasciné par la ville, le monde industriel et le monde mécanique (il commence la réalisation de son film Le ballet mécanique, en 1923, et vient d’achever ses grands tableaux évoquant la ville ou le monde industriel, La ville, 1919, Les disques dans la ville, 1920, Le grand remorqueur, 1923 ; il vient de publier un article-manifeste dans le Bulletin de l’effort moderne, L’esthétique de la machine : l’objet fabriqué, l’artisan et l’artiste). Ses écrits attestent de son goût pour les machines et pour les produits de l’industrie qu’il voit non comme des concurrents de l’œuvre d’art mais comme des modèles pour celle-ci. Dans les peintures de Florence Henri les paysages d’Italie font désormais place aux vues de sites industriels : cheminées d’usines, grues, ponts métalliques se substituent aux rues des villages toscans. Le style même de ces œuvres provient directement de Léger avec une construction qui privilégie les volumes réguliers, une couleur posée en à-plats, un effacement de toute anecdote, une absence de personnages (ou alors ceux-ci réduits à l’état de silhouettes). On trouve même dans l’un ou l’autre tableau une application du principe de « contrastes de formes » théorisé par Léger et qui gouverne ses œuvres à cette époque : contraste entre les courbes et les droites, entre les couleurs, entre les lignes et les volumes. Les titres mêmes des tableaux de 1924 (Usine, plusieurs fois employé, Pont, Pont et femme) rappellent les titres de Léger. Très visiblement Florence Henri prend plaisir à suivre les leçons de son maître en adoptant sa technique picturale mais aussi en choisissant des thèmes identiques aux siens. Mais les leçons de Léger iront au-delà de la peinture et s’étendront aussi, plus tard, à la photographie : l’utilisation de prismes permettant une fragmentation de l’image et les gros plans sur des 17 objets très usuels dans le Ballet mécanique trouvent un écho dans les compositions photographiques de 1929 réalisées avec des miroirs et des objets communs, dont des boules chromées également présentes dans le film de Léger2. Ruptures Une composition de 1924-1925 fait cependant évoluer le travail de Florence Henri vers l’abstraction. C’est une simple scène : une cour d’immeuble avec une rambarde d’escalier, des fenêtres, une cheminée. Mais l’image est fragmentée, comme décomposée puis recomposée par collage de morceaux épars, de sorte qu’elle perd toute exactitude documentaire et donne l’impression d’être une œuvre abstraite. Et les peintures qui vont suivre, datées 1925, deviendront, elles, de véritables abstractions, dérivées du cubisme. Ainsi peut-on pour certaines d’entre elles voir qu’elles trouvent leur origine dans une nature morte. On peut penser que là encore Florence Henri suit Léger qui à partir de 1924 délaisse les évocations de la ville et revient à la nature morte. Mais l’influence de Léger s’arrête là, au thème de l’œuvre. Car Florence Henri acquiert une véritable autonomie en ce que ses travaux, s’ils obéissent encore parfois aux principes de son maître, dans les contrastes de formes notamment, deviennent franchement des œuvres non figuratives (titrées au demeurant Compositions sans référence à un sujet précis). Le milieu artistique qu’elle fréquente alors n’est sans doute pas étranger à ce passage à l’abstrait. À Berlin, par l’intermédiaire de Carl Einstein, à Munich, à Weimar, à Paris enfin où elle réside elle a fait connaissance avec des artistes qui se situent tous du côté des avant-gardes abstraites, Moholy-Nagy, Arp, van Doesburg, Mondrian, pour les plus célèbres. C’est aussi un milieu qui s’intéresse au Bauhaus et au projet artistique que porte cette institution. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Florence Henri, en 1927, s’inscrive aux cours d’été du Bauhaus de Dessau. C’est une seconde rupture que provoque ce séjour. Florence Henri produit cet été là des collages abstraits, légers, aérés, qui semblent ne rien devoir aux peintures qui les ont précédés, plus compactes. Sans doute 2 - Fragmentation des objets et gros plans avaient déjà fasciné Léger dans le film d’Abel Gance, La Roue. Dans un article paru en 1922 dans Comédia à propos de ce film, Léger, qui assure qu’Abel Gance « a haussé l’art cinématographique au plan des arts plastiques », insiste sur le rôle de « l’acteur objet », de la machine devenue « personnage principal, acteur principal » présentée avec une infinie variété de moyens, dont le gros plan et le fragment (article repris dans Fernand Léger, Fonctions de la peinture, Gonthier, Paris, 1965, p.160). Il construira l’année suivante le Ballet mécanique sur une succession de contrastes d’objets et de mouvements en utilisant entre autres un objectif à prismes dédoublant les images. Le film n’a pas connu de projection publique avant 1925, à Berlin. Si Florence Henri ne l’a pas vu en projections privées, elle n’a pu manquer de le voir par la suite, avant son séjour au Bauhaus. Il a très certainement plus contribué à la formation de son style photographique des années 28 à 30 que ne l’ont fait l’enseignement et les œuvres de Moholy-Nagy. Par exemple, des photomontages de 1928-1930, titrés Composition abstraite, montrant soit des fragments de roue soit des objets reflétés dans des miroirs renvoient assez clairement à certaines images du film. 18 peut-on y voir des traces de constructivisme, peut-être inspirées par Moholy-Nagy (elle a parmi ses professeurs Moholy-Nagy, Kandinsky, Paul Klee) qui enseignait à Dessau et qu’elle connaissait bien. Mais, plus sûrement, il faut voir dans ces œuvres des créations absolument originales comme si Florence Henri avait voulu se débarrasser de la lourdeur de la technique picturale et avait réduit ses anciennes compositions à quelques éléments. On peut ainsi voir ces œuvres comme un allègement de la peinture, allègement qui aboutira finalement à l’abandon de celle-ci. Et si elles font penser à d’autres œuvres contemporaines, c’est peut-être moins du côté des constructivistes qu’il faut chercher que du côté de Picabia et de ses dessins mécaniques de 1922, eux aussi procédant d’une sorte de cure d’amaigrissement de la peinture3. Mais il va surtout se produire durant ce séjour au Bauhaus un glissement de la peinture vers la photographie, à laquelle Florence Henri commence à s’intéresser et à laquelle elle va s’adonner totalement dans les années suivantes. Il s’agit d’ailleurs moins d’une rupture que d’un transfert, d’une dérive. Les figures géométriques des compositions de 1927 (cercles, triangles, rectangles, droites, etc.) vont se retrouver dans les photographies de 1928. Le dispositif du miroir qu’utilise alors Florence Henri va lui permettre d’inscrire les figures planes des dessins dans un espace, de renforcer leur côté aérien de figures sans attaches, de reflets autant que d’objets. D’une façon générale on peut dire que tout ce qui était dans la peinture de ces années 1918-1927 va être reversé dans la photographie. La variété des styles qui caractérise les années de peinture, marquera de même les années de photographie. Il y aura dans la photographie un itinéraire au sein des styles que l’époque portait comme il y en a eu un dans les années de peinture. Ce que la photographie a apporté de spécifique, ce sont les portraits, absents jusqu’alors, et la mise en scène de ces figures évanescentes que sont les reflets dans les miroirs ou les vitrines. À l’instabilité des reflets correspond l’instabilité des styles, cette instabilité étant un des traits fondamentaux de l’esthétique de Florence Henri. De même que les dessins abstraits de 1927 ont conduit, par dérivation, aux premières compositions photographiques, les paysages qu’elle réalise à la fin des années trente lors de reportages photographiques (paysages de Bretagne notamment, d’Espagne, vues de Paris et du sud de la France) commencent à être transposés en peinture. À partir de 1936-1937 des gouaches, souvenirs de sites visités, apparaissent dans son œuvre et doublent les reportages photographiques. Il s’agit souvent de notations sur le motif, proches de l’instantané photographique par la rapidité. Mais on sent une volonté de saisir l’esprit d’un lieu plutôt que d’en donner une représentation fidèle. Certaines gouaches qui 3 - Ces collages abstraits de 1927 font en effet moins penser aux œuvres de Moholy-Nagy que connaissait bien Florence Henri qu’à certains des dessins que Picabia montra en 1922 à la galerie Dalmau de Barcelone. Florence Henri ne les connaissait sans doute pas mais il y a chez l’un et l’autre artiste une même liberté qui leur permet de réinterpréter à leur manière – qui est ici assez proche formellement – les grands thèmes de l’abstraction d’alors. 19 évoquent des paysages d’Espagne sont ainsi faites de quelques traits, de quelques taches de couleur – réduction d’un paysage à sa structure et à sa lumière comme si Florence Henri satisfaisait là un besoin de couleur. Et comme si elles étaient un prolongement, par d’autres moyens, des travaux photographiques. Retour Avec la redécouverte, ou le recommencement, de la peinture au cours des années de guerre vient aussi l’abandon du portrait. Elle continuera cependant à faire quelques portraits, mais en photographie. En peinture, Florence Henri ne s’intéresse désormais plus qu’aux paysages. Toutes les œuvres réalisées entre 1940 et 1955 seront des paysages, le plus souvent réalisés sur le motif. Des séries sont ainsi consacrées à la Grèce, à Ischia, à Tossa del Mar. Il n’y a plus de lien direct entre ces œuvres et les œuvres des années vingt. Les traits dominants de ces dernières, rigueur géométrique et austérité de la composition, ont disparu. Une couleur franche et claire, un dessin rapide, volontairement imprécis, qui tient de l’esquisse, des thèmes classiques dans la peinture de paysage, un port, une place de village, des maisons dans la campagne, un bord de mer, voilà de quoi sont faites ces compositions. Une constante stylistique les caractérise : c’est la couleur qui organise les tableaux. Celle-ci est répartie en plusieurs surfaces distinctes, juxtaposées, comme dans une composition abstraite, et c’est le dessin qui vient, à traits rapides, donner un sens à l’ensemble. Il arrive parfois que le dessin fasse défaut, ou soit à peine lisible – comme dans cette gouache de 1954 qui évoque Ischia – et l’œuvre semble alors hésiter entre abstraction et figuration. À partir de 1956, le dessin se retire de la composition. Reste les taches colorées, mais distribuées de façon plus aléatoire, sans rapport avec un paysage. Ce sont alors des œuvres qui se rattachent en apparence à cet expressionisme abstrait qui domine une partie de la peinture européenne après 1945, Manessier, Bazaine ou Bissière en France, Nay en Allemagne. Mais elles sont construites sur un principe qui reste le même que dans les paysages antérieurs : des touches colorées juxtaposées à la façon d’un patchwork (et Florence Henri réalisait des patchworks de tissus depuis les années quarante). Ce principe d’organisation de la surface colorée – tout comme le principe de construction du patchwork – est sans doute un écho lointain des leçons d’Ozenfant, de Léger et du Bauhaus. Une géométrie sous-jacente anime ces œuvres et la dernière rupture, ou métamorphose, dans le travail de Florence Henri procède d’un réveil soudain de cette géométrie. 20 Dans les années soixante-dix, Florence Henri réalise en effet des collages rigoureusement abstraits, construits selon les principes qui organisaient son travail au Bauhaus. Des cercles, des triangles, des carrés aux contours nets et clairs, des réseaux de lignes parallèles constituent le vocabulaire de base, très réduit, de ces compositions toutes faites de légèreté : les formes semblent flotter dans un espace où elles peuvent être librement associées. Elles sont libres de toute attache avec le réel et se rencontrent, se joignent, se disjoignent, s’assemblent, s’opposent très naturellement dans une façon de faire qui n’est pas sans rappeler la technique des papiers découpés qu’utilisait Matisse dans les années cinquante, certains étant assemblés eux aussi comme des patchworks. Et c’est sans doute cette pratique du patchwork qui par dérivation a conduit Florence Henri à utiliser le collage pour ces compositions avec ce qu’il permet de mobilité et d’audace formelle. La liberté de ces collages est le signe de la liberté de l’artiste, Florence Henri, qui n’hésite pas à abandonner une manière, la peinture abstraite, au profit d’un retour au décoratif (il y a d’ailleurs parmi ces œuvres un projet pour un paravent) et à une technique radicalement différente. Tout discours personnel, toute référence à des voyages ou à des choses vues, toute référence au réel disparaît. Reste des œuvres énigmatiques moins par ce qu’elles sont – des œuvres qui avec une vraie économie de moyens, ne manquent ni de force ni d’inventivité – que par la difficulté de les articuler avec celles qui les ont précédées. Bien qu’elles aient fait l’objet d’une exposition à Gênes en 1984 elles restent méconnues et peu comprises4. C’est ce qui pousse quelques commentateurs à voir dans les travaux photographiques de 1927 à 1938 une assomption de l’œuvre de Florence Henri, un achèvement, sans voir que pour cette artiste toutes choses se valent. Florence Henri a pratiqué les différentes esthétiques qui ont parcouru le siècle et son itinéraire, si singulier qu’il paraisse, n’est pas fondamentalement différent de celui de nombreux autres artistes, Picabia par exemple, qui lui aussi est passé d’un style à l’autre, d’un genre à l’autre, rompant brutalement avec une technique ou un style au profit d’une autre. C’est une esthétique de l’indifférence que ces artistes ont mis en place. La photographie de Florence Henri, avec ses jeux de miroirs, montre souvent un monde irréel de reflets, un monde virtuel, évanescent, un monde qui n’est qu’une illusion. Sans doute a-t-elle considéré les pratiques artistiques comme aussi illusoires que l’espace photographique. Les techniques et les styles sont pour elle comme les cartes d’un jeu, toutes différentes, mais toutes concourant à un même but et obéissant à une même règle. 4 - Exposition à la galerie Martini et Ronchetti à Gênes, mars 1984. Catalogue. 21 Dans son rapport à la peinture et à la photographie, Florence Henri a refait le parcours des premiers photographes qui furent d’abord des peintres. Parmi ceux-ci, certains hésitèrent longuement, utilisant l’un ou l’autre médium et se servant de la photographie comme d’un auxiliaire de la peinture pour parvenir à donner du monde une représentation exacte. Ce qu’ils ne pouvaient saisir par la peinture, ils le saisissaient par la photographie5. C’est ce qui est arrivé à Florence Henri : la photographie lui a permis d’utiliser savamment les jeux de miroir mais aussi, et peut-être surtout, de pratiquer l’art du portrait. Car la pratique du portrait met en jeu la question de la représentation, question qui traverse tout l’art du 20e siècle, soit qu’on la maintienne, par la figuration ou la photographie, soit qu’on l’abandonne dans l’art abstrait. Consciemment ou non, c’est en fonction de cette question – en fonction de leur rapport au réel – que la plupart des artistes se sont déterminés et ont choisi leurs voies. Florence Henri n’a pas voulu se déterminer en art. Comme d’autres artistes autour d’elle, elle a tenté d’enrichir son territoire artistique par la photographie, par l’usage de la figuration, puis de l’abstraction. Elle a compris très tôt que désormais seule la subjectivité des artistes fonde l’art et que peinture et photographie font partie d’un même champ au sein duquel les pratiques les plus diverses coexistent. Elle a transposé dans son œuvre cette diversité et s’est laissée guider par sa seule subjectivité. Que la photographie soit devenue plus tard plus connue et plus commentée que son œuvre plastique n’invalide pas celle-ci. L’une comme l’autre participent d’une vision globale dans un champ artistique élargi. 5 - Pour ne prendre qu’un exemple : parmi les élèves de l’atelier de Paul Delaroche à l’École des Beaux-arts qui avaient en 1839 été encouragés par leur maître à utiliser le daguerréotype on comptait Le Gray, Le Secq et Nègre. Si les deux premiers devinrent très rapidement des photographes à part entière, utilisant le médium pour ses qualités propres, Nègre hésita longtemps, peignant sur des daguerréotypes, puis sur des épreuves papier, traitant le même sujet en peinture et en photographie. À la fin de sa vie encore, installé à Nice comme photographe professionnel, et reconnu, il pose pour un portrait photographique en peintre, palette à la main, témoignage de sa nostalgie de la peinture. La naissance impure de la photographie, cette invention de peintres, explique les nombreux aller-retour (et les nostalgies qui les accompagnent) peinture-photographie que les artistes du 20e siècle connaîtront. 22 Biographie 1893 Florence Montague2 Henri naît à New York le 28 juin. Elle est la fille aînée3 d’un père français, Jean-Marie François Henri et d’une mère allemande, Anne-Marie Schindler. 1895 Mort de sa mère. Son père, directeur d’une société pétrolière et contraint à des voyages incessants, confie la petite Florence à la famille de sa mère qui vit à Grunberg, en Silésie. 1902 Florence vit à Paris dans une pension de religieuses où elle suit des cours de piano. 1905 Elle s’établit en Angleterre pendant trois ans. Elle vit entre Londres et Sandown, dans l’île de Wight qui, à cette époque, était le centre d’intenses activités musicales où se rencontrent les grands concertistes de l’époque. Elle fait la connaissance d’Eugène Ysaye et de Kubelik. À Londres, elle étudie au Conservatoire de Earl’s Court Road ; elle est l’élève de Percy Grainger. 1907 Mort de son père à Paris. Florence vit toujours en Angleterre, et son héritage lui assure des revenus. Initialement cette sécurité économique lui donne la liberté de choisir une vie dégagée des ambitions bourgeoises habituelles et de suivre sa vocation artistique. Quand ses rentes ne seront plus suffisantes, Florence Henri vivra de son travail d’artiste. 1907-1909 Après la mort de son père, elle va s’établir chez la sœur de son père, Anny Gori à Rome. Grâce à un parent, Gino Gori, elle rencontre de nombreux représentants des avant-gardes artistiques et littéraires de l’époque, comme Marinetti, Russolo, Folgore et D’Annunzio. Elle fréquente le Conservatoire de l’Académie Santa Cecilia, et fait la connaissance de Ferruccio Busoni, qui sera son professeur. Après ce premier séjour à Rome, Florence Henri reviendra souvent dans cette ville. 1 - Extrait de la biographie rédigée par Alberto Ronchetti et Giovanni Battista Martini à l’occasion de la publication du catalogue de l’exposition Florence Henri, fotografie 1927-1938 au Museo Cantonale d’Arte de Lugano en 1991. 2 - Tous les amis ont toujours appelé Florence Henri « Monti », petit nom qui vient de son deuxième prénom. 3 - Florence Henri avait un frère, René, élevé a Londres après la mort de leur mère, qui à vécu ensuite en Amérique du Sud et est décédé à la Jamaïque. 23 1909-1911 À nouveau en Angleterre où elle poursuit ses études de piano. En 1911, donne des concerts à Londres, au Bechstein Hall (depuis 1917 Wigmore Hall). Elle interprète Grieg, Liszt et Franck. 1912-1918 Elle part à Berlin pour continuer ses études de musique. Elle est l’élève de Egon Petri puis de Busoni. Elle a une liaison amoureuse avec le célèbre pianiste Michael von Zadora. Sa maison devient un lieu de rencontre pour de nombreux compositeurs d’avant-garde et des musiciens, parmi lesquels Edgar Varese. En 1914, avec la déclaration de guerre, elle ne peut plus recevoir d’Angleterre l’argent de son héritage et pour vivre, elle accompagne au piano les films muets dans un cinéma. Cette expérience négative et son attitude très autocritique, lui font penser qu’elle ne pourra jamais égaler les grands virtuoses du piano dont elle est l’amie. Florence Henri délaisse la musique et se voue à la peinture. Elle fréquente l’Académie des beauxarts de Berlin avec Schwitters. Elle peint ses premières œuvres figuratives. 1919-1923 Rencontre avec l’écrivain et historien d’art Carl Einstein avec qui elle se lie d’amitié. Elle fait la connaissance de plusieurs représentants de l’avantgarde parmi lesquels Hans Richter, Hans Arp, John Heartfield, Ivan Pougny et Laszlo Moholy-Nagy avec lesquels elle noue des relations d’amitié. Elle séjourne en Italie avec Carl Einstein, en Toscane, où elle réalise des peintures et des dessins figuratifs. Les sujets des œuvres de cette époque sont des personnes et des paysages représentés dans une synthèse plastique qui met en évidence les volumes et dont l’aspect métaphysique est souligné par des couleurs qui contrastent de façon particulière. Elle suit les cours de Klee et de Kandinsky à Weimar, au Bauhaus. Elle vit tantôt à Berlin tantôt à Munich. Dans cette ville elle fréquente les cours de Hans Hofmann dans son école d’art (Gergenstrasse n. 40) ouverte depuis 1915. Elle se lie d’amitié avec Théo et Nelly van Doesburg. À Berlin elle travaille quelque temps avec Archipenko qui avait été avec Lissitzky un des organisateurs de la première exposition d’art soviétique qui eut lieu dans cette ville en 1922. Elle a ainsi l’occasion de rencontrer plusieurs représentants de l’Avant-Garde russe parmi lesquels le poète Maïakowsky qui est souvent son hôte. Elle séjourne fréquemment à Rome où son oncle Gino Gori vient d’ouvrir le Cabaret del Diavolo, lieu de rencontre important pour les artistes et les hommes de lettres, entièrement décoré par Depero. 1924-1925 En juin à Sursee, près de Lucerne, elle épouse le Suisse Karl Anton Koster. Ce mariage lui permet d’obtenir la nationalité suisse. Florence Henri s’installe à Paris au 14, boulevard Quinet. Elle s’inscrit à l’académie Montparnasse, dirigée par André Lhote. Entre 1924 et 1925 elle fréquente avec Marcelle Cahn, Franciska Clausen et d’autres, l’Académie moderne fondée par Léger et Ozenfant. Fernand Léger qui est une des personnalités de pointe du milieu artistique parisien, vient de réaliser le film « Ballet Mécanique ». Elle participe à la grande exposition parisienne L’Art d’Aujourd’hui, première grande exposition internationale consacrée aux tendances de l’époque : 24 cubisme, futurisme, purisme, surréalisme, constructivisme. Léger, Baumeister, Crotti, Robert et Sonia Delaunay, Larionov, Gontcharova, Arp, Janco, les exposants de De Stijl au complet, Depero, Prampolini, Moholy-Nagy, Klee font partie des artistes présents à cette exposition, organisée par le Polonais Poznansky. Elle se lie d’amitié avec les Delaunay. 1926 Elle expose à la Galerie d’Art Contemporain de Paris avec le groupe de l’Académie moderne. Elle se lie d’amitié avec Céline Arnaud et Paul Dermée, premier directeur de la revue « L’Esprit Nouveau ». Ses œuvres, marquées à l’empreinte des recherches cubo-puristes de l’Académie moderne, deviennent au fur et à mesure complètement abstraites. Elle passe quelques mois entre Saint-Tropez et La Ciotat. À l’automne, retour à Paris et changement de domicile : elle habite au 3, rue Henri Regnault. 1927 Elle partage pendant quelques mois son atelier avec Prampolini qui est alors occupé à réaliser des décors pour la Compagnia della Pantomima Futurista, au Théâtre de la Madeleine. De retour d’un voyage à Berlin, elle s’inscrit au cours d’été du Bauhaus de Dessau. Là elle retrouve de nombreux artistes connus précédemment. Elle réalise des œuvres abstraites caractérisées par le jumelage de la peinture et du collage. Elle fait ses premières expériences de photographe. Parmi ses compagnons de cours se trouvent Lux Feininger, Margaret Schall et Walter Funkat devenus par la suite des photographes connus, ainsi que Max Bill. Lucia Moholy fait plusieurs portraits photographiques de Florence Henri qui à son tour photographie plusieurs membres du Bauhaus. Dans cette période déterminante, elle se lie d’amitié avec Albers, Feininger, Kandisky, Muche, Scheeper, Breuer et Gropius. Elle retourne en France et à Marseille obtient le permis de conduire. Son domicile à Paris est maintenant au 58 rue de la Convention. 1928 Entre la fin de l’année 1927 et le début de 1928, elle réalise des portraits et des autoportraits photographiques au miroir. Un de ses tableaux abstraits est publié dans Kubismus d’Albert Gleizes, Bauhausbücher n°13. Elle travaille intensément la photographie et Laszlo Moholy-Nagy écrit le premier essai sur ses photos abstraites dans la revue « I 10 » publiée à Amsterdam dans le numéro de décembre. 1929 À partir de cette année-là ses œuvres sont régulièrement publiées dans les revues d’art internationales les plus importantes telles que Die Form, Advertising Display, Tezca, Arts et Métiers Graphiques, Modern Photography, Art et Décoration, Stile Futurista, Vogue, Verve, etc. Ses travaux photographiques éveillent un tel intérêt qu’elle reçoit des invitations pour les plus importantes expositions internationales de photographie créative. Elle participe à l’exposition Photographie der Gegenwart au musée Folkwang de Essen, et à l’exposition internationale Film und Foto à Stuttgart avec 21 photographies. Au printemps Florence Henri déménage au 23, boulevard Brune. 25 À Stuttgart est aussi publiée Foto Auge, avec une reproduction de l’Autoportrait au miroir avec deux sphères chromées. La publication, conçue par le photographe et historien d’art Franz Roh et le graphiste Jan Tschichold, est un des textes les plus significatifs sur la photographie du XXe siècle. Elle fait la connaissance de Mondrian, qu’elle fréquente jusqu’en 1938, quand il quitte Paris. Elle adhère avec Arp, Domela, les Delaunay, Gropius, Kandinsky, Le Corbusier, Léger, Moholy-Nagy, Mondrian, Vantongerloo, Ozenfant, Pevsner, Sophie Taeuber-Arp, Vordenberge-Gildewart et beaucoup d’autres à l’association artistique Cercle et Carré fondée par Michel Seuphor et Joaquín Torres-Garcia pour soutenir et divulguer l’art abstrait-géométrique. Une de ses photos abstraites est publiée dans le second numéro de la revue de l’association. Elle collabore à la revue franco-polonaise L’Art Contemporain fondée par Nadia Khodossievitch Grabowska et Jan Brzeckowski. La dévaluation de la livre sterling, conséquence de la crise économique, réduit considérablement l’héritage de ses parents, dans lequel jusqu’alors elle puisait pour vivre. Elle ouvre un atelier de photographie qui devient vite l’un des plus connus de Paris, et qui constitue son moyen de subsistance. Elle donne également des cours de photographie, activité qu’elle exercera longtemps, formant ainsi une génération nouvelle de photographes. Parmi ses élèves qui deviendront par la suite des photographes connus figurent Gisèle Freund et Lisette Model. 1930 Entre mars et avril, elle bénéficie d’une exposition personnelle au Studio 28 à Paris, un cinéma-théâtre qui présente des expositions d’art et où, la même année, avait été projeté en avant-première le film L’âge d’or de Dalí et Buñuel.Florence Henri participe à l’exposition internationale Das Lichtbild à Munich. Elle déménage au 216, boulevard Raspail. Florence Henri réalise plusieurs portraits de femmes du milieu artistique et de modèles choisis pour leurs traits particulièrement modernes. Ces images sont utilisées souvent pour les couvertures de journaux et revues. 1931 Elle est invitée à l’exposition Foreign advertising photography à New York où elle reçoit la mention honorable pour sa photo abstraite Zwirnhollern. Le premier prix est décerné à Herbert Bayer, tandis que les autres « mention honorable » sont attribuées à Man Ray, Moholy-Nagy, Alban et au Baron de Meyer. En juillet l’exposition Das Lichtbild s’ouvre à Essen, au musée Folkwang, avec des étapes successives à Dusseldorf, Dessau et Breslau. L’exposition, organisée par Kurt Wilhelm-Kastner et Max Burchartz, reprend le titre de l’exposition qui avait eu lieu à Munich l’année précédente, mais très différente dans le choix des œuvres exposées. Elle a une exposition personnelle de photographies à la Galerie Laxer Normand à Paris et participe aux expositions : Die Neue Photographie au Kunstgewerbemuseum de Bâle, Galerie d’Art Contemporain, Paris (peinture), Photographie d’aujourd’hui, Galerie La Plume d’or, Paris. 1932 Au cours de l’hiver 1931-1932 elle séjourne quelque temps à Rome où 26 elle réalise plusieurs photographies qu’elle utilisera, dès son retour à Paris, pour une série de photomontages. Elle quitte son domicile du boulevard Raspail et se déplace au 8, rue de Varenne, où elle habite jusqu’en 1936. Elle participe à l’exposition Modern European Photography à la Julien Levy Gallery de New York avec Man Ray, Walter Peterhans, Lee Miller, Herbert Bayer, Umbo, Maurice Tabard, André Kertesz et Laszlo Moholy-Nagy . Elle participe à l’exposition The Modern Movement in Photography à la Royal Photography Society de Londres. En été, elle voyage en Espagne, séjourne dans les îles d’Ibiza et Formentera. 1933 Le 22 janvier, inauguration d’une exposition personnelle au Kunstverein Folkwang à Essen. Elle réalise de nombreuses photos de nu féminin qu’elle utilisera pour plusieurs photomontages. Elle participe aux expositions suivantes : L’image photographique en France de Daguerre à nos jours, Galerie Braun, Paris. Salon du Nu, Exposition Internationale du Nu Esthétique, Galerie de la Renaissance, Paris. Les journaux intimes de Sonia Delaunay relatent l’intense vie sociale de Florence Henri et de ses amis, parmi lesquels on citera Ciacelli, Mondrian, les Delaunay, Marinetti, Gabo, Vantongerloo, Moholy-Nagy, qui se réunissent souvent à la Closerie des Lilas. 1934 Avec la fermeture du Bauhaus de Dessau (1933) commence en Allemagne l’exode des artistes. Kandinsky va s’établir à Paris et Florence Henri fait son portrait ainsi que ceux de Léger, et ensuite ceux de Arp, de Sonia et Robert Delaunay, de Pougny et de Villon. Au mois de mai elle fait une exposition personnelle de photographie à la Galerie de la Pléiade, ensuite participe au Salon International d’Art Photographique à Paris. 1935 Elle séjourne quelque temps en Italie. La revue Stile Futurista publie quatre de ses photographies dans un article de Ciacelli concernant son travail. L’article est un document rare témoignant des rapports qu’elle entretient avec les futuristes, rapports qui existaient pourtant depuis longtemps, et qui se maintenaient à Paris où plusieurs membres du mouvement futuriste habitaient ou s’y rendaient plus ou moins régulièrement. En novembre, elle participe à l’exposition La publicité par la photographie à la Galerie de la Pléiade. 1936/1939 À Paris, elle fait la connaissance de l’écrivain et poète Pierre Minet, elle habite au n°17 de la rue St Romain dans la maison qu’avait habitée Max Jacob. Sur la terrasse de son domicile parisien elle fait des portraits au miroir, des autoportraits et des compositions. À l’occasion de l’Exposition Universelle de 1937 elle réalise une série de photographies au Palais de l’Air qu’elle intitule Structures. Elle participe à l’importante exposition Photo 37 au Stedelijk Museum d’Amsterdam. Pendant quelques années elle fait plusieurs voyages dans le sud de la 27 France, en Espagne, et en Bretagne avec Pierre Minet. Elle réalise de véritables reportages photographiques qui sont publiés dans plusieurs revues, dont Lilliput. Elle photographie de plus en plus avec un appareil Rolleiflex, surtout pour les prises de vue en extérieur. Dans ces années, les vues, les lumières et même la typologie des sujets changent sensiblement. Les coupes géométriques et les lumières artificielles, qui caractérisaient ses travaux, sont remplacées par des prises de vue qui mettent le sujet et le paysage sur le même plan, avec des sources lumineuses principalement naturelles. Parallèlement, elle se consacre à nouveau à la peinture de façon plus active, s’inspirant des lieux visités. Même si elle réalise encore quelques portraits photographiques après 1945, la guerre interrompt en fait son activité créative de photographe. 1940/1945 Pendant ces années de guerre, elle se consacre principalement à la peinture et à la réalisation de « patchworks ». Son activité photographique se réduit considérablement, car les matériaux font défaut et sous l’occupation des nazis la photographie est interdite. Cependant son travail continue : en 1940 elle réalise un reportage en Bretagne, à la Palud du Cosquer (Finistère). En 1942 elle rencontre l’écrivain allemand Ernst Jünger, dont elle fera plusieurs portraits. 1946/1950 Pendant ces années elle fait des voyages dans les environs de Paris et dans le sud de la France, où elle réalise des peintures. Les œuvres de ces années-là se caractérisent par une série de changements dans le langage pictural. Elle commence par transcrire la réalité (la plupart du temps des paysages) encore interposée par des divisions géométriques, puis le contour des choses perd au fur et à mesure sa définition et les équilibres de la surface peinte sont précisés seulement par la couleur. 1951/1962 En 1952 elle quitte la maison-atelier de la rue St Romain et s’installe rue de la Grande Chaumière. Elle y retrouve l’ami photographe Willy Maywald qui habite dans la même rue et avec qui elle voyage souvent. Ces mêmes années elle se rend à l’étranger pour de longs séjours à Tossa (1953), à Ischia (1954), à Torremolinos (1955), à Mykonos et d’autres îles grecques (1956 et années suivantes) et aux Iles Canaries (1959). Durant la longue période d’absence de Paris, elle réalise de nombreux tableaux s’inspirant toujours des lieux où elle séjourne. En 1952 elle fait une exposition à la Galerie Nebelung de Düsseldorf, dans laquelle elle présente ses œuvres les plus récentes. Ses photographies des années 30 paraissent dans différentes revues comme N-Z Wochenschau. En 1953, à Paris elle réalise des portraits de la célèbre danseuse Rosella Hightower et au cours des années suivantes elle fait les portraits du peintre allemand E.W.Nay qui est son hôte dans son atelier parisien. En mars 1955 Florence Henri présente une exposition personnelle de peintures à la Duisburger Bücherstube. 28 1963/1970 Elle quitte Paris pour s’installer définitivement à Bellival, petit village de l’Oise où Jeanne Taffoireau a acheté une ferme, complètement restaurée par les deux amies. Une partie de la maison devient l’atelier de Florence Henri. Elle se consacre à la recherche picturale travaillant surtout à l’intérieur de son atelier et sa peinture reprend un aspect toujours plus abstrait. 1970/1982 Elle s’occupe de l’édition et des tirages de ses photos à partir de ses vieux négatifs, et vers la moitié des années 70 reprend la technique du collage créant une dernière série d’œuvres abstraites avant qu’un grave accident ne l’immobilise. L’étude plus approfondie, par de nombreux historiens d’art, sur les années vingt et trente, fait ressortir l’importance de son rôle dans le milieu d’avant-garde de ces années-là. À la suite de cet intérêt renouvelé, on lui dédie de nombreuses rétrospectives dans les galeries et les musées tels que le Westfälischer Kunstverein de Münster et la Staatliche Kunsthalle de Baden-Baden en 1976, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le Palazzo Pilotta de Parme en 1978, le Banco di Chiavari e della Riviera Ligure de Gênes en 1979, le MNAM Centre Georges Pompidou à Paris, le Musée d’Art et d’Histoire de Genève et le Musée de Chambéry en 1981. Elle s’éteint à Compiègne le 24 juillet 1982. Elle est enterrée au cimetière du Père Lachaise à Paris. 29 Photos disponibles FLORENCE HENRI Jeanne Lanvin 1929 photographie - épreuve aux sels d’argent vintage 36,7 x 28,7 cm FLORENCE HENRI Portrait Composition Femme aux cartes 1930 photographie - épreuve aux sels d’argent vintage 39 x 28,5 cm FLORENCE HENRI Composition Nature Morte 1931 c. photographie - épreuve aux sels d’argent vintage 45,9 x 37,7 cm FLORENCE HENRI Rome 1933-34 photomontage épreuve aux sels d’argent vintage 28,2 x 22,8 cm FLORENCE HENRI Portrait de Robert Delaunay 1936-37 photographie - épreuve aux sels d’argent vintage 49,5 x 39,7 cm FLORENCE HENRI Autoportrait 1938 photographie - épreuve aux sels d’argent de 1977 24,8 x 23,1 cm 30 Photos disponibles FLORENCE HENRI Composition 1924 - 1925 huile sur bois 33 x 41,3 cm FLORENCE HENRI Composition 1925 c. (datée 1922 par l’artiste dans les années ’60) gouache et collage sur papier 41,5 x 52 cm FLORENCE HENRI Paysage 1936/1940 tempera sur carton 26,8 x 35 cm FLORENCE HENRI Paysage 1936/1940 tempera sur bois 27 x 35 cm FLORENCE HENRI Paysage 1936/1940 gouache sur papier 33 x 41 cm FLORENCE HENRI Paysage 1936/1940 gouache sur papier 33 x 41 cm 31 Photos disponibles FLORENCE HENRI Sans titre 1950/1960 huile sur carton 33 x 41 cm FLORENCE HENRI Grasse 1940/1950 gouache sur papier 26,5 x 20,5 cm FLORENCE HENRI Sans titre 1950/1960 huile sur toile 38, 2 x 55, 5 cm FLORENCE HENRI Sans titre 1950/1960 huile sur toile 46,2 x 38,4 cm FLORENCE HENRI Composition abstraite 1977 collage sur carton 44 x 31,5 cm 32 Fiche technique L'exposition aura lieu à Toulon du 30 octobre 2010 au 9 janvier 2011 Le vernissage est prévu le 29 octobre à 18 h 30. COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION Giovanni Battista Martini, conservateur des archives Florence Henri Un catalogue édité par le Conseil général du Var à l’occasion de cette exposition comprendra des textes de Gilles Altieri, Jean-Michel Foray et Giovanni Battista Martini HÔTEL DES ARTS Gilles Altieri, directeur Entrée du public : 236 boulevard Maréchal Leclerc - Toulon Adresse postale : Conseil général du Var - Hôtel des Arts - rue Saunier BP 5112 - 83093 Toulon cedex Tél. 04 94 91 69 18 - Fax 04 94 93 54 76 www.hdatoulon.fr Horaires : exposition ouverte tous les jours de 10 h à 18 h, sauf les lundis et les jours fériés. Tarif : entrée gratuite CONTACTS Céline Ricci Conseil général du Var - Hôtel des Arts Tél. 04 94 91 69 18 - Fax 04 94 93 54 76 [email protected] SERVICE DE PRESSE Agence Observatoire - Véronique Janneau Contact : Aurélie Cadot Tél. 01 43 54 87 71- Fax 09 59 38 87 71 [email protected] www.observatoire.fr 33