L`aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent

Transcription

L`aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent
Le choc culturel
sans sortir
son passeport
Volume 28, no 4, hiver 2013
L’aviation sur skis :
quand les outardes partent,
les avions restent !
Opérations à
Wabush EN HIVER :
de mal en pis
froid
Hélico :
défier l'hiver
L’aviation sous pression :
le stress au quotidien
Les snowbirds
Postpublication 40050783 // 4,95 $
Sommaire
Collaborateurs
Pierre-André Roux
6
Éditeur – Pilote professionnel diplômé du CQFA, Pierre-André Roux est
détenteur d’une maîtrise en économie et politique et d'un MBA en gestion
d'entreprises de l’Université Laval.
[email protected]
Geneviève Vouligny
Première rédactrice – Titulaire d’un baccalauréat en communication
de l’Université du Québec à Montréal, Geneviève Vouligny se spécialise
en communications internes, en réalisation de plans stratégiques, en
développement de partenariats, en création de matériel promotionnel et
en relations de presse.
[email protected]
Franz Reinhardt
Chroniqueur – Avocat de formation et détenteur d’une licence de pilote
de ligne, Franz Reinhardt a travaillé comme avocat et gestionnaire
à Transports Canada et au Bureau de la sécurité des transports.
[email protected]
6 Pilotage
Le vol en hiver
18 Entrevue
L'aviation sur skis :
quand les outardes partent, les avions restent !
Jackie Alary
Chroniqueuse – Bachelière en psychologie et étudiante à la maîtrise en
éducation à l’Université du Québec à Chicoutimi, Jackie Alary se spécialise
en facteurs humains en aviation et en sélection de pilotes. Diplômée du
CQFA (option hélicoptère), elle y enseigne aujourd’hui.
Patrick Lafleur
Chroniqueur – Chef pilote, Patrick Lafleur dirige les opérations de vol
de la compagnie Passport Helico. Il veille notamment à l’entraînement
des pilotes pour les opérations commerciales et forme les instructeurs
de vol de l’unité de formation au pilotage.
Patrick Lafleur – Candidat méritant au prix
commémoratif David Charles Abramson
Patrick Lafleur a récemment été récompensé pour la qualité de son travail au
sein de notre industrie. Sa passion pour l’enseignement, son engagement et
son implication comme instructeur de pilotage méritent d’être soulignées et
en tant que candidat méritant, le comité de sélection du prix commémoratif
David Charles Abramson lui a décerné une reconnaissance spéciale. L’équipe
du magazine Air est honorée de compter dans ses rang des professionnels de
la qualité de Patrick.
Judith Lussier
Chroniqueuse – Titulaire d’un baccalauréat en communication et politique
de l’Université de Montréal, Judith Lussier écrit pour plusieurs magazines,
dont Elle Québec, Sélection du Reader’s Digest et Urbania. On peut aussi
l’entendre à la radio, sur les ondes de CIBL, et lire ses portraits dans
le journal Métro.
Tony Bureau
Réviseur linguistique et correcteur d’épreuves – Titulaire d’un baccalauréat
sur mesure en rédaction professionnelle et langues modernes, Tony Bureau
se spécialise en révision linguistique et travaille également en traduction
de l’anglais au français, à titre de travailleur indépendant, depuis 2008.
[email protected]
18
22 Dossier
Wabush en hiver : de mal en pis
30 Hélicoptère
Hélico : défier l'hiver
38 Reportage
L'aviation sous pression : le stress au quotidien
42 Reportage
Le choc culturel sans sortir son passeport
52 Chronique
Les snowbirds
Amélie Côté
Designer graphique et illustratrice – Titulaire d’un baccalauréat en
communication graphique et d'une maîtrise en arts visuels de l’Université
Laval, Amélie Côté se spécialise dans l’illustration et l’édition de livres et de
revues, à titre de travailleuse indépendante, depuis 2010.
[email protected]
30
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 3
Éditorial
Attache ta tuque
Magazine
Conception de la couverture :
Amélie Côté
Photo de la couverture :
Michel Thibert
Direction artistique, conception graphique :
Amélie Côté
Révision linguistique et
correction d’épreuves :
Tony Bureau
Impression :
Graphiscan
Préparation postale :
PosteExpress
Distribution :
Société canadienne des postes,
contrat 40050783
Dépôts légaux :
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada, 2012.
ISSN 1923-0036
Distribution :
4000 exemplaires distribués en kiosque et par
abonnement ; disponible dans Internet
(www.aqta.ca) ; également distribué aux ministres et aux députés, aux centres de formation et
à la plupart des ­chambres de commerce
Au Québec, on aurait beau vouloir changer les choses, le vrai patron, c’est l’hiver. C’est
en fait cette saison qui dicte nos opérations et qui, au bout du compte, nous définit.
Nous vivons et travaillons dans un coin du monde où le soleil nous fait parfois l’honneur
de refuser de se coucher et, comme pour reprendre son dû, il nous prive âprement de
ses rayons, mettant la table pour une trop longue attente.
À titre d’exemple, les constructeurs viennent de partout à travers le monde pour permettre à leurs appareils de démontrer leur capacité à faire face au grand froid. Ici, les
winter kits ne quittent les aéronefs que pour quelques mois, et nos avions parcourent
des environnements où le gel se fait sentir à l’année.
Qu’ils soient pilotes de King Air, de Navajo, de Dash-8 ou de Pilatus, ils foulent les cieux et
les sols où l’homme blanc est souvent une minorité visible. Au pays des caribous et des
ours polaires, où la neige crisse sous nos pieds, il est possible de vivre un profond choc
culturel même si nous sommes encore au Québec.
Cette édition du magazine Air fait donc honneur à la saison reine et, surtout, aux artisans
de l’industrie qui ont appris à faire face aux conditions climatiques les plus rigoureuses.
Parce que c’est aussi le signe du temps, le magazine Air évolue. Certains d’entre vous ont
reçu une version électronique du magazine (volume 28, no 3) conçue spécialement pour
les tablettes électroniques. Cette portion de nos activités est appelée à se développer.
Pour recevoir cette version du magazine, vous pouvez vous inscrire sur la liste de distribution de l’AQTA au www.aqta.ca.
Bonne lecture !
L’équipe du magazine Air
Abonnements, publicités et articles :
600, 6e avenue de l’Aéroport, Aéroport international ­Jean-Lesage, Québec (Québec) G2G 2T5
Pour nous joindre :
418 871-4635
www.aqta.ca
Toute reproduction totale ou partielle est
interdite sans l’approbation écrite de l’éditeur.
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4 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
aerien.ca
Ensemble,
on avance.
.CA
PILOTAGE
Le vol
en hiver
Saviez-vous que…
Un texte de Franz REINHARDT
Le vol en hiver, bien qu’il exige plus d’efforts et de préparation, vous apportera un grand
plaisir et une satisfaction incomparable. Il y aura bien entendu des tempêtes et
des conditions météorologiques difficiles, empêchant l’utilisation de petits aéronefs non
équipés pour ce genre d’exploitation. Cependant, par beau temps hivernal, entre les systèmes
météorologiques désagréables, l’air froid, plus dense, optimisera les performances de votre
aéronef. Le moteur développera plus de puissance et les ailes plus de portance, entraînant
des décollages plus courts et un taux de montée fulgurant. Il faut aussi noter que, bien
que les vents soient un peu plus élevés, l’air est généralement plus stable qu’en été, créant
ainsi moins de turbulences. Alors, pourquoi s’empêcher de voler ? Il est toujours préférable
d’utiliser votre aéronef sur une base régulière, à moins qu’il soit complètement remisé pour
l’hiver selon les procédures recommandées par le constructeur.
6 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
La préparation pour un vol confortable et sécuritaire en hiver
devrait tenir compte des éléments exposés dans chacune des
étapes suivantes.
1. Vérification de la météo et des NOTAM
Le vol en été demande peu de planification. Lors de cette saison,
un pilote peut décider d’effectuer un vol local à tout moment, de
façon spontanée, sans trop se préoccuper des préparatifs. S’il fait
beau, une vérification rapide de la météo et des NOTAM peut être
effectuée en cinq minutes, et on est prêt à décoller. En effet, il
n’est pas nécessaire de se rendre à l’aérodrome à l’avance pour
pelleter la neige, chauffer l’avion, le déblayer et le déglacer.
L’hiver demande plus de préparation, en ce qui concerne la gestion du risque. Les systèmes météorologiques sont de plus grande
étendue et les conditions propices au givrage sont fréquentes. De
plus, les prédictions météo semblent moins précises qu’en été
et changent plus rapidement. À cet effet, il est bon de vérifier
et de visualiser la météo quotidiennement à la télévision ou sur
Internet, afin de se faire une idée du mouvement des systèmes
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 7
Crédit photo : Michel Thibert
Si vous êtes prêt à relever le défi, il vous faudra prendre en considération certaines précautions et faire preuve d’un plus grand
niveau de préparation, afin d’atténuer les difficultés que peut entraîner le vol en hiver. Beaucoup d’articles ont été rédigés sur le
sujet, mais il semble quand même important de se rappeler certains conseils pouvant rendre cette activité plus confortable et
sécuritaire. Les principes de base discutés ici s’adressent à tout
pilote de l’aviation générale. Cependant, certains conseils peuvent ne pas s’appliquer en totalité aux exploitants commerciaux
utilisant des types d’aéronefs et des installations mieux équipés
pour faire face aux conditions hivernales.
Crédit photo : Michel Thibert
en général, qu’on ait ou non l’intention d’effectuer un vol dans les
heures qui suivent.
En préparation d’un vol-voyage, il est préférable de vérifier la
météo plusieurs jours à l’avance, afin de comprendre la progression des basses pressions et des systèmes frontaux. On peut aussi
vérifier la précision des prédictions concernant le mouvement
des systèmes en consultant les METAR et les TAF des différentes
stations en route, afin de voir si les conditions réelles sont bien
telles qu’elles avaient été prévues. En hiver, par exemple, il vaut
mieux attendre trois jours à la maison avant d’entreprendre
un vol aller-retour qui pourra se faire confortablement en une
journée, plutôt que d’avoir la surprise de devoir passer trois
jours à l’hôtel avant d’effectuer le vol de retour. Il existe de nos
jours une multitude de sites Internet canadiens et américains
permettant une très bonne visualisation des mouvements des
systèmes météo et des conditions qui y sont associées.
La vérification des NOTAM est aussi importante lors des volsvoyages en hiver. Il serait bien désagréable de passer quelques
heures en vol pour s’apercevoir à destination que la piste n’a
pas été déblayée, ou qu’elle est totalement glacée et que le vent
actuel approche les limites de vent traversier démontrées pour
votre type d’aéronef.
2. Préparation de l’aéronef
Si vous avez la chance d’entreposer votre aéronef dans un hangar chauffé, la préparation ainsi que la visite pré-vol de l’appareil
seront aussi faciles qu’en été, car vous n’aurez à réchauffer ni le
moteur, ni la cabine et les instruments. De plus, vous n’aurez à
faire face à aucune contamination des surfaces portantes, comme
8 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
les ailes ou les pales de rotor, dans le cas des hélicoptères. Il vous
faudra cependant bien vérifier à l’avance le type d’installations
disponibles à votre aéroport de destination, si vous devez y passer la nuit ou quelques jours.
Un simple hangar non chauffé pourra aussi vous simplifier la vie,
en vous évitant d’avoir à pelleter la neige et à déblayer les surfaces
portantes, en plus d’avoir ensuite à plier et à ranger les bâches
de protection. L’accès à l’électricité serait d’un grand secours,
car vous pourriez alors utiliser un chauffe-moteur et une petite
chaufferette pour la cabine et les instruments.
Il va de soi que vous devrez avoir recours à une huile multigrade
ou monograde de plus grande viscosité qu’en été, afin d’assurer
une meilleure lubrification du moteur immédiatement après le
démarrage. Cela n’est cependant pas suffisant, et les constructeurs
recommandent en général de bien réchauffer le moteur avant le
démarrage dès que la température approche 0 °C. Des ateliers
de maintenance ont établi qu’un démarrage par température
très froide, sans réchauffage du moteur à l’avance, peut causer
en moins d’une minute plus d’usure à un moteur à pistons que
des centaines d’heures d’opération normale. La meilleure façon
de réchauffer un moteur est d’utiliser un chauffe-moteur électrique, d’un des deux types qui existent sur le marché. L’un est
composé de bandes chauffantes installées autour de chaque cylindre, ainsi que d’un coussinet chauffant sous le carter d’huile
(www.reiffpreheat.com). L’autre est constitué d’éléments chauffants vissés sur chaque cylindre et aussi d’un coussinet chauffant
sous le carter d’huile (www.tanisaircraft.com). Une des entreprises
citées fabrique également un système de réchauffage de l’huile
pour moteurs à turbine, qui réchauffe aussi les engrenages des
accessoires et du démarreur afin de faciliter le démarrage par
temps froid. Ces systèmes doivent être utilisés avec une bonne
couverture ou bâche isolante sur le capot du moteur, pour éviter
la perte de chaleur. Il est recommandé de laisser le système en
marche pendant environ huit heures avant le démarrage. Il est
possible de se servir d’une minuterie programmée à l’avance qui
mettra le système sous tension à une certaine heure, vous évitant
ainsi d’avoir à vous déplacer. Certains constructeurs recommandent l’installation d’un déflecteur d’air restreignant la fonction
du refroidisseur d’huile et permettant un meilleur réchauffage du
moteur lors d’opérations en hiver. Vous devrez aussi vous assurer
d’avoir une batterie à pleine charge pour satisfaire à la demande
d’un démarrage par temps froid.
Si vous n’avez pas accès à l’électricité, vous pouvez employer un
système d’air chaud forcé provenant d’une chaufferette à combustion à propane ou à essence, et utilisant de gros boyaux flexibles
introduits dans le compartiment moteur. Vous devez cependant
vous assurer que le chauffage soit appliqué à tout le moteur et
assez longtemps, tout en prenant garde à ce que certaines parties du moteur ne soient pas surchauffées alors que d’autres sont
encore froides. Pour éviter les incendies, vous devez toujours être
présent durant ce type d’opération.
Que l’aéronef soit dans un hangar non chauffé ou à l’extérieur,
rappelez-vous que le fait de réchauffer la cabine préviendra une
usure prématurée des instruments et contribuera à prolonger
leur longévité. Les radios fonctionneront aussi beaucoup mieux
après avoir atteint une température ambiante raisonnable. Cela
ne prendra qu’une trentaine de minutes, et là aussi, vous devriez
toujours être présent pour éviter les risques d’incendie.
Si votre aéronef est à l’extérieur, il devrait être protégé par des
toiles ou des couvertures qui vous permettront d’enlever la neige
et la glace plus facilement. Vous devrez prévoir une heure supplémentaire ou plus pour le dégager du banc de neige et enlever
toute trace de neige ou de glace sur les ailes ou les autres surfaces portantes ; vous devrez aussi prévoir le temps nécessaire
pour plier et ranger les toiles et couvertures. Il est également
important de s’assurer que les carénages de roues et la casserole
d’hélice ne soient pas remplis de glace ou de neige compactée ;
vous voulez en effet éviter un blocage des roues ou une vibration
inattendue de l’hélice.
La visite pré-vol de votre aéronef devrait être plus longue en hiver
qu’en été, et il vous faudra effectuer toutes les vérifications prévues
par le constructeur. Si le froid vous indispose durant cette vérification, vous n’êtes sans doute pas habillé assez chaudement pour
aller voler, spécialement en cas d’arrêt imprévu. Effectuez le drainage des réservoirs, tel qu’il est recommandé, et assurez-vous que
les évents de carburant ne sont pas bloqués par la glace. Vérifiez
entre autres le système statique, le tube de Pitot, l’échappement, le
reniflard d’huile ainsi que les orifices de ventilation et de chauffage.
En fait, la vérification devrait être encore plus minutieuse en hiver,
car la neige et la glace peuvent s’infiltrer de façon sournoise aux endroits les plus imprévisibles. Il faut aussi vous assurer du bon état
de votre système d’échappement, qui fait habituellement partie
intégrante du système de chauffage de cabine, afin de prévenir les
fuites de monoxyde de carbone (CO).
3. Préparation du pilote
Si vous devez déblayer un aéronef enseveli sous la neige, comptez
quelques heures de préparation supplémentaires avant le vol ;
rappelez-vous également qu’en hiver, les journées sont courtes. En
cette saison, le vol à bord de petits aéronefs est différent de celui
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 9
Crédit photo : Simon Chamberland
qui est effectué d’un terminal à l’autre à bord d’avions de ligne.
Vos passagers et vous-même devrez être habillés assez chaudement en cas d’arrêt imprévu ou en prévision peu probable, mais
possible d’un atterrissage de précaution (bottes, tuque, mitaines).
Votre appareil devrait être équipé d’une radiobalise de détresse
(ELT) ou d’un système de localisation par satellite permettant aux
autorités concernées de faire le suivi de la route empruntée. Un
équipement de survie incluant un sac de couchage et certaines
provisions pourrait être très pratique en situation d’urgence. Il
va de soi qu’une bonne préparation de vol ainsi que le dépôt d’un
plan de vol ou d’un itinéraire de vol contribueront à votre quiétude d’esprit, lors d’un vol par conditions hivernales.
Les surfaces de stationnement des aérodromes sont balayées
par les vents et peuvent être très glacées. Il vous faudra donc redoubler de prudence en marchant vers l’aéronef et éviter autant
que possible de devoir lancer le moteur à la main au moyen de
l’hélice, à moins de prendre des précautions exceptionnelles vous
permettant d’effectuer la manœuvre en toute sécurité.
4. Circulation au sol
Le freinage sur glace ou sur neige est peu efficace, et vous devrez
circuler lentement en vous abstenant d’effectuer des virages ou
des arrêts brusques. Appuyez légèrement sur les freins pour éviter de bloquer les roues et de déraper. L’utilisation exagérée des
freins en hiver peut entraîner la fonte de neige sur les disques,
suivie de gel subséquent, et ainsi provoquer le blocage des freins
avant le décollage.
En cas de neige fondante, une circulation rapide peut faire
éclabousser la gadoue sur la cellule ou sur les portes de trains
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o
4, hiver 2013
d’atterrissage escamotables. Dans la neige fraîche, les signaux des
voies de circulation peuvent être difficiles à lire. Vous devrez faire
attention de ne pas vous retrouver dans une ornière hors de la
voie de circulation. Il vous faudra aussi surveiller vos bouts d’ailes
en circulant près des congères durcies. Il est important de bien
positionner votre avion avant d’effectuer le point fixe. Assurezvous de placer au moins une des roues principales sur une surface sèche pour immobiliser l’appareil, ou prévoyez un certain
espace de jeu si l’avion ne peut s’immobiliser complètement. Pour
les avions équipés d’un carburateur, il faut s’assurer du bon fonctionnement du réchauffe-carburateur avant le décollage.
5. Décollage
Il vous faudra être très prudent si vous décollez d’une piste
glacée, car le contrôle de l’appareil dépendra uniquement de
l’efficacité du gouvernail de direction, en l’absence de traction des
roues. Un pilote expérimenté pourra effectuer un tel décollage,
mais le vent devra cependant être dans l’axe de piste, ou être très
faible, s’il est traversier. En cas de neige poudreuse, vous devrez
utiliser la technique de décollage mou et évoluer en effet de sol
jusqu’à ce que vous atteigniez la vitesse normale de montée.
Après avoir circulé dans la neige fondante ou la gadoue, il serait
judicieux de laisser le train sorti environ une minute après le
décollage pour permettre à la neige ou à la glace de se déloger
avant de rentrer le train. On peut aussi rentrer et sortir le train
une fois pour vérifier son bon fonctionnement.
En montée, il faudra porter une attention particulière à la température des cylindres, qui pourrait être affectée par l’utilisation
des déflecteurs de ventilation du moteur, s’il y avait réchauffement
de température extérieure par inversion. Il faudrait alors utiliser
de façon judicieuse les volets de capot ou abaisser le nez et augmenter la vitesse.
6. Vol en croisière
La météo peut changer plus rapidement en hiver qu’en été. Il
vous faudra donc être prudent lors de vols-voyages de longue distance traversant un système frontal délimitant différentes masses
d’air. Les averses de neige passagères peuvent gêner la visibilité
au point de créer temporairement des conditions de vol aux instruments. Dans de telles conditions, il vaut mieux faire un détour
pour les contourner ou, si cela s’avère impossible, effectuer un
virage de 180°, à moins que vous soyez qualifié pour le vol aux
instruments et que l’aéronef soit équipé à cet effet. Il vous faudra
aussi être conscient de la possibilité de conditions de voile blanc
lors de vols à basse altitude au-dessus de surfaces enneigées et
par conditions de luminosité et de visibilité restreintes.
Une bonne vérification de la météo vous permettra d’éviter les
conditions de pluie verglaçante, qui constituent un danger important pour tout type d’aéronef. Quant aux possibilités de givrage
dans les nuages, elles sont fréquentes en hiver car le niveau de
congélation dans notre région est rarement plus élevé que le
niveau du sol.
Il serait judicieux lors de vols-voyages de prévoir la possibilité
d’arrêts en route à cause des changements météorologiques et
d’embarquer à bord les toiles et couvertures de protection de
l’aéronef. Le fait d’avoir à bord tout l’équipement nécessaire
permettant la protection de l’appareil lors d’un arrêt en route
constitue une approche stratégique du vol en hiver.
7. Descente et atterrissage
L’hiver requiert une bonne gestion de l’opération du moteur et
une surveillance étroite de ses paramètres. Vous devrez éviter
les longues descentes avec opération du moteur au ralenti, car
cela pourrait causer un refroidissement brusque du moteur et
un choc thermique pouvant provoquer la fissure des cylindres ;
l’opération au ralenti prolongée pourrait également entraîner
une perte de puissance moteur lors d’une approche interrompue
et d’une remontée. En fonction du type de moteur, le réchauffecarburateur devra être utilisé selon les recommandations du
constructeur, avant l’atterrissage. La plupart des fabricants de
moteurs à pistons recommandent d’adopter un régime moteur
plus élevé lors de descentes par température froide et de conserver un régime minimum de 1 500 tours par minute le plus
longtemps possible avant l’atterrissage.
L’atterrissage sur une piste glacée devient un peu plus complexe
que le décollage dans des conditions similaires. En effet, si les
vents sont favorables, le contrôle de l’aéronef pourra être effectué
au moyen du gouvernail de direction durant une certaine portion
de la course au sol, mais il vous faudra inévitablement vous arrêter, et comme les roues auront une très faible traction, le freinage
devra s’effectuer très légèrement pour éviter de déraper. Il ne vous
faudra pas hésiter à utiliser toute la longueur de piste, si nécessaire ; il ne s’agit pas ici d’une compétition d’atterrissage court.
En hiver, les aérodromes comportent d’autres dangers tels que
les congères durcies le long des pistes d’atterrissage, l’effet
de chasse-neige lors de bourrasques de vent et la présence de
neige dont il est difficile d’évaluer la profondeur en altitude.
Vous devrez donc vous informer à l’avance des conditions de
piste à destination, afin de déterminer si l’atterrissage pourra
s’effectuer de façon sécuritaire. Si vous deviez vous dérouter
vers un aérodrome inconnu pour lequel vous ne pouvez obtenir
d’information par radio, il vous faudra essayer de juger les conditions en effectuant un passage à une altitude et à une vitesse
sécuritaires, avec utilisation partielle des volets.
Le vol en hiver a bien entendu ses caractéristiques particulières,
tout comme la conduite automobile ou d’autres activités hivernales. Il s’agit simplement d’en être conscient et de prendre certaines précautions supplémentaires qui méritent qu’on y accorde
le temps nécessaire. Le vol en hiver pourra ainsi être accompli de
façon sécuritaire, et les performances accrues que procure la densité de l’air ne pourront qu’augmenter votre plaisir à effectuer une
telle activité.
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 11
Avis de nomination
M. John W. Crichton, président et chef de la direction de NAV CANADA, est heureux d’annoncer
les nominations à la haute direction que voici :
Rudy Kellar, vice-président directeur,
Prestation des services
À titre de vice-président directeur, Prestation
des services, M. Kellar fournit un leadership
et une orientation en matière d’exploitation
de la circulation aérienne, d’opérations
techniques et d’ingénierie, en s’assurant de
l’harmonisation de ces trois secteurs clés
dans le cadre de la prestation de services de
la circulation aérienne et de services d’information aéronautique
sécuritaires, efficaces et rentables.
M. Kellar s’est joint à NAV CANADA en 2005 en tant que
gestionnaire général, Région d’information de vol (FIR)
d’Edmonton, où il a travaillé avec le personnel et la clientèle
de l’Exploitation pour améliorer sensiblement les niveaux de
service. En 2007, il a été nommé au poste de vice-président,
Exploitation, et a contribué de façon considérable à la sécurité
et à l’efficacité des mouvements d’aéronefs dans l’espace aérien
du Canada et dans l’espace aérien international délégué à NAV
CANADA. Avant de se joindre à NAV CANADA, il a été présidentdirecteur général, de 2001 à 2005, chez Air Contractors, une
compagnie de fret aérien établie à Dublin, en Irlande.
Brian Aitken, vice-président directeur,
Finances, et chef de la direction financière
À titre de vice-président directeur, Finances,
et chef de la direction financière, M. Aitken a
pour responsabilité de fournir un leadership
au groupe des Finances de NAV CANADA.
Arrivé à NAV CANADA en 2002 en qualité de
directeur principal, Finances, il a été promu
en 2007 au poste de vice-président adjoint aux Finances. En
2008, M. Aitken a été nommé vice-président, Finances, chef de
la direction financière et trésorier. À ce titre, il était responsable
de la gestion des ressources et des risques financiers, tout en
assurant l’administration efficace et efficiente de l’information
financière et des systèmes de rapports de la Société et de ses
régimes de retraite. Avant de se joindre à NAV CANADA, il a
occupé le poste de vice-président trésorerie chez Domtar Inc., et
de chef de la direction financière chez E.B. Eddy Forest Products
ltée et Calian Technology ltée.
Neil Wilson, vice-président directeur,
Administration, et avocat en chef
En qualité de vice-président directeur,
Administration, et avocat en chef, M. Wilson est
res-ponsable de tous les services juridiques et
généraux ainsi que des Ressources humaines
et des Services à la clientèle et commerciaux.
M. Wilson s’est joint à NAV CANADA en 2002
à titre de vice-président, avocat en chef et secrétaire général.
Outre son rôle permanent de chef des services juridiques,
M. Wilson remplit aussi la fonction de secrétaire général et
supervise les groupes Contrats, logistique et parc automobile,
Assurance et gestion des risques, Services de l’environnement
et de santé et sécurité et travail, et Sécurité globale. Avant son
arrivée à NAV CANADA, il était associé chez Gowling Lafleur
Henderson LLP, à la succursale d’Ottawa.
Larry Lachance, vice-président, Exploitation
À titre de vice-président, Exploitation,
M. Lachance joue un rôle prépondérant
dans la gestion et l’orientation générales
du rendement opérationnel de la Société,
en assurant une gestion sécuritaire, efficace
et rentable des services de la circulation
aérienne et des services d’information
aéronautique.
En 2007, M. Lachance a été nommé vice-président adjoint,
Soutien à l’exploitation, et était chargé de l’intégration des
systèmes ATS, des normes et procédures, de la sécurité ainsi que
de la coordination opérationnelle. Avant cette date, M. Lachance
a occupé divers postes de gestion aux responsabilités croissantes
au sein de l’Exploitation, suivant une fructueuse carrière en tant
que contrôleur de la circulation aérienne.
Raymond Bohn, vice-président, Recettes et
administration des pensions
En tant que vice-président, Recettes et administration des pensions, M. Bohn fournit
un leadership et une orientation à l’équipe
de recettes liées au SNA, qui se charge de
la prévision du trafic aérien et des recettes
connexes, de l’établissement des taux de
redevances, de la collecte et de l’analyse des
données de vol en vue de la facturation et de la planification,
de la facturation des redevances aux clients et de la gestion
des processus liés aux risques de crédit et aux comptes clients.
Il dirige aussi le groupe Administration des pensions, qui
est responsable de l’évaluation actuarielle et des politiques,
des procédures et des systèmes administratifs inhérents à
l’exploitation des régimes de retraite de NAV CANADA.
M. Bohn s’est joint à la Société en 2000 en tant que gestionnaire
principal, Pensions et avantages sociaux, et a été nommé
directeur, Rémunération, avantages sociaux et systèmes de
RH en 2003. En 2005, il a été promu vice-président adjoint,
Ressources humaines, et a été nommé vice-président adjoint,
Recettes et administration des pensions, en 2008.
www.navcancada.ca
12 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
ENSEMBLE,
nous sommes plus FORTS.
.CA
Sennheiser,
déclencheur de nouvelles passions
pour l’aviation
Avant son embauche chez Sennheiser, en 2002, Mme Roseline Boire n’avait jamais côtoyé
le milieu de l’aviation. Dès son arrivée, elle a été captivée par la passion contagieuse
du président de la société, M. Jean Langlais, pour le pilotage. Elle a alors rapidement décidé
de se joindre au groupe des aviateurs.
Son brevet de pilote en poche, Mme Boire a dernièrement eu la
chance exceptionnelle d’approfondir ses apprentissages aux côtés
d’un des meilleurs instructeurs de vol au Canada, Mme Kathy Fox.
Lorsqu’elle l’a entendue prononcer son discours d’acceptation du
prix commémoratif David Charles Abramson (DCAM) à la réunion
générale annuelle de 2011 de l’Association du transport aérien du
Canada (ATAC), Roseline Boire a été grandement impressionnée par
l’enthousiasme dont faisait preuve la récipiendaire et a ardemment
souhaité la rencontrer pour parfaire ses techniques de pilotage.
Grâce à Sennheiser, Mme Boire a récemment réalisé son rêve
dans le cadre de l’aéroclub de Rockcliffe, d’Ottawa, où s’est tenue
la Compétition pour le trophée commémoratif Webster de 2012
et où Kathy faisait partie des instructeurs.
« Bien qu’elle m’ait offert beaucoup de conseils pratiques, je
crois que ma plus grande récompense a été émotionnelle. Dès
les premiers moments du décollage, l’avion semblait être, pour
la première fois, une extension de moi-même, et à la fin de la séance, je pouvais réellement dire que je comprenais enfin ce que
c’était de voler comme un oiseau, cette sensation envahissante
indescriptible et exaltante de la liberté totale », conclut Roseline
Boire, visiblement comblée.
Roseline Boire s’est tout de suite sentie à l’aise avec une femme
comme instructeur. « Elle est un instructeur fantastique, le meilleur, en fait. Très calme, très concentrée, elle transmet clairement
son expertise. Nous avons notamment travaillé les techniques de
pointe des virages d’approche lors d’un atterrissage avec vent
transversal, une manœuvre difficile à maîtriser pour un pilote
qui débute », affirme-t-elle.
Essai du nouveau casque S1 Digital de Sennheiser
Dans le cadre de son vol d’entraînement, Roseline Boire a pu
essayer le nouveau casque S1 Digital de Sennheiser pour
l’aviation générale, qui utilise le récent système Digital Adaptive
NoiseGardMC. Cette innovation technologique établit des normes
entièrement nouvelles dans la compensation du bruit. En effet,
à la seule pression d’un bouton, le casque s’adapte en quelques
secondes à l’environnement sonore changeant du poste de pilotage. Ce casque a été spécifiquement conçu pour les pilotes
d’hélicoptères et d’avions à hélices monomoteurs ou bimoteurs.
14 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 15
SNOWTAM, SNOWiz,
SNOW quoi ?
Dans le but d’accroître la sécurité et d’améliorer les opérations, NAV CANADA est en
phase de transition vers l’utilisation des SNOWTAM, conformément aux dispositions de
l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Tout le processus s’orchestre
en collaboration avec Transports Canada.
Le SNOWTAM fournit, dans un format standard, les renseignements relatifs à des conditions potentiellement dangereuses causées par la présence de contaminants tels que la neige, la glace
ou l’eau stagnante sur l’aire de mouvement. Il informe également
la communauté de l’aviation des opérations de déblaiement.
du rapport détaillé sur Internet, et ce, dans un format uniformisé.
Le compte-rendu est accessible sur le site web de la météorologie
à l’aviation (AWWS) de NAV CANADA et sur le réseau du service
fixe des télécommunications aéronautiques (AFTN).
Il a été démontré que la plupart des usagers préf èrent n’avoir
aucune information plutôt que consulter un compte-rendu erroné.
Les renseignements décrivant l’état de surface des pistes sont
déjà disponibles au Canada sous forme de NOTAMJ. Toutefois,
aucun autre pays n’utilise ce modèle, ce qui en rend l’utilisation
moins conviviale pour les logiciels et moins compréhensible
pour plusieurs usagers. NAV CANADA participe activement à
l’atteinte d’une uniformité sur le plan international. L’application
complète des normes SNOWTAM est prévue pour 2015.
Afin de permettre une transition sans heurts, certaines procédures
ont déjà été introduites. Par exemple, la période de validité maximale du NOTAMJ est dorénavant de 24 heures. Si NAV CANADA
n’a reçu aucune mise à jour de l’exploitant d’aéroport à l’égard
d’un NOTAMJ 24 heures après son émission, celui-ci sera retiré
SNOWiz est une interface permettant à l’exploitant d’aéroport
de transmettre électroniquement, sur Internet, le compte-rendu
de l’état de la surface pour les mouvements d’aéronefs (AMSCR),
depuis un ordinateur de bureau de l’exploitant d’aéroport ou
même un véhicule affecté à l’entretien des installations aéroportuaires jusqu’au serveur de NAV CANADA par l’entremise des
logiciels de deux fournisseurs : WinterOps Pro, de Team Eagle, et
TRACR II, de Tradewind.
Les exploitants d’aéroports n’ayant pas accès à Internet pourront
continuer à transmettre le rapport par télécopieur à NAV CANADA
en utilisant le formulaire AMSCR adapté aux nouvelles procédures,
lequel est disponible sur le site www.navcanada.ca. Il est impératif
L’hiver 2012-2013 est la période pendant laquelle une nouvelle interface permettant
aux exploitants d’aéroports de transmettre les renseignements sur l’état de surface
des pistes sera instaurée
de la base de données. Il a été démontré que la plupart des usagers préfèrent n’avoir aucune information plutôt que consulter un
compte-rendu erroné.
Plusieurs autres modifications ont été annoncées en 2011. Pour
en savoir plus, veuillez consulter la Circulaire d’information aéronautique 39/11 sur le site www.navcanada.ca.
SNOWiz
L’hiver 2012-2013 est la période pendant laquelle une nouvelle
interface permettant aux exploitants d’aéroports de transmettre
les renseignements sur l’état de surface des pistes sera instaurée. Le plus grand avantage de cette innovation est la réduction
du délai de traitement entre l’inspection des pistes et l’affichage
pour ceux-ci de se servir de ce formulaire pour que la conformité
aux standards actuels soit assurée.
Depuis l’an dernier, NAV CANADA et ses partenaires ont effectué de nombreux essais dans divers aéroports canadiens. Ces
essais se sont avérés concluants et ont permis de constater que
SNOWiz répond bien aux besoins opérationnels. Les employés
de NAV CANADA ainsi que les équipes aéroportuaires recevront
la formation requise à l’automne, et tous entrevoient avec
beaucoup d’optimisme la venue de SNOWiz dans le paysage
aéronautique canadien.
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 17
ENTREVUE
L’aviation
sur
skis :
quand les outardes partent,
les avions restent !
Un texte de Geneviève VOULIGNY
Le magazine Air a rencontré Michel Turcotte, chef pilote d’Air Saguenay depuis 2008, afin de
découvrir les coulisses de l’aviation sur skis.
18 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
AIR : Quelles qualités sont essentielles pour piloter un avion
sur skis ?
M.T. : Pour faire de la brousse, il faut aimer l’aventure, la liberté, le
grand air et l’isolement. Un bon pilote doit aussi avoir de la facilité
à prendre des décisions et des initiatives de manière autonome.
Les pilotes de brousse manœuvrent des appareils dans des zones
non aménagées pour l’aviation. Ils effectuent leurs vols à l’aide de
repères visuels, et il leur arrive parfois de travailler sans équipe.
Ce sont généralement les pilotes de brousse les plus expérimentés
qui effectuent des vols en hiver, car leurs compétences en pilotage
et leur jugement sont souvent mis à rude épreuve, en raison de
conditions climatiques très variables et plutôt hostiles.
AIR : Quelles sont les caractéristiques du vol de brousse en
hiver ?
M.T. : Que nous pilotions un avion sur flotteurs ou sur skis, les
opérations demeurent relativement les mêmes. Le changement d’équipement entre l’été et l’hiver ne demande pas tant
d’adaptation. Ce sont plutôt les éléments environnementaux particuliers qui exigent une grande attention en hiver. En effet, nous
devons pouvoir faire face à toute éventualité : froid intense, vents,
poudrerie, brouillard, gadoue, etc. Les conditions varient énormément, il faut donc toujours garder un œil sur la météo !
Air Saguenay utilise quotidiennement
une flotte de trente hydravions durant l’été et
ne garde en service que cinq appareils en hiver.
Nous ne pouvons négliger aucun aspect de la préparation, car
pendant cette période, il y a très peu de circulation aérienne dans
les régions éloignées. Par exemple, Air Saguenay utilise quotidiennement une flotte de trente hydravions durant l’été et ne garde
en service que cinq appareils en hiver. Les camps de chasse et de
pêche sont aussi désertés. Les secours étant relativement rares, la
prévention est encore plus importante. Nos bagages doivent contenir tout le nécessaire en cas d’incident : habillement, couvertures,
trousse de premiers soins, vivres, carburant, etc.
AIR : Quels avions sont utilisés ?
M.T. : Nous avons opté pour des Turbo Otter dans lesquels le moteur à piston a été remplacé par une turbine. Ces appareils d’une
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 19
un mois plus tard qu’à Chicoutimi, à Sept-Îles, à Natashquan, à
Baie-Comeau et au Havre-Saint-Pierre.
AIR : Au printemps ou à l’automne, arrive-t-il des situations
où les changements environnementaux rendent
votre appareil inadéquat ?
Crédit photo : Air Saguenay
M.T. : Il peut arriver que le lac gèle pendant la nuit et qu’un avion
sur flotteurs ait de la difficulté à repartir. Il faut alors casser la glace.
L’installation des skis ou des flotteurs ne demande qu’une seule
journée de travail. Il est donc facile d’adapter la flotte aux changements rapides de température durant cette période transitoire.
fiabilité exceptionnelle sont beaucoup moins sensibles aux changements de température et démarrent plus facilement par temps
froid. Nous utilisons également des Beaver et des Cessna 185, mais
leurs moteurs à pistons nécessitent plus d’entretien et doivent être
réchauffés très longtemps avant le décollage.
Air Saguenay utilise des appareils avec des trains d’atterrissage
« classiques » (tailwheel) pour voler sur skis. La neige mouillée
(« sloche ») et les congères de neige dure sont deux types de conditions d’atterrissage particulièrement difficiles, dans lesquels un train
classique est préférable.
AIR : Quand doit-on effectuer le changement d’équipement ?
M.T. : Le passage de la saison estivale à la saison hivernale ne
se fait pas à date fixe et peut varier d’une région à l’autre. Par
exemple, à Schefferville et à Caniapiscau, nous utilisons les skis
20 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
À l’automne et au printemps, je contacte les pilotes d’expérience
et je vérifie avec eux leur évaluation de la situation. Nous prenons
des mesures et nous élaborons des directives que nous mettons
à jour régulièrement en fonction de l’évolution des surfaces et
des endroits à visiter. Il est sécuritaire de garder les skis le plus
longtemps possible au printemps, mais il vient un temps où la
glace devient trop mince. Il nous faut alors cesser nos activités
pendant une courte période.
L’installation des skis ou des flotteurs
ne demande qu’une seule journée de travail.
AIR : Comment prépare-t-on les appareils ?
M.T. : Avant chaque vol hivernal, nous devons protéger les ailes
pour éviter qu’elles se recouvrent de glace, brancher le moteur
pour le réchauffer et l’habiller avec une couverture. Dans la
plupart des cas, les pilotes sont seuls pour effectuer toutes ces
manipulations. N’ayant pas l’aide d’un répartiteur, ils doivent
aussi accueillir les passagers et porter leurs bagages. C’est une
approche que j’apprécie, car ça donne l’occasion de créer un lien
étroit avec la clientèle.
M.T. : Alors que l’été, nous avons des demandes pour des voyages
de pêche ou de chasse, des expéditions en canot et des survols de
territoire, l’hiver, les activités sont ralenties. En plus de quelques
demandes de nolisement ponctuelles, nous transportons des
médecins qui travaillent occasionnellement dans des régions du
Nord, ainsi que les employés qui font de la prospection minière. Il
y a beaucoup d’action dans ce domaine depuis quelques années,
et nous sommes appelés à faire la navette afin de transporter,
notamment, du matériel pour installer les campements, du carburant pour les hélicoptères, de la nourriture et des échantillons
de sol qui seront ensuite analysés en laboratoire.
AIR : Utilisez-vous toujours les mêmes pistes ?
M.T. : Dans les campements des minières, les allers-retours sont
fréquents et nous utilisons souvent les mêmes endroits. Lorsque
c’est possible, nous balisons les pistes avec des sapins afin d’avoir
des repères dans des situations où la visibilité est réduite.
Au besoin, nous demandons de taper la piste avec un traîneau
tiré par une motoneige avant notre arrivée. Cela facilite beaucoup les manœuvres. Dans des endroits plus isolés, lorsque la
neige est très molle, nous devons parfois faire des traces à haute
vitesse dans la neige avant de revenir nous poser dans ces traces,
sans quoi nous risquerions de nous enliser.
Crédit photo : Air Saguenay
AIR : Vous dites que la circulation aérienne diminue énormément en hiver. Quelle clientèle transportez-vous pendant
cette période ?
Quand nous ne connaissons pas la surface où nous nous posons,
nous sommes beaucoup plus prudents. Par temps couvert, ou
lorsque la poudrerie nous empêche de bien voir le relief, nous
ne pouvons prendre aucun risque. Nous nous assurons aussi
d’atterrir dans une zone protégée par les arbres, où le sol est
moins susceptible d’être encombré par des amas de neige transportés par le vent. Parfois, au contraire, la glace est tellement dure
et lisse qu’il est préférable de se poser sur roues. C’est vraiment le
pilote qui doit analyser la situation en fonction de son expérience
et de sa connaissance du terrain. Il arrive même parfois qu’il doive
rebrousser chemin.
Pour le pilotage d’avions sur skis, il est donc nécessaire d’avoir
une bonne dose de témérité doublée d’un jugement sans faille. Et
il faut sans cesse rechercher l’équilibre entre les deux !
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 21
DOSSIER
EN HIVER :
de mal en pis
Un texte de Pierre-André ROUX
« Vous êtes septième pour l’atterrissage. Limite d’autorisation NANRO. Avisez prêts à copier
le circuit d’attente. » Si ces lignes vous sont familières, c’est que vous êtes déjà allé faire
un tour à Wabush. À cet aéroport du Labrador desservant également la ville québécoise
de Fermont, on exploite le fer, mais on brûle aussi une quantité magistrale de carburant
en raison d’installations qui ne répondent pas aux besoins. Les conditions hivernales qui y
sévissent hâtivement ne font rien pour améliorer la situation.
Encore et encore
Voilà un sujet dont nous avons déjà traité dans une édition
précédente du magazine (Wabush : une épine dans le pied du Plan
Nord, volume 28, no 2) et dont nous n’avons certainement pas
fini d’entendre parler. La couverture radar inexistante limite dramatiquement la capacité des contrôleurs aériens à connaître la
position des aéronefs. Conjuguée à des installations inadéquates
(absence d’une voie de circulation permettant aux avions de
remonter la piste sans l’accaparer), cette situation fait en sorte
que l’aéroport de Wabush est nettement sous-équipé. La conséquence ultime est de voir les avions tourner en rond au-dessus
de NANRO, le point d’attente désigné.
Le plein, s’il vous plaît
Les avions en circuit d’attente, pour des raisons évidentes (gestion
des ressources en carburant lorsqu’ils sont en vol), ont priorité sur
l’aéroport. Cela mène à des situations tout aussi dérangeantes, soit
des avions qui attendent à l’écart de la piste pendant des heures.
Les conséquences sont désastreuses. Une quantité phénoménale
de carburant est brûlée pour des raisons définitivement injustifiables, tant au-dessus de NANRO qu’à l’écart de la piste. De plus,
dans la mesure où il s’agit d’une variable pratiquement imprévisible et aléatoire, la gestion du carburant est un réel défi.
Une quantité phénoménale
de carburant est brûlée pour des raisons
définitivement injustifiables, tant au-dessus
de NANRO qu’à l’écart de la piste.
22 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
Dame Nature
Lorsque le ciel est bleu, les pilotes peuvent rapidement annuler les instruments et permettre à un autre avion de décoller
si l’espacement est sécuritaire. Toutefois, quand les conditions
météorologiques se détériorent, les histoires se compliquent.
Ajoutez à ce cocktail des précipitations de neige, et vous obtiendrez la situation désastreuse qui menace quotidiennement les
opérateurs aériens québécois qui desservent cette région.
Les conditions hivernales qui y sévissent
hâtivement ne font rien pour améliorer
la situation.
Alors que sept avions effectuent des circuits d’attente, un équipage
au départ de Wabush décide de mettre le carburant nécessaire à
son vol et de faire dégivrer l’appareil. Au bout de quelques minutes
à attendre à l’écart de la piste, la capacité antigivrante des fluides
disposés sur l’avion arrive à sa fin. En même temps, l’équipage
commence à se demander si la quantité de carburant sera suffisante pour répondre aux exigences.
Une solution pourtant connue
Ce qui est le plus désolant, c’est qu’à Wabush, les solutions sont
connues. Une couverture radar et la construction d’une voie de
circulation auraient pour simple effet de régler de nombreux
maux de tête. Le gouvernement du Québec a beau avoir changé
de main et le Plan Nord changé de nom, les problèmes restent les
mêmes. D’ici à ce que les autorités responsables prennent leurs
responsabilités, ce seront toujours les transporteurs qui feront
les frais d’une problématique pourtant simple à régler.
Crédit photo: Michel Thibert
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 23
MONTRÉAL,
capitale du dégivrage
• En moyenne, 3 500 000 litres de glycol sont utilisés chaque
hiver pour dégivrer les aéronefs qui décollent de l’aéroport
Montréal-Trudeau, soit l’équivalent de 88 piscines
hors terre.
• On utilise environ 7 fois moins de glycol pour dégivrer
un avion de type King Air que pour un Boeing 737.
• Durant l’hiver 2010-2011, plus de 10 000 avions ont été
dégivrés à l’aéroport Montréal-Trudeau.
• À Montréal, on utilise l’éthylène-glycol chauffé à plus
de 60 °C. Il abaisse le point de congélation de l’eau et
évite la contamination par le givre, la glace ou la neige.
24 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
Crédit photo: Jean-Philippe Pépin
En
sem
ble
Congrès de l’AQTA 2013
Du 20 au 22 mars 2013
Au Fairmont Le Manoir Richelieu,
Charlevoix
Inscriptions et commandites :
.CA
HÉLICOPTÈRE
HÉlico :
Défier l’hiver
30 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
Un texte de Patrick LAFLEUR
L’hiver, une certaine partie de l’aviation générale passe en mode ralenti. Les avions sur
flottes sont remisés, et plusieurs pilotes privés passeront les prochains mois à terre à cause
des complications hivernales comme l’enlèvement des bâches de protection, le dégivrage
des surfaces critiques et le déblaiement de la neige autour de l’avion stationné.
L’hélicoptère est quant à lui un peu moins perturbé par la saison
froide. Bien que les contrats soient moins fréquents, plusieurs
facteurs font en sorte que ce secteur de l’aviation garde un bon
niveau d’opérabilité. Une grande partie de la flotte dort au chaud
et, même lorsqu’il est stationné dehors, l’hélicoptère bien protégé est plus facile à préparer pour le vol que l’avion. La piste est
sensiblement plus petite à déneiger, et la proportion de moteurs
à turbine est beaucoup plus grande. De plus, le moteur à pistons
de l’hélicoptère ne souffre pas du choc thermique, car il est positionné à l’arrière et n’a pas un apport direct d’air.
L’hélico, tout désigné pour l’hiver
Bon, assez tourné autour du pot ; ce que je cherche à dire, c’est :
quoi de mieux pour jouer dehors en hiver qu’un hélicoptère ? Cela
dit, j’aurais bien de la difficulté à choisir entre piloter le remontepente volant et être le skieur qui se fait héliporter au sommet
d’une montagne vierge. Ici, la polyvalence de l’hélicoptère prend
tout son sens. Souvent après une longue attente, lorsque la
fenêtre météo s’ouvre enfin, les skis sont déposés dans le panier
externe et les skieurs grimpent à bord. L’ascension débute alors,
et le travail du pilote s’intensifie. Dans un majestueux slalom sur
les flancs de la montagne, entre les bancs de brume et les couches
nuageuses, le pilote négocie âprement avec les vents tourbillonnants, les changements radicaux de luminosité et la diminution
des performances de sa machine avec l’altitude. Après une approche exigeante vient la préparation de l’atterrissage. Déjà que
celui-ci n’est pas simple dans la neige sur un terrain plat, comme
nous le verrons un peu plus tard, le faire sur une pente de 30°
avec peu de repères visuels nécessite une excellente connaissance
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 31
Crédit photo : Stéphane Caron
D’autant plus que certaines pistes desservant la petite aviation
peuvent rester enneigées et glacées plusieurs jours après une
tempête. Le trempage à froid et la forte probabilité de choc thermique rendent les moteurs à pistons plus vulnérables et, ne faisons
pas l’autruche, les ardeurs de l’Homo Pilotus sont refroidies par le
mercure qui plane loin dans la partie basse du thermomètre.
Crédit photo : Stéphane Caron
de l’environnement et un pilotage solide. Malgré les -25 °C, pas le
temps d’avoir froid aux yeux !
Après tant de plaisir vient le temps de retourner au travail. Passablement hostile, l’environnement hivernal est réputé pour donner du fil à retordre aux aviateurs. Les incidents et accidents se
répètent, témoignant des innombrables pièges que nous réserve
l’impitoyable saison froide.
Même si le sujet est heureusement grandement connu et documenté, lorsque nous nous trouvons confrontés aux forces de la
nature, surtout avec une expérience limitée, le risque est bien
présent et la ligne est souvent mince entre un retour à la base
sans incident et un hélicoptère empêtré dans une congère !
La splendeur du piège
L’hiver profite de maintes occasions pour briller de tous ses feux.
Il nous révèle régulièrement de magnifiques décors, comme lorsque la lumière miroite sur une belle couche de neige fraîchement
tombée. Mais le pilote doit se méfier de cette splendeur. Dans
des conditions bien particulières de température et d’humidité,
quand les flocons sont très secs et légers et que le vent est calme,
le souffle du rotor, lors des manœuvres effectuées près du sol, fera
décoller la neige, qui restera alors prisonnière du tourbillon qu’il
provoque. Très rapidement, le pilote se trouvera enveloppé dans
un nuage blanc qui, combiné avec le sol enneigé, lui fera perdre
ses références visuelles et le mènera tout droit à une perte de contrôle. Cette situation sera agravée lorsqu’il neige et que le ciel est
blanc. Pour l’avoir vécu lors d’un décollage, je peux affirmer que la
désorientation arrive si soudainement qu’on a l’impression d’être
frappé d’un violent étourdissement.
Mes sens égarés m’ont fait déplacer le manche cyclique latéralement sans raison et, heureusement, quand je m’en suis rendu
compte, j’ai rapidement baissé le manche collectif avant que mon
appareil ait eu le temps de se soulever. Je reconnaissais pourtant
les conditions propices au voile blanc par la recirculation de
neige dans le rotor, mais j’ai été très surpris par la rapidité avec
laquelle cette dernière s’est produite. La technique du décollage
sans vol stationnaire permet au pilote de quitter rapidement la
zone enneigée, tant que la puissance est suffisante pour effectuer
ce genre de manœuvre et que le pilote l’exécute correctement.
Au retour, rien n’est joué
Au moment de se poser, l’atterrissage sans vol stationnaire est à
considérer, mais il peut être encore plus sécuritaire de balayer. Si
la puissance est suffisante, l’arrêt de l’hélicoptère en vol stationnaire à la limite de l’effet de sol balaiera la neige progressivement, sans créer de voile trop dense. Le pilote fera descendre
doucement son appareil en s’assurant que le nuage de neige reste
mince et que les références visuelles sont maintenues, jusqu’à ce
qu’il puisse atterrir. Le fait de ne pas reconnaître les conditions à
temps pour appliquer l’une ou l’autre des méthodes avant que le
piège se referme peut constituer un grave problème. L’atterrissage
très près d’une épinette ou de tout autre objet bien visible permet
au pilote de garder une bonne référence visuelle qui l’aide dans
sa manœuvre. La plupart des opérateurs canadiens munissent
leurs appareils de protections comme des déflecteurs et des filtres de moteurs pour diminuer les problèmes de puissance dus à
l’intrusion de neige, d’eau ou de poussière dans le moteur.
Le travail ne se termine pas une fois les patins au sol, ce serait trop
facile. À moins que l’appareil soit équipé d’une bonne paire de skis
ou de pattes d’ours (bear paws) qui augmentent la surface des
patins pour supporter le poids de l’hélicoptère lorsqu’il se pose
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 33
Crédit photo : Stéphane Caron
Crédit photo : Stéphane Caron
dans la neige ou les marécages, les patins s’enliseront. Comme le
centre de gravité de l’hélicoptère est situé près de l’arrière des
patins, l’arrière de l’appareil s’enfoncera alors et le rotor de queue
s’approchera dangereusement du sol.
Casser la croûte
Une fois ces deux premiers pièges esquivés, il en reste encore un
à gérer. Il arrive régulièrement qu’une croûte de glace se forme
à la surface de la couche de neige. Le pilote doit tâcher de casser
cette croûte en baissant et en remontant le manche collectif de
façon saccadée, et contrôler positivement la mise au sol de son
hélicoptère. Orienter le manche cyclique vers l’avant lui permet
de caler le devant de la machine et de garder une bonne marge
pour le rotor de queue. Sans cette technique, le poids transféré
vers le sol peut être suffisant pour que la croûte se casse et que
l’arrière s’enfonce brusquement.
Prêts pour la glissade
L’hélicoptère engendre des forces qu’on a tendance à oublier, au
sol. Le couple (torque), par exemple, qui est normalement atténué par le sol lorsque toute la masse de l’appareil repose sur ses
patins. Avant le décollage, les pédales sont généralement maintenues au neutre. Dans cette configuration, lorsque le régime du
rotor est réglé pour le décollage avec le manche collectif en bas,
la force de couple est basse et, avec les pédales centrées, le rotor
de queue pousse déjà plus que nécessaire. Avec un hélicoptère
américain (rotation antihoraire du rotor principal) se trouvant sur
une surface glacée, un mouvement soudain de lacet à gauche peut
se produire lorsque la puissance est appliquée et que l’adhérence
diminue, dès lors que l’hélicoptère devient léger sur son train. Le
pilote doit alors être « vite » sur ses patins… euh, ses pédales !
36 AIR, vol. 28, n
o
4, hiver 2013
Avec un hélicoptère américain se trouvant
sur une surface glacée, un mouvement
soudain de lacet à gauche peut se produire
lorsque la puissance est appliquée et
que l’adhérence diminue.
Un pilote que je connais très bien a vécu l’inverse de cette situation. Après un atterrissage de nuit devant un hangar sur un sol
qui aurait très bien pu servir à un match de hockey, notre ami
baisse lentement le manche collectif de son Bell 206, ajustant
minutieusement les pédales pour compenser la diminution
de couple et contrôler le lacet. Une fois le manche collectif au
plancher, il réduit normalement le régime, c’est-à-dire qu’il ferme
franchement la poignée des gaz en gardant, comme d’habitude,
les pédales au neutre.
Ce changement soudain, quoique subtil de couple a été suffisant
pour provoquer un léger lacet à gauche, qui a engendré une glissade du bon vieux Bell 206 sur la pente jusque-là imperceptible.
La descente vers la gauche avec le rotor au ralenti et le risque de
basculement au contact du menaçant banc de neige n’avaient rien
de bien réjouissant en cette période des fêtes. Commence alors
une rapide mais contrôlée ouverture des gaz pour redécoller avant
l’impact au moment où – soulagement – la glissade s’est arrêtée.
Je… euh, mon ami s’en est tiré avec des sueurs froides et une bonne
histoire à raconter dans votre magazine, des années plus tard.
Sur une surface glissante, il est important d’ouvrir (et de fermer)
les gaz de façon progressive et contrôlée en étant prêt à contrer le
Les changements soudains du temps, la neige
et la glace, la nuit qui tombe rapidement et le
froid intense peuvent vite gâcher le plaisir et
grandement refroidir les ardeurs
du pilote insouciant.
lacet avec les pédales. Quelques mauvaises habitudes dont il faut
absolument se débarrasser : mettre un pied pour bloquer les deux
pédales lorsque l’appareil est au sol et laisser le régulateur (gouverneur) d’un Robinson monter rapidement les gaz au-delà de
80 % du régime du moteur, ce qui peut facilement entraîner une
rotation d’un quart de tour à droite, car au moment de la soudaine
augmentation de couple, le rotor de queue tourne encore trop
lentement pour produire la poussée de compensation nécessaire,
même si les pédales sont au neutre. Pour éviter des complications,
gardez les deux pieds sur les pédales, soyez prêt à réagir au lacet
impromptu et contrôlez l’accélération du moteur par le régulateur
en retenant la poignée des gaz de manière à garder la pression
d’admission sous 15 pouces, de préférence.
La stabilité de l’air, sa grande portance et la beauté des paysages
rendent le vol hivernal très agréable mais, en contrepartie, les
changements soudains du temps, la neige et la glace, la nuit qui
tombe rapidement et le froid intense peuvent vite gâcher le plaisir
et grandement refroidir les ardeurs du pilote insouciant.
Piloté de façon sérieuse et organisée, par un aviateur bien préparé,
l’hélicoptère est une machine fantastique pour voler en hiver. La
preuve : mis à part le traîneau tiré par les rennes, connaissez-vous
beaucoup d’autres véhicules dans lesquels le père Noël accepte
d’embarquer ?
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 37
REPORTAGE
L’aviation sous
pression :
38 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
le stress au quotidien
Un texte de Jackie ALARIE
Une illustration d'Amélie CÔTÉ
Les pilotes, les contrôleurs aériens, les répartiteurs et les chefs d’entreprise,
pour n’en nommer que quelques-uns, exercent une profession ou
la pression est omniprésente.
Presser le citron…
La vie au XXIe siècle tel que nous le connaissons impose de nombreuses exigences aux humains. Pression du temps, performance
professionnelle, conciliation travail-famille, aisance financière,
conscience environnementale, sans parler des multiples diktats
sociétaux qui balisent le fonctionnement social de la famille, du
couple et de l’individu. L’homme qui y évolue est soumis à toute
une panoplie de contraintes et subit de fortes pressions. Parfois,
ces pressions s’insinuent même dans des sphères en apparence
anodines de l’existence. En effet, il nous faut, entre autres, bien
nous alimenter, lire correctement les étiquettes nutritionnelles,
choisir avec soin les loisirs auxquels nous nous adonnons, lire
les bons livres afin de croître harmonieusement. Bref, aucun des
aspects de notre existence n’échappe à la pression.
Évidemment, à ces sources de pression quotidiennes se greffe
celle que nous ressentons lors de l’exercice de nos activités professionnelles, et certains métiers exigent un plus lourd tribut
que d’autres en la matière. Les pilotes, les contrôleurs aériens,
les répartiteurs et les chefs d’entreprise, pour n’en nommer que
quelques-uns, exercent une profession ou la pression est omniprésente. Différents aspects inhérents à ces métiers pèsent lourd
sur les épaules de ceux qui les exercent. Prise de décision, responsabilité, temps, rendement et efficacité sont autant d’éléments
qui influencent les individus. Il ne faut pas non plus omettre dans
l’équation la pression que nous exerçons sur nous-mêmes, celle
qui émane de notre discours intérieur. Insidieusement, elle est
souvent la pire source de pression, la plus moralisatrice. Celle, en
somme, qui nous est la plus difficile à ignorer.
Quelle qu’en soit la source, les différentes pressions ressenties par
l’humain sont susceptibles d’engendrer ou de nourrir le stress.
Mais qu’est-ce que le stress ? Souvent galvaudé, ce concept est
abondamment — et parfois à tort — utilisé pour expliquer de
multiples affections, attitudes et comportements. On laisse également fréquemment entendre que pour vivre sainement et aspirer
au bonheur, il faut impérativement éliminer toute source de stress.
Le stress est avant tout une réaction quotidienne du corps par rapport aux demandes qui nous sont faites et à la perception que nous
avons de notre capacité à satisfaire ces demandes, qui peuvent
émaner d’autrui, de nous-mêmes ou encore de l’environnement.
Qu’il s’agisse de se plier à une demande de l’ATC, de réussir une formation ou de combler notre faim, le stress est la réaction de notre
corps à la réalisation de ces tâches, en fonction de la conviction que
nous avons d’être capables de le faire. Ainsi, plus vous vous sentez
en mesure de réussir à satisfaire la demande, quelle qu’elle soit,
moins vous ressentez de stress devant l’accomplissement de la
tâche. À l’inverse, moins vous vous sentez préparé et outillé pour
réussir ce qui est demandé, plus vous serez aux prises avec un degré de stress important. Par exemple, si vous devez vous rendre à
un rendez-vous important et constatez que vous ne serez peut-être
pas en mesure de vous y présenter à l’heure prévue, il est probable
que vous commenciez à ressentir davantage de stress que si vous
savez pouvoir y être à l’heure. Il est aisé de comprendre que le
stress est inéluctable, mais est-il nécessaire pour autant ?
Stress 1, performance 0 ?
Le stress se décline en une infinie variété de nuances et
d’intensités, et les effets qui y sont associés sont également
d’une grande diversité. Toutefois, une limite claire scinde le
stress en deux catégories. Le bon stress, aussi appelé l’eustress
selon certaines littératures, nous permet d’être au maximum
de nos capacités, de donner le meilleur de nous-mêmes tout en
nous procurant un sentiment d’efficacité et de plaisir. Le mauvais stress, aussi appelé détresse, a l’effet totalement inverse : il
mine nos capacités tout en nous rendant de mauvaise humeur et
parfois agressifs. Il s’accompagne d’un sentiment de malaise
et d’impuissance. Cette limite entre les deux catégories de stress
est très ténue et varie pour chacun d’entre nous. Elle est également susceptible de se déplacer, pour un même individu, au gré de
l’existence, des expériences vécues, de l’état mental et physique,
au fil des jours et même des heures. Les éléments qui influent sur
le déplacement de cette limite, des caractéristiques personnelles
aux événements qui jalonnent notre vie en passant par la température, sont forts nombreux et imprévisibles.
De plus, les deux extrémités de ces catégories de stress sont
aussi nuisibles l’une que l’autre au rendement et à la santé mentale comme physique. Ainsi, une insuffisance de stress engendre
l’ennui, le désengagement et le désintérêt, alors qu’un excédent
de stress est propice au développement de désordres tant physiques que psychologiques. La notion de fréquence est également
importante, dans l’analyse du stress. De petits stress épisodiques
vécus sporadiquement ont en effet, individuellement, peu d’effet
sur la santé. Ce « stress aigu » constitue la forme la plus fréquente
de stress. Dans le cas d’un stress à forte dose expérimenté de
façon continue sur une longue période, on parle de « stress
chronique », qui constitue une source de danger certain pour la
santé. Par exemple, des ennuis financiers qui s’étalent sur plusieurs mois tout en donnant lieu à de multiples situations pénibles
et à de l’angoisse sont hautement porteurs de stress néfaste.
Le corps qui ressent le stress comme une menace se met alors
à sécréter du cortisol. À court terme, cette sécrétion prépare le
corps à l’action, ce qui est le but du stress. Toutefois, si le corps
demeure pendant une trop longue période dans un état combatif,
il est susceptible de s’épuiser, ce qui nuit à l’organisme et entraîne
l’apparition d’une gamme variée de malaises et de maladies. Cette
situation peut, dans certains cas, conduire au développement
de problèmes cardiaques et de cancers. Évidemment, la limite à
partir de laquelle une maladie se développe sous l’effet du stress
est difficile à déterminer avec exactitude. Mais il est toutefois
très clair que le stress chronique et le stress aigu, vécus fréquemment et abondamment, ont un effet important dans le processus
de l’établissement des maladies. Sans compter également que le
stress joue un rôle dans la régulation de notre humeur et influe
sur nos compétences relationnelles. En effet, lorsque nous ressentons les effets négatifs du stress, il nous est plus difficile de tolérer
la compagnie de nos pairs, et ces derniers sont parfois les premiers à constater les ravages du stress sur notre comportement.
De plus, il arrive que les petits tracas, autrefois anodins, prennent
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 39
une ampleur démesurée et augmentent ainsi notre angoisse ; la
spirale du stress est alors enclenchée.
Il est très clair que le stress
chronique et le stress aigu, vécus fréquemment
et abondamment, ont un effet important dans
le processus de l’établissement des maladies.
Ma dose de stress
La résistance au stress — la dose de stress qu’un individu peut
encaisser sans qu’elle affecte négativement son rendement et sa
santé — est aussi tributaire d’une foule de facteurs. Il arrive que
des personnes semblent être imperméables aux effets négatifs du
stress, être dotées de la capacité d’évoluer sereinement et efficacement tout en baignant dans un environnement à haute teneur
en stress, et même avoir besoin de ce stress pour fonctionner. À
l’opposé, certaines personnes sont incapables de se comporter ou
d’agir adéquatement si elles ressentent la moindre dose de stress.
Encore une fois, entre ces deux extrêmes, la résistance au stress
revêt une multitude de formes. L’un des facteurs qui la déterminent semble selon plusieurs recherches être lié à certains traits
de personnalité, particulièrement deux. D’abord, les individus démontrant une personnalité de type A, qui regroupe des personnes
pour lesquelles le temps et la quantité de travail accomplie sont
primordiaux, seraient susceptibles de ressentir davantage les effets du stress. Certaines études avancent même qu’un grand nombre des personnes qui ont été victimes d’un ACV appartiennent
à ce groupe. Les personnes du second groupe, soit celles dont la
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personnalité est de type B, seraient davantage préoccupées par
la qualité de vie. Elles semblent pour leur part moins enclines à
souffrir des effets du stress et à simplement le ressentir, même s’il
est présent à forte dose.
Si les effets positifs du stress nous permettent d’être plus performants, d’atteindre nos objectifs et également de soutenir notre
intérêt et notre motivation, les effets négatifs sont quant à eux fort
nombreux et s’expriment de multiples façons. Les plus connus
sont l’insomnie et la perte d’appétit. On peut toutefois aussi souffrir d’hypersomnie, d’un excès d’appétit, de pertes de mémoire,
d’agressivité, de maux de tête, de maux d’estomac, de troubles digestifs, de douleurs musculaires et d’affections de la peau comme
de l’eczéma ou de l’urticaire. En bref, les effets négatifs du stress
sont susceptibles de se faire sentir sur l’ensemble des fonctions du
corps. On peut également avoir tendance à procrastiner, se ronger
les ongles, s’adonner au tabagisme ou sublimer le stress par une
activité intensive, de nature sportive par exemple. Il existe aussi un
risque d’être en proie à l’alcoolisme ou à différentes compulsions
susceptibles de nous donner l’illusion qu’elles abaissent le stress,
ou encore souffrir de dépression. En somme, il nous faut être vigilants quant aux doses de stress auxquelles nous nous exposons. Il
est aussi fort souhaitable de nous connaître nous-mêmes ainsi que
nos réactions devant les situations potentiellement stressantes,
afin d’être en mesure de nous prémunir des effets qui y sont peutêtre associés. L’aménagement de notre emploi du temps nous permet également de ménager des plages horaires où il est possible de
fuir le stress. Il n’en demeure pas moins qu’il est utile de conserver
une dose de stress profitable au rendement, tout en gardant l’œil
sur la zone limite au-delà de laquelle tout se précipite.
Soirée réseautage 2012
C’est au Temple de la renommée du hockey que les acteurs de l’industrie
du transport aérien se sont réunis cette année pour participer à la soirée
de réseautage annuelle de l’AQTA. Cet événement est une occasion unique
d’étendre sa toile et de tisser des liens. Pas étonnant que le plus grand
événement que tient l’association dans la région de Montréal soit aussi
populaire. Si vous avez manqué l’édition 2012, ne vous inquiétez pas, nous
serons au rendez-vous l’an prochain, et d’ici là, on se revoit au Congrès !
REPORTAGE
Le choc culturel
sans sortir
son passeport
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Un texte de Judith LUSSIER
Avec ses 6 699 habitants, Iqaluit est certainement la plus petite
capitale de tous les territoires et provinces du pays sur le plan
démographique. Mais avec sa moyenne de près de 18 vols par
habitant et par année, elle détient toutefois le record du plus
haut ratio passagers/habitants. Lorsqu’on la voit des airs, on
comprend vite pourquoi. Comme c’est le cas pour toutes les agglomérations situées au nord du 55e parallèle, aucune route ne
s’y rend, ce qui fait du transport aérien l’une des seules voies de
communication possibles avec le reste du pays.
C’est la même chose à Kuujjuaq, à Puvirnituq ou, encore plus
au nord, à Pangnirtung, sur la Terre de Baffin, où la géographe
Gabrielle Caron a décidé de fixer ses pénates pour au moins un an,
et plus si affinités. « Ici, tout le monde a déjà pris l’avion dans sa vie,
explique-t-elle. Pour aller passer un test médical ou pour accoucher, il faut prendre l’avion. Les jeunes doivent prendre l’avion pour
aller à l’école après le secondaire. Pour sortir de la communauté, ça
prend un avion. Sinon, c’est le bateau, et encore là, c’est six jours.
Les Inuits prennent donc l’avion plusieurs fois par année. »
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 43
Crédit photo : Michel Thibert
Dans le nord du Québec et du Canada, l’aviation, souvent le seul moyen de transport
pour relier les villages entre eux, joue un rôle primordial. Le pilote y arrive parfois
en héros, parfois en intrus, toujours un peu sous le choc.
En fait, les différences entre le Nord et le Sud sont telles que pour plusieurs, dépasser
le 55e parallèle est aussi dépaysant que le serait une visite dans la savane africaine,
même si on ne franchit aucune frontière nationale.
Gabrielle Caron a ainsi atterri dans le Nord dans le cadre d’un programme universitaire. « Je m’intéressais à la culture du Nord, et je
suis tombée en amour avec l’endroit, comme la plupart des gens
qui viennent dans le Nord », explique-t-elle. Aujourd’hui, quand
elle dit « aller dans le Sud », c’est de Montréal que Gabrielle parle.
Mariève Paradis a quant à elle découvert le Nord lors d’un reportage qui visait à comparer « notre » Nord à celui des Danois, le
Groenland. Elle s’est donc rendue à Kuujjuaq à bord d’un appareil
First Air et a goûté au fameux café spécial, qui fait apparemment
la réputation du transporteur. Durant son court séjour, elle a pu se
familiariser avec la culture et le territoire nordiques. Son premier
choc : l’odeur. « Ça sent tellement bon, le Nord ! J’ai l’impression
d’avoir pris la plus grande bouffée d’air de ma vie en débarquant
de l’avion », dit-elle.
Une tournée du grand nord québécois permet de parcourir
2560 miles nautiques, soit environ 12% de la circonférence de
la terre à l’équateur.
Pilote pour Kudlik Aviation, Michel Thibert fait régulièrement des
allers-retours du nord au sud, que ce soit au Nunavik, la région la
plus nordique du Québec, ou au Nunavut, le territoire canadien le
44 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
plus à l’est. Passionné de photo, il profite de ces escales d’une ou
deux journées pour immortaliser les paysages à couper le souffle
et les habitants du Nord qu’il croise sur sa route. « J’ai une curiosité naturelle. Je vais jaser avec les responsables de parcs, je vais
photographier les gens, quand je vois un autochtone travailler une
peau de phoque, je vais aller lui parler. Le Nord est une planète
où l’intégration sociale est difficile, mais les rencontres sont possibles, si on s’en donne la peine », résume-t-il.
Le Nord-du-Québec est la région la moins peuplée du Québec.
En 2008, on y dénombrait 41 129 personnes, soit 0,5 %
de la population québécoise, alors qu’elle occupe 55 % de
la superficie de la province.
Choc culturel
Trois visiteurs nordiques, trois perceptions du Nord, trois chocs
culturels différents. En fait, les différences entre le Nord et le Sud
sont telles que pour plusieurs, dépasser le 55e parallèle est aussi
dépaysant que le serait une visite dans la savane africaine, même
si on ne franchit aucune frontière nationale. Pour Gabrielle Caron,
qui côtoie les diverses communautés autochtones depuis plusieurs
années, le choc est moins grand, et pour Michel Thibert, qui visite
plusieurs communautés différentes chaque année, il s’atténue.
Crédit photo : Michel Thibert
Même si certaines subventions leur permettent de réduire le coût de la vie, les ménages du Nunavik déboursent jusqu’à 92 % de
plus qu’à Québec pour le même panier d’épicerie. Vous trouverez par exemple sur les tablettes un sac de farine à 10 $,
une petite boîte de céréales à 8 $, un détergent à lessive à 18 $, une cannette de bière à 10 $ et une bouteille
de 26 oz de vodka à 250 $ !
Mais tous s’entendent sur un constat : le rythme, au nord du
55e parallèle, n’est pas le même. « Dans le Nord, il n’y a jamais
d’urgence, il n’y a pas cette vitesse un peu folle de la société occidentale du Sud, explique Gabrielle Caron. Ça n’empêche pas que
les gens font énormément de choses et travaillent 35 heures par
semaine comme tout le monde, mais ils prennent plus de temps
pour se visiter, faire de l’artisanat, etc. »
taurant, explique Mariève Paradis. Pour manger local, il faut se
faire inviter dans une famille », dit-elle. « Je ne suis pas sûr que
vous voudrez y goûter, nuance toutefois Michel Thibert. Ça dépend
de votre ouverture d’esprit. On n’a pas tout à fait les mêmes
critères de salubrité », explique-t-il, gardant en mémoire l’image
d’un phoque éventré au milieu d’une habitation autochtone.
La longueur des journées y est peut-être pour beaucoup. Durant
l’hiver, la nuit est éternelle, durant l’été, elle ne dure que quelques
heures, et il n’est alors pas rare de voir des enfants jouer à
l’extérieur à trois heures du matin. « La notion de jour et de nuit
n’est pas la même », explique Gabrielle Caron.
Une bouteille de 2 l de boisson
gazeuse coûte jusqu’à 10 $,
un sandwich club au restaurant
du village, 25 $, et une simple
tomate, jusqu’à 6 $.
Pour le visiteur temporaire, il est toutefois difficile de goûter à
cette tradition. « La cuisine locale n’est pas mise en valeur au res-
Des images-chocs, le photographe amateur en conserve plusieurs en tête et sur pellicule. Dans son portfolio en ligne (http://
www.thibertportfolio.com/), on peut voir de jolis portraits de
pêcheurs à l’œuvre, des inukshuks — ces empilements de pierres
typiques du Nord —, mais aussi des scènes plus dérangeantes,
comme celle d’un autobus abandonné ou celles de cimetières.
« Là-bas, les morts sont enterrés à même le pergélisol. Il arrive
parfois des… dépassements de membres. Il y a des photos que je
n’ai pas publiées parce qu’elles sont trop dérangeantes, dit-il.
Le prix des choses n’est pas le même non plus. Les marchandises
arrivant en quantité limitée par bateau, une bouteille de 2 l de
boisson gazeuse coûte jusqu’à 10 $, un sandwich club au restaurant du village, 25 $, et une simple tomate, jusqu’à 6 $. Tout ça
explique l’intérêt des Inuits à s’alimenter à partir des ressources
du territoire. Sur la Terre de Baffin, le gouvernement a décrété que
la saison de la chasse à la baleine était une période de congé. Tous
s’arrêtent alors pour assurer leur subsistance.
46 AIR, vol. 28, n
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Les dépotoirs un peu partout, les cadavres de chiens, tout ça
provoque chez moi une fascination qui pourrait provoquer chez
d’autres du dégoût. »
Les photos de paysages majestueux font plus l’unanimité. « On
s’imagine que le Nord, c’est plat et juste de la glace, mais on est
dans les montagnes, ici », explique Gabrielle Caron. Et même si
elles constituent un défi pour le pilote, les montagnes font du
Nunavut un territoire encore plus grandiose, aux yeux de Michel
Thibert.
Il y a 18 villages secs dans le Nord-du-Québec, c’est-à-dire où
la consommation d’alcool est contrôlée par les autorités.
De température et de tempérament
Sans grande surprise, la température constitue à elle seule un
choc. L’hiver, elle peut descendre sous la barre des -40 °C ce qui,
apparemment, n’est pas sans conséquence sur le tempérament
accueillant des habitants du Nord. « À cette température-là, on
ne laisse personne attendre dehors ! explique Michel Thibert.
Il y a plus d’attention portée aux gens. On sait que si on laisse
quelqu’un dehors à -45 °C, c’est grave. Dans le Nord, on a plus
d’obligations les uns envers les autres. »
Curieusement, par contre, le téléphone est peu utilisé. « Ici, il
est plus facile d’aller chez quelqu’un que de l’appeler, explique
Gabrielle Caron. Les voisins sont proches les uns des autres, et
les gens se visitent énormément. Ils ne cognent pas pour entrer
chez quelqu’un. »
L’expérience de Michel Thibert l’amène toutefois à nuancer les différences d’accueil entre le Nunavik et le Nunavut. « Au Nunavut,
les gens vont vous dire bonjour et se présenter à vous. Ils sont
fiers, dit-il. Il faut dire qu’ils sont arrivés à mieux préserver les
valeurs traditionnelles. Il y a eu moins de pensionnats, ils ont été
moins colonisés, et il y a donc moins de méfiance. »
Avec son appareil photo, Michel Thibert tâte le pouls des communautés qu’il visite. « Dans le Nord, il y a certains villages qu’on
peut photographier facilement et d’autres où il est évident qu’on
ne photographie pas. C’est comme aller prendre des photos à
Harlem à minuit, illustre-t-il. On le sent très vite. »
La journaliste Mariève Paradis a été confrontée à cette méfiance
des habitants du Nunavik. « Il faut comprendre qu’en 50 ans, ils
ont eu de mauvaises expériences avec les Blancs. On leur a pris
beaucoup, mais on leur a rendu très peu. Ils sont donc devenus
très méfiants. Ils se demandent ce qu’on va leur prendre encore.
Je les comprends », dit-elle.
Dans le Nord-du-Québec, l’espérance de vie est d’environ 6 ans
de moins que dans l’ensemble de la province.
L’ouverture d’esprit, indispensable dans le Nord
Gabrielle Caron est quant à elle arrivée avec un esprit préparé :
« J’étais déjà habituée aux communautés autochtones, j’avais mis
mes préjugés de côté et j’étais capable de voir la vie différemment, se souvient-elle. Je n’ai jamais ressenti d’hostilité, j’ai plutôt
trouvé les gens souriants. Ça dépend évidemment de l’attitude
avec laquelle on arrive. Si on débarque avec nos idées de Blanc en
pensant détenir la vérité, ça ne marchera pas », dit-elle.
Selon Mariève Paradis, l’une des meilleures façons de faire preuve
de bonne volonté, c’est de s’efforcer d’apprendre quelques
AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 47
mots d’inuktitut. « Par respect, on devrait au moins savoir dire
“nakurmiik”, qui veut dire “merci”. D’apprendre des mots de base,
ça les rend contents, surtout qu’eux font parfois l’effort de parler
quelques mots de français », explique-t-elle.
Un panier d’épicerie payé 229 $ à Montréal coûte 341 $
à Kuujjuaq, 371 $ à Kuujjuarapik et 391 $ à Kangiqsualujjuaq.
Pour Michel Thibert, la moindre des choses, c’est de rapporter
des photos des gens qu’il photographie lorsqu’il revient. « Si je
remets des photos à des gens, ils vont m’inviter chez eux à prendre
un café, dit-il. Les échanges demeurent difficiles, parce qu’on fait
une vingtaine d’aéroports, on bouge donc régulièrement de place.
Quand on revient souvent dans les mêmes villages, on a plus de
chances que les gens se souviennent de nous. En même temps,
quand on débarque à New York, il y a beaucoup de monde, mais
ça ne veut pas dire non plus qu’on va leur parler et créer des liens
avec eux. On a beaucoup plus de chance qu’un Inuit se souvienne
de nous qu’un New-Yorkais. »
Mais pour une fille comme Gabrielle Caron, qui a décidé de
s’installer dans le Nord, l’idée, c’était justement de se lier d’amitié
avec la population locale. « Mes amis sont à 90 % Inuits, à 10 %
Blancs. En général, les Blancs se tiennent beaucoup ensemble,
surtout s’ils viennent pour un contrat temporaire, c’est plus facile
pour eux de s’intégrer aux Blancs, surtout si on ne connaît pas la
communauté autochtone », dit-elle. Un bon moyen d’apprendre à
la connaître, selon elle, est de s’informer.
Pour goûter à la lenteur du Nord et se familiariser avec cette
culture, les curieux peuvent visionner gratuitement le film
Atanarjuat, gagnant de la Caméra d’or du Festival de Cannes, et
produit par une maison de production 100 % inuit, Isuma.
http://www.isuma.tv/atanarjuat
48 AIR, vol. 28, n
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4, hiver 2013
Crédit photo : Michel Thibert
« Les autochtones sont habitués à ce que les Blancs débarquent
pour travailler pendant deux ou trois mois, ajoute Mariève. Ils ne
voient pas toujours l’intérêt de se lier d’amitié avec ces gens-là
qui vont repartir, de toute façon. »
Lorsqu’il
pleut,
il faut
unbon
parapluie.
.CA
Pascan Aviation et
la Ligue des cadets de l’air du Canada :
partenaires pour l’industrie
Un texte de Madeleine LECOURS
Avec 315 employés, dont 85 pilotes, Pascan aviation est un fleuron de l'industrie
du transport aérien au Québec. 13 ans après sa fondation, cette entreprise est
au coeur du développement de l'aviation d'ici.
Consciente de l'importance de la relève,
Pascan aviation est impliquée dans la mise
en place de différents moyens permettant
de transmettre la passion qui habite les travailleurs de l'industrie. Parmi les moyens
ciblés figure la Journée de l’aviation.
Mis sur pied en 2009 afin de commémorer le centenaire de l’aviation au Canada,
l’événement en est maintenant à sa quatrième édition et attire chaque année près
d’un millier de jeunes cadets de l’air. Il vise
à éveiller et à développer leur intérêt pour
l’aviation et l’aérospatiale en réunissant
sous un même toit divers exposants qui
proviennent de l’industrie et des écoles
techniques. Les jeunes y sont invités à en
apprendre davantage sur les divers métiers que l’industrie a à offrir et sur les
études qui peuvent être entreprises pour
intégrer ce secteur.
L’apport de Pascan Aviation lors de cette
journée est énorme, puisque la compagnie
met gracieusement à la disposition de l’organisation des avions et des pilotes, permettant ainsi à près de 600 cadets et cadettes de voler. Un événement qui restera
gravé dans la mémoire de plusieurs et qui
sert d’étincelle pour allumer la passion de
ces jeunes pour les métiers de l’aviation.
Le programme des cadets de l’air offre la
possibilité à des jeunes qui n’en auraient
possiblement pas eu les moyens d’obtenir une licence de pilotage. La Ligue des
cadets de l’air du Canada — Québec et
Vallée de l’Outaouais tient à remercier
Pascan Aviation pour son apport à la Journée de l’aviation, car non seulement ce
geste de générosité permet à l’événement
d’être un succès, mais il contribue aussi à
faire du rêve de bien des jeunes cadets et
cadettes une réalité.
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CHRONIQUE
Les snowbirds
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4, hiver 2013
Un texte de Judith LUSSIER
Une illustration d'Amélie CÔTÉ
« Demain l’hiver, je m’en fous, je m’en vais dans le Sud, au soleil » – Robert Charlebois
Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour. Que ma mère, celle
qui m’a enseigné le ski, le patin, comment essuyer mon nez avec
mes mitaines et les autres plaisirs de l’hiver, déciderait, à 65 ans,
de faire comme tout bon Québécois qui en a plein son casque de
cette saison : filer en Floride trois mois par année.
Mais c’est arrivé. Ma mère a de plus en plus de points communs
avec Rémi Girard et sa moustache, dans le film La Florida.
Ma déception ne provient pas du fait de devoir me passer de
ma maman durant les mois les plus froids de l’année, mais plutôt d’avoir à dorénavant la considérer comme faisant partie des
snowbirds, ces personnes qui passent une partie de l’hiver dans
les pays chauds.
Ces lâches qui profitent de notre charme et de nos festivals durant
l’été et qui nous abandonnent une fois la sloche, le grésil et la souffleuse venus. Ces déserteurs qui renient une bonne partie de ce
qui forge notre identité : notre capacité à nous stationner entre
deux bancs de neige et notre connaissance du risque encouru à
mettre sa langue sur un poteau à -28 °C. Ces gens-là, c’est quand
passe la gratte que nous réalisons que leur solidarité dépend largement des facteurs météorologiques.
En dollars courants, le billet
d’avion était encore beaucoup
plus cher, à l’époque.
Heureusement, le directeur du Laboratoire international d’étude
multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, Daniel
Chartier, a changé mon opinion de ma mère. Et du personnage
incarné par Rémi Girard dans La Florida. Daniel Chartier est un
spécialiste de l’hiver, du Nord et du froid. Il décrit avec passion
les différents sons que font nos pas sur la neige selon qu’il fait
-10 °C ou -40 °C, voyage régulièrement en Scandinavie et porte
des chemises à carreaux. Je m’attendais à ce qu’il partage mon
opinion sur ces transfuges saisonniers, qu’il éprouve au moins
un certain dédain pour les chemises fleuries. Niet.
« On perçoit souvent le phénomène des snowbirds comme un
refus du froid ou de l’hiver, mais moi, au contraire, je le vois plutôt comme une belle marque d’adaptation à l’hiver. Ces gens qui
partent pour le Sud durant l’hiver reconnaissent qu’ils ont besoin
d’une luminosité un peu plus normale à un moment donné, explique l’expert. Ce n’est pas un phénomène exclusif au Québec.
C’est typique des pays froids, ajoute-t-il. Avec l’amélioration de
leur niveau de vie, les Russes sont aussi de plus en plus présents
dans les pays chauds. C’est normal de vouloir un peu de chaleur
durant l’hiver. »
Le Sud au rabais
Si le Sud n’était encore accessible qu’à une poignée de riches
Québécois, j’aurais taxé cette observation d’élitiste et réclamé
qu’un voyage par année dans le Sud soit octroyé à chaque bénéficiaire de la RAMQ. Enfin, notre carte soleil porterait bien son
nom. Mais non, le Sud est maintenant à la portée de tous. Qu’il
s’agisse du sud somptueux des îles Turques et Caïques ou de
celui, plus accessible, des parcs de véhicules récréatifs de Fort
Lauderdale, le voyage dans le Sud s’est démocratisé.
« Les snowbirds étaient traditionnellement des riches, mais avec
le temps, ça a touché plusieurs couches de la société, explique
Daniel Chartier. Dans les années 1970, il y avait cette campagne
d’Air Canada avec Dominique Michel qui s’adressait à la classe
moyenne, qui commençait à pouvoir se payer ça une fois de temps
en temps. En dollars courants, le billet d’avion était encore beaucoup plus cher, à l’époque », rappelle-t-il.
Dans ces années-là, l’accessibilité à la voiture et au transport aérien a ainsi donné lieu au tourisme de masse, au voyage à forfait et
au désormais célèbre « tout inclus », une formule qui permet à une
personne peu fortunée de profiter d’une vie de prince, ou presque,
durant une semaine, pour quelques centaines de dollars. Cette
panacée, les Québécois ont bien su la saisir, ce qui leur a valu, dans
les stations balnéaires du Mexique, le sympathique sobriquet de
Tabarnacos.
Le cliché du Québécois buveur de bière et à la chemise fleurie est
toujours bien tenace. « Souvent, on dépeint les snowbirds comme
étant quétaines, et je trouve ça tellement réducteur, dit Daniel
Chartier. Parmi les gens qui partent vers le Sud, il y a différents
types de personnes. C’est sûr qu’il y a en Floride la possibilité
d’un tourisme plus pauvre, mais les Québécois sont loin d’être
les plus dérangeants sur les plages. »
Le Sud québécois
Les Québécois ne sont pas tous des Elvis Gratton, on le sait, mais
ce n’est pas par hasard si la Floride, le Sud à deux jours de voiture,
est vite devenue la destination de choix de nos snowbirds. Dans
les années 1980, entre 500 000 et 700 000 visiteurs du Québec
allaient en Floride chaque année, si bien qu’à une certaine époque,
Hollywood PQ n’était pas le nom d’un site Internet à potins, mais
bien le surnom qu’on donnait à Hollywood, FL, ville côtière particulièrement prisée des Québécois.
« Il y a eu un effet de diaspora, c’est certain, explique Daniel
Chartier. Quand on s’installe de manière permanente, on va rejoindre ceux qui nous ressemblent, dit-il. Notamment parce que
les services sont en français. »
Installé en Floride depuis 1959, M. Louis S. Saint-Laurent, président et coéditeur du Soleil de la Floride, journal qui s’adresse à
cette diaspora « floribéquoise », offre ainsi des services en français
à la population du Québec, qu’il a vue augmenter à Fort Lauderdale
depuis les 50 dernières années. « Tout le Québec est à Fort Lauderdale ! s’exclame-t-il. Il y a plus de Québécois dans les parcs de maisons mobiles, pour ceux qui sont moins à l’aise, mais aussi dans
les condos de luxe. Ça n’a pas beaucoup changé, les snowbirds, c’est
plutôt le nombre qui a augmenté ! » dit-il d’un ton serein.
Cette obsession pour la Floride est d’ailleurs encore en hausse.
En 2011, 3 278 000 Canadiens ont visité la Floride, selon l’office
de tourisme de l’État, dont une majorité de Québécois. De plus
en plus d’entre eux ne font pas que la visiter, ils y investissent.
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En 2011, 3 278 000 Canadiens ont visité la Floride, selon l’office de tourisme de l’État,
dont une majorité de Québécois.
Depuis la crise des prêts hypothécaires à risque, certains condos se sont vendus à perte par des Américains en faillite. « Un
condo de deux chambres qui se vendait 125 000 $ avant la crise
peut être ramassé pour 50 000 $. Un Québécois peut acheter
aujourd’hui au prix de 1997 », explique M. Saint-Laurent.
Louis S. Saint-Laurent n’est pas que le copropriétaire d’une publication francophone qui connaît un grand succès en Floride. Il est
aussi le petit-fils de Louis Saint-Laurent, ancien premier ministre
du Canada. Après que son grand-père eut consacré près de quinze
ans de sa vie à son pays, Louis Saint-Laurent, le petit-fils, a quant
à lui choisi d’aller coloniser le Sud à sa façon. « En 1959, j’ai décidé d’aller là où il faisait plus chaud. J’étais sorti pour aller acheter
quelque chose alors qu’il faisait -30 °C, et mes deux oreilles ont
gelé ! C’en était trop ! » raconte-t-il.
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Depuis 1959, le descendant du successeur de Mackenzie King pratique ainsi le droit, l’immobilier, et un peu la politique (il a participé à la fondation du parti républicain de la côte Est, à l’époque
où ceux-ci s’opposaient au racisme des démocrates), dans un État
où la température ne descend jamais sous le point de congélation.
« C’est drôle de constater que les Québécois occupent un peu
le territoire du nord au sud, de Kuujjuaq à la Floride », observe
Daniel Chartier. Après avoir échoué à coloniser la Floride en 1564,
les « Français » envahissent aujourd’hui les plages de Hallandale,
de Miami et de Fort Lauderdale, coulant des jours heureux sous le
soleil. On peut presque parler d’une douce revanche.