L`aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent
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L`aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent
Le choc culturel sans sortir son passeport Volume 28, no 4, hiver 2013 L’aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent ! Opérations à Wabush EN HIVER : de mal en pis froid Hélico : défier l'hiver L’aviation sous pression : le stress au quotidien Les snowbirds Postpublication 40050783 // 4,95 $ Sommaire Collaborateurs Pierre-André Roux 6 Éditeur – Pilote professionnel diplômé du CQFA, Pierre-André Roux est détenteur d’une maîtrise en économie et politique et d'un MBA en gestion d'entreprises de l’Université Laval. [email protected] Geneviève Vouligny Première rédactrice – Titulaire d’un baccalauréat en communication de l’Université du Québec à Montréal, Geneviève Vouligny se spécialise en communications internes, en réalisation de plans stratégiques, en développement de partenariats, en création de matériel promotionnel et en relations de presse. [email protected] Franz Reinhardt Chroniqueur – Avocat de formation et détenteur d’une licence de pilote de ligne, Franz Reinhardt a travaillé comme avocat et gestionnaire à Transports Canada et au Bureau de la sécurité des transports. [email protected] 6 Pilotage Le vol en hiver 18 Entrevue L'aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent ! Jackie Alary Chroniqueuse – Bachelière en psychologie et étudiante à la maîtrise en éducation à l’Université du Québec à Chicoutimi, Jackie Alary se spécialise en facteurs humains en aviation et en sélection de pilotes. Diplômée du CQFA (option hélicoptère), elle y enseigne aujourd’hui. Patrick Lafleur Chroniqueur – Chef pilote, Patrick Lafleur dirige les opérations de vol de la compagnie Passport Helico. Il veille notamment à l’entraînement des pilotes pour les opérations commerciales et forme les instructeurs de vol de l’unité de formation au pilotage. Patrick Lafleur – Candidat méritant au prix commémoratif David Charles Abramson Patrick Lafleur a récemment été récompensé pour la qualité de son travail au sein de notre industrie. Sa passion pour l’enseignement, son engagement et son implication comme instructeur de pilotage méritent d’être soulignées et en tant que candidat méritant, le comité de sélection du prix commémoratif David Charles Abramson lui a décerné une reconnaissance spéciale. L’équipe du magazine Air est honorée de compter dans ses rang des professionnels de la qualité de Patrick. Judith Lussier Chroniqueuse – Titulaire d’un baccalauréat en communication et politique de l’Université de Montréal, Judith Lussier écrit pour plusieurs magazines, dont Elle Québec, Sélection du Reader’s Digest et Urbania. On peut aussi l’entendre à la radio, sur les ondes de CIBL, et lire ses portraits dans le journal Métro. Tony Bureau Réviseur linguistique et correcteur d’épreuves – Titulaire d’un baccalauréat sur mesure en rédaction professionnelle et langues modernes, Tony Bureau se spécialise en révision linguistique et travaille également en traduction de l’anglais au français, à titre de travailleur indépendant, depuis 2008. [email protected] 18 22 Dossier Wabush en hiver : de mal en pis 30 Hélicoptère Hélico : défier l'hiver 38 Reportage L'aviation sous pression : le stress au quotidien 42 Reportage Le choc culturel sans sortir son passeport 52 Chronique Les snowbirds Amélie Côté Designer graphique et illustratrice – Titulaire d’un baccalauréat en communication graphique et d'une maîtrise en arts visuels de l’Université Laval, Amélie Côté se spécialise dans l’illustration et l’édition de livres et de revues, à titre de travailleuse indépendante, depuis 2010. [email protected] 30 AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 3 Éditorial Attache ta tuque Magazine Conception de la couverture : Amélie Côté Photo de la couverture : Michel Thibert Direction artistique, conception graphique : Amélie Côté Révision linguistique et correction d’épreuves : Tony Bureau Impression : Graphiscan Préparation postale : PosteExpress Distribution : Société canadienne des postes, contrat 40050783 Dépôts légaux : Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada, 2012. ISSN 1923-0036 Distribution : 4000 exemplaires distribués en kiosque et par abonnement ; disponible dans Internet (www.aqta.ca) ; également distribué aux ministres et aux députés, aux centres de formation et à la plupart des chambres de commerce Au Québec, on aurait beau vouloir changer les choses, le vrai patron, c’est l’hiver. C’est en fait cette saison qui dicte nos opérations et qui, au bout du compte, nous définit. Nous vivons et travaillons dans un coin du monde où le soleil nous fait parfois l’honneur de refuser de se coucher et, comme pour reprendre son dû, il nous prive âprement de ses rayons, mettant la table pour une trop longue attente. À titre d’exemple, les constructeurs viennent de partout à travers le monde pour permettre à leurs appareils de démontrer leur capacité à faire face au grand froid. Ici, les winter kits ne quittent les aéronefs que pour quelques mois, et nos avions parcourent des environnements où le gel se fait sentir à l’année. Qu’ils soient pilotes de King Air, de Navajo, de Dash-8 ou de Pilatus, ils foulent les cieux et les sols où l’homme blanc est souvent une minorité visible. Au pays des caribous et des ours polaires, où la neige crisse sous nos pieds, il est possible de vivre un profond choc culturel même si nous sommes encore au Québec. Cette édition du magazine Air fait donc honneur à la saison reine et, surtout, aux artisans de l’industrie qui ont appris à faire face aux conditions climatiques les plus rigoureuses. Parce que c’est aussi le signe du temps, le magazine Air évolue. Certains d’entre vous ont reçu une version électronique du magazine (volume 28, no 3) conçue spécialement pour les tablettes électroniques. Cette portion de nos activités est appelée à se développer. Pour recevoir cette version du magazine, vous pouvez vous inscrire sur la liste de distribution de l’AQTA au www.aqta.ca. Bonne lecture ! L’équipe du magazine Air Abonnements, publicités et articles : 600, 6e avenue de l’Aéroport, Aéroport international Jean-Lesage, Québec (Québec) G2G 2T5 Pour nous joindre : 418 871-4635 www.aqta.ca Toute reproduction totale ou partielle est interdite sans l’approbation écrite de l’éditeur. aqta.ca 4 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 aerien.ca Ensemble, on avance. .CA PILOTAGE Le vol en hiver Saviez-vous que… Un texte de Franz REINHARDT Le vol en hiver, bien qu’il exige plus d’efforts et de préparation, vous apportera un grand plaisir et une satisfaction incomparable. Il y aura bien entendu des tempêtes et des conditions météorologiques difficiles, empêchant l’utilisation de petits aéronefs non équipés pour ce genre d’exploitation. Cependant, par beau temps hivernal, entre les systèmes météorologiques désagréables, l’air froid, plus dense, optimisera les performances de votre aéronef. Le moteur développera plus de puissance et les ailes plus de portance, entraînant des décollages plus courts et un taux de montée fulgurant. Il faut aussi noter que, bien que les vents soient un peu plus élevés, l’air est généralement plus stable qu’en été, créant ainsi moins de turbulences. Alors, pourquoi s’empêcher de voler ? Il est toujours préférable d’utiliser votre aéronef sur une base régulière, à moins qu’il soit complètement remisé pour l’hiver selon les procédures recommandées par le constructeur. 6 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 La préparation pour un vol confortable et sécuritaire en hiver devrait tenir compte des éléments exposés dans chacune des étapes suivantes. 1. Vérification de la météo et des NOTAM Le vol en été demande peu de planification. Lors de cette saison, un pilote peut décider d’effectuer un vol local à tout moment, de façon spontanée, sans trop se préoccuper des préparatifs. S’il fait beau, une vérification rapide de la météo et des NOTAM peut être effectuée en cinq minutes, et on est prêt à décoller. En effet, il n’est pas nécessaire de se rendre à l’aérodrome à l’avance pour pelleter la neige, chauffer l’avion, le déblayer et le déglacer. L’hiver demande plus de préparation, en ce qui concerne la gestion du risque. Les systèmes météorologiques sont de plus grande étendue et les conditions propices au givrage sont fréquentes. De plus, les prédictions météo semblent moins précises qu’en été et changent plus rapidement. À cet effet, il est bon de vérifier et de visualiser la météo quotidiennement à la télévision ou sur Internet, afin de se faire une idée du mouvement des systèmes AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 7 Crédit photo : Michel Thibert Si vous êtes prêt à relever le défi, il vous faudra prendre en considération certaines précautions et faire preuve d’un plus grand niveau de préparation, afin d’atténuer les difficultés que peut entraîner le vol en hiver. Beaucoup d’articles ont été rédigés sur le sujet, mais il semble quand même important de se rappeler certains conseils pouvant rendre cette activité plus confortable et sécuritaire. Les principes de base discutés ici s’adressent à tout pilote de l’aviation générale. Cependant, certains conseils peuvent ne pas s’appliquer en totalité aux exploitants commerciaux utilisant des types d’aéronefs et des installations mieux équipés pour faire face aux conditions hivernales. Crédit photo : Michel Thibert en général, qu’on ait ou non l’intention d’effectuer un vol dans les heures qui suivent. En préparation d’un vol-voyage, il est préférable de vérifier la météo plusieurs jours à l’avance, afin de comprendre la progression des basses pressions et des systèmes frontaux. On peut aussi vérifier la précision des prédictions concernant le mouvement des systèmes en consultant les METAR et les TAF des différentes stations en route, afin de voir si les conditions réelles sont bien telles qu’elles avaient été prévues. En hiver, par exemple, il vaut mieux attendre trois jours à la maison avant d’entreprendre un vol aller-retour qui pourra se faire confortablement en une journée, plutôt que d’avoir la surprise de devoir passer trois jours à l’hôtel avant d’effectuer le vol de retour. Il existe de nos jours une multitude de sites Internet canadiens et américains permettant une très bonne visualisation des mouvements des systèmes météo et des conditions qui y sont associées. La vérification des NOTAM est aussi importante lors des volsvoyages en hiver. Il serait bien désagréable de passer quelques heures en vol pour s’apercevoir à destination que la piste n’a pas été déblayée, ou qu’elle est totalement glacée et que le vent actuel approche les limites de vent traversier démontrées pour votre type d’aéronef. 2. Préparation de l’aéronef Si vous avez la chance d’entreposer votre aéronef dans un hangar chauffé, la préparation ainsi que la visite pré-vol de l’appareil seront aussi faciles qu’en été, car vous n’aurez à réchauffer ni le moteur, ni la cabine et les instruments. De plus, vous n’aurez à faire face à aucune contamination des surfaces portantes, comme 8 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 les ailes ou les pales de rotor, dans le cas des hélicoptères. Il vous faudra cependant bien vérifier à l’avance le type d’installations disponibles à votre aéroport de destination, si vous devez y passer la nuit ou quelques jours. Un simple hangar non chauffé pourra aussi vous simplifier la vie, en vous évitant d’avoir à pelleter la neige et à déblayer les surfaces portantes, en plus d’avoir ensuite à plier et à ranger les bâches de protection. L’accès à l’électricité serait d’un grand secours, car vous pourriez alors utiliser un chauffe-moteur et une petite chaufferette pour la cabine et les instruments. Il va de soi que vous devrez avoir recours à une huile multigrade ou monograde de plus grande viscosité qu’en été, afin d’assurer une meilleure lubrification du moteur immédiatement après le démarrage. Cela n’est cependant pas suffisant, et les constructeurs recommandent en général de bien réchauffer le moteur avant le démarrage dès que la température approche 0 °C. Des ateliers de maintenance ont établi qu’un démarrage par température très froide, sans réchauffage du moteur à l’avance, peut causer en moins d’une minute plus d’usure à un moteur à pistons que des centaines d’heures d’opération normale. La meilleure façon de réchauffer un moteur est d’utiliser un chauffe-moteur électrique, d’un des deux types qui existent sur le marché. L’un est composé de bandes chauffantes installées autour de chaque cylindre, ainsi que d’un coussinet chauffant sous le carter d’huile (www.reiffpreheat.com). L’autre est constitué d’éléments chauffants vissés sur chaque cylindre et aussi d’un coussinet chauffant sous le carter d’huile (www.tanisaircraft.com). Une des entreprises citées fabrique également un système de réchauffage de l’huile pour moteurs à turbine, qui réchauffe aussi les engrenages des accessoires et du démarreur afin de faciliter le démarrage par temps froid. Ces systèmes doivent être utilisés avec une bonne couverture ou bâche isolante sur le capot du moteur, pour éviter la perte de chaleur. Il est recommandé de laisser le système en marche pendant environ huit heures avant le démarrage. Il est possible de se servir d’une minuterie programmée à l’avance qui mettra le système sous tension à une certaine heure, vous évitant ainsi d’avoir à vous déplacer. Certains constructeurs recommandent l’installation d’un déflecteur d’air restreignant la fonction du refroidisseur d’huile et permettant un meilleur réchauffage du moteur lors d’opérations en hiver. Vous devrez aussi vous assurer d’avoir une batterie à pleine charge pour satisfaire à la demande d’un démarrage par temps froid. Si vous n’avez pas accès à l’électricité, vous pouvez employer un système d’air chaud forcé provenant d’une chaufferette à combustion à propane ou à essence, et utilisant de gros boyaux flexibles introduits dans le compartiment moteur. Vous devez cependant vous assurer que le chauffage soit appliqué à tout le moteur et assez longtemps, tout en prenant garde à ce que certaines parties du moteur ne soient pas surchauffées alors que d’autres sont encore froides. Pour éviter les incendies, vous devez toujours être présent durant ce type d’opération. Que l’aéronef soit dans un hangar non chauffé ou à l’extérieur, rappelez-vous que le fait de réchauffer la cabine préviendra une usure prématurée des instruments et contribuera à prolonger leur longévité. Les radios fonctionneront aussi beaucoup mieux après avoir atteint une température ambiante raisonnable. Cela ne prendra qu’une trentaine de minutes, et là aussi, vous devriez toujours être présent pour éviter les risques d’incendie. Si votre aéronef est à l’extérieur, il devrait être protégé par des toiles ou des couvertures qui vous permettront d’enlever la neige et la glace plus facilement. Vous devrez prévoir une heure supplémentaire ou plus pour le dégager du banc de neige et enlever toute trace de neige ou de glace sur les ailes ou les autres surfaces portantes ; vous devrez aussi prévoir le temps nécessaire pour plier et ranger les toiles et couvertures. Il est également important de s’assurer que les carénages de roues et la casserole d’hélice ne soient pas remplis de glace ou de neige compactée ; vous voulez en effet éviter un blocage des roues ou une vibration inattendue de l’hélice. La visite pré-vol de votre aéronef devrait être plus longue en hiver qu’en été, et il vous faudra effectuer toutes les vérifications prévues par le constructeur. Si le froid vous indispose durant cette vérification, vous n’êtes sans doute pas habillé assez chaudement pour aller voler, spécialement en cas d’arrêt imprévu. Effectuez le drainage des réservoirs, tel qu’il est recommandé, et assurez-vous que les évents de carburant ne sont pas bloqués par la glace. Vérifiez entre autres le système statique, le tube de Pitot, l’échappement, le reniflard d’huile ainsi que les orifices de ventilation et de chauffage. En fait, la vérification devrait être encore plus minutieuse en hiver, car la neige et la glace peuvent s’infiltrer de façon sournoise aux endroits les plus imprévisibles. Il faut aussi vous assurer du bon état de votre système d’échappement, qui fait habituellement partie intégrante du système de chauffage de cabine, afin de prévenir les fuites de monoxyde de carbone (CO). 3. Préparation du pilote Si vous devez déblayer un aéronef enseveli sous la neige, comptez quelques heures de préparation supplémentaires avant le vol ; rappelez-vous également qu’en hiver, les journées sont courtes. En cette saison, le vol à bord de petits aéronefs est différent de celui AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 9 Crédit photo : Simon Chamberland qui est effectué d’un terminal à l’autre à bord d’avions de ligne. Vos passagers et vous-même devrez être habillés assez chaudement en cas d’arrêt imprévu ou en prévision peu probable, mais possible d’un atterrissage de précaution (bottes, tuque, mitaines). Votre appareil devrait être équipé d’une radiobalise de détresse (ELT) ou d’un système de localisation par satellite permettant aux autorités concernées de faire le suivi de la route empruntée. Un équipement de survie incluant un sac de couchage et certaines provisions pourrait être très pratique en situation d’urgence. Il va de soi qu’une bonne préparation de vol ainsi que le dépôt d’un plan de vol ou d’un itinéraire de vol contribueront à votre quiétude d’esprit, lors d’un vol par conditions hivernales. Les surfaces de stationnement des aérodromes sont balayées par les vents et peuvent être très glacées. Il vous faudra donc redoubler de prudence en marchant vers l’aéronef et éviter autant que possible de devoir lancer le moteur à la main au moyen de l’hélice, à moins de prendre des précautions exceptionnelles vous permettant d’effectuer la manœuvre en toute sécurité. 4. Circulation au sol Le freinage sur glace ou sur neige est peu efficace, et vous devrez circuler lentement en vous abstenant d’effectuer des virages ou des arrêts brusques. Appuyez légèrement sur les freins pour éviter de bloquer les roues et de déraper. L’utilisation exagérée des freins en hiver peut entraîner la fonte de neige sur les disques, suivie de gel subséquent, et ainsi provoquer le blocage des freins avant le décollage. En cas de neige fondante, une circulation rapide peut faire éclabousser la gadoue sur la cellule ou sur les portes de trains 10 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 d’atterrissage escamotables. Dans la neige fraîche, les signaux des voies de circulation peuvent être difficiles à lire. Vous devrez faire attention de ne pas vous retrouver dans une ornière hors de la voie de circulation. Il vous faudra aussi surveiller vos bouts d’ailes en circulant près des congères durcies. Il est important de bien positionner votre avion avant d’effectuer le point fixe. Assurezvous de placer au moins une des roues principales sur une surface sèche pour immobiliser l’appareil, ou prévoyez un certain espace de jeu si l’avion ne peut s’immobiliser complètement. Pour les avions équipés d’un carburateur, il faut s’assurer du bon fonctionnement du réchauffe-carburateur avant le décollage. 5. Décollage Il vous faudra être très prudent si vous décollez d’une piste glacée, car le contrôle de l’appareil dépendra uniquement de l’efficacité du gouvernail de direction, en l’absence de traction des roues. Un pilote expérimenté pourra effectuer un tel décollage, mais le vent devra cependant être dans l’axe de piste, ou être très faible, s’il est traversier. En cas de neige poudreuse, vous devrez utiliser la technique de décollage mou et évoluer en effet de sol jusqu’à ce que vous atteigniez la vitesse normale de montée. Après avoir circulé dans la neige fondante ou la gadoue, il serait judicieux de laisser le train sorti environ une minute après le décollage pour permettre à la neige ou à la glace de se déloger avant de rentrer le train. On peut aussi rentrer et sortir le train une fois pour vérifier son bon fonctionnement. En montée, il faudra porter une attention particulière à la température des cylindres, qui pourrait être affectée par l’utilisation des déflecteurs de ventilation du moteur, s’il y avait réchauffement de température extérieure par inversion. Il faudrait alors utiliser de façon judicieuse les volets de capot ou abaisser le nez et augmenter la vitesse. 6. Vol en croisière La météo peut changer plus rapidement en hiver qu’en été. Il vous faudra donc être prudent lors de vols-voyages de longue distance traversant un système frontal délimitant différentes masses d’air. Les averses de neige passagères peuvent gêner la visibilité au point de créer temporairement des conditions de vol aux instruments. Dans de telles conditions, il vaut mieux faire un détour pour les contourner ou, si cela s’avère impossible, effectuer un virage de 180°, à moins que vous soyez qualifié pour le vol aux instruments et que l’aéronef soit équipé à cet effet. Il vous faudra aussi être conscient de la possibilité de conditions de voile blanc lors de vols à basse altitude au-dessus de surfaces enneigées et par conditions de luminosité et de visibilité restreintes. Une bonne vérification de la météo vous permettra d’éviter les conditions de pluie verglaçante, qui constituent un danger important pour tout type d’aéronef. Quant aux possibilités de givrage dans les nuages, elles sont fréquentes en hiver car le niveau de congélation dans notre région est rarement plus élevé que le niveau du sol. Il serait judicieux lors de vols-voyages de prévoir la possibilité d’arrêts en route à cause des changements météorologiques et d’embarquer à bord les toiles et couvertures de protection de l’aéronef. Le fait d’avoir à bord tout l’équipement nécessaire permettant la protection de l’appareil lors d’un arrêt en route constitue une approche stratégique du vol en hiver. 7. Descente et atterrissage L’hiver requiert une bonne gestion de l’opération du moteur et une surveillance étroite de ses paramètres. Vous devrez éviter les longues descentes avec opération du moteur au ralenti, car cela pourrait causer un refroidissement brusque du moteur et un choc thermique pouvant provoquer la fissure des cylindres ; l’opération au ralenti prolongée pourrait également entraîner une perte de puissance moteur lors d’une approche interrompue et d’une remontée. En fonction du type de moteur, le réchauffecarburateur devra être utilisé selon les recommandations du constructeur, avant l’atterrissage. La plupart des fabricants de moteurs à pistons recommandent d’adopter un régime moteur plus élevé lors de descentes par température froide et de conserver un régime minimum de 1 500 tours par minute le plus longtemps possible avant l’atterrissage. L’atterrissage sur une piste glacée devient un peu plus complexe que le décollage dans des conditions similaires. En effet, si les vents sont favorables, le contrôle de l’aéronef pourra être effectué au moyen du gouvernail de direction durant une certaine portion de la course au sol, mais il vous faudra inévitablement vous arrêter, et comme les roues auront une très faible traction, le freinage devra s’effectuer très légèrement pour éviter de déraper. Il ne vous faudra pas hésiter à utiliser toute la longueur de piste, si nécessaire ; il ne s’agit pas ici d’une compétition d’atterrissage court. En hiver, les aérodromes comportent d’autres dangers tels que les congères durcies le long des pistes d’atterrissage, l’effet de chasse-neige lors de bourrasques de vent et la présence de neige dont il est difficile d’évaluer la profondeur en altitude. Vous devrez donc vous informer à l’avance des conditions de piste à destination, afin de déterminer si l’atterrissage pourra s’effectuer de façon sécuritaire. Si vous deviez vous dérouter vers un aérodrome inconnu pour lequel vous ne pouvez obtenir d’information par radio, il vous faudra essayer de juger les conditions en effectuant un passage à une altitude et à une vitesse sécuritaires, avec utilisation partielle des volets. Le vol en hiver a bien entendu ses caractéristiques particulières, tout comme la conduite automobile ou d’autres activités hivernales. Il s’agit simplement d’en être conscient et de prendre certaines précautions supplémentaires qui méritent qu’on y accorde le temps nécessaire. Le vol en hiver pourra ainsi être accompli de façon sécuritaire, et les performances accrues que procure la densité de l’air ne pourront qu’augmenter votre plaisir à effectuer une telle activité. AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 11 Avis de nomination M. John W. Crichton, président et chef de la direction de NAV CANADA, est heureux d’annoncer les nominations à la haute direction que voici : Rudy Kellar, vice-président directeur, Prestation des services À titre de vice-président directeur, Prestation des services, M. Kellar fournit un leadership et une orientation en matière d’exploitation de la circulation aérienne, d’opérations techniques et d’ingénierie, en s’assurant de l’harmonisation de ces trois secteurs clés dans le cadre de la prestation de services de la circulation aérienne et de services d’information aéronautique sécuritaires, efficaces et rentables. M. Kellar s’est joint à NAV CANADA en 2005 en tant que gestionnaire général, Région d’information de vol (FIR) d’Edmonton, où il a travaillé avec le personnel et la clientèle de l’Exploitation pour améliorer sensiblement les niveaux de service. En 2007, il a été nommé au poste de vice-président, Exploitation, et a contribué de façon considérable à la sécurité et à l’efficacité des mouvements d’aéronefs dans l’espace aérien du Canada et dans l’espace aérien international délégué à NAV CANADA. Avant de se joindre à NAV CANADA, il a été présidentdirecteur général, de 2001 à 2005, chez Air Contractors, une compagnie de fret aérien établie à Dublin, en Irlande. Brian Aitken, vice-président directeur, Finances, et chef de la direction financière À titre de vice-président directeur, Finances, et chef de la direction financière, M. Aitken a pour responsabilité de fournir un leadership au groupe des Finances de NAV CANADA. Arrivé à NAV CANADA en 2002 en qualité de directeur principal, Finances, il a été promu en 2007 au poste de vice-président adjoint aux Finances. En 2008, M. Aitken a été nommé vice-président, Finances, chef de la direction financière et trésorier. À ce titre, il était responsable de la gestion des ressources et des risques financiers, tout en assurant l’administration efficace et efficiente de l’information financière et des systèmes de rapports de la Société et de ses régimes de retraite. Avant de se joindre à NAV CANADA, il a occupé le poste de vice-président trésorerie chez Domtar Inc., et de chef de la direction financière chez E.B. Eddy Forest Products ltée et Calian Technology ltée. Neil Wilson, vice-président directeur, Administration, et avocat en chef En qualité de vice-président directeur, Administration, et avocat en chef, M. Wilson est res-ponsable de tous les services juridiques et généraux ainsi que des Ressources humaines et des Services à la clientèle et commerciaux. M. Wilson s’est joint à NAV CANADA en 2002 à titre de vice-président, avocat en chef et secrétaire général. Outre son rôle permanent de chef des services juridiques, M. Wilson remplit aussi la fonction de secrétaire général et supervise les groupes Contrats, logistique et parc automobile, Assurance et gestion des risques, Services de l’environnement et de santé et sécurité et travail, et Sécurité globale. Avant son arrivée à NAV CANADA, il était associé chez Gowling Lafleur Henderson LLP, à la succursale d’Ottawa. Larry Lachance, vice-président, Exploitation À titre de vice-président, Exploitation, M. Lachance joue un rôle prépondérant dans la gestion et l’orientation générales du rendement opérationnel de la Société, en assurant une gestion sécuritaire, efficace et rentable des services de la circulation aérienne et des services d’information aéronautique. En 2007, M. Lachance a été nommé vice-président adjoint, Soutien à l’exploitation, et était chargé de l’intégration des systèmes ATS, des normes et procédures, de la sécurité ainsi que de la coordination opérationnelle. Avant cette date, M. Lachance a occupé divers postes de gestion aux responsabilités croissantes au sein de l’Exploitation, suivant une fructueuse carrière en tant que contrôleur de la circulation aérienne. Raymond Bohn, vice-président, Recettes et administration des pensions En tant que vice-président, Recettes et administration des pensions, M. Bohn fournit un leadership et une orientation à l’équipe de recettes liées au SNA, qui se charge de la prévision du trafic aérien et des recettes connexes, de l’établissement des taux de redevances, de la collecte et de l’analyse des données de vol en vue de la facturation et de la planification, de la facturation des redevances aux clients et de la gestion des processus liés aux risques de crédit et aux comptes clients. Il dirige aussi le groupe Administration des pensions, qui est responsable de l’évaluation actuarielle et des politiques, des procédures et des systèmes administratifs inhérents à l’exploitation des régimes de retraite de NAV CANADA. M. Bohn s’est joint à la Société en 2000 en tant que gestionnaire principal, Pensions et avantages sociaux, et a été nommé directeur, Rémunération, avantages sociaux et systèmes de RH en 2003. En 2005, il a été promu vice-président adjoint, Ressources humaines, et a été nommé vice-président adjoint, Recettes et administration des pensions, en 2008. www.navcancada.ca 12 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 ENSEMBLE, nous sommes plus FORTS. .CA Sennheiser, déclencheur de nouvelles passions pour l’aviation Avant son embauche chez Sennheiser, en 2002, Mme Roseline Boire n’avait jamais côtoyé le milieu de l’aviation. Dès son arrivée, elle a été captivée par la passion contagieuse du président de la société, M. Jean Langlais, pour le pilotage. Elle a alors rapidement décidé de se joindre au groupe des aviateurs. Son brevet de pilote en poche, Mme Boire a dernièrement eu la chance exceptionnelle d’approfondir ses apprentissages aux côtés d’un des meilleurs instructeurs de vol au Canada, Mme Kathy Fox. Lorsqu’elle l’a entendue prononcer son discours d’acceptation du prix commémoratif David Charles Abramson (DCAM) à la réunion générale annuelle de 2011 de l’Association du transport aérien du Canada (ATAC), Roseline Boire a été grandement impressionnée par l’enthousiasme dont faisait preuve la récipiendaire et a ardemment souhaité la rencontrer pour parfaire ses techniques de pilotage. Grâce à Sennheiser, Mme Boire a récemment réalisé son rêve dans le cadre de l’aéroclub de Rockcliffe, d’Ottawa, où s’est tenue la Compétition pour le trophée commémoratif Webster de 2012 et où Kathy faisait partie des instructeurs. « Bien qu’elle m’ait offert beaucoup de conseils pratiques, je crois que ma plus grande récompense a été émotionnelle. Dès les premiers moments du décollage, l’avion semblait être, pour la première fois, une extension de moi-même, et à la fin de la séance, je pouvais réellement dire que je comprenais enfin ce que c’était de voler comme un oiseau, cette sensation envahissante indescriptible et exaltante de la liberté totale », conclut Roseline Boire, visiblement comblée. Roseline Boire s’est tout de suite sentie à l’aise avec une femme comme instructeur. « Elle est un instructeur fantastique, le meilleur, en fait. Très calme, très concentrée, elle transmet clairement son expertise. Nous avons notamment travaillé les techniques de pointe des virages d’approche lors d’un atterrissage avec vent transversal, une manœuvre difficile à maîtriser pour un pilote qui débute », affirme-t-elle. Essai du nouveau casque S1 Digital de Sennheiser Dans le cadre de son vol d’entraînement, Roseline Boire a pu essayer le nouveau casque S1 Digital de Sennheiser pour l’aviation générale, qui utilise le récent système Digital Adaptive NoiseGardMC. Cette innovation technologique établit des normes entièrement nouvelles dans la compensation du bruit. En effet, à la seule pression d’un bouton, le casque s’adapte en quelques secondes à l’environnement sonore changeant du poste de pilotage. Ce casque a été spécifiquement conçu pour les pilotes d’hélicoptères et d’avions à hélices monomoteurs ou bimoteurs. 14 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 15 SNOWTAM, SNOWiz, SNOW quoi ? Dans le but d’accroître la sécurité et d’améliorer les opérations, NAV CANADA est en phase de transition vers l’utilisation des SNOWTAM, conformément aux dispositions de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Tout le processus s’orchestre en collaboration avec Transports Canada. Le SNOWTAM fournit, dans un format standard, les renseignements relatifs à des conditions potentiellement dangereuses causées par la présence de contaminants tels que la neige, la glace ou l’eau stagnante sur l’aire de mouvement. Il informe également la communauté de l’aviation des opérations de déblaiement. du rapport détaillé sur Internet, et ce, dans un format uniformisé. Le compte-rendu est accessible sur le site web de la météorologie à l’aviation (AWWS) de NAV CANADA et sur le réseau du service fixe des télécommunications aéronautiques (AFTN). Il a été démontré que la plupart des usagers préf èrent n’avoir aucune information plutôt que consulter un compte-rendu erroné. Les renseignements décrivant l’état de surface des pistes sont déjà disponibles au Canada sous forme de NOTAMJ. Toutefois, aucun autre pays n’utilise ce modèle, ce qui en rend l’utilisation moins conviviale pour les logiciels et moins compréhensible pour plusieurs usagers. NAV CANADA participe activement à l’atteinte d’une uniformité sur le plan international. L’application complète des normes SNOWTAM est prévue pour 2015. Afin de permettre une transition sans heurts, certaines procédures ont déjà été introduites. Par exemple, la période de validité maximale du NOTAMJ est dorénavant de 24 heures. Si NAV CANADA n’a reçu aucune mise à jour de l’exploitant d’aéroport à l’égard d’un NOTAMJ 24 heures après son émission, celui-ci sera retiré SNOWiz est une interface permettant à l’exploitant d’aéroport de transmettre électroniquement, sur Internet, le compte-rendu de l’état de la surface pour les mouvements d’aéronefs (AMSCR), depuis un ordinateur de bureau de l’exploitant d’aéroport ou même un véhicule affecté à l’entretien des installations aéroportuaires jusqu’au serveur de NAV CANADA par l’entremise des logiciels de deux fournisseurs : WinterOps Pro, de Team Eagle, et TRACR II, de Tradewind. Les exploitants d’aéroports n’ayant pas accès à Internet pourront continuer à transmettre le rapport par télécopieur à NAV CANADA en utilisant le formulaire AMSCR adapté aux nouvelles procédures, lequel est disponible sur le site www.navcanada.ca. Il est impératif L’hiver 2012-2013 est la période pendant laquelle une nouvelle interface permettant aux exploitants d’aéroports de transmettre les renseignements sur l’état de surface des pistes sera instaurée de la base de données. Il a été démontré que la plupart des usagers préfèrent n’avoir aucune information plutôt que consulter un compte-rendu erroné. Plusieurs autres modifications ont été annoncées en 2011. Pour en savoir plus, veuillez consulter la Circulaire d’information aéronautique 39/11 sur le site www.navcanada.ca. SNOWiz L’hiver 2012-2013 est la période pendant laquelle une nouvelle interface permettant aux exploitants d’aéroports de transmettre les renseignements sur l’état de surface des pistes sera instaurée. Le plus grand avantage de cette innovation est la réduction du délai de traitement entre l’inspection des pistes et l’affichage pour ceux-ci de se servir de ce formulaire pour que la conformité aux standards actuels soit assurée. Depuis l’an dernier, NAV CANADA et ses partenaires ont effectué de nombreux essais dans divers aéroports canadiens. Ces essais se sont avérés concluants et ont permis de constater que SNOWiz répond bien aux besoins opérationnels. Les employés de NAV CANADA ainsi que les équipes aéroportuaires recevront la formation requise à l’automne, et tous entrevoient avec beaucoup d’optimisme la venue de SNOWiz dans le paysage aéronautique canadien. AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 17 ENTREVUE L’aviation sur skis : quand les outardes partent, les avions restent ! Un texte de Geneviève VOULIGNY Le magazine Air a rencontré Michel Turcotte, chef pilote d’Air Saguenay depuis 2008, afin de découvrir les coulisses de l’aviation sur skis. 18 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 AIR : Quelles qualités sont essentielles pour piloter un avion sur skis ? M.T. : Pour faire de la brousse, il faut aimer l’aventure, la liberté, le grand air et l’isolement. Un bon pilote doit aussi avoir de la facilité à prendre des décisions et des initiatives de manière autonome. Les pilotes de brousse manœuvrent des appareils dans des zones non aménagées pour l’aviation. Ils effectuent leurs vols à l’aide de repères visuels, et il leur arrive parfois de travailler sans équipe. Ce sont généralement les pilotes de brousse les plus expérimentés qui effectuent des vols en hiver, car leurs compétences en pilotage et leur jugement sont souvent mis à rude épreuve, en raison de conditions climatiques très variables et plutôt hostiles. AIR : Quelles sont les caractéristiques du vol de brousse en hiver ? M.T. : Que nous pilotions un avion sur flotteurs ou sur skis, les opérations demeurent relativement les mêmes. Le changement d’équipement entre l’été et l’hiver ne demande pas tant d’adaptation. Ce sont plutôt les éléments environnementaux particuliers qui exigent une grande attention en hiver. En effet, nous devons pouvoir faire face à toute éventualité : froid intense, vents, poudrerie, brouillard, gadoue, etc. Les conditions varient énormément, il faut donc toujours garder un œil sur la météo ! Air Saguenay utilise quotidiennement une flotte de trente hydravions durant l’été et ne garde en service que cinq appareils en hiver. Nous ne pouvons négliger aucun aspect de la préparation, car pendant cette période, il y a très peu de circulation aérienne dans les régions éloignées. Par exemple, Air Saguenay utilise quotidiennement une flotte de trente hydravions durant l’été et ne garde en service que cinq appareils en hiver. Les camps de chasse et de pêche sont aussi désertés. Les secours étant relativement rares, la prévention est encore plus importante. Nos bagages doivent contenir tout le nécessaire en cas d’incident : habillement, couvertures, trousse de premiers soins, vivres, carburant, etc. AIR : Quels avions sont utilisés ? M.T. : Nous avons opté pour des Turbo Otter dans lesquels le moteur à piston a été remplacé par une turbine. Ces appareils d’une AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 19 un mois plus tard qu’à Chicoutimi, à Sept-Îles, à Natashquan, à Baie-Comeau et au Havre-Saint-Pierre. AIR : Au printemps ou à l’automne, arrive-t-il des situations où les changements environnementaux rendent votre appareil inadéquat ? Crédit photo : Air Saguenay M.T. : Il peut arriver que le lac gèle pendant la nuit et qu’un avion sur flotteurs ait de la difficulté à repartir. Il faut alors casser la glace. L’installation des skis ou des flotteurs ne demande qu’une seule journée de travail. Il est donc facile d’adapter la flotte aux changements rapides de température durant cette période transitoire. fiabilité exceptionnelle sont beaucoup moins sensibles aux changements de température et démarrent plus facilement par temps froid. Nous utilisons également des Beaver et des Cessna 185, mais leurs moteurs à pistons nécessitent plus d’entretien et doivent être réchauffés très longtemps avant le décollage. Air Saguenay utilise des appareils avec des trains d’atterrissage « classiques » (tailwheel) pour voler sur skis. La neige mouillée (« sloche ») et les congères de neige dure sont deux types de conditions d’atterrissage particulièrement difficiles, dans lesquels un train classique est préférable. AIR : Quand doit-on effectuer le changement d’équipement ? M.T. : Le passage de la saison estivale à la saison hivernale ne se fait pas à date fixe et peut varier d’une région à l’autre. Par exemple, à Schefferville et à Caniapiscau, nous utilisons les skis 20 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 À l’automne et au printemps, je contacte les pilotes d’expérience et je vérifie avec eux leur évaluation de la situation. Nous prenons des mesures et nous élaborons des directives que nous mettons à jour régulièrement en fonction de l’évolution des surfaces et des endroits à visiter. Il est sécuritaire de garder les skis le plus longtemps possible au printemps, mais il vient un temps où la glace devient trop mince. Il nous faut alors cesser nos activités pendant une courte période. L’installation des skis ou des flotteurs ne demande qu’une seule journée de travail. AIR : Comment prépare-t-on les appareils ? M.T. : Avant chaque vol hivernal, nous devons protéger les ailes pour éviter qu’elles se recouvrent de glace, brancher le moteur pour le réchauffer et l’habiller avec une couverture. Dans la plupart des cas, les pilotes sont seuls pour effectuer toutes ces manipulations. N’ayant pas l’aide d’un répartiteur, ils doivent aussi accueillir les passagers et porter leurs bagages. C’est une approche que j’apprécie, car ça donne l’occasion de créer un lien étroit avec la clientèle. M.T. : Alors que l’été, nous avons des demandes pour des voyages de pêche ou de chasse, des expéditions en canot et des survols de territoire, l’hiver, les activités sont ralenties. En plus de quelques demandes de nolisement ponctuelles, nous transportons des médecins qui travaillent occasionnellement dans des régions du Nord, ainsi que les employés qui font de la prospection minière. Il y a beaucoup d’action dans ce domaine depuis quelques années, et nous sommes appelés à faire la navette afin de transporter, notamment, du matériel pour installer les campements, du carburant pour les hélicoptères, de la nourriture et des échantillons de sol qui seront ensuite analysés en laboratoire. AIR : Utilisez-vous toujours les mêmes pistes ? M.T. : Dans les campements des minières, les allers-retours sont fréquents et nous utilisons souvent les mêmes endroits. Lorsque c’est possible, nous balisons les pistes avec des sapins afin d’avoir des repères dans des situations où la visibilité est réduite. Au besoin, nous demandons de taper la piste avec un traîneau tiré par une motoneige avant notre arrivée. Cela facilite beaucoup les manœuvres. Dans des endroits plus isolés, lorsque la neige est très molle, nous devons parfois faire des traces à haute vitesse dans la neige avant de revenir nous poser dans ces traces, sans quoi nous risquerions de nous enliser. Crédit photo : Air Saguenay AIR : Vous dites que la circulation aérienne diminue énormément en hiver. Quelle clientèle transportez-vous pendant cette période ? Quand nous ne connaissons pas la surface où nous nous posons, nous sommes beaucoup plus prudents. Par temps couvert, ou lorsque la poudrerie nous empêche de bien voir le relief, nous ne pouvons prendre aucun risque. Nous nous assurons aussi d’atterrir dans une zone protégée par les arbres, où le sol est moins susceptible d’être encombré par des amas de neige transportés par le vent. Parfois, au contraire, la glace est tellement dure et lisse qu’il est préférable de se poser sur roues. C’est vraiment le pilote qui doit analyser la situation en fonction de son expérience et de sa connaissance du terrain. Il arrive même parfois qu’il doive rebrousser chemin. Pour le pilotage d’avions sur skis, il est donc nécessaire d’avoir une bonne dose de témérité doublée d’un jugement sans faille. Et il faut sans cesse rechercher l’équilibre entre les deux ! AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 21 DOSSIER EN HIVER : de mal en pis Un texte de Pierre-André ROUX « Vous êtes septième pour l’atterrissage. Limite d’autorisation NANRO. Avisez prêts à copier le circuit d’attente. » Si ces lignes vous sont familières, c’est que vous êtes déjà allé faire un tour à Wabush. À cet aéroport du Labrador desservant également la ville québécoise de Fermont, on exploite le fer, mais on brûle aussi une quantité magistrale de carburant en raison d’installations qui ne répondent pas aux besoins. Les conditions hivernales qui y sévissent hâtivement ne font rien pour améliorer la situation. Encore et encore Voilà un sujet dont nous avons déjà traité dans une édition précédente du magazine (Wabush : une épine dans le pied du Plan Nord, volume 28, no 2) et dont nous n’avons certainement pas fini d’entendre parler. La couverture radar inexistante limite dramatiquement la capacité des contrôleurs aériens à connaître la position des aéronefs. Conjuguée à des installations inadéquates (absence d’une voie de circulation permettant aux avions de remonter la piste sans l’accaparer), cette situation fait en sorte que l’aéroport de Wabush est nettement sous-équipé. La conséquence ultime est de voir les avions tourner en rond au-dessus de NANRO, le point d’attente désigné. Le plein, s’il vous plaît Les avions en circuit d’attente, pour des raisons évidentes (gestion des ressources en carburant lorsqu’ils sont en vol), ont priorité sur l’aéroport. Cela mène à des situations tout aussi dérangeantes, soit des avions qui attendent à l’écart de la piste pendant des heures. Les conséquences sont désastreuses. Une quantité phénoménale de carburant est brûlée pour des raisons définitivement injustifiables, tant au-dessus de NANRO qu’à l’écart de la piste. De plus, dans la mesure où il s’agit d’une variable pratiquement imprévisible et aléatoire, la gestion du carburant est un réel défi. Une quantité phénoménale de carburant est brûlée pour des raisons définitivement injustifiables, tant au-dessus de NANRO qu’à l’écart de la piste. 22 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Dame Nature Lorsque le ciel est bleu, les pilotes peuvent rapidement annuler les instruments et permettre à un autre avion de décoller si l’espacement est sécuritaire. Toutefois, quand les conditions météorologiques se détériorent, les histoires se compliquent. Ajoutez à ce cocktail des précipitations de neige, et vous obtiendrez la situation désastreuse qui menace quotidiennement les opérateurs aériens québécois qui desservent cette région. Les conditions hivernales qui y sévissent hâtivement ne font rien pour améliorer la situation. Alors que sept avions effectuent des circuits d’attente, un équipage au départ de Wabush décide de mettre le carburant nécessaire à son vol et de faire dégivrer l’appareil. Au bout de quelques minutes à attendre à l’écart de la piste, la capacité antigivrante des fluides disposés sur l’avion arrive à sa fin. En même temps, l’équipage commence à se demander si la quantité de carburant sera suffisante pour répondre aux exigences. Une solution pourtant connue Ce qui est le plus désolant, c’est qu’à Wabush, les solutions sont connues. Une couverture radar et la construction d’une voie de circulation auraient pour simple effet de régler de nombreux maux de tête. Le gouvernement du Québec a beau avoir changé de main et le Plan Nord changé de nom, les problèmes restent les mêmes. D’ici à ce que les autorités responsables prennent leurs responsabilités, ce seront toujours les transporteurs qui feront les frais d’une problématique pourtant simple à régler. Crédit photo: Michel Thibert AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 23 MONTRÉAL, capitale du dégivrage • En moyenne, 3 500 000 litres de glycol sont utilisés chaque hiver pour dégivrer les aéronefs qui décollent de l’aéroport Montréal-Trudeau, soit l’équivalent de 88 piscines hors terre. • On utilise environ 7 fois moins de glycol pour dégivrer un avion de type King Air que pour un Boeing 737. • Durant l’hiver 2010-2011, plus de 10 000 avions ont été dégivrés à l’aéroport Montréal-Trudeau. • À Montréal, on utilise l’éthylène-glycol chauffé à plus de 60 °C. Il abaisse le point de congélation de l’eau et évite la contamination par le givre, la glace ou la neige. 24 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Crédit photo: Jean-Philippe Pépin En sem ble Congrès de l’AQTA 2013 Du 20 au 22 mars 2013 Au Fairmont Le Manoir Richelieu, Charlevoix Inscriptions et commandites : .CA HÉLICOPTÈRE HÉlico : Défier l’hiver 30 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Un texte de Patrick LAFLEUR L’hiver, une certaine partie de l’aviation générale passe en mode ralenti. Les avions sur flottes sont remisés, et plusieurs pilotes privés passeront les prochains mois à terre à cause des complications hivernales comme l’enlèvement des bâches de protection, le dégivrage des surfaces critiques et le déblaiement de la neige autour de l’avion stationné. L’hélicoptère est quant à lui un peu moins perturbé par la saison froide. Bien que les contrats soient moins fréquents, plusieurs facteurs font en sorte que ce secteur de l’aviation garde un bon niveau d’opérabilité. Une grande partie de la flotte dort au chaud et, même lorsqu’il est stationné dehors, l’hélicoptère bien protégé est plus facile à préparer pour le vol que l’avion. La piste est sensiblement plus petite à déneiger, et la proportion de moteurs à turbine est beaucoup plus grande. De plus, le moteur à pistons de l’hélicoptère ne souffre pas du choc thermique, car il est positionné à l’arrière et n’a pas un apport direct d’air. L’hélico, tout désigné pour l’hiver Bon, assez tourné autour du pot ; ce que je cherche à dire, c’est : quoi de mieux pour jouer dehors en hiver qu’un hélicoptère ? Cela dit, j’aurais bien de la difficulté à choisir entre piloter le remontepente volant et être le skieur qui se fait héliporter au sommet d’une montagne vierge. Ici, la polyvalence de l’hélicoptère prend tout son sens. Souvent après une longue attente, lorsque la fenêtre météo s’ouvre enfin, les skis sont déposés dans le panier externe et les skieurs grimpent à bord. L’ascension débute alors, et le travail du pilote s’intensifie. Dans un majestueux slalom sur les flancs de la montagne, entre les bancs de brume et les couches nuageuses, le pilote négocie âprement avec les vents tourbillonnants, les changements radicaux de luminosité et la diminution des performances de sa machine avec l’altitude. Après une approche exigeante vient la préparation de l’atterrissage. Déjà que celui-ci n’est pas simple dans la neige sur un terrain plat, comme nous le verrons un peu plus tard, le faire sur une pente de 30° avec peu de repères visuels nécessite une excellente connaissance AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 31 Crédit photo : Stéphane Caron D’autant plus que certaines pistes desservant la petite aviation peuvent rester enneigées et glacées plusieurs jours après une tempête. Le trempage à froid et la forte probabilité de choc thermique rendent les moteurs à pistons plus vulnérables et, ne faisons pas l’autruche, les ardeurs de l’Homo Pilotus sont refroidies par le mercure qui plane loin dans la partie basse du thermomètre. Crédit photo : Stéphane Caron de l’environnement et un pilotage solide. Malgré les -25 °C, pas le temps d’avoir froid aux yeux ! Après tant de plaisir vient le temps de retourner au travail. Passablement hostile, l’environnement hivernal est réputé pour donner du fil à retordre aux aviateurs. Les incidents et accidents se répètent, témoignant des innombrables pièges que nous réserve l’impitoyable saison froide. Même si le sujet est heureusement grandement connu et documenté, lorsque nous nous trouvons confrontés aux forces de la nature, surtout avec une expérience limitée, le risque est bien présent et la ligne est souvent mince entre un retour à la base sans incident et un hélicoptère empêtré dans une congère ! La splendeur du piège L’hiver profite de maintes occasions pour briller de tous ses feux. Il nous révèle régulièrement de magnifiques décors, comme lorsque la lumière miroite sur une belle couche de neige fraîchement tombée. Mais le pilote doit se méfier de cette splendeur. Dans des conditions bien particulières de température et d’humidité, quand les flocons sont très secs et légers et que le vent est calme, le souffle du rotor, lors des manœuvres effectuées près du sol, fera décoller la neige, qui restera alors prisonnière du tourbillon qu’il provoque. Très rapidement, le pilote se trouvera enveloppé dans un nuage blanc qui, combiné avec le sol enneigé, lui fera perdre ses références visuelles et le mènera tout droit à une perte de contrôle. Cette situation sera agravée lorsqu’il neige et que le ciel est blanc. Pour l’avoir vécu lors d’un décollage, je peux affirmer que la désorientation arrive si soudainement qu’on a l’impression d’être frappé d’un violent étourdissement. Mes sens égarés m’ont fait déplacer le manche cyclique latéralement sans raison et, heureusement, quand je m’en suis rendu compte, j’ai rapidement baissé le manche collectif avant que mon appareil ait eu le temps de se soulever. Je reconnaissais pourtant les conditions propices au voile blanc par la recirculation de neige dans le rotor, mais j’ai été très surpris par la rapidité avec laquelle cette dernière s’est produite. La technique du décollage sans vol stationnaire permet au pilote de quitter rapidement la zone enneigée, tant que la puissance est suffisante pour effectuer ce genre de manœuvre et que le pilote l’exécute correctement. Au retour, rien n’est joué Au moment de se poser, l’atterrissage sans vol stationnaire est à considérer, mais il peut être encore plus sécuritaire de balayer. Si la puissance est suffisante, l’arrêt de l’hélicoptère en vol stationnaire à la limite de l’effet de sol balaiera la neige progressivement, sans créer de voile trop dense. Le pilote fera descendre doucement son appareil en s’assurant que le nuage de neige reste mince et que les références visuelles sont maintenues, jusqu’à ce qu’il puisse atterrir. Le fait de ne pas reconnaître les conditions à temps pour appliquer l’une ou l’autre des méthodes avant que le piège se referme peut constituer un grave problème. L’atterrissage très près d’une épinette ou de tout autre objet bien visible permet au pilote de garder une bonne référence visuelle qui l’aide dans sa manœuvre. La plupart des opérateurs canadiens munissent leurs appareils de protections comme des déflecteurs et des filtres de moteurs pour diminuer les problèmes de puissance dus à l’intrusion de neige, d’eau ou de poussière dans le moteur. Le travail ne se termine pas une fois les patins au sol, ce serait trop facile. À moins que l’appareil soit équipé d’une bonne paire de skis ou de pattes d’ours (bear paws) qui augmentent la surface des patins pour supporter le poids de l’hélicoptère lorsqu’il se pose AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 33 Crédit photo : Stéphane Caron Crédit photo : Stéphane Caron dans la neige ou les marécages, les patins s’enliseront. Comme le centre de gravité de l’hélicoptère est situé près de l’arrière des patins, l’arrière de l’appareil s’enfoncera alors et le rotor de queue s’approchera dangereusement du sol. Casser la croûte Une fois ces deux premiers pièges esquivés, il en reste encore un à gérer. Il arrive régulièrement qu’une croûte de glace se forme à la surface de la couche de neige. Le pilote doit tâcher de casser cette croûte en baissant et en remontant le manche collectif de façon saccadée, et contrôler positivement la mise au sol de son hélicoptère. Orienter le manche cyclique vers l’avant lui permet de caler le devant de la machine et de garder une bonne marge pour le rotor de queue. Sans cette technique, le poids transféré vers le sol peut être suffisant pour que la croûte se casse et que l’arrière s’enfonce brusquement. Prêts pour la glissade L’hélicoptère engendre des forces qu’on a tendance à oublier, au sol. Le couple (torque), par exemple, qui est normalement atténué par le sol lorsque toute la masse de l’appareil repose sur ses patins. Avant le décollage, les pédales sont généralement maintenues au neutre. Dans cette configuration, lorsque le régime du rotor est réglé pour le décollage avec le manche collectif en bas, la force de couple est basse et, avec les pédales centrées, le rotor de queue pousse déjà plus que nécessaire. Avec un hélicoptère américain (rotation antihoraire du rotor principal) se trouvant sur une surface glacée, un mouvement soudain de lacet à gauche peut se produire lorsque la puissance est appliquée et que l’adhérence diminue, dès lors que l’hélicoptère devient léger sur son train. Le pilote doit alors être « vite » sur ses patins… euh, ses pédales ! 36 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Avec un hélicoptère américain se trouvant sur une surface glacée, un mouvement soudain de lacet à gauche peut se produire lorsque la puissance est appliquée et que l’adhérence diminue. Un pilote que je connais très bien a vécu l’inverse de cette situation. Après un atterrissage de nuit devant un hangar sur un sol qui aurait très bien pu servir à un match de hockey, notre ami baisse lentement le manche collectif de son Bell 206, ajustant minutieusement les pédales pour compenser la diminution de couple et contrôler le lacet. Une fois le manche collectif au plancher, il réduit normalement le régime, c’est-à-dire qu’il ferme franchement la poignée des gaz en gardant, comme d’habitude, les pédales au neutre. Ce changement soudain, quoique subtil de couple a été suffisant pour provoquer un léger lacet à gauche, qui a engendré une glissade du bon vieux Bell 206 sur la pente jusque-là imperceptible. La descente vers la gauche avec le rotor au ralenti et le risque de basculement au contact du menaçant banc de neige n’avaient rien de bien réjouissant en cette période des fêtes. Commence alors une rapide mais contrôlée ouverture des gaz pour redécoller avant l’impact au moment où – soulagement – la glissade s’est arrêtée. Je… euh, mon ami s’en est tiré avec des sueurs froides et une bonne histoire à raconter dans votre magazine, des années plus tard. Sur une surface glissante, il est important d’ouvrir (et de fermer) les gaz de façon progressive et contrôlée en étant prêt à contrer le Les changements soudains du temps, la neige et la glace, la nuit qui tombe rapidement et le froid intense peuvent vite gâcher le plaisir et grandement refroidir les ardeurs du pilote insouciant. lacet avec les pédales. Quelques mauvaises habitudes dont il faut absolument se débarrasser : mettre un pied pour bloquer les deux pédales lorsque l’appareil est au sol et laisser le régulateur (gouverneur) d’un Robinson monter rapidement les gaz au-delà de 80 % du régime du moteur, ce qui peut facilement entraîner une rotation d’un quart de tour à droite, car au moment de la soudaine augmentation de couple, le rotor de queue tourne encore trop lentement pour produire la poussée de compensation nécessaire, même si les pédales sont au neutre. Pour éviter des complications, gardez les deux pieds sur les pédales, soyez prêt à réagir au lacet impromptu et contrôlez l’accélération du moteur par le régulateur en retenant la poignée des gaz de manière à garder la pression d’admission sous 15 pouces, de préférence. La stabilité de l’air, sa grande portance et la beauté des paysages rendent le vol hivernal très agréable mais, en contrepartie, les changements soudains du temps, la neige et la glace, la nuit qui tombe rapidement et le froid intense peuvent vite gâcher le plaisir et grandement refroidir les ardeurs du pilote insouciant. Piloté de façon sérieuse et organisée, par un aviateur bien préparé, l’hélicoptère est une machine fantastique pour voler en hiver. La preuve : mis à part le traîneau tiré par les rennes, connaissez-vous beaucoup d’autres véhicules dans lesquels le père Noël accepte d’embarquer ? AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 37 REPORTAGE L’aviation sous pression : 38 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 le stress au quotidien Un texte de Jackie ALARIE Une illustration d'Amélie CÔTÉ Les pilotes, les contrôleurs aériens, les répartiteurs et les chefs d’entreprise, pour n’en nommer que quelques-uns, exercent une profession ou la pression est omniprésente. Presser le citron… La vie au XXIe siècle tel que nous le connaissons impose de nombreuses exigences aux humains. Pression du temps, performance professionnelle, conciliation travail-famille, aisance financière, conscience environnementale, sans parler des multiples diktats sociétaux qui balisent le fonctionnement social de la famille, du couple et de l’individu. L’homme qui y évolue est soumis à toute une panoplie de contraintes et subit de fortes pressions. Parfois, ces pressions s’insinuent même dans des sphères en apparence anodines de l’existence. En effet, il nous faut, entre autres, bien nous alimenter, lire correctement les étiquettes nutritionnelles, choisir avec soin les loisirs auxquels nous nous adonnons, lire les bons livres afin de croître harmonieusement. Bref, aucun des aspects de notre existence n’échappe à la pression. Évidemment, à ces sources de pression quotidiennes se greffe celle que nous ressentons lors de l’exercice de nos activités professionnelles, et certains métiers exigent un plus lourd tribut que d’autres en la matière. Les pilotes, les contrôleurs aériens, les répartiteurs et les chefs d’entreprise, pour n’en nommer que quelques-uns, exercent une profession ou la pression est omniprésente. Différents aspects inhérents à ces métiers pèsent lourd sur les épaules de ceux qui les exercent. Prise de décision, responsabilité, temps, rendement et efficacité sont autant d’éléments qui influencent les individus. Il ne faut pas non plus omettre dans l’équation la pression que nous exerçons sur nous-mêmes, celle qui émane de notre discours intérieur. Insidieusement, elle est souvent la pire source de pression, la plus moralisatrice. Celle, en somme, qui nous est la plus difficile à ignorer. Quelle qu’en soit la source, les différentes pressions ressenties par l’humain sont susceptibles d’engendrer ou de nourrir le stress. Mais qu’est-ce que le stress ? Souvent galvaudé, ce concept est abondamment — et parfois à tort — utilisé pour expliquer de multiples affections, attitudes et comportements. On laisse également fréquemment entendre que pour vivre sainement et aspirer au bonheur, il faut impérativement éliminer toute source de stress. Le stress est avant tout une réaction quotidienne du corps par rapport aux demandes qui nous sont faites et à la perception que nous avons de notre capacité à satisfaire ces demandes, qui peuvent émaner d’autrui, de nous-mêmes ou encore de l’environnement. Qu’il s’agisse de se plier à une demande de l’ATC, de réussir une formation ou de combler notre faim, le stress est la réaction de notre corps à la réalisation de ces tâches, en fonction de la conviction que nous avons d’être capables de le faire. Ainsi, plus vous vous sentez en mesure de réussir à satisfaire la demande, quelle qu’elle soit, moins vous ressentez de stress devant l’accomplissement de la tâche. À l’inverse, moins vous vous sentez préparé et outillé pour réussir ce qui est demandé, plus vous serez aux prises avec un degré de stress important. Par exemple, si vous devez vous rendre à un rendez-vous important et constatez que vous ne serez peut-être pas en mesure de vous y présenter à l’heure prévue, il est probable que vous commenciez à ressentir davantage de stress que si vous savez pouvoir y être à l’heure. Il est aisé de comprendre que le stress est inéluctable, mais est-il nécessaire pour autant ? Stress 1, performance 0 ? Le stress se décline en une infinie variété de nuances et d’intensités, et les effets qui y sont associés sont également d’une grande diversité. Toutefois, une limite claire scinde le stress en deux catégories. Le bon stress, aussi appelé l’eustress selon certaines littératures, nous permet d’être au maximum de nos capacités, de donner le meilleur de nous-mêmes tout en nous procurant un sentiment d’efficacité et de plaisir. Le mauvais stress, aussi appelé détresse, a l’effet totalement inverse : il mine nos capacités tout en nous rendant de mauvaise humeur et parfois agressifs. Il s’accompagne d’un sentiment de malaise et d’impuissance. Cette limite entre les deux catégories de stress est très ténue et varie pour chacun d’entre nous. Elle est également susceptible de se déplacer, pour un même individu, au gré de l’existence, des expériences vécues, de l’état mental et physique, au fil des jours et même des heures. Les éléments qui influent sur le déplacement de cette limite, des caractéristiques personnelles aux événements qui jalonnent notre vie en passant par la température, sont forts nombreux et imprévisibles. De plus, les deux extrémités de ces catégories de stress sont aussi nuisibles l’une que l’autre au rendement et à la santé mentale comme physique. Ainsi, une insuffisance de stress engendre l’ennui, le désengagement et le désintérêt, alors qu’un excédent de stress est propice au développement de désordres tant physiques que psychologiques. La notion de fréquence est également importante, dans l’analyse du stress. De petits stress épisodiques vécus sporadiquement ont en effet, individuellement, peu d’effet sur la santé. Ce « stress aigu » constitue la forme la plus fréquente de stress. Dans le cas d’un stress à forte dose expérimenté de façon continue sur une longue période, on parle de « stress chronique », qui constitue une source de danger certain pour la santé. Par exemple, des ennuis financiers qui s’étalent sur plusieurs mois tout en donnant lieu à de multiples situations pénibles et à de l’angoisse sont hautement porteurs de stress néfaste. Le corps qui ressent le stress comme une menace se met alors à sécréter du cortisol. À court terme, cette sécrétion prépare le corps à l’action, ce qui est le but du stress. Toutefois, si le corps demeure pendant une trop longue période dans un état combatif, il est susceptible de s’épuiser, ce qui nuit à l’organisme et entraîne l’apparition d’une gamme variée de malaises et de maladies. Cette situation peut, dans certains cas, conduire au développement de problèmes cardiaques et de cancers. Évidemment, la limite à partir de laquelle une maladie se développe sous l’effet du stress est difficile à déterminer avec exactitude. Mais il est toutefois très clair que le stress chronique et le stress aigu, vécus fréquemment et abondamment, ont un effet important dans le processus de l’établissement des maladies. Sans compter également que le stress joue un rôle dans la régulation de notre humeur et influe sur nos compétences relationnelles. En effet, lorsque nous ressentons les effets négatifs du stress, il nous est plus difficile de tolérer la compagnie de nos pairs, et ces derniers sont parfois les premiers à constater les ravages du stress sur notre comportement. De plus, il arrive que les petits tracas, autrefois anodins, prennent AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 39 une ampleur démesurée et augmentent ainsi notre angoisse ; la spirale du stress est alors enclenchée. Il est très clair que le stress chronique et le stress aigu, vécus fréquemment et abondamment, ont un effet important dans le processus de l’établissement des maladies. Ma dose de stress La résistance au stress — la dose de stress qu’un individu peut encaisser sans qu’elle affecte négativement son rendement et sa santé — est aussi tributaire d’une foule de facteurs. Il arrive que des personnes semblent être imperméables aux effets négatifs du stress, être dotées de la capacité d’évoluer sereinement et efficacement tout en baignant dans un environnement à haute teneur en stress, et même avoir besoin de ce stress pour fonctionner. À l’opposé, certaines personnes sont incapables de se comporter ou d’agir adéquatement si elles ressentent la moindre dose de stress. Encore une fois, entre ces deux extrêmes, la résistance au stress revêt une multitude de formes. L’un des facteurs qui la déterminent semble selon plusieurs recherches être lié à certains traits de personnalité, particulièrement deux. D’abord, les individus démontrant une personnalité de type A, qui regroupe des personnes pour lesquelles le temps et la quantité de travail accomplie sont primordiaux, seraient susceptibles de ressentir davantage les effets du stress. Certaines études avancent même qu’un grand nombre des personnes qui ont été victimes d’un ACV appartiennent à ce groupe. Les personnes du second groupe, soit celles dont la 40 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 personnalité est de type B, seraient davantage préoccupées par la qualité de vie. Elles semblent pour leur part moins enclines à souffrir des effets du stress et à simplement le ressentir, même s’il est présent à forte dose. Si les effets positifs du stress nous permettent d’être plus performants, d’atteindre nos objectifs et également de soutenir notre intérêt et notre motivation, les effets négatifs sont quant à eux fort nombreux et s’expriment de multiples façons. Les plus connus sont l’insomnie et la perte d’appétit. On peut toutefois aussi souffrir d’hypersomnie, d’un excès d’appétit, de pertes de mémoire, d’agressivité, de maux de tête, de maux d’estomac, de troubles digestifs, de douleurs musculaires et d’affections de la peau comme de l’eczéma ou de l’urticaire. En bref, les effets négatifs du stress sont susceptibles de se faire sentir sur l’ensemble des fonctions du corps. On peut également avoir tendance à procrastiner, se ronger les ongles, s’adonner au tabagisme ou sublimer le stress par une activité intensive, de nature sportive par exemple. Il existe aussi un risque d’être en proie à l’alcoolisme ou à différentes compulsions susceptibles de nous donner l’illusion qu’elles abaissent le stress, ou encore souffrir de dépression. En somme, il nous faut être vigilants quant aux doses de stress auxquelles nous nous exposons. Il est aussi fort souhaitable de nous connaître nous-mêmes ainsi que nos réactions devant les situations potentiellement stressantes, afin d’être en mesure de nous prémunir des effets qui y sont peutêtre associés. L’aménagement de notre emploi du temps nous permet également de ménager des plages horaires où il est possible de fuir le stress. Il n’en demeure pas moins qu’il est utile de conserver une dose de stress profitable au rendement, tout en gardant l’œil sur la zone limite au-delà de laquelle tout se précipite. Soirée réseautage 2012 C’est au Temple de la renommée du hockey que les acteurs de l’industrie du transport aérien se sont réunis cette année pour participer à la soirée de réseautage annuelle de l’AQTA. Cet événement est une occasion unique d’étendre sa toile et de tisser des liens. Pas étonnant que le plus grand événement que tient l’association dans la région de Montréal soit aussi populaire. Si vous avez manqué l’édition 2012, ne vous inquiétez pas, nous serons au rendez-vous l’an prochain, et d’ici là, on se revoit au Congrès ! REPORTAGE Le choc culturel sans sortir son passeport 42 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Un texte de Judith LUSSIER Avec ses 6 699 habitants, Iqaluit est certainement la plus petite capitale de tous les territoires et provinces du pays sur le plan démographique. Mais avec sa moyenne de près de 18 vols par habitant et par année, elle détient toutefois le record du plus haut ratio passagers/habitants. Lorsqu’on la voit des airs, on comprend vite pourquoi. Comme c’est le cas pour toutes les agglomérations situées au nord du 55e parallèle, aucune route ne s’y rend, ce qui fait du transport aérien l’une des seules voies de communication possibles avec le reste du pays. C’est la même chose à Kuujjuaq, à Puvirnituq ou, encore plus au nord, à Pangnirtung, sur la Terre de Baffin, où la géographe Gabrielle Caron a décidé de fixer ses pénates pour au moins un an, et plus si affinités. « Ici, tout le monde a déjà pris l’avion dans sa vie, explique-t-elle. Pour aller passer un test médical ou pour accoucher, il faut prendre l’avion. Les jeunes doivent prendre l’avion pour aller à l’école après le secondaire. Pour sortir de la communauté, ça prend un avion. Sinon, c’est le bateau, et encore là, c’est six jours. Les Inuits prennent donc l’avion plusieurs fois par année. » AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 43 Crédit photo : Michel Thibert Dans le nord du Québec et du Canada, l’aviation, souvent le seul moyen de transport pour relier les villages entre eux, joue un rôle primordial. Le pilote y arrive parfois en héros, parfois en intrus, toujours un peu sous le choc. En fait, les différences entre le Nord et le Sud sont telles que pour plusieurs, dépasser le 55e parallèle est aussi dépaysant que le serait une visite dans la savane africaine, même si on ne franchit aucune frontière nationale. Gabrielle Caron a ainsi atterri dans le Nord dans le cadre d’un programme universitaire. « Je m’intéressais à la culture du Nord, et je suis tombée en amour avec l’endroit, comme la plupart des gens qui viennent dans le Nord », explique-t-elle. Aujourd’hui, quand elle dit « aller dans le Sud », c’est de Montréal que Gabrielle parle. Mariève Paradis a quant à elle découvert le Nord lors d’un reportage qui visait à comparer « notre » Nord à celui des Danois, le Groenland. Elle s’est donc rendue à Kuujjuaq à bord d’un appareil First Air et a goûté au fameux café spécial, qui fait apparemment la réputation du transporteur. Durant son court séjour, elle a pu se familiariser avec la culture et le territoire nordiques. Son premier choc : l’odeur. « Ça sent tellement bon, le Nord ! J’ai l’impression d’avoir pris la plus grande bouffée d’air de ma vie en débarquant de l’avion », dit-elle. Une tournée du grand nord québécois permet de parcourir 2560 miles nautiques, soit environ 12% de la circonférence de la terre à l’équateur. Pilote pour Kudlik Aviation, Michel Thibert fait régulièrement des allers-retours du nord au sud, que ce soit au Nunavik, la région la plus nordique du Québec, ou au Nunavut, le territoire canadien le 44 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 plus à l’est. Passionné de photo, il profite de ces escales d’une ou deux journées pour immortaliser les paysages à couper le souffle et les habitants du Nord qu’il croise sur sa route. « J’ai une curiosité naturelle. Je vais jaser avec les responsables de parcs, je vais photographier les gens, quand je vois un autochtone travailler une peau de phoque, je vais aller lui parler. Le Nord est une planète où l’intégration sociale est difficile, mais les rencontres sont possibles, si on s’en donne la peine », résume-t-il. Le Nord-du-Québec est la région la moins peuplée du Québec. En 2008, on y dénombrait 41 129 personnes, soit 0,5 % de la population québécoise, alors qu’elle occupe 55 % de la superficie de la province. Choc culturel Trois visiteurs nordiques, trois perceptions du Nord, trois chocs culturels différents. En fait, les différences entre le Nord et le Sud sont telles que pour plusieurs, dépasser le 55e parallèle est aussi dépaysant que le serait une visite dans la savane africaine, même si on ne franchit aucune frontière nationale. Pour Gabrielle Caron, qui côtoie les diverses communautés autochtones depuis plusieurs années, le choc est moins grand, et pour Michel Thibert, qui visite plusieurs communautés différentes chaque année, il s’atténue. Crédit photo : Michel Thibert Même si certaines subventions leur permettent de réduire le coût de la vie, les ménages du Nunavik déboursent jusqu’à 92 % de plus qu’à Québec pour le même panier d’épicerie. Vous trouverez par exemple sur les tablettes un sac de farine à 10 $, une petite boîte de céréales à 8 $, un détergent à lessive à 18 $, une cannette de bière à 10 $ et une bouteille de 26 oz de vodka à 250 $ ! Mais tous s’entendent sur un constat : le rythme, au nord du 55e parallèle, n’est pas le même. « Dans le Nord, il n’y a jamais d’urgence, il n’y a pas cette vitesse un peu folle de la société occidentale du Sud, explique Gabrielle Caron. Ça n’empêche pas que les gens font énormément de choses et travaillent 35 heures par semaine comme tout le monde, mais ils prennent plus de temps pour se visiter, faire de l’artisanat, etc. » taurant, explique Mariève Paradis. Pour manger local, il faut se faire inviter dans une famille », dit-elle. « Je ne suis pas sûr que vous voudrez y goûter, nuance toutefois Michel Thibert. Ça dépend de votre ouverture d’esprit. On n’a pas tout à fait les mêmes critères de salubrité », explique-t-il, gardant en mémoire l’image d’un phoque éventré au milieu d’une habitation autochtone. La longueur des journées y est peut-être pour beaucoup. Durant l’hiver, la nuit est éternelle, durant l’été, elle ne dure que quelques heures, et il n’est alors pas rare de voir des enfants jouer à l’extérieur à trois heures du matin. « La notion de jour et de nuit n’est pas la même », explique Gabrielle Caron. Une bouteille de 2 l de boisson gazeuse coûte jusqu’à 10 $, un sandwich club au restaurant du village, 25 $, et une simple tomate, jusqu’à 6 $. Pour le visiteur temporaire, il est toutefois difficile de goûter à cette tradition. « La cuisine locale n’est pas mise en valeur au res- Des images-chocs, le photographe amateur en conserve plusieurs en tête et sur pellicule. Dans son portfolio en ligne (http:// www.thibertportfolio.com/), on peut voir de jolis portraits de pêcheurs à l’œuvre, des inukshuks — ces empilements de pierres typiques du Nord —, mais aussi des scènes plus dérangeantes, comme celle d’un autobus abandonné ou celles de cimetières. « Là-bas, les morts sont enterrés à même le pergélisol. Il arrive parfois des dépassements de membres. Il y a des photos que je n’ai pas publiées parce qu’elles sont trop dérangeantes, dit-il. Le prix des choses n’est pas le même non plus. Les marchandises arrivant en quantité limitée par bateau, une bouteille de 2 l de boisson gazeuse coûte jusqu’à 10 $, un sandwich club au restaurant du village, 25 $, et une simple tomate, jusqu’à 6 $. Tout ça explique l’intérêt des Inuits à s’alimenter à partir des ressources du territoire. Sur la Terre de Baffin, le gouvernement a décrété que la saison de la chasse à la baleine était une période de congé. Tous s’arrêtent alors pour assurer leur subsistance. 46 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Les dépotoirs un peu partout, les cadavres de chiens, tout ça provoque chez moi une fascination qui pourrait provoquer chez d’autres du dégoût. » Les photos de paysages majestueux font plus l’unanimité. « On s’imagine que le Nord, c’est plat et juste de la glace, mais on est dans les montagnes, ici », explique Gabrielle Caron. Et même si elles constituent un défi pour le pilote, les montagnes font du Nunavut un territoire encore plus grandiose, aux yeux de Michel Thibert. Il y a 18 villages secs dans le Nord-du-Québec, c’est-à-dire où la consommation d’alcool est contrôlée par les autorités. De température et de tempérament Sans grande surprise, la température constitue à elle seule un choc. L’hiver, elle peut descendre sous la barre des -40 °C ce qui, apparemment, n’est pas sans conséquence sur le tempérament accueillant des habitants du Nord. « À cette température-là, on ne laisse personne attendre dehors ! explique Michel Thibert. Il y a plus d’attention portée aux gens. On sait que si on laisse quelqu’un dehors à -45 °C, c’est grave. Dans le Nord, on a plus d’obligations les uns envers les autres. » Curieusement, par contre, le téléphone est peu utilisé. « Ici, il est plus facile d’aller chez quelqu’un que de l’appeler, explique Gabrielle Caron. Les voisins sont proches les uns des autres, et les gens se visitent énormément. Ils ne cognent pas pour entrer chez quelqu’un. » L’expérience de Michel Thibert l’amène toutefois à nuancer les différences d’accueil entre le Nunavik et le Nunavut. « Au Nunavut, les gens vont vous dire bonjour et se présenter à vous. Ils sont fiers, dit-il. Il faut dire qu’ils sont arrivés à mieux préserver les valeurs traditionnelles. Il y a eu moins de pensionnats, ils ont été moins colonisés, et il y a donc moins de méfiance. » Avec son appareil photo, Michel Thibert tâte le pouls des communautés qu’il visite. « Dans le Nord, il y a certains villages qu’on peut photographier facilement et d’autres où il est évident qu’on ne photographie pas. C’est comme aller prendre des photos à Harlem à minuit, illustre-t-il. On le sent très vite. » La journaliste Mariève Paradis a été confrontée à cette méfiance des habitants du Nunavik. « Il faut comprendre qu’en 50 ans, ils ont eu de mauvaises expériences avec les Blancs. On leur a pris beaucoup, mais on leur a rendu très peu. Ils sont donc devenus très méfiants. Ils se demandent ce qu’on va leur prendre encore. Je les comprends », dit-elle. Dans le Nord-du-Québec, l’espérance de vie est d’environ 6 ans de moins que dans l’ensemble de la province. L’ouverture d’esprit, indispensable dans le Nord Gabrielle Caron est quant à elle arrivée avec un esprit préparé : « J’étais déjà habituée aux communautés autochtones, j’avais mis mes préjugés de côté et j’étais capable de voir la vie différemment, se souvient-elle. Je n’ai jamais ressenti d’hostilité, j’ai plutôt trouvé les gens souriants. Ça dépend évidemment de l’attitude avec laquelle on arrive. Si on débarque avec nos idées de Blanc en pensant détenir la vérité, ça ne marchera pas », dit-elle. Selon Mariève Paradis, l’une des meilleures façons de faire preuve de bonne volonté, c’est de s’efforcer d’apprendre quelques AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 47 mots d’inuktitut. « Par respect, on devrait au moins savoir dire “nakurmiik”, qui veut dire “merci”. D’apprendre des mots de base, ça les rend contents, surtout qu’eux font parfois l’effort de parler quelques mots de français », explique-t-elle. Un panier d’épicerie payé 229 $ à Montréal coûte 341 $ à Kuujjuaq, 371 $ à Kuujjuarapik et 391 $ à Kangiqsualujjuaq. Pour Michel Thibert, la moindre des choses, c’est de rapporter des photos des gens qu’il photographie lorsqu’il revient. « Si je remets des photos à des gens, ils vont m’inviter chez eux à prendre un café, dit-il. Les échanges demeurent difficiles, parce qu’on fait une vingtaine d’aéroports, on bouge donc régulièrement de place. Quand on revient souvent dans les mêmes villages, on a plus de chances que les gens se souviennent de nous. En même temps, quand on débarque à New York, il y a beaucoup de monde, mais ça ne veut pas dire non plus qu’on va leur parler et créer des liens avec eux. On a beaucoup plus de chance qu’un Inuit se souvienne de nous qu’un New-Yorkais. » Mais pour une fille comme Gabrielle Caron, qui a décidé de s’installer dans le Nord, l’idée, c’était justement de se lier d’amitié avec la population locale. « Mes amis sont à 90 % Inuits, à 10 % Blancs. En général, les Blancs se tiennent beaucoup ensemble, surtout s’ils viennent pour un contrat temporaire, c’est plus facile pour eux de s’intégrer aux Blancs, surtout si on ne connaît pas la communauté autochtone », dit-elle. Un bon moyen d’apprendre à la connaître, selon elle, est de s’informer. Pour goûter à la lenteur du Nord et se familiariser avec cette culture, les curieux peuvent visionner gratuitement le film Atanarjuat, gagnant de la Caméra d’or du Festival de Cannes, et produit par une maison de production 100 % inuit, Isuma. http://www.isuma.tv/atanarjuat 48 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Crédit photo : Michel Thibert « Les autochtones sont habitués à ce que les Blancs débarquent pour travailler pendant deux ou trois mois, ajoute Mariève. Ils ne voient pas toujours l’intérêt de se lier d’amitié avec ces gens-là qui vont repartir, de toute façon. » Lorsqu’il pleut, il faut unbon parapluie. .CA Pascan Aviation et la Ligue des cadets de l’air du Canada : partenaires pour l’industrie Un texte de Madeleine LECOURS Avec 315 employés, dont 85 pilotes, Pascan aviation est un fleuron de l'industrie du transport aérien au Québec. 13 ans après sa fondation, cette entreprise est au coeur du développement de l'aviation d'ici. Consciente de l'importance de la relève, Pascan aviation est impliquée dans la mise en place de différents moyens permettant de transmettre la passion qui habite les travailleurs de l'industrie. Parmi les moyens ciblés figure la Journée de l’aviation. Mis sur pied en 2009 afin de commémorer le centenaire de l’aviation au Canada, l’événement en est maintenant à sa quatrième édition et attire chaque année près d’un millier de jeunes cadets de l’air. Il vise à éveiller et à développer leur intérêt pour l’aviation et l’aérospatiale en réunissant sous un même toit divers exposants qui proviennent de l’industrie et des écoles techniques. Les jeunes y sont invités à en apprendre davantage sur les divers métiers que l’industrie a à offrir et sur les études qui peuvent être entreprises pour intégrer ce secteur. L’apport de Pascan Aviation lors de cette journée est énorme, puisque la compagnie met gracieusement à la disposition de l’organisation des avions et des pilotes, permettant ainsi à près de 600 cadets et cadettes de voler. Un événement qui restera gravé dans la mémoire de plusieurs et qui sert d’étincelle pour allumer la passion de ces jeunes pour les métiers de l’aviation. Le programme des cadets de l’air offre la possibilité à des jeunes qui n’en auraient possiblement pas eu les moyens d’obtenir une licence de pilotage. La Ligue des cadets de l’air du Canada — Québec et Vallée de l’Outaouais tient à remercier Pascan Aviation pour son apport à la Journée de l’aviation, car non seulement ce geste de générosité permet à l’événement d’être un succès, mais il contribue aussi à faire du rêve de bien des jeunes cadets et cadettes une réalité. 50 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 CHRONIQUE Les snowbirds 52 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Un texte de Judith LUSSIER Une illustration d'Amélie CÔTÉ « Demain l’hiver, je m’en fous, je m’en vais dans le Sud, au soleil » – Robert Charlebois Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour. Que ma mère, celle qui m’a enseigné le ski, le patin, comment essuyer mon nez avec mes mitaines et les autres plaisirs de l’hiver, déciderait, à 65 ans, de faire comme tout bon Québécois qui en a plein son casque de cette saison : filer en Floride trois mois par année. Mais c’est arrivé. Ma mère a de plus en plus de points communs avec Rémi Girard et sa moustache, dans le film La Florida. Ma déception ne provient pas du fait de devoir me passer de ma maman durant les mois les plus froids de l’année, mais plutôt d’avoir à dorénavant la considérer comme faisant partie des snowbirds, ces personnes qui passent une partie de l’hiver dans les pays chauds. Ces lâches qui profitent de notre charme et de nos festivals durant l’été et qui nous abandonnent une fois la sloche, le grésil et la souffleuse venus. Ces déserteurs qui renient une bonne partie de ce qui forge notre identité : notre capacité à nous stationner entre deux bancs de neige et notre connaissance du risque encouru à mettre sa langue sur un poteau à -28 °C. Ces gens-là, c’est quand passe la gratte que nous réalisons que leur solidarité dépend largement des facteurs météorologiques. En dollars courants, le billet d’avion était encore beaucoup plus cher, à l’époque. Heureusement, le directeur du Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, Daniel Chartier, a changé mon opinion de ma mère. Et du personnage incarné par Rémi Girard dans La Florida. Daniel Chartier est un spécialiste de l’hiver, du Nord et du froid. Il décrit avec passion les différents sons que font nos pas sur la neige selon qu’il fait -10 °C ou -40 °C, voyage régulièrement en Scandinavie et porte des chemises à carreaux. Je m’attendais à ce qu’il partage mon opinion sur ces transfuges saisonniers, qu’il éprouve au moins un certain dédain pour les chemises fleuries. Niet. « On perçoit souvent le phénomène des snowbirds comme un refus du froid ou de l’hiver, mais moi, au contraire, je le vois plutôt comme une belle marque d’adaptation à l’hiver. Ces gens qui partent pour le Sud durant l’hiver reconnaissent qu’ils ont besoin d’une luminosité un peu plus normale à un moment donné, explique l’expert. Ce n’est pas un phénomène exclusif au Québec. C’est typique des pays froids, ajoute-t-il. Avec l’amélioration de leur niveau de vie, les Russes sont aussi de plus en plus présents dans les pays chauds. C’est normal de vouloir un peu de chaleur durant l’hiver. » Le Sud au rabais Si le Sud n’était encore accessible qu’à une poignée de riches Québécois, j’aurais taxé cette observation d’élitiste et réclamé qu’un voyage par année dans le Sud soit octroyé à chaque bénéficiaire de la RAMQ. Enfin, notre carte soleil porterait bien son nom. Mais non, le Sud est maintenant à la portée de tous. Qu’il s’agisse du sud somptueux des îles Turques et Caïques ou de celui, plus accessible, des parcs de véhicules récréatifs de Fort Lauderdale, le voyage dans le Sud s’est démocratisé. « Les snowbirds étaient traditionnellement des riches, mais avec le temps, ça a touché plusieurs couches de la société, explique Daniel Chartier. Dans les années 1970, il y avait cette campagne d’Air Canada avec Dominique Michel qui s’adressait à la classe moyenne, qui commençait à pouvoir se payer ça une fois de temps en temps. En dollars courants, le billet d’avion était encore beaucoup plus cher, à l’époque », rappelle-t-il. Dans ces années-là, l’accessibilité à la voiture et au transport aérien a ainsi donné lieu au tourisme de masse, au voyage à forfait et au désormais célèbre « tout inclus », une formule qui permet à une personne peu fortunée de profiter d’une vie de prince, ou presque, durant une semaine, pour quelques centaines de dollars. Cette panacée, les Québécois ont bien su la saisir, ce qui leur a valu, dans les stations balnéaires du Mexique, le sympathique sobriquet de Tabarnacos. Le cliché du Québécois buveur de bière et à la chemise fleurie est toujours bien tenace. « Souvent, on dépeint les snowbirds comme étant quétaines, et je trouve ça tellement réducteur, dit Daniel Chartier. Parmi les gens qui partent vers le Sud, il y a différents types de personnes. C’est sûr qu’il y a en Floride la possibilité d’un tourisme plus pauvre, mais les Québécois sont loin d’être les plus dérangeants sur les plages. » Le Sud québécois Les Québécois ne sont pas tous des Elvis Gratton, on le sait, mais ce n’est pas par hasard si la Floride, le Sud à deux jours de voiture, est vite devenue la destination de choix de nos snowbirds. Dans les années 1980, entre 500 000 et 700 000 visiteurs du Québec allaient en Floride chaque année, si bien qu’à une certaine époque, Hollywood PQ n’était pas le nom d’un site Internet à potins, mais bien le surnom qu’on donnait à Hollywood, FL, ville côtière particulièrement prisée des Québécois. « Il y a eu un effet de diaspora, c’est certain, explique Daniel Chartier. Quand on s’installe de manière permanente, on va rejoindre ceux qui nous ressemblent, dit-il. Notamment parce que les services sont en français. » Installé en Floride depuis 1959, M. Louis S. Saint-Laurent, président et coéditeur du Soleil de la Floride, journal qui s’adresse à cette diaspora « floribéquoise », offre ainsi des services en français à la population du Québec, qu’il a vue augmenter à Fort Lauderdale depuis les 50 dernières années. « Tout le Québec est à Fort Lauderdale ! s’exclame-t-il. Il y a plus de Québécois dans les parcs de maisons mobiles, pour ceux qui sont moins à l’aise, mais aussi dans les condos de luxe. Ça n’a pas beaucoup changé, les snowbirds, c’est plutôt le nombre qui a augmenté ! » dit-il d’un ton serein. Cette obsession pour la Floride est d’ailleurs encore en hausse. En 2011, 3 278 000 Canadiens ont visité la Floride, selon l’office de tourisme de l’État, dont une majorité de Québécois. De plus en plus d’entre eux ne font pas que la visiter, ils y investissent. AIR, vol. 28, no 4, hiver 2013 53 En 2011, 3 278 000 Canadiens ont visité la Floride, selon l’office de tourisme de l’État, dont une majorité de Québécois. Depuis la crise des prêts hypothécaires à risque, certains condos se sont vendus à perte par des Américains en faillite. « Un condo de deux chambres qui se vendait 125 000 $ avant la crise peut être ramassé pour 50 000 $. Un Québécois peut acheter aujourd’hui au prix de 1997 », explique M. Saint-Laurent. Louis S. Saint-Laurent n’est pas que le copropriétaire d’une publication francophone qui connaît un grand succès en Floride. Il est aussi le petit-fils de Louis Saint-Laurent, ancien premier ministre du Canada. Après que son grand-père eut consacré près de quinze ans de sa vie à son pays, Louis Saint-Laurent, le petit-fils, a quant à lui choisi d’aller coloniser le Sud à sa façon. « En 1959, j’ai décidé d’aller là où il faisait plus chaud. J’étais sorti pour aller acheter quelque chose alors qu’il faisait -30 °C, et mes deux oreilles ont gelé ! C’en était trop ! » raconte-t-il. 54 AIR, vol. 28, n o 4, hiver 2013 Depuis 1959, le descendant du successeur de Mackenzie King pratique ainsi le droit, l’immobilier, et un peu la politique (il a participé à la fondation du parti républicain de la côte Est, à l’époque où ceux-ci s’opposaient au racisme des démocrates), dans un État où la température ne descend jamais sous le point de congélation. « C’est drôle de constater que les Québécois occupent un peu le territoire du nord au sud, de Kuujjuaq à la Floride », observe Daniel Chartier. Après avoir échoué à coloniser la Floride en 1564, les « Français » envahissent aujourd’hui les plages de Hallandale, de Miami et de Fort Lauderdale, coulant des jours heureux sous le soleil. On peut presque parler d’une douce revanche.