L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER

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L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
n° 92
L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
LA FOLIE DES TAUX NÉGATIFS,
BILAN ÉCONOMIQUE
L’IMMOBILIER DE PLACEMENT ET LES ASSUREURS
L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER
Multipliez
les points de vue
pour voir la situation
sous le meilleur angle
CONSEIL - EXPERTISE - COMMERCIALISATION
Au contact de nos clients - investisseurs, propriétaires privés et institutionnels, promoteurs et utilisateurs -, nous avons
appris à envisager les questions qui nous sont posées sous tous les angles. Et nous avons forgé cette conviction que nos
métiers impliquent une approche sur-mesure et exigent la plus grande proximité. C’est pourquoi nos 280 collaborateurs
ont l'ambition de conduire leurs missions de conseil, d'expertise et de commercialisation, avec le souci de confronter les
points de vue pour réussir au plus près des objectifs de chacun.
creditfoncierimmobilier.fr
01 57 44 58 00
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ÉDITORIAL
I
l est temps d’admettre que nous ne
sommes encore qu’aux prémices de
la révolution numérique, et que l’accès
de tous à une information et à une
communication planétaires n’en était
que le début.
Cette deuxième phase s’accompagne d’une transformation de nos habitudes : l’accélération des échanges rend la
mobilité nécessaire, force les entreprises à devenir agiles,
repense l’offre commerciale, bouscule les habitudes prises
depuis toujours dans nos façons de travailler, nos loisirs et
notre comportement de consommateurs.
Cette première étape a causé bien des bouleversements :
les médias traditionnels ont perdu leur monopole historique sur la diffusion de l’information, politique, économique ou technique. Le modèle économique de la presse
papier s’est disloqué, en même temps que s’évanouissait
l’influence du « quatrième pouvoir » dans le public. Puis ce
sont les médias radio-télévisés et le cinéma qui ont vu leur
audience et leur fréquentation s’effriter au fur et à mesure
de la mise en ligne de contenus gratuits ou payants sur la
grande Toile.
La révolution de l’internet entame ainsi une nouvelle phase.
L’ « ubérisation » déconstruit la relation millénaire producteur/intermédiaire/client, et renverse les fondamentaux du
marketing. Quand le consommateur devient lui-même producteur ou fournisseur de services partagés, l’intermédiation
est menacée par des start-up de l’économie numérique qui,
au moyen d’applications mobiles et de technologies innovantes, réussissent parfois à prendre la place des anciens
intermédiaires.
La communication commerciale des entreprises a vite compris que la promotion devait se doubler d’un travail de fond
sur l’opinion et la notoriété, via des réseaux sociaux sur
lesquels elles ne peuvent exercer qu’un travail d’influence,
sans pouvoir maîtriser les échanges des internautes. Même
constat au plan de la vie politique et citoyenne : les nouveaux canaux de communication ont facilité l’émergence
d’innombrables débats, de plus en plus distanciés des discours officiels.
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est ce même flux d’information instantanée et affranchie des frontières qui a permis
en quelques années le développement fulgurant des ventes
à distance, autrefois limitées par les lourdeurs de la voie
postale. L’e-commerce poursuit sa percée dans toutes les
branches du retail, avec un impact certain sur l’occupation
du parc de locaux commerciaux. Offrant l’instantanéité et
une infinie liberté de choix, il a déjà habitué le consommateur à comparer, à réfléchir, à choisir la meilleure offre, et à
préférer le commerce dématérialisé.
L’évolution accélérée de nos modes de vie renverse nos
repères : les pessimistes entrevoient un futur où nous n’aurions plus besoin de magasins pour acheter, plus de bureaux
pour travailler, plus d’hôtels pour accueillir les touristes, plus
de taxis pour les véhiculer, et, au final, plus de vrais professionnels dans une offre de services totalement dérégulée.
Au-delà des fantasmes, dans l’industrie immobilière comme
dans toutes les autres, la vérité est que ces évolutions sociétales sont une vraie chance pour tous ceux qui sauront les
voir et les anticiper. Aux professionnels que nous sommes
d’accompagner le changement, et d’inventer pour nos
clients les produits et les services qu’ils ne connaissent pas
aujourd’hui, mais qu’ils exigeront demain.
Je vous souhaite une très bonne lecture de votre revue.
Emmanuel Ducasse
Directeur des Études, Crédit Foncier Immobilier
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SOMMAIRE
ÉCONOMIE
L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER
REVUE DU CRÉDIT FONCIER
Crédit Foncier Immobilier
19, rue des Capucines – Paris 1er
Adresse postale : 4, quai de Bercy
94224 Charenton Cedex
Téléphone : 01 57 44 80 00
Télécopie : 01 57 44 86 85
Le point de vue d’Éric Buffandeau
sur la folie des taux négatifs > P. 8
1
B
ilan économique 2015
et perspectives 2016-2017 > P. 9
Directeur de la publication :
Anne-Marguerite Gascard.
Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse.
Comité de rédaction : Nicole Chavrier, Bruno
Deletré, Emmanuel Ducasse, Nicolas Pécourt, Eric
Buffandeau, Denis Burckel, Christian de Kerangal,
Michel Mouillart, Mirella Blanchard.
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études,
Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE.
Dans son article, il analyse et anticipe les grandes tendances
de l’économie mondiale de 2015 à 2017.
Abonnements : Sylvie Buisson : 01 57 44 86 61
Mail : [email protected]
Changement d’adresse :
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en nous précisant votre nouvelle adresse.
Prix abonnement au numéro : 30 €
Prix abonnement 4 numéros : 100 €
JURIDIQUE
2
L
e bail à réhabilitation :
une option solidaire et rentable > P. 26
Crédit Foncier de France – S. A. au capital
de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris.
Maquette et réalisation :
Crédits photo : Photononstop.
Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise d’Ouvrage
d’Insertion, et Jade Couderc, Chargée des Partenariats, Solidarités
Nouvelles pour le Logement. Elles nous font part des avantages de
ce dispositif permettant aux propriétaires et aux investisseurs de se
montrer solidaires face à la crise du mal-logement.
Impression : Stipa.
Dans le souci du respect
de l’environnement, le présent
document est réalisé par
un imprimeur Imprim’Vert®,
avec des encres bio à base
d’huile végétale sur un papier
certifié PEFC™ fabriqué à
partir de fibres issues de forêts
gérées durablement.
N° de commission paritaire :
2026 AD – ISSN 0767– 6794.
Dépôt légal : juin 2016.
3
L
a vente immobilière confrontée
à la réforme du droit des contrats
et des obligations > P. 30
Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du
Crédit Foncier,
Maître Laurent Lemetti, Notaire à PARIS 7e,
et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier.
Ils examinent les conséquences de cette réforme sur
les ventes immobilières.
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SOCIOÉCONOMIE
Le logement des classes moyennes :
le déclassement > P. 42
5
6
L’ubérisation de l’immobilier > P. 64
Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po,
Dirigeant de la société de prospective Éclairs.
Il propose une synthèse des trois principales approches
qui caractérisent les liens entre classes moyennes
et logement.
Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie, Professeur
à Financia Business School, Chercheur associé au Larefi,
Université de Bordeaux.
Il analyse ce nouveau phénomène économique et la manière
dont il touche le secteur immobilier.
IMMOBILIER RÉSIDENTIEL
EUROPE
L
’immobilier de placement
dans la gestion des actifs
des organismes d’assurances > P. 54
Par Jean-Baptiste Schoutteten et Arthur Chabrol, associés
EY France.
Ils étudient les raisons pour lesquelles la part de l’immobilier
croît dans l’allocation d’actifs des assureurs.
7
Le marché immobilier résidentiel dans
l’Union européenne > P. 80
Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication et RSE,
Crédit Foncier.
Il dresse un panorama des grands indicateurs de ce marché afin
d’en identifier les caractéristiques communes.
NDLR : Les opinions exprimées dans les articles de cette revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement
l’opinion de la rédaction ou du Crédit Foncier.
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TECHNOLOGIES DIGITALES
ET IMMOBILIER
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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ÉCONOMIE
POINT DE VUE
La folie des taux négatifs
BILAN ÉCONOMIQUE 2015
ET PERSPECTIVES 2016-2017
La Banque centrale européenne
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint,
Direction des Études, Veille et Prospective,
Pôle Stratégie – BPCE.
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POINT DE VUE
ÉRIC BUFFANDEAU
Directeur adjoint, Direction des Études,
Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE.
LA FOLIE DES TAUX NÉGATIFS
L’instauration de taux nominaux négatifs en Europe continentale et au Japon, épisode sans précédent historique (hormis pour
les taux réels négatifs), ne nous renverrait-elle pas au temps du
Moyen-âge ou de l’utopie marxiste ? La barrière du taux zéro,
propriété fondamentale de la monnaie, y est même transgressée. Payer pour prêter, même si cela ne concerne encore que les
institutionnels, va au-delà de la condamnation aristotélicienne
de stérilité de l’argent. Selon les canonistes, Marx ou Proudhon,
le taux d’intérêt ne peut pas être le prix du temps, car le temps
est gratuit : il appartient à Dieu ou à la société. Pourtant, tout
calcul économique se projette dans le temps, donc dans l’incertitude. La mesure de cette incertitude est le taux d’intérêt, reflet
de la préférence pour le présent. Compte tenu de l’existence de
primes de risque, ce taux ne doit pas être nul ou a fortiori négatif, puisque cela revient à considérer le futur comme certain et
le passé comme incertain, alors que le simple bon sens nous
dit le contraire. L’actualisation n’est-elle pas, pour tous les systèmes économiques viables, le facteur majeur de valorisation
du temps dans la dynamique économique ?
LES TAUX D’INTÉRÊT NOMINAUX NÉGATIFS
SONT UNE ANOMALIE FONDAMENTALE,
ARTIFICIELLE ET DANGEREUSE.
Ces taux négatifs s’inscrivent dans une autre déviance. Elle
a trait à l’utilisation agressive de la théorie keynésienne,
pour lutter contre une insuffisance de demande ou un risque
déflationniste, parfois non avéré, quand la désinflation vient
de l’effondrement des prix du pétrole. Cette théorie pousse à
l’euthanasie des rentiers, voire à peser sur le taux de change,
en amenant les taux nominaux à être extrêmement faibles par
des politiques monétaires non conventionnelles ultra-accommodantes. Elle incite toujours les États à recourir à la relance
budgétaire. Son emploi récurrent, qui crée des illusions de
court terme en orientant artificiellement sur longue période
les ressources rares, bute finalement sur un surendettement
public, voire privé. Cela n’a jamais accru la croissance tendancielle, bien au contraire. De même, le spectre de la stagnation
séculaire, agité par Robert Gordon et Larry Summers, relie le
ralentissement progressif des gains de productivité et l’excès
d’épargne à l’exigence d’obtenir des taux d’intérêt réels négatifs pour équilibrer l’économie et restaurer le plein emploi dans
une situation de trappe à liquidité.
Le laminage des créanciers par l’inflation étant impossible,
les banques centrales pratiquent une forme de répression
financière. Elle tend à punir l’épargne, singulièrement à long
terme, comme si cet acte n’était pas la condition essentielle
de l’investissement productif, donc de la croissance potentielle. L’objectif est de chercher à stimuler de manière discutable la consommation et l’investissement, en rendant
l’épargne très peu attrayante et en provoquant la chute des
taux des crédits. Il est surtout de limiter le service de la
dette de l’État, pour laisser le temps de mener les réformes
structurelles indispensables. Les normes prudentielles imposées aux institutions financières favorisent, d’ailleurs, les
placements en titres publics nationaux. Cependant, cette stratégie monétaire conduit à noyer le risque sous la liquidité, à
laisser passer les projets les moins rentables pour l’avenir et
à construire des bulles d’actifs, notamment obligataires. Elle
rend intenable le métier d’intermédiation financière et fragilise profondément le secteur des assurances. S’y ajoute un
caractère non coopératif d’incitation à la guerre des changes.
Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont une anomalie
fondamentale, artificielle et dangereuse. Ils font oublier
que l’esprit humain, dont l’inventivité fait que la croissance
ne se reproduit jamais à l’identique, est la source de toute
richesse. L’activité économique ne repose pas uniquement sur
des visions mécanistes, démographiques et technologiques
mais sur d’innombrables décisions et actions humaines. Ces
dernières proviennent de processus intellectuels, dont la
perspicacité, l’originalité et la dynamique forment la seule
véritable rareté. N’est-ce pas là le plus grand espoir de dépasser la notion de stagnation séculaire et l’aberration conjointe
des taux négatifs dans les pays avancés ? Encore faut-il avoir
une stratégie cohérente de long terme d’incitations productives saines, au-delà des contraintes électorales et des outils
monétaires, afin d’encourager l’initiative privée, fondement de
la valeur ajoutée. Ne nous trompons pas : ces politiques monétaires ultra-expansionnistes sont temporaires.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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BILAN ÉCONOMIQUE 2015
ET PERSPECTIVES
2016-2017
Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective,
Pôle Stratégie – BPCE.
Achevé de rédiger le 13 mai 2016.
1.1 / PRINCIPALES CONCLUSIONS
D
eux-mille seize réplique les secousses de l’année dernière. En 2015, la croissance mondiale n’a pas dépassé
3 %, contre 3,3 % en 2014. Le rééquilibrage économique en
faveur des pays avancés, amorcé depuis 2013, s’est poursuivi
au détriment des pays émergents, ces derniers subissant
cependant un plus net ralentissement que l’année précédente.
Les impulsions associées ont pourtant été exceptionnellement importantes, avec des politiques monétaires toujours
ultra-expansionnistes de part et d’autre de l’Atlantique et
des politiques budgétaires moins restrictives, notamment en
zone euro, sans compter l’amélioration globale de la situation
financière des entreprises. S’est ajoutée la poursuite depuis
deux ans d’un contre-choc pétrolier d’excès d’offre, dont
l’impact positif sur la conjoncture a plutôt été décevant. La
contraction des prix de l’or noir s’est en effet intensifiée en
2015 : – 46,4 % en moyenne annuelle. En outre, la principale
source d’inquiétude de l’année dernière a été la décélération
économique en Chine, dont l’économie, en transition vers
davantage de services et de demande intérieure, a continué
de pâtir d’un changement structurel de régime de croissance.
Le Brésil et la Russie ont traversé une profonde récession.
A contrario, les pays anglo-saxons, États-Unis en tête avec un
PIB en hausse de 2,4 % l’an, ont continué de tirer l’activité
mondiale, tandis que la zone euro a retrouvé une progression
modérée de 1,5 % l’an, mais désormais plus synchronisée
entre les différents États membres. La croissance japonaise
a été de seulement 0,5 % l’an.
Comme en 2014, le second semestre a davantage été marqué par des chocs brutaux, entraînant une forte volatilité
des indices boursiers et surtout du marché des changes.
Le catalyseur a été l’interprétation défavorable donnée à la
dévaluation inattendue mais modeste du yuan, le 11 août.
Les craintes se sont ainsi déplacées du risque de rupture
définitive entre la Grèce et ses créanciers vers celui d’une
récession chinoise, sans compter l’interrogation simultanée
sur le moment et la nature du processus américain de nor-
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10 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
malisation monétaire. Cette dernière interrogation a finalement été levée le 16 décembre par la hausse prudente du
taux des fonds fédéraux de 25 points de base. La BCE, quant
à elle, s’est engagée dans une nouvelle étape exceptionnelle
d’assouplissement monétaire quantitatif, amorcée en mars
et étendue le 3 décembre. Elle a probablement participé à
l’affaissement continu puis au maintien des taux longs allemands et français très en deçà des précédents planchers
historiques, les rendements longs étant inférieurs à la croissance nominale (PIB y compris l’inflation).
La France a progressé modérément de 1,2 % l’an, après 0,2 %
en 2014. La consommation des ménages a été la principale
contribution à l’activité, grâce à l’accélération du pouvoir
d’achat, permise par une inflation quasi nulle. L’investissement productif, souvent principal moteur d’une reprise, a
faiblement progressé, en dépit de la hausse mécanique du
taux de marge, liée surtout au recul des prix du pétrole. La
médiocre performance annuelle de l’économie française a
conduit à une nouvelle hausse du chômage de catégorie A.
Le déficit public s’est réduit à 3,5 % du PIB (4 % en 2014),
en raison du recul de la charge de la dette (lié au niveau
anormalement bas des taux d’intérêt) et de la diminution
rapide des investissements des collectivités locales, sans
toutefois parvenir à faire refluer le poids de l’endettement
public (95,7 % du PIB).
Depuis l’automne 2015, l’activité mondiale tend à ralentir.
Ce phénomène inquiète, car le cycle modéré d’expansion
dure déjà depuis sept ans. De plus, les risques baissiers se
sont renforcés, surtout début 2016, comme le suggèrent les
deux violentes chutes boursières depuis six mois, la forte
volatilité des marchés de capitaux, le troisième trimestre
consécutif de ralentissement de l’économie américaine et
l’affaiblissement structurel de la conjoncture chinoise. Des
interrogations apparaissent aussi sur l’efficacité économique
des politiques monétaires ultra-expansionnistes de soutien
artificiel des valeurs d’actifs et sur l’ampleur de la montée
de l’endettement dans les pays émergents, Empire du Milieu
en tête. Les conséquences de la crise financière la plus grave
depuis 1929, avec notamment l’amoindrissement induit de
la croissance potentielle, continuent de brider tout épanouissement véritable de la reprise, malgré des politiques
monétaires toujours extrêmement accommodantes de part et
d’autre de l’Atlantique, des taux longs nominaux excessivement faibles, voire négatifs, et des gains de pouvoir d’achat
à court terme issus de l’effondrement des prix du pétrole.
En 2016-2017, la croissance mondiale progresserait probablement autour de 3 % l’an, pratiquement au même rythme
qu’en 2015, du fait du maintien de facteurs de risque, d’instabilité et de volatilité, sans parler des questions d’origine
géopolitique : le ralentissement chinois et la rechute « corrélée » des cours de l’or noir, l’amorce complexe mais prudente
de la normalisation monétaire américaine, avec l’éventualité
induite d’un krach obligataire, la question lancinante de la
stabilité de la construction européenne (« Brexit », crise
des réfugiés, retour du feuilleton grec, etc.)… Dans ce scénario tendanciel de compromis, le rééquilibrage en faveur
des pays avancés se poursuivrait au détriment des pays
émergents. La croissance de la zone euro (environ 1,5 %
l’an) se situerait en dessous de celle des États-Unis (environ 1,9 % l’an) et du Royaume-Uni, mais supérieure à celle
de la France (1,3 % en 2016, puis 1 % l’an, comme la croissance potentielle), en raison des retards dans les réformes
structurelles. En l’absence d’un véritable redémarrage de
l’investissement productif, la France pâtit interminablement
d’un endettement public toujours excessif (dont la dérive
face à l’Allemagne est d’ailleurs politiquement imprudente)
et d’une compétitivité hors prix insuffisante.
C’est aussi la première fois dans l’histoire économique
mondiale que des banques centrales sont à l’origine de phénomènes potentiellement dangereux de création de bulles
spéculatives, singulièrement sur les obligations d’État,
voire l’immobilier. La BCE, comme la Banque du Japon,
est désormais engagée dans un processus de taux négatifs
et d’achat massif de titres publics et récemment privés au
moins jusqu’en mars 2017. Cette orientation perdurerait
vraisemblablement jusqu’au premier semestre 2018, tant
que l’ancrage positif des anticipations d’inflation ne serait
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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économie
pas suffisamment assuré. L’objectif principal est en effet
d’éviter l’émergence d’une déflation, venant d’une inflation
longtemps trop basse. Son action vise à la fois à peser sur le
change de l’euro, à relancer le crédit et à limiter le service de
la dette publique. A contrario, tout en évitant une trop forte
appréciation du dollar, la Fed tenterait de normaliser très
prudemment ses conditions monétaires en 2016, davantage
à partir de 2017, si le contexte économique et financier, tant
interne que probablement international, se raffermissait. Par
ailleurs, cette liquidité abondante déversée par les banques
centrales maintient artificiellement les taux longs « valeurs
refuge » en deçà des précédents planchers historiques et
des primes de risque réel sous-jacent. Étant inférieurs à la
croissance nominale, ils pourraient remonter très modestement, pour être plus en phase avec l’amélioration fragile de
la croissance mondiale et la faiblesse de l’inflation. Ils subiraient également la différence de rythme conjoncturel et la
divergence désormais nettement plus marquée de stratégie
monétaire de part et d’autre de l’Atlantique. Cependant, ils
seraient très probablement sujets à des phénomènes de surréaction et de contagion avec les États-Unis, en raison de
leur niveau extrêmement bas.
1.2 / ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE
ET FINANCIER DE 2015 : CONTRE-CHOC
PÉTROLIER ET REPRISE MODESTE
EN FRANCE
UNE CROISSANCE MONDIALE DÉCEVANTE
La croissance mondiale n’a pas dépassé 3 % en 2015, contre
3,3 % en 2014, en dépit d’un véritable contre-choc pétrolier
d’excès d’offre (– 46,4 % pour le Brent, à 36,50 dollars le
baril le 31 décembre) et de politiques monétaires toujours
ultra-expansionnistes de part et d’autre de l’Atlantique.
L’inquiétude est principalement venue des pays émergents,
Chine en tête, dont le vif ralentissement ou la récession
EN 2016-2017,
LA CROISSANCE
MONDIALE
PROGRESSERAIT PROBABLEMENT
AUTOUR DE 3 % L’AN.
pour les producteurs de matières premières comme le Brésil et la Russie n’ont pas été suffisamment compensés par la
poursuite du rééquilibrage économique en faveur des pays
avancés.
LE CYCLE IMPERTURBABLE DES PAYS
ANGLO-SAXONS
Les États-Unis et le Royaume-Uni ont imperturbablement
continué de bénéficier d’un cycle modéré d’expansion, tiré
sans excès par leur solide demande interne. Le Japon a
mollement progressé, en l’absence du redémarrage de sa
consommation. La zone euro, qui a vu s’éloigner le spectre
de la déflation, s’est installée sur un rythme un peu plus synchronisé d’activité de seulement 1,5 % l’an, malgré la combinaison incroyablement favorable de soutiens exceptionnels
– recul des prix du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt – et
d’une politique monétaire et budgétaire en définitive agressive, d’inspiration keynésienne. Dans un environnement
globalement désinflationniste, le commerce mondial s’est
donc nettement affaibli, singulièrement sous l’effet du repli
en volume des importations chinoises pour la première fois
depuis 25 ans.
RETOUR DE L’AVERSION AU RISQUE
AU SECOND SEMESTRE
Comme fréquemment pendant les mois d’été, des mouvements de panique financière ont émergé, tant sur les matières
premières que sur les actions, avec trois mini-krachs boursiers, mais aussi sur les devises, spécialement celles des pays
émergents. Le catalyseur a été l’interprétation défavorable
donnée à la dévaluation inattendue mais modeste du yuan
12 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
chinois, le 11 août. Les craintes se sont ainsi déplacées du
risque de rupture définitive entre la Grèce et ses créanciers
« Grexit », après le succès aux élections de la gauche radicale (Syriza) mais avant l’accord surprenant du 13 juillet,
vers celui, en août, d’une récession chinoise (1), sans compter
l’interrogation simultanée sur le moment et la nature du processus américain de normalisation monétaire.
DES TAUX D’INTÉRÊT TRÈS INFÉRIEURS
AUX PRÉCÉDENTS PLANCHERS HISTORIQUES
La BCE, dont l’action est implicitement passée par le canal du
change et du crédit bancaire, s’est engagée à partir de mars,
puis de nouveau le 3 décembre, dans une politique de taux
négatif de la facilité de dépôt (– 0,3 %) et de gonflement considérable de la taille de son bilan (rachats mensuels de dettes
publiques et privées de 60 Md€ jusqu’à fin mars 2017), afin de
respecter son mandat d’un objectif d’inflation proche de 2 %.
En conséquence, les taux longs allemands et français, tout
en subissant une forte volatilité, ont continuellement atteint
des niveaux excessivement bas, très inférieurs aux précédents
planchers historiques de 1 % pour le 10 ans, jusqu’à s’approcher de zéro pour le Bund, voire s’enfoncer en territoire négatif pour des maturités inférieures à 5-7 ans. L’OAT 10 ans,
quant à elle, s’est établie à 0,84 % en moyenne annuelle en
2015 (0,98 % au 31 décembre), contre 1,66 % en 2014.
DÉPRÉCIATION DE 9,9 % DE L’EURO
La monnaie unique s’est dépréciée de 9,9 % en moyenne
annuelle en 2015 (1,09 dollar au 31 décembre), du fait de l’accentuation de la divergence de politique monétaire avec la
Fed. Cette dernière a enfin, et pour la première fois depuis
2006, accru prudemment de 25 points de base le taux des
fonds fédéraux le 16 décembre, en l’inscrivant dans une
bande comprise entre 0,25 % et 0,5 %. Le CAC 40 a fina-
lement progressé de 8,5 % à 4 637 points au 31 décembre,
après un plus haut à 5 269 points le 27 avril.
UNE REPRISE MODESTE EN FRANCE,
DUE À LA CONSOMMATION
En 2015, la croissance française s’est élevée à seulement
1,2 %, après 0,2 % en 2014. Cette progression a été insuffisante pour réduire le taux de chômage (2) (10,1 % pour la
métropole, contre 9,9 % en 2014) et le déficit public (3,9 %
du PIB). Elle a pourtant été portée par des circonstances
extérieures exceptionnelles (pétrole, euro, taux d’intérêt).
En particulier, la chute des cours de l’or noir a permis un
net accroissement du pouvoir d’achat (1,8 % ), avec pour
conséquence un redémarrage de la consommation des
ménages (1,4 %, soit une contribution de 0,7 point à la progression de 1,2 % du PIB), principal soutien de l’activité, et,
dans une moindre mesure, un besoin de reconstitution des
stocks (contribution de 0,2 point de PIB). L’absence d’inflation n’a donc enclenché aucun comportement attentiste, en
dépit de la remontée mécanique du taux d’épargne (15,4 %,
contre 15,1 % en 2014). Les exportations ont pu profiter
en partie de la redynamisation du commerce intra-zone
et de la baisse de l’euro, ce qui a induit une contribution
extérieure moins négative (– 0,2 point de PIB) qu’en 2014
(– 0,5 point).
L’ATTENTE D’UN VÉRITABLE RAFFERMISSEMENT
DE L’OFFRE
Cependant, les signes d’un véritable raffermissement de
l’offre, condition d’une reprise autoentretenue, ont encore
fait défaut. Ainsi, l’investissement productif a progressé
trop lentement (2,1 %, quasiment comme en 2014, soit une
contribution de seulement 0,3 point à la croissance de 1,2 %
du PIB), malgré la hausse du taux de marge des sociétés,
(1) La fragilité du système financier chinois apparaît en effet inquiétante après plusieurs années d’une croissance effrénée, gagée sur un endettement vivement croissant,
dont les conditions de solvabilité se sont dégradées. De plus, le retournement de l’investissement s’est amplifié. Ces inquiétudes se sont accentuées durant l’été,
marqué par un effondrement des marchés boursiers chinois, après leur envolée. Les soubresauts de l’économie chinoise, un an après avoir accédé au statut de première
puissance économique mondiale, ont ainsi été l’épicentre des mouvements sur les marchés financiers, qu’il s’agisse des marchés boursiers, de taux ou de matières
premières. Ces craintes ne sont aucunement dissipées comme le montre le décrochage des bourses asiatiques au tout début 2016.
(2) Le taux de chômage moyen de la zone euro, qui baisse depuis 2012, est désormais inférieur à celui de la France depuis octobre 2015. Il a baissé dans tous les pays
sur un an, sauf en France et en Finlande, en dépit de la dispersion des situations : 6,1 % en Allemagne, 21 % en Espagne, 24,6 % en Grèce...
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
13
économie
Tableau 1. Incidence cumulée des mesures fiscales nouvelles adoptées depuis la LFI 2011
(Source : Coe-Rexecode depuis les documents budgétaires annuels.)
En Md€
Cumul des nouvelles mesures :
2011
16,3
2012
2013
2014
2015
2016
43
74,4
72,8
70
67,6
– dont prélèvements acquittés par les entreprises
9,5
17,3
32,7
20,1
13,9
– dont prélèvements acquittés par les ménages
6,8
25,7
41,7
52,6
56,1
venant de la montée en charge du CICE (3), des allègements
de cotisations patronales (au détriment des ménages, dont la
pression fiscale s’est sensiblement accrue, comme le montre
le tableau ci-dessus) et surtout de l’amélioration des termes
de l’échange, liée à l’or noir. L’investissement des ménages
a moins reculé qu’en 2014. De même, l’emploi salarié marchand est demeuré relativement atone, le nombre de chômeurs de catégorie A continuant à augmenter (3,590 millions en décembre 2015, soit une hausse de 2,6 % sur un an).
1.3 / LA FIN D’UN CYCLE D’EXPANSION
MODESTE ?
UNE INCERTITUDE SUR LA POURSUITE
DE LA CROISSANCE MONDIALE
Depuis la crise financière de 2007-2008, au-delà de son avatar européen de 2011-2012, le cycle mondial de reprise dure
déjà depuis près de sept ans. Depuis l’automne 2015, il tend
à se tasser, en raison pour l’essentiel des pays émergents
et plus précisément de l’Amérique latine et de la Russie.
Au Japon, les conditions économiques se sont récemment
9,6
58
dégradées. Cela conduit naturellement d’autant plus à
s’interroger sur sa capacité à se prolonger que les marchés
financiers ont manifesté une forte volatilité, spécialement
en début 2016. On vient ainsi de connaître deux violentes
baisses boursières depuis six mois, anormalement corrélées
à la chute des prix du pétrole (4), renforcés par des craintes
exagérées sur l’émergence d’une rupture récessionniste dans
l’Empire du Milieu. Ce phénomène a priori transitoire de
corrélation positive entre prix du pétrole et marchés boursiers trouve aussi une explication dans la fragilisation des
pays exportateurs de matières premières et singulièrement
d’or noir, à l’exemple de la Russie et du Brésil, qui traversent toujours une récession sévère : les effets négatifs de
la baisse des cours sur les pays producteurs l’emporteraient
dans un second temps sur les effets positifs obtenus par
les pays consommateurs, une fois que les gains de pouvoir
d’achat, qui ont stimulé à court terme la croissance dans
les pays importateurs nets de pétrole, tendent à s’estomper.
TROISIÈME TRIMESTRE CONSÉCUTIF
DE RALENTISSEMENT AUX ÉTATS-UNIS
De plus, la croissance américaine, en s’établissant à 0,5 %
l’an au premier trimestre 2016, connaît un troisième trimestre consécutif de ralentissement, alors que les signes de
(3) Crédit d’impôt compétitivité emploi.
(4) L’effondrement des prix du pétrole est en partie attribuable à l’incapacité de l’Opep de s’entendre sur un plafond de production. Il y a en effet moins d’incitation
que jadis à coopérer et à limiter la production de pétrole dans la mesure où le marché est devenu plus concurrentiel avec de nouvelles offres en dehors du cartel, dont
le pétrole et le gaz de schiste des États-Unis. Les membres de l’Opep savent qu’en limitant leur production, ils risquent davantage de perdre des parts de marché au
profit de nouveaux offreurs que de faire monter les prix. L’enjeu est donc de maximiser la production pour essayer de conserver les parts de marché. L’Arabie saoudite
est d’autant plus disposée à poursuivre sa stratégie à court terme de maximisation des revenus, en laissant les prix chuter pour éliminer à long terme des concurrents
hors Opep, que son coût de production est l’un des plus bas du monde. C’est un « équilibre de Nash » en théorie des jeux, situation où aucun joueur dans un jeu n’a
intérêt à changer de stratégie.
14 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
redressement demeurent ténus pour le deuxième trimestre.
En particulier, la productivité apparente de la main-d’œuvre
s’est encore affaissée, malgré la maîtrise des coûts salariaux.
L’investissement productif continue de reculer, en lien avec
la poursuite de la dégradation des marges des entreprises,
en raison du repli non seulement de l’investissement en produits d’exploration minière et pétrolière mais également de
celui des biens d’équipement. Ce mouvement se prolongerait
au trimestre prochain, du fait du tassement des commandes
de biens d’équipement. Les exportations restent pénalisées
par l’appréciation passée du taux de change. La consommation des ménages, principal soutien de la croissance, a également faibli, malgré des créations nettes d’emplois salariés
résilientes dans le secteur marchand non agricole (209 000
par mois en moyenne au premier trimestre) et un tassement
du déflateur de la consommation (+ 0,3 % l’an).
L’INQUIÉTUDE SUR LA CHINE NON ENCORE
DISSIPÉE
La crainte d’un atterrissage brutal de la Chine reste aussi
au centre des inquiétudes. Ce pays a atteint un seuil critique de développement en termes de PIB par habitant,
qu’il est difficile de franchir sans changer de modèle économique. La décélération économique est en effet structurellement due à la transition d’un modèle de croissance
alimentée par l’investissement et les exportations vers
une croissance plus soutenable basée sur la consommation et l’innovation. De plus, sa performance antérieure a
été gagée sur un endettement privé croissant, qui n’a pas
toujours servi à financer des investissements productifs
et dont les conditions de solvabilité se sont dégradées.
La dette agrégée des ménages, des entreprises et des
administrations publiques est estimée en hausse à 240 %
du PIB à la fin du premier trimestre 2016, selon les statistiques nationales. Cela a augmenté la vulnérabilité du
système financier et constitue l’un des facteurs d’instabilité de la transition. À court terme, ce ralentissement
s’explique par l’endettement accumulé depuis huit ans par
les sociétés non-financières, les restructurations industrielles et le recul des profits des entreprises publiques,
en surcapacités productives. Outre la tendance au retournement de l’investissement, les sorties de capitaux chinois
se sont nettement accentuées depuis novembre dernier,
même si elles ont ralenti en février et mars. Ce phénomène inquiète, car la diminution continue des réserves de
change (3 200 Md$ en février) fait redouter une dévaluation plus brutale du yuan.
D’AUTRES RISQUES, NOTAMMENT EUROPÉENS…
D’autres inquiétudes ont trait à la fragilisation des pays
exportateurs de matières premières et singulièrement de
pétrole ou à l’amorce complexe de la normalisation monétaire américaine, avec l’éventualité induite d’un krach obligataire. S’y ajoute la question lancinante de la stabilité de
la construction européenne, avec à court terme l’impact
d’un « Brexit (5) » sur les marchés financiers, le retour du
« Grexit », la crise des réfugiés ou encore avec l’émergence induite d’une nouvelle crise souveraine en zone euro,
liée aux divergences économiques structurelles des pays
membres et à l’incomplétude institutionnelle, sans parler en
Europe de la résurgence du risque bancaire et du spectre
déflationniste. En particulier, l’activisme monétaire de
quasi-« fuite en avant » de la BCE masque les déséquilibres
intra-européens de compétitivité et de dérive des dettes
publiques, en les rendant soutenables tant que la politique
monétaire ultra-expansionniste se prolonge.
(5) Les calculs d’impact du « Brexit » sont plutôt largement négatifs. Une sortie de l’UE serait probablement très coûteuse au plan économique. L’estimation du
gouvernement britannique varie entre – 3,8 % et – 7,5 % du PIB à l’horizon de 15 ans. Un vote en faveur du « Brexit » conduirait à l’amorce de trois négociations.
La première serait celle du retrait de l’UE, qui peut prendre deux ans, voire plus, selon la voie légale du Traité européen (article 50). La deuxième négociation serait
celle de nouvelles relations avec les anciens partenaires. Quatre modèles sont généralement envisagés : l’absence d’accord spécifique (régime OMC), un accord de libre
échange (Canada), l’adhésion à l’espace économique européen (Norvège), un accord bilatéral sur mesure (Suisse). La troisième série de négociations conduirait à établir
de nouveaux accords de libre-échange avec des pays-tiers, ce qui pourrait durer une décennie.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
15
économie
BCE : RÉSULTAT DÉCEVANT EN MATIÈRE
D’INFLATION ?
Cette stratégie monétaire, qui vise à abaisser les charges
d’intérêt (6), à favoriser une dépréciation du change (7) et
à relancer le crédit (8), ne semble obtenir qu’un faible rendement marginal en termes de croissance ou d’inflation.
Le résultat en matière d’inflation, principal mandat de la
Banque centrale, apparaît décevant. L’inflation recule en
effet de 0,2 % en glissement annuel en avril (9), après avoir
stagné en mars. Cela tient notamment à la diffusion dans le
temps des baisses des cours du pétrole dans les prix énergétiques payés par les consommateurs. L’inflation sous-jacente
s’est immobilisée un peu en dessous de 1 %, en raison de la
stabilisation de la hausse des coûts salariaux unitaires (1,4 %
l’an au premier trimestre). De plus, les anticipations d’inflation à moyen terme n’ont encore que peu réagi aux annonces
faites en mars de nouvelles mesures de politique monétaire.
Elles se situent entre 1,4 et 1,5 %, bien en dessous du seuil
de 2 % visé par la BCE.
DES INTERROGATIONS SUR L’EFFICACITÉ
DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE
Cependant, cette stratégie monétaire menace de provoquer à terme des effets pervers non désirés sur l’économie, car elle crée progressivement mais directement les
conditions d’une nouvelle bulle financière, actuellement
sur les marchés obligataires, voire plus tard sur d’autres
actifs comme l’immobilier. Elle est une source d’incertitude, d’instabilité et de volatilité accrues sur les marchés
financiers, tout en ayant un caractère non coopératif d’incitation à la guerre des changes. De plus, les taux d’intérêt
nominaux faibles, voire négatifs, accompagnés d’un aplatissement de la courbe des taux d’intérêt, rendent plus difficile le métier d’intermédiation financière. S’y ajoute le
poids des contraintes réglementaires, qui pèse aussi sur la
rentabilité des banques. Cela fragilise aussi nettement le
secteur des assurances, en raison du déclin du rendement
moyen des actifs des assureurs et des garanties planchers
que les produits d’épargne-vie offrent aux assurés, sans
parler du risque de rachat des contrats en cas de remontée trop brutale des taux d’intérêt. En outre, il est tentant
(6) La charge d’intérêts nets des agents non financiers (ménages, sociétés non financières et administrations publiques) a été réduite de 1,5 point de PIB entre 2007
et 2015, malgré l’augmentation de 25 points de PIB du poids de leur dette surrvenue entre-temps. Cette restitution de pouvoir d’achat est très probablement proche
de son terme.
(7) La désynchronisation des politiques monétaires entre États-Unis et zone euro avait permis une dépréciation du change de l’euro contre le dollar. Ce mouvement
s’est révélé favorable aux exportations européennes. Il est interrompu depuis quelques mois par la réappréciation de l’euro.
(8) Jusqu’à présent, la progression des encours de crédit au secteur privé, autour de 1,1 % sur un an en mars, reste plutôt timide.
(9) Cependant, ce recul doit être nuancé dans la mesure où les effets de base de l’année précédente jouent un rôle mécanique négatif. L’indice avait en effet
connu une hausse sensible de 2,2 % entre janvier 2015 et juin 2015. Il faut donc qu’il reproduise cette hausse début 2016, ne serait-ce que pour que le taux d’inflation
reste constant. Mesurée en glissement trimestriel au taux annuel, l’inflation présente une autre vision : elle est estimée à 0,3 % en avril, sa plus forte progression
depuis juillet 2015.
16 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
pour les États de continuer à s’endetter, puisque même
les moins vertueux ont un accès facile et peu coûteux aux
marchés financiers. Enfin, cette stratégie ne peut suffire, ni
à accroître la croissance potentielle, ni à réduire les effets
de l’hétérogénéité structurelle entre États-membres, ces
divergences économiques venant de la tendance naturelle
des pays constituant une zone monétaire à se spécialiser
vers leurs avantages comparatifs. Au risque d’une nouvelle crise majeure de la monnaie unique, cette stratégie
de déversement de liquidités ne se justifie que si elle permet, au même moment, de poursuivre les réformes structurelles, de maîtriser indubitablement la dérive des dépenses
publiques dans certains pays comme la France et de renforcer le fédéralisme européen.
ENDETTEMENT ET AFFAIBLISSEMENT GÉNÉRAL
DE LA PRODUCTIVITÉ
Ce cycle de reprise mondiale a été modéré, puisqu’il n’est
jamais parvenu à s’épanouir véritablement, en raison de
l’ampleur des déséquilibres antérieurs à corriger, notamment
en matière d’endettement public et privé, et en raison de
l’amoindrissement de la croissance potentielle, surtout dans
la plupart des pays avancés. En premier lieu, le taux d’endettement (10) des agents non financiers est toujours particulièrement élevé. Il s’est stabilisé autour de 250 % du PIB dans les
pays développés. Ce seuil, singulièrement aux États-Unis, a
juste été atteint avant la crise financière, comme s’il était une
des causes majeures de son déclenchement. L’effort de stabilisation de la dette accumulée s’est accompagné d’un double
transfert de dettes : d’une part, au sein des pays développés,
du secteur privé vers le secteur public, d’autre part, encore en
cours, des pays développés vers les pays émergents. En Chine,
il est passé de 150 %, lors de la crise financière, vers 250 %
actuellement. Certains pays comme le Japon, dont le taux est
proche de 400 % du PIB, l’ont pourtant largement dépassé.
UNE CIBLE DE CROISSANCE POTENTIELLE
NETTEMENT PLUS FAIBLE
En second lieu, les référentiels de croissance tendancielle
ont changé. Ils semblent devoir être révisés en baisse. Dans
les économies avancées, les gains de productivité ont faibli.
En tenant compte de l’augmentation de la quantité de travail
et du rythme d’augmentation du capital productif, le taux de
croissance du PIB potentiel des prochaines années est de
1,9 % pour les États-Unis, de 0,9 % pour l’Allemagne et la
France, de 5 % pour la Chine, selon des calculs raisonnables
de Coe-Rexecode. Ces taux sont obtenus en prolongeant les
tendances récentes de la productivité globale des facteurs
de production (capital et travail), sans les accentuer. Ils
constituent les cibles de croissance à moyen terme, autour
desquelles la conjoncture évolue en fonction des politiques
économiques suivies et des déséquilibres susceptibles de
créer la dynamique de court-moyen terme.
1.4 / RÉSILIENCE EUROPÉENNE
ET FRANÇAISE EN 2016-2017 ?
C
e cycle modéré et fragile continue pourtant de bénéficier des facteurs exceptionnels de soutien déjà cités,
même si leurs impacts favorables sont plus faibles (11) qu’anticipé. De plus, les craintes combinées du début d’année
semblent dépassées, puisqu’on observe désormais une stabilisation de la demande chinoise, un rebond mécanique
des prix du pétrole et un report de plusieurs mois, voire
trimestres, des augmentations de taux directeurs de la Fed.
Le dollar a ainsi corrigé une partie de sa hausse, ce qui
a aussi calmé les inquiétudes sur l’évolution globale de la
grille des changes. En 2016-2017, la croissance mondiale
(10) Les statistiques de la dette rapportée au PIB de la Banque des règlements internationaux permettent d’appréhender l’ampleur des transferts qui se sont opérés
au cours des 20 dernières années.
(11) Les excès systématiques d’optimisme des prévisionnistes le démontrent, à l’exemple du FMI, qui a surestimé en moyenne chaque année à l’automne de 0,5 point
l’activité mondiale observée l’année suivante.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
17
économie
LE CONTRE-CHOC
PÉTROLIER TENDRAIT
PLUTÔT À ACCÉLÉRER
LE RÉÉQUILIBRAGE DU CYCLE
ÉCONOMIQUE EN FAVEUR
DES PAYS AVANCÉS.
progresserait d’environ 3 %, pratiquement au même rythme
qu’en 2015, en dépit de l’apparition de nouveaux risques.
CONTRE-CHOC PÉTROLIER EN DIFFUSION
PLUS LENTE
L’effondrement des prix du pétrole en deux étapes – 50 %
à partir de l’été 2014, puis à nouveau 50 % à l’été 2015 – a
donné une impulsion positive aux pays importateurs nets
de pétrole à travers des gains à court terme de pouvoir
d’achat. Ce contre-choc tendrait plutôt à accélérer le rééquilibrage du cycle économique en faveur des pays avancés. Une baisse annuelle moyenne de 25 % des prix du
Brent apporte généralement environ 0,5 point de PIB mondial, tout en freinant l’inflation, ce qui permet aussi aux
banques centrales de maintenir une politique monétaire
stimulante. L’impact favorable prend certes plus de temps
à se manifester qu’une hausse des coûts de l’énergie. Après
l’effet négatif venant de la contraction économique des
pays producteurs de pétrole, des prix durablement moins
élevés qu’auparavant sont souvent plus favorables à long
terme par l’élimination des rentes qu’ils provoquent. Les
cours de l’or noir, désormais proches de 45 $ le baril pour
le Brent – après un point bas à 26,40 $ le 20 janvier 2016 –,
se stabiliseraient autour de ce niveau, voire se redresseraient lentement en 2016-2017, en raison de la poursuite
de la hausse de la demande et de la modération relative de
l’offre. Cette dernière resterait cependant encore en abondance, du fait de la capacité significative d’offre à moyen
terme en Iran, de la guerre de parts de marché toujours
menée par l’Arabie saoudite et du rebond potentiel de la
production de pétrole non conventionnel en Amérique du
Nord, dès lors que les prix atteignent le seuil de rentabilité
du pétrole de schiste.
RÉSILIENCE AUX ÉTATS-UNIS
Les États-Unis demeurent un moteur de l’activité mondiale,
car ils conservent des réserves de croissance, en l’absence
de tensions inflationnistes et de surinvestissement productif
antérieur à corriger. Le rythme conjoncturel doit cependant
fléchir vers 2 % l’an, en raison d’un investissement privé
moins soutenu, d’une compétitivité érodée par l’appréciation
passée du dollar et d’une dépense des ménages désormais
en progression plus retenue. Les marges des entreprises
sont à leurs plus hauts historiques, même si elles vont nécessairement baisser. La consommation peut encore profiter
de l’endettement modéré des ménages, de l’amélioration de
l’emploi et du raffermissement de la croissance des salaires.
S’y ajoute l’orientation favorable de la dépense publique et
du secteur de la construction et de l’immobilier. Même si
les gains de productivité sont désormais plus faibles que les
coûts salariaux réels et même si le secteur manufacturier est
pénalisé par la force du dollar et les difficultés du secteur
de l’énergie, le secteur des services demeure encore robuste.
Par ailleurs, il est probable que le resserrement monétaire
de la Fed, amorcé en décembre dernier, soit beaucoup plus
prudent qu’escompté, pour éviter un retournement conjoncturel en année électorale et, plus gobalement, une appréciation excessive du dollar.
ABSENCE DE DÉRAPAGE À COURT TERME
DE LA CHINE
Au premier trimestre 2016, le PIB chinois a augmenté de
6,7 % l’an, après 6,9 % au dernier trimestre 2015. En outre,
l’activité semble se stabiliser en mars, comme le suggèrent
l’amélioration des enquêtes PMI, la progression de la production industrielle et l’accélération de la demande domestique, sans parler de la confirmation de la reprise du marché
immobilier. Le ralentissement économique resterait graduel,
car l’activité est soutenue par des mesures d’assouplissement
monétaire et budgétaire, de stimulation immobilière et de
18 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
facilitation de l’accès au crédit, ainsi que par l’impact favorable de la baisse des prix du pétrole. Par ailleurs, le poids
du marché d’actions dans le financement de l’économie est
très faible : à peine 5 % en 2015, seulement 7 % du patrimoine
des ménages, d’où un risque limité de contagion du recul
du marché boursier à l’économie réelle, notamment par un
effet négatif de richesse. De plus, la Chine n’a pas intérêt à
s’engager dans une guerre des changes, au moins pour ne pas
nuire à sa zone privilégiée d’intégration régionale, d’influence
monétaire et d’échanges commerciaux, l’Asean (12). En outre,
une dépréciation excessive du yuan risquerait de soutenir
des entreprises peu rentables aux dépens d’une montée en
gamme des exportations et du processus de rééquilibrage de
l’économie vers les services.
EMBELLIE EN ZONE EURO
Depuis mi-2014, la zone euro connaît une éclaircie économique modérée, soutenue par l’amélioration de la demande
interne, la reprise des prêts et la baisse du chômage. Au
premier trimestre 2016, le PIB en volume a vu son rythme
s’accélérer à 2,4 % l’an. Cette performance, qui confirme sa
résistance aux chocs externes, n’était pas annoncée par les
enquêtes : celles-ci suggéreraient le maintien de la croissance sur un rythme plus retenu, signal qu’elles continuent
d’envoyer pour le début du second trimestre. Pourtant, l’activité progresse depuis 12 trimestres consécutifs, du jamais
vu depuis la période 2003-2008. En conséquence, le taux
de chômage continue de décroître, même s’il n’a pas encore
retrouvé sa moyenne de long terme d’avant la crise à 9,1 % :
il est ressorti à 10,2 % en mars, contre 12 % à son plus haut
en 2013. En 2016-2017, la zone euro bénéficierait encore
d’une monnaie plutôt dépréciée et du niveau encore incroyablement faible des taux d’intérêt, liés à l’intensification par
la BCE de sa politique quantitative ultra-accommodante
d’achat d’actifs et de taux négatif de la facilité de dépôt.
De plus, la BCE a récemment su recentrer ses priorités de
politique monétaire vers le soutien à l’activité des banques.
Outre la tendance au relâchement budgétaire s’y ajouterait
la restitution de pouvoir d’achat issue de l’allègement de la
facture pétrolière, en dépit d’un redressement très modéré
des cours de l’or noir à partir du second semestre vers 45 $
par baril (Brent). Dans ce contexte, les risques politiques,
qu’il s’agisse du référendum sur le « Brexit » ou de la crise
migratoire, ne devraient pas enrayer le bon déroulement du
cycle européen.
CROISSANCE EUROPÉENNE À 1,5 % L’AN
Les effets conjugués du change et du pétrole contribueraient probablement encore à la moitié de la croissance
européenne, au moins en 2016. La progression certes
timide du crédit privé et de l’inflation éloignerait davantage le spectre déflationniste, la hausse des prix (0,3 %
en 2016 et 1,2 % en 2017) demeurant néanmoins très endeçà de la cible de 2 %. L’Allemagne et l’Espagne seraient
les principales locomotives, ainsi que la redynamisation
du commerce intra-européen. Une reprise durable de
l’investissement productif resterait toutefois la condition
indispensable au redémarrage d’un cycle de croissance
autoentretenue en Europe, pour relayer à court terme le
sursaut probablement temporaire de la consommation des
ménages, malgré le reflux du chômage. En 2016-2017, la
croissance de la zone euro (1,5 % l’an en moyenne) se situerait en dessous de celle des États-Unis (environ 1,9 % l’an)
et du Royaume-Uni (environ 1,8 % l’an), mais supérieure à
celle de la France (1,3 % l’an en 2016, puis 1 % en 2017), en
raison des retards (13) dans les réformes structurelles.
(12) L’Asean (Association of South East Asian Nations) comprend les pays suivants : Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Brunei, Philippines, Cambodge, Laos,
Birmanie et Vietnam.
(13) Les faiblesses spécifiques de la France sont régulièrement énumérées par la Commission européenne : poids et inefficacité des dépenses publiques, en particulier
à l’échelon local ; pression fiscale excessive et régime fiscal complexe ; faible intensité de la recherche et développement, gamme des produits inadaptée et profitabilité
insuffisante du secteur exportateur ; surreprésentation des petites entités dans le tissu des entreprises ; coût du travail trop élevé avec le niveau du salaire minimum,
dualité du marché du travail, forte centralisation des négociations collectives et incertitude autour des procédures de licenciement ; inégalité du système éducatif ;
rigidités du marché de la construction résidentielle ; forte barrière à l’entrée sur les marchés de service ; manque d’incitation à la capitalisation des firmes, au profit
de l’endettement…
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
19
économie
des marges des entreprises et un accès au crédit facilité par
les mesures de politique monétaire. La consommation, pourtant en moindre progression en 2017, serait encore un des
moteurs essentiels. La hausse du pouvoir d’achat serait freinée par celle de l’inflation, qui remonterait d’abord faiblement en 2016 à 0,2 %, puis plus nettement dès 2017 à 1,5 %
en moyenne annuelle. Le déficit public ne reculerait que
modérément, induisant ainsi une poursuite de la dérive du
poids de la dette de l’État vers environ 99 % du PIB en 2017.
1.5 / DES TAUX D’INTÉRÊT
HISTORIQUEMENT ATYPIQUES ?
CROISSANCE FRANÇAISE À ENVIRON 1,2 % L’AN
La France profiterait encore mécaniquement de ces circonstances extérieures exceptionnelles, tout en maintenant un
retard relatif vis-à-vis de l’Europe, singulièrement en termes
d’ajustements budgétaires. La croissance a certes accéléré
au premier trimestre 2016 à 2,2 % l’an, mais l’activité a été
soutenue par une conjonction d’effets temporaires (rebond
des dépenses énergétiques, après l’effet négatif des températures douces en fin 2015 ; contrecoup de l’impact post-attentats, favorable à la consommation des ménages ; accélération
de l’investissement des entreprises non financières en biens
d’équipement, venant de l’interrogation sur le prolongement
de la mesure de suramortissement), sans lesquels la croissance n’aurait été que de 1,6 % l’an (14).
Cependant, l’activité ne parviendrait toujours pas à se renforcer davantage, en raison de la faiblesse sous-jacente des
facteurs d’offre, qu’il s’agisse de l’investissement ou de l’emploi. Le taux de chômage se stabiliserait au niveau élevé de
9,9 % pour la métropole, du fait d’une croissance limitée.
L’investissement productif ne reprendrait que timidement,
en dépit de l’amélioration des perspectives de demande et
des conditions favorables de financement, avec la hausse
A
ux États-Unis comme dans la zone euro ou d’ailleurs
aussi au Japon, les politiques monétaires, qui sont
sans précédent historique, demeurent ultra-accommodantes, dans la mesure où la désinflation vient essentiellement de l’effondrement des prix du pétrole et où l’activité
économique progresse dans chacune de ces zones, même si
le rythme observé peut être jugé trop modéré. Cependant,
ces politiques vont vraisemblablement devenir plus antagonistes avec celle des États-Unis, en raison des différences de
rythme d’inflation et de position dans le cycle conjoncturel.
Cela nécessite a priori que la Fed remonte la fourchette des
taux fédéraux, pendant que la BCE et la Banque du Japon
restent au minimum sur la défensive en 2016-2017.
RENFORCEMENT DU GRADUALISME MONÉTAIRE
DE LA FED
En novembre 2014, la Fed a déjà mis fin à six années d’assouplissement quantitatif. Elle est pourtant en retard sur une
reprise économique qui dure depuis sept ans. Elle cherche
donc à normaliser des conditions monétaires qui ne sont
plus justifiées, en raison de la solidité de la demande interne
(14) Ce rythme de croissance de 1,6 % l’an serait davantage cohérent avec les résultats des enquêtes de conjoncture réalisées sur la période janvier-mars. S’agissant des
anticipations pour la conjoncture française du deuxième trimestre, le climat des affaires global apparaît plutôt stable depuis trois mois et à son niveau moyen de long
terme. Néanmoins, les composantes relatives au passé ont eu tendance à s’améliorer, tandis que celles ayant trait aux perspectives ont connu une dégradation.
20 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
américaine, du quasi plein emploi et surtout d’une inflation
sous-jacente – hors pétrole –, qui tend désormais à dépasser
2 % l’an. Plusieurs possibilités s’offrent à elle. Au départ, elle
devait augmenter son principal taux directeur de 25 points
de base par trimestre pour le porter au maximum à 1,5 % fin
2016. Cependant, la montée des incertitudes, singulièrement
sur les pays émergents, la tendance au ralentissement économique aux États-Unis, voire le contexte électoral, ont renforcé
l’hypothèse d’un statu quo monétaire. Pour autant, la Fed a
annoncé le 16 mars dernier son intention de relever graduellement ses taux directeurs. On assistera donc probablement
à deux relèvements prudents de 25 points de base en juin ou
plutôt en septembre, puis en décembre, après l’élection présidentielle, du fait du danger à repousser à l’année prochaine
le processus de normalisation monétaire. En 2017, face à la
poursuite du recul du chômage, elle porterait progressivement son principal taux directeur à 1,5 % en fin d’année.
NOUVEL ASSOUPLISSEMENT MONÉTAIRE
DE LA BCE
A contrario, la BCE est davantage engagée dans une politique quantitative ultra-accommodante et surtout de taux
négatifs, dont personne ne connaît avec certitude tous les
effets, même si ces taux négatifs exercent implicitement une
pression à la baisse sur l’euro (15), en décourageant les opérateurs de marchés financiers d’investir dans cette devise. Six
nouvelles décisions ont d’ailleurs été annoncées le 10 mars
dernier par la BCE, afin de lutter contre le risque d’émergence d’un processus déflationniste, en cherchant à préserver un ancrage positif des anticipations d’inflation vers 2 % à
moyen terme. Le taux de refinancement a été porté à 0 %, le
taux de prêt marginal à 0,25 % et le taux de facilité de dépôt
à – 0,40 % (baisse de 10 points). L’enveloppe mensuelle de
rachats d’actifs a été augmentée de 20 Md€ à 80 Md€ et la
liste des actifs éligibles aux rachats par la BCE a été étendue
aux obligations d’entreprises bien notées. Enfin, la BCE va
lancer, dès juin et jusqu’en mars 2017, une troisième série
de quatre opérations ciblées de refinancement de plus long
terme à destination des banques, chacune de maturité de
quatre ans, les TLTRO. Cette mesure exceptionnelle vise
à soutenir les institutions financières et à faciliter la distribution de crédit dans la zone euro, tout en prévenant les
risques systémiques. Le coût de ces opérations sera dégressif. Il démarre avec le taux de refinancement, soit zéro
actuellement. Il pourra même être négatif, à condition que
ces mêmes banques financent davantage l’économie réelle.
DES EFFETS INDIRECTS SUR L’ENSEMBLE
DE LA COURBE DES TAUX D’INTÉRÊT
Les banques commerciales, en fonction des montants des
crédits consentis, pourront ainsi emprunter auprès de la
BCE à un coût allant jusqu’à – 0,4 %, ce qui revient dans
ce cas à les subventionner pour les inciter à prêter, prêts
immobiliers exclus. L’action combinée des rachats d’actifs
et du taux de dépôt négatif agit pourtant de façon beaucoup
plus indirecte qu’on ne le pense a priori. Elle ne conduit pas
à un transfert des réserves excédentaires vers des prêts aux
entreprises ou aux ménages. En fait, cela permet de faire
baisser davantage les taux d’intérêt, en rendant le prêt à
l’économie réelle plus rentable que le prêt des banques entre
elles ou que la conservation de réserves excédentaires à la
BCE, qui sont dorénavant taxées. N’oublions pas que ces
réserves sont la simple contrepartie de la hausse du bilan de
la BCE. Compte tenu de l’ampleur des mesures récentes, la
BCE pourrait désormais se contenter d’en attendre les effets
en 2016, comme elle semble l’avoir implicitement annoncé.
REMONTÉE TRÈS GRADUELLE DES TAUX LONGS ?
Les taux longs américains, allemands et français ont vu se distendre leur relation traditionnelle avec l’économie réelle, du
fait de l’abondance de liquidités déversées par les banques centrales et de la pénurie (16) de valeurs refuges. En effet, ils sont
(15) Cependant, le taux de change n’est pas un objectif de banque centrale en régime de change flexible. Seul l’impact sur l’inflation, le mandat principal de la BCE,
intéresse la banque centrale, dans la mesure où un euro plus faible peut induire de l’inflation importée, avec pour but de lutter contre le risque déflationniste. La BCE a
donc déclaré qu’elle ne baisserait pas davantage les taux d’intérêt, afin d’éviter d’inciter à la guerre des changes.
(16) Les obligations publiques de ces pays sont d’ailleurs recherchées de manière accrue par les banques commerciales pour des raisons réglementaires.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
21
économie
Figure 1. Structure des taux d’interêt français 2016-2017— scénario tendanciel
(Sources : données Feri, prévisions BPCE.)
Niveau des taux en %
Projection
2016-2017
5,6
Pente en %
2,6
5,1
4,6
2,1
4,1
3,6
1,6
3,1
2,6
1,1
2,1
1,6
0,6
1,1
PENTE :
taux swap 10 ans – taux 3 mois
Échelle de droite
0,6
0,1
0,1
– 0,4
inférieurs aux niveaux observés au pire moment de stress économique et financier, quand l’activité reculait de part et d’autre
de l’Atlantique à la fois en volume et en valeur entre 2008
et 2009. Dans la théorie économique, le taux d’intérêt nominal
à long terme doit évoluer comme la croissance économique
en valeur. Il doit refléter deux anticipations : celle du rythme
de création de la valeur ajoutée en volume et celle du taux
futur d’inflation. S’y ajoute une prime de risque, qui rémunère
notamment le renoncement à la liquidité. Cette prime doit être
d’autant plus élevée que la maturité du titre est longue. Les
taux longs devraient donc remonter lentement, en lien avec la
hausse des taux américains, sauf si l’on anticipe que les économies avancées vont traverser une longue période de stagnation
économique, pouvant déboucher sur une déflation des prix.
/17
02
/16
03
/15
04
/15
01
/14
02
/13
/12
OAT 10 ans
03
04
/12
/11
01
02
/10
9
04
/0
/0
01
Taux swap 10 ans
03
9
8
/0
6
7
02
/0
03
/0
6
Taux 3 mois
04
/0
01
3
3
2
4
/0
03
/0
04
/0
01
/0
1
Taux directeur BCE
02
/0
03
0
/0
04
01
/0
0
– 0,4
Pente swap 10 ans – 3 mois
Le spectre déflationniste s’éloignant, ce redressement très
graduel serait plus important aux États-Unis et au RoyaumeUni qu’au Japon et dans la zone euro, en lien avec la différence de rythme conjoncturel et la divergence désormais
nettement plus marquée de stratégie monétaire de part et
d’autre de l’Atlantique. En Europe, le maintien de la facilité
de dépôt à – 0,4 % et l’intensification des rachats mensuels
d’actifs par la BCE, peut-être au-delà de mars 2017, avec
une extension éventuelle à d’autres collatéraux comme les
obligations du secteur privé ou les actions, limiteraient aussi
d’autant plus les velléités de hausse des taux longs que l’inflation ne progresserait que très faiblement et que la croissance
ne s’accélérerait pas. Pèserait également l’impact, d’une part,
de la demande réglementaire accrue des banques pour les
22 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017
emprunts d’État, d’autre part, de l’excédent d’épargne européen, lié à l’excédent extérieur structurel allemand, sans parler de la réduction du déficit public outre-Rhin.
de poursuite même graduelle du durcissement monétaire de
la Fed (17) à partir du second semestre. A minima, on risque
d’assister à une forte volatilité des taux longs. Celle-ci sera
constamment nourrie par les difficultés de sortie désynchronisée des politiques monétaires impressionnantes de
déversement de liquidités de part et d’autre de l’Atlantique.
L’OAT 10 ans pourrait atteindre une moyenne annuelle
d’environ 0,6 % en 2016 et autour de 1 % en 2017, contre
0,84 % en 2015 et moins de 0,5 % actuellement.
VOLATILITÉ ET RISQUE DE SURRÉACTION
DES TAUX LONGS
Cependant, à l’exemple du passé récent, la volatilité resterait
importante, du fait du risque de surréaction avec des taux
d’intérêt extrêmement bas. En effet, quand les taux d’intérêt
sont proches de zéro, le moindre choc peut induire des phénomènes de correction, surtout pour les obligations d’État
dites « refuges ». De plus, les injections massives de liquidités ont paradoxalement provoqué une pénurie de titres de
bonne qualité. Cet assèchement spécifique de la liquidité
des marchés de capitaux est aggravé par le durcissement de
la réglementation bancaire. En conséquence, l’éventualité
d’un krach obligataire s’est mécaniquement accrue, en cas
d’éloignement plus durable du spectre déflationniste et/ou
L’euro, à environ 1,10-1,15 $, demeurerait largement sous
sa parité de pouvoir d’achat (estimée à 1,30 $). La monnaie unique continuerait ainsi de profiter des divergences
majeures de politique monétaire entre les grandes banques
centrales des économies avancées, sans pour autant se
déprécier davantage, par exemple vers une parité avec le
dollar, du fait notamment de l’accroissement de l’excédent
extérieur européen.
1.6 / PRINCIPAUX INDICATEURS MACROÉCONOMIQUES
Tableau 2. Le contexte économique et financier du scénario tendanciel en 2016/2017
(Sources : données Feri, prévisions BPCE.)
En %
2005 2006 2007 2008 2009 2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
prév.
prév.
PIB USA
3,4
2,7
1,8
– 0,3
– 2,8
2,5
1,6
2,2
1,5
2,4
2,4
1,9
1,8
Chômage USA
5,1
4,6
4,6
5,8
9,3
9,6
8,9
8,1
7,4
6,2
5,3
5,0
4,9
Inflation USA (moy.)
3,4
3,2
2,9
3,8
– 0,4
1,6
3,2
2,1
1,5
1,6
0,1
1,3
2,0
PIB zone euro à 19 pays
1,8
3,4
3,0
0,4
– 4,5
2,0
1,6
– 0,8
– 0,2
0,9
1,5
1,5
1,4
Chômage zone euro
9,2
8,5
7,6
7,7
9,6
10,1
10,2
11,4
12,0
11,6
10,9
10,1
9,7
Inflation zone euro (moy.)
2,2
2,2
2,1
3,3
0,3
1,6
2,7
2,5
1,4
0,3
0,0
0,3
1,2
Change euro/dollar
1,24
1,26
1,37
1,47
1,39
1,33
1,39
1,29
1,33
1,33
1,11
1,10
1,13
Pétrole ($ Brent)
54,8
65,6
72,6
111,4
61,6
79,9
111,4
112,0 108,8
98,9
52,4
41,0
50,0
CAC 40 (31/12)
4715
5542
5614
3 218 3 936 3 805 3 160
3 641 4 296 4 273 4 637 4 850 5 200
(17) Les revirements permanents de la Fed, tout en la rendant moins crédible, rendent son action future plus difficilement prévisible au regard des fondamentaux de
l’économie américaine dans la mesure où elle chercherait à arbitrer entre surchauffe domestique et faiblesses extérieures, ou réciproquement : cela crée les conditions
de poussées ultérieures de volatilité.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
23
économie
Tableau 3. Le contexte économique de la France en 2016/2017
(Sources : données Feri, prévisions BPCE.)
En %
2005 2006 2007 2008 2009 2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
prév.
prév.
PIB
1,6
2,6
2,3
0,1
– 2,9
1,9
2,1
0,2
0,7
0,2
1,2
1,3
1,0
Conso. ménages
2,5
2,4
2,4
0,4
0,2
1,7
0,3
-0,2
0,5
0,6
1,4
1,6
1,0
Invest. Sociétés
non financières et
Entrepreneurs individuels
(Snf+Ei)
3,0
4,5
8,8
3,4
– 11,8
3,9
4,0
-0,1
0,8
2,0
2,1
3,8
2,1
Invest. ménages
4,4
5,1
2,5
– 4,1
– 12,5
1,5
1,0
– 2,1
– 1,5
– 5,3
– 2,7
– 0,8
1,6
Export
3,8
6,0
2,7
0,0
– 11,0
8,6
7,1
2,6
1,8
2,4
6,1
2,3
3,5
6,5
5,9
5,7
1,1
– 9,3
8,5
6,5
0,8
1,8
3,9
6,4
3,8
2,9
– 0,7
0,0
-0,8
– 0,3
– 0,3
-0,1
0,0
0,5
0,0
– 0,5
– 0,2
– 0,5
0,1
0,0
0,1
0,2
– 0,3
– 1,1
0,3
1,1
– 0,6
0,2
0,2
0,2
0,3
0,0
Taux de chômage (moyen)
8,9
8,8
8,0
7,4
8,8
8,9
8,8
9,4
9,9
9,9
10,0
9,9
9,9
Revenu disponible brut
(Rdb) ménages
1,0
2,4
3,0
0,3
1,6
1,2
0,2
-0,9
-0,1
1,1
1,8
1,5
1,1
Taux d'épargne
14,6
14,6
15,1
15,0
16,2
15,8
15,7
15,1
14,7
15,1
15,4
15,4
15,4
Solde budg. (% PIB)
– 3,2
– 2,3
– 2,5
– 3,2
– 7,2
– 6,8
– 5,1
– 4,9
– 4,1
– 4,0
– 3,5
– 3,4
– 3,3
Inflation (glist. an)
1,6
1,5
2,6
1,0
0,9
1,8
2,5
1,3
0,7
0,1
0,2
0,9
1,4
Inflation (moy. an)
1,7
1,7
1,5
2,8
0,1
1,5
2,1
2,0
0,9
0,5
0,0
0,2
1,5
Import
Solde extérieur
Var. stocks
(1)
(1)
(1) Contribution en point de PIB.
Tableau 4. Le contexte de taux d’intérêt en 2016/2017
(Sources : données Feri, prévisions BPCE.)
En %
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017
prév.
prév.
Taux directeur Fed
3,19
4,96
5,05
2,09
0,25
0,25
0,25
0,25
0,25
0,25
0,31
0,65
1,25
Taux à 3 mois USA
3,5
5,2
5,3
3,0
0,6
0,3
0,30
0,28
0,22
0,24
0,33
0,76
1,34
Taux à 10 ans USA
4,3
4,8
4,6
3,6
3,2
3,2
2,77
1,81
2,35
2,54
2,14
2,01
2,43
Taux directeur BCE
2,06
2,94
3,94
3,69
1,13
1,00
1,19
0,88
0,55
0,14
0,05
0,00
0,00
Taux à 3 mois France
2,2
3,1
4,3
4,6
1,2
0,81
1,39
0,57
0,22
0,21 – 0,02 – 0,24 – 0,25
Taux à 10 ans France
3,4
3,8
4,3
4,2
3,6
3,12
3,32
2,54
2,20
1,67
0,84
0,61
0,96
Taux swap à 10 ans France
3,5
4,0
4,5
4,5
3,6
3,04
3,10
1,96
1,90
1,46
0,88
0,66
1,00
Pente OAT 10 ans –­ 3 mois France
1,22
0,72
0,02
-0,40 2,42
2,30
1,93
1,96
1,98
1,45
0,86
0,85
1,21
Pente Swap 10 ans – 3 mois France 1,30
0,92
0,27
-0,12
2,22
1,71
1,39
1,68
1,25
0,90
0,90
1,25
2,32
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
n° 92
25
JURIDIQUE
LE BAIL À RÉHABILITATION :
UNE OPTION SOLIDAIRE ET RENTABLE
Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise
d’Ouvrage d’Insertion, et Jade Couderc,
Chargée des Partenariats, Solidarités Nouvelles
pour le Logement.
LA VENTE IMMOBILIÈRE CONFRONTÉE
À LA RÉFORME DU DROIT
DES CONTRATS ET DES OBLIGATIONS
Par Véronique Mas, Direction des Opérations
Corporate du Crédit Foncier, Maître Laurent Lemetti,
notaire à Paris 7e, et Christophe Salmon, Direction
Juridique du Crédit Foncier.
26
2
LE BAIL À RÉHABILITATION :
UNE OPTION SOLIDAIRE
ET RENTABLE
Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise d’Ouvrage d’Insertion, et Jade Couderc,
Chargée des Partenariats, Solidarités Nouvelles pour le Logement.
F
ace à la crise du mal-logement qui frappe plusieurs
millions de personnes, les pouvoirs publics ont créé
différents dispositifs permettant à des propriétaires et des
investisseurs d’être solidaires. Cette solidarité ne rend toutefois pas ces dispositifs exempts d’intérêts économiques.
Trois outils principaux sont à la disposition des propriétaires.
◗ Location/sous-location : le logement est loué à une association qui sous loue le bien à un ménage modeste. Différentes
options existent (bail glissant, location à titre gratuit, prêt
d’usage, dispositifs institutionnels « louez solidaire et sans
risque », « Solibail »).
◗ Cession et donation temporaires d’usufruit : l’usage du
logement et ses revenus sont transférés à une association.
◗ Bail à réhabilitation : le bien est confié à un « preneur » qui
réalise les travaux en lien avec le propriétaire et loue le bien
à des personnes à revenus modestes.
Afin de connaître le dispositif le plus avantageux pour le
propriétaire, il convient de bien prendre en compte différents critères. L’état du bien, le besoin ou non de percevoir
un loyer, l’usage du bien à court, moyen et long termes,
l’impôt sur le revenu et de solidarité sur la fortune, les
charges de copropriété sont autant d’éléments à étudier
préalablement.
Le bail à réhabilitation est une solution tout à fait intéressante, socialement et économiquement, pour un propriétaire qui n’a pas l’usage immédiat de son bien. C’est le cas,
par exemple, de personnes qui héritent d’un bien qu’elles
veulent conserver sans avoir la capacité de réaliser les travaux, ou pour une collectivité qui a un bien vacant et n’a pas
les moyens de l’entretenir. Elle est aussi intéressante pour
un investisseur à la recherche d’un patrimoine immobilier.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
JURIDIQUE
27
Tableau 1. Synthèse des outils à la disposition des propriétaires
Travaux
Durée du bail
Revenus
Fiscalité
La location/sous location
Pas de
travaux.
3 à 6 ans.
Perception d’un
loyer (dans le cas
du bail glissant
et des dispositifs
institutionnels).
Réduction de l’impôt sur le revenu.
Dans le cas de la location à titre gratuit,
les loyers non perçus sont considérés comme
des dons.
Cession et donation
temporaires d’usufruit
Pas de
travaux.
3 ans minimum.
Pas de revenus.
Exclusion du bien de la base imposable pour
les propriétaires soumis à l’ISF.
La taxe foncière n’est plus prise en charge
par le propriétaire.
Bail à réhabilitation
Lourds
travaux.
Durée légale
minimale de 12 ans.
En pratique, elle est
de 15 ans minimum.
Réhabilitation
du bien. Loyer
éventuel, à discuter
entre les parties.
Exclusion du bien de la base imposable pour
les propriétaires soumis à l’ISF. Exonération
de la taxe foncière.
Travaux effectués non imposés.
2.1 / UN PRINCIPE SIMPLE ET PRÉCIS
UN DISPOSITIF MIS EN ŒUVRE EN 1990 POUR
LUTTER CONTRE LE MAL-LOGEMENT
Les baux à réhabilitation ont été créés par la loi du 2 juin
1990, dite « Loi Besson 1 », qui vise à la mise en œuvre du
droit au logement. Cette loi crée les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées
(PDALPD) et un dispositif d’incitation à l’investissement
locatif, dont font partie les baux à réhabilitation.
Le bail à réhabilitation est un contrat passé entre le propriétaire d’un bien immobilier et un preneur. Le preneur
doit améliorer, réhabiliter le bien par ses travaux, louer
le bien à usage d’habitation à des personnes à revenus
modestes pendant la durée du bail, puis le restituer au propriétaire en bon état d’entretien.
Le preneur peut être un organisme d’habitation à loyer
modéré, une société d’économie mixte dont l’objet est de
construire ou de donner à bail des logements, une collectivité territoriale. Il peut également être un organisme bénéficiant de l’agrément de l’État relatif à la maîtrise d’ouvrage,
au titre de l’article L. 365-2 du code de la construction et
de l’habitation, comme c’est le cas de Solidarités Nouvelles
pour le Logement en Île-de-France.
Le bail à réhabilitation fait l’objet d’un acte notarié et
confère au preneur un droit réel immobilier. Il est consenti
pour une durée minimale de 12 ans et ne pourra faire l’objet
d’une prorogation par tacite reconduction. La durée convenue du bail est étroitement liée aux travaux à réaliser. Ils
devront pouvoir être amortis, s’ils sont conséquents, sur une
plus longue durée. Par ailleurs, nombreux sont les financeurs qui n’acceptent pas de subventionner un bail à réhabilitation d’une durée inférieure à 15 ans.
DES TRAVAUX DE RÉHABILITATION DE QUALITÉ
En signant un bail à réhabilitation, le preneur s’engage à
réaliser des travaux d’amélioration du bien. Le bailleur
et le preneur définissent ensemble la nature des travaux
à effectuer par le preneur, les caractéristiques techniques
et le délai d’exécution. Ces éléments sont précisés dans
le contrat et différents documents sont annexés (devis,
plans, genre et qualité des matériaux). Les travaux visent
une très bonne performance énergétique du bien, dans un
souci écologique mais aussi de réduction des charges pour
les locataires.
La possibilité de verser un loyer au propriétaire peut être
étudiée au cas par cas selon, notamment, l’importance des
travaux à réaliser et la durée du bail. Si la redevance versée
28 le bail à réhabilitation :
une option solidaire et rentable
au bailleur se fait en une fois à la signature du bail, elle peut
être incluse dans le coût de l’opération. Il est souvent difficile pour le preneur de verser un loyer mensuel ou annuel
au propriétaire. Les loyers des locataires sont plafonnés et
sont souvent très bas.
À l’issue du bail, le propriétaire récupère son bien libre,
remis en état et valorisé par les travaux.
2.2 / LES NOMBREUX INTÉRÊTS
DU BAIL À RÉHABILITATION
L
e bail à réhabilitation est un outil grâce auquel le bailleur valorise son patrimoine en bénéficiant de nombreux avantages. Il permet au preneur de remplir sa mission
sociale.
LE BAIL À
RÉHABILITATION
PRÉSENTE DES
AVANTAGES FINANCIERS MAIS AUSSI
UNE SÉRÉNITÉ DE GESTION.
◗ travaux d’entretien courant ;
◗ remise en état finale.
Bien qu’ils soient moins « visibles » financièrement, d’autres
facteurs méritent également d’être pris en compte dans les
calculs de rentabilité du propriétaire. Le preneur ayant la
charge de la gestion du bien, le gain de temps est considérable. Le propriétaire n’a plus à se soucier de la gestion locative, des travaux d’entretien courant ou du suivi des assemblées générales de la copropriété. Par ailleurs, les risques liés
à la vacance entre deux locataires ou aux impayés de loyers
éventuels sont également supportés par le preneur.
DES AVANTAGES FISCAUX
Pendant la durée du bail, le propriétaire n’a aucun revenu
locatif à déclarer. S’il est assujetti à l’impôt de solidarité sur
la fortune, le bien sort de l’assiette. Il n’a pas, non plus, à
payer de taxe foncière.
Par ailleurs, les travaux réalisés par le preneur ne font
l’objet d’aucune déclaration fiscale particulière à l’issue du
contrat. Cette mesure fiscale a été prise dans le cadre de
la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions, afin
d’encourager les baux à réhabilitation.
UN PATRIMOINE VALORISÉ ET PERFORMANT
ÉNERGÉTIQUEMENT
Les travaux effectués par le preneur entraînent une très
bonne performance énergétique du logement grâce à d’importants travaux d’isolation thermique, à un système de
chauffage plus économe… Cette amélioration est d’ailleurs
une condition obligatoire pour que le preneur puisse bénéficier de certaines subventions.
UNE FORTE CONTRIBUTION SOCIALE
UNE PRISE EN CHARGE TOTALE DE LA GESTION
ET DES FRAIS PAR LE PRENEUR
En signant un bail à réhabilitation, le preneur s’engage à
prendre en charge jusqu’au terme du bail la gestion et les
frais qui incombent habituellement au propriétaire :
◗ frais de notaire pour la rédaction du bail ;
◗ responsabilité des travaux jusqu’à leur bon achèvement ;
◗ coût des travaux de réhabilitation ;
◗ taxe foncière ;
◗ charges de copropriété ;
En signant un bail à réhabilitation, le propriétaire a l’assurance que son bien servira à la production de logements
sociaux garantissant ainsi un impact social fort. Selon les
caractéristiques du bien, notamment sa localisation et sa
taille, le propriétaire contribue à développer la mixité sociale
sur des territoires où le logement social est peu présent.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
29
juridique
UNE RENTABILITÉ FINANCIÈRE
Les gains financiers liés au bail à réhabilitation sont loin
d’être négligeables. En plus des travaux d’amélioration pris
en charge par le preneur, il faut déduire pour le propriétaire la taxe foncière, les frais d’entretien, les charges de
copropriété. Sans oublier la diminution des impôts liée à la
réduction de l’assiette d’imposition.
Le bail à réhabilitation est donc un placement immobilier
garantissant une sécurité locative et la tranquillité du propriétaire. Il peut également se montrer très rentable.
UN DISPOSITIF TROP PEU CONNU
Outil solidaire et rentable, le bail à réhabilitation est une
démarche « gagnant-gagnant » pour le propriétaire du bien
comme pour le preneur et les pouvoirs publics. Il présente
de nombreux avantages pour le propriétaire : des avantages
financiers mais aussi une sérénité de gestion. Il permet aux
organismes produisant du logement social de créer des logements, en très bon état, pour des personnes modestes. Il est
également un outil très intéressant pour les pouvoirs publics :
utilisation rationnelle des fonds publics, amélioration du parc
ancien, lutte contre la précarité énergétique, mixité sociale. Le
bail à réhabilitation est un dispositif encore trop peu connu.
Les organismes habilités à recevoir et gérer les biens, comme
Solidarités Nouvelles pour le Logement, sont à la disposition
de chacun pour encourager son développement.
ZOOM SUR L’ACTION DE SOLIDARITÉS
NOUVELLES POUR LE LOGEMENT
Depuis près de 30 ans, Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL) met en œuvre une démarche originale, fondée
sur un engagement citoyen pour aider les plus démunis à
se loger et à garder pied dans la société. Elle crée des logements très sociaux (par construction, achat-rénovation, bail
à réhabilitation ou mise à disposition), qu’elle loue à des
personnes en difficulté « le temps qu’il faut » pour qu’elles
retrouvent une stabilité. Chaque ménage est accompagné
par des bénévoles du quartier et par un travailleur social
de l’association.
L'association, qui compte 1 000 logements, 1 100 bénévoles et
plus de 70 salariés, a accueilli, accompagné puis relogé plus
de 8 000 personnes depuis sa création. En partenariat avec
l'Essec et le Crédit Foncier de France, qui soutient SNL
depuis plusieurs années, l’association évalue l’impact social
de son action. Son étude d’impact 2014 montre notamment
que 93 % des personnes accueillies par SNL accèdent de façon
pérenne à un logement de droit commun.
Les opérations immobilières sont portées par SNL-Prologues, foncière agréée entreprise solidaire d’utilité sociale
(ESUS) et maîtrise d’ouvrage d’insertion (MOI), lauréate en
2012 du Prix de la finance solidaire décerné par Finansol.
Elle gère aujourd’hui le parc des 1 000 logements, dont plus
de 150 en bail à réhabilitation.
Pour en savoir plus :
www.snl-union.org ou 01 75 43 88 95.
POUR ALLER PLUS LOIN
Code de la construction et de l’habitation – articles L. 252-1
à L. 252-4.
Professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage d’insertion,
ministère de l’Égalité des territoires et du logement – mai
2012.
Guide du propriétaire solidaire de la Fapil, édition 2015
www.snl-union.org.
LES AVANTAGES DU BAIL
À RÉHABILITATION
◗ Absence de revenu locatif à déclarer.
◗ Sortie du bien du patrimoine de l’ISF.
◗ Remise à neuf du bien grâce à des travaux de haute
qualité environnementale.
◗ Aucun coût de gestion pendant la durée du bail (charges
de copropriété, taxe foncière).
◗ Tranquillité de gestion.
◗ Garantie de retrouver son bien libre à la fin du bail.
30
3
LA VENTE IMMOBILIÈRE
CONFRONTÉE À LA RÉFORME
DU DROIT DES CONTRATS
ET DES OBLIGATIONS
Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier,
Maître Laurent Lemetti, notaire à Paris 7e, et Christophe Salmon, Direction Juridique
du Crédit Foncier.
P
ierre angulaire du droit français des contrats depuis
1804, le Code civil a été amendé à de nombreuses
reprises, ce qui a donné lieu à des réactions parfois mitigées
de la doctrine et des praticiens du droit.
Cependant, le droit des obligations et des contrats n’a connu
que deux adjonctions notables relatives, en 1975, à la clause
pénale et en 2004 aux contrats électroniques.
Cette quasi-intangibilité des dispositions du Code civil relatives au droit des obligations et des contrats ne traduit pas
les solutions du droit positif caractérisé par une jurisprudence foisonnante, qui a considérablement fait évoluer la
matière depuis 1804.
Nul n’ayant un droit acquis au maintien de solutions jurisprudentielles, une réforme d’envergure permettant également d’adapter les dispositions du Code aux exigences de la
modernité et d’améliorer leur lisibilité était impérative au
seul regard de la sécurité juridique.
Du fait d’un caractère a priori technique et d’annonces successives restées sans suite, la réforme finalement appliquée
par voie d’ordonnance n’a pas suffisamment appelé l’attention des professionnels, notamment de l’immobilier et du
grand public.
La présente étude s’efforce d’identifier les possibles effets
concrets de cette réforme sur de futures ventes immobilières.
L’ordonnance, qui s’appliquera aux contrats signés à compter du 1er octobre 2016, sous réserve de sa ratification par
le Parlement, a essentiellement pour conséquence, dans ce
cadre d’étude, la sécurisation des avant-contrats et de la formation du contrat de vente lui-même.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
31
juridique
3.1 / LA SÉCURISATION
DES AVANT-CONTRATS
L
a période précontractuelle peut être définie comme
l’intervalle de temps compris entre les premières négociations et la régularisation d’un avant-contrat.
Les règles applicables étaient exclusivement d’origine jurisprudentielle ; le Code civil encadre désormais les relations
des futurs contractants.
LA PHASE PRÉCONTRACTUELLE
Distinction entre offre et invitation à entrer
en négociation
Le nouvel article 1114 du Code civil dispose qu’une offre ne
peut engager la personne qui l’émet qu’à condition que cette
personne ait clairement manifesté le souhait d’être liée en
cas d’acceptation du destinataire de l’offre. Dès lors, l’accord
de principe qui indique clairement qu’un accord définitif
ultérieur devra intervenir (ce qui constitue une offre avec
réserves) ne pourra engager son auteur (1).
Maintien obligatoire de l’offre
L’émetteur de l’offre ayant pris position de façon ferme, il ne
peut désormais plus se rétracter pendant la durée de validité de l’offre. Il s’agit là d’une position novatrice (2).
Absence de caractère tacite de l’acceptation
A contrario de l’adage qui veut que « qui ne dit mot
consent », le nouvel article 1120 du Code civil consacre le
principe selon lequel « le silence ne vaut pas acceptation ».
Il est à craindre que les exceptions énumérées dans la deuxième partie de cet article, c’est-à-dire « la loi, les usages,
les relations d’affaires ou les circonstances particulières », ne
suscitent une jurisprudence fournie et dont les lignes directrices seront difficilement déterminables.
Obligations des parties en phase de négociation
Les articles 1112 et suivants du Code civil établissent dorénavant un cadre légal aux pourparlers et au processus d’élaboration du contrat.
Trois obligations sont mises à la charge des futures parties
au contrat de vente.
◗ L’obligation de négocier de bonne foi (article 1112, « ils
doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne
foi »), d’ordre public et qui ne pourra donc ni être exclue, ni
être conventionnellement aménagée.
(1) Il s’agit d’une confirmation de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière bancaire (Cour de cassation, Com. 10 janvier 2012, pourvoi n° 10-26.14).
(2) Une jurisprudence constante considérait que l’acceptation de l’offre ne produisait pas effet lorsque l’auteur de l’offre s’était rétracté avant que l’acceptation
n’intervienne, faute de rencontre des volontés (Cour de cassation Civ. 3 – 15 décembre 1993, pourvoi n° 91-10199). Seule la révocation fautive de l’offre pouvait donner
lieu à une réparation au profit du destinataire de l’offre, sous forme de dommages et intérêts (Cour de cassation Civ. 3 – 7 mai 2008, pourvoi n°07-11.690).
32 la vente immobilière confrontée à la réforme
du droit des contrats et des obligations
LE PACTE DE
PRÉFÉRENCE,
LA PROMESSE
UNILATÉRALE DE VENTE ET
LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE
DE VENTE N’ONT PAS TOUS ÉTÉ
CONSACRÉS PAR LA RÉFORME.
◗ L’obligation de réparer les fautes commises à l’occasion de
« l’initiative, le déroulement, ou la rupture des négociations
précontractuelles ». L’objectif est de prévenir la rupture abusive des négociations.
Cependant, la réparation du dommage ne « peut avoir pour
objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat
non conclu ».
◗ L’obligation d’informer le futur contractant. Le régime de
cette obligation est défini en détail par l’article 1112-1, qui
dispose que « celle des parties qui connaît une information
dont l’importance est déterminante pour le consentement de
l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette
dernière ignore cette information ou fait confiance à son
cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte
pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminante les informations qui ont
un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou de
la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une
information lui était due de prouver que l’autre partie la lui
devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a
fournie ».
On note que cette obligation spécifique d’information se
distingue de la réticence dolosive en ce sens que les manquements à cette obligation peuvent être non intentionnels.
Elle dépasse les exigences du droit de la consommation
puisqu’elle peut être due à un professionnel et peut aller
au-delà des informations auparavant requises par des lois
particulières, par exemple environnementales. Dans des
cas extrêmes, elle pourrait conduire à des jurisprudences
surprenantes. Si une telle obligation d’information avait
existé, les protagonistes du film Nous irons tous au Paradis (3) auraient vraisemblablement pu obtenir l’annulation
d’une vente de maison contigüe à la piste d’un aéroport,
maison acquise après visite pendant une longue grève des
pilotes de ligne.
3.2 / LES AVANT-CONTRATS
P
ratiquement ignorés du Code civil, le pacte de préférence, la promesse unilatérale de vente et la promesse
synallagmatique de vente n’ont pas tous été consacrés par
la réforme.
LE PACTE DE PRÉFÉRENCE
(ARTICLE 1123 DU CODE CIVIL)
Souvent accessoire à un autre contrat, et aux modalités de
mise en œuvre très variées, le pacte de préférence peut se
révéler comme un risque pour le praticien qui ne l’aurait
pas pris en compte dans le cadre de la préparation d’un
contrat.
Définition
Le pacte de préférence, dans le cadre d’une vente, est un
contrat par lequel le promettant s’engage, au cas où il se
déciderait à vendre un bien, à le proposer en priorité à une
autre personne, le bénéficiaire. Le promettant ne s’oblige
pas à vendre mais, au cas où il vendrait, à se tourner en
premier lieu vers le bénéficiaire. Cette mécanique est transposable à d’autres types de contrat (par exemple un pacte de
préférence portant sur la conclusion d’un bail).
(3) Comédie française sortie le 9 novembre 1977, réalisation Yves Robert, scénario Jean-Loup Dabadie.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
33
juridique
Exemples pratiques
On peut citer différents cas de figure dans lesquels on rencontre ce type d’avant-contrats ; par exemple :
◗ lorsqu’une personne fait face à des difficultés financières
qui l’obligent à vendre un bien, et souhaite avoir la possibilité de racheter le bien vendu s’il est à nouveau mis sur
le marché, et si elle est alors revenue à meilleure fortune ;
◗ dans les baux commerciaux, le locataire peut souhaiter
avoir la priorité sur un autre acheteur en cas de vente de
l’immeuble qu’il loue. Depuis la loi Pinel, qui offre au locataire commercial un droit de préemption, ces pactes de
préférence n’ont d’intérêt que lorsque la vente sera un cas
d’exception au droit de préemption.
Portée du pacte
La principale source de contentieux constatée en la matière
concerne le cas où le promettant, ne respectant pas le pacte,
conclut un contrat avec une tierce personne sans l’avoir proposé au préalable au bénéficiaire. En effet, le pacte de préférence crée un droit personnel au profit du bénéficiaire et n’est
donc pas supposé être attaché au bien lui-même. On peut dès
lors s’interroger sur les recours dont dispose le bénéficiaire
évincé, et les sanctions qui pèsent sur le tiers contractant.
Droits du bénéficiaire évincé
Consacrant la jurisprudence en la matière (4), le Code civil,
dans sa nouvelle rédaction, offre au bénéficiaire évincé
la possibilité d’agir en nullité ou de se substituer au tiers.
Toutefois, cette demande du bénéficiaire ne pourra être
accueillie par les juges qu’à la condition que l’acquéreur soit
de mauvaise foi, ce qui peut être établi en prouvant qu’il
connaissait l’existence du pacte, et qu’il savait que le bénéficiaire du pacte entendait accepter la proposition qui devait
lui être faite. Dans tous les autres cas, le bénéficiaire évincé
ne pourra obtenir qu’une compensation financière (la « réparation du préjudice subi »).
Action interrogatoire
Innovation de la réforme, l’action interrogatoire (article 1123
alinéas 3 et 4) est un outil de sécurisation.
Elle permet au tiers d’interroger par écrit le bénéficiaire du
pacte, dans un délai déterminé. Le tiers demande au bénéficiaire de confirmer qu’il est titulaire d’un droit de préférence, et d’indiquer s’il compte s’en prévaloir. Une fois
le délai fixé expiré, et faute pour le bénéficiaire de s’être
prononcé, la nullité ou la substitution ne pourront plus être
demandées, et le tiers pourra se porter acquéreur de l’immeuble sans courir le risque d’une action en substitution
ou en nullité par un « éventuel » bénéficiaire d’un pacte de
préférence. Il est permis de s’interroger sur l’opportunité
d’une telle action interrogatoire pour un tiers.
En effet, la preuve du fait que le tiers avait connaissance de
« l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir » semble difficile
à apporter en dehors de l’exercice par ce dernier de cette
action interrogatoire. Par conséquent, le risque de se voir
opposer la nullité de l’acte, ou la substitution, semble limité
aux cas de fraude manifeste. Paradoxalement, un tiers de
mauvaise foi qui n’aurait pas interrogé le bénéficiaire d’un
pacte de préférence et aurait conclu un acte de vente sur le
bien concerné ne serait exposé qu’à une action en dommages
et intérêts.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
connaissance du pacte
L’exercice de l’action suppose d’avoir connaissance de l’existence du pacte. En raison de la multiplicité des hypothèses
possibles, un pacte de préférence peut ne pas avoir été inséré
(4) Avant cet arrêt en date du 26 mai 2006, la jurisprudence constante avait posé le principe que l’exécution en nature n’était envisageable que sous réserve « qu’elle soit
possible » et ne viole pas les dispositions de l’article 1142 du Code civil, et avait exclu du périmètre le pacte de préférence.
La chambre mixte, le 26 mai 2006, opère un revirement et rend un arrêt posant le principe que le bénéficiaire d’un pacte de préférence a le droit d’exiger l’annulation
du contrat conclu mais, surtout, obtenir la substitution à l’acquéreur. « Si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec
un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du
pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. »
34 la vente immobilière confrontée à la réforme
du droit des contrats et des obligations
dans le titre de propriété du vendeur, ou ne pas avoir été
publié au service de la publicité foncière (5). Il est également
possible qu’il fasse l’objet d’une clause de confidentialité.
En tout état de cause, l’exercice de l’action interrogatoire
suppose que le pacte de préférence soit révélé aux tiers.
Il est donc possible de s’interroger sur l’effectivité de cette
action.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
délai raisonnable
Par ailleurs, le délai de réponse du bénéficiaire doit être « raisonnable », ce qui laisse une part de subjectivité et donc d’interprétation des parties et, le cas échéant, des juges. En pratique, le délai raisonnable sera vraisemblablement identique
aux délais de réponse des titulaires de droits de préemption.
Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire :
mention écrite
Enfin, le troisième alinéa de l’article 1123 indique que l’écrit
par lequel est exercée l’action interrogatoire doit mentionner
l’extinction des actions en nullité et en substitution en l’absence de réponse du bénéficiaire du pacte. Ce texte ne précise
pas la nature des sanctions de l’absence de cette mention.
LA PROMESSE UNILATÉRALE DE VENTE
(ARTICLE 1124 DU CODE CIVIL)
Ignorée du Code civil antérieurement à la réforme mais utilisée par les praticiens, la promesse unilatérale de vente est
consacrée par la réforme.
Définition
La promesse unilatérale est le contrat par lequel l’une des
parties, appelée « promettant », donne son consentement
à un contrat définitif, dont les conditions sont d’ores et
déjà déterminées, et offre à l’autre partie, appelée « bénéficiaire », la faculté de conclure ce contrat, à son choix. On dit
alors que le bénéficiaire est titulaire d’une option.
Engagement des parties à l’acte
Le promettant est définitivement engagé et ne peut plus se
rétracter, tandis que le bénéficiaire conserve sa liberté en
contrepartie d’un éventuel dédommagement financier, de ne
pas finaliser l’opération.
Sort des parties en cas d’inexécution du contrat :
solutions antérieures à la réforme
L’enjeu majeur dont la jurisprudence a dû connaître est la
possibilité de forcer l’exécution du contrat lorsqu’une des
parties refuse de régulariser le contrat définitif.
◗ Du côté du bénéficiaire, la sanction est purement financière et prévue au contrat : il lui est permis de ne pas signer
le contrat définitif. Dans ce cas, il accepte de perdre l’indemnité d’immobilisation convenue lors de la signature de la
promesse, sauf à prouver qu’une des conditions suspensives
prévues dans l’avant-contrat ne s’est pas réalisée.
◗ Du côté du promettant, il était établi en jurisprudence
que l’obligation pesant sur lui était une obligation de faire,
dont l’inexécution donnait lieu à des dommages et intérêts
en vertu de l’actuel article 1142 du Code civil, mais pas à la
signature forcée de la vente. La pratique avait donc pour
habitude d’insérer dans les avant-contrats une clause aux
termes de laquelle le promettant consentait à renoncer au
bénéfice de l’article 1142 du Code civil, et acceptait que le
bénéficiaire poursuive l’exécution forcée de la vente si le
promettant refusait de signer l’acte définitif.
Disparition de la notion d’obligation de faire
L’ancienne classification des obligations (obligations de
faire, de ne pas faire, et de donner) est ignorée par l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel article 1217 du Code
civil énumère les sanctions du non-respect d’une obligation
contractuelle :
◗ le refus ou la suspension d’exécution du contrat ;
◗ l’exécution forcée en nature ;
(5) Ainsi, par exemple, et cette hypothèse très fréquente recouvre les deux premiers cas de figure, lorsqu’un bail commercial contient un pacte de préférence au profit
du locataire en cas de vente de l’immeuble.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
35
juridique
LA PROMESSE
UNILATÉRALE DE VENTE
APPARAÎTRA À COMPTER
DU 1ER OCTOBRE 2016 COMME
L’AVANT-CONTRAT DE RÉFÉRENCE.
◗ la réduction de prix ;
◗ la résolution du contrat ;
◗ la réparation des conséquences de l’inexécution.
Ces différentes sanctions sont cumulables lorsque cela est
possible.
Sort des parties en cas d’inexécution du contrat :
solutions postérieures à la réforme
L’article 1124 du Code civil, dans sa nouvelle rédaction,
prévoit que la levée d’option par le bénéficiaire forme le
contrat, même si le promettant a manifesté sa volonté de
se rétracter, et que le contrat conclu en violation de la promesse de vente peut être annulé.
Par ailleurs, le nouvel article 1221 du Code civil dispose que
l’exécution en nature peut être poursuivie, en cas d’inexécution par une partie, sauf si elle est impossible ou si elle est
disproportionnée.
La combinaison de ces dispositions permet donc de s’interroger sur l’utilité de continuer à intégrer dans les promesses
de vente une clause d’exécution forcée, celle-ci semblant
être ouverte au bénéficiaire par le seul effet de la loi.
Devenir du contrat conclu en violation de la promesse
La sanction prévue en cas de contrat conclu en violation d’une promesse est la nullité de l’acte frauduleux, au
contraire des dispositions concernant le pacte de préférence : la simple preuve de la connaissance qu’avait le tiers
de l’existence de la promesse suffit pour demander la nullité.
LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE
Seul avant-contrat connu du Code civil à ce jour, la promesse synallagmatique de vente n’est mentionnée que par
un seul texte (6), qui l’assimile au contrat de vente définitif et
l’envisage alors en tant que vente et non en tant qu’avantcontrat.
Définition
La promesse synallagmatique de vente est le contrat par
lequel l’une des parties, appelée « promettant », donne son
consentement à un contrat définitif, dont les conditions sont
d’ores et déjà déterminées, ce qui est accepté par l'autre
partie, appelée « bénéficiaire », qui donne également son
consentement à ce contrat.
Difficultés de qualification
La frontière est ténue entre la promesse synallagmatique de
vente et la vente elle-même, dans la mesure où les consentements réciproques ont été donnés et constatés. En effet,
le droit français des contrats est fondé sur le principe du
consensualisme, qui veut que le contrat se forme par la
simple rencontre des volontés, dès lors que les parties sont
d’accord sur la chose et le prix. La promesse synallagmatique de vente est donc fréquemment présentée comme une
vente sous condition suspensive.
Intérêts et inconvénients de la promesse
synallagmatique de vente
Souvent considérée comme plus protectrice pour le promettant, puisque le bénéficiaire est immédiatement engagé,
la promesse synallagmatique n’est pas sans soulever des
difficultés en cas de défaillance du bénéficiaire. En effet,
alors que, dans une promesse unilatérale, le promettant peut
recouvrer sa liberté et exiger le paiement de l’indemnité
d’immobilisation, dans une promesse synallagmatique, il n’a
d’autre choix que de faire constater en justice que la vente
est effective, pour en demander l’exécution forcée.
(6) Article 1589 du Code civil, alinéa 1 : « La promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ».
36 la vente immobilière confrontée à la réforme
du droit des contrats et des obligations
contrats. Nous nous attacherons ici à présenter les modifications que le praticien devra avoir à l’esprit, sans que cette
liste soit exhaustive.
LE CONSENTEMENT
Réticence dolosive
Consacrée par le nouvel article 1137, la réticence dolosive consiste à cacher sciemment une information dont la
connaissance aurait pu influer sur la décision de l’autre partie de contracter ou non.
Lien entre réticence dolosive et inexécution
de l’obligation d’information
Le nouvel article 1112-1 du Code civil relatif à l’obligation
d’information renvoie, pour la sanction, à l’annulation qui
peut être demandée sur le fondement des articles 1130 et
suivants, relatifs aux vices du consentement.
Place de la promesse synallagmatique dans le nouveau
droit des contrats
La promesse synallagmatique de vente est purement et
simplement ignorée du nouveau dispositif légal. La promesse unilatérale de vente apparaîtra donc à compter du
1er octobre 2016 comme l’avant-contrats de référence.
3.3 / LA SÉCURISATION DE LA
FORMATION DU CONTRAT DE VENTE
LA VALIDITÉ DU CONTRAT
Dans une volonté de simplification, l’ordonnance du
10 février 2016 a remanié les conditions de validité des
Il est permis de s’interroger quant à la différence effective entre les deux notions très voisines de manquement
à l’obligation d’information et de dol par réticence (silence
dolosif). La première, si elle ne s’accompagne pas d’un vice
du consentement, peut seulement donner lieu à une action
en dommages et intérêts. La seconde, en tant que vice du
consentement, pourrait justifier une action en nullité du
contrat.
Caractère subjectif du contenu de l’information
Le Code civil affirme que l’obligation d’information, d’ordre
public, n’a pas pour objet « l’estimation de la valeur de la
prestation », sous réserve de la bonne foi des négociations
édictée par le nouvel article 1104 du Code civil. Par ailleurs,
on peut s’interroger sur la notion « d’importance déterminante » pour le consentement au sens de l’article 1112-1,
qui risque de générer un contentieux important. Ainsi, par
exemple, que penser des informations relatives à des événements survenus dans l’immeuble à vendre tels qu’un drame
familial ou encore les informations relatives à l’utilisation
antérieure de l’assiette foncière (par exemple un ancien
cimetière) ?
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
37
juridique
Notion de violence
La violence a été redéfinie et son régime largement modifié
par la réforme.
Pour les contrats de vente d’immeuble régularisés à compter du 1er octobre 2016, ceux-ci pourront être contestés pour
violence dans deux hypothèses possiblement cumulatives.
Dans une première hypothèse, la violence peut être caractérisée par des actes matériels concernant une ou plusieurs
parties et/ou leurs « proches », cette notion devant être précisée par la jurisprudence ou la loi de ratification.
Dans une seconde hypothèse, la violence vice du consentement peut être admise en dehors de tout acte matériel.
Elle pourrait résulter d’un « abus de dépendance » au sens
du nouvel article 1143 du Code civil. La dépendance envisagée peut être d’ordre économique ; c’est la raison pour
laquelle la doctrine majoritaire la qualifie déjà de « violence
économique ». Mais cette dépendance pourrait également
être d’ordre psychologique, sentimental, etc., le texte définitivement adopté ayant renoncé à l’utilisation du terme de
« faiblesse ». Par ailleurs, pour être caractérisé, ce nouveau
type de violence doit également permettre au cocontractant
d’obtenir « un engagement » que l’autre partie « n’aurait pas
souscrit en application de la contrainte » et « d’en tirer un
avantage manifestement excessif ».
LA CAPACITÉ DE CONTRACTER
Risques inhérents à la représentation
La procuration ou délégation de pouvoir, fréquemment utilisée en pratique pour permettre la régularisation d’un contrat
lorsque l’une des parties ne peut être physiquement présente, n’est pas sans danger. En effet, le mandat étant révocable (article 2004 du Code civil), un doute peut toujours
subsister quant à savoir si le mandataire est toujours effectivement investi d’une délégation de pouvoir. Certes, une
protection est offerte au contractant qui n’était pas averti de
LA CAUSE DU CONTRAT
A DISPARU DU NOUVEL
ARTICLE 1128 DU CODE
CIVIL, QUI FIXE LES CONDITIONS
DE VALIDITÉ DU CONTRAT.
la révocation (article 2005 du Code civil). Mais l’incertitude
peut aussi relever de l’étendue des pouvoirs, lorsque le mandat est imprécis ou ambigu.
Action interrogatoire
Pour remédier à cette situation, le nouvel article 1158 du
Code civil offre au contractant une action interrogatoire
qui lui permet de vérifier auprès du mandant l’étendue des
pouvoirs du mandataire. Il suffira alors, pour le tiers au
mandat, d’interroger le mandant pour obtenir confirmation
du contenu du mandat, en fixant un délai de réponse raisonnable (7) à l’expiration duquel l’acte peut être conclu sans
que le mandant puisse par la suite contester l’habilitation du
mandataire à le représenter.
LES MOTIFS DU CONTRAT
Disparition de la notion de cause
Redoutée par des générations d’étudiants en droit, décriée
par certains auteurs qui en contestaient l’utilité, pilier de
la théorie contractuelle pour d’autres, la cause du contrat
a disparu du nouvel article 1128 du Code civil, qui fixe les
conditions de validité du contrat.
Consécration de la théorie des ensembles contractuels
Faut-il voir dans la suppression de ce terme de cause une
réelle modification ? En effet, l’ordonnance du 10 février
2016 a recours à trois notions évoquant cumulativement les
anciennes notions de cause :
(7) Nous renvoyons ici le lecteur aux questions soulevées par le caractère raisonnable du délai de réponse dans le cadre d’un pacte de préférence, supra.
38 la vente immobilière confrontée à la réforme
du droit des contrats et des obligations
◗ le « contenu » du contrat (nouvel article 1128) et son « but »
(nouvel article 1162), qui constituent la cause subjective du
contrat ;
◗ et la « contrepartie » de la prestation (nouvel article 1166),
qui constitue la cause objective du contrat.
LA DÉMATÉRIALISATION DU CONTRAT
Recodification des dispositions existantes
L’ordonnance du 10 février 2016 reprend presque à la lettre
les dispositions des articles 1360-1 et suivants du Code civil
actuel, mais les intègre aux règles de validité des contrats,
ce qui manifeste une volonté de renforcer une pratique qui
tend à se démocratiser.
Pratique croissante des échanges par voie électronique
On constate, en effet, que les échanges par voie électronique
se font de plus en plus nombreux dans le cadre de la conclusion d’un contrat, même si à ce jour une infime proportion
des ventes immobilières est réalisée par voie numérique.
Il s’agit naturellement des échanges de correspondance
par courriel dans le cadre des négociations, mais aussi de
pratiques plus formelles comme le courrier électronique
recommandé. Ce nouvel outil permet d’adresser par voie
électronique des documents qui devaient auparavant être
nécessairement acheminés par recommandé postal : ainsi,
notamment, des documents nécessaires à la purge du droit
de rétractation ou de réflexion prévu au bénéfice de l’acquéreur par l’article L.271-1 du Code de la construction et de
l’habitation, mais également des offres de prêt et documents
annexes adressés à l’emprunteur. Outre l’aspect écologique,
ce procédé sécurise les délais, puisque la date de réception
d’un courriel est bien plus facile à maîtriser que sa date de
réception.
de validité éventuelles de ces documents (nouvel article 1176
du Code civil) ;
◗ se soit assuré, dans certains cas, que le destinataire dispose d’une imprimante (nouvel article 1177 du Code civil,
concernant les envois devant être réalisés en plusieurs
exemplaires) ;
◗ ait recueilli au préalable l’accord du destinataire pour
que l’envoi lui soit fait sous forme électronique (nouveaux
articles 1126 et 1127-5 du Code civil).
Précautions pratiques : mention manuscrite
Soulignons, enfin, concernant les actes sous signature privée relevant du droit de la famille ou constitutifs de sûretés consenties par les particuliers que, lorsqu’une mention
manuscrite est exigée, cette mention ne peut être apposée
par voie électronique (nouvel article 1175 du Code civil).
Les premiers commentaires de l’ordonnance du 10 février
2016 mettent en lumière différentes améliorations à apporter
à la réforme. Des ajustements seront donc à prévoir dans le
cadre de la loi de ratification, qui devra être déposée devant
le Parlement au plus tard six mois à compter de la date de
publication de l’ordonnance, intervenue le 11 février 2016.
Précautions pratiques : vérifications préalables
Une vigilance particulière s’impose lorsque le contractant
n’est pas un professionnel, puisque le Code civil exige, dans
ce cas, que l’expéditeur :
◗ ait vérifié au préalable que la lisibilité et la présentation
des documents électroniques sont conformes aux conditions
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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40
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
n° 92
41
SOCIO-ÉCONOMIE
LE LOGEMENT DES CLASSES MOYENNES :
LE DÉCLASSEMENT
Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po,
Dirigeant de la société de prospective Éclairs
(www.eclairs.fr).
42
4
LE LOGEMENT
DES CLASSES MOYENNES :
LE DÉCLASSEMENT
Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po, Dirigeant de la société
de prospective Éclairs (www.eclairs.fr).
4.1 / DES CLASSES MOYENNES
QUI NE SONT PAS LOGÉES À LA MÊME
ENSEIGNE
D
e quoi parle-t-on ? Il existe un nombre incalculable
d’articles et de livres sur les classes moyennes, alimentant un nombre important de débats spécialisés et de
controverses aussi bien techniques que politiques. On ne
prétendra pas répondre de manière définitive. Mais on cherchera à synthétiser les principales approches – au nombre de
trois –, cela afin d’approcher ensuite les conditions de logement des personnes et ménages que l’on peut réunir sous la
dénomination de classe moyenne (1).
Alors qu’elles ont autrefois été érigées, en France, en une
catégorie unitaire, mais de taille relativement restreinte,
on peine aujourd’hui à trouver le dénominateur commun
d’une large population qui se trouve dans une position intermédiaire entre les nantis et les moins bien lotis. Maintenant plutôt captées dans des entre-deux, par exemple entre
une France d’en haut et une France d’en bas, les classes
moyennes présentent une grande dispersion de profils.
La classe moyenne a, un temps dans l’histoire, bénéficié
d’une certaine unité, qui pouvait légitimer son singulier.
Aujourd’hui, le pluriel s’impose pour des classes moyennes
qui se sont étendues et banalisées.
C’est du choix des définitions et des délimitations que vont
dépendre les observations et conclusions sur les liens entre
classes moyennes et logement. On retient trois orientations.
(1) Pour davantage de précisions, lire Julien Damon, Les classes moyennes, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2012. Et pour compléter le propos à partir d’une étude originale
sur le logement des classes moyennes, voir le travail dirigé par François Cusin, Le logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ? sur le site www.fondation.
dauphine.fr/.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
43
socioéconomie
UN CRITÈRE SOCIOLOGIQUE : PROFESSION,
VALEURS ET MODE DE VIE
Une entrée pour approcher ces classes est de passer par
la profession, qui reste un critère important de classement.
Selon la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles, les classes moyennes peuvent
regrouper les « professions intermédiaires », une partie des
« cadres supérieurs » et également des « employés ». Dotées
de capitaux économiques, mais aussi scolaires et culturels
importants, les strates intermédiaires françaises aspireraient
à une mobilité sociale ascendante et à une certaine qualité
de vie. Elles développeraient un rapport particulier à l’éducation, l’école étant perçue comme un moyen d’ascension
sociale efficace, tout comme le fait de devenir propriétaire
de son logement.
La localisation du logement devient probablement un critère plus déterminant, une partie importante des catégories intermédiaires de la population ne pouvant plus rester
dans des centres-ville devenus trop chers et ne souhaitant
pas vivre dans des quartiers d’habitat social dépréciés. On
observerait une périurbanisation des classes moyennes. Ces
constats méritent le conditionnel car ils ne sont pas documentés par des séries statistiques fouillées décrivant les
évolutions sur le long terme. Les mouvements sont, en tout
état de cause, difficilement contestables.
Ces approches par nomenclature de catégories socioprofessionnelles (CSP – ou PCS pour professions et catégories
sociales) ne sont ni les plus aisées, ni les plus usitées, maintenant. Elles relèvent, un peu comme en science naturelle,
d’un exercice de classement, de taxinomie, avec d’infinis
débats pour savoir si telle ou telle sous-catégorie (ouvrier
qualifié, professeur de lycée) appartient ou se situe aux
marges des classes moyennes.
UN CRITÈRE ÉCONOMIQUE : REVENUS ET NIVEAU
DE VIE
Le critère des revenus peut être utilisé en assimilant les
classes moyennes au groupe de ménages situé au cœur de la
distribution des revenus. Tout est dès lors affaire de conven-
tion sur ce qu’est le centre de la distribution des revenus
et l’importance de sa périphérie. L’étendue de la classe
moyenne varie ainsi fortement.
Avec une définition extensive, on peut considérer que les
classes moyennes rassemblent 80 % de la population. Les
10 % les plus modestes et les 10 % les plus riches n’appartiennent pas aux classes moyennes. Si la population englobée
paraît considérable, cette approche a une certaine pertinence
en France. Un tel intervalle rassemble en effet la population dont les ressources proviennent essentiellement d’un
revenu salarié. Avec une définition plus restrictive, on peut
considérer que les classes moyennes rassemblent 60 % de la
population. Les 20 % les plus modestes et les 20 % les plus
riches en sont exclus.
44 le logement des classes moyennes :
le déclassement
EN FRANCE,
DEUX PERSONNES
SUR TROIS
S’IDENTIFIENT SPONTANÉMENT
AUX CLASSES MOYENNES.
Une autre voie de partage consiste à distinguer les catégories aisées (les 20 % les plus favorisés), les catégories populaires (les 30 % les moins favorisés), et une classe moyenne
rassemblant la moitié de la population totale, entre les plus
aisés et les moins aisés. Sous cette hypothèse – utilisée pour
de nombreux travaux – avant impôts, en 2012, la classe
moyenne rassemble des individus aux revenus situés entre
1 200 euros et 2 700 euros.
Il n’y a pas avec ces approches une classe moyenne homogène, mais des catégories de la population qui se trouvent
dans la moyenne (ou autour de la moyenne).
Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), il ressort
bien que les deux tiers des Français veulent bien se classer
dans cette catégorie. Cela ne leur confère pas une identité
de classe, mais confirme que les Français se représentent,
pour les deux tiers d’entre eux, au centre de la distribution
des revenus et des positions sociales.
L’enquête pour la Fondapol nous indique que le sentiment
d’appartenir à telle ou telle catégorie varie significativement
selon la catégorie socioprofessionnelle. 90 % des cadres
supérieurs se reconnaissent dans l’expression « classes
moyennes », contre 42 % des ouvriers. Selon le statut d’occupation du logement, la variation est également élevée :
74 % des propriétaires se voient appartenir aux classes
moyennes ; ce n’est le cas que de 53 % des locataires. En
matière de localisation, 63 % des ruraux se comptent dans
les classes moyennes. C’est le cas de 76 % des habitants de
l’agglomération parisienne.
UN CRITÈRE SUBJECTIF : L’AUTOÉVALUATION
Une dernière approche consiste à prendre au sérieux les
perceptions des individus quant à leur propre position
sociale. En France, les résultats de sondages d’opinion
indiquent que deux personnes sur trois s’identifient spontanément aux classes moyennes. Cette forte identification
française aux classes moyennes est à relativiser dans la
mesure où le sentiment d’appartenance à des classes
sociales diminue. La moitié seulement des personnes
vivant en France estiment appartenir à une classe sociale,
la propension étant plus élevée, d’ailleurs, pour les cadres
que chez les ouvriers.
Des enquêtes récentes menées par le Crédoc ou pour la
Tableau 1. Sentiment d’appartenance aux classes moyennes selon statut d’occupation et lieu de résidence
(Sources : Ifop, Fondapol, 2010.)
Les défavorisés
Les catégories
modestes
Les classes
moyennes
Les classes moyennes
supérieures
Les favorisés
ou les aisés
Statut d’occupation
Propriétaire
1
22
57
17
3
Locataire
7
39
45
8
1
Communes rurales
3
33
52
11
1
Communes urbaines province
5
31
50
12
2
Agglomération parisienne
1
17
57
19
6
Lieu de résidence
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
45
socioéconomie
4.2 / UN LOGEMENT QUI PÈSE SUR LES
BUDGETS MOYENS ET QUI DÉCLASSE
U
n spectre hante les classes moyennes et la société françaises : le déclassement (2). Le concept est assez riche
pour désigner des phénomènes différents, mais convergents : d’une part, un sentiment et des observations objectives sur la détérioration passée de sa situation ; d’autre part,
des craintes quant à son avenir et/ou à celui de ses descendants. Les classes moyennes craignent cette rétrogradation.
Même si on peut le relativiser, le phénomène se nourrit de
multiples dimensions, parmi lesquelles le logement joue
un rôle déterminant. Aujourd’hui, des ménages s’estimant
« moyens » disposent de ressources trop élevées pour prétendre au logement social, mais trop faible pour louer ou
acquérir dans le secteur libre. Ces ménages rencontrent des
difficultés à améliorer leurs conditions actuelles de logement. Si 70 % des personnes en France ont des revenus qui
les autorisent théoriquement à occuper un logement social,
l’offre ne couvre pas la demande et, surtout, les priorités
portent sur les ménages défavorisés.
Le coût du logement ont, plus généralement, pris une importance grandissante dans le budget des ménages, celui des
ménages « moyens » en particulier. Il y a là un effet « qualité ». La qualité des logements s’est fortement améliorée
(augmentation de la surface, amélioration des équipements
et services). Il y a aussi un effet « prix » dans la mesure où
les coûts, singulièrement pour ce qui concerne l’accession à
la propriété, ont considérablement augmenté, ces dernières
années. Songeons que l’achat d’un mètre carré à Paris représente près d’une année de Smic.
(2) Voir Julien Damon, Le déclassement : définitions et perceptions, Regards sur l’actualité, n° 354, 2009, pp. 90-98.
46 le logement des classes moyennes :
le déclassement
Passons par l’enquête barométrique du Crédoc sur les
« Conditions de vie et aspirations des Français ». Comme
aucune définition des « classes moyennes » ne fait l’unanimité, il a été décidé, dans ce cadre, de les placer entre,
d’une part, les « hauts revenus » et les « aisés » (les 20 % de
la population aux revenus les plus élevés) et, d’autre part,
les « bas revenus » (les 30 % de la population aux revenus
les plus faibles, rassemblant les ménages défavorisés et les
classes populaires). En dynamique, on repère nettement
que la situation de ces classes moyennes tend à ressembler
davantage à celle des bas revenus qu’à celle des hauts.
Pour ce qui concerne la proportion des propriétaires de
leur logement (aujourd’hui moins de six ménages sur dix,
en général), la tendance est à la stagnation pour les classes
moyennes. Il y a là une évolution qu’ont connue les catégories pauvres et modestes, mais qui est l’inverse de ce qu’ont
vécu les catégories aisées et à hauts revenus. En 1990, plus
de la moitié des individus appartenant aux classes moyennes
(soulignons encore qu’il s’agit d’une affectation des individus
à cette catégorie au centre de la distribution des revenus) se
déclaraient propriétaires de leur logement. Ils sont minoritaires vingt ans plus tard. On est là au seuil de la significativité statistique. Il y a probablement plus stagnation que
mouvement clair. En revanche, pour les catégories aisées
et pour les hauts revenus (les 10 % les mieux lotis), on est
passé, entre 1980 et 2008, respectivement de 51 % et 54 % à
65 % et 75 %. En d’autres termes, alors que pour les classes
moyennes la proportion de propriétaires a stagné autour de
la moitié, elle est passée d’une moitié aux deux tiers pour
les catégories aisées, et des deux tiers aux trois quarts pour
les hauts revenus.
Être propriétaire ou locataire ne dit pas grand chose, a priori,
des coûts de son logement et de la part de son budget qu’un
ménage y affecte. S’il y a stagnation de la proportion des
classes moyennes propriétaires, il y a une progression de la
part des individus issus de ces classes moyennes qui estiment que leurs dépenses de logement sont une charge trop
lourde à laquelle ils ne peuvent, pour certains d’entre eux,
Figure 1. Proportion d’individus propriétaires de leur logement (en %)
(Source : Crédoc.)
80
72
70
65
54
49
45
44
42
33 34
56
53
52
50
40
62
60 60
60
33
52 51
51
75
54
45 45
35
30
20
10
0
Défavorisés
1980
Classes populaires
1990
2000
Classes moyennes
inférieures
Classes moyennes
supérieures
Catégories aisées
Hauts revenus
2010
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
47
socioéconomie
plus faire face. Les informations importantes ne sont pas les
données absolues, mais les comparaisons avec d’autres catégories sociales. Les personnes défavorisées et les personnes
comptées dans les classes populaires ont vu leurs dépenses
de logement constituer une charge toujours plus lourde
(relativement). Il en va de même pour les classes moyennes
inférieures qui, de 1980 à 2008, ont vu la proportion de personnes estimant ces charges problématiques passer de 41 % à
50 %, tandis que pour les hauts revenus, elle passait de 28 % à
21 %. Il y a là illustration, d’un côté, du rapprochement entre
classes défavorisées et classes moyennes, et, de l’autre côté,
du relatif décrochage d’avec les hauts revenus.
Quelle leçon générale en tirer ? Les classes moyennes, en
particulier leurs segments intermédiaires et inférieurs, se
sont rapprochées, pour ce qui a trait aux évolutions de leurs
contraintes financières de logement, des catégories défavorisées. Leurs dépenses contraintes, que l’on dit aussi « non
EN 1990, PLUS DE LA
MOITIÉ DES INDIVIDUS
APPARTENANT
AUX CLASSES MOYENNES
SE DÉCLARAIENT PROPRIÉTAIRES
DE LEUR LOGEMENT.
arbitrables », préengagées, pèsent fortement sur leur budget. L’augmentation passée, et pour certains postes (énergie,
notamment) très probablement encore à venir, des budgets
liés au logement (loyers, prêts, eau, gaz, électricité, mais
aussi assurances et impôts) est l’un des principaux moteurs
de la pression ressentie et vécue par les ménages des classes
moyennes.
Figure 2. Proportion d’individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge lourde, ou très
lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face (en %)
(Source : Crédoc.)
70
61
60
50
51
47
48
49
46
51
50
46
44
41
40
43
43
36
35
36
33
29
30
31
31
28
26
24
21
20
10
0
Défavorisés
1980
Classes populaires
1990
2000
Classes moyennes
inférieures
2008
Classes moyennes
supérieures
Catégories aisées
Hauts revenus
48 le logement des classes moyennes :
le déclassement
4.3 / UNE DISPARITÉ DE POLITIQUES
ENTRE LOCATION ET ACCESSION
À LA PROPRIÉTÉ
Figure 3. Évolution de la distribution des revenus
des locataires HLM (en %)
(Source : Insee/Union Sociale pour l’Habitat.)
100
90
70
Classes moyennes supérieures
60
70
50
62
Classes moyennes inférieures
49
40
49
48
30
20
Ménages les plus pauvres
10
06
20
01
20
96
19
92
19
88
19
84
19
19
78
0
73
Depuis les années 1980, il y aurait stagnation des revenus,
ascenseur social en panne, doutes et malaise au sein des
classes moyennes. La dynamique de moyennisation serait
suspendue. Une pleine illustration, en matière de logement,
relève de l’évolution du peuplement, sur le plan d’abord
des revenus et des logements HLM. Ceux-ci rencontrent,
depuis le début des années 1970, un processus de paupérisation. Si l’on opère une partition de la population française en quatre parties égales, quatre quartiles représentant
chacun 25 % de la société française, alors on note que le
premier quartile (c’est-à-dire les ménages les plus pauvres)
représentait il y a une quarantaine d’années 12 % des locataires HLM. Ils en représentent 42 % en 2006 (50 % dans les
zones urbaines sensibles). Pour le deuxième quartile (i.e. les
classes moyennes inférieures), la proportion de locataires
HLM reste autour de 30 %. Il y a là encore un rapprochement des plus démunis et de cette classe moyenne inférieure
(à laquelle on peut donner aussi le pluriel). Le troisième
quartile, qui correspond aux classes moyennes supérieures,
est de moins en moins présent dans le logement HLM. Ces
classes moyennes supérieures, qui rassemblaient 35 % des
locataires HLM en 1973 (et 15 % seulement en 2006), ont
quitté ces logements sociaux, très souvent pour accéder à
la propriété. Le point important est qu’en flux, ce sont les
pauvres qui sont venus peupler les HLM, cohabitant plus
ou moins aisément avec des classes moyennes inférieures
qui ne les considèrent pas nécessairement favorablement.
Aujourd’hui, la palette d’interventions du mouvement
HLM vise encore, potentiellement, largement les classes
80
19
L
a « moyennisation » de la société française, pendant les
Trente Glorieuses, a été accompagnée d’une politique
du logement volontariste dont l’ambition était, comme d’ailleurs la Sécurité sociale, de promouvoir un salariat grandissant et une généralisation de l’accès au progrès social.
Ménages aisés
moyennes. Il en va ainsi de ses trois principaux instruments
de financement, les prêts permettant la construction de ces
logements.
En théorie, le prêt locatif à usage social (PLUS), principal
produit pour le financement de logements sociaux, vise des
ménages aux revenus modestes ou moyens. Près des deux
tiers de la population peuvent être éligibles à des logements
financés en PLUS.
Le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) vise des ménages
à plus bas revenus. Ses conditions d’accès rendent éligibles
environ 40 % des ménages.
Le prêt locatif social (PLS) est, en réalité, le moins « social ».
Il vise des populations plus aisées que celles éligibles au
PLUS. Il vise donc les classes moyennes supérieures et peut
concerner jusqu’à 80 % de la population.
D’une certaine manière, les classes moyennes sont, en
matière de politique du logement, écartelées, en tant que priorité, entre, d’une part, les plus défavorisés (qu’il s’agit de loger
ou d’héberger en tentant de mettre en œuvre l’opposabilité
affirmée du droit au logement) et, d’autre part, les plus aisés,
qui sont incités à investir pour développer l’offre locative.
Cette tension, en matière de logement social, pour les
classes moyennes en position précédemment centrale et
maintenant un rien de côté, est à rapprocher de l’ensemble
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
49
socioéconomie
LE PAS ET LE PTZ ONT
PERMIS EN 2014 À PLUS
DE QUATRE MÉNAGES
SUR DIX DE DEVENIR
PROPRIÉTAIRES PRIMO-ACCÉDANTS
DANS LE NEUF.
des mécanismes socio-fiscaux à l’œuvre. On reprend la
représentation désormais classique (même si toujours discutée) de la courbe stylisée des avantages socio-fiscaux sous
la forme d’un U.
Le principe est de montrer de façon frappante les effets
d’une action publique en matière de logement qui consiste,
principalement, à soutenir la demande, celle des locataires
modestes, via les aides au logement, et celle des propriétaires aisés via des incitations fiscales à l’investissement
locatif.
Les moins favorisés bénéficient directement des prestations
logement (les trois allocations sous condition de ressources).
Les plus favorisés bénéficient directement des avantages fiscaux pour l’investissement locatif ou la réhabilitation de leur
résidence principale, par exemple pour les aides publiques
d’incitation à la rénovation thermique des logements. Certes,
le trait est grossier derrière cette représentation mais elle
désigne un phénomène incontestable, et qui pèse dans l’opinion : les classes moyennes seraient délaissées.
On pourra rétorquer, à raison, que les incitations à l’investissement locatif sont à destination des classes moyennes,
pour produire du logement accessible. En effet, mais en
termes d’équilibre immédiat des budgets, les dépenses fiscales ne profitent pas directement à ces classes moyennes.
En coupe, l’image d’une classe moyenne défavorisée par les
politiques publiques est aisée à mettre en lumière. Dans une
perspective longitudinale, la conclusion est bien moins évidente. L’agrégation de l’ensemble des dépenses publiques,
(3) Étude Crédit Foncier « L’accession sociale à la propriété », octobre 2015.
sur le cycle de vie, permet de contester avec de solides arguments l’idée d’un État social qui se détournerait des classes
moyennes. Il n’en reste pas moins, en matière de logement,
des virages assez nets.
Ce constat, issu de l’observation de la distribution des revenus des locataires HLM, est également à nuancer s’agissant
des politiques publiques d’accession à la propriété. Succédant au prêt à l’accession à la propriété (PAP), le prêt à
l’accession sociale (PAS), lancé en 1993, et le prêt à taux
zéro (PTZ), lancé en 1995, s’adressent majoritairement aux
classes moyennes. Ces deux produits ont ainsi permis en
2014 (3) à plus de quatre ménages sur dix de devenir propriétaires primo-accédants dans le neuf.
4.4 / CONCLUSION
L
a situation et les évolutions des classes moyennes
dépendent, on l’a vu, largement de la définition et, plus
précisément, de la circonférence que l’on donne à cette catégorie de population.
Au terme de ce parcours dans l’univers hétérogène des
classes moyennes, le tout sous un déluge de données, qui
seront à actualiser à partir des résultats récents de l’enquête
« Logement » de l’Insee (2013), que retenir ? Comment
résumer les tendances contemporaines affectant les classes
moyennes en France ? Pour être mnémotechnique, on propose une synthèse en quatre « e ».
EFFRITEMENT
Les classes moyennes ne constituent pas une unité sociologique. Dans toutes les approches, on observe des tendances contrastées, voire opposées. Le constat n’est pas
inédit. Il pouvait même être avancé il y a des décennies. Il
est aujourd’hui établi. Les classes moyennes supérieures se
rapprochent des catégories les plus favorisées ; les classes
50
moyennes inférieures des catégories les plus défavorisées.
Les premières se « boboïsent » (expression récente, qui
insiste d’ailleurs sur le côté bourgeois de la catégorie). Les
secondes se prolétarisent (expression ancienne). Le mouvement n’a rien d’implacable ni d’inéluctable – comme Marx
le prédisait. Mais il y a bien polarisation.
ÉCRASEMENT
Au-delà de la dynamique d’effritement que connaissent les
classes moyennes, les catégories centrales de la distribution des revenus et des positions sociales sont objectivement desservies par un système français de transferts à la
fois plus ciblé sur les plus démunis (prestations d’assistance) et favorable aux plus aisés (niches fiscales). Certes,
l’assise universelle du système continue à promouvoir et
maintenir les classes moyennes. Mais une partie de leur
sentiment de déclassement relatif est fonction du ressentiment à l’égard de mécanismes socio-fiscaux auxquels elles
contribuent mais dont elles peuvent estimer ne plus être
la priorité.
ÉTALEMENT
Géographiquement, il n’est pas aisé de dégager les particularités des territoires sur lesquels se trouvent les classes
moyennes. Comme pour la pauvreté, la richesse ou la
question de la mixité sociale, il faudrait d’abord choisir
une échelle d’observation et des définitions stables. Pour
autant, les tendances existent, sans être forcément quantifiables dans le détail. Les bobos des classes moyennes
supérieures (voire très supérieures) participent au mouvement d’embourgeoisement de quartiers qui deviennent
prisés. Les ménages précarisés des classes moyennes inférieures (pas nécessairement si inférieures que cela) sont
conduits à s’établir à l’écart des quartiers qu’ils valorisent.
Soit les coûts leur sont devenus insupportables, soit les
modes et conditions de vie leur sont devenus intolérables.
En quête d’un environnement plus sécurisant et pesant
moins sur leur budget, les classes moyennes (accompagnées de ménages plus aisés disposant de résidences
secondaires et de ménages moins aisés encore davantage
contraints) alimentent l’étalement urbain à la française.
Elles ne constituent pas seules la périphérie de grandes
métropoles mais leurs trajectoires résidentielles nourrissent le phénomène.
ÉMIETTEMENT
Plus qu’effritement social et étalement géographique, les
classes moyennes vivent un émiettement de la catégorie et un émiettement de leur positionnement sur le territoire. Sans en ressortir totalement en miettes – car la
variable revenus permet toujours de distinguer des positions centrales –, les classes moyennes occupent une place
centrale sur l’agenda politique des premières décennies
du XXIe siècle. Mais elles n’ont certainement plus ni la
consistance ni la cohérence qu’elles ont pu avoir. Il est
d’ailleurs significatif que toutes les formations politiques
– sauf l’extrême gauche – s’en réclament et se posent en
porte-parole. Tout le monde cherche à défendre ce qui est
favorablement connoté et ce à quoi s’identifient très majoritairement les personnes vivant en France. Ni mythe, ni
mirage, ni miettes du passé, les classes moyennes sont dispersées et fractionnées.
Pour prendre deux « e » supplémentaires et conclure : l’incontestable écartèlement des classes moyennes françaises
ne vaut pas effacement. Au contraire. Elles sont, plus que
jamais, un sujet central.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
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52
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
n° 92
53
IMMOBILIER RÉSIDENTIEL
L’IMMOBILIER DE PLACEMENT
DANS LA GESTION DES ACTIFS
DES ORGANISMES D’ASSURANCE
Par Jean-Baptiste Schoutteten
et Arthur Chabrol, associés EY France.
54
5
L’IMMOBILIER
DE PLACEMENT DANS
LA GESTION DES ACTIFS DES
ORGANISMES D’ASSURANCES
Par Jean-Baptiste Schoutteten et Arthur Chabrol, associés EY France.
5.1 / INTRODUCTION
L
’allocation d’actifs des organismes d’assurances est le
résultat d’une complexe optimisation sous contraintes.
La proportion de chacune des classes d’actifs dépend ainsi
fondamentalement de l’appétit et de la tolérance pour le
risque de ces derniers, tout en tenant compte aussi des
enjeux réglementaires et comptables dans un environnement devenu multinormes (local GAAP, IFRS). À ces enjeux
stratégiques peuvent s’ajouter des aspects plus tactiques liés
aux anticipations de marché par les acteurs.
L’immobilier de placement (par opposition, ici, à l’immobilier d’exploitation) n’échappe pas à ces règles : sa proportion
dans les allocations d’actifs des organismes d’assurances
résulte bien de cette double analyse stratégique et tactique.
Jusqu’au tournant des années 2010, la part de l’immobilier
dans le bilan des organismes a nettement diminué (1). Citons
ici quelques raisons.
◗Les différents coûts intermédiaires pesant sur le rendement final de l’investissement immobilier : coûts de transaction, coûts de maintenance et aussi coût du levier pour les
achats réalisés par un recours à l’endettement.
◗ La crise immobilière des années 1990 a laissé à certains
de douloureux souvenirs. C’est souvent grâce au soutien
public, que les organismes les plus touchés ont pu traverser
cet épisode.
◗ La composition historique concentrée des portefeuilles
immobiliers des assureurs autour d’actifs résidentiels
à faible rendement courant et d’immeubles parisiens
de bureaux situés dans un périmètre géographique très
restreint.
(1) Voir notamment les enquêtes annuelles IPD pour le marché français concernant les investissements immobiliers des organismes d’assurances.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
55
immobilier résidentiel
DANS
L’ENVIRONNEMENT
FINANCIER ACTUEL,
L’IMMOBILIER CONTINUE D’OFFRIR
DES PRIMES DE RISQUE
RELATIVEMENT ATTRACTIVES ET
DES RECORDS EN TERMES
D’INVESTISSEMENTS.
La période actuelle semble marquée par un retournement
de tendance. À titre d’exemple, la part de l’immobilier dans
l’allocation d’actifs des assureurs en Allemagne est passée
de 6,1 % à 7,6 % en valeur de marché entre fin 2011 et fin
2015 (2). L’ambition de cet article est d’en comprendre les raisons. Nous reviendrons d’abord sur les grandes tendances
de marché en analysant le point de vue des investisseurs
au travers des dernières enquêtes réalisées par les équipes
EY en France et en Europe. Nous évoquerons ensuite les
caractéristiques propres de la classe d’actifs pour un organisme d’assurances. La mutualisation des investissements
via des fonds (OPPCI, notamment) et la mise en place de
nouvelles régulations (AIFMD, principalement) ont permis
de mieux encadrer les risques et de faciliter une commercialisation paneuropéenne des véhicules immobiliers. L’entrée
en vigueur de la directive Solvabilité II au 1er janvier 2016
complète les réglementations. Au-delà du pilier 1 de cette
directive qui calibre le besoin en capital associé à chaque
typologie d’investissement immobilier, elle devrait donner
lieu à la formalisation des politiques d’investissement et de
gestion des risques immobiliers ainsi qu’à l’émergence de
nouveaux reportings standard, ce qui consolidera le nouvel
appétit des assureurs pour la classe d’actifs.
5.2 / TENDANCES 2016 EN MATIÈRE
D’INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS PAR
LES ORGANISMES D’ASSURANCES
DANS LES ENQUÊTES EY RÉALISÉES
RÉCEMMENT, LES INVESTISSEURS ANTICIPENT
UNE CROISSANCE DURABLEMENT MOLLE…
Les analyses qui conduisent au diagnostic de « croissance
molle » actuelle s’appuient sur des critères qui ne captent
plus l’ensemble de la chaîne de création de valeur, dans un
environnement où la croissance est à la fois moins capitalistique et moins liée à des investissements industriels lourds.
En effet, les secteurs de la nouvelle économie qui créent de
la valeur, aujourd’hui, ne pouvaient faire l’objet de ce type
de mesures il y a dix ans.
Dans le secteur de l’immobilier, la corrélation a toujours été
évidente, à court terme, entre croissance et investissement
en immobilier tertiaire. Toutefois, on observe une décorrélation entre la croissance qui reste faible et atone, d’une
part, et le marché immobilier qui semble bien se porter,
d’autre part. Les investisseurs se montrent ainsi confiants,
estimant que l’économie pourrait continuer à fonctionner
correctement dans la mesure où serait intégrée non plus la
seule croissance physique, mais le niveau global de l’activité
économique.
… ET S’INTERROGENT QUANT
À LA SOUTENABILITÉ DES VOLUMES RECORD
D’INVESTISSEMENT DANS UN CONTEXTE
DE LIQUIDITÉS ABONDANTES
Dans l’environnement financier actuel, l’immobilier continue
d’offrir des primes de risque relativement attractives et d’atteindre des records en termes d’investissements. Nous aborderons, dans la deuxième partie, les caractéristiques et les atouts
de la classe d’actifs dans une allocation de long terme pour
les organismes d’assurances. Si la surabondance de liquidités
(2) Voir l’étude annuelle EY Allemagne sur les tendances en investissement immobilier réalisée auprès des assureurs allemands.
56 l’immobilier de placement dans la gestion
des actifs des organismes d’assurance
trouve à s’investir dans des actifs affichant des prix toujours
plus élevés, les utilisateurs ne sont pas prêts pour autant à
augmenter leur loyer. Un paradoxe qui soulève des questions
chez les investisseurs quant à la soutenabilité de ce schéma,
où les trajectoires du marché de l’investissement et du marché locatif sont de moins en moins corrélées. Cette dichotomie
entre le marché locatif et le marché de l’investissement avait
déjà été observée en 2002. Le phénomène nouveau consiste
en une forte pression de la liquidité : les montants de collecte
atteignent des records. Toutefois, les acteurs du marché s’accordent à dire que la situation est loin d’être aussi inquiétante
qu’en 2007, lorsque la prime de risque était négative.
Figure 1. Rendements comparés (en %)
(Source : EY.)
9
8
7
6
6,5
6,3
6,070
6,0
49
4
62
5,5
5
48
49
3,8
3,75
3,25
3
2
1,7
1,5
–1
0,3
1995
2000
2005
Inflation
OAT 10 ans
2010
INNOVATION, PRISE DE RISQUE,
DIVERSIFICATION : TROIS LEVIERS
RÉMUNÉRATEURS IDENTIFIÉS PAR
LES INVESTISSEURS
Si les investisseurs estiment que le mouvement en faveur
du marché de l’investissement immobilier ne devrait pas
s’éteindre à court terme et que la prime de risque sur l’immobilier demeurera intéressante tant que les taux d’intérêt
seront très bas, ils déclarent toutefois qu’il faut s’attendre à
une remontée des taux de capitalisation rapide si l’afflux de
liquidités devait repartir vers d’autres classes d’actifs. Certains soulèvent même le paradoxe selon lequel le marché est
gonflé par des gestionnaires d’actifs contraints d’investir par
le volume massif de leur collecte, ce qui oblige actuellement
les investisseurs à arbitrer entre une démarche opportuniste
et la nécessité d’investir des sommes déterminées. La situation peut donc sembler paradoxale : les flux sont sécurisés,
mais le risque en capital devient important, au vu de l’évolution des prix, alors que les loyers prime, pour les bureaux,
sont au même niveau qu’en 1990.
1,1
1
0
s’engager. La part de l’allocation d’actifs dans l’immobilier
est ainsi remontée assez nettement au cours des dernières
années.
2014
2015
Spread inflation/OAT
Prime Yield
L’attractivité des rendements immobiliers actuels voit ainsi
la présence de certains acteurs se renforcer, en particulier
les organismes d’assurances (et/ou leurs gestionnaires
d’actifs), qui poursuivent leur stratégie de diversification.
Ces organismes font preuve d’un appétit sur la classe des
actifs immobiliers prime qui ne devrait pas se tarir, même
à des prix déjà élevés. Au niveau international, la masse
monétaire, qui n’a cessé de gonfler, ces dernières années,
doit en effet trouver des produits sustainable (3) sur lesquels
Bureaux, commerces, santé, hôtellerie, logistique : certains
investisseurs déplorent une tendance à l’homogénéisation
des taux dans toutes ces classes d’actifs. Il est donc, aux
yeux des acteurs du secteur immobilier, plus difficile que
par le passé de réaliser des performances exceptionnelles
dans un marché plus difficile à décoder. Les entreprises
qui ont innové en écoutant le désir des clients connaissent
le succès. Les projets les plus porteurs puisent donc leur
valeur dans la prise de risque, l’innovation et la diversification ; en témoigne l’appétence des investisseurs pour
les produits mixtes, notamment. Le segment du logement
apparaît aussi dans les enquêtes EY comme un secteur à
nouveau porteur : le nombre de clients augmente, ceux-ci
(3) Des produits rentables et pérennes.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
57
immobilier résidentiel
ayant été « resolvabilisés » par la baisse des taux d’intérêt
et l’augmentation de la durée des prêts. S’y ajoute un phénomène de sortie d’épargne, du fait de la baisse du taux de
rémunération du Livret A. Malgré une tendance sur 2015
à la baisse, les fondamentaux du secteur paraissent, ainsi,
toujours solides.
5.3 / POURQUOI L’IMMOBILIER DANS
UNE ALLOCATION STRATÉGIQUE
ASSURANCE ?
EN PREMIÈRE APPROCHE : DES RENDEMENTS
HISTORIQUES ÉLEVÉS ET UNE VOLATILITÉ QUI
SEMBLE RÉDUITE…
Sur la base des données IPD, la performance annuelle 2015
des investissements immobiliers directs de placement s’est
élevée à 9 %.
Sur une plus longue période (4), en retenant par exemple les
dix dernières années, la performance annuelle moyenne de
l’immobilier atteint 8 %, contre 4,1 % pour les actions cotées,
5,7 % pour les obligations et 1,4 % pour l’inflation.
Toutes les catégories d’actifs immobiliers affichent des performances élevées sur cette même période.
Tableau 1. Rendements immobiliers IPD
(Source : IPD 2016.)
Catégorie immobilière
Rendement annualisé
10 ans vu à fin 2015
Commerces
9,8 %
Bureaux
7,6 %
Logistique/activités
6,8 %
Résidentiel
7,4 %
Autres
9,4 %
Moyenne
8 %
Elles restent élevées et proches sur des horizons de trois ou
cinq ans, traduisant une volatilité historique assez réduite et
une corrélation faible avec les autres classes d’actifs.
… DANS LA RÉALITÉ : DES BIAIS STATISTIQUES
QUI RENDENT LES RENDEMENTS IMMOBILIERS
COMPLEXES À APPRÉHENDER
De nombreux travaux académiques récents ont souligné la
spécificité de l’immobilier lorsque l’on souhaite conduire
une étude d’allocation stratégique sur une base historique.
Les auteurs y relèvent précisément la faible disponibilité et
les biais des indices immobiliers. On pourra évoquer, par
exemple, les obstacles autour du processus d’expertise des
biens permettant la construction des indices. Les expertises
de détail étant extrêmement coûteuses (déplacement physique de l’expert, analyses locative et technique détaillées,
etc.), elles sont généralement réalisées à une fréquence différente de celle de mise à jour de l’indice. Ce phénomène a
pour conséquence un effet retard et l’apparition d’une forte
autocorrélation dans les rendements de l’indice en introduisant un phénomène de lissage. Ce dernier est susceptible de
réduire la volatilité et la corrélation avec les autres classes
d’actifs. Les experts utilisent d’ailleurs des indicateurs retardés et les données dont ils disposent sur les transactions et
expertises de biens « comparables ». Les indices basés sur
les expertises restent donc souvent à la traîne des mouvements haussiers/baissiers du marché immobilier sous-jacent.
Plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre pour
contourner partiellement les difficultés rappelées ci-dessus :
utilisation des statistiques de transactions et non de valeurs
d’expertise ou mise en place de techniques statistiques
de délissage, etc. Toutes sont intéressantes mais butent à
chaque fois sur les spécificités bien connues de cette classe
d’actifs si particulière : existence d’échantillons représentatifs en l’absence d’un marché global, calibrage de la prime
d’illiquidité, etc.
(4) Voir la publication Indice annuel IPD de l’immobilier d’investissement en France, publiée en 2016.
58 l’immobilier de placement dans la gestion
des actifs des organismes d’assurances
AU TOTAL : LE SUCCÈS DE LA CLASSE D’ACTIFS
REPOSE SUR SES CARACTÉRISTIQUES UNIQUES
ET DIFFICILEMENT MODÉLISABLES
Le nouvel intérêt des organismes d’assurances pour la classe
d’actifs est donc lié à autre chose que son strict historique de
rendement ajusté du risque. Nous reviendrons par la suite
dans le détail sur les conséquences positives du nouveau
cadre réglementaire autour de la directive Solvabilité II.
En s’attardant un instant sur les caractéristiques financières
de l’investissement immobilier, il ressort surtout que l’immobilier offre aux investisseurs une exposition instantanée
à plusieurs classes d’actifs.
◗ Taux d’intérêt.
◗ Risque de contrepartie (locataire entreprise ou locataire
particulier dans le cadre du résidentiel).
◗ Risque d’inflation via la revalorisation du loyer au numérateur.
◗ Risques optionnels liés à la faculté du locataire de résilier
son bail ou à celle du propriétaire de changer de locataire
au terme de ce dernier.
À bien y regarder, seules les obligations convertibles offrent
une telle diversification « tout en un » à l’investisseur !
5.4 / ENJEUX ET IMPACTS DE LA
DIRECTIVE SOLVABILITÉ II ENTRÉE EN
VIGUEUR LE 1ER JANVIER 2016
S
olvabilité II est une réforme européenne de la réglementation prudentielle s’appliquant au secteur de l’assurance.
Elle est entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Dans la lignée
de Bâle II pour les banques, son objectif est d’encourager
les organismes à mieux connaître et à évaluer leurs risques,
notamment en adaptant les exigences réglementaires aux
risques que les entreprises encourent dans leur activité.
Les exigences sont structurées en trois piliers.
◗ Premier pilier : les exigences quantitatives, en particulier en matière de fonds propres et de calcul des provisions
techniques.
◗ Deuxième pilier : les exigences en matière d’organisation
et de gouvernance des risques.
◗ Troisième pilier : les exigences en matière d’informations
prudentielles et de publication.
Cette réforme introduit des modifications profondes : Solvabilité II a été conçue pour reposer sur des principes (principle-based) plutôt que sur des règles (rule-based). Elle vise
à instaurer une concurrence équitable (level playing field),
l’harmonisation des principes et des pratiques de contrôle,
la mise en place d’un reporting européen unifié, et à instaurer des normes prudentielles prenant en compte l’ensemble
des risques (selon une risk-based approach et le principe
de proportionnalité). Quels sont les principaux enjeux et
impacts pour l’immobilier ?
INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET
EXIGENCES EN CAPITAL : PILIER 1
Dans le cadre du premier pilier, le principe retenu pour la
formule standard est simple : le capital est calibré pour correspondre aux fonds propres nécessaires à l’assureur pour
faire face à ses engagements à un horizon d’un an avec un
intervalle de confiance de 99,5 %. Le besoin en capital du
module « risque de marché » est calculé à partir des six
principaux sous-modules correspondant aux facteurs de
risque de marché identifiés (taux, actions, immobilier, crédit, concentration, change). À chacun de ces modules correspond un choc (un ou plusieurs scénarios) qui est appliqué
à la fois aux actifs et aux passifs de l’institution concernée.
Dans le cas d’une détention via des fonds d’investissement
(OPCVM ou OPCI, par exemple), la directive favorise enfin
le recours à une approche par transparence du calcul du
besoin en capital. L’analyse du SCR se fera ainsi sur chacune des lignes présentes à l’actif du fonds.
Les organismes d’assurances sont invités à appliquer un
choc standard de 25 % sur leurs actifs immobiliers. La
nature de ces derniers n’est pas détaillée dans les textes
mais les organismes ont peu à peu affiné leurs approches
en veillant à considérer le plus finement possible la diversité de leurs actifs immobiliers et les différents risques
correspondants.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
Tableau 2. Bifurcation des placements immobiliers
(Source : EY.)
Actifs
Besoin en capital
Type 1 : actions cotées sur des marché réglementés dans des pays
de l’OCDE ou de l’EEE, fonds d’investissement européen de
long terme, fonds d’entrepreneuriat social, AIF fermé établi ou
commercialisé dans l’Union européenne (sans effet de levier).
Actions
– Clause de grand-fathering applicable.
– 22 % si achetées avant 2016.
Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023.
–3
9 % si achetées après 2016.
Type 2 : actions cotées dans un pays non-membre de l’OCDE
ou de l’EEE, actions non listées, fonds alternatifs.
49 %
– Actions détenues en face d’engagement de retraite.
– Participations stratégiques.
22 %
Obligations gouvernementales : SCR taux.
De 0 % à 20 % en fonction de la maturité
et de la duration.
Obligations corporate et titres de créance : SCR spread
majoritairement et SCR taux (en cas de titres à taux).
En fonction de la maturité de la duration, de la
qualité de crédit des émetteurs, de la présence de
dérivé de crédit et de la présence de collatéral.
Immobilier
Immobilier d’exploitation et immobilier de placement.
25 %
Titrisation
Type 1 : actifs notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 %
3 %
cotés sur un marché réglementé dans des pays de l’OCDE.
Obligations /
titres de
créance
{
Type 2 : ce qui n’est pas de type 1.
Si AAA
Sinon
Duration modifiée x bi*
Notation
AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC et moins
x bi*
12,5 %
13,4 %
16,6 %
19,7 %
82 %
100 %
100 %
Types d’investissement en immobilier
Actifs
Besoin en capital
pe 1 : actions cotées sur des marché réglementés dans des pays
’OCDE ou de l’EEE, fonds d’investissement européens
ong terme, fonds d’entreprenariat social, AIF fermé établi
commercialisé dans l’union européenne (sans effet de levier)
– Clause de « grand-fathering » applicable
–2
2 % si achetées avant 2016
Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023
–3
9 % si achetées après 2016
pe 2 : actions cotées dans un pays non membre de l’OCDE
de l’EEE, actions non listées, fonds alternatifs
Actions cotées
et non cotées de foncières
49 %
ctions détenues en face d’engagement de retraite
articipations stratégiques
22 %
igations gouvernementales: SCR Taux
De 0 % à 20 % en fonction de la maturité
et de la duration
igations Corporate et titres de créances : SCR spread
oritairement et SCR taux (en cas de titres à taux)
En fonction de la maturité, de la duration, de la
qualité de crédit des émetteurs, de la présence
de dérivé de crédit et de la présence de collatéral
mobilier d’exploitation et immobilier de placement
25 %
{
pe 1 : actifs notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 %
3 %
és sur un marché réglementé dans des pays de l’OCDE
pe 2 : Ce qui n’est pas du type 1
otation
59
immobilier résidentiel
Si AAA
Sinon
Obligations hypothécaires,
dette hypothécaire commerciale
Immobilier : direct, sociétés
(SCI) et fonds (OPCI)
Duration modifiée x bi*
AAA
AA
A
BBB
BB
B
CCC et moins
12,5 %
13,4 %
16,6 %
19,7 %
82 %
100 %
100 %
Mix (ex-OPCI)
Ainsi :
◗ les actions de sociétés foncières seront traitées comme des
instruments de capital et subiront un choc de 22 % s’il s’agit
de participations, un choc de 39 % si elles font l’objet de
cotations sur un marché réglementé de l’OCDE et de 49 %
dans les autres cas ;
◗ les obligations et créances hypothécaires commerciales
seront analysées au regard des risques de taux et de crédit ;
il en résultera dans la plupart des cas un besoin en capital
très nettement inférieur aux 25 % « par défaut » ;
◗ les fonds immobiliers (OPCI, notamment) feront l’objet
d’une vision par transparence permettant de tenir compte
des effets de diversification.
Au-delà des exigences en capital, la directive impose aux
organismes d’assurances la mise en place d’outils d’analyse,
de pilotage et de suivi des risques liés aux investissements
immobiliers.
INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET PILOTAGE
DES RISQUES : LE PILIER 2 DE SOLVABILITÉ II
Les politiques de gestion des risques d’investissement en
immobilier répondent ainsi au principe dit « de la personne
prudente » en s’assurant que la gestion financière des placements est en adéquation avec le profil de risque de l’entreprise et ses besoins de liquidité. Elles s’inscrivent dans
le dispositif général de contrôle et de maîtrise des risques
d’investissement.
Dans la pratique, elles couvriront les aspects suivants.
60 l’immobilier de placement dans la gestion
des actifs des organismes d’assurances
Tableau 3. Politique de gestion des risques
(Source : EY, février 2016.)
5 PARTIES POUR LA POLITIQUE DE GESTION DES RISQUES IMMOBILIERS D’UN ASSUREUR EUROPÉEN
1. Objectifs/
comitologie
2. Périmètre
3. Critères
d’investissement
4. Typologies
de risques
5. Tableau de bord
et suivi des risques
Décliner la vision
stratégique de
l’assureur et la
stratégie d’allocation
d’actifs.
Métiers concernées
Ensemble des métiers et filiales
du groupe de l’assureur susceptibles
d’investir dans des actifs
immobiliers.
Ils vérifient la conformité
de la politique et l’appliquent à
chacune des transactions proposées.
Inventaire des critères
d’investissement
à suivre et des limites
quantitatives et
qualitatives associées
(pays, classe d’actifs,
etc.).
Inventaire des
risques auxquels
l’assureur est
susceptible d’être
exposé et des
limites quantitatives
et qualitatives
associées.
Élaboration d’un tableau
de bord d’analyse et
de présentation de
la conformité avec la
politique d’encadrement
des risques.
Définir les métiers
en charge de
l’élaboration, du
contrôle, et de la
validation de la
politique de risque.
Actifs concernés
◗ Fonds investi
en immobilier.
◗ OPCI, SCPI, SCI, etc.
INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET
INFORMATIONS PRUDENTIELLES : PILIER 3
Le Pilier 3 de Solvabilité II, traitant de la communication
financière au public et à l’autorité de contrôle, introduit le
principe de discipline de marché. Les informations publiées
doivent être précises et détaillées et prendre en compte la
totalité de l’activité de l’assureur. L’ensemble des acteurs
Y compris
suivi de la délégation.
européens soumis à Solvabilité II sont subordonnés aux
mêmes types de modèles pour une meilleure transparence
du marché et une comparabilité simplifiée entre les acteurs.
Ces informations doivent être fournies périodiquement
par le biais de deux types de documents, à transmettre par
l’assureur.
Tableau 4. Rapports et reportings
(Source : EY, février 2016.)
Rapports narratifs
Reportings quantitatifs
Ils donnent une vision descriptive de la politique prudentielle
mise en place par l’assureur.
Il s’agit de tableaux de bord dont les données ont été définies
par l’EIOPA.
FSCR
RSR
Document à destination du superviseur qui doit
lui permettre d’effectuer son processus de revue
de la solvabilité de l’assureur.
Document à destination du public contenant les mêmes
parties que le FSCR mais en moins détaillé.
QRT
Au nombre de 69, ils couvrent les principaux domaines
d’activité d’un assureur : gestion d’actifs, provisions
techniques, fonds propres, bilan, programme de
réassurance, analyse de variations, etc.
Au total, près de 5 000 données sont demandées, dont
25 % à fréquence trimestrielle, le reste étant à périodicité
annuelle.
Les QRT sur les actifs de placement (neuf tableaux au total)
traitent de l’ensemble des actifs détenus pas les sociétés
d’assurances, y compris les actifs immobiliers.
Deux reportings, trimestriels, traitent des investissements
en immobilier, non spécifiquement, en fonction de la nature
de ces derniers.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
61
immobilier résidentiel
Tableau 5. Focus QRT actifs
(Source : EY, février 2016.)
Investissements en immobilier
Enjeux
Volume
Immobilier en direct
Parts OPCI, SCI, SCPI, etc.
CIC xx9x
CIC xx45
S.06.02 – inventaire des actifs
S.06.02 – inventaire des actifs
Niveau de granularité de l’information – qualité des données
Transparisation OPCI – qualité des données
15 colonnes à renseigner
par ligne et par portefeuille.
Caractéristiques de l’actif : identifiant
interne, libellé, CIC, devise.
Caractéristiques de la position :
Données portefeuille, UC/FG, collatéral, méthode
d’évaluation, prix d’acquisition, devise
de la transaction, etc.
30 colonnes à renseigner
par ligne et par portefeuille.
Caractéristiques de l’actif : ISIN ou
identifiant interne, libellé, CIC, devise,
émetteur, secteur, groupe.
Caractéristiques de la position :
portefeuille, UC/FG, collatéral, quantité,
dépositaire, méthode d’évaluation, prix
d’acquisition, devise de la transaction, etc.
Dans le cadre de Solvabilité II, les entreprises d’assurances
et de réassurance doivent en outre respecter des délais serrés de remontée de l’information prudentielle et garantir le
caractère approprié, l’exhaustivité et l’exactitude des données utilisées dans le calcul du risque et pour les besoins
du reporting.
Au global, on le constate, les enjeux de la directive pour
l’immobilier apparaissent très forts au titre des trois piliers.
Au-delà des difficultés indéniables de mise en œuvre, il en
ressort un cadre d’investissement plus homogène et plus
transparent pour les acteurs de l’investissement.
5.5 / CONCLUSION
A près plusieurs années de repli, la part de l’immobilier
dans l’allocation stratégique des organismes d’assurances est repartie à la hausse et la tendance reste plutôt
favorable dans les enquêtes récentes.
6 colonnes à renseigner
par ligne et par sous-jacent.
Caractéristiques de l’actif : ISIN ou
identifiant interne, catégorie de sous-jacents,
pays d’émission des sous-jacents, devise,
montant par sous-jacent.
Les raisons sont de plusieurs ordres :
◗ la prise en compte des caractéristiques propres – et uniques
– de la classe d’actifs en termes de rendement/risque ;
◗ la faiblesse relative du rendement des autres classes d’actifs à revenus fixes ;
◗ le nouvel appétit des acteurs pour la prime dite « d’illiquidité » qui caractérise l’immobilier, mais aussi la dette privée
ou le private equity ;
◗ des réglementations – dont Solvabilité II – qui définissent
mieux le cadre de l’investissement immobilier.
Décriées pour leur complexité et parfois aussi leurs incohérences, ces nouvelles règles offrent cependant à l’immobilier un cadre d’investissement plus homogène pour les assureurs, ce qui leur laisse le loisir de déployer leurs stratégies
de diversification. Le mouvement ne fait que commencer.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
91
n° 92
63
TECHNOLOGIES DIGITALES
ET IMMOBILIER
L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER
Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie,
Professeur à Financia Business School, Chercheur
associé au Larefi, Université de Bordeaux.
64
6
L’UBÉRISATION
DE L’IMMOBILIER
Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie, Professeur à Financia Business School,
Chercheur associé au Larefi, Université de Bordeaux.
6.1 / DÉFINITION
D
ans le Financial Times du 14 décembre 2014, Maurice
Lévy, Président-directeur général de Publicis, fut le
premier à parler officiellement d’ubérisation : « L’ubérisation, c’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant
que son métier traditionnel a disparu ». Il convient donc
de se familiariser, dès aujourd’hui, avec ce néologisme.
Le mot ubérisation fait rêver, fantasmer ou inquiète. Il ne
laisse personne indifférent, dans tous les cas. Essayons de
définir ce terme utilisé régulièrement par les médias, le
monde économique et la société civile. L’ubérisation est
la désintermédiation ou dématérialisation de nombreux
services. Rapidité, qualité et prix sont les principaux mots
clés de l’ubérisation. L’économie collaborative doit aussi
être associée à la définition de ce nouveau terme. L’ubérisation n’aurait jamais connu un tel essor sans l’arrivée
d’Internet, des nouvelles technologies, de l’informatique
et de la mondialisation. Comme le rappelle le professeur
APRÈS TOUT,
NOS GÈNES SONT
DÉJÀ UN PROGRAMME
INFORMATIQUE.
STEVE JOBS,
FONDATEUR D’APPLE.
et sociologue Guy Rocher, « La mondialisation pourrait être
définie comme l’extension à l’échelle mondiale d’enjeux qui
étaient auparavant limités à des régions ou des nations ». Le
prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz ajoute qu’« avec la
mondialisation, nous sommes tous interdépendants ». L’ubérisation est récente, tandis que la mondialisation l’est beaucoup moins. L’ubérisation s’est parfaitement adaptée à la
mondialisation de nos sociétés actuelles. Ouvrons le champ
des possibles pour vérifier si l’ubérisation de l’immobilier
est une réalité effective ou appelée à le devenir.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
6.2 / UNE ÉCONOMIE MONDIALISÉE
L
es échanges commerciaux existent depuis longtemps et
cette formule de Polybe (1) nous le confirme : « Avant,
les événements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas
liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des
autres ». La généralisation du libre-échange, la mise en place
du Gatt en 1947 et la création de l’Organisation Mondiale
du Commerce (OMC) doperont les échanges commerciaux
durant le XXe siècle. À chaque étape de la mondialisation,
nous retrouvons les mêmes fondamentaux : révolution des
transports et des moyens de communication. Jacques Adda (2)
la définit comme « l’abolition de l’espace mondial sous l’emprise d’une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des frontières physiques et réglementaires ».
LA MONDIALISATION FINANCIÈRE
Ces trente dernières années, nos sociétés se sont financiarisées et mondialisées. Guy Marty (3) le résume parfaitement :
« La puissance du financier est un phénomène radicalement
nouveau à l’échelle planétaire. Mondialisation et financiarisation ne sont-elles pas relativement synonymes ? La nouveauté ne
se situe pas dans la logique ou la sophistication financière, mais
dans la souveraineté du point de vue financier. Des pans entiers
de l’économie relèvent désormais d’un univers obéissant fidèlement aux canons de la théorie financière ». La mondialisation
financière a engendré une mondialisation de flux : des flux de
capitaux, de marchandises ou d’individus. Ces flux circulent à
la vitesse de la lumière et représentent d’énormes enjeux économiques et financiers. Chaque jour, plus de 190 milliards de
dollars de produits sont fabriqués et vendus dans le monde.
La logistique et le transport occupent une place prépondérante dans cette chaîne de flux. L’actif immobilier n’est pas
resté isolé. L’économie immobilière a pleinement profité de
ces flux pour se développer et se valoriser. La valeur totale du
parc immobilier (résidentiel et tertiaire) mondial ne dépasset-elle pas, aujourd’hui, les 200 000 milliards de dollars ?
Qu’en sera-t-il demain avec le problème du vieillissement de
la population et du financement des retraites dans les pays
de l’OCDE ? La croissance des flux financiers et immobiliers
n’est pas près de se stabiliser pour répondre à cette question.
LA MONDIALISATION CULTURELLE
ET COMMERCIALE
Nous sommes face à un véritable paradoxe : l’épargne individuelle n’a jamais été aussi élevée dans les pays industrialisés tout comme la dette mondiale. Les stratégies financières
visent la création de valeur à court terme. Elles doivent être
permanentes et n’avoir aucune limite. La mondialisation ne
concerne pas seulement les échanges de biens et de services
mais favorise également les échanges de culture et de savoir
comme le rappelle Joseph Stiglitz : « La mondialisation ne
se limite pas à la libre circulation transfrontière des biens,
des services et des capitaux. Elle accélère la circulation des
idées ». (4) Les nouvelles technologies et l’arrivée d’internet à
(très) haut débit ont accéléré ces phénomènes.
La porte de la consommation s’est ouverte au monde entier
et elle ne se refermera pas de sitôt (5) Nous sommes devenus des consommateurs à la fois mondiaux et locaux. Nous
consommons à la fois des produits étrangers et nationaux.
Nous pouvons, ainsi, commander un livre à l’autre bout de
la planète et le recevoir le lendemain dans un « point relais »
où l’on achète son pain. Poilane ne vend-il pas de plus en
plus de pain en ligne ? Il n’est pas inconcevable qu’un jour,
une majorité de produits puissent être livrés par des drones.
Le commerce de demain sera connecté, avec des automates
robotisés pour délivrer ses produits 24 h/24. Claude LéviStrauss a toujours affirmé que les échanges commerciaux
et humains fonctionnaient parfaitement avant l’arrivée de
(1) Né entre 210 et 202, à Megalopolis (Arcadie), en Grèce, dans le Péloponnèse – mort en 126 av. J.-C., général, homme d’État, historien et théoricien politique.
(2) Jacques Adda, La Mondialisation de l’économie. Genèse et problèmes. Éditions La Découverte, 7e éd. 2006.
(3) Guy Marty, directeur de l’IEIF, Financiarisation de l’immobilier : vers un nouvel équilibre, Constructif, Éditions Fédération Française du Bâtiment, mai 2002.
(4) Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, Éditions Fayard, 2003 (p.15).
(5) Durant les années 2011-2015, le poids de la consommation a représenté 55 % du produit intérieur brut pour la France et 70 % pour les États-Unis.
65
66 l’ubérisation de l’immobilier
cette mondialisation : « Les contacts transcontinentaux entre
les sociétés humaines n’ont attendu ni la mondialisation ni
les grandes découvertes géographiques » (6). Depuis les années
90, nous sommes témoins de la financiarisation de l’immobilier. L’expression parle d’elle-même, comme le rappelle
Guy Marty. (7) L’immobilier s’est financiarisé et mondialisé en quelques années, à la fin du XXe siècle. Si toutes les
industries peuvent être ubérisées à des degrés divers, dans
ces conditions, comment ne pas s’interroger : l’immobilier
va-t-il s’ubériser ? Si oui, tous ses secteurs s’ubériseront-ils
également ?
LE MONDE DU COURT TERME
La mondialisation a aussi permis une diffusion internationale du progrès technique dans des délais très courts. Hier,
les échanges par courrier prenaient plusieurs jours. Envoyer
une centaine de pages par fax prenait du temps. Aujourd’hui,
quelques secondes suffisent pour transmettre un document
même volumineux (audio, vidéo) à l’autre bout de la planète.
La réduction du temps de transmission a entraîné une augmentation des travaux collaboratifs et de partage entre les
citoyens du monde. Et il convient de rappeler l’importance
du progrès technique dans la croissance. Notre rapport au
temps a aussi évolué depuis une vingtaine d’années.
« Le court terme peut s’appréhender par rapport au long
terme. Les entreprises définissent généralement le long terme
comme une période minimum de cinq ans ». (8) Cette définition peut évoluer selon les industries. « Les sociétés minières
ou les entreprises de service public réalisent des infrastructures destinées à durer plusieurs décennies. Cinq ans est une
période beaucoup trop courte, pour elles ». (9) D’autres industries comme l’informatique ont des cycles de vie de produits
beaucoup plus courts. Dans ce contexte de mondialisation,
plus que jamais, le client est roi. Ses attentes n’ont jamais
été aussi élevées, immédiates et volatiles.
Le consommateur du XXIe siècle est devenu hyperconnecté
et fonctionne en réseaux. Des réseaux qui ne dorment jamais
et qui font le tour du monde en quelques secondes.
Notre relation au temps a donc considérablement changé :
« La vraie accélération date donc du milieu du XIXe siècle, avec
l’avènement de la technologie. En une poignée de générations,
la vitesse a bouleversé l’existence de chacun de nous, ainsi que
la physionomie de la planète. Elle l’a fait si rapidement que
nous tardons encore à en mesurer les conséquences ». (10)
La gestion du temps sera déterminante face aux défis technologiques de demain. Court et long termes devront s’arbitrer subtilement. Gillian Lees et Roger Malone (11) montrent
l’importance de la bonne relation entre le court et le long
termes : « La clé du succès est de s’interroger de façon créative sur les difficultés à concilier les objectifs à court et à long
termes ». (12)
UN MONDE D’ALGORITHMES
Tout est instantané et immédiat. Les serveurs traitent des
milliards de données en quelques secondes grâce aux progrès de l’informatique. Lorsque l’on fait une requête sur un
site immobilier tel que Trulia.com ou Zillow.com, c’est grâce
aux algorithmes que les résultats des annonces arrivent en
quelques secondes. Les algorithmes sont réellement partie
intégrante de la révolution numérique, comme le souligne
David Monniaux : « Un algorithme est une succession d’actions systématiques visant, étape par étape, à la résolution
d’un problème ou à l’obtention d’un résultat. Un peu comme
une recette de cuisine. Un exemple simple : une méthode pour
(6) Claude Lévi-Strauss et l’aménagement des territoires, Françoise Choay, Urbanisme, n° 365, mars-avril 2009 (p.82).
(7) Guy Marty, directeur de l’IEIF. Financiarisation de l’immobilier : vers un nouvel équilibre, Constructif. Mai 2002.
(8) The Aspen Institute. 2007. Long-term value creation: Guiding principles for corporations and investors.
(9) Friedman, Y., & Segev, E. 1976. Horizons for strategic planning. Long Range Planning, 9 (5) : p.84-89.
(10) Jean-Louis Servan-Schreiber. Trop vite. Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme. Éditions Albin Michel, 2010 (p.18).
(11) Gillian Lees et Roger, membres de la Chartered Institute of Management Accountants, Une réflexion à long terme dans un monde à court terme, Réseau entreprise
et développement durable. Février 2015.
(12) Chartered institute of management accountants, 2011.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
trier un jeu de cartes dans un ordre croissant ou décroissant ». (13) PageRank, n’est-il pas l’algorithme de Google le
plus utilisé au monde ? Lorsque l’on rentre le terme « immobilier » sur google.fr, le moteur de recherche fait ressortir
163 millions de résultats en moins d’une seconde. Nous
sommes plus que jamais dans l’ère des algorithmes et du big
data. (14) Chaque minute, plus de 350 000 tweets sont échangés, 15 millions de SMS envoyés, 200 millions de mails diffusés, 300 heures de vidéos sont postées sur YouTube et des
teraoctets d’informations sont archivées sur les serveurs de
Facebook. Chaque jour, nous générons 2,5 trillions d’octets
de données. 90 % de ces données ont été créées durant ces
deux dernières années. Ces « data » proviennent aussi bien
de vidéos, de photos, de messages que d’achats en ligne.
Celles-ci seront de plus en plus présentes dans tous les secteurs d’activité, y compris l’immobilier. Ce dernier n’a pas
échappé à cette vague technologique. Demain, nous communiquerons avec notre agent immobilier en direct via la vidéo
de notre smartphone.
6.3 / UNE ÉCONOMIE COLLABORATIVE
N
icolas Bouzou et Christophe Marquès, économistes
du cabinet Asterès, ont publié en juin 2013 une étude
traitant de la mutation du secteur hôtelier : « L’économie
collaborative repose sur le prêt, le don, l’échange, la location
et la vente de biens d’occasion ». Pourquoi acheter un bien
immobilier ou une voiture, quand on peut les louer ou les
partager ? En milieu urbain, on loue, on échange, on troque.
Cela concerne les objets, les transports, le logement comme
le crédit. L’immeuble de bureaux ne sera pas épargné même
s’il n’est pas aussi mobile que les individus ou les objets.
L’immobilier est à la fois un bien de consommation (on l’utilise) et un bien durable, « un actif ». Dans cette nouvelle
économie, nous sommes en réalité locataires (utilisateurs)
de tout et propriétaires de rien. L’usage d’un bien prime
sur sa propriété. Près de 50 % des Français considèrent
l’acquisition d’une maison de vacances comme inutile. (15) La
mutualisation concerne dorénavant tout actif immobilier.
Un immeuble aura davantage d’usages et de destinations
qu’aujourd’hui. Les mètres carrés de bureaux ou de logements peuvent-ils se partager facilement ?
Les locaux d’entreprise peuvent-ils s’ouvrir à d’autres usages ?
Nous aurons toujours besoin d’immeubles de bureaux dans 10,
20 ou 30 ans. Les entreprises auront des besoins différents.
Le législateur devra modifier les règles juridiques afin
que ces immeubles connectés, innovants, modulables et
flexibles puissent se louer dans les meilleures conditions.
Les baux 3­/6­/9 (avec des baux fermes pour les immeubles
prime) paraissent une éternité et semblent inadaptés pour
(13) Chercheur au CNRS. Les Echos du 10 mai 2016.
(14) Cette expression signifie méga-données ou grosses données. Il n’existe aucune définition précise ou universelle pour définir le big data. Les usagers comme
les fournisseur de services donnent chacun la sienne.
(15) Enquête réalisée par Ipsos sur un échantillon de 1 004 personnes représentatives de la population française âgées de 18 ans et plus en octobre 2015.
67
68 l’ubérisation de l’immobilier
des entreprises qui ont du mal à évaluer leurs besoins
immobiliers à moyen terme. Une start-up à succès peut
avoir besoin d’augmenter sa surface locative à un moment
donné. Soit elle reste dans l’immeuble, soit elle déménage
rapidement. Dans la configuration actuelle, si elle ne dispose pas d’un bail précaire, elle devra attendre la fin de
celui-ci pour partir sans pénalités. Les entreprises d’aujourd’hui vont consommer des mètres carrés différemment
de celles d’hier. Les parcs logistiques en Europe ne sont-ils
pas utilisés à moins de 40 % de leur capacité ? Il y a donc
un réservoir de croissance dans la digitalisation de l’entrepôt de demain.
De nombreuses activités auront besoin davantage de technologie que de stockage. Elles attendent du bailleur souplesse et flexibilité accrues en raison de l’innovation ou de
volumes d’activité fluctuants. Nous nous dirigeons vers des
immeubles partagés, mutualisés, avec des services externalisés et ubérisés. Un acteur comme BureauFlexible.fr
met en relation des professionnels qui cherchent ou proposent des bureaux en contrat de prestations de services.
Les bailleurs comme les utilisateurs bénéficient pleinement
de cette nouvelle flexibilité de l’immobilier tertiaire. Par
ailleurs, de nombreux bailleurs privés et sociaux disposent
de places vacantes de parking alors qu’il n’a jamais été
aussi difficile de se garer à Paris. Des acteurs comme YesPark ou ZenPark se sont lancés sur le créneau du parking
partagé. Concernant l’économie du partage, Clara Gaymard (16) affirmait : « On a vécu dans un monde où celui qui
savait, avait le pouvoir de dire “I know, I can”. Aujourd’hui,
on est dans un monde où c’est celui qui partage qui a le pouvoir “I share, I can” ». Selon une étude de PwC, le chiffre
d’affaires de l’économie collaborative à l’échelle mondiale
pourrait représenter 335 milliards de dollars à l’horizon
2025. (17) L’économie collaborative va continuer de modifier
la chaîne immobilière d’ici cette date.
6.4 / L’UBÉRISATION DE L’ÉCONOMIE
L
’ubérisation de l’économie est une bonne nouvelle pour
les uns et une mauvaise pour les autres. C’est une formidable opportunité pour tous les acteurs de la nouvelle
économie, qui vont profiter des dernières technologies pour
concevoir, vendre des produits et des services à une clientèle parfaitement identifiée. Avec Internet, n’importe quel
produit local peut bénéficier d’une visibilité internationale.
Cette ubérisation peut aussi devenir un cauchemar pour certains réfractaires au changement et à l’évolution du monde
moderne.
Dans une interview au Financial Times du 14 décembre
2014, Maurice Lévy disait : « Tout le monde a peur de se
faire ubériser » (18). Ne sommes-nous pas davantage dans un
changement du modèle économique existant que dans une
crise conjoncturelle longue et durable ? D’ici 2020, plus de
40 % des emplois existants auront disparu ou connaîtront
une mutation. Cette mutation concernera aussi bien les cols
bleus, les cols blancs, que les jeunes et les moins jeunes.
Il est logique qu’un tel pourcentage fasse réagir aussi bien
le monde professionnel, politique que la société civile. Cette
transition est bien une réalité dans un monde devenu hyperconcurrentiel où les maîtres du monde ne s’appellent plus
Kodak (qui avait pourtant déposé en 1978 le premier brevet d’un appareil numérique) ou Ford, mais les Gafa avec
Google, Apple, Facebook, Amazon (19). Nous n’avons jamais
connu aussi peu d’entreprises dominant ainsi financièrement et technologiquement le monde comme le démontrent
Marc Dugain et Christophe Labbé : « Les Gafa – pour Google,
Apple, Facebook (20) et Amazon, ont réussi à conquérir en une
dizaine d’années l’ensemble du monde numérique.
Ces sociétés du “septième continent”, comme on les appelle,
sont la nouvelle incarnation de l’hyperpuissance américaine.
(16) Présidente de General Electric (GE) France de 2006 à 2016.
(17) http://pwc.blogs.com/files/sharing-economy-final_0814.pdf
(18) Eveyone is starting to worry about being ubered.
(19) Cent cinquante millions d’articles disponibles sur le site en 2016.
(20) Facebook compte 1,6 milliard d’utilisateurs dans le monde, dont 30 millions en France.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
(…). En moins de quinze ans, l’Américain Google, rebaptisé
Alphabet, est devenu la plus grosse entreprise du monde ». (21)
Nous avons aussi les Natu avec Netflix, Airbnb, Tesla
et Uber (22). Ces entreprises américaines ont ubérisé en
quelques années de nombreux secteurs d’activité.
Même le droit n’est pas épargné par la nouvelle économie
numérique : « Sur le marché du droit, de nombreux acteurs
proposent des solutions techniques et des services internet facilitant l’accès au droit ou référençant des prestations d’avocat
à des prix inférieurs à ceux d’un cabinet d’avocats classique.
Ces sites simplifient la vie des citoyens en leur permettant de
saisir des tribunaux, d’éditer des actes juridiques, de choisir
leur avocat et d’avoir accès à ces services à moindre coût. Il
s’agit donc bien d’une “ubérisation du droit” ». (23)
Ces entités de la nouvelle économie embauchent trois fois
moins que l’industrie automobile alors qu’elles représentent,
de nos jours, les plus grandes valorisations mondiales pour
les Gafa. (24) Elles font parties des dix plus importantes capitalisations boursières américaines, aujourd’hui. Certains
acteurs de l’ancienne économie finissent par s’adapter et
réagissent avant qu’il ne soit trop tard tandis que d’autres
disparaissent totalement : « Aucun secteur d’activité de l’ancienne économie n’est à l’abri d’une innovation technologique
ou d’usage qui rendra obsolète le businessmodel des acteurs
de ce secteur (…). La menace vient surtout d’ailleurs. Cette
adaptation passe inévitablement par la prise en compte des
nouvelles technologies, des nouveaux acteurs de l’économie
numérique. Ce sont eux qui sont porteurs des innovations de
rupture ». La combinaison entre la technologie et les nouveaux usages (co-sharing, desksharing, co-lending, crowdfunding) pourrait attirer de nouvelles entités dans le secteur
de l’industrie immobilière. À cet égard, tous les métiers de
l’intermédiation immobilière sont menacés par l’ubérisation
de l’économie. Ainsi, la start-up HopShop met en relation
les bailleurs et les preneurs afin de louer des boutiques
éphémères aussi appelées « pop-up stores ». Cette formule,
qui vient des États-Unis, permet à la fois au locataire de
tester ses nouveaux produits avant de les commercialiser à
plus grande échelle et au bailleur de réduire la vacance de
son local. Même dans les centres commerciaux, les bailleurs
intègrent de plus en plus de mètres carrés dédiés aux popup stores.
6.5 / LA MONDIALISATION
DE L’IMMOBILIER
L
e grand enjeu de la globalisation financière est de
fluidifier les transactions dans l’objectif d’intégrer
les marchés financiers. Or, les actifs immobiliers sont par
nature illiquides. Le ticket d’entrée exige des montants
d’investissement et des coûts de transaction élevés. La
financiarisation de l’immobilier a permis d’améliorer cette
liquidité entre les investisseurs institutionnels internationaux. De nombreuses grandes entreprises immobilières
ont engagé le virage numérique avec quelques années de
retard, contrairement aux start-up innovantes et aux Gafa.
Certaines structures ont pris du retard dans la communication virale de produits et de services de certaines entités publiques et privées comme le soulignent Denis Marquet et Edouard Rencker : « À l’ère numérique, 80 % des
contenus publiés sur l’entreprise sont aujourd’hui produits
par d’autres émetteurs qu’elle ». (25) Les entreprises traditionnelles doivent relever les défis suivants : se réinventer
pour se différencier et rattraper le temps perdu en investissant dans l’innovation. Comme le rappelle le professeur
et théoricien Peter Drucker : « Le meilleur moyen de prédire
l’avenir, c’est de le créer ».
(21) Marc Dugain et Christophe Labbé, L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Éditions Robert Laffont et Plon, 2016 (p.26-28).
(22) La capitalisation boursière de Netflix était de 37 milliards de dollars le jeudi 12 mai 2016. Les entités Airbnb, Tesla et Uber ne sont pas encore cotées en Bourse.
(23) Christiane Féral-Schuhl, propos recueillis par Michèle Battisti, Vers une ubérisation du droit ? I2D – Information, données et documents 2016/1 (volume 53), p. 9-10.
(24) La valorisation cumulée que Google, Apple, Facebook et Amazon au Nasdaq représentait le jeudi 12 mai 2016 plus de 1 661 milliards de dollars de capitalisation.
(25) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p.251).
69
70 l’ubérisation de l’immobilier
LE DIGITAL EST UN
MOYEN D’ACCÉLÉRER
LE DÉVELOPPEMENT
COMMERCIAL DE L’IMMOBILIER
GRÂCE À UNE OFFRE PERTINENTE
TOUT EN RÉDUISANT LES COÛTS.
peut produire des effets positifs auprès des collaborateurs
comme des partenaires. Denis Marquet et Édouard Rencker
rappellent l’importance de la communication numérique :
« La communication de l’entreprise vaut aussi par son rôle de
facilitateur. En interne, elle doit favoriser la transition vers
l’économie numérique. La communication peut y contribuer en
adoptant une démarche pédagogique, et même d’avant-garde
dans l’utilisation des outils numériques : intranet communautaire, plates-formes collaboratives et conversationnelles,
réseau social d’entreprise, etc. (…) ».
LA TECHNOLOGIE DIGITALE DE L’IMMOBILIER
Sans création, comment peut-on être performant dans une
société concurrentielle ? Cette créativité doit se faire quotidiennement de manière transversale et collaborative.
LE MONDE ET LA TECHNOLOGIE
L’économiste Brian Arthur (26) définit « la technologie
comme l’usage de phénomènes physiques pour remplir une
fonction précise. Ainsi, la science nous apprend que certains
matériaux peuvent être à la fois conducteurs et isolants ; la
technologie qui en découle utilise cette propriété pour réaliser un transistor (…) qui permet de commander un courant
pour un autre courant, puis un microprocesseur (…). La digitalisation va réduire des emplois tout en en créant d’autres ».
Plus la transition technologique sera utile, plus l’impact sur
l’emploi sera positif. Dans tous les cas, nous allons vivre la
plus grande révolution du travail de tous les temps.
Le digital connaît une courbe exponentielle mais n’offre
pas des créations d’emplois comme l’a connu le secteur
industriel durant le début du XXe siècle.
La révolution technologique concerne tous types d’entreprises et d’organisations (publiques et privées). Quelle que
soit la taille de l’entreprise, elle doit former ses collaborateurs au numérique en utilisant la technologie disponible.
L’utilisation de celle-ci en interne de manière pertinente
Les innovations technologiques vont continuer de s’inviter
dans le secteur de l’immobilier. Les promoteurs bénéficieront demain d’une désintermédiation de l’accès au foncier.
Le foncier deviendra ainsi une matière première davantage
transparente et maîtrisable en termes d’offres, de prix et
de réglementations. Cette nouvelle approche conférera une
meilleure visibilité aux modèles économiques pour les promoteurs et les clients finaux.
Les communes pourront ainsi visualiser l’ensemble de leur
patrimoine foncier et l’arbitrer en fonction des données de
marché et des droits à bâtir. Elles pourront, de fait, mieux
gérer la réalisation de leur PLU et se projeter immédiatement dans le cadre de rachat de parcelles individuelles ou
les regrouper. La technologie va toucher toute l’industrie
immobilière comme le retail (commerce de détail) : « Le digital est l’avenir du retail. Pour preuve, certains pure players
digitaux tel Zappos.com ou Amazon se lancent aujourd’hui dans
l’ouverture de points de vente (complètement digitalisés, bien
sûr). Le but poursuivi est de lever les freins culturels au changement, de favoriser le partage des connaissances et de l’information et de développer les usages collaboratifs pour accompagner
la transformation digitale de l’entreprise » (27). Le digital est un
moyen d’accélérer le développement commercial de l’immobilier grâce à une offre pertinente tout en réduisant les coûts.
(26) Brian Arthur, The Nature of technology : what it is and how it evolves.
(27) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, Éditions l’Archipel, 2016 (p.161-162, p.252-253).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
L’AVENIR DE LA BOUTIQUE PHYSIQUE
Face à une clientèle de plus en plus impatiente et exigeante
quant à la qualité du service obtenue, le commerçant devra
de plus en plus trouver le bon équilibre entre le monde
digital et le commerce physique afin de maximiser son offre
commerciale immédiate. Chaque enseigne adoptera des
stratégies digitales différentes les unes des autres. Le « click
and collect », par exemple, n’aura pas la même légitimité
d’un magasin physique à un autre. Une majorité de centres
commerciaux proposent de retirer les achats effectués sur
internet directement dans le centre commercial.
Les enseignes souhaitant être localisées dans les zones
prime en centre-ville partageront de plus en plus leurs
mètres carrés avec des marques non concurrentes. Cette
stratégie permet d’optimiser les surfaces commerciales et
de réduire le coût annuel immobilier.
Ce dernier peut représenter le premier poste de dépenses
pour les adresses commerciales les plus recherchées à
Paris. De nombreux commerces ont disparu en France
depuis la crise financière mondiale de 2008. Le réseau des
pressings, en France, est par exemple passé de 12 000 à
5 000 boutiques. Avec la digitalisation de ce secteur, combien d’entre elles vont disparaître ou se créer ? Afin de
résister à l’e-commerce, qui ne cesse de progresser en
France (56,8 milliards d’euros de vente en 2014 selon la
Fédération du e-commerce et de la vente à distance) (28),
les boutiques de demain seront un mélange entre le contact
physique et la dimension digitale. Nous allons vers une
hybridation du numérique et du physique. Les pure players
comme Spartoo, dans la chaussure, ont ouvert onze points
de vente en dur en France, tandis que des acteurs comme
le Printemps attendent beaucoup de leur développement
digital.
Grâce aux nombreux capteurs, les commerçants seront
capables de savoir ce que les clients auront essayé, touché,
reposé ou acheté : « À l’intérieur, des écrans permettent de
découvrir le produit augmenté ou de personnaliser son achat
par la combinaison des modèles et couleurs disponibles (…).
Des vendeurs équipés de tablettes connectées aux produits
peuvent dialoguer avec le client, qui peut lire les informations
recherchées sur un écran mural. Et demain, pourquoi pas, la
reconnaissance faciale des clients ? Elle fournirait au vendeur
des informations sur ce client ». (29) Chez H&M Times Square,
à New York, a été développé un studio photo dans la boutique, où les clients peuvent poser dans le décor de la campagne de publicité et se voir ensuite sur les écrans géants de
la façade du magasin.
(28) Fevad.
(29) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 160).
71
72 l’ubérisation de l’immobilier
Les consommateurs n’auront pas besoin d’aller en caisse
mais paieront directement avec leur smartphone en scannant simplement l’étiquette. Les vitrines seront munies de
capteurs et s’éclaireront durant leur passage, de jour comme
de nuit. Elles seront équipées d’écrans interactifs et dynamiques fonctionnant 24 h/24. Les produits apparaîtront en
fonction des paramètres suivants : morphologie, attentes,
et profil socioéconomique. Les informations seront ensuite
envoyées instantanément sur le smartphone du passant.
Il sera alors possible de poser des questions pratiques au
robot du site en direct. L’internaute pourra effectuer immédiatement des recommandations sur les différents réseaux
sociaux.
Ces réseaux sociaux, qui ont bouleversé notre manière de
communiquer et d’échanger avec autrui sont utilisés par un
Français sur trois et par un Anglo-saxon sur deux.
Éric Schmidt mentionne que : « Les travaux réellement
intéressants portent aujourd’hui sur la conception de robots
sociaux capables de reconnaître les mouvements de l’homme
et d’y répondre ». (30) Le commerçant enverra immédiatement des offres commerciales ciblées et limitées dans un
temps très court afin de maximiser le taux de transformation avec des messages courts : « Profitez d’une baisse de
20 % du chemisier blanc que vous venez de voir en vitrine
pendant les 30 prochaines minutes ! » Il y aura un bouton
pour commander le produit convoité même si la boutique
est encore fermée. La livraison pourra s’effectuer dans la
journée sur le lieu de travail ou à domicile. Pour y parvenir,
les enseignes doivent réduire les délais de préparation en
informatique, dans les entrepôts comme dans l’optimisation
des tournées de livraison. La mutation du monde du commerce est loin d’être terminée. Cette mutation est à la fois
profonde et bien réelle : « L’avènement du monde numérique
n’est pas synonyme de mort pour le magasin. Le retail n’est pas
condamné. Bien sûr, certaines enseignes, pas des moindres,
ont disparu, victimes d’internet. (…). D’autres sont aujourd’hui
à l’agonie. Mais c’est parce qu’elles n’ont pas su se transformer à temps ». (31) Comme pour l’immobilier de bureau, le
bail 3-6-9 ne sera plus l’unique benchmark pour fluidifier le
marché des boutiques.
6.6 / LE COWORKING
L
e desksharing continue d’augmenter ses parts de marché dans toutes les grandes métropoles européennes
et mondiales. Avec le wifi haut débit et le développement
du cloud, les travailleurs nomades sont de plus en plus
nombreux. Nous avons à Paris quelques sites emblématiques du co-working comme le Cargo dans le 19e arrondissement, la Cantine dans le 2e arrondissement et bientôt La
Halle Freyssinet dans le 13e arrondissement.
L’augmentation du nombre de télétravailleurs va avoir
un impact sur l’utilisation des mètres carrés de bureaux,
d’usines et des parcs logistiques.
Le coworking devrait permettre, à terme, aux collaborateurs de passer moins de temps dans les transports individuels ou collectifs. Ainsi, un individu passant 3h par jour
dans les transports individuels entre la Seine-et-Marne
et son bureau à Boulogne-Billancourt passera plus de
28 jours consécutifs dans les transports (en soustrayant
5 semaines de congés payés et les jours de RTT). Selon
Cédric Verpeaux : « En Île-de-France, à l’horizon 2025, sur
la base des projections réalisées, le gain de temps de parcours par jour télétravaillé est estimé à 80 minutes pour un
individu. 45 minutes gagnées seraient réinvesties dans le
temps de travail, ce qui contribue mécaniquement à augmenter la production des salariés. L’absentéisme serait réduit à
(30) Éric Schmidt et Jared Cohen, À nous d’écrire l’avenir. Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde, éditions Denoël, 2013. Éric Schmidt est président
exécutif d’Alphabet.
(31) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 161).
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
5,5 jours par an (pour une moyenne actuelle de 15 jours en
secteur public et privé confondus) ». (32)
Les investisseurs dans l’immobilier de bureau vont devoir
intégrer cette nouvelle tendance du coworking. Ce n’est pas
demain que tous les bailleurs des immeubles du triangle
d’or vont modifier leur mode de commercialisation. L’approche hybride de l’immeuble de bureau commence à bien
fonctionner à New York, San Francisco et Londres. En
effet, dans un immeuble de bureaux, on pourra parfaitement voir plusieurs étages dédiés aux start-up et d’autres
loués à des entreprises traditionnelles.
La jeune entreprise new-yorkaise WeWork, créée en 2010,
est en train de bouleverser les codes dans les grandes villes
américaines et dans quelques villes européennes. Elle sera
bientôt présente à Paris et à Bruxelles. Valorisée à 16 milliards de dollars, elle achète des étages entiers et les loue à
des start-up, des PME ou des particuliers. Ces espaces de
travail ou de bureaux privatifs peuvent se louer à la journée
comme au mois. WeWork propose de nombreux services
sur place comme l’assurance-santé, la banque, les services
juridiques, le centre de fitness, la réservation de voyages, les
community managers sur site, le service pressing, et l’open
(32) Cédric Verpeaux, responsable du pôle « Villes et territoires intelligents » à la Caisse des Dépôts, interviewé dans la note de l’ORIE n° 33 de février 2015.
73
74 l’ubérisation de l’immobilier
bar pour se détendre… D’autres concurrents comme Coliving.club, LiquidSpace.com ou Desksnear.me s’installent
sur ce marché de la location flexible d’espaces de travail en
proposant des services à la carte. Cette nouvelle flexibilité
offrira à l’utilisateur une réduction de 20 à 35 % moins cher
que pour un bureau classique à surface identique, et davantage de prestations proposées.
6.7 / LE COLIVING
L
a colocation a évolué, ces dernières années. Nous
sommes passés de la colocation d’appartement pour
étudiants à la colocation pour les personnes âgées. Face
aux prix des loyers, de nombreux jeunes acceptent une
colocation avec une personne âgée. En contrepartie d’un
loyer faible, le jeune rend quelques services, comme faire
les courses, le ménage ou donner des cours d’informatique.
Par ailleurs, nous trouvons de plus en plus de colocations
à destination des seniors actifs. Des sites comme EmbassyNetwork.com ou Coliving.org se sont spécialisés dans
l’habitat collectif bien localisé au cœur des métropoles
urbaines comme San Francisco. Ces nouvelles formes
d’hébergement créent du lien social. Cette socialisation est
l’occasion de développer des réseaux amicaux et professionnels. L’argument financier n’est pas la première motivation des colocataires, dont l’âge varie de 30 à 50 ans. La
communication virtuelle étant devenue une réalité dans les
grandes villes, l’idée de se retrouver et de communiquer
physiquement fait écho.
Le propriétaire d’une grande maison avec de nombreuses
chambres ou d’un petit immeuble peut, ainsi, gagner de
l’argent tout en offrant un habitat communautaire pour un
loyer légèrement plus faible que la location d’un studio
L’ÉCHANGE OU
LA SOUS-LOCATION
OFFRENT LA
POSSIBILITÉ DE DÉPENSER MOINS
TOUT EN TISSANT DES LIENS
POUVANT DEVENIR AMICAUX.
meublé. Le sociologue Jean-Claude Kaufmann explique ce
nouveau mode de vie : « Le rêve, aujourd’hui, est que le logement devienne un instrument plus souple permettant d’avancer dans ce nouveau projet existentiel (…). L’échange ou la
sous-location offrent la possibilité de dépenser moins tout en
tissant des liens pouvant devenir amicaux. Dans notre société
si dure et si froide, guettée par les démons de l’égoïsme et de
l’enfermement sur soi, cette chaleur humaine retrouvée est
tout aussi précieuse que le grain d’aventure qui est au coeur
de ce moderne nomadisme résidentiel » (33).
6.8 / LE CROWDFUNDING
L
e terme « crowdfunding » signifie le financement
(funding) par la foule (crowd). Selon la définition de
Schwienbacher et Larralde (2012) (34), le financement par la
foule se définit comme « un appel à tous, essentiellement
via Internet, pour obtenir des ressources financières, soit sous
forme de don, soit sous forme d’échange d’une certaine forme de
récompense, soit sous forme de droits de vote » (35). Le crowdfunding crée un lien direct entre le citoyen et l’économie
locale. Le ticket d’entrée varie d’une plate-forme à l’autre. Il
peut aller de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros.
(33) Économie du partage, nomadisme, digitalisation des usages quotidiens. Comment les Français voient-ils leur logement en 2015 ? 2e édition. 2015. Lab’ Orpi.
(34) Armin Schwienbacher est professeur de finance et de comptabilité à Skema Business School et Benjamin Larralde est ingénieur et fondateur Hackster.io.
(35) Boyer Karine, Chevalier Alain, Léger Jean-Yves, Sannajust Aurélie, II. Une réalité nouvelle, Le crowdfunding, Paris, La Découverte, «Repères», 2016, 128 pages.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
En fonction de l’évolution de la réglementation propre
à chaque pays, les crowdfundings seront davantage des
fonds de dettes finançant de nombreux acteurs de l’immobilier comme les personnes physiques pour l’achat de leur
résidence principale.
Les banques devraient de moins en moins prêter sur de
longues durées avec l’application du ratio structurel de
liquidité à long terme de Bâle 3. Le crowdfunding permet
d’apporter, par exemple, au promoteur 20 à 30 % d’equity
exigés par les banques pour le financement du programme.
Cette ubérisation du financement n’est ni plus ni moins que
la mise en relation d’un investisseur avec un professionnel
de l’immobilier. Le financement participatif va redéfinir la
mission des établissements prêteurs classiques et jouer un
rôle important dans le financement immobilier.
6.9 / L’AVENIR DE L’ENSEIGNEMENT
DE L’IMMOBILIER
L
’enseignement supérieur est confronté à la mutation
technologique de la formation et du savoir. Ce savoir
mondialisé n’a ni frontière ni langue officielle. Les Mooc (36)
s’installent de plus en plus dans les écoles de commerce,
d’ingénieurs et à l’université. Des cours en ligne ouverts à
tous existent depuis une quinzaine d’années dans les meilleures universités américaines telles que Stanford ou le
MIT. Les Mooc n’ont pas vocation à supprimer les cours
traditionnels. Cette complémentarité donne l’occasion d’attirer de nouveaux profils français et étrangers. Un master
immobilier ayant généralement trente élèves présents physiquement en France pourrait se retrouver avec trois cents
étudiants étrangers supplémentaires grâce aux Mooc. Le
Mooc, qui s’adresse à un auditoire bien plus large, donne
une visibilité internationale et apporte de nouveaux étudiants. Nous tendons vers un enseignement digitalisé et
connecté. L’enseignement de l’immobilier va suivre cette
trajectoire.
Par exemple, un Parisien pourra suivre, à distance, les cours
d’immobilier d’une prestigieuse université américaine sans
être présent physiquement sur place. Un Chinois pourra
suivre un cursus immobilier d’un établissement parisien à
distance, aussi.
Alain Bechade (37) évoquait cette transition : « L’intelligence
numérique connectée : les enseignements ne se feront pas
seulement en présentiel mais aussi et beaucoup par réseaux
informatiques. C’est une évolution pédagogique facilitée par
les technologies ; la transmission de documents (la fin des polycopiés ?), les cours suivis en direct à travers la France…
Les liens avec les enseignants seront différents mais pas
absents pour autant. Ces moyens sont une opportunité remarquable, pour l’enseignement des sciences immobilières à distance » (38).
Le géant Google de Mountain View pourrait parfaitement
proposer des cours sur l’immobilier en ligne en créant ses
propres formations et cursus sur mesure. Il pourrait aussi
s’associer avec une ou plusieurs universités afin de bénéficier immédiatement de l’accréditation des diplômes et certificats délivrés. Ces enseignements pourraient se dérouler
24 h/24 et dans une dizaine de langues étrangères.
L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER
Depuis l’arrivée de plates-formes et d’applications innovantes entre particuliers, les agents immobiliers sont les
plus exposés dans la chaîne de désintermédiation. La loi
Hoguet n’a pas réellement évolué par rapport à l’arrivée
du monde numérique et des plates-formes collaboratives.
(36) Massive open online courses. Les Mooc bénéficient des innovations issues du Web 2.0. Il peut arriver que 100 000 personnes soient réunies pour un cours.
(37) Professeur émérite du Cnam.
(38) Hors-série Business Immo. février 2015.
75
76 l’ubérisation de l’immobilier
CETTE NOUVELLE
RÉVOLUTION
INDUSTRIELLE EST
REPRÉSENTÉE PAR L’ARRIVÉE
PERMANENTE D’INNOVATIONS
TECHNOLOGIQUES QUI VONT
TRANSFORMER L’ORGANISATION
DE L’ÉCONOMIE EN GÉNÉRAL
ET DE L’ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE
EN PARTICULIER.
Ceux qui resteront sur un modèle traditionnel et conservateur seront en danger. Depuis l’arrivée de la plate-forme
Airbnb, l’offre d’hébergement dans les grandes villes du
monde est beaucoup plus diversifiée et importante qu’autrefois. On peut, ainsi, louer en quelques clics un loft dans
le quartier de Chelsea, à New York, un penthouse sur les
hauteurs de Los Angeles, ou une maison victorienne à San
Francisco pour un budget identique ou moins élevé que
celui d’une chambre dans un hôtel de même standing. La
durée moyenne d’un hébergement sur Airbnb varie de trois
à sept nuits. Ce n’est pas un hasard si Paris est le plus gros
marché mondial pour Airbnb devant New York et Londres.
Nous trouvons, en effet, plus de soixante mille appartements à Paris et en Île-de-France actuellement disponibles
sur ce site.
Airbnb a connu une augmentation de 224 % en cinq ans.
De nouveaux acteurs (fonds d’investissement) investissent dans l’immobilier résidentiel à Londres pour en
faire des résidences meublées avec services. Le taux
d’occupation des chambres d’hôtel est de 90 % dans la
capitale londonienne. Cette nouvelle concurrence a fait
réagir le monde hôtelier. Ces derniers considèrent ces
plates-formes comme une menace. Ils sont en réalité
une dynamique pour tous les acteurs. Premièrement, les
vacanciers y ont gagné en prix, en transparence et en
qualité. Deuxièmement, la location a permis à des propriétaires de compléter des revenus pour entretenir leur
patrimoine immobilier. Grâce à ces revenus complémentaires, ils ont pu conserver leur logement, dont les prix
atteignent des records dans les grandes capitales mondiales. Enfin, cette concurrence amène le secteur de l’hôtellerie à se remettre en question. AccordHotels n’a-t-il
pas répliqué à Booking en créant sa propre plate-forme
de réservation en ligne ? En effet, il a également racheté
le site Onefine stay, le Airbnb du luxe et pris des participations minoritaires chez Squarebreak et Oasis Collections. AccordHotels est en train d’améliorer sa gamme
de produits et de services tout en utilisant des moyens
technologiques performants. Si le monde de l’immobilier
ne réagit pas aux innovations technologiques, il pourrait
parfaitement devenir en partie ou en totalité un sous-traitant de Google, qui s’invitera de toute façon dans la commercialisation de la maison intelligente. Les immeubles
de bureaux ne seront pas délaissés pour autant. L’immeuble de bureaux n’est plus fait pour durer vingt ans. Il
devra être également réversible.
Il pourra, ainsi, se modifier en partie ou en totalité en logements durant la vie de l’immeuble. La valeur ajoutée se
trouvera à l’intérieur du bien immobilier, qu’il soit tertiaire
ou résidentiel. Les agences immobilières devront également s’adapter en se digitalisant. Quand les agences seront
fermées, les clients auront accès à des écrans tactiles sur la
vitrine pour consulter les annonces. Les clients intéressés
pourront laisser directement leurs coordonnées.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
technologies digitales et immobilier
6.10 / CONCLUSION
L
es résistances aux changements sont encore fortes, en
France. L’entrepreneuriat se développe, bien qu’il soit
récent dans notre pays. Notre modèle fiscal, réglementaire
et économique et l’absence de capitaux ne favorisent pas
la création d’entreprises ubérisatrices. BlaBlaCar a fait le
choix de se financer et se de développer aux États-Unis.
Les difficultés pour lever des fonds sont davantage présentes en France qu’aux États-Unis et peuvent être un des
freins à l’émergence de véritables projets technologiques
français. Nous devons privilégier la prise de risque afin
que de nouvelles entreprises puissent rapidement rayonner à l’international. Selon Isaac Newton, « Les hommes
construisent trop de murs et pas assez de ponts ».
Pourquoi devrions-nous être silencieux sur le monde de
demain : comme le préconisait Térence « On ne peut plus
rien dire qui n’ait été dit avant nous » (39).
Dans toute projection et prospective, il y a toujours un
mélange de fantasmes et de réalité. Une réalité qui sera
une victoire pour les uns et une défaite pour les autres.
Ainsi, la phrase d’Antoine de Saint Exupéry prend tout
son sens : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le
prévoir, mais de le rendre possible ». Même si la technologie
évolue très vite, les entreprises devront capitaliser intelligemment leur communication, comme le soulignent Denis
Marquet et Édouard Rencker : « La communication doit
donc être pensée, aujourd’hui, comme un moyen concurrentiel dont dispose l’entreprise pour créer la préférence en sa
faveur. Une préférence qui constitue un élément essentiel de
la valeur immatérielle de l’entreprise, donc de sa prospérité
à long terme » (40). Cette nouvelle révolution industrielle est
représentée par l’arrivée permanente d’innovations technologiques qui vont transformer l’organisation de l’économie en général et de l’économie immobilière en particulier.
Les opportunités de développement et de richesse sont
illimitées pour les start-up comme pour les structures économiques existantes. Pour conclure, la transition du monde
est aujourd’hui marquée par une crise d’identité des pays
riches, dont la croissance future dépendra de celle des
régions émergentes. Il est encore trop tôt pour savoir si
l’ubérisation de l’immobilier apportera ou non, à terme,
une valeur ajoutée permettant de relancer la croissance,
donc l’emploi. L’immobilier doit passer par la transformation de son modèle pour rester compétitif. Les gagnants
vont anticiper le passage d’une économie de l’offre à une
économie de la demande. Ils donneront ainsi davantage
de liquidité à un secteur qui en manque aujourd’hui cruellement.
En conclusion, citons le prix Nobel d’économie Jean Tirole
sur la révolution numérique : « Quelle que soit notre opinion
sur Uber, nous observons tous que ses différentes innovations
sont importantes pour l'utilisateur (…). L’épisode Uber nous
rappelle l'importance de la concurrence pour l’innovation (…).
La révolution digitale n’est pas un effet de mode. Elle a déjà
modifié le commerce, la finance, les médias, les transports ou
l'hôtellerie. Demain, elle chamboulera les secteurs de l'assurance, de la santé, de l’énergie, de l’éducation », (Les Echos,
8 décembre 2015).
L’histoire de l’ubérisation est encore loin du mot « fin ».
De nombreux chapitres restent encore à écrire.
(39) Poète comique latin. H, 159 av. J.-C.
(40) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 254).
77
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
n° 92
79
EUROPE
LE MARCHÉ IMMOBILIER RÉSIDENTIEL
DANS L’UNION EUROPÉENNE
Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication
et RSE, Crédit Foncier.
80
7
LE MARCHÉ IMMOBILIER
RÉSIDENTIEL DANS L’UNION
EUROPÉENNE
Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication et RSE, Crédit Foncier.
L
e marché immobilier résidentiel est-il uniforme en
Europe ? La réponse est assez immédiate tant les disparités sont nombreuses aussi bien entre pays qu’en leur sein.
Sur le plan réglementaire, il n’existe pas non plus de « marché unique » immobilier ; n’étant pas assimilable à un bien
en libre circulation, le logement est régi, en vertu du principe de subsidiarité, par les lois nationales. Cet article, réactualisation d’un texte publié dans l’ODI n° 90, met l’accent
sur les disparités observées au sein de l’Union européenne
en matière de statut et de forme d’habitat, de dynamiques
de prix immobiliers, ainsi que de financement.
Le marché immobilier européen sera analysé à partir de
quatre ensembles de pays :
◗ l’Europe du Nord (18 % de la population de l’Union européenne), composée de cinq nations que sont le RoyaumeUni, l’Irlande, le Danemark, la Suède et la Finlande ;
◗ l’Europe du Centre-Ouest (36 % de la population) avec six
pays : France, Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg
et Pays-Bas ;
◗ l’Europe du Sud (26 % de la population) avec six pays :
Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Malte et Chypre ;
◗ l’Europe de l’Est (20 % de la population), composée des
onze pays issus de l’ancien bloc communiste.
Figure 1. Les quatre ensembles
de l’Union européenne
Europe du Nord
Europe du Centre-Ouest
Europe du Sud
Europe de l’Est
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
81
europe
Les 28 nations de l’Union européenne comptent 508 millions d’habitants dont 70 % sont concentrés dans six pays :
l’Allemagne (81 millions d’habitants, soit 16 % de la population européenne), la France (66 millions ; 13 %), le RoyaumeUni (65 millions ; 13 %), l’Italie (61 millions ; 12 %), l’Espagne
(46 millions ; 9 %) et la Pologne (38 millions ; 7 %).
Six autres pays (Roumanie, Pays-Bas, Belgique, Grèce,
République tchèque et Portugal) comptent entre dix et
20 millions d’habitants chacun.
Les modèles nationaux des pays les plus peuplés auront
donc un impact significatif sur les caractéristiques immobilières moyennes observées ci-après.
7.1 / SEPT EUROPÉENS SUR DIX
VIVENT DANS UN LOGEMENT DONT
ILS SONT PROPRIÉTAIRES
L
e modèle de la propriété prédomine en Europe. Selon
les données (1) publiées par l’institut Eurostat (et dont la
méthodologie diffère de celle de l’Insee), sept habitants sur
dix (70,1 %) de l’Union européenne vivent dans un logement
dont ils sont propriétaires. 39 % d’entre eux (2) remboursent
encore un crédit pour l’acquisition de ce logement.
Parmi les 30 % de ménages qui sont locataires, les deux
tiers le sont dans le secteur libre (3). Ce parc privé compte
« une majorité de propriétaires personnes physiques et peu
d’investisseurs institutionnels » (4).
Tableau 1. Proportion de propriétaires
(Source : Eurostat 2014.)
Pays
Part ménages
propriétaires (5)
Roumanie
96 %
Slovaquie
90 %
Lituanie
90 %
Croatie
90 %
Hongrie
88 %
Bulgarie
84 %
Pologne
84 %
Estonie
82 %
Lettonie
81 %
Malte
80 %
République tchèque
79 %
Espagne
79 %
Slovénie
77 %
Portugal
75 %
Grèce
74 %
Finlande
73 %
Italie
73 %
Chypre
73 %
Luxembourg
73 %
Belgique
72 %
Moyenne Européenne
70 %
Suède
69 %
Irlande
69 %
Pays-Bas
67 %
France
65 %
Royaume-Uni
65 %
Danemark
63 %
Autriche
57 %
Allemagne
53 %
(1) Année 2014.
(2) Soit 27 % de l’ensemble des ménages, donnée reprise dans le tableau 2 page 82.
(3) Données Eurostat ; rubrique « Tenant, rent at market price ».
(4) Revue d’Économie Financière n° 115, « Le secteur locatif privé en Europe : des trajectoires différentes, des tensions similaires ? », Christine M. E. Whitehead.
(5) Données 2014.
82 le marché immobilier résidentiel
dans l’union européenne
Tableau 2. Proportion propriétaires/locataires
(Source : Eurostat 2014 ; retraitement Crédit Foncier.)
Part ménages
propriétaires
Dont propriétaires
accédants
Locataires
secteur privé
Locataires
secteur aidé
Moyenne européenne
70 %
27 %
19 %
11 %
Europe de l’Est
86 %
10 %
5 %
9 %
Europe du Sud
75 %
24 %
14 %
11 %
Europe du Nord
66 %
40 %
19 %
14 %
Europe du Centre-Ouest
59 %
32 %
30 %
10 %
Les plus fortes proportions de propriétaires sont enregistrées en Europe de l’Est (86 % en moyenne). Le ratio y est
même supérieur ou égal à 90 % dans quatre pays : la Roumanie (96 % de propriétaires), la Slovaquie, la Lituanie et la
Croatie. Elles résultent de la vague de privatisations survenue lors du passage à l’économie de marché de ces pays au
début des années 1990. Les pouvoirs publics avaient alors
rétabli la propriété privée d’immeubles nationalisés sous le
pouvoir communiste, à des prix très intéressants. Du fait des
niveaux de prix dont ils ont bénéficié, ces ménages propriétaires sont également peu nombreux à rembourser un crédit
immobilier (11 % d’entre eux, contre une moyenne européenne égale à 39 %). Mais c’est également dans les pays
d’Europe de l’Est que le taux de satisfaction des habitants
est le plus faible, du fait notamment d’un plus grand nombre
de logements insalubres.
Suivent les pays d’Europe du Sud (75 % en moyenne) avec
en particulier l’Espagne (79 %) et l’Italie (73 %). En Europe
du Sud, le nombre élevé de propriétaires (trois ménages sur
quatre) tient davantage à des raisons culturelles. Dans ces
pays, être propriétaire est synonyme de réussite sociale et de
sécurité. L’accession à la propriété est considérée comme une
étape importante de la vie d’un ménage. En témoigne le main-
tien de cette proportion de propriétaires à un niveau élevé en
dépit de la crise financière qui a pourtant particulièrement
touché ces pays (75 % au Portugal et 74 % en Grèce).
Viennent ensuite les pays d’Europe du Nord (66 % en
moyenne). C’est dans ces pays que l’impact de la crise
semble avoir été le plus important sur la proportion de propriétaires. Alors que leur taux en Europe a eu tendance à
diminuer légèrement (6), c’est au Royaume-Uni et en Irlande
que cette diminution a été la plus marquée (– 12 %). Il
faut souligner que les pays d’Europe du Nord affichent une
forte mobilité de leurs habitants, ce qui ne les empêche pas
d’être propriétaires par ailleurs ; c’est tout particulièrement
le cas en Suède (mobilité de 40 % de la population sur une
période de cinq ans (7), contre 18 % en Europe), qui affiche
une proportion de propriétaires (69 %) quasiment égale à
la moyenne européenne.
Les pays d’Europe du Centre-Ouest (59 % en moyenne)
ferment le classement. Plus forte population européenne,
les Allemands se répartissent presque équitablement entre
locataires (47 % des ménages) et propriétaires (53 %). Plusieurs raisons l’expliquent. Historiques, tout d’abord :
après la guerre, les pouvoirs publics et des coopératives
(6) Baisse de 4 % entre 2007 et 2014.
(7) Eurostat 2012 : proportion de la population ayant changé de logement au cours des cinq dernières années.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
83
europe
se sont engagés dans la reconstruction et restent encore
aujourd’hui de grands propriétaires de logements. À cela
s’ajoutent des raisons fiscales et un environnement favorable aux bailleurs privés, qui « s’attendent à ce que les
logements soient loués sur le long terme […] les ménages
allemands déménageant relativement peu souvent » (8).
Enfin, la menace de l’inflation, préoccupation majeure des
Allemands, ayant disparu, il n’est plus besoin de devenir
propriétaire pour s’en protéger.
Même s’il est admis que les Français sont très attachés à la
pierre, qu’il s’agisse d’acquérir son logement ou d’investir,
la France (65 % de propriétaires selon Eurostat ; 58 % selon
l’Insee) se trouve dans les profondeurs du classement, à la
24e position, à égalité avec le Royaume-Uni.
Ce panorama montre l’absence de corrélation entre le
nombre de propriétaires et la richesse du pays. Première
nation européenne par son économie, l’Allemagne ferme ce
classement (et sans que les prix immobiliers y soient forcément les plus élevés en Europe). Hors de l’Union européenne, la Suisse n’affiche que 45 % de propriétaires.
Ces statistiques nationales sont également à atténuer du fait
des disparités observées dans chacun des pays européens.
Ainsi, en France, il existe un écart de 18 points entre l’Îlede-France, région dans laquelle on relève la plus faible proportion de propriétaires, et la Bretagne, où le taux y est le
plus élevé.
En conclusion de cette première partie, comme le souligne
la Revue d’Économie Financière (9), en Europe « la préférence
pour la propriété […] est généralisée. Même en Allemagne
[…], les propriétaires sont plus satisfaits de leurs conditions
de logement que les locataires […]. La volonté de posséder
son “chez soi” et de se constituer un patrimoine est décisive ».
7.2 / LA PROPORTION DE MAISONS
DÉCROÎT DU NORD AU SUD
DE L’EUROPE
L
es ménages européens vivent (10) en majorité dans des
maisons qui sont soit isolées (34 % de la population),
soit jumelées (26 %). Tandis que 41 % d’entre eux vivent en
appartement.
Du Nord au Sud, y compris au sein de certains pays, la proportion de maisons décroît.
◗ En Europe du Nord, quatre ménages sur cinq vivent dans
une maison : 93 % en Irlande, 85 % au Royaume-Uni, 68 %
au Danemark. Ce sont principalement des maisons dites
« mitoyennes » (60 % de l’ensemble des maisons).
◗ À l’opposé, en Europe du Sud, l’habitat en appartement
prédomine, tout particulièrement en Espagne pour les
deux tiers de la population, généralement dans de grands
ensembles (70 % d’entre eux se trouvent dans des ensembles
de dix appartements ou plus). En Grèce, la majorité de la
population (57 %) vit également en appartement.
En Allemagne, qui compte relativement peu de grands
ensembles d’habitation, 54 % de la population vivent dans
des maisons et 27 % dans des appartements aménagés dans
de petits immeubles. On dénombre une part importante
de maisons (respectivement 77 % et 69 %) aux Pays-Bas
ainsi qu’en France, où c’est dans la région Nord que la
proportion de maisons est parmi les plus élevées (73 % de
l’habitat) lorsque cette part n’est que de 41 % plus au Sud,
en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
En Europe de l’Est, on compte en moyenne 57 % de maisons
et 43 % d’appartements.
(8) Revue d’Économie Financière n° 115, Christine M. E. Whitehead ; op. cit.
(9) Revue d’Économie Financière n° 115, « L’évolution en Europe du profil des ménages propriétaires pendant la crise », Sabine Le Bayon et Pierre Madec.
(10) Données Eurostat 2014.
84 le marché immobilier résidentiel
dans l’union européenne
Tableau 3. Distribution de la population par catégorie de logements
(Source : Eurostat données 2014 ; retraitement Crédit Foncier.)
Maison
mitoyenne
Appartement
dans résidence
< 10 logements
Appartement
dans résidence
≥ 10 logements
Maison
Maison
individuelle
Europe du Centre-Ouest
63 %
34 %
29 %
36 %
18 %
18 %
1 %
Europe du Nord
80 %
31 %
49 %
19 %
8 %
11 %
1 %
Europe du Sud
43 %
21 %
23 %
56 %
23 %
33 %
0 %
Europe de l'Est
57 %
52 %
5 %
43 %
7 %
36 %
0%
Union européenne
60 %
34 %
26 %
40 %
15 %
24 %
1 %
S’agissant des surfaces habitées, une étude de l’IEIF (11)
souligne qu’« il est frappant de remarquer que les surfaces
moyennes des logements sont assez proches d’un pays à
un autre » : 87 m2 au Royaume-Uni, 90 en Espagne, 91 en
France, 92 en Allemagne, 103 en Belgique, 114 en Italie.
Enfin, les ménages européens se répartissent en trois
ensembles : dans de grandes agglomérations pour 42 %
d’entre eux, dans des villes moins peuplées et des banlieues
pour 31 % et dans des zones rurales pour 28 %.
Tableau 4. Distribution de la population par dégré
d’urbanisation
(Source : Eurostat données 2014 ; retraitement Crédit Foncier.)
Grandes
villes
Villes moins
Zones
peuplées et banlieues rurales
Europe du Centre-Ouest
39 %
34 %
27 %
Europe du Nord
51 %
30 %
19 %
Europe du Sud
46 %
32 %
22 %
Europe de l'Est
33 %
25 %
43 %
Union européenne
42 %
31 %
28 %
Appartement
Autres
7.3 / CERTAINS MARCHÉS SONT-ILS
PLUS DYNAMIQUES QUE D’AUTRES ?
Au cours des dix dernières années, l’analyse des permis
de construire souligne deux périodes distinctes s’agissant du marché résidentiel neuf.
◗ Au cours de la première période (jusqu’en 2012 ou 2013,
selon les pays), le marché immobilier résidentiel européen a
été lourdement affecté par la crise. De 2006, dernière année
avant crise, à 2013, point bas historique dans de nombreux
pays, le nombre de permis de construire (12) des logements
a été réduit à un tiers en Europe. Certains marchés importants ont davantage été affectés que d’autres ; en Europe du
Sud, ce chiffre a été divisé par dix. L’Espagne a été la plus
touchée (– 96 % entre 2006 et 2013) ; l’Italie a connu une
baisse de 80 %. Dans les pays d’Europe de l’Est, le nombre
de permis de construire a été divisé par deux. Seules l’Autriche (évolution de + 19 % des permis de construire de 2006
à 2013) et l’Allemagne (+ 6 %) font figure d’exception.
◗ Depuis deux ans, le nombre de permis de construire est
reparti à la hausse dans l’Union européenne (+ 10 % cumulés
en 2014 et 2015) mais tout en restant en deçà des niveaux
d’avant-crise. Certains marchés se montrent particulièrement dynamiques à l’image des Pays-Bas (+ 104 % en deux
(11) Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière, Le logement en Europe — septembre 2015.
(12) Eurostat.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
85
europe
Figure 1. Évolution du nombre de permis de construire
(logements) de 2006 à 2015 (base 100 en 2006)
(Source : Eurostat ; retraitement Crédit Foncier (13).)
115
120
100
90
80
69
62
70
60
49
40
48
49
20
9
15
20
20
13
20
12
20
11
20
10
20
09
20
08
20
07
20
06
20
Europe de l’Est
Europe du Sud
14
8
0
Europe du Nord
Europe du Centre-Ouest
ans), du Danemark (+ 92 %), de l’Irlande (+ 81 %) ou encore
de la Suède (+ 51 %).
La crise a eu des effets moins spectaculaires sur le marché résidentiel ancien, pour lequel il existe peu de données
consolidées à l’échelle européenne.
Comme les prix ont-ils évolué ?
De façon globale à l’échelle européenne, les prix immobiliers résidentiels (neuf + ancien) ont retrouvé le niveau qui
était le leur avant la crise. Depuis 2013, les prix immobiliers
repartent à la hausse ; l’évolution sur les deux dernières
années (2014 et 2015) est ainsi positive dans 23 pays européens sur un total de 28.
Mais si l’impact de la crise a été particulièrement visible
dans certains pays, l’analyse de l’évolution des prix immobiliers à l’échelle européenne est complexe pour différentes
raisons.
Une des raisons tient à l’extrême diversité des évolutions
d’un pays européen à un autre. Ces fortes disparités de prix
(13) En l’absence de données pour l’Espagne en 2015, une estimation a été réalisée.
sont soulignées par toutes les institutions, qu’il s’agisse
d’Eurostat, de l’OCDE, ou encore du FMI. Dans son rapport sur le mécanisme d’alerte 2016, la Commission européenne souligne ainsi que « l’évolution des prix des habitations témoigne de l’existence de différentes situations dans
l’UE en ce qui concerne le cycle du logement. […] Dans
certains États membres, les prix ont subi une forte correction durant la crise et atteint des niveaux bien inférieurs
à ceux qu’impliqueraient les fondamentaux. Tel est le cas
des prix des habitations en Irlande, qui ont augmenté fortement l’année dernière. De même, la Hongrie, l’Estonie, la
Lituanie et la Slovaquie connaissent d’importantes hausses
des prix réels des logements. […] À l’inverse, dans les États
membres où les prix des logements sont toujours considérés comme surévalués, comme la Suède ou le RoyaumeUni, ces prix ont augmenté alors qu’ils étaient déjà très
élevés ».
Une autre raison tient au fait que les indices nationaux de
prix immobiliers ne sont que des moyennes, masquant des
disparités entre les différents biens et leur localisation. Y
compris s’agissant d’une observation européenne, l’échelon
local semble le plus pertinent.
L’exemple de la France le démontre avec ses trois
ensembles. Le premier, l’Île-de-France, n’a d’équivalent
en Europe que le Grand Londres. Alors que les premières
agglomérations allemandes (la Ruhr avec 6 % de la population de l’Allemagne, Berlin 6 %, Hambourg 4 %…) et italiennes (Milan 7 %, Rome 7 %, Naples 6 %…) se répartissent
de façon relativement homogène le nombre d’habitants,
l’Île-de-France et le Grand Londres concentrent bien davantage la population nationale (près d’un cinquième dans les
deux cas), et surtout la plus active. Même en Espagne, le
poids de l’agglomération de Madrid (14 % de la population)
est contrebalancé par celui de l’agglomération de Barcelone
(10 %). Il résulte de cette forte concentration des niveaux de
prix très élevés, à Paris comme à Londres.
86 le marché immobilier résidentiel
dans l’union européenne
Le deuxième ensemble français englobe les métropoles
régionales qui, pour les plus importantes, affichent des
prix comparables à ceux des autres grandes agglomérations européennes. Toutes ces agglomérations européennes
bénéficient d’un mouvement de concentration économique
et démographique à l’échelle régionale.
Le troisième ensemble est constitué du reste du pays. Il se
caractérise par une hétérogénéité de la liquidité de marché
allant de moyenne à très faible, dont il résulte des prix très
différents.
Enfin, une étude récente (14) du FMI s’intéresse à l’évolution des prix immobiliers par rapport à celle des salaires au
cours des six dernières années (2010 à 2015). Dans les deux
tiers des pays européens, sur longue période, l’évolution des
prix immobiliers est inférieure à celle des salaires parfois de
façon assez significative (en Espagne, en Pologne, au PaysBas, en Italie, notamment).
Figure 2. Évoltion des prix immobiliers par rapport aux revenus de 2010 à 2015
(Source : FMI ; base 100 en 2010 ; les données de 2015 sont celles du troisième quadrimestre 2015 (14).)
122
120
118
113
113
112
104
99
98
97
96
96
95
93
92
93
92
87
86
83
80
78
gn
e
Es
pa
gn
e
on
gr
ie
H
as
Po
lo
Pa
ys
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én
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Ita
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Fr
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ce
Irl
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Fi
nl
an
de
Slo
va
qu
ie
e
ur
g
Es
to
bo
Lu
xe
m
ne
Su
èd
ag
lem
Al
Au
tri
ch
e
74
(14) Données disponibles sur le site du Fonds Monétaire International (www.imf.org) d’après éléments de l’OCDE.
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
europe 87
7.4 / UNE EUROPE DU CRÉDIT
ÉGALEMENT DISPARATE (15)
L
es débats qui entourent les réflexions du Comité
de Bâle sur de nouvelles évolutions réglementaires
du crédit immobilier apportent une illustration de l’extrême diversité des situations nationales. Avec des prêts
octroyés pour l’essentiel à taux fixe et des modalités
d’octroi qui privilégient une appréciation du montant des
charges de l’emprunteur en proportion de ses revenus,
la France occupe une place particulière qui a montré sa
robustesse pendant les années de crise. Ce que rappelle le
Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) (16) : « Avec
un niveau de sinistralité toujours contenu, la France est le
pays en Europe qui présente le taux d’impayés (0,1 % fin
2014) le plus faible sur ce type de prêts (plutôt de l’ordre
de 0,5 % en Allemagne, proche de 1,5 % au Royaume-Uni,
en Espagne ou en Italie) ».
Fin 2015, le marché du crédit immobilier résidentiel dans
les 28 pays de l’Union européenne représentait 6 200 Mdd
d’encours. Rappelons que les encours correspondent au
stock de crédits (capital et intérêts) restant à rembourser
par les ménages à une date donnée (17). Ce montant global
représente 88 % des encours de crédits des particuliers de
FIN 2015, LE MARCHÉ
DU CRÉDIT IMMOBILIER
RÉSIDENTIEL DANS
LES 28 PAYS DE L’UNION
EUROPÉENNE REPRÉSENTAIT
6 200  MD€ D’ENCOURS.
l’Union européenne, les 12 % restants étant constitués de
crédits à la consommation.
Ces 6 200  Mdd d’euros d’encours correspondent à 12 200 d
par habitant de l’Union européenne ou encore à 41 200 d par
ménage propriétaire.
Les disparités précédemment soulignées s’observent également dans le recours au crédit. Le montant d’encours par
ménage propriétaire s’inscrit ainsi entre 189 063 d au Danemark et 1 607 d en Roumanie. En matière de montant restant à rembourser, les cinq premiers pays européens sont
le Danemark, le Luxembourg, la Suède, le Royaume-Uni et
les Pays-Bas.
Tableau 5. Encours de crédits immobiliers souscrits par les ménages
(Sources : Eurostat, Crédit Foncier, Cabinet Astérès.)
% de la population
européenne
% des encours
crédits immobiliers
Encours par
ménage propriétaire
Encours/revenu disponible
brut des ménages
Encours/patrimoine non
financier des ménages
Europe du Nord
18 %
36 %
86 419 €
100 %
25 %
Europe du Centre-Ouest
36 %
43 %
52 242 €
64 %
17 %
Europe du Sud
26 %
18 %
27 590 €
53 %
13 %
Europe de l’Est
20 %
3 %
5 813 €
30 %
20 %
100 %
100 %
41 100 €
68 %
19 %
Total 28 pays UE
(15) D’après une étude du Crédit Foncier réalisée par le Cabinet Astérès, Les marchés européens du crédit immobilier résidentiel en 2015, mai 2016.
(16) HCSF : rapport annuel du Haut Conseil de Stabilité Financière, juin 2015.
(17) Au 31 décembre 2015 pour cette étude.
88 le marché immobilier résidentiel
dans l’union européenne
et des traditions culturelles avec un recours au crédit plus
important dans les pays d’Europe du Nord. Dans certains
pays, la fiscalité (19) en faveur de l’endettement peut avoir
également un effet positif.
Suit l’Europe du Centre-Ouest, qui représente 36 % de
la population européenne et 43 % des encours de crédits
immobiliers de tout le continent. L’encours moyen par
ménage propriétaire y est de 52 242 d, soit 27 % de plus que
la moyenne européenne. Le recours au crédit (en montant)
est plus important dans le Benelux qu’il ne l’est en France
ou en Allemagne.
C’est en Europe du Nord que les ménages sont, en
moyenne, les plus endettés au titre du crédit immobilier.
L’Europe du Nord, qui n’abrite que 18 % de la population
européenne, représente 36 % des encours de crédits immobiliers de tout le continent. L’encours moyen par ménage
propriétaire (86 419  e) y est plus de deux fois supérieur à la
moyenne européenne.
Différents facteurs expliquent ce recours beaucoup plus
important au crédit immobilier que dans le reste de l’Europe :
des économies dynamiques et un regain du marché immobilier dans certains pays ; une proportion plus élevée de
ménages propriétaires remboursant un crédit (cette proportion est deux fois plus élevée en Suède qu’elle ne l’est en
France) ; une proportion de crédits in fine significative (18)
Les ménages sont globalement moins endettés dans le
sud de l’Europe ; on y recense 18 % des encours de crédits
immobiliers pour 26 % de la population européenne. L’encours moyen de crédits immobiliers par ménage propriétaire
y est égal à 27 590 d, soit 33 % de moins que la moyenne
européenne. Différents facteurs expliquent ce recours inférieur à la moyenne européenne, tout particulièrement l’impact de la crise au cours des dernières années avec un effet
direct sur le marché immobilier dans certains pays (Espagne
et Grèce).
En Europe de l’Est, les ménages sont bien plus faiblement
endettés. L’Europe de l’Est représente seulement 3 % des
encours de crédits immobiliers et 20 % de la population
européenne. L’encours moyen de crédits immobiliers par
ménage propriétaire y est égal à 5 813 d, soit moins d’un septième de la moyenne européenne. Plusieurs raisons à cela ;
d’une part, le recours à l’endettement y est peu important
(moins de 10 % des ménages seulement ont un prêt ou une
hypothèque en cours) ; d’autre part, les prix de l’immobilier
sont faibles. Ainsi, en Europe de l’Est, le faible endettement
n’est pas lié à la faiblesse du revenu mais à une plus faible
valorisation du patrimoine.
(18) L’emprunteur ne payant mensuellement que les intérêts du prêt et remboursant le capital à la dernière échéance, le niveau d’encours de crédits reste à un niveau
élevé pendant toute la durée du contrat.
(19) Ce que souligne le rapport de la Commission européenne sur le mécanisme d’alerte 2016 à propos de la Suède : « Les prix de l’immobilier et l’endettement des
ménages sont poussés à la hausse par une fiscalité encourageant le financement par l’emprunt ».
L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92
89
europe
Depuis plusieurs années, le marché du crédit immobilier
dans l’Union européenne progresse dans son ensemble de
plus de 2 % (hors effets de change) : + 2,6 % en 2013, + 2,0 %
2014, puis + 2,2 % en 2015.
Mais cette évolution se fait avec des mouvements assez
disparates : la progression était ainsi en 2015 de + 5,9 % en
Europe de l’Est, + 4,3 % en Europe du Centre-Ouest, + 2,1 %
en Europe du Nord et de – 2,7 % en Europe du Sud.
La crise de 2008 a été vite oubliée au Royaume-Uni et en
Belgique, où les encours de crédits immobiliers avaient largement baissé avec la crise : en 2008, les encours avaient
baissé de 27 % au Royaume-Uni et de 24 % en Belgique. La
reprise est arrivée dès 2009 au Royaume-Uni et à partir de
2011 en Belgique. Aujourd’hui, les encours de crédits immobiliers dans les deux pays sont largement plus élevés qu’en
2007 : de 15 % en Belgique et de 37 % au Royaume-Uni.
Figure 3. Évolution des encours en 2015
(Source : Étude du Crédit Foncier, 2016.)
5,9 %
6
7.5 / CONCLUSION
4,3 %
A
3
2,2 %
2,1 %
Union
européenne
Europe
du Nord
– 2,7 %
0
–3
Europe
du Centre-Ouest
Europe
de l’Est
Europe
du Sud
L’encours baisse dans la totalité des pays ayant connu de
graves difficultés macroéconomiques avec la crise des dettes
souveraines (Irlande, Espagne, Portugal, Grèce) et quelques
pays d’Europe de l’Est (Hongrie, Bulgarie, Croatie, Lettonie). En Espagne, en Irlande et au Portugal, la croissance
des prix immobiliers en 2015, et donc la reprise du marché
n’ont pas suffi à relancer les encours de crédits.
Lorsque les encours baissent, c’est souvent à cause des difficultés macroéconomiques, et non à cause d’un endettement
trop élevé. Ainsi, les pays où l’encours rapporté au revenu
(RDB) est le plus élevé – Danemark, Luxembourg, Suède,
Pays-Bas – ne connaissent pas de baisse de l’encours ; à
l’inverse, des pays où l’encours rapporté au RDB est faible,
comme la Bulgarie, la Hongrie, la Croatie, la Lettonie, mais
aussi la Grèce, voient leur encours baisser.
u-delà de la très grande diversité des marchés immobiliers nationaux, seule l’analyse des données européennes à travers le prisme de « grandes régions » permet
d’identifier quelques caractéristiques communes. Celles,
par exemple, d’une Europe de l’Est, où tout le monde ou
presque est propriétaire sans être endetté, d’une Europe
du Sud où en dépit de la crise, on demeure propriétaire
parce que c’est un signe de statut social, d’une Europe
du Centre-Ouest sur le point de retrouver un niveau de
construction identique à celui d’avant-crise, ou encore
d’une Europe du Nord, traditionnellement la plus riche,
où la proportion de propriétaires est souvent inférieure à
la moyenne de l’Union européenne mais où les acquéreurs
ont un encours de crédit élevé.