L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
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L`OBSERVATEUR DE L`IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER
n° 92 L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER LA FOLIE DES TAUX NÉGATIFS, BILAN ÉCONOMIQUE L’IMMOBILIER DE PLACEMENT ET LES ASSUREURS L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER Multipliez les points de vue pour voir la situation sous le meilleur angle CONSEIL - EXPERTISE - COMMERCIALISATION Au contact de nos clients - investisseurs, propriétaires privés et institutionnels, promoteurs et utilisateurs -, nous avons appris à envisager les questions qui nous sont posées sous tous les angles. Et nous avons forgé cette conviction que nos métiers impliquent une approche sur-mesure et exigent la plus grande proximité. C’est pourquoi nos 280 collaborateurs ont l'ambition de conduire leurs missions de conseil, d'expertise et de commercialisation, avec le souci de confronter les points de vue pour réussir au plus près des objectifs de chacun. creditfoncierimmobilier.fr 01 57 44 58 00 Regulated by ÉDITORIAL I l est temps d’admettre que nous ne sommes encore qu’aux prémices de la révolution numérique, et que l’accès de tous à une information et à une communication planétaires n’en était que le début. Cette deuxième phase s’accompagne d’une transformation de nos habitudes : l’accélération des échanges rend la mobilité nécessaire, force les entreprises à devenir agiles, repense l’offre commerciale, bouscule les habitudes prises depuis toujours dans nos façons de travailler, nos loisirs et notre comportement de consommateurs. Cette première étape a causé bien des bouleversements : les médias traditionnels ont perdu leur monopole historique sur la diffusion de l’information, politique, économique ou technique. Le modèle économique de la presse papier s’est disloqué, en même temps que s’évanouissait l’influence du « quatrième pouvoir » dans le public. Puis ce sont les médias radio-télévisés et le cinéma qui ont vu leur audience et leur fréquentation s’effriter au fur et à mesure de la mise en ligne de contenus gratuits ou payants sur la grande Toile. La révolution de l’internet entame ainsi une nouvelle phase. L’ « ubérisation » déconstruit la relation millénaire producteur/intermédiaire/client, et renverse les fondamentaux du marketing. Quand le consommateur devient lui-même producteur ou fournisseur de services partagés, l’intermédiation est menacée par des start-up de l’économie numérique qui, au moyen d’applications mobiles et de technologies innovantes, réussissent parfois à prendre la place des anciens intermédiaires. La communication commerciale des entreprises a vite compris que la promotion devait se doubler d’un travail de fond sur l’opinion et la notoriété, via des réseaux sociaux sur lesquels elles ne peuvent exercer qu’un travail d’influence, sans pouvoir maîtriser les échanges des internautes. Même constat au plan de la vie politique et citoyenne : les nouveaux canaux de communication ont facilité l’émergence d’innombrables débats, de plus en plus distanciés des discours officiels. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est ce même flux d’information instantanée et affranchie des frontières qui a permis en quelques années le développement fulgurant des ventes à distance, autrefois limitées par les lourdeurs de la voie postale. L’e-commerce poursuit sa percée dans toutes les branches du retail, avec un impact certain sur l’occupation du parc de locaux commerciaux. Offrant l’instantanéité et une infinie liberté de choix, il a déjà habitué le consommateur à comparer, à réfléchir, à choisir la meilleure offre, et à préférer le commerce dématérialisé. L’évolution accélérée de nos modes de vie renverse nos repères : les pessimistes entrevoient un futur où nous n’aurions plus besoin de magasins pour acheter, plus de bureaux pour travailler, plus d’hôtels pour accueillir les touristes, plus de taxis pour les véhiculer, et, au final, plus de vrais professionnels dans une offre de services totalement dérégulée. Au-delà des fantasmes, dans l’industrie immobilière comme dans toutes les autres, la vérité est que ces évolutions sociétales sont une vraie chance pour tous ceux qui sauront les voir et les anticiper. Aux professionnels que nous sommes d’accompagner le changement, et d’inventer pour nos clients les produits et les services qu’ils ne connaissent pas aujourd’hui, mais qu’ils exigeront demain. Je vous souhaite une très bonne lecture de votre revue. Emmanuel Ducasse Directeur des Études, Crédit Foncier Immobilier 4 SOMMAIRE ÉCONOMIE L’OBSERVATEUR DE L’IMMOBILIER REVUE DU CRÉDIT FONCIER Crédit Foncier Immobilier 19, rue des Capucines – Paris 1er Adresse postale : 4, quai de Bercy 94224 Charenton Cedex Téléphone : 01 57 44 80 00 Télécopie : 01 57 44 86 85 Le point de vue d’Éric Buffandeau sur la folie des taux négatifs > P. 8 1 B ilan économique 2015 et perspectives 2016-2017 > P. 9 Directeur de la publication : Anne-Marguerite Gascard. Rédacteur en chef : Emmanuel Ducasse. Comité de rédaction : Nicole Chavrier, Bruno Deletré, Emmanuel Ducasse, Nicolas Pécourt, Eric Buffandeau, Denis Burckel, Christian de Kerangal, Michel Mouillart, Mirella Blanchard. Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE. Dans son article, il analyse et anticipe les grandes tendances de l’économie mondiale de 2015 à 2017. Abonnements : Sylvie Buisson : 01 57 44 86 61 Mail : [email protected] Changement d’adresse : prière de joindre la dernière étiquette-adresse en nous précisant votre nouvelle adresse. Prix abonnement au numéro : 30 € Prix abonnement 4 numéros : 100 € JURIDIQUE 2 L e bail à réhabilitation : une option solidaire et rentable > P. 26 Crédit Foncier de France – S. A. au capital de 1 331 400 718,80 € – 542 029 848 RCS Paris. Maquette et réalisation : Crédits photo : Photononstop. Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise d’Ouvrage d’Insertion, et Jade Couderc, Chargée des Partenariats, Solidarités Nouvelles pour le Logement. Elles nous font part des avantages de ce dispositif permettant aux propriétaires et aux investisseurs de se montrer solidaires face à la crise du mal-logement. Impression : Stipa. Dans le souci du respect de l’environnement, le présent document est réalisé par un imprimeur Imprim’Vert®, avec des encres bio à base d’huile végétale sur un papier certifié PEFC™ fabriqué à partir de fibres issues de forêts gérées durablement. N° de commission paritaire : 2026 AD – ISSN 0767– 6794. Dépôt légal : juin 2016. 3 L a vente immobilière confrontée à la réforme du droit des contrats et des obligations > P. 30 Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier, Maître Laurent Lemetti, Notaire à PARIS 7e, et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier. Ils examinent les conséquences de cette réforme sur les ventes immobilières. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 5 SOCIOÉCONOMIE Le logement des classes moyennes : le déclassement > P. 42 5 6 L’ubérisation de l’immobilier > P. 64 Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po, Dirigeant de la société de prospective Éclairs. Il propose une synthèse des trois principales approches qui caractérisent les liens entre classes moyennes et logement. Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie, Professeur à Financia Business School, Chercheur associé au Larefi, Université de Bordeaux. Il analyse ce nouveau phénomène économique et la manière dont il touche le secteur immobilier. IMMOBILIER RÉSIDENTIEL EUROPE L ’immobilier de placement dans la gestion des actifs des organismes d’assurances > P. 54 Par Jean-Baptiste Schoutteten et Arthur Chabrol, associés EY France. Ils étudient les raisons pour lesquelles la part de l’immobilier croît dans l’allocation d’actifs des assureurs. 7 Le marché immobilier résidentiel dans l’Union européenne > P. 80 Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication et RSE, Crédit Foncier. Il dresse un panorama des grands indicateurs de ce marché afin d’en identifier les caractéristiques communes. NDLR : Les opinions exprimées dans les articles de cette revue n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la rédaction ou du Crédit Foncier. n° 92 4 TECHNOLOGIES DIGITALES ET IMMOBILIER L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 n° 92 7 ÉCONOMIE POINT DE VUE La folie des taux négatifs BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 La Banque centrale européenne Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE. 8 POINT DE VUE ÉRIC BUFFANDEAU Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE. LA FOLIE DES TAUX NÉGATIFS L’instauration de taux nominaux négatifs en Europe continentale et au Japon, épisode sans précédent historique (hormis pour les taux réels négatifs), ne nous renverrait-elle pas au temps du Moyen-âge ou de l’utopie marxiste ? La barrière du taux zéro, propriété fondamentale de la monnaie, y est même transgressée. Payer pour prêter, même si cela ne concerne encore que les institutionnels, va au-delà de la condamnation aristotélicienne de stérilité de l’argent. Selon les canonistes, Marx ou Proudhon, le taux d’intérêt ne peut pas être le prix du temps, car le temps est gratuit : il appartient à Dieu ou à la société. Pourtant, tout calcul économique se projette dans le temps, donc dans l’incertitude. La mesure de cette incertitude est le taux d’intérêt, reflet de la préférence pour le présent. Compte tenu de l’existence de primes de risque, ce taux ne doit pas être nul ou a fortiori négatif, puisque cela revient à considérer le futur comme certain et le passé comme incertain, alors que le simple bon sens nous dit le contraire. L’actualisation n’est-elle pas, pour tous les systèmes économiques viables, le facteur majeur de valorisation du temps dans la dynamique économique ? LES TAUX D’INTÉRÊT NOMINAUX NÉGATIFS SONT UNE ANOMALIE FONDAMENTALE, ARTIFICIELLE ET DANGEREUSE. Ces taux négatifs s’inscrivent dans une autre déviance. Elle a trait à l’utilisation agressive de la théorie keynésienne, pour lutter contre une insuffisance de demande ou un risque déflationniste, parfois non avéré, quand la désinflation vient de l’effondrement des prix du pétrole. Cette théorie pousse à l’euthanasie des rentiers, voire à peser sur le taux de change, en amenant les taux nominaux à être extrêmement faibles par des politiques monétaires non conventionnelles ultra-accommodantes. Elle incite toujours les États à recourir à la relance budgétaire. Son emploi récurrent, qui crée des illusions de court terme en orientant artificiellement sur longue période les ressources rares, bute finalement sur un surendettement public, voire privé. Cela n’a jamais accru la croissance tendancielle, bien au contraire. De même, le spectre de la stagnation séculaire, agité par Robert Gordon et Larry Summers, relie le ralentissement progressif des gains de productivité et l’excès d’épargne à l’exigence d’obtenir des taux d’intérêt réels négatifs pour équilibrer l’économie et restaurer le plein emploi dans une situation de trappe à liquidité. Le laminage des créanciers par l’inflation étant impossible, les banques centrales pratiquent une forme de répression financière. Elle tend à punir l’épargne, singulièrement à long terme, comme si cet acte n’était pas la condition essentielle de l’investissement productif, donc de la croissance potentielle. L’objectif est de chercher à stimuler de manière discutable la consommation et l’investissement, en rendant l’épargne très peu attrayante et en provoquant la chute des taux des crédits. Il est surtout de limiter le service de la dette de l’État, pour laisser le temps de mener les réformes structurelles indispensables. Les normes prudentielles imposées aux institutions financières favorisent, d’ailleurs, les placements en titres publics nationaux. Cependant, cette stratégie monétaire conduit à noyer le risque sous la liquidité, à laisser passer les projets les moins rentables pour l’avenir et à construire des bulles d’actifs, notamment obligataires. Elle rend intenable le métier d’intermédiation financière et fragilise profondément le secteur des assurances. S’y ajoute un caractère non coopératif d’incitation à la guerre des changes. Les taux d’intérêt nominaux négatifs sont une anomalie fondamentale, artificielle et dangereuse. Ils font oublier que l’esprit humain, dont l’inventivité fait que la croissance ne se reproduit jamais à l’identique, est la source de toute richesse. L’activité économique ne repose pas uniquement sur des visions mécanistes, démographiques et technologiques mais sur d’innombrables décisions et actions humaines. Ces dernières proviennent de processus intellectuels, dont la perspicacité, l’originalité et la dynamique forment la seule véritable rareté. N’est-ce pas là le plus grand espoir de dépasser la notion de stagnation séculaire et l’aberration conjointe des taux négatifs dans les pays avancés ? Encore faut-il avoir une stratégie cohérente de long terme d’incitations productives saines, au-delà des contraintes électorales et des outils monétaires, afin d’encourager l’initiative privée, fondement de la valeur ajoutée. Ne nous trompons pas : ces politiques monétaires ultra-expansionnistes sont temporaires. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 1 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 Par Éric Buffandeau, Directeur adjoint, Direction des Études, Veille et Prospective, Pôle Stratégie – BPCE. Achevé de rédiger le 13 mai 2016. 1.1 / PRINCIPALES CONCLUSIONS D eux-mille seize réplique les secousses de l’année dernière. En 2015, la croissance mondiale n’a pas dépassé 3 %, contre 3,3 % en 2014. Le rééquilibrage économique en faveur des pays avancés, amorcé depuis 2013, s’est poursuivi au détriment des pays émergents, ces derniers subissant cependant un plus net ralentissement que l’année précédente. Les impulsions associées ont pourtant été exceptionnellement importantes, avec des politiques monétaires toujours ultra-expansionnistes de part et d’autre de l’Atlantique et des politiques budgétaires moins restrictives, notamment en zone euro, sans compter l’amélioration globale de la situation financière des entreprises. S’est ajoutée la poursuite depuis deux ans d’un contre-choc pétrolier d’excès d’offre, dont l’impact positif sur la conjoncture a plutôt été décevant. La contraction des prix de l’or noir s’est en effet intensifiée en 2015 : – 46,4 % en moyenne annuelle. En outre, la principale source d’inquiétude de l’année dernière a été la décélération économique en Chine, dont l’économie, en transition vers davantage de services et de demande intérieure, a continué de pâtir d’un changement structurel de régime de croissance. Le Brésil et la Russie ont traversé une profonde récession. A contrario, les pays anglo-saxons, États-Unis en tête avec un PIB en hausse de 2,4 % l’an, ont continué de tirer l’activité mondiale, tandis que la zone euro a retrouvé une progression modérée de 1,5 % l’an, mais désormais plus synchronisée entre les différents États membres. La croissance japonaise a été de seulement 0,5 % l’an. Comme en 2014, le second semestre a davantage été marqué par des chocs brutaux, entraînant une forte volatilité des indices boursiers et surtout du marché des changes. Le catalyseur a été l’interprétation défavorable donnée à la dévaluation inattendue mais modeste du yuan, le 11 août. Les craintes se sont ainsi déplacées du risque de rupture définitive entre la Grèce et ses créanciers vers celui d’une récession chinoise, sans compter l’interrogation simultanée sur le moment et la nature du processus américain de nor- 9 10 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 malisation monétaire. Cette dernière interrogation a finalement été levée le 16 décembre par la hausse prudente du taux des fonds fédéraux de 25 points de base. La BCE, quant à elle, s’est engagée dans une nouvelle étape exceptionnelle d’assouplissement monétaire quantitatif, amorcée en mars et étendue le 3 décembre. Elle a probablement participé à l’affaissement continu puis au maintien des taux longs allemands et français très en deçà des précédents planchers historiques, les rendements longs étant inférieurs à la croissance nominale (PIB y compris l’inflation). La France a progressé modérément de 1,2 % l’an, après 0,2 % en 2014. La consommation des ménages a été la principale contribution à l’activité, grâce à l’accélération du pouvoir d’achat, permise par une inflation quasi nulle. L’investissement productif, souvent principal moteur d’une reprise, a faiblement progressé, en dépit de la hausse mécanique du taux de marge, liée surtout au recul des prix du pétrole. La médiocre performance annuelle de l’économie française a conduit à une nouvelle hausse du chômage de catégorie A. Le déficit public s’est réduit à 3,5 % du PIB (4 % en 2014), en raison du recul de la charge de la dette (lié au niveau anormalement bas des taux d’intérêt) et de la diminution rapide des investissements des collectivités locales, sans toutefois parvenir à faire refluer le poids de l’endettement public (95,7 % du PIB). Depuis l’automne 2015, l’activité mondiale tend à ralentir. Ce phénomène inquiète, car le cycle modéré d’expansion dure déjà depuis sept ans. De plus, les risques baissiers se sont renforcés, surtout début 2016, comme le suggèrent les deux violentes chutes boursières depuis six mois, la forte volatilité des marchés de capitaux, le troisième trimestre consécutif de ralentissement de l’économie américaine et l’affaiblissement structurel de la conjoncture chinoise. Des interrogations apparaissent aussi sur l’efficacité économique des politiques monétaires ultra-expansionnistes de soutien artificiel des valeurs d’actifs et sur l’ampleur de la montée de l’endettement dans les pays émergents, Empire du Milieu en tête. Les conséquences de la crise financière la plus grave depuis 1929, avec notamment l’amoindrissement induit de la croissance potentielle, continuent de brider tout épanouissement véritable de la reprise, malgré des politiques monétaires toujours extrêmement accommodantes de part et d’autre de l’Atlantique, des taux longs nominaux excessivement faibles, voire négatifs, et des gains de pouvoir d’achat à court terme issus de l’effondrement des prix du pétrole. En 2016-2017, la croissance mondiale progresserait probablement autour de 3 % l’an, pratiquement au même rythme qu’en 2015, du fait du maintien de facteurs de risque, d’instabilité et de volatilité, sans parler des questions d’origine géopolitique : le ralentissement chinois et la rechute « corrélée » des cours de l’or noir, l’amorce complexe mais prudente de la normalisation monétaire américaine, avec l’éventualité induite d’un krach obligataire, la question lancinante de la stabilité de la construction européenne (« Brexit », crise des réfugiés, retour du feuilleton grec, etc.)… Dans ce scénario tendanciel de compromis, le rééquilibrage en faveur des pays avancés se poursuivrait au détriment des pays émergents. La croissance de la zone euro (environ 1,5 % l’an) se situerait en dessous de celle des États-Unis (environ 1,9 % l’an) et du Royaume-Uni, mais supérieure à celle de la France (1,3 % en 2016, puis 1 % l’an, comme la croissance potentielle), en raison des retards dans les réformes structurelles. En l’absence d’un véritable redémarrage de l’investissement productif, la France pâtit interminablement d’un endettement public toujours excessif (dont la dérive face à l’Allemagne est d’ailleurs politiquement imprudente) et d’une compétitivité hors prix insuffisante. C’est aussi la première fois dans l’histoire économique mondiale que des banques centrales sont à l’origine de phénomènes potentiellement dangereux de création de bulles spéculatives, singulièrement sur les obligations d’État, voire l’immobilier. La BCE, comme la Banque du Japon, est désormais engagée dans un processus de taux négatifs et d’achat massif de titres publics et récemment privés au moins jusqu’en mars 2017. Cette orientation perdurerait vraisemblablement jusqu’au premier semestre 2018, tant que l’ancrage positif des anticipations d’inflation ne serait L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 11 économie pas suffisamment assuré. L’objectif principal est en effet d’éviter l’émergence d’une déflation, venant d’une inflation longtemps trop basse. Son action vise à la fois à peser sur le change de l’euro, à relancer le crédit et à limiter le service de la dette publique. A contrario, tout en évitant une trop forte appréciation du dollar, la Fed tenterait de normaliser très prudemment ses conditions monétaires en 2016, davantage à partir de 2017, si le contexte économique et financier, tant interne que probablement international, se raffermissait. Par ailleurs, cette liquidité abondante déversée par les banques centrales maintient artificiellement les taux longs « valeurs refuge » en deçà des précédents planchers historiques et des primes de risque réel sous-jacent. Étant inférieurs à la croissance nominale, ils pourraient remonter très modestement, pour être plus en phase avec l’amélioration fragile de la croissance mondiale et la faiblesse de l’inflation. Ils subiraient également la différence de rythme conjoncturel et la divergence désormais nettement plus marquée de stratégie monétaire de part et d’autre de l’Atlantique. Cependant, ils seraient très probablement sujets à des phénomènes de surréaction et de contagion avec les États-Unis, en raison de leur niveau extrêmement bas. 1.2 / ENVIRONNEMENT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE 2015 : CONTRE-CHOC PÉTROLIER ET REPRISE MODESTE EN FRANCE UNE CROISSANCE MONDIALE DÉCEVANTE La croissance mondiale n’a pas dépassé 3 % en 2015, contre 3,3 % en 2014, en dépit d’un véritable contre-choc pétrolier d’excès d’offre (– 46,4 % pour le Brent, à 36,50 dollars le baril le 31 décembre) et de politiques monétaires toujours ultra-expansionnistes de part et d’autre de l’Atlantique. L’inquiétude est principalement venue des pays émergents, Chine en tête, dont le vif ralentissement ou la récession EN 2016-2017, LA CROISSANCE MONDIALE PROGRESSERAIT PROBABLEMENT AUTOUR DE 3 % L’AN. pour les producteurs de matières premières comme le Brésil et la Russie n’ont pas été suffisamment compensés par la poursuite du rééquilibrage économique en faveur des pays avancés. LE CYCLE IMPERTURBABLE DES PAYS ANGLO-SAXONS Les États-Unis et le Royaume-Uni ont imperturbablement continué de bénéficier d’un cycle modéré d’expansion, tiré sans excès par leur solide demande interne. Le Japon a mollement progressé, en l’absence du redémarrage de sa consommation. La zone euro, qui a vu s’éloigner le spectre de la déflation, s’est installée sur un rythme un peu plus synchronisé d’activité de seulement 1,5 % l’an, malgré la combinaison incroyablement favorable de soutiens exceptionnels – recul des prix du pétrole, de l’euro et des taux d’intérêt – et d’une politique monétaire et budgétaire en définitive agressive, d’inspiration keynésienne. Dans un environnement globalement désinflationniste, le commerce mondial s’est donc nettement affaibli, singulièrement sous l’effet du repli en volume des importations chinoises pour la première fois depuis 25 ans. RETOUR DE L’AVERSION AU RISQUE AU SECOND SEMESTRE Comme fréquemment pendant les mois d’été, des mouvements de panique financière ont émergé, tant sur les matières premières que sur les actions, avec trois mini-krachs boursiers, mais aussi sur les devises, spécialement celles des pays émergents. Le catalyseur a été l’interprétation défavorable donnée à la dévaluation inattendue mais modeste du yuan 12 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 chinois, le 11 août. Les craintes se sont ainsi déplacées du risque de rupture définitive entre la Grèce et ses créanciers « Grexit », après le succès aux élections de la gauche radicale (Syriza) mais avant l’accord surprenant du 13 juillet, vers celui, en août, d’une récession chinoise (1), sans compter l’interrogation simultanée sur le moment et la nature du processus américain de normalisation monétaire. DES TAUX D’INTÉRÊT TRÈS INFÉRIEURS AUX PRÉCÉDENTS PLANCHERS HISTORIQUES La BCE, dont l’action est implicitement passée par le canal du change et du crédit bancaire, s’est engagée à partir de mars, puis de nouveau le 3 décembre, dans une politique de taux négatif de la facilité de dépôt (– 0,3 %) et de gonflement considérable de la taille de son bilan (rachats mensuels de dettes publiques et privées de 60 Md€ jusqu’à fin mars 2017), afin de respecter son mandat d’un objectif d’inflation proche de 2 %. En conséquence, les taux longs allemands et français, tout en subissant une forte volatilité, ont continuellement atteint des niveaux excessivement bas, très inférieurs aux précédents planchers historiques de 1 % pour le 10 ans, jusqu’à s’approcher de zéro pour le Bund, voire s’enfoncer en territoire négatif pour des maturités inférieures à 5-7 ans. L’OAT 10 ans, quant à elle, s’est établie à 0,84 % en moyenne annuelle en 2015 (0,98 % au 31 décembre), contre 1,66 % en 2014. DÉPRÉCIATION DE 9,9 % DE L’EURO La monnaie unique s’est dépréciée de 9,9 % en moyenne annuelle en 2015 (1,09 dollar au 31 décembre), du fait de l’accentuation de la divergence de politique monétaire avec la Fed. Cette dernière a enfin, et pour la première fois depuis 2006, accru prudemment de 25 points de base le taux des fonds fédéraux le 16 décembre, en l’inscrivant dans une bande comprise entre 0,25 % et 0,5 %. Le CAC 40 a fina- lement progressé de 8,5 % à 4 637 points au 31 décembre, après un plus haut à 5 269 points le 27 avril. UNE REPRISE MODESTE EN FRANCE, DUE À LA CONSOMMATION En 2015, la croissance française s’est élevée à seulement 1,2 %, après 0,2 % en 2014. Cette progression a été insuffisante pour réduire le taux de chômage (2) (10,1 % pour la métropole, contre 9,9 % en 2014) et le déficit public (3,9 % du PIB). Elle a pourtant été portée par des circonstances extérieures exceptionnelles (pétrole, euro, taux d’intérêt). En particulier, la chute des cours de l’or noir a permis un net accroissement du pouvoir d’achat (1,8 % ), avec pour conséquence un redémarrage de la consommation des ménages (1,4 %, soit une contribution de 0,7 point à la progression de 1,2 % du PIB), principal soutien de l’activité, et, dans une moindre mesure, un besoin de reconstitution des stocks (contribution de 0,2 point de PIB). L’absence d’inflation n’a donc enclenché aucun comportement attentiste, en dépit de la remontée mécanique du taux d’épargne (15,4 %, contre 15,1 % en 2014). Les exportations ont pu profiter en partie de la redynamisation du commerce intra-zone et de la baisse de l’euro, ce qui a induit une contribution extérieure moins négative (– 0,2 point de PIB) qu’en 2014 (– 0,5 point). L’ATTENTE D’UN VÉRITABLE RAFFERMISSEMENT DE L’OFFRE Cependant, les signes d’un véritable raffermissement de l’offre, condition d’une reprise autoentretenue, ont encore fait défaut. Ainsi, l’investissement productif a progressé trop lentement (2,1 %, quasiment comme en 2014, soit une contribution de seulement 0,3 point à la croissance de 1,2 % du PIB), malgré la hausse du taux de marge des sociétés, (1) La fragilité du système financier chinois apparaît en effet inquiétante après plusieurs années d’une croissance effrénée, gagée sur un endettement vivement croissant, dont les conditions de solvabilité se sont dégradées. De plus, le retournement de l’investissement s’est amplifié. Ces inquiétudes se sont accentuées durant l’été, marqué par un effondrement des marchés boursiers chinois, après leur envolée. Les soubresauts de l’économie chinoise, un an après avoir accédé au statut de première puissance économique mondiale, ont ainsi été l’épicentre des mouvements sur les marchés financiers, qu’il s’agisse des marchés boursiers, de taux ou de matières premières. Ces craintes ne sont aucunement dissipées comme le montre le décrochage des bourses asiatiques au tout début 2016. (2) Le taux de chômage moyen de la zone euro, qui baisse depuis 2012, est désormais inférieur à celui de la France depuis octobre 2015. Il a baissé dans tous les pays sur un an, sauf en France et en Finlande, en dépit de la dispersion des situations : 6,1 % en Allemagne, 21 % en Espagne, 24,6 % en Grèce... L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 13 économie Tableau 1. Incidence cumulée des mesures fiscales nouvelles adoptées depuis la LFI 2011 (Source : Coe-Rexecode depuis les documents budgétaires annuels.) En Md€ Cumul des nouvelles mesures : 2011 16,3 2012 2013 2014 2015 2016 43 74,4 72,8 70 67,6 – dont prélèvements acquittés par les entreprises 9,5 17,3 32,7 20,1 13,9 – dont prélèvements acquittés par les ménages 6,8 25,7 41,7 52,6 56,1 venant de la montée en charge du CICE (3), des allègements de cotisations patronales (au détriment des ménages, dont la pression fiscale s’est sensiblement accrue, comme le montre le tableau ci-dessus) et surtout de l’amélioration des termes de l’échange, liée à l’or noir. L’investissement des ménages a moins reculé qu’en 2014. De même, l’emploi salarié marchand est demeuré relativement atone, le nombre de chômeurs de catégorie A continuant à augmenter (3,590 millions en décembre 2015, soit une hausse de 2,6 % sur un an). 1.3 / LA FIN D’UN CYCLE D’EXPANSION MODESTE ? UNE INCERTITUDE SUR LA POURSUITE DE LA CROISSANCE MONDIALE Depuis la crise financière de 2007-2008, au-delà de son avatar européen de 2011-2012, le cycle mondial de reprise dure déjà depuis près de sept ans. Depuis l’automne 2015, il tend à se tasser, en raison pour l’essentiel des pays émergents et plus précisément de l’Amérique latine et de la Russie. Au Japon, les conditions économiques se sont récemment 9,6 58 dégradées. Cela conduit naturellement d’autant plus à s’interroger sur sa capacité à se prolonger que les marchés financiers ont manifesté une forte volatilité, spécialement en début 2016. On vient ainsi de connaître deux violentes baisses boursières depuis six mois, anormalement corrélées à la chute des prix du pétrole (4), renforcés par des craintes exagérées sur l’émergence d’une rupture récessionniste dans l’Empire du Milieu. Ce phénomène a priori transitoire de corrélation positive entre prix du pétrole et marchés boursiers trouve aussi une explication dans la fragilisation des pays exportateurs de matières premières et singulièrement d’or noir, à l’exemple de la Russie et du Brésil, qui traversent toujours une récession sévère : les effets négatifs de la baisse des cours sur les pays producteurs l’emporteraient dans un second temps sur les effets positifs obtenus par les pays consommateurs, une fois que les gains de pouvoir d’achat, qui ont stimulé à court terme la croissance dans les pays importateurs nets de pétrole, tendent à s’estomper. TROISIÈME TRIMESTRE CONSÉCUTIF DE RALENTISSEMENT AUX ÉTATS-UNIS De plus, la croissance américaine, en s’établissant à 0,5 % l’an au premier trimestre 2016, connaît un troisième trimestre consécutif de ralentissement, alors que les signes de (3) Crédit d’impôt compétitivité emploi. (4) L’effondrement des prix du pétrole est en partie attribuable à l’incapacité de l’Opep de s’entendre sur un plafond de production. Il y a en effet moins d’incitation que jadis à coopérer et à limiter la production de pétrole dans la mesure où le marché est devenu plus concurrentiel avec de nouvelles offres en dehors du cartel, dont le pétrole et le gaz de schiste des États-Unis. Les membres de l’Opep savent qu’en limitant leur production, ils risquent davantage de perdre des parts de marché au profit de nouveaux offreurs que de faire monter les prix. L’enjeu est donc de maximiser la production pour essayer de conserver les parts de marché. L’Arabie saoudite est d’autant plus disposée à poursuivre sa stratégie à court terme de maximisation des revenus, en laissant les prix chuter pour éliminer à long terme des concurrents hors Opep, que son coût de production est l’un des plus bas du monde. C’est un « équilibre de Nash » en théorie des jeux, situation où aucun joueur dans un jeu n’a intérêt à changer de stratégie. 14 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 redressement demeurent ténus pour le deuxième trimestre. En particulier, la productivité apparente de la main-d’œuvre s’est encore affaissée, malgré la maîtrise des coûts salariaux. L’investissement productif continue de reculer, en lien avec la poursuite de la dégradation des marges des entreprises, en raison du repli non seulement de l’investissement en produits d’exploration minière et pétrolière mais également de celui des biens d’équipement. Ce mouvement se prolongerait au trimestre prochain, du fait du tassement des commandes de biens d’équipement. Les exportations restent pénalisées par l’appréciation passée du taux de change. La consommation des ménages, principal soutien de la croissance, a également faibli, malgré des créations nettes d’emplois salariés résilientes dans le secteur marchand non agricole (209 000 par mois en moyenne au premier trimestre) et un tassement du déflateur de la consommation (+ 0,3 % l’an). L’INQUIÉTUDE SUR LA CHINE NON ENCORE DISSIPÉE La crainte d’un atterrissage brutal de la Chine reste aussi au centre des inquiétudes. Ce pays a atteint un seuil critique de développement en termes de PIB par habitant, qu’il est difficile de franchir sans changer de modèle économique. La décélération économique est en effet structurellement due à la transition d’un modèle de croissance alimentée par l’investissement et les exportations vers une croissance plus soutenable basée sur la consommation et l’innovation. De plus, sa performance antérieure a été gagée sur un endettement privé croissant, qui n’a pas toujours servi à financer des investissements productifs et dont les conditions de solvabilité se sont dégradées. La dette agrégée des ménages, des entreprises et des administrations publiques est estimée en hausse à 240 % du PIB à la fin du premier trimestre 2016, selon les statistiques nationales. Cela a augmenté la vulnérabilité du système financier et constitue l’un des facteurs d’instabilité de la transition. À court terme, ce ralentissement s’explique par l’endettement accumulé depuis huit ans par les sociétés non-financières, les restructurations industrielles et le recul des profits des entreprises publiques, en surcapacités productives. Outre la tendance au retournement de l’investissement, les sorties de capitaux chinois se sont nettement accentuées depuis novembre dernier, même si elles ont ralenti en février et mars. Ce phénomène inquiète, car la diminution continue des réserves de change (3 200 Md$ en février) fait redouter une dévaluation plus brutale du yuan. D’AUTRES RISQUES, NOTAMMENT EUROPÉENS… D’autres inquiétudes ont trait à la fragilisation des pays exportateurs de matières premières et singulièrement de pétrole ou à l’amorce complexe de la normalisation monétaire américaine, avec l’éventualité induite d’un krach obligataire. S’y ajoute la question lancinante de la stabilité de la construction européenne, avec à court terme l’impact d’un « Brexit (5) » sur les marchés financiers, le retour du « Grexit », la crise des réfugiés ou encore avec l’émergence induite d’une nouvelle crise souveraine en zone euro, liée aux divergences économiques structurelles des pays membres et à l’incomplétude institutionnelle, sans parler en Europe de la résurgence du risque bancaire et du spectre déflationniste. En particulier, l’activisme monétaire de quasi-« fuite en avant » de la BCE masque les déséquilibres intra-européens de compétitivité et de dérive des dettes publiques, en les rendant soutenables tant que la politique monétaire ultra-expansionniste se prolonge. (5) Les calculs d’impact du « Brexit » sont plutôt largement négatifs. Une sortie de l’UE serait probablement très coûteuse au plan économique. L’estimation du gouvernement britannique varie entre – 3,8 % et – 7,5 % du PIB à l’horizon de 15 ans. Un vote en faveur du « Brexit » conduirait à l’amorce de trois négociations. La première serait celle du retrait de l’UE, qui peut prendre deux ans, voire plus, selon la voie légale du Traité européen (article 50). La deuxième négociation serait celle de nouvelles relations avec les anciens partenaires. Quatre modèles sont généralement envisagés : l’absence d’accord spécifique (régime OMC), un accord de libre échange (Canada), l’adhésion à l’espace économique européen (Norvège), un accord bilatéral sur mesure (Suisse). La troisième série de négociations conduirait à établir de nouveaux accords de libre-échange avec des pays-tiers, ce qui pourrait durer une décennie. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 15 économie BCE : RÉSULTAT DÉCEVANT EN MATIÈRE D’INFLATION ? Cette stratégie monétaire, qui vise à abaisser les charges d’intérêt (6), à favoriser une dépréciation du change (7) et à relancer le crédit (8), ne semble obtenir qu’un faible rendement marginal en termes de croissance ou d’inflation. Le résultat en matière d’inflation, principal mandat de la Banque centrale, apparaît décevant. L’inflation recule en effet de 0,2 % en glissement annuel en avril (9), après avoir stagné en mars. Cela tient notamment à la diffusion dans le temps des baisses des cours du pétrole dans les prix énergétiques payés par les consommateurs. L’inflation sous-jacente s’est immobilisée un peu en dessous de 1 %, en raison de la stabilisation de la hausse des coûts salariaux unitaires (1,4 % l’an au premier trimestre). De plus, les anticipations d’inflation à moyen terme n’ont encore que peu réagi aux annonces faites en mars de nouvelles mesures de politique monétaire. Elles se situent entre 1,4 et 1,5 %, bien en dessous du seuil de 2 % visé par la BCE. DES INTERROGATIONS SUR L’EFFICACITÉ DE LA POLITIQUE MONÉTAIRE DE LA BCE Cependant, cette stratégie monétaire menace de provoquer à terme des effets pervers non désirés sur l’économie, car elle crée progressivement mais directement les conditions d’une nouvelle bulle financière, actuellement sur les marchés obligataires, voire plus tard sur d’autres actifs comme l’immobilier. Elle est une source d’incertitude, d’instabilité et de volatilité accrues sur les marchés financiers, tout en ayant un caractère non coopératif d’incitation à la guerre des changes. De plus, les taux d’intérêt nominaux faibles, voire négatifs, accompagnés d’un aplatissement de la courbe des taux d’intérêt, rendent plus difficile le métier d’intermédiation financière. S’y ajoute le poids des contraintes réglementaires, qui pèse aussi sur la rentabilité des banques. Cela fragilise aussi nettement le secteur des assurances, en raison du déclin du rendement moyen des actifs des assureurs et des garanties planchers que les produits d’épargne-vie offrent aux assurés, sans parler du risque de rachat des contrats en cas de remontée trop brutale des taux d’intérêt. En outre, il est tentant (6) La charge d’intérêts nets des agents non financiers (ménages, sociétés non financières et administrations publiques) a été réduite de 1,5 point de PIB entre 2007 et 2015, malgré l’augmentation de 25 points de PIB du poids de leur dette surrvenue entre-temps. Cette restitution de pouvoir d’achat est très probablement proche de son terme. (7) La désynchronisation des politiques monétaires entre États-Unis et zone euro avait permis une dépréciation du change de l’euro contre le dollar. Ce mouvement s’est révélé favorable aux exportations européennes. Il est interrompu depuis quelques mois par la réappréciation de l’euro. (8) Jusqu’à présent, la progression des encours de crédit au secteur privé, autour de 1,1 % sur un an en mars, reste plutôt timide. (9) Cependant, ce recul doit être nuancé dans la mesure où les effets de base de l’année précédente jouent un rôle mécanique négatif. L’indice avait en effet connu une hausse sensible de 2,2 % entre janvier 2015 et juin 2015. Il faut donc qu’il reproduise cette hausse début 2016, ne serait-ce que pour que le taux d’inflation reste constant. Mesurée en glissement trimestriel au taux annuel, l’inflation présente une autre vision : elle est estimée à 0,3 % en avril, sa plus forte progression depuis juillet 2015. 16 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 pour les États de continuer à s’endetter, puisque même les moins vertueux ont un accès facile et peu coûteux aux marchés financiers. Enfin, cette stratégie ne peut suffire, ni à accroître la croissance potentielle, ni à réduire les effets de l’hétérogénéité structurelle entre États-membres, ces divergences économiques venant de la tendance naturelle des pays constituant une zone monétaire à se spécialiser vers leurs avantages comparatifs. Au risque d’une nouvelle crise majeure de la monnaie unique, cette stratégie de déversement de liquidités ne se justifie que si elle permet, au même moment, de poursuivre les réformes structurelles, de maîtriser indubitablement la dérive des dépenses publiques dans certains pays comme la France et de renforcer le fédéralisme européen. ENDETTEMENT ET AFFAIBLISSEMENT GÉNÉRAL DE LA PRODUCTIVITÉ Ce cycle de reprise mondiale a été modéré, puisqu’il n’est jamais parvenu à s’épanouir véritablement, en raison de l’ampleur des déséquilibres antérieurs à corriger, notamment en matière d’endettement public et privé, et en raison de l’amoindrissement de la croissance potentielle, surtout dans la plupart des pays avancés. En premier lieu, le taux d’endettement (10) des agents non financiers est toujours particulièrement élevé. Il s’est stabilisé autour de 250 % du PIB dans les pays développés. Ce seuil, singulièrement aux États-Unis, a juste été atteint avant la crise financière, comme s’il était une des causes majeures de son déclenchement. L’effort de stabilisation de la dette accumulée s’est accompagné d’un double transfert de dettes : d’une part, au sein des pays développés, du secteur privé vers le secteur public, d’autre part, encore en cours, des pays développés vers les pays émergents. En Chine, il est passé de 150 %, lors de la crise financière, vers 250 % actuellement. Certains pays comme le Japon, dont le taux est proche de 400 % du PIB, l’ont pourtant largement dépassé. UNE CIBLE DE CROISSANCE POTENTIELLE NETTEMENT PLUS FAIBLE En second lieu, les référentiels de croissance tendancielle ont changé. Ils semblent devoir être révisés en baisse. Dans les économies avancées, les gains de productivité ont faibli. En tenant compte de l’augmentation de la quantité de travail et du rythme d’augmentation du capital productif, le taux de croissance du PIB potentiel des prochaines années est de 1,9 % pour les États-Unis, de 0,9 % pour l’Allemagne et la France, de 5 % pour la Chine, selon des calculs raisonnables de Coe-Rexecode. Ces taux sont obtenus en prolongeant les tendances récentes de la productivité globale des facteurs de production (capital et travail), sans les accentuer. Ils constituent les cibles de croissance à moyen terme, autour desquelles la conjoncture évolue en fonction des politiques économiques suivies et des déséquilibres susceptibles de créer la dynamique de court-moyen terme. 1.4 / RÉSILIENCE EUROPÉENNE ET FRANÇAISE EN 2016-2017 ? C e cycle modéré et fragile continue pourtant de bénéficier des facteurs exceptionnels de soutien déjà cités, même si leurs impacts favorables sont plus faibles (11) qu’anticipé. De plus, les craintes combinées du début d’année semblent dépassées, puisqu’on observe désormais une stabilisation de la demande chinoise, un rebond mécanique des prix du pétrole et un report de plusieurs mois, voire trimestres, des augmentations de taux directeurs de la Fed. Le dollar a ainsi corrigé une partie de sa hausse, ce qui a aussi calmé les inquiétudes sur l’évolution globale de la grille des changes. En 2016-2017, la croissance mondiale (10) Les statistiques de la dette rapportée au PIB de la Banque des règlements internationaux permettent d’appréhender l’ampleur des transferts qui se sont opérés au cours des 20 dernières années. (11) Les excès systématiques d’optimisme des prévisionnistes le démontrent, à l’exemple du FMI, qui a surestimé en moyenne chaque année à l’automne de 0,5 point l’activité mondiale observée l’année suivante. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 17 économie LE CONTRE-CHOC PÉTROLIER TENDRAIT PLUTÔT À ACCÉLÉRER LE RÉÉQUILIBRAGE DU CYCLE ÉCONOMIQUE EN FAVEUR DES PAYS AVANCÉS. progresserait d’environ 3 %, pratiquement au même rythme qu’en 2015, en dépit de l’apparition de nouveaux risques. CONTRE-CHOC PÉTROLIER EN DIFFUSION PLUS LENTE L’effondrement des prix du pétrole en deux étapes – 50 % à partir de l’été 2014, puis à nouveau 50 % à l’été 2015 – a donné une impulsion positive aux pays importateurs nets de pétrole à travers des gains à court terme de pouvoir d’achat. Ce contre-choc tendrait plutôt à accélérer le rééquilibrage du cycle économique en faveur des pays avancés. Une baisse annuelle moyenne de 25 % des prix du Brent apporte généralement environ 0,5 point de PIB mondial, tout en freinant l’inflation, ce qui permet aussi aux banques centrales de maintenir une politique monétaire stimulante. L’impact favorable prend certes plus de temps à se manifester qu’une hausse des coûts de l’énergie. Après l’effet négatif venant de la contraction économique des pays producteurs de pétrole, des prix durablement moins élevés qu’auparavant sont souvent plus favorables à long terme par l’élimination des rentes qu’ils provoquent. Les cours de l’or noir, désormais proches de 45 $ le baril pour le Brent – après un point bas à 26,40 $ le 20 janvier 2016 –, se stabiliseraient autour de ce niveau, voire se redresseraient lentement en 2016-2017, en raison de la poursuite de la hausse de la demande et de la modération relative de l’offre. Cette dernière resterait cependant encore en abondance, du fait de la capacité significative d’offre à moyen terme en Iran, de la guerre de parts de marché toujours menée par l’Arabie saoudite et du rebond potentiel de la production de pétrole non conventionnel en Amérique du Nord, dès lors que les prix atteignent le seuil de rentabilité du pétrole de schiste. RÉSILIENCE AUX ÉTATS-UNIS Les États-Unis demeurent un moteur de l’activité mondiale, car ils conservent des réserves de croissance, en l’absence de tensions inflationnistes et de surinvestissement productif antérieur à corriger. Le rythme conjoncturel doit cependant fléchir vers 2 % l’an, en raison d’un investissement privé moins soutenu, d’une compétitivité érodée par l’appréciation passée du dollar et d’une dépense des ménages désormais en progression plus retenue. Les marges des entreprises sont à leurs plus hauts historiques, même si elles vont nécessairement baisser. La consommation peut encore profiter de l’endettement modéré des ménages, de l’amélioration de l’emploi et du raffermissement de la croissance des salaires. S’y ajoute l’orientation favorable de la dépense publique et du secteur de la construction et de l’immobilier. Même si les gains de productivité sont désormais plus faibles que les coûts salariaux réels et même si le secteur manufacturier est pénalisé par la force du dollar et les difficultés du secteur de l’énergie, le secteur des services demeure encore robuste. Par ailleurs, il est probable que le resserrement monétaire de la Fed, amorcé en décembre dernier, soit beaucoup plus prudent qu’escompté, pour éviter un retournement conjoncturel en année électorale et, plus gobalement, une appréciation excessive du dollar. ABSENCE DE DÉRAPAGE À COURT TERME DE LA CHINE Au premier trimestre 2016, le PIB chinois a augmenté de 6,7 % l’an, après 6,9 % au dernier trimestre 2015. En outre, l’activité semble se stabiliser en mars, comme le suggèrent l’amélioration des enquêtes PMI, la progression de la production industrielle et l’accélération de la demande domestique, sans parler de la confirmation de la reprise du marché immobilier. Le ralentissement économique resterait graduel, car l’activité est soutenue par des mesures d’assouplissement monétaire et budgétaire, de stimulation immobilière et de 18 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 facilitation de l’accès au crédit, ainsi que par l’impact favorable de la baisse des prix du pétrole. Par ailleurs, le poids du marché d’actions dans le financement de l’économie est très faible : à peine 5 % en 2015, seulement 7 % du patrimoine des ménages, d’où un risque limité de contagion du recul du marché boursier à l’économie réelle, notamment par un effet négatif de richesse. De plus, la Chine n’a pas intérêt à s’engager dans une guerre des changes, au moins pour ne pas nuire à sa zone privilégiée d’intégration régionale, d’influence monétaire et d’échanges commerciaux, l’Asean (12). En outre, une dépréciation excessive du yuan risquerait de soutenir des entreprises peu rentables aux dépens d’une montée en gamme des exportations et du processus de rééquilibrage de l’économie vers les services. EMBELLIE EN ZONE EURO Depuis mi-2014, la zone euro connaît une éclaircie économique modérée, soutenue par l’amélioration de la demande interne, la reprise des prêts et la baisse du chômage. Au premier trimestre 2016, le PIB en volume a vu son rythme s’accélérer à 2,4 % l’an. Cette performance, qui confirme sa résistance aux chocs externes, n’était pas annoncée par les enquêtes : celles-ci suggéreraient le maintien de la croissance sur un rythme plus retenu, signal qu’elles continuent d’envoyer pour le début du second trimestre. Pourtant, l’activité progresse depuis 12 trimestres consécutifs, du jamais vu depuis la période 2003-2008. En conséquence, le taux de chômage continue de décroître, même s’il n’a pas encore retrouvé sa moyenne de long terme d’avant la crise à 9,1 % : il est ressorti à 10,2 % en mars, contre 12 % à son plus haut en 2013. En 2016-2017, la zone euro bénéficierait encore d’une monnaie plutôt dépréciée et du niveau encore incroyablement faible des taux d’intérêt, liés à l’intensification par la BCE de sa politique quantitative ultra-accommodante d’achat d’actifs et de taux négatif de la facilité de dépôt. De plus, la BCE a récemment su recentrer ses priorités de politique monétaire vers le soutien à l’activité des banques. Outre la tendance au relâchement budgétaire s’y ajouterait la restitution de pouvoir d’achat issue de l’allègement de la facture pétrolière, en dépit d’un redressement très modéré des cours de l’or noir à partir du second semestre vers 45 $ par baril (Brent). Dans ce contexte, les risques politiques, qu’il s’agisse du référendum sur le « Brexit » ou de la crise migratoire, ne devraient pas enrayer le bon déroulement du cycle européen. CROISSANCE EUROPÉENNE À 1,5 % L’AN Les effets conjugués du change et du pétrole contribueraient probablement encore à la moitié de la croissance européenne, au moins en 2016. La progression certes timide du crédit privé et de l’inflation éloignerait davantage le spectre déflationniste, la hausse des prix (0,3 % en 2016 et 1,2 % en 2017) demeurant néanmoins très endeçà de la cible de 2 %. L’Allemagne et l’Espagne seraient les principales locomotives, ainsi que la redynamisation du commerce intra-européen. Une reprise durable de l’investissement productif resterait toutefois la condition indispensable au redémarrage d’un cycle de croissance autoentretenue en Europe, pour relayer à court terme le sursaut probablement temporaire de la consommation des ménages, malgré le reflux du chômage. En 2016-2017, la croissance de la zone euro (1,5 % l’an en moyenne) se situerait en dessous de celle des États-Unis (environ 1,9 % l’an) et du Royaume-Uni (environ 1,8 % l’an), mais supérieure à celle de la France (1,3 % l’an en 2016, puis 1 % en 2017), en raison des retards (13) dans les réformes structurelles. (12) L’Asean (Association of South East Asian Nations) comprend les pays suivants : Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Brunei, Philippines, Cambodge, Laos, Birmanie et Vietnam. (13) Les faiblesses spécifiques de la France sont régulièrement énumérées par la Commission européenne : poids et inefficacité des dépenses publiques, en particulier à l’échelon local ; pression fiscale excessive et régime fiscal complexe ; faible intensité de la recherche et développement, gamme des produits inadaptée et profitabilité insuffisante du secteur exportateur ; surreprésentation des petites entités dans le tissu des entreprises ; coût du travail trop élevé avec le niveau du salaire minimum, dualité du marché du travail, forte centralisation des négociations collectives et incertitude autour des procédures de licenciement ; inégalité du système éducatif ; rigidités du marché de la construction résidentielle ; forte barrière à l’entrée sur les marchés de service ; manque d’incitation à la capitalisation des firmes, au profit de l’endettement… L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 19 économie des marges des entreprises et un accès au crédit facilité par les mesures de politique monétaire. La consommation, pourtant en moindre progression en 2017, serait encore un des moteurs essentiels. La hausse du pouvoir d’achat serait freinée par celle de l’inflation, qui remonterait d’abord faiblement en 2016 à 0,2 %, puis plus nettement dès 2017 à 1,5 % en moyenne annuelle. Le déficit public ne reculerait que modérément, induisant ainsi une poursuite de la dérive du poids de la dette de l’État vers environ 99 % du PIB en 2017. 1.5 / DES TAUX D’INTÉRÊT HISTORIQUEMENT ATYPIQUES ? CROISSANCE FRANÇAISE À ENVIRON 1,2 % L’AN La France profiterait encore mécaniquement de ces circonstances extérieures exceptionnelles, tout en maintenant un retard relatif vis-à-vis de l’Europe, singulièrement en termes d’ajustements budgétaires. La croissance a certes accéléré au premier trimestre 2016 à 2,2 % l’an, mais l’activité a été soutenue par une conjonction d’effets temporaires (rebond des dépenses énergétiques, après l’effet négatif des températures douces en fin 2015 ; contrecoup de l’impact post-attentats, favorable à la consommation des ménages ; accélération de l’investissement des entreprises non financières en biens d’équipement, venant de l’interrogation sur le prolongement de la mesure de suramortissement), sans lesquels la croissance n’aurait été que de 1,6 % l’an (14). Cependant, l’activité ne parviendrait toujours pas à se renforcer davantage, en raison de la faiblesse sous-jacente des facteurs d’offre, qu’il s’agisse de l’investissement ou de l’emploi. Le taux de chômage se stabiliserait au niveau élevé de 9,9 % pour la métropole, du fait d’une croissance limitée. L’investissement productif ne reprendrait que timidement, en dépit de l’amélioration des perspectives de demande et des conditions favorables de financement, avec la hausse A ux États-Unis comme dans la zone euro ou d’ailleurs aussi au Japon, les politiques monétaires, qui sont sans précédent historique, demeurent ultra-accommodantes, dans la mesure où la désinflation vient essentiellement de l’effondrement des prix du pétrole et où l’activité économique progresse dans chacune de ces zones, même si le rythme observé peut être jugé trop modéré. Cependant, ces politiques vont vraisemblablement devenir plus antagonistes avec celle des États-Unis, en raison des différences de rythme d’inflation et de position dans le cycle conjoncturel. Cela nécessite a priori que la Fed remonte la fourchette des taux fédéraux, pendant que la BCE et la Banque du Japon restent au minimum sur la défensive en 2016-2017. RENFORCEMENT DU GRADUALISME MONÉTAIRE DE LA FED En novembre 2014, la Fed a déjà mis fin à six années d’assouplissement quantitatif. Elle est pourtant en retard sur une reprise économique qui dure depuis sept ans. Elle cherche donc à normaliser des conditions monétaires qui ne sont plus justifiées, en raison de la solidité de la demande interne (14) Ce rythme de croissance de 1,6 % l’an serait davantage cohérent avec les résultats des enquêtes de conjoncture réalisées sur la période janvier-mars. S’agissant des anticipations pour la conjoncture française du deuxième trimestre, le climat des affaires global apparaît plutôt stable depuis trois mois et à son niveau moyen de long terme. Néanmoins, les composantes relatives au passé ont eu tendance à s’améliorer, tandis que celles ayant trait aux perspectives ont connu une dégradation. 20 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 américaine, du quasi plein emploi et surtout d’une inflation sous-jacente – hors pétrole –, qui tend désormais à dépasser 2 % l’an. Plusieurs possibilités s’offrent à elle. Au départ, elle devait augmenter son principal taux directeur de 25 points de base par trimestre pour le porter au maximum à 1,5 % fin 2016. Cependant, la montée des incertitudes, singulièrement sur les pays émergents, la tendance au ralentissement économique aux États-Unis, voire le contexte électoral, ont renforcé l’hypothèse d’un statu quo monétaire. Pour autant, la Fed a annoncé le 16 mars dernier son intention de relever graduellement ses taux directeurs. On assistera donc probablement à deux relèvements prudents de 25 points de base en juin ou plutôt en septembre, puis en décembre, après l’élection présidentielle, du fait du danger à repousser à l’année prochaine le processus de normalisation monétaire. En 2017, face à la poursuite du recul du chômage, elle porterait progressivement son principal taux directeur à 1,5 % en fin d’année. NOUVEL ASSOUPLISSEMENT MONÉTAIRE DE LA BCE A contrario, la BCE est davantage engagée dans une politique quantitative ultra-accommodante et surtout de taux négatifs, dont personne ne connaît avec certitude tous les effets, même si ces taux négatifs exercent implicitement une pression à la baisse sur l’euro (15), en décourageant les opérateurs de marchés financiers d’investir dans cette devise. Six nouvelles décisions ont d’ailleurs été annoncées le 10 mars dernier par la BCE, afin de lutter contre le risque d’émergence d’un processus déflationniste, en cherchant à préserver un ancrage positif des anticipations d’inflation vers 2 % à moyen terme. Le taux de refinancement a été porté à 0 %, le taux de prêt marginal à 0,25 % et le taux de facilité de dépôt à – 0,40 % (baisse de 10 points). L’enveloppe mensuelle de rachats d’actifs a été augmentée de 20 Md€ à 80 Md€ et la liste des actifs éligibles aux rachats par la BCE a été étendue aux obligations d’entreprises bien notées. Enfin, la BCE va lancer, dès juin et jusqu’en mars 2017, une troisième série de quatre opérations ciblées de refinancement de plus long terme à destination des banques, chacune de maturité de quatre ans, les TLTRO. Cette mesure exceptionnelle vise à soutenir les institutions financières et à faciliter la distribution de crédit dans la zone euro, tout en prévenant les risques systémiques. Le coût de ces opérations sera dégressif. Il démarre avec le taux de refinancement, soit zéro actuellement. Il pourra même être négatif, à condition que ces mêmes banques financent davantage l’économie réelle. DES EFFETS INDIRECTS SUR L’ENSEMBLE DE LA COURBE DES TAUX D’INTÉRÊT Les banques commerciales, en fonction des montants des crédits consentis, pourront ainsi emprunter auprès de la BCE à un coût allant jusqu’à – 0,4 %, ce qui revient dans ce cas à les subventionner pour les inciter à prêter, prêts immobiliers exclus. L’action combinée des rachats d’actifs et du taux de dépôt négatif agit pourtant de façon beaucoup plus indirecte qu’on ne le pense a priori. Elle ne conduit pas à un transfert des réserves excédentaires vers des prêts aux entreprises ou aux ménages. En fait, cela permet de faire baisser davantage les taux d’intérêt, en rendant le prêt à l’économie réelle plus rentable que le prêt des banques entre elles ou que la conservation de réserves excédentaires à la BCE, qui sont dorénavant taxées. N’oublions pas que ces réserves sont la simple contrepartie de la hausse du bilan de la BCE. Compte tenu de l’ampleur des mesures récentes, la BCE pourrait désormais se contenter d’en attendre les effets en 2016, comme elle semble l’avoir implicitement annoncé. REMONTÉE TRÈS GRADUELLE DES TAUX LONGS ? Les taux longs américains, allemands et français ont vu se distendre leur relation traditionnelle avec l’économie réelle, du fait de l’abondance de liquidités déversées par les banques centrales et de la pénurie (16) de valeurs refuges. En effet, ils sont (15) Cependant, le taux de change n’est pas un objectif de banque centrale en régime de change flexible. Seul l’impact sur l’inflation, le mandat principal de la BCE, intéresse la banque centrale, dans la mesure où un euro plus faible peut induire de l’inflation importée, avec pour but de lutter contre le risque déflationniste. La BCE a donc déclaré qu’elle ne baisserait pas davantage les taux d’intérêt, afin d’éviter d’inciter à la guerre des changes. (16) Les obligations publiques de ces pays sont d’ailleurs recherchées de manière accrue par les banques commerciales pour des raisons réglementaires. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 21 économie Figure 1. Structure des taux d’interêt français 2016-2017— scénario tendanciel (Sources : données Feri, prévisions BPCE.) Niveau des taux en % Projection 2016-2017 5,6 Pente en % 2,6 5,1 4,6 2,1 4,1 3,6 1,6 3,1 2,6 1,1 2,1 1,6 0,6 1,1 PENTE : taux swap 10 ans – taux 3 mois Échelle de droite 0,6 0,1 0,1 – 0,4 inférieurs aux niveaux observés au pire moment de stress économique et financier, quand l’activité reculait de part et d’autre de l’Atlantique à la fois en volume et en valeur entre 2008 et 2009. Dans la théorie économique, le taux d’intérêt nominal à long terme doit évoluer comme la croissance économique en valeur. Il doit refléter deux anticipations : celle du rythme de création de la valeur ajoutée en volume et celle du taux futur d’inflation. S’y ajoute une prime de risque, qui rémunère notamment le renoncement à la liquidité. Cette prime doit être d’autant plus élevée que la maturité du titre est longue. Les taux longs devraient donc remonter lentement, en lien avec la hausse des taux américains, sauf si l’on anticipe que les économies avancées vont traverser une longue période de stagnation économique, pouvant déboucher sur une déflation des prix. /17 02 /16 03 /15 04 /15 01 /14 02 /13 /12 OAT 10 ans 03 04 /12 /11 01 02 /10 9 04 /0 /0 01 Taux swap 10 ans 03 9 8 /0 6 7 02 /0 03 /0 6 Taux 3 mois 04 /0 01 3 3 2 4 /0 03 /0 04 /0 01 /0 1 Taux directeur BCE 02 /0 03 0 /0 04 01 /0 0 – 0,4 Pente swap 10 ans – 3 mois Le spectre déflationniste s’éloignant, ce redressement très graduel serait plus important aux États-Unis et au RoyaumeUni qu’au Japon et dans la zone euro, en lien avec la différence de rythme conjoncturel et la divergence désormais nettement plus marquée de stratégie monétaire de part et d’autre de l’Atlantique. En Europe, le maintien de la facilité de dépôt à – 0,4 % et l’intensification des rachats mensuels d’actifs par la BCE, peut-être au-delà de mars 2017, avec une extension éventuelle à d’autres collatéraux comme les obligations du secteur privé ou les actions, limiteraient aussi d’autant plus les velléités de hausse des taux longs que l’inflation ne progresserait que très faiblement et que la croissance ne s’accélérerait pas. Pèserait également l’impact, d’une part, de la demande réglementaire accrue des banques pour les 22 BILAN ÉCONOMIQUE 2015 ET PERSPECTIVES 2016-2017 emprunts d’État, d’autre part, de l’excédent d’épargne européen, lié à l’excédent extérieur structurel allemand, sans parler de la réduction du déficit public outre-Rhin. de poursuite même graduelle du durcissement monétaire de la Fed (17) à partir du second semestre. A minima, on risque d’assister à une forte volatilité des taux longs. Celle-ci sera constamment nourrie par les difficultés de sortie désynchronisée des politiques monétaires impressionnantes de déversement de liquidités de part et d’autre de l’Atlantique. L’OAT 10 ans pourrait atteindre une moyenne annuelle d’environ 0,6 % en 2016 et autour de 1 % en 2017, contre 0,84 % en 2015 et moins de 0,5 % actuellement. VOLATILITÉ ET RISQUE DE SURRÉACTION DES TAUX LONGS Cependant, à l’exemple du passé récent, la volatilité resterait importante, du fait du risque de surréaction avec des taux d’intérêt extrêmement bas. En effet, quand les taux d’intérêt sont proches de zéro, le moindre choc peut induire des phénomènes de correction, surtout pour les obligations d’État dites « refuges ». De plus, les injections massives de liquidités ont paradoxalement provoqué une pénurie de titres de bonne qualité. Cet assèchement spécifique de la liquidité des marchés de capitaux est aggravé par le durcissement de la réglementation bancaire. En conséquence, l’éventualité d’un krach obligataire s’est mécaniquement accrue, en cas d’éloignement plus durable du spectre déflationniste et/ou L’euro, à environ 1,10-1,15 $, demeurerait largement sous sa parité de pouvoir d’achat (estimée à 1,30 $). La monnaie unique continuerait ainsi de profiter des divergences majeures de politique monétaire entre les grandes banques centrales des économies avancées, sans pour autant se déprécier davantage, par exemple vers une parité avec le dollar, du fait notamment de l’accroissement de l’excédent extérieur européen. 1.6 / PRINCIPAUX INDICATEURS MACROÉCONOMIQUES Tableau 2. Le contexte économique et financier du scénario tendanciel en 2016/2017 (Sources : données Feri, prévisions BPCE.) En % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 prév. prév. PIB USA 3,4 2,7 1,8 – 0,3 – 2,8 2,5 1,6 2,2 1,5 2,4 2,4 1,9 1,8 Chômage USA 5,1 4,6 4,6 5,8 9,3 9,6 8,9 8,1 7,4 6,2 5,3 5,0 4,9 Inflation USA (moy.) 3,4 3,2 2,9 3,8 – 0,4 1,6 3,2 2,1 1,5 1,6 0,1 1,3 2,0 PIB zone euro à 19 pays 1,8 3,4 3,0 0,4 – 4,5 2,0 1,6 – 0,8 – 0,2 0,9 1,5 1,5 1,4 Chômage zone euro 9,2 8,5 7,6 7,7 9,6 10,1 10,2 11,4 12,0 11,6 10,9 10,1 9,7 Inflation zone euro (moy.) 2,2 2,2 2,1 3,3 0,3 1,6 2,7 2,5 1,4 0,3 0,0 0,3 1,2 Change euro/dollar 1,24 1,26 1,37 1,47 1,39 1,33 1,39 1,29 1,33 1,33 1,11 1,10 1,13 Pétrole ($ Brent) 54,8 65,6 72,6 111,4 61,6 79,9 111,4 112,0 108,8 98,9 52,4 41,0 50,0 CAC 40 (31/12) 4715 5542 5614 3 218 3 936 3 805 3 160 3 641 4 296 4 273 4 637 4 850 5 200 (17) Les revirements permanents de la Fed, tout en la rendant moins crédible, rendent son action future plus difficilement prévisible au regard des fondamentaux de l’économie américaine dans la mesure où elle chercherait à arbitrer entre surchauffe domestique et faiblesses extérieures, ou réciproquement : cela crée les conditions de poussées ultérieures de volatilité. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 23 économie Tableau 3. Le contexte économique de la France en 2016/2017 (Sources : données Feri, prévisions BPCE.) En % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 prév. prév. PIB 1,6 2,6 2,3 0,1 – 2,9 1,9 2,1 0,2 0,7 0,2 1,2 1,3 1,0 Conso. ménages 2,5 2,4 2,4 0,4 0,2 1,7 0,3 -0,2 0,5 0,6 1,4 1,6 1,0 Invest. Sociétés non financières et Entrepreneurs individuels (Snf+Ei) 3,0 4,5 8,8 3,4 – 11,8 3,9 4,0 -0,1 0,8 2,0 2,1 3,8 2,1 Invest. ménages 4,4 5,1 2,5 – 4,1 – 12,5 1,5 1,0 – 2,1 – 1,5 – 5,3 – 2,7 – 0,8 1,6 Export 3,8 6,0 2,7 0,0 – 11,0 8,6 7,1 2,6 1,8 2,4 6,1 2,3 3,5 6,5 5,9 5,7 1,1 – 9,3 8,5 6,5 0,8 1,8 3,9 6,4 3,8 2,9 – 0,7 0,0 -0,8 – 0,3 – 0,3 -0,1 0,0 0,5 0,0 – 0,5 – 0,2 – 0,5 0,1 0,0 0,1 0,2 – 0,3 – 1,1 0,3 1,1 – 0,6 0,2 0,2 0,2 0,3 0,0 Taux de chômage (moyen) 8,9 8,8 8,0 7,4 8,8 8,9 8,8 9,4 9,9 9,9 10,0 9,9 9,9 Revenu disponible brut (Rdb) ménages 1,0 2,4 3,0 0,3 1,6 1,2 0,2 -0,9 -0,1 1,1 1,8 1,5 1,1 Taux d'épargne 14,6 14,6 15,1 15,0 16,2 15,8 15,7 15,1 14,7 15,1 15,4 15,4 15,4 Solde budg. (% PIB) – 3,2 – 2,3 – 2,5 – 3,2 – 7,2 – 6,8 – 5,1 – 4,9 – 4,1 – 4,0 – 3,5 – 3,4 – 3,3 Inflation (glist. an) 1,6 1,5 2,6 1,0 0,9 1,8 2,5 1,3 0,7 0,1 0,2 0,9 1,4 Inflation (moy. an) 1,7 1,7 1,5 2,8 0,1 1,5 2,1 2,0 0,9 0,5 0,0 0,2 1,5 Import Solde extérieur Var. stocks (1) (1) (1) Contribution en point de PIB. Tableau 4. Le contexte de taux d’intérêt en 2016/2017 (Sources : données Feri, prévisions BPCE.) En % 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 prév. prév. Taux directeur Fed 3,19 4,96 5,05 2,09 0,25 0,25 0,25 0,25 0,25 0,25 0,31 0,65 1,25 Taux à 3 mois USA 3,5 5,2 5,3 3,0 0,6 0,3 0,30 0,28 0,22 0,24 0,33 0,76 1,34 Taux à 10 ans USA 4,3 4,8 4,6 3,6 3,2 3,2 2,77 1,81 2,35 2,54 2,14 2,01 2,43 Taux directeur BCE 2,06 2,94 3,94 3,69 1,13 1,00 1,19 0,88 0,55 0,14 0,05 0,00 0,00 Taux à 3 mois France 2,2 3,1 4,3 4,6 1,2 0,81 1,39 0,57 0,22 0,21 – 0,02 – 0,24 – 0,25 Taux à 10 ans France 3,4 3,8 4,3 4,2 3,6 3,12 3,32 2,54 2,20 1,67 0,84 0,61 0,96 Taux swap à 10 ans France 3,5 4,0 4,5 4,5 3,6 3,04 3,10 1,96 1,90 1,46 0,88 0,66 1,00 Pente OAT 10 ans – 3 mois France 1,22 0,72 0,02 -0,40 2,42 2,30 1,93 1,96 1,98 1,45 0,86 0,85 1,21 Pente Swap 10 ans – 3 mois France 1,30 0,92 0,27 -0,12 2,22 1,71 1,39 1,68 1,25 0,90 0,90 1,25 2,32 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 n° 92 25 JURIDIQUE LE BAIL À RÉHABILITATION : UNE OPTION SOLIDAIRE ET RENTABLE Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise d’Ouvrage d’Insertion, et Jade Couderc, Chargée des Partenariats, Solidarités Nouvelles pour le Logement. LA VENTE IMMOBILIÈRE CONFRONTÉE À LA RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS ET DES OBLIGATIONS Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier, Maître Laurent Lemetti, notaire à Paris 7e, et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier. 26 2 LE BAIL À RÉHABILITATION : UNE OPTION SOLIDAIRE ET RENTABLE Par Marie Lionsquy, Responsable de la Maîtrise d’Ouvrage d’Insertion, et Jade Couderc, Chargée des Partenariats, Solidarités Nouvelles pour le Logement. F ace à la crise du mal-logement qui frappe plusieurs millions de personnes, les pouvoirs publics ont créé différents dispositifs permettant à des propriétaires et des investisseurs d’être solidaires. Cette solidarité ne rend toutefois pas ces dispositifs exempts d’intérêts économiques. Trois outils principaux sont à la disposition des propriétaires. ◗ Location/sous-location : le logement est loué à une association qui sous loue le bien à un ménage modeste. Différentes options existent (bail glissant, location à titre gratuit, prêt d’usage, dispositifs institutionnels « louez solidaire et sans risque », « Solibail »). ◗ Cession et donation temporaires d’usufruit : l’usage du logement et ses revenus sont transférés à une association. ◗ Bail à réhabilitation : le bien est confié à un « preneur » qui réalise les travaux en lien avec le propriétaire et loue le bien à des personnes à revenus modestes. Afin de connaître le dispositif le plus avantageux pour le propriétaire, il convient de bien prendre en compte différents critères. L’état du bien, le besoin ou non de percevoir un loyer, l’usage du bien à court, moyen et long termes, l’impôt sur le revenu et de solidarité sur la fortune, les charges de copropriété sont autant d’éléments à étudier préalablement. Le bail à réhabilitation est une solution tout à fait intéressante, socialement et économiquement, pour un propriétaire qui n’a pas l’usage immédiat de son bien. C’est le cas, par exemple, de personnes qui héritent d’un bien qu’elles veulent conserver sans avoir la capacité de réaliser les travaux, ou pour une collectivité qui a un bien vacant et n’a pas les moyens de l’entretenir. Elle est aussi intéressante pour un investisseur à la recherche d’un patrimoine immobilier. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 JURIDIQUE 27 Tableau 1. Synthèse des outils à la disposition des propriétaires Travaux Durée du bail Revenus Fiscalité La location/sous location Pas de travaux. 3 à 6 ans. Perception d’un loyer (dans le cas du bail glissant et des dispositifs institutionnels). Réduction de l’impôt sur le revenu. Dans le cas de la location à titre gratuit, les loyers non perçus sont considérés comme des dons. Cession et donation temporaires d’usufruit Pas de travaux. 3 ans minimum. Pas de revenus. Exclusion du bien de la base imposable pour les propriétaires soumis à l’ISF. La taxe foncière n’est plus prise en charge par le propriétaire. Bail à réhabilitation Lourds travaux. Durée légale minimale de 12 ans. En pratique, elle est de 15 ans minimum. Réhabilitation du bien. Loyer éventuel, à discuter entre les parties. Exclusion du bien de la base imposable pour les propriétaires soumis à l’ISF. Exonération de la taxe foncière. Travaux effectués non imposés. 2.1 / UN PRINCIPE SIMPLE ET PRÉCIS UN DISPOSITIF MIS EN ŒUVRE EN 1990 POUR LUTTER CONTRE LE MAL-LOGEMENT Les baux à réhabilitation ont été créés par la loi du 2 juin 1990, dite « Loi Besson 1 », qui vise à la mise en œuvre du droit au logement. Cette loi crée les plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) et un dispositif d’incitation à l’investissement locatif, dont font partie les baux à réhabilitation. Le bail à réhabilitation est un contrat passé entre le propriétaire d’un bien immobilier et un preneur. Le preneur doit améliorer, réhabiliter le bien par ses travaux, louer le bien à usage d’habitation à des personnes à revenus modestes pendant la durée du bail, puis le restituer au propriétaire en bon état d’entretien. Le preneur peut être un organisme d’habitation à loyer modéré, une société d’économie mixte dont l’objet est de construire ou de donner à bail des logements, une collectivité territoriale. Il peut également être un organisme bénéficiant de l’agrément de l’État relatif à la maîtrise d’ouvrage, au titre de l’article L. 365-2 du code de la construction et de l’habitation, comme c’est le cas de Solidarités Nouvelles pour le Logement en Île-de-France. Le bail à réhabilitation fait l’objet d’un acte notarié et confère au preneur un droit réel immobilier. Il est consenti pour une durée minimale de 12 ans et ne pourra faire l’objet d’une prorogation par tacite reconduction. La durée convenue du bail est étroitement liée aux travaux à réaliser. Ils devront pouvoir être amortis, s’ils sont conséquents, sur une plus longue durée. Par ailleurs, nombreux sont les financeurs qui n’acceptent pas de subventionner un bail à réhabilitation d’une durée inférieure à 15 ans. DES TRAVAUX DE RÉHABILITATION DE QUALITÉ En signant un bail à réhabilitation, le preneur s’engage à réaliser des travaux d’amélioration du bien. Le bailleur et le preneur définissent ensemble la nature des travaux à effectuer par le preneur, les caractéristiques techniques et le délai d’exécution. Ces éléments sont précisés dans le contrat et différents documents sont annexés (devis, plans, genre et qualité des matériaux). Les travaux visent une très bonne performance énergétique du bien, dans un souci écologique mais aussi de réduction des charges pour les locataires. La possibilité de verser un loyer au propriétaire peut être étudiée au cas par cas selon, notamment, l’importance des travaux à réaliser et la durée du bail. Si la redevance versée 28 le bail à réhabilitation : une option solidaire et rentable au bailleur se fait en une fois à la signature du bail, elle peut être incluse dans le coût de l’opération. Il est souvent difficile pour le preneur de verser un loyer mensuel ou annuel au propriétaire. Les loyers des locataires sont plafonnés et sont souvent très bas. À l’issue du bail, le propriétaire récupère son bien libre, remis en état et valorisé par les travaux. 2.2 / LES NOMBREUX INTÉRÊTS DU BAIL À RÉHABILITATION L e bail à réhabilitation est un outil grâce auquel le bailleur valorise son patrimoine en bénéficiant de nombreux avantages. Il permet au preneur de remplir sa mission sociale. LE BAIL À RÉHABILITATION PRÉSENTE DES AVANTAGES FINANCIERS MAIS AUSSI UNE SÉRÉNITÉ DE GESTION. ◗ travaux d’entretien courant ; ◗ remise en état finale. Bien qu’ils soient moins « visibles » financièrement, d’autres facteurs méritent également d’être pris en compte dans les calculs de rentabilité du propriétaire. Le preneur ayant la charge de la gestion du bien, le gain de temps est considérable. Le propriétaire n’a plus à se soucier de la gestion locative, des travaux d’entretien courant ou du suivi des assemblées générales de la copropriété. Par ailleurs, les risques liés à la vacance entre deux locataires ou aux impayés de loyers éventuels sont également supportés par le preneur. DES AVANTAGES FISCAUX Pendant la durée du bail, le propriétaire n’a aucun revenu locatif à déclarer. S’il est assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune, le bien sort de l’assiette. Il n’a pas, non plus, à payer de taxe foncière. Par ailleurs, les travaux réalisés par le preneur ne font l’objet d’aucune déclaration fiscale particulière à l’issue du contrat. Cette mesure fiscale a été prise dans le cadre de la loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions, afin d’encourager les baux à réhabilitation. UN PATRIMOINE VALORISÉ ET PERFORMANT ÉNERGÉTIQUEMENT Les travaux effectués par le preneur entraînent une très bonne performance énergétique du logement grâce à d’importants travaux d’isolation thermique, à un système de chauffage plus économe… Cette amélioration est d’ailleurs une condition obligatoire pour que le preneur puisse bénéficier de certaines subventions. UNE FORTE CONTRIBUTION SOCIALE UNE PRISE EN CHARGE TOTALE DE LA GESTION ET DES FRAIS PAR LE PRENEUR En signant un bail à réhabilitation, le preneur s’engage à prendre en charge jusqu’au terme du bail la gestion et les frais qui incombent habituellement au propriétaire : ◗ frais de notaire pour la rédaction du bail ; ◗ responsabilité des travaux jusqu’à leur bon achèvement ; ◗ coût des travaux de réhabilitation ; ◗ taxe foncière ; ◗ charges de copropriété ; En signant un bail à réhabilitation, le propriétaire a l’assurance que son bien servira à la production de logements sociaux garantissant ainsi un impact social fort. Selon les caractéristiques du bien, notamment sa localisation et sa taille, le propriétaire contribue à développer la mixité sociale sur des territoires où le logement social est peu présent. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 29 juridique UNE RENTABILITÉ FINANCIÈRE Les gains financiers liés au bail à réhabilitation sont loin d’être négligeables. En plus des travaux d’amélioration pris en charge par le preneur, il faut déduire pour le propriétaire la taxe foncière, les frais d’entretien, les charges de copropriété. Sans oublier la diminution des impôts liée à la réduction de l’assiette d’imposition. Le bail à réhabilitation est donc un placement immobilier garantissant une sécurité locative et la tranquillité du propriétaire. Il peut également se montrer très rentable. UN DISPOSITIF TROP PEU CONNU Outil solidaire et rentable, le bail à réhabilitation est une démarche « gagnant-gagnant » pour le propriétaire du bien comme pour le preneur et les pouvoirs publics. Il présente de nombreux avantages pour le propriétaire : des avantages financiers mais aussi une sérénité de gestion. Il permet aux organismes produisant du logement social de créer des logements, en très bon état, pour des personnes modestes. Il est également un outil très intéressant pour les pouvoirs publics : utilisation rationnelle des fonds publics, amélioration du parc ancien, lutte contre la précarité énergétique, mixité sociale. Le bail à réhabilitation est un dispositif encore trop peu connu. Les organismes habilités à recevoir et gérer les biens, comme Solidarités Nouvelles pour le Logement, sont à la disposition de chacun pour encourager son développement. ZOOM SUR L’ACTION DE SOLIDARITÉS NOUVELLES POUR LE LOGEMENT Depuis près de 30 ans, Solidarités Nouvelles pour le Logement (SNL) met en œuvre une démarche originale, fondée sur un engagement citoyen pour aider les plus démunis à se loger et à garder pied dans la société. Elle crée des logements très sociaux (par construction, achat-rénovation, bail à réhabilitation ou mise à disposition), qu’elle loue à des personnes en difficulté « le temps qu’il faut » pour qu’elles retrouvent une stabilité. Chaque ménage est accompagné par des bénévoles du quartier et par un travailleur social de l’association. L'association, qui compte 1 000 logements, 1 100 bénévoles et plus de 70 salariés, a accueilli, accompagné puis relogé plus de 8 000 personnes depuis sa création. En partenariat avec l'Essec et le Crédit Foncier de France, qui soutient SNL depuis plusieurs années, l’association évalue l’impact social de son action. Son étude d’impact 2014 montre notamment que 93 % des personnes accueillies par SNL accèdent de façon pérenne à un logement de droit commun. Les opérations immobilières sont portées par SNL-Prologues, foncière agréée entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) et maîtrise d’ouvrage d’insertion (MOI), lauréate en 2012 du Prix de la finance solidaire décerné par Finansol. Elle gère aujourd’hui le parc des 1 000 logements, dont plus de 150 en bail à réhabilitation. Pour en savoir plus : www.snl-union.org ou 01 75 43 88 95. POUR ALLER PLUS LOIN Code de la construction et de l’habitation – articles L. 252-1 à L. 252-4. Professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage d’insertion, ministère de l’Égalité des territoires et du logement – mai 2012. Guide du propriétaire solidaire de la Fapil, édition 2015 www.snl-union.org. LES AVANTAGES DU BAIL À RÉHABILITATION ◗ Absence de revenu locatif à déclarer. ◗ Sortie du bien du patrimoine de l’ISF. ◗ Remise à neuf du bien grâce à des travaux de haute qualité environnementale. ◗ Aucun coût de gestion pendant la durée du bail (charges de copropriété, taxe foncière). ◗ Tranquillité de gestion. ◗ Garantie de retrouver son bien libre à la fin du bail. 30 3 LA VENTE IMMOBILIÈRE CONFRONTÉE À LA RÉFORME DU DROIT DES CONTRATS ET DES OBLIGATIONS Par Véronique Mas, Direction des Opérations Corporate du Crédit Foncier, Maître Laurent Lemetti, notaire à Paris 7e, et Christophe Salmon, Direction Juridique du Crédit Foncier. P ierre angulaire du droit français des contrats depuis 1804, le Code civil a été amendé à de nombreuses reprises, ce qui a donné lieu à des réactions parfois mitigées de la doctrine et des praticiens du droit. Cependant, le droit des obligations et des contrats n’a connu que deux adjonctions notables relatives, en 1975, à la clause pénale et en 2004 aux contrats électroniques. Cette quasi-intangibilité des dispositions du Code civil relatives au droit des obligations et des contrats ne traduit pas les solutions du droit positif caractérisé par une jurisprudence foisonnante, qui a considérablement fait évoluer la matière depuis 1804. Nul n’ayant un droit acquis au maintien de solutions jurisprudentielles, une réforme d’envergure permettant également d’adapter les dispositions du Code aux exigences de la modernité et d’améliorer leur lisibilité était impérative au seul regard de la sécurité juridique. Du fait d’un caractère a priori technique et d’annonces successives restées sans suite, la réforme finalement appliquée par voie d’ordonnance n’a pas suffisamment appelé l’attention des professionnels, notamment de l’immobilier et du grand public. La présente étude s’efforce d’identifier les possibles effets concrets de cette réforme sur de futures ventes immobilières. L’ordonnance, qui s’appliquera aux contrats signés à compter du 1er octobre 2016, sous réserve de sa ratification par le Parlement, a essentiellement pour conséquence, dans ce cadre d’étude, la sécurisation des avant-contrats et de la formation du contrat de vente lui-même. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 31 juridique 3.1 / LA SÉCURISATION DES AVANT-CONTRATS L a période précontractuelle peut être définie comme l’intervalle de temps compris entre les premières négociations et la régularisation d’un avant-contrat. Les règles applicables étaient exclusivement d’origine jurisprudentielle ; le Code civil encadre désormais les relations des futurs contractants. LA PHASE PRÉCONTRACTUELLE Distinction entre offre et invitation à entrer en négociation Le nouvel article 1114 du Code civil dispose qu’une offre ne peut engager la personne qui l’émet qu’à condition que cette personne ait clairement manifesté le souhait d’être liée en cas d’acceptation du destinataire de l’offre. Dès lors, l’accord de principe qui indique clairement qu’un accord définitif ultérieur devra intervenir (ce qui constitue une offre avec réserves) ne pourra engager son auteur (1). Maintien obligatoire de l’offre L’émetteur de l’offre ayant pris position de façon ferme, il ne peut désormais plus se rétracter pendant la durée de validité de l’offre. Il s’agit là d’une position novatrice (2). Absence de caractère tacite de l’acceptation A contrario de l’adage qui veut que « qui ne dit mot consent », le nouvel article 1120 du Code civil consacre le principe selon lequel « le silence ne vaut pas acceptation ». Il est à craindre que les exceptions énumérées dans la deuxième partie de cet article, c’est-à-dire « la loi, les usages, les relations d’affaires ou les circonstances particulières », ne suscitent une jurisprudence fournie et dont les lignes directrices seront difficilement déterminables. Obligations des parties en phase de négociation Les articles 1112 et suivants du Code civil établissent dorénavant un cadre légal aux pourparlers et au processus d’élaboration du contrat. Trois obligations sont mises à la charge des futures parties au contrat de vente. ◗ L’obligation de négocier de bonne foi (article 1112, « ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi »), d’ordre public et qui ne pourra donc ni être exclue, ni être conventionnellement aménagée. (1) Il s’agit d’une confirmation de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière bancaire (Cour de cassation, Com. 10 janvier 2012, pourvoi n° 10-26.14). (2) Une jurisprudence constante considérait que l’acceptation de l’offre ne produisait pas effet lorsque l’auteur de l’offre s’était rétracté avant que l’acceptation n’intervienne, faute de rencontre des volontés (Cour de cassation Civ. 3 – 15 décembre 1993, pourvoi n° 91-10199). Seule la révocation fautive de l’offre pouvait donner lieu à une réparation au profit du destinataire de l’offre, sous forme de dommages et intérêts (Cour de cassation Civ. 3 – 7 mai 2008, pourvoi n°07-11.690). 32 la vente immobilière confrontée à la réforme du droit des contrats et des obligations LE PACTE DE PRÉFÉRENCE, LA PROMESSE UNILATÉRALE DE VENTE ET LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE N’ONT PAS TOUS ÉTÉ CONSACRÉS PAR LA RÉFORME. ◗ L’obligation de réparer les fautes commises à l’occasion de « l’initiative, le déroulement, ou la rupture des négociations précontractuelles ». L’objectif est de prévenir la rupture abusive des négociations. Cependant, la réparation du dommage ne « peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ». ◗ L’obligation d’informer le futur contractant. Le régime de cette obligation est défini en détail par l’article 1112-1, qui dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou de la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ». On note que cette obligation spécifique d’information se distingue de la réticence dolosive en ce sens que les manquements à cette obligation peuvent être non intentionnels. Elle dépasse les exigences du droit de la consommation puisqu’elle peut être due à un professionnel et peut aller au-delà des informations auparavant requises par des lois particulières, par exemple environnementales. Dans des cas extrêmes, elle pourrait conduire à des jurisprudences surprenantes. Si une telle obligation d’information avait existé, les protagonistes du film Nous irons tous au Paradis (3) auraient vraisemblablement pu obtenir l’annulation d’une vente de maison contigüe à la piste d’un aéroport, maison acquise après visite pendant une longue grève des pilotes de ligne. 3.2 / LES AVANT-CONTRATS P ratiquement ignorés du Code civil, le pacte de préférence, la promesse unilatérale de vente et la promesse synallagmatique de vente n’ont pas tous été consacrés par la réforme. LE PACTE DE PRÉFÉRENCE (ARTICLE 1123 DU CODE CIVIL) Souvent accessoire à un autre contrat, et aux modalités de mise en œuvre très variées, le pacte de préférence peut se révéler comme un risque pour le praticien qui ne l’aurait pas pris en compte dans le cadre de la préparation d’un contrat. Définition Le pacte de préférence, dans le cadre d’une vente, est un contrat par lequel le promettant s’engage, au cas où il se déciderait à vendre un bien, à le proposer en priorité à une autre personne, le bénéficiaire. Le promettant ne s’oblige pas à vendre mais, au cas où il vendrait, à se tourner en premier lieu vers le bénéficiaire. Cette mécanique est transposable à d’autres types de contrat (par exemple un pacte de préférence portant sur la conclusion d’un bail). (3) Comédie française sortie le 9 novembre 1977, réalisation Yves Robert, scénario Jean-Loup Dabadie. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 33 juridique Exemples pratiques On peut citer différents cas de figure dans lesquels on rencontre ce type d’avant-contrats ; par exemple : ◗ lorsqu’une personne fait face à des difficultés financières qui l’obligent à vendre un bien, et souhaite avoir la possibilité de racheter le bien vendu s’il est à nouveau mis sur le marché, et si elle est alors revenue à meilleure fortune ; ◗ dans les baux commerciaux, le locataire peut souhaiter avoir la priorité sur un autre acheteur en cas de vente de l’immeuble qu’il loue. Depuis la loi Pinel, qui offre au locataire commercial un droit de préemption, ces pactes de préférence n’ont d’intérêt que lorsque la vente sera un cas d’exception au droit de préemption. Portée du pacte La principale source de contentieux constatée en la matière concerne le cas où le promettant, ne respectant pas le pacte, conclut un contrat avec une tierce personne sans l’avoir proposé au préalable au bénéficiaire. En effet, le pacte de préférence crée un droit personnel au profit du bénéficiaire et n’est donc pas supposé être attaché au bien lui-même. On peut dès lors s’interroger sur les recours dont dispose le bénéficiaire évincé, et les sanctions qui pèsent sur le tiers contractant. Droits du bénéficiaire évincé Consacrant la jurisprudence en la matière (4), le Code civil, dans sa nouvelle rédaction, offre au bénéficiaire évincé la possibilité d’agir en nullité ou de se substituer au tiers. Toutefois, cette demande du bénéficiaire ne pourra être accueillie par les juges qu’à la condition que l’acquéreur soit de mauvaise foi, ce qui peut être établi en prouvant qu’il connaissait l’existence du pacte, et qu’il savait que le bénéficiaire du pacte entendait accepter la proposition qui devait lui être faite. Dans tous les autres cas, le bénéficiaire évincé ne pourra obtenir qu’une compensation financière (la « réparation du préjudice subi »). Action interrogatoire Innovation de la réforme, l’action interrogatoire (article 1123 alinéas 3 et 4) est un outil de sécurisation. Elle permet au tiers d’interroger par écrit le bénéficiaire du pacte, dans un délai déterminé. Le tiers demande au bénéficiaire de confirmer qu’il est titulaire d’un droit de préférence, et d’indiquer s’il compte s’en prévaloir. Une fois le délai fixé expiré, et faute pour le bénéficiaire de s’être prononcé, la nullité ou la substitution ne pourront plus être demandées, et le tiers pourra se porter acquéreur de l’immeuble sans courir le risque d’une action en substitution ou en nullité par un « éventuel » bénéficiaire d’un pacte de préférence. Il est permis de s’interroger sur l’opportunité d’une telle action interrogatoire pour un tiers. En effet, la preuve du fait que le tiers avait connaissance de « l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir » semble difficile à apporter en dehors de l’exercice par ce dernier de cette action interrogatoire. Par conséquent, le risque de se voir opposer la nullité de l’acte, ou la substitution, semble limité aux cas de fraude manifeste. Paradoxalement, un tiers de mauvaise foi qui n’aurait pas interrogé le bénéficiaire d’un pacte de préférence et aurait conclu un acte de vente sur le bien concerné ne serait exposé qu’à une action en dommages et intérêts. Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire : connaissance du pacte L’exercice de l’action suppose d’avoir connaissance de l’existence du pacte. En raison de la multiplicité des hypothèses possibles, un pacte de préférence peut ne pas avoir été inséré (4) Avant cet arrêt en date du 26 mai 2006, la jurisprudence constante avait posé le principe que l’exécution en nature n’était envisageable que sous réserve « qu’elle soit possible » et ne viole pas les dispositions de l’article 1142 du Code civil, et avait exclu du périmètre le pacte de préférence. La chambre mixte, le 26 mai 2006, opère un revirement et rend un arrêt posant le principe que le bénéficiaire d’un pacte de préférence a le droit d’exiger l’annulation du contrat conclu mais, surtout, obtenir la substitution à l’acquéreur. « Si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir. » 34 la vente immobilière confrontée à la réforme du droit des contrats et des obligations dans le titre de propriété du vendeur, ou ne pas avoir été publié au service de la publicité foncière (5). Il est également possible qu’il fasse l’objet d’une clause de confidentialité. En tout état de cause, l’exercice de l’action interrogatoire suppose que le pacte de préférence soit révélé aux tiers. Il est donc possible de s’interroger sur l’effectivité de cette action. Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire : délai raisonnable Par ailleurs, le délai de réponse du bénéficiaire doit être « raisonnable », ce qui laisse une part de subjectivité et donc d’interprétation des parties et, le cas échéant, des juges. En pratique, le délai raisonnable sera vraisemblablement identique aux délais de réponse des titulaires de droits de préemption. Difficultés de mise en œuvre de l’action interrogatoire : mention écrite Enfin, le troisième alinéa de l’article 1123 indique que l’écrit par lequel est exercée l’action interrogatoire doit mentionner l’extinction des actions en nullité et en substitution en l’absence de réponse du bénéficiaire du pacte. Ce texte ne précise pas la nature des sanctions de l’absence de cette mention. LA PROMESSE UNILATÉRALE DE VENTE (ARTICLE 1124 DU CODE CIVIL) Ignorée du Code civil antérieurement à la réforme mais utilisée par les praticiens, la promesse unilatérale de vente est consacrée par la réforme. Définition La promesse unilatérale est le contrat par lequel l’une des parties, appelée « promettant », donne son consentement à un contrat définitif, dont les conditions sont d’ores et déjà déterminées, et offre à l’autre partie, appelée « bénéficiaire », la faculté de conclure ce contrat, à son choix. On dit alors que le bénéficiaire est titulaire d’une option. Engagement des parties à l’acte Le promettant est définitivement engagé et ne peut plus se rétracter, tandis que le bénéficiaire conserve sa liberté en contrepartie d’un éventuel dédommagement financier, de ne pas finaliser l’opération. Sort des parties en cas d’inexécution du contrat : solutions antérieures à la réforme L’enjeu majeur dont la jurisprudence a dû connaître est la possibilité de forcer l’exécution du contrat lorsqu’une des parties refuse de régulariser le contrat définitif. ◗ Du côté du bénéficiaire, la sanction est purement financière et prévue au contrat : il lui est permis de ne pas signer le contrat définitif. Dans ce cas, il accepte de perdre l’indemnité d’immobilisation convenue lors de la signature de la promesse, sauf à prouver qu’une des conditions suspensives prévues dans l’avant-contrat ne s’est pas réalisée. ◗ Du côté du promettant, il était établi en jurisprudence que l’obligation pesant sur lui était une obligation de faire, dont l’inexécution donnait lieu à des dommages et intérêts en vertu de l’actuel article 1142 du Code civil, mais pas à la signature forcée de la vente. La pratique avait donc pour habitude d’insérer dans les avant-contrats une clause aux termes de laquelle le promettant consentait à renoncer au bénéfice de l’article 1142 du Code civil, et acceptait que le bénéficiaire poursuive l’exécution forcée de la vente si le promettant refusait de signer l’acte définitif. Disparition de la notion d’obligation de faire L’ancienne classification des obligations (obligations de faire, de ne pas faire, et de donner) est ignorée par l’ordonnance du 10 février 2016. Le nouvel article 1217 du Code civil énumère les sanctions du non-respect d’une obligation contractuelle : ◗ le refus ou la suspension d’exécution du contrat ; ◗ l’exécution forcée en nature ; (5) Ainsi, par exemple, et cette hypothèse très fréquente recouvre les deux premiers cas de figure, lorsqu’un bail commercial contient un pacte de préférence au profit du locataire en cas de vente de l’immeuble. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 35 juridique LA PROMESSE UNILATÉRALE DE VENTE APPARAÎTRA À COMPTER DU 1ER OCTOBRE 2016 COMME L’AVANT-CONTRAT DE RÉFÉRENCE. ◗ la réduction de prix ; ◗ la résolution du contrat ; ◗ la réparation des conséquences de l’inexécution. Ces différentes sanctions sont cumulables lorsque cela est possible. Sort des parties en cas d’inexécution du contrat : solutions postérieures à la réforme L’article 1124 du Code civil, dans sa nouvelle rédaction, prévoit que la levée d’option par le bénéficiaire forme le contrat, même si le promettant a manifesté sa volonté de se rétracter, et que le contrat conclu en violation de la promesse de vente peut être annulé. Par ailleurs, le nouvel article 1221 du Code civil dispose que l’exécution en nature peut être poursuivie, en cas d’inexécution par une partie, sauf si elle est impossible ou si elle est disproportionnée. La combinaison de ces dispositions permet donc de s’interroger sur l’utilité de continuer à intégrer dans les promesses de vente une clause d’exécution forcée, celle-ci semblant être ouverte au bénéficiaire par le seul effet de la loi. Devenir du contrat conclu en violation de la promesse La sanction prévue en cas de contrat conclu en violation d’une promesse est la nullité de l’acte frauduleux, au contraire des dispositions concernant le pacte de préférence : la simple preuve de la connaissance qu’avait le tiers de l’existence de la promesse suffit pour demander la nullité. LA PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE Seul avant-contrat connu du Code civil à ce jour, la promesse synallagmatique de vente n’est mentionnée que par un seul texte (6), qui l’assimile au contrat de vente définitif et l’envisage alors en tant que vente et non en tant qu’avantcontrat. Définition La promesse synallagmatique de vente est le contrat par lequel l’une des parties, appelée « promettant », donne son consentement à un contrat définitif, dont les conditions sont d’ores et déjà déterminées, ce qui est accepté par l'autre partie, appelée « bénéficiaire », qui donne également son consentement à ce contrat. Difficultés de qualification La frontière est ténue entre la promesse synallagmatique de vente et la vente elle-même, dans la mesure où les consentements réciproques ont été donnés et constatés. En effet, le droit français des contrats est fondé sur le principe du consensualisme, qui veut que le contrat se forme par la simple rencontre des volontés, dès lors que les parties sont d’accord sur la chose et le prix. La promesse synallagmatique de vente est donc fréquemment présentée comme une vente sous condition suspensive. Intérêts et inconvénients de la promesse synallagmatique de vente Souvent considérée comme plus protectrice pour le promettant, puisque le bénéficiaire est immédiatement engagé, la promesse synallagmatique n’est pas sans soulever des difficultés en cas de défaillance du bénéficiaire. En effet, alors que, dans une promesse unilatérale, le promettant peut recouvrer sa liberté et exiger le paiement de l’indemnité d’immobilisation, dans une promesse synallagmatique, il n’a d’autre choix que de faire constater en justice que la vente est effective, pour en demander l’exécution forcée. (6) Article 1589 du Code civil, alinéa 1 : « La promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ». 36 la vente immobilière confrontée à la réforme du droit des contrats et des obligations contrats. Nous nous attacherons ici à présenter les modifications que le praticien devra avoir à l’esprit, sans que cette liste soit exhaustive. LE CONSENTEMENT Réticence dolosive Consacrée par le nouvel article 1137, la réticence dolosive consiste à cacher sciemment une information dont la connaissance aurait pu influer sur la décision de l’autre partie de contracter ou non. Lien entre réticence dolosive et inexécution de l’obligation d’information Le nouvel article 1112-1 du Code civil relatif à l’obligation d’information renvoie, pour la sanction, à l’annulation qui peut être demandée sur le fondement des articles 1130 et suivants, relatifs aux vices du consentement. Place de la promesse synallagmatique dans le nouveau droit des contrats La promesse synallagmatique de vente est purement et simplement ignorée du nouveau dispositif légal. La promesse unilatérale de vente apparaîtra donc à compter du 1er octobre 2016 comme l’avant-contrats de référence. 3.3 / LA SÉCURISATION DE LA FORMATION DU CONTRAT DE VENTE LA VALIDITÉ DU CONTRAT Dans une volonté de simplification, l’ordonnance du 10 février 2016 a remanié les conditions de validité des Il est permis de s’interroger quant à la différence effective entre les deux notions très voisines de manquement à l’obligation d’information et de dol par réticence (silence dolosif). La première, si elle ne s’accompagne pas d’un vice du consentement, peut seulement donner lieu à une action en dommages et intérêts. La seconde, en tant que vice du consentement, pourrait justifier une action en nullité du contrat. Caractère subjectif du contenu de l’information Le Code civil affirme que l’obligation d’information, d’ordre public, n’a pas pour objet « l’estimation de la valeur de la prestation », sous réserve de la bonne foi des négociations édictée par le nouvel article 1104 du Code civil. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la notion « d’importance déterminante » pour le consentement au sens de l’article 1112-1, qui risque de générer un contentieux important. Ainsi, par exemple, que penser des informations relatives à des événements survenus dans l’immeuble à vendre tels qu’un drame familial ou encore les informations relatives à l’utilisation antérieure de l’assiette foncière (par exemple un ancien cimetière) ? L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 37 juridique Notion de violence La violence a été redéfinie et son régime largement modifié par la réforme. Pour les contrats de vente d’immeuble régularisés à compter du 1er octobre 2016, ceux-ci pourront être contestés pour violence dans deux hypothèses possiblement cumulatives. Dans une première hypothèse, la violence peut être caractérisée par des actes matériels concernant une ou plusieurs parties et/ou leurs « proches », cette notion devant être précisée par la jurisprudence ou la loi de ratification. Dans une seconde hypothèse, la violence vice du consentement peut être admise en dehors de tout acte matériel. Elle pourrait résulter d’un « abus de dépendance » au sens du nouvel article 1143 du Code civil. La dépendance envisagée peut être d’ordre économique ; c’est la raison pour laquelle la doctrine majoritaire la qualifie déjà de « violence économique ». Mais cette dépendance pourrait également être d’ordre psychologique, sentimental, etc., le texte définitivement adopté ayant renoncé à l’utilisation du terme de « faiblesse ». Par ailleurs, pour être caractérisé, ce nouveau type de violence doit également permettre au cocontractant d’obtenir « un engagement » que l’autre partie « n’aurait pas souscrit en application de la contrainte » et « d’en tirer un avantage manifestement excessif ». LA CAPACITÉ DE CONTRACTER Risques inhérents à la représentation La procuration ou délégation de pouvoir, fréquemment utilisée en pratique pour permettre la régularisation d’un contrat lorsque l’une des parties ne peut être physiquement présente, n’est pas sans danger. En effet, le mandat étant révocable (article 2004 du Code civil), un doute peut toujours subsister quant à savoir si le mandataire est toujours effectivement investi d’une délégation de pouvoir. Certes, une protection est offerte au contractant qui n’était pas averti de LA CAUSE DU CONTRAT A DISPARU DU NOUVEL ARTICLE 1128 DU CODE CIVIL, QUI FIXE LES CONDITIONS DE VALIDITÉ DU CONTRAT. la révocation (article 2005 du Code civil). Mais l’incertitude peut aussi relever de l’étendue des pouvoirs, lorsque le mandat est imprécis ou ambigu. Action interrogatoire Pour remédier à cette situation, le nouvel article 1158 du Code civil offre au contractant une action interrogatoire qui lui permet de vérifier auprès du mandant l’étendue des pouvoirs du mandataire. Il suffira alors, pour le tiers au mandat, d’interroger le mandant pour obtenir confirmation du contenu du mandat, en fixant un délai de réponse raisonnable (7) à l’expiration duquel l’acte peut être conclu sans que le mandant puisse par la suite contester l’habilitation du mandataire à le représenter. LES MOTIFS DU CONTRAT Disparition de la notion de cause Redoutée par des générations d’étudiants en droit, décriée par certains auteurs qui en contestaient l’utilité, pilier de la théorie contractuelle pour d’autres, la cause du contrat a disparu du nouvel article 1128 du Code civil, qui fixe les conditions de validité du contrat. Consécration de la théorie des ensembles contractuels Faut-il voir dans la suppression de ce terme de cause une réelle modification ? En effet, l’ordonnance du 10 février 2016 a recours à trois notions évoquant cumulativement les anciennes notions de cause : (7) Nous renvoyons ici le lecteur aux questions soulevées par le caractère raisonnable du délai de réponse dans le cadre d’un pacte de préférence, supra. 38 la vente immobilière confrontée à la réforme du droit des contrats et des obligations ◗ le « contenu » du contrat (nouvel article 1128) et son « but » (nouvel article 1162), qui constituent la cause subjective du contrat ; ◗ et la « contrepartie » de la prestation (nouvel article 1166), qui constitue la cause objective du contrat. LA DÉMATÉRIALISATION DU CONTRAT Recodification des dispositions existantes L’ordonnance du 10 février 2016 reprend presque à la lettre les dispositions des articles 1360-1 et suivants du Code civil actuel, mais les intègre aux règles de validité des contrats, ce qui manifeste une volonté de renforcer une pratique qui tend à se démocratiser. Pratique croissante des échanges par voie électronique On constate, en effet, que les échanges par voie électronique se font de plus en plus nombreux dans le cadre de la conclusion d’un contrat, même si à ce jour une infime proportion des ventes immobilières est réalisée par voie numérique. Il s’agit naturellement des échanges de correspondance par courriel dans le cadre des négociations, mais aussi de pratiques plus formelles comme le courrier électronique recommandé. Ce nouvel outil permet d’adresser par voie électronique des documents qui devaient auparavant être nécessairement acheminés par recommandé postal : ainsi, notamment, des documents nécessaires à la purge du droit de rétractation ou de réflexion prévu au bénéfice de l’acquéreur par l’article L.271-1 du Code de la construction et de l’habitation, mais également des offres de prêt et documents annexes adressés à l’emprunteur. Outre l’aspect écologique, ce procédé sécurise les délais, puisque la date de réception d’un courriel est bien plus facile à maîtriser que sa date de réception. de validité éventuelles de ces documents (nouvel article 1176 du Code civil) ; ◗ se soit assuré, dans certains cas, que le destinataire dispose d’une imprimante (nouvel article 1177 du Code civil, concernant les envois devant être réalisés en plusieurs exemplaires) ; ◗ ait recueilli au préalable l’accord du destinataire pour que l’envoi lui soit fait sous forme électronique (nouveaux articles 1126 et 1127-5 du Code civil). Précautions pratiques : mention manuscrite Soulignons, enfin, concernant les actes sous signature privée relevant du droit de la famille ou constitutifs de sûretés consenties par les particuliers que, lorsqu’une mention manuscrite est exigée, cette mention ne peut être apposée par voie électronique (nouvel article 1175 du Code civil). Les premiers commentaires de l’ordonnance du 10 février 2016 mettent en lumière différentes améliorations à apporter à la réforme. Des ajustements seront donc à prévoir dans le cadre de la loi de ratification, qui devra être déposée devant le Parlement au plus tard six mois à compter de la date de publication de l’ordonnance, intervenue le 11 février 2016. Précautions pratiques : vérifications préalables Une vigilance particulière s’impose lorsque le contractant n’est pas un professionnel, puisque le Code civil exige, dans ce cas, que l’expéditeur : ◗ ait vérifié au préalable que la lisibilité et la présentation des documents électroniques sont conformes aux conditions L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 EXECUTIVE MASTER STRATEGIE ET FINANCE DE L’IMMOBILIER L ’immobilier est un secteur en forte évolution depuis 20 ans, impactant la conception de nos villes et territoires. L’Executive Master Stratégie et finance de l’immobilier a pour ambition de former les professionnels, en 35 jours, aux enjeux stratégiques et financiers de l’immobilier. Enfi - SAS au capital de 410 206€ - 504 381 153 RCS Paris - Siège social : 19 rue des Capcines 75001 Paris - Juin 2016 Crédit photo : SciencesPo LORSQUE LA FINANCE DE L’IMMOBILIER RENCONTRE LA VISION STRATÉGIQUE DU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES Professionnaliser les acteurs de l’immobilier : un enjeu majeur pour un secteur en évolution Un cursus unique grâce à des savoir-faire complémentaires Traditionnellement considéré comme un actif réel avec une valeur d’usage, l’immobilier obéit dorénavant à une logique de rentabilité et de placement. Dès lors, pour mieux maîtriser le développement de leur activité, les professionnels de l’immobilier et de la finance doivent acquérir des compétences techniques et une connaissance de l’environnement dans lequel ils évoluent. C’est pourquoi Sciences Po Executive Education et l’École Nationale du Financement de l’Immobilier (ENFI), filiale du Crédit Foncier (Groupe BPCE) ont créé l’Executive Master en Stratégie et finance de l’immobilier. L’expertise de l’ENFI dans l’accompagnement des professionnels de l’immobilier et de son financement, conjuguée à la compétence stratégique reconnue de Sciences Po sur les enjeux urbains et immobiliers favorise le croisement des perspectives. Empreint de l’apport des sciences sociales et ancré dans la réalité du secteur, l’Executive Master est un programme innovant et modulaire, adapté aux besoins du secteur. Rentrée : le 19 janvier 2017 Parcours de formation de l’Executive Master VOS CONTACTS DEDIES Ilaria Milazzo Responsable de programmes Sciences Po Executive Education ilaria.milazzo @sciencespo.fr +33 (0)145 49 63 28 Isabelle Pineau Responsable pédagogique à l’École Nationale du Financement de l’immobilier [email protected] +33 (0)1 57 44 82 78 40 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 n° 92 41 SOCIO-ÉCONOMIE LE LOGEMENT DES CLASSES MOYENNES : LE DÉCLASSEMENT Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po, Dirigeant de la société de prospective Éclairs (www.eclairs.fr). 42 4 LE LOGEMENT DES CLASSES MOYENNES : LE DÉCLASSEMENT Par Julien Damon, Professeur associé à Sciences Po, Dirigeant de la société de prospective Éclairs (www.eclairs.fr). 4.1 / DES CLASSES MOYENNES QUI NE SONT PAS LOGÉES À LA MÊME ENSEIGNE D e quoi parle-t-on ? Il existe un nombre incalculable d’articles et de livres sur les classes moyennes, alimentant un nombre important de débats spécialisés et de controverses aussi bien techniques que politiques. On ne prétendra pas répondre de manière définitive. Mais on cherchera à synthétiser les principales approches – au nombre de trois –, cela afin d’approcher ensuite les conditions de logement des personnes et ménages que l’on peut réunir sous la dénomination de classe moyenne (1). Alors qu’elles ont autrefois été érigées, en France, en une catégorie unitaire, mais de taille relativement restreinte, on peine aujourd’hui à trouver le dénominateur commun d’une large population qui se trouve dans une position intermédiaire entre les nantis et les moins bien lotis. Maintenant plutôt captées dans des entre-deux, par exemple entre une France d’en haut et une France d’en bas, les classes moyennes présentent une grande dispersion de profils. La classe moyenne a, un temps dans l’histoire, bénéficié d’une certaine unité, qui pouvait légitimer son singulier. Aujourd’hui, le pluriel s’impose pour des classes moyennes qui se sont étendues et banalisées. C’est du choix des définitions et des délimitations que vont dépendre les observations et conclusions sur les liens entre classes moyennes et logement. On retient trois orientations. (1) Pour davantage de précisions, lire Julien Damon, Les classes moyennes, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2012. Et pour compléter le propos à partir d’une étude originale sur le logement des classes moyennes, voir le travail dirigé par François Cusin, Le logement, facteur d’éclatement des classes moyennes ? sur le site www.fondation. dauphine.fr/. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 43 socioéconomie UN CRITÈRE SOCIOLOGIQUE : PROFESSION, VALEURS ET MODE DE VIE Une entrée pour approcher ces classes est de passer par la profession, qui reste un critère important de classement. Selon la nomenclature française des professions et catégories socioprofessionnelles, les classes moyennes peuvent regrouper les « professions intermédiaires », une partie des « cadres supérieurs » et également des « employés ». Dotées de capitaux économiques, mais aussi scolaires et culturels importants, les strates intermédiaires françaises aspireraient à une mobilité sociale ascendante et à une certaine qualité de vie. Elles développeraient un rapport particulier à l’éducation, l’école étant perçue comme un moyen d’ascension sociale efficace, tout comme le fait de devenir propriétaire de son logement. La localisation du logement devient probablement un critère plus déterminant, une partie importante des catégories intermédiaires de la population ne pouvant plus rester dans des centres-ville devenus trop chers et ne souhaitant pas vivre dans des quartiers d’habitat social dépréciés. On observerait une périurbanisation des classes moyennes. Ces constats méritent le conditionnel car ils ne sont pas documentés par des séries statistiques fouillées décrivant les évolutions sur le long terme. Les mouvements sont, en tout état de cause, difficilement contestables. Ces approches par nomenclature de catégories socioprofessionnelles (CSP – ou PCS pour professions et catégories sociales) ne sont ni les plus aisées, ni les plus usitées, maintenant. Elles relèvent, un peu comme en science naturelle, d’un exercice de classement, de taxinomie, avec d’infinis débats pour savoir si telle ou telle sous-catégorie (ouvrier qualifié, professeur de lycée) appartient ou se situe aux marges des classes moyennes. UN CRITÈRE ÉCONOMIQUE : REVENUS ET NIVEAU DE VIE Le critère des revenus peut être utilisé en assimilant les classes moyennes au groupe de ménages situé au cœur de la distribution des revenus. Tout est dès lors affaire de conven- tion sur ce qu’est le centre de la distribution des revenus et l’importance de sa périphérie. L’étendue de la classe moyenne varie ainsi fortement. Avec une définition extensive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 80 % de la population. Les 10 % les plus modestes et les 10 % les plus riches n’appartiennent pas aux classes moyennes. Si la population englobée paraît considérable, cette approche a une certaine pertinence en France. Un tel intervalle rassemble en effet la population dont les ressources proviennent essentiellement d’un revenu salarié. Avec une définition plus restrictive, on peut considérer que les classes moyennes rassemblent 60 % de la population. Les 20 % les plus modestes et les 20 % les plus riches en sont exclus. 44 le logement des classes moyennes : le déclassement EN FRANCE, DEUX PERSONNES SUR TROIS S’IDENTIFIENT SPONTANÉMENT AUX CLASSES MOYENNES. Une autre voie de partage consiste à distinguer les catégories aisées (les 20 % les plus favorisés), les catégories populaires (les 30 % les moins favorisés), et une classe moyenne rassemblant la moitié de la population totale, entre les plus aisés et les moins aisés. Sous cette hypothèse – utilisée pour de nombreux travaux – avant impôts, en 2012, la classe moyenne rassemble des individus aux revenus situés entre 1 200 euros et 2 700 euros. Il n’y a pas avec ces approches une classe moyenne homogène, mais des catégories de la population qui se trouvent dans la moyenne (ou autour de la moyenne). Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), il ressort bien que les deux tiers des Français veulent bien se classer dans cette catégorie. Cela ne leur confère pas une identité de classe, mais confirme que les Français se représentent, pour les deux tiers d’entre eux, au centre de la distribution des revenus et des positions sociales. L’enquête pour la Fondapol nous indique que le sentiment d’appartenir à telle ou telle catégorie varie significativement selon la catégorie socioprofessionnelle. 90 % des cadres supérieurs se reconnaissent dans l’expression « classes moyennes », contre 42 % des ouvriers. Selon le statut d’occupation du logement, la variation est également élevée : 74 % des propriétaires se voient appartenir aux classes moyennes ; ce n’est le cas que de 53 % des locataires. En matière de localisation, 63 % des ruraux se comptent dans les classes moyennes. C’est le cas de 76 % des habitants de l’agglomération parisienne. UN CRITÈRE SUBJECTIF : L’AUTOÉVALUATION Une dernière approche consiste à prendre au sérieux les perceptions des individus quant à leur propre position sociale. En France, les résultats de sondages d’opinion indiquent que deux personnes sur trois s’identifient spontanément aux classes moyennes. Cette forte identification française aux classes moyennes est à relativiser dans la mesure où le sentiment d’appartenance à des classes sociales diminue. La moitié seulement des personnes vivant en France estiment appartenir à une classe sociale, la propension étant plus élevée, d’ailleurs, pour les cadres que chez les ouvriers. Des enquêtes récentes menées par le Crédoc ou pour la Tableau 1. Sentiment d’appartenance aux classes moyennes selon statut d’occupation et lieu de résidence (Sources : Ifop, Fondapol, 2010.) Les défavorisés Les catégories modestes Les classes moyennes Les classes moyennes supérieures Les favorisés ou les aisés Statut d’occupation Propriétaire 1 22 57 17 3 Locataire 7 39 45 8 1 Communes rurales 3 33 52 11 1 Communes urbaines province 5 31 50 12 2 Agglomération parisienne 1 17 57 19 6 Lieu de résidence L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 45 socioéconomie 4.2 / UN LOGEMENT QUI PÈSE SUR LES BUDGETS MOYENS ET QUI DÉCLASSE U n spectre hante les classes moyennes et la société françaises : le déclassement (2). Le concept est assez riche pour désigner des phénomènes différents, mais convergents : d’une part, un sentiment et des observations objectives sur la détérioration passée de sa situation ; d’autre part, des craintes quant à son avenir et/ou à celui de ses descendants. Les classes moyennes craignent cette rétrogradation. Même si on peut le relativiser, le phénomène se nourrit de multiples dimensions, parmi lesquelles le logement joue un rôle déterminant. Aujourd’hui, des ménages s’estimant « moyens » disposent de ressources trop élevées pour prétendre au logement social, mais trop faible pour louer ou acquérir dans le secteur libre. Ces ménages rencontrent des difficultés à améliorer leurs conditions actuelles de logement. Si 70 % des personnes en France ont des revenus qui les autorisent théoriquement à occuper un logement social, l’offre ne couvre pas la demande et, surtout, les priorités portent sur les ménages défavorisés. Le coût du logement ont, plus généralement, pris une importance grandissante dans le budget des ménages, celui des ménages « moyens » en particulier. Il y a là un effet « qualité ». La qualité des logements s’est fortement améliorée (augmentation de la surface, amélioration des équipements et services). Il y a aussi un effet « prix » dans la mesure où les coûts, singulièrement pour ce qui concerne l’accession à la propriété, ont considérablement augmenté, ces dernières années. Songeons que l’achat d’un mètre carré à Paris représente près d’une année de Smic. (2) Voir Julien Damon, Le déclassement : définitions et perceptions, Regards sur l’actualité, n° 354, 2009, pp. 90-98. 46 le logement des classes moyennes : le déclassement Passons par l’enquête barométrique du Crédoc sur les « Conditions de vie et aspirations des Français ». Comme aucune définition des « classes moyennes » ne fait l’unanimité, il a été décidé, dans ce cadre, de les placer entre, d’une part, les « hauts revenus » et les « aisés » (les 20 % de la population aux revenus les plus élevés) et, d’autre part, les « bas revenus » (les 30 % de la population aux revenus les plus faibles, rassemblant les ménages défavorisés et les classes populaires). En dynamique, on repère nettement que la situation de ces classes moyennes tend à ressembler davantage à celle des bas revenus qu’à celle des hauts. Pour ce qui concerne la proportion des propriétaires de leur logement (aujourd’hui moins de six ménages sur dix, en général), la tendance est à la stagnation pour les classes moyennes. Il y a là une évolution qu’ont connue les catégories pauvres et modestes, mais qui est l’inverse de ce qu’ont vécu les catégories aisées et à hauts revenus. En 1990, plus de la moitié des individus appartenant aux classes moyennes (soulignons encore qu’il s’agit d’une affectation des individus à cette catégorie au centre de la distribution des revenus) se déclaraient propriétaires de leur logement. Ils sont minoritaires vingt ans plus tard. On est là au seuil de la significativité statistique. Il y a probablement plus stagnation que mouvement clair. En revanche, pour les catégories aisées et pour les hauts revenus (les 10 % les mieux lotis), on est passé, entre 1980 et 2008, respectivement de 51 % et 54 % à 65 % et 75 %. En d’autres termes, alors que pour les classes moyennes la proportion de propriétaires a stagné autour de la moitié, elle est passée d’une moitié aux deux tiers pour les catégories aisées, et des deux tiers aux trois quarts pour les hauts revenus. Être propriétaire ou locataire ne dit pas grand chose, a priori, des coûts de son logement et de la part de son budget qu’un ménage y affecte. S’il y a stagnation de la proportion des classes moyennes propriétaires, il y a une progression de la part des individus issus de ces classes moyennes qui estiment que leurs dépenses de logement sont une charge trop lourde à laquelle ils ne peuvent, pour certains d’entre eux, Figure 1. Proportion d’individus propriétaires de leur logement (en %) (Source : Crédoc.) 80 72 70 65 54 49 45 44 42 33 34 56 53 52 50 40 62 60 60 60 33 52 51 51 75 54 45 45 35 30 20 10 0 Défavorisés 1980 Classes populaires 1990 2000 Classes moyennes inférieures Classes moyennes supérieures Catégories aisées Hauts revenus 2010 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 47 socioéconomie plus faire face. Les informations importantes ne sont pas les données absolues, mais les comparaisons avec d’autres catégories sociales. Les personnes défavorisées et les personnes comptées dans les classes populaires ont vu leurs dépenses de logement constituer une charge toujours plus lourde (relativement). Il en va de même pour les classes moyennes inférieures qui, de 1980 à 2008, ont vu la proportion de personnes estimant ces charges problématiques passer de 41 % à 50 %, tandis que pour les hauts revenus, elle passait de 28 % à 21 %. Il y a là illustration, d’un côté, du rapprochement entre classes défavorisées et classes moyennes, et, de l’autre côté, du relatif décrochage d’avec les hauts revenus. Quelle leçon générale en tirer ? Les classes moyennes, en particulier leurs segments intermédiaires et inférieurs, se sont rapprochées, pour ce qui a trait aux évolutions de leurs contraintes financières de logement, des catégories défavorisées. Leurs dépenses contraintes, que l’on dit aussi « non EN 1990, PLUS DE LA MOITIÉ DES INDIVIDUS APPARTENANT AUX CLASSES MOYENNES SE DÉCLARAIENT PROPRIÉTAIRES DE LEUR LOGEMENT. arbitrables », préengagées, pèsent fortement sur leur budget. L’augmentation passée, et pour certains postes (énergie, notamment) très probablement encore à venir, des budgets liés au logement (loyers, prêts, eau, gaz, électricité, mais aussi assurances et impôts) est l’un des principaux moteurs de la pression ressentie et vécue par les ménages des classes moyennes. Figure 2. Proportion d’individus déclarant que leurs dépenses de logement constituent une charge lourde, ou très lourde ou à laquelle ils ne peuvent faire face (en %) (Source : Crédoc.) 70 61 60 50 51 47 48 49 46 51 50 46 44 41 40 43 43 36 35 36 33 29 30 31 31 28 26 24 21 20 10 0 Défavorisés 1980 Classes populaires 1990 2000 Classes moyennes inférieures 2008 Classes moyennes supérieures Catégories aisées Hauts revenus 48 le logement des classes moyennes : le déclassement 4.3 / UNE DISPARITÉ DE POLITIQUES ENTRE LOCATION ET ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ Figure 3. Évolution de la distribution des revenus des locataires HLM (en %) (Source : Insee/Union Sociale pour l’Habitat.) 100 90 70 Classes moyennes supérieures 60 70 50 62 Classes moyennes inférieures 49 40 49 48 30 20 Ménages les plus pauvres 10 06 20 01 20 96 19 92 19 88 19 84 19 19 78 0 73 Depuis les années 1980, il y aurait stagnation des revenus, ascenseur social en panne, doutes et malaise au sein des classes moyennes. La dynamique de moyennisation serait suspendue. Une pleine illustration, en matière de logement, relève de l’évolution du peuplement, sur le plan d’abord des revenus et des logements HLM. Ceux-ci rencontrent, depuis le début des années 1970, un processus de paupérisation. Si l’on opère une partition de la population française en quatre parties égales, quatre quartiles représentant chacun 25 % de la société française, alors on note que le premier quartile (c’est-à-dire les ménages les plus pauvres) représentait il y a une quarantaine d’années 12 % des locataires HLM. Ils en représentent 42 % en 2006 (50 % dans les zones urbaines sensibles). Pour le deuxième quartile (i.e. les classes moyennes inférieures), la proportion de locataires HLM reste autour de 30 %. Il y a là encore un rapprochement des plus démunis et de cette classe moyenne inférieure (à laquelle on peut donner aussi le pluriel). Le troisième quartile, qui correspond aux classes moyennes supérieures, est de moins en moins présent dans le logement HLM. Ces classes moyennes supérieures, qui rassemblaient 35 % des locataires HLM en 1973 (et 15 % seulement en 2006), ont quitté ces logements sociaux, très souvent pour accéder à la propriété. Le point important est qu’en flux, ce sont les pauvres qui sont venus peupler les HLM, cohabitant plus ou moins aisément avec des classes moyennes inférieures qui ne les considèrent pas nécessairement favorablement. Aujourd’hui, la palette d’interventions du mouvement HLM vise encore, potentiellement, largement les classes 80 19 L a « moyennisation » de la société française, pendant les Trente Glorieuses, a été accompagnée d’une politique du logement volontariste dont l’ambition était, comme d’ailleurs la Sécurité sociale, de promouvoir un salariat grandissant et une généralisation de l’accès au progrès social. Ménages aisés moyennes. Il en va ainsi de ses trois principaux instruments de financement, les prêts permettant la construction de ces logements. En théorie, le prêt locatif à usage social (PLUS), principal produit pour le financement de logements sociaux, vise des ménages aux revenus modestes ou moyens. Près des deux tiers de la population peuvent être éligibles à des logements financés en PLUS. Le prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) vise des ménages à plus bas revenus. Ses conditions d’accès rendent éligibles environ 40 % des ménages. Le prêt locatif social (PLS) est, en réalité, le moins « social ». Il vise des populations plus aisées que celles éligibles au PLUS. Il vise donc les classes moyennes supérieures et peut concerner jusqu’à 80 % de la population. D’une certaine manière, les classes moyennes sont, en matière de politique du logement, écartelées, en tant que priorité, entre, d’une part, les plus défavorisés (qu’il s’agit de loger ou d’héberger en tentant de mettre en œuvre l’opposabilité affirmée du droit au logement) et, d’autre part, les plus aisés, qui sont incités à investir pour développer l’offre locative. Cette tension, en matière de logement social, pour les classes moyennes en position précédemment centrale et maintenant un rien de côté, est à rapprocher de l’ensemble L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 49 socioéconomie LE PAS ET LE PTZ ONT PERMIS EN 2014 À PLUS DE QUATRE MÉNAGES SUR DIX DE DEVENIR PROPRIÉTAIRES PRIMO-ACCÉDANTS DANS LE NEUF. des mécanismes socio-fiscaux à l’œuvre. On reprend la représentation désormais classique (même si toujours discutée) de la courbe stylisée des avantages socio-fiscaux sous la forme d’un U. Le principe est de montrer de façon frappante les effets d’une action publique en matière de logement qui consiste, principalement, à soutenir la demande, celle des locataires modestes, via les aides au logement, et celle des propriétaires aisés via des incitations fiscales à l’investissement locatif. Les moins favorisés bénéficient directement des prestations logement (les trois allocations sous condition de ressources). Les plus favorisés bénéficient directement des avantages fiscaux pour l’investissement locatif ou la réhabilitation de leur résidence principale, par exemple pour les aides publiques d’incitation à la rénovation thermique des logements. Certes, le trait est grossier derrière cette représentation mais elle désigne un phénomène incontestable, et qui pèse dans l’opinion : les classes moyennes seraient délaissées. On pourra rétorquer, à raison, que les incitations à l’investissement locatif sont à destination des classes moyennes, pour produire du logement accessible. En effet, mais en termes d’équilibre immédiat des budgets, les dépenses fiscales ne profitent pas directement à ces classes moyennes. En coupe, l’image d’une classe moyenne défavorisée par les politiques publiques est aisée à mettre en lumière. Dans une perspective longitudinale, la conclusion est bien moins évidente. L’agrégation de l’ensemble des dépenses publiques, (3) Étude Crédit Foncier « L’accession sociale à la propriété », octobre 2015. sur le cycle de vie, permet de contester avec de solides arguments l’idée d’un État social qui se détournerait des classes moyennes. Il n’en reste pas moins, en matière de logement, des virages assez nets. Ce constat, issu de l’observation de la distribution des revenus des locataires HLM, est également à nuancer s’agissant des politiques publiques d’accession à la propriété. Succédant au prêt à l’accession à la propriété (PAP), le prêt à l’accession sociale (PAS), lancé en 1993, et le prêt à taux zéro (PTZ), lancé en 1995, s’adressent majoritairement aux classes moyennes. Ces deux produits ont ainsi permis en 2014 (3) à plus de quatre ménages sur dix de devenir propriétaires primo-accédants dans le neuf. 4.4 / CONCLUSION L a situation et les évolutions des classes moyennes dépendent, on l’a vu, largement de la définition et, plus précisément, de la circonférence que l’on donne à cette catégorie de population. Au terme de ce parcours dans l’univers hétérogène des classes moyennes, le tout sous un déluge de données, qui seront à actualiser à partir des résultats récents de l’enquête « Logement » de l’Insee (2013), que retenir ? Comment résumer les tendances contemporaines affectant les classes moyennes en France ? Pour être mnémotechnique, on propose une synthèse en quatre « e ». EFFRITEMENT Les classes moyennes ne constituent pas une unité sociologique. Dans toutes les approches, on observe des tendances contrastées, voire opposées. Le constat n’est pas inédit. Il pouvait même être avancé il y a des décennies. Il est aujourd’hui établi. Les classes moyennes supérieures se rapprochent des catégories les plus favorisées ; les classes 50 moyennes inférieures des catégories les plus défavorisées. Les premières se « boboïsent » (expression récente, qui insiste d’ailleurs sur le côté bourgeois de la catégorie). Les secondes se prolétarisent (expression ancienne). Le mouvement n’a rien d’implacable ni d’inéluctable – comme Marx le prédisait. Mais il y a bien polarisation. ÉCRASEMENT Au-delà de la dynamique d’effritement que connaissent les classes moyennes, les catégories centrales de la distribution des revenus et des positions sociales sont objectivement desservies par un système français de transferts à la fois plus ciblé sur les plus démunis (prestations d’assistance) et favorable aux plus aisés (niches fiscales). Certes, l’assise universelle du système continue à promouvoir et maintenir les classes moyennes. Mais une partie de leur sentiment de déclassement relatif est fonction du ressentiment à l’égard de mécanismes socio-fiscaux auxquels elles contribuent mais dont elles peuvent estimer ne plus être la priorité. ÉTALEMENT Géographiquement, il n’est pas aisé de dégager les particularités des territoires sur lesquels se trouvent les classes moyennes. Comme pour la pauvreté, la richesse ou la question de la mixité sociale, il faudrait d’abord choisir une échelle d’observation et des définitions stables. Pour autant, les tendances existent, sans être forcément quantifiables dans le détail. Les bobos des classes moyennes supérieures (voire très supérieures) participent au mouvement d’embourgeoisement de quartiers qui deviennent prisés. Les ménages précarisés des classes moyennes inférieures (pas nécessairement si inférieures que cela) sont conduits à s’établir à l’écart des quartiers qu’ils valorisent. Soit les coûts leur sont devenus insupportables, soit les modes et conditions de vie leur sont devenus intolérables. En quête d’un environnement plus sécurisant et pesant moins sur leur budget, les classes moyennes (accompagnées de ménages plus aisés disposant de résidences secondaires et de ménages moins aisés encore davantage contraints) alimentent l’étalement urbain à la française. Elles ne constituent pas seules la périphérie de grandes métropoles mais leurs trajectoires résidentielles nourrissent le phénomène. ÉMIETTEMENT Plus qu’effritement social et étalement géographique, les classes moyennes vivent un émiettement de la catégorie et un émiettement de leur positionnement sur le territoire. Sans en ressortir totalement en miettes – car la variable revenus permet toujours de distinguer des positions centrales –, les classes moyennes occupent une place centrale sur l’agenda politique des premières décennies du XXIe siècle. Mais elles n’ont certainement plus ni la consistance ni la cohérence qu’elles ont pu avoir. Il est d’ailleurs significatif que toutes les formations politiques – sauf l’extrême gauche – s’en réclament et se posent en porte-parole. Tout le monde cherche à défendre ce qui est favorablement connoté et ce à quoi s’identifient très majoritairement les personnes vivant en France. Ni mythe, ni mirage, ni miettes du passé, les classes moyennes sont dispersées et fractionnées. Pour prendre deux « e » supplémentaires et conclure : l’incontestable écartèlement des classes moyennes françaises ne vaut pas effacement. Au contraire. Elles sont, plus que jamais, un sujet central. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 LE " OUI " CELUI QUI DONNE VIE À VOTRE PROJET IMMOBILIER. Avec le Crédit Foncier, votre rêve devient enfin réalité. Parlons-en ensemble. creditfoncier.fr Crédit Foncier de France – S.A. au capital de 1 331 400 718,80 € - RCS PARIS 542 029 848 - Siège social : 19, rue des Capucines, 75001 Paris – Bureaux et Correspondances : 4, quai de Bercy – 94224 Charenton Cedex. Intermédiaire d’assurance inscrit à l’ORIAS sous le N° 07 023 327. L’emprunteur dispose d’un délai de réflexion de dix jours, la vente est subordonnée à l’obtention du prêt et si celui-ci n’est pas obtenu, le vendeur doit lui rembourser les sommes versées. Sous réserve d’acceptation du dossier par le Crédit Foncier. 52 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 n° 92 53 IMMOBILIER RÉSIDENTIEL L’IMMOBILIER DE PLACEMENT DANS LA GESTION DES ACTIFS DES ORGANISMES D’ASSURANCE Par Jean-Baptiste Schoutteten et Arthur Chabrol, associés EY France. 54 5 L’IMMOBILIER DE PLACEMENT DANS LA GESTION DES ACTIFS DES ORGANISMES D’ASSURANCES Par Jean-Baptiste Schoutteten et Arthur Chabrol, associés EY France. 5.1 / INTRODUCTION L ’allocation d’actifs des organismes d’assurances est le résultat d’une complexe optimisation sous contraintes. La proportion de chacune des classes d’actifs dépend ainsi fondamentalement de l’appétit et de la tolérance pour le risque de ces derniers, tout en tenant compte aussi des enjeux réglementaires et comptables dans un environnement devenu multinormes (local GAAP, IFRS). À ces enjeux stratégiques peuvent s’ajouter des aspects plus tactiques liés aux anticipations de marché par les acteurs. L’immobilier de placement (par opposition, ici, à l’immobilier d’exploitation) n’échappe pas à ces règles : sa proportion dans les allocations d’actifs des organismes d’assurances résulte bien de cette double analyse stratégique et tactique. Jusqu’au tournant des années 2010, la part de l’immobilier dans le bilan des organismes a nettement diminué (1). Citons ici quelques raisons. ◗Les différents coûts intermédiaires pesant sur le rendement final de l’investissement immobilier : coûts de transaction, coûts de maintenance et aussi coût du levier pour les achats réalisés par un recours à l’endettement. ◗ La crise immobilière des années 1990 a laissé à certains de douloureux souvenirs. C’est souvent grâce au soutien public, que les organismes les plus touchés ont pu traverser cet épisode. ◗ La composition historique concentrée des portefeuilles immobiliers des assureurs autour d’actifs résidentiels à faible rendement courant et d’immeubles parisiens de bureaux situés dans un périmètre géographique très restreint. (1) Voir notamment les enquêtes annuelles IPD pour le marché français concernant les investissements immobiliers des organismes d’assurances. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 55 immobilier résidentiel DANS L’ENVIRONNEMENT FINANCIER ACTUEL, L’IMMOBILIER CONTINUE D’OFFRIR DES PRIMES DE RISQUE RELATIVEMENT ATTRACTIVES ET DES RECORDS EN TERMES D’INVESTISSEMENTS. La période actuelle semble marquée par un retournement de tendance. À titre d’exemple, la part de l’immobilier dans l’allocation d’actifs des assureurs en Allemagne est passée de 6,1 % à 7,6 % en valeur de marché entre fin 2011 et fin 2015 (2). L’ambition de cet article est d’en comprendre les raisons. Nous reviendrons d’abord sur les grandes tendances de marché en analysant le point de vue des investisseurs au travers des dernières enquêtes réalisées par les équipes EY en France et en Europe. Nous évoquerons ensuite les caractéristiques propres de la classe d’actifs pour un organisme d’assurances. La mutualisation des investissements via des fonds (OPPCI, notamment) et la mise en place de nouvelles régulations (AIFMD, principalement) ont permis de mieux encadrer les risques et de faciliter une commercialisation paneuropéenne des véhicules immobiliers. L’entrée en vigueur de la directive Solvabilité II au 1er janvier 2016 complète les réglementations. Au-delà du pilier 1 de cette directive qui calibre le besoin en capital associé à chaque typologie d’investissement immobilier, elle devrait donner lieu à la formalisation des politiques d’investissement et de gestion des risques immobiliers ainsi qu’à l’émergence de nouveaux reportings standard, ce qui consolidera le nouvel appétit des assureurs pour la classe d’actifs. 5.2 / TENDANCES 2016 EN MATIÈRE D’INVESTISSEMENTS IMMOBILIERS PAR LES ORGANISMES D’ASSURANCES DANS LES ENQUÊTES EY RÉALISÉES RÉCEMMENT, LES INVESTISSEURS ANTICIPENT UNE CROISSANCE DURABLEMENT MOLLE… Les analyses qui conduisent au diagnostic de « croissance molle » actuelle s’appuient sur des critères qui ne captent plus l’ensemble de la chaîne de création de valeur, dans un environnement où la croissance est à la fois moins capitalistique et moins liée à des investissements industriels lourds. En effet, les secteurs de la nouvelle économie qui créent de la valeur, aujourd’hui, ne pouvaient faire l’objet de ce type de mesures il y a dix ans. Dans le secteur de l’immobilier, la corrélation a toujours été évidente, à court terme, entre croissance et investissement en immobilier tertiaire. Toutefois, on observe une décorrélation entre la croissance qui reste faible et atone, d’une part, et le marché immobilier qui semble bien se porter, d’autre part. Les investisseurs se montrent ainsi confiants, estimant que l’économie pourrait continuer à fonctionner correctement dans la mesure où serait intégrée non plus la seule croissance physique, mais le niveau global de l’activité économique. … ET S’INTERROGENT QUANT À LA SOUTENABILITÉ DES VOLUMES RECORD D’INVESTISSEMENT DANS UN CONTEXTE DE LIQUIDITÉS ABONDANTES Dans l’environnement financier actuel, l’immobilier continue d’offrir des primes de risque relativement attractives et d’atteindre des records en termes d’investissements. Nous aborderons, dans la deuxième partie, les caractéristiques et les atouts de la classe d’actifs dans une allocation de long terme pour les organismes d’assurances. Si la surabondance de liquidités (2) Voir l’étude annuelle EY Allemagne sur les tendances en investissement immobilier réalisée auprès des assureurs allemands. 56 l’immobilier de placement dans la gestion des actifs des organismes d’assurance trouve à s’investir dans des actifs affichant des prix toujours plus élevés, les utilisateurs ne sont pas prêts pour autant à augmenter leur loyer. Un paradoxe qui soulève des questions chez les investisseurs quant à la soutenabilité de ce schéma, où les trajectoires du marché de l’investissement et du marché locatif sont de moins en moins corrélées. Cette dichotomie entre le marché locatif et le marché de l’investissement avait déjà été observée en 2002. Le phénomène nouveau consiste en une forte pression de la liquidité : les montants de collecte atteignent des records. Toutefois, les acteurs du marché s’accordent à dire que la situation est loin d’être aussi inquiétante qu’en 2007, lorsque la prime de risque était négative. Figure 1. Rendements comparés (en %) (Source : EY.) 9 8 7 6 6,5 6,3 6,070 6,0 49 4 62 5,5 5 48 49 3,8 3,75 3,25 3 2 1,7 1,5 –1 0,3 1995 2000 2005 Inflation OAT 10 ans 2010 INNOVATION, PRISE DE RISQUE, DIVERSIFICATION : TROIS LEVIERS RÉMUNÉRATEURS IDENTIFIÉS PAR LES INVESTISSEURS Si les investisseurs estiment que le mouvement en faveur du marché de l’investissement immobilier ne devrait pas s’éteindre à court terme et que la prime de risque sur l’immobilier demeurera intéressante tant que les taux d’intérêt seront très bas, ils déclarent toutefois qu’il faut s’attendre à une remontée des taux de capitalisation rapide si l’afflux de liquidités devait repartir vers d’autres classes d’actifs. Certains soulèvent même le paradoxe selon lequel le marché est gonflé par des gestionnaires d’actifs contraints d’investir par le volume massif de leur collecte, ce qui oblige actuellement les investisseurs à arbitrer entre une démarche opportuniste et la nécessité d’investir des sommes déterminées. La situation peut donc sembler paradoxale : les flux sont sécurisés, mais le risque en capital devient important, au vu de l’évolution des prix, alors que les loyers prime, pour les bureaux, sont au même niveau qu’en 1990. 1,1 1 0 s’engager. La part de l’allocation d’actifs dans l’immobilier est ainsi remontée assez nettement au cours des dernières années. 2014 2015 Spread inflation/OAT Prime Yield L’attractivité des rendements immobiliers actuels voit ainsi la présence de certains acteurs se renforcer, en particulier les organismes d’assurances (et/ou leurs gestionnaires d’actifs), qui poursuivent leur stratégie de diversification. Ces organismes font preuve d’un appétit sur la classe des actifs immobiliers prime qui ne devrait pas se tarir, même à des prix déjà élevés. Au niveau international, la masse monétaire, qui n’a cessé de gonfler, ces dernières années, doit en effet trouver des produits sustainable (3) sur lesquels Bureaux, commerces, santé, hôtellerie, logistique : certains investisseurs déplorent une tendance à l’homogénéisation des taux dans toutes ces classes d’actifs. Il est donc, aux yeux des acteurs du secteur immobilier, plus difficile que par le passé de réaliser des performances exceptionnelles dans un marché plus difficile à décoder. Les entreprises qui ont innové en écoutant le désir des clients connaissent le succès. Les projets les plus porteurs puisent donc leur valeur dans la prise de risque, l’innovation et la diversification ; en témoigne l’appétence des investisseurs pour les produits mixtes, notamment. Le segment du logement apparaît aussi dans les enquêtes EY comme un secteur à nouveau porteur : le nombre de clients augmente, ceux-ci (3) Des produits rentables et pérennes. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 57 immobilier résidentiel ayant été « resolvabilisés » par la baisse des taux d’intérêt et l’augmentation de la durée des prêts. S’y ajoute un phénomène de sortie d’épargne, du fait de la baisse du taux de rémunération du Livret A. Malgré une tendance sur 2015 à la baisse, les fondamentaux du secteur paraissent, ainsi, toujours solides. 5.3 / POURQUOI L’IMMOBILIER DANS UNE ALLOCATION STRATÉGIQUE ASSURANCE ? EN PREMIÈRE APPROCHE : DES RENDEMENTS HISTORIQUES ÉLEVÉS ET UNE VOLATILITÉ QUI SEMBLE RÉDUITE… Sur la base des données IPD, la performance annuelle 2015 des investissements immobiliers directs de placement s’est élevée à 9 %. Sur une plus longue période (4), en retenant par exemple les dix dernières années, la performance annuelle moyenne de l’immobilier atteint 8 %, contre 4,1 % pour les actions cotées, 5,7 % pour les obligations et 1,4 % pour l’inflation. Toutes les catégories d’actifs immobiliers affichent des performances élevées sur cette même période. Tableau 1. Rendements immobiliers IPD (Source : IPD 2016.) Catégorie immobilière Rendement annualisé 10 ans vu à fin 2015 Commerces 9,8 % Bureaux 7,6 % Logistique/activités 6,8 % Résidentiel 7,4 % Autres 9,4 % Moyenne 8 % Elles restent élevées et proches sur des horizons de trois ou cinq ans, traduisant une volatilité historique assez réduite et une corrélation faible avec les autres classes d’actifs. … DANS LA RÉALITÉ : DES BIAIS STATISTIQUES QUI RENDENT LES RENDEMENTS IMMOBILIERS COMPLEXES À APPRÉHENDER De nombreux travaux académiques récents ont souligné la spécificité de l’immobilier lorsque l’on souhaite conduire une étude d’allocation stratégique sur une base historique. Les auteurs y relèvent précisément la faible disponibilité et les biais des indices immobiliers. On pourra évoquer, par exemple, les obstacles autour du processus d’expertise des biens permettant la construction des indices. Les expertises de détail étant extrêmement coûteuses (déplacement physique de l’expert, analyses locative et technique détaillées, etc.), elles sont généralement réalisées à une fréquence différente de celle de mise à jour de l’indice. Ce phénomène a pour conséquence un effet retard et l’apparition d’une forte autocorrélation dans les rendements de l’indice en introduisant un phénomène de lissage. Ce dernier est susceptible de réduire la volatilité et la corrélation avec les autres classes d’actifs. Les experts utilisent d’ailleurs des indicateurs retardés et les données dont ils disposent sur les transactions et expertises de biens « comparables ». Les indices basés sur les expertises restent donc souvent à la traîne des mouvements haussiers/baissiers du marché immobilier sous-jacent. Plusieurs solutions peuvent être mises en œuvre pour contourner partiellement les difficultés rappelées ci-dessus : utilisation des statistiques de transactions et non de valeurs d’expertise ou mise en place de techniques statistiques de délissage, etc. Toutes sont intéressantes mais butent à chaque fois sur les spécificités bien connues de cette classe d’actifs si particulière : existence d’échantillons représentatifs en l’absence d’un marché global, calibrage de la prime d’illiquidité, etc. (4) Voir la publication Indice annuel IPD de l’immobilier d’investissement en France, publiée en 2016. 58 l’immobilier de placement dans la gestion des actifs des organismes d’assurances AU TOTAL : LE SUCCÈS DE LA CLASSE D’ACTIFS REPOSE SUR SES CARACTÉRISTIQUES UNIQUES ET DIFFICILEMENT MODÉLISABLES Le nouvel intérêt des organismes d’assurances pour la classe d’actifs est donc lié à autre chose que son strict historique de rendement ajusté du risque. Nous reviendrons par la suite dans le détail sur les conséquences positives du nouveau cadre réglementaire autour de la directive Solvabilité II. En s’attardant un instant sur les caractéristiques financières de l’investissement immobilier, il ressort surtout que l’immobilier offre aux investisseurs une exposition instantanée à plusieurs classes d’actifs. ◗ Taux d’intérêt. ◗ Risque de contrepartie (locataire entreprise ou locataire particulier dans le cadre du résidentiel). ◗ Risque d’inflation via la revalorisation du loyer au numérateur. ◗ Risques optionnels liés à la faculté du locataire de résilier son bail ou à celle du propriétaire de changer de locataire au terme de ce dernier. À bien y regarder, seules les obligations convertibles offrent une telle diversification « tout en un » à l’investisseur ! 5.4 / ENJEUX ET IMPACTS DE LA DIRECTIVE SOLVABILITÉ II ENTRÉE EN VIGUEUR LE 1ER JANVIER 2016 S olvabilité II est une réforme européenne de la réglementation prudentielle s’appliquant au secteur de l’assurance. Elle est entrée en vigueur au 1er janvier 2016. Dans la lignée de Bâle II pour les banques, son objectif est d’encourager les organismes à mieux connaître et à évaluer leurs risques, notamment en adaptant les exigences réglementaires aux risques que les entreprises encourent dans leur activité. Les exigences sont structurées en trois piliers. ◗ Premier pilier : les exigences quantitatives, en particulier en matière de fonds propres et de calcul des provisions techniques. ◗ Deuxième pilier : les exigences en matière d’organisation et de gouvernance des risques. ◗ Troisième pilier : les exigences en matière d’informations prudentielles et de publication. Cette réforme introduit des modifications profondes : Solvabilité II a été conçue pour reposer sur des principes (principle-based) plutôt que sur des règles (rule-based). Elle vise à instaurer une concurrence équitable (level playing field), l’harmonisation des principes et des pratiques de contrôle, la mise en place d’un reporting européen unifié, et à instaurer des normes prudentielles prenant en compte l’ensemble des risques (selon une risk-based approach et le principe de proportionnalité). Quels sont les principaux enjeux et impacts pour l’immobilier ? INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET EXIGENCES EN CAPITAL : PILIER 1 Dans le cadre du premier pilier, le principe retenu pour la formule standard est simple : le capital est calibré pour correspondre aux fonds propres nécessaires à l’assureur pour faire face à ses engagements à un horizon d’un an avec un intervalle de confiance de 99,5 %. Le besoin en capital du module « risque de marché » est calculé à partir des six principaux sous-modules correspondant aux facteurs de risque de marché identifiés (taux, actions, immobilier, crédit, concentration, change). À chacun de ces modules correspond un choc (un ou plusieurs scénarios) qui est appliqué à la fois aux actifs et aux passifs de l’institution concernée. Dans le cas d’une détention via des fonds d’investissement (OPCVM ou OPCI, par exemple), la directive favorise enfin le recours à une approche par transparence du calcul du besoin en capital. L’analyse du SCR se fera ainsi sur chacune des lignes présentes à l’actif du fonds. Les organismes d’assurances sont invités à appliquer un choc standard de 25 % sur leurs actifs immobiliers. La nature de ces derniers n’est pas détaillée dans les textes mais les organismes ont peu à peu affiné leurs approches en veillant à considérer le plus finement possible la diversité de leurs actifs immobiliers et les différents risques correspondants. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 Tableau 2. Bifurcation des placements immobiliers (Source : EY.) Actifs Besoin en capital Type 1 : actions cotées sur des marché réglementés dans des pays de l’OCDE ou de l’EEE, fonds d’investissement européen de long terme, fonds d’entrepreneuriat social, AIF fermé établi ou commercialisé dans l’Union européenne (sans effet de levier). Actions – Clause de grand-fathering applicable. – 22 % si achetées avant 2016. Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023. –3 9 % si achetées après 2016. Type 2 : actions cotées dans un pays non-membre de l’OCDE ou de l’EEE, actions non listées, fonds alternatifs. 49 % – Actions détenues en face d’engagement de retraite. – Participations stratégiques. 22 % Obligations gouvernementales : SCR taux. De 0 % à 20 % en fonction de la maturité et de la duration. Obligations corporate et titres de créance : SCR spread majoritairement et SCR taux (en cas de titres à taux). En fonction de la maturité de la duration, de la qualité de crédit des émetteurs, de la présence de dérivé de crédit et de la présence de collatéral. Immobilier Immobilier d’exploitation et immobilier de placement. 25 % Titrisation Type 1 : actifs notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 % 3 % cotés sur un marché réglementé dans des pays de l’OCDE. Obligations / titres de créance { Type 2 : ce qui n’est pas de type 1. Si AAA Sinon Duration modifiée x bi* Notation AAA AA A BBB BB B CCC et moins x bi* 12,5 % 13,4 % 16,6 % 19,7 % 82 % 100 % 100 % Types d’investissement en immobilier Actifs Besoin en capital pe 1 : actions cotées sur des marché réglementés dans des pays ’OCDE ou de l’EEE, fonds d’investissement européens ong terme, fonds d’entreprenariat social, AIF fermé établi commercialisé dans l’union européenne (sans effet de levier) – Clause de « grand-fathering » applicable –2 2 % si achetées avant 2016 Convergence de 22 % à 39 %, de 2016 à 2023 –3 9 % si achetées après 2016 pe 2 : actions cotées dans un pays non membre de l’OCDE de l’EEE, actions non listées, fonds alternatifs Actions cotées et non cotées de foncières 49 % ctions détenues en face d’engagement de retraite articipations stratégiques 22 % igations gouvernementales: SCR Taux De 0 % à 20 % en fonction de la maturité et de la duration igations Corporate et titres de créances : SCR spread oritairement et SCR taux (en cas de titres à taux) En fonction de la maturité, de la duration, de la qualité de crédit des émetteurs, de la présence de dérivé de crédit et de la présence de collatéral mobilier d’exploitation et immobilier de placement 25 % { pe 1 : actifs notés BBB ou mieux, pas de tranches subordonnées, Duration modifiée x 2,1 % 3 % és sur un marché réglementé dans des pays de l’OCDE pe 2 : Ce qui n’est pas du type 1 otation 59 immobilier résidentiel Si AAA Sinon Obligations hypothécaires, dette hypothécaire commerciale Immobilier : direct, sociétés (SCI) et fonds (OPCI) Duration modifiée x bi* AAA AA A BBB BB B CCC et moins 12,5 % 13,4 % 16,6 % 19,7 % 82 % 100 % 100 % Mix (ex-OPCI) Ainsi : ◗ les actions de sociétés foncières seront traitées comme des instruments de capital et subiront un choc de 22 % s’il s’agit de participations, un choc de 39 % si elles font l’objet de cotations sur un marché réglementé de l’OCDE et de 49 % dans les autres cas ; ◗ les obligations et créances hypothécaires commerciales seront analysées au regard des risques de taux et de crédit ; il en résultera dans la plupart des cas un besoin en capital très nettement inférieur aux 25 % « par défaut » ; ◗ les fonds immobiliers (OPCI, notamment) feront l’objet d’une vision par transparence permettant de tenir compte des effets de diversification. Au-delà des exigences en capital, la directive impose aux organismes d’assurances la mise en place d’outils d’analyse, de pilotage et de suivi des risques liés aux investissements immobiliers. INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET PILOTAGE DES RISQUES : LE PILIER 2 DE SOLVABILITÉ II Les politiques de gestion des risques d’investissement en immobilier répondent ainsi au principe dit « de la personne prudente » en s’assurant que la gestion financière des placements est en adéquation avec le profil de risque de l’entreprise et ses besoins de liquidité. Elles s’inscrivent dans le dispositif général de contrôle et de maîtrise des risques d’investissement. Dans la pratique, elles couvriront les aspects suivants. 60 l’immobilier de placement dans la gestion des actifs des organismes d’assurances Tableau 3. Politique de gestion des risques (Source : EY, février 2016.) 5 PARTIES POUR LA POLITIQUE DE GESTION DES RISQUES IMMOBILIERS D’UN ASSUREUR EUROPÉEN 1. Objectifs/ comitologie 2. Périmètre 3. Critères d’investissement 4. Typologies de risques 5. Tableau de bord et suivi des risques Décliner la vision stratégique de l’assureur et la stratégie d’allocation d’actifs. Métiers concernées Ensemble des métiers et filiales du groupe de l’assureur susceptibles d’investir dans des actifs immobiliers. Ils vérifient la conformité de la politique et l’appliquent à chacune des transactions proposées. Inventaire des critères d’investissement à suivre et des limites quantitatives et qualitatives associées (pays, classe d’actifs, etc.). Inventaire des risques auxquels l’assureur est susceptible d’être exposé et des limites quantitatives et qualitatives associées. Élaboration d’un tableau de bord d’analyse et de présentation de la conformité avec la politique d’encadrement des risques. Définir les métiers en charge de l’élaboration, du contrôle, et de la validation de la politique de risque. Actifs concernés ◗ Fonds investi en immobilier. ◗ OPCI, SCPI, SCI, etc. INVESTISSEMENTS EN IMMOBILIER ET INFORMATIONS PRUDENTIELLES : PILIER 3 Le Pilier 3 de Solvabilité II, traitant de la communication financière au public et à l’autorité de contrôle, introduit le principe de discipline de marché. Les informations publiées doivent être précises et détaillées et prendre en compte la totalité de l’activité de l’assureur. L’ensemble des acteurs Y compris suivi de la délégation. européens soumis à Solvabilité II sont subordonnés aux mêmes types de modèles pour une meilleure transparence du marché et une comparabilité simplifiée entre les acteurs. Ces informations doivent être fournies périodiquement par le biais de deux types de documents, à transmettre par l’assureur. Tableau 4. Rapports et reportings (Source : EY, février 2016.) Rapports narratifs Reportings quantitatifs Ils donnent une vision descriptive de la politique prudentielle mise en place par l’assureur. Il s’agit de tableaux de bord dont les données ont été définies par l’EIOPA. FSCR RSR Document à destination du superviseur qui doit lui permettre d’effectuer son processus de revue de la solvabilité de l’assureur. Document à destination du public contenant les mêmes parties que le FSCR mais en moins détaillé. QRT Au nombre de 69, ils couvrent les principaux domaines d’activité d’un assureur : gestion d’actifs, provisions techniques, fonds propres, bilan, programme de réassurance, analyse de variations, etc. Au total, près de 5 000 données sont demandées, dont 25 % à fréquence trimestrielle, le reste étant à périodicité annuelle. Les QRT sur les actifs de placement (neuf tableaux au total) traitent de l’ensemble des actifs détenus pas les sociétés d’assurances, y compris les actifs immobiliers. Deux reportings, trimestriels, traitent des investissements en immobilier, non spécifiquement, en fonction de la nature de ces derniers. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 61 immobilier résidentiel Tableau 5. Focus QRT actifs (Source : EY, février 2016.) Investissements en immobilier Enjeux Volume Immobilier en direct Parts OPCI, SCI, SCPI, etc. CIC xx9x CIC xx45 S.06.02 – inventaire des actifs S.06.02 – inventaire des actifs Niveau de granularité de l’information – qualité des données Transparisation OPCI – qualité des données 15 colonnes à renseigner par ligne et par portefeuille. Caractéristiques de l’actif : identifiant interne, libellé, CIC, devise. Caractéristiques de la position : Données portefeuille, UC/FG, collatéral, méthode d’évaluation, prix d’acquisition, devise de la transaction, etc. 30 colonnes à renseigner par ligne et par portefeuille. Caractéristiques de l’actif : ISIN ou identifiant interne, libellé, CIC, devise, émetteur, secteur, groupe. Caractéristiques de la position : portefeuille, UC/FG, collatéral, quantité, dépositaire, méthode d’évaluation, prix d’acquisition, devise de la transaction, etc. Dans le cadre de Solvabilité II, les entreprises d’assurances et de réassurance doivent en outre respecter des délais serrés de remontée de l’information prudentielle et garantir le caractère approprié, l’exhaustivité et l’exactitude des données utilisées dans le calcul du risque et pour les besoins du reporting. Au global, on le constate, les enjeux de la directive pour l’immobilier apparaissent très forts au titre des trois piliers. Au-delà des difficultés indéniables de mise en œuvre, il en ressort un cadre d’investissement plus homogène et plus transparent pour les acteurs de l’investissement. 5.5 / CONCLUSION A près plusieurs années de repli, la part de l’immobilier dans l’allocation stratégique des organismes d’assurances est repartie à la hausse et la tendance reste plutôt favorable dans les enquêtes récentes. 6 colonnes à renseigner par ligne et par sous-jacent. Caractéristiques de l’actif : ISIN ou identifiant interne, catégorie de sous-jacents, pays d’émission des sous-jacents, devise, montant par sous-jacent. Les raisons sont de plusieurs ordres : ◗ la prise en compte des caractéristiques propres – et uniques – de la classe d’actifs en termes de rendement/risque ; ◗ la faiblesse relative du rendement des autres classes d’actifs à revenus fixes ; ◗ le nouvel appétit des acteurs pour la prime dite « d’illiquidité » qui caractérise l’immobilier, mais aussi la dette privée ou le private equity ; ◗ des réglementations – dont Solvabilité II – qui définissent mieux le cadre de l’investissement immobilier. Décriées pour leur complexité et parfois aussi leurs incohérences, ces nouvelles règles offrent cependant à l’immobilier un cadre d’investissement plus homogène pour les assureurs, ce qui leur laisse le loisir de déployer leurs stratégies de diversification. Le mouvement ne fait que commencer. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 91 n° 92 63 TECHNOLOGIES DIGITALES ET IMMOBILIER L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie, Professeur à Financia Business School, Chercheur associé au Larefi, Université de Bordeaux. 64 6 L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER Par Nicolas Tarnaud, Frics, Docteur en économie, Professeur à Financia Business School, Chercheur associé au Larefi, Université de Bordeaux. 6.1 / DÉFINITION D ans le Financial Times du 14 décembre 2014, Maurice Lévy, Président-directeur général de Publicis, fut le premier à parler officiellement d’ubérisation : « L’ubérisation, c’est l’idée qu’on se réveille soudainement en découvrant que son métier traditionnel a disparu ». Il convient donc de se familiariser, dès aujourd’hui, avec ce néologisme. Le mot ubérisation fait rêver, fantasmer ou inquiète. Il ne laisse personne indifférent, dans tous les cas. Essayons de définir ce terme utilisé régulièrement par les médias, le monde économique et la société civile. L’ubérisation est la désintermédiation ou dématérialisation de nombreux services. Rapidité, qualité et prix sont les principaux mots clés de l’ubérisation. L’économie collaborative doit aussi être associée à la définition de ce nouveau terme. L’ubérisation n’aurait jamais connu un tel essor sans l’arrivée d’Internet, des nouvelles technologies, de l’informatique et de la mondialisation. Comme le rappelle le professeur APRÈS TOUT, NOS GÈNES SONT DÉJÀ UN PROGRAMME INFORMATIQUE. STEVE JOBS, FONDATEUR D’APPLE. et sociologue Guy Rocher, « La mondialisation pourrait être définie comme l’extension à l’échelle mondiale d’enjeux qui étaient auparavant limités à des régions ou des nations ». Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz ajoute qu’« avec la mondialisation, nous sommes tous interdépendants ». L’ubérisation est récente, tandis que la mondialisation l’est beaucoup moins. L’ubérisation s’est parfaitement adaptée à la mondialisation de nos sociétés actuelles. Ouvrons le champ des possibles pour vérifier si l’ubérisation de l’immobilier est une réalité effective ou appelée à le devenir. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier 6.2 / UNE ÉCONOMIE MONDIALISÉE L es échanges commerciaux existent depuis longtemps et cette formule de Polybe (1) nous le confirme : « Avant, les événements qui se déroulaient dans le monde n’étaient pas liés entre eux. Depuis, ils sont tous dépendants les uns des autres ». La généralisation du libre-échange, la mise en place du Gatt en 1947 et la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) doperont les échanges commerciaux durant le XXe siècle. À chaque étape de la mondialisation, nous retrouvons les mêmes fondamentaux : révolution des transports et des moyens de communication. Jacques Adda (2) la définit comme « l’abolition de l’espace mondial sous l’emprise d’une généralisation du capitalisme, avec le démantèlement des frontières physiques et réglementaires ». LA MONDIALISATION FINANCIÈRE Ces trente dernières années, nos sociétés se sont financiarisées et mondialisées. Guy Marty (3) le résume parfaitement : « La puissance du financier est un phénomène radicalement nouveau à l’échelle planétaire. Mondialisation et financiarisation ne sont-elles pas relativement synonymes ? La nouveauté ne se situe pas dans la logique ou la sophistication financière, mais dans la souveraineté du point de vue financier. Des pans entiers de l’économie relèvent désormais d’un univers obéissant fidèlement aux canons de la théorie financière ». La mondialisation financière a engendré une mondialisation de flux : des flux de capitaux, de marchandises ou d’individus. Ces flux circulent à la vitesse de la lumière et représentent d’énormes enjeux économiques et financiers. Chaque jour, plus de 190 milliards de dollars de produits sont fabriqués et vendus dans le monde. La logistique et le transport occupent une place prépondérante dans cette chaîne de flux. L’actif immobilier n’est pas resté isolé. L’économie immobilière a pleinement profité de ces flux pour se développer et se valoriser. La valeur totale du parc immobilier (résidentiel et tertiaire) mondial ne dépasset-elle pas, aujourd’hui, les 200 000 milliards de dollars ? Qu’en sera-t-il demain avec le problème du vieillissement de la population et du financement des retraites dans les pays de l’OCDE ? La croissance des flux financiers et immobiliers n’est pas près de se stabiliser pour répondre à cette question. LA MONDIALISATION CULTURELLE ET COMMERCIALE Nous sommes face à un véritable paradoxe : l’épargne individuelle n’a jamais été aussi élevée dans les pays industrialisés tout comme la dette mondiale. Les stratégies financières visent la création de valeur à court terme. Elles doivent être permanentes et n’avoir aucune limite. La mondialisation ne concerne pas seulement les échanges de biens et de services mais favorise également les échanges de culture et de savoir comme le rappelle Joseph Stiglitz : « La mondialisation ne se limite pas à la libre circulation transfrontière des biens, des services et des capitaux. Elle accélère la circulation des idées ». (4) Les nouvelles technologies et l’arrivée d’internet à (très) haut débit ont accéléré ces phénomènes. La porte de la consommation s’est ouverte au monde entier et elle ne se refermera pas de sitôt (5) Nous sommes devenus des consommateurs à la fois mondiaux et locaux. Nous consommons à la fois des produits étrangers et nationaux. Nous pouvons, ainsi, commander un livre à l’autre bout de la planète et le recevoir le lendemain dans un « point relais » où l’on achète son pain. Poilane ne vend-il pas de plus en plus de pain en ligne ? Il n’est pas inconcevable qu’un jour, une majorité de produits puissent être livrés par des drones. Le commerce de demain sera connecté, avec des automates robotisés pour délivrer ses produits 24 h/24. Claude LéviStrauss a toujours affirmé que les échanges commerciaux et humains fonctionnaient parfaitement avant l’arrivée de (1) Né entre 210 et 202, à Megalopolis (Arcadie), en Grèce, dans le Péloponnèse – mort en 126 av. J.-C., général, homme d’État, historien et théoricien politique. (2) Jacques Adda, La Mondialisation de l’économie. Genèse et problèmes. Éditions La Découverte, 7e éd. 2006. (3) Guy Marty, directeur de l’IEIF, Financiarisation de l’immobilier : vers un nouvel équilibre, Constructif, Éditions Fédération Française du Bâtiment, mai 2002. (4) Joseph E. Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, Éditions Fayard, 2003 (p.15). (5) Durant les années 2011-2015, le poids de la consommation a représenté 55 % du produit intérieur brut pour la France et 70 % pour les États-Unis. 65 66 l’ubérisation de l’immobilier cette mondialisation : « Les contacts transcontinentaux entre les sociétés humaines n’ont attendu ni la mondialisation ni les grandes découvertes géographiques » (6). Depuis les années 90, nous sommes témoins de la financiarisation de l’immobilier. L’expression parle d’elle-même, comme le rappelle Guy Marty. (7) L’immobilier s’est financiarisé et mondialisé en quelques années, à la fin du XXe siècle. Si toutes les industries peuvent être ubérisées à des degrés divers, dans ces conditions, comment ne pas s’interroger : l’immobilier va-t-il s’ubériser ? Si oui, tous ses secteurs s’ubériseront-ils également ? LE MONDE DU COURT TERME La mondialisation a aussi permis une diffusion internationale du progrès technique dans des délais très courts. Hier, les échanges par courrier prenaient plusieurs jours. Envoyer une centaine de pages par fax prenait du temps. Aujourd’hui, quelques secondes suffisent pour transmettre un document même volumineux (audio, vidéo) à l’autre bout de la planète. La réduction du temps de transmission a entraîné une augmentation des travaux collaboratifs et de partage entre les citoyens du monde. Et il convient de rappeler l’importance du progrès technique dans la croissance. Notre rapport au temps a aussi évolué depuis une vingtaine d’années. « Le court terme peut s’appréhender par rapport au long terme. Les entreprises définissent généralement le long terme comme une période minimum de cinq ans ». (8) Cette définition peut évoluer selon les industries. « Les sociétés minières ou les entreprises de service public réalisent des infrastructures destinées à durer plusieurs décennies. Cinq ans est une période beaucoup trop courte, pour elles ». (9) D’autres industries comme l’informatique ont des cycles de vie de produits beaucoup plus courts. Dans ce contexte de mondialisation, plus que jamais, le client est roi. Ses attentes n’ont jamais été aussi élevées, immédiates et volatiles. Le consommateur du XXIe siècle est devenu hyperconnecté et fonctionne en réseaux. Des réseaux qui ne dorment jamais et qui font le tour du monde en quelques secondes. Notre relation au temps a donc considérablement changé : « La vraie accélération date donc du milieu du XIXe siècle, avec l’avènement de la technologie. En une poignée de générations, la vitesse a bouleversé l’existence de chacun de nous, ainsi que la physionomie de la planète. Elle l’a fait si rapidement que nous tardons encore à en mesurer les conséquences ». (10) La gestion du temps sera déterminante face aux défis technologiques de demain. Court et long termes devront s’arbitrer subtilement. Gillian Lees et Roger Malone (11) montrent l’importance de la bonne relation entre le court et le long termes : « La clé du succès est de s’interroger de façon créative sur les difficultés à concilier les objectifs à court et à long termes ». (12) UN MONDE D’ALGORITHMES Tout est instantané et immédiat. Les serveurs traitent des milliards de données en quelques secondes grâce aux progrès de l’informatique. Lorsque l’on fait une requête sur un site immobilier tel que Trulia.com ou Zillow.com, c’est grâce aux algorithmes que les résultats des annonces arrivent en quelques secondes. Les algorithmes sont réellement partie intégrante de la révolution numérique, comme le souligne David Monniaux : « Un algorithme est une succession d’actions systématiques visant, étape par étape, à la résolution d’un problème ou à l’obtention d’un résultat. Un peu comme une recette de cuisine. Un exemple simple : une méthode pour (6) Claude Lévi-Strauss et l’aménagement des territoires, Françoise Choay, Urbanisme, n° 365, mars-avril 2009 (p.82). (7) Guy Marty, directeur de l’IEIF. Financiarisation de l’immobilier : vers un nouvel équilibre, Constructif. Mai 2002. (8) The Aspen Institute. 2007. Long-term value creation: Guiding principles for corporations and investors. (9) Friedman, Y., & Segev, E. 1976. Horizons for strategic planning. Long Range Planning, 9 (5) : p.84-89. (10) Jean-Louis Servan-Schreiber. Trop vite. Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme. Éditions Albin Michel, 2010 (p.18). (11) Gillian Lees et Roger, membres de la Chartered Institute of Management Accountants, Une réflexion à long terme dans un monde à court terme, Réseau entreprise et développement durable. Février 2015. (12) Chartered institute of management accountants, 2011. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier trier un jeu de cartes dans un ordre croissant ou décroissant ». (13) PageRank, n’est-il pas l’algorithme de Google le plus utilisé au monde ? Lorsque l’on rentre le terme « immobilier » sur google.fr, le moteur de recherche fait ressortir 163 millions de résultats en moins d’une seconde. Nous sommes plus que jamais dans l’ère des algorithmes et du big data. (14) Chaque minute, plus de 350 000 tweets sont échangés, 15 millions de SMS envoyés, 200 millions de mails diffusés, 300 heures de vidéos sont postées sur YouTube et des teraoctets d’informations sont archivées sur les serveurs de Facebook. Chaque jour, nous générons 2,5 trillions d’octets de données. 90 % de ces données ont été créées durant ces deux dernières années. Ces « data » proviennent aussi bien de vidéos, de photos, de messages que d’achats en ligne. Celles-ci seront de plus en plus présentes dans tous les secteurs d’activité, y compris l’immobilier. Ce dernier n’a pas échappé à cette vague technologique. Demain, nous communiquerons avec notre agent immobilier en direct via la vidéo de notre smartphone. 6.3 / UNE ÉCONOMIE COLLABORATIVE N icolas Bouzou et Christophe Marquès, économistes du cabinet Asterès, ont publié en juin 2013 une étude traitant de la mutation du secteur hôtelier : « L’économie collaborative repose sur le prêt, le don, l’échange, la location et la vente de biens d’occasion ». Pourquoi acheter un bien immobilier ou une voiture, quand on peut les louer ou les partager ? En milieu urbain, on loue, on échange, on troque. Cela concerne les objets, les transports, le logement comme le crédit. L’immeuble de bureaux ne sera pas épargné même s’il n’est pas aussi mobile que les individus ou les objets. L’immobilier est à la fois un bien de consommation (on l’utilise) et un bien durable, « un actif ». Dans cette nouvelle économie, nous sommes en réalité locataires (utilisateurs) de tout et propriétaires de rien. L’usage d’un bien prime sur sa propriété. Près de 50 % des Français considèrent l’acquisition d’une maison de vacances comme inutile. (15) La mutualisation concerne dorénavant tout actif immobilier. Un immeuble aura davantage d’usages et de destinations qu’aujourd’hui. Les mètres carrés de bureaux ou de logements peuvent-ils se partager facilement ? Les locaux d’entreprise peuvent-ils s’ouvrir à d’autres usages ? Nous aurons toujours besoin d’immeubles de bureaux dans 10, 20 ou 30 ans. Les entreprises auront des besoins différents. Le législateur devra modifier les règles juridiques afin que ces immeubles connectés, innovants, modulables et flexibles puissent se louer dans les meilleures conditions. Les baux 3/6/9 (avec des baux fermes pour les immeubles prime) paraissent une éternité et semblent inadaptés pour (13) Chercheur au CNRS. Les Echos du 10 mai 2016. (14) Cette expression signifie méga-données ou grosses données. Il n’existe aucune définition précise ou universelle pour définir le big data. Les usagers comme les fournisseur de services donnent chacun la sienne. (15) Enquête réalisée par Ipsos sur un échantillon de 1 004 personnes représentatives de la population française âgées de 18 ans et plus en octobre 2015. 67 68 l’ubérisation de l’immobilier des entreprises qui ont du mal à évaluer leurs besoins immobiliers à moyen terme. Une start-up à succès peut avoir besoin d’augmenter sa surface locative à un moment donné. Soit elle reste dans l’immeuble, soit elle déménage rapidement. Dans la configuration actuelle, si elle ne dispose pas d’un bail précaire, elle devra attendre la fin de celui-ci pour partir sans pénalités. Les entreprises d’aujourd’hui vont consommer des mètres carrés différemment de celles d’hier. Les parcs logistiques en Europe ne sont-ils pas utilisés à moins de 40 % de leur capacité ? Il y a donc un réservoir de croissance dans la digitalisation de l’entrepôt de demain. De nombreuses activités auront besoin davantage de technologie que de stockage. Elles attendent du bailleur souplesse et flexibilité accrues en raison de l’innovation ou de volumes d’activité fluctuants. Nous nous dirigeons vers des immeubles partagés, mutualisés, avec des services externalisés et ubérisés. Un acteur comme BureauFlexible.fr met en relation des professionnels qui cherchent ou proposent des bureaux en contrat de prestations de services. Les bailleurs comme les utilisateurs bénéficient pleinement de cette nouvelle flexibilité de l’immobilier tertiaire. Par ailleurs, de nombreux bailleurs privés et sociaux disposent de places vacantes de parking alors qu’il n’a jamais été aussi difficile de se garer à Paris. Des acteurs comme YesPark ou ZenPark se sont lancés sur le créneau du parking partagé. Concernant l’économie du partage, Clara Gaymard (16) affirmait : « On a vécu dans un monde où celui qui savait, avait le pouvoir de dire “I know, I can”. Aujourd’hui, on est dans un monde où c’est celui qui partage qui a le pouvoir “I share, I can” ». Selon une étude de PwC, le chiffre d’affaires de l’économie collaborative à l’échelle mondiale pourrait représenter 335 milliards de dollars à l’horizon 2025. (17) L’économie collaborative va continuer de modifier la chaîne immobilière d’ici cette date. 6.4 / L’UBÉRISATION DE L’ÉCONOMIE L ’ubérisation de l’économie est une bonne nouvelle pour les uns et une mauvaise pour les autres. C’est une formidable opportunité pour tous les acteurs de la nouvelle économie, qui vont profiter des dernières technologies pour concevoir, vendre des produits et des services à une clientèle parfaitement identifiée. Avec Internet, n’importe quel produit local peut bénéficier d’une visibilité internationale. Cette ubérisation peut aussi devenir un cauchemar pour certains réfractaires au changement et à l’évolution du monde moderne. Dans une interview au Financial Times du 14 décembre 2014, Maurice Lévy disait : « Tout le monde a peur de se faire ubériser » (18). Ne sommes-nous pas davantage dans un changement du modèle économique existant que dans une crise conjoncturelle longue et durable ? D’ici 2020, plus de 40 % des emplois existants auront disparu ou connaîtront une mutation. Cette mutation concernera aussi bien les cols bleus, les cols blancs, que les jeunes et les moins jeunes. Il est logique qu’un tel pourcentage fasse réagir aussi bien le monde professionnel, politique que la société civile. Cette transition est bien une réalité dans un monde devenu hyperconcurrentiel où les maîtres du monde ne s’appellent plus Kodak (qui avait pourtant déposé en 1978 le premier brevet d’un appareil numérique) ou Ford, mais les Gafa avec Google, Apple, Facebook, Amazon (19). Nous n’avons jamais connu aussi peu d’entreprises dominant ainsi financièrement et technologiquement le monde comme le démontrent Marc Dugain et Christophe Labbé : « Les Gafa – pour Google, Apple, Facebook (20) et Amazon, ont réussi à conquérir en une dizaine d’années l’ensemble du monde numérique. Ces sociétés du “septième continent”, comme on les appelle, sont la nouvelle incarnation de l’hyperpuissance américaine. (16) Présidente de General Electric (GE) France de 2006 à 2016. (17) http://pwc.blogs.com/files/sharing-economy-final_0814.pdf (18) Eveyone is starting to worry about being ubered. (19) Cent cinquante millions d’articles disponibles sur le site en 2016. (20) Facebook compte 1,6 milliard d’utilisateurs dans le monde, dont 30 millions en France. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier (…). En moins de quinze ans, l’Américain Google, rebaptisé Alphabet, est devenu la plus grosse entreprise du monde ». (21) Nous avons aussi les Natu avec Netflix, Airbnb, Tesla et Uber (22). Ces entreprises américaines ont ubérisé en quelques années de nombreux secteurs d’activité. Même le droit n’est pas épargné par la nouvelle économie numérique : « Sur le marché du droit, de nombreux acteurs proposent des solutions techniques et des services internet facilitant l’accès au droit ou référençant des prestations d’avocat à des prix inférieurs à ceux d’un cabinet d’avocats classique. Ces sites simplifient la vie des citoyens en leur permettant de saisir des tribunaux, d’éditer des actes juridiques, de choisir leur avocat et d’avoir accès à ces services à moindre coût. Il s’agit donc bien d’une “ubérisation du droit” ». (23) Ces entités de la nouvelle économie embauchent trois fois moins que l’industrie automobile alors qu’elles représentent, de nos jours, les plus grandes valorisations mondiales pour les Gafa. (24) Elles font parties des dix plus importantes capitalisations boursières américaines, aujourd’hui. Certains acteurs de l’ancienne économie finissent par s’adapter et réagissent avant qu’il ne soit trop tard tandis que d’autres disparaissent totalement : « Aucun secteur d’activité de l’ancienne économie n’est à l’abri d’une innovation technologique ou d’usage qui rendra obsolète le businessmodel des acteurs de ce secteur (…). La menace vient surtout d’ailleurs. Cette adaptation passe inévitablement par la prise en compte des nouvelles technologies, des nouveaux acteurs de l’économie numérique. Ce sont eux qui sont porteurs des innovations de rupture ». La combinaison entre la technologie et les nouveaux usages (co-sharing, desksharing, co-lending, crowdfunding) pourrait attirer de nouvelles entités dans le secteur de l’industrie immobilière. À cet égard, tous les métiers de l’intermédiation immobilière sont menacés par l’ubérisation de l’économie. Ainsi, la start-up HopShop met en relation les bailleurs et les preneurs afin de louer des boutiques éphémères aussi appelées « pop-up stores ». Cette formule, qui vient des États-Unis, permet à la fois au locataire de tester ses nouveaux produits avant de les commercialiser à plus grande échelle et au bailleur de réduire la vacance de son local. Même dans les centres commerciaux, les bailleurs intègrent de plus en plus de mètres carrés dédiés aux popup stores. 6.5 / LA MONDIALISATION DE L’IMMOBILIER L e grand enjeu de la globalisation financière est de fluidifier les transactions dans l’objectif d’intégrer les marchés financiers. Or, les actifs immobiliers sont par nature illiquides. Le ticket d’entrée exige des montants d’investissement et des coûts de transaction élevés. La financiarisation de l’immobilier a permis d’améliorer cette liquidité entre les investisseurs institutionnels internationaux. De nombreuses grandes entreprises immobilières ont engagé le virage numérique avec quelques années de retard, contrairement aux start-up innovantes et aux Gafa. Certaines structures ont pris du retard dans la communication virale de produits et de services de certaines entités publiques et privées comme le soulignent Denis Marquet et Edouard Rencker : « À l’ère numérique, 80 % des contenus publiés sur l’entreprise sont aujourd’hui produits par d’autres émetteurs qu’elle ». (25) Les entreprises traditionnelles doivent relever les défis suivants : se réinventer pour se différencier et rattraper le temps perdu en investissant dans l’innovation. Comme le rappelle le professeur et théoricien Peter Drucker : « Le meilleur moyen de prédire l’avenir, c’est de le créer ». (21) Marc Dugain et Christophe Labbé, L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Éditions Robert Laffont et Plon, 2016 (p.26-28). (22) La capitalisation boursière de Netflix était de 37 milliards de dollars le jeudi 12 mai 2016. Les entités Airbnb, Tesla et Uber ne sont pas encore cotées en Bourse. (23) Christiane Féral-Schuhl, propos recueillis par Michèle Battisti, Vers une ubérisation du droit ? I2D – Information, données et documents 2016/1 (volume 53), p. 9-10. (24) La valorisation cumulée que Google, Apple, Facebook et Amazon au Nasdaq représentait le jeudi 12 mai 2016 plus de 1 661 milliards de dollars de capitalisation. (25) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p.251). 69 70 l’ubérisation de l’immobilier LE DIGITAL EST UN MOYEN D’ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT COMMERCIAL DE L’IMMOBILIER GRÂCE À UNE OFFRE PERTINENTE TOUT EN RÉDUISANT LES COÛTS. peut produire des effets positifs auprès des collaborateurs comme des partenaires. Denis Marquet et Édouard Rencker rappellent l’importance de la communication numérique : « La communication de l’entreprise vaut aussi par son rôle de facilitateur. En interne, elle doit favoriser la transition vers l’économie numérique. La communication peut y contribuer en adoptant une démarche pédagogique, et même d’avant-garde dans l’utilisation des outils numériques : intranet communautaire, plates-formes collaboratives et conversationnelles, réseau social d’entreprise, etc. (…) ». LA TECHNOLOGIE DIGITALE DE L’IMMOBILIER Sans création, comment peut-on être performant dans une société concurrentielle ? Cette créativité doit se faire quotidiennement de manière transversale et collaborative. LE MONDE ET LA TECHNOLOGIE L’économiste Brian Arthur (26) définit « la technologie comme l’usage de phénomènes physiques pour remplir une fonction précise. Ainsi, la science nous apprend que certains matériaux peuvent être à la fois conducteurs et isolants ; la technologie qui en découle utilise cette propriété pour réaliser un transistor (…) qui permet de commander un courant pour un autre courant, puis un microprocesseur (…). La digitalisation va réduire des emplois tout en en créant d’autres ». Plus la transition technologique sera utile, plus l’impact sur l’emploi sera positif. Dans tous les cas, nous allons vivre la plus grande révolution du travail de tous les temps. Le digital connaît une courbe exponentielle mais n’offre pas des créations d’emplois comme l’a connu le secteur industriel durant le début du XXe siècle. La révolution technologique concerne tous types d’entreprises et d’organisations (publiques et privées). Quelle que soit la taille de l’entreprise, elle doit former ses collaborateurs au numérique en utilisant la technologie disponible. L’utilisation de celle-ci en interne de manière pertinente Les innovations technologiques vont continuer de s’inviter dans le secteur de l’immobilier. Les promoteurs bénéficieront demain d’une désintermédiation de l’accès au foncier. Le foncier deviendra ainsi une matière première davantage transparente et maîtrisable en termes d’offres, de prix et de réglementations. Cette nouvelle approche conférera une meilleure visibilité aux modèles économiques pour les promoteurs et les clients finaux. Les communes pourront ainsi visualiser l’ensemble de leur patrimoine foncier et l’arbitrer en fonction des données de marché et des droits à bâtir. Elles pourront, de fait, mieux gérer la réalisation de leur PLU et se projeter immédiatement dans le cadre de rachat de parcelles individuelles ou les regrouper. La technologie va toucher toute l’industrie immobilière comme le retail (commerce de détail) : « Le digital est l’avenir du retail. Pour preuve, certains pure players digitaux tel Zappos.com ou Amazon se lancent aujourd’hui dans l’ouverture de points de vente (complètement digitalisés, bien sûr). Le but poursuivi est de lever les freins culturels au changement, de favoriser le partage des connaissances et de l’information et de développer les usages collaboratifs pour accompagner la transformation digitale de l’entreprise » (27). Le digital est un moyen d’accélérer le développement commercial de l’immobilier grâce à une offre pertinente tout en réduisant les coûts. (26) Brian Arthur, The Nature of technology : what it is and how it evolves. (27) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, Éditions l’Archipel, 2016 (p.161-162, p.252-253). L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier L’AVENIR DE LA BOUTIQUE PHYSIQUE Face à une clientèle de plus en plus impatiente et exigeante quant à la qualité du service obtenue, le commerçant devra de plus en plus trouver le bon équilibre entre le monde digital et le commerce physique afin de maximiser son offre commerciale immédiate. Chaque enseigne adoptera des stratégies digitales différentes les unes des autres. Le « click and collect », par exemple, n’aura pas la même légitimité d’un magasin physique à un autre. Une majorité de centres commerciaux proposent de retirer les achats effectués sur internet directement dans le centre commercial. Les enseignes souhaitant être localisées dans les zones prime en centre-ville partageront de plus en plus leurs mètres carrés avec des marques non concurrentes. Cette stratégie permet d’optimiser les surfaces commerciales et de réduire le coût annuel immobilier. Ce dernier peut représenter le premier poste de dépenses pour les adresses commerciales les plus recherchées à Paris. De nombreux commerces ont disparu en France depuis la crise financière mondiale de 2008. Le réseau des pressings, en France, est par exemple passé de 12 000 à 5 000 boutiques. Avec la digitalisation de ce secteur, combien d’entre elles vont disparaître ou se créer ? Afin de résister à l’e-commerce, qui ne cesse de progresser en France (56,8 milliards d’euros de vente en 2014 selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance) (28), les boutiques de demain seront un mélange entre le contact physique et la dimension digitale. Nous allons vers une hybridation du numérique et du physique. Les pure players comme Spartoo, dans la chaussure, ont ouvert onze points de vente en dur en France, tandis que des acteurs comme le Printemps attendent beaucoup de leur développement digital. Grâce aux nombreux capteurs, les commerçants seront capables de savoir ce que les clients auront essayé, touché, reposé ou acheté : « À l’intérieur, des écrans permettent de découvrir le produit augmenté ou de personnaliser son achat par la combinaison des modèles et couleurs disponibles (…). Des vendeurs équipés de tablettes connectées aux produits peuvent dialoguer avec le client, qui peut lire les informations recherchées sur un écran mural. Et demain, pourquoi pas, la reconnaissance faciale des clients ? Elle fournirait au vendeur des informations sur ce client ». (29) Chez H&M Times Square, à New York, a été développé un studio photo dans la boutique, où les clients peuvent poser dans le décor de la campagne de publicité et se voir ensuite sur les écrans géants de la façade du magasin. (28) Fevad. (29) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 160). 71 72 l’ubérisation de l’immobilier Les consommateurs n’auront pas besoin d’aller en caisse mais paieront directement avec leur smartphone en scannant simplement l’étiquette. Les vitrines seront munies de capteurs et s’éclaireront durant leur passage, de jour comme de nuit. Elles seront équipées d’écrans interactifs et dynamiques fonctionnant 24 h/24. Les produits apparaîtront en fonction des paramètres suivants : morphologie, attentes, et profil socioéconomique. Les informations seront ensuite envoyées instantanément sur le smartphone du passant. Il sera alors possible de poser des questions pratiques au robot du site en direct. L’internaute pourra effectuer immédiatement des recommandations sur les différents réseaux sociaux. Ces réseaux sociaux, qui ont bouleversé notre manière de communiquer et d’échanger avec autrui sont utilisés par un Français sur trois et par un Anglo-saxon sur deux. Éric Schmidt mentionne que : « Les travaux réellement intéressants portent aujourd’hui sur la conception de robots sociaux capables de reconnaître les mouvements de l’homme et d’y répondre ». (30) Le commerçant enverra immédiatement des offres commerciales ciblées et limitées dans un temps très court afin de maximiser le taux de transformation avec des messages courts : « Profitez d’une baisse de 20 % du chemisier blanc que vous venez de voir en vitrine pendant les 30 prochaines minutes ! » Il y aura un bouton pour commander le produit convoité même si la boutique est encore fermée. La livraison pourra s’effectuer dans la journée sur le lieu de travail ou à domicile. Pour y parvenir, les enseignes doivent réduire les délais de préparation en informatique, dans les entrepôts comme dans l’optimisation des tournées de livraison. La mutation du monde du commerce est loin d’être terminée. Cette mutation est à la fois profonde et bien réelle : « L’avènement du monde numérique n’est pas synonyme de mort pour le magasin. Le retail n’est pas condamné. Bien sûr, certaines enseignes, pas des moindres, ont disparu, victimes d’internet. (…). D’autres sont aujourd’hui à l’agonie. Mais c’est parce qu’elles n’ont pas su se transformer à temps ». (31) Comme pour l’immobilier de bureau, le bail 3-6-9 ne sera plus l’unique benchmark pour fluidifier le marché des boutiques. 6.6 / LE COWORKING L e desksharing continue d’augmenter ses parts de marché dans toutes les grandes métropoles européennes et mondiales. Avec le wifi haut débit et le développement du cloud, les travailleurs nomades sont de plus en plus nombreux. Nous avons à Paris quelques sites emblématiques du co-working comme le Cargo dans le 19e arrondissement, la Cantine dans le 2e arrondissement et bientôt La Halle Freyssinet dans le 13e arrondissement. L’augmentation du nombre de télétravailleurs va avoir un impact sur l’utilisation des mètres carrés de bureaux, d’usines et des parcs logistiques. Le coworking devrait permettre, à terme, aux collaborateurs de passer moins de temps dans les transports individuels ou collectifs. Ainsi, un individu passant 3h par jour dans les transports individuels entre la Seine-et-Marne et son bureau à Boulogne-Billancourt passera plus de 28 jours consécutifs dans les transports (en soustrayant 5 semaines de congés payés et les jours de RTT). Selon Cédric Verpeaux : « En Île-de-France, à l’horizon 2025, sur la base des projections réalisées, le gain de temps de parcours par jour télétravaillé est estimé à 80 minutes pour un individu. 45 minutes gagnées seraient réinvesties dans le temps de travail, ce qui contribue mécaniquement à augmenter la production des salariés. L’absentéisme serait réduit à (30) Éric Schmidt et Jared Cohen, À nous d’écrire l’avenir. Comment les nouvelles technologies bouleversent le monde, éditions Denoël, 2013. Éric Schmidt est président exécutif d’Alphabet. (31) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 161). L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier 5,5 jours par an (pour une moyenne actuelle de 15 jours en secteur public et privé confondus) ». (32) Les investisseurs dans l’immobilier de bureau vont devoir intégrer cette nouvelle tendance du coworking. Ce n’est pas demain que tous les bailleurs des immeubles du triangle d’or vont modifier leur mode de commercialisation. L’approche hybride de l’immeuble de bureau commence à bien fonctionner à New York, San Francisco et Londres. En effet, dans un immeuble de bureaux, on pourra parfaitement voir plusieurs étages dédiés aux start-up et d’autres loués à des entreprises traditionnelles. La jeune entreprise new-yorkaise WeWork, créée en 2010, est en train de bouleverser les codes dans les grandes villes américaines et dans quelques villes européennes. Elle sera bientôt présente à Paris et à Bruxelles. Valorisée à 16 milliards de dollars, elle achète des étages entiers et les loue à des start-up, des PME ou des particuliers. Ces espaces de travail ou de bureaux privatifs peuvent se louer à la journée comme au mois. WeWork propose de nombreux services sur place comme l’assurance-santé, la banque, les services juridiques, le centre de fitness, la réservation de voyages, les community managers sur site, le service pressing, et l’open (32) Cédric Verpeaux, responsable du pôle « Villes et territoires intelligents » à la Caisse des Dépôts, interviewé dans la note de l’ORIE n° 33 de février 2015. 73 74 l’ubérisation de l’immobilier bar pour se détendre… D’autres concurrents comme Coliving.club, LiquidSpace.com ou Desksnear.me s’installent sur ce marché de la location flexible d’espaces de travail en proposant des services à la carte. Cette nouvelle flexibilité offrira à l’utilisateur une réduction de 20 à 35 % moins cher que pour un bureau classique à surface identique, et davantage de prestations proposées. 6.7 / LE COLIVING L a colocation a évolué, ces dernières années. Nous sommes passés de la colocation d’appartement pour étudiants à la colocation pour les personnes âgées. Face aux prix des loyers, de nombreux jeunes acceptent une colocation avec une personne âgée. En contrepartie d’un loyer faible, le jeune rend quelques services, comme faire les courses, le ménage ou donner des cours d’informatique. Par ailleurs, nous trouvons de plus en plus de colocations à destination des seniors actifs. Des sites comme EmbassyNetwork.com ou Coliving.org se sont spécialisés dans l’habitat collectif bien localisé au cœur des métropoles urbaines comme San Francisco. Ces nouvelles formes d’hébergement créent du lien social. Cette socialisation est l’occasion de développer des réseaux amicaux et professionnels. L’argument financier n’est pas la première motivation des colocataires, dont l’âge varie de 30 à 50 ans. La communication virtuelle étant devenue une réalité dans les grandes villes, l’idée de se retrouver et de communiquer physiquement fait écho. Le propriétaire d’une grande maison avec de nombreuses chambres ou d’un petit immeuble peut, ainsi, gagner de l’argent tout en offrant un habitat communautaire pour un loyer légèrement plus faible que la location d’un studio L’ÉCHANGE OU LA SOUS-LOCATION OFFRENT LA POSSIBILITÉ DE DÉPENSER MOINS TOUT EN TISSANT DES LIENS POUVANT DEVENIR AMICAUX. meublé. Le sociologue Jean-Claude Kaufmann explique ce nouveau mode de vie : « Le rêve, aujourd’hui, est que le logement devienne un instrument plus souple permettant d’avancer dans ce nouveau projet existentiel (…). L’échange ou la sous-location offrent la possibilité de dépenser moins tout en tissant des liens pouvant devenir amicaux. Dans notre société si dure et si froide, guettée par les démons de l’égoïsme et de l’enfermement sur soi, cette chaleur humaine retrouvée est tout aussi précieuse que le grain d’aventure qui est au coeur de ce moderne nomadisme résidentiel » (33). 6.8 / LE CROWDFUNDING L e terme « crowdfunding » signifie le financement (funding) par la foule (crowd). Selon la définition de Schwienbacher et Larralde (2012) (34), le financement par la foule se définit comme « un appel à tous, essentiellement via Internet, pour obtenir des ressources financières, soit sous forme de don, soit sous forme d’échange d’une certaine forme de récompense, soit sous forme de droits de vote » (35). Le crowdfunding crée un lien direct entre le citoyen et l’économie locale. Le ticket d’entrée varie d’une plate-forme à l’autre. Il peut aller de quelques centaines à plusieurs milliers d’euros. (33) Économie du partage, nomadisme, digitalisation des usages quotidiens. Comment les Français voient-ils leur logement en 2015 ? 2e édition. 2015. Lab’ Orpi. (34) Armin Schwienbacher est professeur de finance et de comptabilité à Skema Business School et Benjamin Larralde est ingénieur et fondateur Hackster.io. (35) Boyer Karine, Chevalier Alain, Léger Jean-Yves, Sannajust Aurélie, II. Une réalité nouvelle, Le crowdfunding, Paris, La Découverte, «Repères», 2016, 128 pages. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier En fonction de l’évolution de la réglementation propre à chaque pays, les crowdfundings seront davantage des fonds de dettes finançant de nombreux acteurs de l’immobilier comme les personnes physiques pour l’achat de leur résidence principale. Les banques devraient de moins en moins prêter sur de longues durées avec l’application du ratio structurel de liquidité à long terme de Bâle 3. Le crowdfunding permet d’apporter, par exemple, au promoteur 20 à 30 % d’equity exigés par les banques pour le financement du programme. Cette ubérisation du financement n’est ni plus ni moins que la mise en relation d’un investisseur avec un professionnel de l’immobilier. Le financement participatif va redéfinir la mission des établissements prêteurs classiques et jouer un rôle important dans le financement immobilier. 6.9 / L’AVENIR DE L’ENSEIGNEMENT DE L’IMMOBILIER L ’enseignement supérieur est confronté à la mutation technologique de la formation et du savoir. Ce savoir mondialisé n’a ni frontière ni langue officielle. Les Mooc (36) s’installent de plus en plus dans les écoles de commerce, d’ingénieurs et à l’université. Des cours en ligne ouverts à tous existent depuis une quinzaine d’années dans les meilleures universités américaines telles que Stanford ou le MIT. Les Mooc n’ont pas vocation à supprimer les cours traditionnels. Cette complémentarité donne l’occasion d’attirer de nouveaux profils français et étrangers. Un master immobilier ayant généralement trente élèves présents physiquement en France pourrait se retrouver avec trois cents étudiants étrangers supplémentaires grâce aux Mooc. Le Mooc, qui s’adresse à un auditoire bien plus large, donne une visibilité internationale et apporte de nouveaux étudiants. Nous tendons vers un enseignement digitalisé et connecté. L’enseignement de l’immobilier va suivre cette trajectoire. Par exemple, un Parisien pourra suivre, à distance, les cours d’immobilier d’une prestigieuse université américaine sans être présent physiquement sur place. Un Chinois pourra suivre un cursus immobilier d’un établissement parisien à distance, aussi. Alain Bechade (37) évoquait cette transition : « L’intelligence numérique connectée : les enseignements ne se feront pas seulement en présentiel mais aussi et beaucoup par réseaux informatiques. C’est une évolution pédagogique facilitée par les technologies ; la transmission de documents (la fin des polycopiés ?), les cours suivis en direct à travers la France… Les liens avec les enseignants seront différents mais pas absents pour autant. Ces moyens sont une opportunité remarquable, pour l’enseignement des sciences immobilières à distance » (38). Le géant Google de Mountain View pourrait parfaitement proposer des cours sur l’immobilier en ligne en créant ses propres formations et cursus sur mesure. Il pourrait aussi s’associer avec une ou plusieurs universités afin de bénéficier immédiatement de l’accréditation des diplômes et certificats délivrés. Ces enseignements pourraient se dérouler 24 h/24 et dans une dizaine de langues étrangères. L’UBÉRISATION DE L’IMMOBILIER Depuis l’arrivée de plates-formes et d’applications innovantes entre particuliers, les agents immobiliers sont les plus exposés dans la chaîne de désintermédiation. La loi Hoguet n’a pas réellement évolué par rapport à l’arrivée du monde numérique et des plates-formes collaboratives. (36) Massive open online courses. Les Mooc bénéficient des innovations issues du Web 2.0. Il peut arriver que 100 000 personnes soient réunies pour un cours. (37) Professeur émérite du Cnam. (38) Hors-série Business Immo. février 2015. 75 76 l’ubérisation de l’immobilier CETTE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE EST REPRÉSENTÉE PAR L’ARRIVÉE PERMANENTE D’INNOVATIONS TECHNOLOGIQUES QUI VONT TRANSFORMER L’ORGANISATION DE L’ÉCONOMIE EN GÉNÉRAL ET DE L’ÉCONOMIE IMMOBILIÈRE EN PARTICULIER. Ceux qui resteront sur un modèle traditionnel et conservateur seront en danger. Depuis l’arrivée de la plate-forme Airbnb, l’offre d’hébergement dans les grandes villes du monde est beaucoup plus diversifiée et importante qu’autrefois. On peut, ainsi, louer en quelques clics un loft dans le quartier de Chelsea, à New York, un penthouse sur les hauteurs de Los Angeles, ou une maison victorienne à San Francisco pour un budget identique ou moins élevé que celui d’une chambre dans un hôtel de même standing. La durée moyenne d’un hébergement sur Airbnb varie de trois à sept nuits. Ce n’est pas un hasard si Paris est le plus gros marché mondial pour Airbnb devant New York et Londres. Nous trouvons, en effet, plus de soixante mille appartements à Paris et en Île-de-France actuellement disponibles sur ce site. Airbnb a connu une augmentation de 224 % en cinq ans. De nouveaux acteurs (fonds d’investissement) investissent dans l’immobilier résidentiel à Londres pour en faire des résidences meublées avec services. Le taux d’occupation des chambres d’hôtel est de 90 % dans la capitale londonienne. Cette nouvelle concurrence a fait réagir le monde hôtelier. Ces derniers considèrent ces plates-formes comme une menace. Ils sont en réalité une dynamique pour tous les acteurs. Premièrement, les vacanciers y ont gagné en prix, en transparence et en qualité. Deuxièmement, la location a permis à des propriétaires de compléter des revenus pour entretenir leur patrimoine immobilier. Grâce à ces revenus complémentaires, ils ont pu conserver leur logement, dont les prix atteignent des records dans les grandes capitales mondiales. Enfin, cette concurrence amène le secteur de l’hôtellerie à se remettre en question. AccordHotels n’a-t-il pas répliqué à Booking en créant sa propre plate-forme de réservation en ligne ? En effet, il a également racheté le site Onefine stay, le Airbnb du luxe et pris des participations minoritaires chez Squarebreak et Oasis Collections. AccordHotels est en train d’améliorer sa gamme de produits et de services tout en utilisant des moyens technologiques performants. Si le monde de l’immobilier ne réagit pas aux innovations technologiques, il pourrait parfaitement devenir en partie ou en totalité un sous-traitant de Google, qui s’invitera de toute façon dans la commercialisation de la maison intelligente. Les immeubles de bureaux ne seront pas délaissés pour autant. L’immeuble de bureaux n’est plus fait pour durer vingt ans. Il devra être également réversible. Il pourra, ainsi, se modifier en partie ou en totalité en logements durant la vie de l’immeuble. La valeur ajoutée se trouvera à l’intérieur du bien immobilier, qu’il soit tertiaire ou résidentiel. Les agences immobilières devront également s’adapter en se digitalisant. Quand les agences seront fermées, les clients auront accès à des écrans tactiles sur la vitrine pour consulter les annonces. Les clients intéressés pourront laisser directement leurs coordonnées. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 technologies digitales et immobilier 6.10 / CONCLUSION L es résistances aux changements sont encore fortes, en France. L’entrepreneuriat se développe, bien qu’il soit récent dans notre pays. Notre modèle fiscal, réglementaire et économique et l’absence de capitaux ne favorisent pas la création d’entreprises ubérisatrices. BlaBlaCar a fait le choix de se financer et se de développer aux États-Unis. Les difficultés pour lever des fonds sont davantage présentes en France qu’aux États-Unis et peuvent être un des freins à l’émergence de véritables projets technologiques français. Nous devons privilégier la prise de risque afin que de nouvelles entreprises puissent rapidement rayonner à l’international. Selon Isaac Newton, « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts ». Pourquoi devrions-nous être silencieux sur le monde de demain : comme le préconisait Térence « On ne peut plus rien dire qui n’ait été dit avant nous » (39). Dans toute projection et prospective, il y a toujours un mélange de fantasmes et de réalité. Une réalité qui sera une victoire pour les uns et une défaite pour les autres. Ainsi, la phrase d’Antoine de Saint Exupéry prend tout son sens : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». Même si la technologie évolue très vite, les entreprises devront capitaliser intelligemment leur communication, comme le soulignent Denis Marquet et Édouard Rencker : « La communication doit donc être pensée, aujourd’hui, comme un moyen concurrentiel dont dispose l’entreprise pour créer la préférence en sa faveur. Une préférence qui constitue un élément essentiel de la valeur immatérielle de l’entreprise, donc de sa prospérité à long terme » (40). Cette nouvelle révolution industrielle est représentée par l’arrivée permanente d’innovations technologiques qui vont transformer l’organisation de l’économie en général et de l’économie immobilière en particulier. Les opportunités de développement et de richesse sont illimitées pour les start-up comme pour les structures économiques existantes. Pour conclure, la transition du monde est aujourd’hui marquée par une crise d’identité des pays riches, dont la croissance future dépendra de celle des régions émergentes. Il est encore trop tôt pour savoir si l’ubérisation de l’immobilier apportera ou non, à terme, une valeur ajoutée permettant de relancer la croissance, donc l’emploi. L’immobilier doit passer par la transformation de son modèle pour rester compétitif. Les gagnants vont anticiper le passage d’une économie de l’offre à une économie de la demande. Ils donneront ainsi davantage de liquidité à un secteur qui en manque aujourd’hui cruellement. En conclusion, citons le prix Nobel d’économie Jean Tirole sur la révolution numérique : « Quelle que soit notre opinion sur Uber, nous observons tous que ses différentes innovations sont importantes pour l'utilisateur (…). L’épisode Uber nous rappelle l'importance de la concurrence pour l’innovation (…). La révolution digitale n’est pas un effet de mode. Elle a déjà modifié le commerce, la finance, les médias, les transports ou l'hôtellerie. Demain, elle chamboulera les secteurs de l'assurance, de la santé, de l’énergie, de l’éducation », (Les Echos, 8 décembre 2015). L’histoire de l’ubérisation est encore loin du mot « fin ». De nombreux chapitres restent encore à écrire. (39) Poète comique latin. H, 159 av. J.-C. (40) Denis Marquet et Édouard Rencker, Entreprise. Muter ou périr, éditions l’Archipel, 2016 (p. 254). 77 L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 n° 92 79 EUROPE LE MARCHÉ IMMOBILIER RÉSIDENTIEL DANS L’UNION EUROPÉENNE Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication et RSE, Crédit Foncier. 80 7 LE MARCHÉ IMMOBILIER RÉSIDENTIEL DANS L’UNION EUROPÉENNE Par Nicolas Pécourt, Directeur de la Communication et RSE, Crédit Foncier. L e marché immobilier résidentiel est-il uniforme en Europe ? La réponse est assez immédiate tant les disparités sont nombreuses aussi bien entre pays qu’en leur sein. Sur le plan réglementaire, il n’existe pas non plus de « marché unique » immobilier ; n’étant pas assimilable à un bien en libre circulation, le logement est régi, en vertu du principe de subsidiarité, par les lois nationales. Cet article, réactualisation d’un texte publié dans l’ODI n° 90, met l’accent sur les disparités observées au sein de l’Union européenne en matière de statut et de forme d’habitat, de dynamiques de prix immobiliers, ainsi que de financement. Le marché immobilier européen sera analysé à partir de quatre ensembles de pays : ◗ l’Europe du Nord (18 % de la population de l’Union européenne), composée de cinq nations que sont le RoyaumeUni, l’Irlande, le Danemark, la Suède et la Finlande ; ◗ l’Europe du Centre-Ouest (36 % de la population) avec six pays : France, Allemagne, Autriche, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas ; ◗ l’Europe du Sud (26 % de la population) avec six pays : Espagne, Portugal, Italie, Grèce, Malte et Chypre ; ◗ l’Europe de l’Est (20 % de la population), composée des onze pays issus de l’ancien bloc communiste. Figure 1. Les quatre ensembles de l’Union européenne Europe du Nord Europe du Centre-Ouest Europe du Sud Europe de l’Est L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 81 europe Les 28 nations de l’Union européenne comptent 508 millions d’habitants dont 70 % sont concentrés dans six pays : l’Allemagne (81 millions d’habitants, soit 16 % de la population européenne), la France (66 millions ; 13 %), le RoyaumeUni (65 millions ; 13 %), l’Italie (61 millions ; 12 %), l’Espagne (46 millions ; 9 %) et la Pologne (38 millions ; 7 %). Six autres pays (Roumanie, Pays-Bas, Belgique, Grèce, République tchèque et Portugal) comptent entre dix et 20 millions d’habitants chacun. Les modèles nationaux des pays les plus peuplés auront donc un impact significatif sur les caractéristiques immobilières moyennes observées ci-après. 7.1 / SEPT EUROPÉENS SUR DIX VIVENT DANS UN LOGEMENT DONT ILS SONT PROPRIÉTAIRES L e modèle de la propriété prédomine en Europe. Selon les données (1) publiées par l’institut Eurostat (et dont la méthodologie diffère de celle de l’Insee), sept habitants sur dix (70,1 %) de l’Union européenne vivent dans un logement dont ils sont propriétaires. 39 % d’entre eux (2) remboursent encore un crédit pour l’acquisition de ce logement. Parmi les 30 % de ménages qui sont locataires, les deux tiers le sont dans le secteur libre (3). Ce parc privé compte « une majorité de propriétaires personnes physiques et peu d’investisseurs institutionnels » (4). Tableau 1. Proportion de propriétaires (Source : Eurostat 2014.) Pays Part ménages propriétaires (5) Roumanie 96 % Slovaquie 90 % Lituanie 90 % Croatie 90 % Hongrie 88 % Bulgarie 84 % Pologne 84 % Estonie 82 % Lettonie 81 % Malte 80 % République tchèque 79 % Espagne 79 % Slovénie 77 % Portugal 75 % Grèce 74 % Finlande 73 % Italie 73 % Chypre 73 % Luxembourg 73 % Belgique 72 % Moyenne Européenne 70 % Suède 69 % Irlande 69 % Pays-Bas 67 % France 65 % Royaume-Uni 65 % Danemark 63 % Autriche 57 % Allemagne 53 % (1) Année 2014. (2) Soit 27 % de l’ensemble des ménages, donnée reprise dans le tableau 2 page 82. (3) Données Eurostat ; rubrique « Tenant, rent at market price ». (4) Revue d’Économie Financière n° 115, « Le secteur locatif privé en Europe : des trajectoires différentes, des tensions similaires ? », Christine M. E. Whitehead. (5) Données 2014. 82 le marché immobilier résidentiel dans l’union européenne Tableau 2. Proportion propriétaires/locataires (Source : Eurostat 2014 ; retraitement Crédit Foncier.) Part ménages propriétaires Dont propriétaires accédants Locataires secteur privé Locataires secteur aidé Moyenne européenne 70 % 27 % 19 % 11 % Europe de l’Est 86 % 10 % 5 % 9 % Europe du Sud 75 % 24 % 14 % 11 % Europe du Nord 66 % 40 % 19 % 14 % Europe du Centre-Ouest 59 % 32 % 30 % 10 % Les plus fortes proportions de propriétaires sont enregistrées en Europe de l’Est (86 % en moyenne). Le ratio y est même supérieur ou égal à 90 % dans quatre pays : la Roumanie (96 % de propriétaires), la Slovaquie, la Lituanie et la Croatie. Elles résultent de la vague de privatisations survenue lors du passage à l’économie de marché de ces pays au début des années 1990. Les pouvoirs publics avaient alors rétabli la propriété privée d’immeubles nationalisés sous le pouvoir communiste, à des prix très intéressants. Du fait des niveaux de prix dont ils ont bénéficié, ces ménages propriétaires sont également peu nombreux à rembourser un crédit immobilier (11 % d’entre eux, contre une moyenne européenne égale à 39 %). Mais c’est également dans les pays d’Europe de l’Est que le taux de satisfaction des habitants est le plus faible, du fait notamment d’un plus grand nombre de logements insalubres. Suivent les pays d’Europe du Sud (75 % en moyenne) avec en particulier l’Espagne (79 %) et l’Italie (73 %). En Europe du Sud, le nombre élevé de propriétaires (trois ménages sur quatre) tient davantage à des raisons culturelles. Dans ces pays, être propriétaire est synonyme de réussite sociale et de sécurité. L’accession à la propriété est considérée comme une étape importante de la vie d’un ménage. En témoigne le main- tien de cette proportion de propriétaires à un niveau élevé en dépit de la crise financière qui a pourtant particulièrement touché ces pays (75 % au Portugal et 74 % en Grèce). Viennent ensuite les pays d’Europe du Nord (66 % en moyenne). C’est dans ces pays que l’impact de la crise semble avoir été le plus important sur la proportion de propriétaires. Alors que leur taux en Europe a eu tendance à diminuer légèrement (6), c’est au Royaume-Uni et en Irlande que cette diminution a été la plus marquée (– 12 %). Il faut souligner que les pays d’Europe du Nord affichent une forte mobilité de leurs habitants, ce qui ne les empêche pas d’être propriétaires par ailleurs ; c’est tout particulièrement le cas en Suède (mobilité de 40 % de la population sur une période de cinq ans (7), contre 18 % en Europe), qui affiche une proportion de propriétaires (69 %) quasiment égale à la moyenne européenne. Les pays d’Europe du Centre-Ouest (59 % en moyenne) ferment le classement. Plus forte population européenne, les Allemands se répartissent presque équitablement entre locataires (47 % des ménages) et propriétaires (53 %). Plusieurs raisons l’expliquent. Historiques, tout d’abord : après la guerre, les pouvoirs publics et des coopératives (6) Baisse de 4 % entre 2007 et 2014. (7) Eurostat 2012 : proportion de la population ayant changé de logement au cours des cinq dernières années. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 83 europe se sont engagés dans la reconstruction et restent encore aujourd’hui de grands propriétaires de logements. À cela s’ajoutent des raisons fiscales et un environnement favorable aux bailleurs privés, qui « s’attendent à ce que les logements soient loués sur le long terme […] les ménages allemands déménageant relativement peu souvent » (8). Enfin, la menace de l’inflation, préoccupation majeure des Allemands, ayant disparu, il n’est plus besoin de devenir propriétaire pour s’en protéger. Même s’il est admis que les Français sont très attachés à la pierre, qu’il s’agisse d’acquérir son logement ou d’investir, la France (65 % de propriétaires selon Eurostat ; 58 % selon l’Insee) se trouve dans les profondeurs du classement, à la 24e position, à égalité avec le Royaume-Uni. Ce panorama montre l’absence de corrélation entre le nombre de propriétaires et la richesse du pays. Première nation européenne par son économie, l’Allemagne ferme ce classement (et sans que les prix immobiliers y soient forcément les plus élevés en Europe). Hors de l’Union européenne, la Suisse n’affiche que 45 % de propriétaires. Ces statistiques nationales sont également à atténuer du fait des disparités observées dans chacun des pays européens. Ainsi, en France, il existe un écart de 18 points entre l’Îlede-France, région dans laquelle on relève la plus faible proportion de propriétaires, et la Bretagne, où le taux y est le plus élevé. En conclusion de cette première partie, comme le souligne la Revue d’Économie Financière (9), en Europe « la préférence pour la propriété […] est généralisée. Même en Allemagne […], les propriétaires sont plus satisfaits de leurs conditions de logement que les locataires […]. La volonté de posséder son “chez soi” et de se constituer un patrimoine est décisive ». 7.2 / LA PROPORTION DE MAISONS DÉCROÎT DU NORD AU SUD DE L’EUROPE L es ménages européens vivent (10) en majorité dans des maisons qui sont soit isolées (34 % de la population), soit jumelées (26 %). Tandis que 41 % d’entre eux vivent en appartement. Du Nord au Sud, y compris au sein de certains pays, la proportion de maisons décroît. ◗ En Europe du Nord, quatre ménages sur cinq vivent dans une maison : 93 % en Irlande, 85 % au Royaume-Uni, 68 % au Danemark. Ce sont principalement des maisons dites « mitoyennes » (60 % de l’ensemble des maisons). ◗ À l’opposé, en Europe du Sud, l’habitat en appartement prédomine, tout particulièrement en Espagne pour les deux tiers de la population, généralement dans de grands ensembles (70 % d’entre eux se trouvent dans des ensembles de dix appartements ou plus). En Grèce, la majorité de la population (57 %) vit également en appartement. En Allemagne, qui compte relativement peu de grands ensembles d’habitation, 54 % de la population vivent dans des maisons et 27 % dans des appartements aménagés dans de petits immeubles. On dénombre une part importante de maisons (respectivement 77 % et 69 %) aux Pays-Bas ainsi qu’en France, où c’est dans la région Nord que la proportion de maisons est parmi les plus élevées (73 % de l’habitat) lorsque cette part n’est que de 41 % plus au Sud, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. En Europe de l’Est, on compte en moyenne 57 % de maisons et 43 % d’appartements. (8) Revue d’Économie Financière n° 115, Christine M. E. Whitehead ; op. cit. (9) Revue d’Économie Financière n° 115, « L’évolution en Europe du profil des ménages propriétaires pendant la crise », Sabine Le Bayon et Pierre Madec. (10) Données Eurostat 2014. 84 le marché immobilier résidentiel dans l’union européenne Tableau 3. Distribution de la population par catégorie de logements (Source : Eurostat données 2014 ; retraitement Crédit Foncier.) Maison mitoyenne Appartement dans résidence < 10 logements Appartement dans résidence ≥ 10 logements Maison Maison individuelle Europe du Centre-Ouest 63 % 34 % 29 % 36 % 18 % 18 % 1 % Europe du Nord 80 % 31 % 49 % 19 % 8 % 11 % 1 % Europe du Sud 43 % 21 % 23 % 56 % 23 % 33 % 0 % Europe de l'Est 57 % 52 % 5 % 43 % 7 % 36 % 0% Union européenne 60 % 34 % 26 % 40 % 15 % 24 % 1 % S’agissant des surfaces habitées, une étude de l’IEIF (11) souligne qu’« il est frappant de remarquer que les surfaces moyennes des logements sont assez proches d’un pays à un autre » : 87 m2 au Royaume-Uni, 90 en Espagne, 91 en France, 92 en Allemagne, 103 en Belgique, 114 en Italie. Enfin, les ménages européens se répartissent en trois ensembles : dans de grandes agglomérations pour 42 % d’entre eux, dans des villes moins peuplées et des banlieues pour 31 % et dans des zones rurales pour 28 %. Tableau 4. Distribution de la population par dégré d’urbanisation (Source : Eurostat données 2014 ; retraitement Crédit Foncier.) Grandes villes Villes moins Zones peuplées et banlieues rurales Europe du Centre-Ouest 39 % 34 % 27 % Europe du Nord 51 % 30 % 19 % Europe du Sud 46 % 32 % 22 % Europe de l'Est 33 % 25 % 43 % Union européenne 42 % 31 % 28 % Appartement Autres 7.3 / CERTAINS MARCHÉS SONT-ILS PLUS DYNAMIQUES QUE D’AUTRES ? Au cours des dix dernières années, l’analyse des permis de construire souligne deux périodes distinctes s’agissant du marché résidentiel neuf. ◗ Au cours de la première période (jusqu’en 2012 ou 2013, selon les pays), le marché immobilier résidentiel européen a été lourdement affecté par la crise. De 2006, dernière année avant crise, à 2013, point bas historique dans de nombreux pays, le nombre de permis de construire (12) des logements a été réduit à un tiers en Europe. Certains marchés importants ont davantage été affectés que d’autres ; en Europe du Sud, ce chiffre a été divisé par dix. L’Espagne a été la plus touchée (– 96 % entre 2006 et 2013) ; l’Italie a connu une baisse de 80 %. Dans les pays d’Europe de l’Est, le nombre de permis de construire a été divisé par deux. Seules l’Autriche (évolution de + 19 % des permis de construire de 2006 à 2013) et l’Allemagne (+ 6 %) font figure d’exception. ◗ Depuis deux ans, le nombre de permis de construire est reparti à la hausse dans l’Union européenne (+ 10 % cumulés en 2014 et 2015) mais tout en restant en deçà des niveaux d’avant-crise. Certains marchés se montrent particulièrement dynamiques à l’image des Pays-Bas (+ 104 % en deux (11) Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière, Le logement en Europe — septembre 2015. (12) Eurostat. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 85 europe Figure 1. Évolution du nombre de permis de construire (logements) de 2006 à 2015 (base 100 en 2006) (Source : Eurostat ; retraitement Crédit Foncier (13).) 115 120 100 90 80 69 62 70 60 49 40 48 49 20 9 15 20 20 13 20 12 20 11 20 10 20 09 20 08 20 07 20 06 20 Europe de l’Est Europe du Sud 14 8 0 Europe du Nord Europe du Centre-Ouest ans), du Danemark (+ 92 %), de l’Irlande (+ 81 %) ou encore de la Suède (+ 51 %). La crise a eu des effets moins spectaculaires sur le marché résidentiel ancien, pour lequel il existe peu de données consolidées à l’échelle européenne. Comme les prix ont-ils évolué ? De façon globale à l’échelle européenne, les prix immobiliers résidentiels (neuf + ancien) ont retrouvé le niveau qui était le leur avant la crise. Depuis 2013, les prix immobiliers repartent à la hausse ; l’évolution sur les deux dernières années (2014 et 2015) est ainsi positive dans 23 pays européens sur un total de 28. Mais si l’impact de la crise a été particulièrement visible dans certains pays, l’analyse de l’évolution des prix immobiliers à l’échelle européenne est complexe pour différentes raisons. Une des raisons tient à l’extrême diversité des évolutions d’un pays européen à un autre. Ces fortes disparités de prix (13) En l’absence de données pour l’Espagne en 2015, une estimation a été réalisée. sont soulignées par toutes les institutions, qu’il s’agisse d’Eurostat, de l’OCDE, ou encore du FMI. Dans son rapport sur le mécanisme d’alerte 2016, la Commission européenne souligne ainsi que « l’évolution des prix des habitations témoigne de l’existence de différentes situations dans l’UE en ce qui concerne le cycle du logement. […] Dans certains États membres, les prix ont subi une forte correction durant la crise et atteint des niveaux bien inférieurs à ceux qu’impliqueraient les fondamentaux. Tel est le cas des prix des habitations en Irlande, qui ont augmenté fortement l’année dernière. De même, la Hongrie, l’Estonie, la Lituanie et la Slovaquie connaissent d’importantes hausses des prix réels des logements. […] À l’inverse, dans les États membres où les prix des logements sont toujours considérés comme surévalués, comme la Suède ou le RoyaumeUni, ces prix ont augmenté alors qu’ils étaient déjà très élevés ». Une autre raison tient au fait que les indices nationaux de prix immobiliers ne sont que des moyennes, masquant des disparités entre les différents biens et leur localisation. Y compris s’agissant d’une observation européenne, l’échelon local semble le plus pertinent. L’exemple de la France le démontre avec ses trois ensembles. Le premier, l’Île-de-France, n’a d’équivalent en Europe que le Grand Londres. Alors que les premières agglomérations allemandes (la Ruhr avec 6 % de la population de l’Allemagne, Berlin 6 %, Hambourg 4 %…) et italiennes (Milan 7 %, Rome 7 %, Naples 6 %…) se répartissent de façon relativement homogène le nombre d’habitants, l’Île-de-France et le Grand Londres concentrent bien davantage la population nationale (près d’un cinquième dans les deux cas), et surtout la plus active. Même en Espagne, le poids de l’agglomération de Madrid (14 % de la population) est contrebalancé par celui de l’agglomération de Barcelone (10 %). Il résulte de cette forte concentration des niveaux de prix très élevés, à Paris comme à Londres. 86 le marché immobilier résidentiel dans l’union européenne Le deuxième ensemble français englobe les métropoles régionales qui, pour les plus importantes, affichent des prix comparables à ceux des autres grandes agglomérations européennes. Toutes ces agglomérations européennes bénéficient d’un mouvement de concentration économique et démographique à l’échelle régionale. Le troisième ensemble est constitué du reste du pays. Il se caractérise par une hétérogénéité de la liquidité de marché allant de moyenne à très faible, dont il résulte des prix très différents. Enfin, une étude récente (14) du FMI s’intéresse à l’évolution des prix immobiliers par rapport à celle des salaires au cours des six dernières années (2010 à 2015). Dans les deux tiers des pays européens, sur longue période, l’évolution des prix immobiliers est inférieure à celle des salaires parfois de façon assez significative (en Espagne, en Pologne, au PaysBas, en Italie, notamment). Figure 2. Évoltion des prix immobiliers par rapport aux revenus de 2010 à 2015 (Source : FMI ; base 100 en 2010 ; les données de 2015 sont celles du troisième quadrimestre 2015 (14).) 122 120 118 113 113 112 104 99 98 97 96 96 95 93 92 93 92 87 86 83 80 78 gn e Es pa gn e on gr ie H as Po lo Pa ys -B e én ie Ita li Slo v tu an ie tu ga l Li e Po r Gr èc ni Ro e ya um e-U ni Ré Be pu lgi qu bli qu e et ch èq ue Le tto ni e Da ne m ar k Fr an ce Irl an de Fi nl an de Slo va qu ie e ur g Es to bo Lu xe m ne Su èd ag lem Al Au tri ch e 74 (14) Données disponibles sur le site du Fonds Monétaire International (www.imf.org) d’après éléments de l’OCDE. L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 europe 87 7.4 / UNE EUROPE DU CRÉDIT ÉGALEMENT DISPARATE (15) L es débats qui entourent les réflexions du Comité de Bâle sur de nouvelles évolutions réglementaires du crédit immobilier apportent une illustration de l’extrême diversité des situations nationales. Avec des prêts octroyés pour l’essentiel à taux fixe et des modalités d’octroi qui privilégient une appréciation du montant des charges de l’emprunteur en proportion de ses revenus, la France occupe une place particulière qui a montré sa robustesse pendant les années de crise. Ce que rappelle le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) (16) : « Avec un niveau de sinistralité toujours contenu, la France est le pays en Europe qui présente le taux d’impayés (0,1 % fin 2014) le plus faible sur ce type de prêts (plutôt de l’ordre de 0,5 % en Allemagne, proche de 1,5 % au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie) ». Fin 2015, le marché du crédit immobilier résidentiel dans les 28 pays de l’Union européenne représentait 6 200 Mdd d’encours. Rappelons que les encours correspondent au stock de crédits (capital et intérêts) restant à rembourser par les ménages à une date donnée (17). Ce montant global représente 88 % des encours de crédits des particuliers de FIN 2015, LE MARCHÉ DU CRÉDIT IMMOBILIER RÉSIDENTIEL DANS LES 28 PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE REPRÉSENTAIT 6 200 MD€ D’ENCOURS. l’Union européenne, les 12 % restants étant constitués de crédits à la consommation. Ces 6 200 Mdd d’euros d’encours correspondent à 12 200 d par habitant de l’Union européenne ou encore à 41 200 d par ménage propriétaire. Les disparités précédemment soulignées s’observent également dans le recours au crédit. Le montant d’encours par ménage propriétaire s’inscrit ainsi entre 189 063 d au Danemark et 1 607 d en Roumanie. En matière de montant restant à rembourser, les cinq premiers pays européens sont le Danemark, le Luxembourg, la Suède, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Tableau 5. Encours de crédits immobiliers souscrits par les ménages (Sources : Eurostat, Crédit Foncier, Cabinet Astérès.) % de la population européenne % des encours crédits immobiliers Encours par ménage propriétaire Encours/revenu disponible brut des ménages Encours/patrimoine non financier des ménages Europe du Nord 18 % 36 % 86 419 € 100 % 25 % Europe du Centre-Ouest 36 % 43 % 52 242 € 64 % 17 % Europe du Sud 26 % 18 % 27 590 € 53 % 13 % Europe de l’Est 20 % 3 % 5 813 € 30 % 20 % 100 % 100 % 41 100 € 68 % 19 % Total 28 pays UE (15) D’après une étude du Crédit Foncier réalisée par le Cabinet Astérès, Les marchés européens du crédit immobilier résidentiel en 2015, mai 2016. (16) HCSF : rapport annuel du Haut Conseil de Stabilité Financière, juin 2015. (17) Au 31 décembre 2015 pour cette étude. 88 le marché immobilier résidentiel dans l’union européenne et des traditions culturelles avec un recours au crédit plus important dans les pays d’Europe du Nord. Dans certains pays, la fiscalité (19) en faveur de l’endettement peut avoir également un effet positif. Suit l’Europe du Centre-Ouest, qui représente 36 % de la population européenne et 43 % des encours de crédits immobiliers de tout le continent. L’encours moyen par ménage propriétaire y est de 52 242 d, soit 27 % de plus que la moyenne européenne. Le recours au crédit (en montant) est plus important dans le Benelux qu’il ne l’est en France ou en Allemagne. C’est en Europe du Nord que les ménages sont, en moyenne, les plus endettés au titre du crédit immobilier. L’Europe du Nord, qui n’abrite que 18 % de la population européenne, représente 36 % des encours de crédits immobiliers de tout le continent. L’encours moyen par ménage propriétaire (86 419 e) y est plus de deux fois supérieur à la moyenne européenne. Différents facteurs expliquent ce recours beaucoup plus important au crédit immobilier que dans le reste de l’Europe : des économies dynamiques et un regain du marché immobilier dans certains pays ; une proportion plus élevée de ménages propriétaires remboursant un crédit (cette proportion est deux fois plus élevée en Suède qu’elle ne l’est en France) ; une proportion de crédits in fine significative (18) Les ménages sont globalement moins endettés dans le sud de l’Europe ; on y recense 18 % des encours de crédits immobiliers pour 26 % de la population européenne. L’encours moyen de crédits immobiliers par ménage propriétaire y est égal à 27 590 d, soit 33 % de moins que la moyenne européenne. Différents facteurs expliquent ce recours inférieur à la moyenne européenne, tout particulièrement l’impact de la crise au cours des dernières années avec un effet direct sur le marché immobilier dans certains pays (Espagne et Grèce). En Europe de l’Est, les ménages sont bien plus faiblement endettés. L’Europe de l’Est représente seulement 3 % des encours de crédits immobiliers et 20 % de la population européenne. L’encours moyen de crédits immobiliers par ménage propriétaire y est égal à 5 813 d, soit moins d’un septième de la moyenne européenne. Plusieurs raisons à cela ; d’une part, le recours à l’endettement y est peu important (moins de 10 % des ménages seulement ont un prêt ou une hypothèque en cours) ; d’autre part, les prix de l’immobilier sont faibles. Ainsi, en Europe de l’Est, le faible endettement n’est pas lié à la faiblesse du revenu mais à une plus faible valorisation du patrimoine. (18) L’emprunteur ne payant mensuellement que les intérêts du prêt et remboursant le capital à la dernière échéance, le niveau d’encours de crédits reste à un niveau élevé pendant toute la durée du contrat. (19) Ce que souligne le rapport de la Commission européenne sur le mécanisme d’alerte 2016 à propos de la Suède : « Les prix de l’immobilier et l’endettement des ménages sont poussés à la hausse par une fiscalité encourageant le financement par l’emprunt ». L’OBSERVATEUR DE L’ IMMOBILIER DU CRÉDIT FONCIER – Nº 92 89 europe Depuis plusieurs années, le marché du crédit immobilier dans l’Union européenne progresse dans son ensemble de plus de 2 % (hors effets de change) : + 2,6 % en 2013, + 2,0 % 2014, puis + 2,2 % en 2015. Mais cette évolution se fait avec des mouvements assez disparates : la progression était ainsi en 2015 de + 5,9 % en Europe de l’Est, + 4,3 % en Europe du Centre-Ouest, + 2,1 % en Europe du Nord et de – 2,7 % en Europe du Sud. La crise de 2008 a été vite oubliée au Royaume-Uni et en Belgique, où les encours de crédits immobiliers avaient largement baissé avec la crise : en 2008, les encours avaient baissé de 27 % au Royaume-Uni et de 24 % en Belgique. La reprise est arrivée dès 2009 au Royaume-Uni et à partir de 2011 en Belgique. Aujourd’hui, les encours de crédits immobiliers dans les deux pays sont largement plus élevés qu’en 2007 : de 15 % en Belgique et de 37 % au Royaume-Uni. Figure 3. Évolution des encours en 2015 (Source : Étude du Crédit Foncier, 2016.) 5,9 % 6 7.5 / CONCLUSION 4,3 % A 3 2,2 % 2,1 % Union européenne Europe du Nord – 2,7 % 0 –3 Europe du Centre-Ouest Europe de l’Est Europe du Sud L’encours baisse dans la totalité des pays ayant connu de graves difficultés macroéconomiques avec la crise des dettes souveraines (Irlande, Espagne, Portugal, Grèce) et quelques pays d’Europe de l’Est (Hongrie, Bulgarie, Croatie, Lettonie). En Espagne, en Irlande et au Portugal, la croissance des prix immobiliers en 2015, et donc la reprise du marché n’ont pas suffi à relancer les encours de crédits. Lorsque les encours baissent, c’est souvent à cause des difficultés macroéconomiques, et non à cause d’un endettement trop élevé. Ainsi, les pays où l’encours rapporté au revenu (RDB) est le plus élevé – Danemark, Luxembourg, Suède, Pays-Bas – ne connaissent pas de baisse de l’encours ; à l’inverse, des pays où l’encours rapporté au RDB est faible, comme la Bulgarie, la Hongrie, la Croatie, la Lettonie, mais aussi la Grèce, voient leur encours baisser. u-delà de la très grande diversité des marchés immobiliers nationaux, seule l’analyse des données européennes à travers le prisme de « grandes régions » permet d’identifier quelques caractéristiques communes. Celles, par exemple, d’une Europe de l’Est, où tout le monde ou presque est propriétaire sans être endetté, d’une Europe du Sud où en dépit de la crise, on demeure propriétaire parce que c’est un signe de statut social, d’une Europe du Centre-Ouest sur le point de retrouver un niveau de construction identique à celui d’avant-crise, ou encore d’une Europe du Nord, traditionnellement la plus riche, où la proportion de propriétaires est souvent inférieure à la moyenne de l’Union européenne mais où les acquéreurs ont un encours de crédit élevé.