COLLECTIF DES PARTIS DE L`OPPOSITION CONGOLAISE

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COLLECTIF DES PARTIS DE L`OPPOSITION CONGOLAISE
COLLECTIF DES PARTIS DE L’OPPOSITION CONGOLAISE,
SIGNATAIRES DE LA DECLARATION DU 17 AOUT, RELATIVE AUX
ELECTIONS LEGISLATIVES DE 2012.
Lettre ouverte à monsieur le président de la République du Congo
Brazzaville.
Excellence, monsieur le président de la République,
Aujourd’hui, notre pays, le Congo-Brazzaville traverse une grave crise multidimensionnelle :
crise politique, crise électorale, crise économique, crise sociale, crise morale, crise culturelle.
Sur le plan politique, le processus démocratique, réhabilité par la Conférence Nationale
Souveraine en 1991 est en panne. La Constitution, les lois et règlements de la République
sont quotidiennement violés. Les droits humains sont en permanence bafoués. Les réunions
publiques de l’opposition sont illégalement interdites. Des acteurs politiques de l’opposition
sont arrêtés
et emprisonnés arbitrairement pour délit d’opinion. Les responsables de
l’opposition sont l’objet de filatures policières permanentes ; leurs téléphones sont sous table
d’écoute ; ils sont souvent menacés de mort au moyen de coups de fil anonymes. Des cordons
de sécurité sont dressés autour des domiciles de certains leaders de l’opposition. Des organes
indépendants de presse sont suspendus de façon arbitraire par le Conseil supérieur de la
liberté de la communication, instance dont la vocation est pourtant de protéger la liberté de la
presse. Les médias d’Etat sont caporalisés et consacrent toutes leurs émissions à la célébration
du culte de la personnalité du président de la République et à la propagande du parti congolais
du travail (P.C.T), parti au pouvoir. La souveraineté du peuple est obérée par des élections
truquées.
Toutes ces pratiques qui relèvent d’un passé de triste mémoire, que nous croyions révolu à
jamais, traduisent la volonté têtue du pouvoir d’aller à contre-courant de l’histoire et de
restaurer le monopartisme au Congo. La déclaration du président français, monsieur François
HOLLANDE, à propos de l’état de la démocratie et des droits de l’homme en République
Démocratique du Congo (RDC), à savoir : « la situation de la RDC est inacceptable sur le
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plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition », va comme un gant,
à la situation de notre pays. La démocratie congolaise est en panne.
Sur le plan sécuritaire, la paix est le maître-mot de la propagande du pouvoir. Les médias
publics bruissent à longueur de journée de la paix. Les discours officiels ne manquent pas de
référence à la paix. Le président de la République est présenté comme le pape de la paix.
Paradoxalement, le Congo n’a jamais accumulé autant d’armes de guerre que maintenant. Par
conteneurs entiers estampillés « Grands travaux », d’importantes quantités d’armes de
destruction massive en provenance de Chine, de la République Tchèque, de Singapour, de la
Corée du Nord et récemment de la Lybie, sont importées à l’insu du haut commandement
militaire. Dans un article intitulé : « Achats importants d’armes de guerre par Sassou
Nguesso », le journal français, « Le Canard Enchaîné » écrivait déjà dans un de ses numéros
de l’année 2008 :
(…) Le pouvoir de Brazzaville a fait une commande de sept (7) BM-21 Ural, quatre (4) RM85 de marque Tchèque, quatre (4) avions de chasse Sukhoi 47, deux (2) Mig-27, un (1) F-7
chinois, quatre (4) nouveaux hélicoptères de combat MI-24, trois (3) MI-23 et un hélicoptère
WZ-10. Il a été en outre fait une commande importante d’appareils de communication, des
tenues militaires chinoises, une importante livraison d’armes de combat chinoises : des QBZ95 et 97, des AK 47 et 74, ainsi que des Famas de l’armée française achetées en République
Tchèque, et une cargaison des SAR-21 achetées à Singapour en juin 2007 par son fils et son
conseiller Jean-Dominique OKEMBA(…) ; toutes ces armes seront acheminées au port de
Pointe-Noire d’ici à la fin de l’année 2008. Ces importantes quantités d’armes et d’appareils
militaires seront livrés au Congo cette année 2008 ; des contrats ont été signés entre le
pouvoir de M’pila et le gouvernement de Pékin, et en contrepartie, le pouvoir de M’pila
livrera d’importantes cargaisons de pétrole à la Chine. Les livraisons ont débuté depuis mars
2008(…).
Dans la même veine, en 2010, des conteneurs d’armes de destruction massive en provenance
de la Corée du Nord (pays sous embargo du conseil de sécurité des Nations Unies) pour le
compte de l’Etat congolais, ont été arraisonnés en Afrique du Sud, avant d’être convoyés sur
le Congo. Toutes ces armes sont stockées dans des lieux connus des seuls services de la
présidence de la République et conservées dans des conditions dangereuses. Les explosions
du 04 mars 2012 à Brazzaville en témoignent.
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Parallèlement à l’achat massif d’armes, le président de la République, commandant en chef
des forces armées congolaises, entretient des milices privées à Brazzaville (Front 400), à
Kintélé et à Lifoula (banlieue nord de Brazzaville) et Tsambitso (à proximité d’Oyo). On ne
construit pas la paix en entretenant des milices privées et en engloutissant des sommes
colossales dans l’achat d’armes de guerre de destruction massive, alors qu’on aurait dû
investir ces sommes dans des créneaux porteurs d’emplois et de croissance pour le pays et de
bien-être pour le peuple.
Par ailleurs, il sied de rappeler que le 08 août 2005, dans son message sur l’Etat de la Nation
en 2005, le président Denis Sassou Nguesso déclarait : « Construire la paix, bien sûr, mais
aussi, la vérité et la justice. Parce que, c’est sur la vérité et la justice que se fondent la paix et
la solidarité collective. Il n’y a pas de paix sans justice, cela est évident ».
Ce discours lénifiant sur la paix sonne faux. En effet, de quelle paix et de quelle justice parle
le chef de l’état, lorsque 70% de Congolais traînent une existence misérable et n’ont pas accès
à l’eau potable, à l’électricité, à une nourriture saine et nutritive, aux soins de santé de
qualité, à une éducation de bon niveau, à un logement décent ? Un citoyen qui ne mange pas à
sa faim, qui ne peut pas se soigner convenablement quand il est malade ou qui ne peut pas
acquitter les frais de scolarité de ses enfants, n’a pas la tranquillité de l’esprit et la paix du
cœur.
De même, notre pays a accumulé beaucoup de contentieux, beaucoup d’affaires qui sont à la
base de profondes frustrations et rancœurs. A titre d’illustrations, signalons entre autres :
-
la situation inacceptable faite à l’ancien président de la République, Alphonse
Massamba-Débat, dont on ignore, 35 ans après sa mort, le lieu où ses restes sont
enterrés et qui demeure sans sépulture ;
-
le silence coupable sur l’attentat du DC10 d’UTA, en septembre 1989, alors que l’un
des principaux responsables de cette tragédie est arrêté et emprisonné actuellement en
Lybie ;
-
l’oubli total des disparus des couloirs humanitaires dont on ne souffle jamais mot ;
-
les disparus du Beach pour lesquels, le procès n’aura servi qu’à établir qu’il y a eu des
crimes sans auteurs. Là, une fois de plus, on a choisi le silence pour faire oublier le
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dossier, malgré les recommandations d’une mission des Nations-Unies, en octobre
2011, mission qui a demandé au gouvernement congolais, de faire aboutir la
procédure, afin d’établir les responsabilités pénales et individuelles ;
-
la catastrophe du 04 mars 2012 qui a endeuillé des milliers de familles. Ces dernières
attendent avec impatience que les vrais coupables soient sanctionnés et non pas des
boucs-émissaires. Sur ce dossier, on constate que malgré des sommes importantes
inscrites dans le collectif budgétaire adopté en 2012 pour apporter des solutions
appropriées aux souffrances des victimes de cette tragédie, rien de concret ne se fait
sur le terrain.
Comme on peut le constater, il y a un divorce entre le discours du pouvoir sur la paix et sa
pratique articulée sur la logique de guerre et l’insensibilité à l’humain. En organisant des
élections frauduleuses pour écarter l’opposition du parlement, en restreignant le libre exercice
des activités des partis de l’opposition, en violant quotidiennement la Constitution et les
libertés fondamentales, en restaurant le parti unique et en promouvant une gestion
personnelle, familiale et autoritaire de l’Etat, le pouvoir ne construit pas la paix, bien au
contraire, il crée les ingrédients d’un énième conflit socio-politique au Congo, avec ses
conséquences désastreuses, la prolifération de toutes les formes de violence.
Sur le plan électoral, les expériences de certains pays d’Afrique au sud du Sahara
(Zimbabwe, Kenya, Niger, Guinée Conakry, Côte d’Ivoire, République Démocratique du
Congo, Sénégal) et notre propre expérience en 1997, montrent que les élections sont devenues
l’une des principales causes des conflits qui déchirent l’Afrique aujourd’hui. Dans notre pays,
avec la réhabilitation en 1991 du pluralisme politique, une commission paritaire, composée de
représentants du pouvoir et de l’opposition, a organisé des élections référendaires, locales et
présidentielles libres, transparentes et apaisées en 1992.
Lorsqu’en 1996, dans le cadre de la préparation de l’élection présidentielle de 1997, le
Premier ministre de l’époque, monsieur David Charles GANAO avait annoncé le projet du
pouvoir de faire organiser l’élection de 1997 par son gouvernement, les Forces Démocratiques
Unies (FDU), groupement politique de l’opposition que dirigeait le président DENIS
SASSOU NGUESSO, avaient dénoncé vigoureusement la mise en cause par le pouvoir, du
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principe de l’organisation paritaire des élections et avait signé avec d’autres leaders de
l’opposition, Bernard Kolélas, Jean-Pierre Thystere Tchicaya, le Général Raymond Damase
Ngollo et d’autres, un mémorandum dans lequel, ces personnalités réclamaient la mise en
place d’une commission indépendante d’organisation des élections. Le président Pascal
Lissouba avait accédé à cette revendication de l’opposition d’alors. De même, en raison de la
méfiance qui régnait entre les acteurs politiques, les signataires du mémorandum avaient
exigé et obtenu du président Pascal Lissouba, la réalisation de façon paritaire, d’un
recensement administratif spécial, pour déterminer un corps électoral fiable.
Aujourd’hui malheureusement, force est de constater que depuis le retour au pouvoir du
président Denis Sassou Nguesso, le Congo a rompu avec la pratique des élections libres,
transparentes et équitables, organisées par une commission électorale indépendante et
paritaire. Le président Denis Sassou Nguesso a restauré l’organisation unilatérale des
élections par le gouvernement, une chose qu’il combattait avec force sous le pouvoir dirigé
par son prédécesseur. Dans ce processus, violant les instruments électoraux internationaux et
régionaux auxquels le Congo a adhéré (Déclaration de Bamako de novembre 2000,
déclaration sur le processus électoral dans les Etats membres de la CEEAC de juin 2005,
Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de janvier 2007. Ce
dernier texte a été adopté pendant
que le président Denis Sassou Nguesso assurait la
présidence de l’Union Africaine ; jusqu’à ce jour, le Congo refuse de le ratifier), le pouvoir
congolais a mis en place un système électoral frauduleux, caractérisé entre autres, par :
-
une loi électorale scélérate qui confie l’organisation des élections au ministère de
l’intérieur et à ses démembrements ;
-
une commission d’organisation des élections aux ordres du pouvoir, composée quasi
exclusivement de représentants des partis du pouvoir, et réduite à un organe
d’enregistrement des actes du ministère de l’intérieur et de ses démembrements ;
-
un découpage électoral partisan et injuste, non conforme aux standards
internationaux ;
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-
un corps électoral manipulé (majoration du nombre des électeurs dans les
circonscriptions favorables au pouvoir
et leur
minoration
dans les
circonscriptions jugées défavorables) ;
-
des listes électorales élaborées unilatéralement par le pouvoir en l’absence des
représentants de l’opposition et truffées de nombreux électeurs fictifs, d’enfants de
moins de 18 ans, de nombreux étrangers, de personnes décédées ;
-
des scrutins émaillés de fraudes massives marquées par : - l’inscription d’un même
électeur dans plusieurs bureaux de vote ; - la distribution sélective des cartes
d’électeur ; - l’installation de bureaux de vote occultes dans des domiciles privés ; - le
vote multiple pour un seul électeur ; - la migration des électeurs d’une localité à une
autre ; - le bourrage des urnes ; - le nombre de votants dépassant le nombre des
inscrits ; - la falsification des résultats sortis des urnes ; - la proclamation des résultats
sans indication du nombre des inscrits, du nombre des votants, du pourcentage des
abstentions ; - la rétention des procès- verbaux de transmission des résultats ; - le non
affichage des résultats devant les bureaux de vote, tel que prévu par la loi électorale ; l’intimidation des électeurs par des éléments armés au service de certains candidats du
pouvoir ; - la connivence entre les candidats du pouvoir et les présidents des
commissions locales d’organisation des élections ; - l’utilisation des deniers publics et
du matériel de l’Etat pour les campagnes électorales des candidats du pouvoir ; - la
corruption à ciel ouvert des électeurs ; - l’instrumentalisation de la Cour
constitutionnelle, chargée de valider les candidatures, de proclamer les résultats et de
juger du contentieux électoral.
Les élections législatives de 2012, organisées sur la base de ce système frauduleux, ont été un
véritable scandale ; leurs
résultats, proclamés par le ministre de l’intérieur sont faux.
L’Assemblée nationale issue de cette parodie électorale n’est pas représentative du peuple
congolais. Elle est illégitime. L’opposition ne la reconnaît pas. Toute bonne élection doit
être libre, transparente et équitable et requiert de ce fait, un corps électoral fiable, une loi
électorale impartiale, une commission électorale véritablement indépendante et paritaire, un
découpage électoral juste et équitable, l’égalité de traitement entre les compétiteurs, car, la
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République postule le règne des citoyens égaux en droits. Cette transparence-là, fait avancer
la démocratie.
Sur le plan économique, malgré le battage médiatique orchestré autour du « Chemin
d’Avenir », le Congo n’a pas de véritable politique économique. L’agriculture, proclamée
priorité des priorités depuis 1982 (plan quinquennal 1982 – 1986) et l’industrie, annoncée à
grand renfort de publicité comme l’autre priorité économique, ne sont que de la poudre aux
yeux, car, dans la pratique, le Congo continue d’importer tous les produits manufacturés qu’il
consomme et dépense chaque année, de 140 à 150 milliards de FCFA, au titre des
importations de produits agricoles et alimentaires. A quoi le pouvoir utilise t-il donc les
énormes sommes qu’il inscrit chaque année au budget d’investissement de l’Etat, lorsque l’on
sait que les quelques infrastructures en cours de réalisation, sont financées principalement
par des prêts chinois comme en témoignent les illustrations ci-après :
Route Pointe-Noire – Malélé (64 milliards) ; - barrage d’Imboulou (86 milliards) ; - transport
des lignes Imboulou (166 milliards) ; - aéroport de Maya-Maya (44 milliards) ; - aérogare
d’Ollombo (16 milliards) ; - usine de Djiri (8 milliards) ; - hôpital d’Oyo (5 milliards) ; logements du camp 15 août (3 milliards) ; - route Obouya-Boundji-Okoyo (25 milliards) ; route Makoua-Mambili (60 milliards), etc.
Certes, le Congo a besoin d’infrastructures, car, les infrastructures économiques et sociales
viables sont des préalables indispensables au développement. Il est cependant regrettable que
les dépenses d’infrastructure au Congo, quand elles ne produisent pas des éléphants blancs,
comme à l’occasion des « municipalisations accélérées » de Pointe-Noire, Impfondo, Dolisie,
Owando, Brazzaville, Ewo,
elles sont des sources de surfacturation. Par exemple, à
Brazzaville, le petit tronçon de route, long de 2,800km, qui va de l’aéroport de Maya-maya au
rond-point des dix (10) maisons, a coûté neuf (9) milliards de Fcfa, soit 3 milliards de Fcfa
par km, alors que le coût standard d’un km d’autoroute, et non de route, est d’environ 1
milliard de Fcfa. Ce qui devrait donner pour ce tronçon, un coût global de 2 milliards de Fcfa
s’il s’agissait d’une autoroute. A ce propos, rappelons que pour la construction de la route
Brazzaville-Kinkala par l’Union Européenne, le km de route n’a coûté que 350 millions de
Fcfa, soit environ 10 fois moins cher que le tronçon de route Maya-maya au rond-point de 10
maisons. La Centrale thermique de Brazzaville, dont les équipements ont été achetés sur le
marché d’occasion à des prix exorbitants, ne produit que 10 mégawatts sur les 32 de
puissance installée. Il faut encore signaler que dans certains cas, les infrastructures retenues
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n’obéissent pas toujours à la cohérence du procès développement et de l’aménagement du
territoire.
Le pouvoir présente l’économie congolaise comme l’une des plus performantes de l’Afrique
avec des taux de croissance élevés (12,1% en 2010 ; 12% en 2011 ; 7% en 2012 et 5% de
prévision pour 2013). Ces chiffres sont démentis par ceux donnés par le FMI, à savoir : 2009
(7,5%) ; 2010 (8,8%) ; 2011 (3,4%) ; 2012 (4,9%) ; 2013 (5,3% de prévision). En tout état de
cause, cette croissance est due uniquement à la bonne tenue du prix du baril de pétrole sur le
marché international (110 dollars en moyenne). De plus, elle est une croissance creuse, c’està-dire, une croissance sans développement. Elle ne génère, ni création d’emploi, ni
amélioration des conditions de vie des populations. Malgré cette croissance, le chômage en
général, le chômage des jeunes en particulier, reste endémique et la misère des couches
populaires s’accroit chaque jour davantage.
En définitive, aujourd’hui après 52 ans d’indépendance, le Congo ne dispose ni d’une
agriculture, ni d’une industrie dignes de ce nom. L’économie congolaise n’est pas diversifiée.
Elle demeure une économie de rente qui repose essentiellement sur un seul produit : le
pétrole. Malgré l’importance des investissements dans l’exploitation pétrolière, les effets
d’entraînement sur les autres secteurs sont presque nuls. Par ailleurs, au Congo, le climat des
affaires est très mauvais. Selon la Banque mondiale, le Congo occupe le 181e rang sur 182
pays. C’est dire que le degré d’attractivité de l’économie congolaise est très faible.
Sur le plan financier, le budget de l’Etat congolais est passé de 675 milliards de FCFA en
2002, à 4000 milliards de FCFA en 2012. Il aura été multiplié par six (06) en l’espace de 10
ans. Jamais, mais alors jamais, le Congo n’a engrangé autant d’argent. En dépit de cette
embellie financière, le quotidien des Congolais ne s’améliore pas. Les excédents financiers
dégagés grâce au relèvement continu du prix du baril de pétrole sur le marché international
(soit, en moyenne près de 1200 milliards de FCFA, par an depuis 2005), sont domiciliés dans
des comptes extérieurs. Pourtant, en 2006, le président de la République avait pris
l’engagement de faire auditer chaque année, par la Cour des comptes et de discipline
budgétaire, le compte de stabilisation ouvert dans les écritures de la BEAC à Brazzaville.
Aujourd’hui, près de 6 ans après cette promesse, cet audit se fait toujours attendre et le solde
du compte de stabilisation n’est jamais communiqué au parlement au moment des sessions
budgétaires, malgré la demande insistante des parlementaires.
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Cette situation est d’autant
plus préoccupante que selon les statistiques de la Banque
Centrale, l’ensemble des dépôts du gouvernement dans cette institution ne s’élèveraient au 31
août 2012, qu’à 1.368 milliards de FCFA. Ce chiffre était de 1276 milliards de Fcfa en
décembre 2010 et 1649 milliards de Fcfa à la fin de décembre 2011. Que sont devenus les
milliers de milliards de FCFA de différence ? A cela, il faut ajouter les écarts constatés dans
le cadre de l’initiative de transparence des industries extractives (ITIE) entre, d’une part, les
sommes versées par les sociétés à l’Etat congolais, et d’autre part, les sommes déclarées par
lui. Dans la même optique, le fonctionnement de l’Etat révèle l’existence des formes
diversifiées d’appropriation personnelle et partisane des ressources publiques. Dans ce cadre,
des pans entiers du patrimoine de l’Etat ont été aliénés par les détenteurs du pouvoir. Ces
biens publics sont devenus la propriété des nouveaux riches.
En outre, la corruption est endémique à tous les échelons politiques et administratifs. Le
Congo est classé par Transparency International parmi les pays les plus corrompus du monde.
Il occupe le 162e rang sur 182 pays. Les organes de contrôle (parlement, Cour des comptes et
de discipline budgétaire, inspection générale d’Etat, inspection générale des finances) ne
remplissent pas leur office. Le parlement ne se donne pas les moyens de son rôle. Il n’exerce
pas le suivi de l’exécution du budget de l’Etat et ne veille pas à la bonne utilisation des
finances publiques et à la qualité de la dépense.
La création de la Cour des Comptes et de discipline budgétaire avait ouvert l’espoir que
l’impunité allait désormais être traquée au Congo et que les gestionnaires des affaires
publiques devaient enfin rendre compte de leur gestion. Hélas, il n’en est rien du tout. La
Cour des comptes et de discipline budgétaire dont la vocation est de contrôler les comptes de
la Nation, ne joue pas son rôle et ne contrôle rien, à telle enseigne que malgré les scandales
financiers auxquels se livrent de nombreux gestionnaires de la cité, aucun d’eux n’est
inquiété ; aucun délinquant en col blanc n’est en prison. Au contraire, ils sont assurés d’une
totale impunité. L’obligation constitutionnelle de la déclaration des revenus à l’occasion de la
prise de fonction (article 48), continue d’être allègrement violée.
Sur le plan social, la situation est caractérisée par un grand paradoxe. Le Congo est riche.
Riche de matières premières, de terres arables, de rivières et de fleuves, de forêts, de soleil.
Mais les Congolais sont pauvres. Malgré les énormes revenus générés par le pétrole, 70% de
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Congolais vivent en dessous du seuil de pauvreté ; leur quotidien est fait de souffrances
extrêmes : chômage endémique, vie chère, manque d’eau potable, d’électricité, de pétrole
lampant, de gaz, absence de protection sociale, très faible accès aux soins de santé, famine et
malnutrition. Dans son discours du 13 août sur l’état de la Nation en 2010, le président Denis
Sassou Nguesso décrivait cette situation en ces termes :
(…) J’ai parlé du social comme maillon faible de notre action, parce qu’une partie
considérable de notre population manque du minimum nécessaire. L’eau, l’électricité et les
soins de santé ne sont pas encore à la portée de tous. L’emploi non plus (…). Nos échecs sur
le plan social sont imputables, pour une large part, aux contreperformances de notre
économie (…). Nous n’avons pas encore pu réaliser le développement malgré la générosité de
nos efforts et de notre volonté (…).
Le Congo dispose d’énormes moyens financiers, mais les populations ne profitent pas de la
manne pétrolière. Le peuple n’est pas le premier souci du pouvoir. L’enrichissement de l’Etat
peine à se traduire en une amélioration des conditions de vie du peuple. Pendant qu’en haut,
les dirigeants vivent une vie fastueuse et dépensent des fortunes insolentes, tout en bas, les
populations croupissent dans une misère noire. La vie est à double vitesse : d’un côté, les
souffrances extrêmes du peuple, de l’autre les biens mal acquis et la morgue des nouveaux
riches. Alors que l’embellie financière dont jouit le pays depuis 2003 permet de revaloriser
très substantiellement le pouvoir d’achat des populations, les salaires des fonctionnaires, les
pensions des retraités et les bourses des étudiants, le gouvernement continue de rester
insensible à la paupérisation accrue des couches populaires et ne se soucie que de la
préservation de ses propres privilèges. Les Congolais, contraints de vivre comme des parias
dans leur propre pays, refusent cette situation qui tranche avec les atouts exceptionnels dont
dispose le pays. Un mécontentement généralisé gronde de partout. C’est le cas des victimes de
la tragédie du 04 mars 2012 et
menacent de manifester
des autres catastrophes que notre pays a connues, qui
dans les rues de Brazzaville et des autres localités, si le
gouvernement persiste dans son mépris de leurs souffrances et dans son autisme.
Sur le plan des valeurs, le Congo est plombé par une grave crise morale. Aujourd’hui, on
observe dans tout le corps social, de graves faits de dérèglement comportemental, des
pratiques sociales insolites et atypiques, marquées par la déviance : démotivation au travail,
culte de l’argent facile, esprit de facilité, concussion, corruption, enrichissement illicite,
prostitution, boulimie sexuelle, goût immodéré du luxe et de la fête, vols, braquages, viols,
etc. Chacun vit au rythme de ses instincts en dehors de la norme morale et veut tout avoir sans
fournir le moindre effort. On le sait, le poisson commence à pourrir par la tête. Les Etats
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aussi. C’est le poids de l’exemple. Du sommet à la base de l’Etat, la corruption est devenue
une institution. La vénalité est partout et suinte de partout. A quelques très rares exceptions
près, l’ensemble des acteurs sociaux congolais est possédé par une soif effrénée de l’argent.
Partout, l’argent est devenu le moteur de l’action. Dans l’administration publique, plus rien ne
se fait ou ne s’obtient sans argent : il faut « mouiller la barbe » à un fonctionnaire ripoux pour
obtenir un service rapide. Pour de l’argent, un acteur politique est prêt à vendre son âme, une
épouse à trahir son mari, un homme d’église à se compromettre, un camarade à sacrifier un
compagnon, un ami à jeter aux orties plusieurs années d’amitié.
L’argent-roi a détruit les repères moraux et a engendré de nombreuses anti-valeurs : le déclin
de la discipline comportementale et de l’honnêteté; la perte du sens de la vertu, de l’honneur,
de la dignité et de l’amour-propre ; la corruption, l’enrichissement illicite ; le recul du
sentiment national et la recrudescence du népotisme, du repli sur l’identité du village, de
l’ethnie, de la région d’origine. Cette crise de la conscience congolaise est une des principales
plaies qui gangrènent le Congo : l’éradiquer est un impératif catégorique, car, il y n’aura pas
de redressement national sans un profond changement des conceptions, des mentalités, des
pratiques politiques et sociales d’hier et d’aujourd’hui. Pour refonder le Congo, il faut réarmer
moralement les Congolais. Il faut reconstruire la conscience congolaise.
Sur le plan culturel, la situation est marquée par une grande régression. Notre musique qui
assurait naguère au Congo sa visibilité sur le plan international, a versé dans le bruit, la
médiocrité, la vulgarité, voire la pornographie. Notre littérature qui est l’une des plus
fécondes et des plus reconnues d’Afrique, n’est pas soutenue par le pouvoir : aucun salon du
livre n’est organisé sur le sol national ; aucune réunion scientifique portant sur elle n’est
programmée ; aucun soutien n’est apporté aux écrivains. De même, rien n’est fait pour
valoriser la peinture congolaise, l’un des fleurons de notre culture. Des grands talents comme
GOTENE sont abandonnés à eux-mêmes. L’école de peinture de Poto-Poto, lieu
emblématique de la création picturale congolaise n’est pas construite. L’office national du
cinéma (ONACI) a fait faillite et avec lui, le cinéma national ; toutes les salles publiques de
cinéma ont été vendues à des confessions religieuses. L’Etat n’accompagne pas les arts et les
lettres. Il n’y a plus au Congo, ni salles de cinéma, ni salles de théâtre, ni bibliothèques, ni
librairies, ni maisons d’éditions du livre ou du disque, ni musées, ni maisons de la culture. De
façon générale, les Congolais ne lisent pas ; ils consultent très rarement l’internet ; ils ne
cherchent pas à élever leur niveau intellectuel et culturel : leurs seules pratiques culturelles
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sont constituées par la fréquentation des bars dancing, des boîtes de nuit, des « VIP » et autres
lupanars. La plupart des jeunes Congolais ne consultent l’internet que pour visionner des
films pornographiques. Les émissions de radios et de télévisions du Congo sont d’une
pauvreté intellectuelle et culturelle affligeante, à telle enseigne que les intellectuels se
tournent vers les radios et les télévisions étrangères. Bref, notre culture est en crise. Cette
situation génère dans le peuple une perte de confiance en soi et dans les valeurs de civilisation
congolaise. Elle renforce l’aliénation culturelle héritée de la colonisation et favorise le recul
du sentiment national et du patriotisme. En dernière analyse, la crise culturelle fragilise la
conscience nationale et l’amour de la patrie. Elle fait des Congolais, des déracinés, étrangers à
leur pays et dans leur propre pays.
Excellence, monsieur le président de la République,
Ce bref regard panoramique sur les derniers développements de la situation politique,
économique, sociale et morale du Congo, révèle que notre pays est traversé par une crise
multidimensionnelle. Ni les interdictions répétées des activités de l’opposition, ni les atteintes
graves aux libertés, aux droits, à la sécurité et à l’intégrité physique des responsables et
militants de l’opposition, ni les intimidations perpétrées par les forces de répression et de
régression , ni la corruption à grande échelle dans les milieux dirigeants de l’opposition, ni les
bruits de botte qu’on entend ici et là, ni les complots imaginaires, ni les procès fabriqués, ne
sauraient constituer des solutions à la crise actuelle de notre pays. Au contraire, toutes ces
fausses solutions à de vrais problèmes, ne font que l’aggraver. Le peuple congolais a trop
souffert des guerres civiles à répétition (93-94, 97, 98-99) que ses dirigeants lui ont imposées.
Le temps du ressaisissement et de la lucidité est venu. La surdité incompréhensible du pouvoir
aux appels de la raison doit désormais céder la place à la sagesse.
Aujourd’hui, la convocation des Etats généraux de la nation est l’unique solution pour
sortir du marasme actuel. Hors de cette voie, il n’y a point de salut pour le Congo. Les Etats
généraux de la nation, vrai dialogue politique entre le pouvoir et les forces vives de la
nation, concernent tout le peuple congolais et rassembleront des représentants des
associations de la société civile, des intellectuels, des jeunes, des femmes, des artistes, des
artisans, de la classe politique dans sa diversité et de la diaspora congolaise.
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Ce forum national aura pour objet de réfléchir sur chacun des grands défis auxquels le Congo
est confronté aujourd’hui et de formuler des propositions novatrices et appropriées pour
relever chacun des défis identifiés et analysés. Il sera un haut lieu de débats politiques,
techniques et professionnels, sereins et de haut niveau. Les débats porteront à titre indicatif,
entre autres, sur : les élections libres, transparentes et équitables en 2013 et 2016 ; la
réhabilitation du processus démocratique ; les droits humains ; la crise des valeurs et la
moralisation de la vie politique et de la vie publique ; la construction d’une armée et d’une
police
véritablement
républicaines ;
l’édification
d’une
économie
diversifiée ;
l’industrialisation du pays ; la sécurité alimentaire ; le pouvoir d’achat des populations et des
travailleurs ; l’emploi des jeunes ; l’accès des populations aux services sociaux de base ; le
développement humain ; la bonne gouvernance ; la refondation de l’école de la République ;
le redressement du système national de santé ; la construction du système national de la
recherche scientifique et de l’innovation technologique ; les nouvelles technologies de
l’information et de la communication ; le développement énergétique ; le développement
urbain et le logement social ; la décentralisation des collectivités locales ; la valorisation de la
culture nationale ; la protection de l’environnement ; l’ouverture sur le monde et sur la
modernité. Les débats sur ces questions se dérouleront dans un esprit de tolérance et de
responsabilité.
Ainsi conçus, les Etats généraux constituent la seule bonne solution pour sortir le Congo de la
crise qui le plombe. Contrairement à ce qu’ont affirmé certains oiseaux de mauvaise augure,
les Etats généraux ne visent nullement le renversement de l’actuel président de la République
dont le deuxième et dernier mandat court jusqu’en 2016, conformément aux dispositions de la
Constitution du 20 janvier 2002. Nous, opposition congolaise, nous sommes contre la prise du
pouvoir par la force. Pour nous, le pouvoir est au bout d’élections libres, transparentes et
honnêtes. Nous luttons pour la création des conditions permissives de telles élections. Nous
sommes des démocrates et des républicains, respectueux des lois de la République. Nous ne
sommes pas des putschistes. Ce sont les peuples qui font l’histoire. C’est le peuple congolais
qui est la clé de son avenir. A condition qu’il se libère des chaînes de la résignation. Notre
rôle est de donner des impulsions en vue de la réhabilitation du processus démocratique et du
redressement national.
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Excellence, monsieur le président de la République,
A la suite de votre victoire militaire du 15 octobre 1997 et à l’occasion des assises du forum
national, tenu à Brazzaville le 05 janvier 1998, vous déclariez :
(…) je prends l’engagement ferme de ne jamais accepter un quelconque retour en arrière.
L’histoire a un sens. Il faut aller résolument de l’avant, à la rencontre d’une nouvelle
historicité de liberté, de fraternité, de paix et de progrès continu. Le Congo doit vibrer
désormais au rythme universel, accéder définitivement à l’éthique de la démocratie et de la
bonne gouvernance dont les corollaires sont notamment : - un pluralisme politique
débarrassé de toute mystification intellectuelle ; - une séparation équilibrée et
complémentaire des pouvoirs ; des institutions démocratiques et stables ; une pratique
électorale qui aliène tout fétichisme ethnocentriste ; une décentralisation qui stimule un
épanouissement de toutes les régions du pays (…) Tout cela, dans le cadre d’un Etat de droit
qui ne ruine pas le droit de l’Etat à réguler l’espace public (…)
Excellence, monsieur le président de la République,
Cette profession de foi hautement démocratique vous honore. Le moment est venu de mettre
en cohérence les discours et les actes et de traduire dans les faits, votre engagement « … de ne
jamais accepter un quelconque retour en arrière… d’aller résolument de l’avant, à la rencontre
d’une nouvelle historicité de liberté, de fraternité, de paix et de progrès continu… ».
L’histoire est du côté de la liberté. Le monde est entré dans la civilisation de la démocratie.
Cette évolution est irréversible. Personne ne peut l’arrêter. Le Congo a l’impérieux devoir de
s’arrimer aux temps modernes. Dans cette direction, les signataires de la présente lettre
ouverte, vous demandent de bien vouloir convoquer dans les meilleurs délais, les Etats
généraux de la nation congolaise, grand conseil de famille entre le pouvoir et les forces
vives de la nation, pour mettre en musique les engagements contenus dans votre déclaration
du 05 janvier 1998, sus-citée. Le développement d’un pays exige un dialogue permanent entre
le pouvoir et les citoyens transformés en acteurs et non en spectateurs de leur propre vie. Il
faut se parler. Dans son intervention au XIVème sommet de la Francophonie, tenu à Kinshasa
du 12 au 14 octobre 2012, le président tunisien, monsieur MONCEF MARZOUKI, a rappelé
à ses collègues Chefs d’Etat, le message du printemps arabe, à savoir : « messieurs les chefs
d’Etat, faites des réformes ; si vous ne le faites pas, nous, peuples, allons vous y
contraindre ».
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Excellence, monsieur le président de la République,
Méditez cet appel de votre collègue tunisien. Soyez de votre temps. Entendez la voix de la
raison et de la sagesse. Ecrivez une nouvelle page de l’histoire du Congo en restant fidèle au
serment constitutionnel (article 69) que vous avez prêté devant la Nation entière et la
communauté internationale, serment ainsi libellé :
« Devant la Nation et le peuple Congolais seul détenteur de la souveraineté : MOI, Denis
Sassou Nguesso, président de la République, je jure solennellement :
-
de respecter et de défendre la Constitution et la forme de l’Etat ;
-
de remplir loyalement les hautes fonctions que la Nation et le Peuple m’ont confiées ;
-
de garantir le respect des droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés
publiques ;
-
de protéger et de respecter le bien public ;
-
de consacrer l’intégrité des ressources naturelles au développement de la Nation ;
-
de garantir la paix et la justice à tous ;
-
de préserver l’unité nationale et l’intégrité du territoire, la souveraineté et
l’indépendance nationale. »
Excellence, monsieur le président de la République,
Dites oui aux Etats généraux de la nation congolaise.
Profondément convaincus que vous donnerez une suite favorable à notre proposition de bon
sens, nous vous prions d’agréer, Excellence, monsieur le président de la République,
l’expression de notre très haute considération.
Fait à Brazzaville, le 26 octobre 2012
Les signataires
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