La stratification urbaine à Rome
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La stratification urbaine à Rome
La stratification urbaine à Rome La place de l’architecture contemporaine dans le centre de Rome Mémoire de Fin d’Etude – Jérémie Manguin Sous la direction de Solenn Guével, Février 2008 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Belleville « Déjà une lumière d’une autre ville, vous ne savez pas encore que vous ne l’oublierez jamais […] Rome n’est pas une ville musée, elle possède un grand sens de la vie réelle de la ville. Rome est ville des hommes beaucoup plus que des choses, c’est pourquoi elle s’étend dans la durée ». GRIMAL Pierre Rome les siècles et les jours Ed. Arthaud – 1982 Remerciements A Mamouche, pour m’avoir fait découvrir ton Italie. A Josette, pour ta présence indéfectible. A Bruno Rasia, Alfredo Muschietti, Paulo Boccio, Roberto Sciavonne, Alessandro Anselmi - siete statti la mia Roma… A Papou. S o m m a i r e 1. Introduction 2. Développement 2.1 Etude historique préliminaire 2.1.1 Capitale Nationale, un nouveau statut à établir. 2.1.2 La Rome fasciste, les derniers grands projets urbains. 2.2 La ville contemporaine 2.2.1 Quelle politique pour quelle architecture depuis 1945 ? 2.2.2 Rome, une ville surprotégée ? Son rapport au sol et à l’archéologie. 2.2.3 L’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme aujourd’hui. 2.3 Trois projets contemporains à Rome : Renzo Piano, Odile Decq, Richard Meier. Entretiens. 3. Conclusion 4. Annexes 5. Bibliographie 1.Introduction Rome, ville par excellence. Roma Forma Urbis. En Europe, elle est un exemple exceptionnel de continuité urbaine. De sa création, il y a de cela plus de trois mille ans (agrégat de quelques villages au sommet de deux ou trois collines), jusqu’à nos jours (capitale d’une Italie tournée vers la construction européenne), sa longue histoire a été mouvementée. Tantôt consciente de sa richesse architecturale, des témoignages du temps, tantôt irrespectueuse et vandale, Rome n’a eu de cesse de se reconstruire sur elle-même. Le visage actuel de la ville est constitué de multiples facettes. L’une des plus importantes est sans nul doute cette vie moderne qui s’écoule dans un décor ancien, d’une autre époque. L’histoire et ses vestiges font partie de la vie quotidienne et structurent la ville contemporaine dans son ensemble. Aujourd’hui, le respect du passé à Rome crée d’inévitables conflits avec les besoins d’une capitale moderne. Son immobilisme, le profond endormissement de « la belle » fait désormais partie de la légende. Elle tire également de cet état de fait une partie de son charme. La dolce vita est une réalité envoûtante. Même si cette notion est fortement liée aux années soixante, elle est encore, d’une certaine manière, présente dans la ville. Le rythme de vie romain est particulier. Dans tous les secteurs, la ville oscille entre dynamisme et charme méditerranéen un peu léthargique. Ce qui fascine dans cette ville est également à la base de ce qui pose problème. Rome est fondée sur une dualité enivrante. L’immobilité de Rome est aussi légendaire que son éternité. Tous les observateurs avisés - Piranèse, Stendhal, Viollet-leDuc, Fellini, l’ont décrite avec ironie ou bienveillance. Elle est majestueuse, grandiose, chaleureuse et accueillante. Elle est tout cela en même temps, mais aussi incroyablement prétentieuse et sûre d’elle. En fin de compte, elle se révèle peu compétitive lorsqu’on la place au rang qui devrait être le sien, de grande métropole européenne. Changer. Changer vite. Aucune ville au monde n’échappe à cette formidable nécessité. La compétition que les unes et les autres se livrent à distance l’exige. Les grandes métropoles doivent répondre à de nouvelles demandes, offrir de nouvelles infrastructures, répondant à de nouveaux besoins. Mais l’évolution, la transformation parfois, ne s’opèrent pas partout dans les mêmes conditions. L’histoire, le contexte particulier de l’instant, jouent en chaque lieu, en faveur où contre le visage du lendemain. Chacun connaît Rome de près ou de loin et chacun s’en fait une image particulière. Aujourd’hui, se promener dans Rome reste une expérience unique. Au bout de quelques jours, le charme et l’ivresse des vieilles pierres perdent de leur intensité et le manque total de bâtiments contemporains saute aux yeux (du moins est-ce l’impression qu’un étudiant en architecture peut avoir). On se met alors à déambuler à la recherche du moindre petit édifice un peu « récent ». Contrairement à Paris où l’on trouve, disséminés dans la ville, un grand nombre de bâtiments des années 1970, 80 (le siège du P.C.F. place du Colonel Fabien, par O. Niemeyer, par exemple), à Rome, il est quasiment impossible de trouver des bâtiments de cette période. Rome a connu une période d’immobilisme, d’un point de vue architectural et urbain de près de 60 ans. Pourquoi ? La place de l’architecture contemporaine au cœur de la ville est encore à définir. Immédiatement, la comparaison avec d’autres grandes villes européennes s’opère. Paris, Londres, Berlin, Madrid… chacune de ces villes accueille et favorise l’implantation de bâtiments récents ; les grands architectes et urbanistes de notre époque sont invités à projeter, à débattre, à repenser l’urbain, afin d’élaborer, chaque jour un peu plus la ville de demain. Cette dynamique du projet, présente dans d’autres grandes villes européennes, semble inexistante à Rome, depuis la seconde guerre mondiale. L’architecture contemporaine doitelle systématiquement trouver un espace afin de s’implanter au cœur de la ville moderne ? L’exemple flagrant de l’épopée de la construction des deux et uniques lignes de métro romain est plus qu’explicite 1. Contrairement à d’autres métropoles européennes, aucune politique au cours de ces cinquante dernières années n’a facilité l’implantation d’une dynamique du projet, du changement. L’immobilisme administratif est une réalité omniprésente. Etre architecte à Rome depuis quelques dizaines d’années est une gageure. Néanmoins et depuis peu, certains soubresauts se font sentir. Quelques hommes politiques (essentiellement depuis l’élection de Francesco Rutelli en 1 Dans le film Roma de Fellini, les ouvriers, construisant le métro, rencontrent par hasard une salle antique remplie de fresques, s’effaçant rapidement au contact de l’air nouveau. 1993 au poste de Maire de Rome), conscients d’une réalité particulière, se battent pour changer ce qui semble immuable. Quelques bâtiments voient le jour, lentement, en évitant tant bien que mal les difficultés inhérentes à la construction aujourd’hui à Rome - comme la protection de l’ancien, la lenteur et l’archaïsme inégalables des démarches administratives, le manque d’expériences des différents interlocuteurs publics, l’instabilité politique perpétuelle du pays ne permettant à des projets de s’échelonner sur le long terme… Les quelques projets qui réussissent à émerger restent peu nombreux – moins d’une dizaine aujourd’hui. Est-ce que ce changement, advenu au cours des années 1990, qui semble se confirmer, marque la fin d’une période d’immobilisme total ? Pourquoi ce processus de reconstruction permanente de la ville sur elle-même, qui est désormais devenu une « tradition », s’est-il interrompu pendant la seconde moitié du vingtième siècle ? Rome a fonctionné ainsi tout au long de ses trois millénaires d’histoire. Les dernières grandes transformations urbaines, ayant touché le cœur de la ville, remontent à l’époque fasciste, depuis, presque rien. Afin de déchiffrer, de comprendre le visage actuel de la ville, une étude de son histoire récente est indispensable. Sans perdre de vue un fil, qui sera celui de la reconstruction de la ville sur elle-même, cette partie nous mènera de l’unification de la péninsule italienne par Garibaldi à la fin du régime fasciste, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cette recherche historique permet d’avoir une vision plus approfondie des problèmes que rencontre la ville de Rome aujourd’hui. Nous nous pencherons, dans un second temps, de manière différente, sur les dernières cinquante années de vie de la ville qui nous permettra d’avoir une vision plus globale de la cité contemporaine. Il faut pour cela élargir notre regard et s’intéresser d’avantage à la politique, à l’économie et à la place de Rome au cœur de l’Italie moderne, et de l’Europe. Les différents plans d’aménagement mis en place pour la ville depuis les années trente sont aujourd’hui une base de travail et de compréhension profonde de la ville contemporaine. Par le biais d’une étude de contenu, et non pas cartographique, nous essaierons de comprendre leurs lignes directrices ainsi que le contexte au sein duquel, ces différents plans régulateurs, ont été élaborés. Quels rapports Rome entretient-elle avec l’architecture, l’archéologie, la protection du patrimoine ? Comment fonctionnent les différents services administratifs de protection de l’ancien dans la capitale ? Est-ce que la manière particulière dont l’architecture et l’urbanisme, sont enseignés aujourd’hui peut nous apprendre des choses ? Quels sont les projets qui ont vu le jour depuis peu ? Sont-ils annonciateurs d’un changement ? Au travers d’une présentation de 3 projets et d’entretiens réalisés en Janvier 2008 avec des architectes ayant travaillé sur ces différents projets, nous tacherons de mieux comprendre ce que signifie « construire à Rome aujourd’hui ». En conclusion, un regard comparatif sera mis en place afin d’affiner notre vision de la ville. Jérusalem présente beaucoup de similitudes avec Rome ; jusqu’à quel point ? Rome réussira-t-elle à concilier ce qui l’entrave aujourd’hui avec ce qui en fera une capitale européenne de premier plan demain… ? 2.Développement 2.1 Etude historique préliminaire Retracer une histoire de Rome ne peut être qu’une démarche sélective. Un grand nombre de choix sont à faire. Les écrits concernant la ville de Rome (d’un point de vue historique) sont trop nombreux et parfois contradictoires. La moindre recherche bibliographique à propos de Rome amène le lecteur à se retrouver face à l’immensité et à la diversité des publications concernant la période antique. Cette période croule sous les écrits, alors que la Rome moyenâgeuse ou la Rome moderne en manquent de manière évidente. Peu de villes ont une identité si forte qu’il est facile d’en parler à la troisième personne. Rome est constituée d’une multitude d’éléments disparates mais présente en même temps un visage terriblement singulier et reconnaissable. L’histoire de la naissance de la ville, démarre communément par l’histoire de Romulus et de Remus qui décident de fonder, sur le Palatin, une ville qu’ils appelleraient Rome 1. Rome commence donc ici, sur le haut d’une colline entourée de marais : une poignée d’hommes laissent pour la première fois une marque durable sur un sol vierge. C’est à proximité de l’île Tiberine, là où le Tibre pouvait être franchi plus facilement que les premiers habitants s’installent, choisissant les hauteurs pour s’abriter des crues. La louve allaitant les deux jumeaux, symbole de la ville de Rome. La fondation d’une ville est soumise, à l’époque, à une série de rites hérités de la civilisation étrusque. L’un d’eux, en particulier, concerne le marquage au sol des limites de la ville nouvelle. L’histoire de Rome débute sous le signe de « l’obsession des confins ». Délimiter, marquer son territoire, tel est l’enjeu de la fondation de la ville. A l’aide d’une charrue, Romulus trace donc au sol le pomerium 2, un sillon symbolisant l’enceinte sacrée de Rome. Puis, il divise cette enceinte en deux, chacun des deux frères se trouvant par la même responsable de sa partie. Mais ils ne tardèrent pas à se disputer et Romulus, pour régner seul, ou peut-être simplement parce que Remus s’était dressé contre lui, tua son frère. Cette tradition légendaire, communément admise à propos de la naissance de la ville, peut s’opposer à une vision plus économique, mais vraisemblablement plus juste, de ce que fut le début réel de la cité. Le village de bergers établi sur le Palatin a certainement existé. Les vestiges de ces cabanes ont été retrouvés. En revanche, il ne subsiste aucune trace de cette enceinte primitive qu’auraient élevée ses habitants. C’est en vain que l’on en cherche les portes, aux extrémités de ce qu’auraient dû 1 Selon la légende, la cité de Rome aurait été fondée par Romulus en 753 av. J.-C. Même si des éléments archéologiques indiquent des traces antérieures d’habitations sur le site, il est probable que la véritable installation des hommes date approximativement de cette période. Sur le Palatin, on a découvert des traces d’un village qui daterait de l’âge de fer, soit du 8ème siècle av. J.-C. 2 Pomerium: Enceinte sacrée d’une ville qui répond à des prescriptions religieuses d’origine étrusque. En son sein, le pouvoir est civil. Les morts ne peuvent y être enterrés et donc, les citoyens en armes, semeurs de mort, en sont exclus. être le Cardo et le Decumanus 1. Il est fort probable que la ville palatine ne soit qu’une légende, ayant pris corps tardivement. Le caractère étrusque, entourant les rites de la fondation de la ville, semble quasi indéniable. On sait que Rome connut, à ses débuts, une influence étrusque considérable. Il se peut que la fondation de la ville ‘légendaire’ se mélange un peu avec le début des échanges marchands latins-étrusques. Une période d’un demi-siècle sépare les deux hypothèses émises autour de la manière dont la ville s’est crée. La colline étrusque par excellence à Rome n’est pas le Palatin, mais le Capitole 2. Maquette de reconstitution d’une cabane primitive sur le palatin. La ville orientée, recherchée pendant de nombreuses années au pied du Palatin, se retrouve, de manière très claire, au pied du Capitole. Il semblerait donc que cela soit au Forum, dans la plaine, que Rome fut fondée. Les quatre portes clôturant le Cardo et le Decumanus sont identifiables. Le Decumanus était formé par la rue qui deviendra plus tard la Via Sacra et le Cardo, par une transversale, qui à l’époque classique se trouva prolongée par le Vicus Tuscus (la voie des Etrusques). Tel fut selon toute vraisemblance le début de Rome. Rome était une colonie étrusque, abritant un simple marché, dominé et surveillé par la garnison installée sur les hauteurs du Capitole. Le sel constituait sans doute la principale marchandise des échanges. Lorsque vers la fin du 6ème siècle av. J.C. la puissance étrusque ébranlée finit par se replier au nord du Tibre, le peuple romain acquit l’indépendance et Rome devint une cité autonome. Elle était à cette époque sans doute constituée d’un agglomérat d’habitations en bois, entourant un espace à ciel ouvert, servant au bon déroulement des échanges marchands. Le site, la topographie, le développement de la ville au cours des siècles ont évolué de manière considérable. L’histoire de l’empire romain, son emprise militaire et culturelle sur l’ensemble du bassin méditerranéen, le déclin de la cité pendant le Moyen-Age et la ville du Pape sont des périodes passionnantes. Afin de bien comprendre la ville contemporaine, se baser sur la période charnière qui démarre en 1870 et qui voit Rome devenir la capitale de la péninsule italienne unifiée est un point de départ solide, situé à un moment charnière. Topographie de la ville, aujourd’hui. 1 Cardo et Decumanus: axes perpendiculaires et orientés structurant la ville “mère” (Rome) qui seront utilisés dans chaque nouvelle colonie, afin de poser les bases d’une organisation urbaine. 2 Le Capitole, appelé aussi Mons Tarpeius ou Mont des Tarquins. 10 2.1.1 Capitale Nationale, un nouveau statut à établir. La brèche de Porta Pia dans l’enceinte d’Aurélien. La formation du Royaume d’Italie à partir de 1860 conduit les troupes de Garibaldi aux portes de la cité Papale. En 1870, les troupes italiennes entrent dans l’Urbs par la brèche de la Porta Pia. Le 1er juillet 1871, Rome devient la capitale de la péninsule italienne unifiée. Trois mois après la brèche de Porta Pia, ouvrant la ville papale sur le reste de l’Italie et permettant à Vittorio Emanuele de réaliser l’unità italiana, une crue dévastatrice permet au Tibre de sortir de son lit et engloutit une partie de la ville sous les eaux (décembre 1870). La crue du Tibre de 1870. Une rivalité importante apparaît entre Rome, Forence et Turin. Florence, capitale depuis 1865, a du mal à accepter que ce statut de première ville lui soit enlevé. Turin, ville de la maison Savoie, estime que la place de capitale lui revient de droit. La monarchie, en tant qu’institution n’a eu que peu d’influence sur les décisions urbanistiques de l’Urbs. Les transformations qui s’opèrent à Rome à ce moment, sont les résultantes d’un jeu complexe qui implique la municipalité, le gouvernement, les particuliers (associations, banques, individus, sociétés immobilières, etc.) et enfin le Vatican, par le biais de l’aristocratie noire 1 qui est toujours restée présente et active. Une vive croissance démographique et de grands travaux caractérisent les premières années de la Rome 1 L’expression Noblesse noire, en italien Aristocrazia nera, désigne une fraction de la noblesse italienne qui se rangea au côté du pape Pie IX lorsque les troupes du roi Victor-Emmanuel II s’emparèrent de Rome en 1870 et mirent un terme à l’indépendance des États pontificaux. 11 Plan des rues crées après 1883. Capitale. Le cours du Tibre est régulé par d’imposants murs et de nouveaux ponts en fer relient ses rives. L’installation du Roi et du gouvernement central a pour conséquence la construction de ministères, d’un palais de justice, du palais des expositions et de la banque d’Italie. De grands abattoirs s’élèvent dans le quartier du Testaccio. De vastes places (piazza del Independenza ou piazza della Republica), s’inscrivent dans le tissu ancien et de grandes artères, via Nazionale, via Cavour ou le corso Vittorio Emanuele, sont tracées. Le monument à Vittorio Emanuele, symbole du régime, entraîne la destruction des constructions médiévales sur les pentes du Capitole. Cette rue a été tracée dans les années 1880 pour restructurer le quartier Rinascimento. La monarchie cherche à apposer sa marque sur la ville. Le cœur du nouveau quartier de l’Esquilino est constitué par la place Vittorio Emanuele d’où partent des rues portant le nom des principaux princes et rois de Savoie. Puis, rayonnant, les rues consacrées aux hommes politiques et héros du Risorgimento 1, aux batailles. La brutale augmentation de la population crée des conditions favorables à la spéculation immobilière. Les grandes familles nobles vendent leurs domaines. Parcs et jardins sont remplacés par de nouveaux quartiers, comme au Prati del Castello ou à San Sabino. L’urbanisation s’étend aussi vers le Testaccio, quartier d’habitation populaire et même au-delà des murs. Sous la municipalité, guidée par Ernesto Natan, la ville se dote, en 1909, de l’un de ses premiers Plans Régulateurs. Rome, capitale encore contestée sans assises économiques fermes, accueille en 1911, une exposition internationale. 1 Le Risorgimento est la période ou s’est unifiée la péninsule italienne, par annexion de la Lombardie, de Venise, du Royaume des DeuxSiciles, du Duché de Modène et Reggio, du Grand Duché de Toscane, du Duché de Parme et de l’Etat de l’Eglise au Royaume de Sardaigne. 12 Le dix-huitième siècle marque un tournant dans l’histoire italienne. Depuis la fin du Moyen-Age, la péninsule italienne connaît une période de déclin. Elle n’est pas un pays, mais un terrain de luttes entre différentes villes et royaumes indépendants, qui s’entredéchirent et dont les divisions suscitent les ambitions et provoquent les interventions des souverains étrangers. De la grandeur passée, il ne subsiste que la nostalgie de la période romaine. Les réalités du moment sont bien différentes : le morcellement politique, l’archaïsme économique et le poids social de groupes rétrogrades (aristocratie foncière, patriciat marchand, clergé catholique). Quand le 20 septembre 1870 les troupes italiennes entrent dans la Rome pontificale, la nouvelle capitale du royaume n’est pas vraiment préparée à jouer son rôle. Elle n’est peuplée que de 200 000 habitants. Son paysage urbain est disparate et ne présente, en aucun cas, les traits d’une capitale. Les zones habitées se regroupent entre le Champ de Mars et la piazza del Popolo. Les habitants de Rome sont, à cette époque, essentiellement des bourgeois, des commerçants, des fonctionnaires, des militaires et des artisans, qui assurent, par le biais de leur travail, une existence tranquille au clerc et à l’aristocratie. Ignorante de l’agitation industrielle qui secoue l’Europe, Rome survit grâce à une économie fondée sur l’agriculture. La campagne qui l’entoure reste très fertile. L’industrialisation consiste, pour la bourgeoisie, à mieux organiser le travail des paysans en modifiant les méthodes de culture, de récolte et de vente du grain et des autres produits agricoles. La malaria, qui ravage les alentours de la ville, pousse régulièrement des familles entières à se réfugier en ville, avec bêtes et réserves de grains. Des granges et des étables jalonnent ainsi, peu à peu, le cœur de la ville ; image qui ne correspond pas tellement à celle d’une ville, capitale d’un état qui se veut résolument moderne. Rome manque de lieux, où les différents aspects de la vie politique et administrative peuvent se dérouler. Les membres du gouvernement et tous les acteurs de cette nouvelle fonction doivent être logés. Bref, la ville est inadaptée à ses nouvelles fonctions. C’est donc dans une certaine urgence que la bourgeoisie se concentre sur la construction. Le clergé et l’aristocratie vendent des terres et les paysans se transforment en maçons. Peu à peu, la ville commence à se développer. En 1883, 13 une ébauche de Plan Régulateur est mise en place et ne fait qu’entériner l’existence de zones déjà construites. La ligne directrice du développement urbain est celle de la spéculation immobilière. La typologie des édifices les plus courants à Rome est : des immeubles à quatre ou cinq étages, s’alignant sur la rue, fruits de l’architecture du 19ème siècle. Le tracé urbain prédominant (grandes places, rues droites qui se croisent de manière orthogonale), selon le modèle Piémontais 1, prévoit que, en particulier les édifices tels que les ministères, se trouvent noyés au milieu de zones résidentielles. Lieux de travail et lieux de vie sont limitrophes. Il Vittoriano. Les nouvelles constructions résidentielles, bien que très nombreuses sont, pour des motifs de coûts, souvent peu innovantes. Le visage de la Rome de Vittorio Emanuele est celui de la répétition de façades symétriques enduites d’ocre. Malgré tout, c’est au milieu de cette fièvre constructive engendrée par la spéculation, avec toutes ses tendances et ses multiples références stylistiques (nous sommes en pleine période éclectique), qu’émergent un certain nombre d’édifices publics. Les ministères, le Policlinico (un grand centre hospitalier), l’hôpital militaire du Celio, le palais des expositions de la Via Nazionale, le palais de Justice et le monument dédié à Vittorio Emanuele, piazza Venezia, il Vittoriano 2. Une énorme volonté « d’auto – affirmation » de la nouvelle capitale se fait sentir et est retranscrite au travers de cette architecture solennelle et glorifiante (Rome se cherche une identité nouvelle qui lui fait alors défaut). Nous assistons alors à la recherche d’un style national, dans l’urgence de rénover, d’inventer une typologie propre à exprimer les besoins d’une société nouvelle. Rendre « belle » la ville, la rendre digne de son statut de capitale, signifie la construction de théâtres, l’ouverture de musées et de galeries. Mais cela englobe aussi la restauration des églises et des palais en ruine, l’entretien des jardins, le lancement de fouilles archéologiques, afin de commencer à remettre à jour l’immense patrimoine monumental de la Rome Antique. Cela signifie aussi la création d’un réseau de services publics, qui jusque là, et notamment dans la Rome pontificale, était inexistant. On éclaire les rues et les avenues ; on construit de nouveaux ponts ; on tente de 1 Vittorio Emanuele et la famille royale sont originaires de la région du Piémont. 2 Quand en 1878 disparaît Vittorio Emanuele II, le roi et instigateur de la toute fraîche unité italienne, décision est prise de lui ériger un monument grandiose. Le marbre blanc provenant de la région de Brescia et l’architecture d’escaliers et de colonnes d’inspiration hellénistique jurent dans le panorama de la ville de Rome. Et pourtant le projet de Giuseppe Sacconi, vainqueur du concours fait l’unanimité. La réalisation de cette œuvre monumentale (qui nécessite la destruction d’un quartier entier accolé au Campidoglio), débute en 1885 et ne sera terminée que 26 ans plus tard. 14 Relevé et fondations des berges du Tibre. canaliser le Tibre ; on fonde ses berges ; on ouvre les premières écoles publiques et on initie un semblant de réseau de transports publics de surface. Les logements populaires sont malheureusement, dans ce mode de développement, d’une certaine manière, sacrifiés. Les ouvriers et les artisans se voient relégués et logés dans des logements trop peu nombreux, dans le quartier du Testaccio, qui abrite les marchés généraux 1 et la centrale du gaz. Les paysans issus du Lazio ou des Abruzzes, ayant pour habitude de travailler comme saisonniers, sont désormais une main d’œuvre fixe, qui loge dans des baraquements aux bords de la ville. Ces baraques vont accompagner toute l’histoire de la Roma Capitale, en se déplaçant de manière simultanée, avec l’avancement progressif de la périphérie. Une convention signée en 1880 entre le gouvernement et la commune stipule que, afin de subventionner la croissance de la ville, des conditions d’investissements particulièrement avantageuses seront proposées aux constructeurs. Afin de s’enrichir, qui le peut, se lance dans la construction. C’est la première « fièvre édilitaire » de la capitale. Les parcs des villas, qui entourent la ville, de la piazza del Popolo à San Giovanni, forment un anneau vert, qui va être peu à peu démembré, découpé en parcelles rendues constructibles ; cela en dehors de tout Plan Régulateur et au grand profit des propriétaires. La villa Borghese est sauvée de justesse, rachetée, après de nombreuses tractations, en 1901 par l’Etat italien. La ville entière est un chantier. On construit vite, à crédit, avec la bénédiction de banques romaines, piémontaises, génoises et mêmes étrangères. En 1887, la spéculation immobilière non contrôlée fait place à une crise profonde et, pendant le premier semestre de La villa Borghese. 1 Mercati Generali 2 Les lois Giolitti : Giolitti fait adopter plusieurs textes par la chambre des députés, présentant une série de mesures économiques concernant l’aménagement territorial, appuyés par des mesures fiscales pour les travaux publics. 15 1888, près de 250 chantiers sont abandonnés, laissant des constructions inachevées, disséminées partout en ville. Il faut attendre 1904 et 1907 pour voir apparaître deux lois 2 qui commencent à réglementer, de manière plus stricte, la construction. Ces lois, par le biais de taxes, mettent un frein à l’urbanisme sauvage et permettent de calmement adopter des lignes directrices, qui vont structurer, dans une certaine mesure, le développement de la ville. On essaye ainsi d’endiguer la fièvre désordonnée entourant les constructions nouvelles. Le paysage urbain se pense et s’organise autour d’une alternance d’agglomérations et de zones vertes. Piazza Vittorio, exemple de l’architecture de la nouvelle Rome Capitale. En dehors de l’Italie, en Autriche comme en Angleterre, en Belgique comme en Allemagne, sont nées diverses écoles d’architecture qui sont fondées sur un principe de rupture complète avec la tradition classique académique. En respectant des exigences de rationalisme, ce mouvement offrait, en quelque sorte, les éléments pour une innovation moderne. A Rome, au contraire, une école de ce genre fait défaut et les nouvelles constructions semblent « suspendues » à mi-chemin entre la recherche d’une autonomie nationale et la volonté de se fondre dans un discours européen. Cette incertitude stylistique se concrétise par un nombre important d’essais, d’expérimentations, de tentatives, toutes plus différentes les unes des autres. Au début du 20ème siècle, le nouveau centre historique commence à assumer sa nouvelle physionomie. En 1911, est finalement inauguré, à piazza Venezia, le Vittoriano ; les fouilles se poursuivent dans les forums et, la promenade archéologique permettant d’aller du Palatin aux thermes de Caracalla, est ouverte. Le Corso Vittorio Emanuele débouche finalement sur le Tibre. Les nouveaux bâtiments de logements qui l’encadrent sont destinés à la bourgeoisie et nombreuses sont les familles qui sont obligées d’abandonner leurs maisons au centre, afin de libérer des terrains convoités. Ils sont chassés en périphérie de la ville, où ils se mélangent avec les immigrants, toujours plus nombreux provenant de la campagne et qui viennent à Rome chercher du travail. En 1903, naît l’I.C.P. 1, ayant comme programme de créer des logements sains et confortables pour les artisans et les ouvriers. Plusieurs quartiers de Rome accueillent ces nouveaux logements bon marché. En 1919, sur 1 I.C.P. – Istituto Case Popolari - Institut pour les maisons populaires. 16 un terrain de propriété communale, au nord ouest de la ville, est repensé un quartier entier (le quartier delle Vittorie) par Von Stubben, un allemand. Au centre du quartier, celui-ci dessine la piazza Mazzini, qui structure l’ensemble du projet urbain. Avec ses rues larges et plantées, le quartier delle Vittorie est un exemple concret de parfaite planification urbaine du début du siècle. Au cours des années 20, au sud et au nord de la ville, deux quartiers, Garbatella et Monte Sacro, sont réalisés par l’I.C.P.. Constitués de maisons privatives ayant chacune un jardin, ces nouveaux quartiers, bien que décentrés, attirent de nombreux habitants. La commune de Rome y amène l’eau courante, l’électricité, le gaz, et de nombreux services. Ils deviennent, en peu de temps, des nouveaux pôles d’attraction. Peu de choses ont changé dans le quartier de Garbatella, il est, encore aujourd’hui, un reflet fidèle des volontés et directives de l’époque. Le quartier Garbatella au moment de sa construction. 2.1.2 La Rome fasciste, les derniers grands projets urbains. Le 28 octobre 1922, avec la marche sur Rome, Mussolini concrétise sa prise de pouvoir. Il est chargé de constituer un gouvernement le 30 octobre. Les grandeurs de la Rome antique et de son Empire sont, pendant ces années, exaltées par l’idéologie fasciste. Les vestiges de l’Antiquité sont dégagés et deux grandes avenues tracées à partir de la Piazza Venezia : la via del Impero vers le Colisée et la via del Mare en direction d’Ostie. Les importantes destructions dans le centre ancien ont nécessité la création de nombreux logements, de nouveaux quartiers entiers émergent en périphérie. A la suite des accords du Latran 1 est ouverte la via della Conciliazione, qui entraîne la démolition de nombreux îlots du Borgo. Une nouvelle cité universitaire s’élève, ainsi que le Foro Italico et l’E.U.R. , qui devait accueillir l’exposition de 1942 et qui fut terminé après la guerre. Pendant la seconde guerre mondiale, bien que déclarée « ville ouverte », Rome subit un violent bombardement le 19 juillet 1943. La capitale de la république italienne connaît une croissance très soutenue. L’urbanisation progresse rapidement en périphérie, dans un rayon de plus de 10 km, sans planification et avec toutes les perturbations d’un trafic automobile de Destruction d’ilôts entier pour le percement de la Via della Conciliazione. 1 Les accords du Latran sont signés en 1929 entre Mussolini et le Pape. Le Vatican devient un Etat souverain et le Pape reconnaît l’Etat italien. Le catholicisme devient la religion d’Etat. 2 Esposizione Universale Roma 17 plus en plus intense. L’héritage de la période fasciste sur l’urbanisme italien est important. Le remodelage du visage des grandes villes italiennes était pour Mussolini une priorité absolue. Chaque intervention permettait la propagande, via journaux, radio et ciné journaux : chaque coup de pioche exercé sur le tissu urbain était un évènement triomphal et bénéfique d’un point de vue sanitaire. D’un point de vue architectural, cette période est, en Europe, riche de nouveautés, de changements et de concepts inédits. Nationalisme et internationalisme, tradition et avant-garde, se confrontent et s’affrontent dans chaque œuvre, dans les projets présentés aux concours, dans les expositions, dans les universités et dans les revues. Certaines décisions prises à cette époque découlent simplement de la culture de l’histoire et de l’architecture du moment. Tout ce qui concerne l’architecture et l’urbanisme, au cours de ces années, n’est pas à rejeter sous prétexte de « fascisme ». Certaines œuvres majeures, comme la Casa del Fascio (Terragni) à Côme, le Palazzo dei Congressi (Libera) de l’E.U.R. à Rome, sont intimement liées à ce moment donné. Ils n’en restent pas moins des édifices majeurs et ils portent en eux un discours d’une justesse absolue. Ils présentent des formes nouvelles, réutilisent des matériaux traditionnels d’une manière innovante et proposent des aménagements contextuels nouveaux, par exemple. Il faut replacer l’architecture des années 20-30 dans un contexte européen florissant, sur le plan des idées, des changements et se voulant décidément en rupture avec le passé. Certains jeunes architectes romains, attentifs à ce qui se fait et à ce qui se pense dans le reste de l’Europe, renoncent au « décor avant tout » et se proposent, au travers d’un dessin géométrique rigoureux, de trouver une typologie concrète, adaptée aux exigences sociales et fonctionnelles de la civilisation contemporaine. En 1928, se constitue le M.I.A.R. 1, qui présente ses travaux dans les différentes expositions internationales qui se déroulent en dehors de l’Italie. En contraste avec l’époque de la Rome capitale nationale, l’Italie semble avoir retrouvé un langage qui lui est propre, une identité à elle. Le régime fasciste italien n’entrave pas les initiatives de ces jeunes architectes d’avant-garde. Il tente de faire sienne ces doctrines, au travers d’une certaine médiation « paternaliste ». Affiche de propagande du régime Mussolinien. Casa del fascio de G. Terragni à Côme. Palazzo dei Congressi de Libera à l’EUR. 1Movimento Italiano l’Architettura Razionale. per 18 La via del Impero et la via del Mare. Percement de la via del Impero (actuellement via dei Fori Imperiali) et mise à jour d’une grande partie des forums. Rome, pour le régime fasciste, n’est plus seulement le centre du pouvoir, mais aussi le symbole de la continuité entre la ville Antique et celle de Mussolini. Au cours des années trente, la capitale change de visage rapidement ; aussi bien dans ses nouvelles zones d’expansion résidentielle qui entourent, comme des tâches d’huile l’habitat plus ancien, que dans le centre où, prennent place des opérations immobilières hors d’échelle, ou des percées urbaines impressionnantes. La construction de la cité universitaire, les nouveaux bureaux postaux, qui délimitent les nouvelles aires de développement, le foro Mussolini, les percées du corso Rinascimento, de l’Augusteo, de la via della Conciliazione, sont des éléments caractéristiques du nouveau visage urbain de la ville. Les deux éléments majeurs de cette composition sont les grandes percées qui partent de la piazza Venezia et qui soulignent les directions territoriales du Plan Régulateur de 1931 1, via del Impero vers le Colisée et les collines autour de Rome et via del Mare, vers Ostia, vers la mer. La Rome mussolinienne se comprend bien au travers de ces deux artères, qui participent (de manière violente) à l’insertion de la ville nouvelle au cœur de la ville antique. Il est utile de souligner que les grandes percées urbaines à Rome, les grandes opérations immobilières, les reconstructions d’îlots entiers, rentrent également dans une logique purement financière. Nous sommes au cœur des années de la normalisation et de la standardisation. Tous les secteurs de l’industrie se tournent vers La zone archéologique centrale, les forums. 1 Ce Plan Régulateur est appelé communément celui de la « grande Rome », encadrant environ deux millions d’habitants et une surface triple à celle du plan précédent. Son mode de fonctionnement et d’application est lui aussi particulier. Il s’étale sur une période de 25 ans et il est prévu qu’il soit mené à terme au travers de différents plans d’aménagement de plus petites échelles. Il prévoit une interdiction totale de construire en dehors du plan. Il est, concernant les réseaux viaires, privé de vision à long terme. Incapable d’anticiper un tel développement, il ne hiérarchise pas les voies de circulation et se révèle vite inutile concernant cet aspect. Le centre historique fait l’objet de « rectifications » lourdes, de démolitions et d’éventrements, pour ajuster le tissu historique aux nouvelles nécessités du réseau viaire et aux besoins de la nouvelle Rome monumentale qui doit émerger de cette ville « insalubre » et étroite. De grands axes sont dessinés ; ils coupent et détruisent allègrement une partie de la ville médiévale. 19 une amélioration de la production, de la rentabilité ; le libéralisme s’installe et la concurrence oblige chaque entreprise à devenir compétitive. Comme à chaque fois, les habitants des maisons démolies sont rejetés en périphérie. L’architecture, au travers de commandes pour la construction d’usines, de bureaux, de sièges sociaux, d’administrations, ne peut être que le reflet du moment. Elle ne traduit pas simplement une volonté politique, mais aussi une réalité économique. Une bribe de discours prononcée par Mussolini au Capitole en 1925 explique les visées du régime en matière d’aménagement urbain (traduction de l’italien) : « Je vous dis que les problèmes de la capitale se divisent en deux grandes parties. Les problèmes liés à la nécessité et ceux liés à la grandeur… Mes idées sont claires, mes ordres sont précis et je suis certain qu’ils deviendront une réalité concrète. Au cours des cinq années à venir, Rome doit apparaître comme merveilleuse pour toutes les personnes du monde. Vous devez continuez à libérer le tronc du grand chêne de tout ce qui encore la maintient enlacée. Vous ferez des fouilles autour du Teatro di Marcello, du Capitole, du Panthéon, tout ce qui a grandi en nous entourant pendant les siècles de la décadence doit disparaître […] Dans cinq ans, depuis la piazza Colonna et à travers une grande percée urbaine, on apercevra la coupole du Panthéon. Vous libérerez également les temples majestueux de la Rome Chrétienne des constructions parasites et profanes. Les monuments millénaires de notre histoire doivent s’affirmer dans leur gigantisme de manière isolée ». Couverture de «La Rome de Mussolini» de G. Bardet, étude de la ville en 1937, rédigée en contrepoint du plan Voisin pour Paris. Plusieurs problématiques, concernant l’aménagement de la ville, apparues à cette époque sont, aujourd’hui, toujours d’actualité, comme la nécessité de libérer le centre historique de la pression des activités tertiaires ; la coordination entre quartiers nouveaux et centre ancien; l’insertion du centre historique dans l’économie de la ville… Un autre discours de Mussolini mérite ici d’être cité, afin de mieux comprendre le décalage entre théorie et pensée architecturale et urbaine, parfois sensible de l’époque, et la manière dont Mussolini et son gouvernement s’emparent de manière brutale de ces idées. Une fois de plus, Rome est en prise à une dualité terrible (traduction de l’italien) : 20 « J’affirme sans fausse modestie être le père du nouveau Plan Régulateur de Rome. […] A propos des maisons qui sont détruites, elles représentent une chose ancienne, arriérée, gravissime en matière d’hygiène. J’ai ordonné que soit rassemblées dans de grands albums, beaucoup de photos des intérieurs et des extérieurs qui vont être démolis, afin de permettre à quelques rares superstitieux nostalgiques de retrouver une couleur locale ». L’un des prétextes majeurs pour justifier ces énormes percées a été le retour à la lumière du plus grand nombre possible de vestiges romains antiques. Giovannoni, l’un des théoriciens les plus écoutés à l’époque, défendait vivement l’idée que, afin de conserver une ville, il ne suffisait pas de sauver quelques monuments, en adaptant la ville autour d’eux, mais, qu’il est nécessaire de sauver également le milieu antique avec lequel ils sont intimement connectés. Les archéologues de l’époque se sont alors trouvés face à un choix (qui n’en était pas un), celui de devoir accepter de détruire la ville médiévale et renaissance, afin d’accéder aux strates inférieures ; démarche allant complètement contre tous les principes de l’archéologie, qui considère que chaque époque est de valeur équivalente. Afin de redonner à l’Italie la gloire de la grande époque romaine, on autorise la destruction de siècles de stratification, de culture matérielle et d’histoire. Nombre de ces interventions se font dans une désorganisation générale. A Turin, par exemple, les travaux pour la nouvelle via di Roma ont commencé sans plans, ni idées précises, simplement parce que le Duce s’y intéressait personnellement. Seulement, à Rome, où l’intervention de Mussolini était directe, très peu de protestations, pendant ces années, virent le jour. Dans toutes les autres villes italiennes et en particulier, à Milan, les protestations ont permis, dans de nombreux cas, de ralentir le rythme des projets fous (soit parce qu’il s’agissait d’une destruction totale, vivement contestée, soit parce que l’on trouvait là une population plus soucieuse d’un point de vue architectural et urbain). On sait que Mussolini avait conçu un plan d’ensemble, où l’acceptable voisinait avec le pire : l’assainissement du centre historique prévoyait, à long terme, la démolition du centre baroque, remplacé par un cardo et un decumanus. Afin de donner à Rome, l’image d’une 21 ville analogue à celles qu’elle avait créées pendant l’Empire. L’une des étapes importantes du remodelage de la périphérie de la capitale passe par l’organisation, de l’exposition universelle de 1942. Sa candidature est acceptée fin 1936. Le chantier démarre en 1937 ; le plan est adopté après plusieurs propositions de projets. Ce nouveau quartier surgit donc au sud de la ville, sur la route de la mer. L’E.U.R. est toujours vue aujourd’hui comme un projet d’urbanisme précurseur. Mais l’exposition n’aura jamais lieu ; la seconde guerre mondiale mettant un terme à l’ensemble. L’E. U.R. va être en partie construite. Elle est aujourd’hui partie intégrante de la ville de Rome. Elle est devenue une zone de développement important du secteur tertiaire. Elle accueille de nombreux bureaux et, petit à petit, un quartier résidentiel entier s’est installé autour d’elle. Le Colisée carré à l’E.U.R - Museo della Civiltà Romana. Elle reste aujourd’hui l’un des témoignages majeurs de l’époque fasciste. Elle accueille en son centre des constructions de Nervi, Libera, Terragni. C’est aujourd’hui le centre des affaires de la ville de Rome. Plan initial de l’aménagement de l’Espozione Universale Roma (E.U.R.). 22 2.2 La ville contemporaine La ville de Rome change. Elle souhaite et organise ce changement depuis quelques années déjà. Elle est restée trop longtemps figée dans ce rôle de ville immuable, corrompue, tournée sur elle-même. Le passage au nouveau millénaire est pour elle une occasion de dynamiser et de rendre concrète cette politique du changement. Deux événements importants du début du 21ème siècle ont donné à Rome la possibilité de mettre sur pied une politique urbaine durable. L’organisation du Jubilé en l’an 2000, ainsi que sa candidature aux Jeux Olympiques de 2004 (qui finalement n’a pas été retenue), sont deux évènements qui ont insufflé une volonté d’organisation et de planification. Au début des années 90, la ville de Rome a traversé une période de crise profonde ; crise politique, économique et identitaire. Comme en d’autres occasions, la ville a affronté cette période, repliée sur elle-même, en espérant un temps meilleur. Rome, au cœur d’une Italie elle aussi face à une transition difficile, vit les dernières années du vingtième siècle, entre espoir et incertitude, innovations et préoccupations. Cette crise identitaire émane de plusieurs problèmes. Rome a depuis des décennies une image négative de « ladrona », de voleuse. Elle est la capitale d’un état politiquement corrompu et inefficace. Elle est mal-aimée par une majorité d’Italiens qui ne voit pas en elle une capitale motrice, et encore moins une synthèse positive de l’identité italienne contemporaine. Une autre crise défraye la chronique en Italie, et surtout à Rome, celle des emplois publics. Tradition depuis plus d’un siècle, véritable « style de vie » recherché par les familles romaines, l’emploi public connaît à la fin du 20ème siècle une crise sans précédents. Les postes se transmettent de génération en génération. L’équipement vétuste, le manque de dynamisme, en font la cible de réformes profondes. Ces réformes doivent permettre, à la concurrence, de jouer un rôle dynamisant au sein de ces institutions, « endormies » depuis leurs créations, au moment de l’unité italienne. Le secteur de l’immobilier et de la construction n’échappe pas aux difficultés du moment. Ce secteur, pilier solide d’une organisation économique urbaine, est celui qui a produit le plus de richesses au cours du siècle dernier. C’est également ce secteur qui a influ23 encé, de manière notoire, l’ensemble de la vie politique de la capitale, faisant pencher – par son poids – les tendances d’un extrême à l’autre. Le ralentissement de la croissance démographique, ainsi que la tendance à la concentration métropolitaine des postes de travail, ont réduit, de manière significative, l’exigence en matière de production immobilière (résidentielle et productive). Le développement galopant des villes durant les années 1970 et 80 ralentissant de manière significative, c’est tout le secteur, habitué à fonctionner à haut régime, qui se retrouve malmené dès les premiers signes de faiblesse de l’économie. Par le passé, Rome a connu d’autres périodes économiquement difficiles. Les petits commerçants, les petites entreprises dites familiales, ont souvent joué un rôle « d’éponge », capables d’employer, à certains moments, un grand nombre de travailleurs. Aujourd’hui, ces petites entreprises tendent à disparaître pour de multiples raisons, comme partout ailleurs en Europe. Elles ne peuvent plus assumer ce rôle de frein au chômage. C’est dans ce contexte qu’en 1993, une réforme bouleverse la manière dont est élu le Maire (pour la première fois de manière directe) et que Francesco Rutelli (fils d’architecte) démarre son premier mandat à la tête de la ville. Rome est alors une ville qui, malgré le poids de son passé, n’accepte pas d’être considérée comme une « ville-musée ». Elle doit, afin de surmonter cette crise, trouver une manière innovante et dynamique de gérer son patrimoine historique. Et les deux échéances du Jubilé et des J.O. sont une opportunité qui va être saisie, afin de tenter de changer les choses. L’Italie moderne se comprend au travers d’une étude multidisciplinaire. La politique, l’économie, ont une influence considérable sur le résultat « brut » de l’architecture et de l’urbanisme. Tenter de comprendre l’ensemble de ces données révélera peut-être de manière plus claire les raisons qui font aujourd’hui de Rome, une ville en plein changement. L’organisation du territoire italien, les différentes régions. Rome se trouve aujourd’hui dans une position particulière sur un plan géopolitique en Italie. L’Italie, comme expliqué précédemment, est un pays unifié depuis peu (à peine plus d’un siècle). La notion de région et de spécificité régionale est omniprésente. De plus, la géographie même du pays, cette péninsule étroite et longue, ne fait que renforcer ce morcellement du ter24 ritoire. L’histoire même de l’Italie a toujours été faite de luttes entre ces différentes régions, ces différentes zones géographiques, qui ont revendiqué leurs spécificités culturelle, linguistique, traditionnelle... Rome, aujourd’hui plus que jamais, occupe une position « charnière » entre les régions du Nord de l’Italie, très dynamiques et entreprenantes, qui sont économiquement très actives (Milan, Turin, Venise, où sont implantées toutes les grosses industries nationales comme la Fiat par exemple) et les régions du sud (Naples, la Calabre, la Sicile), qui ont toujours été plus en difficulté. Le Nord de l’Italie accueille aussi des secteurs phares, comme la mode et les nouvelles technologies. Le bâtiment de la F.A.O. Le Sud, plus pauvre, moins immergé dans cette dynamique européenne, souffre depuis toujours d’un développement moindre. Géographiquement, le Sud est également plus isolé. Les réseaux routiers, ferroviaires et maritimes, y sont moins développés (le grand port de commerce italien est Gènes au Nord). Depuis peu, des projets de développement des autoroutes vers les régions du Sud se mettent en place, afin de mieux desservir les Pouilles, la Calabre, la Sicile (avec un projet difficile à mettre en place - un pont au dessus du détroit de Messine - qui relierait la Sicile au continent). Les services et l’économie ne sont pas orientés de la même manière. Le Sud repose essentiellement sur quelques gros secteurs, tels que l’agriculture, la pêche et l’artisanat. Rome est une ville placée au centre de ce clivage. En tant que capitale, il lui incombe de gérer cette cassure, ces différences, et de trouver un équilibre à l’échelle du territoire national. L’économie romaine repose essentiellement sur le secteur tertiaire, à commencer par le commerce et toutes les activités liées à l’administration et au gouvernement. Rome abrite plusieurs organisations internationales, dont la F.A.O. 1, le F.I.D.A. 2, la Commission mondiale de contrôle alimentaire et le Programme alimentaire mondial. C’est une ville administrative, vue comme telle par le reste de l’Italie. Le tourisme joue également un rôle économique considérable ; il amène, chaque année, près de 3 millions de visiteurs venus d’Italie et du reste du monde. L’industrie s’est développée à Rome surtout après la seconde guerre mondiale. Elle n’emploie aujourd’hui pas le quart de la population active de la ville. La métropole économique de l’Italie reste Milan. 1 Food and Agriculture Organization. 2 Fonds International de Développement Agricole. 25 Rome est un carrefour ferroviaire, routier et également un noeud de transport aérien important. Le trafic de l’aéroport international Léonard-de-Vinci, situé près de Fiumicino sur la côte, est l’un des plus importants d’Europe. Si l’urbanisme romain arrive à concilier des extrêmes, la ville doit également regagner, au niveau international, ce qu’elle représentait jadis, c’est à dire un rôle d’espace de dialogues et de confrontations, au coeur de la Méditerranée européenne. N’oublions pas que Rome est aussi une capitale religieuse. Elle accueille un flux permanent de pèlerins et ce, depuis des siècles. L’importance de la présence du Vatican dans la ville ne doit pas être minimisée. Capitale religieuse du monde catholique depuis toujours, elle ne peut que continuer à exercer ce rôle. Son effort, afin de rester une ville de dialogue international, siège de nombreuses organisations humanitaires, doit se poursuivre. Entre les modèles européens de centralisation, comme la France et la Grande Bretagne, ou celui plus éclaté de l’Allemagne fédérale, Rome et l’Italie doivent agir de manière à différencier clairement les fonctions des différentes aires urbaines. L’Italie a toujours été morcelée. Travailler dans ce sens semble être l’unique chemin possible. Du reste, aplanir les disparités qui différencient les régions du Nord de celles du Sud semble impossible. L’Italie se rapprocherait plus, de part son histoire et le caractère atypique de son territoire, à une organisation proche du modèle allemand, où plusieurs centres urbains, d’égale importance, se lient, afin de créer un territoire uni, une nation. Chaque centre urbain peut ainsi développer ses spécificités et en faire profiter les villes faisant partie de cette « toile ». Pour cela, les infrastructures, à la base des échanges (voies routières, aériennes, maritimes et ferroviaires), doivent être suffisamment développées, afin de supporter l’intensité des échanges. Ce n‘est pas le cas aujourd’hui. L’Italie, sur le plan international, a toujours été très présente. Membre de l’O.N.U. depuis 1955, elle fait partie du groupe de pays à l’origine du projet de communauté européenne, avec le traité de Rome en 1956. Le 25 Mars 1957, à Rome, les représentants de 6 pays signent les bases de l’Union Européenne actuelle. Ce succès résulte de la volonté de paix affichée par les dirigeants de l’après-guerre. Signature du traité de Rome le 25 mars 1957. 26 Rome joue un rôle de premier plan autour du bassin méditerranéen (Albanie, Slovénie, Croatie ainsi qu’en Lybie et en Tunisie). Cette politique pro-européenne traditionnelle a été remise en question, au cours des dernières années (10 mai 1994–17 janvier 1995 / 11 juin 2001-16 mai 2006), par l’atlantisme et l’ultralibéralisme de Silvio Berlusconi. Sur le plan de la sécurité et de la défense, l’Italie fait partie de l’O.T.A.N. depuis 1949, organisme reconnu par le parti communiste au pouvoir en 1974. Elle entretient des rapports privilégiés avec les Etats-Unis. Un accord passé en 1979, afin de concrétiser l’installation de missiles américains sur le sol italien, est finalement annulé en 1981. Depuis octobre 1997, l’Italie applique les accords de Schengen sur les questions de commerce et d’immigration. Le pouvoir central italien, situé à Rome, a toujours manqué d’efficacité et son laxisme, dans nombre de secteurs, est une réalité préoccupante. L’Italie semble attendre de son engagement au sein de la communauté européenne certaines contraintes et règles, qui lui permettrait peut être de résoudre certains problèmes insolubles par les seules forces intérieures. Un peu comme par le passé, Rome doit se façonner un nouveau visage, afin de remplir pleinement son rôle de métropole incontournable d’une Europe moderne. 2.2.1 Quelle politique pour quelle architecture depuis 1945 ? Le 4 juin 1944 Rome est libérée par les Alliés. En sortant de la guerre, la ville est indemne. Elle n’a pas subi, comme d’autres villes, le bombardement intensif des forces alliées, débarquées en Sicile et remontant le long de la péninsule. La présence du Pape, qui lui a valu le statut de ville ouverte, la valeur hautement symbolique de la ville et la présence d’industries vitales pour le pays, ont sans doute contribué à cet état de choses. Photo de la libération de Rome, en arrière plan, le Colisée. Après le renversement de la dictature de Mussolini, le 14 août 1943, Badoglio négocie et signe un cessez-lefeu avec les alliés le 8 septembre 1943, et l’armée allemande occupe Rome peu après. Les armées Alliées libèrent la ville le 5 juin 1944 ; le gouvernement italien s’y réinstalle le 15 juillet 1944. Le 8 mai 1945 marque la fin, en Europe, de la seconde 27 guerre mondiale. L’Allemagne en sort dévastée matériellement et anéantie politiquement. L’Italie, en revanche, grâce au changement de cap en 1943, est parvenue à conserver une bonne partie de sa souveraineté intérieure. Le pays est toutefois passablement détruit, tout d’abord par les offensives aériennes alliées, puis par l’occupation allemande. L’extrême urgence de la reconstruction se fait sentir. Cette reconstruction prend très vite un visage différent, celui de la reconversion. Zone de constructions abusives dans la banlieue ouest de Rome. L’écroulement du fascisme suscite en Italie, dans les milieux intellectuels comme en politique, une impression de délivrance. De nombreuses initiatives apparaissent dans toutes les régions ; une profonde volonté de changement insuffle une énergie nouvelle dans tous les domaines. Malgré tout, la situation reste difficile. Le désordre et la misère règnent. Les habitations malpropres et abusives se multiplient. Un mouvement violent de constructions incontrôlées se développe en périphérie des grandes villes. C’est l’époque des transports précaires, du marché noir, des carences, de l’émergence de tous les types de services parallèles… D’un point de vue plus théorique et à une échelle plus petite, dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme, se développe une curiosité grandissante envers les différents acteurs mondiaux de ces disciplines. L’Italie, longtemps repliée sur elle-même, s’ouvre au monde et observe, avec curiosité, ce qui se fait au delà de ses frontières. Etude pour une centrale electrique, A. Sant’Elia, 1914. Les prémices de l’architecture moderne en Italie se font parallèlement au développement industriel, économique et social, qui s’opère de manière hétérogène dans la péninsule. Au début du vingtième siècle, l’architecte Sant’Elia (1888-1916) disparaît, en laissant quelques constructions et une multitude de dessins futuristes. Entre les deux guerres, trois personnages animent la scène théorique de l’architecture et de l’urbanisme italien : Edoardo Persico (1900 - 1936), Giuseppe Terragni (1904 - 1942) et Giuseppe Pagano (1896 - 1945). Tous trois vont défendre, avec conviction, l’identité de la nouvelle architecture italienne, mais périront au cours de la seconde guerre mondiale, en laissant une nouvelle génération orpheline. 28 C’est dans ce contexte particulier que naît en 1945 l’A.P.A.O.1. Un noyau dur, constitué de Bruno Zevi, Mario Ridolfi, Luigi Piccinato, Pier Luigi Nervi, vont insuffler l’énergie nouvelle et nécessaire au lancement d’une nouvelle école théorique italienne. Elle se veut volontairement en opposition aux modèles académiques de la Facoltà di Architettura di Roma et elle tente de réveiller l’architecture moderne italienne. On étudie et on discute des thèses de Wright et d’Aalto. On propose, contre le rationalisme fonctionnel (souvent lié à la période fasciste), la liberté, pour chaque organisme architectural, de grandir et de se développer en suivant une logique qui lui est propre, en harmonie avec ses fonctions. Le texte fondateur de l’A.P.A.O. est publié dans la revue Metron n°2 en 1945. En voici un court extrait qui résume les volontés de ce mouvement (traduit de l’italien) : « Les sources de l’architecture contemporaine se trouvent essentiellement dans le fonctionnalisme. Quelque soit aujourd’hui l’évolution de l’architecture fonctionnelle au sein de l’architecture organique, nous sommes convaincus que c’est dans le fonctionnalisme que se trouve la base de l’architecture moderne, et non pas dans les différents courants de stylisation néo-classique, ou dans les styles mineurs provinciaux. L’architecture organique est en même temps une activité sociale, technique et artistique, conçue pour créer un environnement à une nouvelle civilisation démocratique. ‘Architecture organique’ signifie architecture pour l’homme, dessinée à une échelle humaine, selon certains besoins spirituels, psychologiques et matériels. » La villa Mairea de A. Aalto. «Falling Water», de F.L. Wright. Une volonté politique de rupture totale avec les quelques décennies écoulées est clairement exprimée. C’est donc en opposition avec l’idéologie fasciste, que ce nouveau mouvement place, au centre de sa pensée, l’homme en tant qu’individu, la démocratie, comme valeur fondatrice de tout projet et, la particularité de chaque programme, comme ligne directrice. Ce mouvement prend racine à Rome et expose ses idées lors de conférences, concours et autres regroupements d’architectes et d’urbanistes. L’A.P.A.O. est à l’origine de la naissance, en 1945, de la Scuola di Architettura Organica, dans les locaux du Palazzo del Drago et de la revue Metron. 1 Associazione Per l’Architettura Organica. 29 En 1945, est publié le livre de Bruno Zevi, « Verso un’Architettura Organica », qui va faire le tour du monde et influencer d’autres architectes, comme F. L. Wright aux Etats Unis par exemple. En 1950, l’A.P.A.O., après avoir rempli son rôle unificateur et de « stimulant » des forces novatrices de l’architecture italienne, disparaît. Son rôle et ses idées seront à la base de nombreux enseignements, dans de nombreuses facultés d’architecture. Il faut attendre 1954 pour qu’un nouveau cadre administratif et politique, suffisamment fort, soit mis en place. Il participe alors à la programmation d’un nouveau Plan Régulateur pour la ville de Rome, qui sera, après de longs mois d’élaboration, prêt en 1957. Le P.R.G. 1 de 1931 va servir de base de travail, afin d’établir les nouvelles règles urbaines, qui vont permettre de contrôler la croissance de la ville contemporaine. F.L. Wright et Bruno Zevi à Venise en 1951. C’est autour de quelques idées majeures que s’organise ce nouveau plan d’aménagement. Il est important de comprendre ici les enjeux de cette organisation urbaine nouvelle, car elle va servir de référence tout au long de la seconde moitié du 20ème siècle. Les grandes lignes de ce plan sont : - Le centre historique est confirmé comme lieu d’accueil pour le parlement, les ambassades, les banques et les institutions culturelles. Les bureaux de tailles importantes doivent déménager. Le centre historique doit être restauré et requalifié comme zone historique protégée. C’est la première fois que la notion de protection du centre historique apparaît à Rome. - La croissance urbaine doit être orientée vers l’Est et vers le Sud. Quelques pôles de développement voient le jour, comme Pietralata et l’E.U.R., qui devient ici le siège de la Direction Administrative Publique et qui reçoit nombre d’aménagements sportifs (carence certaine de la capitale). La question des Jeux Olympiques de 1960 est abordée et l’E.U.R. devra être en mesure d’accueillir cet événement. Le système viaire doit être progressivement développé, afin de soutenir l’ensemble de ces décisions. - La ville périphérique, en cours de formation suite au P.R.G. de 1931, voit sa densité d’habitation initiale revue à la baisse. Les équipements et espaces verts sont augmentés. Les nouveaux quartiers, encore en projets, devront faire l’objet d’une coordination entre pouvoirs 1 Piano Regolatore Generale. 30 publics et initiatives privées. Ce Plan Régulateur, plutôt bien pensé, va être remis en cause dès 1958. De nouvelles élections amènent, au Campidoglio 1, une équipe politique de centre droit, qui rejette en bloc l’ensemble des propositions contenues dans le P.R.G. de 1957. Ainsi, démarre une tendance romaine, qui va se poursuivre pendant des décennies, de roulement politique rapide et incohérent, qui ne laisse le temps, à aucune politique urbaine, de se mettre en place. Les grands travaux, dont la capitale avait profondément besoin, sont annulés. La priorité du moment et ce, depuis la fin de la guerre, réside toujours dans la réalisation de logements, afin d’enrayer une tendance galopante à l’habitat bricolé, illégal, qui se développe dans les faubourgs de la ville. Rome, comme énormément de ville européenne, attire les travailleurs ruraux, mais elle ne peut les loger. La ville déborde. Cette crise de l’habitat reste pour la ville l’une des questions les plus préoccupante de son histoire. C’est une crise récurrente, qui se retrouve également dans presque toutes les grandes métropoles du 20ème siècle. La ville gagne 600 000 habitants de 1955 à 1961. La commune de Rome contracte, dans ces années là, une dette publique énorme, due à une mauvaise gestion de l’ensemble de l’aménagement urbain. Le travail effectué en partenariat avec des entreprises privées ne suffira pas à absorber ce gouffre financier grandissant. A cette époque, le développement urbain de la ville se fait par sauts et additions successives à la structure urbaine préexistante. Le sol est occupé au-delà de ses possibilités les plus raisonnables et le déficit du secteur public se creuse. 4 000 ha de campagne deviennent des zones urbanisées à plus de 80% en quelques années. Deux événements majeurs clôturent la fin des années 50 : les Olympiades et l’année Sainte de 1960 (une configuration vraiment similaire à celle traversée par la ville au milieu des années 1990). Quelques améliorations dans l’organisation territoriale de la ville voient le jour, mais elles sont à replacer au rang d’actions liées à des événements épisodiques et donc limités. L’une des avancées significatives du moment est sans doute le développement du réseau de transports pub- 1 L’hôtel de Ville romain. 31 lics (surtout entre Termini, la gare, et San Pietro) où de nombreuses nouvelles lignes de bus sont mises en circulation. L’E.U.R. poursuit son développement comme nouveau centre des affaires de la ville. Les Jeux Olympiques de 1960 entraînèrent des transformations visibles dans le paysage urbain, car ils nécessitèrent des infrastructures. Des infrastructures sportives, mais aussi l’amélioration des voies de circulation. Jusqu’ici, les implantations sportives étaient étroitement liées au complexe du Foro Italico. Afin de mieux répartir les équipements sportifs, on décida de renforcer ce pôle, situé au Nord de la ville, mais aussi d’en ouvrir un autre, au Sud, à l’E.U.R.. Le vélodrome olympique, le grand Palazzo dello Sport (P.L. Nervi et Piacentini) avec sa reconnaissable coupole en ciment armé. Au Nord, les interventions comprirent le Stade de la Natation (Del Debbio et Vitellozzi), le remplacement du stade Torino par le stade Flaminio (P.L. et A. Nervi), le Palazetto dello Sport (P.L. Nervi et Vitellozzi). La double localisation des équipements sportifs, au Sud et au Nord de la ville, exigeait de repenser les liaisons entre ces deux pôles : ce fut le rôle de la via Olimpica qui relia et rationalisa des axes existants. Le Palazzo dello Sport dessiné par Nervi pour l’E.U.R.. Cassius Clay médaille d’or en boxe aux J.O. de 1960 à Rome dans le Palazzo dello sport de Nervi. Il faudra attendre 1961 pour voir une nouvelle politique ambitieuse voir le jour, au travers d’une refonte des P.R.G. de 1931 et de 1957. Le nouveau plan, accepté en 1962, ne sera mis en place qu’à partir de la fin 1965. Les prévisions de cette nouvelle organisation, fruit d’une coopération entre cinq acteurs sociaux de centre gauche, sont le reflet d’un climat de grandes expectatives, liées au boom économique, qui se résume par le redimensionnement de la nouvelle ville de près de cinq millions d’habitants. L’élément majeur de ce nouveau plan réside dans le poids important accordé au développement de tout ce qui touche, de près ou de loin, au secteur tertiaire, situé dans un croissant géographique, situé au Sud-Est de la ville. La place des espaces verts au cœur de la ville est remaniée ; les parcs urbains et la diagonale verte romaine doivent être développés. Les dégâts causés par l’urbanisme sauvage des années 50 sont déjà visibles et la décennie suivante tente de réparer, sinon de minimiser l’ampleur des répercussions. Comme à son habitude la ville de Rome ne tarde pas à rejeter ce nouveau P.R.G.. L’équilibre politique est rompu et le travail effectué jusque là n’est pas pro32 longé. Différentes configurations publiques/privées sont testées pendant les années 60, afin de répondre de la manière la plus juste et la plus économiquement viable au besoin incessant en logements. Aujourd’hui, le plan de 1962, même si il marque un tournant important dans la politique urbaine de la ville, reste, malgré tout, la cause principale des difficultés d’organisation urbaine de la ville. Ce dernier a été adopté après huit années de négociations et il ignore le cadre métropolitain. Les meilleurs urbanistes italiens y ont travaillé mais, au fil du temps, les choix du plan se sont révélés discutables. L’une des premières erreurs majeures du plan a été de surestimer, très largement, la croissance démographique de la ville, à tel point qu’aucune direction prioritaire du développement urbain ne se dégageait. Les objectifs de constructions de logements n’ont jamais été remplis et les constructions illégales bordant les périphéries de la ville se sont démultipliées à partir des années soixante. Aujourd’hui, l’administration municipale de la ville a promu une campagne sévère de démolitions contre les constructions abusives 1 . Au milieu des années 70, le plan, mis en place en 1931 et remodelé en 1962, sert toujours de référence. Il est désuet, obsolète, mais, à défaut d’une stabilité politique, il sert toujours de base de développement urbain. Zoom sur le plan du PRG de 1962. Le centre historique en rouge, la zone archéologique centrale et le parc de la Via Appia en vert au sud est, l’EUR au sud en rouge... Deux éléments majeurs dirigent alors l’expansion de la ville. D’abord, plus le temps passe, plus elle se développe de manière rapide (tous les trente ans, la ville double). Le deuxième facteur est le schéma selon lequel la ville grandit. Elle se développe en « tâches d’huile ». Politiquement, la période de l’après-guerre en Italie est caractérisée par une certaine instabilité. Au cours des années 70 et 80, les mouvements de gauche et notamment le parti communiste italien prennent une grande importance dans le paysage politique du pays. Longtemps, la ville est demeurée en « retard », figée dans une structure économique ancienne, ne connaissant que sporadiquement des développements urbanistiques d’envergure, souvent, à ses marges. Pour qui visitait Rome dans les années 1980, l’impression était celle d’une capitale magnifique mais vieillotte, restée à l’écart de la modernisation. Au cours de ces dernières années, la répartition des compétences, entre les collectivités territoriales et les 1 La lutte contre les constructions abusives fut l’un des premiers actes, hautement symbolique, de la municipalité menée par F. Rutelli en 1993, avec la destruction, fortement symbolique, des baraquements de la via Casilina. 33 équipes communales, portées à la tête des grandes villes dans la gestion du territoire, alimente, en Italie, un débat permanent et houleux. Les récentes réformes administratives et juridiques permettent, désormais, un autre fonctionnement de la planification urbaine et donnent, à de nouveaux acteurs, la possibilité d’intervenir. La place et le rôle de Rome, capitale de l’Italie, sont l’un des enjeux de ce débat. La préparation du Jubilé 2000 s’est déroulée dans ce contexte. La redistribution des pouvoirs entre les différents acteurs présents à Rome et les transformations nécessaires pour le Jubilé, inscrites dans la politique urbaine globale de la ville, sont des exemples de ce changement. En 1993, pour la première fois, un maire à Rome est élu de manière directe par les citoyens : Francesco Rutelli. En 1997, il est réélu à la tête de la ville. Ces deux mandats seront l’un des premiers exemples de stabilité politique. Il va rester maire de Rome jusqu’en 2001. Les impératifs auxquels la ville doit faire face au cours de cette période sont la préparation de l’année du Jubilée, au tournant du siècle, et sa candidature, qui ne sera finalement pas retenue, pour les J.O. de 2004. Francesco Rutelli. En 1994, Jean Paul II et le maire F. Rutelli annoncent, d’une même voix, la réalisation du Jubilé 2000. Il va s’étaler sur une période allant de noël 1999 à l’Epiphanie 2001. Trente millions de pèlerins, venant assister à diverses célébrations religieuses, sont attendus sur cette période. Traditionnellement, le Jubilé Romain prévoit d’accueillir, de loger, de nourrir, de déplacer, d’informer les pèlerins et de veiller à leur sécurité. Leur nombre, ajouté à la quantité habituelle de touristes visitant la ville, demande un traitement spécial, à la charge des autorités italiennes compétentes. La préparation du Jubilé est donc confiée à deux organismes créés pour l’occasion : pour le Vatican, le Comité du Vatican pour le Grand Jubilé et, pour la ville de Rome, une société par actions, l’Agence Romaine pour le Jubilé. Cette dernière regroupe tous les acteurs publics des différentes échelles territoriales opérant à Rome - état, région, province, commune, chambre de commerce de Rome, communes de Florence et de Naples. Elle prépare l’organisation matérielle du Jubilé, fournit une assistance technique à l’administration publique pour la planification des travaux à réaliser et prépare un plan d’accueil pour gérer l’année jubilaire dans les meilleures conditions. En Italie, le système de répartition des finances entre 34 les collectivités territoriales dépend étroitement des aléas de la conjoncture économique nationale et de la politique internationale, en particulier des obligations liées à la participation de l’Italie à l’Europe. Ce système rend les pratiques de l’urbanisme difficiles, car celles-ci demandent des délais plus longs et plus sûrs que ceux avancés dans le cadre de la politique budgétaire annuelle du gouvernement central. La préparation du Jubilé à Rome est un exemple de ce mode de fonctionnement de l’administration italienne, prise entre les réformes en cours et l’habitude de ne pas voir aboutir les programmes de transformation urbaine. Le rôle de l’Agence est bien de garantir et de promouvoir le fonctionnement de la planification et l’exécution des travaux prévus. Pour réaliser cette grande opération, l’Etat a voté une loi de financement (691/96). Mais la longueur des procédures administratives et le système de financement annuel des opérations rendent, assez aléatoire, la poursuite des projets. Si l’intervention prévue n’est pas parvenue à un stade d’avancement suffisant, dans le délai imparti par la procédure, elle est remise en cause dans le budget national annuel suivant. Mais les sommes retenues doivent être dépensées pour un autre projet, avec un objectif similaire. De plus, le maire a autorisé l’ouverture des chantiers pouvant réellement se terminer pour novembre 1999. Ce système explique que les plus grands projets ont été remplacés par des opérations de restructuration et, surtout, de fonctionnement de services utiles pour les pèlerins et les habitants. Des projets qui, en fin de compte, sont gérables dans un laps de temps bien plus court. L’analyse de l’évolution des attributions de financement depuis le début de la préparation du Jubilé montre un glissement de ces sommes vers les ministères. Ils les utiliseront pour la gestion de l’année jubilaire ou pour la maintenance de Rome, avec l’aménagement de rues et de places, travaux normalement du ressort de la ville. D’autres chantiers, comme celui de la via Cristoforo Colombo, sont financés directement par la commune de Rome, sur ses ressources propres. La municipalité montre ainsi sa capacité nouvelle à gérer elle-même ses problèmes de maintenance urbaine. Via Cristoforo Colombo, reliant le centre de Rome à l’E.U.R. En définitive, de nombreuses interventions ont été réalisées sur l’ensemble de la ville, en obligeant les différents acteurs à repenser les parcours religieux dans Rome, pour mieux l’intégrer dans le fonctionnement normal de la ville. Des itinéraires qui doivent retrouver les anciens parcours jubilaires dans le centre historique et, l’aménagement de lieux de pèlerinage dédiés aut35 our des basiliques. Ces zones d’étude rejoignent en grande partie celles du tourisme culturel et artistique. La restauration de nombreuses églises par le Ministère dei Beni Culturali, financée sur le fond du Jubilé, sert à la requalification du patrimoine touristique de Rome. Les 4 basiliques majeures dépassent largement le simple territoire du Vatican. Elles sont bien réparties sur le territoire de la ville de Rome et elles sont reliées entre-elles par des parcours piétonniers ou des circuits aménagés. Elles dessinent, en se superposant au plan de la ville historique, la structure de cette fonction religieuse. Cette inscription dans l’espace, situe Rome, selon une tradition qui lui est propre 1, au centre d’un territoire plus vaste que l’Italie, celui de l’Eglise Universelle, à l’échelle du monde. La collaboration entre les deux Etats (Rome et le Vatican) est sans doute l’expression de la prise en considération de la réalité incontournable que constitue la présence attractive et économiquement rentable de la papauté au coeur de Rome. C’est aussi la reconnaissance de l’identité particulière de Rome, parmi les autres capitales européennes. La construction européenne est dans tous les esprits. Comme nous l’avons dit précédemment, la compé- Les 4 basiliques majeures: - San Pietro - San Giovanni in Laterano - Santa Maria Maggiore - San Paulo fuori i Muri 1 Cf. partie historique où l’on note que la ville conserve un mode de fonctionnement et de développement qui est très fréquemment établi sur une « tradition urbaine d’usage ». 36 tition entre les grandes villes sera de plus en plus forte, pour attirer le tourisme, les fonctions tertiaires avancées et l’innovation technologique. La beauté de Rome est, à la fois une valeur culturelle et une formidable ressource économique. L’une des solutions afin de contourner le danger de la « ville-musée » ne serait-il pas de faire vivre les biens culturels, en les valorisant comme éléments économiques de la ville ? Les enjeux qui entourent Rome au tournant du millénaire sont, avec les travaux pour et autour du Jubilé, une oeuvre ambitieuse. Elle vise à faire de Rome, une métropole moderne, plus efficace et plus accueillante, à donner aux Romains une ville « meilleure, plus riche et plus civile » 1. Le soutien du gouvernement pour le financement de grands travaux d’aménagement de la capitale montre aussi qu’il existe désormais une autre relation de collaboration avec les autorités centrales. Avec l’organisation et le déroulement de ce Jubilé, dans le contexte nouveau de transformation de l’Italie, la ville éternelle renoue avec son histoire et retrouve son identité pluri-culturelle de capitale civile et religieuse. Si Rome rassemble tous les signes identitaires du patrimoine culturel européen, il est pourtant permis de réaliser les transformations nécessaires à sa modernisation. C’est la réorganisation, en cours, du système de décisions sur l’espace italien qui sera le seul garant de la poursuite, dans le temps, des choix de politique urbaine, clairement réaffirmés et entrepris à l’occasion de cet événement. Comme dit précédemment, la politique et les décisions prises par les différents intervenants ont un résultat direct sur l’urbanisme et l’architecture. C’est pourquoi il est important de bien replacer le visage contemporain de la ville dans un contexte politique précis. Les projets urbains, entamés au cours de cette période, s’inspirent de l’expérience d’autres capitales européennes, sans perdre de vue les caractéristiques propres de la ville actuelle. Rome est une ville qui, malgré le poids de son passé n’accepte pas d’être considérée comme une « ville-musée ». Elle souhaite gérer l’ensemble de son patrimoine historique, sans pour autant laisser celuici devenir une entrave à la modernisation et au développement dont elle a besoin. En mai 2001, Sylvio Berlusconi, à la tête de Forza Italia, gagne les élections parlementaires et prend la tête du gouvernement. La continuité politique, nécessaire aux aménagements urbains de la capitale, est menacée de nouveau. 1 Anne Marie Van Leeuwen-Maillet, Les transformations de Rome pour le Jubilé 2000, les enjeux de pouvoirs et de compétences .Rives nord-méditerranéennes, Mutations politiques, mutations urbaines, mis en ligne le : 6 juillet 2004 : http:// rives.revues.org/document151. html. 37 Malgré tout, les deux mandats consécutifs de F. Rutelli et les choix en matière d’urbanisme qui ont été faits à cette époque, sont intéressants, innovants et ont, en grande partie, pu être mis en application. Ces choix sont significatifs de la nouvelle politique urbaine mise en place à Rome. Ils permettent de mieux comprendre ce changement qui a eu lieu au milieu des années 90, et ce sont en partie grâce à eux que de nouveaux projets ambitieux voient le jour ; ils s’articulent autour de trois points clés : Stationnement sauvage dans les rues de Rome. - Infrastructures et circulation automobile L’une des critiques que l’on peut faire aujourd’hui à la ville est son inadaptation récurrente à accueillir, de manière organisée, la voiture. Combler l’insuffisance de l’offre de transports alternatifs, pourrait permettre de substituer en partie, cette faiblesse. L’une des priorités de ce gouvernement est de moderniser, de manière rapide et efficace, un grand nombre d’infrastructures (routières, ferroviaires, transports en commun…). Il était nécessaire de tenter de combler un énorme retard et d’atteindre de nombreux objectifs, pour améliorer la qualité quotidienne de vie de millions d’habitants. En 1950, Rome compte 1 650 000 habitants et 32 000 voitures. 50 ans plus tard, on compte un million d’habitants et deux millions de véhicules en plus. Par rapport aux autres grandes capitales mondiales, Rome, sur le plan du métro, compte près d’un siècle de retard. Logo des stations de métro romaines. Plan des deux uniques lignes du métro romain. 38 Une erreur majeure, que l’on retrouve dans bon nombre de villes italiennes, c’est d’avoir fait le choix, à un moment donné, de privilégier, plus que tout, le développement du transport automobile. En comparaison, l’alternative historique du métro et du RER privilégiée à Paris (10 lignes de métro existaient déjà en 1913) crée, entre les deux villes, une différence éclatante. Entre deux stations de métro à Rome, il faut marcher entre 15 et 30 minutes, contre 10 à 15 pour Paris. Les anciens tramways de la ville, encore en service sur certaines lignes. Le système actuel de transport public romain est simplement mal adapté à une structure urbaine chaotique qui a grandi sans règles depuis la seconde guerre mondiale. Relier le centre à la périphérie reste le problème majeur. Des milliers de gens se déplacent quotidiennement, afin de venir travailler au centre de la ville. La gestion de ces flux est l’une des problématiques majeures de la ville contemporaine. Les réseaux de transports souterrains étant insuffisants, la compensation recherchée par les autobus ou les tramways (remis en service pour quelques lignes dernièrement) se heurte à la densité du trafic automobile. Le rapport à l’automobile, dans la ville, tente donc lui aussi d’être modifié : des mesures comme, la fermeture du centre historique aux non-résidents, la circulation alternée, l’interdiction totale d’utiliser son véhicule certains jours de l’année, sont appliquées depuis quelques années. Depuis l’entrée en vigueur de ces décisions, la pollution a chuté de 25% dans la capitale. Mais elle ne respecte pas encore les quotas demandés par Bruxelles. Les nouvelles lignes de tramways. Malgré tout, ces mesures importantes mais ponctuelles, ne semblent pas constituer une véritable solution. Nombre de Romains ont troqué leurs voitures contre des deux roues qui (pour certains) polluent également beaucoup. Contrairement à Londres, qui a imposé un péage payant à l’entrée de la ville, Rome a choisi la voie de la réduction des zones de circulation autorisée. Les zones piétonnes sont progressivement élargies. Un énorme projet de parking, sous les jardins de la villa Borghese, est à l’étude, afin de permettre l’accès au centre, tout en évitant les problèmes de stationnement qui rongent les rues de la ville. - Les grandes interventions de transformation ur baine ; rééquilibrer le rapport centre / périphérie. L’amélioration d’une ville est étroitement liée à une cré39 ation de qualité, ainsi qu’à l’émergence de quelques réalisations « phares », qui peuvent acquérir une dimension symbolique importante, autre que leur simple aspect fonctionnel. L’immensité du territoire de la commune de Rome est souvent mal connue. La surface de la commune de Rome peut être comparée à celle de Milan, Turin, Gènes, Bologne, Florence, Bari, Naples, Catagne et Palerme réunies. Un piège, que la commune de Rome doit éviter, est celui d’agrandir le fossé existant déjà (et propre à bon nombre de capitales européennes) entre le centre et les périphéries. L’augmentation de la qualité de vie doit être un objectif global, qui passe aussi par le traitement des zones périphériques. Rome a besoin, plus que jamais, de trouver un sens et un visage à sa modernité. La ville doit apprendre à s’autogérer, à qualifier un tissu urbain démesuré, qui n’a jamais été pensé comme un tout cohérent, mais qui s’est développé de manière anarchique, sans services, sans logiques… Quelques grands projets voient le jour à Rome. Nombre d’entre eux se situent dans des zones périphériques, comme l’auditorium de Renzo Piano (La città della musica). Bohigas se penche sur le réaménagement de la station Ostiense, Fuksas, sur l’organisation de l’espace de la gare de Termini, différents consortiums d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes, sont mis en place, afin de trouver des solutions de réaménagement urbain de différentes zones de la capitale (Anselmi, Purini, Porthogesi, Krier…). Toutes ces initiatives ne donnent malheureusement pas encore assez de travail à un secteur en grande difficulté, mais elles permettent néanmoins de relancer une machine conceptuelle et une dynamique de projets restée trop longtemps assoupie à Rome. D’anciens sites industriels importants sont remodelés, afin d’offrir à la ville de nouveaux espaces culturels, générateurs de vie. L’ancienne usine de bière Peroni va devenir la nouvelle galerie d’art moderne. L’ancienne usine de la Meccanica Romana se transforme en complexe multi-salles et espace de détente sur la via del Mare. Les anciens abattoirs accueilleront désormais une partie de la Terza Università. Les actuels Mercati Generali (l’équivalent 40 de nos anciennes halles parisiennes), situés sur la via Ostiense, seront déplacés a Guidonia (au Nord-Est, en périphérie de la ville). Le site, libéré par cette opération, pourra accueillir différents projets, dont l’un des plus importants sera sûrement la réalisation d’un Parc Technologique Industriel. Un gigantesque collage, juxtaposant les styles et les époques et laissant toujours affleurer la nature et la géographie, est une des voies envisagée pour l’avenir. Travailler dans ce sens est susceptible de confirmer l’identité romaine. En mariant les époques, et, en inventant une composition urbaine moderne articulant unité et diversité, la ville pourrait répondre mieux à la diversité de la production architecturale et urbaine contemporaine. Un travail important est conduit depuis plusieurs années pour l’aménagement des zones entourant les remparts, qui sont de véritables lieux d’articulation entre la ville historique et la ville moderne, plus étalée (par exemple derrière le Muro Torto, lieu privilégié d’études, de diplômes, qui proposent des solutions afin de requalifier ces zones « abandonnées »). Il s’agit de transformer des séquences variées, susceptibles de créer un lien, en luttant contre les coupures actuelles. L’arrivée dans la capitale de nouvelles activités, liées au commerce international, est également l’un des enjeux majeurs de cette réorganisation territoriale et économique de la ville de Rome. Mais cette qualité urbaine recherchée passe également par une restructuration profonde de certains quartiers périphériques, afin de ne pas accentuer un déséquilibre déjà existant avec le centre de la ville. - Changer la méthodologie des grands chantiers urbains Un plan général et une simplification des procédures de requalification des bâtiments du centre ville doit voie le jour. Le gouvernement et le parlement devront simplifier les procédures, dans le cadre de la redéfinition de la loi Merloni 1 et baisse enfin l’IVA (TVA italienne) sur les interventions de restauration et de manutention. Les activités liées à la démolition et à la reconstruction doivent être simplifiées. Ces lois Merloni marquent le réveil des contrats de concession en Europe, qui date de 1992. Il a commencé en Grande-Bretagne. Les Italiens sont actuellement les 1 La loi du 11 février 1994 , première Loi Merloni sur la concession de construction et gestion, et, fin 1998, la 3ème Loi Merloni a introduit le promoteur. 41 plus innovants dans ce domaine. Les gouvernements successifs ont su mettre sur pied des contrats adaptés à la réalité des besoins des collectivités publiques de tous niveaux. Trois contrats sont à la disposition de l’Etat et des Collectivités Locales, parmi lesquelles les régions désormais jouent un rôle essentiel car elles ont la compétence exclusive des travaux publics depuis la réforme constitutionnelle entrée en vigueur le 8 Novembre 2001. En résumant, l’Etat n’a plus la compétence d’entreprendre. Les Communes et les Régions sont désormais les décideurs de tous les travaux, les pouvoirs locaux sont en première ligne et l’Etat ne peut intervenir qu’en cofinancement. La décision éventuelle de l’Etat ne peut pas être prise contre la décision des pouvoirs locaux qui ont acquis une place déterminante. La nouvelle autorité constitutionnelle des pouvoirs locaux peut limiter voir bloquer les grands projets nationaux, elle est donc source de complexité. La « loi objectif » (legge objectivo) votée en Octobre 2001 a fixé des principes pour réaliser les grandes infrastructures stratégiques d’intérêt national qui seront fixés par décret (nouvelles autoroutes du Nord au Sud, Pont sur le détroit de Messine, etc.). Le « contractant général » est le contrat défini par la « loi objectif » qui consiste à choisir un contractant chargé de préfinancer, concevoir, exécuter clé en main et maintenir l’ouvrage d’infrastructure. Il est ensuite rémunéré par les usagers et la collectivité publique au cours du temps de façon étalée pour ses prestations. Aucune limite de durée ou de contribution publique ne doit constituer un obstacle à l’établissement du contrat, aussi le décret précise bien ce point et par exemple le fait que la collectivité apporte plus de 50 % du coût de l’ouvrage en paiement étalé n’est pas un obstacle à ce contrat global. De façon similaire, une très longue durée contractuelle est possible si elle permet de réaliser l’ouvrage. Le contrat de promoteur est une concession attribuée à son auteur, au créateur de l’idée du projet qui consiste en travaux et services publics. Le corpus est constitué des articles 37-bis et suivants de la loi du 11 février 1994, introduits par l’article 11 de la loi du 18 novembre 1998. Le promoteur, fait unique dans les droits nationaux européens, est un contrat de délégation initié par les personnes privées, généralement des entreprises et 42 des institutions financières. L’entrepreneur propose à la collectivité de réaliser un projet qui rentre dans le plan d’urbanisme ou dans une programmation administrative de plus haut niveau. Au cours d’une étude de faisabilité de l’équipement qui consiste à définir le projet en fonction des besoins des clients, le financement, les modes de rémunération possibles, à prendre en compte les contraintes d’urbanisme et réglementaires. Il soumet son dossier à la collectivité qui décide ou non, selon le sérieux de l’étude et en fonction de ses programmes futurs de le prendre en considération et de lancer une procédure de consultation. Si celleci est lancée, elle est basée sur l’étude du promoteur. Les concurrents peuvent proposer des variantes. L’administration reçoit les offres et décide quels sont les deux ou trois meilleurs projets. Si le promoteur a fait la meilleure offre le contrat est finalisé avec lui. Si un autre concurrent a fait une meilleure offre le contrat lui est attribué mais il doit indemniser le promoteur pour le coût de ses études. Ce contrat se développe rapidement : environ 20 projets ont dores et déjà été attribués et 150 projets sont en cours d’étude à un stade ou à un autre de la procédure. Comme on l’a expliqué il correspond à une réalité ancienne: la plupart des concessions, si ce n’est la quasitotalité, trouve ses sources, historiquement, dans des projets privés initiés par des inventeurs ou des entrepreneurs plus ou moins visionnaires et plus ou moins réalistes. La réalité de ces offres autonomes est tellement forte et reconnue qu’elle figure dans l’accord sur les marchés publics (AMP) et le guide législatif des concessions de l’O.N.U. (UNICITRAL – CNUDCI – publication Juin 2001 –). Pour la première fois en Europe dans ce nouveau millénaire, figure dans une loi contractuelle la reconnaissance officielle de l’initiative privée pour la réalisation d’infrastructures et de services. Reste à savoir comment les autres Etats membres vont inscrire ce nouveau droit dans le leur et comment l’Europe en pleine révision des contrats publics peut en faire de même... Les transformations urbaines lancées par la mairie constituent l’ossature et la substance même d’un nou43 veau Plan Régulateur. En Italie, le processus menant à l’approbation d’un P.R.G. peut prendre 5 à 6 ans, ce qui est plus long que n’importe quel mandat politique ; ce qui le condamne à être obsolète, dépassé, avant même d’être opérationnel. C’est tout le système administratif, lié à ce secteur de la vie politique de la ville, qu’il faut changer. Les cinquante dernières années sont le reflet parfait des effets à long terme de la dégradation et de l’enlisement. Le jubilé et l’échéance qu’il a représenté ont été une chance pour la ville, même si avec du recul, son bilan reste nuancé. Il est vrai que les Romains ont traditionnellement peu confiance dans les grands projets de transformation urbaine (plus ou moins comme tous les Italiens…). Cette réticence naît sûrement des expériences ratées du passé et du fait que l’on parle toujours des grands projets, comme s’ils étaient des chantiers terminés… Rome passe son temps à se lamenter, soit sur les chantiers qui ne réussissent pas à démarrer, soit sur ceux qui, malheureusement, ont démarré… Il est vital que, du cœur de cette administration (dictature bureaucratique), émerge le changement, qui transforme la ville en une organisation publique efficace. Les procédures doivent devenir simples et cohérentes. Il faut éviter que le moindre projet ou toute velléité de changement réaliste soit inévitablement étouffé. Afin de réussir à changer, la municipalité, sous F. Rutelli, a choisi d’aborder le problème en isolant quatre types de tissus urbains différents : la ville historique, la ville consolidée, la ville en cours de constitution et les espaces non bâtis. La nouvelle politique, mise en place dès 1994, se veut orientée vers la requalification plutôt que l’urbanisation. 64% du territoire (82 000 hectares) ont été préservés et rendus inconstructibles. Des notions, comme le développement durable, font leur apparition. Le territoire de la commune est si vaste, qu’une politique de protection des espaces verts veut être menée à une très grande échelle. Les deux tiers du territoire sont préservés, en parcs, en aires agricoles, en ceinture et pénétrantes vertes. On instaure la protection de corridors écologiques et diverses mesures pour sauvegarder la faune et la flore. Mais avec, par-dessus tout, une volonté de parvenir à une meilleure qualité de l’air, grâce, notamment, à la promotion des transports en commun. 44 Extrait du dernier P.R.G. pour la ville : - en bleu : zones liée au Tibre, - en jaune : zones liée aux murailles, - en vert : zones de sauvegarde écologique, zone archéologique des forums et via Appia. - en rouge : Zones Flaminio, Fori, E.U.R., - en violet : Zones de la ceinture ferroviaire. 45 Face à l’instabilité politique et à la lourdeur de la mise en œuvre et de l’approbation du Plan Régulateur, la réponse de ces dernières années réside dans l’affirmation du “planning by doing”, agir en planifiant, amenant à conduire l’action urbaine, tout en préparant l’avenir, de manière itérative entre planification et projets. Il est nécessaire que les instances, gérant les projets urbains, acquièrent un savoir faire concernant la gestion des concours et l’appel à des concepteurs de qualité. La lenteur du passage entre l’intention et la réalisation en termes de projets urbains a été une caractéristique fondamentale de la ville pendant de nombreuses années. L’absence d’une « culture » de la maîtrise d’œuvre, de la maîtrise d’ouvrage, la difficulté à intégrer la modernité architecturale et urbaine dans un contexte donnant au patrimoine et aux vestiges du passé un statut d’autocratie culturelle qui bloque l’innovation, l’insuffisant caractère stratégique de tout projet économique… Ce sont autant de raisons qui ont pu participer à cette « léthargie » architecturale de la ville. La ville antique semblait savoir intégrer la diversité, unifier différentes cultures dans une nouvelle synthèse… Qu’en est-il aujourd’hui ? Les grandes « percées vertes » entrant dans la capitale depuis les zones rurales de la commune romaine, doivent participer à la constitution d’un nouveau squelette urbain. L’urbanisme effréné, qui a permis à la ville de grandir depuis les années soixante, doit être aujourd’hui contrôlé et les zones non bâties doivent être préservées. Elles représentent aujourd’hui une richesse nouvelle. La première certitude est la préservation du patrimoine naturel. La deuxième est la préservation, la sauvegarde et la valorisation du patrimoine historique, qui doit permettre de structurer l’identité romaine, de privilégier la réutilisation de bâtiments existants, mais aussi de doter la ville d’un réseau ferré digne d’une métropole moderne. Ce plan initiateur du Plan Régulateur a été appelé le Plan des Certitudes. Il devient, en ce moment, la base sur laquelle se construit un nouvel urbanisme romain. - Les enjeux du nouveau Plan Régulateur pour Rome 46 « Toute action en matière d’aménagement et d’urbanisme doit être fondée et portée par des valeurs » 1. Rome s’est développée autour de l’un des centres historiques les plus importants du monde, où se concentre désormais l’essentiel des activités politiques, administratives, culturelles, de loisirs et commerciales. La périphérie s’est étendue surtout après la deuxième guerre mondiale, d’abord, suite à une fièvre de spéculation et, ensuite, dans la juxtaposition de grands ensembles et de constructions illicites. Cette croissance accélérée s’est malheureusement faite en l’absence de toute planification efficace. Le Colisée depuis la via del Impero. Une certaine régénération urbaine, économique et culturelle de la ville, est à la portée de ce nouveau Plan Régulateur. L’action, dans le court terme, doit être conciliée avec les exigences de la planification. Ce nouveau plan doit pacifier les rapports entre ville et nature, sans retomber dans l’immobilisme, et doit démontrer que la ville peut changer et se mettre en mouvement. C’est contre cette image de ville belle, mais immuable, que l’administration contemporaine doit lutter avant tout. À Rome, s’appuyer sur l’histoire de la ville, comme fondement identitaire pour créer une stratégie urbaine semble être une base solide. L’utilisation des richesses naturelles de la commune, afin d’appuyer une « régénération » urbaine, vient dans un second temps. Ce dernier processus de planification, qui a affecté Rome, s’est décomposé en trois étapes majeures : le Poster Plan (1995), le plan des Certitudes (1997) et, enfin, le nouveau Plan Régulateur (2000). La zone archéologique centrale, plan de 1981. 1 Cecchini Domenico, Maire adjoint de Rome de 1993 à 2001. 47 Le Plan Régulateur doit donner le cadre stratégique et des règles générales. Dans le cas précis de la ville de Rome, un partenariat avec le privé, pour amener un certain nombre d’opérations à terme, semble inévitable et peut être assurera, dans un futur proche, un équilibre appréciable dans les domaines de la planification, du financement, des prises de décisions, à une échelle plus petite. Après trente-cinq années « terribles » pour l’urbanisme romain, le nouveau Plan Régulateur Général projette une structure urbaine à centres multiples, soutenue par un système ferroviaire et routier complet, et délimitée par un enchaînement d’espaces ouverts et de parcs. Il s’articule autour de cinq principes fondateurs : - durabilité ; - dimension urbaine ; - mobilité ; - revitalisation économique et physique des tissus défavorisés ; - relation entre histoire et transformation de la ville. Une préférence certaine semble être accordée à la réhabilitation et à la requalification des quartiers ou du bâti existant, plutôt qu’à la poursuite de l’urbanisation de territoires vierges. Cette volonté de réorganiser la ville de manière volontairement multi-polaire s’inscrit dans une continuité avec l’histoire et la croissance de la ville depuis bientôt trois mille ans. Rome a toujours fonctionné ainsi. Les zones naturelles à préserver dans le cadre du dernier P.R.G. pour la ville. Le nouveau plan renonce au zonage fonctionnel (intention profondément marquée en opposition au plan de 1962) au profit de la reconnaissance des tissus, afin de définir leur marge de transformation ; les tissus de la ville historique, ceux de la ville consolidée, ceux de la ville à restructurer, ceux liés à l’expansion future… En parallèle à ce nouveau Plan Régulateur, la ville se dote d’un Plan pour l’Environnement, qui dessine un éventail de onze grands parcs, qui entourent et pénètrent dans la ville. Ils s’étendent également en dehors de la ville, en suivant le cours du Tibre et de l’Aniene 1 et d’antiques tracés romains. Ce plan environnemental prévoit également la gestion historique de la campagne romaine, toujours sous la menace d’avancées urbaines incontrôlables. Quantitativement, le patrimoine naturel romain dépasse celui de Paris, mais il privilégie surtout une véritable dissémination, à l’opposé de la concentration des bois de 1 Aniene : rivière qui traversait Rome, aujourd’hui invisible dans la ville. 48 Boulogne et de Vincennes. Pour compenser l’anomalie d’une ville développée, présentant un système de transports collectifs atrophié, Rome s’est engagée dans un programme d’investissements et de travaux, en accord avec les chemins de fer nationaux, la région Lazio et la Province. En découle un nouveau réseau ferré (déjà en partie opérationnel), qui s’implante en périphérie (un mélange « métro - chemin de fer » qui peut ressembler au RER parisien ou au S-Bahn berlinois), associé à un métro urbain (c’est lui qui est le plus en retard et le plus dur à développer) et à des tramways modernes. Durabilité, environnement, mobilité, requalification de la périphérie, histoire, culture et transformations se sont imposés, ces dernières années, comme un axe de renouveau. Dans le même temps, les acteurs privés ont été largement associés à la transformation urbaine engagée. Celle-ci est devenue possible grâce à la restauration de la capacité d’investissement public, au prix d’importants sacrifices dans la gestion de l’administration municipale. La richesse archéologique du sous-sol ne facilite pas la chose, comme ce fut le cas lors des travaux du parking au cœur du Vatican. Mais l’invocation d’un patrimoine important ne peut devenir le prétexte à tous les excès du conservatisme. Rome semble donc, depuis quelques années, se penser enfin comme ville métropolitaine. Le Parlement discute, après un siècle d’indifférence, d’une véritable loi sur la capitale : Roma Capitale. L’Etat délocalise en périphérie, pour la première fois depuis cinquante ans, certaines administrations, comme le ministère de l’Environnement et celui des Ressources agricoles ou le Bureau national des statistiques, sur un nouveau site qui sera aussi le siège de l’université historique de Rome, la Sapienza, à Pietralata. Rome, ville historique par excellence, n’a pas une structure économique forte, marquée, comme Turin, Milan ou Venise. Mais cette faiblesse apparente pourrait se transformer en atout. Au-delà des évidences économiques que sont le tourisme, la culture et l’accueil, d’autres secteurs d’activités émergent et bouleversent le monde local des entreprises. Médias, nouvelles technologies, mode, créent, mois après mois, des centaines d’entreprises. Au centre, il est vrai, l’architecture contemporaine pe49 ine à émerger. Mais la nouvelle dynamique culturelle et économique qui anime la ville devrait aussi se traduire par plus d’audace et d’initiatives. Cela touche immanquablement à l’identité même de la ville. Car si les deux cents quartiers périphériques – autant de micro–villes, ne permettent pas à la population de s’approprier une représentation commune de la ville telle qu’elle est vécue au quotidien, le centre historique joue un rôle identitaire fédérateur. L’attractivité nouvelle de la périphérie n’y change rien. La ville du futur ne s’inventera pas à Rome sans une interaction profonde avec les vestiges du passé. 2.2.2 Rome, une ville surprotégée ? Son rapport au sol et à l’archéologie. La Sovraintendeza comunale Beni culturali di Roma est l’organe administratif qui s’occupe depuis plus d’un siècle de la gestion du patrimoine archéologique, artistique et urbain de la ville. Crée au moment de l’unification de la péninsule et, de la désignation de Rome capitale, sa mission première était de gérer l’expansion de la ville notamment concernant les nouveaux quartiers résidentiels. Relativement vite, son rôle a été redéfini. La Sovraintendenza devait, documenter et étudier, tous les vestiges découverts. Mais aussi, s’occuper de la gestion des fouilles archéologiques, et, offrir aux Musei Capitolini les résultats de ces recherches afin de les rendre accessibles au public. Pendant la période fasciste, les pouvoirs du gouvernement ont supplanté de loin, ceux laissé aux communes. Pendant de nombreuses années, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le rôle et l’autonomie décisionnelle de la Sovraintendenza di Roma a été très incertain. Malgré la situation particulière de la ville de Rome en Italie, l’importance de son patrimoine historique, les décisions et l’organisation administrative de ce département a toujours fait l’objet de grands débats interminables au niveau national. La place du capitole aujourd’hui et son évolution urbaine. Ce n’est que récemment que la Sovraintendenza a récupéré une indépendance et un fonctionnement au niveau communal. Ce qui lui permets, aujourd’hui, de réagir de manière plus rapide, et peut-être, mieux adaptée, aux choix qui sont à faire en matière de sauvegarde du patrimoine. 50 De cette période ambiguë d’organisation interne et de manque d’indépendance, découle certainement, en partie, l’inertie observée depuis 50 ans en matière d’urbanisme et d’architecture à Rome. À Rome, la quantité de vestiges de l’Antiquité (la ville Antique représente une surface plus importante que la ville moderne que nous connaissons) a trop souvent poussé nombre de défenseurs des « vieux murs » à une attitude d’inertie absolue. Cette caractéristique de ville historique grandiose est une force, mais elle ne doit en aucun cas aller contre la Rome de demain. Des solutions et des compromis doivent être mis en œuvre, afin de permettre aux besoins de la ville contemporaine de trouver une place qui leurs sont propres. Le problème, posé par le besoin d’extension du système métropolitain romain et de sa confrontation avec la richesse archéologique des sols de la ville, devra être réglé. L’une des solutions envisagée depuis longtemps, mais coûteuse, serait de descendre plus bas que le niveau de la ville pré-romaine, afin de créer le réseau de tunnels nécessaires. Certains ont même imaginé que ce parcours, nous emmenant de la surface aux profondeurs du métro, pourrait être une espèce de musée souterrain ouvert à tous, dévoilant, au passage, le témoignage historique figé dans la terre. Concernant la surface, il est possible et nécessaire de créer des infrastructures et des constructions modernes, qui intègrent certains éléments de la Rome Antique. La ville a besoin de nouveaux pôles de santé, de spectacles, d’enseignements... Les besoins liés à ces activités changent et les bâtiments anciens ne sont pas nécessairement à même de recevoir ce type d’infrastructures nouvelles. La ville s’est toujours reconstruite sur ellemême ; elle doit continuer à se développer dans ce sens. Il est désormais possible à Rome de lancer un défi à une nouvelle architecture de la conservation, à un art des jardins archéologiques, à une technologie muséographique particulière. Le défi de Rome pour le troisième millénaire est un chantier moderne de l’Antiquité, au sein duquel il faut faire 51 converger les meilleures énergies scientifiques, intellectuelles et technologiques. L’un des défis les plus importants pour la Rome du futur consiste à ne pas s’enliser dans l’image de la ville musée, mais à réussir à relever le défi majeur de se développer et de s’organiser, tout en préservant ce caractère qui lui est propre et qui la rend unique. Les plans de développement urbain, en particulier, se doivent d’intégrer cet aspect dans la projection urbaine à l’échelle métropolitaine. L’idée de la ville immergée dans les parcs et les jardins doit être maintenue et défendue. Rome pourrait devenir la plus grande « ville-verte » européenne. Ce système vert doit être pensé et organisé de manière cohérente, en y intégrant l’ensemble de la ville archéologique et historique. Les grands quartiers, trop longtemps laissés à l’abandon, doivent retrouver leur qualité perdue au fil des ans. L’un des enjeux majeurs pour la ville de demain sera de concilier, de manière intelligente, le respect du passé, avec le développement et la transformation de la ville. Rome doit effectuer un travail minutieux et périlleux. Une des caractéristiques de la ville de Rome est de présenter de notables différences de niveaux de sols, entre le plan urbain moderne et le plan antique, souvent repérable à des dizaines de mètres de profondeur. La variation et l’accroissement des sédiments et des décombres sur les vestiges les plus anciens de la topographie romaine sont en rapport direct avec les Le Largo Argentina, zone circonscrite de vestiges, au coeur du centre ville. 52 évènements qui se succédèrent depuis la fondation de la ville. Les grandes strates de décombres et de maçonneries, qui dépassent parfois les vingt mètres d’épaisseur, sont le fruit de centaines d’années de dépôts. Le rapport entre la nature géologique du sol et la ville de Rome est essentiel pour reconstruire la longue histoire qui suivit la fondation de l’Urbs. Les strates, qui constituaient le support de l’aire romaine, font alterner, par couches horizontales successives, les sédiments de tuf, les couches d’argile et de sable de provenance fluviale. L’histoire de la ville se confond, depuis cette époque, avec le déroulement de la construction urbaine : à chaque intervention urbanistique succédera une variation du niveau du sol et la superposition de nouveaux édifices. À l’époque antique, les premières maisons s’élevèrent spontanément, sans qu’on suive un plan d’urbanisation, si bien que les habitations en maçonnerie s’entassèrent dans les zones qui entouraient le forum. À cette époque, commença également l’extraction du tuf rocheux et de la pouzzolane, qui affleuraient sur les collines. Des galeries et des excavations en attestent sur le Palatin et sur le Capitole. Les édifices étaient adossés aux pentes des collines et séparés par d’étroites et tortueuses voies de liaison. C’est cette cité désordonnée, aux constructions empilées sans plan, qui fut ravagée par les Gaulois lors de l’invasion de 390 av. J.-C., qui entraîna de nombreuses destructions. L’immense quantité de décombres fut utilisée pour un premier essai d’assèchement des marais, qui s’étendaient du Forum jusqu’au Champ de Mars et au Trastevere. La reconstruction consécutive à cette première destruction partielle de la ville fut aussi chaotique que sa fondation : on ne respecta pas les propriétés privées et la viabilité publique. C’est ainsi que s’éleva une nouvelle ville, peu ordonnée, et reconstruite en grande partie en bois. Cette Rome, née spontanément, subit en 64 ap. J.-C. la fureur dévastatrice du grand incendie de Néron. Le feu, qui éclata dans l’aire du Circo Massimo, détruisit 53 pendant neuf jours, une grande partie de la ville. Les dommages furent immenses. Plan des fouilles de la Domus Aurea. Les décombres de l’incendie de Néron furent utilisés pour d’ultérieures élévations de terrains. Mais des règlements imposèrent aussi que tout navire venant décharger dans le port de Rome des denrées diverses repartît chargé de gravats. Cependant, la reconstruction du centre ne toucha que les parties détruites. Dans les autres quartiers, les édifices et les maisons, ne subirent aucun changement. Cette époque fut celle, ou Rome connu une expansion maximale. L’emploi de nouvelles techniques de construction, de la brique, y participèrent. Par ordre de l’empereur Vespasien, on entreprit la construction de l’amphithéâtre Flavien, œuvre qui entraîna une transformation profonde de toute la zone centrale de la ville. Pour pouvoir asseoir les fondations du Colisée, on combla la vallée avec de la terre et des gravats, qui recouvrirent de quinze mètres d’épaisseur les édifices néroniens. Au Palatin, Domitien entama les travaux de la grandiose résidence impériale, dont les fondations, profondes de plus de vingt mètres, ensevelirent, en grande partie, de nombreuses habitations privées, qui avaient été bâties sur la colline. Salle intérieure de la Domus Aurea. La Domus Aurea subit un sort analogue : les grandes salles et les couloirs, les fenêtres et les portes une fois murés, furent remplis de gravats, de façon à former des « caissons » pour les fondations des Thermes de Trajan. 54 Ce fut l’époque de grandioses travaux d’urbanisme, qui changèrent la physionomie de plusieurs quartiers de la ville. À partir de cette époque, la ville commença à connaître une lente décadence, qu’aggravèrent la fragilité de la situation politique, la fréquence des invasions barbares et de graves phénomènes telluriques. À cette époque, la ville ne comptait plus que 500 000 habitants, chiffre qui chuta encore, suite aux tremblements de terre dévastateurs de 408, 443, 447, 470 et au pillage gaulois de 455, qui dura plus de quatorze jours. À la suite de ces désastres, qui affectèrent une grande partie de la ville, on ne s’occupa plus guère que des édifices les plus nobles et les plus imposants. Rome avait pris l’aspect d’une ville morte. La décadence s’accrut avec le Moyen-Age : on démantela les murs de brique, on creusa des galeries dans le Palatin et le Capitole pour en extraire de la pouzzolane et des blocs de fondation. La topographie de la ville changea profondément, la quantité importante de décombres combla certaines déclivités. La ville se vida progressivement de ses habitants et les grands complexes architecturaux subirent une destruction presque complète. En 1084, on estime la population de Rome à moins de quinze mille personnes. Il a fallu attendre le XVème et le XVIème siècle pour que la construction recommence ; ce qui entraîna le démantèlement des ruines, qui entravaient les projets d’urbanisation. Cette Rome, qui témoigne, à travers les champs de fouille, de ses variations de niveau, subit également, de façon constante durant son histoire, l’action dévastatrice de son fleuve. Le Tibre, en effet, ne fut pas seulement pour la ville un élément fondamental de son expansion et de ses relations commerciales, mais aussi la cause d’importantes destructions, par suite de ses terribles crues. 4 schémas de C. Aymonino montrant l’organisation de la ville à quatres époques différentes: sous Constantin, au Moyen Age, la ville baroque et enfin en 1883. Pour imaginer la quantité d’alluvions et de matériaux divers déposés par le fleuve, il suffit de penser au phénomène d’ensevelissement progressif des bouches du Tibre qui, en mille huit cents ans, déplaça la ligne côtière de 4,5 kilomètres. Les superpositions et les juxtapositions de morceaux d’architecture, d’époques variées, font du paysage romain un assemblage disparate et fascinant, mêlant les différents passés de la ville, inscrits dans la brique et dans 55 la pierre. Les vestiges impériaux, aqueducs, théâtres, mausolées et temples, furent utilisés comme ouvrages de défense, habitations ou lieux de culte chrétien. Les matériaux arrachés aux édifices de la Rome Antique servirent aux constructions de la Rome des Papes. Expoliation et réemplois ne cessèrent jusqu’au 19ème siècle. Au Moyen-Age, l’abandon de nombreux édifices permit d’en transformer plus aisément les usages. 2.2.2 L’enseignement de l’architecture et de l’urbanisme en Italie. Aujourd’hui, l’enseignement des études d’architecture et d’urbanisme en Italie est révélateur d’une situation particulière. Les études, comme en France, sont théoriques pendant les premières années et tendent à se professionnaliser en fin de cursus. Les cours d’histoire de l’art et de l’architecture sont, au cours des deux premières années, les examens les plus lourds et les plus difficiles à valider pour les étudiants. Les deux premières années ressemblent énormément, dans leur organisation, aux cours dispensés en France ; même si la part des disciplines scientifiques semble plus importante. Elles se décomposent autour d’un studio de projet, de cours de dessin, d’histoire, de géométrie descriptive, de langues, de résistance des matériaux, de mathématiques, d’urbanisme, de physique, de connaissance des matériaux et des éléments constructifs, de mécanique des structures, de dessin appliqué à la représentation architecturale, d’anthropologie, de projet environnemental… A partir de la troisième année, les formations divergent en grande partie. Les études françaises auront tendance à insister sur le studio de projet, en traitant différents programmes (logements, équipements…), et en entourant ces studios de cours magistraux complémentaires. Chaque étudiant obtient de plus en plus de liberté dans les choix de ces matières « complémentaires ». En Italie, apparaît au premier semestre de la troisième année, le laboratoire de Restauro, qui remplace purement et simplement le studio de projet. 56 Le Restauro (la restauration) devient alors la colonne vertébrale d’un enseignement qui se voit complété par une série de cours traitant du diagnostique structurel, de la conservation et de la requalification des édifices, ainsi que des cours d’histoire et de théorie de Restauro. Le Restauro architettonico est une discipline qui consiste à étudier la manière dont un édifice ancien (antique, moyenâgeux, renaissant…) peut-être réutilisé ou conservé. Il se décline sous forme de relevés, d’étude et de connaissance des matériaux anciens, de leurs mises en œuvres, des techniques liées à leurs restaurations… Le studio auquel j’ai pu participer à Rome (sous la direction de A. Pugliano), consistait à étudier le Teatro di Marcello et à proposer une hypothèse de reconstruction du troisième ordre (corinthien), disparu au MoyenAge. Un examen vient clore ces trois premières années d’enseignement supérieur et permets d’accéder à deux années complémentaires, pendant lesquelles l’étudiant aura le choix de s’orienter vers : - le projet d’architecture, - le projet urbain, - le projet de Restauro. Des cours complémentaires continuent d’encadrer cet enseignement général, ciblés sur le choix de l’étudiant, entre ces trois orientations possibles. Un projet de fin d’étude, similaire à celui que doivent soutenir les étudiants français, termine le cursus de 5 ans (qui était comme en France de 6 ans avant d’être raccourci d’une année). L’Italie, et plus particulièrement Rome, a depuis toujours vécu avec une certaine fascination et un respect profond pour son histoire. Retrouver cette notion dans la manière dont les études d’architecture et d’urbanisme sont organisées n’est pas si surprenant que cela. Néanmoins, cela explique également la situation difficile des jeunes architectes italiens. L’Italie a du mal à développer cette culture du projet, qui semble gagner le reste des grandes villes européennes et, parallèlement, elle ne cesse de former des architectes et des urbanistes qui, une fois diplômés, se retrouvent face à un marché du travail en grande 57 se retrouvent face à un marché du travail en grande difficulté. Bon nombre d’entre eux décident de s’exiler, afin d’exercer leur profession dans d’autres pays européens. Les écoles d’architecture ne sont pas comme en France des écoles où une sélection s’effectue à l’entrée. L’architecture et l’urbanisme sont enseignés à l’Université (pour Rome, soit à la Sapienza 1, soit à Roma Tre, soit à Tor Vergata). Le nombre d’étudiants en architecture est très élevé. La France compte 45 architectes inscrits à l’Ordre pour 100 000 habitants, contre 87, en moyenne dans le reste de l’Union européenne. L’Italie, quant à elle, culmine en tête des statistiques, avec 148 architectes pour 100 000 habitants. Source : « Les chiffres de l’architecture » Observatoire de l’économie de l’architecture p. 122. Rapport d’information au Sénat de Monsieur Yves Dauge, Sénateur, fait au nom de la Commission des Affaires Culturelles sur les métiers de l’architecture - Session 2003/2004. Il est assez frappant de découvrir, pour un étudiant français, la place qu’occupe le Restauro dans le cursus italien. Beaucoup d’étudiants, conscients des difficultés inhérentes au fait d’être un jeune architecte, s’orientent donc vers une thèse en Restauro, et souhaitent intégrer une administration ou un organisme s’occupant de conservation et de gestion du patrimoine. En France, choisir cette voie est une solution possible, mais qui ne s’envisage qu’une fois le diplôme obtenu, 1 L’Université de Rome « La Sapienza » (en italien, Università degli studi di Roma “La Sapienza”) est une des principales universités italiennes. Elle est aussi appelée Rome I et est une des plus anciennes au monde, ayant été fondée par bulle papale le 20 avril 1303 (pape Boniface VIII). C’est aussi la plus grande d’Europe et une des plus grandes au monde (après l’UNAM de Mexico) en nombre d’étudiants (150 000 environ). Elle comporte 21 facultés, 21 musées, 155 bibliothèques et plus de 130 départements et instituts. 58 en intégrant par exemple l’Ecole de Chaillot, afin de suivre une spécialisation en « architecture et patrimoine ». Ce développement accru de la protection du patrimoine, évoqué dans la partie précédente, est intimement lié à la manière dont l’enseignement est organisé et inversement. Rome, depuis toujours, est un terrain d’études privilégié de l’ancien. La Villa Medicis, qui accueille à partir de 1803 l’Académie de France à Rome, sera un passage obligatoire, pendant des décennies pour des générations d’architectes, notamment ceux, lauréats du Prix de Rome. Etudier l’ancien, le dessiner, le comprendre, a toujours été le fondement de l’enseignement en architecture. C’est une étape absolument nécessaire, afin de mieux concevoir et projeter des bâtiments contemporains, capables de s’insérer dans un tissu de plus en plus dense. La manière dont le cursus italien centralise, à un certain moment, son apprentissage autour du Restauro, reste en Europe un exemple unique et révélateur de la situation. Coincée entre un respect incommensurable de son histoire et de ses vestiges et une envie certaine de développer sa pratique pour une architecture de son temps (le design, l’architecture d’intérieur sont autant de domaines où les Italiens occupent une place incontestée), l’Italie est une fois de plus au cœur d’une dualité étrange. 59 2.2 Trois projets contemporains à Rome : Renzo Piano, Odile Decq, Richard Meier. Entretiens. Présenter ici quelques projets d’architecture qui voient le jour à Rome est un état des lieux complémentaire, nécessaire, à une compréhension de la ville contemporaine. Chaque projet fait face à des difficultés particulières mais ils sont représentatifs de la situation actuelle de la ville et de son rapport avec l’architecture contemporaine. Des entretiens complémentaires, réalisés auprès de Paulo Colonna (Renzo Piano Building Workshop) et de Peter Baalman (Agence Odile Decq et Benoît Cornette), nous permettrons de comprendre mieux ce que peut signifier « construire à Rome aujourd’hui ». Malheureusement il m’a été impossible d’obtenir une même base de travail auprès de l’agence Richard Meier & Partners, architects LLP. Ce projet a tellement défrayé la chronique qu’un nombre important d’articles sont disponibles sur le sujet, ce qui me permets d’une certaine manière, de combler ce manque. 60 1 - La città della musica, appelée aussi l’Auditorium. Renzo Piano Building Workshop 1994 – 2002 La moyenne et la petite salle photographiées depuis l’amphithéâtre à ciel ouvert. Un énorme complexe, dédié à la musique classique, enrichit le vaste héritage culturel de la ville. C’est l’un des projets ‘phare’ de la nouvelle ville. Il est le premier projet de cette importance ayant vu le jour à Rome depuis des années. Il est un peu l’emblème de la nouvelle dynamique architecturale de la ville. La taille même du projet interdisait son implantation dans le cœur de la ville déjà très dense. Le site choisi pour le projet se situe entre les berges du Tibre, la colline de Parioli, le village olympique construit pour les jeux de 1960, le Palazetto dello Sport et le stade Flaminio, tous deux projetés par Pierluigi Nervi. Ce site, légèrement décentré, moins dense, permet de gérer des flux importants. Il joue ensuite un rôle fédérateur et dynamisant, dans un quartier à part, ayant du mal à trouver une vraie identité urbaine. Coincé entre plusieurs grands axes routiers (donc très bien desservi), le site réclamait un programme fort qui pouvait restructurer l’ensemble de la zone. Accueillant un public nombreux, l’auditorium amène dans ce quartier une dynamique nouvelle qui lui permet de s’ouvrir sur le reste de la ville. Le programme s’articule autour de 3 salles de concert, de capacités différente (2800, 1200 et 700 places) et d’usage polyvalent. Au centre de ces trois salles, un amphithéâtre à ciel ouvert peut accueillir jusqu’à 3000 personnes. Chacune des trois salles a été conçue comme un instrument de musique. Chacune a sa sonorité propre. Elles sont structurellement séparées, afin d’être acoustiquement parfaitement indépendantes. Chacune d’elle est équipée pour l’enregistrement de concerts. Croquis de principe (R. Piano). Maquette du projet 61 La plus grande des salles, celle de 2800 places, est conçue pour accueillir des concerts symphoniques et de la musique de chœur. La scène en est centrale et modulable. La moyenne (1200 places) est prévue pour des orchestres, avec ou sans chœur, des ballets ou de la musique contemporaine. La dernière, la plus petite (700 places), est conçue pour recevoir opéras, musique de chambre ou concerts baroques, des performances théâtrales, ainsi que des orchestres symphoniques. Tous les espaces, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, ont été conçus sur la base d’une partition musicale. Deux salles de répétition enterrées, aux grandes qualités acoustiques, permettent aux musiciens de répéter dans les meilleures conditions. Ces espaces peuvent également servir de studio d’enregistrement. Mise en place de la charpente. Une villa romaine (4ème siècle après J.-C.) a été découverte sur le site au moment des travaux de fondation ; fait relativement courant à Rome. Après modification du projet initial, elle est sauvegardée et intégrée au projet dans son ensemble. Un petit musée lui est dédié et explique au visiteur l’histoire de cet édifice. Les espaces verts entourant le projet lui-même (30 000m2 et quelque 400 arbres plantés) sont un prolongement du parc de la Villa Glori, très proche. La cité de la musique accueille également un petit musée des instruments de musique, les bureaux de l’administration et une librairie spécialisée. Entretien avec Paulo Colonna chef de projet Renzo Piano Building Workshop 25 janvier 2008 Présent sur le chantier de l’Auditorium de 2000 à 2003. « Pouvez-vous me présenter le projet ? Ce qui m’intéresse particulièrement, ce sont les rapports entre Renzo Piano Building Workshop, Maître d’œuvre, et la ville de Rome, Maître d’Ouvrage sur ce projet. Construire à Rome aujourd’hui, … est–ce compliqué d’un point de vue administratif ? Au départ, le programme de l’Auditorium était de n’avoir qu’une seule salle, avec la possibilité de changer, de moduler l’intérieur, afin de passer de 500 à 2000 et quelques places assises. 62 Par la suite, le programme a changé, parce qu’il était impossible de prévoir de tels changements, une telle flexibilité dans une salle de musique, à tous les points de vue, et en particulier d’un point de vue acoustique. Alors, les représentants de la ville de Rome, suivant l’idée de Renzo, ont décidé de construire trois magnifiques salles, chacune spécifique en termes de places, de façon d’héberger la musique, d’acoustique. La petite salle a même la possibilité d’accueillir un petit théâtre. La deuxième salle, d’une capacité de 1200 places, peut permettre des spectacles de danse et la dernière est dédiée à la musique classique, elle peut accueillir 2800 personnes exactement. Donc on a réussi à donner au programme une grande flexibilité, mais, en revanche, la suite des études a été très difficile. Ca été vraiment dur de faire trois salles au lieu d’une, le budget était totalement serré, tout est devenu très complexe. Vous avez trouvé, en cours de chantier, une villa romaine sur le site … La question de la villa Romaine découverte sur le site est très intéressante. Au début du projet, les trois salles étaient implantées proches les unes des autres. L’implantation a dû être changée en cours de route. Pendant les premières phases du chantier, les fouilles pour les fondations ont été faites en suivant l’implantation première. On a alors découvert cette petite villa romaine, qui devait être comme une sorte de poste frontière à l’époque romaine, parce que nous nous trouvons totalement en dehors de l’emprise de la ville romaine. C’est un avant poste, une des premières maisons, où les marchands arrivaient avant de rentrer dans Rome. Ils s’y arrêtaient et passaient une nuit à cet endroit pour se reposer, payer la douane et tous les frais. Ensuite, ils rentraient à proprement parler dans la ville. Donc, ce n’est pas une villa magnifique, un bâtiment majestueux, splendide et tout ça, mais c’est un petit…, c’est comme un hôtel ; un petit hôtel pour tous les étrangers. Cette découverte en cette phase du chantier n’a pas surpris les gens de la municipalité. À Rome, ils sont habitués. Chaque fois que l’on fait un trou, on trouve des choses. Côté ville, ils n’ont pas été surpris du tout. C’est normal, c’est évident. Par contre, toutes les questions liées à la Surintendance de Rome, ils ont beaucoup bloqué la situation, parce qu’ils voulaient étudier, conserver, approfondir, tout ça… Nous, on a beaucoup aidé la Surintendance, parce que l’on a tout de suite compris que c’était une chance. C’est fantastique d’intégrer une chose comme cellelà dans le projet. On a profité de cet événement. On ne l’a pas pris comme une contrainte négative. On a un petit peu changé le programme ; on a déplacé les deux salles qui devaient s’implanter à cet endroit, et l’on a aménagé un petit musée regroupant tous les reliquats trouvés pendant les fouilles. Aujourd’hui, ce musée fait partie intégrante du complexe de l’Auditorium, et c’est magnifique. Donc, pour nous, c’est une chance, un enrichissement. La Surintendance n’a jamais, selon moi, compris cela et elle avait un peu peur par rapport à la propriété de ce lieu et des objets trouvés. Vous faites le musée, mais tout le reste va à la ville de Rome…C’était évident, c’était clair pour nous dès le départ. On a eu quelques problèmes de bureaucratie à ce moment-là. Pas grand-chose 63 mais à la fin, on a réussi à résoudre cela. Tout le vrai projet, les vérifications, les études portant sur la villa, les fouilles, ont duré entre 6 et 8 mois. Pendant ce temps-là, le chantier a-t-il pû continuer ? Non, on a dû totalement arrêter le chantier, parce que personne ne comprenait encore l’emprise au sol de ce petit bâtiment ; où se trouvaient ses limites. Personne n’a pris le risque de continuer à creuser ailleurs et d’envahir éventuellement des zones sensibles. Tout le projet a pris à ce moment-là une année de retard. Les six premiers mois des fouilles archéologiques, rien n’a bougé sur le chantier. Après, on a réussi à comprendre le périmètre de ce bâtiment antique et on a pu mettre en place la variante que l’on avait commencée à dessiner ; à intégrer les modifications dans le projet, et tout ça nous a pris encore six mois. Par rapport à cela, on a perdu un petit peu de temps, mais ça va, c’est normal. Pour la première question que tu me posais, qu’est-ce que cela veut dire de bâtir à Rome ? C’est beau de bâtir à Rome, parce que l’on se trouve au milieu d’une ville riche en architecture ancienne, donc c’est un vrai défi. Intégrer un nouveau bâtiment dans la ville, c’est magnifique. C’est splendide. Toute l’étude sur les matériaux, la couverture, la pierre, le travertino, et tout ça, c’est une vraie étude, c’est pas mal. C’est très amusant et très intéressant. Tu ne peux jamais te détacher de cette culture, parce qu’elle est tellement forte, tellement présente dans Rome. Par rapport à toute la question liée à la ville, à la politique en Italie, c’est plus compliqué. Ce n’est pas évident du tout, c’est comme ça. Nous sommes habitués. C’est vrai que moi je suis italien et, en Italie, c’est compliqué de faire les choses. Mais d’un autre côté, tout le monde à l’envie d’essayer au-delà de la loi, au-delà de la normalité, au delà des règlements, des choses comme ça. Et ça, c’est beau. Parce que ça te donne une chance en plus. On a cet esprit, cette envie d’essayer. Et ça c’est magnifique, pour un architecte, c’est génial. Mais d’un autre côté, c’est hyper compliqué. La bureaucratie, la politique…, il y en a partout et c’est hyper compliqué. De rester tranquille, à ta place, ce n’est pas évident. Le site de l’Auditorium était déjà défini au moment du concours ? La ville semblait hésiter entre différents endroits pour implanter ce projet… Le site était défini. Tout ce projet a démarré avec le maire, je crois que c’est Rutelli qui a lancé tout ça, en 1994. Il faut préciser qu’à côté du site il y a Santa Cecilia, l’auditorium de musique classique de Rome, qui a soutenu beaucoup le projet avec le Maestro Luciano Berio. Il a vraiment insisté pour avoir un nouvel auditorium à Rome. Pour une place d’honneur de la musique classique à Rome. Il faut le dire. C’est vraiment lui qui a mis la pression à tout le monde pour que le projet se fasse. C’est vraiment son œuvre. Honnêtement. C’est grâce à lui. Par la suite, en ce qui concerne les différentes relations sur le chantier… La première entreprise en charge du projet a été virée du chantier. On a fait un concours pour désigner une entreprise capable de réaliser le projet. La première entreprise, après 6 mois, 1 an, a été virée parce qu’elle n’avançait pas, elle ne bougeait pas et comme d’habitude, elle a commencé à demander de l’argent parce que le projet ne lui 64 semblait plus réalisable… Elle a porté plainte auprès de la justice contre nous, contre la Mairie de Rome. Auprès de tout le monde. Aujourd’hui, les poursuites judiciaires et tout le côté légal n’est pas encore terminé, mais presque. Cette entreprise a fait faillite depuis. Elle n’existe plus ou presque, je crois. La justice nous a donné raison, ainsi qu’à la Mairie. Ils sont en train de décider des indemnités, des dommages et intérêts. Mais le jugement a déjà été rendu. Tout ça est terminé et c’est réglé. Après on a donc lancé une deuxième candidature, afin de trouver une autre entreprise pour finir le chantier. L’entreprise Impregilo a remporté le marché et c’est elle qui a terminé le projet. C’est une des raisons pour laquelle le chantier a également pris plus de temps que prévu. En somme, les deux premières années, on a vraiment pas réussi à faire grand chose. Ensuite, le chantier a duré 3 ans avec Impregilo. Pour ce projet, ce n’est pas énorme. Absolument pas. Avec Impregilo, on n’a pas eu de problèmes, jusqu’au moment où… En fait, l’ancienne entreprise avait réalisé tout le bâtiment inférieur. Mais, elle avait fait tout ça sans tenir compte vraiment du phasage du chantier. Toutes les fondations de cette zone, supportant la grande salle, n’étaient pas encore faites. Mais ils avaient terminé le bâtiment, le petit bâtiment au-dessus. Et donc Impregilo a dû démolir le travail de la première entreprise dans cette zone, afin de réaliser les fondations de la grande salle et de recommencer l’ensemble. Et ça a encore fait perdre de 3 à 4 mois au chantier, pour faire tous ces petits travaux, ces petites choses. Par la suite, d’autres petits problèmes ont surgi. Mais pas des vrais problèmes. L’entreprise est arrivé sur un chantier qui n’était pas optimal. Elle a récupéré tout ça, ils ont travaillé, selon moi, de façon splendide. C’était un chantier de près de 3000 ouvriers, avec plus de 300 ingénieurs en permanence sur le chantier. C’est un gros chantier sur lequel on a vraiment beaucoup travaillé. La désignation des entreprises pour les marchés et toutes les phases d’étude se découpent-t-elles comme en France ? Existe-t-il l’équivalent des études préliminaires, du PC, du DCE… ? Est-on en marché public, incluant des appels d’offres aux entreprises ? Apparemment une entreprise générale a répondu… C’est une entreprise générale qui a répondu à l’offre. Après, il y a des petits intervenants extérieurs, des sous-traitants. Mais tout est géré par l’entreprise générale, en accord avec la Direzione dei Lavori (Direction du Travail) qui vérifie tout. Normalement, la logique est la même qu’en France. Il n’y a que les noms qui changent. Le phasage, la logique générale sont les mêmes. Qui est l’interlocuteur représentant la ville de Rome avec qui vous dialoguez pour un projet comme celui-ci ? 65 Renzo a beaucoup travaillé directement avec Rutelli, et ensuite avec Veltroni. Directement avec eux. Par rapport a tous les bureaux techniques, il y avait un bureau spécial de techniciens de la commune de Rome qui travaillait avec nous. Pendant la phase d’étude et pendant la phase chantier. Ils ont toujours été présents à côté de nous, architectes, ingénieurs. Ils disposaient d’un bureau technique qui vérifiait et qui validait toutes les étapes. Il ne nous est jamais arrivé de passer une étape importante sans que la commune ai déjà regardé, vérifié notre travail, pendant toute la durée du projet. Ce sont des allers-retours permanents. C’est un travail indispensable. Le projet est tellement complexe, tellement gigantesque qu’il est nécessaire de travailler de cette façon. Ce projet a-t-il été piloté depuis votre agence à Gènes ? Oui, Susanna Scarabicchi est l’architecte en chef, responsable du projet. Concernant les règlements de zone à cet endroit de Rome, est-ce que les contraintes étaient importantes ? De manière précise, je ne saurais pas te dire. Je n’ai pas participé à toute la phase d’étude. Je suis arrivé sur le projet en cours de route, sur le chantier en l’an 2000. Je crois néanmoins que pas du tout. C’est une zone tranquille de ce point de vue-là. Parioli, c’est une zone verte, tournée vers les équipements sportifs. Concernant les prospects et les altitudes du projet, nous avons été très tranquilles. On a jamais eu de problèmes particuliers par rapport à tout ça. Une des idées directrices du projet était d’entourer les trois salles d’un écrin de verdure continu ; principe qui relie, d’une certaine manière, le projet au parc de la Villa Glori, mitoyen. Cela crée une sorte de continuité au parc existant. Je trouve ce parti pris magnifique. L’idée est bonne. Le projet n’est pas un gros bâtiment que l’on pose là, consistant. Ces trois salles, elles sont posées au milieu de la végétation. C’est au contraire une attitude très douce. Vous avez travaillé ailleurs en Italie, réalisé d’autres projets, est-ce que vous diriez que Rome, aujourd’hui, se trouve dans une situation particulière en Italie ou est-ce que finalement, non, construire à Rome c’est comme construire ailleurs ? Moi je pense qu’à la fin, faire un projet comme celui-ci, ce n’est pas évident, déjà, de le faire. En général. C’est vraiment complexe et imposant par la taille. Je crois qu’en dehors de Rome, en Italie, ça n’aurait pas été évident de faire un projet comme celui-ci. Rome possède aussi la puissance et les capacités de porter un projet aussi important. Trois salles pour un auditorium comme celui-ci, pour faire cela, il est nécessaire d’avoir la force économique, politique… Est-ce que dans le Nord de l’Italie, autour de villes comme Turin, Milan, un projet comme celui-ci n’aurait pas pu trouver sa place ? Je ne suis pas sûr. Rome a la culture de la musique classique. En Italie, c’est Rome. Il y a bien évidemment la Scala à Milan, mais il s’agit de l’Opéra. C’est un peu différent. Ici, on ne joue pas de l’Opéra. Ce n’est pas un théâtre. C’est un projet dédié seule66 ment à la musique ; la musique classique surtout. C’est l’Académie de Santa Cecilia qui est l’institution italienne par excellence. À côté de cela, on a Rome qui est la capitale. Un projet comme celui-là, selon moi, ne peut trouver place que dans la capitale. On ne peut pas faire un projet comme celui-ci ailleurs. Même en France, ailleurs qu’à Paris, où pourrait-on construire un bâtiment pareil ? C’est forcément à Rome. Mais, je ne trouve pas que Rome soit tellement différente de Milan, de Turin…, honnêtement, en ce qui concerne la situation bureaucratique, politique et tout ça. Pour un projet de ce type, soit tu trouves les bonnes personnes, soit cela ne marche jamais. Ce n’est pas évident. Est-ce que Rome n’a pas tendance à devenir une ville-musée ? A surprotéger l’ensemble de son territoire ? Est-ce qu’elle n’a pas eu des difficultés considérables à intégrer dans son tissu ancien ce genre de projet, pendant des années ? Et peut-être même encore aujourd’hui ? J’ai étudié à Rome. Je me souviens de chaque examen à la Facoltà. Tu ne peux rien toucher ; tu ne peux pas déplacer une pierre. Tout est ancien. Tout doit être respecté. Tu as ce poids sur toi. C’est pour cela que c’est difficile de bâtir. Ce n’est donc pas tellement la législation qui rend l’acte de bâtir difficile ? C’est vraiment une culture très difficile. Même les architectes se sentent enfermés, bloqués, parce que tu as le poids de cette culture. Et ça, ce n’est pas évident. De faire des choses ultramodernes ou modernes, c’est vraiment difficile. Ce projet a sans doute un petit peu changé les mentalités. C’est un projet qui respecte le tissu ancien, tout en étant réalisé dans les années 2000. D’autres projets ont démarré ensuite, comme Fuksas, Zaha Hadid. C’est une culture aussi de l’administration communale qui se met en place. Après les années 90, ils ont changé un petit peu. Ils ont compris que la ville devait évoluer et s’adapter à son époque. On ne peut pas s’occuper seulement du Colisée. Un esprit, une envie d’essayer se sont mis en place. Rome, aujourd’hui, est l’unique ville en Italie, qui est en train de construire beaucoup de bâtiments publics, d’équipements. L’auditorium, une bibliothèque… Ailleurs, ce sont plus des projets pour du résidentiel, des bureaux, au niveau des nouveaux bâtiments, des grands projets comme cela, de grandes tours. On ne retrouve pas ces programmes de grands équipements. C’est un aspect des choses, propre à Rome. Vous avez étudié à Rome. Concernant les études, que pouvez-vous me dire de la place primordiale qu’occupe le Restauro dans le cursus ? C’est quelque chose qui n’existe pas du tout en France. C’est d’ailleurs lié à tout ce que nous venons de dire. Le Restauro occupe une place très importante. C’est la première approche que l’on nous donne dans les écoles d’architecture. Tu rentres et les premiers examens 67 sont toujours ceux d’histoire, de Restauro… On commence à dessiner, pendant 6 à 8 mois, à la main, à étudier. Tu dois te balader dans la ville. Ça déjà, ça reste dans ta tête. Le respect pour tout ça. Tous les examens, ceux de Storia del Arte, sont très sérieux. L’examen de Composizione (de projet) est très important aussi, mais peut-être que le poids d’un examen de Storia (histoire) ou de Rilievo (relevé), est encore plus important. Nous, on sort de l’université avec ce bagage. On est très attachés à l’histoire, on a un profond respect pour tout ça, et peut-être que nous sommes un peu plus faibles, par rapport à la composition, à l’envie d’essayer, de faire des projets. L’enseignement est très différent. Une chose qui est très importante pour nous, c’est le respect de tout ce qui se trouve autour du bâtiment. Le site. Le site, c’est vraiment l’étude de base, c’est fondamental. On passe peut-être six mois à étudier le site et trois mois à faire le projet. C’est une chose que la Facoltà de Rome enseigne ». 2 - Extension du musée MACRO, aménagée dans les anciennes brasserie de bierres PERRONI Odile DECQ et Benoît CORNETTE 1994 – 2002 Réhabilitation de l’ancienne usine de bière PERRONI. Extension de l’actuel musée MACRO . Ce projet de l’architecte français Odile Decq se caractérise par son intention de trouver un équilibre entre projet contemporain et réhabilitation ; entre densité urbaine et espace public. Ceci afin de générer un conflit, de rechercher les limites d’une instabilité créative, un peu comme pourrait le faire l’ensemble de l’art contemporain qui sera exposé en ce lieu. Ce bâtiment réinvestit un lieu existant, l’ancienne usine de bière Perroni, située via Reggio Emilia, 54, dans un espace plus ou moins occupé précédemment par la 68 galerie communale d’art moderne. Ce projet, comme celui de Zaha Hadid (Centro Nazionale per le Arti Contemporanee), s’inscrit dans une logique cherchant à replacer la ville de Rome sur le devant de la scène de l’art contemporain dans le monde. En multipliant les espaces d’expositions et en parrainant de nombreux artistes, la ville se crée une nouvelle identité. Ce bâtiment se veut, une vitrine de l’art contemporain italien, qui pourrait adopter comme hypothèse de collections, les nouveaux langages artistiques (recherche d’un certain panorama sur l’art). Cet espace accueillera des expositions, mais aussi des conférences, des masters, des formations, des stages… Ce sera un espace « stable », institutionnel, en rupture avec un passé où les collaborations rimaient trop souvent avec structures inexistantes, squats, moyens de fortune… Vue intérieure du RdC. Une coursive intérieure. Dédié aux arts visuels, il propose également un espace pour la musique, le théâtre, la danse, la littérature et le cinéma. A Rome, à l’origine d’une certaine réaction (au niveau de l’art contemporain), d’une volonté de sortir de la torpeur, on retrouve souvent certaines galeries privées ou instances publiques. Parfois même, certains artistes qui, courageusement, ont résisté et défendu Rome comme leur ville et qui ont cherché à faire bouger les choses. Tous ces efforts communs ont permis à des projets comme celui du Macro de voir le jour. Des espaces extérieurs sauvegardés au coeur du projet. De près de 10 000 m2, ce musée devrait être livré courant 2008 (livraison initialement prévue pour 2005). Une extension de près de 3000 m2 s’ajoute au programme afin d’investir une partie des anciens abattoirs dans le quartier du Testaccio. Situé dans un quartier populaire, jeune et dynamique, ces deux bâtiments proposeront des horaires « décalés » de 16h à 24h. Extrait du quotidien La Repubblica (affaires et finances) du 06 octobre 2003 : « Odile Decq à Rome, un architecte high tech Rome – Architecte, femme française, Odile Decq, née en 1955 et diplômée en1978 de l’UP6 à Paris, propose un type architectural fortement dynamique et à tendance high-tech, comme le projet d’aménagement du port d’Osaka au Japon ou encore le projet pour le centre de recherche Saint-Gobain à Paris. En ce mo69 ment, Odile Decq est hyperactive à Rome. Mais son engagement envers la capitale es-il le signe d’une passion personnelle ou bien est-ce le signal réconfortant que quelque chose change en Italie et surtout à Rome ? Pour les architectes, travailler à Rome en ce moment est un signe, un sceau de qualité et un privilège. Il n’en va pas de même pour le reste de l’Italie qui se trouve en pleine crise d’idées […] ». Entretien avec Peter Baalman chef de projet chez Odile Decq et Benoît Cornette 25 janvier 2008 En charge du projet depuis les esquisses. « Avant tout, le projet se situe dans un quartier qui est dense, qui est un quartier 19ème où il n’y a pas beaucoup d’espaces publics. Le musée existant du MACRO est installé dans des bâtiments qui sont d’anciennes brasseries. Les brasseries Perroni. Le musée a récupéré une partie des brasseries qu’elle ne possédait pas encore. À l’intérieur de laquelle il était demandé de faire l’extension. Sachant que les monuments historiques exigeaient que l’on préserve les façades de la brasserie et que l’on évide le bâtiment et que l’on reconstruise à l’intérieur. Mais que l’on garde aussi la structure du bâtiment sur rue. La seule chose sur laquelle nous avons transgressé, c’est que l’on a démonté l’angle pour faire l’entrée du musée. Avec l’Art Café qui se situe au-dessus. Ensuite, ce qui était demandé c’était des salles d’exposition temporaire, un auditorium, une salle de lecture, un restaurant, une librairie. Donc c’était un programme assez simple. Les grandes contraintes au départ, en revanche, c’était que ces lieux d’exposition temporaire devaient pouvoir servir aussi d’espaces de spectacles. C’est pour cela qu’au début, on était partis sur une hauteur moyenne assez importante. Parce que l’on a des salles qui font jusqu’à 11, 12 mètres de hauteur. Ce qui est très grand pour des salles d’expositions. Ce qui s’avère maintenant être un des aspect vraiment spectaculaire du projet. Maintenant que la structure est vraiment sortie, ils sont en train de poser la toiture, on se rend compte que par rapport à la moyenne des musées que l’on construit en ce moment, ce sont des salles qui sont gigantesques. Le parti pris de notre projet c’était de créer une connexion avec le musée existant, la grande galerie d’exposition temporaire est comme un serpentin qui circule à 2 niveaux différents. Qui permet de relier le niveau à l’angle avec le niveau existant du musée qui est beaucoup plus haut. Et qui permet même à l’intérieur des salles d’exposition de jouer sur des niveaux différents. On a le niveau du sol et on a le niveau des passerelles, qui parcourent l’intérieur du musée et qui permettent d’avoir des points de vue différents sur les choses qui sont exposées. 70 Ce parcours continue et permets d’accéder à la terrasse, qui est l’espace public que l’on a offert au quartier, en fait. Parce que c’est un espace qui est vraiment traité comme une place, la verrière du milieu qui donne la lumière dans le foyer et sur la salle de lecture est en même temps une fontaine. C’est une verrière sur laquelle il y a de l’eau. Et les autres verrières et la terrasse sont vraiment traitées comme un paysage. C’est un endroit qui est accessible au public. Depuis l’angle, on trouve un escalier qui monte directement depuis la rue, qui permet de court-circuiter tous les niveaux intermédiaires. Qui va directement de la rue vers la terrasse. Le restaurant, situé dans le volume existant, donne lui aussi directement sur la terrasse. C’était vraiment un jeu. Jouer à la fois entre l’intérieur et l’extérieur, donner une interpénétration de différents niveaux à l’intérieur du bâtiment, qui permet de relier le bâtiment existant au bâtiment que nous construisons. Et de créer, au milieu, un objet qui est la salle de conférence. C’est un parti architectural et un parti urbain à l ‘échelle du bâtiment. Sachant que les Monuments Historiques nous ont imposé au départ la contrainte de rester dans les gabarits des façades existantes ; de ne pas monter plus haut et de respecter un certain nombre de choses par rapport au volume existant qu’ils voulaient garder. On a quand même réussi à le violenter un petit peu, mais on est resté très sage. Au niveau du concours, vous connaissiez déjà toutes les contraintes liées au site ? Oui, mais après il y a eu encore des points sur lesquels nous avons continué à discuter avec les monuments historiques. D’abord, sur l’aspect extérieur du bâtiment, sur les couleurs de l’enduit. Dernièrement on a réussi in extremis à imposer, parce qu’ils se sont rendu compte en cours de route, en faisant le diagnostic du bâtiment, qu’il fallait remplacer les tuiles, on a réussi à imposer des tuiles noires, et non pas rouge. Ça a été une sacrée bataille. Cette administration des Monuments Historiques à Rome, c’est l’équivalent des ABF en France ? Oui et non, parce que la particularité des ABF en France c’est que l’on ne peut pas discuter avec eux. Soit c’est oui, soit c’est non. Tandis que avec les Italiens, on discute. La marge de manœuvre est plus grande ? Oui, la marge de manœuvre est plus grande. Les gens en face sont plus ou moins obtus, mais il y a un dialogue, un échange possible. Beaucoup plus qu’en France ? Oui, beaucoup plus. Bizarrement, on ne pourrait pas croire cela à Rome, mais…c’est sûr qu’ils ont une attitude par rapport au patrimoine qui, pour le moins, est extrêmement forte, mais qui n’est pas forcement plus hystérique qu’en France. 71 C’était un concours public, organisé par la ville de Rome. Votre interlocuteur sur ce projet, qui était-ce ? Les bureaux techniques de la ville ? Oui. Vous avez gagné le concours le 19 avril 2001, sur combien de temps ce sont déroulées les études ? Il y a eu un temps d’étude qui a duré jusqu’en 2003, de mémoire c’était fin 2003 que nous avons rendu le dossier d’exécution. Toutes les différentes phases de découpage du projet sont-elles comparables à la manière dont les choses se déroulent en France ? APS, PC, DCE… ? Non, pas exactement. Parce que les responsabilités ne sont pas du tout gérées de la même façon en Italie. En fait en Europe, c’est la France qui est particulière. Parce qu’en France d’abord, ce sont les architectes qui prennent un maximum de responsabilités. Ce sont les architectes qui, en fin de compte, sont responsables. En Italie, ça ne se passe pas du tout comme ça. C’est surtout l’entreprise qui est responsable. Il y a une marge d’expérimentation par rapport à la structure, qui est beaucoup plus importante. Et après c’est une question de négociation avec l’entreprise pour faire passer ce que l’on a envie de faire passer. Mais là ou il y a aussi une très grande différence par rapport à ce qui se passe en France, c’est qu’en Italie, les appels d’offres et les marchés publics se déroulent comme cela se passait en France à l’époque de Napoléon. C’est un système où ce n’est pas le mieux-disant qui l’emporte mais l’entreprise est au courant à l’avance de l’estimation que l’on a faite, et c’est l’entreprise qui pratique le plus gros rabais par rapport à cette estimation qui remporte le marché. C’est un système assez pernicieux parce que cela ne va pas du tout dans le sens de la qualité de la construction. Nous d’ailleurs, au début quant on a fait l’ouverture des plis, on s’est rendu compte qu’il y avait des entreprises qui répondaient à –50%, on était un peu inquiet sur la qualité finale du projet. Du point de vue législatif, l’administration n’est pas obligée de prendre l’entreprise la moins chère, c’est comme en France. On peut aussi raisonner sur la qualité, sur un certain nombre d’autres paramètres. Ce qui nous a permis de prendre une entreprise qui n’était pas forcément la moins disante mais celle qui garantissait un minimum le produit fini. En Italie, ce sont des négociations qui sont assez longues. Une fois que l’entreprise a été désignée, ça a traîné assez en longueur pour négocier précisément les prestations. Comme souvent pour ce genre d’opérations en Italie, il faut qu’il y ait un signal politique à un moment donné, pour que les choses se débloquent. C’est pour ça que le chantier a traîné très en longueur au début. Au départ, la fin du chantier était prévue pour 2005? Oui, en plus de cela on a évidemment fait des découvertes archéologiques en cours de route. Ça a aussi repoussé le chantier de quelques mois. Mais on constate, que 72 depuis que le signal politique a été donné, qu’il faut que le bâtiment soit fini, que les choses avancent très vite. Toutes les démarches afin de désigner les entreprises ont lieu pendant les phases d’étude ? Non, cela intervient après. C’est tellement étiré dans le temps. L’appel d’offre a eu lieu en 2004. L’entreprise a dû être désignée début 2005. Le chantier a vraiment démarré, ils ont travaillé quasiment un an sur les fondations. Les murs de béton de superstructure, je les ai vus en septembre 2007. Oui, c’est depuis l’été dernier que ça commence à monter vraiment. Vous êtes tombés sur des ruines en cours de chantier ? Oui, c’est relativement courant à Rome, ça n’a rien d’extraordinaire. C’était quelque chose qui n’était pas très important, mais il a fallu laisser le temps aux archéologues pour identifier ce que c’était. Pour décider s’il fallait absolument le garder ou si on pouvait le dégommer. Il y a eu une adaptation de la structure pour éviter de passer au travers. Mais certains éléments ont été gardés. La structure s’est arrangée autour et ensuite on a tout refermé. Il y a l’idée, comme elle existe en France, de réversibilité, par rapport aux interventions que l’on fait. Par rapport aux éléments historiques. Là, c’est un peu la même chose. Tout a été relevé puis fermé et en cas de besoin, ça peut être accessible de nouveau ? Si on décide de préférer les vestiges au musée, on peut démolir le musée et retrouver les vestiges… Concernant le suivi de chantier, comment cela s’est-il passé ? Vous êtes en partenariat avec une agence romaine ? Pas du tout, on a une agence à Rome. On a ouvert un bureau exprès pour ce projet intégrant toute la partie suivi de chantier. Avez-vous travaillé avec d’autres équipes pour élaborer ce projet, des BET, des scénographes, et de quels horizons étaient-ils ? On a travaillé au départ avec notre BET de structure en France. Et après, au stade APD, on a donné le « bébé » à un bureau d’étude en Italie. C’est ce que l’on fait souvent pour les projets que nous faisons à l’étranger. La conception au début, reste entièrement chez nous. Et c’est à partir de la phase APD que l’on transmet vers les bureaux d’étude locaux. Mais nous et notre bureau d’étude, on garde toujours un œil sur ce qui se passe. Comme à Rome pour ce chantier, nous n’avons pas de mission complète. On a ce que l’on appelle une mission artistique. Mais en réalité, on en fait beaucoup plus que ce pourquoi on est payé. En quoi consiste votre mission artistique ? 73 Mission artistique, cela veut dire que l’on surveille, on vise les plans des entreprises mais, du strict point de vue architectural. Ça donne quand même un peu moins de marge de manœuvre que quand on a une mission complète. Quand on est plusieurs, avec des bureaux d’étude, à dire : non, ça ce n’est pas possible, il faut faire autrement… Ça donne moins de souplesse. Cela aussi, en Italie, c’est intimement lié à des questions politiques. Parce que s’il y a une volonté politique d’aboutir avec un projet de qualité, ils feront en sorte que l’entreprise fasse son boulot. Pour l’instant c’est plutôt le signal qui a été donné. Une nouvelle phase d’attribution des marchés a eu lieu en Juillet 2007 pour des compléments au projet ? Oui, il y a eu deux appels d’offre en fait. Ça c’est avéré plus facile, à la fois pour des questions budgétaires, pour faciliter le travail pour la ville, et pour faire démarrer le chantier plus rapidement. On avait un premier appel d’offre pour la boîte, et un deuxième pour tout ce qui était aménagement intérieur. Ce qu’il faut remarquer, ce que nous, on n’arrête pas de dire, c’est que c’est un plaisir de travailler en Italie. Parce qu’il y a une considération pour l’architecte qui n’a rien de comparable avec ce qui se passe en France. De ce point de vue-là, c’est un vrai plaisir. Vous avez travaillé dans d’autres pays, en Autriche, en Chine… On a travaillé en Autriche. En ce moment, on travaille au Maroc, en Chine, on travaille un peu partout. Au Maroc, c’est un peu pareil. Le Maroc, bizarrement, ça fonctionne un peu comme l’Italie, parce que c’est tout en rhétorique. Assez bordélique. Mais il y a une vraie considération pour l’architecte. Une fois que l’on a convaincu un client, il porte le projet, vraiment. Et il vous adore. C’est une espèce de relation très différente de celle que l’on peut avoir en France. En France, ça n’existe plus. Qu’est-ce que ça vous apporte de terminer ce projet à Rome ? C’était une bonne expérience ? C’était difficile ? Non, pas du tout, c’était une excellente expérience. On est très content. Chaque projet… On ne peut pas poser la question comme ça, parce que chaque projet, chaque contexte à ses particularités et ses propres contraintes, qui sont inhérentes au projet d’une part, et au contexte économique, au contexte politique. Le type de client à qui l’on a à faire. Il n’y a pas de généralités, finalement. Chaque client public… Il n’y a pas un marché public qui se passe de la même façon. À plus forte raison pour les marchés privés. C’est toujours une expérience différente. Nous on aime bien les aventures, donc… En parlant des projets de Piano et de Meier : Ce qui est dommage c’est que ces premiers projets qui ont été faits, que ce soit celui de Piano ou de Meier, nous ça nous a inquiétés quand on a vu le résultat final, on s’est dit m…, si ça se passe pour nous aussi dans ces conditions-là… Ça va être très dur. Pour l’instant, on touche du bois, ça se passe plutôt bien. En parlant de l’instabilité politique à Rome depuis la seconde guerre mondiale … ? 74 Il n’y avait pas de raison non plus à ce qu’il y ait une stabilité politique parce que Rome, c’est la capitale administrative, c’est un gros bourg de province. Culturellement ça a toujours été zéro. C’est une ville qui a toujours végété sur son patrimoine. C’est ça qui commence à bouger. C’est ça qui est important. En fait c’est assez bête, c’est tout simplement parce qu’il y a une logique européenne de mise en concurrence des grandes villes qui fait que Rome rattrape le train. Comme Naples est en train de le rattraper aussi ». En conclusion à ces entretiens, quelques grandes thématiques peuvent être extraites de ces entretiens : - La place de l’architecte au cœur du processus du projet : La position de l’architecte en Italie et les responsabilités qu’il engage sur un projet sont totalement différentes de la situation française. Les responsabilités sont transférées en grande partie vers l’entreprise en charge de construire l’édifice. 75 3 - Musée de l’Ara Pacis Richard MEIER & Partners Architects LLP 1995 - 2006 Image du projet depuis le débouché du Ponte Cavour. Ce projet a traversé des difficultés importantes pour finalement être livré en 2006, après notamment, une interruption du chantier de plus d’une année. Le concours a été gagné par Richard Meier en 1995. Les études ont été menées à terme et, le chantier a démarré en 1998. En 2001, tout a été stoppé avec la prise du pouvoir en Italie par Sylvio Berlusconi. L’ensemble du projet a été remis en cause, pour être finalement modifié en phase chantier, puis terminé et ouvert au public le 21 avril 2006. Ce projet est le plus petit des trois projets présentés, mais il est en même temps celui qui s’insère sur un site, dans le centre historique même. Cette intervention est issue d’un besoin de promouvoir une méthodologie du design, liée aux interventions urbaines et architecturales dans le centre historique de la ville de Rome. Dans le même temps, il a la responsabilité de protéger et de développer la culture et l’héritage « romain ». Il se propose de redessiner la zone Augustine, sur la rive est du Tibre, à proximité du ponte Cavour. La localisation si particulière du site et ses caractéristiques uniques, dues à sa valeur historique, architecturale et archéologique, demandent un niveau de détail et de qualité particulier. La promiscuité du projet avec la tombe d’Auguste, en font un laboratoire expérimental de la coexistence entre ancien et moderne, à Rome. Problématique essentielle pour les futurs projets ro- Plan de masse du projet. 76 mains… Toute la zone va être, à terme, complètement piétonne. La circulation des véhicules, autour de la piazza Augusto Imperatore, va être peu à peu restreinte et transformée. Le bâtiment précédent, protégeant l’autel de l’Ara Pacis (un autel lié aux coutumes du sacrifice au 9ème siècle av. J.-C.), se trouve sur la piazza Augusto Imperatore, entre la via Ripetta et le Lungotevere. D’un point de vue esthétique, technique et fonctionnel, il était simplement insatisfaisant – il va donc être remplacé par un nouveau complexe muséographique, qui emploiera les procédés les plus avancés en matière de technique et de communication. Le bâtiment est dessiné pour être perméable et transparent, en corrélation parfaite avec le contexte urbain de la piazza Augusto Imperatore. En plus de la zone d’accueil et d’exposition publique, le bâtiment abrite un petit auditorium, une boutique liée au musée, quelques bureaux et une zone de stockage. Ce nouveau complexe muséographique de l’Ara Pacis fera partie, de manière complète, du Master Plan (voir précédemment), relevant de l’aménagement de cette zone urbaine. Le chantier abandonné. Projet critiqué dès l’attribution de la tâche à Richard Meier en 1995, il est passé par de nombreuses transformations avant que le chantier ne démarre réellement en 1998. Quelques mois plus tard, un nouveau pouvoir politique, mis en place entre temps (Berlusconi), réussit à arrêter tout travail et à remettre en cause l’ensemble de la proposition ; le prétexte de la destruction de vestiges anciens étant, comme bien souvent à Rome, utilisé pour tout arrêter. Un ancien port fluvial du 18ème (porto di Ripetta 1) serait menacé de disparaître sous cette strate contemporaine nouvelle. La conception même du nouvel édifice est attaquée et la piazza Augusto Imperatore devient vite le symbole d’un malaise architectural romain. Chacun y va de son opinion ; les pouvoirs publics n’arrivent pas à trancher; aucune décision, dans un sens ou dans l’autre, n’est prise. Le bâtiment proposé par Meier pour protéger et présenter l’Ara Pacis est réalisé en verre et en travertin. Il se présente de l’extérieur comme une nouvelle boîte, blanche, à laquelle on accède par trois niveaux, correspondant aux trois fonctions de l’édifice. Une galerie, un pavillon central où est présenté le monument et un secteur consacré à des salles de conférence. 1 Le port de Ripetta – Afin de construire les murs de canalisation du fleuve en 1893, il a été nécessaire d’enterrer le port presque intact de Ripetta qui a, jusqu’au bout été l’une des deux sources d’approvisionnement fluvial de la ville de Rome. L’autre étant le port de Ripa Grande plus au sud, qui permettait le lien entre la ville et le haut bassin du Tibre. Les seuls témoignages de ce port sont une fontaine et deux colonnes graduées indiquant les hauteurs de crues, elles ont été placées au croisement de la Via della Scrofa et du Lungotevere au moment de la disparition du port. 77 Le tout est prolongé par une large terrasse ouverte au public depuis laquelle on peut admirer le mausolée d’Auguste. Le projet exigea des technologies innovantes pour l’éclairage et les matériaux utilisés. L’allure de « bunker » du bâtiment a été critiquée, notamment par Gianni Alemanno, membre du parti de la droite conservatrice Alleanza Nazionale, et candidat à la mairie de Rome aux élections municipales du 28 mai 2006 : « Si nous gagnons le 28 mai, nous démonterons l’œuvre de Meier et nous la reconstruirons en banlieue », a-t-il déclaré, évoquant « une balafre dans le cœur de la cité, un acte d’arrogance intellectuelle envers les citoyens ». Ce projet de l’Ara Pacis a cristallisé tous les doutes, toutes les polémiques qui pouvaient surgir, au cours de ce changement qui s’opère lentement. Rome s’ouvre de plus en plus à l’architecture contemporaine et, les premiers projets qui voient le jour, traversent inévitablement des difficultés inhérentes à une nouvelle activité ; la peur de certains, l’inexpérience de quelques-uns et la curiosité de tous. Dans les annexes, des documents complémentaires, permettent de mieux cerner, l’étendue du problème et des conflits qui peuvent graviter autour du projet de l’Ara Pacis. Gravure représentant le Porto di Ripetta, Piranèse. 78 3. Conclusion À Rome, il est difficile de comprendre la vitalité urbanistique de la ville. Rome se rebâtit sur Rome depuis des siècles. Elle est plus hétéroclite qu’aucune autre ville au monde. Des éléments complètement différents les uns des autres semblent s’être intégrés tout seuls, spontanément. Rome laisse croire, qu’en son périmètre, tout devient compatible avec tout. La ville, au sens le plus large du terme, possède des éléments de longue durée (le forum, quelques monuments et grands axes) à l’intérieur desquels s’opère une substitution constante. Le bâtiment y évolue en même temps que les usages et l’ensemble des éléments constituant l’urbain. Dans cette réflexion sur la permanence, l’adaptabilité et la capacité de substitution, les administrations et l’Etat ont beaucoup à écouter, à échanger. La pensée administrative est souvent lente à intégrer des visions nouvelles. « Faire la ville sur la ville », de quelle manière ? Où ? Comment ? Ces questions, au cœur des grandes problématiques urbaines contemporaines, n’ont pas une seule réponse possible. Force est de constater que la ville moderne est éclatée, hétérogène, comme peuvent l’être les comportements sociaux, de plus en plus individuels, et la participation, de plus en plus concurrentielle, des acteurs économiques. Face à ces réalités, des politiques publiques se définissent, en opposition avec les logiques sectorielles, au profit d’une ville plus compacte, densifiant les vides urbains et périurbains (problématiques étudiées par Philippe Panerai, Christian Devillers, Bernard Huet, Bruno Fortier…) Pour Antoine Grumbach, il s’agit par exemple d’introduire de la mutation et de la substitution, afin de savoir continuer à sédimenter la ville. Cette attitude traverse les échelles et les contextes. Les outils, nés de l’analyse de la ville traditionnelle, seraient un levier pour agir sur la ville contemporaine, sans toutefois en projeter les fondements et les modèles. La ville sur la ville ne doit toutefois pas être tributaire de toutes les traces laissées par les différents récits et périodes sur un territoire. Le projet est un choix de traces. Il peut aussi les refuser, s’il considère qu’il existe une certaine saturation. « La ville peut être vue comme une métaphore de l’inachèvement perpétuel » A. Grumbach. 79 Certaines autres villes, en Europe et dans le monde, présentent des caractéristiques similaires à Rome. Comme Jérusalem. Jérusalem est une ville dont l’histoire a fini par stratifier le territoire de manière très lisible. De nombreuses descriptions de cette ville ressemblent étrangement à celles qui concernent Rome. “Jamais Jérusalem n’a cessé d’exister. Elle est toujours restée vivante, même aux pires époques d’infortune, et l’essence de chaque génération, tissée du passé des précédentes et coexistant avec elles, a marqué la cité de son empreinte… Leur entrelacement, mêlé de contradictions, est l’une des qualités du caractère de Jérusalem. 1” Gravure de Jérusalem. Ce phénomène, qui caractérise tant la ville de Rome, est donc présent ailleurs. La gestion de cette empreinte est ensuite propre à chaque lieu et aux personnes qui l’habitent. Rome et Jérusalem sont deux villes historiquement très marquées, berceaux de civilisations importantes. Le fait qu’elles présentent toutes deux aujourd’hui de nombreux points communs est assez logique. L’ancien maire de Jérusalem, Teddy Kollek2 dans la préface du livre Jerusalem Architecture de David Kroyanker s’exprime ainsi : « Jérusalem est une ville à nulle autre pareille. Trois mille ans d’histoire y ont agencé un musée vivant de formes architecturales aussi variées que fascinantes. L’étendue et la diversité des périodes et des styles ont Représentation topographique de Jérusalem . 1Yehuda Haezrachi, The Jerusalem I Chose – 1975. 2 Teddy Kollek : maire de Jérusalem de 1965 à 1993. 80 crée une entité physique véritablement unique. Nulle part ailleurs sans doute, il n’est possible de voir dans un périmètre aussi réduit une telle diversité de types de bâtiments et de techniques de constructions […] Ici le problème crucial de l’urbanisation est de savoir comment parvenir à un judicieux équilibre entre les besoins de développement d’une ville moderne et la préservation de son patrimoine historique. Conscients de cette responsabilité, nous sommes fréquemment obligés de modérer certaines aspirations au développement urbain et de nous assurer que tel ou tel plan satisfait l’exigence des critères que nous avons nous-mêmes définis pour sauvegarder Jérusalem et son image [...] Il n’y a pas de critère objectif permettant de choisir entre préservation et démolition ou déterminer la valeur relative de quartiers et de bâtiments. Les arguments visant à sauvegarder l’existant dépendent de tant de mobiles divers – nostalgie, sens national, religion, histoire, architecture ou ethnographie. Par contraste, les opposants à la conservation insistent sur le fait qu’une tentative de rédemption de l’ancien ne sert essentiellement qu’à conférer une aura quasi sacrée à des bâtiments ou des sites pratiquement en ruine en se gardant de mettre un terme aux injures du temps. Pour ceux là, les préservationnistes sont des ultra-conservateurs auxquels manque l’esprit visionnaire et le sens du progrès, qui préfèrent stopper tout développement en encourageant nostalgie et sentimentalité (sensiblerie). » Aujourd’hui, une même question semble émerger des différentes tentatives d’aménagement de ces deux villes. Une ville qui se reconstruit sans cesse sur ellemême finit irrémédiablement par effacer des traces antérieures d’occupation. Dans quelle mesure cela peut-il être toléré ? Nos villes doivent-elles se développer de manière concentrique sans qu’il existe un renouvellement de leurs centres ? Une « voie du milieu », qui implique une sélection, une classification, peut-elle être envisageable ? Rome, pour le moment, après un demisiècle d’hésitations, semble avoir trouvé ce chemin de la mesure. .. La ville actuelle entretient, avec son patrimoine archéologique et historique, un rapport très fort. Consciente et protectrice, depuis peu de temps (à peu près depuis les années 30), de son patrimoine, la ville de Rome est passée, par différentes phases de comportements. Tantôt irrespectueuse et vandale, tantôt consciente de sa richesse et curieuse, elle a été, récemment, bloquée pendant plusieurs dizaines d’années, dans un choix de protection à outrance qui, sur bien d’autres aspects de la vie urbaine, est aussi dévastatrice que 81 protectionniste. Il est intéressant de souligner les similitudes entre la période contemporaine ou l’on sent bien que la ville se cherche, qu’elle innove de plus en plus, qu’elle s’ouvre au reste de l’Europe ; et la période de l’unité italienne, il y a de cela plus d’un siècle. La ville devait à ce moment, également réagir, se construire une nouvelle identité. Une autre chose frappante est l’importance du lien, entre politique et architecture. Aucun projet, quelque soit son époque, ne peut aboutir, en Italie (et sans doute dans le reste du monde), sans une volonté et un appui politique, un tant soit peu durable. L’architecture et l’urbanisme sont intimement liés à une volonté politique. Même si la ville fait face, encore aujourd’hui, à des problèmes d’organisation territoriale de grande importance (notamment en ce qui concerne les réseaux et les flux), il semble que tous ces efforts, débutés au milieu des années 1990, commencent à porter leurs fruits ; le cadre administratif est remodelé, les initiatives privés trouvent leurs places au sein des démarches publiques afin d’en faciliter l’aboutissement. Malgré quelques échecs et projets « mort-nés », la ville semble s’attacher à ce débat lancé depuis quelques années sur la place de l’architecture contemporaine en son centre. Les réactions sont enflammées (qu’elles soient positives ou négatives), mais c’est, après tout, un trait de caractère typiquement romain. Les différents acteurs gravitant autour des procédures de la construction acquièrent de plus en plus d’expérience. Le changement de mode de vie, les nouveaux usages, réclament sans cesse de nouvelles structures pour ces activités. S’y soustraire est impossible. La ville se reconstruit sur elle-même depuis toujours et ne cessera pas de le faire. Il y a toujours la place, dans nos centres villes pour une architecture du moment. Cela peut prendre plus ou moins de temps, cela peut-être plus ou moins chaotique mais c’est irrémédiable. Plusieurs raisons expliquent finalement relativement bien cette « pause » architecturale et urbaine qu’a connu la ville depuis la Seconde Guerre mondiale : un cadre administratif quasi-inexistant ; des difficultés liées essentiellement au problème de logements en périphérie, 82 concentrant un peu toutes les attentions ; une instabilité politique exceptionnelle, une vénération en dehors de toute norme pour l’ancien (jusqu’à en faire l’épine dorsale de l’enseignement de l’architecture)… Les raisons sont nombreuses. La situation des architectes et des étudiants (que ce soit en architecture ou en urbanisme) est quant à elle plus préoccupante. Cette nouvelle dynamique du projet qui semble se mettre en place, ne résout en rien les difficultés de la profession. Ces concours internationaux et ces grands projets « médiatiques » représentent malgré tout, la partie immergée de l’iceberg. L’architecte du quotidien, en Italie, se trouve dans une situation extrêmement difficile (cf. polémique en France autour de l’attribution de l’équerre d’argent 2007, où l’architecture dites « du quotidien » se trouve opposée à une architecture plus « prestigieuse »). Mais espérons que ce changement d’attitude influe de manière positive sur cette partie de la profession. Rome réussira-t-elle à concilier ce qui l’entrave aujourd’hui avec ce qui en fera une capitale européenne de premier plan demain… ? Il semble qu’elle en ait pris la voie. 83 4. Annexes 4.1 4 projets complémentaires 1 - Musée MAXXI Zaha Hadid Limited 1994 - ... Le projet se situe au cœur du quartier Flaminio, au nord du centre historique de la capitale, et il s’insère dans une zone où se concentre un certain nombre de projets contemporains. Ces projets, liés à d’autres plus anciens, forment une série de ‘nœuds’ urbains : l’Auditorium de Renzo Piano, le stade Flaminio et le Palazetto dello sport de Pier Luigi Nervi, le nouveau siège social de l’ASI projeté par Massimiliano Fuksas, et les différents éléments militaires du complexe, encore utilisés aujourd’hui par la défense mais où déjà un projet de récupération universitaire se dessine. En traversant le Tibre par le Ponte della Musicà, on rejoint le Foro Italico qui outre les manifestations sportives accueille aussi des concerts, des spectacles et des expositions. A proximité de cette zone, se trouvent les parcs des villas Glori, à l’est, et du Monte Mario, à l’ouest. Ces réalisations contribuent, à faire de cette zone un nouveau pôle d’activités culturelles pour la capitale. On trouve non loin, d’importantes institutions appartenant au Museo Etrusco di Villa Giulia, à la Galleria Nazionale d’Arte Moderna et la Galleria Borghese. Le concept initial exprimé au moment du concours – l’idée d’un campus ouvert à la circulation publique – a été largement maintenu. Le campus ‘musée’ relie la Via Guido Reni et les Vie Masaccio et L. Poletti, en débouchant Piazza Mancini. Maquette volumétrique. Imbrication des différents éléments du projet. Malgré le fait que l’accès principal soit situé Via Guido Reni, la façade et l’entrée sur la Via Masaccio ne doivent pas être considérées comme la partie arrière du complexe : les visiteurs rejoignant le Centre à partir des transports en commun et les utilisateurs du parking, accèdent au Musée par cette entrée. Voilà pourquoi elle doit être également chaleureuse et accueillante. Le parcours piéton qui traverse le site suit la pente 84 douce du Musée, glissant sous les éléments dépassant des édifices. Les intérieurs se devinent au travers de nombreuses « failles ». Le soir, aussi bien le parcours que les parois externes des édifices, sont illuminés, depuis le sol. Au niveau urbain, la volumétrie proposée s’impose comme une continuité avec l’orientation horizontale de la zone, contrastant avec les édifices qui l’entourent. Le schéma géométrique de l’ensemble s’aligne aux deux grilles, qui régulent la structure urbaine de la zone. Les deux directions urbaines sont soulignées par des lignes sinueuses, qui harmonisent le dessin et facilitent la gestion des flux à l’intérieur du site. Du point de vue architectural, l’idée principale qui structure le projet est directement liée à la finalité de l’édifice comme lieu d’exposition ‘d’arts visuels’. Le site est découpé par les espaces d’exposition dont les parois traversent l’espace. L’intersection des parois différencie l’espace intérieur de l’espace extérieur. Ce système fonctionne sur trois niveaux. Le second étage est le plus dense et le plus riche en connexions avec les différentes passerelles qui relient l’édifice aux galeries. Le visiteur est invité à évoluer dans un espace dense et continu plutôt que dans un volume simple et compact. La linéarité continue des parois facilite la circulation à travers le campus et à l’intérieur des galeries, au milieu des objets exposés. Les espaces intérieurs, délimités par les parois, sont couverts d’un toit en verre qui inonde l’espace de lumière naturelle, filtrée par les brise-soleil au dessus de la toiture et qui aident également à articuler les différentes directions, superpositions et bifurcations dans le système des galeries. L’une comme l’autre, les deux approches guident le visiteur vers l’entrée principale d’où l’on rejoint l’accueil général. Dans les deux cas, l’entrée reste spectaculaire avec un parcours qui conduit le visiteur sous les ‘excroissances’ des galeries et des passages aériens qui lient entre eux les niveaux les plus hauts. En s’approchant de l’entrée Via Guido Reni, le visiteur entraperçois de manière oblique la galerie à gradins de la collection permanente, un avant goût de ce qu’il découvrira par la suite. Les espaces dédiés aux expositions. L’entrée principale s’ouvre directement sur l’accueil. Cet espace se développe de manière verticale et constitue le ‘noyau’ de chaque étage. Un point d’information central guide le visiteur aux différentes zones du centre. A partir de là, on peut accéder immédiatement à la galerie des expositions temporai85 res, à l’auditorium, aux collections graphiques et photographiques, aux espaces commerciaux et à l’entrée de la collection permanente du musée. C’est ici que se concentre la distribution des circulations verticales : la salle principale et les deux ascenseurs publics qui conduisent vers le premier et le second étage. L’idée principale du projet est de créer un espace qui ne s’épuise pas le long d’un parcours linéaire mais qui se présente comme un vaste et complexe réseau de connexions. Le projet identifie donc une série de parcours possibles, qui se déroulent à l’intérieur des galeries en donnant la possibilité au visiteur de ne jamais retourner sur ses pas. Ainsi, certains parcours ‘privilégiés’ pourront être définis au sein du musée, au cœur du réseau général. Le système offre la possibilité d’effectuer un parcours différent à chaque nouvelle visite au musée. Dans la configuration des espaces intérieurs, une attention particulière a été portée aux exigences muséographiques des salles. Neutralité, flexibilité et contrôle des différentes ambiances forment les caractéristiques de ces lieux. L’édifice principal du complexe est en cours de réalisation (2003-2005). Dans la première phase des travaux sera réalisé l’édifice qui comprend les deux musées – MAXXIarte et MAXXIarchitettura – avec leurs annexes et les services principaux. Dans un second temps seront réalisés les bâtiments accueillant la future bibliothèque, et le centre de documentation. Le projet conceptuel a été remis en décembre 2002 et le chantier a démarré au cours des premiers mois de 2003, la fin des travaux étant prévue pour fin 2008. 2 - A.S.I. Agenzia Spaziale Italiana Massimiliano FUKSAS 2000 - ... Perspective extérieure du projet. 86 Concours gagné pour le nouveau siège social de l’A.S.I. (Agence Spatiale Italienne). En harmonie avec le bâti existant, l’édifice se développe en longueur. Aligné à l’église qui le jouxte, le bâtiment dévoile une facade vitrée qui relie visuellement les deux rues et crée ainsi un espace de connexion et de dialogue entre le nouveau siège social de l’A.S.I. et le centre pour les arts contemporains de Zaha Hadid, qui se trouve juste en face. L’organisation spatiale du bâtiment, les trois épaisseurs. Structurellement, trois travées fonctionnelles définissent le rythme porteur. Ces trois espaces découlent de l’organisation interne et de la destination des locaux. Une partie de ces espaces est destinée au personnel de l’A.S.I., à son administration, une autre aux visiteurs externes (salles de réunions, lieux d’accueil…) et, enfin, la dernière est faite pour accueillir les espaces ouverts au public(expositions et informations). L’épaisseur située côté via Flaminia abrite une partie « fixe » de l’édifice – celle qui accueille les bureaux. A l’intérieur des locaux, des cloisons amovibles permettent d’ajuster la taille des espaces de distribution et les bureaux eux-mêmes. La seconde épaisseur, celle du milieu (cœur de l’édifice), est la plus flexible. Elle accueille les blocs de service et les structures distributives. Elle est prédisposée à recevoir des variations possibles, des dilatations de la troisième épaisseur. La troisième épaisseur de l’immeuble est destinée à gérer les différents flux de visiteurs à partir de l’entrée principale sur la via Masacio. Cette épaisseur a été pensée comme un espace fluide sans dimensions réelles, sans repères, ni « coordonnées ». Deux rubans continus dessinent à l’intérieur de cet espace des concavités et des convexités. Ces « lieux » et recoins servent à accueillir la salle multimédia, la cafétéria et les espaces d’expositions. Au Rez-de-chaussée, le hall est un lieu de gestion et de partage des flux de l’édifice. Il est en même temps le début d’un parcours ascensionnel vers le musée, illustrant l’évolution de la recherche scientifique spatiale à travers l’exposition de maquettes, de prototypes de satellites, de stations spatiales, de propulseurs, de films documentaires… Image de synthèse, façade ‘verte’. Etude volumétrique sur les deux rubans, maquette. L’ensemble de l’édifice fonctionne comme un immense écran « à cristaux liquides » (surfaces opaques / transparentes / translucides), qui servira de contrepoids à la tectonique horizontale du Centre pour les Arts Contem87 porains de Hadid. Ce projet, gagné suite à un concours international organisé par l’A.S.I., a donc été confié à l’agence M. Fuksas. Le jury était composé de Sergio De Julio, Alessandro Anselmi, Pio Baldi, Massimo d’Alessandro, Odile Decq, Margherita Hack, Daniel Libeskind, Richard Rogers et Aldo Loris Rossi. Finalement, le projet semble tomber aux oubliettes. Les données programmatiques ont changées, le site également. L’A.S.I. souhaite désormais implanter son siège dans le quartier de Tor Vergata, à l’est de la ville. Ci-joint un article retraçant les différentes étapes de ce projet… Issu de diario quotidiano di architettura du 03 mars 2007 http://www.architettiroma.it/dettagli.asp?id=9137 di Paolo Boccacci da La Repubblica del 01.03.07 Fuksas e il giallo del progetto sparito Roma - sede dell’Agenzia Spaziale Italiana IL CASO - Roma, lo sfogo dell’architetto. “Dovevo realizzare la sede dell’Agenzia spaziale italiana. Ma ora la farà un altro”. Fuksas e il giallo del progetto sparito “Ho vinto il concorso, me lo hanno rubato”. ROMA - «È uno dei miei progetti più belli. Una scatola di cristallo con dentro un nastro che si svolge e che crea le funzioni: gli uffici, le sale per le conferenze, il museo. Avevo vinto un concorso internazionale per la nuova sede dell’Agenzia Spaziale Italiana, che doveva sorgere al Flaminio, accanto al nuovo museo Maxxi di Zaha Hadid, al palazzetto dello Sport di Nervi, all’Auditorium di Renzo Piano. E, dopo sette anni, leggo che quella sede la costruiranno altrove, nel campus dell’Università di Tor Vergata con un altro progetto. È un problema italiano, una cosa del genere non sarebbe successa in nessuna parte del mondo». Massimiliano Fuksas, una delle archistar internazionali, si affaccia alla finestra del suo studio con vista nel cuore del centro di Roma. «Una beffa, un caso da manuale del Bel Paese. Darò mandato ad uno studio legale per capire che cosa è successo. Un fatto del genere non 88 dovrebbe più ripetersi. Quel progetto è stato pubblicato sulle riviste di architettura di mezzo mondo. E loro? Cambiano luogo e architetti e non mi fanno nemmeno, dico, nemmeno una telefonata». Nella Roma che ormai vede realizzate o in cantiere le opere di tanti celebri di architetti contemporanei, da Piano a Meier, da Zaha Hadid a Odil Decq, fino a Gregotti, lo stesso Fuksas e Richard Rogers, va in scena un caso che ha come protagonisti la matita di Fuksas e le scelte degli uffici dell’Agenzia spaziale. «Nel 1999 - racconta il progettista - partecipai al concorso internazionale per la nuova sede dell’Asi, quando era presidente un’ottima figura di scienziato come De Iulio. C’era una formidabile giuria, con dentro nomi del calibro di Richard Rogers e Odil Decq. E alla fine la short list selezionata comprendeva, oltre a me, l’inglese William Alsop e l’americano Bernard Tshumi. Alla fine ho vinto io con l’idea del nastro e il progetto fu presentato ufficialmente con una mostra alla presenza dell’allora ministro della Cultura Melandri». Ma nel frattempo cambia il governo, all’Asi arriva un nuovo presidente e poi un commissario. «Io avevo già preparato e fornito il progetto esecutivo, c’erano 30 milioni di euro stanziati dal governo. Dovevano solo bandire la gara. Con il nuovo presidente ci vediamo una sola volta» racconta ancora Fuksas «poi non ricevo più nessuna telefonata, anzi sorge anche un problema per i pagamenti. E ora scopro che la sede non nascerà più al Flaminio ma a Tor Vergata e che l’opera è stata affidata ad altri. Il mio disegno? Messo in un cassetto, dimenticato. In qualsiasi altro Paese una cosa del genere sarebbe stupefacente». «Abbiamo cambiato il luogo che ospiterà la nuova sede - risponde Pasquale Cangiano dell’Asi - ed ora a Tor Vergata si sta costruendo una struttura più ampia. Le previsioni del governo adesso parlano non più di 200 addetti, ma di 400: servono parcheggi e mense. E il progetto di Fuksas era tarato su altri numeri. Per il piano preliminare ha collaborato la Facoltà di Ingegneria di Tor Vergata, quello esecutivo, invece, è opera del Provveditorato alle opere pubbliche del Lazio, che si è avvalso della società di ingegneria di Genova “5+1”. ». «Incredibile - conclude Fuksas - Decidiamoci: o non si fanno più concorsi oppure si onorano i risultati. Per fortuna che esiste una legge europea. Da rispettare». 89 3 - Centro Congressi Italia, E.U.R. Massimiliano FUKSAS 2001 - 2010 Le chantier pour le nouveau palais des congrès de l’EUR démarre finalement en décembre 2007. Sur un terrain de près de 27 000 m2, il pourra abriter jusqu’à 11 000 personnes. La société créée pour assumer la charge de la construction (EUR spa) à 1 110 jours pour mener l’entreprise a terme et sera chargée de la gestion du bâtiment pour 30 ans. Fuksas parle de ce projet comme : Façade longitudinale. « la réalisation d’un rêve collectif et un changement positif dans le monde de l’architecture romaine […] Je crois en ce projet, il ne sera pas seulement une machine économique, mais il fera partie de la ville. Il aura une place immense, où j’espère voir un jour de grands sculpteurs s’exprimer. Où l’on pourra s’arrêter pour prendre un café, où l’on vivra. » L’édifice se présente comme un grand conteneur translucide, haut de 30 mètres. Sur ses deux petits côtés, il est entouré de places ouvertes sur le quartier et la ville. La plus grande des deux places, minérale et figée, est celle tournée vers la ville. L’autre, de dimension plus modeste, accueille les participants aux différents congrès. Elle est modulable et pourra accueillir des structures mobiles qui aideront à orienter le public vers les différent es salles du Centre. Plan de masse. A l’intérieur, un nuage en acier et téflon est suspendu. Salle de congrès majeure, elle occupe une superficie de 9 400m2 et peut accueillir 1800 personnes. Ce « nuage » abrite également plusieurs petites salles de réunion. Le centre des congrès est équipé au total de trois salles et d’espaces généreux comme le foyer, les cafés et restaurants (2 200m2) … 1 100m2 du programme sont prévus pour accueillir des expositions. 7000m2 sont dédiés aux activités annexes et à l’accueil des congressistes. Ce nuage suspendu par un réseau de fils d’acier, flottant entre le sol et le plafond du Centre des Congrès interpellera le visiteur. L’aspect visuel de l’objet sera toujours différent et changeant. La salle des congrès, le ‘nuage’. Après de longues années, la première pierre de l’édifice a été posée le 11 décembre 2007. Livraison prévue pour 2009… 90 4 - Eglise du Jubilée Richard MEIER & Partners Architects LLP 1996 - 2003 L’église prise depuis l’immeuble avoisinant. L’église del Dio Padre Misericordioso a été conçue comme un nouveau centre dans un quartier isolé et excentré comme l’est la zone de Tor Tre Testa. Le site en forme de triangle est articulé en trois temps. L’orientation nordsud de la nef est l’une des directions forte du projet, évidente dès l’esquisse. A l’est, la présence importante d’une barre de logements intervenant fortement lors de l’approche du site à pied. Et à l’Ouest, le parking. L’église et le centre communautaire sont calés dans l’angle est du site. L’entrée sur le site et l’accès aux deux équipements se fait donc par l’est, en traversant une place pavée. Elévation est. Détail coque - verrière. La partie ouest de l’église se compose de deux cours séparées l’une de l’autre par une coursive pavée. La cour la plus au nord accueille un jardin récréatif avec une terrasse pavée adjacente au centre communautaire. La seconde cour, qui contient une piscine ‘miroir’, est projetée comme un espace de méditation. Cette piscine symbolise le rituel du baptême. La structure proportionnelle de l’ensemble du projet se base sur le dessin d’une série de carrés ‘translatés’ et de quatre cercles. Trois cercles de même rayon donnent le profil des trois ‘coques’ qui, accompagnées du mur de soutènement, fabriquent le corps de la nef. 91 Le volume perceptible de l’église est directement influencé par la lumière naturelle. Les trois coques de béton blanc et les verrières zénithales qui couvrent le bâtiment répondent perpétuellement à la lumière changeante du jour et aux jeux d’ombres liés à la course quotidienne du soleil. En s’accordant aux saisons, au temps et à l’heure du jour, la lumière varie graduellement le long de la surface intérieure des coques, éclairant ainsi l’église, la chapelle et les fonts baptismaux. Le centre communautaire en lui-même est accessible depuis l’église en longeant un atrium est-ouest, espace interstitiel entre les deux structures. Le centre peut aussi être rejoint en passant par les deux cours qui bordent son aile nord-sud. Cette aile est aménagé afin d’accueillir des assemblées aussi bien formelles qu’informelles. Mise en place des coques préfabriquées. La ‘cour jardin’ avec la terrasse peut être utilisée par les deux entités, l’église et le centre communautaire. La cour pavée quand à elle est plus particulièrement destinée à accueillir certaines processions religieuses et assemblées. Elle est donc uniquement réservée à l’usage de l’église. Le sous-sol de l’édifice abrite une grande salle de réunion, des toilettes et des salles de douche et une cour pavée en contrebas. Le rdc comprend les bureaux du clergé et des salles de catéchisme. Le premier étage accueille d’autres salles de catéchisme et des toilettes. Le second, abrite l’appartement du prêtre et une cuisine. Entrée du bâtiment au crepuscule. 92 4.2 Compléments au débat autour du projet de l’Ara Pacis Article issu de studiumurbis.org Allan Ceen, fin 2001 (Article en anglais retraçant l’histoire de l’autel de l’Ara Pacis et qui décrit la période de l’arrêt des travaux autour du projet de Meier) « Lorsque la ville de Rome a accepté le projet de Richard Meier pour une nouvelle construction protégeant l’autel de l’Ara Pacis, il y a de cela quelques années, un débat important s’est mis en place. L’autel pour la ‘pax romana’, la paix romaine conquise sur l’ensemble du monde méditerranéen, construit par Auguste entre le 13ème et le 9ème siècle av. J.-C., a eu une histoire plus que perturbée. Disparu à l’époque du Moyen-Age, les premiers fragments ont été retrouvés au 15ème siècle, les derniers en 1937. Certains morceaux de cet autel ont terminé dans les collections Medici à Florence, alors que d’autres ont été envoyés au musée national des Termes à Rome. A la fin des années 30, l’ensemble des pièces a été regroupé et l’autel a pu être de nouveau assemblé sur une plate forme proche du mausolée d’Auguste, qui n’était pas le lieu originel de la construction de l’autel. Un édifice moderne avec de larges baies a été construit autour de l’autel par Morpurgo, l’un des architectes favori de Mussolini. Le bâtiment de Morpurgo a été démoli cette année (mai – juin 2001) en préparation de la construction du nouveau projet de Richard Meier. Au même moment, le nouveau gouvernement de droite présidé par Sylvio Berlusconi a été élu, en remplacement de l’ancien gouvernement de centre gauche, présidé par Giuliano Amato. Le nouveau sous-secrétaire de Berlusconi aux affaires culturelle, a immédiatement arrêté tous les travaux en cours sur le projet de Meier et a déclaré qu’un nouveau dessin, design allait être exécuté afin de remplacer celui-ci. En parlant du projet de Richard Meier, il a déclaré : « J’ai l’obligation d’arrêter cette horreur, le nouveau projet sera une structure légère, protégeant l’autel qui évoquera le souvenir du pavillon conçu par Mopurgo ». Le dessin de Meier prévoyait le recouvrement d’une partie du site où se trouve l’ancien port di Ripetta (construit dans les années 1800), disparu vers 1900, suite à la construction des murs encadrant le Tibre et des Lungotevere le jouxtant. Il est clair qu’une énorme partie de ce paysage urbain du 18ème est encore présent sous les trottoirs du Lungotevere, prêt à être étudié, fouillé, analysé. » 93 Article issu de technikart.com Cécile Martinière le 18 janvier 2002 (Article dénonçant la nouvelle situation politique en Italie) « Démissions forcées, projet de privatisation des musées, déclarations menaçantes et autres intimidations : l’Italie de Berlusconi semble apprécier la culture… En automne dernier, déjà, la presse internationale s’était largement fait écho du projet de privatisation des systèmes de gestion des musées et des sites archéologiques italiens. Devant la protestation unanime des directeurs des plus grands musées du monde, le gouvernement avait fini par accepter, le 27 novembre dernier, un amendement réduisant à la gestion privée les seuls librairies, restaurants et billetteries (Libération, 1er novembre 2001). Plus grave encore : Vittorio Sgarbi, sous-secrétaire d’Etat italien aux Biens culturels. Ex-vedette des télévisions de Berlusconi, le critique d’art multiplie les frasques et les déclarations provoc’. A Milan, il propose de nommer un “ assesseur à la démolition “ des édifices qui ne lui plaisent pas et de faire travailler un architecte affilié à Forza Italia. A Rome, il attaque violemment le projet de restauration de l’Ara Pacis confié au célèbre architecte américain Richard Meier. En août dernier, il boude “ la décadente Mostra de Venise “, à laquelle “ le gouvernement donne beaucoup d’argent sans aucun retour “, et s’en prend dans la foulée à la Biennale de cette même ville, “ dont la section d’art visuel présente les signes d’une inquiétante décadence.” (Mouvement, janvier/mars 2002 - cf l’appel à la démission de Sgarbi sur www.mouvement.net) Une broutille comparé au sort réservé au centre d’art contemporain Luigi Pecci ou Castello de Rivoli, le musée d’art moderne et contemporain de Turin : “ Je remercie le ciel qu’il existe un lieu où se trouvent toutes les horreurs du XXème siècle. Il faut bien qu’il y ait une décharge, une infirmerie, des toilettes, dans la grande demeure de l’art. Pecci, avec le musée de Rivoli, s’occupe de l’art contemporain excrémentiel” (sic) On en revient toujours au point de départ, à la même force d’inertie. En nommant ses fidèles serviteurs aux postes clés du gouvernement, Berlusconi tient aujourd’hui les fils du pouvoir politique, économique, judiciaire, médiatique, et sportif de l’Italie. Et en verrouille toute forme de contestation. Pour une fois, affirmer que “ l’heure est grave “ n’est pas un doux euphémisme. » 94 Issu de www.antithesi.info Giornale di critica dell’architettura di Giannino Cusano 13 juillet 2001 Le projet de Richard Meier pour l’Ara Pacis à Rome : parce que oui ! Le chœur anti-Meier Rien de nouveau, tout le monde s’est indigné des interventions à Venise de Wright, Le Corbusier, Kahn… contre les interventions à Rome sur le PRG de Luigi Piccinato en 1962, le musée Sacripanti à la Via Giulia. Aujourd’hui c’est contre l’intervention de Meier et son dessin de la nouvelle Ara Pacis. Cette protestation est pleine d’arguments démagogiques soi-disant esthétiques, d’hypothèses abstraites de reconstruction alternative du site vers son présupposé ‘où il était – comme il était’. Il est pour le moins dangereux, si ces signaux invitent l’opinion publique italienne peu habituée aux expériences directes de l’usage des espaces complexes de l’architecture contemporaine, à refuser la modernité dans quelque version qu’elle se présente – sous prétexte d’un ‘style’ inadapté au contexte. Réfléchie et bien calculée, cette stratégie de la confusion opère. Une association a même fait de ce combat sont activité principale – « ecoradicali ». Elle organise désormais des sit-in pour bloquer le chantier de l’Ara Pacis (…) A la tête de cette association, différentes personnalités respectables de la scène politique, architecturale et universitaire italienne parmi lesquelles, Aldo Loris Rossi. Lequel m’a dit a demi-mot avant une réunion « Ici, c’est la modernité qui est en danger ! – Oui et alors pourquoi donc rester ? » Afin de ne pas masquer la vérité, tous les adhérents de cette association ne sont pas radicaux. L’inscription est libre et l’association n’est pas rattachée politiquement au parti de Berlusconi – Forza Italia. Donc au milieu de l’une de ces réunions, le problème de l’Ara Pacis est soulevé et une motion est déposée afin de bloquer le chantier. Je ne connais pas les détails précis de ce texte ni qui en est à l’origine mais ce qu’elle contient en substance est le plus important. Certains membres du secrétariat politique de l’association brandissent maintenant la présence d’un ancien port marchand fluvial du 18ème (porto Ripetta) sous la chaussée du Lungotevere, afin de tout stopper. Un projet de remise à jour et d’étude est prêt, 50 années d’étude réalisées par le Prof. Paolo Marconi sont là à l’appui, prêtes à remplacer le projet de Meier (…) Le projet d’excavation et d’étude du Porto Ripetta n’a jamais (bien que souvent présenté et discuté) trouvé d’écho dans les sphères pouvant permettre sa réalisation. C’est un fait. Il impliquerait inévitablement la démolition partielle du Ponte Cavour, d’une partie de la Via Tomacelli, car tous deux sont axés sur la partie la plus centrale du port. Même un bout du Lungotevere devrait sauter afin de s’assurer des limites véritables du port, de vérifier qu’il n’existe pas d’autres traces : je me permets d’émettre quelques doutes quand à la faisabilité de la chose. La position même des piles du pont, ainsi que la partie gauche de son tablier rendent la chose impossible ! On me rétorque que la ‘restitution’ du port n’est pas une idée vaine, que l’on peut très bien en faire une copie : un faux en résumé. L’alternative proposée n’est pas seulement élusive, elle dispose de l’argent public afin de créer un faux malvenu, arbitraire et contestable bien que très bien étudié par Marconi. Folie mégalomane italienne qui malheureusement arrive relativement souvent dans ce pays et risque une fois de plus de voir le jour ici. 95 Au sein de ce regroupement anti-Meier, ont distingue un mouvement transversal antimoderne : ajoutons-y l’omniprésent Vittorio Sgarbi (député européen et en charge des biens culturels connu pour ses dérapages - «Excrémentiel», l’art contemporain?), et tirons les conclusions – projets équivoques et contradictoires, agressions de la modernité dans une de ses forme les plus modérées, ce qui sûrement donnera envie à d’autres architectes de construire à Rome. Mais c’est peu de choses en fait, cela arrive un peu partout. Le pire, c’est que ces attaques concernent des bribes de projet ayant trait au style, au design simplement. C’est un abaissement régressif du niveau de discussion, de débat. Certains jeunes pourraient accepter ce terrain d’opposition en élaborant des réponses et des arguments qui finiraient par critiquer une modernité dans son ensemble, de manière fausse, malgré leur intérêt pour elle et leur envie de la découvrir plus. Il faut se poser les bonnes questions : « Si nous vivions dans un contexte dynamique, agirions-nous ainsi ? Hésitations au moment d’entreprendre, erreurs, relances, toute l’affaire Meier autour de l’Ara Pacis aurait-elle aujourd’hui pris une telle ampleur ? » (…) La zone de l’Ara Pacis est-elle assurément une espèce de ‘trou’ urbain. Hors d’échelle la place est entourée de bâtiments datant de l’aire fasciste, relativement peu chaleureux. On ne sait pas trop où l’on se trouve, la vie et l’animation font défaut, seules les nombreuses voitures investissent l’espace et le transforment en un vaste parking. Enormément de bus ont fait de ce lieu leur terminus, triste et vide. Les passages, ‘arches’ hors d’échelle reliant cette place au reste de la ville, sont peu accueillants. Une intervention en ce lieu est une nécessité. Le projet de Meier a la force et le mérite de l’entreprise. Suite de l’article – Pourquoi défendre le projet de Meier pour l’Ara Pacis Le projet a déjà subi de nombreuses transformations par rapport à la première version. Replacé dans le curriculum de l’architecte ce projet est de petite ampleur, il se situe néanmoins géographiquement et historiquement à un point charnière. Il comporte de nombreuses qualités. Il n’imite pas le contexte, mais il déclare ouvertement sa volonté de construire une strate supplémentaire sur celles déjà présentes et lisibles. En connaissant la rigueur, l’élégance impeccable et la finesse dont Meier sait faire preuve, aucun doute n’est possible quand aux qualités du projet. Il saura donner vie aux espaces intérieurs, faire vibrer le bâtiment et la zone l’entourant avec quelques éléments, choisis, quelques tonalités de couleurs et deux ou trois matériaux. Par rapport au contexte, il parle le seul langage de l’histoire, qui est sans aucun doute plurilingue. En interdisant la réalisation de ce projet, on risque d’abandonner une des composantes fondatrice de la modernité : le rationalisme. Le contexte des années 30, présent autour de la place Augusto Imperatore met en évidence de manière irrévocable qu’il est impossible à assimiler, à relier à un quelconque projet contemporain, sous peine de retourner en arrière. Un autre risque existe également, celui de faire passer l’idée qu’à cet endroit précis se joue la question de la modernité en Italie. L’Italie est un pays qui au travers de son expérience et de sa pratique quotidienne n’a pas la moindre idée de ce dont il est question. Cela équivaudrait à lancer un énorme boomerang sans se soucier des 96 conséquences. A la question initiale, la réponse est : cela vaut le coup de défendre le projet de Meier si l’on ne se méprend pas. Il ne faut pas croire que la réalisation – ou non – de ce projet porte en lui le tournant, la fin d’une époque de timidité et d’obscurantisme de notre pays et peut être le début d’une aire courageuse. C’est un signal de départ, de lancement à d’autres projets de type organique. C’est en plus l’occasion pour dire que c’est encore peu, encore trop peu pour Rome et pour l’Italie. Suite à la parution de cet article de Giannino Cusano, de nombreuses pétitions se sont mises en place afin d’aider le maire actuel de Rome (Walter Veltroni – homme de gauche, très engagé dans le développement du parti communiste italien). Elles lui demandent toutes au maire actuel de Rome sinon la reprise des travaux, au moins une action quelconque pour faire bouger les choses. Celui-ci semble malheureusement dans l’impossibilité d’agir et manque cruellement de moyens afin de débloquer la situation. Extrait – 01/08/2004 Marco Rucci, architetto - Roma « Je partage cette volonté d’en appeler au maire Veltroni afin d’accélérer les procédures d’appel concernant le second lot des travaux relatifs à la fin définitive du chantier du complexe de l’Ara Pacis (phrase type, reprise par tous). Ce ne sera peut être pas un grand projet, mais il a le mérite d’être une tentative de dire autre chose que: ‘reconstruisons’, ‘récupérons’, ‘ramenons à la lumière’… des attitudes derrière lesquelles se cache l’incapacité à penser différemment, à aller de l’avant. Meier et la commune de Rome nous offrent la possibilité de profiter d’une partie de la ville de manière inédite et il suffit de visiter le chantier pour découvrir des éléments et des vues auxquelles nous ne sommes pas habitués. La manière dont le marché a été attribué à Meier est critiquable (attribution directe, pas de concours), mais nous sommes désormais bloqués et y renoncer pour le ‘porto di Ripetta’, aujourd’hui inexistant, coulé sous les piles du Ponte Cavour apparaît comme une attitude délirante. » 97 4.3 Divers Question a Bernardo Secchi – Décembre 2000 Bernardo Secchi est professeur d’Urbanistique à l’école d’architecture de Venise. Il a également enseigné à la faculté d’économie d’Ancône et à l’école d’architecture de Milan. Il en fut le directeur de 1976 à 1982. Il a travaillé à l’élaboration entre autres des plans régulateurs de villes telles que Madrid, Sienne, Bergame… Depuis 1982 il collabore régulièrement avec la revue Casabella, et il a été directeur de publication de la revue Urbanistica de 1984 à 1991. De la mise en œuvre du Plan Régulateur Ariella Masboungi – Bernardo Secchi, vous êtes reconnu comme “le grand maître du Plan Régulateur” en Italie. Comment analysez-vous ce que je décèle comme une contradiction institutionnelle : l’élaboration du Plan Régulateur par la Ville est affaire de longue haleine sans parler de l’adoption à l’échelle régionale. Il y a donc peu de chance qu’un Plan Régulateur soit approuvé dans le mandat d’un maire, même renouvelé (10 ans). Et la ville ne peut pas bouger sans appui sur un Plan Régulateur. Comment gérer ce système impossible ? Bernardo Secchi – La contradiction institutionnelle est véritable. Dans le passé, on a imaginé la résoudre par élimination du Plan (ce qui voulait dire rester complètement nus, sans aucun support juridique), ou bien par accélération imaginaire et autoritaire des procédures… On a évidemment renoncé aux deux solutions. Les urbanistes n’ont, par ailleurs, jamais essayé : - de réaliser leurs plans dans des délais plus courts, de ne pas se faire écraser par des analyses interminables qui n’ajoutent rien à se qu’on savait déjà ; de ne pas se perdre dans les méandres de la bureaucratie qui a tout intérêt à ce que rien ne bouge ; - d’élaborer surtout des plans qui ne renvoient pas à d’autres plans de détail, qui renvoient eux-mêmes à d’autres encore… comme des poupées russes. En Italie, existent souvent trois niveaux de plans en séquences, chacun avec les mêmes procédures. Il faudrait, au contraire, dessiner des plans suffisamment détaillés dans certaines parties pour être immédiatement réalisables. - Les plans doivent donc établir des différences : travailler sur les hétérogénéités pour définir les lieux qui nécessitent un projet qui puisse être immédiatement réalisé, et d’autres (ou il est fort probable que rien n’arrivera) pour lesquels de simples règles de gestion suffisent. Le problème est dans la peur du projet. Car si un projet est pertinent, la confrontation avec les intérêts divers est immédiate et créé le débat. Ce que les politiques, mais aussi les urbanistes n’aiment pas toujours. - La production législative, dans les années récentes a été énorme et les urbanistes ont œuvrés pour modifier et remodifier les lois. Il arrive – conséquence de la lenteur – qu’un plan commencé dans un cadre juridique, se trouve, à mi-chemin, confronté avec un cadre différent et, lorsqu’il a entamé la procédure d’approbation, avec un cadre encore autre. Avec le recommencement incessant de tout le processus. La ville, d’ailleurs, n’attend pas le nouveau Plan Régulateur et bouge presque toujours selon le Plan précédent. En Italie, toutes les villes, même petites, ont un plan, de toute façon étudié dans les derniers trente ans. La lenteur des urbanistes, poussée à ce point là, devient connivence avec l’immobilisme. C’est cette connivence que l’expérience romaine tente de surmonter ! 98 L’assainissement du quartier du ghetto, démolitions et reconstructions de 1885 à 1911 Entre 1885 et 1890 se mettent en place une série d’accords et de plans de développement urbain entre la commune de Rome et différentes sociétés d’entrepreneurs. Certaines de ces décisions d’aménagement s’inscrivent directement dans le Plan Régulateur en place, d’autres n’en font absolument pas partie. Des initiatives privées, soutenues par une confiance aveugle en la conjoncture du moment qui semblait prévoir un développement économique qui permettrait de mener à terme l’ensemble de ces opérations dans une période de temps bien limitée. Une crise sans précédent s’abat sur la capitale et l’ensemble de ces opérations est remis en question. Tous les travaux sont stoppés nets. Il faut attendre 1898 et un calme relatif retrouvé pour que certaines opérations soient reprises en main. La commune de Rome, la Banca Tiberina, et la Compagnia Fondiaria Italiana passent un accord et redémarrent certains travaux comme en premier lieu ceux du Ponte Margherita. Travaux commencés en 1885, tout avait été stoppé par manque de fonds. Il en a été de même pour différents quartiers comme celui du Ghetto, de San Cosimato (sur le Gianicolo) et celui dell’ Oca. Le parcours administratif du projet d’assainissement du Ghetto démarre en 1880 avec la signature de la convention entre l’Etat et la commune de Rome. Il se termine en 1898 avec la décision prise de mener à terme la construction de ces îlots démolis pendant les procédures d’expropriation des années 1885-1886. En 1873, déjà, on avait envisagé « l’aération » de la zone du Teatro di Marcello. C’est seulement en 1880 que sont officiellement décidée la destruction et la reconstruction d’une grande partie du quartier du Ghetto. La commune de Rome se donne alors vingt ans pour achever ces travaux. Ce projet est contemporain à d’autres dans la capitale comme l’ouverture du Corso Vittorio Emanuele II. Le projet du Ghetto inclus un lourd travail de dessin et de terrassement du sol, proche du fleuve. En 1882 est présenté au conseil communal le nouveau Plan Régulateur pour la ville. A propos de la zone du Ghetto on devait mettre en place une restructuration selon : « peu d’espaces standards réguliers, divisés par une rue principale en longueur et de quelques autres perpendiculaires. Comme cela avait déjà été suggéré en 1873… ». Trois ans plus tard, l’approbation d’un texte de loi spécial à caractère national rend possible le lancement des travaux pour l’assainissement du Ghetto, selon les motifs suivants : « les travaux de canalisation du fleuve et le rehaussement du niveau du sol dans ce quartier ont une grande importance pour la salubrité de la ville qui accueille les Administrations Centrales de l’Etat et les différents représentants des nations. Cela ne peut pas être seulement considéré comme une question municipale ». Quelques points importants émergent des discussions entourant le projet. Quels sont les principes et les raisons qui ont amené à vouloir éventrer le Ghetto ? Contrairement aux autres projets, dans d’autres quartiers de la ville, le travail sur le Ghetto était considéré comme indispensable et prioritaire à toute autre initiative urbaine. Tous les autres projets étaient secondaires. Pour tous les projets concernant la ville, de nombreux problèmes émergeaient. Question d’expropriation, de déménagement d’activités industrielles, de nuisances dues aux travaux, … Pour le projet du Ghetto, aucun de ces problèmes ne semblait surgir. 99 Il restait à résoudre la question relative au financement du projet : rassembler les fonds nécessaires pour entreprendre et porter à terme un projet d’une telle ampleur. Afin de ne pas peser trop dans le bilan municipal, en avril 1885, la ville de Rome accepte un compromis avec la Banca Tiberina. Les principales clauses contractuelles prévoyaient que les expropriations des usines seraient à la charge de la commune. En contrepartie la Banca Tiberina reçoit les zones constructibles émergeant de la « lotisation ». L’administration communale se réserve une zone de 1500 m ² dont la position reste à définir. Une autre tâche qui incombe à la Commune est la réalisation, dans un délai de 4 ans, d’une rue de liaison entre le nouveau centre que le quartier du Ghetto doit accueillir et le corso Vittorio Emanuele ; les démolitions et les travaux de chaussée sont confiés en appel d’offre à la Banca Tiberina pour le compte de l’administration communale. En octobre 1885, la municipalité décide d’étendre l’expropriation aux zones contiguës aux édifices à abattre, afin de réaliser le tracé de la via Arenula. Juste avant cette grande opération urbaine du Ghetto, sont effectués une série de relevés très précis de la typologie du quartier : à l’échelle de l’îlot, mais aussi au niveau des simples unités immobilières qui les constituaient. L’énorme chantier démarre. Au bout de quatre ans la commune n’a toujours pas réalisé la rue qui était censée relier le centre du nouveau Ghetto au reste de la ville. En 1889, la Banca Tiberina assigne en justice l’administration romaine pour cette faute. La Banca Tiberina était à l’époque en charge de quatre des six lots de terrain édifiables. Tous les travaux sont arrêtés jusqu’en 1897, pendant presque dix ans. Un nouvel accord est mis en place entre la commune de Rome et la Banca d’Italia, la Banca Tiberina ayant fait faillite. La commune de Rome cède finalement sa parcelle de terrain de 1500 m² à l’Universita israeliticà, le long du Tibre, pour la construction de la nouvelle synagogue qui ne doit durer que cinq ans. En 1898, les travaux reprennent dans le Ghetto. La commune rembourse les capitaux empruntés pour financer l’opération et rentre de nouveau en pleine possession des parcelles édifiables (y compris ceux appartenant précédemment à la Banca Tiberina). Le 29 septembre, les deux architecte Arnanni et Osvaldo et Vicenzo Costa obtiennent l’autorisation de construire le nouveau temple israëlite. Au mois de février 1901, l’Universita israeliticà demande à la commune de Rome la permission d’effectuer un changement sur le dessin de la parcelle de la nouvelle synagogue afin de s’aligner à la rive du Tibre. Les travaux pour la construction du bâtiment commencent en juin 1901 ; mais en 1908 l’édifice n’est pas encore utilisable. Les lots de terrain qui sont mis en vente pour construction autour du temple comportent quelques obligations : « les édifices qui vont être construits ne devront pas dépasser une hauteur de 16 mètres, ne devront pas avoir d’étages en retrait, ni de surélévation de quelque type que ce soit ». En 1909, les lots sont vendus. Quelques années seront encore nécessaires pour voir les travaux s’achever dans le Ghetto, il aura fallu en tout près de 35 ans pour changer le visage de ce quartier de la ville, ultime témoignage de la Rome moyenâgeuse. 100 Un documentaire de 52’ réalisé par Gustav Hofer a été difusé le 28 Aout dans le cadre de l’émission Metropolis, consacré à Rome et aux changements auxquels elle assiste depuis quelques années concernant son rapport à l’architecture contemporaine. Métamorphoses urbaines Rome sort-elle enfin de sa torpeur ? 2004.08.28 - 23.35 : metropolis - ARTE Du 4 septembre au 7 novembre a lieu la Biennale d’architecture de Venise sur le thème de la métamorphose. À cette occasion, Metropolis jette un regard critique sur l’évolution de l’architecture de Rome. Après un long sommeil, la capitale italienne s’ouvre enfin à l’architecture contemporaine. De célèbres architectes - Massimiliano Fuksas, Renzo Piano, Richard Meier, Odile Decq ou Zaha Hadid - s’apprêtent à entraîner la ville dans une nouvelle ère architecturale. A voir dans le reportage «La nuvola», le nuage - de Massimiliano Fuksas L’auditorium de Renzo Piano MAXXI - le musée d’art moderne de Zaha Hadid L’église «Dives in Misericordia» de Richard Meier Article paru dans le Corriere della Sera – de Ludina Barzini – 10.07.2003 traduit de l’italien ROME EST EN MOUVEMENT Sa réalité change rapidement L’ancienne caserne Montello et l’ex usine de bière Peroni sont les témoignages directs de l’effervescence de la ville qui a déjà donné naissance à l’auditorium de Renzo Piano. Rome change et bouge. Elle est en mouvement et sa réalité se transforme très vite. Une attention particulière est donnée à l’art moderne comme jamais auparavant. Les chantiers de deux musées d’art contemporain ont démarrés (celui du Maxxi et celui du Macro), tous deux projetés par deux architectes féminins qui ont gagnées le concours : Zaha Hadid, 53 ans née à Bagdad, qui vit et travaille à Londres, et Odile Decq, 48 ans, née en Bretagne et ayant étudiée à Paris. Le Maxxi, musée national des arts du XXIème siècle, a été dessiné par Zaha Hadid dans l’espace de l’ancienne caserne Montello, Via Guido Reni, à quelques pas du nouvel auditorium de Renzo Piano. Le Macro, musée d’art moderne de la ville de Rome, dessiné par Odile Decq, profite du caractère un peu fascinant de l’ancienne usine de bière Peroni. Les deux projets, très innovateurs, ont tous deux été jugés au départ comme irréalisables, malgré tout, ils doivent être terminés dans le courant de l’année 2005. A propos du Macro, dans la partie des anciennes structures restantes qui ont déjà été, en partie réhabilité, se déroulent certaines expositions d’artistes italiens ou étrangers. Une autre partie du Macro se trouve déjà aux anciens abattoirs (mattatoio) restaurés ou sont exposés 101 plusieurs artistes chinois. Le Maxxi, un espace de 26 000 m2, est traversé par des lignes sinueuses, courbes et rectilignes. Selon Zaha Hadid, une femme robuste avec une forte personnalité, vêtue de noir, seul un dessin radicalement innovant, pourra créer un rapport différent avec ce qui va se trouver à l’intérieur de ce musée. « Il existera ici un parcours libre, en mesure de valoriser l’œuvre d’art qui n’est jamais une chose statique ». Zaha Hadid a quittée Bagdad à l’âge de 16 ans pour étudier les mathématiques à Beyrouth : « Les mathématiques – ditelle – est une discipline qui apprend à organiser et à structurer les processus mentaux ». Elle va ensuite à Londres ou elle s’inscrit en architecture. Elle se diplôme en 1977 et commence à enseigner pour 10 ans. A propos du Maxxi, elle dit « A partir du mode de vie Romain, j’ai imaginé une vie en intérieur et une en extérieur, ou l’on puisse se rencontrer et discuter. L’édifice sera comme un delta accueillant plusieurs fleuves ». Deux lieux pour se restaurer existeront, ainsi qu’un espace capable de recevoir des manifestations à ciel ouvert et un espace destiné au Maxxi-architecture (partie du musée qui sera dédiée à l’architecture). Les espaces s’enrouleront autour du grand hall d’entrée. Et au Macro, que va-t-il se passer ? Pas seulement des expositions mais aussi des rencontres, productions, études, formations, recherches, spectacles, un café, un restaurant, une salle didactique, la médiathèque, une librairie et la terrasse. Le musée doit par lui-même se répandre en ville et créer sa propre collection d’œuvres. Odile Decq, toute de noir vêtue, cheveux noirs à la punk avec une longue queue de cheval rayée orange et noire, un regard mobile, parle avec ferveur de ce qu’elle pense faire dans les 10 000 m2 d’espace disponible. « L’art contemporain est quelque chose qui remets en cause tout et qui ne donne aucune réponse ferme. Un musée moderne doit être un lieu dans lequel l’on puisse partir à l’aventure pour découvrir une exposition ou certaines œuvres d’un artiste. Ce sera une construction offrant de multiples parcours possibles ». Rome est la ville des terrasses privées, sur le toit du musée l’on trouvera une grande terrasse que Odile Decq décrit ainsi : « Je l’ai pensée comme une place publique, elle pourra être utilisée comme un jardin pour le quartier mais il n’y aura ni plantes ni fleurs. L’ensemble est un système de plans et de surfaces obliques, c’est un endroit où il faudra faire attention où l’on met les pieds, la référence restera continuellement le corps et la gravité. Une des missions de l’architecture est celle de faire redécouvrir le corps. » Son expérience italienne l’a amenée à exprimer encore quelques intentions. « En Italie, il existe un problème car le premier rapport induit est celui à l’histoire, donc à hier, quelque chose qui a déjà été vécu et dans lequel nous ne pourrons plus vivre. Se protéger, enveloppés par le passé induit une espèce de non-vie. Trop d’analyse nuit à l’intuition, à l’imagination, au fait de laisser les idées couler. En ce moment, après le mouvement post-moderne, l’Italie se trouve de nouveau en vie, l’effervescence est dans l’air. Pour réussir à bien faire ce métier, il faut avoir une revanche à prendre sur la vie ». Et Rome avec tous ces nouveaux espaces d’expositions, près de 70 000 m2, parmi lesquels le nouveau palais des congrès (EUR – Palacongressi Italia), n’aura plus rien à envier aux autres capitales européennes. 102 Photos du chantier du Musée Macro, Odile Decq et Benoît Cornette. Merci à Peter Baalman. 103 5. Bibliographie Histoire BESNIER Maurice L’île Tibérine dans l’antiquité Thèse pour le doctorat présentée à la facultée des lettres de l’université de Paris 1902 CASTAGNOLI Francesco Topografia di Roma antica Nell’ enciclopedia classica sez. III Vol X T III p. 1-137 Turin – 1957 GRIMAL Pierre Rome les siècles et les jours Ed. Arthaud 1982 GRIMAL Pierre Les villes romaines Coll. Que sais-je ? Paris 1954 HOMO Léon Rome médiévale, 476 - 1420, histoire, civilisation, vestiges Ed. Payot 1934 KRAUTHEIMER Richard Rome, portrait d’une ville de 312 à 1308 Collection inédit/art Ed. Le livre de poche, “références” 1980 LOMBARDI Ferruccio Roma, Palazzi, palazetti, case Progetto per un inventario 1200 – 1870 Ed. Stampa Aprile 1992 MOATTI Claude Archive et partage de la terre dans le monde romain IIème s. av. – Ier s. ap. J.-C. Collection de l’école française de Rome – 173 1993 SERRES Michel Rome 104 Le livre des fondations Ed. Grasset 1983 Histoire moderne ANDERSON J. 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Hachette 1972 105 Périodiques Paris Projet n°23.24 Paris- Rome, protection et mise en valeur du patrimoine architectural 1er trimestre 1983 Projet urbain, Ed. de la villette n°22 Chantier Rome Déc. 2000 Projet urbain, Ed. de la villette n°15 Faire la ville sur la ville – ville durable, ville mutable Déc. 1998 Projet urbain, Ed. de la villette n°13 Patrimoine et modernité Août. 1998 Projet urbain, Ed. de la villette n° spécial Penser la ville par le paysage sous la direction d’Ariella Masboungi Sept. 2002 Littérature DE BROSSES Charles Lettres de Rome MARIA RILKE Rainer Lettres à un jeune poète Ed. La bibliothèque des arts Juin 1990 STENDHAL Promenades dans Rome Ed. Folio classique 1997 Urbanisme BENEVOLO Leonardo Le origini dell’urbanistica moderna Ed. Laterza 1963 CUCCIA Giuseppe Urbanistica edilizia infrastrutture di Roma capitale 1870 – 1990, una cronologia Ed. Laterza 1991 GAUNT William Rome ancienne et moderne Ed. 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