Une viticulture durable
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Une viticulture durable
e n g i v a l De . e l b a t a l à e l b a r u d re rons du Jura ? u t l u c i t i v Uneuveau défi pour les vigne un no SEPTEMBRE 2009 STAGE : « DÉVELOPPEMENT DURABLE ET QUALITÉ ENVIRONNEMENTALE EN AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, EN URBANISME, ARCHITECTURE ET CONSTRUCTION ». Cycle 2008-2009 Patrick BIDOT Jean-Luc GOMEZ Thierry PERRIER De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Ce mémoire est dédié aux générations de vignerons qui depuis l’Antiquité cultivent la vigne pour en extraire « le sang de la terre ». Château-Chalon : une cabane et des terrasses (photo R Michaud, 23.11.2008). « …Regarde bien ces hauteurs, ces rochers, ces sentiers. Tes anciens les ont vus bien des siècles avant toi et maintenant ils les regardent par tes yeux et les admirent par ton âme ». Emile Erckmann et Alexandre Chatrian. 3� Préambule et remerciements confier à la direction départementale de l’équipement et de l’agriculture du Jura, et en particulier à Jean-Luc Gomez qui a assuré la coordination de ce projet, la responsabilité d’organiser les prolongements opérationnels dont il pourrait faire l’objet. Ce mémoire a été rédigé dans le cadre de la session 2008-2009 du stage «développement durable et qualité environnementale en aménagement du territoire, urbanisme, architecture et construction». Animée par l’association AJENA Energie et Environnement en FrancheComté, cette formation de 9 modules de 2 jours est agréée par la Direction de l’Architecture, du Patrimoine et de l’Aménagement (DAPA) du Ministère de la Culture et de la Communication. Cette étude a été réalisée avec beaucoup d’humilité par 3 stagiaires qui ne sont pas des viticulteurs. Ce document est donc simplement le fruit du travail de 3 amateurs éclairés par les entretiens que quelques acteurs locaux ont bien voulu leur accorder, par l’intérêt qu’ils portent au sujet, par leurs lectures et par les recherches qu’ils ont effectuées. L’objet de la démarche n’est bien évidemment pas d’apprendre aux vignerons un métier qu’ils exercent quotidiennement, et pour certains depuis plusieurs décennies. Il ne s’agit pas de donner des leçons, et encore moins de pointer ceux qui seraient les «bons» ou les «mauvais élèves». «De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ?» est le sujet qui a été proposé et finalement retenu, car il s'inscrit dans le cadre d'une démarche de développement durable. Il s'agit en effet de s'intéresser à une filière économique, à son volet (les vins c'est aussi, et peut-être en premier lieu, des hommes et des femmes qui travaillent la terre), et enfin à ses incidences sur 'environnement, voire sur la santé. Les paysages viticoles remarquables constituent un patrimoine naturel et culturel. Leur protection et leur mise en valeur intéressent par conséquent directement le Ministère de la Culture et de la Communication qui a agréé la formation. Le document réalisé comporte en outre un volet architectural consacré à l'étude des villages et du bâti viticoles, et à la construction d'«écoexploitations» (présentation de réalisations achevées ou en cours, préconisations en la matière, etc.) Les vignerons sont en effet confrontés aux mêmes défis que l'ensemble de la société, et il s'agit pour eux de construire des locaux agricoles offrant des conditions optimales pour l'élaboration, l'élevage et la conservation de leurs vins, mais aussi de réduire leur facture énergétique et leurs émissions de gaz à effet de serre, d'utiliser des matériaux «écologiques» locaux,... L'étude effectuée a enfin pour ambition d’être opérationnelle. Elle devrait être présentée à l'ensemble des acteurs concernés par l'exploitation, par la préservation et par la mise en valeur du vignoble jurassien (professionnels de la filière viti-vinicole et du réseau technique et scientifique, chambre d’agriculture, élus locaux, représentants des services de l'Etat et des collectivités territoriales, etc.) L'objectif de la démarche est de mettre en œuvre les actions proposées, ou au moins quelques unes d'entre elles. D’un commun accord, les 3 auteurs du mémoire ont décidé de �4 Ce mémoire a seulement pour ambition de recenser de manière aussi exacte et précise qu’il est possible de le faire, les évolutions qui permettent notamment aujourd’hui de mieux concilier viticulture et développement durable. Nous avons souhaité enfin proposer quelques actions possibles permettant de bâtir ensemble un projet global de viticulture durable dans le Jura. Les partenaires concernés seront bien sûr entièrement libres de retenir et de mettre en œuvre ou non les propositions figurant dans le document. De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? C’est aux lecteurs qu’il appartient de juger si ce mémoire est un grand cru (ce qu’il n’est très certainement pas), un millésime acceptable ou une horrible «piquette». Toutefois, il n’aurait pas été envisageable de cultiver, d’élaborer, d’élever et de proposer aujourd’hui à la dégustation ce travail, sans les contributions des acteurs consultés, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour aider ce projet à mûrir et pour lui donner «un goût de terroir». Nous aurions dû solliciter également de très nombreuses autres personnalités, mais il n’a malheureusement pas été possible de le faire, en raison des délais qui nous étaient impartis. Nous ne les avons pas oubliées, et nous espérons simplement qu’elles ne nous tiendront pas rigueur de ne pas les avoir associées à la démarche. Nous adressons nos remerciements les plus sincères et les plus chaleureux à mesdames et à messieurs (par ordre alphabétique) : - Régis Ambroise, chargé de mission «paysages» au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche ; - Alain Baud, vigneron au Vernois, président de la Société de Viticulture du Jura ; - Jean Berthet-Bondet, vigneron à Château-Chalon ; - Chantal Berthet-Bondet, chargée de mission, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Jean-Philippe Bourdy, vigneron à Arlay, président du Syndicat de l’appellation d’origine contrôlée «Château-Chalon»; - Michel Campy, professeur émérite, Université de Bourgogne; - Pascal Charlot, chargé de mission, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Cécile Claveirole, directrice du Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ) ; - Patrick Clavelin, vigneron au Vernois ; - Pascal Collin, directeur du Conservatoire Régional des Espaces Naturels (CREN) de Franche-Comté ; - Daniel Cousin, directeur de la Société de Viticulture ; - François Dehondt, directeur du Conservatoire Botanique National de Franche-Comté ; - Liliane De Léo, chef du bureau de la programmation et des finances, Préfecture du Jura ; - Béatrice Gaudillat, responsable du bureau « environnement et filières », Service « Economie Agricole », Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Michel Lapointe, responsable technique, Association Départementale de Formation et de Perfectionnement en Agriculture (ADFPA) ; - Gilles Lemaire, inspecteur des sites, Direction Régionale de l'Environnement de Franche-Comté ; - Françoise Louis, chargée de mission, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Raymond Machard, association «La Dame verte» ; - Jean Macle, vigneron à Château-Chalon ; - Raymond Michaud, médecin au service des urgences de l’hôpital de Lons-le-Saunier. Passionné de nature, de paysages et de photographie, il a réalisé de très nombreux clichés parmi ceux qui illustrent ce mémoire ; - Jean-Louis Pavat, responsable du pôle «environnement– aménagement», Chambre d’Agriculture du Jura ; - Catherine Pernot, secrétaire, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Marc Pistoresi, chargé de communication, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Roland Sage, conseiller en agriculture biologique à la Chambre d’Agriculture du Jura ; - Evelyne Salin, secrétaire, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Frédéric Vandroux, dessinateur, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura ; - Christian Vuillaume, maire de Château-Chalon, président de la Communauté de Communes des Coteaux de la Haute Seille. - Jean-Pierre Vuillemot, chef de l'observatoire, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura. LES AUTEURS (par ordre alphabétique) : Patrick Bidot, architecte DPLG installé à Beaune, a rédigé le paragraphe du mémoire intitulé «les villages et le bâti viticoles», ainsi que l’annexe 3 dédiée aux «éco-constructions». Jean-Luc Gomez, référent développement durable, Mission Développement Durable, Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture du Jura, a assuré la rédaction de l’ensemble du document, à l’exception des contributions de Patrick Bidot et de Thierry Perrier. Thierry Perrier, chef de mission à la direction des bâtiments départementaux du Conseil général du Jura, est l’auteur de l’annexe 2 du document consacrée au «cycle de l’eau dans la viticulture». 5� Sommaire • INTRODUCTION 9 • PREMIÈRE PARTIE : LES VINS DU JURA, LES HOMMES ET LA TERRE 11 I � La genèse du vignoble jurassien 12 II � Les vins du Jura, produits d’excellence 20 III � Les viticulteurs et leurs exploitations 32 IV � Les pratiques - Travaux de la vigne et du vin, commercialisation et consommation 38 V � Les terroirs - Un patrimoine naturel et culturel 48 VI � Les démarches intégrées 62 A � La géologie aux sources de la viticulture B � Un climat globalement favorable à la culture de la vigne C � Un vignoble vieux de près de 2 000 ans A � Les cépages B � Les vins du Jura C � Les appellations d’origine contrôlée A � Les sources - Les déclarations de récoltes B � Les exploitations C � Les fruitières et les négociants D � Le foncier E � Les viticulteurs A � La culture de la vigne B � L’élaboration des vins du Jura C � Des pratiques plus respectueuses de l’environnement D � La commercialisation des vins du Jura E � Les vins et la santé A � Les paysages B � Les villages et le bâti viticoles (contribution de Patrick Bidot) C � La biodiversité dans le vignoble jurassien D � L’œnotourisme A � La viticulture raisonnée B � La viticulture biologique C � La biodynamie �6 13 15 15 21 24 28 33 33 34 34 35 39 42 42 46 47 49 54 56 59 63 65 67 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? • DEUXIÈME PARTIE : ENJEUX ET PROPOSITIONS POUR UNE VITICULTURE DURABLE DANS LE JURA 71 I � Réduire les pollutions et l’érosion des sols 72 A � Promouvoir l’enherbement permanent de la vigne B � Maîtriser l’utilisation des intrants (engrais, herbicides et produits phytosanitaires) C � La ressource en eau et les effluents – La poursuite des efforts engagés D � La collecte et le traitement des déchets des exploitations E � L’inscription dans les décrets des AOC de quelques pratiques partagées 73 73 74 74 74 II � Préserver et mettre en valeur le patrimoine naturel et culturel 76 A � Protéger les paysages B � Gérer les paysages C � Préserver et développer la biodiversité D � Promouvoir les éco-exploitations E � L’œnotourisme 77 77 78 78 79 III � Promouvoir les démarches intégrées 80 IV � Mieux former et mieux communiquer 82 V � Fiches actions 84 A � La viticulture raisonnée B � La viticulture biologique A � La formation B � La communication Conclusion 81 81 83 83 103 ANNEXE 1 : notes ANNEXE 2 : le cycle de l’eau dans la viticulture (contribution de Thierry Perrier) ANNEXE 3 : les éco-constructions (contribution de Patrick Bidot) ANNEXE 4 : les entretiens et les interviews ANNEXE 5 : petit lexique de la vigne, du vin et de la dégustation ANNEXE 6 : bibliographie sommaire 7� �8 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? INTRODUCTION Les vignes couvrent dans le Jura environ 2 000 hectares, soit moins d'1% de la surface totale du vignoble français, et c'est à peu près 80 000 hectolitres seulement qui sont produits chaque année. Ces quelques données peuvent paraître modestes, mais les vignerons marquent cependant fortement de leur empreinte les paysages du Revermont, qui font partie intégrante de l'identité locale. Comme leurs confrères en France et à l'étranger, ils sont confrontés aujourd'hui à de nouveaux défis que leur impose la nécessaire prise en compte du développement durable. Un état des lieux de la viticulture dans le Jura a été dressé dans la première partie de ce mémoire. Il concerne tout d'abord la genèse du vignoble (la géologie des terroirs, le climat, l'histoire de la vigne et des vignerons jurassiens depuis l'Antiquité), et bien sûr les vins qui sont localement produits. Parce que le développement durable implique une approche à la fois économique, sociale et environnementale, le diagnostic établi d'une manière aussi exhaustive que possible évoque aussi la commercialisation de la production, les caractéristiques des exploitations, la sociologie des viticulteurs, leurs pratiques et les incidences de celles-ci sur la santé et sur l'environnement (la ressource en eau, les sols, les paysages, la biodiversité...), etc. D'une superficie de 2 000 hectares, le vignoble jurassien représente moins d’1 % de la surface totale du vignoble français et produit environ 80 000 hectolitres chaque année. En raison des délais impartis pour la rédaction de cette étude, certains thèmes ont été moins développés que d'autres qui concernaient plus directement le sujet qu'il a été choisi de traiter : la viticulture durable dans le Jura. Ainsi, l'histoire du vignoble, la commercialisation des vins du Jura ou l’œnotourisme par exemple ont été traités de manière plus synthétique que l'enherbement de la vigne, l'utilisation des intrants, le traitement des effluents, les démarches intégrées, la préservation des paysages viticoles et de la biodiversité... Enfin, la deuxième partie de ce mémoire est consacrée aux actions qui pourraient compléter les efforts déjà consentis par l'ensemble de la filière en faveur du développement durable. Les propositions les plus significatives ont fait l'objet de fiches présentant l'objet et le contenu des actions suggérées, les maîtres d'ouvrage et les partenaires potentiels, ainsi que les aides financières susceptibles d'être octroyées. 9� � 10 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? PREMIÈRE PARTIE : LES VINS DU JURA, LES HOMMES ET LA TERRE 11 � I · La genèse du vignoble jurassien � 12 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? A � La géologie aux sources de la viticulture 1 Dans le Jura comme partout ailleurs, c’est en premier lieu la géologie qui a façonné les terroirs favorables au vignoble. A l’ère secondaire, qui débuta il y a près de 250 000 millions d’années, la région était submergée par les eaux. Au fond de la mer se sont accumulées des couches de marnes (composées de craie mélangée à de l’argile imperméable) et de calcaires (des roches perméables formées à partir de coquillages et de squelettes de poissons). Il y a environ 65 millions d’années, à l’ère tertiaire, les forces qui agissent sur l’écorce terrestre furent à l’origine des plissements qui donnèrent naissance d’abord à la chaîne des Pyrénées, et ensuite à celle des Alpes. Dans un premier temps, le millefeuille de strates évoqué précédemment s’inclina vers la plaine suisse, alors recouverte par une immense nappe d’eau dont il subsiste aujourd’hui en particulier le lac Léman, ainsi que ceux de Bienne et de Neuchâtel. Le contrecoup de la surrection alpine se traduisit ensuite par une forte pression qui s’exerça sur les dépôts de la mer jurassique, qui se dressèrent à leur tour. Comprimés entre les Vosges au nord-est, et le Massif central au sud-ouest, les plis qui se formèrent s’incurvèrent pour former un croissant, d’orientation générale nord-est/ sud-ouest. Près des Alpes, dans la haute chaîne, les couches sédimentaires plus épaisses se plissèrent pour former une succession de chaînons et de creux, de monts et de vaux, également dénommés anticlinaux et synclinaux. Plus à l’ouest, les strates plus minces se cassèrent et formèrent des plateaux. Entre ces derniers, et entre le premier d’entre eux et la Bresse, la compression alpine a donné naissance à des faisceaux, des zones plissées et faillées caractérisées par des reliefs contrastés. Depuis le début de l’ère quaternaire qui commença il y a près de 2 millions d’années et qui se poursuit de nos jours, l’érosion marque enfin de son empreinte les paysages que nous connaissons aujourd’hui. Les glaciers par exemple ont creusé les reculées2, ces vallées digitées qui entaillent les plateaux et qui débutent pour les uns, ou s’achèvent pour les autres par un cirque rocheux, le « bout du monde », au pied duquel jaillit souvent à l’air libre la résurgence d’un cours d’eau souterrain. notes CONFER L'ANNEXE 1 Dans la partie du massif dénommée le Revermont, l’action conjuguée des mouvements tectoniques et de l’érosion a donné naissance aux reliefs dont la pente et l’orientation sont favorables à l’implantation du vignoble. Elle est également à l’origine de l’affleurement des marnes propices à la culture de la vigne, en particulier au pied des versants des reculées, et de ceux qui jalonnent les faisceaux situés à l’ouest, notamment celui dit « lédonien ». Ainsi par exemple, les marnes irisées du Trias (la période géologique la plus ancienne et la plus courte de l’ère secondaire) sont très présentes dans le vignoble, notamment au nord de Lons-le-Saunier. Elles sont très favorables à la culture des cépages jurassiens. Elles se désagrègent en effet facilement, et elles permettent par conséquent une bonne pénétration du système racinaire des ceps. Elles retiennent enfin l’humidité nécessaire au développement des plants. Elles conviennent particulièrement bien au Savagnin et au Poulsard à Pupillin, au Trousseau à Montigny-les-Arsures, mais aussi au Chardonnay lorsqu’elles sont recouvertes d’éboulis calcaires. Les marnes grises du jurassique inférieur, également dénommé Lias, sont une autre illustration de l’influence primordiale de la géologie sur la viticulture. Elles peuvent être considérées en effet comme la terre de prédilection du Savagnin. Elles affleurent à Château-Chalon notamment, et elles ont ainsi contribué de manière déterminante à façonner l’un des plus prestigieux terroirs du vignoble du Jura. La plus ancienne mention connue du vignoble jurassien remonte à l’Antiquité. Les vins de la région étaient déjà réputés et exportés en particulier en Italie. 13 � Figure 1 – Le vignoble jurassien. � 14 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? B � Un climat globalement favorable à la culture de la vigne 3 Dans le Jura, le climat est semi-continental. L’hiver peut être froid avec de la neige même en plaine, l’été chaud et sec. L’automne et le printemps sont souvent caractérisés par des précipitations abondantes, et par des températures plutôt douces, qui parfois peuvent baisser brutalement. Equivalente à celle du vignoble de Savoie, la moyenne annuelle des températures est de l’ordre de 10°C. Elle est ainsi un peu au-dessus de la limite de 9,5°C généralement admise pour la culture de la vigne. Les nuages venus de l’ouest sont en partie arrêtés par le rebord du premier plateau, et le Revermont est par conséquent plutôt bien arrosé. Le volume des précipitations est d’environ 1 400 mm d’eau par an à Salins-les-Bains et à Poligny, et de 1 100 mm à Arbois, Voiteur et Lons-le-Saunier. La pluviosité peut cependant varier parfois du simple au double d’une année à l’autre, ce qui a bien évidemment des conséquences sur le volume et sur la qualité de la récolte. Malgré la localisation plutôt septentrionale du Jura, le climat est donc globalement favorable à la culture de la vigne. Celle-ci n’est toutefois pas à l’abri d’accidents comme le gel, la sécheresse ou au contraire l’excès d’humidité, ou encore la grêle. Cette dernière peut occasionner des dégâts particulièrement graves, car lorsqu’elle est tardive et violente, elle détruit parfois les feuilles, les rameaux et les bourgeons, voire les grappes. C’est la récolte mais aussi malheureusement parfois la pérennité des plantations qui sont alors menacées. Les vignerons tentent de prévenir l’ensemble de ces calamités par des aménagements spécifiques (fossés de drainage, terrasses, etc.), par l’adoption de certaines pratiques comme la taille tardive, ou par des interventions ponctuelles (par exemple le recours autrefois à des fusées anti-grêle, qui ne sont cependant en principe plus utilisées aujourd'hui,…). Figure 2 – Le vignoble en hiver (photo R Michaud, 05.03.2006). L’ensoleillement qui est d’environ 1 800 heures par an, accuse un déficit d’un millier d’heures par rapport à celui dont bénéficie le vignoble méditerranéen. L’exposition (à l’ouest, voire au sud-ouest ou au sud, par exemple dans les reculées) joue par conséquent un rôle essentiel. De nombreux versants jouissent en effet d’un apport thermique supérieur parce qu’ils sont bien exposés, mais aussi en raison d’une topographie à l’origine d’un microclimat favorable à la vigne. L’exposition est particulièrement importante, car si les vents dominants de secteur sud à ouest sont plutôt humides et chauds, le vignoble orienté nord-sud subit toutefois directement les assauts de la bise, qui souffle du nord et du nord-est. Elle apporte le froid, et elle peut provoquer le gel des bourgeons lorsque les températures sont inférieures à –15°C. L’abri procuré en particulier par les versants des reculées est alors primordial. notes CONFER L'ANNEXE 1 C � Un vignoble vieux de près de 2 000 ans 4 1 � Des vins renommés dès l’Antiquité La mention du vignoble jurassien la plus ancienne connue aujourd’hui remonte à l’Antiquité. L’écrivain romain Pline l’Ancien (23 - 79 après Jésus-Christ) le citait en effet dans son « Histoire naturelle ». A l’époque, les vins de la région étaient déjà réputés ; les nautoniers5 phocéens remontaient la Saône avec leurs embarcations pour en prendre livraison, afin de les exporter en particulier en Italie. 15 � Au Ier siècle de notre ère, la viticulture locale connut cependant des temps difficiles, car l’empereur Domitien (51 - 96 après Jésus-Christ) fit planter des céréales à la place de la vigne, afin de pourvoir à la subsistance des légions romaines. Deux cents ans plus tard, les Séquanes qui peuplaient la région obtinrent de l’empereur Probus (232 - 282 après Jésus-Christ) « l’autorisation de replanter les vignes autrefois arrachées ». Ce droit qui leur a été accordé, peut-être parce qu’ils étaient restés fidèles à Rome, est mentionné dans le texte le plus ancien à ce jour parvenu jusqu’à nous, et qui concerne directement le vignoble jurassien. Celui-ci était essentiellement localisé dans la vallée de la Seille à la fin de l’empire romain. production de Vin jaune. La mère abbesse fit un temps garder les vignes par des hommes armés, afin d’obliger les vignerons à vendanger plus tard, lorsque le raisin était parfaitement mûr. Le commerce du sel gemme favorisa dans le Jura celui du vin. A la fin du XIIIème siècle, Othon IV, seigneur de Salins et comte Palatin de Bourgogne, accorda aux habitants d’Arbois et de Poligny le statut communal. A cette époque, le vin d’Arbois était déjà connu en Artois, en Flandre et à Paris. En 1298, Philippe le Bel en acheta 37 muids livrés à Paris et plus tard, en 1315, la comtesse Mahaut en détenait dans ses celliers d’Hesdin6. 2 � Un vignoble prospère au Moyen Age et à la période moderne Figure 4 – Le Château du Pin (photo R Michaud, 21.06.2009). Figure 3 – Toulouse-le-Château (photo R Michaud, 02.06.2009). Le Moyen Age fut une période prospère pour le vin en général, et pour celui du Jura en particulier. Il n’était plus seulement le produit d’une activité agricole locale. Dans l’Occident médiéval peu à peu converti au christianisme, il était devenu le sang du Christ, indispensable à la célébration de l’eucharistie. Au Moyen Age et durant la période moderne, les seigneurs de la région furent très attachés à la qualité et à la réputation de leur vignoble. Jean 1er, comte de Chalon et seigneur d’Arlay, décréta en 1276 que les fraudeurs qui tricheraient sur les quantités des vins achetés ou vendus seraient punis d’une amende de 60 sols. En 1293, Hugues de Vienne accorda des franchises à la ville de Lons-leSaunier. Six articles, parmi les 65 que comptait la charte, concernaient la viticulture qu’ils réglementaient. Dédiée à saint Vernier, patron des vignerons, l’une des premières églises de la région fut édifiée en 650 à Arlay. Cet édifice cultuel fut bâti à l’initiative du seigneur des lieux, qui devint plus tard saint Donat. A la fin du VIIème siècle, son frère Norbert fonda l’abbaye de dames de Château-Chalon, dont le vignoble était pour les chanoinesses une source importante de revenus. Vers 1460, les moniales se consacrèrent principalement à la � 16 Figure 5 – Les vestiges du Château d’Arlay (photo R Michaud, 17.08.2008). notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Près de deux siècles plus tard, lorsque Marie, fille de Charles le Téméraire, épousa en 1477 Maximilien d’Autriche, la Franche-Comté devint une possession des Habsbourg, princes de la maison d’Autriche et rois d’Espagne. Elle le demeura jusqu’au traité de Nimègue en 1678. Au XVIème siècle, le vignoble s’étendait alors des environs de Besançon et de Dole au nord, jusqu’à Sainte-Agnès au sud. Charles Quint (1500-1558) appréciait particulièrement la production des vignerons de cette province de son empire. Dans un édit du 1er décembre 1576, le roi d’Espagne Philippe II (15271598) interdit la plantation de « gamez, melons », ainsi que d’autres cépages jugés trop productifs. Louis Pasteur est considéré comme le père de l’œnologie moderne. Lorsqu’il décéda le 28 septembre 1895, les vignerons d’Arbois confectionnèrent une énorme couronne de raisins pour lui rendre hommage. Il se dit qu’un peu plus tard, Henri IV (1553-1610) offrait les vins du Jura à ses ennemis pour se réconcilier avec eux, et que Sully (1560-1641), son conseiller et son ministre, les faisait servir aux demoiselles de la reine. En 1732 et en 1774, la liste des cépages autorisés fut fixée par des textes, afin de garantir la qualité de la production. Figure 6 – La vigne Pasteur à Arbois (photo Th Perrier, 08.07.2009). 3 � Louis Pasteur et les vins du Jura Louis Pasteur est né à Dole en 1822. Dans une lettre du 7 octobre 1855, il demanda à son père de lui envoyer quelques bonnes bouteilles pour la rentrée solennelle de la nouvelle faculté des Sciences de Lille, dont il était le doyen. « Je désire faire boire à ces messieurs un des meilleurs vins de mon pays et je crois que je ne puis mieux faire que de leur donner un échantillon de vin d’or ». A partir de 1863, il entreprit dans son laboratoire d’Arbois des recherches consacrées aux maladies qui affectaient la production vinicole locale. Il se procura du raisin afin d’étudier l’évolution du moût7, et il analysa de nombreux échantillons que lui fournirent ses amis vignerons. Il consigna ses observations dans des cahiers qui ont été précieusement conservés. Louis Pasteur ne réussit pas à percer totalement les secrets de la vinification si particulière du Vin jaune, de ses arômes et de son goût si caractéristiques. Il fut cependant le premier à découvrir que des organismes vivants, les microbes, étaient à l’origine des fermentations. Il comprit que de chauffer des liquides permettait de les stériliser. Si la pasteurisation, cette technique qui lui doit son nom, a été abandonnée finalement pour les vins, elle est aujourd’hui encore couramment utilisée, par exemple pour les produits laitiers, les jus de fruits, etc. notes CONFER L'ANNEXE 1 17 � 4 � Les crises de l’ère industrielle et la « renaissance » du vignoble jurassien André Jullien fut l’auteur d’une « Topographie de tous les vignobles connus » et d’une « Classification générale des vins », dont la première édition parut en 1816 et la seconde, corrigée et augmentée, en 1822. L’œuvre qu’il nous a léguée est la première étude statistique relative au vignoble jurassien à ce jour parvenue jusqu’à nous8. Au XIXème siècle, les petites villes de Salins-les-Bains, Arbois, Poligny, Voiteur, Lons-le-Saunier, Cousance, Beaufort et Saint-Amour qui jalonnaient le vignoble, lui devaient une grande part de leur prospérité. La vigne couvrait dans le département une superficie totale de 18 550 hectares en 1838, d’après les relevés cadastraux, et de 19 384 hectares en 1888. A cette époque, la viticulture jurassienne était à son apogée. Elle bénéficiait notamment de nouveaux débouchés, car dans le Midi de la France la production avait été très sensiblement réduite en raison des ravages causés par le phylloxéra9. La première attaque de celui-ci dans le Jura fut officiellement constatée en 1879 à Montfleur, à la pointe sud du département. Il progressa ensuite très rapidement, en particulier pendant les années chaudes et sèches, entre 1892 et 1895. Pour lutter contre ce fléau, Alexis Millardet eut le premier l’idée d’hybrider les cépages français et américains, et de traiter les vignes à la « bouillie bordelaise »10. Cet éminent botaniste était jurassien (né en 1838 à Montmirey-la-Ville, il décéda à Bordeaux en 1902). En 1900, la surface occupée par le vignoble était réduite à 7 915 hectares, parmi lesquels 500 seulement avaient été replantés avec des plants greffés. Ces derniers remplacèrent à Château-Chalon les vieux ceps centenaires arrachés entre 1897 et 1900, et ils ne donnèrent leurs premiers fruits qu’en 1903. Affectée au début du XXème siècle par des difficultés économiques (mévente), la viticulture connut ensuite une embellie qui perdura jusqu’au premier conflit mondial, et qui fut caractérisée notamment par la création des fruitières11 vinicoles les plus anciennes (celle d’Arbois fut fondée en 1906, celle de Poligny en 1907, et celle de Pupillin en 1912). A la veille de la Grande Guerre, les vignes couvraient environ 11 000 hectares. Le conflit priva toutefois de manière dramatique la profession de sa main d’œuvre, et il fut ainsi à l’origine d’un nouveau déclin que les vignerons tentèrent d’enrayer en améliorant encore la qualité de leur production. Les viticulteurs d’Arbois obtinrent ainsi le 15 mai 1936 la première appellation d’origine contrôlée (AOC) délivrée en France. Plus tard, pendant les « Trente Glorieuses », l’accélération de l’exode rural frappa durement le vignoble. Moribond dans les années 50, il fut véritablement sauvé par des initiatives privées et par un plan de relance publique confié à la Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural (SAFER) de Franche-Comté. Le Moyen Age fut une période prospère pour le vin en général, et pour celui du Jura en particulier. Il n’était plus seulement le produit d’une activité agricole locale. Figure 7 – La superficie du vignoble jurassien en 1816. Arrondissement de Dole Arrondissement de Lons-le-Saunier Arrondissement de Poligny Total 3 798 ha 8 652 ha 3 610 ha 16 060 ha Source : « Topographie de tous les vignobles connus » d’André Jullien, cité dans « Vins et vignobles de France. Le Savour Club », éditions « Larousse – Bordas », 1997 (1987 pour la première édition), page 450. � 18 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? notes CONFER L'ANNEXE 1 19 � II · Les vins du Jura, produits d'excellence � 20 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? A � Les cépages 12 A l’instar de tous les vignobles anciens, celui du Jura était riche jadis de très nombreux cépages. Ils étaient une quarantaine en 1897 : Argant, Petit et Gros Béclan, Chasselas, Corbeau, Enfariné, Fariné (Sacy), Foirard blanc, Gamay noir, Gueuche noir, Melon, Meslier, Meunier, Mondeuse, Pourisseux, Valais noir, etc. Ils ne sont plus que 5 aujourd’hui, et c’est au Savagin, cépage emblématique du Jura, que revient l’honneur d’être évoqué le premier. Le Chardonnay, le Pinot noir, le Poulsard, et enfin le Trousseau le seront ensuite par ordre alphabétique. 1 � Le Savagnin Figure 8 – Le Savagnin (photo CIVJ, 02.09.2007). Le texte le plus ancien à ce jour parvenu jusqu’à nous et qui mentionne ce cépage, date du XIVème siècle. D’autres écrits permettent toutefois de supposer qu’il était déjà cultivé au siècle précédent. D’après la légende, c’est vers le Xème siècle qu’une abbesse de Château-Chalon originaire d’une contrée lointaine, aurait apporté avec elle le Savagnin, parent du Palomino fino andalou, du Sylvaner suisse, et des Traminer alsaciens ? Il se dit aussi qu’à l’époque des croisades, les moniales de l’abbaye auraient reçu des plants que leur auraient envoyés des religieuses hongroises. Ces deux hypothèses semblent accréditées par la comparaison qui peut être faite entre le goût caractéristique du Vin jaune, et celui par exemple du Jerez espagnol, ou du Tokay hongrois. Toutefois, pour Jean Berthet-Bondet, vigneron à Château-Chalon, c'est l'élevage « oxydatif » sous voile qui rapproche ces vins et non les cépages. D’autres supposent que le Savagnin aurait été importé plus tard, au XVIème siècle, par les Granvelle et par les ChalonArlay. L’étymologie permet enfin une dernière hypothèse. Sauvage et Savagin ont en effet la même racine, et celui-ci n’est peut-être que le noble descendant des vieilles vignes de la région, le Traminer des Lambrusques. Les auteurs des « Parchemins du Vin Jaune » proposent une description ampélographique13 très précise de ce cépage, notes CONFER L'ANNEXE 1 dont le bourgeonnement tout d’abord est décrit comme très duveteux, d’un blanc verdâtre teinté de rose sur les bords. Le sarment est brun fauve ponctué de gris, assez mince et noué court ; les vrilles sont courtes, duveteuses et bifurquées. La feuille du Savagnin est quant à elle arrondie, de taille moyenne, épaisse et rugueuse. Sa face supérieure est d’un vert plutôt foncé, alors que l’envers est blanchâtre, voire grisâtre. La feuille est en outre superficiellement lobée, et les dents sont petites, arrondies et peu aiguës. La grappe est courte, petite, un peu ailée et compacte. Le grain est oblong, petit ou de grosseur moyenne. Sa peau est épaisse et résistante. Il est jaune, plus ou moins bronzé à maturité. Il est enfin charnu, croquant, juteux, très sucré et d’une saveur délicate. Ce plant emblématique du Jura se plaît particulièrement lorsque les sols sont profonds, constitués d’argiles et de marnes du Lias. Il représente actuellement 15 % de l’encépagement, et il s’étend sur près de 300 hectares (d’après Alain Baud, président de la Société de Viticulture, ces données qui datent de 2004 sont aujourd’hui très certainement inférieures à la réalité). Sa taille est dite en courgée, le vigneron laissant 2 à 3 baguettes bien aoûtées14 et saines. Il supporte les hivers rigoureux. Il est cependant assez sensible à la coulure15 et au millerandage16, des accidents qui surviennent au moment de la floraison. Grâce à sa peau épaisse, il résiste bien à la pourriture, ce qui permet de le vendanger plus tard, lorsqu’il est bien mûr, et que son degré est élevé (il peut atteindre jusqu’à 250 à 260 grammes de sucre par litre, soit 15% Vol. d’alcool). Son rendement varie de 30 à 45 hectolitres par hectare. Il est vinifié seul, notamment pour produire le prestigieux Vin jaune, mais il peut être également assemblé au Chardonnay. Le Savagnin rose est enfin une variété du cépage qui est cultivée en particulier en Alsace. Il s’agit du « Traminer », ou « Klevener d’Heiligenstein ». C’est la variante « épicée » de celui-ci, ou « Gewurztraminer » qui est la plus connue. 2 � Le Chardonnay Figure 9 – Le Chardonnay (photo Ph Bruniaux, prêt CIVJ). 21 � Diversement dénommé (il est également parfois appelé Melon d’Arbois, Moular à Poligny, ou encore Gamay blanc dans la partie sud du vignoble), il est cultivé dans le Jura très probablement depuis le Xème siècle. Ses feuilles sont minces et légèrement ciselées, orbiculaires (de forme arrondie), tourmentées, bullées, d’un vert clair assez vif, à bords révolutés, généralement entières ou faiblement trilobées. Elles sont de taille moyenne, à l’instar de ses grappes, également compactes, cylindriques, avec parfois 2 ailerons. Les grains sont sphériques et ils ont une fine pellicule. Translucides, ils arrivent à maturité vers miseptembre. Son système racinaire traçant (qui se développe horizontalement à la surface du sol), permet à ce grand cépage blanc du vignoble bourguignon et champenois de s’adapter aux terroirs jurassiens plus difficiles, pierreux ou graveleux (composés notamment de gravier). Il représente 50 % de l’encépagement, et les 1 700 hectares qu’il couvrait à la fin du XIXème siècle ne sont plus aujourd’hui qu’environ 900. Son rendement moyen est approximativement de 55 hectolitres par hectare. Seul ou associé au Savagnin, le Chardonnay contribue indéniablement à la renommée des vins blancs du Jura. 3 � Le Pinot noir ou Noirien Figure 10 – Le Pinot noir (photo Ph Bruniaux, prêt CIVJ). Selon certains, ce cépage a été importé de Bourgogne dès le Xème siècle par les comtes de Chalon-Arlay. Pour d’autres c’est plus tard, au XVème siècle, que le comte Jean de Chalon dit l’Antique, héritier du château d’Arlay, l’aurait fait cultiver pour la première fois sur ses terres jurassiennes. Les feuilles du Pinot noir sont orbiculaires, vert foncé, épaisses, en entonnoir, très grossièrement bullées, généralement entières ou faiblement trilobées, de taille moyenne. Elles sont plus larges que longues, à petites dents arrondies. Ses grappes sont plutôt petites et cylindriques. Les grains sont serrés, très noirs et assez petits. Son débourrement17 est précoce, et il craint par conséquent les gelées printanières. Il est souvent le premier cépage du Jura à parvenir à maturité. � 22 Les sols argilo-calcaires, ferrugineux, pierreux, profonds et qui s’égouttent bien, lui conviennent particulièrement bien. Il représente aujourd’hui entre 8 et 10 % de l’encépagement. Son rendement moyen est de 35 à 50 hectolitres pour chacun des 185 hectares environ sur lesquels il s’étend aujourd’hui. 4 � Le Poulsard Figure 11 – Le Poulsard (photo CIVJ, 06.09.2007). Il était peut-être présent dans le Jura dès le XIIIème siècle. Sa culture se développa toutefois très probablement à partir du XVème siècle. Les feuilles du Poulsard sont grandes et très découpées. Ses grappes sont peu serrées mais ailées et volumineuses. Sucrés et juteux, ses grains à jus blanc sont assez gros et ovoïdes. Leur pellicule est fine, avec des nuances de violet et de noir. Son bourgeon précoce est sensible aux gelées, et ses jeunes grappes coulent fréquemment. Les terres grasses et bien exposées, argileuses ou marneuses, sont favorables à son épanouissement, particulièrement lorsqu’un début d’été ensoleillé a été propice à sa floraison, et que ses raisins ont été préservés par un automne doux et chaud. Il s’agit du deuxième plant le plus répandu dans le vignoble jurassien. Il s’étend sur 20 à 25 % de la surface totale de celui-ci, soit sur à peu près 400 hectares, et il représente 80 % de l’encépagement en rouge du Jura. Souvent vinifié seul à Arbois et à Pupillin où il est également dénommé Ploussard, il est généralement assemblé aux autres cépages pour l’élaboration des vins rouges et rosés. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? 5 � Le Trousseau Les sols graveleux assez chauds et peu profonds, constitués d’argiles ou de marnes irisés, conviennent bien au Trousseau. Il ne représente que 5 % de l’encépagement du vignoble, et il couvre à peu près 90 hectares. Vinifié seul en particulier à Arbois, il est aussi assemblé aux autres cépages pour produire des vins rouges, rosés, et du Crémant. Figure 12 – Le Trousseau (photo C Claveirole / CIVJ, 06.09.2007). Probablement d’origine comtoise, ce cépage est cultivé dans le Jura depuis vraisemblablement le XVIIIème siècle. Selon Charles Rouget, célèbre ampélographe, il devrait son nom à l’aspect « troussé » ou ramassé de son raisin. Ses feuilles sont arrondies et leur couleur devient rougeâtre en automne. Ses grappes sont de taille moyenne, et elles sont presque cylindriques. Ses grains sont d’un noir intense. Le Trousseau a besoin de plus de soleil que les autres plants. Il craint les gelées, ainsi que l’anthracnose18 lorsqu’il est cultivé par exemple dans des vallons brumeux. 90% de la surface viticole jurassienne produit aujourd'hui des vins d'appellation. Figure 13 – L’encépagement du vignoble jurassien en 2004. Savagnin Chardonnay Pinot noir Poulsard Trousseau Total 15 % 50 % 10 % 20 % 5% 100 % 300 ha 900 ha 185 375 ha 90 ha 1 850 ha Source : « Vins du Jura. Histoire, terroirs et cépages », Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ), Arbois (39), conception et réalisation Agence Dartagnan (Besançon), janvier 2004, pages 17 à 21. Figure 14 – La gamme des vins du Jura (photo CIVJ). notes CONFER L'ANNEXE 1 23 � B � Les vins du Jura 19 Le Jura a produit majoritairement des vins rouges jusqu’à la fin du XIXème siècle. Il doit toutefois sa notoriété actuelle aux « blancs » qu’il conviendra par conséquent de présenter en premier, en débutant d’abord par le joyau d’entre eux : le Vin jaune. 1 � Le Vin jaune moins granité et mat. Le voile prive le vin de tout contact avec l’air contenu dans la vidange, et il le préserve ainsi de l’oxydation. La production est conservée en fûts de chêne pendant au minimum 6 ans et 3 mois, sans ouillage23 ni soutirage. Afin de suivre l’évolution du Vin jaune, quelques rares prélèvements sont cependant effectués, en règle générale deux fois par an, au printemps et en automne. Quand la durée légale de vieillissement est écoulée, le vigneron procède à l’assemblage des différentes pièces en fonction de leurs caractères organoleptiques24. B – LE CLAVELIN, UNE BOUTEILLE DE 62 CL A • UNE VINIFICATION PARTICULIÈRE « SOUS VOILE » Le texte le plus ancien connu à ce jour, qui évoque explicitement le Vin jaune, est assez récent, car il date de 1822. Il s’agit du « Mémoire sur l’agriculture du Jura » de M.Gerrier. Les écrits plus anciens emploient les expressions vin « de garde » ou « de gelée » pour désigner ce fleuron de la production jurassienne, considéré comme l’un des plus grands vins du monde. Celui de Château-Chalon est très certainement le plus renommé, mais les appellations géographiques « Arbois », « Côtes du Jura » et « l’Etoile » produisent bien sûr également le leur. Le Vin jaune est exclusivement issu du cépage Savagnin. Il est vendangé tardivement, autrefois vers la mi-octobre en règle générale, aujourd'hui le plus souvent à la fin du mois de septembre en raison des bouleversements climatiques. Avant l’amélioration variétale du plant, la récolte se faisait à la Toussaint, ce qui explique pourquoi l’expression « vin de gelée » était parfois employée. Autrefois foulé dans les sapines au pied des vignes, le raisin est égrappé et pressuré. Eclairci par débourbage20 et soutirage21, le jus est tout d’abord mis à fermenter dans des cuves, parfois jusqu’au printemps. Figure 15 – Le Clavelin (photo Studio Lyet, prêt CIVJ). Lorsqu’il a perdu son acide malique22, il est soutiré dans des petits fûts de chêne déjà avinés. D’une contenance de 228 litres, ils ne sont pas complètement remplis, afin de ménager une poche d’air au contact de laquelle se forme un voile composé de levures, principalement des Saccharomyces bayanus. L'évolution de ce voile et son aspect physique dépendent du nombre d’années qui se sont écoulées, et des caractéristiques du milieu ambiant (la température, l’hygrométrie et l’aération de la cave, etc). Il se présente au début sous la forme de petites taches qui se développent progressivement, pour recouvrir finalement la totalité de la surface du vin. D’abord fin et de couleur noir, il se veine ensuite de lignes brunes et il se pique d’îlots blancs. Quand il est bien développé, il paraît enfin plus ou Le précieux nectar est ensuite mis dans des bouteilles particulières dénommées Clavelins. Leur contenance de 62 cl correspond à ce qu’il reste d’un litre de moût après l’évaporation de « la part des anges », à l’issue des 6 ans et 3 mois d’élevage en fûts de chêne. Ce flacon spécifique au Vin jaune était à l'origine fabriqué à la main par les artisans de la verrerie de la Vieille-Loye. En vertu d'un privilège qui leur a été accordé en 1506 par Marguerite de Bourgogne, ils détenaient le monopole de la production de cette bouteille « aux épaules carrées ». Celle-ci doit sa dénomination à l'abbé Clavelin de Nevy-sur-Seille. Il en commanda une centaine en 1914, et il fit graver son nom à la base du col. Elle est aujourd'hui la seule dont le volume déroge aux normes fixées par l'Union Européenne. � 24 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Figure 16 – Le Vin jaune : quelques grands millésimes. 1921 1929 1947 1949 1952 1957 1964 1969 1973 1979 1982 1983 1985 1989 1967 Source : de BRISIS (Eric, Christian, Bruno et Hubert), BRUNIAUX (Frédérique et Philippe), PRIMOT (Damien), « Jura. Château-Chalon, prestige des vins jaunes » (« Les parchemins du Vin jaune »), imprimerie Snilas à Salins-les-Bains, 1996, page 16. C • UN VIN DE TRÈS GRANDE GARDE Il s’agit d’un vin de très grande garde, qui peut être conservé… plus de 100 ans ! A l’occasion d’une présentation pour le « Gault et Millau », le docteur Millet offrit en juin 1992 une bouteille qui datait de 1774. Son précieux contenu provenait d’une vigne travaillée sous Louis XV, et vendangée pendant le règne de son successeur. Ceux qui ont eu le privilège unique de l’apprécier furent unanimes : il s’agissait de l’un des meilleurs Vins jaunes qu’ils aient dégusté. 1893 fut l’année du siècle (le XIXème). Quelques uns des très grands millésimes sont répertoriés dans le tableau de la figure 16. D • LA DEGUSTATION DU VIN JAUNE L'éthanal tout d'abord figure en bonne place parmi ses principaux constituants aromatiques. Naturellement produit au cours de la fermentation alcoolique, sa teneur peut atteindre pour le Vin jaune 600 à 700 mg/l. Le voile est à l'origine de cette très forte concentration. Le sotolon est également présent. Cette lactone a une odeur caractéristique de noix mûre lorsque sa concentration est faible, et de curry quand elle est plus élevée. L'association de l'éthanal et du sotolon contribue à la typicité caractéristique du Vin jaune. Sa robe est jaune, dorée, avec parfois des reflets verts ou bronze. Elle est brillante et limpide. Son bouquet est un feu d'artifice aromatique d'une incroyable richesse, qui entremêle la noix, la noisette, l'amande, mais aussi les fruits confits ou secs, la pomme, le céleri, la morille, le cacao, le chocolat, le café, les épices et les condiments comme le curry, le gingembre, la muscade, le poivre, le safran, ou encore le foin et le tabac, etc. Les senteurs peuvent être également à la fois florales, fumées ou torréfiées. Le Vin jaune séduit le palais par un bouquet de noix qui fait la « queue de paon » avec puissance et élégance. Sa fin de bouche a la réputation d'être la plus longue au monde, sa durée dépassant parfois une minute. E • L'ACCORD PARFAIT Il est recommandé d'ouvrir la bouteille, voire de laisser le Vin jaune libérer ses arômes dans une carafe au moins 24 heures avant de le déguster. Il convient de le servir presque chambré, entre 14 et 16°C. Au cours du repas, il notes CONFER L'ANNEXE 1 est très difficile de choisir un autre vin pour lui succéder, car même les plus grands crus risquent de paraître bien ternes après une telle explosion de sensations et une telle démonstration de puissance. Il peut être apprécié à l'apéritif, avec des dés de comté et quelques noix. En entrée, il accompagne merveilleusement le foie gras, les escargots, ou une croûte aux champignons. L'accord est ensuite parfait avec les charcuteries de la région, comme la saucisse de Morteau, les mets cuisinés avec de la crème et des morilles, les poissons (la truite, mais aussi le brochet ou le thon), les crustacés (comme l'écrevisse, la langouste ou le homard), les gibiers à plumes à l'instar de la caille, le mouton, le veau, le porc, etc. Il doit sa renommée culinaire à la célèbre recette du coq ou de la poularde au Vin jaune et aux morilles, immortalisée par de grands chefs jurassiens comme Léon Deloge, André Jeunet, et tous ceux qui nous pardonneront, espérons-le, de ne pas les avoir cités. Il peut être apprécié enfin avec un soufflé glacé aux noix ou avec un dessert au chocolat. Un célèbre pâtissier arboisien, « oenophile » averti, a composé spécialement une recette de ganache aux noix et au curry, en parfaite harmonie avec le Vin jaune. 2 � Les vins blancs floraux et typés A • LES BLANCS FLORAUX Les blancs du Jura sont vinifiés de manière classique. Lors de l'élevage, le vigneron choisit toutefois d'ouiller ou non le tonneau. Lorsque le fût est complété au fur et à mesure de l'évaporation, les vins, élaborés le plus souvent à partir du seul cépage Chardonnay, sont préservés de tout contact avec l'air, et donc de toute oxydation. Leur robe est jaune clair, brillante et limpide, avec des éclats argentés. Le nez perçoit un bouquet très floral avec des notes de fruits (se mêlent l'aubépine, le tilleul, la pêche, la poire et parfois quelques senteurs discrètes de fruits exotiques). En bouche, l'attaque est vive est puissante et le vin paraît équilibré et bien charpenté. 25 � Servis entre 8 et 10°C, les blancs floraux du Jura accompagnent harmonieusement un gratin, un poisson grillé, des queues d'écrevisses ou de langoustines, des coquilles Saint-Jacques, et bien sûr les fromages de la région. Ce vin qui se garde en moyenne de 6 à 10 ans s'apprécie à une température comprise entre 14 et 16°C. Il accompagne à merveille les viandes rouges et le gibier, un magret de canard aux griottes de Fougerolles, un filet de pigeon aux betteraves, ou encore de thon rouge. B • LES BLANCS TYPES Les vignerons peuvent décider également de ne pas ouiller les tonneaux, afin d'obtenir des blancs plus typés. Le contact avec l'air permet en effet une oxydation de ces vins élaborés à partir du Chardonnay, du Savagin, ou d'un assemblage des 2 cépages. Dans ce dernier cas, les proportions sont arrêtées par chaque producteur (la part du Savagnin oscille en général entre 10 et 40 %), et la cuvée prend souvent le nom de « Tradition ». Le caractère de ces blancs typés du Jura peut être également conforté par un vieillissement prolongé de plusieurs années dans des fûts imprégnés de levures qui ont contenu du Vin jaune. B • LE POULSARD Vinifié comme un rouge, le Poulsard est un vin à la robe rubis clair et aux nuances orangées. Il développe des arômes de fruits rouges et noirs sauvages, avec des notes épicées qui évoquent le sous-bois. Les tanins s'imposent dès l'attaque en bouche, et la complexité aromatique s'enrichit avec les années. Leur robe est d'un jaune d'or éclatant, et son intensité augmente avec les années. Ils développent des arômes de noix fraîches, de noisettes, voire de pommes vertes et d'épices douces. Le palais est séduit par un compromis rare entre finesse et typicité, et les fruits secs d'abord identifiés par le nez sont également perçus en bouche. Ces vins peuvent être appréciés jeunes, mais ils gagnent également à vieillir jusqu'à 10 voire 20 ans. Servis entre 14 et 16°C, ils peuvent être dégustés très simplement à l'apéritif, accompagnés de quelques dés de Comté. Ils sont parfaits avec la volaille et tous les plats à la crème, les crustacés, les recettes exotiques, les fondues, et tous les fromages de la région, en particulier le Morbier et le Mont d'Or. 3 � Les vins rouges et rosés Il est souvent difficile de distinguer les vins rouges des rosés. Leurs robes sont en effet très proches, en raison des cépages cultivés dans le Jura, et des techniques de vinification semblables mises en œuvre pour produire les uns et les autres. Le Pinot noir, le Poulsard et le Trousseau sont vinifiés seuls ou assemblés. A • LE PINOT NOIR Sa robe est généralement soutenue, d'un rouge rubis foncé, avec des reflets de cerise. Son bouquet mêle les senteurs de fruits rouges et noirs, allant de la framboise au cassis, en passant par la cerise, la groseille et la myrtille. L'attaque est vive en bouche, et les arômes perçus par le nez sont très présents, avec une belle densité. � 26 Une décantation dans une carafe plusieurs heures avant le repas est recommandée. Entre 12 et 14°C, le Poulsard est à bonne température pour être servi avec de la charcuterie (de la saucisse de Morteau ou une terrine de champignons au fumé du Haut-Doubs), des grillades, une quiche et de la salade, etc. Il peut se garder une dizaine d'années. C • LE TROUSSEAU Sa robe est rouge rubis intense. Les fruits rouges et noirs sauvages sont perceptibles, à l’instar de la cerise, de la fraise, de la mûre ou de la prunelle, ainsi que des senteurs d'épices, de poivre blanc et de sous-bois. Le bouquet s'intensifie avec le temps. Les tanins s'affirment dès la mise en bouche, et le palais retrouve les arômes préalablement identifiés lors de l'examen olfactif. Une bouteille de Trousseau gagne à être débouchée au moins une heure avant le repas. Une décantation en carafe n'est pas nécessaire, sauf peut-être si le vin est vieux de quelques années. Servi entre 14 et 16°C, il accompagne les grillades, un filet de bœuf aux cèpes, un dos de truite cuisiné avec une sauce au vin rouge, ou encore un fromage affiné comme la mimolette. 4 � Le Vin de paille Le Vin de paille est un vin doux liquoreux élaboré à partir des plus belles grappes de la vendange, sélectionnées avec le plus grand soin. Les appellations d'origine contrôlée « Arbois », « Côtes du Jura » et « l'Etoile » ont fixé son rendement à 20 hectolitres par hectare. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Après la récolte, le raisin est suspendu ou déposé soit sur des claies, soit sur un lit de paille (c'est à celle-ci que le précieux nectar doit son nom). Les locaux de stockage sont aérés, mais ils ne sont pas chauffés. Après une période de séchage qui doit être de 6 semaines au minimum, et dont la durée varie dans les faits de 2 à 3 mois, les fruits ont perdu une partie de leur eau par évaporation. Les baies déshydratées regorgeant de sucre sont ensuite pressurées entre Noël et la fin du mois de février. 15 à 18 litres de moût sont ainsi obtenus pour 100 kilos de raisin. Une fermentation lente et un vieillissement de 3 ans dans des petits fûts de chêne permettent enfin d'obtenir ce vin naturellement doux, qui titre entre 14,5 et 17 degrés d'alcool. On lui prêtait jadis des vertus médicinales. Il était en effet prescrit aux convalescents et aux jeunes mères, à raison généralement d'un petit verre de 5 millilitres environ avant chacun des 2 principaux repas. Sa robe est le plus souvent jaune d’or, intense, ou de la couleur du caramel blond. Elle peut être parfois acajou ou ambre, mais elle est toujours brillante et limpide. Le Vin de paille développe des arômes de fruits confits, de pruneau, de miel, de caramel, de marmelade d'orange, de prune et de coing, voire de fruits exotiques, comme l'ananas ou les dattes confites, de thé et d'épices, etc. En bouche, l'harmonie est parfaite entre l'alcool, le sucre et l'acidité. Le palais retrouve les fruits qui avaient enchanté le nez, avec une impression de richesse et de densité. Servi frais, entre 6 et 8°C, le Vin de paille est un apéritif capiteux, aromatique et subtil. Il accompagne également avec bonheur les foies gras et les desserts, en particulier ceux au chocolat. 5 � Le Macvin du Jura Ses origines remontent au moins au XIVème siècle. Il doit son nom à l'assemblage dont il est issu : deux tiers de jus de raisin non fermenté, le moût, et un tiers de marc. Les fruits des 5 cépages répertoriés dans l'appellation d'origine contrôlée « Côtes du Jura » (le Chardonnay, le Pinot noir, le Poulsard, le Trousseau et le Savagnin), peuvent être pressés pour obtenir les moûts destinés à la production de Macvin. Celui-ci peut donc être blanc, mais aussi parfois rouge, ce qui est toutefois moins fréquent. Parmi les mistelles, ou vins de liqueur, produits en France et bénéficiant d'une AOC, il est le seul élaboré à partir d'une eau de vie de raisin et non de vin, obtenue par la distillation du marc de raisin égrappé. Après le mutage25, le Macvin du Jura est élevé notes CONFER L'ANNEXE 1 pendant au moins 12 mois en fûts de chêne, et il titre entre 16 et 22°d’alcool. Sa robe est jaune d'or, parfois rouge. Elle est intense, avec des reflets brillants et limpides. Son bouquet mêle les arômes de fruits confits, d'écorces d'orange, de coing, de pruneau, de poire, de mirabelle, de marmelade, et d’épices comme la cannelle, le clou de girofle ou l’anis. Il est d'une belle complexité en bouche, et le palais retrouve les notes fruitées et confites préalablement perçues par le nez. Le Macvin du Jura s’apprécie très frais, entre 6 et 8°C, à l'apéritif, en entrée accompagné d'un melon et de jambon cru, voire d'un foie gras, ou au dessert, avec par exemple une crème brûlée, du pain d'épices, un parfait glacé à la nougatine, des raisins secs et une glace à la vanille, au caramel ou au miel. A la fin du repas, il peut être aussi un digestif très agréable. 6 � Le Crémant du Jura Dans le Jura, la production de vins effervescents remonte à la fin du XVIIIème siècle (à cette époque, les vignerons maîtrisaient déjà la méthode traditionnelle). Produit à partir des fruits des cépages Chardonnay, Pinot noir, Poulsard, Trousseau et Savagnin, le Crémant peut être par conséquent blanc ou rosé, mais aussi brut ou demi-sec. Les raisins sont vendangés à la main. Ils sont transportés dans des caisses percées, et pressurés par grappes entières. Le Crémant est ensuite élaboré par seconde fermentation en bouteille. La robe est jaune d'or. Elle est brillante et claire, avec quelques reflets argentés. Les bulles sont fines et chatoyantes. Le bouquet est très floral : des senteurs d'aubépine et de fleur de sureau sont perçues par l'odorat. Au nez et en bouche, s'expriment également des arômes de pomme, de prune, de noisette, de brioche et de biscuit parfois toasté. L'attaque est immédiate grâce aux fines bulles qui éclatent au contact de la langue et du palais. Le crémant se déguste frais, autour de 8°C, à l'apéritif ou au dessert. 27 � C � Les appellations d’origine contrôlée 26 Figure 17 – Carte des AOC du Jura. � 28 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? 1 � Définition 2 � L'AOC « Arbois » L'appellation d'origine contrôlée (AOC) a un double objectif. Elle permet en effet de garantir aux consommateurs la qualité de ce qu'ils consomment, et elle protège les producteurs contre toute falsification éventuelle. Selon l'Institut National des Appellations d'Origine (INAO) « la mention AOC identifie un produit agricole, brut ou transformé, qui tire son authenticité et sa typicité de son origine géographique ». Elle consacre par conséquent un lien exclusif entre le produit et son terroir. Pour les vins, des règles très strictes concernant la culture de la vigne, les vendanges et la vinification sont ainsi imposées. 90% de la surface viticole jurassienne produisent aujourd'hui des vins d'appellation. « Constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ». Article L.115-1 du Code de la Consommation. Figure 18 – AOC « Arbois » : le terroir (photo J-L Gomez, 08.05.2009). « Les produits agricoles, forestiers ou alimentaires, bruts ou transformés, peuvent se voir reconnaître exclusivement une appellation d’origine contrôlée. Dans les conditions prévues ci-après, ces produits peuvent bénéficier d’une appellation d’origine contrôlée s’ils répondent aux dispositions de l’article L.115-1 du Code de la Consommation, possèdent une notoriété dûment établie et font l’objet de procédures d’agrément. L’appellation d’origine contrôlée ne peut jamais être considérée comme présentant un caractère générique et tomber dans le domaine public. Figure 19 – Les communes concernées par l'AOC « Arbois ». Après avis des syndicats de défense intéressés et, le cas échéant, de l’organisme de défense et de gestion visé à l’article L. 641-25, l’Institut National des Appellations d’Origine propose la reconnaissance des appellations d’origine contrôlée, laquelle comporte la délimitation de l’aire géographique et la détermination des conditions de production et d’agrément de chacune de ces appellations d’origine contrôlée ». Article L. 641-2 du Code Rural. Instaurée par un décret du 15 mai 1936, elle est l'appellation d'origine contrôlée la plus ancienne de France (dans l'ordre alphabétique des AOC instaurées en 1936). Elle concerne 12 communes, et elle s'étend sur 843 hectares. Abergement-le-Grand Montigny-les-Arsures Arbois Les Planches-près-Arbois Les Arsures Pupillin Mathenay Saint-Cyr-Montmalin Mesnay Vadans Molamboz Vilette-les-Arbois Sources : décret du 15 mai 1936 et « Vins du Jura. Histoire, terroirs et cépages », Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ), Arbois (39), conception et réalisation Agence Dartagnan (Besançon), janvier 2004, page 11. L'appellation d'origine contrôlée « Arbois » est également aujourd'hui la première du Jura par son volume de production, de l'ordre de 45 000 hectolitres par an. Les 5 cépages dont la culture est autorisée peuvent prétendre à cette AOC, dont bénéficie 70 % des vins rouges jurassiens et 30 % des blancs. L'appellation d'origine contrôlée (AOC) permet de garantir aux consommateurs la qualité de ce qu'ils consomment et protège les producteurs contre toute falsification éventuelle. notes CONFER L'ANNEXE 1 29 � 3 � L'AOC « Château-Chalon » Figure 20 – AOC « Château-Chalon » : le terroir (photo R Michaud, 17.08.2009). Le Vin jaune de Château-Chalon peut être considéré comme le grand cru du Jura. Sa notoriété remonte au Moyen Age. A la période moderne, Henri IV en aurait fait servir deux bouteilles pour célébrer le traité qu’il signa avec le duc de Mayenne. Plus près de nous, Talleyrand aurait rendu hommage à ce fleuron de la production jurassienne en déclarant : « avant de boire un tel vin, on le regarde, on le respire longuement, puis on le goûte ». Au XIXème siècle, Napoléon III, reçu par le prince de Metternich, aurait affirmé que le Johannisberg que celui-ci lui avait fait servir était « le premier vin du monde ». Son hôte lui aurait fait la réponse suivante : « sire, le premier vin du monde n’est pas le Johannisberg ; mais il se récolte dans un petit canton de votre empire : à Château-Chalon ! ». Il se dit enfin que le tsar Nicolas II l’appréciait particulièrement, et que la reine Juliana de Hollande en aurait dégusté à l’occasion de son couronnement. Le 14 mai 1933 fut créé le syndicat des producteurs de Château-Chalon, à l’origine du décret du 31 mai 1936 instaurant l’appellation d’origine contrôlée. Cette dernière est exclusivement attribuée au Vin jaune produit dans les limites d’une aire qui, depuis le remembrement de 1984, couvre moins de 90 hectares. Celle-ci s’étend sur le territoire de quatre communes : Château-Chalon, Domblans, Menétru-le-Vignoble et Nevy-sur-Seille. � 30 Figure 21 – Les communes et les superficies concernées par l'AOC « Château-Chalon ». Communes Superficies Château-Chalon 19 ha 64 a 88 ca Domblans 21 ha 98 a 42 ca Menétru-le-Vignoble 42 ha 66 a 57 ca Nevy-sur-Seille 05 ha 21 a 06 ca TOTAL 89 ha 50 a 93 ca Sources : de BRISIS (Eric, Christian, Bruno et Hubert), BRUNIAUX (Frédérique et Philippe), PRIMOT (Damien), « Jura. Château-Chalon, prestige des vins jaunes » (« Les parchemins du Vin jaune »), imprimerie Snilas à Salins-les-Bains, 1996, et « Château-Chalon. Prestige des Vins Jaunes », Syndicat des producteurs de Château-Chalon (Voiteur), Imprimerie Bernard Mourier (Lons-le-Saunier). Pour les vignerons concernés, il ne suffit pas d’une part de cultiver du Savagnin dans les limites de l’aire géographique de l’appellation d’origine contrôlée et d’autre part de produire du Vin jaune pour bénéficier automatiquement de l’AOC. Dès 1952 (1958 selon une autre source), une commission a été constituée en effet sous la haute autorité de l’INAO. Elle est composée de représentants du laboratoire départemental d’analyses agricoles de Poligny, de la profession et du négoce, de la Chambre d’Agriculture, de la Société de Viticulture, ainsi que des Directions Départementales de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DDCCRF), et de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF). Depuis le 1er janvier 2009, cette dernière a changé de dénomination, car elle a fusionné avec celle de l’Equipement, pour donner naissance à la Direction Départementale de l’Equipement et de l’Agriculture (DDEA). Cette commission visite chaque année les vignes susceptibles de bénéficier de l’AOC. Elle constate la présence exclusive de Savagnin, elle évalue l’état sanitaire de la parcelle ainsi que le rendement approximatif à l’hectare. Elle octroie le bénéfice de l’appellation si le degré alcoolique minimum requis de 12° est atteint, et elle arrête la date d’ouverture du « ban des vendanges ». Si elle estime que la qualité de la récolte sera insuffisante, la commission peut prononcer un déclassement de celle-ci soit total (ce fut le cas en 1974, 1980, 1984 et 2001), soit partiel (par exemple en 1993). Elle peut enfin arrêter des sanctions individuelles à l’encontre d’un vigneron, notamment s’il n’entretient pas correctement ses vignes. L’INAO envisage depuis 2002 d’étendre cette pratique à l’ensemble des AOC de France, afin de renforcer encore la qualité et la réputation des produits français. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Depuis 1997, les viticulteurs concernés ont enfin décidé d’ajouter à ce contrôle très sévère au moment de la récolte, une dégustation d’agrément en fin d’élevage, avant la mise en bouteille dans des Clavelins qui se distinguent par la présence d’un sceau à la base du col, où figure le nom de l’AOC « Château-Chalon ». L’AOC « L’Etoile » autorise trois cépages, le Chardonnay, le Savagnin, mais aussi le Poulsard pour l’élaboration du Vin de paille. 4 � L'AOC « Côtes du Jura » Figure 23 – AOC « L’Etoile » : le terroir (photo R Michaud, 07.06.2009). Figure 22 – AOC « Côtes du Jura » - Maynal : le terroir (photo R Michaud 27.06.2009). Née d’un décret du 31 juillet 1937, l’AOC « Côtes du Jura » est la plus étendue des appellations jurassiennes, et elle est riche par conséquent de très nombreux terroirs différents. Elle s’étend en effet du nord au sud du vignoble. Les communes concernées qui n’étaient qu’une soixantaine à l’origine sont aujourd’hui au nombre de 105. Celles dont les superficies plantées en vignes sont les plus vastes sont Arlay, Beaufort, Buvilly, Gevingey, Lavigny, Mantry, Passenans, Poligny, Rotalier, Saint-Lothain, Toulouse-le-Château, Le Vernois, Vincelles et Voiteur. L’AOC « Côtes du Jura » est la deuxième appellation jurassienne pour le volume de sa production (essentiellement des blancs et du Crémant). 5 � L'AOC « L’Etoile » Egalement née d’un décret du 31 juillet 1937 comme celle des « Côtes du Jura », l’appellation d’origine contrôlée « L’Etoile » concerne quatre communes : L’Etoile, Plainoiseau, Quintigny et Saint-Didier. Elle doit sa dénomination au village du même nom. Celui-ci a été appelé ainsi peut-être parce qu’il est entouré de cinq collines formant les branches d’une étoile, ou encore parce que la forme de cette dernière est aussi celle de fossiles que recèle ce terroir. Au printemps, après les pluies, il est en effet assez fréquent de trouver sur le sol des communes concernées, notamment dans les vignes, des encrines, derniers vestiges d’une espèce de lis de mer qui était abondante au Trias. notes CONFER L'ANNEXE 1 6 � L'AOC « Macvin du Jura » Instaurée par un décret du 14 novembre 1991, l’AOC « Macvin du Jura » couvre l’ensemble des aires des appellations d’origine contrôlée des vins du Jura. Elle représente 3% de la production totale des AOC jurassiennes. Il a déjà été rappelé que les cinq cépages autorisés peuvent être pressés pour obtenir les moûts nécessaires à l’élaboration du Macvin, qui est par conséquent rouge ou blanc, mais aussi parfois rosé (1er article du décret de 1991). Issue de la distillation du Marc du Jura, l’eau de vie doit séjourner au moins 18 mois en fûts de chêne avant d’être utilisée pour produire ce vin de liqueur. Celui-ci doit être élevé au minimum 12 mois dans des tonneaux également en chêne, et l’obtention de l’AOC est subordonnée enfin à un pourcentage d’alcool compris entre 16 et 22°. 7 � L'AOC « Crémant du Jura » L’AOC « Crémant du Jura » est la plus récente, car elle a été créée par un décret du 9 octobre 1995. L’aire d’appellation se confond avec celles des Côtes du Jura, d’Arbois, de ChâteauChalon et de l’Etoile. Les grappes doivent être transportées dans des caisses percées et pressurées entières. Les cinq cépages jurassiens peuvent être utilisés pour élaborer ce vin effervescent, qui représente aujourd’hui environ 16% de la production totale des AOC locales, soit 15 000 hectolitres en moyenne par an, issus de vignes couvrant approximativement 210 hectares. La cuvée doit être composée de 50% de Chardonnay pour le Crémant blanc, produit dans plus de 90% des exploitations concernées, et pour moitié de Poulsard ou de Pinot noir pour le Crémant rosé. 31 � III · Les viticulteurs et leurs exploitations 27 � 32 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? A � Les sources Les déclarations de récoltes Chaque année, les producteurs doivent déclarer leur récolte à la Direction des Douanes et des Droits Indirects. Pour rédiger son remarquable ouvrage dédié au vignoble du Jura, Sylvaine Boulanger a obtenu l’autorisation d’exploiter ces documents collectés entre 1990 et 2000 (ils constituent la seule source exhaustive permettant de connaître de manière assez précise les vignerons jurassiens et leurs exploitations). En raison des délais impartis pour la rédaction de ce mémoire, il n’a malheureusement pas été possible de mettre à jour ce travail grâce aux données concernant la période 2000–2009. Rédigé à partir du livre précité, ce chapitre est toutefois très certainement toujours d’actualité, car les évolutions identifiées sont très faibles, et le contexte, par conséquent plutôt stable, n’a pas dû beaucoup changer ces dernières années. Les déclarations recueillies par l’administration livrent de précieuses informations sur le volume de la récolte, la part vendue à un négociant ou livrée à une fruitière, mais aussi sur la superficie exploitée, le mode de faire-valoir, l’âge du déclarant, etc. B � Les exploitations 1 � Approche quantitative Entre 1990 et 2000, le nombre des déclarations de récoltes transmises chaque année à la Direction des Douanes était compris entre 1 800 et 2 300, et le vignoble jurassien comptait par conséquent à cette époque environ 2 000 exploitations. De l’ordre de 0,93 ha en 1995-1996, leur superficie moyenne était supérieure par exemple à celle enregistrée pour la Savoie (0,6 ha). 1 801 exploitations ont été dénombrées en 1997. Elles étaient d’abord localisées au nord du Revermont, à Arbois (232), Montigny-les-Arsures (74), Poligny (57), Pupillin (56),… Un peu moins nombreuses dans la partie centrale du vignoble (54 à Voiteur, 49 à L’Etoile, 41 à Nevy-sur-Seille, etc.), elles étaient sensiblement plus rares au sud. notes CONFER L'ANNEXE 1 2 � Les exploitations familiales La totalité de leur production est destinée à l’autoconsommation. Les déclarants ne vivent donc pas de leur vigne. Ils sont retraités, ou travaillent dans le secteur secondaire ou tertiaire (ils sont artisans, fonctionnaires, par exemple enseignants,…). Il serait intéressant de disposer à leur sujet d'une étude récente qui préciserait en particulier la superficie totale qu'ils cultivent et le volume de leur production. Il conviendrait également de mieux connaître leurs pratiques culturales, la formation viti-vinicole initiale ou continue qu'ils ont éventuellement suivie, etc. Sur les 1 801 exploitations recensées en 1997, celles qui avaient un caractère familial étaient un peu plus d’un millier (56%). Elles étaient proportionnellement plus nombreuses au centre et au sud du vignoble. 3 � Les exploitations « commercialisantes » Les exploitations qualifiées de « commercialisantes » par Sylvaine Boulanger génèrent un revenu, et elles permettent aux viticulteurs concernés de vivre totalement ou partiellement de leur activité. Elles étaient au nombre de 781 sur les 1 801 dénombrées en 1997, et elles représentaient par conséquent 44% de ce total. Très présentes au nord du Revermont, dans le secteur d’Arbois, les exploitations « commercialisantes » sont moins nombreuses au centre du vignoble (à Poligny, Menétru, Château-Chalon, etc.), et encore plus rares au sud de celui-ci. Figure 24 – La superficie des exploitations « commercialisantes » en 1997. Superficie Moins de 2 ha % ou nombre 75,4% d'exploitations Entre 2 et 9,9 ha Entre 10 et Supérieure 49,9 ha à 50 ha 22% 18 exploitations 2 exploitations Source : BOULANGER (Sylvaine), « Le vignoble du Jura », Presses Universitaires de Bordeaux, collection « Grappes et Millésimes », Pessac, 2004, page 232. Les vignerons « commercialisants » qui récoltent et vinifient la totalité de leur production étaient moins de 300 en 1997, et les superficies de leurs exploitations variaient entre 3 ha pour les plus petites et 250 ha pour la plus vaste, celle de la société Henri Maire. 33 � Entre 4 et 5 ha de vignes sont en principe nécessaires dans le Jura pour permettre à un viticulteur de vivre exclusivement de son travail. D’après les statistiques de 1997 qui n’ont pas dû sensiblement évoluer depuis, 80% des exploitations dites « commercialisantes » sont donc exploités par des producteurs qui sont des doubles-actifs, ou dont le conjoint travaille ailleurs pour permettre au ménage de subvenir à ses besoins. En règle générale, ils livrent leur récolte à une fruitière ou ils la vendent à un négociant. C � Les fruitières et les négociants 1 � Les fruitières de celle où se trouve le siège de la fruitière. 4 grandes catégories de « sociétaires » peuvent être identifiées : • des vignerons qui exploitent généralement plus de 5 ha de vignes et qui vivent exclusivement de leur travail ; • des agriculteurs-viticulteurs ; • des doubles-actifs et des retraités ; • des bailleurs à fruits qui ont perçu une partie de la vendange de leurs métayers. 2 � Les négociants En 1997-1998, le marché comptait 3 acheteurs importants. Il s’agissait de la société « Henri Maire » à Arbois, de « la Compagnie des grands vins » à Crançot et du « Cellier des Tiercelines » à Montigny-les-Arsures. Les principaux fournisseurs des négociants sont soit des producteurs qui cèdent une partie de leur récolte parce qu’ils ne peuvent pas la vinifier et la stocker en totalité, soit des viticulteurs doubles-actifs ou retraités. Ces derniers n’exploitent le plus souvent que quelques ares de vignes seulement, et ils vendent l’intégralité du produit de leurs vendanges. Un contrat garantit aux uns et aux autres une rémunération un peu plus importante que celle consentie aux vignerons qui vendent occasionnellement une partie de leur récolte lorsqu’elle est trop abondante, afin d’éviter de perdre ce surplus. D � Le foncier Figure 25 – La fruitière vinicole d’Arbois (photo J-L Gomez, 08.05.2009). En 1997, 184 des 781 exploitations dites « commercialisantes » recensées adhéraient à l’une des 4 fruitières. La première a été créée à Arbois en 1906. Elle est celle qui compte le plus de « sociétaires », les autres étant, par ordre décroissant, Voiteur, Pupillin et Le Vernois. Chaque adhérent verse un droit d’entrée, achète une part sociale, et livre l’intégralité de sa récolte à la cave coopérative, à l’exception des raisins destinés le cas échéant à son autoconsommation. Le vin est élaboré en commun. Lorsqu’il est vendu, chaque viticulteur concerné perçoit une rémunération proportionnelle à la récolte qu’il a livrée. Les adhérents appartiennent à toutes les tranches d’âges, et ils sont le plus souvent installés dans les communes limitrophes � 34 1 � Des modes de faire-valoir combinés Figure 26 – Les modes de faire-valoir des exploitations viticoles jurassiennes en 1997. Exploitants exclusivement propriétaires 75% Exploitants propriétaires et fermiers ou métayers, ou les trois à la fois 16% Exploitants exclusivement fermiers ou métayers, ou les deux à la fois 9% TOTAL 100% Source : BOULANGER (Sylvaine), « Le vignoble du Jura », Presses Universitaires de Bordeaux, collection « Grappes et Millésimes », Pessac, 2004, pages 238 et 239. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Le métayer verse au propriétaire du terrain une partie de la récolte : la moitié de celle-ci jusqu’au XXème siècle (métayage à mi-fruits), le tiers en règle générale aujourd’hui. Le fermier paie quant à lui un loyer dont le montant, précisé dans le cadre d’un bail, est fixe (il n’est pas indexé sur les revenus de l’exploitation). travail reste à faire, et le chapitre qui leur est dédié dans ce document a été rédigé à partir d'une part des informations disponibles dans la documentation consultée, notamment dans l'ouvrage de Sylvaine Boulanger, et d'autre part des interviews réalisées. La durée des baux varie entre 3 et 99 ans. Ils sont écrits pour la plupart, mais quelques uns sont oraux. 1 � Une population très diverse 2 � Les droits de plantation et les transactions Une étude sociologique qui leur serait consacrée démontrerait très probablement que les viticulteurs jurassiens forment une communauté très diverse, en particulier si les exploitations familiales sont également prises en compte. Ils appartiennent sans doute à toutes les tranches d'âges. Les jeunes qui s'installent (vraisemblablement en moyenne 1 ou 2 par an seulement selon Cécile Claveirole, directrice du CIVJ, interrogée à ce sujet le 5 juin 2009), ne sont pas toujours suffisamment nombreux pour assurer la reprise des exploitations dont les producteurs cessent leur activité. Chaque viticulteur qui souhaite planter une vigne bénéficiant d'une AOC, doit préalablement obtenir une autorisation. Entre 1987 et 1997, les droits octroyés pour l'ensemble du vignoble jurassien autorisaient la plantation de 260 ha seulement. Dans son ouvrage, Sylvaine Boulanger a également mis en évidence que le nombre des transactions effectuées chaque année était faible. Elles sont plus fréquentes au nord et au centre du vignoble, et elles concernent des superficies très modestes (60 ares en moyenne). Les écarts constatés entre les prix les plus bas et les plus élevés peuvent être importants. Ils dépendent essentiellement de l'AOC dont bénéficient les parcelles concernées. Le coût du foncier peut fragiliser les domaines les plus vastes. Quelques uns de leurs propriétaires, bientôt à la retraite, ne trouvent pour le moment personne pour reprendre leurs exploitations car elles sont trop chères pour être achetées par des jeunes qui débutent. Elles intéresseront peut-être des investisseurs étrangers, mais avec tous les risques que cela présente. Si d'éventuels acquéreurs de ce type estimaient que l'affaire n'était pas suffisamment rentable, ils pourraient en effet décider du jour au lendemain de cesser toute activité, comme cela s'est déjà produit dans certains vignobles en France et sans doute également à l’étranger. Ce même travail mettrait très certainement en évidence des revenus comparables à ceux de l'ensemble de la population. Certains, notamment parmi ceux qui ne ménagent pas leurs efforts depuis 35 ou 40 ans, vivent confortablement. D'autres connaissent des conditions plus précaires. Un jeune qui débute doit attendre un peu plus de 6 ans avant de vendre sa première bouteille de Vin jaune. Lorsque le vignoble est frappé par les aléas climatiques, il est ainsi plus vulnérable que ses confrères installés depuis plusieurs décennies déjà. Enfin, lorsque la superficie de leur exploitation est inférieure à 4 ou 5 ha, nous savons que les vignerons ont en principe un revenu insuffisant qui ne leur permet pas de vivre uniquement de leur activité. Ils sont généralement des doubles-actifs, et leur conjoint respectif est souvent obligé de travailler ailleurs afin de compléter les ressources du ménage par l'apport d'un salaire fixe et régulier. E � Les viticulteurs 2 � La formation initiale et continue des viticulteurs Les délais impartis pour la rédaction de ce mémoire n'ont malheureusement pas permis de procéder à des recherches approfondies qui auraient permis de mieux connaître les viticulteurs jurassiens : le pourcentage d'hommes et de femmes exerçant la profession, les études qu'ils ont suivies, leur répartition par tranches d'âges, leurs revenus, etc. Ce D'après Michel Lapointe, responsable technique à L'Association Départementale de Formation et de Perfectionnement en Agriculture (ADFPA), les jeunes viticulteurs qui s'installent aujourd'hui ont fait pour la plupart 4 ou 5 années d'études après le baccalauréat. Ils ont souvent effectué des stages à l'étranger au cours de leur notes CONFER L'ANNEXE 1 35 � formation (en Afrique du Sud, en Espagne, en Californie, en Nouvelle-Zélande,...). Ils font preuve généralement d'une bonne ouverture d'esprit. certaines les valeurs comme l'entraide à l'origine de leur création qui remonte souvent au Moyen Âge. A l'occasion de fêtes généralement annuelles, elles animent également les communes concernées. Dans le Jura, la formation continue n'est pas organisée de manière centralisée. Elle est assurée par divers organismes comme le lycée agricole de Montmorot ou l'ADFPA déjà citée. Cette association qui dépend de la Chambre d'Agriculture propose depuis une quinzaine d'années déjà des stages concernant les viticultures raisonnée et biologique, la biodynamie, la lutte intégrée contre les ravageurs et les maladies, etc. Le coût de ces formations peut varier entre une trentaine et une centaine d'euros, en fonction notamment de leur durée. 3 � L'organisation de la filière Figure 28 – Château-Chalon : la confrérie « saint Vernier » (photo R Michaud, 14.05.2006). La Société de Viticulture tout d'abord est un syndicat créé dans les dernières années du XIXème siècle afin de défendre la qualité des vins du Jura, et aujourd'hui leurs AOC. Elle est à l'origine de la création du Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ), qui regroupe des représentants des exploitants et des négociants, et dont la mission est d'assurer la promotion des produits du vignoble. Annexés à ce mémoire, les comptes-rendus des interviews d'Alain Baud, président de la Société de Viticulture, et de Cécile Claveirole, directrice du CIVJ, permettent d'en savoir un peu plus au sujet de ces 2 structures. certaines les valeurs comme l'entraide à l'origine de leur création qui remonte souvent au Moyen Age. A l'occasion de fêtes généralement annuelles, elles animent également les communes concernées. D'autres associations contribuent à la promotion des produits locaux. C'est par exemple le cas de celle des Ambassadeurs des Vins Jaunes qui supervise l'organisation de la Percée (il s'agit d'une grande manifestation dédiée chaque année à ce fleuron de la production jurassienne), de la Commanderie des Nobles Vins et Gruyères de Comté, etc. De nombreuses confréries, par exemple celle dénommée « saint Vernier » à Château-Chalon, perpétuent encore pour Figure 27 – Les formations proposées par l'ADFPA en 2008-2009. Formations proposées par l’ADFPA en 2008-2009 Durées Tarifs Analyser mes coûts de production en viticulture 3 jours Non précisé Préparer son projet en agrobio 3 jours 49 € Aménager mon caveau de vente 1 jour 30 € Evaluer les vins pour les commissions d’agrément 2 jours Non précisé Maîtriser la mise en bouteille de mes vins 1 jour Non précisé Enregistrer mes pratiques en viticulture (registre de cave) 1 jour Non précisé Perfectionnement à la dégustation d’agrément (les défauts) 1 jour 45 € Analyse sensorielle des baies de raisins 1 jour Non précisé Se perfectionner en viticulture biodynamique 3 jours Non précisé Vendre mes vins à l’export 3 jours Non précisé Source : Association Départementale de Formation et de Perfectionnement en Agriculture (ADFPA). � 36 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Figure 29 – Les Ambassadeurs des Vins Jaunes (photo Studio Lyet, prêt CIVJ). En 1997, un peu plus d'un millier des 1 801 exploitations recensées avaient un caractère familial. Figure 30 – La Commanderie des Nobles Vins et Gruyères de Comté (photo CIVJ, 05.02.2006). Enfin, de nombreux autres organismes participent également à la structuration de la filière : le laboratoire départemental d'analyses agricoles de Poligny, le lycée agricole de Montmorot qui dispose d'une exploitation viti-vinicole de 5 ha de vignes bénéficiant d'une AOC, l'Institut Franc-Comtois des Vins et du Goût,... Lorsque la superficie de leur exploitation est inférieure à 4 ou 5 ha, les vignerons ont en principe un revenu insuffisant qui ne leur permet pas de vivre uniquement de leur activité. Ils sont généralement doubles-actifs. notes CONFER L'ANNEXE 1 37 � IV · Les pratiques - travaux de la vigne et du vin, commercialisation et consommation � 38 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? A � La culture de la vigne Les travaux de la vigne s’inscrivent dans un cycle qui se répète chaque année. Au printemps, le sol est labouré et éventuellement fertilisé. Les vignerons lient les baguettes taillées aux échalas28, ou aux fils de fer du palissage29 collectif qui est d’un usage plus courant dans le Jura. Les nouveaux ceps sont plantés et la vigne est traitée avant la floraison. Durant l’été et l’automne, le sol est à nouveau labouré. Les branches sont relevées et effeuillées pour que les fruits bénéficient d’une meilleure exposition au soleil. La vigne est également éclaircie afin d’éliminer les grappes excédentaires. Les branches sont rognées30 pour accroître la vigueur de la plante, mais aussi et surtout pour aérer la végétation. Les traitements se poursuivent jusqu’en août si c’est nécessaire, et les mois de septembre, d’octobre voire de novembre sont bien sûr consacrés aux vendanges. A la fin de l’automne et pendant l’hiver les ceps sont taillés31 et buttés32, et le sol est travaillé. 1 � La préparation des sols et la lutte contre l’érosion A • LES TERRASSES vigne, et donc pour une production de qualité. A ChâteauChalon par exemple, les vignerons ont dû par conséquent aménager des terrasses, afin de créer des replats plus faciles à travailler que les pentes naturelles, parfois de l’ordre de 45°. Les murs de soutènement étaient érigés avec les pierres extraites du sol, qui servaient également à construire les « murgers » séparant les parcelles, ainsi que les cabanes. Ces aménagements permettaient de limiter l’érosion, qui était en outre mieux maîtrisée grâce à un réseau de fossés. Ils étaient creusés dans le sens de la pente, à l’emplacement des thalwegs le long desquels s’écoulent les eaux. Ils étaient remplis et recouverts de grandes pierres plates, et ensuite de terre. Des ceps étaient enfin plantés au-dessus de ces ouvrages. Des fagots de sarments étaient parfois enterrés le long des parcelles, dans la partie basse de celles-ci. Ils dépassaient légèrement du sol afin de retenir la terre entraînée par la pluie. A cet ensemble de mesures destinées à enrayer l’érosion, s’ajoutait l’apport de matériaux prélevés dans des carrières locales, par exemple des marnes, des argiles schisteuses, etc. Dans certains secteurs du vignoble comme à ChâteauChalon, les nouvelles pratiques viticoles se sont traduites par des aménagements fonciers caractérisés notamment par la création de larges chemins en béton permettant la circulation des engins. De nouvelles terrasses soutenues par des enrochements ont été également créées à ChâteauChalon à l'occasion du dernier remembrement. B • LE DEFONÇAGE33 Une fois aménagé, le sol fait parfois encore aujourd'hui l’objet d’un défonçage, c’est-à-dire qu’il est labouré sur une profondeur de 60 à 80 centimètres, afin de le rendre plus fertile en retournant et en enfouissant sa couche superficielle. Cette pratique permet également d’enlever les pierres, mais aussi les racines susceptibles d’entraver le développement des nouveaux plants, et de favoriser leur contamination par des maladies virales comme le courtnoué34, ou cryptogamiques35 : le pourridié des racines36, etc. Figure 31 – Terrasses à Château-Chalon (photo R Michaud, 13.12.2008). Là où les sols sont propices à la viticulture, les versants les plus favorables également hérités de la géologie n’ont pas toujours le profil idéal pour la culture de la notes CONFER L'ANNEXE 1 Ce labour profond était effectué en Franche-Comté avec des outils spécifiques comparables à des bêches ou à des houes qui, presque partout, ont cédé progressivement la place à des charrues à défoncer tirées par un treuil ou par un tracteur, et à des pelles mécaniques. Les vignerons sont toutefois de plus en plus nombreux de nos jours à préférer au défonçage un travail des sols un peu plus superficiel. 39 � 2 � La conduite de la vigne 37 Contrairement à la vigne sauvage, celle qui est cultivée est conduite. Son implantation est en effet organisée et son développement est maîtrisé par les viticulteurs. A • LES PLANTATIONS, LEUR DENSITE ET LEUR ORIENTATION GENERALE Le défonçage du sol avant la plantation n’est devenu quasisystématique qu’à partir de 1860. Avant cette date, il était fréquent de creuser, en règle générale tous les 2 mètres, des fossés dont la largeur et la profondeur variaient entre 50 et 60 centimètres. Dans la tranchée, à l’angle de chacun de ses deux côtés, les vignerons plantaient ensuite soit une bouture, soit un plant enraciné. Au fur et à mesure que les ceps se développaient, la terre prélevée lors du creusement des fossés était utilisée pour leur comblement progressif. Au bout de 3 ou 4 ans, un premier marcottage38 (provignage) était effectué (un sarment était recourbé et enfoui dans le sol, et le rejet donnait naissance à un nouveau plant). Avant le phylloxéra, la vigne était plantée « en foule », et aucun ordonnancement particulier ne s’imposait véritablement, ce qui n’est plus le cas de nos jours. La densité imposée par les AOC est plutôt moyenne. De l’ordre de 6 000 à 7 000 pieds à l’hectare, elle est inférieure à celles d’autres vignobles septentrionaux. Elle permet par conséquent aujourd’hui presque partout d’espacer d’1,5 mètre les rangs, le plus souvent orientés nord-est / sudouest suivant la pente, afin de bénéficier de l’ensoleillement le plus favorable. L’écartement moyen entre les souches est quant à lui de l’ordre d’1,1 mètre. Ailleurs, l’implantation est identique, mais une bande enherbée de 3 mètres de large est conservée soit tous les 5 rangs, soit entre chaque ligne. Cette dernière pratique peut être observée presque exclusivement dans les exploitations de la société Henri Maire, dans les environs d’Arbois. B • LE PALISSAGE La vigne est pourvue de vrilles, qui lui permettent de s’accrocher à tout ce qui se trouve à proximité, afin de chercher l’air et le soleil, et de soutenir le poids de ses rameaux et de ses fruits. Il s’agit par conséquent de procurer aux ceps, de manière artificielle, les appuis dont ils sont privés par la taille, et par l’absence notamment de la végétation arbustive ou ligneuse qui pourrait leur servir de support, comme c’est le cas lorsqu’ils sont à l’état sauvage. � 40 Jusqu’au XIXème siècle, la vigne était le plus souvent liée à des tuteurs verticaux (échalas). Dans le Jura, des liens d’osiers ou « avans » sont encore parfois utilisés, comme jadis, pour l’attacher à des fils de fer tendus sur deux ou trois niveaux entre des piquets en bois ou métalliques. C • LA TAILLE La vigne est une liane qui doit être palissée, mais aussi taillée, afin de discipliner et d’équilibrer la production de bois et de fruits. Effectuée de manière idéale au mois de mars pour prévenir les gelées printanières, la taille est toutefois généralement réalisée plus tôt par les vignerons. Il s'agit d'une opération essentielle qui conditionne à la fois la quantité de la récolte, sa qualité, et la pérennité de la vigne. Elle implique de connaître parfaitement les cépages qui sont cultivés, l’âge et la vigueur du cep, dont la vitalité dépend également en partie de la nature et de la fertilité du sol. Cette connaissance de chaque plant se traduit par des relations quasi-affectives qui unissent le vigneron à sa vigne. La serpe à tailler est encore de nos jours un outil emblématique de la profession, même si elle a été remplacée, depuis le XIXème siècle, par le sécateur et par la scie égoïne, utilisée pour couper les bois morts. La taille est aujourd’hui réglementée par les décrets concernant les appellations d’origine contrôlée. Celle pratiquée dans le Jura est dite « en Guyot », « double ou simple », ou « en courgée ». Un ou deux longs sarments sont ainsi en principe conservés. 3 � Les labours Ils sont souvent réalisés au moyen de griffes ou de herses horizontales. Leur fréquence dépend notamment de la nature du sol et des conditions climatiques. En FrancheComté, la tradition est en règle générale de labourer les vignes à 3 reprises durant l’année. Une première fois au printemps tout d’abord, afin de favoriser l’entrée en végétation en brisant la croûte formée pendant l’hiver. De juin à août et en principe toujours avant la floraison, les 2 labours suivants sont plus superficiels que le premier. Ils aèrent le sol et le débarrassent des plantes adventices39. Celui-ci peut être enfin travaillé une 4ème et dernière fois à la fin du mois d’août. Il s’agit alors plus particulièrement de favoriser la maturation des raisins, mais aussi le bon aoûtement des rameaux permettant aux plants d’emmagasiner les réserves qui lui sont nécessaires afin de mieux résister aux gelées hivernales. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Les labours sont peut-être moins fréquents aujourd'hui qu'autrefois, de nombreux vignerons préférant simplement « griffer » le sol en avril ou en mai, à 4 ou 5 reprises ensuite durant l'été, et une dernière fois avant l'hiver. fruits) est affectée, ce qui réduit les rendements. L’oïdium qui se propage très rapidement lorsque les températures sont comprises entre 20 et 25°C, fut lui aussi un véritable fléau en 1999. A la fin du XIXème siècle, la vigne était encore le plus souvent labourée au moyen d’une houe. Cette pratique perdura parfois jusqu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, même si le recours à une charrue tractée par un bœuf ou par un cheval s’imposa progressivement après la reconstitution du vignoble rendue nécessaire par la crise du phylloxéra. Les animaux furent ensuite peu à peu remplacés par des engins agricoles. A partir des années 70, l’utilisation quasi-systématique de désherbants chimiques compléta le nettoyage du sol obtenu grâce aux labours. D’autres maladies cryptogamiques sont également observées localement. Connue depuis l’Antiquité, l’excoriose est due à un champignon dénommé Phonopsis viticola qui passe l’hiver dans l’écorce de la plante. Durant la période de repos hivernal, des taches brunes ou noires apparaissent sur les feuilles ou sur les pétioles41. Les spores germent ensuite dès que la température atteint 8°C et que l’humidité ambiante est importante, ce qui est le cas dans le Jura lorsque les printemps sont frais et pluvieux. Aucun cépage ne résiste à l’excoriose, mais le Chardonnay et le Poulsard sont plus vulnérables que les autres. 4 � Les maladies de la vigne et leur traitement La pourriture grise se développe lorsque le temps est doux et humide. Elle se manifeste sur les organes herbacés de la vigne. Sa forme qualifiée de pédonculaire provoque le flétrissement des pédoncules42 et des rafles43 des grappes, et souvent leur chute avant la récolte. La pourriture grise proprement dite affecte les grains de raisin entre la nouaison et la maturité. Ils deviennent d’abord gris et ils brunissent ensuite avant de pourrir. 40 Les printemps sont souvent pluvieux dans le Jura, et cette humidité favorise le développement des maladies cryptogamiques de la vigne. Importé d’Amérique du Nord, le mildiou tout d’abord a été observé en France pour la première fois en 1878. La partie supérieure des feuilles infectées par le champignon Plasmopara viticola se couvre de taches translucides dites « d’huile ». Des plaques blanches qui ont l’aspect du coton se développent sur la face inférieure. La maladie leur doit son nom, qui vient de l’anglais « downy mildew », c’est-à-dire « mildiou cotonneux ». Les jeunes feuilles finissent par tomber, ce qui limite la photosynthèse, ralentit la maturation des fruits, et affecte par conséquent les rendements. Les rameaux et les vrilles sont également touchés, ainsi que les grappes. Celles-ci sont colonisées par une poussière blanche ainsi que par des taches qui brunissent progressivement, et finalement elles s’assèchent. Le mildiou a été particulièrement virulent en 1999 en France en général, et dans notre région en particulier. Il est tombé cette année là dans le Revermont entre 100 et 150 mm d’eau entre le 7 et le 22 mai, et ces pluies abondantes conjuguées à des températures très douces, souvent supérieures à 14°C, ont favorisé la contamination du vignoble. La vigne est également attaquée dans le Jura par l’oïdium, observé pour la première fois dans l’hexagone en 1845. Certains cépages comme le Chardonnay sont plus vulnérables que d’autres. Le Pinot noir par exemple résiste mieux à cette maladie cryptogamique, qui se développe sur tous les organes herbacés. Des taches semblables à une poussière blanchâtre ou grisâtre apparaissent ainsi sur les feuilles. La nouaison (l’évolution des fleurs fécondées en notes CONFER L'ANNEXE 1 Enfin, le vignoble jurassien est également attaqué par des maladies du bois comme l'Esca, ou physiologiques à l'instar de la coulure, et par d’autres provoquées par des insectes, comme par exemple les araignées rouges. Ces très nombreuses infections obligent les vignerons à traiter régulièrement leurs vignes. L’utilisation des produits phytosanitaires est une source de pollutions diverses, et elle a par conséquent un impact non négligeable sur l’environnement et sur la biodiversité. Elle a aussi des effets sur la santé des vignerons, et elle occasionne enfin des dépenses qui peuvent être parfois importantes. 44% des volumes de vins du Jura sont commercialisés en Franche-Comté, la moitié dans le reste de la France, et 6% sont exportés à l'étranger. 41 � B � L'élaboration des vins du Jura La vinification a été abordée, au moins partiellement, dans le chapitre consacré à la production locale, et en particulier lorsque le Vin jaune, le Macvin et le Vin de paille ont été évoqués. En raison des délais impartis pour la rédaction de ce mémoire, il n'a malheureusement pas été possible d'apporter plus de détails à ce sujet. Il convient toutefois de souligner, dans cette étude dédiée à la viticulture durable, qu'outre près de 200 levures exogènes donnant aux vins des arômes particuliers (de la framboise au cassis, en passant par la banane, etc.), l'Union Européenne autorise près de 300 pratiques et traitements œnologiques, auxquels s'ajoute ce que permet chaque Etat, qui dispose également de sa liste complémentaire. Nous verrons lorsque nous évoquerons les démarches intégrées, qu'aucune réglementation, communautaire ou nationale, ne précise à ce jour ce que devrait être une vinification « bio », ce qui est étonnant. Seuls les raisins peuvent être aujourd'hui certifiés « issus de l'agriculture biologique ». Tous les produits autorisés ne sont bien évidemment pas utilisés par les vignerons jurassiens. Dans le Jura comme partout ailleurs, l'adoption d'un cahier des charges concernant la vinification est cependant un enjeu fort pour l'ensemble de la filière, afin notamment d'offrir aux consommateurs des garanties supplémentaires quant à la qualité des produits qui leur sont proposés. Les petits exploitants ne cultivent parfois que 2 à 3 hectares de vigne. Ils assurent 98% de leurs ventes au détail, dans leurs caveaux ou à l'occasion des marchés locaux. � 42 C � Des pratiques plus respectueuses de l’environnement 1 � Des vignes parfois labourées au moyen de chevaux, et souvent enherbées Quelques vignerons utilisent aujourd’hui comme autrefois des chevaux, le plus souvent comtois, pour labourer leurs vignes. C’est notamment le cas de Benoît Royer à Arbois, interviewé à ce sujet par les journalistes de « Détours en France », dont le numéro 133 (janvier, février et mars 2009) est dédié aux montagnes du Jura44. Dans l’article de la revue qui lui est consacré, l’intéressé vante à juste titre les mérites de sa jument Kigali, qu’il met également au service de quelques uns de ses confrères. L’animal ne pollue pas, il ne tasse pas et il n’érode pas les sols. A Montmorot, c’est dans le cadre d’une convention passée avec le lycée agricole que les quelques ares de vigne replantés par la commune au hameau de Savagna sont labourés au moyen de chevaux comtois45. Figure 32 – Un cheval comtois pour labourer les vignes (photo CIVJ). L’enherbement permanent de la vigne46 est en outre une pratique de plus en plus répandue dans le Jura. Le système racinaire de l’herbe présent dans les premiers horizons du sol contribue à décompacter ce dernier et à l’aérer. La perméabilité et la portance de celui-ci sont accrues. Le ruissellement et l’érosion sont par conséquent réduits, notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? ainsi que le risque de transfert des produits phytosanitaires vers les cours d’eau et vers les nappes phréatiques. L’enherbement apporte en outre de la matière organique, et il favorise le développement de la faune et de la flore. Figure 33 – Château-Chalon : une vigne enherbée (photo J-L Gomez, 30.04.2009). le palissage est bas et que les premiers bourgeons ne sont qu’à 10 ou à 20 centimètres de hauteur (en principe, ce n’est pas le cas dans le Jura). En revanche, il est avéré que l’herbe présente entre les rangs est en concurrence avec la vigne, ce qui se traduit par une réduction de la vigueur de celle-ci et de son rendement. Cet impact s’atténue toutefois au bout de 4 à 5 années, comme l’a démontré une étude réalisée à ce sujet dans le Val de Loire. Les plants s’enracinent en effet plus profondément pour aller pomper plus bas l’eau et les substances nécessaires au bon développement des ceps, sauf quand la roche mère est trop près de la surface, ce qui peut être dans ce cas un problème. Lorsque le rendement est supérieur à ce que permet le cahier des charges d’une AOC, il peut être ainsi maîtrisé de manière très efficace par l’enherbement. La diminution de la vigueur qu’il occasionne n’est pas aisée à expliquer. Il est en effet prouvé qu’elle n’est pas due à un stress hydrique plus marqué. Il est en revanche certain qu’elle est réversible, et qu’elle occasionne une amélioration du microclimat des grappes et de l’état sanitaire de la vendange, moins sujette à la pourriture grise. Elle favorise également une augmentation du degré potentiel et une baisse de l’acidité des moûts. Il a été constaté que les vins rouges présentaient en outre des caractéristiques organoleptiques plus intéressantes lorsqu’ils étaient issus de parcelles enherbées. Ils sont jugés plus fruités, plus aromatiques et mieux structurés, et au nez comme en bouche ils sont mieux notés. Cette amélioration de la qualité est cependant moins marquée pour les vins blancs. Toutefois, la présence permanente d’herbe entre les rangs peut également entraîner une diminution de la teneur azotée des moûts susceptible de ralentir la fermentation, en particulier pour les cépages blancs, et d’occasionner ainsi une augmentation de l’acidité, une réduction et / ou une modification des arômes, des odeurs de vieillissement atypique, etc. Ces carences en azote peuvent être corrigées. Figure 34 – Chille : une vigne chimiquement désherbée (photo Th Perrier, 17.05.2009). Des études ont démontré qu’à partir d’une trentaine de centimètres au-dessus du sol, la température n’est pas plus froide lorsque le couvert végétal est conservé. S’il est fauché avant le débourrement, celui-ci n’augmente pas par conséquent le risque de gelées printanières, sauf lorsque notes CONFER L'ANNEXE 1 Chaque parcelle doit faire l’objet d’une réflexion préalable. Il s’agit notamment de définir le degré de concurrence acceptable entre l’herbe et la vigne qui déterminera la surface qui doit être enherbée (elle peut être par exemple réduite à un rang sur deux). Le couvert végétal conservé est soit « sauvage », c'est-à-dire d’origine naturelle, soit obtenu par des semis d’espèces, nécessairement rustiques, dont la liste doit être précisée en fonction du contexte local (raygrass anglais, pâturin, fétuque rouge ou ovine,…). 43 � 2 � Une utilisation plus rationnelle des produits phytosanitaires 47 Pour la plupart des exploitants, il n’est plus question aujourd’hui d’éradiquer totalement les maladies de la vigne, mais de contenir leurs effets. Des bulletins de santé du végétal sont édités par la Société de Viticulture et par la Chambre d’Agriculture, et ils peuvent être consultés notamment sur le site internet du Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ). Ils permettent aux vignerons de ne traiter les plantations que lorsqu’il est effectivement nécessaire de le faire. Des viticulteurs jurassiens expérimentent également un protocole défini en Suisse il y a près d'une vingtaine d'années déjà. Il tient compte de la surface foliaire pour doser les produits qui seront pulvérisés. La quantité de ces derniers autrefois utilisée est réduite de moitié lorsque les feuilles sont petites. Elle passe à 75 % les deux fois suivantes, et à 100 % lors du dernier sulfatage. Les plants ne sont pas plus vulnérables que par le passé aux attaques de champignons comme le mildiou et l'oïdium. Les exploitants gagnent ainsi un traitement par an, ce qui représente une économie importante, et les effets sur les milieux naturels, terrestres et aquatiques, ainsi que sur la santé des vignerons sont réduits d'autant. « Le guide 2009 des bonnes pratiques de traitement » publié en février dernier par la revue « La Vigne » cite Jean-Luc Berger, directeur technique de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV), qui affirme que : « sur les 10 dernières années, l’emploi de produits « phytos » a baissé de 45 %. C’est énorme ». Les réglementations européennes et françaises interdisent en outre régulièrement le recours à certaines molécules dont l’impact sur l’environnement est particulièrement néfaste, et elles imposent leur retrait du marché. Durant la dernière décennie, les contaminations des cours d’eau et des nappes phréatiques ont enfin sensiblement diminué, notamment parce que les pulvérisateurs sont mieux réglés, et qu’ils sont plus soigneusement rincés que par le passé, de plus en plus souvent sur des aires aménagées à cet effet et répondant aux normes en vigueur. Malgré d’indéniables progrès, des efforts supplémentaires devront être cependant à nouveau consentis à court terme, afin de respecter les prescriptions de la loi sur l’eau du 30 décembre 2006 et du « Grenelle de l’environnement ». Les quantités d’intrants utilisés seront en effet réduites de moitié d’ici à 2018. La filière aura l’obligation de recourir à de moins en moins de matières actives, et d’éliminer toutes � 44 les sources de pollution. Depuis le 1er janvier 2009, le contrôle technique des pulvérisateurs est enfin obligatoire tous les 5 ans, en application des dispositions de l’article 41 de la loi sur l’eau précitée. Ces vérifications permettront de détecter les fuites et de diminuer ainsi la dispersion des produits dans la nature. Toutefois, elles ne concerneront pas les réglages, et elles n’éviteront pas par conséquent les pulvérisations à côté de la vigne. Les constructeurs et les organismes dédiés à la recherche travaillent aujourd’hui à la mise au point de matériels « intelligents ». Ils détecteront la présence de la végétation, pour traiter uniquement là où c’est nécessaire. L’injection directe de produits dans les plantes est également étudiée, mais elle n’est pas encore maîtrisée dans le domaine de la viticulture. 3 � La gestion de la ressource en eau et le traitement des effluents 48 Les vignerons peuvent utiliser entre 0,2 et 10 litres d'eau par litre de vin produit. Ils rejettent également des effluents susceptibles de polluer les rivières et les nappes phréatiques, car ils peuvent contenir : • Des matières organiques ; • Des éléments nutritifs minéraux (nitrates et phosphates) ; • Des composés organiques de synthèse (engrais, herbicides, produits phytosanitaires, etc) ; • Des hydrocarbures ; • Des métaux lourds (mercure, cuivre, cadmium,...) ; • Des micro-organismes pathogènes. Les eaux de lavage par exemple drainent des matières qui proviennent directement des raisins (pellicules, rafles, terre, sucres, acides, bourbes, alcools, levures, bactéries, etc.), ainsi que des produits utilisés pour le nettoyage et pour le détartrage, ou lors de la vinification. Les rejets massifs de matières organiques pendant une courte période, au moment des vendanges, peuvent asphyxier les milieux aquatiques. Les micro-organismes épurateurs privent en effet les poissons de beaucoup d'oxygène, ce qui se traduit dans les cas les plus graves par une mortalité piscicole importante. Lorsqu'elles sont rejetées dans les réseaux d'assainissement, ces quantités d'effluents ponctuellement importantes perturbent en outre l'équilibre biologique des stations d'épuration qui n'ont pas été dimensionnées pour traiter de tels volumes. La flore bactérienne de ces dernières peut être notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? enfin détruite, par exemple par les produits phytosanitaires qui souillent les eaux de rinçage des pulvérisateurs. L'annexe 2 de ce mémoire (« le cycle de l'eau dans la viticulture », contribution de Thierry Perrier) détaille quelques uns des très nombreux dispositifs permettant une gestion plus économe de la ressource, et un traitement des effluents au moins conforme à la réglementation en vigueur (lois sur l'eau des 3 janvier 1992 et 30 décembre 2006, textes législatifs et réglementaires relatifs aux installations classées pour la protection de l'environnement,...). Avec l'aide de l'Union Européenne, de l'Etat, de l'Agence de l'eau et des collectivités territoriales (la région et le département), la Société de Viticulture a mis en œuvre depuis 2004 un programme de maîtrise des pollutions viti-vinicoles (PMPVV). Celui-ci s'est traduit par l'édition d'un document technique très complet et d'une plaquette d'information destinée au « grand public ». Il concerne des sujets très variés comme les effluents des caves ou le recours aux intrants, mais aussi l'érosion des sols, car le ruissellement de la pluie entraîne les produits phytosanitaires jusqu'aux rivières et aux nappes phréatiques. Le programme de maîtrise des pollutions viti-vinicoles a contribué également à une gestion plus économe de la ressource en eau. Lorsque le prix de celle-ci était dérisoire, les vignerons se contentaient en effet pour la plupart « d'ouvrir le robinet » pour refroidir, au moment des vendanges, les cuves recevant les moûts. La température de ces derniers doit être en effet abaissée afin d'éviter une fermentation trop rapide. Cette eau potable était gaspillée, et lorsqu'elle n'était pas rejetée ensuite dans la rivière, elle était acheminée jusqu'à la station d'épuration où elle était traitée, alors qu'elle n'avait pas besoin de l'être car elle n'avait pas été polluée. Cette pratique augmentait ainsi sensiblement la consommation de la ressource, et le coût du traitement des effluents. Dans le cadre du PMPVV, des producteurs jurassiens, par exemple Alain Baud déjà cité, se sont équipés de réservoirs afin de récupérer l'eau de pluie. Celle-ci est refroidie et elle circule en circuit fermé entre les deux parois des cuves qui reçoivent les moûts. Elle retourne ensuite dans les réservoirs où elle est à nouveau réfrigérée, et ainsi de suite. Ces dispositifs dont l'installation a été encouragée par des aides financières de l'Agence de l'eau, doivent vraisemblablement diviser la consommation d'eau par 10 ou par 15. Un état des lieux a tout d'abord été dressé pour chaque bassin versant concerné (la Loue, la Cuisance, l'Orain, la Brenne, la Seille, la Vallière). Les eaux des rivières ont été analysées afin de déterminer la nature et le volume des polluants d'origine viti-vinicole qu'elles drainaient. Egalement inscrites pour certaines dans les contrats de rivière « Loue » et « Seille », des actions ont été ensuite arrêtées et mises en œuvre : l'enherbement permanent des vignes, la modification de certaines pratiques culturales,... Les stations d'épuration d'Arbois et de Lavigny notamment ont fait l'objet de travaux dans le cadre du PMPVV. A Arbois, les vignerons ont versé une contribution calculée en fonction du nombre d'hectolitres produits chaque année, et destinée au financement de la construction de bassins de rétention. Ces derniers permettent d'étaler dans le temps le traitement des pics de pollutions enregistrés au moment des vendanges. Ils ont permis d'éviter de surdimensionner la station qui aurait été dans ce cas sous-utilisée onze mois par an, ce qui aurait affecté sensiblement ses performances. Au Vernois, le coût des travaux similaires qui ont été effectués a été partagé entre les viticulteurs, la fromagerie qui s'installait sur le territoire communal, et les maîtres d'ouvrage des extensions urbaines (le village n'est pas situé très loin de Lons-le-Saunier, et il a accueilli ces dernières années une population nouvelle importante). notes CONFER L'ANNEXE 1 Figure 35 – Domaine Baud : récupération des eaux de pluie (photo Th Perrier, 17.05.2009). Figure 36 – Domaine Baud : le refroidissement des moûts (photo Th Perrier, 17.05.2009). L'objectif initial du programme était de traiter 60% des effluents viti-vinicoles du département. Il a été largement dépassé, car c'est aujourd'hui 90% des rejets qui le sont de manière effective. 45 � Figure 37 – Bilan du PMPVV. Caves raccordées Volumes raccordés Caves équipées d’un traitement autonome Volumes traités de manière autonome Caves traitant les effluents Volumes traités 2001 40% 48% 2% 1% 42% 49% 2006 64% 75% 11% 15% 75% 90% Source : Société de Viticulture du Jura. 4 � La gestion durable des sous-produits et des déchets des exploitations 49 Les vignerons produisent des déchets très divers. Il s'agit notamment : • Des produits de la taille ; • Des effluents de cave (eaux de lavage du matériel de vendange, du pressoir, des cuves, etc.) ; • Des sous-produits50 (marc, bourbes, lies, etc.) ; • Des tartres et des solutions de détartrage ; • Des emballages (l'adhésion à un organisme de recyclage est obligatoire) : récipients en verre, bouchons, capsules, palettes, emballages en carton ou en plastique, etc. ; • De déchets domestiques ou industriels « classiques » (aérosols, ampoules, batteries, pièces d'équipements électriques et électroniques, piles, solvants, etc.) ; • De produits phytosanitaires périmés ou interdits ; • D'huiles usagées ; • De pneumatiques ; • De piquets et de fils métalliques ; • De déchets verts ; • etc. Certains de ces rebuts, par exemple les sous-produits, les tartres,..., ont déjà été pris en compte dans le programme de maîtrise des pollutions viti-vinicoles. Aucun plan global de traitement de l'ensemble des déchets produits par les vignerons n'a été toutefois jusqu'à présent mis en place dans le Jura. D � La commercialisation des vins du Jura � 46 1 � Les volumes vendus en 2007-2008 Les statistiques publiées par le CIVJ précisent qu'après 2 années successives de hausse (+7% en 2 ans), les volumes commercialisés pendant la campagne 2007-2008 (un peu moins de 80 000 hectolitres) diminuent légèrement (-1,3%). Seul le Macvin poursuit sa progression (+8,10%), alors que tous les autres produits restent stables ou enregistrent une baisse, notamment le Crémant, en recul après 3 années consécutives d'augmentation. Figure 38 – Part pour chaque produit des volumes vendus (campagne 2007-2008). Source : CIVJ, bulletin « statistiques » n°6. Ces données ne sont certes pas préoccupantes, mais il convient toutefois de rester vigilant, car une viticulture durable, dans le Jura comme partout ailleurs, dépend en premier lieu de la bonne santé économique de l'ensemble de la filière. Pour le CIVJ, la priorité est de conquérir de nouveaux marchés en France (notamment dans la région parisienne), ainsi qu'à l'étranger, et de profiter localement des initiatives en faveur de l'œnotourisme, par exemple la route des vins du Jura, pour séduire une nouvelle clientèle. 2 � L'enquête « marchés » réalisée par le CIVJ 30 opérateurs consultés, commercialisant 75% des volumes, ont répondu à l'enquête « marchés » réalisée par le CIVJ. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Figure 39 – Le marché, approche géographique. Source : CIVJ. 44% des volumes sont commercialisés en Franche-Comté, la moitié dans le reste de la France, et 6% sont exportés à l'étranger. Ces statistiques reflètent un bon équilibre du marché. C'est près de 50% des ventes qui s'inscrivent ainsi dans des circuits locaux, qui peuvent être qualifiés de « courts », et qui contribuent par conséquent à une viticulture durable dans le Jura. Figure 40 – Les circuits de distribution. Source : CIVJ. Les petits exploitants ne cultivent parfois, nous l'avons déjà évoqué, que 2 à 3 hectares de vigne. Ils produisent environ 7% du total des volumes, et ils assurent 98% de leurs ventes au détail, dans leurs caveaux ou à l'occasion des marchés locaux. Ils contribuent à l'entretien des paysages, et à la vie sociale en milieu rural. Il est important pour la filière de préserver cet équilibre entre les grandes entreprises dont elle a besoin pour exporter, et les petits producteurs qui sont des acteurs des circuits courts, l'une des priorités du « Grenelle de l'environnement ». E � Les vins et la santé La santé, celle des consommateurs tout d'abord, est un enjeu primordial pour les vignerons qui doivent respecter une réglementation de plus en plus sévère (afin par exemple d'informer des risques encourus la population en générale, et les femmes enceintes en particulier, etc.) Les producteurs jurassiens l'ont bien compris, car dans une publication intitulée « Les vins du Jura dans tous leurs sens... », le CIVJ consacre 4 pages sur 31 à ce sujet. La vente directe concerne 41% du marché, ce qui est important, car une viticulture durable dépend aussi de contacts directs et réguliers entre le vigneron et ses clients. Le producteur peut ainsi évoquer son travail, sa production, et les pratiques plus respectueuses de l'environnement ou la démarche intégrée qu'il a choisi le cas échéant de mettre en œuvre. 3 � Les opérateurs commercialisant les vins du Jura Trois entreprises, Henri Maire, la fruitière vinicole d'Arbois et la Maison du Vigneron assurent près de la moitié (48%) de la commercialisation des vins du Jura. 20% des opérateurs vendent 84% des volumes. Ces exploitations grandes et moyennes à l'échelle du vignoble jurassien sont mieux armées que les autres pour exporter, et pour compter parmi les acteurs de marchés plus lointains. Il s'agit incontestablement d'un atout, dont la contrepartie est cependant que cette relative concentration pourrait fragiliser la filière en cas de défaillance de l'une des sociétés ou de l'un des domaines de premier plan. notes CONFER L'ANNEXE 1 Le « Jurabag », une « invention » locale, est une pochette que les restaurateurs mettent à la disposition de leurs clients pour qu’ils emportent les bouteilles de vin qui n’ont été qu’entamées. Cette pratique est particulièrement appréciable pour les automobilistes qui doivent reprendre la route après le repas. Les chartes de vinification qui existent aujourd'hui, dans l'attente d'une réglementation communautaire ou nationale, seront évoquées ultérieurement dans cette étude. Elles permettent de réduire sensiblement le nombre et la quantité des produits nocifs présents dans les vins, à l'exception bien entendu de l'alcool qui doit être « consommé avec modération », pour reprendre une formule consacrée. La santé, c'est aussi celle des viticulteurs qui inhalent les intrants chimiques qu'ils utilisent. Les chercheurs ont établi que certaines de ces molécules peuvent être à l'origine de formes rares de cancers chez les exploitants. Ils suspectent également d'autres substances dont la nocivité n'est pas encore scientifiquement prouvée d'être également toxiques. Les pratiques plus respectueuses de l'environnement déjà évoquées permettent aussi par conséquent de réduire les risques encourus par les viticulteurs. 47 � V · Les terroirs - Un patrimoine naturel et culturel � 48 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? « Les pratiques qui contribuent à embellir les champs les rendent le plus souvent non seulement plus productifs, comme lorsque l’on plante les oliviers et les arbres en lignes, mais encore plus vendables, et ajoutent du prix au fonds ». Varron, écrivain et savant romain (1er siècle avant Jésus-Christ), « De re rustica libri » (I, 4, 2), cité dans « Appellations d’origine contrôlée et paysages », Ministère de l’Agriculture et de la Pêche et Institut National des Appellations d’Origine Contrôlée (INAO), 2006. A � Les paysages 51 Selon le premier article de la convention européenne du paysage ratifiée par la France le 13 octobre 2005 : « le paysage désigne une partie du territoire telle que perçue par les populations dont le caractère résulte des facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». 1 � La genèse des paysages viticoles jurassiens Comme partout ailleurs, les paysages viticoles du Jura ont été façonnés d’abord par la géologie, qui a donné naissance à un relief et à des sols propices à la culture de la vigne. Celle-ci est ainsi essentiellement implantée dans le Revermont, au contact de la plaine de la Saône et du premier plateau, le long d’un axe nord-est / sud-ouest. La pente est presque partout omniprésente. A Château-Chalon par exemple, le vignoble couvre les versants des deux petites reculées encadrant le rocher au sommet duquel le village a été bâti. Ailleurs, la vigne occupe des buttes et des collines qui marquent une transition entre la plaine de la Bresse et le premier plateau. C’est par exemple le cas à Montmalin, Saint-Lothain, Toulouse le Château, Arlay, l’Etoile,… Le vignoble a été modelé dans un deuxième temps par le travail des vignerons. Ils ont d’abord plantés là où les terroirs et le climat étaient les plus favorables. Ils ont ensuite entretenu les paysages viticoles, qu’ils ont parfois modifiés notes CONFER L'ANNEXE 1 au fur et à mesure qu’évoluaient les pratiques culturales, et en particulier la conduite de la vigne par les viticulteurs, qui privilégient une manière plutôt qu’une autre de l’implanter et de la guider dans son développement. Le choix de certains cépages, d’une taille courte ou au contraire plus longue, d’une densité particulière (définie par un nombre minimal de ceps par hectare, ou par un écartement imposé entre les plants et entre les rangs), ont un impact important sur l’aspect général d’un vignoble. Celui-ci dépend également de la surface foliaire le cas échéant retenue afin d’assurer une maturité optimale des raisins, ou encore du mode de tuteurage. Les paysages peuvent être par conséquent en partie façonnés par certaines prescriptions imposées par les appellations d’origine contrôlée. En raison du palissage collectif en vigueur dans le Jura, la vigne trace des lignes régulières. Le plus souvent orientées nordest / sud-ouest, elles structurent très fortement le paysage. Elles sont à l’origine d’un rythme qui varie d’un secteur du vignoble à l’autre. Les quelques terrasses qui existent encore, par exemple à Château-Chalon, contribuent également à la diversité paysagère. Elles permettent en effet des plantations parallèles aux courbes de niveau, qui contrastent avec celles, majoritaires, qui suivent le sens de la pente. Enfin, en raison de la taille dite « en Guyot », « simple ou double », pratiquée par les vignerons jurassiens, la hauteur des plants varie entre 60 cm en hiver, et 1,60 m en automne, lorsque le feuillage est à son apogée. Ainsi, la végétation reste suffisamment basse pour permettre à une personne de taille moyenne de voir au loin, au-dessus des rangs, qui ne « brisent » pas les perspectives et ne cloisonnent pas le paysage. 2 � La physionomie du vignoble dans le Jura Essai de typologie Le vignoble n’occupe qu’environ 6 % de la surface agricole utilisée du Revermont, qui est par conséquent une mosaïque de prairies, de champs cultivés, de bois et de vignes. C’est aux environs d’Arbois que ces dernières occupent des superficies assez étendues, et que les paysages viticoles sont les plus ouverts. A Poligny et sur le territoire des communes concernées par l’AOC Château-Chalon, une forte concentration du vignoble peut être observée, mais uniquement dans certains secteurs précis de ces terroirs. Dans le sud du Revermont enfin, les prairies ainsi que les cultures céréalières et industrielles prédominent et la vigne, moins présente, ne s’impose que rarement. 49 � Figure 42 – Rotalier : vigne en « timbre-poste » (photo R Michaud, 27.06.2009). 3 � Les motifs paysagers caractéristiques des sites viticoles du Revermont Figure 41 – Château-Chalon : « marqueterie » de vignes (photo R Michaud, 21.06.2009). A l’état naturel ou employée pour la construction de petits ouvrages, la pierre tout d’abord est très présente dans le vignoble du Jura. Dans les reculées où elle est cultivée, par exemple celle des Planches-près-Arbois, la vigne est en effet très souvent couronnée par de très belles falaises. A ChâteauChalon, les plantations sont également dominées par l’impressionnant rocher de couleur ocre, au sommet duquel ont été bâtis le village et l’abbaye aujourd’hui disparue. Fabienne Joliet (Institut National d’Horticulture d’Angers), a établi une typologie des paysages viticoles fondée sur deux critères principaux : la densité des plantations et le relief. Les catégories qu’elle a identifiées se retrouvent pour la plupart dans le Jura, mais à l’échelle soit des grands soit des micro-paysages. Le vignoble d’Arbois évoque en effet parfois les « mers » et les « vagues » de vignes qu’elle a décrites (les lignes qui les caractérisent sont plutôt horizontales pour les premières, verticales et perpendiculaires à la pente pour les secondes). Les terrasses et la marqueterie dont les lignes d’orientations différentes sont dues aux plantations, sont présentes à Château-Chalon. Dans le sud du Revermont enfin, le vignoble se présente plutôt sous la forme de ces timbres-poste évoqués par Fabienne Joliet, et qui sont caractéristiques des plaines, des coteaux et des plateaux de polyculture. Figure 43 – Château-Chalon : cabane au pied de la falaise (photo R Michaud, 13.12.2008). � 50 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Dans ce site viticole emblématique, des murs en pierres sèches ainsi que des enrochements soutiennent à certains endroits des talus et des terrasses, et le paysage est ponctué de cabanes. Celles-ci ont été bâties le plus fréquemment en pierre, plus rarement en bois. Leurs toitures, qui peuvent comporter un ou deux pans, sont généralement faites de tuiles, mais aussi parfois de plaques de tôle ou de « bac acier ». L’eau de pluie tombée sur les toits de ces cabanes est parfois collectée dans une citerne. Certains vignerons l’utilisent encore aujourd’hui pour préparer la bouillie bordelaise. A Château-Chalon enfin, la desserte des parcelles est assurée par des chemins en béton. Visibles depuis les principaux belvédères du site, ils renforcent le caractère minéral des lieux, nuancé cependant depuis quelques années par l’enherbement permanent des bandes de terre qui alternent avec les rangs de ceps. La végétation arbustive et ligneuse est indissociable des paysages viticoles du Jura, ponctués de bosquets, de haies, ou d’arbres isolés. Au fond des vallées, les ripisylves52 soulignent le tracé des cours d’eau. Dans les reculées, le pied et le sommet des falaises qui surplombent les vignes ont été colonisés essentiellement par des feuillus, notamment des hêtres et des acacias, qui envahissent très rapidement les terres qui ne sont plus cultivées. Figure 44 – Château-Chalon : une cabane et des terrasses (photo R Michaud, 23.11.2008). Ces petits ouvrages se retrouvent également ailleurs dans le vignoble jurassien. Dans celui d’Arbois, des tours depuis lesquelles des gardes surveillaient les vignes, ainsi que des bâtiments agricoles, dont les volumes sont souvent imposants, ont été construits il y a parfois longtemps. Figure 46 – Château-Chalon : cognassier en fleurs (photo J-L Gomez, 30.04.2009). Enfin, les vergers sont très présents dans le vignoble jurassien. Ils témoignent d’une économie rurale jadis fondée sur une polyculture vivrière. Les ceps côtoient en effet très souvent des amandiers, des cognassiers, des pêchers, des noyers, etc., ainsi que des saules ou osiers (localement dénommés « avanchers »), et des prairies où paissent aujourd’hui des vaches, des chevaux et des ânes. Figure 45 – Arbois : la tour de Curon (photo J-L Gomez, 08.05.2009). Figure 47 – Arlay : viticulture et élevage (photo R Michaud, 02.06.2009). notes CONFER L'ANNEXE 1 51 � 4 � Des sites remarquables parfois menacés Le vignoble est menacé tout d’abord par la périurbanisation, par la rurbanisation et par le mitage, mais aussi, de manière plus insidieuse car moins visible, par une banalisation et par une simplification de ses paysages. La profession a été confrontée en effet au fil du temps à de nombreux défis (la crise phylloxérique, la mécanisation, la concurrence de productions étrangères etc.), à l’origine de nouvelles pratiques. Celles-ci se sont traduites parfois par des remembrements et donc par un agrandissement des parcelles, et par de profondes modifications de l’aménagement des coteaux. De nombreux motifs paysagers auxquels les sites concernés doivent leur identité et leur caractère pittoresque (haies, bosquets, arbres isolés, terrasses, murs en pierres sèches et cabanes,…) ont également disparu. En outre, la dimension esthétique de certains aménagements n’a pas été suffisamment prise en compte. C’est par exemple le cas de quelques chemins d’exploitation et ouvrages hydrauliques : collecteurs, rigoles, bassins, etc. Figure 50 – Arbois : une cabane ? (photo J-L Gomez, 08.05.2009). Des points noirs portent parfois ponctuellement atteinte à la qualité et à la cohérence des paysages viticoles du Jura. Il s’agit principalement de constructions très mal intégrées dans leur environnement (habitations, bâtiments à vocation agricole, artisanale ou industrielle), de lignes électriques et téléphoniques aériennes, de dispositifs publicitaires, voire de décharges. Figure 48 – Arbois : des bâtiments agricoles dans les vignes (photo J-L Gomez, 08.05.2009). Figure 49 – Arbois : une exploitation viticole dans les vignes (photo J-L Gomez, 08.05.2009). � 52 Figure 51 – Arbois : lignes électriques aériennes (photo J-L Gomez, 08.05.2009). notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Figure 52 – Château-Chalon : panneaux publicitaires (photo J-L Gomez, 30.04.2009). Figure 54 – Château-Chalon : renouée du Japon (photo J-L Gomez, 30.04.2009). Figure 53 – Château-Chalon : la décharge de Voiteur (photo J-L Gomez, 30.04.2009). Le vignoble est enfin confronté à la prolifération d’espèces végétales invasives. La renouée du Japon se développe ainsi à plusieurs endroits du site classé du Château-Chalon, et en particulier à proximité de l’ancienne décharge de Voiteur. Cette plante exogène a été très probablement importée par des particuliers ou par des artisans, venus jeter là des déchets verts ou de la terre contaminée prélevée dans des jardins. « La Percée du Vin jaune » est la plus importante et la plus célèbre de toutes les fêtes organisées localement par la filière, à laquelle participent en moyenne entre 40 000 et 50 000 personnes. notes CONFER L'ANNEXE 1 5 � Les « outils » réglementaires et contractuels de la protection des paysages viticoles Il existe en France un « arsenal » juridique très complet qui permet de protéger Les paysages viticoles. Les plus remarquables d’entre eux peuvent faire l’objet tout d’abord d’un classement, en application des dispositions des articles L. 341-1 à L. 341-22, et R. 341-1 à R. 341-31 du code de l’environnement. Lorsque cette servitude réglementaire est instaurée, les projets susceptibles d’avoir un impact paysager conséquent doivent être préalablement autorisés. Ils le sont soit par le préfet concerné, lorsque les travaux sont de moindre importance, soit par le ministre compétent, après avis d’une commission départementale composée d’élus locaux, ainsi que de représentants des services de l’Etat et de la société civile (paysagistes, architectes, membres d’associations de protection de l’environnement et du patrimoine, etc.) Dans le Jura, le vignoble bénéficiant de l’AOC Château-Chalon a été classé par un décret du 16 janvier 2006. 53 � Lorsqu’il présente un intérêt avéré, le patrimoine bâti des villages viticoles peut bénéficier en outre d’un classement, ou d’une inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. A proximité des constructions et des petits ouvrages (calvaires, oratoires, fontaines, lavoirs,…) ainsi protégés, les projets immobiliers doivent obtenir un avis favorable de l’architecte des bâtiments de France. Celui-ci est amené à intervenir le cas échéant dans le cadre d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), si celle-ci a été créée (c’est notamment le cas à Arbois, ChâteauChalon et Poligny), voire d’un secteur sauvegardé. Des directives de protection et de mise en valeur des paysages peuvent être également adoptées, afin de préciser les principes fondamentaux dont le respect permet de protéger les sites viticoles. La préservation de ces derniers peut être aussi prise en compte dans les trois types de documents de planification instaurés par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 (il s’agit des schémas de cohérence territoriaux (SCoT), des plans locaux d’urbanisme (PLU), et des cartes communales). D’autres « outils » juridiques sont susceptibles de contribuer à la sauvegarde des paysages viticoles : les études paysagères des aménagements fonciers, les zones agricoles protégées (ZAP) créées par la loi d’orientation agricole (LOA) du 9 juillet 1999, le volet paysager des permis de construire, etc. La stricte application des dispositions des articles L. 581-1 à L. 581-45 du code de l’environnement, permet enfin d’éviter que des panneaux publicitaires illégaux ne portent atteinte au caractère pittoresque des vignobles. En marge de ces dispositifs réglementaires, il en existe d’autres, contractuels, qui peuvent participer à la préservation et à la mise en valeur des sites viticoles. Les chartes paysagères tout d’abord sont définies en étroite concertation par l’ensemble des partenaires concernés. Elles comportent un diagnostic qui met en évidence les atouts, les enjeux, et les menaces qui pèsent sur le périmètre étudié. Elles identifient les orientations à mettre en œuvre, et elles les traduisent en actions (travaux de restauration du petit patrimoine, par exemple des murs en pierres sèches, des cabanes implantées dans les vignes, effacement des lignes aériennes,…). Dans le même esprit, les acteurs de l’aménagement du vignoble de l’AOC Château-Chalon ont signé en février 2006 la Charte de Fontevraud. Les signataires de celle-ci, qui représentent des grands vignobles européens inscrits pour la plupart au patrimoine mondial de l’UNESCO53 (les sites de Jerez en Espagne, de SaintEmilion et du Val de Loire en France, de Tokaj en Hongrie, du HautDouro au Portugal, etc.), s’engagent solennellement à protéger et à mettre en valeur les paysages dont ils ont la responsabilité. � 54 B � Les villages et le bâti viticoles 54 (contribution de Patrick Bidot) 1 � Les villes et les villages du vignoble Le vignoble compte plus d'une centaine de communes. Six d’entre elles au moins peuvent être qualifiées de villes, car leur population dépassait en 2006 2 000 habitants. L’agglomération de Lons-le-saunier constitue le pôle urbain principal du Revermont. Figure 55 – Les villes du vignoble et le nombre de leurs habitants en 2006. Villes Nombre d’habitants en 2006 Lons-le-Saunier 18 763 Poligny 04 693 Arbois 03 673 Salins-les-Bains 03 283 Montmorot 03 383 Saint-Amour 02 293 Source : INSEE, recensement de 2006. Les villages comptent en majorité moins de 500 habitants et leur morphologie varie. Ils sont en effet soit groupés, c’est le cas de Menétru-le-Vignoble, Marnoz, Vincelles…, soit perchés, par exemple Château-Chalon, soit enfin organisés de part et d’autre d’une rue principale comme à Conliège, aux Arsures, à Maynal, etc. 2 � Le bâti viticole La vigne n’occupe qu’environ 6% de la surface agricole utilisée du Revermont. Toutes les communes du « Bon Pays » disposent cependant de maisons vigneronnes, même lorsqu’elles ne comptent plus aucune exploitation depuis longtemps. Cette spécificité du vignoble jurassien témoigne d’une viticulture qui était autrefois une activité économique localement importante. L’architecture qui lui est associée est par conséquent toujours présente dans de nombreux bourgs. La maison vigneronne jurassienne sépare distinctement les fonctions. L’habitation se situe en effet dans une travée particulière ou à l’étage. L’exploitation où sont élaborés et conservés les vins se trouve au rez-de-chaussée ou en sous-sol. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? La partie dédiée à la vinification accueille le pressoir et les cuves. Elle n’est utilisée spécifiquement qu’à l’occasion de l’élaboration des vins, et sa température peut être comprise entre 8° et 36°C. Ses dimensions dépendent de l’importance de l’exploitation. Les maisons vigneronnes se distinguent essentiellement les unes des autres par les locaux où la production est conservée. Leur température doit être comprise entre 8° et 15°C. Des raisons économiques expliquaient également à l’époque le choix de certains vignerons, qui préféraient le cellier non enterré à la cave lorsque leurs vins n’étaient destinés qu’à une consommation courante. Les caves sont ainsi plus présentes au nord du Revermont, et les celliers plus fréquents au sud. Une typologie générale du bâti viticole peut être proposée selon quatre critères : • L’importance de la maison (la hauteur et la largeur de sa façade était le reflet du statut social de celui qui l’habitait) ; • L’accès à l’habitation (par un escalier intérieur ou extérieur); • Le type de cave : enterrée ou semi-enterrée ; • La présence d’une grange ou d’une étable attestant d’une activité de polyculture. Au Nord du « Bon Pays », la maison vigneronne dispose généralement d’une cave entièrement enterrée, souvent voûtée en plein cintre ou en anse de panier. L’habitation se situe au rez-de-chaussée et à l’étage. La construction est surmontée d’un grenier qui s’ouvre sur la rue par une lucarne coupant souvent le débord de la toiture. Le foin était généralement entreposé dans ces combles, comme en témoigne la poulie fixée à l’extérieur qui permettait de le hisser jusque là (lorsqu’elle a été conservée, elle est encore visible aujourd’hui). Figure 56 – Poligny : maisons vigneronnes avec caves enterrées (photo P Bidot, 27.08.2009). notes CONFER L'ANNEXE 1 Figure 57 – Poligny : une lucarne avec sa poulie (photo P Bidot, 27.08.2009). A l’instar de celles qui bordent la rue principale de Poligny, les maisons de type urbain s’ouvrent directement sur le trottoir par une trappe. Les escaliers que cette dernière dissimule se prolongent souvent à l’intérieur de la cave. Ils permettent parfois d’accéder à la cuisine par une autre trappe (« une dérobée ») ouverte dans le plancher intérieur de celle-ci. Ces maisons manquent souvent de clarté en raison de leur faible largeur et de leur profondeur importante. Figure 58 – Arbois : arcades et maisons vigneronnes « urbaines » (photo P Bidot, 27.08.2009). 55 � Dans les gros bourgs et dans les villes du Revermont, les maisons mitoyennes sont accolées par de hauts murs pignons. Parfois saillants et couverts de dalles calcaires ou laves, ils sont alors dénommés localement « pas de moineaux », ou encore « échelles à feu ». C’est par exemple le cas à Château-Chalon. Les couvertures sont réalisées en tuiles plates « petit moule ». lorsque les vignerons pratiquaient une polyculture vivrière (la culture de la vigne ne subvenait pas entièrement à leurs besoins : ils élevaient du bétail et ils cultivaient des céréales). Des rampes en fer forgé équipent dans certains cas les escaliers en pierre, et des jardins, à l’époque exclusivement potagers, étaient enfin parfois cultivés à l’arrière des bâtiments (par exemple dans le quartier de Poligny situé près de l’église de Mouthier-le-Vieillard). Ce bâti viticole traditionnel subit au fil du temps de nombreuses transformations, qui sont autant d’adaptations aux modes de vie contemporains. Les portes des granges deviennent ainsi souvent des baies vitrées, et les escaliers extérieurs sont parfois supprimés (il ne subsiste que le balcon). Les petites tuiles des toitures sont remplacées par d’autres, dites « grand moule ». Figure 59 – Château-Chalon : « pas de moineau » (photo P Bidot, 27.08.2009). Au Sud de Lons-le-Saunier, les maisons sont caractérisées par un escalier en pierre. Depuis l’extérieur, il permet d’accéder à l’habitation qui se trouve à l’étage, ainsi qu’à un balcon. Parfois protégé par un auvent formé par le prolongement du toit, celui-ci se trouve au-dessus de la porte, généralement voûtée, du cellier situé au rez-de-chaussée. Les constructions viticoles de ce type disposent enfin parfois d’un grenier s’ouvrant sur la rue par une lucarne. Figure 60 – Château-Chalon : escalier extérieur, balcon et cellier (photo P Bidot, 27.08.2009). Il existe des variantes aux maisons vigneronnes qui ont été décrites. Leur cave par exemple peut être partiellement enterrée, ce qui réduit ainsi la hauteur du niveau d’habitation. Une grange ou une étable a été dans certains cas ajoutée, � 56 Enfin, les villages et les villes du Revermont accueillent toujours les sièges des exploitations et les caveaux de dégustation « traditionnels », mais des bâtiments viticoles ont été parfois construits à leur périphérie. Leur insertion dans leur environnement n’est malheureusement pas toujours réussie. C � La biodiversité dans le vignoble jurassien L’observateur attentif qui se promène dans les vignobles en général, et dans celui du Jura en particulier, est bien souvent surpris de constater que la biodiversité est incomparablement plus présente qu’il ne l’imaginait a priori. Les haies, les vergers, les bosquets et les arbres isolés permettent en effet à une flore et à une faune très diversifiées de se développer. Les murs en pierres sèches sont des habitats privilégiés pour les lichens et pour de nombreuses espèces végétales (la capillaire noire, le géranium Herbe-à-Robert, l’orpin blanc, différentes sortes de mousses, la ruine-de-Rome, la saponairedes-mains, etc.), mais aussi pour les reptiles, ou encore les insectes : l’abeille, la mouche, la punaise, rouge ou écuyère, le thrips,... Comme c’est presque toujours le cas, il existe ainsi un lien avéré entre la diversité des paysages remarquables, en l’occurrence viticoles, et celle de la vie végétale et animale. Ce n’est pas un hasard si de nombreux sites classés sont également concernés par la directive européenne « Natura 2000 ». notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? 1 � La faune Des promenades quasi hebdomadaires effectuées depuis de nombreuses années déjà dans le vignoble de ChâteauChalon, ont permis de dresser un constat qui ne constitue certes pas un inventaire scientifique, mais qui n’est cependant pas dénué d’intérêt. Les grands ongulés comme le chevreuil tout d’abord, ont été vus dans les forêts et dans les prairies qui se mêlent aux vignes. En outre, quelques chamois fréquentent peut-être également les lieux. Ils sont en effet très nombreux aux Planches-près-Arbois ou à Conliège. Dans ces deux sites viticoles comparables à celui-ci qui nous intéresse (mais où la vigne est cependant plus discrète), ils peuvent être régulièrement observés au sommet des barres rocheuses qui dominent les ceps plantés ici et là sur les pentes des reculées. D’autres mammifères sont également présents à Château-Chalon, à l’instar de l’écureuil, du hérisson, du renard, ou encore de mustélidés55 comme la belette, le blaireau et la fouine. L’avifaune est également très riche. De nombreuses espèces de rapaces (des buses, des milans et des faucons par exemple), survolent régulièrement le site, et certains d’entre eux nichent dans les falaises qui surplombent le vignoble. Les reptiles, en particulier le lézard mais aussi la couleuvre, sont également très présents, notamment dans les murs en pierres sèches et dans les éboulis. Figure 61 – Château-Chalon : la flore des éboulis (photo J-L Gomez, 30.04.2009). Les ancolies, les onagres, les roses trémières bordent les sentiers qui desservent le site. De petites fleurs roses et mauves semblables à celles du serpolet, se plaisent particulièrement dans les éboulis. Les giroflées s’accrochent aux falaises, ainsi qu’aux murs des cabanes, des maisons, et des ruines de l’ancienne abbaye encore visibles au belvédère de La Rochette. Les terrasses situées au pied de celui-ci sont régulièrement défrichées depuis quelques années par les équipes vertes de réinsertion employées par la Communauté de Communes des Coteaux de la Haute-Seille. Elles accueillent des iris et des lilas, qui se sont sans doute « échappés » des magnifiques jardins du village. 2 � La flore L’enherbement permanent de la vigne, de plus en plus courant à Château-Chalon comme ailleurs dans le Jura, permet à une flore diversifiée de se développer. Ces fleurs très communes (le bouton-d’or, l’euphorbe, le pissenlit, la véronique, la violette, etc.), n’ont certes pas, pour la plupart, une très grande valeur patrimoniale, mais elles sont indispensables à la survie des abeilles. Nous savons aujourd’hui que celles-ci souffrent peut-être au moins autant de la raréfaction de la flore, en raison notamment de fauches trop précoces, que de l’utilisation par les agriculteurs de certains intrants particulièrement toxiques. Figure 62 – Château-Chalon : des onagres au pied des vignes (photo R Michaud, 21.06.2009). notes CONFER L'ANNEXE 1 57 � Enfin, les espèces ornementales sont parfois volontairement plantées dans le vignoble. C’est notamment le cas des rosiers, en particulier à Arbois. Leurs fleurs embellissent le site, et il leur était prêté en outre semble-t-il un rôle d’indicateur, de « marqueur » biologique. De nombreux vignerons pensaient en effet que lorsque les plants étaient attaqués par des parasites et par certaines maladies, ils devaient traiter leurs vignes, susceptibles de souffrir des mêmes maux dans les jours qui suivaient. Nous savons aujourd’hui que cette corrélation n’est pas scientifiquement avérée, car les rosiers et la vigne sont sujets à des maladies et à des parasites différents, à l'exception semble-t-il de l'oïdium. est odorante et jaune. Son envergure varie entre 3 et 5 cm, et elle comporte 3 pétales et 3 sépales58. La tulipe de vigne est présente dans les pays méditerranéens de l’Europe, ainsi que dans l’est des Etats-Unis, où elle aurait été introduite. Elle a peut-être été importée, car des plantes très proches de cette espèce protégée peuvent être observées en Asie centrale et orientale. On la trouve en France dans 22 départements, situés à l’est et au sud d’une ligne qui relie les Landes et les Ardennes, en passant par le Puy-de-Dôme. 27 des 35 stations recensées en Franche-Comté sont localisées dans le vignoble jurassien, notamment à Salins-lesBains au nord, à Arbois et à Poligny plus au sud. Ces grands sites viticoles du Jura accueillent ainsi 77 % des stations, et très probablement près de 90 % de la population totale, soit plus de 10 000 pieds dans ce secteur, en particulier à Poligny et à Salins. Figure 63 – Arbois : un rosier planté près des vignes (photo Th Perrier, 08.07.2009). 3 � La tulipe de vigne, un hôte prestigieux et protégé du vignoble jurassien La tulipe est une monocotylédone56 à l’instar des graminées, des lis, des orchidées, des iris, des joncs, des bananiers, etc. Elle appartient à la famille des liliacées57 au même titre que les ails (les aulx), les colchiques, les crocus, les oignons,… Protégée par un arrêté du 20 janvier 1982 modifié en 1995, celle dite « de vigne » (Tulipa sylvestris L.), figure parmi la quinzaine d’espèces et de sous-espèces recensées en France par les botanistes. Les germinations sont exceptionnelles, et cette plante bulbeuse se propage essentiellement par voie végétative (bulbe). Elle mesure de 20 à 50 cm de haut et ses feuilles, glauques (de couleur vert bleuâtre), étroites, très allongées et pliées en gouttière, sont généralement au nombre de 3 par pied. La tige est dressée, glabre (dépourvue de poils, de duvet), et mince. Le fruit est une capsule plus longue que large. La floraison se produit en avril ou en mai, et la fleur � 58 Figure 64 – Poligny : une station de tulipes de vigne (photo CREN, 25.04.2009). Les vignes peu désherbées, mais aussi celles qui ne sont plus entretenues et que les acacias ont peu à peu colonisées, sont des habitats privilégiés pour cette tulipe sauvage. Celleci se plaît également dans les vergers, les champs cultivés, les prairies et quelques friches. Encore assez présente en Franche-Comté, elle est toutefois en forte régression en France. Elle est en effet menacée par le désherbage chimique et par la cueillette, parfois à des fins commerciales. A Poligny, les membres de l’association « La Dame verte » fondée en 2000 ont notamment pour ambition de faire connaître cette plante protégée. Il s’agit de permettre au grand public de mieux l’identifier, et ainsi de ne pas la cueillir. Une fête est organisée en principe tous les deux ans en l’honneur de cet hôte prestigieux du vignoble jurassien. En 2009, elle a eu lieu le dimanche 19 avril. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? D � L’œnotourisme 1 � Une viticulture festive Les confréries déjà citées organisent des fêtes, par exemple à l’époque de la Saint Vernier à Château-Chalon. Ces manifestations se traduisent par des processions dans les rues des villages, l'intronisation de nouveaux confrères,... Figure 67 – Arbois : la fête du Biou (photo Ph Bruniaux, prêt CIVJ, 15.08.2004). Figure 65 – Confrérie Saint Vernier : intronisations 2006 (photo R Michaud, 14.05.2006). Au mois d'août, le Trousseau et le Poulsard sont célébrés, respectivement à Montigny-les-Arsures et à Pupillin. Depuis janvier 2009, le Vin de Paille est lui aussi à l'honneur à l'occasion d'une « Pressée » qui devrait être programmée tous les ans. Le premier dimanche de septembre à Arbois, les vignerons fêtent le Biou. Ils réalisent une grappe géante qu'ils transportent en procession jusqu'à l'église, et qu'ils suspendent sous la voûte de celle-ci à l'issue d'une cérémonie religieuse et d'une bénédiction. Par cette offrande, la bienveillance de Saint Just est sollicitée afin qu'il protège la suite des vendanges. Créée en 1996, la « Percée du Vin jaune » est incontestablement la plus importante et la plus célèbre de toutes les fêtes organisées localement par la filière. Elle a lieu tous les ans, le premier week-end de février, dans un lieu chaque fois différent (Poligny accueillera la prochaine les 6 et 7 février 2010). Près de 800 bénévoles contribuent chaque année à la réussite de cette grande manifestation, à laquelle participent en moyenne entre 40 000 et 50 000 personnes. Figure 68 – Percée du Vin jaune 2006 : Jean-Robert Pitte (photo CIVJ, 05.02.2006). Figure 66 – Arbois : la procession de la fête du Biou (photo Ph Bruniaux, prêt CIVJ). notes CONFER L'ANNEXE 1 59 � 2 � Deux grands musées dédiés à la vigne, aux vignerons et aux vins du Jura 3 � La route des vins du Jura Le Château Pécauld tout d'abord accueille à Arbois, dans une très belle bâtisse des XIIIème et XVIème siècles, le musée de la vigne et du vin, mais aussi le siège du CIVJ et de l'Institut Franc-Comtois des Vins et du Goût. Il propose en particulier aux visiteurs de découvrir le travail des vignerons, notamment depuis le XIXème siècle jusqu'à aujourd'hui, mais aussi de participer à des séminaires, à des dégustations de produits locaux, à des stages d'analyse sensorielle, etc. Elle a été élue en 2008 « destination touristique européenne d'excellence ». Le jury a souhaité récompenser ainsi la qualité du patrimoine, de la gastronomie et des savoir-faire liés à l'artisanat qui peuvent être découverts en parcourant cet itinéraire. Longue d'environ 80 km, la route des vins du Jura permet de découvrir le vignoble, depuis le sud du Revermont jusqu'à Arbois au nord, en passant par l'Etoile, ChâteauChalon, Poligny,... 4 � Quelques autres facettes de l'œnotourisme Des ballades vigneronnes sont organisées en été, par exemple à Château-Chalon. Les promeneurs découvrent ainsi le vignoble à pied, à l'écoute des commentaires de la personne qui les accompagne, et qui leur parle des paysages viticoles, de la géologie, etc. A l'issue de ces randonnées, des dégustations de produits du terroir sont proposées aux promeneurs. Figure 69 – Arbois : le château Pécauld (photo Ph Bruniaux, prêt CIVJ). A Château-Chalon, « la maison de la Haute Seille » a été installée dans le « Froid Pignon », l'un des deux seuls bâtiments hérités de l'ancienne abbaye de dames (il s'agissait sans doute de l’hôtellerie, peut-être de la résidence du confesseur). Equipé de supports pédagogiques à la pointe de la technologie actuelle (livres sonores, écrans multimédias, maquettes interactives,...), ce centre culturel inauguré le 5 avril 2009 est notamment dédié aux paysages viticoles, à leur géologie et à leurs terroirs, ainsi qu'à la mystérieuse alchimie du Vin jaune. Il est également un lieu d’exposition d’œuvres artistiques et de dégustation des vins du Jura. La contribution des vins du Jura aux arts de la table est également un autre aspect de l'œnotourisme, évoqué dans les rubriques intitulées « l'accord parfait » du chapitre de ce mémoire consacré aux produits locaux. La route des vins du Jura a été élue en 2008 « destination touristique européenne d'excellence », un titre récompensant la qualité du patrimoine, de la gastronomie et des savoir-faire liés à l'artisanat à découvrir le long de cet itinéraire. Figure 70 – Château-Chalon : « la maison de la Haute Seille » (photo CIVJ, 05.06.2006). � 60 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? notes CONFER L'ANNEXE 1 61 � VI · Les démarches intégrées � 62 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? Les viticultures raisonnée et biologique ainsi que la biodynamie sont des démarches qui peuvent être qualifiées d’intégrées, car elles s’efforcent de prendre en compte l’ensemble des composantes de notre environnement : la ressource en eau, les sols, la biodiversité, les paysages, etc. A � La viticulture raisonnée 1 � Les principes généraux et les textes en vigueur L’agriculture raisonnée, qui n’est pas exactement synonyme d’agriculture intégrée, un concept plus précis en vigueur à l’étranger, se traduit par une démarche globale de gestion de l’exploitation. Elle a pour objet de réduire l’impact des pratiques agricoles sur l’environnement, sans nuire à la rentabilité de l’entreprise. Les agriculteurs qui le souhaitent peuvent solliciter l’obtention d’une qualification dont les modalités d’attribution ont été fixées par le décret n°2002-631 du 25 avril 2002. Le premier article de celui-ci précise le référentiel auquel doivent se conformer les exploitants. Il porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail, ainsi que sur le bien-être des animaux. La qualification est attribuée pour une durée de 5 ans après un audit de l’entreprise par un organisme certificateur agréé. notes CONFER L'ANNEXE 1 2 � Les 103 exigences du référentiel national Les arrêtés du 30 avril 2002 et du 25 avril 2005 définissent les 103 exigences du référentiel national. Ce dernier concerne notamment (premier article du décret de 2002 précité) : • L’accès de l’exploitant et de ses salariés à l’information et la formation nécessaires à la conduite de l’exploitation agricole; • La mise en œuvre d’un système d’enregistrement et de suivi des opérations effectuées et des produits utilisés pour les besoins des cultures et des animaux ; • La maîtrise des intrants agricoles ainsi que des effluents et des déchets produits par l’exploitation ; • L’usage justifié de moyens appropriés de protection des cultures et de la santé des animaux de l’exploitation ; • L'équilibre de la fertilisation des cultures ; • La mise en œuvre de pratiques culturales permettant la préservation des sols et limitant les risques de pollution ; • La participation à une gestion économe et équilibrée des ressources en eau ; • La prise en compte de règles dans les domaines de la sécurité sanitaire et de l’hygiène ; • La prise en compte des besoins des animaux en matière d’alimentation et de bien-être ; • La contribution de l’exploitation à la protection des paysages et de la diversité biologique. 3 � Les nouvelles instances créées par le décret de 2002 Instaurée par l’article 12 du décret de 2002, la Commission Nationale de l’Agriculture Raisonnée et de la qualification des exploitations (CNAR) a en particulier pour mission de donner aux ministres chargés de l’agriculture et de la consommation des avis concernant les projets de modification du référentiel, ainsi que les demandes d’agrément des organismes certificateurs. Des instances similaires ont été créées à l’échelon régional (article 16 du décret de 2002). Elles répondent à toute question posée par les préfets des régions. Elles identifient les enjeux environnementaux locaux, et elles proposent le cas échéant les exigences territoriales susceptibles d’être ajoutées à celles déjà évoquées dont la portée est nationale. Le réseau FARRE (Forum de l’Agriculture Raisonnée Respectueuse de l’Environnement) assure quant à lui la promotion de la démarche. Enfin, le décret n°2004-293 du 28 mars 2004 précise les conditions d’utilisation de la mention « agriculture raisonnée », et les premiers organismes certificateurs ont été également agréés le 28 mars 2004 pour une durée de 4 ans, par arrêté des ministres chargés de l’agriculture et de la consommation. 63 � 4 � Les débats suscités par la démarche herbicides, alors que toutes les chartes précitées relatives à la viticulture raisonnée définissent des conditions restrictives d’utilisation de certaines matières actives. Pour certains de ses opposants, l’agriculture dite raisonnée impose un cadre trop sévère, et elle préfigure des réglementations encore plus draconiennes qui seront imposées aux exploitants. En étroite concertation avec les représentants de la profession, l’Office National Interprofessionnel des Fruits, des Légumes, des Vins et de l’Horticulture (Viniflhor), qui s'est regroupé en 2009 avec 5 autres offices pour former FranceAgriMer, a engagé une réflexion portant sur la conduite raisonnée de la vigne. Cette démarche débouche sur des conclusions plus contraignantes que les règles fixées par le décret de 2002, en particulier en matière d’entretien des sols, de pulvérisation (efficacité et sécurité), de recours aux intrants, de rejet des effluents, de gestion des déchets, de traçabilité et de contrôle, etc. L’office Viniflhor participe également à des travaux collectifs qu’il finance afin de définir des référentiels nationaux pour la production de raisins et pour des pratiques œnologiques intégrées. Pour d’autres, elle ne remet pas suffisamment en cause l’agriculture intensive, car elle n’interdit pas les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), et si elle préconise d’optimiser le recours aux intrants, elle ne limite pas les quantités qui chaque année peuvent être utilisées. Ces mêmes détracteurs soulignent que parmi les 103 exigences du référentiel national, 45 ne sont que des rappels de réglementations en vigueur, qui devraient être par conséquent déjà appliquées (par exemple l’obligation d’une part de n’utiliser que des intrants dont la commercialisation et l’usage sont autorisés, et d’autre part de disposer de locaux phytosanitaires répondant aux normes imposées, etc.). Ces opposants qui souhaiteraient une démarche plus ambitieuse, regrettent en outre que 19 exigences ne soient pas directement applicables. L’exploitant s’engage en effet simplement à les respecter dans les 2 ans qui suivent l’obtention de la qualification. Un organisme certificateur indépendant s’assure toutefois qu’elles ont bien été prises en compte avant l’expiration de ce délai. Enfin, pour ces partisans d’une politique plus volontariste en la matière, les 39 autres exigences ne sont que la vulgarisation de bonnes pratiques agri-environnementales. 5 � Les chartes collectives Avant la publication au Journal Officiel du décret de 2002, la viticulture disposait déjà de plusieurs chartes collectives, comme Terra Vitis, la Charte Conduite Raisonnée du Vignoble Languedoc-Roussillon ou Vitéalys, ainsi que quelques autres qui relèvent de la grande distribution : la Filière Qualité Carrefour, Terres et Saveurs chez Casino, ou la Filière Agriculture Raisonnée chez Auchan. Les prescriptions de ces documents divers que les vignerons qui le souhaitent s’engagent à respecter sont généralement plus contraignantes que celles imposées par le décret de 2002. En matière d’utilisation des intrants par exemple, la qualification exige simplement le respect des réglementations en vigueur concernant l’achat, le stockage et l’emploi des fongicides59, des insecticides et des � 64 En revanche, le décret de 2002 comporte des exigences générales concernant l’enregistrement et le suivi des opérations, le respect des règles de sécurité alimentaire et d’hygiène, la formation et l’information des exploitants agricoles. Ces dispositions étaient souvent absentes des chartes qui existaient déjà, et celles-ci ont été par conséquent modifiées dans ce sens. A très court terme, la viticulture raisonnée sera très certainement un standard incontournable pour toute la filière. Dans le Jura, c’est près de 30% de la superficie du vignoble qui sont cultivés en respectant les exigences du référentiel national, qui devrait s’imposer à tous très rapidement. Selon les viticulteurs qui pratiquent la biodynamie, le développement des plantes est soumis à des influences cosmiques. Ils établissent par conséquent un calendrier de leurs interventions qui tient compte des rythmes solaires et lunaires. notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? B � La viticulture biologique 60 1 � Les principes généraux et les textes en vigueur En France comme dans l’ensemble des pays de l’Union Européenne, la culture biologique des végétaux en général et de la vigne en particulier est régie par le règlement communautaire CE 834/2007, qui a remplacé depuis le 1er janvier 2009 le règlement CE 2092/91. Les produits qu’il autorise pour le traitement et la fertilisation figurent sur des listes dites positives. Ceux qui ne sont pas mentionnés sur celles-ci sont par conséquent interdits. Les engrais, les herbicides et les pesticides de synthèse sont ainsi proscrits, ainsi que les OGM. Le respect du cahier des charges défini par la réglementation européenne est contrôlé par des organismes certificateurs agréés par l’Etat. Il donne aux exploitants concernés le droit d’utiliser la mention « agriculture biologique » ainsi que le logo « AB », à l’issue d’une période de reconversion de 3 ans nécessaire à l’élimination de l’essentiel des polluants contenus dans les sols. Pour la viticulture, la certification ne concerne cependant que la production des raisins, et seule la mention « vin issu de raisins biologiques » peut être apposée sur l’étiquette. Une charte nationale précisant le cadre d’une vinification « bio » est toutefois en cours d’élaboration. 2 � La fertilisation et le travail des sols « Nourrir le sol pour nourrir la plante » est l’un des principes de base de l’agriculture biologique. Il convient de fournir à la vigne les éléments nutritifs nécessaires, et de permettre un développement racinaire harmonieux afin de produire des raisins de qualité. Pour entretenir voire pour améliorer la fertilité du sol, ne sont autorisés que les engrais et les amendements organiques, et quelques uns d’origine minérale naturelle. Il s’agit : notes CONFER L'ANNEXE 1 • De composts61 d’origine animale (sauf issus d’élevages hors-sol) et/ou végétale ; • De fumiers et de déjections animales (sauf issus d’élevages hors-sol) ; • De sous-produits d’origine animale (poudre de corne) ; • De guano (excréments d’oiseaux marins très riches en phosphates et en azote) ; • D’algues et de produits d’algues ; • De sous-produits de scierie (bois sans traitement chimique après abattage) ; • De carbonates de calcium et de magnésium d’origine naturelle ; • De sulfates de potassium, de calcium et de magnésium d’origine naturelle ; • De vinasse (liquide restant après la suppression par distillation de l’alcool des liqueurs alcooliques), et d’extraits de vinasse ; • D’oligo-éléments (éléments chimiques qui existent à l’état de traces dans les organismes à la vie desquels ils sont indispensables). L’agriculture biologique interdit l’usage des herbicides, et la maîtrise de l’enherbement est mécanique, plus rarement thermique. Ce travail du sol permet en outre de lutter contre la compaction, et donc contre le ruissellement et l’érosion. Il favorise un développement équilibré du système racinaire, et il régule par conséquent la vigueur de la vigne. Il contribue également à l’enfouissement et à la décomposition des amendements organiques, ainsi qu’à la protection des ceps contre le gel. L’enherbement du vignoble permet aussi d’entretenir voire d’améliorer la fertilité du sol, en favorisant l’activité des organismes de celui-ci, et la formation de l’humus62. Ce couvert végétal, naturel ou semé, conservé entre les rangs et autour de la parcelle de manière temporaire ou permanente, améliore la structure et la portance du sol. Il limite efficacement le ruissellement et l’érosion. 3 � Préserver la biodiversité pour mieux lutter contre les ravageurs 63 Un vignoble est une monoculture. Un déséquilibre est artificiellement entretenu, car une seule espèce végétale est cultivée au détriment de toutes les autres, ce qui est favorable à la prolifération des maladies et des ravageurs. L’approche biologique de l’agriculture en général, et de la viticulture en particulier, préconise d’entretenir une certaine biodiversité qui empêche la prolifération durable 65 � d’une espèce au détriment d’une autre, et limite par conséquent les risques de propagation des ravageurs et des pathogènes. L’enherbement permanent de la vigne, la conservation de bandes fleuries, des haies, des arbres isolés, des vergers, des fossés, favorisent la diversité animale. Cette végétation est un refuge et une source d’alimentation pour les insectes, les oiseaux, les reptiles et les petits mammifères, et en particulier pour les auxiliaires. Ces derniers sont des animaux, le plus souvent des insectes. Naturellement présents ou introduits, ils régulent les populations de ravageurs. Il s’agit soit de prédateurs, soit de parasites qui pondent dans les œufs ou dans les larves des ravageurs et se développent à leurs dépens, entraînant ainsi leur mort. Les traitements insecticides obligatoires afin d’éradiquer par exemple la cicadelle de la flavescence dorée64, peuvent être fatals pour les auxiliaires. Ceux-ci recolonisent cependant progressivement la parcelle à partir des zones enherbées ou arbustives situées à sa périphérie. Il est par conséquent primordial de conserver cette végétation qui est un abri essentiel pour la faune. Entretenir la biodiversité, c’est aussi préserver les organismes du sol, microscopiques comme les bactéries ou certains champignons, ou de plus grande taille à l’instar de divers arthropodes65, des lombrics66, ou de quelques mammifères. L’enherbement de la vigne et une bonne maîtrise de l’utilisation des intrants contribuent ainsi au développement des mycorhizes. Ces champignons qui vivent en symbiose avec les racines améliorent les prélèvements par la plante de l’eau, des minéraux, et des éléments peu mobiles tels que le phosphore, le zinc, le cuivre, etc. 4 � La prophylaxie et les traitements contre les maladies cryptogamiques 67 Si la préservation des populations d’auxiliaires permet de limiter efficacement les dégâts occasionnés par les ravageurs, la lutte contre les maladies repose en priorité sur une prophylaxie performante, car les traitements autorisés par le cahier des charges de l’agriculture biologique sont très limités. Il s’agit tout d’abord de veiller au bon équilibre de la vigne, dont l’état général doit être durablement satisfaisant. Une bonne maîtrise de la vigueur des plants permet ainsi de prévenir les attaques du mildiou et du botrytis68. � 66 Les opérations comme l’épamprage69, le palissage ou l’effeuillage, qui favorisent la circulation de l’air et qui accélèrent par conséquent le séchage du feuillage et des grappes après un épisode pluvieux, sont également efficaces contre les pathogènes. Il convient en outre de brûler systématiquement les sarments et les ceps qui ont été coupés ou arrachés parce qu’ils étaient contaminés par des maladies du bois, par exemple l’esca et l’eutypa70. Les outils de taille utilisés doivent être désinfectés avant d’intervenir sur le plant suivant. Lorsqu’un traitement contre les maladies cryptogamiques est indispensable, seuls le cuivre et le soufre sont autorisés. Le premier est efficace contre le mildiou notamment, et le second permet de lutter contre l’oïdium. Depuis le 31 décembre 2005, les apports de cuivre sont limités à 30 kg par hectare pendant une période de 5 ans, ce qui permet aux vignerons de s’adapter aux variations des pressions exercées par les pathogènes d’une année sur l’autre. Enfin, il n’existe aucune méthode directe autorisée en viticulture biologique contre le botrytis. Des épandages de lithothamme, une poudre de roche calcaire, ont toutefois un effet asséchant et cicatrisant, et ils contribuent par conséquent à créer des conditions peu propices au développement de ce champignon. 5 � La viticulture biologique dans le Jura 10 à 12% de la superficie du vignoble jurassien sont aujourd’hui cultivés en respectant les clauses du cahier des charges de la viticulture biologique. En France, c’est dans le Jura que celleci a progressé le plus ces dernières années (+66%), d’après une enquête réalisée par la revue « La Vigne ». A l’occasion de l’entretien accordé le vendredi 5 juin 2009 dans le cadre de ce mémoire, Cécile Claveirole, directrice du Comité Interprofessionnel des Vins du Jura (CIVJ), rappelle que contrairement à certaines idées reçues, l’agriculture biologique en général est très technique. Elle est aux antipodes de pratiques un peu dilettantes qui consisteraient à laisser faire la nature. Elle nécessite au contraire d’être très rigoureux, méticuleux et observateur. En raison du rôle essentiel que joue la prophylaxie, il convient en effet d’être à l’affût du moindre déséquilibre, du plus infime signe avantcoureur annonçant les prémices d’une maladie. En outre, lorsqu’il est nécessaire de traiter, les vignerons « bio » doivent le faire plus souvent que ceux dont les méthodes sont restées « traditionnelles », car les produits qu'ils utilisent ne sont pas les mêmes (ils protègent la vigne moins longtemps). notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? La viticulture biologique demande par conséquent plus de travail, pour des rendements inférieurs d’à peu près 40% selon Jean-Philippe Bourdy, président de l’AOC ChâteauChalon, qui a bien voulu accorder une interview le 16 octobre 2008 pour le numéro 1 de « La feuille », le journal électronique du développement durable de la direction départementale de l’équipement et de l’agriculture (DDEA) du Jura. Les vins issus de raisins biologiques sont donc un peu plus chers que les autres. Interrogé à ce sujet par Roland Sage, conseiller en agriculture biologique à la Chambre d’Agriculture du Jura (bulletin « SAJ » n°44 de juillet 2008), Jean-Etienne Pignier a reconnu que le GAEC du « Cellier des Chartreux » qu’il exploite en famille avec sa sœur Marie-Florence et son frère Antoine, a probablement perdu quelques clients en raison d’une hausse des tarifs consécutive à la conversion au « bio ». Toutefois, celle-ci s’est accompagnée d’une mutation de la clientèle, composée aujourd’hui en particulier d’adeptes de l’agriculture biologique qui ne discutent pas les prix. D’autres, qui ne sont sensibles qu’à la qualité, n’hésitent pas à payer un peu plus cher pour acheter les vins de l’exploitation, plus régulièrement primés que par le passé à l’occasion de concours, de dégustations, etc. Enfin, la conversion au « bio » a permis à l’entreprise familiale de conquérir de nouveaux marchés dans des pays où les habitants sont peut-être un peu plus sensibles qu’en France à une agriculture plus durable (en Allemagne, en Belgique, en Norvège, à Singapour,…). Les principes de la biodynamie ont été précisés en 1924 par l’anthroposophe72 Rudolf Steiner. Afin de favoriser une biodiversité améliorant la qualité de la terre, ainsi qu’un meilleur enracinement de la plante, un développement des feuilles et des fleurs plus harmonieux, le sol est labouré et griffé sans recourir à des engins agricoles qui le tasse. Il est valorisé, ainsi que la vigne, grâce à des préparations issues de matières végétales, animales et minérales, appliquées à certains moments du cycle de l’année. Contrairement à l’agriculture raisonnée et à celle dite « biologique », la biodynamie n’est pas encadrée par un règlement européen ou national. Les exploitants concernés peuvent toutefois bénéficier s’ils le souhaitent du label « AB » déjà évoqué, car ils respectent le cahier des charges de l’agriculture « bio ». La biodynamie fait également l’objet de chartes diverses, comme par exemple le « Label Demeter », ou celui dénommé « Biodyvin » pour la viticulture. Pour obtenir ce dernier, le vigneron doit être certifié « AB » pour l’intégralité de son exploitation, et respecter le cahier des charges fourni par le Syndicat International des Vignerons en Culture Biodynamique (SIVCB). Le domaine fait l’objet d’un contrôle annuel par un organisme indépendant « ECOCERT ». 2 � Les différentes préparations Le compost de bouse MT tout d’abord, est employé afin de conforter le processus de décomposition de la terre. Selon les viticulteurs qui pratiquent la biodynamie, les sols bénéficient ainsi d’une biodiversité plus riche, ils sont moins tassés, et les mottes qui se brisent plus facilement ont une structure grumeleuse. C � La biodynamie 71 1 � Les principes généraux Comme l’agriculture biologique, celle qualifiée de biodynamique proscrit en particulier l’utilisation d’engrais, d’herbicides et de pesticides de synthèse. La démarche va toutefois un peu plus loin, et certains la qualifient parfois d’ésotérique, car elle prend en compte des influences astrales et un rythme prêté à la nature, qui déterminent à quels moments précis doivent être utilisées des préparations végétales de type homéopathique. notes CONFER L'ANNEXE 1 La préparation 500 est confectionnée à partir d’une bouse de vache de qualité. Elle est introduite dans une corne qui est enterrée durant un laps de temps assez long. Elle se transforme ainsi en humus naturel, qui est pulvérisé ensuite sur le sol et sur la vigne, afin notamment de renforcer le système racinaire de celle-ci. La préparation 501, à base de silice de corne, est utilisée quant à elle afin de contribuer au développement des feuilles et des fleurs, et pour favoriser une fructification harmonieuse. Numérotées de 502 à 507, les autres préparations sont élaborées à partir d’achillée, de camomille, d’ortie, d’écorce de chêne, de pissenlit et de valériane. Ces fleurs sont transformées à l’issue d’une fermentation, pour quelques 67 � unes d’entre elles en présence d’organes d’animaux. Les préparations ainsi obtenues enrichissent les composts, afin d’améliorer l’équilibre du sol et de la plante. Lorsque celui-ci est atteint, la vigne n’est en principe pas sujette aux agressions des maladies cryptogamiques et des ravageurs (insectes, acariens, etc.). Si c’est nécessaire, elle peut être cependant traitée avec des produits naturels comme la bouillie bordelaise ou la fleur de soufre. 3 � Les rythmes terrestres et lunaires Selon les viticulteurs qui pratiquent la biodynamie, le développement des plantes est soumis à des influences cosmiques, qui dépendent de la position de la lune, du soleil et des planètes par rapport aux constellations. Ils établissent par conséquent un calendrier de leurs interventions qui tient compte des rythmes solaires, caractérisés par l’alternance du jour et de la nuit, des saisons, mais aussi des rythmes lunaires. Ils estiment par exemple qu’un binage n’a pas les mêmes vertus lorsqu’il est réalisé au printemps ou à l’automne lunaire, et qu’il vitalise la plante lorsqu’il est effectué le matin, alors que l’après-midi il contribue plutôt à garder l’eau dans le sol. 4 � La vinification La culture biodynamique favorise, sur la peau du raisin, le développement de levures qui contribuent à l’élaboration de vins typés. Il n’est pas nécessaire en principe d’ajouter soit des levures étrangères qui modifient les arômes et standardisent la production, soit des adjuvants œnologiques qui changent l’équilibre initial des moûts (chaptalisation, acidification / désacidification, enzymes, colles, azote,…). Enfin, si l’obtention d’un vin sans anhydride sulfureux (SO2) peut sembler souhaitable, il n’existe toutefois à ce jour aucune alternative crédible à une utilisation modérée de ce dernier. Les chartes relatives à la vinification « bio » réduisent pour la plupart de 50% environ les quantités de SO2 autorisées par la réglementation européenne. � 68 notes CONFER L'ANNEXE 1 De la vigne à la table. Une viticulture durable : un nouveau défi pour les vignerons du Jura ? notes CONFER L'ANNEXE 1 69 � � 70