Précisions sur la gestion des forfaits jours
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Précisions sur la gestion des forfaits jours
Imprimer Page 1 sur 4 DURÉE DU TRAVAIL Précisions sur la gestion des forfaits jours Le forfait-jours ne doit pas être un prétexte pour priver le cadre des droits dont il bénéficierait s’il n’y était pas soumis. C’est ainsi que les jours de congé d’ancienneté doivent être pris en compte pour établir le nombre de jours de travail du cadre. De même, les absences justifiées, notamment les absences pour maladie, ne doivent pas venir en déduction du nombre de jours de repos du cadre. LES FAITS Un syndicat remet en cause la manière dont une société met en application l’accord national de la métallurgie sur l’organisation du temps de travail des cadres, en particulier la manière de gérer les forfaits-jours. Rappelons que l’accord de la Métallurgie prévoit un forfait initialement de 215 jours travaillés, augmenté à 216 en raison de l’ajout de la journée de solidarité. LES DEMANDES ET ARGUMENTATIONS Le premier grief porte sur les congés d’ancienneté accordés par la convention collective. Selon le syndicat, il convient d’en tenir compte pour diminuer d’autant le nombre de jours de travail dus par le cadre, ce qui revient à déterminer un plafond différent selon les cadres. La société procède différemment : pour chaque cadre, elle regarde chaque année si le cadre a ou n’a pas dépassé le plafond de 216 jours. S’il l’a dépassé, il est invité à récupérer les jours de repos qu’il n’a pas pris ; à l’inverse, si le nombre de jours de travail n’atteint pas le chiffre de 216, du fait notamment de l’imputation des jours d’ancienneté, la société le constate simplement par un courrier, sans demander au salarié de travailler des jours en plus. Le deuxième grief porte sur la répercussion des absences sur le nombre de jours de repos. Mélangeant des mécanismes différents, la société estime que, lorsque les cadres sont malades, ils « ne bénéficient pas pour le mois en cours du jour de RTT auquel ils auraient pu prétendre s’ils n’avaient pas été absents » La cour d’appel rejette les deux demandes du syndicat. LA DÉCISION, SON ANALYSE ET SA PORTÉE La Cour de cassation, elle, y fait droit. Sur le premier point : « Attendu cependant que les jours d’ancienneté conventionnels doivent être pris en compte pour la détermination du nombre de jours travaillés sur la base duquel est fixé le plafond propre à chaque convention de forfait, le cadre titulaire de cette convention pouvant bénéficier en cas de dépassement du nombre de jours travaillés correspondant à ce plafond d’un nombre de jour de repos égal à ce dépassement au cours des trois premiers mois de l’année suivante ; Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le plafond maximum de deux cent quinze jours ne http://www.wk-rh.fr/actualites/actualites_imprimer.php?action=imprimer&actualite_i... 12/01/2012 Imprimer Page 2 sur 4 prenait pas en compte les congés conventionnels d’ancienneté pour la détermination du nombre de jours travaillés, la cour d’appel a violé les textes susvisés. » Sur le deuxième point : « Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le retrait d’un jour de réduction de temps de travail en raison d’une absence pour maladie a pour effet d’entraîner une récupération prohibée par l’article L. 212-2-2 du Code du travail (recod. article L. 3122-27), la cour d’appel a violé les textes susvisés. » → Prise en compte des congés d’ancienneté Pour bien comprendre comment établir le décompte du forfait annuel de chaque salarié, il faut se remémorer la manière dont le législateur avait établi le nombre maximal de jours tel qu’il apparaît dans l’article L. 3121-44 du Code du travail. Partant de 365 jours, on avait d’abord retiré 52 dimanches et 52 autres jours de repos hebdomadaire, qu’il s’agisse du samedi ou du lundi. On avait ensuite soustrait 25 jours de congés payés et 9 jours fériés (sachant que sur les 11 jours fériés légaux, on en trouve toujours au moins 2 pour tomber un dimanche). Parvenus ainsi à la somme de 226 jours, le législateur et les partenaires sociaux avaient ensuite estimé, pour que les cadres participent comme les autres à la réduction du temps de travail, qu’il convenait de retrancher 10 jours. Le plafond général avait donc été fixé à 217 jours et, la journée de solidarité étant passée par là, le plafond est actuellement de 218 jours. L’accord de la Métallurgie ayant estimé la réduction du temps de travail à 12 jours, le plafond dans la Métallurgie est de 216 jours, mais le raisonnement qui y a conduit est le même que celui de la loi. On voit bien, par ce mécanisme, que les jours de congés payés doivent être retranchés du nombre de journées de travail que peut exiger l’employeur. Il est donc logique que les salariés qui bénéficient de congés d’ancienneté aient à fournir moins de jours de travail que les débutants qui n’en bénéficient pas... Le raisonnement se fait aisément quand on part bien de cette notion de nombres de jours de travail à fournir au lieu de partir d’un nombre de jours de repos. → Impact des absences sur le nombre de jours à travailler C’est cette pratique de raisonner à partir des jours de repos au lieu des jours de travail qui a conduit l’employeur, dans cette affaire, à se fourvoyer dans le calcul de retenues pour absence. Le mécanisme qui aboutit à déterminer des jours de réduction du temps de travail (RTT – on notera au passage que la Cour de cassation a adopté la terminologie courante) n’est pas applicable aux cadres en forfait-jours. Pourquoi ? Parce que, justement, la réduction du temps de travail a été réalisée par cet abattement de 10 jours (selon la loi) ou 12 jours (selon la convention) réalisé sur le nombre annuel de jours de travail à fournir. Le mécanisme des RTT, rappelons-le, consiste à maintenir une durée hebdomadaire de travail de 39 heures, ce qui permet au salarié de capitaliser 4 heures par semaine et de lui accorder une journée de repos toutes les deux semaines (4 h + 4 h = 8 h = 1 jour). Si le salarié soumis au régime RTT n’a pas effectué ses 39 heures parce qu’il n’était pas là en raison d’une absence non assimilée à du travail effectif, ce qui est le cas de la maladie, il n’a pas acquis ces fameuses 4h/ semaine lui permettant de revendiquer un jour de RTT. Mais le propre du forfait en jours, c’est justement de se détacher de ce décompte d’heures. Appliquer le raisonnement RTT au bénéficiaire d’un forfait-jours est donc un contresens. Contresens que n’a pas manqué de relever la Cour de cassation qui observe que ce procédé revient à faire récupérer les jours de maladie, ce qui est contraire à l’article L. 3122-27 du Code du travail. La gestion de la durée du travail est longue à passer dans les moeurs. Les services du personnel ont si longtemps été imprégnés d’un calcul en heures qu’ils peinent à changer de logique quand ils appliquent les forfaits-jours. On constate d’ailleurs la même difficulté chez les conseillers prud’homaux, voire chez les conseillers des cours d’appel. Quand on lit les plaidoiries des avocats, on peut le leur pardonner car elles n’empruntent pas forcément le chemin le plus direct pour parvenir à leurs conclusions. http://www.wk-rh.fr/actualites/actualites_imprimer.php?action=imprimer&actualite_i... 12/01/2012 Imprimer Page 3 sur 4 Texte de l’arrêt LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Prysmian énergie câbles et systèmes France (la société) a mis en place un certain nombre de mesures en matière de réduction du temps de travail ensuite de la signature de l’accord national du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail dans la métallurgie modifié par avenant du 29 juillet 2000 ; que parmi ces mesures figuraient, pour les cadres, la possibilité de conclure des conventions de forfait annuel en jours, ne pouvant excéder deux cent quinze jours à l’année, ou deux cent seize jours avec la suppression du lundi de Pentecôte comme jour férié à partir de 2005, et comprenant l’acquisition de douze jours à titre de réduction du temps de travail ; que la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC (le syndicat) a assigné la société le 3 janvier 2006 pour contester les conditions de mise en oeuvre de ces mesures à compter de 2005 ; Sur le premier moyen : Vu l’article L. 212-15-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable et l’article 14.2 de l’accord national sur l’organisation du travail dans la métallurgie du 28 juillet 1998 ; Attendu que pour débouter le syndicat de sa demande relative aux modalités de décompte, l’arrêt retient que les jours de congés d’ancienneté conventionnels, résultant tant de la convention collective que de l’accord de l’entreprise, doivent être déduits du nombre des jours travaillés théoriques, en application des dispositions précitées de l’article 14 de l’accord national du 28 juillet 1998 ; que les conventions de forfait annuel en jours, qui ont été signées début 2001, mentionnent que la rémunération forfaitaire brute annuelle correspond à « un maximum » de deux cent quinze jours par an ; que, pour un cadre au forfait annuel jours, la société défalque du nombre de jours travaillés dans l’année, les jours de congés payés et de RTT, mais également les jours conventionnels d’ancienneté non pris en compte dans le calcul du plafond ; que, dans l’hypothèse où le résultat obtenu est supérieur au plafond, la société invite le salarié « à récupérer » les jours travaillés dépassant ce plafond l’année d’après, conformément à l’article L. 3121-49 du code du travail ; que, dans l’hypothèse inverse, lorsque le résultat obtenu est inférieur au plafond, du fait notamment de l’imputation des jours d’ancienneté, la société le constate simplement par un courrier, sans demander au salarié de travailler des jours en plus, pour qu’il atteigne ledit plafond ; que le syndicat ne démontre pas que les cadres au forfait jours perdraient les jours supplémentaires d’ancienneté auxquels ils ont droit ; Attendu cependant que les jours d’ancienneté conventionnels doivent être pris en compte pour la détermination du nombre de jours travaillés sur la base duquel est fixé le plafond propre à chaque convention de forfait, le cadre titulaire de cette convention pouvant bénéficier en cas de dépassement du nombre de jours travaillés correspondant à ce plafond d’un nombre de jour de repos égal à ce dépassement au cours des trois premiers mois de l’année suivante ; Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le plafond maximum de deux cent quinze jours ne prenait pas en compte les congés conventionnels d’ancienneté pour la détermination du nombre de jours travaillés, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Sur le second moyen : http://www.wk-rh.fr/actualites/actualites_imprimer.php?action=imprimer&actualite_i... 12/01/2012 Imprimer Page 4 sur 4 Vu les articles L. 212-2-2 et L. 212-15-3 III du code du travail dans leur rédaction alors applicable ; Attendu que pour débouter le syndicat de sa demande relative à la suppression de journées de réduction de temps de travail en raison d’absence pour maladie, l’arrêt, après avoir relevé que les cadres absents pour maladie ou grève ne bénéficient pas pour le mois en cours du jour de RTT auquel ils auraient pu prétendre s’ils n’avaient pas été absents, retient que le salarié, qui a conclu un forfait jours sur l’année et qui n’est donc soumis à aucun horaire, ne peut bénéficier des dispositions légales relatives à la répartition et à l’aménagement des horaires, notamment de celles prévues à l’article L. 3122-27 du code du travail ; qu’aucune prescription légale ou conventionnelle n’interdit, lorsque l’absence n’est pas assimilée à des jours de travail effectif, à ce que celleci ait pour effet de supprimer le jour de RTT mensuel auquel le salarié aurait eu droit s’il n’avait pas été absent le mois concerné ; Attendu, cependant, que selon l’article L. 212-15-3 III du code du travail, les salariés concernés par une convention de forfaits en jours ne sont pas soumis aux dispositions de l’article L. 212-1 et du deuxième alinéa de l’article L. 212-7 du code du travail ; qu’il en résulte que les dispositions de l’article L. 212-2-2 de ce même code sont applicables aux conventions de forfaits en jours ; Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que le retrait d’un jour de réduction de temps de travail en raison d’une absence pour maladie a pour effet d’entraîner une récupération prohibée par l’article L. 212-2-2 du code du travail, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 avril 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ; Condamne la société Prysmian énergie câbles et systèmes France aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la Fédération de la Métallurgie CFE-CGC la somme de 2 500 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois novembre deux mille onze. Cass. soc., 3 nov. 2011, pourvoi no 10-18.762, arrêt no 2207 FS+P+B+R+I Auteur : Marie Hautefort Jurisprudence Sociale Lamy, N° 313 du 03/01/2012 © Tous droits réservés http://www.wk-rh.fr/actualites/actualites_imprimer.php?action=imprimer&actualite_i... 12/01/2012