Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai

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Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai
Où se joue la rivalité
entre Hong Kong et Shanghai ?
François Gipouloux *
Hong Kong est depuis longtemps vouée au commerce international. Son port
en eau profonde et ses aiguades avaient attiré jonques de marchands asiatiques et navires européens bien avant sa cession à la Grande-Bretagne en
1841. Le cadre géographique favorable en avait fait un havre idéal pour le
radoub des coques et le repos des équipages après les éprouvants voyages
d'Europe ou d'Amérique du Nord. Depuis, ce minuscule territoire
(1 000 km2), dépourvu de ressources naturelles mais plus peuplé (six millions d'habitants en 2004) que le Danemark, l'Irlande ou la Finlande, a fondé
sa prospérité sur la fourniture de biens et de services dont la demande est
devenue mondiale.
Économiquement plus avancée que Hong Kong avant 1949, Shanghai
a souffert d'une politique prolongée de substitution d'importations, et bénéficié tardivement des avantages concédés par les réformateurs aux provinces méridionales. Elle s'est éveillée d'un long sommeil au début des
années 1990 et a montré, grâce à son spectaculaire programme de rénovation
urbaine et l'aménagement de Pudong MM en un district financier, sa volonté de retrouver son rang de ville phare de l'Asie de l'Est.
* Directeur de recherche, CNRS. Centre d'Études sur la Chine Moderne et Contemporaine : [email protected]
Études chinoises, vol. XXIV (2005)
François Gipouloux
Mais y a-t-il véritablement concurrence entre les deux métropoles ? Si
oui, dans quels domaines ? La logistique ? La finance ? L'implantation de
quartiers généraux régionaux pour les firmes multinationales ? Certes,
l'apparente similitude entre la position géographique, au débouché d'une
zone économique à très forte croissance, le prestige passé et les fonctions
particulières de ces deux centres urbains invite à la comparaison. Mais un
examen plus détaillé fait apparaître qu'il y a place pour plusieurs plates-formes internationales sur la façade littorale de la Chine. L'émergence
d'autres centres n'est pas nécessairement un jeu à somme nulle et, d'autre
part, les deux métropoles ne remplissent pas à l'heure actuelle les mêmes
fonctions. Tandis que, pour nombre de compagnies multinationales,
Shanghai est en passe de devenir le quartier général de leurs opérations en
Chine, Hong Kong continue à être préférée pour l'implantation des sièges de
quartiers généraux régionaux (ayant compétence pour l'ensemble de l'Asie
de l'Est et du Sud-Est), dotée de fonctions plus étendues, incluant la finance
et la logistique. Enfin, si la part capturée par Hong Kong dans
l'intermédiation du commerce chinois décline en termes relatifs, elle progresse toutefois en valeur absolue, au fur et à mesure que la Chine se développe.
Le propos de cet article est de montrer que la menace, ou du moins le
défi que représente Shanghai pour Hong Kong, doit être replacé dans le
contexte des différentes phases du développement de la Chine. Le marché
chinois est suffisamment vaste pour s'accommoder de la présence de deux
grandes plates-formes commerciales, et si l'écart entre les deux métropoles
chinoises se rétrécit, par exemple en matière d'attraction des investissements
étrangers et de capacités de transport maritime, la distance est encore grande
entre les deux villes lorsque la qualité de l'environnement des affaires ou
celle du cadre juridique sont prises en compte. On peut donc se demander si
les deux villes ne se situent pas sur un registre différent : servir le marché
intérieur dans le cas de Shanghai, demeurer une plate-forme centrale pour les
échanges globaux dans celui de Hong Kong. Tentons d'explorer ce qui est au
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cœur de leur rivalité : la lutte pour la suprématie dans l'intermédiation
commerciale avec la Chine.
I. Les diverses figures de l'intermédiation hongkongaise
L'entrepôt, centre de ré-exportation
Le commerce international n'est pas toujours effectué entre deux entités
nationales. Lorsqu'existent des barrières politiques, religieuses ou idéologiques, ou encore lorsque tout ce qui permet le commerce direct - information concernant les possibilités d'affaires, infrastructures commerciales ou
initiative entrepreneuriale - fait défaut, on recourt au commerce d'entrepôt.
Cette formule économique a fait, à des degrés divers, la fortune de Gibraltar,
Bahrein, Porto Rico et surtout de Hong Kong et de Singapour. La position
géographique importe, certes. L'entrepôt est généralement situé à proximité
d'un vaste hinterland dont il est le point de passage obligé (Hong Kong). Il
peut aussi relier une péninsule et un archipel (Singapour). Mais ce sont
surtout les infrastructures commerciales qui lui donnent son pouvoir
d'attraction et sa puissance économique : capacité de stockage et de conditionnement, concentration des métiers liés à l'exportation (transport, assurance, finance, etc.) se développant en activités autonomes. L'entrepôt
s'impose donc comme un nœud au carrefour de plusieurs routes commerciales.
Cette médiation commerciale est d'autant plus affirmée que la croissance de Hong Kong a toujours été tirée par la demande externe : exportations domestiques d'abord, puis ré-exportations et enfin exportations de
services. Cela a été le cas depuis que les exportations de confection,
d'horlogerie et de jouets ont dominé, de la fin de la guerre jusqu'au début des
années 1980. La moitié de la main-d'œuvre hongkongaise travaillait alors
dans l'industrie manufacturière. Dans les deux décennies qui ont suivi, le
secteur manufacturier a progressivement diminué, et les services ont acquis
une position dominante : alors que la part des exportations domestiques,
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c'est-à-dire de produits fabriqués localement, dans le commerce total de
Hong Kong passait de 81 % au début des années 1970 à 35 % au début des
années 1990 et à 6,2 % en 2004 ï, les ré-exportations représentaient 31 % du
commerce extérieur de Hong Kong en 1981 et 90 % en 2001 ; dans le même
temps, les exportations de services (323 milliards de HK$) s'élevaient en
2000 à plus du double des exportations de marchandises (153 milliards de
HK$).
Cette évolution reflète le très rapide déclin du secteur manufacturier
qui ne représentait plus, en 2003, que 4 % du PIB, contre 23,7 % en 1980.
Hong Kong est devenu pour la Chine un entrepôt et un centre de
ré-exportation : les revenus de cette activité sont passés de 15,5 % en 1978 à
105,1 % du PIB en 2001. Cette mutation s'explique essentiellement par la
délocalisation de l'activité manufacturière hongkongaise dans le delta de la
Rivière des Perles : plus de 80 % des produits ré-exportés par Hong Kong en
2001 sont passés par la Chine dans leur processus de fabrication, et 70 % de
ce total était en fait de la sous-traitance internationale (processing trade)2.
L'activité de ré-exportation concerne les produits achetés et revendus
hors de Hong Kong mais qui transitent par le territoire : les marchandises
sont donc dédouanées à deux reprises, une première fois au moment de leur
importation et une seconde lors de leur exportation. Il s'agit, selon la définition donnée par le Census and Statistics Department, de « produits qui ont
été importés à Hong Kong et sont ré-exportés sans avoir subi à Hong Kong
un processus manufacturier qui en a altéré de manière permanente la forme,
la nature ou l'utilité » \ Le modeste apport qui intervient au moment de la
1
Soit 4 % du PIB en 2003, contre 23,7 % en 1980. Cf. Census and Statistics Department,
The Government of Hong Kong Spécial Administrative Région, 2005.
La production délocalisée (outward processing), telle que définie par le Hong Kong
Census and Statistics Department, désigne l'exportation de matières premières ou de
produits semi-finis de ou par Hong Kong en vue d'une transformation en Chine, avec un
accord contractuel pour l'importation ultérieure des produits finis à ou par Hong Kong.
3
Census and Statistics Department, The Government of Hong Kong Spécial Administrative Région, 1998.
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ré-exportation, essentiellement sous forme de tri, de contrôle de la qualité et
de conditionnement, est généralement estimé à 5 % de la valeur du produit.
Mais comment est-il effectué ? Où sont, autrement dit, les établissements
industriels qui permettraient d'ajouter aux exportations de Hong Kong
environ un vingtième de leur valeur par an ? Il y a toutes les raisons de
penser qu'ils n'existent pas et que tout passe en réalité par un jeu d'écritures
comptables - transfert de prix, sous-facturation ou sur-facturation - permettant de bénéficier des facilités fiscales offertes par Hong Kong. Entre
1962 et 1978, les ré-exportations ont progressé de 11,2 % par an en moyenne.
Après 1978, elles ont crû de 19,9 % en moyenne annuelle, soit presque le
double. En 1978, les ré-exportations représentaient 12,1 % du PIB et en 1998,
147,1 % 4.
L'entrepôt, centre d'arbitrage en matière douanière et réglementaire,
plate-forme de coordination pour l'approvisionnement global
L'entrepôt est aussi un centre où domine l'intermédiaire. Cette intermédiation, dont Hong Kong s'est faite une spécialité, implique l'activité de courtage en matière d'investissements étrangers en Chine et de conseil auprès des
firmes étrangères sur la façon de conduire des opérations commerciales en
Chine. Mais un entrepôt assure généralement deux autres intermédiations :
Les ré-exportations sont nécessairement précédées par des importations. Il faut donc
bien distinguer deux composantes dans la ré-exportation opérée par Hong Kong :
inbound re-exports, autrement dit importations de produits semi-finis destinés à être
usinés et assemblés en Chine et outbound re-exports, qui désignent des produits assemblés en Chine et exportés par Hong Kong vers les marchés nord-américains, européens et, de plus en plus, asiatiques. La somme des importations et du total des exportations (exportations domestiques et ré-exportations) constituait en 1978 100 % du PIB
de Hong Kong et 352 % en 1998. Ce résultat s'est produit en dépit d'un déclin des
exportations domestiques qui sont passées de 32,6 % du PIB en 1978 à 23 % en 1998 et
à 19,31 % en 2002.
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1.L'arbitrage en matière douanière et réglementaire; 2. La coordination
d'un processus de production manufacturière délocalisé.
La première intermédiation est relativement évidente dans le cas de
produits qui sont exportés de la Chine vers Hong Kong et ré-exportés ensuite
en Chine : ils bénéficient à Hong Kong d'un régime douanier avantageux ; la
seconde fonction concerne les flux de ré-exportation entre la Chine et le reste
du monde : les composants sont importés via Hong Kong dans les provinces
du sud de la Chine et les produits finis sont ré-exportés via Hong Kong vers
des marchés tiers. Les fonctions sont assurées à Hong Kong par les firmes
locales (traders) et les sièges régionaux des multinationales : coordination
de l'approvisionnement global (sourcing), de la finance, de la production
délocalisée, de la logistique, du marketing, des ventes. Il s'agit en somme
d'intermédiation manufacturière, surtout lorsque la firme sous-traitante n'a
pas de lien juridique avec le donneur d'ordre établi à Hong Kong mais peut
être contrôlée par différentes formes de prise de participation à ses actifs ou à
sa gestion. Les firmes de trading jouent dans cette configuration un rôle de
courtier vis à vis des firmes manufacturières. Elles identifient les sites de
fabrication et en contrôlent la production. Cette fonction d'intermédiation est
justifiée par la nature des produits, l'ignorance dans laquelle se trouvent les
producteurs des marchés à l'étranger, les difficultés des acheteurs à traiter
avec les unités de production et la nécessité de disposer d'une information
très poussée sur les caractéristiques et qualités de la demande comme de
l'offre. Cette expertise particulière, fondée sur une appropriation et une
gestion efficace de l'information, est accomplie par le réseau commercial5.
5
Voir sur ce point Francis Ng et Alexander Yeats, "Production Sharing in East Asia:
Who Does What for Whom, and Why?" Policy Research Working Papers ofthe World
Bank, 1999 (http://www-wds.worldbank.org/servletAVDS_IBank_Servlet?pcont=detail
s&eid=000094946_99101505330852). Voir aussi James Rauch, "Networks Versus
Markets in International Trade", Journal of International Economies, 48, 1 (1999),
p. 7-35. Voir enfin Henry Y. Wan Jr. et Jason Williams, "Hong Kong: the Fragile
Economy of Middlemen", Review of International Economies, 7, 3 (1999), p. 410-430.
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Le réseau ne renseigne pas seulement sur les caractéristiques du produit : il
connaît aussi les parties contractantes et permet leur mise en relation.
Commerce intra-flrme et transferts de prix
Enfin, l'entrepôt n'est pas seulement un quartier général de services , c'est
aussi le lieu d'un intense commerce intra-firme. En effet, si les entreprises
tendent de plus en plus à délocaliser leurs activités manufacturières en Chine,
elles conservent jalousement un noyau de services à haut niveau de savoir-faire et d'expertise. Comment sont facturés ces services (recherche de
composants, coût des implantations de quartiers généraux régionaux, coût
des réseaux commerciaux, etc.) ? La plupart du temps sous forme de transferts de prix. Ce terme est utilisé pour désigner tous les aspects des dispositions concernant les prix au sein d'une même compagnie. Qu'il s'applique à
des transferts d'actifs tangibles ou intangibles, l'objectif est toujours le
même : minimiser les prélèvements et maximiser les profits. En cas de
transfert de produits, de services ou de savoir-faire vers une autre partie dans
un autre pays, le prix facturé est appelé prix de transfert. Il peut s'agit d'un
montant arbitraire, sans relation avec les coûts, les opérations effectuées ou
la valeur ajoutée. L'intérêt est de réduire au maximum, voire d'annuler les
impôts à payer en fonction des différents régimes fiscaux dans les pays par
où transite le produit. Des composants destinés au processus et devant être
exportés en Chine via Hong Kong sont sur-facturés quand ils passent de
Hong Kong en Chine, tandis que les ré-exportations de produits manufacturés en provenance de Chine peuvent être sous-facturés lorsqu'elles entrent
à Hong Kong et renchéries lorsqu'elles sont exportées par Hong Kong vers
leur client final. En un mot, les produits sont ré-exportés par Hong Kong,
même dans le cas où des apports substantiels - en service ou en transfor-
6
Cf. Elhanan Helpman et Paul R. Krugman, Market Structure and Foreign Trade:
Increasing Returns, Imperfect Compétition, and the International Economy, Cambridge,
Mass., and London : The MIT Press, 1985, ch. 12.
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mation manufacturière-n'ont pas été apportés. C'est en définitive ce qui
fait que Hong Kong est choisi par les opérateurs du commerce international
pour sa fonction d'arbitrage dans la réglementation et le niveau des droits de
douanes. Hong Kong commande donc un ensemble intégré verticalement production —» transport —• intermédiation - au sein d'une économie fonctionnant en réseau. Pour les grandes compagnies, il est cependant indispensable que certaines activités - commerce, finance, négociation des
contrats commerciaux, études de marché, marketing, documentation commerciale, arbitrage - demeurent encore à Hong Kong.
L'essor du commerce délocalisé
Une autre mutation s'est produite à Hong Kong au cours des années 1990 :
l'apparition du commerce offshore, ou commerce délocalisé. Il s'agit d'une
forme de commerce international dans laquelle une partie des opérations de
gestion sont effectuées par Hong Kong, bien que les marchandises achetées
ou vendues ne transitent plus physiquement par le territoire. C'est là que
réside la distinction essentielle entre ré-exportation et commerce délocalisé :
les marchandises sont prises en charge du producteur au consommateur final,
sans être dédouanées à Hong Kong. Le commerce délocalisé correspond en
fait à de l'exportation de services. Il peut être défini comme un commerce
dans lequel les marchandises ne sont ni dédouanées ni transbordées à Hong
Kong, mais impliquent néanmoins les fabricants ou négociants hongkongais
à un point donné de la chaîne de la valeur ajoutée dans la fourniture des
marchandises du producteur au client. Dans la plupart des cas, il s'agit de
produits manufacturés en Chine et expédiés vers leur destination à l'étranger
directement à partir de ports chinois.
La difficulté du repérage statistique du phénomène offshore vient de ce
que le gouvernement de Hong Kong a exclu pendant longtemps ce type de
commerce des statistiques du commerce extérieur pour l'inclure dans une
catégorie « exportation de services liés au commerce international ». C'est
seulement en juillet 2002 que furent publiées les premières statistiques à ce
196
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sujet. On découvrit alors que 80 % du montant des opérations répertoriées
sous cette catégorie correspondait en fait à du commerce offshore. Sa
croissance annuelle moyenne était impressionnante : 11,4 % de 1996 à 2000,
contre seulement 3,8 % pour les ré-exportations 7. Deux facteurs permettent
de rendre compte de cette évolution. D'une part, la puissance économique du
pôle manufacturier du delta du Fleuve Bleu commence à s'affirmer, comme
nous le verrons plus loin en détail. D'autre part, le développement des
services de soutien à l'exportation en Chine même entraîne la délocalisation
de nombre de fonctions commerciales, afin de réduire les coûts de transport
et de satisfaire les préférences des consommateurs pour des expéditions
directes à partir du territoire chinois.
La croissance soutenue du commerce délocalisé et l'investissement
direct des Hongkongais en Chine a sans nul doute renforcé la position de la
ville en tant que plate-forme commerciale et point d'agglomération des
quartiers généraux régionaux des firmes multinationales en Asie-Pacifique.
Il faut cependant noter que les exportations totales effectuées par les compagnies hongkongaises sont en fait plus élevées que ne le révèlent les données statistiques8. Selon une enquête effectuée par le Hong Kong Trade and
Development Council, la valeur totale du commerce offshore effectué par les
compagnies de Hong Kong (transbordement inclus) s'élevait à 1 050 milliards de HK$ en 1997, soit 85 % des ré-exportations, contre 70 % en 1994 et
50 % en 1991 9. En 2003, le commerce offshore (1 666 milliards de HK$) a
légèrement dépassé le montant des ré-exportations (1 620 milliards de
En 1997, la valeur du commerce délocalisé était de 1 000 milliards de HK$, soit 85 %
de la valeur des ré-exportations. En 2000, elle dépassait légèrement celle des
ré-exportations, avec 1 425 milliards de HK$. Cf. Census and Statistics Department, The
Government of Hong Kong Spécial Administrative Région, 2001.
8
'Trade Development Council's Chief Economist Edward Leung, presenting the
findings of a TDC research report on the Rise in Offshore Trade and Offshore Investment", 26.03.1998. http://www.tdc.trade.com/tdcnews/9803/98032601.htm.
9
Ce rapport, le quatrième depuis 1988, repose sur une enquête menée auprès de 6 226
compagnies de Hong Kong en novembre et décembre 2002.
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HK$) . La Chine continentale fournissait ainsi 63 % des exportations de
Hong Kong en 1997, contre 59 % en 1994. En 1997, 28 % des produits
exportés par des compagnies locales ont été acquis dans des régions hors de
Hong Kong et de la Chine, tandis que 9 % avaient Hong Kong pour origine.
Parmi les compagnies (essentiellement des PME) soumises à l'enquête,
38 % sont impliquées dans des activités de production ou
d'approvisionnement dans deux sites ou plus. Hong Kong demeure néanmoins l'entrepôt de la Chine, gérant en valeur 40 % du total des exportations
chinoises en 1997 et environ 30 % en 2002.
Mais la rapide croissance du commerce délocalisé et de
l'investissement direct en Chine stimule aussi la demande pour certains
services de support aux activités commerciales et renforce la fonction de
plate-forme commerciale de Hong Kong. En particulier, les services directement liés au mouvement physique du fret devraient voir leur croissance se
modérer - fortement en matière de transport et d'entrepôt, moindrement
pour l'expédition ou la certification -, en raison de la concurrence émanant
de ports voisins, alors que les services de soutien au commerce devraient
prospérer. Le commerce offshore et les services de soutien au négoce
contribuent de façon importante à l'économie hongkongaise. En 1995, les
revenus engendrés par le seul commerce offshore s'élevaient à 54 milliards
de HK$, soit 5 % du PIB de Hong Kong. Le transport maritime hors passagers (35 milliards de HK$) et l'expédition de fret (6 milliards de HK$)
contribuent à hauteur de 3,2 % et de 0.6 % du PIB, respectivement.
Il faut toutefois noter qu'un grand nombre de prestataires de services
de Hong Kong (opérateurs de terminaux conteneurs, compagnies de transport maritime, transitaires, laboratoires de tests et d'inspection) ont désormais effectué de substantiels investissements en Chine. Par conséquent, leur
contribution au revenu national, mesuré en terme de PNB, est appelée à
Census and Statistics Department, Hong Kong's offshore trade statistics for 2003,
15.04.2005. http://www.info.gov.hk/gia/general/200504/15/04150123.htm.
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augmenter, tandis que leur apport au PIB décroîtra. Une part non négligeable
de la croissance des exportations chinoises est en fait due à une plus grande
implication des compagnies hongkongaises. La Région Administrative
Spéciale perçoit désormais davantage de revenus du commerce délocalisé.
Selon un rapport du Census and Statistics Department, les revenus engendrés
par le commerce délocalisé ont augmenté de 13,1 % en 2003, pour atteindre
116 milliards de H K $ n .
Si l'impact de ces performances sur la croissance et sur l'emploi est
faible, la montée du commerce délocalisé accélère la mutation de Hong
Kong en plate-forme logistique, canalisant les flux de marchandises à
l'échelle globale, qu'elles transitent ou non par cette métropole.
Au cours des vingt dernières années, les exportations de Hong Kong
ont été multipliées par quinze, en raison de la délocalisation des industries
manufacturières dans le delta de la Rivière des Perles. Cette étape était
conditionnée par les facilités portuaires de Hong Kong et, en règle générale,
par ses infrastructures physiques et intangibles. Aujourd'hui, le maintien de
la puissance globale de Hong Kong, portée par le commerce délocalisé, ne
dépend plus seulement des capacités portuaires de la ville mais de la capacité
de ses marchands et traders à conclure des accords en Chine même. On peut
alors parler d'exportation de l'expertise de l'intermédiaire. Autrement dit,
l'intermédiation commerciale se projette en Chine même.
Le commerce offshore est sans nul doute la conséquence de
l'expansion des capacités manufacturières de la Chine en dehors du delta de
la Rivière des Perles. La production manufacturière du delta du Fleuve Bleu
avait dépassé dès 2001 le quart du total national, et elle ne dépend pas
d'expéditions effectuées à partir de Hong Kong. Un autre élément dans ce
contexte est celui de la montée du port de Shenzhen $ji#l[ qui traitait
11
Census and Statistics Department, Hong Kong's offshore trade statistics for 2003,
15.04.2005.
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5,1 millions d'EVP u en 2001 (+ 27 %) alors que celui de Hong Kong, avec
17,8 millions d'EVP fléchissait de 1,5 %.
Comme on l'a dit plus haut, les premières statistiques sur le commerce
délocalisé et sa contribution à l'économie hongkongaise ont été publiées en
juillet 2002 par le Census and Statistics Department. Ce type de commerce
est défini comme un « commerce de marchandises assuré par un bureau situé
à Hong Kong, que ce soit sous la forme d'un trader, d'un agent ou d'un
courtier, mais dont les produits n'entrent pas Hong Kong ni n'en partent » ! .
Il s'agit, en d'autres termes, d'une exportation de services. Pour des raisons
statistiques, deux sortes de commerce offshore sont à distinguer :
1.
Le négoce (merchanting). Il désigne des « services associés à la vente
de marchandises achetées ailleurs qu'à Hong Kong sans qu'elles passent par
Hong Kong ». Le négoce comprend aussi les transactions contenant les
marchandises fabriquées dans le cadre de contrats de sous-traitance internationale et vendues ailleurs qu'à Hong Kong sans jamais y transiter l . Ceci
implique que des négociants achètent et vendent des produits pour leur
propre compte. Le négociant peut être le fabricant qui possède les unités de
production en Chine ou ailleurs. Il peut être aussi bien une tierce partie
indépendante, agissant uniquement en qualité d'agent commercial. La marge
commerciale, différence entre la valeur brute des marchandises vendues et
leur coût, représente les gains du négoce.
2.
Le marchandisage (merchandising). Il désigne l'organisation, pour le
compte d'acheteurs ou de vendeurs extérieurs à Hong Kong, de l'achat ou de
la vente de biens conformément à leurs spécifications (approvisionnement,
marketing, négociation de contrats, inspection, expédition, etc.). Il peut
s'agir de l'achat et du suivi d'une fabrication (lancement et ordonnancement
de la production). Les gains du marchandisage proviennent des commissions,
12
EVP : « Équivalent Vingt Pieds », mesure standard de la capacité d'un conteneur.
"Merchandise trade handled by an office located in Hong Kong - whether operated in
the capacity of a trader, agent or broker - but without the goods entering or leaving Hong
Kong."
14
Census and Statistics Department, Press release, 22.7.2001.
13
200
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des frais d'agence ou de facturations de services. La valeur des marchandises
n'est pas reportée dans les statistiques car le merchandiser, agissant comme
un agent ou un courtier, n'est pas juridiquement responsable du produit et
n'en a pas la pleine propriété 15.
Si le commerce délocalisé n'utilise pas les infrastructures de Hong
Kong, il stimule néanmoins la demande d'une constellation de services qui
facilitent les transactions commerciales : finance, assurance, marketing. Il
renforce aussi le rôle de commandement de Hong Kong sur les flux globaux,
que les marchandises transitent ou non par son territoire. On voit donc se
dessiner une conséquence importante pour l'avenir de la Région Administrative Spéciale : une progression forte des ré-exportations ou du commerce
offshore n'a qu'un faible impact sur la croissance tout court. L'effet
d'entraînement direct sur l'emploi du commerce offshore est faible. En 1982,
lorsque Hong Kong était un centre d'exportation domestique, l'emploi lié au
commerce représentait les deux tiers de l'emploi total. Aujourd'hui, cette
proportion est d'un tiers seulement. Par contre, le développement de
l'approvisionnement global ou de la production délocalisée y a fait croître la
demande de travail qualifié. Si les opérations à forte intensité de
main-d'œuvre ont migré dans le delta de la Rivière des Perles, les fonctions à
haut niveau de management restent encore ancrées dans la Région Administrative Spéciale. Le lien entre commerce et investissement est aussi
amoindri, en raison de deux évolutions récentes :
"Merchandising services for offshore transactions are defined as the services of
arranging on behalf of buyers / sellers outside Hong Kong die purchase / sale of goods
according to their spécifications (e.g. multiple sourcing, marketing, contract and price
négociation, volume and sample procurement, shipment, inspection and arrangement of
follow-up order). Again, the goods do not enter or leave Hong Kong. Unlike in merchanting, the Hong Kong entity, in its capacity as an agent or broker, does not take
ownership of the goods involved." Census and Statistics Department, Press release,
22.7.2001.
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1.
Jusqu'à la fin des années 1990, les produits fabriqués en Chine et
ré-exportés depuis Hong Kong provenaient d'une petite zone de territoire
chinois très concentrée vers le delta de la Rivière des Perles et la province du
Guangdong. En revanche, les ré-exportations de Hong Kong vers la Chine
sont désormais destinées à l'ensemble du pays grâce à l'intermédiation
d'autres nœuds de transport.
2.
Le modèle d'intermédiation commerciale de Hong Kong a évolué
depuis la fin des années 1990 avec l'apparition du commerce offshore.
D'autres plates-formes (dans laquelle des compagnies de logistique ou de
service hongkongaises jouent souvent un rôle prééminent) assurent la
ré-exportation de produits chinois.
Le rôle de hub joué par Hong Kong est appelé à perdurer aussi longtemps que d'autres ports en Chine n'auront pas atteint un seuil de fiabilité et
d'efficacité satisfaisant. Le modèle de Hong Kong et de son hinterland s'est
imposé parce que l'avantage comparatif de la Chine du Sud (production de
consommation courante) constituait l'essentiel de ses des exportations. Mais
la montée en puissance d'autres ports du continent, du Guangdong en particulier, érode peu à peu ses capacités.
II. Les nouvelles étapes de l'industrialisation chinoise : une chance pour
Shanghai ?
Le poids de l'héritage maoïste : la prépondérance de la production manufacturière dans les villes chinoises
Dans les années 1950, Mao fixait pour objectif au Parti de transformer les
« villes de consommation », symboles de dépendance vis-à-vis de l'étranger,
en « villes de production ». La mise en œuvre de cet impératif a certes doté
les villes chinoises de capacités de production industrielle considérables,
mais elle a aussi eu sur le développement des fonctions commerciales de ces
villes des effets dévastateurs. Alors que la plupart des centres urbains de rang
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mondial comptent une part prépondérante de leur activité dans le service,
cette proportion ne dépasse guère 30 % dans la majorité des villes chinoises.
Shanghai n'a pas été épargné par cette politique. Depuis le milieu des
années 1980, la ville oscille entre deux ambitions : devenir un grand centre
de services, appuyé sur des investissements lourds consentis dans les infrastructures financières et commerciales, ou demeurer une métropole dotée
d'un secteur manufacturier des plus compétitifs. Ce dernier objectif, qui
implique de lutter contre le déclin de la productivité dans le secteur manufacturier, se reflète aujourd'hui dans la structure du PIB de Shanghai.
Tableau 1. Structure du PIB à Shanghai en 2003 (%)
Tertiaire
Secteur manufacturier
et construction
Agriculture
48,43
50,08
1,49
Source : Zhongguo chanye ditu bianweihui _h$ÏJllli:fcÈBIiiiSHI\ Shanghai chanye
ditu, (Atlas industriel de Shanghai), Shanghai : Renmin chubanshe, 2004.
Alors que l'industrie manufacturière est désormais pratiquement
inexistante à Hong Kong, la base industrielle reste prépondérante à Shanghai.
Les six « piliers » (liu da zhizhu chanye /"v^^fêiiïllÈ) sur lesquels les
autorités municipales veulent fonder l'activité économique de la ville (industries de l'information, commerce et import-export, construction automobile, production d'ensembles d'équipements complets, immobilier)
marquent bien les différences de fonction des deux cités. Or, cette « reconquête » de la productivité dans le secteur manufacturier apparaît d'autant
plus problématique que Shanghai est une ville dont le niveau en capital et en
ressources humaines est déjà très affirmé : le foncier y est cher, les salaires et
les coûts de production y sont plus élevés que dans les autres villes du delta.
203
François Gipouloux
Les investissements étrangers - en est-ce une conséquence ? - ont été plus
élevés à Suzhou qu'à Shanghai entre septembre 2003 et août 2004 16.
L'antagonisme entre un modèle industriel hérité de la planification
centralisée et une « industrialisation du maquis », menée par les provinces
voisines du Zhejiang et du Jiangsu met à mal le système industriel de
Shanghai, dominé par la propriété publique. La vieille réticence des autorités
shanghaïennes à l'égard du secteur privé dérive aussi d'une lecture particulière de la crise asiatique. C'est en considérant qu'une ville comme Singapour a traversé la tourmente sans trop de dommage grâce au maintien d'un
important secteur manufacturier que les dirigeants de Shanghai cherchent à
éviter le sort de Hong Kong, vidée de ce qui constituait à leurs yeux ses
forces vives : sa production manufacturière. Or, une telle conception
contribue au retard des services en Chine.
L'atrophie des services.
Les services représentaient en Chine en 2003 un tiers du PIB, soit moins que
l'Inde (51 %) pays à bas revenu selon la classification établie par la Banque
Mondiale, ou que l'Indonésie (40 %), pays à revenu moyen 17. La croissance
des services y est plus faible que celle du PIB (7,3 % en 2003, 8,3 % en
2004), et la contribution des servicees au PIB, qui avait fortement progressé
dans la première décennie des réformes, stagne depuis 1988 et décline même
depuis 2002. Il n'y a pas lieu d'analyser ici en détail les raisons d'un tel
décalage, alors que les services constituent une source non négligeable de
croissance et d'emploi. Relevons seulement que le statut relativement modeste des services en Chine tient à de nombreux facteurs tels que la dépréciation, fort ancienne, du statut du marchand dans la société ainsi qu'à de
graves sous-estimations statistiques et au retard de l'urbanisation.
17
Singapore Business Times, 31.8.2004.
World Economie Indicators 2005, Washington DC : World Bank Group, 2005.
204
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
Alors même qu'ils sont peu développés, les services sont soumis à une
triple exigence, conséquence de l'entrée de la Chine dans l'OMC : privatisation, internationalisation et déréglementation. On perçoit bien que, dans
les secteurs où le monopole étatique reste inentamé (transports ferroviaires,
services publics), la productivité et la croissance sont faibles.
L'internationalisation, c'est à dire la fourniture de services au-delà des
frontières ou la consommation de services à l'étranger, est encore peu
marquée dans des secteurs tels que les télécommunications, la construction,
l'ingénierie et le design. Trois ans après son entrée dans l'OMC, la Chine a
ouvert 62 % de son marché des services, alors que cette proportion atteint
80 % dans les pays industrialisés et 20 % à 40 % dans les pays en voie de
développement. Selon le ministère du Commerce, les services en Chine
représentaient en 2004 2,8 % du commerce mondial des services et occupent
la 9e place en 2004 contre la 32e en 1980. Huit secteurs sont prioritaires :
finance, logistique, distribution, services publics, recherche scientifique,
immobilier, tourisme et conseil. D'autres champs sont ouverts, tels
l'intermédiation culturelle, les parcs à thème, les infrastructures pour
conventions. Enfin, l'encadrement administratif tatillon qui était la règle
auparavant est aujourd'hui bousculé par le rythme de croissance de
l'économie et sa complexité grandissante. La prolifération des niveaux
d'autorité, la soudaineté des changements réglementaires prennent bien
souvent l'opérateur privé au dépourvu.
En 2004, les services représentaient 48 % du PIB de Shanghai, une
proportion certes beaucoup plus élevée que la moyenne nationale, mais leur
structure est dominée par des services traditionnels (transports, communications, stockage, 27,4 %), l'immobilier (18,6 %) et le commerce de gros et
de détail (15,3 %). En revanche, les services à forte valeur ajoutée comme la
transmission de données, les services informatiques, la production de logiciels ou la finance ne représentaient guère plus qu'un quart du total.
205
François Gipouloux
Tableau 2. Structure du tertiaire à Shanghai en 2003 (%)
Transport
Commerce Transmissions Finance Immobilier Autres Total
Communication de gros
de données,
Stockage
et de détail Services
Poste
informatiques
Logiciel
20,8
27,4
15,3
7,4
18,6
100
10,3
Source : Zhongguo chanye ditu weiyuanhui : Shanghai chanye ditu [Atlas industriel de
Shanghai], Shanghai : Renmin chubanshe, 2004.
Pourtant, les taux de pénétration du téléphone fixe (45 % en 2003),
celui du portable (67,6 %) 18 ou la proportion de foyers équipés en
micro-ordinateurs (60,4 %) et connectés à l'internet (32 % ) 1 9 sont nettement
plus élevés que dans la plupart des villes chinoises, et les industries de
l'information pèsent d'un poids grandissant dans le PIB de la ville :
Tableau 3. Poids des industries de l'information
dans le PIB de Shanghai
1997 1998 1999 12000 2001
5,3% 5,5% 6,7% 7,7% 8,1%
2002
9%
2003
10%
Source: Shanghai Municipal Informatization Commission.
À n'en pas douter, Shanghai s'attache à donner l'image d'une ville
moderne, comme en témoigne son plan de 43 « ports », au sens large de
Calculé sur la base du nombre de résidents permanents.
Dont 924 900 utilisateurs du haut débit.
206
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
point de passage : transports, immobilier de bureau, hôtels de standing et
autres facilités pour traiter les affaires y sont aménagés afin d'attirer davantage de sièges de sociétés multinationales. Avec son projet de ville
« numérique » à Xujiahui ^ ^ H , son parc à thème à Songjiang fô£C, son
complexe pour le transport maritime au nord du Northern Bund International
Passenger Wharf, Shanghai se veut aussi une vitrine . Un modèle aussi,
peut-être : Bombay n'a-t-il pas pour ambition d'être une nouvelle Shanghai ?
Hong Kong /Shanghai : une concurrence en trompe l'œil
L'accumulation de ces signes de la modernité shanghaïenne signifie-t-elle le
déclin inéluctable de Hong Kong et son effacement ? Pour tenter d'y répondre, examinons les différents secteurs dans lesquels s'exerce la concurrence entre les deux villes.
Le cas du transport et de la logistique est éclairant. La concurrence la
plus vive semble jouer non pas entre Hong Kong et Shanghai, mais plutôt
entre Hong Kong et le système de ports et d'aéroports du delta de la Rivière
des Perles d'une part, et entre Shanghai et Ningbo, port en eau profonde situé
à quelque 160 km au sud de Shanghai, d'autre part 21 .
La zone de chalandise est différente dans le cas de Hong Kong et dans
celui de Shanghai. La première inclut la Chine du Sud, voire les huit provinces (Guangdong, Guangxi, Yunnan, Sichuan, Guizhou, Guangxi, Hunan,
Jiangxi, Fujian) et les deux Régions Administratives Spéciales (Hong Kong
20
China Daily, 1.8.2005.
21 -
À titre d'illustration, le trafic conteneur de Shenzhen a progressé de façon spectaculaire depuis une décennie et dépassait en 2004 les 13 millions d'EVP (cf. n. 11 sur ce
terme), confirmant la position de Shenzhen comme second port chinois (cf. Containerisalion International, 2005). Le port de Ningbo connaissait pour sa part une croissance
de 45 % en 2004 et dépassait déjà les 4 millions d'EVP. Le secteur du trafic aérien
appelle les mêmes observations.
207
François Gipouloux
et Macao) qui forment ce qu'on appelle désormais le Grand delta de la
Rivière des Perles {Pan Pearl River Delta). Cette macro région (deux cinquièmes de la population chinoise) assure un tiers du PIB chinois et attire
44 % des investissements étrangers. Elle est en outre le lieu d'implantation
de 120 000 compagnies de Hong Kong 22. La seconde zone de chalandise est
formée de la Chine de l'Est, soit le grand Shanghai plus les deux provinces
adjacentes du Zhejiang et du Jiangsu.
Au sein de ces deux macro-régions, les avantages de Hong Kong
tiennent à une concentration d'entrepreneurs, de managers très internationalisés, rompus à la collecte d'information, à la recherche incessante de
nouveaux marchés. Shanghai, en revanche, dispose d'une main-d'œuvre
qualifiée, d'un grand nombre d'ingénieurs de haut niveau, et bénéficie de la
concentration d'établissements universitaires qui constituent la pierre angulaire d'un système performant de recherche-développement.
La concurrence entre les deux hinterland
Plus que les deux métropoles, se sont donc les deux hinterland de Hong
Kong et de Shanghai qui apparaissent en forte concurrence. Leur croissance
est dans les deux cas supérieure à la moyenne nationale : 13 % pour le
Guangdong et pour l'ensemble Jiangsu - Zhejiang durant la période
1980-2000, contre 9,5 % pour l'ensemble de la Chine 23 .
La chronologie décalée de la mise en place des réformes économiques
dans ces deux régions a produit des différenciations marquées dans leur
développement économique. Le delta de la Rivière des Perles fut l'une des
premières régions à bénéficier de la politique de réforme et d'ouverture. La
région contribuait en 2003 à 7 % du PIB chinois, avec seulement 2,5 % de la
population totale. Le PIB par habitant y était déjà le double de celui de la
province du Guangdong et le triple de la moyenne nationale.
Ralph Chow, "The stratégie rôle of Hong Kong", HKTDC, 2005.
208
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
Tableau 4. Croissance annuelle moyenne
des deux métropoles et de leur hinterland
PIB
Hong Kong Guangdong Shanghai
1978-1988 9,0%
1989-1997 4,9%
1998-2001 2,2%
13,6 %
15,0 %
10,0 %
9,9%
10,7 %
10,3 %
Jiangsu
Zhejiang
15,1 %
12,8 %
10,5 %
16,1 %
13,4 %
10,4%
Source : Zhongguo tongji nianjian ^MlÊâf&È., Pékin, 2002 ; Census and Statistics
Department, Hong Kong.
En revanche, la zone du delta du Fleuve Bleu n'a été constituée en entité
économique régionale qu'à partir de 1984, avec l'ouverture des villes de
Shanghai, Ningbo et Wenzhou aux investissements étrangers. Ce processus
d'homogénéisation des espaces économiques du delta s'est accéléré en 1990
avec l'ouverture de Pudong et d'autres villes du cours inférieur du Fleuve
Bleu. La région, désormais abondamment irriguée par le capital étranger,
compte en 2005 une quinzaine de villes réparties entre les deux provinces du
Zhejiang et du Jiangsu, formant une base manufacturière et un bassin de
consommation de première grandeur : près de 20 % du PIB chinois pour
environ 10 % de la population totale. Mais le poids croissant de Vhinterland
de Shanghai est dû à deux phénomènes advenus durant la seconde moitié des
années 1990 : à la suite d'une levée de restrictions des autorités de Taibei, les
investissements taiwanais en Chine, en particulier dans les hautes technologies, augmentèrent considérablement en se concentrant dans la région du
delta du Fleuve Bleu 24 ; la seconde vague de l'investissement japonais en
En novembre 2001, les Offshore Banking Units des institutions financières de Taiwan
ont été autorisées à entretenir des relations directes avec les institutions financières de
Chine continentale. En avril 2002, les profits et dividendes des compagnies taiwanaises
en Chine sont exemptés d'impôt lors de leur rapatriement à Taiwan. En août 2002, les
209
François Gipouloux
Asie, à partir des années 1990, bénéficia elle aussi à cette région. Enfin, les
ressources en personnel éduqué et qualifié, les capacités de recherche et
développement accentuent encore la supériorité du delta du Fleuve Bleu, où
le nombre de diplômés du lycée était le double de celui du delta de la Rivière
des Perles (en 2000), et le personnel travaillant dans le secteur des sciences
et de la technologie y était largement supérieur. Une chaîne relativement
complète de sous traitants incluant des industries liées aux technologies de
l'information, à l'instrumentation de précision et à l'automobile se met en
place dans le delta du Fleuve Bleu 25. Au final, c'est une chaîne relativement
complète de sous-traitants, incluant des industries liées aux technologies de
l'information, à l'instrumentation de précision et à l'automobile qui s'y est
mise en place.
Shanghai sera-t-il le vecteur de la nouvelle industrialisation chinoise ?
L'industrialisation tirée par les exportations est passée en Chine par deux
grandes étapes depuis la fin des années 1970. La première phase a concerné
les textiles et les produits à faible valeur ajoutée ; la Chine du Sud et Hong
Kong en ont été les grands bénéficiaires. Les exportations chinoises ont
triplé entre 1992 et 2000, passant de 85 milliards de US$ à 250 milliards.
Cette performance a été essentiellement le fruit des efforts de la province du
Guangdong et du delta de la Rivière des Perles. Or, à partir de l'entrée de la
Chine dans l'OMC, c'est un autre éventail de produits qui va constituer le
gros de ses exportations : matériel électronique et téléphonique, acier,
produits métallurgiques. Sans nul doute, ce type de production correspond
davantage au potentiel industriel de la région de Shanghai, qui va en être le
canal d'exportation tout désigné. Hong Kong, trop éloignée géographiquement et dont l'expertise en courtage dans ce type d'industrie est faible, voire
inexistante, pourra difficilement jouer un rôle prépondérant durant cette
seconde étape. Alors que la Chine devient le premier producteur et assem-
compagnies taiwanaises sont autorisées à effectuer des investissements directs en Chine
continentale.
Hong Kong Monetary Authority, Quarterly Bulletin, June 2003.
210
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
bleur de produits électroniques, c'est dans le domaine des technologies de
l'information et de la communication que les performances shanghaïennes
sont les plus impressionnantes : avec près de 30 % de croissance en 2002, ce
secteur contribue à hauteur de 9 % au PIB de la ville, qui devrait devenir le
principal centre de production de semi-conducteurs en Chine en 2005.
Désormais, l'écart entre les deux régions s'est non seulement comblé
entre 1998 et 2004, tant en matière de commerce extérieur que d'absorption
des investissements étrangers, mais la situation s'est renversée en faveur de
la région du delta du Fleuve Bleu, comme le montrent les deux tableaux
ci-dessous.
Tableau 6. Contribution aux exportations chinoises de la région de
Shanghai et du Guangdong (milliards de US$, %)
2004
1998
Montants % du total des
(mds US$) exportations
chinoises
Shanghai
15,63
8,50
Jiangsu
15,92
8,66
Zhejiang
6,31
11,60
Total pour le 43,15
23,47
delta du
Fleuve Bleu
Guangdong 76,28
41,50
Source : Zhongguo tongji nianjian, 2001, 2005.
211
69,73
88,03
61,15
218,91
% du total des
exportations
chinoises
11,75
14,83
10,30
36,89
192,41
32,42
Montants
(mds US$)
François Gipouloux
Tableau 7. Absorption de l'investissement direct étranger (IDE),
montants effectivement investis dans la région
de Shanghai et du Guangdong (milliards de US$, %)
1998
Montants
(mds US$)
Shanghai
Jiangsu
Zhejiang
Total delta du
Fleuve bleu
Guangdong
2003*
Montants
(mds US$)
3,60
6,63
1,31
9,61
% du total de
l'IDE investi en
Chine
7,91
14,58
2,88
25,37
5,46
10,56
4,98
21
% du total de
l'IDE investi en
Chine
9,72
18,81
8,87
37,4
12,01
26,41
10,09
17,99
Source : Zhongguo tongji nianjian, 2000, 2005 .
* Les chiffres de 2004, ventilés par région, ne sont pas disponibles dans le Zhongguo
tongji nianjian de 2005.
Le fossé se comble en ce qui concerne les exportations (cf. tableau 6),
tandis que la rapport est désormais du simple au double entre les régions de
l'Est et le Guangdong pour ce qui est de l'investissement direct étranger
(cf. tableau 7). Fait remarquable, le Jiangsu a attiré en 2003 plus
d'investissement étranger que le Guangdong. Les sites de production implantés dans le cours inférieur du Fleuve Bleu l'ont été à un rythme plus
soutenu que dans le delta de la Rivière des Perles parce que les coûts de
production y sont inférieurs. Un plus grand volume d'exportations y est
d'ores et déjà généré. Cela signifie-t-il pour Hong Kong qu'elle se trouve
exclue de ces courants de production et d'échanges ? Il ne semble pas. Hong
Kong est désormais le premier investisseur étranger à Shanghai, avec, en
2000, 42 % du total du stock de capital étranger de la ville et, en 2004,
212
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
32,45 % des flux de capitaux étrangers 26. Une part non négligeable du
développement de Shanghai est le produit d'investissements lourds réalisés
par Hong Kong. L'opérateur de terminal conteneur Hutchison Whampoa
détient 50 % du capital de Shanghai Container Terminais. Il possède également 30 % du capital de la première phase du terminal Waigaoqiao ft~MWi
à Pudong. Un grand nombre de prestataires de service hongkongais ont établi
des filiales à Shanghai au point que l'on estime qu'un quart des agents
logistiques et transitaires à Shanghai sont en fait originaires de Hong Kong.
Si la Région Administrative Spéciale ne pourra établir une domination
économique sur la région du Fleuve Bleu, elle y restera un acteur majeur.
Tableau 8. Le commerce chinois en transit
par Shanghai et Hong Kong (%)
1992
1999
2000
Via Shanghai
15,2
21,1
23,0
Via Hong Kong vers des pays tiers
30,7
32,9
31
Source: China Customs Statistics ; Hong Kong Census and Statistics Department.
La question de la frontière
Notons bien toutefois la complexité du statut juridico-administratif de ces
deux entités : le delta de la Rivière des Perles est constitué d'un gouvernement provincial (Canton), de deux Régions Administratives Spéciales (Hong
Kong et Macao), de deux Zones Économiques Spéciales (Shenzhen et
Zhuhai $fà§) et d'une myriade d'autorités locales (Dongguan 5 ^ , Foshan
{$J|1|, Shunde HpUs, Jiangmen TLT^ etc.). Chacune jouit de compétences
Zhongguo tongji nianjian, 2005.
213
François Gipouloux
propres en matière de contrôle frontalier et douanier, de gestion portuaire, de
transport, de développement industriel. Cet entrelacs de villes, de districts
industriels, de zones de développement technologique donne l'impression
d'un espace métropolitain intégré. Il n'en n'est rien. L'imbrication d'une
multitude de juridictions, jouissant de différents degrés d'autonomie en
matière économique accroît l'opacité administrative. Elle entraîne en outre
gaspillage des ressources et redondance des travaux d'infrastructure : le
delta de la Rivière des Perles ne compte pas moins de cinq aéroports internationaux - tous construits durant les années 1990-dans un rayon de
100 km.
Dans le cas du delta du Fleuve bleu, il faut compter avec le poids
écrasant de Shanghai, ville de rang provincial, placée sous administration du
gouvernement central (zhixia shi ypStrfï), deux gouvernements provinciaux
(Zhejiang et Jiangsu), un grand nombre de municipalités et une population
qui est presque le triple de celle du delta de la Rivière des Perles. Ici également, la coopération est loin d'être simple entre ces différents échelons
administratifs. Mais de ce point de vue, Shanghai jouit d'un avantage sur
l'ensemble formé par Hong Kong et le delta de la Rivière des Perles : il n'y a,
entre Shanghai et le Zhejiang, pas plus de frontière qu'entre Manhattan et
Jersey City ou entre la City et l'East End. Passer de Kowloon à Shenzhen
implique en revanche plus que des formalités de contrôle de passeports ou de
cartes de résidents : cette frontière sépare en fait deux mondes totalement
différents, en termes politiques, juridiques, économiques et sociaux.
Shanghai, centre financier international ?
S'agissant de l'activité financière, ce sont les villes et non les nations qui
sont en concurrence, comme l'avait bien noté R. O'Brien 27 . À cet égard, la
Richard O'Brien, Globalfinancialintégration: the endofgeography, London : Pinter,
1992.
214
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
hiérarchie entre les centres urbains est loin d'être immuable. Des positions
solidement établies périclitent, de nouveaux concurrents s'arrogent la prééminence : durant la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, Sydney
a surclassé Melbourne, Toronto a supplanté Montréal, Johannesburg a pris le
dessus sur Le Cap et Sao Paulo sur Rio. Deux formalisations théoriques ont
rendu compte de tels phénomènes. La première soutient que la combinaison
de la déréglementation et des technologies de l'information ont permis de
s'affranchir de la géographie, c'est à dire de la distance : les activités financières peuvent être localisées n'importe où. C'est la thèse défendue par
O'Brien. D'autres, plus circonspects, relèvent avec S. Sassen que la localisation ne perd pas de son importance et que l'on n'observe pas d'effritement
dans la prééminence d'un nombre limité de grands centres financiers ou de
services 2 8 . Sassen rappelle que la mondialisation renforce les effets
d'agglomération. La déréglementation et la libération des mouvements de
capitaux est allée de pair avec la concentration des services.
R. M. Townsend remarque par ailleurs que des structures efficaces, à
l'inverse de l'hypothèse walrasienne du marché où chacun est en relation
avec tous, minimisent le nombre de relations commerciales et recourent
donc à l'intermédiation 29. On perçoit bien l'arbitrage qui est fait entre la
gestion du risque plus faible (si le nombre d'intermédiaires est élevé) et celle
des coûts (qui déclinent si, à l'inverse, le nombre d'intermédiaires se réduit).
Hong Kong a assumé cette fonction depuis la fin du XIXe siècle, après
une mise en place progressive des intermédiations financières durant les
années 1840-1870. Shanghai, dont la vocation est de desservir la Chine du
Nord et de l'Est, a vu s'établir les premières banques étrangères, qui rendaient compte à leurs sièges situés à Hong Kong, dès le milieu des années
1860 ; elle a constitué un centre financier international depuis la fin du XIXe
Saskia Sassen, The Global City: London, New York, Tokyo, Princeton : Cornell
University Press, 1991.
R. M. Townsend, "Intermediation with costly bilatéral exchange" Review of Economie Studies, 45 (1978), p. 417-425.
215
François Gipouloux
siècle jusqu'au milieu du XXe siècle, avec un système bancaire reposant sur
trois types d'établissements : banques chinoises traditionnelles {zhuang j±),
banques étrangères et banques chinoises modernes 30.
Plusieurs obstacles demeurent, qui empêchent Shanghai de redevenir
un centre financier international. Tout d'abord, le legs de l'économie planifiée et d'un système politique hautement centralisé constitue un lourd handicap. Sa municipalité est placée administrativement sous la tutelle de Pékin.
Pour toute décision financière d'importance, elle doit prendre ses instructions auprès du gouvernement central. En d'autres termes, le centre nerveux
de la finance demeure dans la capitale chinoise, en dépit de l'établissement
en 1994 à Shanghai d'un marché des changes et, en 1996, d'un marché
interbancaire des devises. Pratiquement toutes les banques, compagnies
d'assurance et maisons de titre ont leur siège social à Pékin, de même qu'y
sont implantées les grandes instances de réglementation de l'activité financière : Banque centrale, Commission de réglementation des titres, Administration des devises étrangères et Commission de régulation des assurances.
Un autre handicap est le sous-développement des marchés financiers
dans l'ensemble de la Chine. Les banques chinoises, très protégées, peu
stimulées par la concurrence, sont lourdement grevées par un amoncellement
de prêts non productifs. Les marchés des capitaux sont restreints et leur
fonctionnement est entaché de délits d'initiés, si ce n'est d'énormes malversations. En 2002, la taille des marchés des capitaux en Chine n'était
qu'un sixième de ceux du Japon, et le marché des devises ne dépassait pas
5 milliards de US$ contre 655 milliards au Japon 31 .
Enfin, il faudrait que soient garanties la libre circulation des capitaux
et la convertibilité de la monnaie, prérequis indispensables à la constitution
d'une place financière en centre international. Cependant, en dépit des
Ji Zhaojin, A history of modem Shanghai banking: the rise and décline of China's
finance capitalism, Armonk : M. E. Sharpe, 2003.
31
Louise de Rosario, "Shanghai makes up for lost time", The Banker, London, 2 March
2005.
216
Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
dithyrambes dont la presse chinoise a le secret, l'environnement des affaires
à Shanghai n'a rien à voir avec celui de Londres, New York, ou même Tokyo.
Les nouveaux intervenants sur le marché bancaire chinois se voient imposer
des seuils d'entrée élevés et des licences d'exploitation très restrictives. Les
problèmes récurrents dans la gestion des deux bourses chinoises (falsification des comptes des entreprises, manque de transparence, interférences
fréquentes de l'administration) témoignent du manque de maturité de ces
instruments. L'intérêt pour Shanghai en tant que place financière est réduit
par ces insuffisances dans le domaine de la comptabilité, de l'audit, de la
notation du crédit, etc. Pourtant, là encore, la concurrence entre Hong Kong
et Shanghai ne semble pas s'exercer de façon directe. Le delta de la Rivière
des Perles et le delta du Fleuve bleu s'adressent chacun à un centre
d'intermédiation financière différent : Shanghai sera un centre financier
national, Hong Kong restera un centre financier international.
Conclusion
Pourquoi une ville devient-elle une plate-forme commerciale et un point
d'intégration des services ? Essentiellement en raison de sa capacité à
coordonner un vaste réseau de sous-traitance ou d'approvisionnement global.
À cet égard, il existe de grandes différences dans la vocation des deux villes.
Shanghai centre ses activités sur les provinces intérieures, le cours moyen et
inférieur du Yangzi, tandis que Hong Kong, avec ses 100 000 compagnies
commerciales de toute taille, très internationalisées, se situe jusqu'à présent
dans une perspective plus large.
L'évolution du profil commercial de la ville souligne à quel point la
croissance de Hong Kong ne dépend plus de l'exportation de marchandises,
mais de celle des services. La ré-exportation de biens, et à plus forte raison le
commerce délocalisé, sont en substance des exportations de services, arc très
large incluant la finance, les services aux entreprises et le tourisme. Comme
l'indique la définition donnée plus haut, Hong Kong n'ajoute pas de la valeur
au processus manufacturier mais à la chaîne de services qui caractérise la
217
François Gipouloux
logistique actuelle, de l'expédition du produit jusqu'à sa réception par le
client final.
Satisfaire aux exigences de l'exportation de services exige une adaptation de l'économie et une main-d'œuvre très différentes de celles que
requiert l'exportation de biens tangibles. Lorsque des marchandises sont
exportées dans un pays étranger, la capacité de production est limitée par la
disponibilité de la main-d'œuvre et d'autres facteurs de production à un coût
compétitif. Les services, en revanche, sont consommés sur place. Pour Hong
Kong, la croissance du secteur des services dépend alors de sa capacité à
attirer des flux de compétences, de produits et de fonds pour consommer sur
place les services offerts.
Cette activité a reposé sur un maillage très dense de petites et
moyennes entreprises fortement internationalisées. Le respect de la règle de
droit, la protection des droits de propriété, la présence de marchés ouverts et
concurrentiels ont été, avec un régime fiscal transparent, autant d'institutions
vitales pour ces PME qui n'ont pas, à la différence des grandes entreprises, le
pouvoir de négocier avec le gouvernement des dispositions afin de protéger
leurs activités commerciales et leurs investissements. Il n'est pas rare, en
effet, de voir de grandes entreprises multinationales obtenir auprès des
institutions gouvernementales chinoises des garanties contre les risques
contractuels encourus.
Si le marché est avant tout un producteur d'information, Hong Kong,
avec ses d'impressionnantes économies d'échelle concernant les réseaux de
collecte et de traitement, reste un point focal dans la concentration et la
redistribution de l'information sur le marché chinois.
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Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
Résumé
François GlPOULOUX : Où se joue la rivalité entre Hong Kong et Shanghai ?
Hong Kong et Shanghai luttent pour la suprématie dans l'intermédiation commerciale de
la Chine. Mais y a-t-il véritablement concurrence entre les deux métropoles, et dans
quels domaines ? La logistique ? La finance ? L'implantation de quartiers généraux
régionaux pour les firmes multinationales ? Certes, l'apparente similitude entre la
position géographique, le prestige passé et les fonctions particulières de ces deux centres
urbains invite à la comparaison. Mais un examen plus détaillé fait apparaître qu'il y a
place pour plusieurs plates-formes internationales sur la façade littorale de la Chine. Ce
sont plutôt leurs deux hinterland, delta de la Rivière des Perles et delta du Fleuve Bleu,
qui sont en forte concurrence. Les deux villes semblent alors se situer sur un registre
différent, servir le marché intérieur dans le cas de Shanghai, demeurer une plate-forme
centrale pour les échanges globaux dans celui de Hong Kong.
Abstract
François GlPOULOUX: Where is the rivalry between Hong Kong and Shanghai contested ?
Hong Kong and Shanghai are currently struggling for supremacy as the financial
intermediary for China. But is there really a compétition between the two cities? And in
what areas: logistics, finance, or the establishment of headquarters for multinational
firms? Certainly it is the apparent similarities of geographical location, prestigious pasts,
and the spécial rôles of thèse two urban centers that invite comparison. A more detailed
examination, though, reveals that there is room for several international platforms on the
Chinese coast. Rather, it is the surrounding régions - the delta of the Pearl River and the
Yangtze Delta - that are in stiff compétition. The two cities thus seem to be situated on
différent planes: serving the interior markets in the case of Shanghai and remaining a
central platform for global exchange in the case of Hong Kong.
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