L`Impartial - 5.10.2015 - Critique
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L`Impartial - 5.10.2015 - Critique
LE MAG LUNDI 5 OCTOBRE 2015 m MUSIQUE Lou Doillon confirme l’essai SP Avec le superbement produit «Lay Low», la fille de Jane Birkin prouve que le succès de son premier disque n’était pas un hasard. PAGE 14 THÉÂTRE «Mademoiselle Werner» vue par Sylviane Röösli et Yann Mercanton. Un chignon pour deux acteurs LE CONTEXTE Deux comédiens pour un personnage! Monologue drôle et grinçant ,«Mademoiselle Werner» sera joué dès jeudi au Pommier par Sylviane Röösli, puis en alternance par cette dernière et Yann Mercanton à Delémont, Bienne, Yverdon et La Chaux-de-Fonds. = REGARDS CROISÉS SYLVIANE RÖÖSLI NÉE À NEUCHÂTEL EN 1979. ÉCOLE DE THÉÂTRE DES TEINTURERIES À LAUSANNE. A TRAVAILLÉ AVEC DOMINIQUE PITOISET, JOUÉ AU THÉÂTRE JEAN VILAR, AU TNBA DE BORDEAUX, À L’ODÉON... DEPUIS 2012, SE CONSACRE À «MISS SULFURIC». CATHERINE FAVRE Sacrée Mademoiselle Werner! Née des amours adultères d’un adjudant à la retraite et de sa gouvernante, cabossée par la vie mais jamais K.-O., l’acariâtre demoiselle décoche ses flèches acides sur ses contemporains. Cleptomane, mythomane, la diablesse pique l’argent des quêtes aux enterrements et érige ses lettres de réclamation en chefsd’œuvre de mauvaise foi... Seule sur scène, en équilibre instable entre rires et larmes, la tricoteuse du sarcasme assassin entraîne le public dans ses confidences. Et dévoile, derrière la carapace d’acier, une vieille gamine à l’âme de midinette. Une tornade de vie, de folie douce malgré les fêlures d’une existence solitaire, sans amour, sans tendresse. Une femme, tout simplement, avec son insubmersible désir d’enfant. Alors, à défaut d’un bébé, pourquoi ne pas adopter un primate? Parce qu’«un petit singe, on peut lui caresser les joues en lui chantant des berceuses». Petites et grandes fêlures Claude Bourgeyx a écrit ce monologue en orfèvre des «Petites fêlures», autre pièce à succès du dramaturge bordelais, diffusée sur les ondes de Radio France dans une interprétation de Claude Piéplu. Le spectacle a été repris en 2003 par Yann Mercanton, Belgo-Suisse natif de Neuchâtel. Une réussite, beaucoup jouée, beaucoup applaudie, y compris par l’auteur même de la pièce. Et c’est à la demande de Claude PHOTOS I.RÖÖSLI - S.FINGER/I.RÖÖSLI YANN MERCANTON NÉ À NEUCHÂTEL EN 1976. INSTITUT SUPÉRIEUR DES ARTS DU SPECTACLE À BRUXELLES. ENTAME UNE CARRIÈRE D’ACTEUR ET DE DANSEUR AVEC OLIVIER PY, JULIE BOUGARD, YANNIS KOKKOS... EN 2003, FONDE L’ODIEUSE COMPAGNIE. Qui êtes-vous, Mademoiselle Werner? Votre personnage et vous? Sylviane Röösli: Miss Sulfuric vous dirait qu’elles n’ont rien en commun. Elle, c’est une star, alors que Mademoiselle Werner semble insignifiante. Mais derrière les failles, on découvre une femme qui irradie. A travers son besoin viscéral de parler, j’essaye de sublimer sa solitude. J’en fais un jeu de survie. Yann Mercanton: Très vite, le personnage de son père (réd: l’adjudant des «Petites fêlures») est revenu malgré moi comme si ce père démissionnaire se racontait une deuxième vie en se projetant dans une femme. Et puisque je suis issu de la danse, elle bouge beaucoup sur scène, danse, joue avec le feu. Une muse pour Mademoiselle Werner? S.R.: L’extraordinaire comédienne qu’était Jacqueline Maillan, mais elle pourrait aussi s’inspirer de Bette Davis. Y. M.: Je dirais, un savant mélange entre Lilian Guish et Maria Callas, mais en beaucoup plus trivial. Que vous a-t-elle emprunté? S. R.: Son jeu généreux, sans filet. En faire trop, c’est sa façon de dissimuler Chez cette chère Mademoiselle Werner, il n’y a pas que le chignon d’allumé... FABIAN SBARRO Bourgeyx que Yann Mercanton s’est lancé à l’assaut de «Mademoiselle Werner» (qui n’est autre que la fille de l’adjudant des «Petites fêlures»). Mieux qu’Anémone? Un défi de taille sur lequel la grande Anémone, mise en scène par Jean-Louis Thamin, s’est cassé les dents en 2006. Les deux comédiens romands sauront-ils mieux convaincre? «Mieux? Je ne sais pas, mais différemment», assure Yann Mercanton. «Ce spectacle était effectivement décevant avec une scénographie très convenue». Aucun risque de ce genre, ni avec Sylviane Röösli, alias l’explosive Miss Sulfuric de solos baroques et déjantés. Ni avec PLURILINGUISME Lancement du concours de langues pour les jeunes Linguissimo Depuis huit ans, le concours de langues Linguissimo invite les jeunes Suisses entre 16 et 21 ans à s’intéresser au plurilinguisme helvétique via l’écriture et l’échange. Pour participer, les jeunes de toutes les régions linguistiques du pays soumettent deux textes – une composition sur le thème du concours 2016 «Et toi, pour parler Suisse, tu fais comment?» dans leur langue maternelle ainsi qu’un autoportrait dans une autre langue nationale. Les meilleurs textes du premier tour seront publiés dans un livre jubilé de la Fondation Oertli. Les auteurs des trente meilleurs textes sont invités à la rencontre des langues (finale). Les trois meilleurs tandems bilingues gagnent le prix de la finale: un voyage commun dans une métropole européenne. Le concours est ouvert tant aux classes du secondaire II qu’à tout participant individuel. Délai d’inscription: 31 janvier 2016. www.linguissimo.ch. }8KJ Yann Mercanton dans un rôle de femme et quelle femme! Au départ, Yann Mercanton devait initier le projet seul, mais il rencontre Sylviane Röösli entre-temps et les deux comédiens metteurs en scène décident de proposer chacun leur «Mademoiselle Werner». Si le Pommier ne programme que la version de la Neuchâteloise, d’autres dates de la tournée permettent au public de découvrir les deux spectacles lors d’une même soirée ou en alternance. Au-delà d’une expérience théâtrale originale, témoignant de la richesse des deux approches, ce travail à deux voix est «une vraie aventure humaine» pour deux comédiens, adeptes du one man show. Sylviane Röösli: «Auteure de tous mes spectacles, j’ai dû réapprendre à me couler dans un texte qui n’est pas le mien. Yann m’a ramenée à l’essence du théâtre.» Sourire comblé de l’intéressé: «Mener une carrière solo, c’est comme de vivre en célibataire pendant 30 ans. Avant ce spectacle, je sortais d’une période difficile, Sylviane m’a redonné le pur plaisir de la scène.» Sacrée Mademoiselle Werner! } + INFO Neuchâtel: théâtre du Pommier, du 8 au 11 octobre avec Sylviane Röösli uniquement. Puis en alternance avec les deux comédiens à Delémont, CCR, 22-23 janvier; Bienne, théâtre de Poche, 29-30 janvier; Yverdon, L’Echandole, 4-5 février; La Chaux-de-Fonds, ABC, 25-28 février... www.lodieusecompagnie.com les failles, j’assume. Mais contrairement à elle, j’essaye de contrôler mes excès sur scène. Et après le spectacle, je laisse mon costume au vestiaire pour aller promener mon chien ou manger des pâtes avec des amis. Y. M.: Elle m’a emprunté sa façon de se consumer, elle donne l’impression de pouvoir mettre le feu à n’importe quoi. Le feu, c’est fascinant, plein de désir et en même temps destructeur. Ça me définit assez bien. Que changeriez-vous dans la version de l’autre? Y. M.: J’ai aimé voir évoluer Sylviane dans ce rôle et je ne toucherais à aucune de ses propositions. S. R.: Nos différences nous font du bien, elles nous donnent envie d’aller plus loin, pas de changer quoi que ce soit chez l’autre. Votre réplique préférée? S. R.: «La vie est un ouvrage de longue haleine qui se défera en un instant, dans un dernier souffle. Un ouvrage fragile comme un fil de soie et c’est une horreur d’imaginer la rupture de ce fil.» J’ai construit mon histoire autour de cette phrase. Mon personnage ne peut faire rire que s’il est habité par une fragilité bouleversante. Y. M.: «Un singe, c’est vivant, terriblement vivant». L’opposition de ces deux mots pour dire son désir d’enfant me donne à chaque fois le frisson. Sylviane parle plutôt de la mort et moi de la vie, mais finalement, on dit la même chose, c’est cela le théâtre.} LA CRITIQUE DE... CHRISTOPHE BUGNON «J’aurais voulu être un», un conditionnel passé qui a de l’avenir Il fut présent avec ses comparses à la radio («La soupe», «L’agence») et à la télé («Les bouffons de la Confédération»), sur les planches ou la piste de cirque. Membre du trio Peutch sous le nom d’Ambroise, Christophe Bugnon s’est attaqué au solo, jeudi et vendredi sur la scène de la Grange au Locle. Le titre de son spectacle, «J’aurais voulu être un», fait penser au «Blues du businessman» et rappelle «la tournée d’adieu» de Thierry Meury l’an dernier où celui-ci récapitulait ses différents métiers exercés ou rêvés. Pour son baptême du feu, celui-là a choisi le café-théâtre, qu’il investit en formateur menant avec autorité sa classe d’apprenants. Après un discours d’introduction jargonnant et un exercice de yoga, le cours prend la forme du jeu de rôle: les participants sont invités à témoigner de leur activité professionnelle ou passionnelle. Se présentent un chasseur sachant chasser l’assureur, trois politiciens aux opinions opposées mais s’accordant sur les chiffres, 73% et 1,5 million, un amateur d’art peu porté à la dépense et un croque-mort avide de dollars. Il y a aussi un compositeur incompris qui fait ses courses à la Migros en se trémoussant sur l’air patriotique de «Land Of Hope And Glory», dans un passage qui touche au pur délire. Bien sûr, c’est notre gourou d’un jour qui endosse tous les rôles, apte à jouer des multiples techniques de séduction pratiquées en boîte de nuit, au bureau de vote ou dans les pays africains vus comme terrains de chasse. Un autre sens A la manière d’un Don Quichotte se sachant penser, l’humoriste à la rieuse figure s’attaque aux travers de notre société qui tourne dans le sens du vent en dénonçant d’abord les manipulateurs de tout poil. On comprend à la fin un autre sens du titre, à savoir que ce one man show marque l’abandon de la pluralité pour l’individualité. Christophe Bugnon est unique. } DIDIER DELACROIX