thèse - UMR-GAEL

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thèse - UMR-GAEL
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE
Spécialité : Sciences économiques
Arrêté ministériel : 7 août 2006
Présentée par
Carole JEGOU
Thèse dirigée par Bernard RUFFIEUX
Co-encadrée par Laure SAULAIS
préparée au sein du Laboratoire d’économie appliquée de
Grenoble (GAEL), UMR INRA-UPMF
dans l'École Doctorale de Sciences Économiques
Perception et valorisation du café dans la
restauration :
comment concevoir et mettre à disposition
une offre à forte valeur ajoutée ?
Thèse soutenue le 16 décembre 2014
devant le jury composé de :
Pr Daniel LLERENA
Professeur, Université de Grenoble, Président du jury
Pr Maurice DOYON
Professeur, Université Laval (Canada), Rapporteur
Dr Louis-Georges SOLER
Directeur de recherche, INRA-ALISS, Rapporteur
M. Jean-Pierre BLANC
Directeur Général, CMC Malongo, Membre du jury
Pr Patricia GURVIEZ
Professeur, AgroParisTech, Membre du jury
Pr Bernard RUFFIEUX
Directeur de l’école de Génie Industriel, Grenoble INP, Directeur de thèse
Dr Laure SAULAIS
Chargée de recherche, Institut Paul Bocuse, Encadrante de thèse
Université Joseph Fourier / Université Pierre Mendès France /
Université Stendhal / Université de Savoie / Grenoble INP
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RESUME Dans la restauration, en France, le café reste le plus souvent vendu sans information ni choix, comme
une matière première indifférenciée, de qualité variable et incertaine. Dès lors, les consommateurs lui
accordent peu de valeur. Pourtant, le café consommé à domicile connaît une montée en gamme et en
étendue du choix disponible, avec de nombreuses innovations autour des doses permettant la
préparation de café « à la tasse ».
L’objectif est d’aider à concevoir et à mettre à disposition une offre de café au restaurant de plus forte
valeur pour les consommateurs.
Pour cela, la première partie établit un diagnostic de l’offre et de la demande actuelles de café au
restaurant. Des entretiens avec les consommateurs révèlent une demande liée aux fonctions sociales du
café et une crainte d’être déçu par son goût. L’étude de la filière, par des données de marché et des
observations de terrain, montre une mise à disposition des produits par les torréfacteurs axée sur les
services proposés aux restaurateurs. Ces constats permettent de mieux comprendre les mécanismes
menant à la filière du café-commodité et de formuler des hypothèses de valorisation de l’offre par la
différenciation verticale (par la qualité) ou par la différenciation horizontale (par la variété).
Dans la seconde partie, ces hypothèses sont soumises à expérimentation, afin d’évaluer leur pertinence
auprès des consommateurs, par des méthodologies issues de l’économie expérimentale et
comportementale, et de l’évaluation sensorielle. Finalement, la faisabilité de ces deux types de
différenciation est discutée à la lumière d’entretiens avec des restaurateurs.
Une solution de valorisation du café dans la restauration, pertinente et faisable, pourrait passer par une
évolution des activités dans la filière, afin de mobiliser les acteurs autour d’une stratégie de
singularisation de l’offre.
Mots-clés : café, consommateur, différenciation, restauration, valeur
Perception and promotion of coffee in restaurants: How to design and supply an offer with
high added-value?
ABSTRACT In French restaurants, coffee is one of the last products sold without any information or choice: as a
basic commodity, undifferentiated, and with an unpredictable and variable quality. Therefore,
consumers do not grant much value to this product. In parallel, the coffee offer for consumption at
home is improving in terms of quality and choice. Many innovations are available on the
supermarket’s shelves in the category of pre-dosed pods, for the preparation of coffee by the cup.
The purpose of this thesis is to help the development and supply of a coffee offer in restaurants, with
high-added value for consumers.
In this aim, the Part 1 makes a diagnosis of the current supply and demand of coffee in French
restaurants. Interviews with consumers reveal a demand linked to social functions of coffee, and a fear
to be disappointed by its taste. The sector analysis, based on market data and field observations, shows
that the supply of coffee by roasting companies relies on services offered to restaurant managers. This
analysis enables to better understand mechanisms of the coffee-commodity industry, and to formulate
hypothesis of development of an offer with higher added-value by a vertical differentiation (by the
quality) or by a horizontal differentiation (by the variety). In Part 2, these hypotheses are tested in
order to evaluate their relevance regarding consumers, through methodologies coming from sensory
evaluation, and experimental or behavioral economics. Finally, feasibility of these two types of
differentiation is discussed based on interviews with restaurant managers.
An offer with high-added value for consumers, relevant and feasible, could arise from a development
of the activities in the sector, in order to get stakeholders together around a strategy of making the
offer unique.
Keywords: coffee, consumer, differentiation, restaurant, value
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« Choisir c’est renoncer »
André Gide
« L’essence même de la stratégie est de décider ce que l’on ne fera pas »
Michael Porter
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REMERCIEMENTS
Merci à …
Bernard Ruffieux, de m’avoir dirigée de manière bienveillante dans ce projet, et de m’avoir
initiée, en chemin, à de nouveaux points de vue sur les produits, et sur l’offre et la demande
dans une filière. En cette fin de rédaction, merci de m’avoir encouragée à « tailler des
pierres ».
Laure Saulais, de m’avoir accompagnée pendant ces trois ans, merci pour tous les échanges
que nous avons eus, sur et autour de la thèse, et pour les nombreux conseils qui m’ont aidée à
avancer pas à pas.
Delphine Brudoux, Christian Winnicki et Benoît Michéa, de m’avoir guidée dans la
découverte des rouages de la filière du café en restauration, et de leur investissement lors des
comités de pilotage, qui a contribué à la richesse de cette expérience.
Jean-Pierre Blanc, d’avoir rendu cette thèse CIFRE possible, et à tous les employés de la
société Malongo, de leur accueil, de leur aide, ou de leur enthousiasme à transmettre les
informations sur leurs métiers. En particulier, merci à tous les commerciaux CHR, à Alexia,
Dominique, Paola, Rudy et Sébastien, de la formation, à Jean-Christophe Galland et à
Delphine Luisin.
Agnès Giboreau, de m’avoir accueillie au Centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse et, par
les événements pluridisciplinaires organisés dans ses murs, d’avoir élargi mes connaissances
de la recherche en alimentation à différentes approches.
Adrien, Anna Claudia, Anne-Cécile, Camille, Chelo, Estelle, Elodie, Jérémie, Rémy, et à
toutes les personnes côtoyées au Centre de recherche, qui, par leur présence, le partage de leur
expérience ou leurs conseils, ont contribué à la richesse de cette aventure.
Tous les doctorants du Centre de recherche pour leur sympathie : à Laura et Virginie, mes
complices de thèse, de leur soutien et de leurs encouragements précieux, à Céline, Gaëtan,
Julie et Sabine, pour la bonne humeur qu’ils font régner, et à Clémentine, David, Giada,
Philomène, Pauline, Stéphane, Xavier, de leurs conseils, accueil et de leur passage du relai !
Tout le personnel de l’Institut Paul Bocuse pour leur accueil, et en particulier à Alain
Dauvergne, maître d’hôtel, grâce à qui le bon déroulement des expérimentations « en
situation réelle de consommation au restaurant » a été possible.
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Tout le personnel du laboratoire GAEL de leur accueil chaleureux, merci en particulier à
Janine et Mariane pour leur aide dans les questions administratives.
Tous les expérimentateurs d’un jour, pour leur aide à collecter des données (et préparer des
cafés !) : Anastasia, Anne, Anne-Sophie, Charlène G, Charlène V, Hélène, Mélanie, Danny,
Emeline, Johan, Jonathan, Lola, Louis, Margaux, Marion, Mélanie, Naïma, Sandy, Thibault,
Ugo, Xavier, et à tous les stagiaires, étudiants et chercheurs de passage avec qui j’ai pu
échanger. Merci à Jessica et Salomé pour leur aide en traduction.
Tous les consommateurs de café, clients de restaurants, et gérants d’établissements, ayant
participé aux entretiens et expérimentations, pour leur enthousiasme et pour leur apport
indispensable à cette thèse !
Mes proches, de m’avoir entourée pendant ce parcours de thèse. Merci à toute ma famille, en
particulier à Claire et Eliane pour leur soutien inconditionnel, ainsi qu’à mes « vieux » amis
brestois, à mes « gros » amis rennais, et à tous les copains lyonnais d’adoption, ils se
reconnaitront, pour tous les bons moments en leur compagnie ! Et merci à Loïc.
À la mémoire de Lannig,
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VALORISATION DES TRAVAUX DE THESE • Communication orale avec actes
Jégou, C., Saulais, L., & Ruffieux, B. (2014). The closer we are to a product category, the
easier the choice is? Consumer behavior evidence from field experiments in a restaurant
setting. International Food Marketing Research Symposium, Aarhus (Danemark), 20-21 juin
2014.
Jégou, C., Saulais, L., & Ruffieux, B. (2014) Do restaurant’s customers really want to choose
their coffee? Experimental auctions in a field setting. Summer school, Center for Food and
Hospitality Research at Institut Paul Bocuse, Ecully (France), 3-4 juillet 2014.
Jégou, C., Saulais, L., & Ruffieux, B. (2014) Quality perception by different eating-out
industry players: do producers wear magnifying glasses?, 3d workshop of the Center for Food
and Hospitality Research at Institut Paul Bocuse "Methodological and ethical issues in food
research", Ecully (France), 4-5 juillet 2013.
• Communication orale
Jégou, C., Saulais, L., & Ruffieux, B. (2013). An incentive-compatible method to assess
vertical product differentiation along hospitality market chain, 4th conference of the French
Experimental Economics Association (ASFEE), Lyon (France), 20-21 Juin 2013
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ABRÉVIATIONS 4C
AB
ACP
AFNOR
AFSSA
AOC
AOP
BDM
BRSA
BtoB
BtoC
CA
CAH
CAP
CIFRE
CMC
CREDOC
DEMB
ESANE
ETP
GAEL
GMS
ICO
INAO
INCA2
INRA
INSEE
JDE
ONG
OBDH
PLV
RHD
RFA
SAV
TVA
Common Code for the Coffee Community
Agriculture Biologique, marque du ministère de l’agriculture
Analyse en composantes principales
Association française de normalisation
Agence française de sécurité sanitaire des aliments
Appellation d’origine contrôlée (France)
Appellation d’origine protégée, équivalent européen de l’AOC
Méthode d’enchère expérimentale compatible en incitations, du nom de
ses auteurs Becker, Degroot and Marschak (1964)
Boisson rafraîchissante non alcoolisée
Business to Business, désigne un marché sur lequel les produits sont
échangés entre une entreprise et des professionnels
Business to Consumer, désigne un marché sur lequel les produits sont
échangés entre une entreprise et des particuliers
Chiffre d’affaires
Classification ascendante hiérarchique
Consentement à payer
Convention industrielle de formation par la recherche
Compagnie méditerranéenne des cafés, Malongo
Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
Douwe Egberts Master Blenders, entreprise de torréfaction néerlandaise
Élaboration des statistiques annuelles d’entreprises
Employés en équivalent temps-plein
Grenoble Applied Economics Lab, Laboratoire d’économie appliquée
de Grenoble
Grandes et moyennes surfaces, par extension la grande distribution
International Coffee Organization
Institut national de l’origine et de la qualité
Étude individuelle nationale des consommations alimentaires n°2
Institut national de la recherche agronomique
Institut nationale de la statistique et des études économiques
Jacobs Douwe Egberts, fusion de DEMB et de la branche café de
Mondelez
Organisation non gouvernementale
Olivier Bertrand Distribution Holding
Publicité sur le lieu de vente
Restauration hors domicile, secteur également désigné par RHF pour
restauration hors foyer
Remise de fin d’année
Service après-vente
Taxe sur la valeur ajoutée
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AVANT-­‐PROPOS Bien que le cap de ce projet soit resté fixe durant toute la thèse, les questions intermédiaires
auxquelles il paraissait nécessaire de répondre pour y parvenir ont été reconsidérées à chaque
instant. Dans le tracé de cet itinéraire de recherche, j’ai eu la chance d’être accompagnée par
un comité de pilotage impliqué, se réunissant souvent, et ouvrant de nouveaux champs
d’exploration à mesure que d’autres se refermaient. Finalement, les questions retenues dans
cette thèse sont celles étant progressivement apparues comme les plus pertinentes dans la
problématique de valorisation du café en restauration. Elles se sont construites autour des
partenaires ayant porté ce projet, et en fonction de l’environnement dans lequel il s’est
déroulé.
Ingénieure agroalimentaire diplômée d’AGROCAMPUS Ouest, j’ai d’abord été pendant deux
ans chargée d’études sensorielles et consommateurs pour la recherche et le développement
d’une multinationale de l’agroalimentaire. Cette expérience m’a donné l’opportunité de
découvrir les approches de pointe utilisées pour le développement de produits dans ce secteur.
Ces techniques sont majoritairement orientées vers la demande. La recette et le packaging des
produits sont développés en fonction des préférences des consommateurs, souvent mesurées
en laboratoire et de façon déclarative (sans conséquence pour le sujet). Ces techniques ne
suffisent pas toujours à appréhender les décisions futures des consommateurs et le succès des
produits sur le marché.
Ce projet de thèse CIFRE (Convention Industrielle de Formation par la Recherche) a
représenté une opportunité de formation à des méthodes de développement de produit
intégrant davantage de paramètres, tels que les caractéristiques du produit en amont de la
filière de production, les comportements des consommateurs en situation réelle d’achat, ou
encore l’impact de l’organisation des activités dans la filière sur l’offre finale proposée.
Apporter des éléments de réponse à une question opérationnelle posée par le secteur
agroalimentaire concorde avec mon profil d’ingénieur. Adopter une démarche faisant appel à
des concepts issus des sciences économiques et des sciences du consommateur m’a permis de
me former à la recherche dans ces domaines. Ce fut aussi la chance de découvrir des
disciplines peu utilisées dans la R&D en agroalimentaire, telle que l’économie expérimentale
et comportementale. Enfin ce fut une opportunité de découvrir les coulisses d’une filière
agroalimentaire - celle du café, et les spécificités d’un système de distribution – celui de la
restauration.
L’une des particularités de la thèse CIFRE est qu’elle se déroule aux confins d’univers aussi
différents que peuvent parfois l’être celui de la recherche académique et celui de l’entreprise faisant à la fois la richesse et l’enjeu de cette expérience. Sa richesse car chaque partie apporte
ses points de vue et ses méthodes, son enjeu car il faut concilier des visions et des attentes
distinctes.
Commanditaire du projet, la Compagnie Méditerranéenne des Cafés Malongo (CMC
Malongo) est une entreprise française de torréfaction employant environ 320 salariés et dont
le siège et le site de production sont situés à Carros (06). Malongo torréfie 7000t de café par
an, sous forme de mélanges ou en pures origines, par une torréfaction lente en 20 minutes. Ce
café est commercialisé moulu, en grain, lyophilisé, ou en doses individuelles pour machines
1,2,3 Spresso®. Ces produits sont présents dans l’hôtellerie-restauration (40% du chiffre
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d’affaires), la grande distribution (40%), ainsi qu’à l’export, en vente à distance et dans les
boutiques du réseau de la marque. Malongo est leader en France sur les marchés du café
moulu vendu en boîtes métal sous vide, du café équitable labellisé Max Havelaar, et du café
issu de l’agriculture biologique labellisé AB. La volonté de l’entreprise est de maîtriser la
qualité de ses produits « de la plantation à la tasse ». Déplorant un manque de valorisation de
ses produits dans la restauration, Malongo souhaite identifier les leviers permettant de
concevoir une offre à forte valeur ajoutée pour les consommateurs dans ce secteur.
Dans l’objectif scientifique de caractériser les déterminants de la perception et de la
valorisation du café dans la restauration, Malongo s’est associée au laboratoire d’économie
appliquée GAEL et au Centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse, autour de ce projet de
thèse CIFRE.
Pour mener à bien ce projet de thèse, j’ai été encadrée par Bernard Ruffieux (Grenoble INPGénie industriel) et Laure Saulais (Institut Paul Bocuse), via le laboratoire GAEL
(Laboratoire d’économie appliquée de Grenoble). GAEL est une unité mixte de recherche de
l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l’Université de Grenoble Alpes,
basée sur le domaine universitaire de Saint-Martin d’Hères et à l’école de Génie industriel de
Grenoble (INP-G, 38). Les travaux menés à GAEL sont appliqués aux divers domaines de la
recherche à l’INRA, dont l’alimentation et la consommation. Ils visent à comprendre les
comportements des entreprises et des consommateurs et leurs déterminants, à travers des
approches allant de l’économie industrielle à l’économie expérimentale et comportementale.
Sur le site de l’école de Génie industriel, une salle d’économie expérimentale permet
d’étudier le comportement économique de sujets en laboratoire – par exemple par la mesure
incitée du consentement à payer pour certaines caractéristiques d’un produit, à travers des
enchères expérimentales sur ordinateur.
Au quotidien, ce projet a été réalisé au Centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse - situé au
cœur de l’Institut Paul Bocuse, école de management formant aux métiers de l’hôtellerie, de
la restauration et des arts culinaires - à Ecully (69). Ce centre de recherche accueille des
doctorants de disciplines variées - relevant aussi bien des sciences humaines, des sciences des
aliments, ou des sciences de gestion - et menant des recherches en lien avec la cuisine,
l’alimentation, la restauration ou l’hôtellerie. Les approches adoptées visent à mieux
comprendre les mécanismes de choix, les usages et pratiques, ou la perception et les
représentations des utilisateurs, et à développer des connaissances opérationnelles pour les
entreprises du secteur. Il y est notamment possible de réaliser des expérimentations auprès de
clients, grâce à un restaurant modulable et équipé en caméras. Lors de ce projet, ce restaurant
a représenté une opportunité pour observer les comportements des consommateurs en
situation réelle de commande au cours du repas.
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TABLE DES MATIERES RESUME REMERCIEMENTS VALORISATION DES TRAVAUX DE THESE ABREVIATIONS AVANT-­‐PROPOS INTRODUCTION ............................................................................................................................................ 17 1. CONTEXTE : LE CAFE DANS LA RESTAURATION EN FRANCE, CHRONIQUE D’UNE BOISSON ORDINAIRE ............................. 18 La consommation française dans le marché mondial ................................................................................. 18 Un ancrage historique dans le régime alimentaire ..................................................................................... 21 Le café change, le restaurant change, le couple stagne .............................................................................. 24 2. PROBLEMATIQUE ET PLAN DE LA THESE ............................................................................................................ 31 PARTIE 1- LE CAFE AU RESTAURANT, UN PRODUIT AUJOURD’HUI BANALISE ....................... 35 CHAPITRE 1 – UN PRODUIT SOUVENT DECEVANT, COMMANDE POUR SON RITUEL ...................................... 37 1. 2. 3. OBJECTIF : DIAGNOSTIC DE LA DEMANDE .......................................................................................................... 37 METHODE : ENTRETIENS SEMI-­‐DIRECTIFS AVEC DES CONSOMMATEURS ................................................................... 39 RESULTATS ................................................................................................................................................. 41 3.1. Quelles fonctions du café au restaurant ? ............................................................................................ 41 3.2. Quels critères d’évaluation de l’offre pour les consommateurs ? ......................................................... 48 3.3. La crainte d’être déçu ........................................................................................................................... 58 4. CONCLUSION DU CHAPITRE 1 ......................................................................................................................... 61 CHAPITRE 2 : UN CAFE « UNIQUE », ISSU D’UNE DIFFERENCIATION MAL TRANSMISE DANS LA FILIERE ......... 63 1. 2. OBJECTIF : DIAGNOSTIC DE LA FILIERE ............................................................................................................... 63 DE NOMBREUX TORREFACTEURS FACE A DE NOMBREUX RESTAURATEURS : UN MARCHE TRES CONCURRENTIEL ................ 66 2.1. Des restaurateurs de taille artisanale .................................................................................................. 66 2.2. Des torréfacteurs moins concentrés qu’en grande distribution ........................................................... 74 3. LE TORREFACTEUR ACHETE DU CAFE VERT DIFFERENCIE ET VEND UN LOT DE CAFE, DE MATERIEL ET DE SERVICES ............... 78 3.1. Le restaurateur achète « un » café et des services sur-­‐mesure ............................................................ 79 3.2. La pléthore d’espèces, de terroirs, ou de mélanges, reste à la porte du restaurant ............................. 90 4. ANALYSE ET DISCUSSION ............................................................................................................................. 111 5. CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ....................................................................................................................... 114 CHAPITRE 3 -­‐ QUEL PRODUIT POUR PLUS DE VALEUR ? ............................................................................... 117 1. UNE DOUBLE APPROCHE DE LA CREATION DE VALEUR PAR L’OFFRE ET LA DEMANDE ................................................. 117 1.1. La valeur se crée sur le marché ........................................................................................................... 117 1.2. Les restaurateurs sont un maillon clé de la création de valeur .......................................................... 119 1.3. Comment concevoir et mettre à disposition les produits ? ................................................................. 120 2. LES CARACTERISTIQUES DE DIFFERENCIATION VERTICALE ET HORIZONTALE ............................................................. 122 2.1. Différents types de caractéristiques ................................................................................................... 122 2.2. Chaque caractéristique crée une différenciation verticale ou horizontale ......................................... 124 3. APPROCHE EXPERIMENTALE DE LA VALEUR DES CARACTERISTIQUES EN CONCEPTION DE PRODUIT ............................... 127 3.1. Préférences déclarées par les consommateurs ................................................................................... 127 3.2. Préférences révélées par l’analyse du marché .................................................................................... 128 3.2. Approche expérimentale et comportementale ................................................................................... 129 4. APPROCHE FORMELLE DE LA MISE A DISPOSITION DE PRODUIT ............................................................................. 134 5. CONCLUSION DU CHAPITRE 3 ....................................................................................................................... 137 14
PARTIE 2 – UN MEILLEUR CAFE POUR TOUS, OU A CHACUN SON CAFE ? ............................... 139 CHAPITRE 4 – OFFRIR UN BON CAFE A TOUS : UNE STRATEGIE DIFFICILE A METTRE EN ŒUVRE ................... 141 1. 2. EXPERIMENTATION 1 : QUELLE COORDINATION SUR LA DIFFERENCIATION VERTICALE DANS LA FILIERE ? ...................... 142 MATERIEL ET METHODES : 4 CAFES, EVALUES PAR 3 GROUPES D’ACTEURS ............................................................. 145 2.1. Les produits : 4 cafés .......................................................................................................................... 145 2.2. Préparation : sous forme d’expresso .................................................................................................. 146 2.3. Déroulement de l’expérimentation dans chaque groupe de sujets .................................................... 149 2.4. Analyse des données collectées .......................................................................................................... 153 3. RESULTATS : UN ALIGNEMENT DE LA VALEUR PERÇUE DES PRODUITS DANS LA FILIERE, MAIS DIFFERENTES AMPLITUDES ... 156 3.1. Les consommateurs ............................................................................................................................ 156 3.2. Les restaurateurs ................................................................................................................................ 159 3.3. Les torréfacteurs ................................................................................................................................. 160 3.4. Comparaison entre groupes de sujets ................................................................................................ 163 4. DISCUSSION : LES RESTAURATEURS, « MAILLON FAIBLE » DE LA TRANSMISSION DE LA QUALITE .................................. 164 5. CONCLUSION DU CHAPITRE 4 ....................................................................................................................... 167 CHAPITRE 5 – OFFRIR A CHACUN SON CAFE, PAR UN NOUVEAU RITUEL DE COMMANDE PERSONNALISE ? . 171 1. CHACUN SON BON CAFE, LORS DE LA COMMANDE ET DE LA DEGUSTATION ............................................................. 176 1.1. Objectif : explorer la pertinence d’une offre de choix de cafés horizontalement différenciés ............ 176 1.2. Expérimentation 2 : les « Préférences attendues » à la carte ............................................................. 177 1.3. Expérimentation 3 : les « Préférences sensorielles » à l’aveugle ........................................................ 184 1.4. Discussion des expérimentations 2 et 3 .............................................................................................. 189 2. CHACUN SA GAMME ET SON RITUEL DE COMMANDE ......................................................................................... 190 2.1. Objectif : explorer l’étendue et la nature d’une offre pertinente ........................................................ 190 2.2. Expérimentation 4 : l’étendue de l’offre ............................................................................................. 192 2.3. Expérimentation 5 : la nature de la gamme ....................................................................................... 198 2.4. Discussion des expérimentations 3 et 4 .............................................................................................. 208 3. CONCLUSION DU CHAPITRE 5 ....................................................................................................................... 210 CHAPITRE 6 – LES TORREFACTEURS DOIVENT PRENDRE L’INITIATIVE POUR CREER DE LA VALEUR DANS LA FILIERE ........................................................................................................................................................ 213 1. 2. METHODE : ENTRETIENS SEMI-­‐DIRECTIFS AVEC DES RESTAURATEURS .................................................................... 214 RESULTATS : UN PRODUIT A INTEGRER DANS LA STRATEGIE COMMERCIALE DES RESTAURATEURS ................................ 216 2.1. Le métier de gérant dans la restauration ........................................................................................... 216 2.2. Différentes logiques, influençant les approvisionnements et l’offre finale proposée ......................... 223 2.3. Le statut spécifique du café dans l’établissement .............................................................................. 230 3. DISCUSSION ET CONCLUSION DU CHAPITRE 6 ................................................................................................... 235 CONCLUSION GENERALE .............................................................................................................................. 239 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................... 243 Annexe 1 – Résumé des étapes du guide d’entretien avec les consommateurs ........................................ 249 Annexe 2 – Profil social des consommateurs interrogés ........................................................................... 250 Annexe 3 – Choix minimum proposé au restaurant par type de boisson .................................................. 251 Annexe 4 – Présentation du mécanisme BDM sur tablettes ...................................................................... 252 Annexe 5 – Guide d’entretien avec les restaurateurs ................................................................................ 254 15
16
Introduction
Introduction Bien que consommé quotidiennement par une grande majorité des français, le café est l’objet
de peu d’attention dans la restauration.
Du point de vue des torréfacteurs, les différents types de café se distinguent par de
nombreuses caractéristiques, comme l’espèce, la variété, l’origine, la méthode de culture,
l’assemblage ou la torréfaction. Le peu d’intérêt porté à ce produit par les professionnels de la
restauration, et par conséquence le peu de valeur perçue par les consommateurs finaux,
désolent les torréfacteurs. L’extrait suivant, issu de l’introduction du chapitre sur le café de la
nouvelle « bible » de la cuisine The Modernist Cuisine, résume bien cette impression :
« Dining at a fine restaurant is such a special experience because so much attention is given to the smallest details of the meal: carefully chosen ingredients, artful dishes, sublime wines, classy cocktails, artisanal breads, refined cheeses. Then comes the coffee, so often an after-­‐thought – more like a generic commodity than a gastronomic event – that many people don’t even realize what a transcendent experience the beverage can provide. This is true even at Michelin three-­‐star restaurants. These pinnacles of the culinary arts boast the finest food in the world, proffer encyclopedic wine lists, and go to every extreme to offer the best dining that money can buy. Yet a typical Michelin three-­‐star restaurant serves coffee that wouldn’t meet the standards of an ordinary street vendor in Seattle.” 1 (Myhrvold, Young, & Bilet, 2011) Le café est quasiment vendu comme une commodité dans la restauration. C’est-à-dire comme
une matière première indifférenciée pour laquelle toutes les unités se valent, quelles que
soient leur provenance, leur composition, leur marque, et qu’il serait ainsi possible de
mélanger. Dans les faits, malgré le grand nombre de critères qui caractérisent la qualité du
café en amont, le prix du café vert est déterminé à la bourse sur la base de trois critères
1
« Dîner dans un grand restaurant est une expérience unique du fait de l’attention accordée aux moindres détails du repas :
ingrédients soigneusement sélectionnés, mets créatifs, vins sublimes, cocktails élégants, pains artisanaux, fromages affinés.
Puis arrive le café, si souvent relégué au second plan –davantage perçu comme une commodité qu’un évènement
gastronomique - que beaucoup de gens ne réalisent pas la transcendante expérience que cette boisson peut susciter.
Cela s’applique même aux restaurants trois étoiles. Ces sommets des arts culinaires se targuent de servir les mets les plus
fins, proposent des cartes des vins encyclopédiques, et font l’impossible pour offrir la meilleure expérience gastronomique
qui soit. Pourtant, bien des restaurants trois étoiles servent un café qui ne saurait rivaliser avec celui d’un vendeur ambulant
de Seattle ». (Traduction personnelle)
17
Introduction
simples : espèce, origine et grade de qualité indiquant le nombre de défauts. Ainsi standardisé,
le café peut être vendu à distance et en avance dans le temps comme d’autres commodités.
Les cours sont fixés à la bourse de New-York pour l’arabica et à celle de Londres pour le
robusta. Une fois torréfié et échangé sur le marché de la restauration, il semble que, pour
beaucoup de restaurateurs, il n’y a rien de plus semblable à un kilo de café qu’un kilo d’un
autre café. Peu étonnant, dès lors, que dans la plupart des restaurants français les clients se
voient proposer « un café », sans davantage d’information sur ses caractéristiques, ni de choix
parmi plusieurs options. Le client pourra simplement remarquer la marque grâce au logo
éventuellement présent sur la tasse, et le prix du café sur le ticket de caisse.
Plusieurs questions apparaissent déjà. Comment valoriser le café au restaurant ? Quelles
caractéristiques différencient le café en amont ? Certaines sont-elles pertinentes pour les
consommateurs ? Comment disparaissent-elles au cours de la production et de la mise à
disposition du café dans la restauration ? Avant de développer et d’affiner ces questions, nous
allons tout d’abord situer le café au restaurant en France dans le contexte du marché mondial,
dans l’histoire et sur le marché actuel.
1. Contexte : Le café dans la restauration en France, chronique d’une boisson ordinaire La consommation française dans le marché mondial Les spécificités du marché Français se distinguent lorsque l’on s’intéresse au marché mondial
du café. Un des faits souvent énoncé pour introduire ce marché est le suivant : « Le café est
principalement produit dans l’hémisphère sud et consommé dans l’hémisphère nord ». Cette
affirmation reste tout à fait exacte du côté de l’offre. Le caféier est un arbre fruitier, qui
grandit sauvagement sous des arbres d’ombrages et nécessite un climat tropical : chaud, sans
variations importantes dans la température et avec des pluies saisonnières importantes. Les
zones de production se situent en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et en Amérique du
Sud. Tandis que le Brésil et le Vietnam fournissent plus de la moitié de la récolte mondiale en
2014, plus de 50 autres pays forment la longue traîne des pays producteurs fournissant le reste
de la production (ICO, 2014). Chaque pays a sa spécialité et produit plutôt de l’arabica, du
robusta, ou les deux en différentes proportions, notamment en fonction du climat et de la
18
Introduction
topographie. Les périodes de récoltes varient selon les régions, une floraison ayant lieu après
chaque période de pluie. À chaque moment de l’année, des cafés de différentes origines sont
donc disponibles.
L’offre mondiale se caractérise, d’une part, par une croissance constante depuis de
nombreuses décennies. Depuis le début des années 90, la production mondiale a augmenté de
plus de 50% (ibid.). Cette augmentation de la production se retrouve dans toutes les régions, à
l’exception de l’Afrique. Elle est surtout flagrante en Asie où, en l’espace de vingt ans, le
Vietnam est passé du stade d’une production de café faible, au stade de deuxième producteur
mondial en se spécialisant dans le robusta. La part du robusta dans l’offre mondiale est ainsi
passée de 27.5 % en 1989/1990, à 38.9% en 2012/2013 (ibidem.). L’Amérique du Sud, et en
particulier le Brésil, reste cependant la première région de production au niveau mondial.
D’autre part, l’offre mondiale se caractérise par une certaine instabilité d’une année sur
l’autre, liée à des récoltes de café variables. Lorsque l’offre fluctue à la baisse, le cours du
café connaît de véritables flambées des prix. En 2014 par exemple, trois causes principales
viennent accélérer la hausse des prix structurelle, liée à une demande en croissance plus
rapide que la production. Le Brésil subit une sécheresse inédite depuis plusieurs dizaines
d’années, diminuant le potentiel de récolte de près de 10%. Une épidémie de rouille (maladie
causée par un champignon, affectant le caféier) sévit depuis plusieurs années en Amérique
centrale et diminue les récoltes dans cette région de près d’un quart depuis 2011. Enfin les
probabilités sont fortes que le phénomène climatique El Niño perturbe la récolte de robusta
dans les deux principaux pays producteurs de cette variété, le Vietnam et l’Indonésie
(Alliance7, 2014b).
Du côté de la demande, le café reste consommé en majorité dans l’hémisphère nord, mais des
évolutions marquantes de la consommation existent dans l’hémisphère sud. Les États-Unis et
l’Europe sont historiquement les principaux importateurs. Ils sont rejoints dans les années 80
par le Japon et la Corée (Benoit Daviron & Ponte, 2007). Ces marchés traditionnels arrivent à
maturité et, pourtant, la demande mondiale - très en lien avec l’offre- est en constante
croissance. Cette croissance s’est particulièrement accrue ces dernières années, du fait d’une
consommation se développant rapidement dans les pays producteurs et sur les marchés
émergents d’Asie et de l’est de l’Europe. La consommation de café a quasiment doublé au
Brésil depuis 2000, et le pays consomme aujourd’hui près d’un tiers du café produit au niveau
mondial, ce qui le place juste après les États-Unis en volume consommé. Il existe donc des
exceptions notables de pays à la fois producteurs et consommateurs dans des proportions
importantes par habitant, tels que le Brésil, le Costa Rica ou encore l’Éthiopie - avec un
19
Introduction
volume total moindre bien sûr. Bien que très faible en proportion du nombre d’habitant, la
consommation augmente de plus de 10% par an en Chine. À ce rythme, la chine pourrait
consommer autant de café que la Grande-Bretagne en volume à l’horizon de 2020.
Aujourd’hui, parmi les pays importateurs, les principaux consommateurs de café en volume
sont les États-Unis, l’Allemagne, le Japon, la France et l’Italie (ICO, 2014).
Au niveau européen, les modes de consommation du café varient selon les régions. Alors que
le café est surtout consommé en café filtre ou très allongé dans le nord, il est plutôt apprécié
sous forme d’expresso dans le sud de l’Europe – que ce soit à domicile ou dans la
restauration. Les pays scandinaves et l’Allemagne importent davantage d’arabicas, plus
aromatiques pour la préparation en filtration, tandis que l’Europe du sud importe davantage de
robustas, dont la présence dans un mélange de café assure une belle crème à la surface de
l’expresso. Parmi les plus gros consommateurs de café en Europe se trouvent des pays
scandinaves, avec en tête la Finlande et ses 12.7 kilos de café consommés par an et par
habitant (Alliance7, 2014a), peut-être car de plus grandes quantités de café sont nécessaires à
la préparation du café en filtration. La consommation de café soluble représente moins de
10% des volumes de café vert importés en Finlande, au Danemark, en Norvège, en Suède et
en Italie, alors qu’elle est majoritaire en Grèce, en Turquie, au Royaume-Uni ou encore en
Ukraine.
La France, entre ces deux tropismes, connaît différents modes de consommation sur son
territoire. La cafetière italienne a ses adeptes et le café soluble représente 15% de la
consommation (ICO, 2014), mais le moyen le plus répandu pour préparer le café à domicile
est, jusqu’à récemment, la filtration – principalement grâce à la cafetière électrique.
Parallèlement, l’expresso est la règle dans la restauration et quasiment tous les établissements
en propose, alors qu’il est rare d’y trouver du café filtre. Les cafés importés en France
proviennent de nombreux pays producteurs et de réexportations en provenance de pays
comme l’Allemagne et la Belgique. La consommation de café par habitant est stable dans le
temps et se situe autour de 5,4 kilos par an, ce qui place la France au 3ème rang des pays
d’Europe en volume total consommé, après l’Italie et l’Allemagne, et au 8ème rang de
consommation par an et par habitant, après les pays scandinaves notamment (Alliance7,
2014a).
20
Introduction
Un ancrage historique dans le régime alimentaire Se pencher sur quelques étapes historiques ayant mené à la consommation du café en France
telle qu’elle est connue aujourd’hui, permet de discerner les ruptures récentes à la fois sur le
marché du café et sur celui de la restauration.
Introduit en France au XVème siècle, la consommation de café ne s’est ancrée dans le régime
alimentaire français qu’au cours du XXème siècle. Le café est originaire d’Afrique de l’est, où
les premiers caféiers de l’espèce Coffea arabica auraient été découverts en Éthiopie aux
alentours de 850 ap. J-C2. Sa consommation et sa production se sont d’abord développées au
Yémen. Puis, du port de Mocha - qui donnera ensuite son nom aux cafés originaires de cette
région du monde – le café s’est répandu dans tout le Moyen-Orient puis en Europe. Dès le
XVème siècle, il est mention à Marseille d’hommes se rassemblant pour partager une boisson
chaude, noire, amère et pour discuter. Les marchands phocéens ont l’habitude de voyager en
Orient, à Alep par exemple. Ils connaissent le café et en dégustent. Dès le XVIème siècle, ces
négociants initient l’importation de café vert, faisant de Marseille le premier port d’arrivée du
café en France.
Entre 1654 et 1660 la première maison de café voit le jour dans la cité phocéenne. En 1669, le
café entre à la cour de Louis XIV lors d’une visite de Soliman Aga, ambassadeur de l’empire
ottoman. Il est préparé à l’orientale : le mélange d’eau et de mouture fine est trois fois bouilli
dans une cafetière turque –le Djezvé -, puis servi sans sucre mais accompagné de pâtisseries.
De là, sa consommation se répand dans les cercles de l’aristocratie et de la bourgeoisie, puis
aux maisons de cafés.
Le premier café parisien, Le Procope, ouvre à Paris en 1686. Il est le premier d’une longue
lignée d’établissements dotés de lustres et de moulures au plafond, de larges miroirs, de
banquettes rectangulaires adossées aux murs, et d’un alignement de tables couvertes de
nappes blanches. Les tasses avec anses et les petites cuillères pour mélanger le sucre font
aussi leur apparition à cette époque. Le Procope initie ainsi le style du café parisien tel qu’il
2
De nombreuses légendes entourent la découverte du café. Plusieurs variantes existent notamment autour de celle du berger
Kaldi. Après avoir laissé ses chèvres en pâturage sous un arbuste aux baies rouges, ce berger fut étonné de les voir cabrioler.
Goûtant à ces baies le lendemain, Kaldi découvrit à son tour les propriétés stimulantes de la caféine. De là aurait débuté la
consommation de café, d’abord sous forme d’infusion des feuilles (Wechselberger & Hierl, 2011).
21
Introduction
existe encore aujourd’hui. Fréquenté au XVIIIème siècle par des figures telles que Voltaire3,
Rousseau, Diderot, Danton et Robespierre, le Procope est aussi un exemple du café comme
lieu où se développent des mouvements littéraires ou politiques. Cette tradition perdure
puisque, aujourd’hui encore, le terme café est souvent associé à des évènements culturels ou
politiques, organisés dans des lieux ouverts au public comme les « café-littéraire », « caféphilo », « café-débat », « café-théâtre » ou autres « café-concert ».
Dans les années 1860-1870, le café, plus stimulant, vient remplacer le vin dans la ration de
base des soldats.
Une fois la production de café disséminée dans les colonies européennes depuis le Yémen au
cours du XVIIème siècle (Jeanguyot, Séguier-Guis, & Duris, 2003), son histoire est très liée à
celle du commerce triangulaire. L’esclavage fait partie intégrante du modèle de production
dans les grandes plantations des Antilles au XVIIème siècle. Le café est alors principalement
produit à la Réunion, la Martinique, Saint-Domingue, Cuba ainsi qu’à Java et au Sri-Lanka.
Puis, suivant le même modèle de production, la caféiculture se développe au Brésil et dans
d’autres pays d’Amérique latine. L’abolition de l’esclavage en 1880 laisse place à d’autres
systèmes de travail forcé et à d’autres flux d’immigration. Les premières exploitations
indépendantes voient le jour en 1840 au Costa Rica (Benoit Daviron & Ponte, 2007).
En France, la consommation de café est progressivement banalisée au cours du XXème siècle.
Elle se répand géographiquement sur tout le territoire, à des occasions de plus en plus
fréquentes. Le café s’insère dans le régime alimentaire jusqu’à s’y établir et passer inaperçu.
À titre d’exemple, il est intéressant de regarder les quelques passages mentionnant le café
dans un article sur l’ « Evolution du régime alimentaire à Plozévet de 1800 à 1960 » (Le Rhun
& Le Rhun, 1967). Dans cette commune rurale très isolée géographiquement -car située à la
pointe du Finistère - des évolutions importantes sont observables sur quelques décennies. Au
début du XXème siècle, le café reste une denrée exotique que l’on s’offre pendant les fêtes de
fin d’année. Après la première guerre mondiale, le café est d’abord de plus en plus souvent
consommé le dimanche, avant de rentrer dans la ration alimentaire quotidienne à la place de la
soupe à l’oignon du matin, tout en restant accompagné des mêmes gestes : « le café était versé
sur le pain contenu dans une soupière ou dans les grandes écuelles alors en usage. » (Le
Rhun & Le Rhun, 1967). C’est à peu près à cette période également que le café apparait à la
3 Voltaire semblait être amateur de « bon » café. Dans Candide, paru en 1759, il écrit : « […] ses deux filles et ses deux fils
leur présentèrent plusieurs sortes de sorbets qu'ils faisaient eux−mêmes, du kaïmac piqué d'écorces de cédrat confit, des
oranges, des citrons, des limons, des ananas, des pistaches, du café de Moka qui n'était point mêlé avec le mauvais café de
Batavia et des îles. »
22
Introduction
fin du dessert dans les repas au cours desquels des invités sont accueillis. Il remplace
progressivement le digestif, mais y reste parfois mélangé : « Un gâteau de riz au lait figurait
au dessert, puis venait le café que les hommes arrosaient généreusement de lambic4, sous
prétexte de le refroidir. » (Ibidem) Pendant la seconde guerre mondiale, à cause du
rationnement, différents ersatz de cafés –tels que la chicorée dans le nord - voient le jour
selon les régions : « Malgré tout, le troc était insuffisant. Tous les produits tropicaux
disparurent ; seul le café put être remplacé par de l'orge grillée et cette tentative de
substitution prouve qu'il était bien entré dans les mœurs. » (Ibid.) Ces remplacements
démontrent, en effet, que la consommation était à ce stade bien ancrée dans les habitudes,
mais ils participent également à instaurer un faible standard de qualité dans la population
française.
De plus, pendant longtemps, les importations de café furent majoritairement des robustas
provenant des colonies d’Afrique. Alors que la majorité des importations mondiales de café
proviennent du Brésil, l’espèce Coffea Canephora, plus connue sous le nom de robusta, a été
découverte en Afrique à la fin du XIXème siècle. Cette espèce est plus robuste, plus résistante
aux maladies et à la sécheresse. Sa culture est plus adaptée en plaine et nécessite moins d’eau.
Cependant, d’un point de vue gustatif le robusta est aussi plus corsé et amer, moins
aromatique. La culture du robusta se développe dans les colonies françaises en Afrique de
l’ouest et en Afrique centrale. Des mesures protectionnistes visant à favoriser l’import de ce
café sont mises en place en France, si bien qu’à l’aube de la décolonisation, le robusta
d’Afrique subsaharienne est le café le plus importé (Benoit Daviron & Ponte, 2007). Alors
que d’autres pays importateurs comme les États-Unis ou l’Allemagne n’ont quasiment connu
que l’arabica, les Français ont pris l’habitude du robusta, ce café corsé et fort en caféine que
l’on laisse réchauffer dans la cuisine, et qu’il faut souvent diluer avec du lait et du sucre. Cet
antécédent contribue probablement aux faibles exigences des Français en matière de café.
Dans la restauration, le café devient tout aussi incontournable et les établissements adoptent le
système de préparation du café sous forme d’expresso. Cette préparation présente l’avantage
pour les clients d’éviter le « café bouillu » (Barrau, 2007), ou encore le café préparé à la
cafetière électrique, que certains trouvent fade, bien qu’il soit resté la norme à domicile
jusqu’à récemment.
Bien que discret, le café est aujourd’hui omniprésent dans le quotidien de la majorité des
français et est ancré dans les habitudes de consommation quotidiennes. Deuxième boisson la
4
Le lambic, ou Lambig, est un alcool issu de la distillation du cidre.
23
Introduction
plus consommée après l’eau, en France le café représente ainsi près de 10% de la ration
alimentaire quotidienne en volume (AFSSA, 2009) et près de 75% du marché des boissons
chaudes (Marketline, 2013). Sa consommation est établie au petit-déjeuner à la maison, il fait
l’objet de la pause dans la matinée au travail. Sa commande accompagne la demande de
l’addition à la fin du déjeuner au restaurant. Le café est aussi un symbole de l’accueil, un
geste de bienvenue. En témoignent l’usage de proposer un café aux visiteurs à leur arrivée, ou
le « café d’accueil » servant d’introduction à beaucoup de réunions professionnelles. Il est
donc paradoxal, dans un secteur comme celui de la restauration, pour lequel l’accueil est un
point stratégique, qu’aussi peu d’attention soit portée à l’offre de café.
Le café change, le restaurant change, le couple stagne Innovations autour du café à domicile
Historiquement, le café s’est incorporé dans le régime alimentaire et sa préparation s’est
adaptée aux habitudes de consommation déjà en place dans les différentes régions. Les
caractéristiques du café provenaient alors davantage de la manière de le consommer et du
rituel associé que des caractéristiques du produit. Cette tendance a participé depuis longtemps
à sa « commodisation ».
Une fois sa consommation ancrée dans la majorité des foyers au cours du XXème siècle, le
modèle dominant à domicile est resté pendant des décennies une forme de préparation
collective, avec la cafetière filtre ou la cafetière italienne. Le café soluble, développé par
Nestlé, est la seule innovation technologique notable au XXème siècle. Cette alternative en
déficit d’image est aujourd’hui plutôt utilisée en dépannage, pour de la consommation
occasionnelle ou par des personnes non équipées de cafetière. Néanmoins, la consommation
de café soluble reste en légère croissance en France grâce à des améliorations du produit et à
des innovations autour de boissons instantanées plus complexes, comme le cappuccino ou le
café au lait.
En rupture avec cette évolution progressive, le marché du café en doses ou capsules
individuelles pour la préparation de café « à la tasse », grâce à une machine, est en croissance
rapide et continue depuis son avènement en France. La part du café en doses est ainsi passée
de 4.1 à 15.9% du café consommé en France entre 2004 et 2011 (ICO, 2012), faisant de la
France le plus gros pays consommateur de ces dosettes au monde, devant l’Allemagne et les
USA. Cette croissance de la vente des doses se fait aux dépens du café moulu et affaiblit donc
peu à peu la consommation de café filtre (Figure 1). Le marché des doses représente
24
Introduction
actuellement plus du tiers des ventes de café en valeur en grande distribution (Alliance7,
2014c; Euromonitor, 2014a). La marque Nespresso (Nestlé), à travers une stratégie de
distribution exclusive dans ses boutiques et d’importantes campagnes publicitaires axées sur
l’univers du luxe, a marqué ce marché de son empreinte et redoré l’image du café, jusque-là
banalisé. Tout comme le café soluble avant lui, le café filtre est en disgrâce dans certains
foyers. Il devient plus chic de proposer à chacun de ses invités, tel cru d’expresso ou telle
spécialité à base de café, selon leurs préférences. Il est désormais facile de se préparer
plusieurs tasses de café individuelles, de différents types, au cours de la journée, ou de
déguster chacun le sien.
Figure 1 - Évolution des ventes pour la consommation à domicile en France en volume et en valeur entre
2008 et 2013, d’après les données Euromonitor (Euromonitor, 2014)
La hausse rapide du taux d’équipement des ménages français en machines à doses constitue
une rupture dans l’évolution de la consommation de café à domicile. L’expresso, qui
jusqu’alors était l’exclusivité des bars et des restaurants, est maintenant facile à préparer chez
soi, avec une qualité constante et le choix entre plusieurs types de café. Certaines machines à
doses proposent aussi des spécialités à base de café et de lait comme des cappuccinos ou des
latte macchiatos, toutes permettent de préparer simplement un café, directement dans une
tasse individuelle. Au-delà des machines à doses, il est de plus en plus courant de voir des
particuliers s’équiper de machines à expresso à percolateur et les ventes de café en grain sont
également en légère hausse. Ces nouveaux matériels de préparation modifient les habitudes de
consommation de café à domicile.
Ce développement du segment des doses en grande distribution s’accompagne de la montée
en gamme du café proposé, en faveur de l’arabica, des pures origines, et des cafés labellisés.
Les spécialités à base de café et de lait, et les nouvelles références stimulent la demande
(Euromonitor, 2014a; Xerfi-Precepta, 2013). En magasin, l’offre s’est considérablement
25
Introduction
élargie en mètres de linéaires. Les variantes de café proposées sont de plus en plus
différenciées.
Les produits diffèrent aussi bien par des critères relevant de la différenciation verticale, pour
lesquels tous les consommateurs s’accordent sur un produit préféré. Il s’agit par exemple des
marques nationales comparées à celles des distributeurs. Les premières sont admises par tous
comme de qualité supérieure aux secondes, de sorte que si elles étaient vendues au même
prix, a priori tous les consommateurs achèteraient du café de marque nationale. C’est
également le cas des labels de production comme le café issu du commerce équitable ou de
l’agriculture biologique. A priori, tous les consommateurs préfèrent leur présence. Mais, bien
que s’accordant sur le même classement, l’intensité de cette préférence varie en valeur entre
consommateurs. Des cafés de différentes marques et avec différents labels sont donc vendus à
différents prix.
La différenciation horizontale des produits est également de plus en plus importante. Elle
concerne les caractéristiques pour lesquels il n’existe pas de classement unanime d’un produit
préféré par les consommateurs, comme les origines de café. A priori, ni un café de Colombie,
ni un café d’Éthiopie n’est admis par tous comme étant supérieur aux autres. Des cafés de
différentes origines ou composés de différents mélanges sont donc vendus, à des prix
comparables, pour répondre à la demande de consommateurs avec des préférences distinctes
ou souhaitant varier leur consommation.
Évolutions de la consommation hors domicile
Aujourd’hui encore, les cafés traditionnels gardent une place importante dans la société
comme lieux de réunion, si bien que géographes et sociologues s’intéressent de près à leur
étude (Barrau, 2007; Cahagne, Séchet, & Le Caro, 2009; Gunther-Porcarelli, 2002).
Mais, selon une étude de TNS SOFRES, entre 2005 et 2009 la fréquentation des cafés et
restaurants s’est concentrée vers les moments de repas, en particulier pour les actifs. C’est en
effet au déjeuner que la plus grande proportion de repas est prise hors du domicile (AFSSA,
2009). 80% des Français déclarent une habitude de consommation hors domicile, le type
d’établissement le plus fréquenté étant le restaurant (TNS-Sofres, 2009). Le café y est souvent
dégusté en fin de repas, mais peu de données sont disponibles sur le sujet.
En parallèle, les cafés ayant comme principale activité le débit de boissons voient leur
fréquentation et leur chiffre d’affaire baisser en journée, en particulier depuis l’application de
26
Introduction
l’interdiction de fumer dans les cafés, bars et restaurants en 2008 (Le Ru & Niel, 2009; TNSSofres, 2009).
La restauration hors domicile étant une variable d’ajustement des dépenses, le secteur est
globalement touché par la baisse de consommation des ménages (Hébel, Siounandan, &
Lehuédé, 2009; Xerfi, 2014), et connaît un pic de dépôt de bilan en 2013 (Altares, 2014).
Deux tiers des dépôts concernent la restauration traditionnelle avec service à table,
majoritairement composée d’établissements indépendants. La restauration rapide avec service
au comptoir, davantage composée de chaînes, profite de leviers structurels comme la
diminution du temps consacré au repas et le développement de la vente à emporter au
déjeuner. Les chaînes sont en expansion, en particulier dans le domaine des salons de café.
Leur essor est remarquable, qu’il s’agisse de chaînes internationales, comme Starbucks, ou
nationales, comme Columbus Café ou French Coffee Shop (Euromonitor, 2014b).
La presse professionnelle signale régulièrement de nouvelles tendances autour de la
consommation du café dans la restauration5. D’un côté, les chaînes de cafés internationales
comme Starbucks, Columbus Café, Mc Café, ou Illy, s’implantent depuis quelques années
dans toutes les grandes villes de France. Ces chaînes proposent du café, ainsi que des boissons
dérivées comme les lattes ou les cappuccinos, et des pâtisseries, le tout dans un cadre
confortable et moderne avec accès wifi gratuit. Ces nouveaux lieux de vie urbains séduisent
les jeunes générations.
À l’opposé, des torréfacteurs indépendants ouvrent leur bar à café et proposent des « cafés de
spécialités » de nombreuses origines6, torréfiés par petits lots et à déguster selon différents
modes d’extractions, dont les noms ne sont aujourd’hui connus que des initiés. Le café y est
filtré manuellement et la « Chemex », le « Syphon » ou « l’extraction à froid » sont des
alternatives à l’expresso. Certains de ces torréfacteurs s’appuient sur cette reconnaissance
locale pour vendre leur café dans les restaurants de la région – comme la Boîte à café et son
café Mokxa à Lyon ou le Café Coutume à Paris. Cette tendance connue aux États-Unis sous le
nom de « troisième vague », déjà bien ancrée à New-York et à Londres, connaîtra-t’elle le
même succès en France ?
Dans tous ces établissements, le métier de barista – sommelier du café, capable aussi bien de
renseigner sur les différentes origines de café que de réaliser du latte art (l’art de dessiner sur
5
Cf. par exemple : Nicolas Delacour, Dossier café « Un marché en or… à surveiller de près ! », Industrie Hôtelière, 2011,
ou Caroline Mignot, « Les tendances du café en France », L’hôtellerie restauration, 2012
6
Cf. Léna Lutaud, Colette Monsat et Alice Bosio « La revanche des petits torréfacteurs » dans Le Figaro [En ligne],
http://www.lefigaro.fr/gastronomie/2014/10/04/30005-20141004ARTFIG00018-la-revanche-des-petits-torrefacteurs.php,
(page consultée le 07/10/2014)
27
Introduction
la surface des cappuccinos avec de la mousse de lait)- se fait progressivement connaître. Ce
métier fait désormais partie des fiches de poste chez McDonald’s et les offres d’emplois
portant cet intitulé sont de plus en plus nombreuses.
Toutefois, en France, comparativement à d’autres pays européens comme l’Angleterre ou
l’Allemagne, toutes ces tendances venues des États-Unis autour des cafés de spécialités
constituent une niche et se développent surtout dans les grandes villes et auprès d’une
clientèle plutôt jeune et cosmopolite (Euromonitor, 2014a). En réalité elles touchent très peu
la restauration traditionnelle, par opposition à la restauration rapide notamment. La part de
marché du café vendu dans les chaînes internationales de café, bien que croissante, n’est
passée que de 4,3 à 6.5% de tout le café vendu hors domicile entre 2008 et 2013
(Euromonitor, 2014a). Cependant ces évolutions, très présentes dans les médias, contribuent à
la montée en gamme de l’image du café, au même titre que le développement de la
consommation de café en doses individuelles à domicile. Ce contexte semble être un terreau
propice au développement d’une nouvelle offre dans la restauration traditionnelle.
Offre stagnante dans la restauration traditionnelle
Néanmoins, l’offre de café stagne dans la plupart des établissements de la restauration
traditionnelle. Comparée à l’offre pléthorique désormais disponible pour la consommation à
domicile, au restaurant, la plupart du temps, la proposition reste limitée à « un café ». Il est
commandé et servi comme un produit générique, indifférencié, dont le client ne connait en
général aucune caractéristique, hormis éventuellement la marque présente sur la tasse. En
comparaison avec d’autres produits commandés au cours du repas, le café est très peu mis en
valeur. « Plate ou gazeuse ? », « Finement ou intensément pétillante ? » (Badoit), et depuis
peu « Minérale ou filtrée sur place ? » : même la commande d’eau, si elle n’est pas en carafe,
est plus propice à discussion que celle d’« un café ? ». Les restaurants servent bien quelques
variantes simples de l’expresso : double, crème, noisette, allongé ou décaféiné. Mais ces
dernières ne sont pas toujours au menu, et rarement proposées. Il est simplement
communément admis que l’on peut les commander.
La principale innovation, touchant tous les établissements, est le café gourmand, devenu
inévitable en restauration. C’est un condensé du café et du dessert, comprenant des
échantillons des desserts proposés à la carte. Le café gourmand répond aux attentes des
consommateurs souhaitant gagner du temps, faire attention à leur ligne et à leur budget. Cette
offre revalorise davantage les desserts que le café, noyé parmi toutes ces mignardises et
auquel on ne prête pas davantage attention.
28
Introduction
Bien qu’ils soient le plus souvent acceptables, force est de constater que certains
établissements servent parfois de très mauvais cafés. Régulièrement les médias évoquent la
mauvaise réputation des cafés servis au restaurant en France et annoncent le retour d’un café
de qualité7. Mais, malheureusement, le café servi dans la restauration peut de nos jours encore
être décrit comme « un produit imprévisible dont la qualité varie énormément d’un
établissement à l’autre. » (Mariarosa Schiafino, L’heure du café, 1987). Et cela est pire
encore pour les cappuccinos, pour lesquels chaque restaurateur improvise sa recette : certains
mélangent café et mousse de lait, comme dans la recette italienne originale, d’autres mettent
de la chantilly sur un expresso, d’autres encore y ajoutent du chocolat.
Avec l’augmentation du nombre de machines à doses à domicile, la restauration perd
l’exclusivité de l’expresso et de ses variantes. Il est désormais simple de se préparer un
expresso ou un cappuccino à domicile, avec une qualité connue, maîtrisée et constante. La
qualité inférieure de l’offre de café proposée en restauration traditionnelle apparaît de manière
de plus en plus flagrante à mesure que les machines à doses deviennent la norme de
préparation à domicile. En effet, la France est l’un des marchés les plus porteurs de croissance
pour les ventes de dosettes en Europe.
Cependant en Espagne et au Portugal, autres pays porteurs de cette croissance, cette tendance
des ventes est en fait un indicateur de la crise économique. Dans ces pays, la consommation
de café à domicile vient se substituer au petit-déjeuner souvent pris à l’extérieur, celui-ci
devenant trop pesant sur le budget des consommateurs (Euromonitor, 2013b). Pour les
consommateurs français, le café au restaurant a probablement de moins en moins de valeur
ajoutée comparée au café à domicile, et son prix peut être perçu comme de plus en plus élevé
comparativement.
Un des risques pour les professionnels de la filière, déjà en difficulté, est que la
consommation de café au restaurant se délite et qu’à celle-ci se substitue une consommation à
domicile ou au bureau, répondant davantage aux nouvelles attentes des consommateurs. Cette
tendance semble déjà engagée puisque les ventes de cafés en RHD (restauration hors
domicile) sont en déclin en volume, alors qu’elles augmentent en GMS (grandes et moyennes
surfaces) (Figure 2). Pourtant, ce produit, autour duquel de nombreuses tendances se
7
En témoignent les quelques titres évocateurs suivants :
Emmanuel Tresmontant, « A paris, la revanche du petit noir », dans Le Monde [En ligne],
http://www.lemonde.fr/style/article/2013/04/13/a-paris-la-revanche-du-petit-noir_3159337_1575563.html, (page consultée le
15/04/2013),
Marie-Odile Briet, « Le grand retour du café », dans L’Express, [En ligne], http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/le-grandretour-du-cafe_1075308.html, (page consultée le 13/02/2013)
François-Régis Gaudry, émissions « On va déguster », sur France Inter : « Comment en finir avec le mauvais café ? » le 5
février 2012, [En ligne], http://www.franceinter.fr/emission-on-va-deguster-comment-en-finir-avec-le-mauvais-cafe, et
« L’art du bon café », le 25 juin 2013, [En ligne], http://www.franceinter.fr/emission-on-va-deguster-lart-du-bon-cafe
29
Introduction
développent et pour lequel les attentes des consommateurs évoluent, pourrait constituer une
source de revenu non négligeable pour la restauration traditionnelle. Mais professionnels de la
restauration et consommateurs semblent jusqu’alors peu réceptifs aux tentatives de
valorisation proposées par les torréfacteurs, telles que la mise en place de cartes de café ou la
proposition de cafés labellisés.
250000 Volumes des ventes par circuit en tonnes 200000 150000 100000 50000 0 2008 2009 2010 2011 2012 2013 RHD 40692,1 39608,2 39190,3 38515,3 36824,6 35908,2 GMS 156199 158081,6 160819,8 163564,1 166200,8 166435,1 Figure 2 - Évolution des ventes pour la consommation à domicile (GMS) et hors domicile (RHD) en France en volume
entre 2008 et 2013, d’après les données Euromonitor (Euromonitor, 2014a)
30
Introduction
2. Problématique et plan de la thèse Perception et valorisation du café dans la restauration : comment concevoir et mettre à
disposition une offre à forte valeur ajoutée ?
Partant du constat de moindre valorisation du café dans la restauration en France - présenté en
introduction - dans ce projet, nous interrogeons comment concevoir et mettre à disposition
une offre qui représenterait davantage de valeur perçue pour les consommateurs. Quelles
pistes de valorisation sont pertinentes du point de vue des consommateurs et faisables du
point de vue de la filière ? Quels sont les freins ou les leviers pour aller vers davantage de
valeur proposée aux consommateurs ? Comment coordonner les acteurs de la filière vers une
offre finale à plus forte valeur ajoutée ?
Nous souhaitons apporter des éléments de réponse conceptuels et empiriques à ces questions,
en prenant en compte : 1) le café comme boisson servie au restaurant et ses caractéristiques au
cours de la filière de production et de mise à disposition, 2) le consommateur et ses
représentations, attentes et comportements autour de la commande de café au restaurant 3) la
filière de mise à disposition du café au restaurant et l’impact de son organisation sur l’offre
finale.
Cette approche globale de la filière nous conduit à adopter une démarche expérimentale, dont
l’observation est à la fois le point de départ et la conclusion8. L’observation active de l’offre
et de la demande, par des méthodes d’enquête approfondie, va nous permettre d’établir des
faits exacts, de préciser les constats de l’état actuel du marché, et de faire émerger les
hypothèses de son évolution vers plus de valeur. La pertinence de ces hypothèses pourra
ensuite être vérifiée par l’expérimentation, c’est-à-dire en provoquant l’apparition de
phénomènes non observables directement sur le marché. Finalement, de nouvelles
observations du marché découleront de cette phase d’expérimentation, permettant de juger de
la faisabilité de mise en œuvre des leviers de valorisation identifiés.
8
Cf. Introduction à la médecine expérimentale (1865) de Claude Bernard pour une explication détaillée du lien
entre observation et expérimentation. Pour lui, ces deux types d’investigations ne se distinguent pas, mais se
succèdent plutôt, dans l’étude poussée de phénomènes.
31
Introduction
Les méthodologies déployées dépendent des phases de cette démarche, elles sont éclectiques,
afin d’être le plus appropriées possibles aux questions successivement abordées. Qu’il
s’agisse d’entretiens auprès de restaurateurs ou d’expérimentations, notre choix se porte
autant que possible sur une investigation de terrain, prenant en compte les spécificités de la
production, de la distribution, ou de la consommation du café au restaurant.
Afin d’examiner en profondeur l’état actuel du marché et d’identifier les conditions de la
convergence de l’offre et de la demande vers plus de valeur, les questions abordées
concernent tour à tour différents acteurs et endroits de la filière, de la production agricole du
café à sa consommation par des clients de restaurant (Figure 3).
Figure 3 - Les acteurs de la filière du café dans la restauration hors-domicile
32
Introduction
Cette thèse se compose de deux parties, comprenant chacune trois chapitres.
La première partie de cette thèse est un état des lieux de l’offre et de la demande actuelles de
café dans la restauration en France.
Le chapitre 1 dresse un diagnostic de la demande. Il traite des pratiques et représentations des
consommateurs autour du café au restaurant, en s’appuyant sur des entretiens semi-directifs
réalisés auprès de 48 consommateurs, dans des établissements de la restauration, en région
Lyonnaise et à Paris. L’analyse du contenu de ces entretiens permet d’identifier les fonctions
du café au restaurant, les critères d’évaluation de l’offre par les consommateurs et des besoins
latents.
Le chapitre 2 dresse un diagnostic de l’offre. Il analyse dans le détail les acteurs
professionnels de la filière du café au restaurant, leurs activités et les caractéristiques des
produits échangés à chaque étape : de l’achat du café vert par les torréfacteurs, à celui du café
torréfié par les restaurateurs. Ce panorama complet est rendu possible par la mise en lien de
données de marché et de constats effectués lors d’observations de terrain ou de rencontres
avec des professionnels. Ce chapitre met ainsi en lumière les mécanismes menant à la filière
du café-commodité, ainsi que certaines contraintes de faisabilité inhérentes au secteur de la
restauration.
À l’issue de l’exploration de l’offre et de la demande, le chapitre 3 soulève les hypothèses de
valorisation possible de l’offre par la différenciation verticale (par la qualité) ou par la
différenciation horizontale (par la variété). Ce chapitre théorique présente les concepts sur
lesquels se basent ces hypothèses, et les disciplines dont sont issues les méthodologies
expérimentales employées par la suite pour les tester.
La seconde partie de la thèse se concentre sur la pertinence et sur la faisabilité de ces deux
types de différenciation dans la restauration.
Dans les chapitres 4 et 5, l’apparition de situations non observables sur le marché est
provoquée lors d’expérimentations, afin d’évaluer la pertinence de chacune de ces pistes de
valorisation.
Le chapitre 4 s’intéresse à la différenciation verticale de l’offre, et à la pertinence d’élever la
qualité du café dans la tasse pour éliminer les produits inacceptables du marché. Dans ce but,
l’expérimentation développée vise à évaluer la coordination des acteurs de la filière sur ce
qu’est un « bon » ou un « mauvais » café, lors de la dégustation de 4 cafés en aveugle
(Expérimentation 1). Cette coordination est étudiée en comparant alignements et amplitudes
entre les différences perçues par plusieurs groupes de sujets : 49 consommateurs, 16
33
Introduction
restaurateurs et 9 professionnels de la torréfaction. L’analyse montre que la différenciation
verticale des produits est une condition nécessaire, mais pas suffisante en elle-même, pour
revaloriser l’offre.
Le chapitre 5 est dédié à la différenciation horizontale et aux déterminants d’une offre de
cafés variés pertinente pour les consommateurs. Il se compose de 4 expérimentations, menées
auprès de 914 consommateurs au total, le plus souvent en situation réelle de commande dans
un restaurant expérimental. Ces expérimentations visent à explorer : la pertinence d’une offre
de plusieurs cafés en général (Expérimentation 2), l’existence de préférences individuelles
lors de la dégustation en aveugle (Expérimentation 3), l’étendue souhaitable d’une gamme de
cafés variés (Expérimentation 4), et la valeur accordée à des gammes de différentes natures
(Expérimentation 5). Les résultats permettent de montrer qu’une offre de plusieurs cafés peut
être porteuse de valeur pour les consommateurs, dans certaines conditions, que nous
discutons.
Le chapitre 6 retourne à l’observation active des faits. Il sonde la demande intermédiaire, à
travers des entretiens avec 13 gérants d’établissements de la restauration, à Paris, en région
Lyonnaise et en Bretagne. Ce chapitre est dédié à la compréhension des objectifs, contraintes
professionnelles, besoins et attentes latentes des restaurateurs. Il vise à mieux cerner les
conditions de faisabilité de la mise à disposition d’une offre finale de cafés différenciée,
horizontalement ou verticalement, et suggère que cela pourrait passer par une évolution des
services proposés par les torréfacteurs aux restaurateurs.
34
PARTIE 1- LE CAFE AU RESTAURANT, UN
PRODUIT AUJOURD’HUI BANALISE
35
36
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel 1. Objectif : diagnostic de la demande Les tendances actuelles sur le marché du café contribuent à développer une nouvelle image de
ce produit, aussi bien à domicile avec les dosettes, que dans la restauration hors domicile avec
les chaînes internationales de café et leurs spécialités à base de café et de lait. Qu’en est-il du
café commandé au restaurant par les clients ? Les attentes autour de ce produit ont elles
évoluées ? Quelles sont-elles actuellement ?
La norme AFNOR X50-150 sur l’analyse de la valeur, définit la valeur comme « un jugement
porté sur le produit sur la base des attentes et des motivations de l’utilisateur, exprimé par
une grandeur qui croît lorsque, toute chose égale par ailleurs, la satisfaction du besoin de
l’utilisateur augmente et/ou que la dépense afférente au produit diminue » (AFNOR, 1994).
Afin d’identifier des leviers de valorisation de l’offre de café dans la restauration, il est tout
d’abord nécessaire de comprendre les besoins auxquels cette offre répond et les fonctions
qu’elle recouvre pour les consommateurs. Cette délimitation des contours du produit, tel qu’il
est perçu par les consommateurs, permettra d’évaluer comment l’offre actuelle répond à leurs
besoins et s’il existe des attentes latentes pouvant être davantage satisfaites.
Quels facteurs motivent la commande de café au restaurant ? Est-il consommé pour la
dégustation, par habitude, par convention sociale ? Ou plutôt par soif, ou par besoin de
caféine ? À quoi ressemble le café attendu par les consommateurs ? Quels sont les éléments
pouvant mener à davantage de satisfaction ? Comme représenté dans la Figure 4, nous nous
intéressons ici aux contours du produit acheté par le consommateur, client de restaurant.
37
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Figure 4 - Zoom sur les contours du produit acheté par le consommateur, client de restaurant
À notre connaissance, il n’existe pas de données disponibles permettant de répondre à ces
questions. Interroger directement les consommateurs sur leurs représentations et pratiques
autour du café dans la restauration va permettre de collecter ce type d’information.
Un produit alimentaire, quel qu’il soit, n’est pas consommé uniquement pour ses propriétés
nutritionnelles et organoleptiques mais aussi pour ce qu’il représente, les codes qui
l’entourent ou les interactions sociales qui se créent autour de sa consommation. Ici, nous
nous intéressons aussi à la commande du café comme un acte social.
Comprendre le positionnement du produit dans les représentations et pratiques sociales
permet d’analyser les usages et les processus, les freins et les motivations, menant à la
commande de café. Cela permet aussi de cerner les contours du produit consommé, les
critères d’évaluation de l’offre, et les conditions de la satisfaction des besoins des clients. Ces
critères sont autant de leviers pouvant avoir un effet sur la valeur que les consommateurs
accordent à l’offre. Cette analyse se fait dans un cadre culturel donné, ici le café au restaurant
en France.
38
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
2. Méthode : entretiens semi-­‐directifs avec des consommateurs Notre objectif n’est pas de collecter des données représentatives de la population française. Il
s’agit plutôt de « photographier » des profils de comportements et de représentations divers,
autour de la commande et de la consommation de café dans la restauration, qu’ils soient rares
ou fréquents dans la population. Une discussion ouverte et quelque peu approfondie permet de
révéler les raisons d’un comportement, pouvant être nombreuses et inconscientes. Aussi,
plutôt qu’un questionnaire ne permettant que des réponses fermées, nous avons choisi de
collecter les données au cours d’entretiens avec les consommateurs. L’intérêt est de laisser la
liberté aux personnes interviewées de soulever certains points leur paraissant important et
d’exprimer des idées personnelles.
Afin de pouvoir confronter ces différents points de vue, un guide d’entretien a été développé,
selon les techniques d’entretiens semi-directifs ou « centrés ». L’entretien semi-directif
permet d’ « encourager l’expression par les techniques de facilitation de la parole, tout en
veillant à diriger la discussion en abordant l’ensemble des points du guide » (Béji-Bécheur,
Bernard, Dias Campos, Lombart, & al., 2008). Il est structuré par une liste de thèmes à
aborder par l’enquêteur lors de relances de la conversation, mais reste souple et permet de
recueillir des formulations d’idées propres à différents individus, ou « verbatim », associées
aux thèmes d’intérêt. L’entretien semi-directif individuel permet ainsi de découvrir les
représentations sous-jacentes et les pratiques sociales d’individus différents.
L’entretien portait sur « la consommation de café après le déjeuner dans la restauration » et
comportait une liste de questions, formulées afin que les participants parlent de leur
consommation et expriment leurs représentations, motivations, attentes sur ce sujet. Une grille
de thèmes d’intérêt identifiés permettait de recentrer ou de relancer le discours (Caumont,
2007). Les principales étapes de ces entretiens sont résumées dans l’annexe 1.
Afin de stimuler la parole des participants, les entretiens ont été réalisés en situation réelle de
consommation de café dans la restauration. Afin de collecter des données provenant de
consommateurs aux profils variés, les entretiens se sont déroulés dans 5 établissements
différents, en termes de localisation et d’offre de restauration (cf. Tableau 1). Les participants
recrutés étaient tous les clients ayant commandé un café et acceptant de participer à
39
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
l’entretien. Ce type d’échantillonnage est appelé « empirique ciblé », pour son côté arbitraire
et non probabiliste. Il correspond cependant à notre objectif, la diversité des profils étant
davantage recherchée que leur représentativité.
Au total, 26 femmes et 22 hommes, âgés de 19 à plus de 80 ans ont été interrogés au cours de
38 entretiens. D’une durée moyenne de 14 minutes, ces entretiens ont parfois été réalisés avec
deux ou trois personnes de la même table. Le profil social des personnes interrogées est
présenté dans l’annexe 2. Chaque entretien, enregistré sur dictaphone, a été retranscrit.
Une analyse thématique, réalisée sur le corpus de textes ainsi obtenu, a permis de découper
chaque discours par thèmes abordés.
Le corpus de texte ainsi obtenu a été traité par une analyse thématique. Chaque discours était
d’abord découpé par sujet abordé. Puis les extraits étaient réorganisés et regroupés
« horizontalement », par thèmes transversaux identifiés a posteriori. Confronter ainsi les
diverses représentations sur un même thème permet d’identifier des consensus, ou des avis
divergents, entre participants. Cet exercice permet de dégager les principaux éléments
significatifs du discours des personnes interviewées, que ceux-ci soient explicites ou
implicites, c’est-à-dire directement exprimés ou sous-entendus.
Dans le but de réaliser une synthèse organisée de ces éléments, nous présenterons tout
d’abord les principales fonctions ou principaux rôles du café après le déjeuner dans la
restauration, puis les différents critères pris en compte par les consommateurs dans
l’évaluation de l’offre. Enfin, nous discuterons des attentes latentes des consommateurs
comme piste de valorisation pour l’offre de café en restauration. Pour ce faire, nous nous
appuierons sur des extraits choisis des entretiens avec les consommateurs.
Suite à ces entretiens, et afin de quantifier la fréquence de certaines représentations
dans la population, un questionnaire en ligne a été développé. 132 personnes
consommant du café au restaurant ont répondu. Quelques résultats de ce questionnaire
viennent compléter l’analyse de ces entretiens.
40
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Tableau 1 - Récapitulatif des entretiens
Type
Offre de
d’établissement
restauration
Café spécialisé
Non
Café spécialisé
Non
Brasserie
Oui, en
continu
Brasserie
Oui, en
continu
Pizzeria
Midi et soir
Nombre de
Offre de café
Prix du café
Localisation
personnes
interrogées
Large choix de
café
Large choix de
café
Café absent de
la carte
1 café, marque
et mélange sur
la carte
Café absent de
la carte
2,30€
Paris VIème
17
2,30€
Paris XIVème
12
1,50€
Lyon Ier
9
1,60€
Lyon IIIème
12
1,50€
Z.I., Est-Lyonnais
3
3. Résultats 3.1. Quelles fonctions du café au restaurant ? La première tâche consistait, pour les participants, à donner en quelques mots les idées qu’ils
associent spontanément au « café après le déjeuner dans la restauration ». Cette technique
projective, utilisée en début d’entretien, permet d’ancrer les enquêtés dans le thème d’intérêt,
de cerner certaines composantes de l’image du produit, les émotions qui lui sont associées, et
d’identifier des axes thématiques éventuels à développer au cours de l’entretien.
Les mots cités le plus souvent sont représentés dans la Figure 5. Les trois mots revenant le
plus souvent sont « moment », « fin du repas » et « convivialité ». Ils sont ensuite mentionnés
tout au long des entretiens également. Le café est perçu comme un moment de convivialité et
une étape à part entière dans le déroulement du repas.
41
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Figure 5 - Mots les plus souvent cités en association avec "le café après le déjeuner au restaurant" Chaque mot représenté a été cité au moins trois fois. Plus la taille de la police est importante, plus le mot a été
fréquemment cité.
Le café est associé à un « moment de détente […] moment de plaisir » (E18a). Il représente
une parenthèse, un temps de pause dans la journée, un délassement au cours duquel on peut
s’extraire de ses préoccupations quotidiennes (cf. Encadré 1). À la fin du repas, le café est
aussi perçu comme un moment de transition, signalant le retour prochain aux activités
quotidiennes, tel un moment de recul avant de mieux reprendre le déroulement de la journée.
« c'est une occasion aussi pour nous de s'aérer et de se détendre » E11 « ça me déstresse quoi…c'est vraiment le moment où on sort du bureau et puis… un petit moment convivial, euh un bon petit café pour sortir un peu du monde professionnel et puis… un petit moment de détente » E13 « convivial, convivialité -­‐ transition, transition entre le travail du matin et le travail de l'après-­‐midi, qu'est moins assurée par le repas, le café pour moi c'est une transition conviviale » E18b « un petit moment de relaxation avant de reprendre le travail » E25 « pour moi c'est un moment un peu familial le café, c'est un moment de détente, quelque chose d'assez convivial voilà… essentiellement » E34 Encadré 1 - Une parenthèse dans la journée
42
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
3.1.1. Un moment de convivialité Les discours montrent que le café est aussi associé à un moment d’échange, de convivialité.
Le partage de ce moment avec de la famille, des amis ou des collègues, avec qui on aborde
des sujets plus personnels, est souvent évoqué : « c'est lié à une pause […] j'aime bien
prendre le café avec des amis, voilà, c'est l'occasion bon de la convivialité » (E17). Les
termes employés pour décrire ce moment révèlent une représentation du café comme étant un
temps privilégié du repas, plus propice à la discussion. Le repas étant terminé, la discussion
est facilitée. D’un point de vue pratique, elle n’est plus interrompue par la mastication des
aliments. L’attention n’est plus partagée entre le sujet de conversation et le contenu des
assiettes. Les convives sont plus à l’aise, décontractés. Pendant ce moment plus calme du
repas, on peut « enlever son armure » et « être soi-même » (Encadré 2).
Dans l’esprit de certaines personnes interrogées, il semble que la chaleur du café contribue à
rendre ce moment chaleureux humainement. Un des participants fait un parallèle avec le
narguilé, autre moment convivial de certaines cultures orientales. Effectivement, le moment
du café en France rappelle d’autres rituels de consommation vecteurs de sociabilité dans
certaines cultures, comme le thé en Russie ou en Chine, les groupes de consommation de thé
vert en Afrique de l’Ouest (Bondaz, 2013), ou encore le café à la turque au Moyen Orient.
Toutes ces pratiques sont réglées autour de routines de consommation commune, mais une de
leur fonction importante est de créer une occasion pour passer du temps à échanger des
informations, des points de vue, pour se rassembler.
« c'est le moment, quand on est avec quelqu'un, où on peut discuter plus particulièrement, on est plus à l'aise, tranquille… […] c'est un m oment de plaisir, convivial, si on est avec des amis, donc le plaisir est finalisé quand j'ai bu un bon café » E3 « ça termine sur quelque chose de chaud, c'est un moment où on discute plus, justement peut-­‐être parce qu'on ne mange plus donc… […] c'est quelque chose de chaleureux » E4 « ça ne me dérange pas d'abréger le repas et avoir plus de temps pour le café, on peut discuter sans avoir la bouche pleine » E6 « c'est un bon moment pour se retrouver, pour discuter avec des amis, des rendez-­‐vous, c'est sympathique de faire ça autour d'une boisson chaude […] et puis c'est le plaisir surtout… la convivialité » E14 « quand on arrive au café, Ah ! ça se relâche […] tout le monde enlève son armure, si vous voulez, parce qu'il y en a une, armure, quand même, dans le travail […] on tourne toujours autour du même sujet : la convivialité! » E22a « ça évoque la décontraction, le moment où on peut être soi-­‐même… comme certaines cultures ont le narguilé, nous on a le café ! (rires) […] c'est le moment convivial des 30-­‐70 ans ! (rires) » E26
Encadré 2 – Un moment de convivialité
43
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
3.1.2. La note finale du repas Au-delà de ses fonctions sociales, le café est perçu comme une composante à part entière dans
la structure du repas : « c’est une étape du repas » (E28a). Il se place dans la continuité de la
traditionnelle triade du repas français : entrée, plat, dessert (Mathé, Tavoularis, & Pilorin,
2009). Il est associé à la fin du repas comme une évidence, une vérité générale : « c'est la fin
du repas. Pour terminer un repas ! Enfin moi ça me permet…je termine mon repas par un
café. C'est la fin du repas. Voilà, le café arrive à la fin du repas. » (E28b).
Cette ponctuation du repas par un café semble parfois de l’ordre du réflexe, de l’automatisme,
comme pour ce commercial de 40 ans : « Au restaurant, que ce soit dans le cadre
professionnel ou privé, je finis par un café. » (E26). Le café termine et prolonge tout à la fois
le repas. Il n’est pas consommé en France comme en Italie où, bien que servi brûlant, on le
boit d’une traite debout au comptoir. En France, même lorsqu’il est préparé en expresso, on
prend généralement son temps autour du café. Certains le préfèrent à un dessert et, avec la
tendance à la diminution du temps passé pour déjeuner et du nombre de plats commandés
(Laisney, 2012), il peut souvent s’y substituer (Encadré 3). La tendance lourde des cafés
gourmands vient plutôt pallier à la désaffection des desserts, afin de condenser café et
mignardises de desserts en une seule étape.
Plusieurs personnes interrogées évoquent également le café comme étant la « note » finale du
repas, celle restant en bouche alors que l’on quitte la table, tel un souvenir que l’on emporte
avec soi quelques instants. Cette idée évoque là encore une transition, gustative cette fois.
Cette position stratégique dans le déroulement du repas génère des attentes particulières,
comme pour cette femme de 48 ans à Paris : « le café en plus c'est la fin d'un repas, faut qu'on
soit sûrs de terminer en beauté ! Ça doit être bien du début jusqu'à la fin » (E21).
Plusieurs extraits révèlent que le café est aussi un repère temporel. Il clôture le repas, et peut
en être la cerise sur le gâteau. Il marque aussi les différents temps de la journée : le début de la
matinée avec le café du petit déjeuner, puis le début de l’après-midi avec le café de fin de
déjeuner.
44
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
« nous on prend toujours du café après le déjeuner, on a fait un bon repas, on termine par un café. Je préfère terminer par un café que par un dessert. » E1 « pour moi ça représente un peu comme un dessert quoi, c'est la continuité du repas » E3 « c'est à la fois une manière de terminer le repas et une manière de le prolonger donc ça c'est plutôt agréable » E4 « je prends pas de dessert aussi…c'est un substitut comme ça » E6 « C'est dans l'accompagnement du repas, le café de fin de repas…moi, au restau, je prends systématiquement un café à la fin » E22b « c'est la fin du déjeuner en fait […] c'est le goût aussi, c'est le dernier goût que l'on va avoir. » E26 « l 'idée c'est de rester sur un bon souvenir du repas qu'on a fait, de se laisser emporter la bouche par le café, mais qu'il soit encore là le temps qu'on continue à partir, et c'est à dire que la pause, la transition, est dans la durée... » E37a Encadré 3 - La note finale du repas
3.1.3. Une réponse à des besoins physiologiques Le café est également consommé pour ses effets physiologiques (Encadré 4). Il est parfois
consommé avec l’idée de se réchauffer, en particulier en hiver, époque à laquelle les
entretiens se sont déroulés. Quelques-uns l’associent à ses vertus digestives, comme ce
musicien de 35 ans : « c'est plus une étape…on peut dire digestive si on veut » (E6). Les
évocations revenant le plus souvent sont celles des propriétés stimulantes du café, permettant
de « rester éveillé » et de « tenir le coup au boulot ». La consommation de café et le goût
attendu peuvent varier en fonction de l’état de fatigue, comme en témoigne cette étudiante de
20 ans : « tout dépend de mon état physique si je puis dire ; si je suis fatiguée, j'aimerais un
café qui soit assez corsé pour pouvoir me réveiller , si je suis plutôt en forme, je préférerais
un café qui soit si je puis dire doux, assez parfumé pour… juste pour le plaisir du café, pour
pouvoir terminer correctement mon déjeuner » (E11). En effet l’absorption de caféine en
quantité modérée a des aspects positifs sur l’organisme. À court terme, la caféine stimule,
détend et augmente les facultés de concentration (Nehlig, 2012).
« là en ce moment c'est pour avoir chaud (rires) » E5 « un café pour me réveiller, après le repas …. tenir le coup au boulot … » E7 « j'en prends pour avoir bonne mine, pour me réveiller […] rien que le mot pour moi c'est la pêche…c'est le réveil […] c’est déjà positif ! » E9 « moi c'est la digestion, c'est exclusivement ça. C'est juste pour faire passer et terminer sur un goût un peu amer. » E32b « c’est avant tout pour le goût, et puis si je le prends pas je m'endors. » E35 Encadré 4 – Une réponse à des besoins physiologiques
45
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
3.1.4. Un rituel Le café à la fin du déjeuner est souvent évoqué comme une habitude, ou même comme un
élément indispensable dans le déroulé de la journée et du repas (Encadré 5). Plusieurs
personnes expliquent qu’il leur est impensable de ne pas boire un café après le déjeuner,
comme ce graphiste de 33 ans rencontré à Lyon : « si je vais au restau je prends
systématiquement un café » (E32b). Ou, si ce n’est pas immédiatement après le déjeuner,
alors cela doit être dans l’heure qui suit, comme l’évoque ce doctorant de 30 ans interrogé à
Paris : « c'est une habitude, je le fais toujours - soit à la maison, soit dans un café, soit dans
une bibliothèque… après le déjeuner : 5 minutes, 10 minutes, une heure plus tard, c'est on va
dire… obligatoire. » (E10). La consommation de café après le déjeuner est alors organisée
comme un rituel, de manière précisément réglée. Le vocabulaire autour de ce registre est
abondant avec des expressions comme : « il faut », « je dois », « obligatoire », « toujours »,
« systématique ».
Pour quelques-uns, la consommation de café semble dépasser le stade du rituel. Ils utilisent
des termes relevant plutôt du registre de l’addiction, comme « accro », « addict »,
« dépendance », « j’essaie de diminuer ». Ainsi cette vendeuse de 50 ans interviewée à Paris :
« ça fait partie de ma journée, une journée sans café, c'est pas une journée ! Ah ouais moi je
suis très accro » E23. Cependant, cette relation de dépendance au café est plus souvent
évoquée pour le café du matin, permettant de se réveiller et de bien commencer la journée.
Toujours dans le thème de l’addiction, l’association café-cigarette et l’interdiction de fumer
dans les restaurants sont parfois mentionnées. Avec des avis positifs : « sans l'association de
cigarette ça me gêne plus maintenant… il reste le café, c'est bien, j'y tiens ! (rires) » (E23), ou
nostalgiques : « je regrette qui y'ait plus de cigarette avec le café » (E34), « l'avantage à la
maison c'est qu'on prend notre café, on fume une cigarette en même temps - au restaurant
c'est plus possible, mais ça reste un moment qui achève le repas » (E36a).
46
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
« quand je prends un repas au restaurant j’ai toujours le café avec, systématiquement » E2 « c'est aussi une habitude, parce que je bois pas mal de café, parfois je me dis un peu trop… donc c'est assez systématique si bien que parfois ça peut juste être une fonction de dépendance (rires) » E6 « c'est pour moi une sorte de pratique obligée, rituelle…ça conclut un déjeuner et c'est quelque chose de euh…d'important. Je suis un grand addict ! (rires) c'est vraiment un acte rituel qui met fin voilà au déjeuner et qui…qui donne aussi sa valeur qui… […] pour le repas en particulier » E12 « c'est question d'habitude, moi je suis habituée à prendre toujours après manger un petit café ou un petit chocolat…c'est une habitude ! » E20 « M oi je sais que le matin je peux pas décoller je dois boire mes deux-­‐trois cafés à la m aison quoi, ça dépasse le stade du rituel. […] Y'a beaucoup moins ça le midi. En revanche je finirais pas un repas sans café quand même. » E28a « c'est pas une drogue mais c'est pas loin, ouais ! (rires) […] il faut le café, le matin il faut le café » E29 « après le repas de midi café obligatoire ; allongé jamais simple, que de l'allongé. Y'a plus de caféine. Le café est moins fort en bouche mais plus fort en caféine. » E30 Encadré 5 - Un rituel
Au-delà de l’habitude personnelle, le café semble faire partie du modèle alimentaire français.
Tel que décrit par le CREDOC, le style alimentaire des français est «centré sur la
commensalité, c'est-à-dire le fait de manger ensemble autour d'une table (du latin « cum »,
avec, ensemble, et « mensa », table). La ritualisation intervient pour valoriser l'acte
alimentaire, les règles et les conventions favorisant l'échange entre les convives. Il y a
partage de nourritures en même temps qu'échange de paroles. » (Mathé et al., 2009). Cette
manière de manger est largement diffusée à travers les catégories socio-professionnelles. Elle
repose sur des règles de comportement collectives, autour du partage des repas et de leurs
horaires, de leur nombre et de leur structure. Elle s’est précisée et construite sur de longues
périodes, permettant le mélange de régimes alimentaires de différentes régions et l’intégration
de produits venus d’ailleurs (Ibid.).
Il en va également ainsi du café, progressivement intégré dans le régime alimentaire des
régions de France, comme nous l’avons vu dans l’introduction avec l’exemple de Plozévet,
commune du Finistère. Symbole de convivialité, étape ritualisée du repas prolongeant le
temps de la commensalité, le café semble être l’archétype de la description du style
alimentaire Français. D’autant plus que, comme nous allons le voir par la suite, les attentes
autour du café correspondent à un autre pilier de la manière de manger française :
l’hédonisme, ou le plaisir de la dégustation.
47
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
3.2. Quels critères d’évaluation de l’offre pour les consommateurs ? Le cœur de l’entretien consistait à recenser et à évaluer le poids des caractéristiques prises en
compte par les consommateurs dans leur évaluation de l’offre de café en restauration. Les
éléments relatifs à ce sujet ont été recueillis par récit spontané ou en réponse à une des
questions suivantes : « Lorsque vous commandez un café après le repas au restaurant, qu’estce qui est important pour vous ? Qu’est-ce que vous attendez ? Quels éléments peuvent vous
plaire ou vous déplaire ? Lesquels pourraient vous satisfaire davantage ? ».
3.2.1. 3 prérequis : un café chaud, servi rapidement et dans une tasse propre Parmi les critères d’évaluation de l’offre ainsi révélés, trois mènent seulement à
l’insatisfaction s’ils ne sont pas remplis. Peu importe la présence d’autres critères pouvant
conduire à la satisfaction par ailleurs - comme une jolie tasse ou un chocolat - : si ces
conditions préalables ne sont pas réunies, le client ne sera pas satisfait. Des citations se
rapportant à ces critères sont rassemblées dans l’Encadré 6.
Le premier est de se voir servir son café rapidement : « la seule chose qui pourra me déplaire
c'est si l'attente est longue avant d'avoir le café » (E17). Le second est qu’il arrive chaud :
« j'aime pas le café froid, il faut qu'il soit bien chaud et tout » (E21). Et le troisième est qu’il
soit servi dans une tasse propre : « je suis pas du tout une spécialiste du café, donc a priori
j'ai pas de demande particulière d'un type de café, donc en général voilà je prends un café
tout simple […] les critères c'est toujours un peu les mêmes que tout le monde ; c'est avoir le
truc chaud, rapidement et dans une tasse propre en fait » (E4).
Selon le modèle de satisfaction des consommateurs Kano (Matzler & Hinterhuber, 1998), ces
exigences de bases sont des prérequis. Leur présence évite l’insatisfaction des consommateurs
quant à l’offre de café en restauration, mais elle ne mène pas non plus à la satisfaction. Ces
éléments étant attendus et considéré comme acquis, ils mènent juste au point neutre. C’est
probablement pour cette raison que ces critères sont en fait assez peu mentionnés, tant il est
évident pour les consommateurs qu’ils ne veulent pas d’un café froid, servi dans une tasse
sale, après une longue attente. De la même manière, il n’est jamais mentionné que le café est
attendu avec du sucre et une cuillère : cela va sans dire. Cependant, ces attentes sont parmi les
48
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
plus importantes à prendre en compte, car les efforts sur d’autres points n’auront aucun
impact sur la satisfaction des clients d’un restaurant sans ces préalables.
« du m oment que ce soit la tasse propre et tout ça, c'est l'essentiel» E24 « la rapidité, ça c'est clair. Moi je viens ici parce que c'est rapide ; vous m'avez-­‐vu tout à l'heure avec la pizza, là je m'en vais. Dans un cadre professionnel j'aime que ça aille vite, efficace. Je comprends après, je fais abstraction un petit peu d'une certaine qualité » E26 « un café ça doit être chaud… […] faut qu'y est pas la moitié du café qui arrive dans la soucoupe, que le sucre soit pas mouillé, que… […] du café qu'a coulé le long de la tasse… moi j'sais pas ça me gêne quoi, c'est pas agréable ! » E28a « le seul truc qui pourrait être désagréable c'est quand on a du café froid […] ça un café froid, pour avoir été dans la restauration aussi, je…c'est réflexe ramener et…demander à ce qui soit refait » E30 « des fois, le café il est servi froid! Donc ça… j'arrive pas à boire un café froid moi! (rires) je le bois pas, je leur demande si ils peuvent m'en donner un autre, sinon je pars […] le problème du bar [Nom du bar], pourquoi j'ai arrêté, c'est que le service était très long. Quand je demandais un café c'était après 20 minutes » E31 Encadré 6 – 3 pré-requis : un café chaud, servi rapidement et dans une tasse propre
3.2.2. 3 critères de performance Lorsque les prérequis sont remplis, d’autres critères semblent pouvoir mener aussi bien à la
satisfaction qu’à l’insatisfaction du consommateur, selon leur niveau de réalisation. Il s’agit
par exemple du goût du café, de l’accueil dans l’établissement ou du rapport qualité-prix.
Selon le modèle de satisfaction de Kano, ce sont des éléments de performance. Plus l’offre est
performante sur ces critères, plus les clients sont satisfaits. En général, ces éléments sont
exprimés de manière plus spécifique que les prérequis. En ce qui concerne le goût du café
cependant, il semble compliqué pour les consommateurs de mettre des mots sur leurs
préférences.
Le Goût Le goût est souvent mentionné comme l’élément le plus important : « Moi le premier critère
c'est le goût, avant tout. » (E28b). Cependant il est rarement cité seul, comme dans ces deux
exemples : « c'est déjà un café que j'aime, qui est agréable à boire et sinon, aussi, un cadre
qui est sympathique, pas trop stressant » (E14), « Le goût, la première chose le goût, donc
après l’arôme, l’amertume, un équilibre entre toutes ces choses-là et puis la convivialité
surtout, c’est ça qu’est le plus important autour d’un café…» (E2). Pour quelques-uns, le
goût du café peut orienter le choix d’un établissement : « il m'est arrivé de boire un café après
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Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
un repas au restaurant, il m'a pas paru bon et… d'aller ailleurs pour boire un bon café !
(rires) » (E3).
Suite à la mention du goût comme élément important, ou en relance s’il n’était pas mentionné
spontanément, il était demandé aux personnes interrogées ce qui, pour elles, correspondait à
« un bon café » ou à un « café de qualité ». Trois tendances de réponse à cette question se
dégagent.
La première est une tendance à décrire un bon café par la négative, en précisant plutôt ce qu’il
n’est pas : pas trop fort, pas trop amer, pas trop acre, pas trop serré, ou pas trop écœurant
(Encadré 7). Plutôt que d’être bon, la performance consiste à ne pas être mauvais : « …et en
terme, pour le café lui-même, euh…j'sais pas, qu'il soit, qu'il ait du goût et en même temps
qu'il soit pas…trop… trop amer ou écœurant » (E6).
La deuxième tendance est de donner une orientation gustative générale. Il y a d’un côté les
amateurs de café doux et de l’autre les amateurs de café fort : « j'aime un café fort,
fort !» (E20). Pour ces derniers, un « vrai café » est un expresso, pas un café filtre, ni un café
américain ou un cappuccino (Encadré 8).
Enfin, de nombreuses personnes admettent qu’elles n’ont pas de goûts particuliers en matière
de café, avec des expressions comme : « je ne suis pas difficile », « je ne suis pas un grand
amateur en goût », « je ne rechigne pas sur la qualité du café », « je ne sais pas ce que c’est
qu’un bon café », ou encore « j’ai pas de goûts particuliers ». Souvent ces personnes
expliquent ne pas avoir de préférence, car elles ne se sentent pas compétentes en matière de
dégustation de café (Encadré 9).
Parmi les 132 personnes ayant répondu au questionnaire en ligne développé à la suite
de ces entretiens : 67% des participants sont « plutôt d’accord » ou « tout à fait
d’accord » avec l’affirmation : « J'ai des goûts bien particulier en matière de café »,
65% avec : « J'aimerais m'y connaître davantage en matière de café », mais seuls 42%
le sont avec :« Je connais les termes pour décrire le goût d'un café».
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Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
« quand c’est un café trop amer, j’aime pas ça… quand c’est trop corsé, j’aime pas, moi je préfère vraiment quand c’est aromatique, donc l’arôme du café mais avec la douceur.» E2 « la présentation, après les arômes que ça peut dégager, après pas trop amer… pas amer. » E3 « j'aime bien le café fruité, doux et tout ça, parce qu'il y a... j'aime pas les cafés trop serrés et... trop fort quoi ! » E21 « je suis pas un grand amateur en goût ou... j'aime le café pas trop fort, pas trop chaud » E29 « je suis pas difficile : faut vraiment qu’il soit pas fort, doux et … qu'il soit servi chaud » E31 Encadré 7 - Un bon café est un café pas trop mauvais
« j'aime les cafés CAFÉ ; j'aime pas les cafés travaillés […] à la fin de mon repas je prendrai pas un cappuccino par exemple, ou un café glacé... ça je le prendrai en milieu d'après-­‐midi si il fait chaud, enfin moi personnellement il faut que ce soit vraiment le vrai café, avec plein d'arômes » E3 « j'élimine tout ce qui est cafés américains trop allongés ou les cafés familiaux qui sont vraiment infâmes, je parle plutôt de la gamme des expressos dans les cafés et ouais moi j'aime bien un café qui a un certain goût, un certain parfum [...] qui a vocation à réveiller aussi » E18b « les gens peuvent très bien apprécier un jus de chaussettes… c'est aussi clair qu'un thé, voilà des cafetières entières de café ! Ni plus ni moins que de l'eau légèrement teintée, non mais c'est vrai quoi ! […] moi j'aime beaucoup les expressos. Voilà, les expressos. Bien corsé, voilà. Autrement… […] Pas trop amer, pas trop de sucre… juste ce qui faut et puis j'suis pas… j'suis pas difficile, mais euh… quand il est bon il est bon! » E27 « j’aime pas les cafés trop light, justement, j'aime bien pour marquer la fin du repas un truc qui fait boom, quoi, donc plutôt bien serré et… presque solide. » E32b Encadré 8 - Un "vrai café" est un expresso
« si je m'y connaissais en café, j'aurais plus d'exigences, mais c'est une éducation du goût que j'ai pas » E4 «je ne rechigne pas sur la qualité du café, pas trop, parce que je suis pas une bonne …je sais pas différencier un très bon café d'un autre. » E7 « au niveau du goût, rien de spécial pour moi…pour moi c'est toujours un café plutôt fort, pas trop trop trop chaud [...] les cafés forts voilà ! » E10 « moi je sais pas ce que c'est qu'un bon café […] je considère que c'est des cafés […] allez 70% relativement corrects. 30% effectivement, je me rends compte qu'ils sont pas bons du tout, mais je fais pas vraiment de différence entre un café à peu près de qualité, dans ma tranche des 70%. j'sais pas graduer, je sais pas vraiment apprécier [...] mais moi j'admire les amateurs de café là, qui savent faire la différence entre un arabica, robusta… c'est là-­‐dessus je me dis je suis 'mmmpp' (bruit de bouche)…j'y connais rien quoi ! » E18b « moi c'est très simple, j'ai pas de goûts particuliers […] moi c'est souvent assez fort, ça revient au fait que c‘est pour faire la pause et puis redémarrer l'après-­‐midi, donc café assez corsé, bien noir. » E25 « par rapport au produit lui-­‐même, bon j'ai pas beaucoup de…sincèrement j'ai pas beaucoup de… d'expertise ni d'exigence en fin de compte. » E34 Encadré 9 - Manque de compétence ressenti par les consommateurs
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Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Le rapport qualité-­‐prix Hormis le goût, un autre élément de performance est le rapport qualité-prix du café (Encadré
10). Là aussi, les personnes interrogées parlent rarement du prix seul. Le prix semble perçu
comme exagéré, surtout si la qualité n’est pas au rendez-vous : « le café a beaucoup augmenté
[…] il y a vraiment certains cafés, où là c'est exagéré et puis c'est pas bon » (E1). Car le prix
le plus bas n’est pas recherché à tout prix : «on voit partout café à un euro mais si c'est pas
bon, c'est pas intéressant » (rires)» (E6). Au contraire, certains sont prêts à payer le prix fort
pour un bon café : « c'est beaucoup plus cher (qu’au distributeur), mais franchement je
préfère dépenser plus et avoir une bonne qualité [...] je m'octroie ce plaisir de boire du bon
café... » (E23), « notamment chez Starbucks, c’est très cher, je paie mon café 4 euros 70,
voilà, mais c'est pas tous les jours, mais c'est un vrai plaisir ! » (E38). En effet, l’aspect
quotidien de cette consommation peut être un frein : « si vous prenez 2 euros 50, fois 20 jours,
dans un mois euh… sur l’année c’est un budget » (E19b).
Peut-être pour diminuer cette perception importante du budget que représente la
consommation quotidienne, plusieurs initiatives visent à faciliter le paiement des cafés, par
exemple grâce à une carte de paiement rechargeable chez Starbucks, ou grâce à un
abonnement aux cafés illimités en fin de repas dans certains restaurants parisiens9.
« les restaurateurs font pas mal de marge sur les cafés et […] comme c’est pas forcément un café de bonne qualité, enfin d’une qualité que nous apprécions, on préfère à ce moment-­‐là le prendre ailleurs (à la m aison, machine à expresso) […] Je vous dis ça nous est arrivé, mais on a été déçus, donc c’est pas la peine de payer cher pour être déçus. En plus… dans certains restaurants il vous arrive à peine chaud (rires) , tiédasse… le goût, plus tiédasse, plus le prix, ça fait beaucoup ! (rires) » E1 « déjà la qualité… beaucoup d'établissements font pas vraiment attention à la façon de le préparer, l'eau est généralement très calcaire et le café est pas très bon. Souvent c'est le point essentiel avec le prix aussi… […] la qualité, le prix » E12 « parce que m aintenant il est souvent cher et m auvais […] déjà, je trouve que m ême si le café est délicieux, on paie quand même un café 2 euros 30. 2 euros 30 c'est quand m ême pas donné pour un café. Donc si en plus on a un café moyen-­‐moins avec un accueil euh…. limite, ben… » E19a « C'est pas parce qu'il est à un euro que je vais en boire m ême si il est m auvais. » E27 Encadré 10 - Ni trop cher, ni trop mauvais
9
Cf. http://www.cafe-hotel-restaurant.com/article/18242/Starbucks-lance-sa-carte-de-paiement-rechargeable, et
https://www.cafesillimites.com/, consultés le 03/07/2014
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Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
L’ambiance Plus le cadre est agréable, plus le moment du café est apprécié. Plusieurs personnes évoquent
l’importance du contact humain. La convivialité est recherchée non seulement à la table, mais
aussi autour, dans l’établissement : « on est des habitués donc on rencontre des habitués. On
finit par discuter, c’est sympa, c’est une ambiance sympathique…» (E1). Cette ambiance
sympathique, suscitée par des discussions avec d’autres clients habitués ou avec le personnel,
contribue à faire du café un moment de détente, un moment agréable (Encadré 11).
« je cherche toujours des endroits où les gens sont sympas. Moi je suis assez traditionnaliste, dans le sens que j'aime bien les cafés, après quelque fois que j'y vais, bon les gens commencent à me connaître, voilà bon « vous c'est toujours une noisette, toujours sucré » […] il y a... une relation on va dire éphémère mais une relation quand même entre service et client, j'aime pas la chose trop impersonnelle, j'aime bien le contact » E10 « si c'est un moment de convivialité, un moment… bon ben il faut que ce soit sympa, qu'il y ait des gens qui nous disent bonjour, quand on vient souvent qu’ils nous reconnaissent… ça va au-­‐delà du goût du café » E18b « le côté sympa du personnel […] un endroit où je suis mal reçue je reviendrai pas… » E21 «ici je trouve tout ce que j'aime : je m'entends bien avec eux (le personnel), on rigole bien, on passe un bon moment... donc un bon café, passer un bon moment, eh bah c'est parfait ! Voilà ! je suis satisfaite… [...] mais c'est ça l'essentiel, se sentir bien où on est ! » E23 Encadré 11 - L'ambiance
3.2.3. 2 éléments attractifs Un produit répondant seulement à des prérequis et à des critères de performance est perçu
comme moyen et interchangeable. Selon le modèle de satisfaction Kano, la présence d’autres
éléments non attendus par les clients permet d’atteindre un niveau de satisfaction bien plus
élevé (Matzler & Hinterhuber, 1998). Ces éléments permettant de surpasser les attentes des
consommateurs sont les éléments « attractifs ». Ils peuvent mener à une satisfaction
démesurée, mais leur absence ne génère pas d’insatisfaction. N’étant pas attendus, ils sont
assez peu mentionnés spontanément. Cependant, il est très important de les identifier car ces
éléments peuvent mener à la différenciation de l’offre.
En ce qui concerne l’offre de café au restaurant, ces éléments sont ceux relevant d’une
attention particulière portée au client, ou à l’offre de café.
53
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Un signe d’attention portée au client : jolie tasse, verre d’eau, chocolat Il s’agit par exemple de la présence d’un chocolat sur le bord de la tasse, d’un verre d’eau ou
d’une jolie présentation - dans une tasse colorée par exemple. Ces détails, « une petite
sucrerie », « un petit rien du tout », « un petit bonbon », « un petit verre d’eau », sont perçus
comme autant de petites attentions portées au client, comme un geste d’accueil de la part du
restaurateur (Encadré 12).
Ces éléments, qualifiés par des termes comme : « agréable », « sympa », « appréciable »,
« symbolique », sont de plus en plus attendus.
« si c'est dans une belle tasse, si c'est bien présenté, c'est un plus [...] une tasse à café en verre, en cristal, j'ai horreur par exemple de boire un café dans un gobelet… ça c'est un truc ; qu'on me serve un café dans un gobelet euh… j'en veux pas ! (rires) […] j'apprécie quand il y a un petit verre d'eau avec » E3 « j'aime toujours quand le café est accompagné d'une petite sucrerie et si y'en a pas parfois je demande ou… surtout que c'est un peu cher quand on prend un café au café et que un petit gâteau, un petit… un rien du tout, ça coûte pas grand-­‐chose… je pense, pour le propriétaire ils peuvent offrir bien ça...» E7 « un petit bonbon… pour m oi c'est important, même si c'est on va dire symbolique» E10 « le petit verre d'eau qu'on a pas besoin de demander, ça je trouve ça toujours appréciable» E18a « c'est une forme de reconnaissance du client […] on voit qu'il y a une vision du client : un petit café, un verre d'eau à côté bon ça fait partie aussi des... » E18b « la présentation c'est agréable aussi : une jolie vaisselle, une jolie mise en forme… c'est sympa ! je vais vraiment passer pour une horrible mémère m ais… je ne bois mon café que dans des tasses en porcelaine (rires) donc voilà, il me faut ça aussi […] ça arrive que ce soit en faïence, moi j'aime bien la porcelaine parce que ça tient le café chaud » E21 « quand vous allez au restaurant puis qu’ on vous donne un café, je trouve que c'est sympathique de mettre un petit gâteau ou un carré de chocolat, alors que dans beaucoup d'endroits on le fait pas... du moment qu'on a mangé, c'est terminé plus rien. Et en plus c'est aléatoire. » E22c « c'est un petit détail, c'est vrai : le petit chocolat […] je trouve ça très très agréable ! Franchement j'apprécie beaucoup. [...] parce que j'aime beaucoup l'association café chocolat… » E23 « la présentation : une tasse sympa c'est plus agréable que des trucs publicitaires... » E29 « la petite note de sucrée à tremper dans le café qu'est très agréable, c'est vraiment très agréable ! » E30 « un verre d'eau aussi, quand y'a pas besoin de demander je trouve ça agréable » E32b Encadré 12 – Un signe d’attention portée au client : jolie tasse, verre d’eau, chocolat
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Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Un signe d’attention portée au produit : une carte des cafés En creusant davantage ce qui pourrait être amélioré au niveau de l’offre, il apparait qu’un
choix de cafés pourrait être un élément attractif, comme signe d’attention portée au produit.
La présence d’une carte de cafés, au-delà du fait d’introduire un choix, semble pouvoir
déclencher la commande. En donnant de l’information sur les cafés proposés, la carte met
l’offre en avant et est une marque d’intérêt, de soin apporté à la sélection des produits. Ainsi,
un choix de café peut être un signal de qualité (Encadré 13).
« quand on a vu la carte de cafés on l’a pris sur place. […] il faut qu’ils proposent la carte des cafés pour qu’ils montrent un peu ce qu’ils donnent et qu’ils proposent un prix correct ! » E1 « savoir le proposer aussi, d'une autre m anière que « un café et on y va » quoi, « un café et l'addition » [...] que ce soit plus mis en avant comme... oh peut-­‐être pas de la même m anière que les vins mais il y a quelque chose à faire... […] après si sur la carte du m enu, d'entrée je vois qu'il y a une carte des cafés, là c'est sûr que je vais en prendre » E2 « un café, un restaurant qui proposerait une carte de cafés intéressante, pour moi c'est quelqu'un, un chef, qui s'intéresse au café : une marque d'intérêt pour le produit. En général, si y'a pas ça, je ne consomme pas […] ou alors le voir bien servi avec des petits amuses bouches, des petits gâteaux, des petits chocolats, ça peut être un facteur déclenchant : je me dis bon, c'est peut-­‐être intéressant, il y a un soin apporté, il y a un style un peu soigné et tout, le café est censé être bon quoi, donc je tente...» E21 Encadré 13 - Un signe d’attention portée au produit : une carte des cafés
À Paris, cet homme de 56 ans est assez critique sur l’absence de choix proposé : « ce que je
reproche surtout c'est qu’on n’ait pas de variété de cafés, c'est-à-dire on demande un café on
sert un café quoi, y'a pas de proposition de variété de cafés » (E3). Ce sujet est peu
mentionné spontanément mais suscite ensuite des réactions plutôt enthousiastes. Quelques
femmes évoquent le choix de différentes préparations de café, comme ici à Lyon : « dans
certains pays on a des offres très variées de café, notamment des grands cafés avec plein de…
latte, machin, truc, et ça moi j'apprécie. Je trouve ça dommage qu'il n'y ait pas ça en
France » (E32a). Cependant, il est surtout question d’un choix basé sur la force, le goût du
café, les origines, ou les différents degrés de torréfaction (Encadré 14).
Des parallèles sont faits avec la présence d’un choix de café à domicile ou au bureau. Certains
sont maintenant habitués au fait de choisir leur café : « j'irai plus par préférence piocher dans
une sélection qu'ils ont, très bonne, que d'aller prendre le vrai café qu'ils servent tous les
jours… ça me dérange pas d'aller mettre cinquante centimes de plus, ou un euro de plus, si
c'est un très très bon café. C'est un plus. Par exemple j'ai une machine à expresso j'ai 15
choix de café différents : du plus léger au plus fort » (E30).
55
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Lors de l’enquête en ligne, 82% des répondants déclarent avoir une machine à dosettes
à domicile. Il s’agit de l’équipement le plus fréquent pour préparer le café avant la
cafetière filtre (65%) et la cafetière italienne (41%).
Mais, certains consommateurs, bien que parfois exposés à un choix de cafés, ne sont pas
habitués et pourraient se sentir désemparés devant trop d’alternatives proposées : « je sais
même pas s’ils ont le choix… (les restaurateurs). Au boulot on a acheté les nouvelles
cafetières là : Senseo, je suis le seul à être perdu parce que j'ai aucune notion de ce qui
existe… moi je vais prendre... chez moi je vais prendre le café par rapport au prix, ou je vais
prendre un café un peu plus corsé, mais sinon, non... je suis pas un connaisseur » (E19a).
Ainsi, le choix parmi plusieurs cafés n’est pas attractif pour tous, comme l’explique cette
infirmière de 50 ans rencontrée à Lyon : « c'est vrai que j'aime autant qu'ils aient un bon café
sans avoir à choisir » (E35).
« j’ai l’impression que sur le café on arrive à cibler des catégories, ce qu’on pourrait appeler des cafés corsés, amers, des cafés qui soient plus doux : ça fait déjà au moins deux catégories, on peut dire entre ces deux extrêmes, il y a un intermédiaire… on pourrait peut-­‐être essayer d’avoir trois variétés de cafés, qui puissent s’adapter au goût en fait » E2 « dans une brasserie ou café, il y a un seul café, c'est « le » café… [...] c'est sympa d'avoir, comme il y a des bars à vins, des cafés où on propose différent cafés» E7 « c'est vrai que le choix des cafés aussi c'est bien, de pouvoir choisir, de changer de café, de goûter un autre café, ça c'est bien aussi [...] pour découvrir d'autres goûts » E14 « faut pas une liste interminable de cafés… après faut un salon de thé. M ais quelques cafés oui […] Des indications bien sûr […] déjà les provenances et puis … je ne sais pas, si selon comment il est torréfié... si il y a plusieurs modes de torréfaction de café, ou peut-­‐être si il y a des choses à apporter en plus, je sais pas, si les cuissons de café apportent plus ou moins de saveurs dans le café : plus cuit, moins cuit… c'est comme avec du steak en fait ! » E27 « Moi j'apprécierai qu'on me propose plusieurs cafés! Moi ce serait par rapport à mes goûts, vu que je suis assez peu satisfaite souvent dans les restaus, c'est vrai que j'apprécierais qu'il y ait différentes forces de café… […] Oui moi les origines je m'en fiche mais je pense que c'est lié aux origines, moi c'est la force plutôt… » E32a « comme déjà on trouve déca ou caféiné, ce serait bien des cafés plus ou moins forts en fait » E36b Encadré 14 - Un choix de café : doux et corsé
56
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
La Figure 6 présente les réponses à la question « Parmi combien de cafés
aimeriez-vous avoir le choix dans ces différents types d’établissement ? », lors de
l’enquête en ligne. Dans un café ou un restaurant, les répondants préféreraient en
majorité avoir le choix entre « 2 ou 3» cafés, suivi par « 4 à 6 » et « 7 à 10 ».
Figure 6 – Nombre de cafés souhaités par type d’établissement N=132, en
pourcentage de répondants
Les labels certifiant des produits issus de l’agriculture biologique ou du commerce équitable
étant très peu mentionnés spontanément, les consommateurs étaient relancés sur ces sujets. Il
ressort de leurs discours que les labels ne sont pas un élément menant à davantage de
satisfaction quant à l’offre de café au restaurant.
Cela peut être un plus, pour quelques personnes déjà habitués de cette consommation à
domicile, comme le montre les quelques extraits suivants :
-
« c'est une habitude de consommation que j'ai, c'est plutôt du café […] bio et équitable,
en regardant d'où y vient, donc oui si j'avais cette information ce serait un plus» (E6),
-
« le seul truc qui pourrait me faire pencher un petit peu dans la balance, mais ça c'est le
côté social, c'est le commerce équitable… mais ça n'a rien à voir avec le goût, c'est ma
p'tite B.A. de la journée, voilà (rires) » (E26),
57
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
-
« moi équitable c'est un truc qui me touche plus, bio aussi, peut-être pas au même niveau,
mais les deux me touchent. Je suis prêt à payer 20 cts de plus pour un café équitable »
(E32b).
Mais les réponses sont le plus souvent mitigées, voire négatives, comme celles-ci :
- « c'est important mais pas fondamental pour moi…» (E10),
- « je suis pas contre mais c'est pas un critère de sélection» (E16),
- « ça n'a pas d'importance, personnellement ça n'a pas d'importance… » (E20),
- « non, je pense pas que ce soit nécessaire » (E27),
- « ça me change rien du tout…vraiment rien. » (E30).
3.3. La crainte d’être déçu Plusieurs extraits d’entretiens montrent que la qualité du café servie dans la restauration est
perçue comme aléatoire, avec des termes comme « loterie », « pas de règle », « tomber sur un
bon café », ou encore le fait d’avoir « du mal à trouver le café qui me plait dans les
restaurants ». Commander un café semble être perçu comme une réelle prise de risque : le
risque
d’être
déçu,
ce
terme
revenant
souvent
également
(Encadré
15).
« hier soir on s'est retrouvé au restaurant avec des amis là, le café était mauvais… il était MAUVAIS le café ! On a payé 2,30 un café… […] Dégueulasse, quoi, dégueulasse ! maintenant voilà si c'est pour boire un café, jus de chaussette, autant rentrer chez soi et puis prendre un expresso, c'est ce que j'ai fait là (montrant son sachet de courses) : j'achète les capsules et je les fait chez moi » E19a « et même dans des établissements très haut de gamme en terme de restaurant, et même en 2 ou 3 étoiles, le café des fois c'est ahhh (dégout) […] les restaurateurs comprennent pas que même pour un café, c'est là qu'on voit la qualité d'un établissement… » E19b « dans UN restaurant je prends un café en ce moment, ailleurs je n'en prends pas… alors que s'il était bon à chaque fois j'en prendrai… […] on peut penser que dans un bon restaurant on fait un bon café, et c'est pas forcément le cas. L'un des cafés les plus écœurants que j'ai bu c'était dans un 3 étoiles alors voyez… y'a pas forcément de relations de cause à effet, et y'avait une carte de cafés donc j'ai voulu tester et il était pas bon, 'fin je l'ai pas trouvé bon [...] y'a pas de règle » E21 « Des fois ils sont bons, des fois ils sont pas bons, des fois ils sont très très bons! C'est surprenant… […] c'est un peu heu... la loterie, d'avoir un bon café, c'est rare ! […] je suis souvent déçu au restaurant du café. C'est comme ici, j'en prends jamais, parce que j'ai été déçu, donc j'en prends pas. » E27 « j'ai du mal avec le café très serré, j'ai du m al à trouver le café qui me plait dans les restaurants. On a une Nespresso, il y a différents types de café et moi j'ai plutôt tendance à prendre un long, un doux… et j'ai du mal à trouver cette saveur-­‐ là à l'extérieur […] Si j'en prends un, ce qui m'arrive quand même régulièrement, ce sera un café TRÈS allongé… parce que à chaque fois je suis déçue donc… » E38 Encadré 15 – La crainte d’être déçu
58
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
Seule l’expérience permet d’identifier des établissements servant un bon ou un mauvais café.
La proportion de commandes de café augmente considérablement avec le niveau de gamme
de l’établissement (GIRAConseil, 2012). Pourtant, selon les propos des personnes interrogées,
même le niveau de gamme du restaurant n’est pas une indication de la qualité du café. Il
n’existe aucun signal de qualité fiable.
Lors de l’enquête en ligne successive aux entretiens, 79% des 132 répondants sont
d’accord avec l’affirmation « Quand je commande un café dans un bar ou un
restaurant, je ne sais pas s'il va être bon. » et 80% avec « Si après avoir acheté un café,
il se révèle mauvais, cela m'ennuie beaucoup.
L’asymétrie d’information est grande entre le restaurateur, qui connaît la qualité de son café ou au moins sa marque, le niveau de gamme acheté et le soin porté à le préparer-, et le
consommateur, qui n’a aucune information. Ce dernier ne peut découvrir si le café est bon ou
mauvais que par l’expérience, au moment où il sera servi. Il doit pour cela commander, en
acceptant le risque d’être déçu sur la qualité du café. Cette asymétrie d’information, par effet
de halo, dévalorise l’ensemble de l’offre de café au restaurant. En effet, certains
consommateurs évitent la commande dans un établissement pour lequel la qualité du café
n’est pas vérifiée. Et ce d’autant plus qu’il est maintenant facile de préparer un expresso de
bonne qualité, connue et fixe, à domicile ou au bureau, comme l’évoquent plusieurs personnes
interviewées.
Cette asymétrie d’information est présente pour la plupart des produits de la restauration. Le
restaurateur n’est pas tenu d’informer ses clients sur la nature, l’origine et la préparation de
ses produits, hormis l’origine des viandes. Des initiatives, comme celle du décret relatif au
« fait-maison »10 , visent à donner la possibilité à un restaurateur cuisinant à partir de produits
bruts de se distinguer des restaurateurs pratiquant de la cuisine d’assemblage. Signaler cette
information dans un cadre défini pourrait leur permettre de diminuer l’asymétrie
d’information sur le type de cuisine réalisée et de valoriser davantage les plats de leur carte.
10
Décret n° 2014-797 du 11 juillet 2014 relatif à la mention « fait maison » dans les établissements de restauration
commerciale ou de vente à emporter de plats préparés.
59
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
De la même manière, il faudrait pouvoir signaler les « bons » cafés, bien sélectionnés et bien
préparés, afin de pouvoir les revaloriser.
Un exemple intéressant à observer, suite à tous ces constats, est celui de l’offre de café dans le
TGV, présenté dans l’encadré suivant. Des entretiens complémentaires, réalisés dans le
wagon bar, montrent qu’une valorisation de l’offre est possible, par la mise en avant de
certaines caractéristiques du produit, comme la variété ou la marque de café. Cependant cet
exemple illustre aussi le fait que ces caractéristiques doivent être pertinentes pour les
consommateurs et correspondre à une préférence réellement perçue, afin que ce signal de
qualité perdure.
Avant de changer d’offre en 2014 pour des expressos de la marque Illy - réputée pour ses
assemblages de qualité élevée et constante-, les bars du TGV proposaient deux types de cafés
solubles de la marque Lavazza : arabica ou robusta.
Afin de comprendre comment cette offre était perçue, des entretiens complémentaires ont été
réalisés auprès de 11 passagers venant d’acheter un café au bar TGV, au cours d’un trajet
Lyon-Paris. Ces entretiens, d’une durée moyenne de trois minutes, confirment les fonctions
diverses du café. Les clients interrogés consommaient un café au bar car ils s’ennuyaient à
leur place, pour se dégourdir les jambes ou pour parer à un coup de fatigue car ils s’étaient
levés tôt.
Selon une estimation - donnée par le barman- des stocks embarqués lors de chaque voyage,
l’arabica, reconnu comme plus qualitatif et vendu plus cher, représentait alors 70% des cafés
vendus.
La plupart des passagers interrogés ont commandé leur café en demandant ou le plus doux,
ou le plus corsé, ou encore le « meilleur ». D’autres ont simplement choisi le premier proposé
(l’arabica) ou demandé le moins cher (le robusta). Mais la plupart ne connaissaient pas la
correspondance des caractéristiques de choix avec l’arabica ou le robusta.
Enfin quelques-uns, connaissant les différences entre ces deux variétés, étaient satisfaits de
pouvoir choisir un arabica pour son goût plus subtil, ou au contraire un robusta pour sa force
et sa teneur plus élevée en caféine.
Malgré tout, les personnes interrogées étaient mitigées quant à leur satisfaction. Il semble
qu’aucun des deux cafés proposés ne correspondait à leurs attentes en termes de qualité.
Dans le TGV comme au restaurant, quelle que soit la qualité du café et la satisfaction retirée
de sa consommation, le café est tout de même commandé, pour les nombreuses fonctions
qu’il remplit.
Encadré 16 - L'exemple du bar TGV
60
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
4. Conclusion du chapitre 1 Ces entretiens avec des consommateurs de café au restaurant révèlent trois points importants.
Le premier est que le café remplit de nombreuses fonctions. Il relève d’habitudes personnelles
de consommation et répond à des besoins physiologiques, comme aider à digérer ou à se tenir
éveillé. Le café de fin de repas crée un moment de discussion privilégiée et symbolise en cela
la convivialité recherchée lors de la commensalité. Il est un élément structurant de la journée,
un repère dans le temps, une transition temporelle et gustative, marquant la fin du repas et le
proche retour aux activités de la journée après le déjeuner.
Dans la plupart des cas, le café est commandé indépendamment des caractéristiques et de la
qualité de l’offre, pour les fonctions qu’il remplit. En cela, la commande de café semble
inélastique en profondeur, c’est-à-dire en nombre de cafés commandés. Cependant il semble
possible de valoriser davantage l’offre pour augmenter la satisfaction des consommateurs et
maintenir la consommation de café en restauration.
Deuxième point important, un signe d’attention portée au produit, comme proposer un choix
de cafés variés, fait partie des éléments attractifs qui pourraient permettre de différencier
l’offre. En effet la présence d’une carte de cafés n’est pas attendue par les clients mais peut
être perçue positivement. Elle peut même déclencher la commande chez des clients redoutant
d’être déçus par la qualité du café. Et, bien que difficiles à exprimer, des préférences
gustatives distinctes entre les individus semblent exister.
Troisième point important, il existe des attentes latentes, des besoins inassouvis par l’offre.
Être certain avant de commander que le café est bon, est une de ces attentes insatisfaites.
L’asymétrie d’information sur la qualité du café est d’autant plus problématique que la qualité
du café semble très variable d’un établissement à un autre. Un signal de qualité accessible au
consommateur avant de commander répondrait à ce besoin et diminuerait le risque d’être
déçu, ainsi que la perception de ce risque par les clients. Il s’agirait de mettre en avant auprès
des consommateurs une caractéristique du café qui serait pertinente comme signal d’une
qualité supérieure. Il peut s’agir d’une marque, d’une origine, de la composition du café ou
encore de la méthode de préparation. Reste à préciser quelles caractéristiques présentes dans
l’offre en amont pourraient représenter un tel signal de qualité.
61
Chapitre 1 – Un produit souvent décevant, commandé pour son rituel
En résumé – La demande de café au restaurant
Un rituel recouvrant plusieurs fonctions :
•
•
•
Physiologiques : Aide à digérer, à se tenir éveillé
Repères journaliers : Ponctuer le repas, marquer le retour aux activités
Sociales : Convivialité, moment de discussion privilégié
Des critères d’évaluation de différentes natures :
•
•
•
Prérequis : un café chaud, servi rapidement, dans une tasse propre
De performance : goût, ambiance, qualité-prix
o Difficulté à décrire un « bon café », manque de compétence ressenti par les
consommateurs, le plus souvent dichotomie entre doux et corsé
Attractifs : signe d’attention portée aux clients ou aux produits
o Accompagnement sucré, verre d’eau, jolie vaisselle
o Carte des cafés, signal pouvant déclencher l’achat
Des attentes latentes : un signal de qualité pour éviter la crainte d’un mauvais café
èUn produit souvent décevant, commandé pour son rituel
62
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière 1. Objectif : diagnostic de la filière Le marché du café au restaurant pourrait être qualifié de marché « BtoBtoC ». Un marché
« BtoB », pour « Business to Business » se caractérise par des transactions entre
professionnels. C’est Renault vendant des véhicules utilitaires à la Poste par exemple. Tandis
qu’un marché « BtoC », pour « Business to Consumer » se caractérise par des transactions
entre un professionnel d’une part et un consommateur final d’autre part. C’est Renault
vendant un monospace à un particulier en concession. Certaines entreprises ne sont présentes
que sur un seul de ces marchés, comme Renault Trucks, vendant ses camions utilitaires
uniquement aux professionnels du transport de biens.
Pour le café en restauration, un professionnel, le torréfacteur, vend ses produits à un client
professionnel, le restaurateur. Ce dernier intègre les produits à l’offre qu’il propose au
consommateur final, le client de restaurant. La demande par le client professionnel est alors
directement dérivée de la demande finale par les particuliers. Le volume de café acheté par un
restaurateur découle du nombre de cafés commandés dans son établissement.
La stratégie de communication d’une entreprise en « BtoBtoC » peut être de développer la
notoriété de sa marque auprès des consommateurs finaux par de la publicité, ou de développer
ses relations avec les clients professionnels. Nike ou Adidas gèrent à la fois leur image de
marque auprès du grand public et négocient également avec Décathlon ou Intersport pour
avoir accès au marché. De la même manière, l’image d’une marque de café dans la
restauration se développe directement auprès des consommateurs finaux ou par des relations
privilégiées avec les clients professionnels, les restaurateurs. Certaines marques, comme le
cafés Richard ou les marques de distributeurs de boissons, sont peu connues du grand public
et privilégient la relation avec les restaurateurs pour avoir accès au marché. D’autres, comme
Lavazza, Segafredo ou Illy, privilégient la notoriété auprès du grand public par la publicité ou
le développement de boutiques de leur marque. Afin de satisfaire leurs clients, les
63
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
restaurateurs vont choisir ces marques reconnues. Ces marques suscitent donc indirectement
la demande par les professionnels. La notoriété développée par la vente au détail est
également transférable sur ce marché. Ainsi L’Or, Malongo, ou Nespresso peuvent compter
sur leur réputation dans la vente au détail pour développer leurs ventes sur le marché de la
restauration.
Le marché du café dans la restauration pourrait même être qualifié de « FtoBtoBtoC », en y
incluant le F de « Farmer », pour le producteur agricole en amont, comme l’illustre la Figure
7. En effet, l’offre de café dans la restauration est le résultat d’une somme de transformations
menant de la cerise du caféier, au café comme boisson servie dans la tasse, et d’une somme de
transactions menant du producteur agricole au consommateur final. Offre et demande étant
inextricablement liées, nous allons remonter la filière du café en restauration afin de
distinguer ce que chacun des acteurs achète et vend, et ainsi mieux comprendre la formation
de l’offre finale.
Toutes les activités menées dans la filière contribuent à la valeur de l’offre finale et
constituent une chaîne de valeur. À chacune des étapes, la nature du produit échangé et les
caractéristiques prises en compte évoluent. Les critères d’achat successifs des produits ont un
impact sur les attributs de l’offre finale. Afin d’identifier d’éventuels leviers de valorisation
de l’offre auprès des consommateurs, il est important de comprendre la chaîne de valeur
actuelle du café au restaurant.
Ce chapitre a pour objectif de diagnostiquer la formation de l’offre finale de café au
restaurant, en procédant à une analyse de l’organisation de la filière. Cette analyse porte sur
les acteurs « BtoB », restaurateurs et torréfacteurs, puis sur les caractéristiques des produits
que chacun d’eux achète, comme le montre le zoom de la Figure 7. Les acteurs successifs ont
une vision centrée sur les activités exercées à leur échelle. Diverses sources d’information
empiriques de première main, récapitulées dans le Tableau 2, ont permis d’observer
activement le fonctionnement de la filière dans son intégralité, et de mettre en lumière les
mécanismes menant à une offre finale relativement indifférenciée pour le consommateur au
sein d’un restaurant.
64
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Figure 7 – La filière « FtoBtoBtoC » du café en restauration : zoom sur les restaurateurs, les torréfacteurs
et ce que chacun d’eux achète
Type de source
Détails
Entretiens
enregistrés
Entretiens approfondis sur leurs approvisionnements avec 13
restaurateurs - Paris, région Lyonnaise, Bretagne
Observations de
terrain
Suivi de 9 commerciaux, pendant 1 à 2 jours, dans leur activité
quotidienne - Alsace, Bretagne, Ile-de-France, Normandie, Rhône-Alpes
Visites et
rencontres
Visite d’usine de torréfaction, visites d’agences commerciales
régionales, rencontres avec les responsables des différents services
Salons
Salons professionnels spécialisés dans les secteurs du café (World of
Coffee, Nice) ou de la restauration (SIRHA, Lyon)
Formations
professionnelles
sur le café
Suivi de formations destinées à des professionnels (restauration et
boutiques spécialisées dans le café) : 2 théoriques (production agricole et
torréfaction) et 2 pratiques (préparations à la manière barista)
Tableau 2 - Sources d'information empiriques de première main, sur la filière du café en restauration
65
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
2. De nombreux torréfacteurs face à de nombreux restaurateurs : un marché très concurrentiel Les consommateurs de café dans la restauration n’ont pas de caractéristiques distinctives,
excepté le fait qu’ils soient consommateurs de café, qu’il leur arrive d’aller au restaurant, et
d’y commander un café. Dès lors, il n’était pas nécessaire de mieux les connaître avant
d’essayer de comprendre ce qu’ils achetaient en commandant un café au restaurant.
Plus en amont dans la filière du café au restaurant, chaque groupe d’acteurs professionnels
présente des caractéristiques distinctives et un certain degré d’hétérogénéité. C’est pourquoi
nous allons commencer par esquisser un portrait de ces acteurs. Cela nous aidera à analyser,
dans un deuxième temps, ce que chacun de ces deux groupes d’acteurs achète comme produit
à leur niveau de la filière.
2.1. Des restaurateurs de taille artisanale 2.1.1. Un grand nombre d’établissement, différents secteurs d’activité Nous nous intéressons ici aux établissements de la restauration proposant une offre de café.
C’est-à-dire tous les établissements de la restauration, y compris les restaurants d’hôtels.
L’offre de café proposée au petit-déjeuner dans les hôtels n’est toutefois pas considérée, car
elle est comprise dans une offre d’hébergement. De plus, le café au petit déjeuner est souvent
du café filtre et constitue un cas particulier de l’offre hors domicile. La distribution
automatique, relevant de la consommation hors domicile, mais non de la restauration, n’est
pas non plus considérée.
La restauration hors domicile regroupe toutes les entreprises de service proposant des
aliments et boissons à consommer immédiatement après achat (INSEE, 2008), quelles que
soient leur taille, leur clientèle, ou leur offre. Ce secteur comprend des petits restaurants et
bars indépendants, des traiteurs, des groupes de restauration rapide ou encore de restauration
collective. D’après l’INSEE, cela représente plus de 200 000 entreprises en France en 2011.
Parmi elles, la nomenclature de l’INSEE distingue ensuite trois grandes catégories
d’activités : la restauration commerciale « classique », la restauration sous contrat pour une
66
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
période ou un évènement déterminés (restauration collective et traiteurs), et les débits de
boissons (Figure 8).
RestauraVon hors domicile 204 166 entreprises 61 milliards d'euros de CA RestauraVon commerciale 151 012 entreprises 45 mds € de CA RestauraVon RestauraVon tradiVonnelle rapide (à table) (au comptoir) Cafétérias (libre-­‐service) RestauraVon collecVve et traiteurs 8076 entreprises 9 mds € de CA RestauraVon collecVve concédee RestauraVon colllecVve autogérée Traiteurs Débits de boissons 45019 entr. 7 mds € Cafés, bars, discothèques Figure 8 - Structure de la restauration hors domicile en France en 2011, d’après les données de l’INSEE et
Xerfi-Precepta (2012)
Les débits de boissons comprennent les cafés, les bars, les discothèques et les vendeurs de
boissons itinérants. Ces établissements ne proposent pas de repas.
La restauration sous contrat comprend les traiteurs et les activités de restauration collective
autogérées ou en concessions, dans des cantines, restaurants d’entreprises ou cafétérias. Dans
la restauration collective, les clients sont à plus de 90% des entreprises et des administrations.
Enfin la troisième catégorie, généralement appelée restauration commerciale, comprend la
restauration traditionnelle, les cafétérias et la restauration rapide. Les clients de la restauration
commerciale sont à plus de 80% des particuliers (Source : Insee-ESANE 2011).
Parmi les activités de service, la restauration hors domicile se distingue par un grand besoin
de main d’œuvre et une part importante d’emplois non-salariés, occupés par les propriétaires
des établissements avec un statut de commerçant. La charge d’activité varie de manière
importante au cours de l’année, avec des pics de fréquentation autour des fêtes de fin d’année
pour les établissements urbains, ou des ouvertures saisonnières dans les destinations
touristiques. Les horaires sont contraignants, avec du travail fragmenté autour des services,
ainsi que le soir et les week-ends. Par conséquent, le secteur recourt beaucoup au travail
saisonnier, intérimaire, et à temps partiel, et la rotation du personnel est élevée dans beaucoup
d’établissements. Du point de vue de la formation, le personnel est souvent peu qualifié et
l’expérience professionnelle a une place majeure, quel que soit le niveau de formation initiale.
67
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Tout un chacun peut, légalement, ouvrir son établissement, sous réserve d’une courte
formation aux règles d’hygiènes. Des initiatives comme celles du titre de « Maître
restaurateur », délivré par l’état et contrôlé par un organisme indépendant, visent à certifier le
professionnalisme des gérants d’établissements11.
Bien que le salaire moyen soit parmi les plus bas dans les activités de services, le taux de
marge du secteur est faible, seule 20% de la valeur ajoutée créée revient à l’entreprise après
règlement de ses charges (INSEE, 2013). Le secteur est particulièrement sensible à la
conjoncture, la restauration étant une variable d’ajustement dans le budget des ménages. Il
connaît actuellement une crise profonde avec un nombre de défaillances record en 2013, dont
deux tiers dans la restauration traditionnelle (Altares, 2014). Quel que soit le type de
restauration, le poids des chaînes s’accroît. Les chaînes bien implantées en France comme Mc
Donald’s (plus de 1200 restaurants en 2011) continuent d’ouvrir et de nouveaux arrivants se
développent, tels que Sushi Shop, la Pataterie ou Subway (Xerfi-Precepta, 2012).
2.1.2. Hétérogénéité de statuts et de services au sein de la restauration commerciale Avec 151 012 entreprises et 45 milliards de chiffre d’affaire en 2011, la restauration
commerciale représente la part la plus importante du secteur global de la restauration hors
domicile (Figure 8). Cette branche illustre bien l’hétérogénéité et l’étendue du secteur de la
restauration en général. La restauration commerciale repose sur un grand nombre de petites
entreprises indépendantes. En moyenne une entreprise de restauration commerciale emploie 3
salariés en équivalent temps plein, contre 12 dans la restauration collective (Xerfi-Precepta,
2012). Comme le montre la Figure 9, plus de 50% du chiffre d’affaires est généré par des
structures de moins de 10 salariés. Malgré l’existence de grandes chaînes de restaurants
comme Buffalo Grill, Quick, KFC, ou La Brioche dorée, les entreprises de 250 salariés et plus
représentent moins de 10% du chiffre d’affaires.
11
Ce titre requiert une qualification du dirigeant par un diplôme dans le secteur de la restauration ou un certain
nombre d’années d’expérience, ainsi que l’application d’un cahier des charges en matière d’approvisionnement
et de transformation des produits, d’accueil des clients, d’installations, de sécurité et d’hygiène. Pour plus de
détails, voir le site de l’association française des maîtres restaurateurs : www.maitresrestaurateurs.com
68
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 250 salariés et plus 20 à 249 salariés 10 à 19 salariés 0 à 9 salariés Chiffre d'affaires HT (kiloeuros) Nombre d'entreprises (sans unité) EffecVf salarié au 31/12 (sans unité) Figure 9 - CA, nombre d'entreprises et effectif salarié par taille d'entreprise de la restauration
commerciale, d’après les données de l’INSEE
Quelle que soit la taille de sa structure, un établissement de restauration commerciale peut
proposer différents services : restauration traditionnelle, rapide ou cafétéria.
La restauration dite « traditionnelle » se caractérise par le service à table avec paiement après
consommation, quel que soit le type de cuisine et de structure de l’établissement. Cette
branche comprend aussi bien des restaurants de chaîne comme Courtepaille, Hippopotamus,
La Taverne de Maître Kanter ou Pizza del Arte que des restaurants indépendants de type
crêperie, pizzeria ou restaurant indien.
La restauration rapide se caractérise par la commande et le paiement au comptoir avant
consommation, que celle-ci ait lieu sur place ou non. Cette branche comprend aussi bien des
établissements avec une salle et des places assises que des établissements vendant
exclusivement à emporter ou en livraison. Mc Donald’s, Subway, Pizza Hut mais aussi La
Brioche Dorée, Paul, Mezzo di Pasta, et la plupart des établissements indépendants proposant
des kébabs ou des burgers, appartiennent à la restauration rapide. Les salons de thés
indépendants ou de chaînes, comme Starbucks, sont également considérés comme relevant de
la restauration rapide, tout comme les stands itinérants présents sur des marchés ou salons et
vendant des aliments ou boissons à consommer immédiatement après achat.
Enfin, les cafétérias sont des établissements proposant à leurs clients un repas à composer
eux-mêmes sur plateau, en libre-service, et avec paiement avant consommation. Il s’agit par
exemple de Flunch, des cafétérias de magasins comme Leclerc, Ikea ou les Galeries
Lafayette, ou de stations d’autoroute comme L’Arche.
69
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Les établissements varient aussi selon le champ de leurs activités, leur implantation, et le
niveau de gamme de leur offre. Certaines activités de restauration sont adossées à une offre
d’hôtellerie, de débit de boissons, de bureau de tabac, de presse, de dépôt de pain. Les
implantations géographiques sont très diverses et couvrent l’ensemble du territoire français,
avec aussi bien des restaurants en rase campagne, que dans des centres commerciaux ou en
centre-ville.
Selon l’étude Indice K’fé (GIRAConseil, 2012), 72% des repas consommés hors domicile en
France relèvent de la restauration « super économique » avec un ticket moyen (addition)
inférieur à 10€. 22% relèvent de la restauration « économique » ou « intermédiaire » avec un
ticket compris entre 10 et 20€, et 6% de la restauration « haut de gamme » avec un ticket
moyen supérieur à 20€. Plus le ticket moyen augmente, plus le taux de commandes de café est
élevé.
Les établissements de restauration sont donc très nombreux, avec des tailles, des statuts et des
services proposés variables. Il s’agit en majorité de structures de taille artisanale. Les
établissements les plus concernés par la problématique de valorisation du café sont les
établissements indépendants de la restauration traditionnelle.
2.1.3. Différents circuits d’approvisionnement complémentaires Les restaurateurs sont des « intégrateurs », ils achètent des aliments de base, ou du café en
grain, les transforment, les assemblent et revendent leur propre produit : un plat, un repas ou
une boisson. Selon le type d’offre visée, leurs critères d’achat varient sensiblement. Certains
recherchent un volume important et des prix attractifs, d’autres du local, de la qualité, d’autres
encore des solutions pratiques de plats préparés ou d’ingrédients intermédiaires. Selon leurs
priorités, plusieurs circuits d’approvisionnements existent pour les professionnels de la
restauration.
Les chaînes de restauration s’approvisionnent en grande partie par le biais de centrales
d’achat. Les conditions d’achats pour toutes les filiales ou franchises sont négociées entre un
acheteur professionnel de la chaîne et les responsables des « grands comptes» des entreprises
agroalimentaires. Un ou plusieurs fournisseurs répondant au cahier des charges pour chaque
produit sont sélectionnés puis référencés par la centrale, pour toute la chaîne. Selon le
fonctionnement de la marque, chaque établissement peut ensuite choisir entre deux ou trois
produits référencés ou doit commander un produit imposé par la centrale de référencement.
Les chaînes achètent en grandes quantités et peuvent représenter un volume d’achat
70
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
considérable pour les torréfacteurs référencés. Le poids de négociation des centrales est
important, elles imposent souvent leurs conditions, comme des remises de fin d’année (RFA)
calculées sur la base des volumes vendus. La logistique est ensuite assurée par des prestataires
spécialisés dans la distribution pour les chaînes de restaurant. Les chaînes peuvent aussi avoir
des filiales de production intégrées.
Le schéma d’approvisionnement est beaucoup plus complexe pour les restaurateurs
indépendants. Les principaux acteurs de la distribution alimentaire pour ces professionnels de
la restauration sont les grossistes alimentaires, avec des entreprises de toutes tailles et
spécialisées dans divers types de produits. Il peut s’agir d’un grossiste local indépendant en
fruits et légumes, comme d’une multinationale avec des filiales ou marques spécialisées par
famille de produits, recouvrant tous les besoins d’un restaurateur. En alimentaire, les leaders
sont Pomona, Transgourmet et Brake. Ces derniers proposent un catalogue de produits très
complet, moderne et disponible en ligne.
Pour la distribution de boisson, les acteurs les plus importants sont des filiales intégrées des
leaders sur le marché des boissons, comme Kronenbourg (ses filiales Elidis et Léodis ont été
cédées au groupement C10 en 2008) et Heineken (France Boissons). Le groupe OBDH
(Olivier Bertrand Distribution Holding) est également un acteur important de la distribution
de boissons avec son partenaire InBev, premier brasseur mondial et troisième sur le marché
français (Stella Artois, Leffe, Hoegaarden).
Ces distributeurs de boissons sont organisés en réseaux de filiales régionales d’entrepôts de
boissons. Pour ces raisons, ils sont couramment appelés « brasseurs » ou « entrepositaires ».
Cette intégration verticale leur permet d’assurer la promotion et la distribution de leurs
marques via les agences commerciales locales. Les distributeurs de boissons achètent et
distribuent un large assortiment de boissons, répondant aux besoins de tous les restaurateurs,
des boissons fraîches sans alcool (BRSA) aux boissons chaudes, en passant par les eaux et les
boissons alcoolisées. Comme les centrales d’achat, ces distributeurs nationaux négocient des
remises ou des « marges arrières » au niveau du groupement. France Boissons, leader de la
distribution de boisson et filiale d’Heineken, propose ainsi plus de 20 000 références de
boissons à 41 600 établissements clients dans l’hôtellerie-restauration, grâce à 25 filiales
régionales et 80 entrepôts de stockages12.
Les restaurateurs s’approvisionnant chez des distributeurs de boissons leur sont souvent liés
par un contrat d’exclusivité de plusieurs années pour un certain nombre de boissons, en
12
Source : Site internet de France boissons, www.france-boissons.fr, consulté le 11 juillet 2014
71
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
particulier pour la bière pression. Ces contrats « brasseurs » s’apparentent aux contrats
« minotiers », liant un boulanger à un fournisseur exclusif de farine (Baguépi ou Banette par
exemple). En retour, les distributeurs proposent de nombreux services annexes à la livraison
des produits, comme la gestion des stocks, le prêt de matériel professionnel (tireuse à bières,
lave-verre, ou encore machine expresso et moulin à café) et la maintenance. Ils aident
également à la vente en mettant en place du conseil, des formations professionnelles, des
animations dans l’établissement, ou en proposant des opérations promotionnelles sur certains
de leurs produits. Parmi leurs arguments de vente figurent aussi des aides à l’installation sous
formes de prêt, de caution auprès de la banque ou d’enveloppes d’investissement pour l’achat
de matériel (cuisine, enseigne, mobilier de salle ou de terrasse, etc.).
Les distributeurs de boissons ont chacun un catalogue différent, composé de quelques
marques pour chacune des familles de produits (cafés, sodas, eaux, jus de fruits, bières, vins,
alcools). Le référencement d’une marque de café par un distributeur national a un impact
important sur les volumes achetés au torréfacteur. Le marché du café de France Boissons est
par exemple de 2200 tonnes par an (TNS-Sofres, 2009). En parallèle, il existe aussi un grand
nombre de négociants de boissons indépendants.
Les Cash&Carry, comme Métro ou Promocash, représentent une autre source
d’approvisionnement importante. Ces grossistes en alimentaire et en équipement disposent
d’immenses entrepôts regroupant toutes les familles de produits dont un restaurateur peut
avoir besoin : aliments, boissons en tous genres, mais aussi petit matériel de cuisine et de
salle, vaisselle, linge de table, mobilier. Ces magasins en libre-service réservés aux
professionnels proposent de nombreux services (comme la commande en ligne), des offres
promotionnelles intéressantes, ouvrent tôt le matin, et constituent pour beaucoup de
restaurateurs une solution pratique de dépannage ou d’approvisionnement principal.
Les achats chez un détaillant alimentaire de proximité, ou en grande distribution, circuit
désigné par le nom de « Retail », constituent également une part importante des
approvisionnements.
L’achat direct au producteur concerne principalement les boissons, notamment le champagne
et les spiritueux, et en particulier le café. Les torréfacteurs français comme les Cafés Coïc,
Folliet, Malongo, Merling ou Richard disposent tous d’un maillage régional d’entrepôts, de
commerciaux et de livreurs pour la vente en direct aux professionnels de la restauration.
Pour les restaurateurs indépendants, les achats se font en petites quantités, aussi bien auprès
des grossistes qu’en Cash&Carry ou en direct auprès du producteur. Souvent ces trois modes
72
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
d’approvisionnement se côtoient, dans des proportions variables en fonction des priorités
recherchées par le gérant pour chaque famille de produits (prix, aspect fonctionnel, qualité).
La répartition globale des achats par les restaurateurs (Figure 10) montre que les
intermédiaires sont un maillon clé de la filière. Seuls 14% des achats des restaurateurs se font
directement au producteur.
Alors que sur les marchés « BtoB » les clients sont généralement assez hétérogènes mais peu
nombreux, le marché du café dans la restauration se distingue par des clients restaurateurs
multiples, à la fois hétérogènes dans leurs profils d’offre, de structure et de fonctionnement, et
très importants en nombre.
Direct Producteur 14% Retail 13% Prestataires logisVques 3% Cash&Carry 12% Grossistes 58% Figure 10 – Répartition des achats des restaurateurs par circuit d’approvisionnement, Source : estimation
Xerfi-Precepta via presse et Gira Foodservices (Xerfi-Precepta, 2012)
73
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
2.2. Des torréfacteurs moins concentrés qu’en grande distribution Par torréfacteurs, nous entendons les entreprises agroalimentaires transformant du café vert en
café torréfié. Les torréfacteurs sont beaucoup moins concentrés dans la restauration hors
domicile qu’en grande distribution.
En GMS La production de café pour la vente au détail, en grande distribution, et la consommation à
domicile, est dominée en France par trois multinationales (Figure 11).
Le suisse Nestlé est leader avec ses dosettes Nespresso, Dolce Gusto ou encore le café
instantané Nescafé. Nespresso maintient son positionnement premium, par un tarif supérieur,
un fort investissement dans les campagnes publicitaires et dans l’innovation, et des produits
distribués via un circuit exclusif de boutiques de la marque. L’américain Mondelez (ex-Kraft
Foods), second sur le marché des boissons chaudes, du café moulu et du café instantané en
France, investit également beaucoup dans la publicité et dans l’innovation pour son système
Tassimo et ses marques Carte Noire, Grand-mère, Jacques Vabre ou encore Maxwell House.
DEMB (Douwe Egberts Master Blenders 1753), groupe néerlandais issu de la scission de
Sara Lee, est le troisième acteur majeur de ce marché. Ses marques L’Or, Maison du café et
Senseo se distinguent par des prix de vente attractifs. Il existe des doses individuelles L’Or,
compatibles avec les machines Nespresso, disponibles en GMS et à un prix inférieur aux
originales. La machine Senseo est le système de préparation de café avec des doses le plus
répandu en France (Euromonitor, 2013c).
Ces trois compagnies, très actives dans le domaine de l’innovation, élargissent et renouvellent
fréquemment leur portefeuille de cafés pré-dosés et suscitent la demande pour la
consommation à domicile.
Viennent ensuite les marques italiennes Segafredo et Lavazza. Au sixième rang sur le marché
du café, l’entreprise française Malongo (Compagnie Méditerranéenne des Cafés) est leader
sur le segment des cafés biologiques (Euromonitor, 2013a). Les marques de distributeurs
(MDD) occupent une place relativement importante. Additionnées les unes aux autres, elles
occuperaient la quatrième place avec 7% des ventes en valeur.
Hormis pour les MDD, Le marché du café pour la consommation à domicile est tout de même
très concentré. La naissance annoncée en mai 2014 d’un nouveau géant du café, Jacobs
74
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Douwe Egberts (JDE), issu de la fusion de la branche café de Mondelez avec DEMB, devrait
renforcer encore davantage cette concentration13. À eux seuls, Nestlé et DEMB détiendraient
alors les trois quarts du marché français du café à domicile.
Nestlé SA 14% 1% 1% 2% Mondelez InternaVonal Inc 7% 35% DE Master Blenders 1753 NV Segafredo Zaneo SpA 2% Lavazza SpA, Luigi 15% CMC Malongo SA 25% Legal SA Marques de distributeurs Autres Figure 11 - Parts de marché en valeur de la vente de café au détail, pour la consommation à domicile, par
marque globale, en France, en 2013 - d'après les données Euromonitor de 2014
En RHD Par contraste, pour la vente en gros sur le marché de la restauration, les torréfacteurs sont
nombreux, sur un marché plutôt en déclin (Euromonitor, 2014a). Alors que le niveau de
concentration des torréfacteurs opérant sur le marché de la grande distribution est connu et
très important, il l’est beaucoup moins sur le marché de la restauration, avec un grand nombre
d’acteurs régionaux difficiles à recenser. Certaines entreprises spécialisées ne sont présentes
que sur ce marché, c’est le cas du leader, les Cafés Richard. D’origine aveyronnaise, la
Maison Richard s’est construite autour de l’activité de grossiste en vin à Paris au début du
XXème siècle, alors que la plupart des cafés étaient ouverts par des auvergnats. L’activité des
Vins Richard se développe dès le départ sur la base d’une collaboration avec le secteur de la
restauration, allant au-delà du rôle de fournisseur, avec un rôle d’accompagnement important,
sur le modèle des contrats brasseurs. Aujourd’hui, 11 agences régionales des Cafés Richard
permettent de maintenir cette relation de proximité et le suivi des clients, par la livraison en
direct exclusivement14.
En termes de part de marché, les entreprises suivantes sont des maisons italiennes à forte
notoriété dans la restauration, plutôt distribuées par des brasseurs, avec renforts de
13
Cf. Sylvie Lavabre, « Les nouveaux maîtres du café », LSA, n°2321-2322, mai 2014, p8-11
14
Source : Site internet des Cafés Richard, http://www.cafesrichard.fr , consulté en juillet 2014
75
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
commerciaux de la marque. Il s’agit de Segafredo et Lavazza, suivies d’un peu plus loin par
Illy.
Après ces quatre acteurs principaux se trouvent de nombreuses marques locales implantées
régionalement voire nationalement, selon l’étendue de leur réseau de distribution interne ou
leur recours à un distributeur de boissons. Parmi elles se trouvent par exemple Malongo (06),
Merling (17), Coïc (29), Henri (67), Reck (67), Brosio (68), Folliet (69), ainsi qu’une
ribambelle d’ateliers de torréfaction locaux, ou de « brûlerie », vendant en direct au détail et
aux professionnels des environs proches : brûlerie du Léon (29), brûlerie des Alpes (38),
Voisin (69), etc., etc. Les plus gros de ces torréfacteurs développent leur image de marque par
des réseaux de boutiques ou de coffee shops et de la vente en ligne pour les particuliers.
Certaines marques de torréfacteurs présentes dans la grande distribution, comme Jacques
Vabre ou Carte Noire, proposent également des formats adaptés aux professionnels, comme
des sachets de grain de 1kg, mais elles sont peu présentes sur le marché de la restauration.
Nespresso, fidèle à sa stratégie de développement sur le créneau haut de gamme, se déploie
progressivement dans les restaurants étoilés15.
Par ailleurs, les distributeurs France Boissons et C10 ont chacun dans leur catalogue une
marque de café italienne vendue exclusivement par leur intermédiaire : Kimbo pour France
Boissons et Cellini pour C10. Ces marques de distributeurs sont mises en avant dans un
catalogue de promotion paraissant à chaque saison, avec par exemple 1 kg de café en grain et
4 boîtes de dosettes offertes pour 11kg de café en grain Kimbo achetés (Catalogue France
Boissons, Novembre-Décembre 2013). Ce type de promotion permet à C10 de convertir des
clients à ses dosettes de café Kimbo, existant en différentes origines et compatibles avec une
machine à expresso traditionnelle. Pour figurer dans un tel catalogue promotionnel bimestriel
ou trimestriel, les marques nationales doivent quant à elles concéder des remises au
distributeur ou prendre en charge les promotions proposées. De nombreuses promotions de ce
type existent aussi pour tous types d’accompagnements sucrés allant avec le café, comme des
amandes cacaotées, des spéculoos, ou encore des chocolats miniatures.
Nous avons vu que les clients restaurateurs sont très hétérogènes. Ils sont aussi très nombreux
et très dispersés sur le territoire pour un marché « BtoB ». Pour des raisons pratiques, ils
tendent à réduire le nombre de leurs fournisseurs. Les intermédiaires comme les grossistes
15
Cf. Anne-Laure Pham, « Du Nespresso servi dans 700 restaurants étoilés du monde», dans l’Express [En
ligne],
http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/du-nespresso-servi-dans-700-restaurants-etoiles_1241003.html,
(page consultée en avril 2013)
76
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
alimentaires et les distributeurs de boissons répondent à leurs besoins en approvisionnement,
tout en optimisant la logistique. Ces intermédiaires sont indispensables à l’accès au marché de
la restauration pour les torréfacteurs ne disposant pas de leurs propres réseaux de distribution
et représentent un débouché de plus en plus important pour les industriels. De sorte que le
poids de ces intermédiaires est croissant aussi bien dans les négociations avec les
restaurateurs qu’avec les torréfacteurs. De plus, les marques de distributeurs - se développant
aussi bien en Cash&Carry que chez les grossistes et distributeurs de boissons- sont une
concurrence non négligeable pour les marques nationales.
77
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3. Le torréfacteur achète du café vert différencié et vend un lot de café, de matériel et de services Maintenant que nous connaissons mieux les restaurateurs et les torréfacteurs, nous allons nous
intéresser à ce que chacun d’eux achète, comme représenté par la Figure 12. Les produits
échangés sur le marché « BtoB » sont souvent très différents des produits achetés sur le
marché final « BtoC », ne serait-ce qu’en termes de volume échangé ou de services associés.
Restaurateurs et torréfacteurs achètent chacun des produits bien distincts, qu’ils évaluent sur
des caractéristiques en lien avec leurs activités et objectifs respectifs.
Figure 12 - Qu'achètent le restaurateur et le torréfacteur ?
78
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.1. Le restaurateur achète « un » café et des services sur-­‐
mesure Ce que vend le restaurateur, c’est une offre de repas complet, dans laquelle il se doit de
proposer un café. Ce café doit, a minima, être préparé sous forme d’expresso et servi dans une
tasse, avec une sous-tasse, accompagné de sucre et d’une cuillère.
Un des critères d’évaluation de l’offre proposée par les torréfacteurs est la largeur de la
gamme de produits proposée au catalogue. Car pour élaborer leur offre de café, les
restaurateurs doivent se fournir en café mais aussi en sucre, spéculoos ou en amandes
cacaotées. Ils préfèrent souvent se fournir auprès d’un partenaire professionnel qui pourra
répondre à tous ces besoins simultanément, voire à ceux relatifs à la préparation de toutes les
autres boissons chaudes dans leur établissement. Afin de mieux vendre leur café dans cette
offre globale, les torréfacteurs proposent donc très souvent dans leur catalogue : du sucre en
bûchettes ou en morceaux, des accompagnements sucrés, une gamme de thés et de tisanes, du
chocolat en poudre ou liquide, ou encore du lait sous différents formats.
Pour les restaurateurs, les machines à expresso professionnelles sont un outil de travail
indispensable. Le prix de ces machines s’élève à plusieurs milliers d’euros et leur
maintenance est complexe. Distributeurs de boisson ou torréfacteurs proposent le prêt de ce
matériel et un service d’entretien, afin de pouvoir vendre leur café.
Le restaurateur achète donc non seulement du café, des accompagnements sucrés, et du sucre,
mais aussi, le plus souvent, le prêt d’une machine, d’un moulin, de tasses, ainsi que la
livraison des produits dans son établissement, la maintenance du matériel, ou encore le
dépannage, dans le cadre d’un contrat « full-service ». Le coût de ces services est répercuté
sur le prix du kilo de café. En fonction du volume de vente estimé, du type de machine mise à
disposition et de la référence de café choisie, le contrat précise le prix du café au kilo. Ce prix
est supérieur au prix auquel le restaurateur l’achèterait, s’il était propriétaire de sa machine.
Plus le volume annuel de café estimé est important, plus le fournisseur peut proposer une
machine d’une valeur importante ou un prix du café au kilo intéressant.
Exemple : Un restaurateur s’engage à commander 300kg de café à 20€ le
kilo pendant 5 ans, en échange de la mise à disposition d’une machine à
café professionnelle à deux porte-filtres, d’un moulin et de tasses.
79
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Afin de garantir le retour sur investissement, il est important que tous les achats de café du
restaurateur soient bien effectués auprès de ce fournisseur, et non dans un Cash&Carry ou en
grande distribution. Il est malheureusement impossible pour un fournisseur de s’assurer que
tout le café utilisé par un client lui est bien commandé directement. C’est la crainte de tous les
fournisseurs de café mettant à disposition du matériel : que leurs clients s’approvisionnent sur
un autre réseau plus économique pour compléter leurs stocks. Ne prenant pas en compte
l’investissement matériel dans leurs prix, les produits proposés ailleurs peuvent en effet être
beaucoup moins chers, mais aussi parfois de qualité bien moindre. En plus du faible retour sur
investissement, le risque est qu’un mauvais café soit servi dans une tasse du torréfacteur
prêtant le matériel, dégradant ainsi son image de marque.
Les restaurateurs s’approvisionnant dans la grande distribution peuvent le faire pour
économiser, mais aussi, parfois, pour masquer une partie de leur chiffre d’affaire. En effet, il
est notoire dans le secteur de la restauration que certains établissements ne déclarent pas
toutes leurs ventes afin de diminuer leurs taxes. Pour faire correspondre leurs registres de
stocks, une partie des approvisionnements est dissimulée, en évitant les circuits professionnels
comme les grossistes, qui émettent des factures systématiques. Le café est un produit idéal
pour ce genre de pratique. Un kilo de café permet de préparer environ 140 expressos (7
grammes par expresso), mais l’écart toléré peut être bien plus large que sur les autres
produits. En effet, le café en grain, le plus utilisé en restauration, génère des pertes de matière
liées aux réglages du moulin et de la machine. Certains cafés sont aussi recommencés, car
refroidis avant d’avoir été servis, ou manquant de crème à la surface. Enfin, le café est
souvent offert aux employés au cours de la journée pour leur consommation personnelle. Il est
donc beaucoup plus difficile de faire le lien entre le nombre de kilos de cafés achetés et le
nombre d’expressos vendus, que de faire le lien entre le nombre de bouteilles de soda
achetées et vendues. D’autre part, en particulier lorsqu’il est consommé seul et au comptoir, le
café est souvent payé en petite monnaie et ne fait pas toujours l’objet d’un ticket de caisse.
Cette transaction est ainsi facile à dissimuler.
Si elle n’est pas prêtée, la machine peut aussi être achetée par le restaurateur, louée à un prix
indépendant du volume de café commandé, ou être en leasing. Le leasing, ou crédit-bail,
consiste également en un prêt de matériel pour une période déterminée avec un contrat de
mise à disposition, au terme duquel le client peut rendre le matériel, l’acheter à un prix
moindre, ou renouveler le contrat avec des conditions plus intéressantes.
80
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.1.1. Une machine à expresso professionnelle adaptée à l’établissement Alors que les moulins sont plutôt standards, il existe une gamme assez étendue de machines
en termes de fonctionnalité, de design et de prix. Les trois grands types de machines
professionnelles que l’on retrouve dans la restauration sont les machines expresso à portefiltre, les machines à doses et les machines automatiques.
Les machines à porte-filtre ou « à percolateur », les plus courantes, sont généralement dotées
de deux ou trois « groupes ». Chaque groupe contient un porte-filtre permettant de préparer
deux expressos simples ou un double à la fois. Les marques les plus répandues de machines à
porte-filtre sont italiennes, Cimbali et La Spaziale. Ces machines sont associées à un moulin
pour le café en grain, disposé à côté de la machine, et à un tiroir à marc placé sous la machine.
Le café décaféiné, moins consommé, est généralement acheté moulu et conservé dans une
boîte non loin de la machine à café. Il n’est pas nécessairement de la même marque ni de la
même qualité que le café en grain.
Souvent placées en évidence derrière le comptoir, les machines expresso à porte-filtre
évoquent l’ambiance des cafés traditionnels par leurs designs, les bruits et les gestes qui leurs
sont associés, tel le bruit du moulin ou le fait de frapper les porte-filtres sur le tiroir à marc de
café pour le vider.
Ces machines nécessitent de bons réglages du moulin, de la machine et de bonnes pratiques
de préparation afin d’obtenir une extraction adéquate du café. Une mouture trop fine, une trop
grande quantité de café dans le porte-filtre ou une température de l’eau trop élevée, mènent à
une sur-extraction du café : un café très noir, amer, sans crème et pouvant avoir un goût brulé.
Une mouture trop grosse, pas assez de café, ou une température de l’eau trop basse, mènent à
une sous-extraction du café : un café très clair, aqueux, sans crème et avec très peu d’arômes.
La qualité de l’expresso servi dépend en partie de l’attention portée à ces paramètres.
Depuis une dizaine d’années, les machines à expresso professionnelles à doses se sont
développées dans la restauration. Le café est moulu et prédosé pour un expresso (7g) par le
torréfacteur. Il suffit d’insérer la dose et d’appuyer sur un bouton pour préparer un expresso.
Les machines à doses présentent des avantages. Hormis le réglage de la température et de la
quantité d’eau souhaitée par tasse, aucun réglage n’est nécessaire quant à la mouture ou à la
quantité de café. Ce système limite les pertes de matière et permet donc une meilleure
maîtrise des coûts. D’autre part, quelle que soit la personne qui prépare la boisson, il n’y a pas
81
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
de variation du résultat dans la tasse. Les machines à doses permettent, comme à domicile,
d’obtenir une extraction de qualité, sans formation aux gestes techniques. Cet avantage est
particulièrement intéressant pour un établissement dans lequel le renouvellement du personnel
est fréquent, mais où l’on souhaite maintenir une qualité de préparation du café constante.
D’autre part, les dosettes représentent un avantage en termes d’entretien et de nettoyage,
puisque le café reste enfermé et ne se disperse pas dans la machine ou autour du moulin.
Enfin, les dosettes permettent aux restaurateurs de mettre en place une carte proposant
plusieurs cafés, de différentes origines, différents profils gustatifs ou différents labels de
production, sans complication logistique. Avec une machine à porte-filtre, un moulin par type
de café serait nécessaire, avec un réglage différent par moulin. Cela représente un espace
considérable derrière le comptoir, souvent assez étroit. Avec une machine à doses, il suffit de
piocher dans une boîte de doses différente. Un autre avantage, pouvant être recherché par
certains, est que cette solution supprime le bruit provenant du moulin.
Mais, pour d’autres, cette solution innovante n’a pas le charme des machines
« traditionnelles », évoqué plus haut. Certains établissements ne souhaitent pas opter pour les
doses à leur bar, afin de montrer à leurs clients l’attention qu’ils portent à la préparation de
leur café. D’autre part, le prix des doses est perçu comme élevé par beaucoup de restaurateurs,
en comparaison avec le café en grain. Enfin, ce système, permettant justement une meilleure
traçabilité des quantités de café consommées et vendues, n’arrangent pas forcément les
restaurateurs dont nous parlions plus haut, pour qui le café est un complément de revenu non
déclaré. Pour les fournisseurs, c’est au contraire un des avantages des machines à doses, dont
certaines sont conçues pour reconnaître uniquement les doses d’une marque en particulier et
spécifiques au secteur de la restauration (forme ou couleur différente des doses vendues aux
particuliers). Ainsi, elles ne peuvent être remplacées ni par des doses d’une autre marque, ni
par des doses de la même marque qui seraient destinées à la consommation à domicile. Le
fournisseur s’assure ainsi un marché captif et un retour sur l’investissement matériel que
représente la machine.
Les machines à porte-filtre et les machines à doses possèdent aussi une sortie directe d’eau
chaude pour le thé et une buse vapeur pour chauffer le lait. Une formation est dans tous les
cas nécessaire pour apprendre à préparer un café crème, un cappuccino, un chocolat ou un
latte macchiato.
La troisième catégorie est celle des machines dites « tout automatique ». Le café en grain est
directement versé dans une trémie au-dessus de la machine, qui comprend un système de
moulin et de dosage intégré, et parfois un réservoir réfrigéré pour le lait. La machine prépare
82
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
automatiquement la boisson selon la touche sélectionnée. La sélection de boisson peut inclure
différents types de cafés (expresso, allongé ou américain – café très allongé), ainsi que du thé,
du chocolat ou des spécialités à base de lait, telles que le cappuccino. Quelle que soit la
boisson choisie, ce type de machine ne nécessite aucune compétence, hormis le fait de
sélectionner le bon bouton. Elles peuvent être installées en libre-service avec un monnayeur
dans une cafétéria de grands magasins ou un restaurant d’entreprise, ou dans un établissement
de restauration traditionnelle avec de fortes affluences, afin de fluidifier le service.
Pour garantir un café de qualité, des réglages fréquents sont cependant nécessaires afin de
s’assurer que la mouture, la dose de café ou encore la température de l’eau est toujours
adéquate. Le prix de ces machines est supérieur à celui des machines traditionnelles ou à
doses.
Il s’agit des principaux types de solutions professionnelles pour préparer des expressos.
D’autres modes de préparation existent comme les machines à filtration rapide pour le petitdéjeuner, le goutte-à goutte ou la cafetière à piston, mais nous ne les détaillerons pas ici, car
elles sont actuellement marginales dans la restauration.
83
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.1.2. Des services sur-­‐mesure Les restaurateurs achètent un ensemble de services sur-mesure. Une machine à café
performante mal réglée ne permet pas de préparer un expresso bien extrait, avec des arômes
complexes et une belle crème à sa surface. Surtout, une panne de la machine à café dans un
restaurant entrave de manière importante l’activité de l’établissement, et peut donner lieu à
des clients insatisfaits. Pour ces raisons, la prise en charge de l’entretien régulier du matériel
par le fournisseur, et sa réactivité à intervenir pour un dépannage urgent, sont des services
importants aux yeux des restaurateurs.
La plupart des restaurateurs apprécient d’être livrés et de ne pas devoir se soucier de leur
approvisionnement en café, car il nécessite une anticipation de l’activité et des commandes,
alors que le restaurateur peut être très pris par les différentes tâches nécessaires au bon
fonctionnement de son établissement (gestion du personnel, mise à jour de l’offre, gestion des
réservations, préparation et nettoyage entre chaque service, etc.). Aussi, le fournisseur appelle
souvent à l’avance, afin de connaître l’état des stocks et d’ajuster la livraison. Il passe de
manière régulière au cours d’une tournée, toutes les semaines ou toutes les deux semaines. La
livraison a lieu, que le responsable de l’établissement soit là ou non, puis les factures sont
regroupées et lui sont adressées ultérieurement, avec un paiement différé possible.
La prise en charge des tasses par le fournisseur est également attendue par la plupart des
restaurateurs. Elles sont fréquemment renouvelées en raison de la casse et d’une usure rapide
liée à un usage intensif. Certains restaurateurs demandent des tasses classiques avec le logo de
la marque, des tasses originales et colorées de collection, ou encore des tasses personnalisées
avec le logo de leur établissement. Selon les volumes commandés par le restaurateur, le
fournisseur répondra à des exigences plus ou moins hautes.
Le prix du café au kilo est décisif pour les restaurateurs. Bien qu’ils aient tous conscience que
c’est l’un des produits sur lequel la marge brute est la plus importante, le café ne représente
pas moins un coût de matière à optimiser dans leurs charges d’approvisionnement, ainsi qu’un
coût en main d’œuvre et en matériel (pour les propriétaires de machine).
Un kilo de café acheté à 20€ permet de préparer au moins 120 expressos
(7g par expresso), vendus à 1,50€ le café, cela représente une vente de
160€, dont 87.5% de marge brute.
84
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Une des conséquences importante de l’hétérogénéité de la clientèle, est que chaque
établissement a des exigences variables sur le produit et les services. Les priorités de prix, de
gain de temps, de place, de qualité du produit, de qualité du matériel, ou encore de praticité
sont différentes. Elles mènent chacun au fournisseur qui saura répondre aux besoins
correspondants en termes de référence de café mais aussi de prêt de machine, d’entretien et de
dépannage, de commande ou de livraison.
Une brasserie parisienne avec un loyer très élevé, disposant de peu d’espace de stockage et
renouvelant beaucoup sa carte, pourra ainsi privilégier un fournisseur lui proposant une aide à
l’installation, des livraisons très fréquentes et la prise en charge de l’impression de ses cartes.
Un hôtel sur la côte méditerranéenne pourra privilégier un fournisseur lui proposant une offre
intéressante financièrement, et répondant à tous ses besoins : de la machine à expresso pour
son bar, à la machine à filtration pour le petit-déjeuner, en passant éventuellement par des
machines à doses pour particuliers en chambre ou des machines à doses professionnelles en
libre-service pour ses salles de conférence.
Une cafétéria de supermarché en Normandie, présentant un pic d’activité très important le
midi et les samedis, ayant des clients habitués, peu de personnel et une offre de restauration à
bas prix, préférera un fournisseur lui proposant la mise à disposition d’une machine
automatique avec monnayeur en salle, et un dépannage possible même le samedi, tout en
gardant un café de qualité convenable et un prix au kilo rentrant dans son cahier des charges.
Un restaurant lyonnais avec un taux de renouvellement du personnel important, souhaitant
mettre en avant une marque de café sur sa carte et garantir une qualité constante à ses clients,
privilégiera un torréfacteur d’une certaine renommée dans sa région, proposant du café en
doses.
Enfin, une brasserie bretonne souhaitant regrouper toutes ses commandes, ayant une relation
privilégiée avec son distributeur de boissons et cherchant une marque connue du grand public
avec un bon rapport qualité-prix, choisira probablement une marque italienne distribuée par
son « brasseur ».
À travers ces exemples, tirés d’observations réelles, il apparaît clairement que le choix d’un
fournisseur par le restaurateur ne se fait jamais simplement sur la base du café qu’il propose.
Hormis son niveau de gamme et une dégustation pour s’assurer que la qualité gustative du
café convient, il est assez peu question des caractéristiques du café en lui-même.
Les fournisseurs sont de véritables partenaires professionnels des restaurateurs et leur choix
est souvent d’ordre pratique mais aussi relationnel. Il peut s’agir de la reprise d’un contrat
85
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
existant dans l’établissement, d’une relation historique avec une marque ou avec un
commercial, ou d’un fournisseur travaillant déjà dans l’établissement pour d’autres produits
(brasseurs).
À l’exception de la séparation entre Grands Comptes et clients indépendants, il est quasiment
impossible de proposer une offre ciblée par catégorie d’établissements. Des établissements en
apparence similaires par leur structure, leur implantation, leur activité, leur type d’offre, et
leur clientèle, peuvent avoir des stratégies et des attentes différentes. Une segmentation par
avantages recherchés serait éventuellement envisageable mais probablement très complexe à
mettre en œuvre. Bien souvent, les machines proposées, le type de contrat, les conditions
tarifaires et la prise en charge de l’entretien et du dépannage s’avèrent être parmi les
principaux sujets de négociation entre restaurateurs et fournisseurs de café et faire l’objet de
conditions personnalisées pour chaque client.
Les caractéristiques sur lesquelles les clients professionnels évaluent l’offre sont
principalement des caractéristiques de service, basées sur des prestations transitoires et
intangibles nécessairement associées à la vente de café sur ce marché. De leur côté, les
torréfacteurs évaluent leur efficacité opérationnelle par les volumes de café vendus et le
chiffre d’affaires associé.
Les caractéristiques de l’offre auxquelles les clients restaurateurs accordent de la valeur sont,
comme cela arrive souvent, un peu différentes de celles que le producteur croit vendre
(Magretta, 2012). Ce qu’achètent vraiment les clients sur le marché de la restauration, ce n’est
pas simplement du café, c’est un ensemble de services sur-mesure leur permettant de
facilement : s’approvisionner, de préparer, puis de vendre du café sous forme de boissons et
se différencier auprès de leurs propres clients consommateurs.
Un des facteurs clés de succès des entreprises de torréfaction présentes sur le marché de la
restauration est leur capacité à appréhender correctement la problématique de chaque client
restaurateur et à y répondre par la conception et la mise à disposition d’un ensemble de biens
et de services sur-mesure en termes de mélange de café proposé, mais aussi de machine, de
relation client, de service après-vente, ou encore d’aide à la vente.
86
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.1.3. Des réseaux de distribution structurant le contenu de l’offre En dehors des centrales d’achat pour les chaînes, il existe pour les restaurateurs indépendants
deux circuits principaux d’approvisionnement en café. Ils correspondent à deux réseaux de
distribution distincts par les torréfacteurs. Il s’agit d’une part de la distribution par un
entrepositaire, ou distributeur de boisson, et, d’autre part, de la distribution « en direct » par
des agences commerciales internes à l’entreprise disposant d’un entrepôt et de véhicules de
livraison (Figure 13). Entre ces deux modèles opposés, de nombreuses variantes et cas
particuliers existent. Un même torréfacteur peut avoir recours à différents réseaux de
distribution selon les régions et les clients.
Figure 13 - Principaux réseaux de distribution du café en restauration
Plus la distribution du torréfacteur est intégrée, plus il assure un grand nombre d’activités en
direct, et plus son activité commerciale est de vendre un ensemble de services au client
restaurateur. Il a alors le libre choix des clients prospectés, hormis les clients de son ou de ses
distributeurs partenaires au niveau local (non-concurrence). Son objectif est de développer
son chiffre d’affaire et son image de marque. Pour cela, il prête du matériel, effectue la
livraison, et la maintenance en direct. La structure régionale dispose d’un dépôt et de livreurs,
d’un atelier avec des techniciens spécialisés dans la maintenance des machines à café, de
commerciaux, etc. Le contrat d’approvisionnement est signé entre le torréfacteur et le
restaurateur directement. Le torréfacteur fixe le prix de vente au client. Le commercial-livreur
87
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
se rend régulièrement dans l’établissement, peut vérifier le réglage de la machine, proposer
des produits complémentaires, s’assurer de la satisfaction du client et entretenir la relation
client-fournisseur. Le client a accès à la totalité des produits proposés par le torréfacteur : à
tous les mélanges de café, ainsi qu’aux différentes sortes de sucre, d’accompagnements sucrés
ou autres boissons chaudes qu’il propose. L’image de marque du torréfacteur auprès des
clients se construit autour de la qualité de son café et du matériel qu’il prête, de la
performance de ses équipes de livraison et de maintenance, et de la qualité de la relation
client-fournisseur.
Plus la distribution du café est externalisée par le torréfacteur, plus le distributeur de
boissons assure un grand nombre d’activités en direct auprès du restaurateur. L’activité
commerciale du torréfacteur est alors d’assurer le suivi du client direct, le distributeur de
boissons. Les établissements de restauration prospectés dépendent alors de la stratégie
souhaitée par le distributeur. Ils peuvent être de nouveaux clients à la fois pour le torréfacteur
et pour le distributeur. Ils peuvent aussi être des clients du distributeur, commandant du café
en direct à une autre marque, ou commandant un autre café du catalogue du distributeur. Le
distributeur fixe le prix du café pour le restaurateur, prête le matériel et assure sa maintenance
par le biais de ses techniciens, parfois spécialisés en machines à café, parfois généralistes
(tireuse à bière, lave-verres, etc.). La prospection est facilitée par la coopération entre
commerciaux des deux parties, et doit correspondre avec les objectifs du distributeur. Dans ce
schéma, le client restaurateur n’a pas accès à tous les produits du torréfacteur mais seulement
à quelques références présentes dans le catalogue du distributeur et pour lesquelles les prix
d’achat par le distributeur ont été négociés avec le torréfacteur (un mélange et le décaféiné par
exemple, mais pas nécessairement le sucre ou les accompagnements de la marque).
Plus l’un de ces deux acteurs assure une proportion importante des activités liées à la
distribution du café, plus il a une influence importante dans l’offre finale de café proposée
aux consommateurs dans un établissement, et plus il développe une relation étroite avec les
clients restaurateurs. Or la relation client-fournisseur est très importante dans la restauration.
Sur sa plaquette de présentation16, le distributeur Ouest Boissons met en avant comme un
argument clé de son offre le fait d’avoir un interlocuteur privilégié : «Vous avez «votre»
chauffeur livreur, «votre» commercial, «votre» technicien, «votre» télévendeuse.» Le lien
avec les fournisseurs est, pour les restaurateurs, un moyen de faire partie du réseau
professionnel de la restauration. Une étude sociologique de la concurrence entre restaurateurs
16
Consultée sur leur site le 5/11/ 2013
88
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
à Lille a ainsi révélé qu’une partie des restaurateurs concurrents coopèrent. Ils échangent sur
le nombre de couverts réalisés dans leurs établissements respectifs, se dépannent en produit
manquant, se renvoient des clients si leur salle est remplie, et se renseignent sur les
fournisseurs et leurs offres. D’autres au contraire s’observent de loin (Éloire, 2010). Dans les
faits, on observe que les visites commerciales sont l’occasion pour les restaurateurs
d’échanger des informations avec le fournisseur sur la conjoncture du secteur, les ouvertures
et fermetures d’établissements, ou les changements de propriétaire, et de se comparer à la
concurrence.
Le réseau de distribution du café est un déterminant important du lien professionnel existant
entre torréfacteur et restaurateur. En direct, le lien est plus fort que lorsque le distributeur de
boisson intervient comme intermédiaire. Le réseau de distribution a également une influence
sur le type d’offre mise à disposition, et peut conditionner le développement d’une nouvelle
offre.
89
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.2. La pléthore d’espèces, de terroirs, ou de mélanges, reste à la porte du restaurant Si l’on se concentre sur les ressources de l’entreprise et sur ce qu’elle produit, le cœur de
métier des torréfacteurs est de s’approvisionner en café vert, dont la disponibilité et la qualité
sont variables, de le sélectionner, de le torréfier et de l’assembler afin d’obtenir un mélange de
qualité constante. De ce point de vue, ce qu’achètent les torréfacteurs, c’est du café vert
sélectionné sur la base de son espèce, de sa variété, de son terroir et de sa qualité. Ce qu’ils
vendent c’est du café torréfié composé d’un assemblage de différentes origines, et caractérisé
par un degré et une méthode de torréfaction, par une mouture, un conditionnement, par une
marque et un profil sensoriel.
Nous allons voir, d’une part, que toutes ces caractéristiques peuvent avoir un impact sur
l’offre finale proposée au consommateur au restaurant. D’autre part, nous verrons qu’en
amont de la filière, les acteurs différencient les cafés verticalement et horizontalement. Ils ont
une idée précise, et partagée par tous, de ce qu’est un café de qualité supérieure
(différenciation verticale). Ils différencient également des cafés considérés comme de qualités
équivalentes, mais aux profils gustatifs distincts (différenciation horizontale).
3.2.1. Les sources de différenciation du café vert acheté par les torréfacteurs Le caféier est un arbre fruitier de la famille des rubiacées. Il nécessite un climat tropical :
chaud, sans variations de température et avec des pluies saisonnières importantes. La
caféiculture est développée dans toutes les régions du monde situées entre les deux tropiques.
Chaque épisode pluvieux entraîne une floraison éphémère. Les fleurs du caféier sont blanches
et proches du jasmin par l’apparence et par l’odeur. Ces fleurs laissent vite place à un fruit, la
drupe, ou cerise de café, qui met plusieurs mois pour parvenir à maturité. Les cerises sont
constituées de deux grains de café vert (ou fèves), entourées de pulpe (également appelée
mucilage), et d’une enveloppe. Le caféier donne sa première production vers deux ou trois ans
et atteint son rendement maximum vers cinq ans. L’arbuste donne ensuite 2,5 kilos de cerises
mûres par an en moyenne pendant environ 25 ans. Après récolte et extraction des grains de
café dans le pays producteur, le café vert ainsi obtenu est importé et acheté par les
torréfacteurs sur la base de nombreux critères de différenciation.
90
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par l’espèce et la variété Le premier critère d’achat du café est son espèce ou sa variété. Il existe près de soixante-dix
espèces de café.
Les deux espèces présentant un réel intérêt commercial sont Coffea Arabica et Coffea
Canephora. Chacune de ces espèces comporte différentes variétés. Le Maragogype, le
Criollo, le Typica et le Bourbon sont quelques-unes des variétés d’arabica. L’espèce
Canephora, dont le robusta est la principale variété, est plus connue sous ce nom d’usage.
Les zones montagneuses et les hauts plateaux sont plus propices à la culture de l’Arabica, que
l’on retrouve de manière prédominante en Amérique Latine et en Afrique de l’Est. Il est
sensible aux parasites et aux maladies, comme la rouille du caféier. Le robusta, comme son
nom le laisse deviner, est plus résistant et pousse en plaine, jusqu’à 1000 m d’altitude. Il est
prédominant en Asie du Sud-est et en Afrique de l’Ouest.
À l’état naturel, le caféier atteint 4 à 6 mètres pour les variétés anciennes d’arabica (Bourbon,
Typica) et 10 à 12 mètres pour le robusta. Dans les plantations, les arbres sont taillés et
atteignent 2 à 3 mètres de hauteur seulement, afin de faciliter la cueillette. De nouvelles
espèces d’arabica, à « port bas » (Caturra, Catimor), sont sélectionnées pour leur petite taille,
leur productivité et leur résistance aux maladies. Ces variétés donnent aussi du café dont les
qualités sont moins recherchées.
L’arabica est un café doux, parfumé, acide, tandis que le robusta est plus amer, corsé, peu
complexe du point de vue aromatique. Le robusta contient aussi plus de caféine que l’arabica.
Les principales différences entre ces deux espèces sont synthétisées dans le Tableau 3.
Espèce et variété ont un impact important sur le profil gustatif et sur la qualité du café dans la
tasse. L’arabica, considéré comme plus qualitatif, est en moyenne plus cher que le robusta,
lors de l’achat du café vert par le torréfacteur. Cette différenciation verticale se retrouve en
grande distribution, où les mentions « 100% arabica » ou « Pur arabica » figurent sur bon
nombre de cafés. Cette distinction est beaucoup plus rare dans la restauration.
91
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Tableau 3 - Différences entre arabica et robusta, d'après Daviron et Ponte, 2007 ; Illy & Viani, 2005 ;
Massia, Blanc & Rombouts, 1995
Espèce
Arabica
Canephora
Variété
Bourbon, Moka, Maragogype, etc.
Robusta, Kouillou, Conilon
Amérique latine,
Asie du Sud-Est,
Afrique de l’Est
Afrique de l’Ouest
4-6 mètres
10-12 mètres
Autogame (Autopollinisation, 44
chromosomes), Semis
Allogame (Autostérile, 22
chromosome), Bouture
6-9 mois
9-11 mois
12-18 mm
8-16 mm
Fine et allongée
Ronde et plus petite
Moyenne à élevée (400 à 2000m)
Niveau de la mer à 1000 m
Pluviométrie
1500 mm/an minimum
2000 mm/an minimum
Température
18 à 22°C en moyenne, pas de gel
22 à 26°C, pas moins de 10°C
Plants par ha.
1300 à 2000
1100 à 1400
Aromatique, acide
Peu aromatique, amer
0,8 à 1,7 %
1,5 à 4 %
Région de prédominance
Hauteur en croissance libre
Reproduction
Maturité des cerises après
floraison
Longueur des cerises
Forme de la fève
Altitude
Caractéristiques sensorielles
Teneur en caféine
Par l’origine La qualité, au sein de ces différentes espèces et variétés de café, varie selon leur région
d’origine. Non seulement les caractéristiques botaniques, mais aussi les conditions agroclimatiques et les pratiques culturales, influencent la composition chimique et la structure du
café vert, et donc sa qualité gustative après torréfaction et préparation sous forme de boisson
(Perriot, Ribeyre, & Montagnon, 2003).
En France, l’Institut National de l’origine et de la qualité (INAO) protège les produits tirant
leurs caractéristiques des conditions agro-climatiques et des techniques utilisées sur un
territoire, par des appellations d’origine contrôlée ou protégée (AOP, AOC). C’est le cas, par
exemple, du Rhum de Martinique ou du Cidre de Cornouaille. Ces produits correspondent à
une espèce de canne à sucre ou de pomme spécifique, à une zone de production, et à un
itinéraire technique précis de culture, de récolte puis de transformation.
92
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Le concept de terroir regroupe tous les facteurs ayant un impact sur la qualité finale du
produit, et étant en lien avec son origine de production. Pour un produit d’origine végétale, le
terroir est la rencontre entre une plante, un environnement naturel et un savoir-faire humain
(Figure 14). Des cafés provenant de terroirs bien particuliers sont parfois appelés des « crus ».
Le Moka Sidamo d’Éthiopie, le Brésil Sul de Minas ou encore le Blue Mountain de Jamaïque
sont quelques crus célèbres de café.
Figure 14 - Les composantes du terroir caféier
Pour une région donnée, les caractéristiques botaniques du caféier diffèrent en fonction de
l’espèce et de la variété cultivée, et ont un impact sur les caractéristiques du café dans la tasse.
Les conditions agro-climatiques reconnues comme ayant un impact sur le café produit sont
liées à l’altitude, la pente, l’acidité du sol, la pluviométrie, la température, l’ensoleillement, ou
encore la présence d’ombrage par de plus grands arbres (Galland, Avelino, Larrain, &
Montagnon, 2006). Des cafés issus d’un même pays d’origine, et d’une même variété, ont
donc des profils sensoriels proches, mais qui varient selon l’implantation de la parcelle
(Aguilar, Ribeyre, Escarramán, Bastide, & Berthiot, 2012).
En altitude ou sous couvert forestier, par exemple, la maturation du fruit du caféier est plus
lente. Cela permet à la cerise de se charger progressivement en sucres et d’atteindre un taux
final plus élevé. Ces sucres sont des précurseurs d’arômes, se développant ensuite lors de la
torréfaction. Les arbres d’ombrage, en plus d’abaisser la température, permettent de protéger
les caféiers de fortes pluies, de vents violents, du gel. Ils réduisent la propagation des
maladies, permettent de contrôler l’érosion des pentes, réduisent les besoins en irrigation et
maintiennent un sol plus fertile, nécessitant moins d’apports de nutriments. D’un point de vue
environnemental, les forêts d’ombrage permettent aussi de préserver la faune locale. Le label
93
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
“Bird Friendly”17, peu connu en France, garantit un café produit selon les standards de
l’agriculture biologique et sous couvert forestier.
Les pratiques culturales ayant un impact sur le café produit sont présentes tout au long du
parcours agricole du café. Il s’agit de la sélection des grains de café à repiquer pour préparer
les plantules qui remplaceront les arbres actuels, de la manière de récolter les fruits sur
l’arbre, de la taille des rejets, du sarclage des mauvaises herbes, ou encore de l’épandage de
matière organique autour des caféiers (restes de coques issues du tri du café vert par
exemple). En particulier, les techniques de récolte, d’extraction du café vert et de triage des
grains ont un rôle clé dans la détermination de la qualité et du prix du café vert. Nous
détaillerons dans les parties suivantes les différentes modalités techniques possibles à ces
étapes, et leur impact sur la différenciation verticale du café vert par les torréfacteurs. Toutes
ces techniques, relevant d’un savoir-faire local, ont un impact sur la qualité matérielle du café
comme boisson.
Dans plusieurs régions du monde productrices de café, des démarches visent à mettre en place
des indications géographiques comme les AOP ou les AOC en France. Cependant ces
démarches sont difficiles à entreprendre, car établir le lien entre qualité et origine nécessite
d’aller vers un consensus des caractéristiques de la typicité des cafés d’une région, et donc de
faire converger les pratiques culturales afin que la production soit plus uniforme (Dulcire,
2005). Or, nous allons voir que les itinéraires techniques possibles sont nombreux lors de la
récolte et du traitement post-récolte.
L’origine des cafés est néanmoins de plus en plus mentionnée en grande distribution, parfois
associée à une brève description du profil sensoriel du produit. La marque L’Or a par exemple
sorti deux nouvelles dosettes de « pures origines » en 2014. Le premier est de Papouasie
Nouvelle Guinée, des hautes « Terres de Kundu », et présente « un goût typé aux arômes
fruitées et aux notes de bois doux » avec une intensité 7. Le deuxième est du Kenya, des hauts
plateaux de la « Terre des Masaïs » et est qualifié d’acidulé et floral, avec une intensité 5. De
plus en plus de marques nationales ou de distributeur proposent ainsi, moulu ou en dosettes,
une variété de cafés de différentes origines.
Cependant, une étude réalisée sur 20 cafés vendus dans la grande distribution en France a
montré que les cafés d’une même marque de distributeur, de différentes origines ou
assemblages, étaient plus proches les uns des autres d’un point de vue sensoriel, que des cafés
17
« Ami des oiseaux » - Label créé par le Smithonian Migratory Bird Center du National Zoological Park,
Washington D.C. (USA) http://nationalzoo.si.edu/scbi/migratorybirds/coffee/
94
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
de Colombie de différentes marques (Perriot et al., 2003). Une autre étude montre que les
consommateurs semblent être conscients que l’origine seule ne détermine pas la qualité
sensorielle d’un café. Certes, l’origine est le facteur influençant la qualité du café sous forme
de boisson le plus fréquemment cité par les 172 consommateurs interrogés. Mais la plupart
considèrent que le facteur influençant le plus fortement la qualité est plutôt l’espèce botanique
ou la marque (Galland et al., 2006).
Cependant, au-delà du profil sensoriel, en faisant référence à un paysage, à une culture, à des
traditions, la mention d’une origine peut avoir un impact sur la qualité symbolique du café.
L’origine peut également être un indice de qualité globale. Ainsi en 2001, le robusta du
Vietnam est bien moins côté que les robustas provenant d’autres origines, tandis que les
arabicas naturels d’Éthiopie, ou les arabicas doux de Colombie, sont bien plus côtés que ceux
d’autres provenances ((B. Daviron, 2003), d’après les données de l’ICO).
Pour le torréfacteur, différentes origines de café correspondent à différents prix, et à différents
profils gustatifs. Cette double différenciation se retrouve de plus en plus souvent dans la
grande distribution. Les cafés sur lesquels apparait une indication d’origine sont vendus plus
cher que ceux sans indication, créant de la différenciation verticale. Une marque peut ensuite
proposer plusieurs cafés de différentes origines et profils gustatifs à des prix équivalents,
créant de la différenciation horizontale (Figure 15). En restauration, des cartes de cafés par
origine existent mais sont relativement peu présentes.
Figure 15 - Différenciation verticale et horizontale des cafés par l'origine en grande distribution
95
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par le type de récolte La récolte a lieu une fois par an près des tropiques et deux fois par an à proximité de
l’équateur. Les périodes de récolte varient selon les régions, en fonction des périodes pendant
lesquelles la pluviométrie est importante. Dans l’hémisphère nord, la récolte de café s’étale
d’octobre à janvier. Dans l’hémisphère sud, elle a lieu d’avril à juin. Plus l’altitude est élevée,
plus la maturation des fruits est lente et plus la récolte est tardive.
Une période sèche précédant une forte pluie favorise la synchronisation de la floraison sur
l’arbre. La cerise, fruit du caféier, est mûre environ huit mois plus tard pour les arabicas, un
peu plus pour les robustas.
La floraison du caféier a lieu deux à huit fois par an selon les épisodes pluvieux. Sur une
même branche peuvent donc coexister des fleurs, des cerises vertes, jaunes, oranges, rouges
ou noires (Photo 1). Au Brésil, les cerises sont parfois récoltées noires et séchées sur l’arbre,
ce qui confère au café un arôme particulier. Seules les cerises rouges sont mûres à point et
développeront tous leurs arômes lors de la torréfaction. Noires, elles sont trop mûres et
dégageront après torréfaction un arôme désagréable. Vertes, elles ne sont pas assez mûres,
peu chargées en sucres et dégageront donc moins d’arômes lors de la torréfaction. Il existe
plusieurs techniques de récolte. Selon la technique utilisée, la maturité des fruits récoltés est
plus ou moins homogène, et le goût du café dans la tasse sera plus ou moins équilibré.
Photo 1 - Cerises rouges et vertes sur une branche de caféier (Crédits Photo : C. Joannes-Dumec) et
cerises à différents degrés de maturité (Crédits photo : L. Mathys)
Parmi les techniques de récolte, le Picking, ou « cueillette », consiste à cueillir manuellement
uniquement les cerises rouges, une à une. Pour récolter tous les fruits à un degré de maturité
optimal, plusieurs passages sont nécessaires. Cette technique, très coûteuse en main d’œuvre,
est surtout utilisée pour l’arabica.
Le Stripping, ou « effeuillage », consiste à tenir l’extrémité de la branche d’une main, tandis
que la deuxième main glisse tout du long en arrachant le branchage : cerises rouges, cerises
vertes, feuillage. Les cerises mûres tombent plus facilement et les cerises vertes restent
accrochées à la branche. Cette technique est notamment utilisée au Vietnam. Elle est parfois
facilitée par l’utilisation d’un outil, tel qu’un peigne à plusieurs dents.
96
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Il existe ensuite plusieurs méthodes mécaniques. L’une d’elle consiste à fixer un appareil
faisant vibrer le tronc du caféier, les cerises mûres tombant sur des bâches disposées au sol.
Une autre technique consiste à frotter les branches à l’aide de brosses rotatives fixées sur de
hauts tracteurs. Les tracteurs passent alors au-dessus de rangées de caféiers, comme lors de
vendanges mécanisées du raisin par exemple. Ce type de récolte est notamment utilisé dans de
gigantesques « champs » de caféiers dans les plaines du Brésil.
La méthode manuelle, dite « de Picking », est la seule permettant de cueillir des cerises
rouges seulement, à un degré de maturité homogène, alors même que différents stades de
maturation sont présents sur une même branche. Les autres techniques ne distinguent pas
aussi finement les cerises selon leur maturité et mélangent cerises rouges et vertes. Pour
préserver la qualité du café, il conviendra donc de trier les cerises après récolte afin d’écarter
les cerises sèches, vertes ou pourries. Bien que garantissant des cerises mûres seulement, la
méthode de Picking est aussi la plus fastidieuse ; elle permet de récolter autour de 50 kilos par
jour et par personne, contre environ 50 tonnes par jour pour une récolte mécanisée dans les
plaines du Brésil.
La technique de récolte utilisée a un impact significatif sur la qualité du café vert et sur son
prix. Cependant, cette caractéristique de qualité est très peu connue du grand public et n’est
jamais mise en avant, ni dans la grande distribution, ni dans la restauration.
Par la méthode d’extraction du café vert Les cerises mûres récoltées contiennent chacune deux grains, ou fèves, en forme de demisphère. Chaque grain est traversé par un sillon central. Dans la cerise, ces grains sont entourés
de pulpe, également appelée mucilage, et d’une enveloppe. Les grains de café vert sont
extraits lors d’un traitement post-récolte. Cette extraction est réalisée au niveau de la
plantation ou de la coopérative, avant exportation. Il existe deux méthodes principales
d’extraction des grains de café : la voie sèche et la voie humide.
La voie humide est surtout utilisée après une récolte de type Picking car elle nécessite des
cerises de maturité homogène. Les principales étapes de cette voie sont synthétisées dans la
Figure 16. Dans les heures suivant la récolte, les cerises sont dépulpées mécaniquement :
l’enveloppe, ou la peau, et une partie du mucilage, sont séparées des grains par compression à
l’aide d’un dépulpeur mécanique manuel ou motorisé. Un premier lavage, avant ou après cette
étape, permet de conserver uniquement les bonnes cerises ou les bons grains en les séparant
des autres par flottaison. Les grains contaminés par les bactéries, ou trop mûrs, flottent à la
surface, tandis que les grains sains restent au fond. On obtient des grains de café « en parche
97
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
humide» : chaque grain est encore entouré d’une mince pellicule, appelée parche, et d’une
partie du mucilage collant à la parche. Ce mucilage est éliminé par fermentation dans de
grandes cuves, ou dans des bassins, pendant 8 à 36 heures. Dans un café dont la fermentation
n’est pas bien maîtrisée (sur-fermentation, ou bac mal lavé dans lequel il reste des fèves
fermentées) peuvent se trouver des fèves pourries. Elles sont également appelées « fèves
puantes », et ne peuvent être détectées qu’à la torréfaction. Une seule d’entre elles peut altérer
un lot entier, donnant un goût fort désagréable au café sous forme de boisson.
Les grains encore munis de leur parche subissent ensuite un nouveau rinçage à l’eau, dans des
bassines ou dans de petits canaux entre différentes cuves. Après environ deux semaines de
séchage au soleil, sur sol cimenté ou sur claies, on obtient le « café en parche ». Les grains
sont déparchés par la coopérative agricole ou par un intermédiaire assurant aussi le
conditionnement, avant exportation.
La méthode humide est coûteuse en eau et en main d’œuvre, et nécessite des installations de
recyclage. Il n’est pas possible de la mettre en place dans tous les pays. Elle permet cependant
d’obtenir un café au profil sensoriel recherché par les acheteurs. Les différents lavages
adoucissent le café en réduisant son amertume, et la fermentation des cerises de maturité
homogène développe leur acidité et des arômes subtils. Les grains de café issus de cette
méthode sont appelés des cafés « lavés », «doux», «voie humide» ou encore « bleus », pour
ceux provenant d’Amérique Centrale. La voie humide est surtout utilisée pour l’arabica, c’est
par exemple le cas en Colombie, au Costa Rica, au Mexique.
Récolte Dépulpage 1er lavage, de tri FermentaVon 2ème lavage , de rinçage Séchage Déparchage Figure 16 – Principales étapes d’extraction du café vert par la voie humide
98
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
La voie sèche consiste à étaler les cerises récoltées sur de grandes surfaces, au sol ou sur des
claies, et à les laisser sécher au soleil (Photo 2). Il est nécessaire de les remuer régulièrement
et de les couvrir en cas de pluie, afin d’obtenir un séchage uniforme, d’empêcher la
fermentation et d’éviter l’apparition de moisissures pouvant altérer la qualité gustative du
café. Après deux à six semaines, la pulpe est desséchée et il reste uniquement dans la cerise
les deux graines se détachant de l’enveloppe : le « café en coque ». Les cerises sont ensuite
décortiquées à la machine. Cette voie d’extraction est peu coûteuse et ne nécessite pas d’eau,
mais elle comporte des risques d’altération du goût du café. La quasi-totalité du robusta est
traité ainsi, notamment car l’eau est peu disponible dans certaines régions où il est cultivé.
L’arabica traité par voie sèche est appelé arabica « dur », « naturel » ou « non lavé ». Il donne
une boisson plus corsée et avec moins de finesse.
Photo 2 - Séchage du café en claies, Guadeloupe (Crédits photo : C. Joannes-Dumec)
Le producteur agricole peut différencier son café et créer de la valeur ajoutée sur ses produits
en réalisant cette transformation post-récolte de l’extraction du café vert. Pour les arabicas
collectés selon la méthode de Picking, la voie humide permet d’obtenir des cafés au profil
aromatique complexe et subtil. Considérés comme de meilleure qualité, les arabicas doux se
vendent plus cher que les arabicas naturels, excepté celui d’Éthiopie vendu plus cher.
La distinction entre arabicas doux et arabicas naturels représente une différence de prix à
l’achat pour les torréfacteurs. Cependant, cette distinction n’est pas connue du consommateur
final et elle n’est pas mise en avant sur les produits, ni dans la grande distribution, ni dans la
restauration.
99
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par le nettoyage, le triage, le calibrage Une fois le café vert extrait, plusieurs opérations nécessaires avant l’export, comme le
déparchage ou le décorticage, sont réalisées au niveau de la coopérative ou d’une usine
intermédiaire.
Un nettoyage par aspiration, ou par vannage, permet de retirer les impuretés mélangées aux
grains : petits cailloux, poussières et autres débris de feuilles ou de branchage. Les grains sont
ensuite triés par densimétrie, puis par diamètre à l’aide de tamis. Des lots calibrés par grains
de même taille permettent une torréfaction homogène. Hormis pour le Moka Sidamo
d’Éthiopie, de gros grains sont considérés comme de meilleure qualité. Un triage manuel
permet d’écarter les derniers grains présentant des défauts, comme des grains noirs ou abimés.
Les différentes récoltes sont stockées et assemblées afin d’obtenir une qualité homogène,
notamment du point de vue colorimétrique. Une couleur uniforme est synonyme d’un séchage
uniforme, la teinte optimale étant un vert bleuté pour les cafés lavés. Puis, le café vert est mis
en sac de 60kg.
Selon l’espèce et la région d’origine, différents barèmes de qualité, coefficients ou grades sont
utilisés, afin de rendre compte de la qualité globale du café vert et de faciliter les échanges
entre exportateur et importateur. Ils se basent souvent sur le nombre de défauts par échantillon
(fèves noires ou avariées, débris de coques ou de parches) et prennent parfois en compte la
taille des grains ou l’altitude de production. Ce barème n’est que rarement associé à une
appréciation gustative. Cette indication de qualité globale a un impact sur le prix du café. Si le
torréfacteur achète son café vert en fonction de ce grade de qualité, celui-ci n’est jamais
connu du consommateur final, ni en grande distribution, ni en restauration.
Par les labels de développement durable relatifs à la production Les critères de différenciation évoqués jusque-là sont majoritairement incorporés au produit.
Ils ont un impact sur la qualité matérielle du café vert, puis sur celle du café torréfié et préparé
en boisson. Parmi les critères de différenciation ayant un impact sur la qualité symbolique,
figurent les labels indiquant une démarche durable utilisée lors de la production ou du
commerce du café vert. Le développement durable dans la filière du café inclut des enjeux
environnementaux, économiques et sociaux. Les principales démarches visant à faire face à
ces enjeux sont celles de l’agriculture biologique et du commerce équitable (Tableau 4). Ces
démarches reposent sur un cahier des charges concernant les conditions de production et
d’échanges du café vert, plus strict que la réglementation en vigueur en la matière.
100
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
L’application volontaire du cahier des charges est vérifiée par des organismes certificateurs
agréés et indépendants. Les labels peuvent être la propriété de gouvernements (AB appartient
au ministère français de l’agriculture) ou d’ONG (Max Haavelar pour le commerce équitable),
assurant la promotion du label. Certains labels de développement durable rassemblent
différents éléments provenant de ces principales démarches : c’est le cas d’Utz Certified, de
Rainforest Alliance ou de Common Code for Coffee Community. Les labels de
développement durable relatifs à la production n’ont pas d’impact sur la qualité matérielle du
café. Ils sont très connus du grand public, le café est ainsi l’un des premiers produits vendu du
commerce équitable. Ces labels sont de plus en plus mis en avant dans la grande distribution,
aussi bien par les marques nationales que par les marques de distributeurs. Le développement
durable est une tendance de consommation lourde depuis maintenant plusieurs années.
Finalement, toutes les caractéristiques du café vert précédemment détaillées ont un impact sur
le prix du café vert pour le torréfacteur, et sur la qualité matérielle ou symbolique du café
torréfié, mais très peu sont valorisées dans la restauration, comme le montre le Tableau 5.
Ainsi, en moyenne, l’arabica est plus cher que le robusta, l’arabica doux plus cher que
l’arabica naturel, et celui de Colombie plus cher que celui du Brésil (Figure 17). Le prix du
café vert augmente aussi avec le grade de qualité et la présence d’un ou plusieurs labels. Et,
bien sûr, plus un café est rare et demandé, plus son prix augmente. Ainsi le Blue Mountain de
Jamaïque, dont la production est faible et convoitée par le Japon, s’échange à prix d’or.
Historiquement, ce café vert n’est pas transporté en sacs de toile de jute mais dans des
tonneaux en bois ayant servi au vieillissement du rhum. C’est toujours le cas aujourd’hui, ce
qui permet de ne pas en perdre un grain et de développer une image spéciale de ce produit.
Enfin, plus les stocks et l’offre sont faibles au niveau mondial, plus le cours du café grimpe,
quelles que soient ses caractéristiques.
101
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Tableau 4 – Exemples de labels de développement durable associés au café
Types de
démarche
Agriculture
Biologique
Commerce
Équitable
Café
d’ombrage
Principe
Exemple de
Applications
label
Pratiques respectueuses des équilibres
écologiques et de l’autonomie des
producteurs
Assurer un revenu décent au producteur,
favoriser le développement social,
préserver l’environnement
Préserver la biodiversité et l’habitat des
oiseaux migrateurs dans la canopée
Et aussi :
Utilisation minimale d’intrants
minéraux, gestion préservant
l’harmonie écologique
Prix de référence et prime sociale +
prime qualité et biologique si
applicable - Préfinancement des
récoltes pour la trésorerie.
Culture sous couvert forestier, pas de
déforestation
(4C)
Tableau 5 - Critères d'achat du café vert, modalités recherchées et valorisation dans la grande
distribution et en restauration
Critères d’achat
du café vert
Espèce, variété
Grade, calibre
Origine
Extraction
Conditions de
production
+
Recherchés
Arabica
Gros grains, absence
de défauts
Colombie,
Costa Rica
Café « doux »,
voie humide
Agriculture
Biologique, Etc.
Recherchés
Robusta
Petits grains,
défauts
Vietnam, Brésil
(Robustas)
Café « naturel »,
voie sèche
Valorisation en
grande distribution
+++
Valorisation dans la
restauration
=
-
-
++
=
-
-
Pas de label
+++
=
Figure 17 - Indices de prix par groupe de café vert en cents de dollars US, d'après les données de
l'International Coffee Organization (2014)
102
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
3.2.2. Les sources de différenciation du café torréfié produit par le torréfacteur En Europe, le café vert importé arrive principalement au port d’Anvers, en Belgique, ou à
Marseille ou au Havre pour la France. L’unité d’achat est le container de 19 tonnes de café.
Le café vert, une fois acheté, est stocké dans les ports avant son envoi à la demande au
torréfacteur. En effet, le café vert se conserve plus longtemps que le café torréfié. Pour cette
raison, le café est torréfié non pas dans le pays de production mais plutôt dans le pays de
consommation, ou tout du moins au plus proche du consommateur.
Par le contrôle qualité Le café vert ne contient pas d’arômes mais seulement leurs précurseurs, les arômes se révélant
à la torréfaction. Les critères de qualité comme la variété, le grade et l’origine ne permettent
pas à eux seuls de rendre compte du profil sensoriel que pourra présenter un café vert une fois
torréfié. Par conséquent, les achats de lots de café vert sont, la plupart du temps, précédés de
dégustation sur la base d’échantillons. Le contrôle de la qualité du café vert arrivant chez le
torréfacteur repose d’abord sur l’examen de son apparence et sur le nombre de défauts
présents dans un échantillon de 300 grammes. Puis un échantillon est torréfié et préparé sous
forme de boisson afin d’en évaluer les qualités gustatives. Un nouveau contrôle est
généralement effectué à réception du lot acheté, puis juste avant torréfaction. La bonne
connaissance du profil sensoriel de chaque arrivage de café permettra ensuite de déterminer la
composition des assemblages. Différents cafés permettent d’élaborer des assemblages aux
profils sensoriels distincts. Différentes qualités de café en termes de présence de défauts ou de
complexité aromatique permettent d’élaborer des assemblages de cafés de différents niveaux
de gamme.
De ce point de vue, la différenciation verticale créée par les grades se transmet jusqu’au
consommateur final en grande distribution, par l’intermédiaire du prix du café. Un café
proposé à un prix très bas dans un supermarché, est vraisemblablement produit à partir d’un
café vert de grade inférieur ou de qualité sensorielle moindre.
103
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par la torréfaction La torréfaction est l’étape de production et de transformation du café impactant le plus
l’arôme du café boisson (Sunarharum, Williams, & Smyth, 2014). Durant la torréfaction, le
café est « grillé », par exposition à une chaleur élevée. La caramélisation et la réaction de
Maillard permettent aux précurseurs présents dans le café vert de se développer. La réaction
de Stuker modifie la pigmentation des grains.
La torréfaction génère une augmentation considérable des composés aromatiques et est
directement reliée à la qualité du café dans la tasse. Selon le couple temps-température
appliqué au café vert et la dynamique selon laquelle la température augmente, le résultat de la
torréfaction varie.
Plus le degré de torréfaction est avancé, plus l’eau contenue dans le grain s’évapore. Le grain
de café perd ainsi 20 à 30% de son poids. Le grain gonfle et craque, il gagne en volume, de
60% en moyenne et jusqu’à 100% pour une torréfaction poussée. Au fur et à mesure de la
torréfaction, le grain se pare d’une pigmentation de plus en plus foncée. Plus le degré de
torréfaction augmente, plus le pH de la boisson sera élevé (Figure 18).
Figure 18 - Transformations survenant avec l'augmentation du degré de torréfaction
Il existe différentes méthodes de torréfaction. Chacune correspond à un rendement et à un
résultat différent du point de vue aromatique. Plus la torréfaction est rapide et à température
élevée, plus le rendement est important et moins les arômes se développent (Tableau 6).
104
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Tableau 6- Les différents types de torréfaction, selon Jeanguyot et al. (2013) et Massia, Rombouts & Blanc
(1995)
Torréfaction
Durée
Température
Rendement
Développement des
arômes
Lente
10 à 20 minutes
100 à 230°C
720 kg/h
+
Rapide
4 à 10 minutes
500 à 800°C
1500 kg/h
=
90 secondes
800°C
4 t/h
-
Flash
La torréfaction lente, dite « traditionnelle », est une opération techniquement simple au
premier abord. Le café est versé via une trémie dans les torréfacteurs : de larges cuves
cylindriques en position horizontale. Ces tambours métalliques sont portés à haute
température par rotation continue au-dessus de brûleurs. La température dans la cuve chute à
l’arrivée du café vert, et remonte progressivement à 220-230°C en dix à vingt minutes. Ce
couple temps-température laisse le temps à la réaction de Maillard entre sucres et acides
aminés de se produire, et donc aux arômes de se développer. C’est pourquoi le développement
des sucres dans la cerise cueillie à maturité est aussi important. D’autres types de torréfaction,
appelées « rapide » ou « flash », peuvent être utilisées. Ces méthodes ont un rendement plus
élevé, la perte en eau dans le produit est plus faible et le développement aromatique moindre.
Le degré de torréfaction agit sur la couleur du grain et sur son profil gustatif. Selon le marché
auquel le café est destiné, il existe différentes cibles de torréfaction. Une torréfaction légère
donne un café acidulé, au corps léger et avec des arômes doux. Cette torréfaction, « Blonde »
ou « Light roast » se prête à la préparation de café filtré et est très répandue dans les pays du
nord de l’Europe. Les arômes les plus complexes sont formés au cours d’une torréfaction
moyenne, appelée « Robe de moine », « Ambrée », « Medium Roast » ou « Continentale ». Il
en résulte un café plus équilibré, moins acide, un peu plus amer. Ce type de torréfaction est
apprécié en France et en Allemagne par exemple. Enfin, la torréfaction « Brune », « Foncée »
ou « Full Roast » donne un café torréfié très foncé et une boisson amère, sans acidité et avec
des arômes de grillé. Cette torréfaction est plus adaptée à la préparation en expresso et plus
présente dans le sud de l’Europe, en Espagne ou en Italie.
La dynamique de torréfaction optimale varie aussi selon la variété, la taille des grains, le
pourcentage d’humidité ou le taux de sucre. Les mélanges de plusieurs cafés se font donc si
possible après torréfaction. Appliquer le bon couple temps-température et stopper la
torréfaction au moment adéquate en prêtant attention aux signaux visuels, olfactifs et auditifs,
nécessite un véritable savoir-faire, qu’il faut mettre en œuvre pour chaque batch de café.
105
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Une fois le point de torréfaction cible atteint, le torréfacteur est relevé à la verticale afin que le
café tombe dans un bac de refroidissement. Le café peut être refroidi à l’air ou à l’eau. Lors
du refroidissement à l’air le café est simplement brassé dans un bac circulaire au contact de
l’air, le temps nécessaire pour stopper la torréfaction. Afin que ce processus soit plus rapide,
de l’eau peut être vaporisée sur les grains de café, au risque cependant de détériorer la qualité
organoleptique du café en l’oxydant et en bloquant le développement de ses arômes. La loi
autorise un taux d’humidité de 5% dans le produit fini, cependant plus d’humidité peut
signifier, pour un poids identique dans le paquet, moins de produit pour le consommateur ou
le client professionnel.
À chaque variété, chaque terroir de café et chaque type d’utilisation prévue du café
correspond une torréfaction optimale. La méthode de torréfaction utilisée et la courbe de
temps-température ont un impact considérable sur le profil sensoriel du café dans la tasse.
Dans la grande distribution, cet aspect est assez peu mis en avant. Cependant des mélanges
aux noms évocateurs de la force comme « Ristretto » ou « Forza », avec des notes d’intensité
plus élevées, sont généralement synonyme d’une torréfaction plus forte que des cafés aux
noms évocateurs de douceur comme « Satinato » ou « Sontuoso », dotés d’une note
d’intensité plus faible (exemples issus de la collection de capsules L’Or espresso). Au lieu de
faire appel au concept d’intensité pouvant porter à confusion, dans la restauration, Starbucks
décline directement sa gamme de café dans trois catégories : torréfaction blonde, ambrée et
brune. Cependant cet exemple est le seul cas où la torréfaction du café est mise en avant dans
la restauration.
Par l’assemblage Le cœur du métier de torréfacteur est d’assurer une qualité gustative constante, avec une
matière première naturellement variable. Hormis les cafés d’origine unique, chaque référence
ou « mélange » est un assemblage de cafés d’origines variées. Les périodes de récolte varient
selon les régions et, à chaque période de l’année, différents cafés sont disponibles. Il faut
pallier à l’absence de certaines origines dans un mélange, en les remplaçant par d’autres aux
profils sensoriels voisins. Les recettes de base doivent être continuellement adaptées selon les
arrivages en usine et la dégustation des échantillons par les experts, afin que chaque mélange
ait une saveur stable.
Ce savoir-faire, peu connu, a un impact important sur la stabilité du profil sensoriel des
produits. Il est quelque peu mis en avant par la marque Illy, vendue principalement dans la
restauration, et prônant la constance de son mélange unique issu de 9 crus d’arabicas
106
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
différents. L’art de l’assemblage, c’est aussi la capacité à formuler des recettes aux notes
plutôt fruitées et florales, ou plutôt boisées et cacaotées par exemple, selon le profil sensoriel
recherché.
De ce point de vue, l’assemblage est mis en avant dans la grande distribution lors de la
commercialisation de mélanges pour lesquels ne sont pas indiquées la variété ou la
provenance, mais des indications comme « Le doux », « Le corsé », ou « Le fruité ».
Par la mouture et le conditionnement Une fois refroidi et éventuellement mélangé à d’autres origines, le café peut-être moulu, selon
son utilisation prévue : mouture fine pour expresso, épaisse pour cafetière à piston, ou
mouture intermédiaire pour filtration. Le café se conserve mieux en grain que moulu. Dans la
restauration, il est généralement moulu sur place. Le café est ainsi plus frais, et moins cher à
l’achat pour les professionnels. Lorsqu’il s’agit de doses, la mouture et le dosage sont faits par
le torréfacteur, ce qui réduit la variabilité de qualité du café liée à la préparation.
Qu’il soit en grain ou moulu, afin de conserver ses arômes et d’éviter l’oxydation, le café doit
être emballé le plus rapidement possible. Mais, après torréfaction, le café dégaze du dioxyde
de carbone en continu pendant plusieurs jours, ce qui provoque le gonflement du paquet. Pour
y remédier, le café peut être conditionné dans des sachets portant une valve, qui laisse
s’échapper le dioxyde de carbone mais ne laisse pas rentrer l’oxygène, ou dans une boîte ou
un bidon en métal, qui supportent la pression et ne se déforment pas. Seuls ces types
d’emballages sont la garantie de la fraîcheur du produit, mais ils sont aussi plus chers. Le café
contenu dans d’autres types d’emballage doit reposer plus longtemps avant conditionnement
afin que le dioxyde de carbone formé s’échappe. Il perd par la même occasion une partie des
arômes issus de la torréfaction.
Le café destiné au marché de la restauration est le plus souvent vendu en grains ou en doses.
Pour le café en grains il s’agit de sachets de un ou trois kilos, ou de bidons en métal de trois
kilos, directement fixables au moulin. Pour les doses, il s’agit de doses professionnelles
individuelles conditionnées en quantité plus importante que pour la consommation à domicile.
Plus les procédés utilisés après torréfaction sont nombreux (mouture, dosage, emballage) et le
conditionnement qualitatif, plus le produit est cher.
Généralement, dans la restauration, seules les indications visuelles comme la présence d’une
machine à doses, d’un moulin ou d’un bidon de café, permettent, si on les recherche, de savoir
si le café est moulu sur place ou non, et comment il a été conditionné.
107
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par l’image de marque et la qualité symbolique À l’échelle du torréfacteur, chaque « maison de café » cultive une image différente. Des
caractéristiques non-incorporées, telles que la marque, l’étendue de la gamme de produits, le
nom des mélanges, la description de leur composition ou de leur profil gustatif, ont un impact
sur la qualité symbolique des produits. Certains éléments de communication projettent le
consommateur dans la filière de production en faisant référence au commerce équitable, aux
producteurs, aux origines (comme dans les publicités Malongo ou Jacques Vabre par
exemple). D’autres projettent plutôt le consommateur dans une atmosphère évoquant le mode
de consommation du café serré à l’italienne, ou rappelant le luxe et la volupté (comme dans
les publicités Nespresso ou L’Or).
Le café est un produit pour lequel la qualité symbolique peut être influencée par une
communication axée aussi bien autour de la filière de production, que de la torréfaction, ou de
son contexte de consommation. En effet, ces trois univers sont très connotés. La production
agricole du café est exotique et invite au voyage, mais elle est aussi très liée à l’histoire de
l’esclavage et à des conditions de travail toujours difficiles de nos jours. La torréfaction peutêtre traditionnelle et nécessite un savoir-faire spécifique, mais dans les grands groupes elle est
surtout à échelle industrielle. Aussi, souvent, les torréfacteurs construisent leur image de
marque par de la publicité liée au contexte de consommation du café et à la notion de plaisir,
de dégustation, de convivialité (ex : « Grand-mère sait faire un bon café », « Carte Noire, un
café nommé désir »).
La publicité nécessaire au développement d’une image de marque forte coûte très cher. Ces
différentes images de marque ne sont pas liées à la qualité matérielle mais à la qualité
symbolique des produits proposés par les torréfacteurs. Elles sont très présentes en grande
distribution par le biais des emballages et créent une différenciation verticale par les prix.
Dans la restauration en revanche, les marques ne s’affichent que par un logo ou un motif sur
la tasse et sont peu mises en avant auprès des consommateurs. Les marques de torréfaction
spécialisées dans la restauration comme Folliet ou Richard sont peu connues du grand public,
hormis peut-être Lavazza et Segafredo.
108
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Par le profil sensoriel Le café peut emprunter différents chemins le menant de sa production agricole à son arrivée
dans un restaurant. À chaque étape de la filière, il existe un panel de possibilités techniques,
agricoles puis industrielles. De chacune de ces étapes découlent des caractéristiques
sensorielles pouvant se retrouver dans le profil du produit : longueur en bouche, amertume,
acidité, arômes liés à la fermentation et à la torréfaction. Lors de la dégustation d’un café dans
un cadre professionnel, visant à décrire objectivement ses spécificités sensorielles en
comparaison à d’autres cafés, plusieurs descripteurs clés sont utilisés.
Le premier groupe de descripteurs concerne les saveurs, que l’on peut ressentir même avec le
nez bouché. Il s’agit de l’acide, de l’amer, du sucré et du salé. Un café peut présenter une
acidité faible, moyenne, franche ou aucune acidité. Il peut être légèrement sucré, on dit alors
qu’il est suave, doux ou soyeux. Combiné avec une légère acidité, il est alors acidulé.
Beaucoup de cafés présentent aussi une certaine amertume, légère ou très marquée. Un café
dit « équilibré » est aussi acide qu’amer, quels que soient les niveaux d’intensité d’acide et
d’amer. Il peut aussi être qualifié de « rond » ou ayant une « belle rondeur ».
Le deuxième groupe de descripteurs concerne les arômes. Il en existe plusieurs familles.
Certains arômes sont plutôt fruités, floraux, végétaux ou animaux par exemple. Puis, parmi
les arômes végétaux, on distingue celui de la paille de celui de l’herbe fraîche ou encore de
celui de l’herbe coupée. Afin de se familiariser aux arômes présents dans le café, des coffrets
existent permettant de s’entraîner à la reconnaissance de familles ou d’arômes précis18. Ces
arômes peuvent être faibles, discrets ou intenses, puissants. Ils peuvent être simples ou
complexes selon la présence d’un plus ou moins grand nombre de notes aromatiques. Ces
arômes peuvent persister en bouche plusieurs secondes après la déglutition, on parle alors de
longueur en bouche, de persistance, de rémanence ou de caudalies.
Le troisième groupe de descripteurs concerne les sensations en bouche comme la chaleur, la
texture, ou l’astringence (assèchement des papilles). Plus un café est épais et consistant en
bouche, plus on dit qu’il a du corps, qu’il est corsé. Cette notion est souvent confondue avec
la notion d’intensité. Cependant il est vrai que des cafés plus amers et plus puissants sont
souvent plus corsés.
Les torréfacteurs ont une idée précise des caractéristiques du café vert et de la torréfaction
menant à un café de qualité supérieure. Ils semblent donc pouvoir s’accorder sur son profil
18
Cf. par exemple « Le Nez du café », de Jean Lenoir
109
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
sensoriel. Au contraire, les consommateurs ne s’estiment pas capables de juger de la qualité
d’un café en le goûtant.
Les profils sensoriels des cafés sont de plus en plus souvent décrits succinctement sur les
emballages dans la grande distribution. Cependant, comme pour l’œnologie, les termes
utilisés sont parfois un peu trop abstraits et manquent d’uniformité, de sorte que les
consommateurs ne se sentent pas compétents en matière de descripteurs de café et sont en
difficulté pour exprimer leurs préférences (Cf. Chapitre 1). Une comparaison entre le
vocabulaire qu’ils utilisent et celui présents dans quelques cartes de café observées dans la
restauration permet de mieux se rendre compte de ce décalage (Figure 19). Les termes
présents dans les cartes de cafés relèvent d’un lexique plus imagé. Ces figures de styles
utilisées pour mettre en avant les produits auprès des clients, s’éloignent de la description
objective et pourraient en fait brouiller l’information sur les profils sensoriels des produits.
Figure 19 - Comparaison du vocabulaire utilisé pour décrire le café par les consommateurs en entretien et
dans quelques cartes de cafés provenant de la restauration
110
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
4. Analyse et discussion À l’issue de cette description des acteurs de la filière, de leurs activités et des produits
échangés, la dynamique menant au « café-commodité » vendu dans la restauration apparaît
clairement. À chaque niveau de la filière du café en restauration, les acteurs achètent des
produits différents (Figure 20).
Les torréfacteurs achètent du café vert, dont ils évaluent la qualité principalement sur la base
de caractéristiques incorporées, différenciant les produits de manière substantielle. Ils
subissent les variations de production, de qualité et de prix directement. Ils voient les produits
avec des lunettes permettant d’évaluer la qualité matérielle du café vert ou torréfié et de la
future boisson.
Les restaurateurs évaluent le produit acheté en fonction de la qualité matérielle du café et de
son prix mais aussi en grande partie en fonction des prestations transitoires et intangibles
comme la livraison, le prêt de matériel, le dépannage, ou l’animation commerciale. Pour une
qualité de café donné, le prix est fixé par un contrat en fonction du volume commandé et du
niveau de service associé. Les restaurateurs choisissent les produits avec des lunettes leur
permettant d’évaluer la qualité du service. Ceci peut expliquer pourquoi, dès l’arrivée dans le
restaurant, l’information quant à la qualité matérielle du café passe au second plan. Le
restaurateur n’est pas tenu légalement de communiquer d’information sur l’origine ou la
composition de son café, et ne s’y intéresse pas nécessairement. Dès lors, ces informations
restent souvent inconnues pour les consommateurs. Le café est vendu au consommateur final
« nu », et incorporé dans une offre globale de repas. Souvent, il ne subsiste que le logo du
torréfacteur, présent sur les tasses également fournies à l’établissement.
111
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
Figure 20 - La filière du café-commodité dans la restauration
À l’échelon du restaurateur, les caractéristiques liées aux services se substituent à celles liées
à la qualité matérielle du café précédemment prises en compte par les torréfacteurs. Du point
de vue de la qualité de service, l’offre est assez peu différenciée, puisque la plupart des
torréfacteurs proposent « un café », la mise à disposition d’« une machine », avec « un SAV»
et « des tasses ». Ce qui conduit les restaurateurs à proposer au consommateur final une offre
assez standard également : « un café », dans « une tasse » avec « un sucre ». Le café seul a
alors peu d’impact sur l’offre globale proposée par les restaurateurs, ce qui peut les
encourager à se fournir au moins disant sur le prix, ou au plus disant sur les services. Et ce
d’autant plus qu’ils sont souvent confrontés à des obligations de réduction de coûts (baisse du
budget des ménages pour la restauration, augmentation des coûts des matières première, ou
encore augmentation de TVA). La faible différenciation de l’offre proposée aux restaurateurs
est problématique, puisqu’elle contribue à une concurrence basée sur la réduction des prix et
l’augmentation des services pour les torréfacteurs. Cette compétition ne crée pas de valeur et
diminue peu à peu la profitabilité du secteur. Elle est intensifiée par une concurrence forte et
un pouvoir de négociation important des distributeurs.
Le flux d’information dans la filière concerne les produits échangés. Puisque ceux-ci diffèrent
à chaque niveau de marché, la transmission de l’information est imparfaite. L’information sur
112
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
la différenciation existant en amont n’est pas transmise jusqu’en aval de la filière. À cette
transmission imparfaite de l’information sur le produit, s’ajoute une transmission aléatoire de
la qualité, sur laquelle nous reviendrons plus en détail par la suite. Un très bon cru de café
peut être dégradé par de mauvaises pratiques : stockage inadéquat, préparation inadaptée ou
mauvais service. Le choix du gérant peut aussi dès le départ se porter sur un café bas de
gamme. Alors que le professionnel de la restauration, prescripteur du produit, connaît la
qualité du café qu’il a acheté et le soin qu’il porte à sa préparation et à son service, les
consommateurs n’ont quasiment aucun renseignement leur permettant de juger la qualité d’un
expresso avant qu’il leur soit servi.
De ce fait, on peut parler d’une asymétrie d’information importante pour le café
commercialisé en restauration. La qualité du café étant inconnue et aléatoire, les
consommateurs ont de faibles attentes et une faible valeur perçue de l’offre. Les cafés de
qualité sont peu présents à la vente, car leur qualité ne peut être signalée, et les
consommateurs ne sont pas prêts à payer le prix fort. Dans ces conditions, ces attentes
deviennent réalité, puisque le marché tend vers un équilibre d’une offre de moindre qualité
pour un moindre prix, avec comme répercussion une faible rémunération répartie sur toute la
filière amont. Ce mécanisme de « sélection adverse » sur le marché du café s’apparente au
marché des lemons rendu célèbre par Akerlof. Sur ce marché des voitures d’occasion, les bons
véhicules ne peuvent se démarquer et par conséquent on ne trouve plus que des épaves, des
"lemons" (Akerlof, 1970).
Cette faible qualité est d’autant plus facile à proposer par les restaurateurs que le café dans la
restauration, au-delà de la dégustation, correspond à des fonctions physiques, symboliques et
sociales pour les consommateurs. Si la qualité du café diminue dans un établissement, il
continuera dans une certaine mesure à être consommé pour ces autres fonctions.
113
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
5. Conclusion du chapitre 2 En conclusion, la valeur ajoutée du produit final est faible, alors que de nombreuses
caractéristiques porteuses de valeur sont présentes en amont. Les clients de la différenciation
sont les torréfacteurs et non les consommateurs finaux. Dans la restauration, la différenciation
n’est pas transmise jusqu’à eux, et peu de valeur est en fait créée dans la filière.
Dans « Les qualités d’un café » (Perriot et al., 2003), J-J. Perriot, F. Ribeyre et C. Montagnon
soulignent les contrastes entre les différentes caractéristiques prises en compte dans la filière
du café en grande distribution, du producteur agricole au consommateur. Il semble que ces
contrastes sont encore plus flagrants sur le marché de la restauration. Plusieurs
caractéristiques de différenciation du café sont bien présentes et signalées en supermarché.
C’est le cas par exemple de l’espèce, de l’origine ou des labels de production. En restauration
au contraire, le plus souvent le consommateur n’a aucune information sur le café hormis
éventuellement sa marque présente sur la carte ou la tasse.
Dans un marché BtoB, les commodités sont souvent présentes en amont puis transformées en
un produit différencié avec une forte fidélité des consommateurs finaux (ex : produits
alimentaires de marques nationales en GMS). Au contraire le café au restaurant, porteur de
caractéristiques de différenciation en amont, est transformé en commodité pour le
consommateur final par les activités de la filière. Dans une perspective de valorisation des
caractéristiques de différenciation existant dans la filière, il sera important de prendre en
compte les objectifs et activités des différents acteurs.
114
Chapitre 2 : Un café « unique », issu d’une différenciation mal transmise dans la filière
En résumé – L’offre de café au restaurant
Les acteurs
•
•
•
Des établissements de restauration nombreux et très différents, selon leur secteur
d’activité, type de restauration, statut, taille, champ d’activités, implantation, ou
niveau de gamme
Des torréfacteurs moins concentrés qu’en GMS, avec un grand nombre d’acteurs
régionaux, des marques nationales, des marques spécialisées sur ce secteur, des MDD
de distributeurs de boissons, etc.
Des réseaux de distribution ou d’approvisionnement complémentaires : centrales
d’achat, grossistes alimentaires, distributeurs de boissons, Cash&Carry, détaillants,
producteurs en direct
o Poids croissant des intermédiaires entre torréfacteurs et restaurateurs
Les activités et produits échangés
•
•
•
Les torréfacteurs différencient le café vert acheté puis le café torréfié produit sur une
pléthore de critères : espèce, origine, extraction, labels, torréfaction, assemblage, etc.
Les restaurateurs achètent du café et un ensemble de services sur-mesure : les
caractéristiques de service se substituent à celles de la qualité matérielle du café
Le réseau de distribution du café conditionne les évolutions possibles de l’offre
è Achat de produits différents sur les marchés successifs, perte des caractéristiques
de différenciation présentes en amont, transmission imparfaite de l’information sur le
produit et transmission aléatoire de la qualité
115
116
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Chapitre 3 -­‐ Quel produit pour plus de valeur ? Nous avons étudié les motivations menant les consommateurs à la commande d’un café au
restaurant, et connaissons désormais leurs attentes. D’autre part, nous avons observé la
dynamique de formation de l’offre et constaté que les activités actuelles de la filière mènent à
une offre finale de café indifférenciée. En conséquence, cette offre finale correspond à peu de
valeur perçue par les consommateurs.
L’exploration de l’offre et de la demande réalisée nous mène à formuler des hypothèses de
valorisation possible de l’offre de café en restauration. Ces hypothèses portent sur une
singularisation des produits par la différenciation verticale (par la qualité) ou par la
différenciation horizontale (par la variété). Ce chapitre théorique présente les concepts sur
lesquels se basent ces hypothèses, et les disciplines dont sont issues les méthodologies
expérimentales employées par la suite pour les tester.
1. Une double approche de la création de valeur par l’offre et la demande 1.1. La valeur se crée sur le marché Afin d’identifier des opportunités de création de valeur, nous nous intéressons au marché,
c’est-à-dire à la rencontre entre l’offre et la demande, et au contexte dans lequel ces échanges
se réalisent. Il est important d’aborder ces deux facettes du marché simultanément, car l’offre
ne peut évoluer indépendamment de la demande. Elles s’articulent et se font évoluer
réciproquement. Un nouveau produit ne rencontrant pas de demande disparait du marché.
Inversement, une attente du consommateur non satisfaite ne mène pas nécessairement à un
nouveau produit. Afin qu’un marché se développe, les évolutions de l’offre et de la demande
doivent aller de pair.
117
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Citons quelques exemples de produits pour lesquels ce lien entre évolution de l’offre et de la
demande est flagrant. Le marché des dosettes de café en grande distribution rencontre un
grand succès, car l’offre pléthorique correspond à une demande croissante de choix des
consommateurs. Le marché des jus d’oranges en grande distribution a également évolué il y a
quelques années. Les industriels ont introduit de nombreuses caractéristiques pour
singulariser leurs produits : jus frais ou pasteurisé, avec ou sans pulpe, origine des oranges. Si
le type de traitement et de conservation du jus et la présence (ou l’absence) de pulpe sont des
caractéristiques porteuses de valeur pour les consommateurs, cela n’est pas le cas de l’origine
des oranges. Cette caractéristique n’étant pas identifiée et reconnue des consommateurs, elle
est peu présente sur le marché. Par contre, pour un consommateur averti, le jus d’orange frais
avec pulpe n’est plus interchangeable avec le jus d’orange en brique sans pulpe.
Sur le marché, non seulement l’offre mais aussi la demande déterminent les caractéristiques
du produit acheté. L’offre propose des caractéristiques, la demande les reconnaît, et le produit
final n’est porteur que des caractéristiques ayant de la valeur pour les consommateurs. Cellesci sont les composantes de la qualité du produit échangé. Une démarche de singularisation des
produits initiée du côté des producteurs n’est effective que si elle est reconnue par les
consommateurs. La qualité du produit final est donc déterminée au cours de l’échange et
nécessite une coordination entre acheteurs et vendeurs. La qualification des produits nécessite
l’identification et la mise en avant des caractéristiques porteuses de valeur, ce qui permettra
ensuite la reconnaissance de la qualité des produits par les consommateurs. Selon une
approche sociologique de la qualité, ce n’est qu’une fois ces caractéristiques identifiées et
reconnues par les consommateurs et par les vendeurs que la qualité des produits peut
effectivement segmenter le marché, en limitant leur substituabilité (Musselin & Paradeise,
2002).
Ces éléments nous conduisent à décliner notre questionnement initial : « comment concevoir
et mettre à disposition une offre à forte valeur ajoutée ? » en une question de pertinence et de
faisabilité permettant la convergence de l’offre et de la demande :
-
« Quelles caractéristiques sont porteuses de valeur pour les consommateurs ? »
-
« (Comment) Est-il possible de mettre ces caractéristiques à disposition des
consommateurs dans la filière ? »
118
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
1.2. Les restaurateurs sont un maillon clé de la création de valeur La qualité du café vendu dans la restauration indépendante étant hétérogène, l’estimation de
sa qualité dépend de la confiance accordée au restaurateur et du niveau d’information
communiquée sur les produits. De la même manière, la qualité perçue du vin proposé en
carafe varie selon la réputation de l’établissement. Et la qualité perçue d’une bouteille de vin
peut varier, elle aussi, selon le niveau d’information donnée par le restaurateur sur le vigneron
à qui il l’a lui-même achetée. De plus, la filière est artisanale : le café est préparé en boisson
sur place, et le résultat dans la tasse dépend de facteurs humains comme la mouture (finesse,
fraîcheur), le dosage (quantité, tassage dans le porte-filtre) ou encore l’entretien de la machine
(nettoyage régulier, purges, etc.). Tout comme pour une pizza, l’estimation de la qualité
dépend donc de la confiance accordée au restaurateur à propos de son choix d’ingrédients, et
de son savoir-faire pour transformer ces ingrédients.
Dans une filière plus industrialisée, la qualité perçue passe par l’image de marque. Ainsi la
qualité perçue des produits vendus par des chaînes comme Mc Donald’s ou la Brioche Dorée
repose sur leur image standardisée, garantissant des ingrédients et procédés de fabrication
identiques, et conformes à un cahier des charges strict, dans tous les restaurants. De la même
manière, pour des produits standardisés comme un Coca-Cola, ou une glace Magnum au
chocolat, les consommateurs font directement confiance à la marque. Si le produit ne les
satisfait pas, la confiance envers les industriels sera altérée, et non celle envers les
restaurateurs.
Les restaurateurs - clients intermédiaires, prescripteurs et intégrateurs des produits dans leur
offre -, sont un maillon important de transmission de l’information sur les produits, de
maintien de leur qualité et donc de la création de valeur. Et ce, d’autant plus que la filière du
café en restauration indépendante est « artisanale », au sens de l’absence de standard, tant au
niveau des approvisionnements que des activités de transformation. Afin de mettre à
disposition des consommateurs des caractéristiques porteuses de valeur pour eux, il est
nécessaire que l’offre proposée aux torréfacteurs dans ce but soit en alignement avec leurs
propres objectifs. C’est pourquoi, selon nous, la création de valeur auprès des consommateurs
passe par la création de valeur auprès des restaurateurs.
119
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
1.3. Comment concevoir et mettre à disposition les produits ? La création de valeur pour les consommateurs autour du café dans la restauration relève d’une
double approche de conception et de mise à disposition.
En conception, il s’agit d’une question de pertinence de l’offre vis-à-vis de la demande :
Quelles caractéristiques sont porteuses de valeur pour les consommateurs ? Cette question
relève du développement et du design des produits, en fonction des préférences des
consommateurs. Mais, du côté de l’offre, les torréfacteurs ne connaissent pas les préférences
des consommateurs et ne peuvent les observer directement. Comme représenté sur la Figure
21, on peut ainsi parler d’une asymétrie d’information sur les préférences, aux dépens de
l’offre. L’enjeu pour les industriels est d’estimer le mieux possible la valeur accordée aux
produits par les consommateurs.
Dans la mise à disposition, il s’agit d’une question de faisabilité : Comment mettre en avant
les caractéristiques des produits auprès des consommateurs ? La question est de savoir
comment transmettre les caractéristiques porteuses de valeur aux consommateurs de manière
crédible, pour qu’elles soient identifiées et reconnues sur le marché et participent à la
qualification des produits. Actuellement, lorsque la demande (les consommateurs) regarde les
caractéristiques des produits du côté de l’offre, elle a très peu d’information. On peut parler
ici d’une asymétrie d’information sur les caractéristiques aux dépens de la demande (Figure
21).
La création de valeur dans la filière passe par la réduction de cette double asymétrie
d’information. Notre problématique se recentre donc autour de la mesure de la valeur perçue
des caractéristiques en conception de produit, et de l’approche formelle de la faisabilité de
leur mise à disposition.
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Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Figure 21 - Double asymétrie d'information : sur les caractéristiques aux dépens de la demande, et sur les
préférences aux dépens de l'offre
121
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
2. Les caractéristiques de différenciation verticale et horizontale 2.1. Différents types de caractéristiques Afin de faire évoluer le marché et de sortir du café-commodité, il est nécessaire de le
distinguer, de le singulariser, en portant à la connaissance des consommateurs des
caractéristiques pertinentes, porteuses de valeur pour eux. Les caractéristiques d’un produit
peuvent être de différentes natures.
Une première classification distingue les caractéristiques de recherche, d’expérience et de
confiance. Cette classification est largement répandue en économie depuis son introduction au
début des années 70. Nelson distingue d’abord les caractéristiques de recherche et les
caractéristiques d’expérience (Nelson, 1970). Les caractéristiques de recherche peuvent être
évaluées avant l’achat du produit, au cours de la transaction. Pour le café comme boisson
servie au restaurant, il s’agit par exemple de la tasse dans laquelle il est servi ou de la
présence d’un accompagnement sucré. La plupart du temps, en cherchant les indices dans
l’établissement, ces caractéristiques sont observables sur la table des clients déjà servis. Les
caractéristiques d’expérience sont découvertes seulement après l’achat et l’usage du produit.
Il s’agit par exemple de la température du café servi et de son goût. Darby et Karni
distinguent ensuite une troisième sorte de caractéristiques, les caractéristiques de confiance
(Darby & Karni, 1973). Ces dernières ne peuvent être observées ni avant, ni après l’achat.
Elles ne peuvent être objectivement vérifiées sans efforts démesurément coûteux et reposent
sur la confiance. Pour le café servi au restaurant il s’agit par exemple de la commande de
décaféiné.
Les caractéristiques d’un produit peuvent, de plus, être incorporées au produit ou non. Un
café décaféiné ou issu du commerce équitable renvoient tous deux à des caractéristiques de
confiance : il est très coûteux de vérifier leur véracité. Cependant, alors que le café est
décaféiné en substance, le fait qu’il soit issu du commerce équitable ne le modifie pas
matériellement. Il faudrait remonter la filière et enquêter sur ses conditions de production et
d’échanges pour s’en assurer.
Cette notion d’incorporation renvoie au concept de qualité matérielle ou symbolique utilisée
par Daviron et Ponte. Ils proposent une classification basée sur les attributs relatifs à la
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Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
qualité matérielle, symbolique ou de service personnalisé des produits (Benoit Daviron &
Ponte, 2007). Les attributs de qualité matérielle sont les caractéristiques inhérentes,
intrinsèques au produit. Ces caractéristiques sont à l’origine de différences substantielles entre
les produits, mesurables de façon objective. Les attributs de qualité symbolique sont les
caractéristiques extrinsèques au produit, se basant sur la réputation des marques, des
indications géographiques ou des labels. Ces caractéristiques sont à l’origine de différences
symboliques entre les produits, non mesurables objectivement. Les produits porteurs de
caractéristiques de confiance impactant la qualité symbolique, comme ceux issus du
commerce équitable par exemple, sont de plus en plus l’objet de recherches (Loureiro &
Lotade, 2005) afin de comprendre les motivations d’achat des consommateurs ou de mesurer
la valeur associée à ces caractéristiques. Le café est une application fréquente de ce type de
recherches19. Enfin, ils distinguent également les attributs relatifs à la qualité de service
personnalisé. Ce sont les caractéristiques des services accompagnant le produit. Ces services
sont des prestations transitoires et intangibles, insaisissables, requérant la présence du
consommateur final. Pour le café au restaurant il s’agit par exemple d’un accueil agréable,
d’une commande rapide et d’un service attentionné.
Ces trois classifications combinées, comme représenté sur la Figure 22, nous permettent de
rendre compte de la grande diversité et des principales familles de caractéristiques existantes
pour le café en restauration.
Figure 22 - Principaux types de caractéristiques des produits
19
Cf. par exemple : De Ferran (2010); De Pelsmacker, Driesen, and Rayp (2005) Langen (2011); Rotaris and Danielis (2011)
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Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Il est intéressant de remarquer que les caractéristiques actuellement valorisées dans la
restauration sont principalement des caractéristiques de recherche comme le type de tasse,
l’accompagnement sucré, la présentation. Les caractéristiques d’expérience sont incertaines
lors de la première commande de café dans un établissement, c’est le cas de la température du
café et de son goût, mais aussi par exemple de la rapidité du service. Enfin les caractéristiques
de confiance comme le commerce équitable, l’origine, la mention de la variété, ou le
décaféiné sont peu valorisées en restauration. Et ce d’autant plus en restauration
indépendante, où l’estimation de la qualité des produits dépend de la confiance accordée au
restaurateur. Ces caractéristiques sont pourtant celles par lesquelles le torréfacteur peut
différencier son café, et sur lesquelles il base son prix de vente au kilo.
Parmi toutes ces caractéristiques, lesquelles sont porteuses de valeur pour les
consommateurs ? Le consommateur accorde-t-il davantage de valeur à l’origine, au profil
gustatif, à la variété, à la qualité globale ? Quelles caractéristiques tester auprès d’eux ?
Chaque caractéristique peut être à l’origine de la différenciation verticale ou horizontale des
produits.
Au lieu d’évaluer la valeur associée à chaque caractéristique de différenciation possible, nous
allons nous intéresser au potentiel de valorisation que représentent la différenciation verticale
d’une part et la différenciation horizontale d’autre part.
2.2. Chaque caractéristique crée une différenciation verticale ou horizontale Au sein de tout ensemble de produits différenciés, une différenciation verticale et horizontale
peuvent exister, comme l’illustre la Figure 23. Des produits différenciés sont à la fois
substituables par leurs usages et fonctions, et différenciables par leurs caractéristiques.
Par exemple, tous les produits de la gamme pâte à tartiner aux noisettes remplissent les
mêmes fonctions : ils servent à recouvrir une tartine au petit déjeuner ou au goûter, apportent
une note gourmande, et font plaisir aux enfants. Toutes les confitures peuvent à la fois
recouvrir une tartine, être mélangées à un yaourt, et apporter une note fruitée. Et tous les types
de beurres servent à recouvrir les tartines mais aussi à cuisiner, à préparer des gâteaux ou
encore des sandwichs. Au sein de ces familles de produits substituables, les produits sont
clairement différenciables par leur marque ou par leurs ingrédients (marque nationale ou de
distributeur, parfum de la confiture, beurre doux ou salé). Ils portent des caractéristiques
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Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
distinctives et reconnues des consommateurs. Nous avons donc trois exemples de produits
différenciés.
La différenciation verticale correspond à un accord sur la valeur des caractéristiques, à un
classement des produits préférés commun à tous les consommateurs. L’intensité de la
préférence pouvant être différente d’un consommateur à un autre. Il s’agit par exemple d’une
pâte à tartiner de marque nationale comme Nutella, comparée à celles des marques de
distributeur. La première est admise par tous comme supérieure aux secondes, de sorte que si
elles étaient toutes vendues au même prix, a priori tous les consommateurs achèteraient du
Nutella. Mais, bien que s’accordant sur le même classement, la valeur monétaire que les
consommateurs accordent à cette préférence est variable. Des pâtes à tartiner de différentes
qualités sont donc vendues à différents prix.
En présence de différenciation horizontale, il n’existe pas de classement commun des produits
préférés. Il s’agit par exemple des parfums de confiture et du beurre doux ou salé. A priori ni
les confitures de fraise, ni celles de rhubarbe, ne sont admises par tous comme étant
supérieures aux autres. Pas plus qu’il n’existe de consensus sur la préférence pour le beurre
doux ou le beurre salé.
Deux cas semblent encore possibles lorsque les consommateurs ne sont pas d’accord sur le set
de caractéristiques du produit préféré et donc sur un classement commun des produits. Dans
le premier cas, il n’existe pas non plus de classement individuel des produits. La plupart des
consommateurs n’ont pas de préférences individuelles très marquées pour l’une ou l’autre des
variantes et varient assez souvent de produit acheté. Les préférences sont dites
« symétriques ». Alors que le prix de la confiture de rhubarbe augmente, la proportion de
consommateurs à choisir plutôt un autre parfum augmente également. L’élasticité de
substitution des produits est grande. Les consommateurs sont faces à une « variété » de
produits. Dans le deuxième cas, il existe un classement individuel des produits, différent entre
les individus. Les consommateurs ont des préférences individuelles marquées. Les
préférences sont dites « asymétriques ». Alors que le prix du beurre salé augmente, la
proportion de consommateurs choisissant du beurre doux ne varie pas. Les consommateurs
préférant le beurre salé sont prêts à le payer plus cher. L’élasticité de substitution des produits
est faible. Les consommateurs sont face à un « choix » de produits préférés. Ces différents cas
de figure sont représentés dans la Figure 23.
Dans les faits, la plupart des ensembles de produits sont différenciés à la fois verticalement et
horizontalement, selon le type de caractéristiques considérées. Les confitures sont
125
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
différenciées non seulement horizontalement par leurs ingrédients, mais aussi verticalement
par la marque, des labels de production ou leur teneur en fruit.
Selon la perception des caractéristiques par les consommateurs, le café pourrait par exemple
être différencié verticalement : par l’espèce (arabica ou robusta), la marque, les labels de
production, la tasse ou l’accompagnement sucré, et horizontalement : par l’origine, le degré
de torréfaction ou plus largement par le profil sensoriel.
L’offre de café dans la restauration peut revêtir un grand nombre de caractéristiques
différentes. Nous allons désormais nous intéresser au potentiel de valorisation que
représentent la différenciation verticale (Un bon café pour tous ?) et la différenciation
horizontale des produits (Chacun son café ?). Dans la suite de la thèse, la pertinence de ces
deux types de différenciation de l’offre de café au restaurant pour les consommateurs, puis la
faisabilité de leur mise à disposition sont évaluées.
Figure 23 - Différenciation horizontale ou verticale ?
126
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
3. Approche expérimentale de la valeur des caractéristiques en conception de produit Améliorer, optimiser, ou concevoir de nouveaux produits, nécessite de connaître les
préférences du segment de consommateurs ciblé. Comment évaluer la valeur attribuée à un
produit ou à une caractéristique par les consommateurs ? La satisfaction retirée de l’achat ou
de la consommation d’un produit n’est pas observable directement. Afin de réduire
l’asymétrie d’information sur les préférences pour les torréfacteurs (Figure 24), les
préférences peuvent être déclarées par les consommateurs, révélées par une analyse des
comportements sur le marché, ou étudiées en laboratoire.
Figure 24 – Asymétrie d’information sur les préférences des consommateurs, aux dépens des torréfacteurs
3.1. Préférences déclarées par les consommateurs Les méthodes déclaratives sont largement employées pour développer des produits n’existant
pas encore sur le marché. Il peut s’agir de proposer aux consommateurs de choisir de manière
fictive parmi plusieurs produits différenciés, éventuellement à différents prix, afin d’évaluer
la valeur accordée à différentes modalités (analyse conjointe). Si les modalités à évaluer sont
nombreuses, il pourra être nécessaire de leur soumettre une série de choix à faire parmi
plusieurs ensembles de produits. Dans les tests consommateurs, la méthode déclarative la plus
127
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
répandue est le questionnaire de satisfaction. Les consommateurs donnent une note
d’appréciation sur une échelle de « Je n’aime pas du tout » à « J’aime beaucoup » pour
plusieurs produits, biens ou services, présentant différentes caractéristiques. L’analyse des
données récoltées permet d’estimer quelle combinaison de caractéristiques mènerait au plus
haut niveau de satisfaction hypothétique des consommateurs dans leur ensemble, ou d’un
groupe de consommateurs.
L’inconvénient des méthodes déclaratives est qu’elles ne sont pas compatibles en incitation.
Quelle que soit la réponse donnée, cela n’a pas de conséquences pour le participant. Dès lors,
les sujets ont tendance à surestimer leur intention d’achat ou le prix qu’ils indiquent être prêts
à payer pour le produit. De plus, dans ces méthodes, le processus de décision d’achat est
souvent peu pris en compte. Pourtant, pour un produit donné, une appréciation élevée ne
signifie pas une part de marché importante. Les habitudes ont un poids très important dans les
actes d’achat (Shogren, 2001). Ces méthodes permettent un haut degré de contrôle des
facteurs évalués, mais sont assez peu représentatives de ce qui se déroule sur le marché.
3.2. Préférences révélées par l’analyse du marché L’observation du comportement d’achat révèle les préférences des consommateurs de manière
non-hypothétique. La valeur attribuée à différentes caractéristiques peut être déduite des
ventes effectives en analysant les données de marché. Si les cafés labellisés commerce
équitable sont achetés à un prix plus élevé que le café standard, on peut en déduire que le
label commerce équitable a de la valeur pour les consommateurs. L’avantage, ici, est que ces
données sont issues de ventes réelles, non-hypothétiques. Les préférences révélées sont issues
de l’étude du marché réel, leur validité externe est donc très bonne.
Parmi les inconvénients, les variables étudiées sont souvent colinéaires, et les modalités
présentes sur le marché ne sont pas contrôlées. Il est difficile d’isoler les facteurs d’intérêt et
d’extraire des relations causales. La validité interne des résultats est faible. De plus, cela
nécessite que les produits étudiés soient déjà présents sur le marché. Enfin, la collecte de
données réelles peut avoir un coût très élevé.
128
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
3.2. Approche expérimentale et comportementale Économie expérimentale : l’exemple des enchères Dans le cas de nouveaux produits, d’innovations technologiques, de biens publics ou de
changement législatif prévu, il n’existe pas de marché. Une situation économique réelle peut
alors être reproduite en laboratoire afin d’observer le comportement d’agents économiques.
Un marché est créé, lors d’une expérimentation mettant en jeu des produits réels et de l’argent
réel, permettant d’observer les préférences des consommateurs.
La valeur accordée à différents produits, ou à différentes caractéristiques, peut ainsi être
mesurée par des méthodes issues de l’économie expérimentale. L’économie expérimentale
vise à tester de manière appliquée les hypothèses de comportements économiques, ou à
« éliciter », à générer, le consentement à payer des consommateurs pour un produit, en
mettant en place des conditions de marché. Le principe de la discipline est d’isoler l’effet des
facteurs étudiés, tout en reproduisant une situation impliquant monétairement les participants.
Afin d’impliquer les sujets et d’obtenir des données non hypothétiques, des protocoles
incitatifs sont développés. Les comportements des participants ont des conséquences
matérielles ou monétaires pour eux. Comparés aux méthodes déclaratives, ces protocoles
visent à réduire le biais hypothétique, c’est-à-dire l’écart entre ce que les participants
déclarent et la manière dont ils agissent, notamment lors des questionnaires mesurant
l’intention d’achat ou le consentement à payer.
Afin d’isoler l’effet des facteurs étudiés et d’établir des liens de causalité, les
expérimentations sont contrôlées au sens de l’environnement physique, du produit, et de la
tâche à effectuer. Le laboratoire est le plus neutre possible, il n’y a pas d’interactions entre les
individus. Aucune information n’est donnée sur le produit en dehors des informations
contrôlées. Les consignes données sont identiques pour tous les sujets d’un groupe. Ce
contrôle permet aux protocoles d’être reproductibles à l’identique ou en faisant varier un seul
facteur (lieu, groupe de sujets, ou produit), toutes choses égales par ailleurs.
Les règles de vente peuvent être un simple choix discret entre plusieurs produits, ou des
enchères expérimentales compatibles en incitations. Dans une expérimentation de choix entre
produits, les consommateurs achètent réellement le produit choisi. Si une série de choix est
faite parmi plusieurs ensembles de produits afin de collecter plus de données, un des scénarios
est tiré au sort et le choix réalisé pour cet ensemble de produit devient effectif.
129
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Les enchères expérimentales, au cours desquelles les produits sont réellement mis en vente,
permettent de dévoiler de manière incitative le montant maximum que les sujets sont prêts à
payer pour un produit, appelé leur consentement à payer (CAP). Le principe de ces enchères
est exposé dans l’Encadré 17.
Encadré 17 - Les enchères expérimentales
Les enchères les plus connues sont les enchères anglaises, dans lesquelles les
participants surenchérissent tour à tour, en faisant signe s’ils consentent à payer un produit au prix
annoncé par le commissaire-priseur. Ce prix augmente à intervalle régulier, jusqu’à ce qu’il ne reste
qu’un participant. Ce participant achète le produit au dernier prix annoncé. L’inconvénient de cette
enchère est qu’elle ne permet pas de connaître exactement le montant maximum que chaque
participant était prêt à payer.
Pour estimer plus précisément ce montant, et toujours sur le principe d'une enchère anglaise (prix
croissant et nombre d’acheteurs décroissant), il faut un système dans lequel chaque participant
indique à partir de quel prix il sort de la vente (en baissant la main ou en appuyant sur un bouton
donnant ce signal par exemple). Par cette méthode, plus l’intervalle de prix est resserré, plus le
consentement à payer de chacun des participants est finement estimé.
Dans les deux méthodes d’enchères expérimentales les plus répandues, l’enchère de Vickrey et le
mécanisme B.D.M., les participants donnent directement leur consentement à payer (CAP) pour le
produit proposé à la vente.
Dans l’enchère de Vickrey (Vickrey, 1961), chaque participant indique, de manière confidentielle, le
montant maximum auquel il consent à acheter le produit proposé à la vente. Le participant ayant
indiqué le montant le plus élevé achète le produit, au prix du deuxième montant le plus élevé. Ce
principe peut se décliner avec un nombre d’acheteurs plus important, si plusieurs produits sont à la
vente. Dans une enchère au Nième prix, les N-1 participants ayant donné le montant le plus élevé
achètent le produit au prix du Nième montant le plus élevé.
Dans une vente selon la procédure BDM, du nom de ses auteurs (Becker, DeGroot, & Marschak,
1964), chaque participant indique le montant maximum auquel il consent à acheter le produit, puis
un prix de marché est tiré au sort parmi une liste prédéterminée, non connue des participants
(comprise entre 0 et un prix supérieur au CAP maximum estimé des participants). Chaque participant
ayant indiqué un consentement à payer supérieur au prix tiré au sort achète le produit, à ce prix. Il ne
s’agit pas d’une enchère à proprement parler, puisque l’issue de la vente est déterminée
individuellement. Selon les montants indiqués et le prix tiré au sort, tous les participants, ou aucun
d’entre eux, peuvent éventuellement acheter le produit proposé.
Les enchères expérimentales sont dites « compatibles en incitation », car la meilleure stratégie pour
les participants est de donner leur vraie valeur, le vrai montant maximum qu’ils sont prêts à payer
pour le produit proposé. Si ce montant est surestimé, ils risquent d’acheter à un prix supérieur à la
valeur qu’ils accordent au produit. S’il est sous-estimé, ils risquent de ne pas acheter le produit alors
qu’il est vendu à un prix inférieur à la valeur qu’ils lui accordent.
130
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Pour estimer avec un ordre de grandeur la valeur perçue par les consommateurs pour
différents produits ou différentes caractéristiques, les enchères expérimentales partent du
postulat suivant : si un consommateur est prêt à payer un montant plus élevé pour un produit,
alors ce produit à davantage de valeur pour lui. Le consentement à payer (CAP) mesuré est
assimilé à la valeur perçue par les consommateurs. Si, toutes choses égales par ailleurs, les
consommateurs consentent à payer x euros de plus pour le produit A, porteur d’une
caractéristique supplémentaire (ex : une marque), que pour le produit B, la valeur perçue de
cette caractéristique est de x euros.
Les consentements à payer peuvent ainsi être comparés entre produits porteurs de différentes
caractéristiques, ou, pour un même produit, entre les consommateurs de différents groupes, ou
encore selon différentes situations d’information. Les données ainsi récoltées permettent de
tracer des courbes de demande, de calculer les parts de marché des différents produits, de
comparer les consentements à payer moyen par produit et d’étudier leurs déterminants.
Les expérimentations en laboratoire, en standardisant les conditions et en isolant précisément
les facteurs testés, permettent de tirer des conclusions robustes sur des liens de causalité
(Combris, Bazoche, Giraud-Héraud, & Issanchou, 2009). Cependant, cette recherche de
validité interne se fait à défaut de la validité externe. Les comportements observés peuvent
être assez différents de ceux du marché réel. Dans une situation plus naturelle de
consommation, de nombreux paramètres liés à l’environnement physique, social et
informationnel ont un impact important sur la perception des produits par les consommateurs
et sur leur comportement. Les processus engagés dans les décisions d’achat sont
probablement très différents en laboratoire. L’ensemble de produits considéré y est restreint et
l’attention des sujets est délibérément portée sur certaines caractéristiques des produits. En
absence d’interaction sociale et d’autre activité concomitante, leurs décisions sont plus
réfléchies et font appel au système de pensée réflexif (système 2 de pensée selon Kahneman
(2011)). Dans une situation naturelle de consommation, en grande distribution ou au
restaurant, la perception des produits est automatique et les décisions plus intuitives (système
1 de pensée, ibid.). De plus, l’environnement du laboratoire, bien que le plus neutre possible,
est un contexte à part entière, pouvant influencer les sujets à se comporter d’une certaine
manière. Tout comme un consommateur ne prête pas attention aux mêmes caractéristiques et
n’a pas le même consentement à payer pour un produit donné lorsqu’il fait ses courses dans
une épicerie bio, dans un supermarché discount ou au marché, il se comporte différemment
lorsqu’il est incité à faire ses courses dans un laboratoire. Les expérimentations en laboratoire
131
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
permettent de comprendre des mécanismes et de comparer des produits entre eux, mais pas de
calculer des valeurs absolues (Combris & Ruffieux, 2005).
Field experiments et économie comportementale Les expérimentations de terrain ou Field experiments proviennent d’une volonté d’adapter les
méthodes d’économie expérimentale pour se rapprocher de situations naturelles en termes de
lieu d’achat et de consommation, de population participante, ou encore de tâche à effectuer
(Harrison & List, 2004). Il peut s’agir d’enchères après dégustation dans un supermarché par
exemple (Lusk, Fox, Schroeder, Mintert, & Koohmaraie, 2001). Il n’existe pas de critères
stricts selon lesquels on peut dire d’une expérimentation qu’elle se déroule en situation réelle
de consommation. Une expérimentation se rapproche plus ou moins du laboratoire ou du
terrain selon les participants, la nature du produit, l’environnement, l’incitation, la tâche à
effectuer, ou encore le type d’information donnée. Entre une expérimentation parfaitement
contrôlée en laboratoire, avec des sujets entraînés aux enchères expérimentales, et l’approche
empirique consistant à observer ce qu’il se passe « naturellement » sur le terrain sans
intervenir, se trouve une large gamme d’expérimentations possibles (Figure 25).
Figure 25 – De l’économie expérimentale à l’économie comportementale
Plus proche des expérimentations de terrain, l’économie comportementale étudie le
comportement économique à la lumière des concepts de psychologie et étudie les facteurs
poussant l’être humain (homo sapiens) à s’écarter du comportement d’un agent économique
rationnel, maximisant en toute situation son utilité (homo economicus) (Santos, 2011). Le
132
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
contexte, les interactions sociales, l’environnement visuel et sonore, le temps disponible, et
bien d’autres facteurs, peuvent éloigner les consommateurs de cette maximisation de leur
utilité. Le comportement humain et les raisons de ses décisions étant complexes à
appréhender, l’économie comportementale utilise des méthodologies variées afin de prendre
en compte l’influence de la situation sur le comportement. Une recherche de validité externe
est poursuivie, permettant de généraliser les résultats d’une étude aux conditions qu’elle
représente ou reproduit (Loewenstein, 2001). Cependant, les liens de causalité sont moins nets
car plus le contexte est naturel, plus d’autres facteurs non contrôlés peuvent interférer avec
ceux testés.
Notre objectif est de prendre en compte le comportement du consommateur en situation réelle
de commande de café au restaurant. Par conséquent, les expérimentations présentées dans les
chapitres suivants, et visant à mesurer la valeur perçue des produits, sont, autant que possible,
des expérimentations de terrain. Lorsque cela est réalisable, elles ont lieu en situation réelle de
commande et de consommation d’un café, auprès de clients du restaurant expérimental de
l’Institut Paul Bocuse (cf. Chapitre 5). Cependant, selon les questions posées, les méthodes
utilisées oscillent entre économie expérimentale ou comportementale et évaluation
sensorielle.
133
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
4. Approche formelle de la mise à disposition de produit Alignement stratégique Comment mettre à disposition les caractéristiques des produits auprès des consommateurs ?
Les objectifs poursuivis par les acteurs de la filière étant différents, les caractéristiques
produites en amont de la filière disparaissent au cours des activités de mise à disposition dans
la restauration, et il existe une asymétrie d’information sur les caractéristiques des produits
aux dépens des consommateurs (Figure 26).
Dès lors, aucune stratégie commune ne peut être mise en place. Une stratégie nécessite, dans
un champ d’activités défini, un avantage concurrentiel proposé au consommateur final. La
stratégie doit concorder avec l’organisation des activités et être traduite en objectifs
opérationnels pour chacun des acteurs. Une certaine logique doit permettre de mettre
l’ensemble en cohérence, et être adaptée à l’environnement du marché. Ce type d’alignement
est ce qui détermine le succès d’une stratégie.
Figure 26 - Asymétrie d'information sur les caractéristiques du produit, aux dépens des consommateurs
L’objectif est de développer une offre de café dans la restauration de plus forte valeur perçue
par les consommateurs. Afin d’aligner les objectifs des acteurs, la valeur perçue de cette
nouvelle offre par les restaurateurs devra également être supérieure car elle satisfera mieux
leurs besoins. En alignant ainsi les objectifs des acteurs, l’offre de valeur destinée au
consommateur se transmettra jusqu’au marché. La création de valeur autour des produits
134
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
achetés par les consommateurs passe par la création de valeur autour des produits achetés par
les restaurateurs. Pour proposer un avantage concurrentiel sur le marché BtoB, il semble
nécessaire de sortir de la concurrence par les prix et les services annexes au produit, et de
proposer une offre différenciée aux restaurateurs.
Création de valeur dans la filière L’idée de valeur partagée consiste à reconnaître que les difficultés d’un secteur peuvent créer
des coûts internes à l’entreprise. La création de valeur partagée consiste à étendre le domaine
de la valeur à un plus large périmètre, bénéficiant à tous les acteurs d’une filière. Le fait de
créer de la valeur pour l’entreprise tout en solutionnant certaines difficultés du marché, par
exemple en aidant ses propres clients à mieux préparer et mieux vendre le café aux
consommateurs, s’approche de l’idée de la création de valeur partagée.
Plus largement, ce principe de valeur partagée implique de la création de valeur pour une
entreprise, tout en créant de la valeur pour la société en répondant à ses besoins et en prenant
en compte ses défis actuels (Porter & Kramer, 2011). De ce point de vue, les défis liés au
développement durable, à l’amélioration de la qualité nutritionnelle ou de la traçabilité des
produits représentent pour les entreprises agroalimentaires des opportunités de créer de la
valeur en répondant à des besoins sociétaux.
Si l’on fait un parallèle avec le marché du café dans la restauration indépendante, la création
de valeur partagée pourrait passer par la redéfinition des contours des produits proposés aux
restaurateurs. Il s’agirait de développer des solutions plus adaptées à leurs besoins latents, les
aidants à mieux préparer et mieux vendre les cafés dans leur établissement.
135
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
Cohérence dans un environnement Une stratégie cohérente nécessite un alignement dans la chaîne de valeur. Elle doit relier les
objectifs des torréfacteurs avec ceux des restaurateurs et des consommateurs, à travers les
activités menées dans la filière. La cohérence de l’avantage concurrentiel proposé et de la
stratégie déroulée pour y parvenir dépend de l’environnement. Cet environnement étant
mouvant, il doit être reconsidéré fréquemment.
Pour évaluer la faisabilité de différentes offres envisagées, il est nécessaire de considérer
l’environnement actuel dans lequel l’offre et la demande se rencontrent. En cherchant des
éléments pertinents dans l’environnement politique, économique, social, technologique,
environnemental, et légal (connu sous l’acronyme PESTEL), nous recensons dans la Figure
27 les forces, faiblesses, menaces et opportunités actuelles pour les torréfacteurs sur le marché
de la restauration indépendante.
Figure 27 - Forces, faiblesses, menaces et opportunités pour les torréfacteurs sur le marché du café dans la
restauration indépendante
136
Chapitre 3 - Quel produit pour plus de valeur ?
5. Conclusion du chapitre 3 L’exploration de l’offre et de la demande actuelles de café en restauration et leur
confrontation révèlent trois enjeux pour aller vers une meilleure valorisation de l’offre de café
en restauration : identifier les attentes des consommateurs, répondre à cette attente avec une
offre de produits adéquate et correspondant à des opportunités dans l’environnement actuel, et
organiser la réalisation de cette offre dans la filière, en particulier dans les échanges BtoB
entre torréfacteurs et restaurateurs.
Dans la deuxième partie de cette thèse, nous tenterons de répondre à la question suivante :
« Autour de quel produit réunir l’offre et la demande pour plus de valeur dans la filière ? », en
explorant les hypothèses de valorisation que sont la différenciation verticale d’une part
(Chapitre 4) et la différenciation horizontale d’autre part (Chapitre 5).
Pour chacune de ces différenciations possibles, nous évaluerons d’abord la pertinence en
conception par des expérimentations visant à mesurer la valeur perçue par les
consommateurs.
Puis nous discuterons de la faisabilité de la mise à disposition de telles offres dans la
restauration, en nous appuyant sur des entretiens avec des restaurateurs, et sur les
connaissances de la filière acquises dans la première partie (Chapitre 6). En considérant
l’alignement des objectifs poursuivis par chacun des acteurs et la cohérence avec
l’environnement, nous identifierons les adaptations possibles de l’offre.
Ces allers et retours entre offre et demande permettront de juger de l’alignement dans la
chaîne de valeur envisagée et d’évaluer, pour chaque type d’offre considéré, de leur
pertinence du point de vue de la demande et de leur faisabilité du point de vue des activités
menant à leur mise à disposition sur le marché.
137
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
En résumé – Conditions de convergence de l’offre et de la demande vers plus de valeur ?
La valeur se crée sur le marché, le produit est porteur des caractéristiques proposées par
l’offre et reconnues par la demande
•
•
•
Les restaurateurs sont un maillon clé de la proposition de valeur
La valorisation dépend de la :
o Pertinence des caractéristiques pour les consommateurs en conception
o Faisabilité de leur mise à disposition par les restaurateurs
Regroupement des caractéristiques selon leur impact sur la :
o Différenciation verticale des produits : par la qualité, classement
commun des produits
o Différenciation horizontale des produits : par la variété, pas de
classement commun des produits
La deuxième partie de cette thèse explore les hypothèses de valorisation des produits par
la différenciation verticale et par la différenciation horizontale :
•
•
Par une approche expérimentale de la valeur perçue par les consommateurs
o Méthodologies issues de l’économie expérimentale ou
comportementale et de l’évaluation sensorielle
o Recherche de validité externe par des expérimentations de terrain
Par une approche formelle de la mise à disposition
o Observation active des objectifs poursuivis par les restaurateurs lors
de leur approvisionnement en café et de leur construction de l’offre
o Discussion de la cohérence des activités et de l’alignement des
objectifs dans la filière
138
PARTIE 2 – UN MEILLEUR CAFE POUR TOUS,
OU A CHACUN SON CAFE
?
139
140
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre À la sortie de l’usine, les cafés sont différenciés par les torréfacteurs sur la base de
nombreuses caractéristiques, telles que l’espèce, la variété, l’origine, la méthode de première
transformation, ou encore les labels de production selon les principes du commerce équitable
ou de l’agriculture biologique. Certaines voies de production et de transformation sont
admises comme correspondant à un « modèle de production d’excellence », permettant
d’obtenir un café de qualité supérieure. Ainsi un arabica cultivé sous ombrage ou en altitude,
cueilli à la main et fermenté par voie humide, constitue un café vert de premier choix, vendu
plus cher.
Le café issue de cette voie de production présente un profil sensoriel particulier. Ainsi, a
priori, les professionnels de la torréfaction peuvent différencier ce type de café non seulement
par les procédés employés pour les obtenir, mais également par leur dégustation en aveugle.
Ces voies de production considérées comme supérieures correspondent souvent à des
rendements plus faibles et à des coûts de revient plus élevés. Elles ne peuvent être
économiquement viables qu’à condition que l’augmentation du niveau de la qualité du café
dans la tasse soit effectivement perçue comme une valeur ajoutée par les consommateurs
finaux ou par les restaurateurs, et qu’a minima ces derniers consentent à payer un prix plus
élevé pour les acheter. Une piste de valorisation du café dans la restauration simple et
séduisante a priori serait, en gardant une offre unique, de proposer un standard de meilleure
qualité à un prix moyen plus élevé, permettant de faire remonter de la valeur dans la filière à
tous les acteurs.
Avant de se poser la question de la faisabilité de cette démarche, se pose la question de sa
pertinence : la qualité telle qu’elle est conçue par les torréfacteurs correspond-elle en effet à
un café préféré par les consommateurs ? La filière est-elle coordonnée sur ce qu’est un bon
café d’un point de vue sensoriel ? Existe-t’il un bon alignement de la qualité perçue par les
141
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
différents acteurs ? L’amplitude des différences perçues entre produits est-elle la même à tous
les niveaux de la filière ?
La coordination dans la filière est importante, car tous les acteurs participent à la qualification
des produits. Les restaurateurs prescrivent le café pour leurs clients et peuvent interférer avec
les intentions des torréfacteurs de fournir des produits de qualité supérieure selon eux, par le
choix de produits de qualité moindre ou par la dégradation de la qualité lors du stockage, de la
préparation, ou du service. Puis, la perception par les consommateurs détermine la qualité des
produits sur le marché.
Dans un but ultérieur de signaler la qualité du café et de différencier l’offre, une première
étape serait d’évaluer si une qualité plus élevée pour les torréfacteurs correspond à une valeur
plus élevée à la fois pour les restaurateurs et les consommateurs. En effet, en conception,
l’asymétrie d’information porte sur les préférences des consommateurs, aux dépens des
torréfacteurs.
Ce chapitre apporte des éléments conceptuels et empiriques pour répondre aux questions
suivantes :
-­‐
La filière est-elle coordonnée sur la différenciation verticale des produits ? L’offre
connaît-elle
le
set
de
caractéristiques
à
produire
pour
satisfaire
les
consommateurs ?
-­‐
Qu’est-ce qu’un « mauvais café » pour les consommateurs ? Quelles en sont les
caractéristiques ? Cela correspond-il aux critères des torréfacteurs ?
-­‐
Des préférences gustatives distinctes existent elles au-dessus du seuil
d’acceptabilité ? ou existe-t-il un « bon café » commun à tous les consommateurs ?
1. Expérimentation 1 : Quelle coordination sur la différenciation verticale dans la filière ? Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, une différenciation verticale existe
lorsque les consommateurs s’accordent de manière unanime sur un produit préféré. Du point
de vue d’une filière, on peut parler d’une différenciation verticale commune si, à chaque
niveau, les acteurs s’accordent sur un produit de valeur supérieure. Le terme valeur n’a ici pas
de connotation monétaire, et est utilisé au sens du jugement individuel dépendant des objectifs
142
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
de chacun, comme défini dans la norme AFNOR sur l’analyse de la valeur (AFNOR, 1994).
Les objectifs des acteurs d’une filière sont variables. Nous faisons ici l’hypothèse que
l’objectif des torréfacteurs est la qualité des produits, que celui des restaurateurs est la
satisfaction de leurs clients, et celui des consommateurs l’appréciation hédonique. Si tous
s’accordent sur un classement de valeur des produits, cela signifie que si tous les produits
avaient le même coût, tous les acteurs choisiraient d’avoir la même offre sur le marché. Cette
coordination sur ce qu’est la qualité à travers la filière semble être un prérequis pour signaler
la qualité et différencier l’offre dans la restauration.
Le concept de différenciation verticale est largement utilisé en économie, et de nombreuses
études de développement de produits utilisent les méthodes de classement pour évaluer les
préférences des consommateurs (Hein, Jaeger, Tom Carr, & Delahunty, 2008). Cependant, à
notre connaissance, aucune expérimentation ne teste la perception de la différenciation
verticale des produits par différents acteurs d’une filière agroalimentaire. Il n’existe pas non
plus d’étude publiée sur la préférence de consommateurs français pour différents cafés
préparés sous forme d’expressos, pourtant la principale forme de consommation dans la
restauration.
Une expérimentation a donc été menée afin d’évaluer le niveau de coordination sur
l’évaluation de la qualité des produits dans la filière. Il s’agit d’identifier s’il existe des écarts
notables, en termes d’alignement et d’amplitude, dans l’évaluation de la qualité des produits
par les consommateurs, les restaurateurs et les torréfacteurs.
L’hypothèse testée est qu’il existe une différenciation verticale commune des produits par
tous les acteurs de la filière, sur la base de leur dégustation à l’aveugle sous forme d’expresso.
Cette hypothèse se vérifie s’il existe un classement commun des produits au sein de chacun
des groupes (torréfacteurs, restaurateurs, consommateurs), et que ce classement est identique
entre les groupes.
Plusieurs objectifs secondaires sont également présents dans cette expérimentation. Le
premier est d’évaluer si les préférences des consommateurs sont homogènes au-dessus du
seuil d’acceptabilité, ou s’il existe des catégories de consommateurs avec des préférences bien
distinctes. Un deuxième objectif secondaire est d’évaluer la capacité des torréfacteurs à
estimer correctement les préférences des consommateurs. Enfin, un dernier objectif est de
mesurer l’impact de différentes informations sur l’appréciation globale des produits par les
consommateurs. Dans ce but, une enquête en ligne préalable à l’expérimentation visait à
identifier une ou plusieurs caractéristiques à tester, dont la mention pourrait avoir un effet
143
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
positif sur l’appréciation des produits par les consommateurs. Les participants et les résultats
à cette enquête sont présentés dans l’Encadré 18.
Encadré 18 - Enquête en ligne
Afin de tester ultérieurement l’impact de différentes informations sur l’appréciation des produits par les
consommateurs, une enquête en ligne a d’abord été menée. Elle visait à identifier une ou plusieurs
caractéristiques pouvant être un signal de qualité pour les consommateurs. Le lien a été diffusé par emails, en invitant les destinataires directs à transmettre l’invitation dans leur entourage.
112 personnes, consommatrices de cafés et en commandant au moins occasionnellement au restaurant,
ont répondu à cette enquête en une semaine. Parmi elles, 62% étaient des femmes. 66% résidaient dans le
Sud-Est de la France, 25% dans le Nord-Ouest, 4% dans le Sud-Ouest, 4% en Ile de France et 1% dans le
Nord-Est. Les sujets étaient bien répartis dans les différentes classes d’âges.
Les résultats sont présentés ci-dessous. Il est intéressant de noter que la caractéristique avec un impact
positif sur laquelle les participants s’accordent en majorité est le fait qu’un café soit « servi avec le
sourire ». En ce qui concerne les caractéristiques liées au bien et non au service, « pur arabica » est
l’information pour laquelle les participants sont les plus nombreux à déclarer qu’ils apprécieraient
davantage ce café. Sur la base de ces résultats, la composition du café (arabica ou robusta) a été
sélectionnée comme information à tester.
Positif
Neutre
Négatif
Impact positif, neutre ou négatif de différentes caractéristiques sur l'appréciation du café au restaurant,
144
selon les participants (en % de réponses, N=112)
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
2. Matériel et méthodes : 4 cafés, évalués par 3 groupes d’acteurs Quatre cafés de qualités différentes ont été préparés de manière identique et évalués par trois
groupes de sujets, représentatifs des acteurs de la filière du café en restauration, au cours
d’une tâche de classement.
2.1. Les produits : 4 cafés Afin d’éviter autant que possible la saturation gustative lors des dégustations, nous avons
décidé de sélectionner 4 produits. Ces cafés, de différents niveaux de qualité a priori,
présentent différentes marques, compositions, et différents prix au kilo du café torréfié en
grains, récapitulés dans le Tableau 7.
Marque
Variété
Café en grain
Défaut
Prix
Code
Nationale 1
Arabica
Non
22€/kg
N1-A
Nationale 2
Arabica et Robusta
Non
16€/kg
N2-AR
Distributeur 1
Arabica
OUI
10€/kg
D1-A*
Distributeur 2
Robusta
Non
3€/kg
D2-R
Tableau 7- Les cafés testés et leurs caractéristiques
Deux cafés sont de marques nationales (N1-A et N2-AR), deux sont de marques de
distributeur (D1-A* et D2-R). Deux sont composés uniquement d’arabica (N1-A et D1-A*),
un autre est un mélange (N2-AR), le dernier est composé uniquement de robusta (D2-R).
L’arabica est reconnu par les experts comme donnant des produits de qualité supérieure,
tandis que le robusta est moins cher et le plus souvent utilisé en mélange avec de l’arabica.
Chaque café s’apparente à une gamme de prix bien distincte, de 3€ le kilo pour le robusta de
marque de distributeur, à 22€ le kilo pour le pur arabica de marque nationale. Dans la
restauration, les prix sont volatiles car ils dépendent de l’établissement, du volume commandé
et des services sur-mesure associés. Cependant ces prix sont les prix bruts sans aucun service
et sont donc un bon indicateur des différences de prix existantes.
145
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Ces cafés ont été dégustés en aveugle et sélectionnés parmi une vingtaine de références par
cinq professionnels de la torréfaction, pour leur représentativité dans quatre catégories,
dégustées séparément et en aveugle : arabicas haut de gamme, arabicas bas de gamme,
mélange comprenant du robusta en haut de gamme, mélange comprenant du robusta en bas de
gamme. Lors de cette pré-sélection, aucun des cafés sélectionnés ne présentait de défaut.
Pour chaque café ainsi sélectionné, plusieurs paquets de 1 kg de grains ont été achetés, en
veillant à ce que chacun comporte exactement le même numéro de lot, afin que chaque groupe
de sujets évalue un lot de café provenant du même batch de fabrication, et présentant les
mêmes propriétés sensorielles.
Cependant, lors de l’expérimentation ultérieure auprès du groupe de sujets représentant les
professionnels de la torréfaction, les commentaires ont révélé la présence d’un défaut : une
fève fermentée, donnant un arôme désagréable au produit D1-A*. En conséquence,
l’expérimentation a été renouvelée avec un autre numéro de lot, révélant lui-aussi ce même
défaut. Finalement, les données originales ont été conservées et nous avons considéré que la
présence de ce défaut était inhérente au niveau de gamme du produit. Afin de repérer ce
produit parmi les autres dans les résultats, nous signalons le défaut par une étoile.
2.2. Préparation : sous forme d’expresso Chacun de ces quatre cafés a été préparé de manière identique en expresso sur une machine
professionnelle, selon les standards en vigueur dans la restauration. Le profil sensoriel des
cafés boissons, et donc les résultats, pourraient être différents avec d’autres paramètres de
préparation.
Quatre moulins identiques (Santos 40A) permettaient de stocker et de moudre chacun des
quatre cafés en grain. L’écartement des meules de chaque moulin a d’abord été réglé pour que
15 grammes de café moulu permettent de préparer deux expressos de 5 cl à l’aide d’un portefiltre double, en 20 secondes (± 2 secondes en moyenne sur plusieurs essais chronométrés).
Afin que le café moulu soit toujours tassé de manière identique, un compacteur
dynamométrique, exerçant une pression constante, a été utilisé. Puis le dosage volumétrique
automatique de chaque moulin a été réglé pour délivrer 15 grammes de café moulu (± 1
gramme en moyenne sur trois essais pesés) en actionnant deux fois la molette. Un code à 3
chiffres a été donné à chaque café et était inscrit sur le moulin, ainsi que sur un porte-filtre
servant uniquement à préparer ce café, afin d’éviter que les arômes se mélangent (Photo 3).
146
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Des tasses blanches portant ces codes à 3 chiffres étaient stockées sur la partie chauffe-tasse
de la machine à expresso professionnelle (Photo 4).
Une fois ces réglages effectués, les cafés ont été préparés sur une machine de la marque
Cimbali, à 2 ou 3 groupes selon les lieux de test. Les deux premiers porte-filtres doubles
étaient remplis en actionnant deux fois la molette du moulin correspondant, puis leur contenu
était tassé à l’aide du compacteur dynamométrique. Deux tasses de chacun de ces deux cafés
étaient préparées simultanément sur la machine. Pendant que ces premiers cafés coulaient, les
deux porte-filtres doubles suivants étaient remplis et tassés. Entre chaque vague de cafés ainsi
préparés, un « flush », c’est-à-dire une chasse du café resté collé aux buses de la machine,
était effectué en laissant couler un peu d’eau. Deux tasses des deux cafés suivants étaient
ensuite préparées de la même manière au cours d’une deuxième vague. À la fin d’une série de
préparation, deux sets des quatre cafés à évaluer étaient prêts pour la dégustation (Photo 5).
Chaque café était alternativement préparé lors de la première ou de la deuxième vague, afin
d’éviter que l’évaluation des produits soit liée à leur température de service. Chaque café était
servi dans une tasse blanche, avec le code à 3 chiffres correspondant, à une température
d’environ 83°C.
147
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Photo 3 - Un moulin et un porte-filtre double codés par 3 chiffres pour chaque café
Photo 4 - Des tasses codées par 3 chiffres pour chaque café
Photo 5 - Deux sets de 4 cafés prêts à la dégustation
148
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
2.3. Déroulement de l’expérimentation dans chaque groupe de sujets Les quatre cafés ont été évalués par trois groupes de dégustateurs représentant chacun des
acteurs de la filière : consommateurs, restaurateurs et torréfacteurs. Le référentiel de
classement des produits variait selon les objectifs supposés de chacun des groupes :
appréciation pour les consommateurs, satisfaction des clients pour les restaurateurs et qualité
des produits pour les torréfacteurs.
L’objectif ici est d’évaluer s’il existe un accord sur un classement commun des produits au
sein de chaque groupe. Il ne s’agit pas de relever des préférences individuelles. Si l’on
étudiait les montres par exemple, la question ne serait pas de savoir si certains consommateurs
préfèrent porter une Swatch et d’autres une Rolex, mais plutôt si tout le monde s’accorde à
dire que l’une est considéré par le groupe comme supérieure à l’autre. Afin de détourner
chaque individu de sa préférence individuelle et de le conditionner à donner la vision du
groupe, la tâche consistait à deviner le classement moyen obtenu auprès d’un groupe de pairs
(consommateurs, restaurateurs ou torréfacteurs).
Afin de pouvoir comparer non seulement les rangs des produits mais aussi l’écart perçu entre
les produits, ce classement se faisait en disposant les cafés le long d’une échelle non
structurée. L’échelle tenait sur deux feuilles A4 dans la longueur, et mesurait 58 cm. Ce
format permet de poser physiquement les tasses sur l’échelle et de disposer d’assez de
longueur pour les espacer.
La collecte des coordonnées des produits sur une échelle présente plusieurs avantages. D’une
part cela permet aux participants d’évaluer les produits de manière comparative, ce qui est
plus facile que de donner un score d’appréciation pour chaque produit successif (Ares, Varela,
Rado, & Giménez, 2011). D’autre part cela permet de ne pas forcer le nombre de rangs à
donner. Chaque participant est libre de séparer les produits en deux « rangs », ou niveaux - en
séparant un produit de trois autres, ou deux fois deux produits équivalents - ou encore de
distinguer quatre « rangs » bien distincts. L’amplitude des différences perçues entre les
produits est ainsi mieux représentée dans les données.
Si certains cafés étaient jugés inacceptables à servir en restauration par les participants, une
autre tâche était de les indiquer par un signe « stop » ou « interdiction » (cercle rouge barré
d’un trait rouge diagonal).
149
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
L’objectif ici est d’étudier la perception sensorielle en situation d’attention, et non le
comportement des participants, aussi l’expérimentation se rapproche d’un contexte de
laboratoire. Les participants étaient le plus isolés possible, afin de limiter les interactions et de
collecter des données individuelle.
2.3.1.
Consommateurs Des prospectus ont été déposés dans les commerces d’Ecully (69) et des alentours afin de
recruter des participants à l’étude. Les volontaires s’étant manifestés par e-mail ont été
rappelés afin de répondre à un questionnaire de sélection. Les participants étaient tous
majeurs, consommateurs de café et en commandaient au moins occasionnellement au
restaurant. 49 personnes ont participé à cette expérimentation au cours de 12 séances réparties
sur 3 matinées. Chaque séance durait environ une heure et quart, et les participants étaient
ensuite gratifiés d’un lot d’une valeur marchande de 20€ au choix (livre de recettes et
limonadier, tasses à expressos ou tablier de cuisine).
Chaque séance comportait 5 phases :
1) Accueil et explication, à l’aide d’un exemple, de la tâche à effectuer pour chaque
ensemble de produits suivant
2) Classement de 4 eaux minérales dégustées en aveugle en guise d’entraînement
3) Classement des 4 cafés dégustés en aveugle
4) Classement de 6 images de tasses de café, dont celles des 4 cafés précédents + 2 autres
(L’image de chaque café se compose d’une tasse avec le logo de la marque et d’une
indication sur sa composition en arabica ou robusta)
5) Classement des 4 cafés, dégustés avec images
Lors de la phase d’accueil, les participants étaient informés que l’étude allait être réalisée
auprès d’une cinquantaine de personnes et que tous évalueraient les mêmes produits, dans les
mêmes conditions. Pour chaque ensemble de produits, les participants étaient invités à
imaginer qu’on leur propose ces variantes au même prix au restaurant.
Ils donnaient ensuite leur classement personnel en plaçant matériellement les produits sur
l’échelle, allant de « je n’aime pas du tout » à « j’aime beaucoup » et en reportant leurs
emplacements par un trait au crayon et le code à 3 chiffres du produit correspondant. Si,
parmi chaque ensemble de produits, certaines variantes leur semblaient inacceptables, ils
étaient encouragés à les signaler par un autocollant « interdiction ».
150
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Puis, sur une deuxième échelle, il leur était demandé de deviner quel serait le classement
moyen obtenu à la fin de la semaine, sans prendre en compte leur réponse. Si selon eux
certains produits seraient jugés inacceptables par plus de la moitié des participants, il leur été
également demandé de les signaler par l’autocollant « interdiction ». Pour ce deuxième
classement, un des ensembles de produits évalués serait tiré au sort, et le participant le plus
proche du classement moyen obtenu à la fin de la semaine gagnait un lot supplémentaire.
Nous nous intéressons ici aux résultats du classement des cafés dégustés en aveugle, étape
commune avec les restaurateurs et les torréfacteurs. Nous reviendrons sur les résultats de la
phase de classement des images, et de celle des produits dégustés avec leurs images, en
conclusion de ce chapitre. Leur déroulement est présenté dans l’Encadré 19.
Encadré 19 - Déroulement des étapes de classement avec images
Après la phase de classement des cafés en aveugle, les images de 6 cafés étaient présentées aux
participants. Elles comprenaient chacune une photo d’une tasse à expresso blanche avec le logo de
la marque de café, et une indication de la composition : « Mélange d’arabicas », « Mélange de
robustas » ou « Mélange d’arabicas et de robustas ». Ils devaient classer ces images selon le même
principe que pour les cafés dégustés.
Parmi les 6 images, 4 représentaient les cafés dégustés en aveugle. D2-R étant d’une marque
« premier prix », sans logo, de la même enseigne de distribution que la marque D1, il était
représenté par une tasse avec le logo de la marque D1. Enfin, pour équilibrer la présence des
marques et des mélanges d’arabica ou de robusta, nous avons intégré un mélange d’arabicas et
robustas de la marque nationale 1 et un mélange d’arabicas de la marque nationale 2. Ce plan
d’expérience plus équilibré permettra d’évaluer l’effet sur l’appréciation des consommateurs de la
composition, indépendamment de la marque, et inversement.
Code
Logo de la
marque
N1
Indication
Café dégusté
« Mélange d’arabicas »
OUI
N1-AR
N1
« Mélange d’arabicas et de robustas »
NON
N2-A
N2
« Mélange d’arabicas »
NON
N2-AR
N2
« Mélange d’arabicas et de robustas »
OUI
D1-A*
D1
« Mélange d’arabicas »
OUI
D2-R
D1
« Mélange de robustas »
OUI
N1-A
Lors de la dernière phase, les quatre cafés déjà dégustés en aveugle étaient de nouveau présentés,
avec un code différent, et avec l’image correspondante.
Lors de la dégustation des cafés, les participants étaient autorisés à ajouter du sucre selon
leurs habitudes. Ils devaient ajouter la même quantité de sucre dans chaque tasse et indiquer
cette quantité sur leur questionnaire.
151
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
2.3.2.
Les restaurateurs Lors d’une rencontre entre diplômés de l’Institut Paul Bocuse, école de management en
hôtellerie et restauration, les personnes présentes étaient conviées à participer à une
dégustation de cafés et à répondre à un questionnaire. Parmi 25 participants à la dégustation
ayant donné des réponses complètes, 16 ont une expérience significative dans la restauration
et constituent le groupe représentant les restaurateurs.
Les participants dégustaient les cafés dans un ordre aléatoire et devinaient le classement
moyen de ces cafés donné par un groupe de professionnels sur une échelle de « Clients
insatisfaits » à « Clients très satisfaits ». Tout comme le groupe de consommateurs, ils
plaçaient les produits le long de l’échelle et marquaient leur emplacement et leur code. Ils
indiquaient les produits inacceptables à servir dans la restauration selon eux par un
autocollant « interdiction » (Photo 6). Afin de les inciter à réfléchir au résultat au niveau du
groupe, un colis mignardise était offert au participant le plus proche du score moyen. Si leur
classement personnel de ces cafés en termes de satisfaction client était différent, ils pouvaient
l’indiquer sur une deuxième échelle.
Photo 6 - Classement effectué par un participant du groupe représentant les restaurateurs
2.3.3.
Les torréfacteurs Enfin, 9 employés de chez Malongo dont l’activité est en lien avec la dégustation des
produits, ou dont la fonction impacte l’offre proposée dans la restauration, ont également
évalués les produits.
Il leur était demandé de déguster les cafés dans un ordre aléatoire et de deviner le classement
moyen de ces cafés donné par un groupe de pairs sur une échelle allant de « Mauvaise
qualité » à « Très bonne qualité ». Tout comme les consommateurs et les restaurateurs, ils
devaient pour cela placer les produits le long de l’échelle non structurée de 58 cm et marquer
152
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
leur emplacement et leur code. Ils étaient encouragés à indiquer les produits qui seraient
estimés inacceptables à servir dans la restauration par un autocollant « interdiction ».
Dans un deuxième temps, il leur était demandé, pour ces 4 mêmes cafés, d’estimer le
classement moyen donné par le groupe de consommateurs, sur une échelle de « Je n’aime pas
du tout » à « J’aime beaucoup ». Si, selon eux, certains produits seraient jugés inacceptables
par plus de la moitié des consommateurs, il leur été également demandé de les signaler par
l’autocollant « interdiction ».
Afin de les inciter à réfléchir au résultat au niveau du groupe de pairs et du groupe de
consommateurs, une bouteille de champagne était offerte au participant le plus proche du
classement moyen pour un de ces groupes ensuite tiré au sort.
Les groupes de professionnels, restaurateurs et torréfacteurs, comprennent moins de
participants. Cependant leur connaissance des produits et leur entraînement à les déguster
devraient permettre un consensus avec un plus petit nombre de sujets.
2.4. Analyse des données collectées Les données collectées sont d’une part, pour chaque produit et chaque échelle d’évaluation, la
distance à l’origine de l’échelle en millimètres, et, d’autre part, le nombre de fois où le produit
est associé à un symbole « interdiction » (Figure 28). À chaque étape et dans chacun des
groupes, les participants pouvaient également inscrire des commentaires sur les produits,
facilitant ensuite l’interprétation.
Figure 28 - Données collectées
La perception et l’évaluation sensorielle des aliments et des boissons dépendent en partie de
l’ordre de présentation des produits. La fatigue sensorielle augmente avec le nombre de
153
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
produits dégustés, et le dernier est plus difficile à évaluer que le premier. Le goût du produit
précédent peut persister et masquer les arômes du produit évalué. Ces effets sont
particulièrement présents pour le cas du café préparé en expresso. D’autre part, quelle que soit
la nature des produits, l’ordre de présentation impacte les comparaisons effectuées. Il existe
un effet d’ancrage, par lequel tous les produits évalués sont comparés avec le premier produit.
Pour contrebalancer ces effets et ne pas pénaliser un produit qui serait plus souvent servi en
dernier, ou après un produit au goût persistant, en évaluation sensorielle, les produits sont
généralement présentés aux dégustateurs dans des ordres différents, et de manière la plus
équilibrée possible. Dans notre cas, les produits ont été présentés dans un ordre aléatoire pour
les restaurateurs et les torréfacteurs. Pour les consommateurs, les produits ont été ordonnés
selon un plan de présentation équilibré, dans lequel chaque produit apparaissait à la même
fréquence à un rang de dégustation donné, et avant ou après chacun des trois autres produits.
La différenciation verticale existe si tous les sujets d’un groupe s’accordent sur le classement
des produits. Tester cette hypothèse pour des produits alimentaires, sur la base de la
dégustation, pose problème, car tous les participants ne partent pas des mêmes comparaisons
pour évaluer les produits, et ne subissent pas les mêmes effets d’ordre de présentation. Dès
lors, plutôt que d’observer s’il existe un classement ordinal majoritaire au sein du groupe,
nous avons considéré la position moyenne des produits sur l’échelle et testé si les écarts
observés sont liés ou hasard ou sont significatifs. Analyser ainsi les données, plutôt que de
recenser les différentes combinaisons de classement ordinal, permet de conserver le nombre
de rangs naturellement présents dans les données (un produit en tête suivi par trois autres
produits proches, ou deux rangs de deux produits par exemple).
Pour conclure sur le niveau de consensus dans le classement des produits par le groupe, nous
effectuons un test de Friedman permettant d’évaluer s’il existe un effet significatif des
produits sur la disposition observée le long de l’échelle, au risque α = 5% (probabilité
critique < 0.05). Si c’est le cas, cela signifie qu’au moins un des produits est évalué par le
groupe de manière significativement différente d’un autre, c’est-à-dire que la disposition des
produits n’est pas due au hasard, et qu’il existe un consensus sur au moins deux niveaux de
valeur des produits.
Puis nous effectuons un test de comparaisons multiples par paires, afin de déterminer quels
produits exactement diffèrent les uns des autres. Les produits illustrés par une même lettre sur
les graphiques (a, b ou c), ne sont pas significativement différents les uns des autres. Cela
154
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
signifie que les sujets les ont classés à un même niveau sur l’échelle, ou ne les ont pas classés
de la même manière, ne permettant pas de les distinguer au niveau du groupe.
L’intervalle de confiance de la position des produits sur l’échelle est également représenté sur
les graphiques. Il indique l’intervalle dans lequel le produit se situerait, avec 95% de chances,
si l’on reproduisait l’expérience. Plus cet intervalle est petit, plus les sujets s’accordent sur la
valeur de ce produit. Ainsi deux produits non significativement différents avec un faible
intervalle de confiance autour de leur position sont jugés par tous comme équivalents. Avec
un intervalle de confiance plus large, ils sont en fait jugés différemment au sein du groupe.
Quelle que soit la raison, ces produits ne sont pas différenciés verticalement au sens de la
théorie, car il n’y a pas de consensus sur une plus grande valeur de l’un ou de l’autre des
produits.
Pour interpréter les résultats, nous considérons que plus les produits sont distincts les uns des
autres lors de la comparaison multiple par paire, plus une hiérarchie commune des produits
existe, et plus la différenciation verticale au sein du groupe est importante. La fréquence à
laquelle le symbole interdiction est associé à un produit permet d’affiner ces résultats.
155
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
3. Résultats : un alignement de la valeur perçue des produits dans la filière, mais différentes amplitudes 3.1. Les consommateurs La position moyenne des produits sur l’échelle allant de « je n’aime pas du tout » à « j’aime
beaucoup » varie très peu entre les préférences individuelles des consommateurs et
l’estimation par chacun des préférences du groupe (Figure 29). Dans ces deux configurations,
il est intéressant de noter que les produits, dégustés en aveugle et sans information, se
retrouvent classés par ordre de prix des produits intermédiaires (prix du café en grains,
indiqué entre parenthèse pour chaque produit).
Afin d’évaluer s’il existe une différenciation verticale commune au-delà des préférences
individuelles, nous considérons les résultats obtenus lors de l’estimation du classement moyen
des produits sur l’échelle au niveau du groupe (graphique de droite). Le test de Friedman
montre un effet très significatif des produits sur la disposition observée le long de l’échelle
(probabilité critique <0.0001).
Figure 29 - Classement des produits par les consommateurs, préférences individuelles et estimations des préférences
du groupe (N=49) – Position des produits en mm sur l’échelle, deux produits porteurs de la même lettre (a, b ou c) ne sont pas
significativement différents
Les comparaisons multiples par paires montrent trois niveaux distincts d’acceptabilité des
produits, représentés par trois couleurs dans le tableau sous le graphique. Le produit N1-A,
156
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
arabica de marque nationale, est préféré aux deux produits de marque de distributeur : D2-R,
robusta, et D1-A*, arabica avec un défaut.
À l’opposé, le produit D2-R est significativement plus bas sur l’échelle. Les consommateurs
s’accordent sur l’estimation qu’il sera moins apprécié par l’ensemble du groupe. 47% d’entre
eux pensent que plus de la moitié des participants le trouvent inacceptable. En effet 67%
trouvent ce produit inacceptable au niveau individuel.
Entre ces deux extrémités, D1-A* et N2-AR, l’arabica avec un défaut et le mélange arabica et
robusta, ne sont pas estimés comme significativement différents par les consommateurs en
termes d’appréciation par le groupe.
Les produits N1-A et N2-AR ne sont pas significativement différents sur cette échelle,
pourtant, 10% des consommateurs ont estimé que le produit N2-AR serait jugé inacceptable
par une majorité des participants au niveau individuel, alors qu’aucun d’eux n’a estimé que le
produit N1-A serait jugé de la sorte. Cette divergence entre les deux produits pourrait cacher
une disparité dans la manière dont les consommateurs ont évalué ce produit. Afin d’éclaircir
ce point, une analyse de l’homogénéité des préférences des consommateurs, au niveau
individuel cette fois, est présentée dans l’encadré suivant.
157
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Encadré 20 - Analyse de l’homogénéité des préférences des consommateurs lors de la dégustation en aveugle
Afin de détecter s’il existe des groupes de consommateurs évaluant les produits de manière similaire dans un
groupe et de manière différente entre les groupes, nous avons effectué une analyse en composante principales
(ACP) sur les scores d’appréciation individuelle des produits, suivie par une classification ascendante
hiérarchique (CAH).
Dans l’ACP, les différences entre sujets sont représentées par la distance les séparant sur la représentation
graphique. Plus deux individus sont proches, plus ils présentent de similarité dans leur manière d’évaluer les
produits. La CAH permet de détecter des classes homogènes de consommateurs. Le nombre de classes
optimales est calculé afin de minimiser la variabilité au sein de chaque classe et de maximiser la variabilité
entre elles.
La première dimension de variabilité oppose des sujets appréciant le produit D1-A*, arabica avec un défaut,
de ceux appréciant les produits N2-AR ou D2-R, contenant pour partie ou seulement du robusta. La seconde
dimension de variabilité entre les sujets oppose ceux appréciant le produit N1-A, de ceux l’appréciant moins.
La partition des sujets selon la CAH donne deux classes principales. La première est composée de 8 sujets,
amateurs de robusta, ayant davantage apprécié les produits D2-R et N2-AR, contenant du robusta, et moins
apprécié le produit D1-A*, arabica avec un défaut. La deuxième classe est composée de 41 sujets, dont
l’appréciation des produits est plus proche de celle de tous les individus du groupe en moyenne. Le produit
N1-A, également apprécié dans les deux classes, n’intervient pas dans la partition. L’hétérogénéité des
préférences décelée ici serait probablement plus nette encore avec un nombre de participants plus élevé.
Figure 30 - ACP (gauche) et appréciation individuelle moyenne des produits dans les deux classes de sujets issus de la CAH et
dans le groupe total (en mm sur l’échelle)
158
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
3.2. Les restaurateurs Figure 31 - Classement des produits par les restaurateurs, estimation du classement moyen par un groupe de pairs
(N=16) - Position des produits en mm sur l’échelle, deux produits porteurs de la même lettre (a, b ou c) ne sont pas significativement
différents
Lors de l’estimation du classement moyen des produits évalués par un groupe de pairs sur une
échelle allant de « clients insatisfaits » à « clients très satisfaits », les restaurateurs donnent un
classement moyen des produits dont l’ordre correspond aux préférences des consommateurs :
N1-A obtient le meilleur score, suivi par N2-AR, D1-A*, puis D2-R (Figure 31). Ici encore,
dégustés en aveugle et sans information, les cafés se retrouvent classés par ordre de prix des
produits intermédiaires.
Ces données nous permettent d’évaluer s’il existe une différenciation verticale commune aux
restaurateurs. Le test de Friedman montre un effet très significatif des produits sur la
disposition observée le long de l’échelle (<0.0001).
Les comparaisons multiples par paires montrent seulement deux niveaux distincts
d’acceptabilité des produits. Seul le produit D2-R se distingue significativement des trois
autres. Il est moins bien évalué par les restaurateurs. Parmi eux, 94% estiment que ce produit
est inacceptable à servir dans la restauration. Les trois autres produits sont jugés acceptables
par 80% des participants ou plus, et ne sont pas significativement différents en termes de
position sur l’échelle. Leur intervalle de confiance est plus grand que pour le produit D2-R,
montrant que le consensus est présent uniquement sur le fait que ce produit est inacceptable,
159
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
chacun ayant ensuite un classement différent des produits acceptables. La différenciation
verticale est moins importante que dans le groupe de consommateurs.
3.3. Les torréfacteurs 3.3.1. Estimation de la qualité évaluée par un groupe de pairs Ici encore, lors de l’estimation de la position moyenne des produits évalués par un groupe de
pairs sur une échelle allant de « Mauvaise qualité » à « Très bonne qualité », les torréfacteurs
donnent un classement moyen des produits suivant leur ordre de prix.
Le test de Friedman montre un effet très significatif des produits sur la disposition observée le
long de l’échelle (<0.001). Alors que les restaurateurs écartaient un produit inacceptable, les
torréfacteurs écartent plutôt un produit acceptable. En effet, les comparaisons multiples par
paires montrent une séparation en deux niveaux distincts d’acceptabilité : N1-A d’une part et
D1-A* et D2-R d’autre part. N2-AR n’est significativement différent d’aucun autre produit.
Les produits sont moins bien distincts les uns des autres que par les consommateurs, la
différenciation verticale n’est pas aussi importante.
Figure 32 - Classement des produits par les torréfacteurs, estimations du classement moyen par un groupe de pairs
(N=9) - Position des produits en mm sur l’échelle, deux produits porteurs de la même lettre (a, b ou c) ne sont pas significativement
différents
160
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Dans les commentaires, la moitié des participants environ signale le produit D1-A* comme
présentant un défaut avec des termes comme « vineux », « fermenté », « fermentation »,
« défectueux », « très mauvais ». Cependant les qualités aromatiques du produit
simultanément présentes sont aussi décrites : « parfumé, avec du corps », « fin, légèrement
acide, aromatique ». Il est identifié comme un « arabica de mauvaise qualité ».
La présence de robusta est souvent mentionnée par les participants pour les produits D2-R et
N2-AR. Cette reconnaissance des ingrédients et l’identification de défauts semble être à
l’origine du faible consensus présent dans l’évaluation des produits. Un mauvais arabica est-il
meilleur qu’un mélange arabica-robusta qualifié de « correct » ? Selon la manière dont le
défaut ou la présence de robusta est prise en compte dans le jugement de valeur, le classement
des produits le long de l’échelle varie entre les participants du groupe représentant les
torréfacteurs. Les intervalles de confiance assez larges autour de la position moyenne des
produit D2-R, D1-A* et N2-AR témoignent de cette variabilité dans la manière d’évaluer ces
produits. Alors qu’une majorité des consommateurs et des restaurateurs s’accordent sur le fait
que le produit D2-R est inacceptable à servir dans la restauration, les torréfacteurs pénalisent
pour certains la présence de robusta, pour d’autres la présence du défaut dans D1-A*.
161
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
3.3.2. Estimation des préférences des consommateurs Figure 33 - Classement des produits par les torréfacteurs, estimations du classement moyen par les consommateurs
(N=9) - Position des produits en mm sur l’échelle, deux produits porteurs de la même lettre (a, b ou c) ne sont pas significativement
différents
Lors de l’estimation des préférences des consommateurs, de nouveau les torréfacteurs classent
les produits selon leur ordre de prix. Le test de Friedman montre un effet significatif des
produits sur les positions moyennes observées le long de l’échelle. Les comparaisons
multiples par paires montrent que les torréfacteurs distinguent surtout D2-R et D1-A*,
estimés comme peu appréciés des consommateurs, de N1-A, considéré comme apprécié des
consommateurs.
Alors que 67% des consommateurs trouvent D2-R inacceptable au niveau individuel, seuls 2
participants du groupe de torréfacteurs sur 9 estiment que ce produit est inacceptable pour une
majorité de consommateurs. À l’inverse, 5 d’entre eux pensent que le produit D1-A* est
inacceptable pour une majorité de consommateurs. Il l’est en fait pour seulement 18% des
consommateurs participants à la dégustation.
162
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
3.4. Comparaison entre groupes de sujets Les résultats montrent un bon alignement entre les acteurs dans l’ensemble. Le classement
général des produits est identique dans chacun des groupes. Quelle que soit la question posée,
et bien qu’aucun participant n’ait eu d’information sur les produits, le classement suit la
courbe des prix des produits intermédiaires (café en grains).
Les différences entre produits sont bien perçues et résultent en différents jugement de valeur.
La qualité estimée a priori sur la base des caractéristiques comme les ingrédients (arabica,
robusta) et le type de marque (marque de distributeur ou marque nationale) résulte en une
différenciation verticale commune des produits par tous les acteurs de la filière. Cependant
l’ampleur de cette différenciation verticale varie entre les groupes d’acteurs.
Les consommateurs voient trois niveaux d’acceptabilité des produits. Seul N2-AR ne se
distingue pas nettement de D1-A* et N1-A, car les préférences ne sont pas homogènes
(Encadré 20). En effet, un petit groupe de consommateurs, amateurs de robusta, préfèrent le
produit N2-AR au produit N1-A, créant de la différenciation horizontale des produits.
Les restaurateurs voient deux niveaux d’acceptabilité des produits. Ils distinguent
principalement D2-R, inacceptable à servir dans la restauration pour une majorité d’entre eux
(94%), des trois autres. Dans ce groupe, il n’existe pas de consensus sur un produit menant à
davantage de satisfaction pour les clients. Des différences plus marquées seraient peut être
observées avec un plus grand nombre de participants.
Les torréfacteurs voient également deux niveaux d’acceptabilité mais ils distinguent surtout
N1-A, produit acceptable, des trois autres. Les trois produits moins acceptables : D2-R, D1A* et N2-AR, sont pénalisés par les participants dans différentes proportions. Il semble que
les torréfacteurs ont l’habitude de rechercher des défauts ou les variétés de café en présence
pour juger de la qualité, mais qu’il n’existe pas de consensus sur la manière de prendre en
compte ces caractéristiques dans l’évaluation des produits. Par ailleurs, ils surestiment le rejet
du café arabica présentant un défaut (D1-A*) par les consommateurs. Cela pourrait
s’expliquer par le fait qu’ils voient les produits à la loupe et identifient des « caractéristiques
d’experts » liées à la connaissance des ingrédients et procédés de production, comme c’est le
cas pour le vin par exemple (Hughson & Boakes, 2002). Pour le café, il s’agit par exemple du
goût spécifique de l’arabica et du robusta, de la reconnaissance du degré de torréfaction, de la
présence de sur-fermentation, etc. Ce degré d’expertise amplifie l’importance accordée à la
présence de certains défauts et modifie la perception et l’évaluation des produits.
163
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
4. Discussion : les restaurateurs, « maillon faible » de la transmission de la qualité En termes de coordination, il existe un bon alignement lors de l’évaluation de la qualité des
produits mais cette différenciation verticale revêt différentes amplitudes selon les groupes.
Les professionnels classent les produits en deux niveaux d’acceptabilité seulement, alors que
les consommateurs s’accordent sur au moins trois niveaux. Les consommateurs différencient
les produits de manière plus significative que les professionnels. Leur différenciation verticale
des produits est plus importante. Ce léger défaut de coordination peut constituer une barrière à
l’entrée des produits sur le marché de la restauration.
Ces différences d’amplitude dans la différenciation verticale des produits représentent en
effet deux risques (Figure 34). Le premier est que les professionnels de la torréfaction
proposent de la « sur-qualité » aux restaurateurs. En produisant le café de qualité la plus
élevée selon eux mais aussi le plus cher (N1-A), ils encourent le risque de ne pas pouvoir le
vendre aux professionnels de la restauration, qui eux ne le distinguent pas des cafés de
moyenne gamme et choisiront donc probablement un café moins cher (N2-AR ou D1-A*). Le
deuxième risque est que les consommateurs se voient proposer de la « sous-qualité » par les
restaurateurs. Puisque les professionnels de la restauration ne distinguent que le café
inacceptable, la probabilité est forte que parmi les produits considérés comme acceptables,
avec des services comparables par ailleurs, ils choisissent le produit le moins cher, mais aussi
le moins apprécié par les consommateurs (D1-A*). De plus, certains restaurateurs choisiront
peut être le produit D2-R, même s’ils le savent moins satisfaisant pour leurs clients.
Figure 34 – Risques des différences d’amplitudes perçues
164
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Cette expérimentation permet de rétablir de la symétrie d’information sur les préférences des
consommateurs, peu connues de l’offre auparavant. Pendant les entretiens avec des
consommateurs (Chapitre 1), de nombreuses personnes ont exprimé le fait qu’elles ne
percevaient pas bien les différences entre plusieurs cafés et n’avaient par conséquent pas de
préférences particulières. Cependant, les consommateurs participants à cette expérimentation
distinguent bien les produits et présentent une hiérarchie commune de préférences. A
posteriori, on observe que cette hiérarchie suit l’ordre de prix des produits intermédiaires
(café en grain). Seul un petit groupe d’amateurs de robusta présente des préférences distinctes
de celle de la majorité. Cela laisse présager d’une différenciation horizontale bien présente si
les produits étaient sélectionnés dans ce but : avec un niveau de qualité équivalent mais
différents profils sensoriels.
D’un point de vue sensoriel, le degré de coordination en conception est assez bon. Les
torréfacteurs connaissent le set de caractéristiques à produire pour satisfaire les
consommateurs. Ces caractéristiques seraient à valoriser davantage auprès des restaurateurs,
qui n’identifient pas aussi distinctement ce qu’est un « bon café », et connaissent surtout les
caractéristiques d’un café inacceptable à servir dans la restauration. De plus, mettre en avant
certaines caractéristiques, comme la variété de café, pourrait permettre d’accentuer la
différenciation auprès des consommateurs, comme le montrent les résultats de la dégustation
avec information présentés dans l’Encadré 21.
Il reste en effet une asymétrie d’information sur les caractéristiques de l’offre aux dépens des
consommateurs. Si le restaurateur connaît la qualité du café acheté et de sa préparation, le
consommateur n’a que très peu d’indices lui permettant d’évaluer la qualité du café servi
avant commande et dégustation. Cette incertitude sur la qualité nuit à l’ensemble du marché
car elle mène à une moindre valeur accordée au café dans la restauration par les
consommateurs. Afin de sortir de cette situation, la théorie économique suggère de signaler la
qualité des produits sur le marché par différents mécanismes : par exemple en donnant de
l’information sur les caractéristiques des produits (Sporleder & Goldsmith, 2005).
Or, un café « pur arabica » génère des attentes d’une appréciation plus importante auprès des
consommateurs (Encadré 21), et ces attentes tendent à se confirmer à la dégustation, quel que
soit le produit. Signaler de telles caractéristiques porteuses de valeur pourrait diminuer
l’asymétrie d’information pour les consommateurs, différencier davantage les produits à leurs
yeux et à ceux des restaurateurs, et ainsi contribuer à parfaire l’alignement des acteurs sur la
qualité des produits à fournir dans la filière.
165
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Encadré 21 - Impact de l’information sur l’appréciation des produits
La moyenne des appréciations individuelles des cafés par les consommateurs, lors de trois phases
successives d’évaluation - dégustation en aveugle, information seule, dégustation avec information -,
est représentée sur la Figure 35.
Figure 35 - Appréciation moyenne des produits par les consommateurs, lors de trois phases d'évaluation
(N=49) - Position des produits en mm sur l’échelle, deux produits porteurs de la même lettre (a, b ou c) ne sont pas
significativement différents
Lors de la dégustation en aveugle, N1-A et N2-AR ne sont pas significativement différents.
Lors du classement des images seules, les consommateurs s’attendent à préférer les mélanges
d’arabicas (D1-A*, N2-A, N1-A). Le mélange de robustas (D2-R) est davantage pénalisé que les
mélanges d’arabicas et de robustas. La marque n’a pas d’effet sur le classement des produits.
Lors de la dernière phase de dégustation avec information, N1-A et D1-A*, tous deux des « Mélanges
d’arabicas », sont mieux évalués que lors de la phase de dégustation en aveugle. Désormais N1-A est
significativement préféré à N2-AR, mélange d’arabicas et de robustas. Mais il n’est plus
significativement différent de D1-A*, le produit avec un défaut.
166
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
5. Conclusion du chapitre 4 Selon Teece (1986), dans les étapes précoces de développement d’un produit, son design
fluctue, ses caractéristiques sont mouvantes. Après tâtonnements sur le marché, un design
dominant du produit émerge, dont les caractéristiques sont reconnues par les producteurs et
les consommateurs comme remplissant le mieux les attentes. Une fois le design dominant en
place, seul celui-ci est échangé et la concurrence se déplace non plus sur les caractéristiques
des produits mais sur les prix.
Pour le café dans la restauration, il existe une différenciation verticale des produits dans la
filière sur la base du profil sensoriel, et l’élévation de la qualité du standard semble pertinente.
Cependant, deux problèmes de faisabilité majeurs semblent encore empêcher la convergence
de l’offre et de la demande vers un design dominant.
D’une part, signaler des caractéristiques, telles que la marque ou la composition, ne suffit pas
à garantir la qualité. Il existe non seulement des cafés torréfiés de qualité variable, mais aussi
des pratiques variables de préparation du café boisson. Une machine mal nettoyée peut
conduire à retrouver du marc dans la tasse et du café dans la soucoupe. De mauvais gestes lors
de la mouture et du tassage peuvent conduire à un café sur-extrait ou sous-extrait. Un très bon
café en grain ou même en dose peut être mal conservé, s’oxyder et devenir rance. Tout café
torréfié peut être dégradé au stade de sa préparation dans l’établissement et donner un café
boisson juste passable, à moins que le stockage et la préparation soient totalement
verrouillés : par des standards (normes à appliquer) ou par des procédés technologiques
(capsules hermétiques). Sinon, l’absence de formation théorique et pratique, la
méconnaissance du produit, la recherche d’économie, ou de gain de temps peuvent engendrer
des mauvaises pratiques, dont les conséquences sont résumées dans le Tableau 8.
D’autre part, la satisfaction des clients n’est pas le seul objectif des restaurateurs, et cette
absence d’alignement des objectifs pose un problème de faisabilité à l’élévation de la qualité.
Puisque les restaurateurs n’achètent pas seulement du café mais aussi des services, pourquoi
achèteraient-ils un café deux fois plus cher, s’ils ne sont pas en mesure de le signaler et de le
valoriser auprès de leurs propres clients consommateurs ? Surtout si ce café n’est pas
accompagné de meilleurs services en termes de livraison, de prêt de matériel et de
maintenance par exemple. Pour créer une offre de café ayant davantage de valeur pour les
consommateurs, élever la qualité de l’offre semble pertinent mais pas suffisant.
167
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
Tableau 8- Quelques mauvaises pratiques de préparation et de stockage dans la restauration, et leurs
conséquences
Étape
Bonnes pratiques
Exemple de mauvaises
pratiques
Impact
Stockage
Moudre le café « à la minute » Vider le moulin le soir- conserver le
café moulu au réfrigérateur et les
dosettes dans un emballage fermé
Laisser le café moulu
longtemps dans le moulin Conserver les dosettes à l'air
libre
Oxydation, rancissement du café Goût de paille, goût de rance
Nettoyage
Nettoyage régulier des buses, purge
de l’eau chaude le matin, purge pour
expulser le café collé aux buses et
nettoyage des port-filtres entre
chaque café
Absence de ces étapes
Présence de marc de café dans la
tasse, mauvaise extraction
donnant goût amer
Mouture
et dosage
Mouture adaptée à la machine et au
tassage, dosage de 7 g de café par
expresso, tassage droit, pression
adaptée : bonne extraction,
l'expresso coule en 20 à 30s
Mouture trop fine, trop de
café, ou café trop tassé :
Sur-extraction : café très
concentré, épais, fort, amer
Mouture trop grossière, pas
assez de café, trop peu tassé
Sous-extraction : le café passe
trop rapidement à travers le portefiltre, il en sort très clair, liquide,
faiblement parfumé
Réglage de la température et de la
pression de la machine optimisé
Eau trop chaude : brûle le
café
Café au goût amer, brûlé
Réglage
168
Chapitre 4 – Offrir un bon café à tous : une stratégie difficile à mettre en œuvre
En résumé – Pertinence de la différenciation verticale en conception
Les cafés sont différenciés verticalement par les torréfacteurs.
Cette différenciation verticale est-elle commune à la filière ? La filière est-elle coordonnée
sur ce qu’est un « bon » ou un « mauvais » café ?
Après dégustation en aveugle de 4 cafés préparés sous forme d’expressos, et classement sur échelle
de valeur par 3 groupes d’acteurs représentatifs de la filière ( consommateurs, restaurateurs,
torréfacteurs), les résultats montrent :
•
•
Un bon alignement
o Classement ordinal des 4 cafés identique dans chacun des groupes
o Ce classement suit l’ordre des prix des produits intermédiaires
Différentes amplitudes
o Les consommateurs voient 3 niveaux d’acceptabilité des produits
o Les restaurateurs voient surtout 1 produit inacceptable
o Les torréfacteurs voient surtout 1 produit acceptable
è Un léger défaut de coordination sur la différenciation verticale des produits dans la filière
•
•
•
Les risques de ce défaut de coordination :
o Sous-qualité proposée par les restaurateurs
o Sur-qualité produite par les torréfacteurs
Signaler certaines caractéristiques recherchées, comme l’espèce, pourrait
accentuer la différenciation verticale des produits
Mais plusieurs problèmes de faisabilité persistent :
o Aucune information sur le produit ne garantit l’acceptabilité d’un café en
expresso, tant il existe de variations liées à la préparation
o La filière n’est pas alignée autour d’un objectif commun : le choix des
restaurateurs ne se porte pas nécessairement sur le meilleur café
èLa différenciation verticale des produits est une piste pertinente de valorisation de l’offre, mais
elle ne semble pas suffisante aux vues des contraintes structurelles de la filière
169
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
170
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ? Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, offrir un bon café à tous, par la
différenciation verticale de l’offre, semble pertinent mais difficile à mettre en œuvre. Une
piste plus prometteuse et en adéquation avec les tendances de consommation serait de
proposer de la différenciation horizontale, c’est-à-dire une offre de plusieurs cafés
différenciés, pour lesquels il n’y a pas d’accord sur un classement commun, et qui permettrait
à chacun de choisir son café.
Introduire une offre de plusieurs cafés présenterait plusieurs avantages…
Proposer de la variété permet d’attirer l’attention sur les produits, et de faire passer de
l’information sur leurs caractéristiques en mettant en avant celles qui les différencient –
origine,
mélange,
torréfaction,
procédé
agricole.
Ainsi,
les
consommateurs
ne
commanderaient plus « un café », mais un « café de Colombie » ou un « café de torréfaction
légère », qui pourrait avoir plus de valeur pour eux.
Cela permet aussi, éventuellement, de répondre à différentes préférences des consommateurs
et d’augmenter leur satisfaction. Selon la théorie classique en économie, un plus grand
nombre de substituts différenciés équivaut à plus de chance pour le sujet de choisir la variante
la plus proche de ses préférences individuelles pour chaque attribut, et donc de maximiser son
utilité. Les entreprises agroalimentaires fournissent des efforts considérables pour développer
des méthodes rapides permettant de localiser les coordonnées du « Produit idéal » sur des
cartes sensorielles, afin de développer des variantes de leurs produits qui permettront de
maximiser la satisfaction des consommateurs (voir par exemple Ares, Varela, Rado, &
Giménez, 2011; Faye et al., 2006; Varela, Beltrán, & Fiszman, 2014; ou Worch, Lê, Punter, &
Pagès, 2013). Or, comme le montre le tableau de l’annexe 3, le café reste l’une des dernières
boissons fréquemment consommées au restaurant pour laquelle le restaurateur ne propose
qu’un seul produit. Des variantes existent au niveau de la préparation et du service : allongé,
double, crème, café au lait, café gourmand, mais tous sont préparés à partir du même café.
171
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Enfin, certains chercheurs montrent que le fait de pouvoir choisir augmente l’appréciation et
la consommation des plats ou des produits évalués (voir par exemple : King, Meiselman,
Hottenstein, Work, and Cronk (2007); Weber, King, and Meiselman (2004)). Ainsi, lors d’une
expérimentation menée dans une cantine danoise, les enfants ayant choisi parmi deux plats de
poisson apprécient en moyenne davantage leur plat, que les enfants ayant reçu les même plats
sans choix possible (Altintzoglou, Alm, & Honkanen, 2014).
Dans ces cas, il semble que cette appréciation plus élevée soit liée au biais de dissonance
cognitive. Comment ne pas aimer un plat que l’on a soi-même choisi ? Notre cerveau
développe des stratégies pour éviter ce genre de contradiction, et l’inconfort mental qui lui est
associé. Ainsi, que le choix ait été conscient ou non, que l’on ait de réelles préférences pour le
produit ou non, il est probable que l’on rationnalise ce choix a posteriori en appréciant
davantage un produit que l’on a soi-même choisi, afin de se sentir ou de paraître raisonnable.
Köster appelle ce phénomène « l’illusion du choix conscient » (the fallacy of conscious choice
(Köster, 2003)).
Quelle qu’en soit la raison sous-jacente - mise en avant de caractéristiques du produit,
préférence pour l’un des produits ou satisfaction liée au simple fait d’avoir le choix-, proposer
plusieurs variantes peut augmenter la valeur perçue de l’offre.
En ce qui concerne l’offre de café au restaurant, la proposition d’un choix de café va souvent
de pair avec la mise en place de machines à doses. Plusieurs cafés signifient sinon plusieurs
moulins, donc plus d’investissement matériel, plus d’entretien et plus d’espace nécessaire. Or,
les doses présentent l’avantage d’un plus grand contrôle des procédés de préparation dans
l’établissement, puisque la mouture, le dosage, et le tassage sont standardisés. D’autre part, le
café contenu dans les doses est, en moyenne, plus qualitatif que le café en grain généralement
vendu dans la restauration, car il s’agit de mélanges spéciaux ou de cafés d’origines uniques.
Une offre de cafés suivant différentes méthodes de préparation nécessite quant à elle un café
de bonne qualité afin qu’il soit aussi bon en expresso, qu’en café filtre ou en cappuccino par
exemple, et de la formation à ces techniques, ce qui permettrait également de stabiliser les
procédés de préparation.
Si proposer une variété de cafés au restaurant est pertinent, cela permettrait conjointement
d’élever le standard et de proposer de la variété autour de ce nouveau design dominant, ou, en
d’autres termes, de proposer un bon café à tous, et à chacun son café.
172
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
…mais plus de choix est-il toujours mieux ?
En pratique cependant, nous avons tous déjà expérimenté la sensation d’embarras du choix
devant un (trop) grand nombre de variantes dans un rayon de supermarché. Des recherches en
psychologie suggèrent qu’avoir le choix entre des options trop nombreuses mènerait à une
piètre décision et à davantage d’insatisfaction. Si chaque option additionnelle dans un
assortiment peut augmenter sa valeur, elle peut également augmenter la difficulté de choisir
en termes d’information à traiter, de temps nécessaire et de regrets pouvant apparaître a
posteriori.
Selon la théorie des prospects (Kahneman & Tversky, 1979), basée sur le résultat de loteries
expérimentales, la conséquence d’une perte est perçue de manière plus importante que la
conséquence d’un gain d’une même valeur. Sur la base de cette théorie, Schwartz suggère que
le « coût du choix » peut être perçu comme une perte plus importante de valeur de l’offre, que
le gain correspondant représenté par le plus grand nombre d’options (Schwartz, 2004). Selon
cette hypothèse, chaque option ajoutée à un assortiment dont la taille est déjà optimale
diminue en fait sa valeur.
Lorsque le choix est trop difficile, que les différences sont trop subtiles, les variantes trop
nombreuses, ou que le consommateur manque d’expertise ou de temps, les efforts cognitifs
requis pour faire un choix deviennent trop importants. Dans une telle situation, afin d’éviter
de passer d’un système de réflexion rapide, intuitive et automatique à un système de réflexion
délibérée, lente et demandant des efforts (Kahneman, 2011) pour comparer toutes les options,
il est probable que nous ne choisissions pas notre « produit idéal » mais juste le plus proche,
le moins cher ou le plus familier, ou simplement que nous abandonnions le choix.
Car si proposer du choix peut avoir des effets bénéfiques sur les ventes ou la satisfaction des
consommateurs, se voir confronter à une kyrielle de possibilités avec des différences subtiles
peut être une expérience dissuasive. Ces aspects sont à prendre en compte dans l’architecture
des choix proposés. Pour cela, Johnson et al. (2012) recommandent par exemple de réduire le
nombre d’alternatives, d’aider au choix par de la technologie (comparateur, application), de
proposer un choix par défaut, de regrouper les options par famille, d’utiliser les descripteurs
avec parcimonie et pertinence pour faciliter le choix, et d’adapter le tout aux objectifs des
individus acteurs du choix.
Partant de ces constats, dans ce chapitre nous présentons quatre expérimentations visant à
mieux cerner quel choix de cafés proposer au restaurant, et comment, afin qu’il soit le plus
173
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
pertinent possible du point de vue des consommateurs (Tableau 9). Les questions auxquelles
nous voulons répondre dans ce but sont les suivantes :
-
Est-il pertinent de proposer un choix de café au restaurant quel qu’il soit ?
-
Quelle étendue de l’offre est souhaitable ?
-
Quel type de gamme a le plus de valeur pour les consommateurs ? Comment la
proposer ?
Une partie des expérimentations s’est déroulée au restaurant expérimental de l’Institut Paul
Bocuse à Ecully (69). Ce restaurant est ouvert à tous, sur réservation par internet. Il s’agit
d’un restaurant expérimental, car les clients sont prévenus qu’ils peuvent participer à des
études au cours de leur repas, et être « sujets d’expérience » en répondant à des questionnaires
ou en étant filmés. La salle est totalement modulable et peut être aménagée en restaurant de
type brasserie, en cantine scolaire, ou en cafétéria libre-service. Il s’agit aussi d’un restaurant
d’application, car la cuisine et le service sont assurés par des étudiants en licence arts
culinaires et management de la restauration. Le restaurant ouvre plusieurs fois dans l’année
pour des périodes de trois semaines, à raison de 5 repas par semaine : du mercredi soir au
vendredi soir. Un amuse-bouche, une entrée, un plat et un dessert sont proposés pour 25€.
Sur ce terrain d’expérimentation, nous avons collecté des données sur les consommateurs en
situation réelle de commande et de consommation au restaurant. Ce type d’expérimentation
de terrain nous permet d’observer des comportements de choix représentatifs, en dehors d’un
laboratoire, tout en cherchant à maintenir un degré de contrôle important grâce à un protocole
reproductible (Lusk & Fox, 2003).
174
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Expé.
Question
Produits
Méthode
Contexte (sujets)
3 cafés
Observation des
commandes à la carte
Restaurant expérimental
2 cafés
Préférences en aveugle
Étendue de
l’offre
Gamme de 3 et
gamme de 8 cafés
Préférences pour un
choix parmi une
gamme de cafés
restreinte ou étendue
Type de gamme
et format de
choix
2 cartes de cafés,
2
Pertinence du
choix
3
4
5
3 scénarios de choix
Mesure des
consentements à payer
par carte et par
scénario de choix
(clients)
« Laboratoire » : salle de
test classique (visiteurs)
Nombre
de sujets
304
218
Restaurant expérimental
(clients) + Campus
92 + 69
(étudiants et personnels
de l’université)
Restaurant expérimental
(clients)
231
Tableau 9- Récapitulatif des expérimentations menées sur la différenciation horizontale des cafés
175
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
1. Chacun son bon café, lors de la commande et de la dégustation 1.1. Objectif : explorer la pertinence d’une offre de choix de cafés horizontalement différenciés Une première phase d'expérimentation, exploratoire, vise à collecter des éléments afin de
répondre aux questions suivantes :
-
Quelle est la pertinence de proposer un choix de café au restaurant, quel qu’il soit ?
-
Existent-ils des préférences individuelles distinctes au-delà du seuil d’acceptabilité ?
-
Des cafés différents sont-ils commandés et appréciés par des consommateurs
différents ?
Pour cela, l’expérimentation 2 consiste à observer les commandes effectuées par les clients
d’un restaurant sur une carte de plusieurs cafés avec des indications de profils gustatifs. Lors
de cette expérimentation en situation réelle de commande et de consommation, les
« préférences attendues » sont observées, puisque les clients commandent sur la base du nom
du produit et de la description de son profil gustatif, sans avoir goûté au café. Nous souhaitons
examiner si chaque café est commandé par des clients de différents profils, afin de
comprendre si, pour les consommateurs, le choix permet de décider quel café précis
consommer, ou s’il permet plutôt de piocher parmi plusieurs options, sans préférence attendue
particulière pour l’une ou l’autre d’entre elles. Afin d’évaluer le poids du profil sensoriel
décrit sur la carte par rapport à un critère économique, on introduit également une variation
des prix à la carte. L’objectif de cette première expérimentation sur un choix de café est
d’évaluer si le type de café commandé dépend plutôt des conditions de prix, des préférences
individuelles, ou d’autres variables contextuelles comme le moment du repas : déjeuner ou
dîner.
176
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
1.2. Expérimentation 2 : les « Préférences attendues » à la carte 1.2.1. Produits testés : le Classique, le Doux et le Corsé Trois cafés, le Classique, le Doux et le Corsé, sont proposés à la carte. Ils correspondent
respectivement aux références de café suivantes, de la marque Malongo : la Grande Réserve,
les Petits Producteurs 100% Arabica, le Ristretto.
Une fois la commande effectuée, les cafés, pré-dosés, sont préparés à l’aide d’une machine
professionnelle et servis dans des tasses à expresso coniques de 7cL, en porcelaine blanche,
sans logo, avec du sucre et une cuillère.
Pendant deux semaines, les trois cafés étaient proposés au prix de 2,00€. Puis, les trois
semaines suivantes, le Classique était proposé à 1,80 € tandis que les deux autres cafés
restaient à 2,00€ (Figure 36).
Figure 36 - La carte de cafés proposée
177
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
1.2.2. Protocole : observation des commandes L’expérimentation s’est déroulée au restaurant expérimental, en situation réelle de
consommation. Les commandes de cafés avaient lieu sans intervention particulière, comme
dans un restaurant classique. Puis, une fois la commande effectuée, un questionnaire était
apporté à chaque client avec son café.
Ce questionnaire comprenait des questions sur le type de café commandé, l’ajout de sucre ou
non, la description du goût du café en quelques mots, ainsi que des items visant à connaître le
profil
social
des
clients (sexe,
âge,
catégorie
socioprofessionnelle,
fréquence
de
consommation de café).
Les données ont été récoltées pendant 5 semaines, au cours de 9 déjeuners et de 14 dîners.
1.2.3. Sujets : clients du restaurant expérimental Les participants sont tous les clients du restaurant expérimental ayant commandé un café au
cours de ces cinq semaines. 304 personnes ont commandé un café et rendu un questionnaire,
dont 148 hommes et 141 femmes. Quelques données sont parfois manquantes, telles que le
sexe des participants ou la fréquence de consommation de café, mais toutes les réponses ont
été gardées dans l’analyse lorsque c’était possible.
1.2.4. Analyse des données : café commandé et caractéristiques individuelles Les données analysées sont le nombre de commandes pour chaque café au global, puis en
fonction de différentes variables : contextuelles (conditions de prix, commande au déjeuner
ou au diner) et individuelles (genre, âge, fréquence de consommation de café, café sucré ou
non).
Ces données sont examinées tout d’abord au travers de tableaux d’effectifs, croisant le type de
café commandé avec les modalités des variables contextuelles. La liaison entre type de café
commandé et modalité de chaque variable est mesurée à l’aide de la statistique de χ2. Cette
statistique permet de mesurer l’écart entre les effectifs observés et les effectifs théoriques,
c’est-à-dire les effectifs attendus si la répartition était liée au hasard et les variables
indépendantes.
178
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Lorsque la répartition des commandes de cafés est liée de manière significative à une
modalité d’une des variables considérées au risque α=5% (probabilité critique du test de
χ2 < 0.05), cette liaison est représentée sous forme de graphique.
Puis une analyse des correspondances multiples (ACM) entre café commandé et variables
individuelles est réalisée, afin d’analyser les ressemblances entre individus. Il s’agit de
mesurer le lien entre les clients ayant commandé un café Classique, les hommes, les gros
consommateurs de cafés, les consommateurs de café avec sucre, etc. Sur le graphique
représentant le nuage des modalités, plus deux modalités sont proches, plus elles sont
présentes simultanément pour un grand nombre d’individus. Des modalités distantes sur le
graphique sont peu partagées par des individus semblables. Les modalités éloignées de toutes
les autres sont rarement présentes dans le groupe de sujets considérés.
1.2.5. Résultats : des préférences individuelles lors de la commande Variables contextuelles La répartition globale des commandes de cafés sur les 5 semaines est donnée dans le Tableau
10. Le Doux et le Corsé sont commandés en majorité et en proportions égales. Le Classique
est beaucoup moins commandé.
Quelques personnes ont commandé un décaféiné. Il ne figurait pas sur la carte, comme c’est
souvent le cas au restaurant, mais était tout de même servi à la demande. Les commandes de
décaféinés n’ont été recensées que lors de la deuxième moitié des tests et représentent de
faibles effectifs. Pour ces raisons, ces données ne sont pas gardées dans les analyses par la
suite.
La répartition des commandes en fonction du prix du Classique, montre une tendance de
liaison entre prix du café classique et nombre de commandes du Classique (probabilité
critique = 0.067, comprise entre 0.05 et 0.1). Cette tendance vient du fait qu’un plus grand
nombre de commandes de Classique est observé lorsque son prix est de 1,80 €, le Doux et le
Corsé restant à 2,00€. Cependant cette liaison est significative seulement au seuil de 10%. Le
nombre de commandes observées pour le Classique est plus faible que pour les deux autres
cafés, quel que soit son prix affiché (Figure 37).
La répartition des commandes en fonction du moment du repas, déjeuner ou dîner, ne montre
pas de liaison entre ces deux variables (probabilité critique = 0.529). Les commandes sont par
179
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
construction plus nombreuses pour le dîner que pour le déjeuner (14 dîners contre 9
déjeuners), mais en proportions équivalentes pour chacun des cafés. Cependant il est
intéressant de noter que tous les décaféinés ont été commandés lors du dîner.
Commandes
Classique
Doux
Corsé
Décaféiné
Total
N=
55
120
119
10
304
%
18,1
39,5
39,1
3,29
100
Tableau 10- Répartition des commandes entre les différents cafés, N=304
Figure 37 - Répartition des commandes en fonction du prix du Classique, N=294 (sans les décaféinés)
180
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Variables individuelles Tableau 11 - Analyse des correspondances multiples (ACM), nuage des modalités
L’étude de la répartition des commandes en fonction des modalités des variables
individuelles, par des tests de χ2, montre que le type de café commandé est lié à plusieurs
variables individuelles. Après vérification, certaines de ces variables sont également liées
entre elles. L’analyse des correspondances multiples (ACM) permet de synthétiser ces liens.
Dans cette analyse, nous avons gardé les 4 variables dont certaines modalités sont
significativement liées : café commandé, consommé avec ou sans sucre, sexe et fréquence de
consommation de café. L’ACM permet d’étudier le lien entre la commande (et la noncommande) des différents cafés et les variables individuelles, et de réaliser une typologie des
individus. L’origine du graphique se trouve toujours au milieu (ou au barycentre) des
modalités d’une même variable. Plus une modalité est éloignée de l’origine, moins elle est
présente dans le groupe de sujets. Le café Classique, moins commandé, est ainsi plus éloigné
du centre que le Doux et le Corsé. Hommes et femmes sont en proportion équivalente parmi
les participants, et à égale distance du centre.
Un simple regard permet d’observer que les modalités de la variable « fréquence de
consommation de café » se retrouvent ordonnées le long du premier axe (axe des abscisses).
Les contributions des modalités des variables montrent que cet axe oppose aussi surtout les
clients commandant un café Doux de ceux commandant un café Corsé. La répartition des
181
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
modalités de ces deux variables sur l’axe 1 provient du comportement de commande des
clients. Les clients consommant très fréquemment du café (quatre cafés par jour et plus) sont
ainsi plus nombreux à commander un Corsé, et moins nombreux à commander un Doux, et
inversement pour ceux consommant assez peu fréquemment du café (un café par jour et
moins) (Test de χ2, probabilité critique = 0.001). Si l’on regarde les données brutes, sur 17
personnes consommant 5 cafés par jour et plus, 14 commandent un café corsé. Sur 13
personnes consommant rarement du café (moins de 2 à 3 fois par semaine), 10 commandent
un café doux. La Figure 38 représente cette répartition des commandes en fonction de la
fréquence de consommation (modalités regroupées).
Le deuxième axe oppose les hommes et les femmes, les clients ayant consommé leur café
avec et sans sucre et ceux ayant commandé un Classique et un Doux. D’une part, les femmes
sont plus nombreuses à commander un Doux et les hommes sont plus nombreux à commander
un Corsé (Figure 39, Test de χ2, probabilité critique = 0.01). D’autre part, les clients
consommant du sucre avec leur café (51% des participants) sont plus nombreux à commander
un Classique et moins nombreux à commander un Corsé (Figure 40, Test de χ2, probabilité
critique = 0.006).
La répartition de fréquence de consommation des participants n’est pas significativement
différente entre les hommes et les femmes.
Enfin, il est à noter que les hommes sont plus nombreux à consommer leur café avec sucre, et
les femmes sans sucre (Test de χ2, probabilité critique = 0.026). Et, comparé au reste des
clients commandant un café, une plus grande proportion de participants buvant un café par
jour ou moins ajoute du sucre au café servi (Test de χ2, probabilité critique = 0.018). Ces
éléments se retrouvent dans la disposition des modalités de ces variables sur le graphique de
l’ACM.
Les variables classe d’âge et catégorie socio-professionnelle ne sont pas liées au café
commandé (Test de χ2, probabilité critique = 0.334 et 0.617) et ne sont donc pas incluses dans
l’ACM.
182
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Figure 38 - Répartition des commandes en fonction de la fréquence de consommation individuelle de café
Figure 39 - Répartition des commandes en fonction du sexe
Figure 40 - Répartition des commandes en fonction de la consommation de sucre avec le café
183
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
1.3. Expérimentation 3 : les « Préférences sensorielles » à l’aveugle 1.3.1. Produits testés : le Doux et le Corsé Parmi les cafés préalablement proposés à la carte, les cafés les plus commandés et les plus
différents en termes de profil sensoriel, le Doux et le Corsé, sont conservés pour cette
deuxième phase d’expérimentation. Ils sont préparés à l’aide d’une machine à doses
professionnelle, et servis dans des gobelets en carton à double paroi isotherme de 10 cl, codés
par des codes à 3 chiffres pour la dégustation en aveugle.
1.3.2. Protocole : test de préférence L’Institut Paul Bocuse est installé dans le Château du Vivier à Ecully (69), et son Centre de
recherche dans les anciennes écuries voisines. Ces lieux ont été ouverts à la visite pour le
grand public, lors de Journées européennes du patrimoine. À cette occasion, Les visiteurs
consommant du café étaient invités à participer à l’expérimentation.
Les participants prenaient place à un des 8 postes de dégustation (Photo 7). Chaque poste était
équipé d’un mini-ordinateur, d’eau, de bûchettes de sucre, d’agitateurs et de serviettes. Un
questionnaire auto-administré sur Fizz (logiciel d’acquisition des données) était ouvert sur
l’ordinateur et commençait par une explication du déroulement de la dégustation.
Photo 7 - Postes de dégustation
Les deux cafés étaient servis l’un après l’autre. En attendant le premier café, les participants
répondaient à quelques questions visant à mieux les connaître : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, fréquence de consommation de café, d’expresso, de fréquentation de
184
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
différents types d’établissements de la restauration, ou encore équipement possédé pour la
préparation de café à domicile.
Lors de la dégustation du premier café, ils devaient indiquer la quantité de sucre ajoutée dans
la tasse. Par la suite, il leur était demandé de veiller à ajouter une quantité de sucre identique
dans le deuxième café.
Pour chaque café, ils devaient donner un score d’appréciation sur une échelle en 9 points
allant de « Je n’aime pas du tout » à « J’aime beaucoup ». Une fois le deuxième café
également évalué, il leur était demandé de donner leur préférence entre ces deux cafés.
1.3.3. Sujets : visiteurs des « Journées du patrimoine » 218 visiteurs ont participé à cette dégustation de cafés. Tous consommaient du café au moins
de manière occasionnelle. Parmi eux, 57% étaient des femmes, et toutes les classes d’âges
étaient représentées de manière équilibrée. 52% des participants ajoutaient du sucre dans leur
café.
1.3.4. Analyse des données : café préféré et caractéristiques individuelles Les données analysées sont la répartition des préférences pour chaque café, en fonction des
modalités des variables individuelles, au travers de tableaux d’effectifs. La liaison entre café
préféré et modalité de chaque variable est mesurée à l’aide de la statistique de χ2. Cette
statistique permet de mesurer l’écart entre les effectifs observés et les effectifs théoriques,
c’est-à-dire les effectifs attendus si la répartition était liée au hasard et les variables
indépendantes. Lorsqu’un lien existe entre café préféré et modalité d’une variable individuelle
au risque α=5% (probabilité critique < 0.05), ce lien est représenté sous forme de graphique.
1.3.5. Résultats : des préférences individuelles lors de la dégustation Les notes d’appréciation moyenne, 5,54 pour le Corsé et 5,62 pour le Doux, ne sont pas
significativement différentes (Test de Student, p=0.62). Comme le montre la Figure 41, les
notes sont réparties de manière équivalente sur l’échelle d’appréciation.
Mais cette homogénéité apparente cache des disparités : des personnes différentes apprécient
chacun des deux cafés. Près de 48% des participants préfèrent le Corsé, près de 46% préfèrent
185
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
le doux et seulement 6% des participants n’ont aucune préférence pour l’un ou l’autre de ces
deux cafés (Tableau 12).
Figure 41 – Répartition des notes d’appréciation pour chaque café (N=218)
Tableau 12- Répartition des préférences
Figure 42 - Note moyenne d'appréciation de chaque café, en fonction de la préférence (N=218)
186
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Comme l’illustre la Figure 42, ces préférences, également réparties entre les deux cafés, se
manifestent par des écarts d’appréciation des produits très significatifs dans chacun des
groupes (Test de Student, probabilités critiques <<0.001).
Parmi les facteurs individuels considérés (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle,
fréquence de consommation de café, consommation avec ou sans sucre), seul le sexe a un lien
significatif avec le café préféré. Les femmes sont plus nombreuses à préférer le Doux, les
hommes plus nombreux à préférer le Corsé (Test de χ2, probabilité critique = 0.031). Cette
répartition différente des préférences selon le sexe se manifeste par une note d’appréciation
moyenne des cafés significativement différente dans chacun des groupes (Figure 43). Le
Doux obtient une note moyenne plus élevée chez les femmes, et le Corsé chez les hommes
(Test de Student, probabilité critique = 0.019 pour les femmes, 0.048 pour les hommes).
Il est à noter que, même si cette variable n’est pas directement liée au café préféré, hommes et
femmes n’ont pas la même fréquence de consommation de café et d’expresso (Figure 44). En
proportion, les femmes consomment moins fréquemment de café en général (Test de χ2,
probabilité critique =0.006) et moins fréquemment d’expresso en particulier (Test de χ2,
probabilité critique =0.001).
187
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Figure 43 - Café préféré et appréciation moyenne de chaque café selon le sexe des participants (N=218)
Figure 44 - Fréquence de consommation de café et d'expresso en fonction du sexe, en nombre de participants (N =
218)
188
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
1.4. Discussion des expérimentations 2 et 3 Dans ces deux expérimentations, les participants ont des préférences individuelles non
seulement lors de la commande, mais aussi lors de la dégustation en aveugle. On observe des
liens entre café préféré et caractéristiques individuelles. Que ce soit lors de la commande à la
carte au restaurant ou lors de la dégustation en aveugle, les femmes optent davantage pour le
Doux, et les hommes pour le Corsé. Par contre, les liens entre ajout de sucre ou fréquence de
consommation de café et café commandé à la carte au restaurant ne se retrouvent pas lors de
la dégustation en aveugle des produits.
Un tel lien entre sexe et préférences n’était pas attendu. Ces résultats confirment cependant
ceux de Cristovam et coll., trouvant que sur une centaine de participants au Royaume-Uni,
hommes et femmes ont des préférences distinctes en matière d’expresso. Un groupe de
femmes appréciait notamment davantage que le reste des participants l’un des cafés, de
torréfaction légère (Cristovam, Russell, Paterson, & Reid, 2000).
Lors de l’observation des commandes, le café Classique est le moins commandé, que son prix
soit égal ou inférieur à celui des deux autres cafés. Il serait intéressant de faire varier les prix
de manière plus importante, et de faire varier le prix des cafés les plus commandés, afin
d’observer si la liaison entre le prix et le nombre de commandes de chaque café est alors plus
fort.
Ces deux expérimentations exploratoires indiquent que des préférences individuelles existent
au-delà du seuil d’acceptabilité. Cette différenciation horizontale des produits, sans consensus
sur un produit supérieur, montre qu’une offre de choix de café au restaurant représente une
opportunité du côté de la demande.
Maintenant que nous avons montré que proposer de la variété semble être un levier de
valorisation pertinent de l’offre de café en restauration, nous allons apporter des éléments
pour répondre à la question suivante : quelle offre est-il souhaitable de développer ?
189
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
2. Chacun sa gamme et son rituel de commande 2.1. Objectif : explorer l’étendue et la nature d’une offre pertinente Comme mentionné en début de chapitre, le choix peut accroître la valeur de l’offre, ou, au
contraire, mettre le consommateur dans l’embarras. L’objectif de cette expérimentation est
d’explorer l’étendue et la nature souhaitable de l’offre, de mieux comprendre, d’une part, les
conditions d’apparition de l’embarras du choix et, d’autre part, les déterminants de la valeur
perçue d’une offre de cafés variés.
Aux États-Unis, plusieurs équipes de chercheurs ont travaillé sur les effets d’embarras du
choix (Choice Overload or Excessive-Choice-Effects) : avec des confitures (Iyengar &
Lepper, 2000) ou des sodas (Arunachalam, Henneberry, Lusk, & Norwood, 2009). Dans ces
deux recherches, les sujets étaient exposés à 6 ou 24 options. Lorsque 24 parfums de confiture
étaient proposés à la dégustation sur un stand dans un supermarché, une plus grande
proportion de clients s’arrêtait. Cependant, une plus grande proportion de ventes était réalisée
lorsque seulement 6 variantes étaient présentées. Avec les sodas, alors qu’ils avaient la
possibilité de faire leur choix parmi la gamme réduite ou la gamme plus large, 42 % des
participants ont délibérément réduit le nombre de leurs alternatives à 6 seulement.
Dans ces deux recherches, des effets d’embarras du choix sont donc présents, mais dans des
proportions variables et cela ne concerne jamais tous les consommateurs. Des chercheurs en
psychologie suggèrent que les traits de personnalité (Schwartz et al., 2002) ou la culture
influencent l’attrait pour une gamme de produits plus ou moins large. Lors d’un sondage sur
un millier de personnes environ, les Français préfèrent à 68% avoir le choix parmi 10 parfums
de glaces que parmi 50, alors que les américains sont seulement 44% à préférer cette gamme
restreinte (Rozin, 2005). Mais qu’en serait-il avec une gamme de vins ou de fromages ?
Observerait-on l’inverse ?
La recherche en marketing explore comment d’autres facteurs, comme la réduction du nombre
de variantes (Beneke, Cumming, & Jolly, 2013), ou les émotions (Spassova & Isen, 2013),
influencent la satisfaction des consommateurs quant au nombre d’options disponibles.
Comme suggéré par Chernev, Böckenholt and Goodman, plusieurs facteurs peuvent avoir un
190
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
impact sur la valeur perçue d’un choix dans un assortiment de produits. Ces facteurs sont à
explorer davantage afin de comprendre non pas si l’embarras du choix existe mais quelles
variables influencent son apparition (Chernev, Böckenholt, & Goodman, 2010).
Prenons l’exemple du café proposé au restaurant en France. Quels seraient les résultats des
expérimentations précédentes si nous comparions une carte des cafés comprenant 6 options,
avec une carte de cafés proposant 24 options, comme pour les confitures ou les sodas aux
États-Unis ? Une majorité de consommateurs serait probablement déjà dans l’embarras de
devoir choisir parmi 6 cafés au restaurant.
Nous faisons l’hypothèse que la proximité avec une famille de produits, en termes de niveau
de pratique, de connaissance et d’implication, influence la valeur perçue du choix dans un
assortiment.
En d’autres termes, nous suggérons que le nombre d’options à partir duquel l’embarras du
choix apparaît dépend des pratiques (habitudes d’achat et de consommation), du niveau de
connaissance de la famille de produits et de l’intérêt qui lui est porté par le consommateur.
Ces trois composantes de la relation à un sujet sont regroupées en psychologie sociale sous le
concept de distance à l’objet (Dany & Abric, 2007). Cette notion de distance à une catégorie
de produit n’a pas encore été prise en considération lors de l’étude du comportement des
consommateurs en situation de choix. Pourtant, de nombreuses recherches en science des
aliments et plus particulièrement dans l’étude de l’expertise en œnologie, montrent que la
connaissance théorique et pratique modifie la perception et la représentation d’une catégorie
de produits (voir par exemple : Ballester, Patris, Symoneaux, and Valentin (2008), Langlois,
Dacremont, Peyron, Valentin, and Dubois (2011), Parr, Mouret, Blackmore, Pelquest-Hunt,
and Urdapilleta (2011); Sáenz-Navajas, Ballester, Pêcher, Peyron, and Valentin (2013); Torri
et al. (2013); Urdapilleta, Parr, Dacremont, and Green (2011)).
Différentes représentations mentales des produits- découlant de différents niveaux de
pratique,
d’implication
et
de
connaissance-
engendrent
probablement
différents
comportements des consommateurs en situation de choix.
Les deux prochaines expérimentations explorent : d’une part, l’apparition d’embarras du
choix parmi un groupe de participants, avec deux gammes de cafés de même nature mais plus
ou moins étendues, et, d’autre part, la valeur perçue de deux gammes de la même étendue
mais de différentes natures, proposées selon différents scénarios de choix.
191
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
2.2. Expérimentation 4 : l’étendue de l’offre L’objectif de l’expérimentation 4 sur l’étendue de l’offre est d’explorer si l’embarras du choix
est lié à la proximité des sujets avec les produits, en termes de pratiques, de connaissance et
d’implication. Elle vise à tester la validité de l’hypothèse suivante : plus les participants sont
proches des produits, moins il y a de chances qu’ils réduisent de manière délibérée le nombre
de leurs options dans un assortiment.
Cette hypothèse se base sur l’idée que des sujets plus proches des produits perçoivent
probablement les variantes comme un choix parmi des substituts imparfaits, pour lesquels ils
ont des préférences individuelles. Ces personnes vont probablement rechercher un plus grand
nombre d’alternatives. Inversement, les sujets plus distants des produits peuvent percevoir les
variantes comme une variété de substituts parfaits, pour lesquels ils ont seulement des
préférences construites a posteriori, au moment de choisir, mais pas de préférences
individuelles a priori. Ces personnes choisiront probablement de réduire le nombre de leurs
alternatives.
Les données collectées doivent apporter des éléments permettant de répondre aux questions
suivantes :
-
Combien de variantes de café est-il pertinent de proposer au restaurant ?
-
Tous les clients attendent-ils la même étendue de choix ?
-
Dans quelles conditions la variété de l’offre peut-elle devenir excessive et avoir une
valeur négative pour les consommateurs ?
2.2.1. Produits testés : une gamme de 3 et une gamme de 8 cafés Afin de s’assurer que la taille des gammes testées correspondrait en effet à une gamme
restreinte et à une gamme étendue de variantes pour le café, nous avons mené une enquête en
ligne préalable auprès de 30 répondants. En effet, notre objectif est non seulement d’observer
la proportion de consommateurs choisissant chaque gamme, mais aussi de comparer la
proximité des sujets avec cette catégorie dans les deux groupes. Par conséquent, il était
important de s’assurer que tous les participants ne choisiraient pas la même gamme. Une
gamme restreinte de 3 cafés a été sélectionnée, car cela correspondait à un nombre de
variantes « Juste bien » pour certains répondants mais aussi à « Pas assez de choix» pour
192
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
beaucoup d’entre eux. Inversement, une gamme étendue de 8 cafés a été retenue car cela
correspondait à un nombre de variantes « Juste bien » pour quelques participants et à « Trop
de choix» pour d’autres. Comme pressenti, une gamme de 24 cafés a été jugée comme « Trop
de choix » par tous les répondants.
Les cafés proposés dans chaque gamme étaient différents en termes d’origine et de mélange.
Seul le nom de l’origine ou du mélange était donné aux participants, sans indication sur le
profil gustatif des produits.
Les 3 produits de la gamme restreinte étaient un sous-échantillon régulièrement changé des 8
produits de la gamme étendue. Si les participants demandaient quelle était la différence entre
les deux gammes de produits, cette information leur était donnée.
Tous les cafés étaient préparés en expresso à l’aide d’une machine à doses professionnelle. Ils
étaient servis dans des tasses coniques en porcelaine blanche de 7 cl au restaurant
expérimental, et dans des gobelets à double paroi isotherme en carton de 10 cl sur le campus
de La Doua.
2.2.2. Protocole : observation du choix parmi 3 ou parmi 8 cafés L’expérimentation a été conçue suivant celle d’Arunachalam et de ses collègues sur la
“réduction
volontaire
du
choix” (Arunachalam
et
al.,
2009),
dans
laquelle
les
expérimentateurs observaient combien de sujets d’un groupe préféraient choisir parmi une
gamme restreinte de 6 sodas, et combien parmi une gamme étendue de 24 sodas.
Le même protocole a été répété dans deux situations différentes : auprès des clients du
restaurant expérimental de l’Institut Paul Bocuse d’une part, et auprès d’étudiants et de
personnel de l’Université Claude Bernard, sur le campus de La Doua d’autre part (Lyon 1).
Dans chacun de ces contextes, les personnes souhaitant un café pouvaient aller le choisir
parmi 3 variantes ou parmi 8 variantes. Chacun devait choisir dans quel gamme il allait faire
son choix, avant de voir les variantes proposées. Une fois la gamme choisie, un questionnaire
portant l’indication « 3 » ou « 8 » était donné aux participants, leur permettant d’aller choisir
un café au stand correspondant, installé derrière un paravent.
Les participants remplissaient ensuite le questionnaire en buvant leur café, à leur table au
restaurant, ou sur une table individuelle sur le campus. Ce questionnaire visait à évaluer leur
proximité à la gamme considérée en termes de pratiques, d’implication et de connaissance des
produits. Les rubriques du questionnaire s’inspirent du concept de distance à l’objet (Dany &
193
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Abric, 2007) mais sont adaptées à ce qui nous concerne: la proximité à une catégorie de
produits.
La partie Pratique regroupait 4 questions relatives aux habitudes d’achat, à l’équipement
possédé pour la préparation, et à la fréquence et à la diversité de consommation. La partie
Implication incluait 7 affirmations sur l’expertise perçue, les préférences ou l’intérêt porté à la
catégorie de produit, certaines d’entre elles inspirées des profils d’implication de Laurent &
Kapferer (Kapferer & Laurent, 1993). Les participants devaient indiquer leur degré d’accord
sur une échelle en 4 points. La partie Connaissance consistait en 8 questions de connaissance
objective sous forme d’un quiz sur la géographie, la botanique ou la préparation du café. La
dernière page du questionnaire comportait des questions sur le profil social des participants.
2.2.3. Sujets : étudiants et personnels de l’université, clients du restaurant expérimental 161 personnes ont participé au total : 69 sur le campus et 92 au restaurant expérimental. Les
proportions d’hommes et de femmes n’étaient pas significativement différentes entre ces deux
lieux (probabilité critique =0.26 au test de χ2). Cependant, la moyenne d’âge des participants
du restaurant expérimental était bien sûr plus élevée que celle des participants du campus
(Tableau 13).
N=161
Nombre de femmes
Nombre d’hommes
Moyenne d’âge
Campus
69
32
37
Restaurant
92
51
41
25,13
47,46
***
*** proba. critique < 2.2e-­‐16, test de Student
Tableau 13 - Caractéristiques des participants dans chaque lieu
2.2.4. Analyse des données : gamme choisie et proximité aux produits À partir des réponses données au questionnaire, un score global de proximité à la catégorie de
produits a été calculé, en équilibrant chaque partie : pratique, implication et connaissance.
Plus ce score est élevé, plus les sujets sont proches de la catégorie de produits. Lorsqu’une
grande majorité des participants (>80%) répondait de manière identique à une question, cette
question était considérée comme non-discriminante et n’était pas prise en compte dans le
calcul du score de proximité.
194
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
L’analyse des données consiste à comparer les caractéristiques individuelles et les scores de
proximité entre les personnes ayant choisi chacune des deux gammes.
2.2.5. Résultats : des préférences individuelles pour l’étendue de la gamme Parmi les 161 participants, 89 (55%) ont préféré choisir leur café dans la gamme restreinte,
réduisant délibérément le nombre de leurs alternatives à 3 plutôt que 8. Cette proportion n’est
pas significativement différente entre le restaurant expérimental et le campus (Tableau 14).
Les sujets choisissant leur café parmi la gamme étendue de 8 produits ont un score de
proximité aux produits significativement plus élevé que dans l’autre groupe (11.05 contre
9.19, test de Student, probabilité critique <0.05).
En proportion, les hommes sont plus nombreux à choisir parmi la gamme étendue et les
femmes parmi la gamme restreinte (test de χ2, probabilité critique <0.01), et ce, bien que le
score de proximité à cette catégorie de produit ne soit pas significativement différent pour les
hommes et les femmes (Test de Student, probabilité critique > 0.05).
Choix parmi : Total, N=161 Nb. participants Campus
Nb. participants Restaurant
Âge moyen
Score de proximité
Nb. de femmes
Nb. d’hommes
3 cafés
89
38
51
38,85
9,19
54
35
8 cafés
72
31
41
36,69
11,05
29
43
N.S. N.S.
*
°°
Probabilité critique : *<0,05, test de Student, °°<0,01 test de χ2
Tableau 14 - Caractéristiques des sujets ayant choisi parmi 3 et parmi 8 cafés
Afin d’observer la répartition des individus dans chaque groupe (3 ou 8) selon leur niveau de
score, une partition en trois classes de score par la méthode des k-means a été réalisée
(Tableau 15). Hommes et femmes se trouvent également répartis dans chacune des classes de
score de proximité aux produits : bas, moyen ou élevé.
Cependant, à niveau égal de proximité, hommes et femmes ne se comportent pas de la même
manière. Les femmes avec un score de proximité faible ou moyen choisissent en majorité la
gamme restreinte, alors que, quel que soit leur score de proximité aux produits, les hommes
choisissent davantage la gamme étendue (Figure 45).
195
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
La différence significative de score entre les personnes choisissant parmi 3 ou parmi 8 cafés
au niveau du groupe est due au comportement de choix des femmes. Un tel lien entre score et
gamme choisie n’est pas observé chez les hommes (Figure 46).
196
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Classe de score
Score
N=
Femmes
Hommes
Bas
<8
58
33
25
Moyen
8-13,5
65
32
23
Élevé
> 13,5
38
18
20
χ
2
N.S
Tableau 15 - Résumé de la partition en 3 classes de scores
Figure 45 - Choix parmi 3 ou parmi 8 cafés, en fonction de la classe de score de proximité et par sexe - en nombre de
participants (N=161)
Figure 46 - Score de proximité moyen des participants choisissant parmi 3 ou parmi 8 cafés, par sexe
197
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
2.3. Expérimentation 5 : la nature de la gamme L’expérimentation 5 concerne la nature du choix, et vise à déterminer s’il est préférable de
proposer du choix parmi des produits bien distincts pour les consommateurs, ou de la variété
parmi des variantes assez proches. S’agit-il d’avoir le choix et de pouvoir commander un café
préféré, ou plutôt de pouvoir piocher parmi de la variété, sans préférence particulière pour
l’une ou l’autre des options ?
Une fois passé le cap d’un produit acceptable, et lorsque l’étendue de la gamme est
raisonnable, faut-il plutôt proposer une carte de différentes spécialités de café à base de lait :
expresso, cappuccino, café viennois ? Ou un « café du jour » ou « café du mois » de
différentes origines est-il préférable ?
Le consentement à payer pour une offre de cafés variés dépend-il de la nature de la gamme
proposée ? Quel type de gamme a le plus de valeur pour les consommateurs et comment la
proposer ?
L’objectif de cette expérimentation est d’apporter des éléments permettant de comprendre :
-
si les consommateurs accordent davantage de valeur au fait de choisir dans une
gamme de produits pour laquelle ils ont plus de connaissance subjective et des
préférences individuelles plus marquées,
-
lorsqu’il s’agit d’une gamme dans laquelle ils ont moins de connaissances subjectives
et de préférences, s’ils préfèrent piocher un produit au hasard, ou que quelqu’un
choisissent pour eux afin d’éviter l’embarras du choix.
2.3.1. Produits testés : cartes de cafés et scénarios de choix Les produits testés sont d’une part une carte de cafés par origine, dans laquelle les
consommateurs sont supposés avoir des préférences individuelles peu présentes, et d’autre
part une carte de cafés par préparation, dans laquelle les consommateurs sont supposés avoir
des préférences individuelles plus présentes. Comme récapitulé dans le Tableau 16, pendant la
semaine 1 et la semaine 3, la carte de cafés par origine était proposée. Elle comprenait 4
cafés de différentes origines : Éthiopie, Colombie, Brésil et Mexique. Pendant la semaine 2, il
s’agissait de la carte de cafés par préparation, comprenant 4 cafés préparés différemment :
expresso, américano (expresso allongé), café filtre ou café viennois (expresso et crème
fouettée).
198
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Chaque semaine, deux scénarios de choix étaient présentés aux consommateurs. Semaine 1 et
2, il s’agissait, d’une part, de choisir un café du menu (scénario de choix individuel) et,
d’autre part, de piocher un café de la carte au hasard (scénario de pioche). La semaine 3,
l’alternative au choix individuel était un café choisi par le barista (scénario de sélection du
barista).
Chaque semaine, les consentements à payer pour acheter un café de la carte selon chacun de
ces scénarios étaient mesurés.
Semaine
Carte des cafés par :
1
Origine
2
Préparation
3
Origine
Scenarios
Pioche
Choix individuel
Pioche
Choix individuel
Sélection du barista
Choix individuel
Tableau 16 - Carte de cafés et scénario proposés chaque semaine
199
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
2.3.2. Protocole : mesure du consentement à payer pour 2 scénarios de choix La valeur accordée par les clients du restaurant à un café de la carte selon chaque scénario
était mesurée par leur consentement à payer (CAP).
Le mécanisme BDM, présenté dans le chapitre 3 (Encadré 17 - Les enchères expérimentales),
convient bien aux contraintes d’une expérimentation de terrain pour le café au restaurant
(Tableau 17). Selon ce mécanisme, à l’issue de la vente, il est possible que tous les
participants achètent le produit et il faut donc prévoir une quantité suffisante de stocks. Cette
particularité est plutôt un avantage dans notre cas. Il n’est pas difficile de s’approvisionner en
café, et chacun peut acheter un café de la carte pour terminer son repas, si son CAP est
suffisamment élevé. D’autre part, il est possible de tirer au sort le prix de vente et de
déterminer l’issue de l’enchère individuellement, ou table par table par exemple. Il est ainsi
possible de s’adapter au rythme de service au restaurant, décalé entre les différentes tables.
À l’inverse, lors d’une enchère de Vickrey ou d’une enchère au Nième prix, un nombre limité
de produits est vendu (1 ou N). L’expérimentation de terrain a pour but de se rapprocher
d’une situation réelle de commande et de consommation au restaurant. Il est peu naturel de
proposer à la vente un nombre limité de cafés pour tous les clients d’un restaurant. De plus,
les enchères sous pli doivent être données de manière simultanée par tous les participants,
puis comparées, et enfin le résultat de la vente au niveau du groupe peut être annoncé. Ce
mécanisme est trop lourd à mettre en place. Un restaurant, même expérimental, n’est pas un
laboratoire, et ne permet pas de s’adresser à voix haute à tous les participants simultanément.
Le mécanisme BDM, applicable table par table, et selon lequel chacun peut acheter un café,
est plus adapté à notre terrain d’expérimentation et à notre produit, et est donc celui utilisé.
200
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Vickrey
Enchère sous pli
confidentiel et
simultané
Nième prix
Enchère sous pli
confidentiel et
simultané
Tous ceux dont l’offre est
supérieure au prix
Le plus offrant
Les N-1 plus offrant
Nombre
d’acheteurs
De 0 à tous les participants
1
Prix
Tiré au sort
Différence dans
l’organisation
Un produit peut être vendu à
chacun, mécanisme possible
avec un seul participant
Mécanisme
BDM
Procédure
Enchère sous pli
Acheteur(s)
2ème offre la plus
élevée
N-1
ième
N
offre la plus
élevée, N fixé ou tiré
au sort
1 seul produit vendu
N produits vendus
au groupe, enchères dans chaque groupe,
simultanées et
enchères simultanées
résultats de la vente et résultats de la vente
au niveau du groupe au niveau du groupe
Tableau 17 –Caractéristique pratiques des principaux mécanismes d'enchères expérimentales
Chaque semaine les participants indiquaient leur CAP pour un café de la carte proposée, selon
chacun des deux scénarios de cette semaine-là. Un de ces deux scénarios seulement était
ensuite tiré au sort et se réalisait à chaque table. De cette façon, le CAP pour chaque cas de
figure était mesuré de manière incitative, en procédant à une seule vente par individu, selon le
mécanisme BDM.
201
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Avant le repas À leur arrivée au restaurant, les clients étaient informés que le repas se terminerait par une
vente de boissons chaudes, selon des conditions particulières qui leur étaient présentées en
quelques diapositives sur des tablettes numériques (Photo 1). Ces diapositives sont présentées
dans l’annexe 4.
Cette présentation incluait un exemple de vente d’une coupe de champagne selon la méthode
BDM, un résumé du principe par étapes et un schéma (Figure 47), afin que chacun des
participants comprenne le mécanisme BDM.
Figure 47 - Schéma du principe du mécanisme BDM, inclus dans la présentation sur tablettes
Un message important communiqué dans cette présentation était que les participants auraient
l’opportunité de donner le montant maximum qu’ils étaient prêt à payer pour une boisson
chaude proposée à la fin du repas. Indiquer ce montant impliquait d’acheter la boisson au prix
tiré au sort si leur montant était au-dessus, et de ne pas pouvoir acheter si leur montant était
au-dessous. Les clients étaient encouragés à poser des questions lorsque l’expérimentateur
récupérait les tablettes électroniques.
Photo 8 - Explications du mécanisme BDM sur tablettes
202
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Avant le dessert Après le plat principal, les clients étaient informés que le principe de vente exposé au début
du repas concernait un café de la carte. Pendant la semaine 1 et la semaine 3, la carte de cafés
par origine était alors proposée. Pendant la semaine 2, il s’agissait de la carte de cafés par
préparation. Aucun détail n’était donné sur les cafés présents dans la carte avant la vente.
Les clients souhaitant acheter un café de la carte soumettaient le montant maximum qu’ils
consentaient à payer pour chaque scenario (Choix individuel et Pioche semaines 1 et 2, ou
Choix individuel et Barista semaine 3). À chaque table, un scénario et un prix étaient ensuite
tirés au sort dans des enveloppes. Si son montant maximum indiqué était supérieur au prix de
vente tiré au sort, chaque convive de la table devait acheter un café de la carte selon le
scénario tiré au sort, et au prix de vente correspondant. Sinon, ils pouvaient tout de même
acheter le café habituel au bar à 2 euros. Cette indication permettait ainsi de mesurer non pas
le consentement à payer pour avoir un café quel qu’il soit, mais bien pour le fait d’avoir un
café de la carte. De cette manière, le même prix de marché était ancré dans les consciences de
tous les participants, et les valeurs perçues mesurées à travers le consentement à payer
peuvent être comparées à cette référence.
Avant le café Chaque participant allait chercher son café au bar et, selon le scénario tiré au sort à leur table
et le résultat de la vente, le choisissait, le piochait, ou recevait le choix du barista, ou le café
habituel. Le café devait être payé en liquide, selon le prix déterminé par la vente à leur table,
afin que le protocole soit bien incitatif. À ce moment seulement, ils pouvaient découvrir les
différents cafés proposés dans chaque menu. Ceci afin de mesurer la valeur perçue de la carte
par origine ou par méthode de préparation en général, et non pas la valeur d’une des options
proposées en particulier.
Pendant le café Un questionnaire leur était donné, à remplir en buvant leur café. Ce questionnaire comprenait
quelques affirmations visant à mesurer leur connaissance subjective des deux gammes de
cafés proposées (« J’ai des goûts bien particuliers en matière d’origine / de préparation de
café. », « Je connais bien les caractéristiques des différentes origines / préparations de café. »,
« Je serais capable de différencier deux origines / préparations de café à leur goût. »). Pour
203
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
chacune de ces six affirmations, les participants répondaient sur une échelle d’accord en 4
points (Pas du tout d’accord / Plutôt pas d’accord / Plutôt d’accord / D’accord).
Il était également demandé aux participants d’indiquer leur classement de préférence des 4
produits proposés à la carte s’ils en avaient un, et de marquer par une croix les produits qu’ils
n’auraient en aucun cas souhaités.
2.3.3. Sujets : clients du restaurant expérimental Parmi les clients du restaurant expérimental, 231 personnes ont pris part à cette
expérimentation en trois semaines : 75 pendant la semaine 1, 86 pendant la semaine 2 et 70
pendant la semaine 3. Aucune différence significative n’est observé concernant l’âge moyen,
la proportion d’hommes et de de femmes ou le score de connaissance subjective entre les
participants chaque semaine.
2.3.4. Analyse des données : consentement à payer selon la carte et le scénario Nous allons comparer les consentements à payer moyens pour chaque carte de café et chaque
scenario. Puis nous comparerons les consentements à payer individuels pour le scénario
menant au CAP le plus élevé chaque semaine, à travers une courbe de demande, permettant de
visualiser le nombre de participants qui achèteraient les produits à chaque niveau de prix.
2.3.5. Résultats : des scénarios de choix préférés variables selon le type de carte Les participants exposés à la carte de cafés par préparation sont plus nombreux en proportion
à donner un classement de préférence des cafés proposés, et à marquer d’une croix des cafés
comme non appréciés. Tous participants confondus, le score de connaissance subjective est
également significativement plus élevé pour les différentes préparations de café (Tableau 18).
204
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Carte par
Origine
Participants indiquant :
Un classement de préférences
Un ou des produits non souhaités
Carte par préparation
62%
1%
(N=145,
s1 et s3)
(N=86, s2)
3,22
5,85
(N=231, tous)
(N=231, tous)
Score moyen de connaissance subjective
88%
17%
***
***
***
2
***proba. critique <0,001 au test de χ pour les proportions en pourcentage, et au test de Student pour les moyennes
Tableau 18 - Proportion de classements de préférences donnés, de produits marqués par une croix comme
non souhaités, et score de connaissance subjective par carte de cafés
Semaine
1
2
3
Menu
Origine
Préparation
Origine
Scénario alternatif au choix individuel
Pioche
Pioche
Barista
N=
CAP moyen pour le choix individuel
75
2,47
a
86
2,95
b
70
2,65
ab
2,15
a
2,51
b
2,95
c
0,33
0,44
-0,29
b
b
a
***
26
42
7
34
51
1
21
16
33
°°°
CAP moyen pour le scénario
alternatif
∆ moyen : CAP Choix – autre
scénario
Nb. Participants :
CAP choix = CAP alternative
CAP choix > CAP alternative
CAP choix < CAP alternative
**
***
Facteur significatif dans l’anova ** : proba. critique < 0,005, *** : proba. critique <0,001 – Comparaisons multiples par paires : deux valeurs
2
ne portant pas de lettre en commun sont significativement différentes au seuil de 5% - °°° test de χ , proba. critique <0,001
Tableau 19 - Consentements à payer en euros (CAP) par carte et par scénario
205
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
Semaine 1 versus semaine 2 Semaine 1 et 2, les scenarios étaient identiques mais les cartes de cafés étaient différentes. Le
consentement à payer mesuré est significativement plus élevé pour le menu par préparation,
dans les deux scénarios.
En moyenne le consentement à payer pour le scénario du choix individuel est également plus
élevé que pour le scénario de pioche, pour les deux types de carte.
Ainsi, le consentement à payer moyen le plus élevé est pour le choix individuel parmi la carte
de cafés par préparation (2,95€), et le plus bas est pour la pioche dans le menu par origine
(2,15€).
Pour les deux types de carte, la même proportion de sujets consent à payer davantage pour le
scénario de choix individuel que pour la pioche. Et le supplément de CAP pour choisir soimême plutôt que pour piocher n’est pas significativement différent entre la semaine 1 pour la
carte de café par origine (0,33€), et la semaine 2 pour la carte de café par préparation (0,44€).
Semaine 1 versus semaine 3 Semaine 1 et 3, la carte de café était identique, par origine, mais les scénarios de choix
variaient. Le consentement à payer le plus élevé est pour le scénario barista lors de la semaine
3 (Tableau 1). Un nombre significatif de participants consent à payer davantage pour le choix
du barista que pour le choix individuel pendant la semaine 3 (33 sur 70, 47%).
Semaines 1, 2 et 3 : courbe de demande des scénarios ayant le plus de valeur Les scénarios menant au CAP moyen le plus élevé chaque semaine sont le choix individuel
parmi la carte de cafés par origine semaine 1 (2,47€), le choix individuel parmi la carte de
cafés par méthode de préparation semaine 2 (2,95€) et la sélection du barista parmi la carte de
cafés par origine semaine 3 (2,95€).
La figure suivante représente la demande (la proportion d’acheteurs parmi les participants) en
fonction du prix, pour chacun des scénarios. Par exemple, à 2,70€ : 45% des participants de la
semaine 1 auraient acheté un café choisi eux-mêmes (scénario de choix individuel) dans la
carte de cafés par origine, 80% des participants de la semaine 2 auraient acheté un café choisi
par eux dans la carte de cafés par préparation, et 75% des participants de la semaine 3 auraient
206
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
acheté un café choisi par le barista dans le menu par origine. À 3,00€, ces proportions
décroissent respectivement à 15%, 50% et 55%.
Figure 48 - Courbe de demande pour les scénarios menant au CAP le plus élevé chaque semaine
207
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
2.4. Discussion des expérimentations 3 et 4 Dans l’expérimentation 3 sur l’étendue de l’offre, une majorité de participants réduit
délibérément le nombre d’alternatives parmi lesquelles choisir, de 8 à 3 cafés seulement. Les
sujets réduisant délibérément le nombre de leurs alternatives ont un score de proximité au
produit plus faible. Ils sont moins proches du café en termes de pratique, d’implication et de
connaissance. Les femmes sont également plus présentes dans ce groupe.
Ces résultats valident notre hypothèse, selon laquelle le lien entre les acteurs du choix et la
catégorie de produits considérée a une influence sur l’apparition d’effets d’embarras du choix.
Comme lors des expérimentations sur les préférences, un effet non attendu du sexe sur le
comportement de choix est présent. Cela pourrait être lié au fait qu’hommes et femmes ont
une consommation différente de boissons chaudes. Deuxième boisson la plus consommée par
les Français en volume après l’eau, pour les hommes le café représente 10% du volume total
des aliments consommés quotidiennement, suivi ensuite par les boissons alcoolisés (9%).
Pour les femmes le café représente 9% de ce volume, suivi par d’autres boissons chaudes
(7%) (AFSSA, 2009). Le café étant leur boisson chaude de prédilection, une explication
possible de ces résultats est que les hommes investissent peut-être davantage cette catégorie
de produits que les femmes. Quel que soit leur score de proximité, les hommes sont en effet
plus nombreux à aller vers une gamme de cafés étendue.
Dans l’expérimentation 4, sur la nature de la gamme, la carte de cafés par préparation, pour
laquelle les participants ont une connaissance subjective plus élevée et expriment davantage
de préférences et de rejets des produits, mène à davantage de valeur perçue, quel que soit le
scénario de choix.
Et, quelle que soit la carte de cafés considérée, la valeur perçue d’un café choisi soi-même est
plus élevée que celle d’un café pioché. Le supplément de valeur perçue pour le choix
individuel n’est pas significativement plus élevé pour la carte de cafés par préparation.
Les participants ont une connaissance subjective moins élevée et expriment moins de
préférences et de rejets des produits de la carte par origine. Pour cette carte de cafés, déléguer
le choix à un tiers compétent (scénario sélection du barista) a plus de valeur pour les
participants que de choisir eux-mêmes. Lorsque le « choix du barista » est proposé, la valeur
208
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
perçue d’un café de la carte par origine est alors aussi élevée que celle d’un café choisi dans la
carte par préparation.
Ces résultats nous font penser que la valeur accordée à l’acte de choisir dépend du fait que la
gamme proposée soit perçue comme de la variété ou comme du choix, et de la manière dont le
choix est proposé. Les consommateurs accordent probablement plus de valeur à un café choisi
par eux dans la carte lorsqu’ils voient un réel « Choix » entre des substituts imparfaits, pour
lesquels ils ont des préférences individuelles marquées. À l’inverse, lorsqu’ils voient
seulement une « variété » de substituts parfaits pour lesquels ils n’ont pas de préférences a
priori, ils accordent alors plus de valeur à un café sélectionné pour eux par un tiers compétent.
Cette expérimentation nous donne seulement des indices en ce sens, et des explications
alternatives sont possibles. Le fait que la carte de cafés par préparation soit associée à plus de
valeur peut être lié au fait que les consommateurs associent ces produits à un coût plus élevé
en termes d’ingrédients par exemple. De plus, nous n’avons pas de données pour cette carte
de cafés, pour lesquelles les deux scénarios seraient le choix individuel et la sélection par le
barista. De telles données pourraient permettre d’évaluer si les consommateurs préfèrent
également, ou non, la sélection du barista pour cette carte de cafés. Si le choix du barista est
préféré quelle que soit la carte proposée, cela changerait quelque peu nos interprétations.
Ce qui est clair, c’est qu’à un prix équivalent, la demande est plus importante pour un café de
la carte par préparation que pour la carte par origine. Pour la carte de café par origine, à un
prix équivalent, la demande est plus élevée pour un café choisi par un tiers compétent, le
barista, que pour un café choisi par les clients eux-mêmes.
209
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
3. Conclusion du chapitre 5 En conclusion, ce chapitre révèle deux points importants concernant la proposition d’une
offre de cafés différenciés horizontalement au restaurant.
Tout d’abord, proposer à chacun son café semble pertinent du point de vue des
consommateurs. En effet, les clients ont des préférences individuelles aussi bien lors de la
commande que lors de la dégustation.
Cependant, et c’est le deuxième point important, différentes étendues et natures de gamme, et
différentes formes de choix, mènent à des valeurs perçues différentes. Afin de ne pas mettre
les clients de restaurant dans l’embarras du choix et d’augmenter la valeur perçue de l’offre, il
semble nécessaire de veiller à adapter le type de gamme, son étendue et le processus de choix,
à la clientèle. Il est notamment souhaitable de :
-
Proposer une gamme dont la clientèle est proche en termes de pratiques, d’implication
et de connaissance ; ou de transmettre des informations leur permettant de se
rapprocher de cette gamme,
-
Adapter le nombre d’alternatives proposées à la clientèle ; plus d’alternatives pour une
clientèle proche de la catégorie de produits en termes de pratique, de connaissance et
d’implication,
-
Dans une gamme de cafés dont les clients sont plus distants, proposer un café
présélectionné ou du conseil.
Proposer à chacun de choisir son café est porteur de valeur perçue pour les consommateurs, à
condition de proposer également à chacun un rituel de commande personnalisé en termes de
nature, d’étendue et de processus de choix.
Cette personnalisation de la commande requiert une bonne connaissance des produits par le
personnel de l’établissement, afin de pouvoir proposer le choix de différentes manières.
210
Chapitre 5 – Offrir à chacun son café, par un nouveau rituel de commande personnalisé ?
En résumé – Pertinence de la différenciation horizontale en conception
La différenciation horizontale des produits, par des caractéristiques comme l’origine, le profil
sensoriel ou la méthode de préparation, permettrait à la fois d’élever le standard, par la mise en
place de dosettes ou de formation aux méthodes barista, et de proposer une variété de cafés,
pouvant être source de valeur pour les consommateurs.
La différenciation horizontale des produits est-elle pertinente du point de vue des
consommateurs ? Quels facteurs influencent la valeur perçue d’une offre de cafés variés ?
•
•
•
•
Proposer à chacun son café est pertinent (Expérimentation 2 et 3) :
o Au-delà du seuil d’acceptabilité, chacun a son « bon café » lors de la
commande et de la dégustation en aveugle.
L’étendue souhaitable de l’offre dépend des individus (Expérimentation 4) :
o Une majorité de participants réduit l’étendue de son choix de 8 à 3
options, montrant un risque d’embarras du choix,
o Et ce, d’autant plus que les sujets sont distants des produits en termes de
pratique, d’implication et de connaissance.
Différentes natures de gammes de cafés et différentes formes de choix mènent à
différentes valeurs perçues (Expérimentation 5) :
o La carte de cafés par préparation a une valeur perçue plus élevée pour les
consommateurs, toutes choses égales par ailleurs,
o Lorsque le « choix du barista » est proposé, la valeur perçue d’un café de
la carte par origine est alors aussi élevée que celle d’un café choisi dans la
carte par préparation.
Bien qu’un tel effet n’était pas recherché, il est à noter que les préférences et les
comportements observés sont liés au sexe des participants
è Une offre de choix est porteuse de valeur, à condition de l’adapter à la clientèle dans son type,
son étendue et dans la forme du choix proposé
211
212
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière Notre objectif dans ce chapitre est d’analyser les facteurs intervenant dans les choix
d’approvisionnement en café des restaurateurs, afin de mieux comprendre les conditions de
faisabilité de la mise à disposition d’une nouvelle offre de café dans les établissements de
restauration indépendante.
En d’autres termes, nous souhaitons connaître la demande intermédiaire des clients
professionnels, les restaurateurs, et leurs attentes latentes. Cela permettra de comprendre
comment les torréfacteurs doivent faire évoluer leur offre aux restaurateurs afin de rendre
possible une offre finale de cafés différenciés, horizontalement ou verticalement. Plusieurs
questions se posent ici :
- Comment les restaurateurs construisent-ils leur offre ?
- Quelles sont les critères de choix d’un fournisseur ?
- Est-il possible de proposer aux restaurateurs des solutions d’offres « prêtes-à-vendre », ou
faut-il leur laisser libre cours pour créer la leur ?
- Quelles contraintes peuvent rencontrer les restaurateurs dans une démarche de
différenciation verticale ou horizontale de leur offre ?
Répondre à ces questions requiert de connaître les activités des restaurateurs et leurs objectifs,
attentes et motivations. Pour cela nous avons procédé à des entretiens semi-directifs avec des
gérants d’établissements.
213
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
1. Méthode : entretiens semi-­‐directifs avec des restaurateurs Afin de mettre à jour des logiques d’approvisionnement et de construction de l’offre de café,
13 entretiens semi-directifs (cf. Chapitre 1), d’une durée moyenne de 45 minutes, ont été
réalisés auprès de gérants d’établissements variés. La plupart de ces établissements sont
indépendants et proposent une restauration traditionnelle (servie à table), deux sont des
sandwicheries de petites franchises locales, proposant de la restauration rapide (au comptoir,)
avec possibilité de déjeuner sur place. Ils varient en termes dans leurs :
- Offre et activité globale : restauration traditionnelle, sandwicherie, brasserie en journée,
pub le soir, café-bar le matin, restaurant d’hôtel, etc.,
- Activité : amplitude d’ouverture, ouverture le week-end ou seulement en semaine, nombre
de places assises (20 à 300), nombre d’employés en équivalent temps plein (2,5 à 20),
- Ticket moyen : de 11€ à 55€, avec une moyenne de 25€,
- Localisation : Paris, Lyon, villes de province (Brest, Lorient, Pont-L’Abbé, Vannes).
Le guide d’entretien (Annexe 5) comportait tout d’abord une série de questions visant à
connaître le fonctionnement et les activités de chaque établissement, ainsi que le détail de leur
offre globale, à la carte ou à l’ardoise. Les enquêtés étaient aussi interrogés sur le type de
clientèle de leur établissement, leur personnel, et l’étendue de leurs activités personnelles dans
l’établissement. Il était alors question de leurs choix d’approvisionnement pour la cuisine et
pour le bar, du nombre de leurs fournisseurs et des raisons les ayant menés à choisir chacun
d’entre eux.
Selon les établissements, le nombre de fournisseurs pour la cuisine variait de 3 à plus de 10 :
marché, producteurs ou détaillants locaux, Cash&Carry comme Métro ou Promocash, ou
encore grossistes nationaux comme Brake ou Pomona. Le nombre de fournisseurs pour le
bar variait également de 3 à près de 10 : cavistes indépendants, petites marques de boissons,
torréfacteur local en direct, distributeurs de boissons comme C10 ou France boissons, ou
distributeur régional.
Si ce thème n’était pas abordé spontanément, des questions leur étaient finalement posées sur
leur offre de café et leur approvisionnement : prix du café vendu, présentation, type
d’accompagnement, taux de commande par les clients, volume acheté, marque, mélange,
214
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
fournisseur et étendue de l’offre fournie (prêt de machine, livraison, maintenance,
dépannage). La plupart des gérants interrogés sont en contrat full-service et ne sont pas
propriétaires de leur machine, quelques-uns l’ont achetée au terme d’un contrat de leasing.
Ces établissements varient également en termes d’approvisionnement et d’offre de café :
- Choix de café proposé : aucun, carte de 3 ou 4 cafés de différentes origines, ou carte de
cafés de spécialités (filtre, cappuccino, lattes, etc.),
- Prix du café : de 1,00 € au bar, à 4,00 € avec un gâteau sec « fait-maison »,
- Accompagnement du café : aucun, bille croustillante cacaotée, spéculoos ou biscuit,
- Tasses : blanches ou au design original, avec ou sans logo,
- Fournisseurs de café : 9 marques différentes,
- Achat de café : de 120 kilos à près d’une tonne par an.
Le nombre d’enquêtés semble suffisant car les derniers entretiens réalisés mènent à une
saturation sémantique : ils ne font pas émerger de nouveaux thèmes et apportent peu
d’information supplémentaire.
Les entretiens, enregistrés sur dictaphone, ont été intégralement retranscrits. Le corpus de
textes ainsi obtenu a ensuite été analysé de manière qualitative, ce qui a permis de dégager les
spécificités d’un discours puis de les comparer, de les mettre en parallèle ou de les opposer à
celles d’un autre discours et de garder toute la richesse du contenu.
L’analyse proposée ici est tour à tour lexicale, structurale, ou comparative (Guittet, 2008).
L’analyse lexicale s’intéresse à la nature des mots utilisés et consiste à repérer les termes les
plus fréquents, afin de dégager le vocabulaire propre à ces professionnels et d’en saisir les
significations. L’analyse structurale vise à découvrir la logique de pensée de chaque enquêté,
en dégageant les relations entre différents points de son discours. L’analyse comparative
permet de mettre en lumière des structures de raisonnement partagées entre plusieurs
enquêtés, et vise à expliquer ces schémas logiques partagés par des points communs de leurs
profils (pour un gérant d’établissement : localisation, type d’offre, personnel employé ou
clientèle par exemple).
Les noms des établissements et des fournisseurs, suivis d’une étoile, ont été modifiés. À la
suite de chaque verbatim, une présentation succincte du restaurant est donnée avec dans
l’ordre : type de restauration, addition moyenne par client (ticket moyen), nombre de
personnes employées en équivalent temps-plein (ETP), localisation.
215
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
2. Résultats : un produit à intégrer dans la stratégie commerciale des restaurateurs 2.1. Le métier de gérant dans la restauration 2.1.1. UN métier, DES manières de travailler Le terme « métier » est souvent employé et semble renvoyer à un ensemble de connaissances,
de compétences et de pratiques, partagées par les professionnels du même secteur. Il est
utilisé avec des expressions comme « dans le métier », « le métier de la restauration », « une
règle d’or dans notre métier », « être dans le métier », « c’est un métier ».
Par l’emploi de ces termes, certains restaurateurs semblent se légitimer comme étant « du
métier », par opposition à de nombreux gérants d’établissements qui s’improvisent
restaurateurs.
Au contraire, le terme « travailler », récurrent dans la plupart des entretiens, semble être
utilisé par les gérants d’établissements afin de se distinguer dans leurs pratiques et d’identifier
le style d’offre et de gestion de leur établissement. En précisant comment, quand, avec qui et
quels produits ils travaillent, ils définissent les particularités de leur établissement. Les
expressions suivantes, issues des entretiens, montrent que le terme « travailler » vient
répondre à un questionnement, non posé directement, sur la manière dont le gérant aborde les
activités dans son établissement :
-­‐ Comment ? : « Travailler à l’ardoise » (changer les plats tous les jours), « Travailler à la
marge » (élever le prix et réduire les coûts), « Travailler à l’ancienne » (à propos de café
très léger pour économiser), « Travailler que du frais » (pas de surgelé), « travailler des
produits de saison », « Travailler plus le produit » (moins de surgelé), « le travailler de A à
Z »,
-­‐ Quand ? : « Travailler peu le soir » (moins de clients), « travailler la semaine », «au
printemps où on peut travailler à la fois dedans et dehors »,
-­‐ Quoi ? : « Travailler un (beau) produit », « travailler une marque », « travailler de la
viande », « travailler le macaron », « Travailler la proposition d’apéritifs», « Travailler le
prix, travailler la vente », « travail de la salle »,
216
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
-­‐ Avec qui ? : « Pouvoir vraiment travailler avec certains fournisseurs » (coopération),
« travailler en direct », « Travailler avec la Maison X », « travailler avec une marque »,
« Travailler avec un commercial », « Travailler avec son chef », « on travaille plus avec la
clientèle du cinéma ».
2.1.2. Les activités du gérant Tous les gérants ont plusieurs « casquettes » dans leur établissement, et doivent tour à tour
gérer les aspects liés à la cuisine, mais aussi la partie commerciale (positionnement de l’offre,
tarif, fidélisation, promotions), la gestion des achats et des ventes (calcul du nombre de
manipulations, de marge, de stocks), ou encore le management du personnel (recrutement,
formation, développement, fidélisation).
Le cœur de métier est bien sûr la cuisine, mais finalement il en est assez peu question. Les
gérants de restaurant sont avant tout les gérants d’un commerce, et, à ce titre, ils évoquent
beaucoup les contraintes ou les stratégies qu’ils développent pour la gestion des
approvisionnements, la gestion des ressources humaines, puis pour la vente, la partie
commerciale de leur activité.
« ça c’est dans tout commerce, d’autant plus en restauration, parce que maintenant c’est quand même de plus en plus dur de… si on n’est pas bon gestionnaire, le restaurant il restera pas longtemps, malheureusement… c’est pour ça que maintenant on s’improvise pas restaurateur non plus » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère Gestion Gestion des coûts
Le travail à l’ardoise permet aux établissements qui le pratiquent : de proposer des produits
frais, de mieux gérer leurs approvisionnements et d’effacer les produits lorsqu’ils viennent à
manquer. Plusieurs restaurateurs, de différentes régions, expliquent que cette organisation
permet aussi de réagir rapidement aux offres promotionnelles émanant chaque semaine des
Cash&Carry. La gestion efficace des approvisionnements peut aussi passer par l’achat des
produits à l’avance, afin de bénéficier de tarifs négociés, comme ce restaurateur d’une
brasserie haut de gamme en Bretagne :
« nous on travaille de l’eau… Évian, Badoit. Badoit rouge, Badoit verte ou Évian, en verre non consigné de la gamme prestige, on doit être à 6, 7 milles bouteilles l’année […] On a travaillé le prix, et on a travaillé la vente derrière. C’est-­‐à-­‐dire qu’aujourd’hui, là, on a déjà acheté toutes les eaux minérales. Toutes les eaux sont achetées pour l’année 2014, elles sont déjà livrées. On a demandé à nos fournisseurs : « voilà écoutez on vous achète 6 palettes d’eau, faites-­‐nous bénéficier d’une gratuité, on paie » et ça marche, donc on a une remise de col, on a une remise 217
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
de produits offerts, on a une remise par notre brasseur et on a un produit qu’est différent des autres, à un prix, très abordable par rapport au produit », « le vin c’est simple on achète par palettes » L’Océan*, Brasserie Haut de Gamme, 29€, 16 ETP, Ville 1 Morbihan Le calcul du coût de revient de chaque plat ou de chaque boisson est important afin de
connaître les marges réalisées sur chaque produit et d’orienter la stratégie commerciale en
fonction. Ce coût est évalué par le nombre de manipulations nécessaires pour réaliser un plat,
par le nombre de bières tirées d’un fût, ou par le nombre de cafés servis à partir d’un kilo de
grains :
(à propos du burger à 15€ jugé cher par un client) « nous on aime bien diviser en manipulations, en fait en cuisine, combien de manips et tout parce que la masse salariale c’est ça hein […] c’est 15 manipulations un burger chez moi, alors qu’une entrecôte c’est 2 manipulations, ‘fin ouais, 4-­‐5 quoi donc euh, donc voilà » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère « le sucre et le p'tit chocolat […] c’est entre 10 et 15 centimes, parce que le sucre déjà il est à 5 centimes, et le chocolat il est plus à 10 centimes, on doit être plus proche de la vérité en disant 17 centimes. Ce qui est bien avec le café c’est que normalement il y a zéro pertes […] tandis qu’avec la bière on a un niveau de 25 centilitres donc si on dépasse, on perd. Dès qu’on change les fûts il y a aussi un petit peu de bière qui passe, on perd aussi. Normalement dans un fût de 30 litres, c’est combien, c’est 120 bières. Mais si on fait 100 comme disait l’autre la dernière fois, c’est bien. Donc faut compter une perte de 20% quasiment sur un fût, c’est énorme ! Si y’a pas trop de débit, tu perds peut-­‐être 2 cafés par kilo, en général on peut faire 142 je crois, et celui-­‐ci on doit pouvoir faire 147 » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère Plusieurs gérants évoquent le fait qu’ils adaptent le prix de vente du café à différents
paramètres de l’environnement, comme la hausse des matières premières, le changement de
taux de la TVA, la concurrence, ou encore pour augmenter les ventes en volume ou fidéliser
les clients à un moment donné de la journée - le matin par exemple :
« 1,40€ -­‐là je l'ai augmenté parce que dans l'année on a eu deux augmentations de café, ça faisait un an que j'étais là, j'avais pas encore augmenté le café du prix des propriétaires précédents » Les Quais*, Café-­‐restaurant, 17€, 2.5 ETP, Lyon « avant je mettais le petit chocolat, avant que la TVA ait baissé là, donc du coup j’avais baissé un peu le prix, mais pourtant j’avais enlevé le petit chocolat qui était avec, ça a duré un an, après je l’ai passé à 1,10€ mais sans le chocolat toujours… » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère « quand je suis rentré ici il était à 1,20€ il y a eu la baisse de la TVA à 5,5 , on l'a passé à 1€ et puis bien qu'on nous ait mis la TVA à 10, on l'a maintenu à 1€ pour l'instant, on attend de voir, pour l'instant on essaye d'absorber tout ça, on verra si on peut s’y tenir », « le prix du café au comptoir est à 1€, ce qui permet aux gens de venir boire ça le matin […] et de discuter des plats qui seront à déguster le midi. Donc ça c'est le but du jeu, après en salle il est à 2,70€ puis à 3,90€ à partir de 22h. » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris 218
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
« moi je fais partie de l’association « Comment servir ?* », donc on avait été un peu briefé et puis on avait eu des campagnes un petit peu de euh… le café à un euro… maintenant c’est pas parce qu’on l’a fait à un euro qu’on a fait plus de clients non plus. Donc euh après faut revenir aussi à un prix correct, bon la démarche était bien, pour moi la démarche était bien » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère Gestion des ressources humaines
Parmi les activités du gérant se trouve aussi la gestion du personnel : le recrutement, la
formation, la rémunération, la fidélisation. Les choix réalisés en la matière ont un impact
important sur l’accueil, le service et l’offre dans le restaurant. Ce gérant d’une grosse
brasserie parisienne de 300 places, choisit d’encourager son personnel par un pourcentage sur
les ventes :
« nos salariés sont au pourcentage du chiffre d'affaires, ils ont un fixe et une part variable, c'est des VRP en fait. Ils ont une carte des produits à vendre, c'est eux qui ont le contact avec la clientèle, c'est vraiment un métier de représentant […] on a une capacité qui fait qu'on peut pas dépasser la vingtaine de membres du personnel donc si on prend vingt buses, ben les clients reviendront pas après. […] Il faut avoir une équipe qui a un niveau équivalent et il faut des gens qui ont envie de progresser » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris Un gérant d’un établissement se trouvant dans une zone avec des pics de fréquentation
importants en été, opte quant à lui pour donner des horaires très flexibles à son personnel en
basse saison, afin de les motiver à être plus efficaces quand il le faut :
« on essaie de rentrer dans le cadre de la fidélisation niveau personnel… en aménageant des horaires à la carte. […] on demande pas à comptabiliser les heures, on demande rien du tout, on demande à ce qu’ils soient plus productifs, on a changé notre méthode de travail. Moi ce qui est important c’est de rationaliser les postes au mètre carré, c’est-­‐à-­‐dire que moi, j’ai pas de grande surface, par contre je peux avoir un chiffre d’affaires productif, qu’est plus important que la moyenne du secteur, grâce à ça » L’Océan*, Brasserie Haut de Gamme, 29€, 16 ETP, Ville 1 Morbihan Stratégie commerciale L’autre facette importante des activités du gérant, en lien avec la gestion, est la partie
commerciale. Chaque gérant d’établissement développe une stratégie pour développer ses
ventes et accroître son chiffre d’affaires. Chaque stratégie, faite de plusieurs choix combinés,
comme le fait d’avoir une carte plus ou moins étendue, la politique de prix, la présence ou
non d’un menu, le fait d’avoir une carte par saison ou de travailler à l’ardoise, est unique et
dépend de l’environnement du restaurant : ses concurrents, sa clientèle cible, les menaces de
substituts.
Un point spontanément évoqué par la plupart des enquêtés est qu’il est important de proposer
pour vendre, quels que soient les produits considérés. Pour ce gérant d’un restaurant
219
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
traditionnel et de l’hôtel accolé, sur la place centrale d’une petite ville, il est important d’être
lui-même présent dans la salle de restaurant afin de pouvoir faire cette démarche :
« faut toujours proposer, si on veut vendre il faut proposer », « l’eau c’est pareil, moi en eau : j’ai du gazeux, pas gazeux, en gazeux j’ai de la Plancoët, de l’eau de Perrier, de la Badoit. Évian et Plancoët en plate. Donc c’est vrai que on a quand même une gamme d’eau, on a cinq eaux quand même », « on fait une offre pas forcément que de café, on fait infusions aussi et thés », «après dans le métier de la restauration, quand on propose à un client, on dit toujours en termes de gestion et de ventes, proposer toujours trois produits. Ça c’est une règle d’or dans notre métier, c’est-­‐à-­‐dire que quand on propose quelque chose, comme l’apéritif, faut enchaîner sur proposer un kir, un whisky, un martini, et ça, c’est un peu la force de vente de… après ça dépend des établissements», « en eau on est à 25% de vente, mais bon c’est pareil c’est nous qui faisons la démarche… l’avantage pour nous patrons d’être sur le terrain, c’est de vendre aussi » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère « en restauration si vous proposez pas, vous vendez pas. […] j'ai été dans des brasseries où on propose pas le dessert. "Vous avez terminé ? un petit café", les gens prennent pas de dessert parce qu'on leur a déjà proposé le café. C'est comme la San Pellegrino, l'eau plate, tout ça, si vous la proposez pas, vous en vendez zéro » Les Quais*, Café-­‐restaurant, 17€, 2.5 ETP, Lyon Il est d’autant plus important de proposer, que le produit permet de réaliser une marge
importante sur la vente. C’est le cas du vin, de l’eau ou du café. Il est important de susciter la
vente de boissons. Et cela énerve ce gérant d’un restaurant traditionnel, lorsque son personnel
oublie de le faire :
« c’est important parce que c’est un produit où on marge comme des fous, c’est un truc de dingue […] on propose l’apéritif, l’eau en bouteille… ça quand ils proposent pas l’eau, ah ça, ça me… ça me saoule mais alors d’une force… euh… tac « un dessert messieurs-­‐dames ? Non merci. Un café messieurs-­‐dames ? » » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère « c’est sûr que sur le café on marge énormément, le vin on va marger, mais à côté la marge en alimentaire c’est là que… la marge elle est très très faible. Donc c’est pour ça que nous, derrière, il faut qu’on vende du café, on vende de l’eau, on vende du vin, quoi, c’est le côté gestion et management» Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère De la même manière, ces gérants achètent occasionnellement certains produits à leurs
fournisseurs, lorsqu’ils leur sont proposés de manière pertinente. L’extrait suivant est un bon
exemple du fait que le réseau de distribution impacte l’offre finale, comme nous l’avons vu
dans le Chapitre 2. Ce restaurateur opte pour un accompagnement sucré proposé en direct par
son torréfacteur :
« c’est lui qui m’a proposé (des papillotes) à la dernière livraison justement, il m’a dit tiens on a fait les petits chocolats, sinon je l’aurais pas pris forcément avec lui, j’aurais pris ailleurs. Il est très réactif là-­‐dessus donc moi j’ai pris avec lui. » « après si on propose pas on vend pas, hein, y’a pas de secret » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère 220
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
Une grande partie de la stratégie commerciale, en lien avec la gestion des
approvisionnements, concerne la tarification des menus et des plats à la carte et le
développement continu de l’offre.
Ce gérant, dont le restaurant a perdu beaucoup de clients après le départ d’une grosse
administration voisine, a diversifié ses activités en développant de la vente en libre-service à
emporter à faible prix, afin de regagner des clients au déjeuner en semaine parmi les actifs.
Tout en maintenant le prix de son menu, il cherche aussi à augmenter le ticket moyen en
proposant des plats à la carte avec un supplément, par exemple lorsqu’il s’agit de pièces de
viande nobles, ou de noix de Saint-Jacques par exemple :
« on a une petite offre de restauration à emporter dans le hall là… qui permet pour les entreprises bah de venir le midi et, moyennant un ticket restaurant, de pouvoir bénéficier d’un plat chaud, d’un dessert et d’une boisson euh… à sept euros cinquante », puis, en parlant du ticket moyen : « alors on est un petit peu à la hausse parce que encore une fois on essaie de […] une question, de qualité et puis on essaie de mettre des plats un petit peu plus… avec des suppléments » Côté Gourmand*, Restau. Tradi., 17€, 2.5 ETP, Ouest Lyonnais Dans un autre registre, ce restaurateur a diversifié son offre de vin, en se dotant d’un
Eurocave (système de service du vin au verre, permettant de conserver le vin en bouteille sous
azote), ce qui rend certains vins plus abordables. Il a également diminué le prix de son menu
afin de déclencher l’achat :
« on a mis ce menu là en place, à 25 euros avec des huîtres dedans, eh ben j’ai eu raison parce que c’est ça qui a déclenché toute la possibilité de l’établissement », « on a 11 références de vin au verre, tous les jours, quotidiennement. […] On a la possibilité d’offrir, pour un client ou des clients, de prendre un… un… un 50cL de Saint-­‐Emilion ou de Château-­‐Margot, en carafe, […] qui débloque automatiquement la vente » L’Océan*, Brasserie Haut de Gamme, 29€, 16 ETP, Ville 1 Morbihan Sans que ce sujet ait été l’objet d’une relance ou d’une question, la contrainte de rapidité est
évoquée par plusieurs personnes interrogées. Assurer un service rapide semble être nécessaire
pour assurer certaines ventes. Si le service du plat a été trop long, les clients ne restent pas
pour le dessert. Il est important d’adapter l’offre à cette demande. En témoignent les quelques
extraits suivant :
« on peut avoir le meilleur rapport qualité-­‐prix si on a pas également […] si on a pas cette exigence de rapidité, le client il revient pas » Côté Gourmand*, Restau. Tradi., 17€, 2.5 ETP, Ouest Lyonnais « et puis après attention, les gens veulent de la rapidité aussi, moi je le vois bien, je le vois bien. Midi et soir, hein, c’est fou » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère 221
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
« le midi les gens c’est plus de l’alimentaire à vrai dire, euh voilà plus rapide, les gens euh…les gens qui travaillent, les banquiers » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère « alors le midi, quand les gens sont très pressés, on propose un café, alors je sais pas lequel c’est en plus… mais voilà, on laisse pas trop le choix, parce que les gens sont très pressés, mais le soir on propose la carte » Patio des arômes*, Restau. Gastronomique, 55€, 4 ETP, Ville 2 Finistère Le café en particulier doit pouvoir être commandé et servi rapidement le midi, sous peine
d’être consommé à domicile ou au bureau. La prise de commande doit intervenir rapidement
et être efficace.
Enfin, plusieurs gérants semblent concernés par le fait de se différencier de la concurrence, et
cela influence, ou pourrait influencer, leur offre et le choix de leurs fournisseurs :
« DISTRIDRINK*, que je viens de réduire parce qu’ils sont pas capables de proposer des vins différents de chez Pierre, Paul ou Jacques, et ça, ça m’énerve » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère « nous on l’appelle autrement, la pause-­‐café découverte (café gourmand), un peu différent […] souvent maintenant c’est quand même des choses, souvent un peu les mêmes produits parce qu’on achète ça, le macaron, t’achètes ça en dur chez MEGAPRO*, nous on fait tout maison hein, donc voilà … bon c’est bien de le faire parce que les gens l’attendent, mais ça se banalise un peu trop quoi, faut trouver après autre chose » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère « il y a aussi cette notion de concurrence qui est importante, mais qu’il y a pas ici, mais bon si y’a pas de concurrence c’est qu’il y a pas la place pour euh…pour un deuxième, et effectivement si demain y’en a un autre qui fait un café qui est meilleur, euh… peut-­‐être qui faudra que je me remette en question à ce moment-­‐là » Côté Gourmand*, Restau. Tradi., 17€, 2.5 ETP, Ouest Lyonnais 222
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
2.2. Différentes logiques, influençant les approvisionnements et l’offre finale proposée Ces activités de gestion des approvisionnements, des ressources humaines et de stratégie
commerciale se déroulent dans un réseau professionnel, avec des fournisseurs.
Si le gérant ne choisit pas nécessairement sa clientèle, ses concurrents, ou les tendances de
consommation, il est le seul acteur du choix de ses fournisseurs. La façon dont il aborde la
gestion et la partie commerciale dans son établissement influence fortement les choix
d’approvisionnement et, par conséquent, l’offre finale proposée aux consommateurs, clients
de restaurant. Le café ne déroge pas à cette règle.
2.2.1.
Des logiques individuelles Afin de souligner comment l’approvisionnement en café dépend de la démarche globale
adoptée dans un établissement, nous proposons ici de faire des liens entre les façons dont sont
abordés plusieurs objets dans un même entretien. Cette analyse structurale permettra de faire
apparaître une logique globale guidant les choix réalisés par le gérant d’un établissement.
Chacun des encadrés suivants est un résumé de certains points abordés en entretien.
Dans l’Encadré 22, nous pouvons voir que M. Durand, gérant d’un établissement faisant
office de « cantine » pour les employés des environs, choisit ses fournisseurs uniquement en
fonction du rapport qualité-prix qu’ils proposent. C’est ce qui lui permet de maintenir le prix
de sa formule de déjeuner et de fidéliser sa clientèle. Bien qu’il prenne en compte d’autres
facteurs, comme la livraison ou la relation commerciale, ce critère est pour lui un prérequis, et
de loin le plus important. Pour lui : « c’est la première exigence, si on veut rester ouvert». Il a
dû réduire ses effectifs de moitié quelques années auparavant, suite au départ d’une
administration voisine employant un grand nombre de ses clients et fait souvent référence au
contexte difficile dans la restauration traditionnelle, aux baisses de la fréquentation et du
ticket moyen.
Cette logique de recherche d’un bon rapport qualité-prix guide tous ses choix
d’approvisionnement. Aussi bien le choix de son fournisseur en cuisses de canard, dont il a
déjà changé suite à une augmentation de tarif, que le choix du café acheté en termes de
marque et de format. M. Durand opte pour le milieu de gamme pour tous ses produits : ni bas
de gamme pour ne pas sacrifier la qualité, ni haut de gamme à cause des prix trop élevés. Le
223
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
terme « prix » revient 14 fois dans l’entretien, « coût », « coûte » ou « coûteux » 11 fois et
« tarif » 3 fois. Le terme « qualité » est, quant à lui, présent 11 fois, dont 2 occurrences
seulement sans le terme « prix » ou « coût » dans la même phrase.
M. Durand semble facilement prêt à changer de fournisseur de café si le sien revoyait ses
tarifs à la hausse. Aujourd’hui seul dans sa zone de chalandise, il ne subit pas de concurrence
directe. La seule chose qui pourrait lui faire changer de fournisseur de café vers un café de
qualité et de prix supérieurs, serait qu’un concurrent s’installe et propose un meilleur café que
le sien.
L’Encadré 23 illustre la politique d’achats de M. et Mme Martin, gérants d’un établissement
haut de gamme et proposant une cuisine à base de produits régionaux. Nous pouvons voir que
tous leurs produits proviennent de producteurs locaux, de la volaille au café, en passant par le
poisson ou le fromage. L’accent est mis sur la qualité des produits, la fraîcheur, la production
locale. La carte varie en fonction des arrivages. Lors de la commande et du service, beaucoup
de temps est passé à donner des informations sur la nature, l’origine et la préparation des
produits. Lorsque cela est possible, les produits sont issus de l’agriculture biologique, c’est le
cas des légumes, des produits d’épicerie et des infusions, produites localement.
Le ticket moyen, supérieur à 50€, relève de la restauration de luxe (1% des repas vendus dans
la restauration en France selon GIRAConseil (2012)). Le taux de commande de café est plus
élevé dans ce type d’établissement et de l’ordre de 75% en moyenne. En effet, bien que celuici soit vendu à 4€, les gérants estiment que, parmi leurs clients : « presque tout le monde, la
majorité prennent des cafés ».
Il n’est jamais question de prix dans l’explication du choix des fournisseurs, mais toujours de
proximité, de la recherche de produits de qualité, de partenariats dans la durée avec des
fournisseurs locaux. Lorsque le prix du café est abordé, M. Martin répond : « J’ai même pas
trop idée, je peux chercher mais je sais même pas : j’m’en fous… pour le prix de quelques
grammes à la tasse, on va pas s’embêter ». Les gérants s’investissent dans la connaissance des
produits qu’ils proposent et les valorisent auprès des clients en passant beaucoup de temps à
en parler, à les présenter : qu’il s’agisse du poisson, du vin, ou du café. C’est pourquoi il
semble important pour eux, non seulement d’être approvisionné par un torréfacteur local,
mais aussi que celui-ci leur fasse découvrir plusieurs origines de cafés lors de dégustation,
propose des produits issus du commerce équitable et de l’agriculture biologique, les aide à
construire une carte de plusieurs produits, qu’ils pourront à leur tour faire découvrir à leurs
clients.
224
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
Encadré 22 –Exemple d’une logique dirigée par le rapport qualité-prix
M. Durand* est gérant du restaurant indépendant Côté Gourmand*, en banlieue ouest de Lyon, dans
une zone industrielle. Le restaurant, situé sur une route nationale passante, dispose d’un parking et
d’une terrasse à l’arrière, d’une salle au rez-de-chaussée et de deux salles à l’étage. Il est ouvert les
midis en semaines et le jeudi et vendredi pour le dîner. Le menu Entrée + Plat ou Plat + Dessert est à
14€, et la formule complète à 17€. Des formules à emporter sont en libre-service dans un frigo ouvert
dans l’entrée. Elles se composent d’un plat chaud ou d’une salade, d’une boisson et d’un dessert pour
7,50€. Le café est à 1,50€. Un café gourmand, à 4€ hors-menu, est proposé dans les desserts. Le
restaurant emploie 2,5 personnes en équivalents temps-plein.
Le gérant « travaille à l’ardoise », ce qui lui donne une « une latitude pour changer » les plats à la carte au
gré de la disponibilité des produits. Ainsi M. Durand est « pertinent en termes des achats et des coûts »,
c’est-à-dire qu’il peut acheter des produits de saison, à un prix plus avantageux, et « aller sur des promos »
pour « faire bénéficier les clients d’un rapport qualité-prix relativement performant ». En effet, M. Durand
propose une formule complète, à un prix abordable, avec des « produits frais et sympas ». Selon lui « c’est ce
qui fait qu’aujourd’hui on arrive à peu près à s’en sortir ».
Les clients sont des habitués, des employés des entreprises alentours. Selon M. Durand, ses clients viennent
pour « une qualité de… un bon rapport qualité-prix dans l’ensemble ». 5 personnes travaillaient à temps
complet dans ce restaurant, mais l’activité a été très ralentie quelques années auparavant, par le
déménagement d’une administration voisine employant plusieurs centaines de personnes. Aujourd’hui
l’effectif a diminué de moitié. Il reste le gérant, un chef de cuisine, et une serveuse à mi-temps. « Il a fallu un
peu batailler, euh…trouver d’autres clients et puis diversifier un petit peu l’offre ». D’où l’arrivée récente
d’une offre de restauration à emporter dans le hall, avec un menu au prix d’un ticket restaurant environ.
La « maison MEGAPRO* » (grossiste alimentaire en libre-service pour professionnels), l’appelle toutes les
semaines pour l’informer de la promotion du rayon boucherie et lui mettre des produits de côté : « là par
exemple il y avait de la joue de bœuf en promotion la semaine dernière, donc ils nous ont mis huit kilos en
promo jeudi dernier». Le magasin étant à proximité, M. Durand « fonctionne beaucoup avec eux ». Cela
représente environ 60% de ses achats. Un primeur de la région lyonnaise livre les fruits et légumes sans
franchise quasi-quotidiennement. Il suffit de les appeler et de passer la commande par téléphone et « ils
passent, ils sont présents ». Pour M. Durand « c’est quand même un vrai confort », d’autant plus qu’il n’y a
pas de « franco »(franchise) : « c’est un vrai plus au niveau d’un fournisseur ». Alors que chez MEGAPRO,
il faut y aller. M. Durand s’y rend 2 à 3 fois par semaine mais « pas pour acheter une caisse de pommes et un
kilo de salade ». Le choix des fournisseurs se fait en fonction de la qualité, et du prix de leur offre : « pourvu
que ça rentre dans notre budget ». Lorsqu’un fournisseur est « un petit peu moins bien placé en prix » sur
certains produits, M. Durand change de source d’approvisionnement pour ces produits. « Le confit de canard
qu’on prend chez eux (EPIPRO*, grossiste alimentaire livrant partout en France), c’est un [...] produit de
qualité, ils sont bien placés en prix, avec un calibrage de 200 à 220 grammes, par pièce […] on a travaillé un
moment donné avec DELIPRO* ce produit, il s’est trouvé qu’ils arrivaient pas à tenir leur prix, euh donc du
coup on l’a trouvé, on l’a trouvé chez eux ». EPIPRO livre un jour fixe de la semaine, et ce format est
apprécié également car une personne « vient physiquement tous les lundis, pour prendre la commande, bon
après le courant passe ou pas ». Parfois la relation commerciale évolue vers « une vraie relation de
confiance». Bien que cette relation commerciale soit appréciée, « le nerf de la guerre c’est quand même le
prix, le coût […] si demain la maison EPIPRO peut pas tenir sa cuisse de canard à 7 euros le kilo, ben on
sollicitera un autre fournisseur pour voir si il peut se positionner sur, sur un produit identique […] il faut
payer ses charges, il faut payer les employés ».
Pour les boissons, M. Durand « travaille avec la maison DRINKLYON* » (grossiste en boissons régional) de
manière historique, car un contrat brasseur courait encore sur 3 ans lorsqu’il a acheté l’établissement,
l’obligeant à commander tout son vin, ses boissons fraîches et son café chez eux. Le contrat est terminé, mais
M. Durand continue à « travailler certains produits avec eux ». Le café acheté est du «1000 et une nuits* »,
de la référence « Dégustation* » : « un produit plutôt qualitatif […] peut-être pas haut de gamme mais c’est
un bon produit ». Le café est acheté en grain, car il donne un meilleur résultat lorsqu’il est moulu
fraîchement, et aussi car « c’est ce qui coûte quand même le moins cher ». La « maison DRINKLYON »
intervient pour les réglages et les révisions de la machine. M. Durand pourrait « être amené à changer » de
fournisseur selon l’évolution de l’offre. Il choisirait alors en fonction du rapport entre qualité et prix, et cite
le café MEZZO* comme une référence en termes de goût, mais trop coûteux pour lui.
225
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
Encadré 23 – Exemple d’une logique dirigée par l’origine, la qualité, les produits labellisés
M. et Mme Martin* gèrent le restaurant indépendant le Patio des arômes*, dans une ville moyenne du
Morbihan. Le restaurant est proche du centre-ville, dans une rue peu passante. Il dispose d’une
grande salle avec baies vitrées donnant sur un petit jardin avec des aromates, et d’une petite salle du
côté de la rue, pour 50 places assises. Le restaurant est ouvert du vendredi midi au dimanche midi, et
du mercredi midi au dimanche midi pendant les vacances scolaires, ce qui permet à M. et Mme
Martin de diversifier leurs activités : livres, cours de cuisine, etc. Le midi, le « petit » menu est à 30€ et
le « grand » à 42€ (entrée, plat, fromage, dessert). L’addition moyenne se situe entre 50 et 55€. Le café
est vendu 4€ et accompagné d’un gâteau « fait-maison » et d’un caramel ou d’un chocolat. Ce
restaurant emploie 4 permanents et 2 étudiants en formation, tous à temps partiel.
La clientèle est constituée d’habitués et de touristes, le restaurant figurant dans plusieurs guides
gastronomiques. Mme Martin est chef du restaurant et s’occupe des achats pour la cuisine, son mari
s’occupe de la gestion de l’établissement, des achats pour le bar et du « travail de la salle ».
Mme Martin se rend tous les matins au port de pêche pour acheter du poisson au mareyeur. Les légumes sont
livrés par deux producteurs bio chaque semaine. Mme Martin va au marché les mercredis et samedis pour
compléter. Un grossiste en fruits et légumes lui livre les agrumes ou autres produits exotiques à la demande,
quotidiennement si besoin. Le fromage est acheté auprès d’un fromager, ou en direct au producteur pour le
fromage de chèvre. Mme Martin s’approvisionne quasi-exclusivement en direct auprès des producteurs, et
elle n’aime pas quand ce n’est pas le cas : « la volaille c’est pour ça, ça me pose pas de souci : je travaille en
direct. Mais tout ce qui est boucherie c'est vraiment galère parce que en fait… j’ai pas trouvé un boucher
[…] donc du coup, ça me plait pas, mais j'essaye de faire plaisir à tout le monde, il y a des gens qui ne
mangent que de la viande rouge donc pour pallier à ça en fait, j'achète un filet de bœuf toute les semaines ».
Pour ce qui est des produits d’épicerie, Mme Martin s’approvisionne en grande partie dans une coopérative
d’achat de produits biologiques. M. Martin achète le vin auprès de vignerons en direct, ou chez un caviste en
dépannage. Le reste est acheté chez le grossiste alimentaire en libre-service : alcools forts, jus de fruits,
produits d’entretiens, et parfois de l’épicerie.
Le menu change à chaque repas, en fonction des achats de Mme Martin au port de pêche et de son
inspiration, et il n’est jamais figé : « ce qui va être écrit ce soir ça va être de la sole, mais mon mari saura
qu'il y aura de la Saint-Jacques voire du cabillaud.... il y a des gens qui font complètement confiance, et donc
du coup ils vont partir sur ce qui est écrit, et puis il y a des gens on sent que ça leur fait pas plaisir, donc là
on va passer du temps à expliquer ce qu’il y a autrement en cuisine ». M. Martin gère la salle et passe du
temps à expliquer l’origine des produits et les recettes de sa femme aux clients : « Il passe énormément de
temps à l’oral, il passe facilement, à la commande, par table, il passe bien cinq minutes ». Les desserts ne
sont pas tous inscrits à la carte mais sont annoncés « à l’oral ». De la même manière l’origine des produits
n’est généralement pas inscrite à la carte : « Là on a marqué (Inzinzac) parce que en fait poulet, on se dit :
"oh poulet..." [air déçu] donc là mon mari a mis Inzinzac […] mais autrement mon mari passe énormément
de temps à l'oral parce que, justement, : il dit tout ça à l'oral, par exemple samedi on l'a pas noté, mais à l'oral
j'imagine que mon mari a dit :"bin les coquilles elles viennent de Quiberon », « voilà on connait nos
origines ». Les thés et infusions viennent « de chez un monsieur de Cléguer, c’est à côté en fait, en bio… ».
Le thé le plus vendu n’est pas inscrit à la carte : « je vois pas mal partir du Sencha, le thé vert Japonais, mais
ils doivent l'annoncer à l'oral ».
En ce qui concerne le café, « c'est du local aussi, c'est la maison BREIZHCAFE*, en fait c'est en direct, c'est
eux qui torréfient le café ». Plusieurs cafés sont proposés à la carte, certains sont biologiques et équitables :
« Mexique, Moka, Supremo, grand cru d'origine. Et ça on a vraiment été aidés par la maison
BREIZHCAFE* : nous on la fait, mais le contenu, le texte c'est avec eux et le choix... on a fait des
dégustations ». La carte est souvent présentée oralement, en fonction du déroulement du service, mais dans
ce cas « je dis qu’ils viennent de chez BREIZHCAFE*, parce que c’est une très bonne torréfaction ». Mme
et M. Martin ont acheté la machine avec une garantie de deux ans, et elle est entretenue par BREIZHCAFE*,
qui leur prête le moulin.
226
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
2.2.2.
Des critères communs guidant les choix d’approvisionnement Les deux entretiens précédents sont exemplaires, car la politique d’approvisionnement en
place dans l’établissement est très explicite. Dans certains établissements, elle n’apparaît pas
si distinctement, mais on retrouve souvent deux critères communs guidant les choix de
fournisseurs et de produits : le rapport entre qualité et prix, et les services proposés par le
fournisseur.
Qualité-­‐Prix Tout comme le gérant du restaurant Côté Gourmand*, M. Durand*, la plupart des
restaurateurs sont attentifs au rapport qualité-prix des produits en général, et du café et de son
accompagnement également, comme le montre les quelques exemples suivants :
« le café MEZZO* il est délicieux… toute façon nous si on n’avait pas travaillé SPEZIA* je pense qu’on aurait travaillé MEZZO*, on s’était posée la question […] et bon, il est encore plus cher hein », « Après ça va être le tarif, qualité-­‐tarif, plus la qualité va être bonne plus le tarif va être cher » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère Enfin, ce gérant d’un restaurant traditionnel, de gamme moyenne à élevée, explique, au sujet
des spéculoos qu’il achète chez MEGAPRO* :
« pour être honnête au moins cher, ça me revient à 0,02 centimes je crois », « je préfère avoir des produits un peu moins chers mais proposer quelque chose qui tient la route pour le café », « on est toujours à la recherche de faire des économies, acheter moins cher, mais au mieux » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère Coopération avec le fournisseur Le deuxième axe principal expliquant le choix ou le maintien des fournisseurs, concerne la
coopération.
Les services de base
Certains services « de base » sont mentionnés par la plupart des restaurateurs, il s’agit de la
relation avec le fournisseur, de la livraison, du prêt de matériel et de la maintenance.
Le relationnel avec les fournisseurs est important, car ces derniers constituent le réseau
professionnel des restaurateurs. Les échanges avec le commercial ou le livreur et les
« gratuités » offertes contribuent à développer la relation client-fournisseur :
« DISTRIDRINK*, […] j’aime bien Jean-­‐Pierre*, bon c’est vrai qu’on passe plus de temps à discuter de la pluie et du beau temps […] que du business mais bon, il nous aime bien… après j’ai un, après c’est DISTRIGEL*(distributeur de surgelés), Nicolas*, lui il m’a mis plein de gratuités en place et tout, je lui ai dit ben écoute Nico, je travaillerai toujours, je travaillerai 227
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
toujours avec toi…c’est vraiment les deux seuls » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère La livraison fait partie des services jugés pratiques par tous les restaurateurs, surtout s’ils ont
des contraintes de stockage, comme dans cette brasserie parisienne :
« on a une capacité de stockage très faible et donc le second critère [après la qualité] c'est la capacité du fournisseur à nous livrer tous les jours, dimanche compris, voire 2 fois par jour, c'est indispensable » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris La concentration des commandes via un seul distributeur de boissons est souvent appréciée
car elle simplifie la livraison et le règlement des commandes :
« le café, le décaféiné, les thés, le chocolat, tout ça, ça vient du même fournisseur. Le grand patron fonctionne à l'ancienne, il regarde les factures et il fait un chèque à la fin, pas en prélèvement automatique, donc du coup, moins il y a de fournisseur, mieux il se porte » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris « pour les commandes on regroupe tout, parce que sinon on aurait 5000 fournisseurs » Les Quais*, Café-­‐restaurant, 17€, 2.5 ETP, Lyon Enfin, le prêt de matériel et la maintenance sont souvent mentionnés comme indispensables :
« on paie rien nous, c’est une mise à disposition […] c’est pareil pour les machines à pression : si ils veulent qu’on vende leur produits il faut nous mettre à disposition… le matériel adéquat » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère « faut savoir qu’une machine à café ça coûte quand même heu… énormément cher, et c’est vrai que, quand on peut se faire prêter la machine à café, c’est pas du luxe. » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère Les services d’aide au développement de l’activité
D’autres services sont parfois proposés par les fournisseurs, et semblent plus attractifs pour
les restaurateurs, en termes de partenariat développé. Il s’agit de l’aide à l’installation et au
développement de l’activité, par des aides financières, du mobilier, l’impression de cartes, la
proposition de formation, ou l’amélioration continue via l’adhésion à une association de
restaurateurs. Les aides financières sont de moins en moins fréquentes, tandis que les offres
de formations ou d’animations pour développer les ventes dans l’établissement sont de plus
en plus courantes.
Plusieurs distributeurs de boissons proposent ainsi de financer des travaux, du mobilier ou
plus couramment d’imprimer les cartes de leurs clients régulièrement, à condition bien sûr
qu’une majorité de produits vendus proviennent de chez eux :
« si je référence un peu plus de produits chez eux, ils vont me rembourser mes impressions de cartes, voilà. On a tout à y gagner à se serrer les coudes et à travailler ensemble », « en fait, c'est un contrat qu'on a depuis la création de l'établissement, donc ils nous ont aidé à nous 228
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
mettre en place et en fait, c'est un échange de bons procédés c'est à dire qu'ils nous aident au début, on se lance et puis ensuite on est obligés d'acheter la marchandise chez eux. » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris « c’est surtout DISTRIDRINK qui nous a financé au niveau de la terrasse », « bon maintenant c’est de plus en plus difficile de l’avoir hein [l’aide financière à l’installation] mais bon, à une époque c’était dix, quinze mille euros qu’on pouvait avoir, après c’est pareil ça se répercute […] on va payer notre bière peut-­‐être 5, 10 centimes plus cher que si on avait rien demandé, c’est une logique, c’est de bonne guerre, c’est donnant-­‐donnant » Le Troquet Gourmet*, Restau. Tradi., 24€, 4 ETP, Ville 2 Finistère Ce qui semble surtout apprécié des gérants, ce sont les services les aidant à progresser dans
leur métier, à développer les compétences dans leur équipe, à augmenter les ventes dans leur
établissement, comme les animations ou les promotions ponctuelles dans l’établissement :
« on a un commercial de chez PALE-­‐ALE*(Marque de bière) qui se déplace… pour voir pour les animations, tous les ans on met un plan d’animations en fait… pour voir suivant les évènements sportifs » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère Plusieurs restaurateurs rencontrés adhèrent à une association de restaurateurs : « Comment
servir ?* », via leur distributeur de boisson. Cette association propose des formations, des
visites de clients mystères suivies de retour sur les améliorations à mettre en place, ou encore
de l’aide pour obtenir le label « Maître restaurateur » par exemple :
« des clients mystères qui passent aussi deux fois dans l’année, après on fait le point là-­‐dessus comme c’était la dernière réunion ça d’ailleurs… ils nous disent ce qu’ils ont trouvé bien, moins bien, ce qu’il faut retravailler derrière », « comme ça on fait le point sur des choses qu’on avait vues avant et puis comme ça on avance dans le temps », « gestion, management, hygiène cuisine, ça peut-­‐être… ils ont un panel de formation, là pour 2014 ils nous en ont demandé 14 » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère « on s’est lancé dans « Maître Restaurateur », faut que j’m’en occupe, et ça je l’ai par l’intermédiaire d’eux, ils m’accompagnent là-­‐dessus, et là j’ai « Qualité Tourisme » que j’ai eu par leur intermédiaire » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère 229
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
2.3. Le statut spécifique du café dans l’établissement Maintenant que nous avons cerné comment s’organisent les choix d’approvisionnement et
donc la formation de l’offre finale dans un établissement, arrêtons-nous sur le cas du café.
D’une part, nous allons voir que d’un point de vue de la gestion des stocks, il a une place
spécifique dans l’établissement et n’est pas perçu comme les autres produits. Cette place
singulière dans les coulisses du restaurant explique peut-être en partie pourquoi, d’un point de
vue commercial, beaucoup de choses restent à faire pour valoriser ce produit.
Une marge importante, écrasée par les cafés offerts
Le café est unanimement perçu comme un produit avec une place particulière dans la
restauration. Il se distingue tout d’abord par la marge importante qu’il représente lors de la
vente, très souvent mentionnée lors des entretiens :
« toute manière le café c'est le produit en bar où on se fait le plus de marge […] pour votre caisse le soir vaut mieux avoir vendu 30 Cocas que 30 cafés, mais si vous regardez ce que vous avez gagné sur le Coca et ce que vous gagnez sur le café, vaut mieux avoir vendu les 30 cafés » Les Quais*, Café-­‐restaurant, 17€, 2.5 ETP, Lyon Le coût de revient du café étant faible, il est souvent offert aux bons clients dans une
démarche de fidélisation :
« ça me permet, quand j’ai pas eu le temps de discuter avec des personnes […] tout à l’heure j’ai pas eu le temps de leur payer un verre et puis j’ai pas forcément envie de leur payer un verre parce que ben… c’est cher, hein, un verre de vin. Je dis « tiens je vous paie un p’tit café les gars ? » ben ils étaient contents avec ça » La Citadelle*, Restau. Tradi., 25€, 6 ETP, Ville 1 Finistère Probablement pour les mêmes raisons, le café est souvent le seul produit consommé par le
personnel :
« on en consomme pas mal nous, donc je m’amuse pas trop à calculer », « c’est un peu notre luxe quoi », « ce serait rigolo parce que j’ai dans ma comptabilité, j’ai une compta un peu analytique sur les boissons chaudes, donc je sais quel chiffre d’affaires j’ai fait à l’année. Donc je pourrais très bien comparer mes achats par rapport à mes ventes, en incluant les infusions et les thés, mais c’est vrai que je l’ai jamais fait » Patio des arômes*, Restau. Gastronomique, 55€, 4 ETP, Ville 2 Finistère 230
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
En plus d’être consommé par le personnel et d’être offert aux clients, il est aussi offert à
toutes les personnes de passage comme les fournisseurs ou les livreurs. Tous les gérants sans
exception m’ont ainsi offert un café en m’accueillant dans leur établissement. Toutes ces
« gratuités » semblent annuler la marge qu’il représente :
« il faut savoir derrière que, bon, quand vous vendez un café, vous en offrez aussi, contrairement à un verre de vin ou autre, c’est plus facile d’offrir un café que d’offrir autre chose, parce qu’on sait que le coût de marge est meilleur, c’est pas pour autant qu’on a une meilleure marge globalisée, voyez », « quand on a un fournisseur qui vient chez nous, il est toujours… quand le chauffeur du distributeur vient livrer sa marchandise, on lui offre un café, un bon café quoi […] c’est normal, ça fait partie du jeu, en globalité la marge elle est pas si importante si vous voulez, elle revient à une marge normale » Le Zinc*, Brasserie, 22€, 20 ETP, Paris Finalement, ce produit, même s’il représente une marge importante, et qu’il est important de
le proposer pour le vendre, a un coût de revient si faible qu’il est aussi très souvent offert. Si
bien que le suivi des ventes n’est pas aussi rigoureux que sur d’autres produits. Cela pourrait
en partie expliquer pourquoi il est banalisé dans la restauration traditionnelle.
Différentes pistes de valorisation
Pourtant, les entretiens suggèrent aussi plusieurs pistes de valorisation du café, par la
coopération entre fournisseurs et gérants de restaurant. En effet, les restaurateurs sont souvent
intéressés par une piste de valorisation du café en restauration. Cette piste varie selon leur
clientèle, leurs horaires, leur personnel ou le type d’offre qu’ils proposent. Il peut s’agir
d’instaurer de la différenciation verticale en mettant en avant une marque, une origine ou en
proposant des cafés issus de l’agriculture biologique ou du commerce équitable, ou
d’instaurer de la différenciation horizontale en proposant une offre de cafés d’origines variés
ou différentes préparations comme le cappuccino par exemple.
Le succès d’une offre différenciée verticalement repose sur la capacité à signaler la qualité du
produit servi dans l’établissement. À cette condition seulement le restaurateur pourra valoriser
auprès de ses clients un produit qu’il a acheté plus cher. Si l’on prend l’exemple des cafés
issus de l’agriculture biologique et du commerce équitable, certains restaurateurs semblent
avoir la volonté mais manquer de moyens pour valoriser cette offre auprès de leurs clients :
« moi je veux bien travailler le commerce équitable mais faut qu’ils fassent aussi des efforts dans ces cas-­‐là au niveau tarif quoi, et puis il faut les tasses derrière il faut aussi euh… ben tout l’équipement nécessaire pour vendre les produits » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère « nous on a essayé quand on a ouvert d'avoir différents cafés : des cafés purs origines, des cafés du commerce équitable, on les vendait pas ! […] je pense que c'était par rapport au prix 231
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
parce qu'il était un peu plus cher, et puis parce que je crois que le client est pas un amateur de café, et qui voit pas trop la différence » Le café de la mairie*, Brasserie, 18€, 5 ETP, Lyon Or, il n’existe pas de solution unique pouvant être déployée uniformément dans tous les
établissements pour signaler la qualité des produits et aider à leur différenciation. Certains
restaurateurs acceptent d’installer une enseigne extérieure signalant par exemple la marque de
café servie, certains souhaitent le logo de la marque sur le côté de la tasse, d’autres sur la
soucoupe, d’autres ne souhaitent afficher aucune marque. Certains font figurer le café sur la
carte des desserts, d’autres sur la carte générale, et à moins qu’il existe une carte de cafés,
généralement le consommateur y trouvera simplement l’information du prix. Ainsi, il est
impossible de déployer une animation par de la PLV (Publicité sur le lieu de vente) uniforme.
Il semble que la différenciation verticale de l’offre de café en restauration serait possible à
condition que les restaurateurs soient accompagnés dans cette démarche de manière
personnalisée, par des animations, du matériel, ou de la formation sur les produits
correspondant à leur clientèle, leur offre, leur personnel.
En ce qui concerne la différenciation horizontale, par une offre de cafés d’origines ou de
préparations variées, le facteur clé de succès semble être de pouvoir intégrer une telle offre
aux activités de gestion et de stratégie commerciale de l’établissement. Proposer plusieurs
cafés nécessite du matériel et des stocks supplémentaires, de la logistique pour
l’approvisionnement, ainsi qu’un support de présentation ou des compétences pour les
proposer oralement et du temps additionnel pour le service. Le type de choix et son étendue
doivent être adaptés aux serveurs, et aux consommateurs à qui il est proposé. Certains clients
de restaurant ne souhaitent pas choisir, sont trop pressés, certaines grandes tablées ne
permettent pas de proposer des choix individuels, il faut alors pouvoir proposer un choix par
défaut.
Cette stratégie de différenciation horizontale n’est viable pour le restaurateur que s’il peut
gérer le matériel nécessaire et la formation du personnel, puis développer une stratégie
commerciale pour vendre cette offre efficacement, afin de respecter les contraintes de rapidité
dans la commande et dans le service :
« avoir une carte de cafés trop importante, j’en vois pas trop l’intérêt, donc on n’est pas dans cette culture-­‐là. 2-­‐3 c’est déjà pas mal, il faut le servir bien, si vous vendez un café pour vendre un café, si y’a pas la qualité au bout, je vois pas l’intérêt d’avoir une offre euh… importante de cafés si on n’a pas la qualité. », « on a une manière de fonctionner qui est peut-­‐être différente des autres distributeurs de café. On a une formation, on a eu une formation à Paris, au siège de chez MEZZO*, et on est en… en permanence on va dire en contact avec eux pour l’élaboration, 232
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
la découverte de certains produits » L’Océan*, Brasserie Haut de Gamme, 29€, 16 ETP, Ville 1 Morbihan Il est impossible de mettre en place une carte standard, car chaque restaurateur souhaite un
assortiment différent, certaines références peuvent être en rupture, de nouvelles références
sont régulièrement lancées et la carte d’un établissement est souvent adaptée en fonction des
volumes vendus de chaque référence. Cependant, une aide à la mise en place d’une carte
adaptée à un établissement précis et un suivi commercial des ventes, sont des services
personnalisés pouvant à la fois aider à la valorisation des produits et au développement de
l’activité des restaurateurs.
D’un point de vue pratique, un frein important à la valorisation de cafés d’origines variées
dans la restauration est encore une fois le signalement de la qualité des produits. Comment
assurer à un consommateur que le café servi dans une tasse blanche est bien un doux Moka
d’Éthiopie, et non pas le café plus corsé du Brésil commandé par son voisin ? Ou qu’il ne
s’agit pas d’un seul et même café ? Si, à domicile, chacun insère sa dosette dans la machine et
peut donc retracer l’origine du café servi dans une tasse, dans la restauration, ce point reste
problématique. Des solutions sont à développer en collaboration avec les restaurateurs pour
leur faciliter le service des cafés de différentes origines (collerettes à "clipser" sur les tasses,
tasses ou sous-tasses de couleurs différentes, etc.)
En ce qui concerne une offre de préparations variées, le cappuccino est l’exemple typique du
produit dont l’évocation mène à aborder le sujet de la formation. La recette originale de cette
boisson (expresso et mousse de lait) d’origine italienne, est de plus en plus connue grâce aux
chaînes internationales de café. Cependant, en France, le terme cappuccino désigne aussi bien
cette recette, qu’un café mélangé à du chocolat dans les distributeurs automatiques de
boissons, ou qu’un café mélangé à de la chantilly dans certains restaurants. Afin de répondre à
la demande des consommateurs suscitée par la restauration rapide, le personnel employé dans
la restauration traditionnelle aurait besoin de formation :
« nous c'est le métier qu'on fait depuis longtemps donc… on a vu l'évolution de, de ces consommations-­‐là, de produits à base de café […] un cappuccino c'est juste très bon, mais quand c'est mal fait c'est juste dégueulasse. Moi systématiquement, quand on est quelque part et que je veux prendre un cappuccino, je demande si il est fait avec de la mousse de lait et s’il est fait en machine ou s'il est fait à la buse, parce que c'est pas la même chose […] ça, c'est la formation » Le café de la mairie*, Brasserie, 18€, 5 ETP, Lyon « sur le café, après, vous pouvez faire vraiment plein de choses, ici, quand vous demandez par exemple un cappuccino, c’est du café et après on fait mousser le lait, c’est pas de la chantilly, donc après c’est de la vente c’est un peu plus cher aussi… là vous voyez par exemple il est à… il est pas sur la carte… ça tombe bien parce que je sais pas le faire ! (rires) », « Ouais faut 233
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
montrer, là on est obligés de montrer [montrer les gestes au personnel], parce que c’est pas évident de faire monter la mousse au début » Le Club*, Pub Sportif, 17€, 12 ETP, Ville 1 Finistère « ce qui peut m’intéresser c’est d’avoir un vrai cappuccino […] on n’en fait pas, mais on sait pas le faire ! si on nous demande un cappuccino on dit qu’on sait pas le faire, ou qu’on peut simplement leur mettre de la chantilly avec du cacao, voilà » Côté Gourmand*, Restau. Tradi., 17€, 2.5 ETP, Ouest Lyonnais Quelle que soit la stratégie de différenciation envisagée, transmettre de l’information sur les
produits aux restaurateurs peut leur permettre de s’approprier leurs caractéristiques, pour
mieux les mettre en avant auprès de leurs propres clients, les consommateurs. C’est ce que
suggère le gérant d’un restaurant de cuisine franco-japonaise, faisant le parallèle avec la façon
dont il parle des vignerons lui fournissant ses vins :
« c'est au restaurateur d'expliquer un peu le produit, mais le consommateur il faut savoir aussi un peu […] », « c'est expliquer le choix de MONACO*, c'est le produit qui vient d'où, l'usine… et puis qu'est-­‐ce que c'est le goût, comme le légume qui vient de eux ou qui vient de eux... après ça dépend du client ça c'est sûr ; quelqu'un qui s'en fout et tout... ça dépend des gens. Aussi pour notre vin, c'est de pas mal de pleine nature, ça veut dire c'est vraiment nature pour les vignes tout ça il n'y a pas beaucoup de chimie, et... [...] aussi pour les gens on raconte qui fait ça, jusque la mise en bouteille... c'est pour tous les produits pareil ! » Au Petit Gastronome, Restau. Gastronomique, 55€, 2 ETP, Lyon 234
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
3. Discussion et conclusion du chapitre 6 Les restaurateurs construisent leur offre en fonction d’une logique d’approvisionnement qui
leur est propre. Elle est souvent orientée autour de deux axes : le rapport qualité-prix et les
services proposés par le fournisseur. Cette logique guide les choix concernant tous les
produits de l’établissement. Parmi eux, le café a une place spécifique, car il est aussi bien
consommé par les clients qu’offert au personnel et aux fournisseurs. Bien que dégageant une
marge unitaire importante, sa marge globale est perçue comme faible. Si bien que sa gestion
est moins rigoureuse, et que peu d’effort est fourni pour sa valorisation.
Selon leur environnement et leur stratégie, certains gérants sont pourtant intéressés par le
développement de différentes offres de cafés. Leurs besoins de base comme la livraison, le
prêt de machine ou la maintenance sont importants, mais ils sont déjà remplis. Leurs besoins
latents concernent plutôt la formation, l’aide à l’installation d’une nouvelle offre, l’animation
commerciale dans leur établissement ou l’aide à la gestion et à la vente.
Il semble en effet que la proposition d’une offre de café à forte valeur ajoutée pour les
consommateurs au restaurant passe par une innovation dans les services proposés par le
torréfacteur aux professionnels de la restauration. Ces services, additionnels au contrat fullservice, doivent être personnalisés et permettre d’intégrer l’activité café à la logique
commerciale de chaque établissement, en coopération avec les restaurateurs. Il s’agirait de
proposer des services concernant :
-­‐
L’information sur les produits : fiches produits, fiches recettes, découverte de
nouveaux produits, fiches présentant des « accords gourmands » entre café et desserts
ou autres mets,
-­‐
L’animation commerciale : aide au développement de cartes, de supports de
communication, offres promotionnelles adaptées au type d’établissement,
-­‐
La formation du personnel : formation pratique à la préparation, à la dégustation de
différentes origines,
-­‐
La gestion des produits : calculs de marge, suivi des stocks, suivis et objectifs de
vente.
235
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
Ces services innovants devront s’adresser à un grand nombre de restaurateurs, tout en
s’adaptant à leurs besoins. Pour cela, ils pourraient être proposés sur une plateforme en ligne
sur Internet. Cette innovation de support permettrait de décupler la présence géographique, et,
sans aller jusqu’à la personnalisation au cas par cas, de proposer une offre déclinée par type
de clientèle. La segmentation aurait lieu a posteriori, en fonction des services en ligne choisis.
Une telle plateforme pourrait proposer de l’information et des outils à un grand nombre
d’établissements : personnalisation de cartes et impressions, commandes d’animations ou de
produits complémentaires (vaisselle adaptée, accompagnements sucrés), supports de
formations en ligne sur les produits, blog proposant des recettes ou des conseils sur le service,
outils de gestion en ligne, ou encore, pourquoi pas, application à télécharger pour faire choisir
un café aux consommateurs sur tablettes numériques, selon leurs habitudes et leurs
préférences.
Le développement de tels services est en adéquation avec l’environnement actuel de la
restauration. D’une part, cela répond à un besoin de professionnalisation du secteur, fragilisé
par un contexte économique difficile. D’autre part, cela correspond aux opportunités que
représentent : la demande croissante de qualité et de traçabilité par les consommateurs, le
développement de l’image du café, et la demande accrue de variété d’origines et de
préparations. Enfin cela s’intègre dans une tendance lourde de développement des outils
Internet dans les activités de services.
236
Chapitre 6 – Les torréfacteurs doivent prendre l’initiative pour créer de la valeur dans la filière
En résumé – Faisabilité de la mise à disposition d’une nouvelle offre
Quels sont les déterminants de la mise à disposition d’une offre de café différenciée ?
è Entretiens avec des restaurateurs sur leurs activités, leurs approvisionnements et leur
offre
Le métier de gérant
•
•
UN métier, avec des activités communes (Gestion des approvisionnements,
des stocks, du personnel, stratégie commerciale)
DES manières de travailler, différentes logiques influençant les
approvisionnements et l’offre finale
o Des logiques individuelles, liées à l’implantation géographique, la
clientèle, le personnel, les périodes d’activités
o Deux grands axes communs guidant souvent les choix de fournisseur :
le rapport qualité-prix et la coopération avec les fournisseurs
Le statut spécifique du café dans l’établissement
•
•
•
Une marge importante, écrasée par les cafés offerts
Différentes pistes de valorisation (facteurs clés de succès correspondants)
o Différenciation verticale, par la qualité (signal des caractéristiques,
formation sur les produits, vente)
o Différenciation horizontale, par la variété (gestion logistique,
formation sur les produits, vente)
Quelle que soit la piste la plus appropriée à l’établissement, avoir davantage
d’information sur les produits peut permettre au restaurateur de transmettre les
caractéristiques jusqu’au consommateur
è Pour développer une offre différenciée, horizontalement ou verticalement, les besoins
latents des restaurateurs concernent des services personnalisés les aidant à intégrer l’activité
café dans leur logique commerciale : information sur les produits, animation commerciale,
matériel d’aide à la vente, formation du personnel, etc. –de tels services étant difficiles à
déployer sur l’ensemble du territoire français, une piste en cohérence avec l’environnement
serait de passer par une plateforme de données en ligne sur Internet
237
238
Conclusion générale L’objectif de cette thèse était d’apporter des éléments conceptuels et empiriques afin d’aider à
concevoir et à mettre à disposition une offre de café à forte valeur ajoutée dans la restauration.
Pour cela, nous avons choisi d’adopter une démarche globale dans la filière, prenant en
compte les spécificités de la production, de la distribution et de la consommation de café au
restaurant.
Dans la première partie de cette thèse, nous avons dressé un diagnostic de l’offre et de la
demande actuelles de café au restaurant.
Du côté de la demande (Chapitre 1), le café consommé au restaurant remplit de nombreuses
fonctions et, bien que les consommateurs craignent d’être déçus par la qualité du café, celui-ci
reste commandé pour ces raisons. Parmi les critères d’évaluation de l’offre, certains sont
requis, comme un café chaud, servi rapidement et dans une tasse propre, d’autres sont des
éléments de performance, comme le goût ou le rapport qualité-prix, enfin certains sont
attractifs, comme un signe d’attention portée au produit (carte de cafés) ou au client (jolie
tasse, chocolat, verre d’eau).
Du côté de l’offre (Chapitre 2), les produits échangés sur les marchés successifs sont très
différents et l’analyse de la filière montre une perte des caractéristiques des produits entre le
café acheté par les torréfacteurs, et celui acheté par les restaurateurs. Les torréfacteurs
différencient verticalement et horizontalement le café vert, puis le café torréfié, par de
nombreuses caractéristiques, telles que l’origine, l’espèce ou l’assemblage. Les restaurateurs
différencient les cafés principalement par la marque, le prix, et les services associés proposés :
livraison, prêt de matériel de préparation et de service, maintenance. La concurrence porte sur
ces services sur-mesure, et sur le prix. Entre le café très différencié acheté en amont par les
torréfacteurs, et le café-commodité mis à disposition des consommateurs dans la restauration,
les activités de distribution font disparaître la singularité des produits proposés.
Suite à ces constats, dans la deuxième partie de ce travail, nous avons exploré la pertinence en
conception de la différenciation verticale (par la qualité) et de la différenciation horizontale
(par la variété), par des expérimentations.
La première expérimentation (Chapitre 4) montre que les acteurs de la filière sont bien alignés
dans la différenciation verticale des produits sur la base de la dégustation en aveugle.
239
Consommateurs, restaurateurs et torréfacteurs s’accordent sur un classement ordinal commun
des produits, et sur ce qu’est un « bon » ou un « mauvais » café. Cependant, dans cette
évaluation, il existe des différences d’amplitude importante entre les groupes. Ce défaut de
coordination représente un risque de « sur-qualité » produite par les torréfacteurs et de « sousqualité » proposée par les restaurateurs. Mentionner que le café est un mélange d’arabicas est
un levier pour accentuer la différenciation auprès des consommateurs. Néanmoins, cette
information n’est pas un signal suffisant pour garantir la qualité et réduire le risque de
déception, un arabica pouvant présenter un défaut, ou être mal préparé. Proposer un bon café
pour tous est pertinent, mais pas suffisant pour valoriser l’offre.
Les expérimentations suivantes (Chapitre 5), visaient à déterminer la pertinence de proposer
une offre de cafés variés aux consommateurs, et les déterminants de la valeur perçue d’une
telle offre. Les résultats montrent que les consommateurs confrontés à une carte de cafés
commandent différents produits (expérimentation 2), et qu’ils ont des préférences sensorielles
individuelles lors de la dégustation en aveugle (expérimentation 3). S’ils ont le choix, certains
optent plutôt pour une gamme de cafés large, d’autres pour une gamme restreinte
(expérimentation 4). Enfin, différentes natures de gamme de cafés mènent à différentes
valeurs perçues de l’offre, et la valeur perçue peut être modulée par la façon dont est proposé
le choix (expérimentation 5). Un café d’une carte par origine a une plus faible valeur perçue
pour les consommateurs qu’un café d’une carte par méthode de préparation, à moins que le
café de la carte par origine soit « sélectionné par le barista ». Une offre de cafés différenciée
horizontalement semble être porteuse de valeur à condition que le choix proposé soit adapté
au client en termes d’étendue de la gamme, de sa nature ou de la manière dont le choix est
proposé.
La différenciation de l’offre – verticale ou horizontale- de café est pertinente en conception, à
condition d’optimiser sa mise à disposition. Nous avons finalement exploré la faisabilité de la
mise à disposition de telles offres au consommateur final, par des entretiens avec des
restaurateurs, sur leur choix d’approvisionnement en général et sur la construction de l’offre
dans leurs établissements (Chapitre 6). Ces entretiens révèlent des stratégies commerciales
individuelles, guidant tous les choix en approvisionnement d’un établissement. Ces stratégies
varient en fonction de nombreux facteurs comme l’implantation géographique du restaurant,
sa clientèle, son personnel, ou ses périodes d’activité. Le café a une place particulière dans
cette logique : la marge qu’il permet de dégager est perçue par tous comme élevée, mais il est
si souvent offert ou consommé par le personnel, qu’il en est oublié dans la stratégie
240
commerciale. Chaque restaurateur, suivant sa stratégie, envisage une piste différente de
valorisation du café dans son établissement. Mais tous semblent manquer de moyens ou de
compétences pour signaler et valoriser les caractéristiques d’un café qui serait acheté plus
cher, ou pour vendre efficacement une offre de cafés variés. Ces entretiens révèlent un besoin
de réintégrer l’offre de café à la stratégie commerciale des établissements.
Cette analyse surplombante de la filière montre que le décalage entre amont et aval, sur les
caractéristiques du produit et sa valeur perçue, provient des activités conduites dans la filière
de mise à disposition du café dans la restauration. Afin de transmettre davantage de
caractéristiques des produits jusqu’au marché final et de différencier verticalement ou
horizontalement l’offre, il parait nécessaire de faire évoluer ces activités afin que les objectifs
des acteurs soient mieux alignés. Comment mobiliser les acteurs de la filière pour singulariser
l’offre de café au restaurant ? Un meilleur alignement stratégique pourrait venir de la mise en
place d’activités reliant les objectifs des restaurateurs avec la différenciation de l’offre.
Il pourrait s’agir par exemple de leur proposer des services complémentaires les aidant à
mieux préparer, mieux signaler et mieux vendre une offre de café différenciée dans leur
établissement. Les restaurateurs ont en effet des besoins en matériel, formation, aide à
l’animation commerciale ou à la gestion des stocks. Ces besoins sont différents dans chaque
établissement et il est nécessaire de prendre en compte la grande variabilité des stratégies
commerciales, des logiques d’approvisionnement et de formation de l’offre dans les
établissements de restauration indépendante. Tous pourraient cependant bénéficier de plus
d’information sur les produits afin de pouvoir transmettre les caractéristiques de
différenciation verticale ou horizontale plus en aval, jusqu’au consommateur. Le déploiement
de telles activités de formation, d’animation commerciale, ou de mise à disposition de
supports de vente (cartes, chevalets), pourrait être facilité par une plateforme en ligne sur
Internet, permettant à chaque restaurateur de piocher les informations, voire de s’abonner à
une formule, convenant le mieux à ses besoins. Une telle évolution des activités de mise à
disposition pourrait être un moyen de faire converger l’offre et la demande vers plus de
valeur, partagée dans toute la filière.
La démarche globale adoptée dans cette thèse, visant à prendre en compte toute la filière,
présente des avantages et des limites. Elle a permis de mettre à jour le fonctionnement de la
filière du café en restauration, peu ou pas documenté jusqu’alors, et, ce faisant, d’analyser les
mécanismes menant au café servi comme une commodité dans la restauration. Dans
l’approche expérimentale, la validité externe était dès que possible recherchée, avec la mise
241
en place d’expérimentations de terrain, ce qui a permis de vérifier la pertinence des leviers de
valorisation suggérés.
Cette recherche à la fois d’une approche globale et d’une validité externe mène à des résultats
assez généraux, donnant des éléments de réponse suffisant pour générer des pistes de
développement opérationnelles, mais ne permettant pas de conclure strictement sur des liens
de cause à effet dans les expérimentations.
D’un point de vue scientifique, les questions soulevées lors des expérimentations seraient à
explorer plus en détail pour gagner en validité interne, comme sur la question du lien entre
distance à une catégorie de produits et valeur associée au choix ou apparition d’effets
d’embarras du choix.
D’un point de vue opérationnel, les perspectives seraient de tester la mise en place d’activités
visant à mobiliser les acteurs autour de la singularisation de l’offre, comme celles évoquées
plus haut, afin d’évaluer si elles permettent en effet de créer de la valeur partagée dans la
filière.
D’un point de vue professionnel, j’ai commencé ce projet en pensant appliquer
principalement des méthodologies issues de l’économie expérimentale et comportementale
pour mieux comprendre la demande. Et, si j’ai effectivement eu la chance d’approfondir mes
connaissances dans ce domaine, ce n’est finalement pas cette approche qui prédomine dans
cette thèse. Les questions successivement soulevées nous ont menés à une approche globale
de la filière, dans laquelle comprendre les objectifs des acteurs et les activités autour des
produits est déterminant pour faire évoluer l’offre finale. De « comment concevoir et mettre à
disposition une offre à forte valeur ajoutée ? », nous arrivons à la question de « comment
mobiliser les acteurs de la filière autour d’une stratégie commune de singularisation des
produits ? ». Passer d’une question à une autre m’a permis de prendre du recul dans la
manière d’appréhender le fonctionnement d’une filière, de découvrir plusieurs disciplines en
lien avec la recherche sur l’alimentation, et d’élargir la palette d’outils méthodologiques à ma
disposition pour avancer dans une démarche de développement de produit.
242
Bibliographie AFNOR. (1994). Analyse de la valeur-Analyse fonctionnelle. In AFNOR (Ed.), Recueil de
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248
Annexe 1 – Résumé des étapes du guide d’entretien avec les consommateurs Présentation de l’enquêteur et de l’objet de l’entretien, information sur le dictaphone
Introduction
ð « Top of mind » : association d’idées autour du « café après le déjeuner en
restauration »
Étape 1
-­‐
Quand vous prenez un café après le déjeuner dans un café ou dans un restaurant,
qu’est-ce qui est important pour vous ? Qu’est-ce que vous attendez ?
o Qu’est-ce qui vous déplait ? plait ? plairait davantage ?
Et lors des différentes étapes : commande / service / dégustation / paiement
o
o
o
o
o
o
o
o
-­‐
-­‐
Dégustation, qualité du café (Goût, odeur, texture, apparence)
Présentation (vaisselle, accompagnement)
Choix (variété café, spécialités, cafés spéciaux, labels)
Information (origine, goût, labels, marque, torréfaction, etc.)
…
Prix
Service (Efficacité, rapidité, suggestions, conseils)
Cadre (Confort, service)
Quel rôle, quelle place, a pour vous le café après le déjeuner ? (Quelle fonction)
Qu’est-ce qu’un « bon café » ? comment le décririez-vous ?
Reformulation des éléments collectés jusque là
Étape 2
-­‐ Quelles sont les différentes situations, ou différents contexte de repas, dans lesquels
vous avez l’occasion de consommer du café le midi, au restaurant ou dans un café ?
o Où ? Quand ? Comment ? Avec qui ?
o Occasion, fréquence, habitudes de consommation (court, long, sucré, lait)
-­‐ Les éléments importants varient-ils selon les différentes situations ?
o Comment ? Quel est le rôle, la place du café dans ces différentes situations ?
-­‐ Aujourd’hui par exemple : quelles étaient les circonstances de votre déjeuner et quels
choix avez-vous fait pour le moment du café ?
o Quelle occasion de repas, quelle durée, avec qui ?
-­‐ Certains éléments peuvent-ils déclencher votre commande ou au contraire vous
dissuader ?
-­‐ Autres commentaires sur ce thème ?
-­‐
Age et profession ?
Remerciement
249
Annexe 2 – Profil social des consommateurs interrogés Entretien E1 E2 E3 E4 Sexe F H H F Age 72 37 56 19 E5 E6 E7 E8 E9 E10 E11 E12 E13 E14 E15 E16 E17 E18 E19 E20 E21 E22 E23 E24 E25 E26 E27 F H F H H H F H F H F,F F F HF H,H F F F,F,F F F H H H 51 35 37 46 31 30 20 30 37 29 25,27 23 77 62,61 45,39 40 48 60 à 80 50 48 39 40 43 E28 E29 E30 E31 E32 E33 E34 E35 H,H H H F F,H F,H H F 50,55 60 25 21 34,33 50,59 53 50 E36 E37 E38 F,H F,F F 42,42 38,40 39 Profession Retraitée Cadre dans le bâtiment Agent de maîtrise dans le bâtiment Étudiante en classe préparatoire Employée dans l'enseignement supérieur Musicien Bibliothécaire Employé dans le bâtiment Créateur d'ambiances musicales Doctorant Étudiante en classe préparatoire Enseignant Chercheur Employée administrative Étudiant en Médecine Consultante, Professeur d'allemand Étudiante Retraitée Employé dans la finance, Retraitée Employés dans les assurances Commerçante Employée de banque Retraitées Vendeuse Caissière Livreur Commercial Employé dans une société de service Sculpteur et propriétaire de restaurant, Assureur Commerçant Galeriste d'art Coiffeuse Rédactrice, Graphiste Secrétaire administrative, Ouvrier Avocat Infirmière Maître de conférences, Coordinateur dans le bâtiment Avocats Commerciale Médical Lieu de l'entretien Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris VI Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Café Paris XIV Pizzeria Région Lyonnaise Pizzeria Région Lyonnaise Pizzeria Région Lyonnaise Brasserie Lyon II Brasserie Lyon II Brasserie Lyon II Brasserie Lyon II Brasserie Lyon II Brasserie Lyon II Brasserie Lyon III Brasserie Lyon III Brasserie Lyon III Brasserie Lyon III Brasserie Lyon III 250
Annexe 3 – Choix minimum proposé au restaurant par type de boisson BOISSON
CHOIX
MINI
BIÈRES
2-3
VINS
4-5
EAUX
SODAS
2-3
6-7
3
préparations
Exemple de variantes
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
Fréquence de
consommation
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
Bouteille ou pression
Blonde, blanche ou ambrée
Bouteille, carafe ou verre
Rouge, rosé, blanc
Sec, moelleux ou pétillant
Français ou non
Région, vignoble, cépage,
année…
Carafe, de source ou minérale
Plate ou gazeuse
Plus ou moins pétillante
Marque
Coca, Orangina, Sprite
Classique, light ou zéro
Aromatisé ou non
-­‐
-­‐
Expresso, double, allongé
Noisette, au lait
CAFÉ
+++
+++
+++
+++
+++
1 café
?
2-3
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
-­‐
Région du monde
Procédé de fabrication
Âge
Maison, etc.
Orange, abricot, ananas, etc.
Pressé sur place ou non
4-5
-­‐
-­‐
Menthe, citron, grenadine
Parfois des dizaines
parfums
Thé vert, noir, rouge
Aromatisé ou non
Tisanes
Origines (ex : Ceylan)
Préparation
manuelle
chocolatière
Gammes aromatisées
SPIRITUEUX
Ex : Whisky
4-5
JUS
SIROPS
THÉS
2-3
CHOCOLAT
1
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++
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de
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ou
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Annexe 4 – Présentation du mécanisme BDM sur tablettes 252
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Annexe 5 – Guide d’entretien avec les restaurateurs Introduction et informations sur l’enregistrement Partie 1
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Pouvez-­‐vous me donner quelques éléments pour définir l’établissement : son activité, sa clientèle, son organisation, son offre ? activité nb de tickets/jour, ticket moyen, ouvertures, nb places assises clientèle âge, CSP, de passage ou habitués… personnel effectifs salle et cuisine, postes, formation, turn-­‐over offre Tradi., haut de gamme, ethnique, rapide, économique Quelle est votre activité au sein de cet établissement ? Et votre rôle dans les approvisionnements ? activité Parcours pro : expérience dans la restauration, formation, autres activités ou établissements Rôle dans choix des fournisseurs, tout ou partie, prise de commande, les appro. facture, Cash&Carry, autre personne impliquée ? Pouvez-­‐vous me décrire les conditions d’approvisionnement actuelles de l’établissement et comment ces choix ont-­‐ils été effectués ? Conditions Principaux fournisseurs, nombre, contrats (produit, matériel, canal de distribution, tarification, etc.) alimentaire ET boissons Mise en Prospection par les fournisseurs ou prise de contact, place de investissement matériel, prise de contact avec les fournisseurs l’offre Satisfaction ? attentes principales quant à l’approvisionnement 254
Partie 2
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Pouvez-­‐vous me donner quelques éléments pour définir votre activité autour du café ? votre offre, vos ventes, les retours de vos clients ? offre Type de café préparé, prix (expresso/allongé), Animation à la carte autour du café : spécialités, origine, ou café gourmand vente Avez-­‐vous une idée du nombre de boissons chaudes que vous vendez par jour ? et de la part du café ? (nb/jour) –quel volume hebdo ou annuel en kg de café ?) retours Deuxième café, clients fidèles au café, commentaires ? clients ? Comment est préparé et présenté le café et quel est le rôle de chacun des membres du personnel dans l’offre de café ? -­‐
Choix du café, de l’offre Type de café préparé, prix (expresso/allongé), Animation à la carte autour du café : spécialités, origine, ou café gourmand Présentation et Vaisselle, accompagnement, présentation du café ? accompagnement pourquoi ? objectifs recherchés : prix, qualité, image, services, etc. ? Préparation Quelle formation des personnes préparant le café Quelles sont vos conditions d’approvisionnement actuelles en café et comment ces choix ont-­‐ils été effectués ? fournisseur Description du fournisseur contrat produit, matériel, distribution directe ou indirecte, tarification, fréquences de livraisons, etc. Satisfaction ? attentes principales quant à l’approvisionnement Maintenance ? autres produits commandés au fournisseur ? Quel SAV, quelle prise en charge ? déca, chocolat boisson, accompagnement sucré, café filtre, thés, etc. et prix ? 255