Guide du Visiteur (en pdf)
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EXPOSITION 4 X 10 ÉLISABETH BALLET, VANESSA BEECROFT, BEN, JEAN-CHARLES BLAIS, CHRISTIAN BOLTANSKI, ETIENNE BOSSUT, DANIEL BUREN, ROBERT COMBAS, HERVÉ DI ROSA, LAURENT GRASSO, PIERRE HUYGHE, PIERRE JOSEPH, MICHEL JOURNIAC, VALÉRIE JOUVE, GÉRALDINE KOSIAK, BERTRAND LAVIER, ANGE LECCIA, ANNETTE MESSAGER, JACQUES MONORY, ORLAN, FRANCK SCURTI, HENRY UGHETTO, AGNÈS VARDA DU 15 OCTOBRE 2011 AU 14 JANVIER 2012 Galerie d’exposition du Théâtre de Privas & Ad Libitum/Salon de curiosités. L’Institut d’art contemporain s’associe avec le Théâtre de Privas pour présenter une exposition qui parcourt 4 décennies d’art contemporain. Choisie pour célébrer les 40 ans du Théâtre, la sélection d’œuvres de la collection de l’institut d’art contemporain, Rhône-alpes, témoigne ainsi d’une scène artistique essentiellement française qui s’étend depuis les années 60-70 jusqu’à nos jours. Les œuvres présentées révèlent la diversité et l’évolution des enjeux artistiques, depuis la fin des années 60-70, années avantgardistes et militantes, jusqu’aux années 2000, nouvelle ère urbaine et virtuelle, en passant par la culture fun des années 80 et l’avènement de l’esthétique postmoderniste à la fin du XXe siècle. Ainsi, quatre générations d’artistes permettent de traverser tout d’abord la Figuration Narrative et la Nouvelle Vague (Monory, Varda), l’art corporel et le féminisme (Journiac, Messager, Orlan), ainsi que le degré zéro de la peinture et la prévalence de l’in situ (Buren), ou encore l’apparition des inventaires, taraudés par des questions de mémoire (Boltanski). Puis, une spontanéité est apportée par la peinture de la « Figuration libre » (Combas, Di Rosa), tandis que la sculpture s’empare ironiquement des objets du « quotidien » (Bossut, Lavier, Leccia). Le brouillage croissant des catégories artistiques, l’intérêt pour la relation au visiteur et pour l’expérience de l’œuvre (Scurti, Beecroft*) dans les années 90 mènent peu à peu aux dispositifs actuels qui analysent les conditions de production de l’image (Huyghe, Joseph) ou jouent du rapport entre réalité et fiction (Grasso). *L’ œuvre de Vanessa Beecroft est présentée à Ad Libitum/Salon de curiosités, situé dans le centre-ville de Privas, pendant toute la durée de l’exposition. LA GALERIE D’EXPOSITION DU THEATRE DE PRIVAS L’INSTITUT D’ART CONTEMPORAIN, VILLEURBANNE/RHÔNE-ALPES Au sein du Théâtre de Privas (Scène conventionnée/Scène Rhône-Alpes) et étroitement liée avec l’activité théâtrale du lieu, la Galerie d’exposition est un espace dédié à l’art contemporain. Elle accueille quatre à cinq expositions (monographiques ou collectives) par an. Outil de création, d’expérimentation et de recherche pour l’art actuel, l’Institut d’art contemporain développe in situ (1200 m2), une activité d’expositions et de rencontres combinée à la constitution d’une collection d’œuvres au rayonnement international. Dans le cadre de son projet artistique et culturel, la Galerie d’exposition soutient la création émergente régionale ou nationale, génère des partenariats avec d’autres structures, et s’attache à une sensibilisation à l’art contemporain à travers différentes actions de médiation (visites commentées, rendez-vous à l’heure du déjeuner, rédaction de dossiers pédagogiques à destination des enseignants, activités et rencontres culturelles). Il prolonge ses activités de recherches, ex situ, par la diffusion de sa collection dans l’ensemble de la région Rhône-Alpes, ainsi que sur l’ensemble du territoire national et international. Hall d’entrée du Théâtre JACQUES MONORY Né en 1934 à Paris. Vit à Cachan. Après une première exposition à Paris en 1955, Jacques Monory se retire du monde de l’art pendant presque dix ans avant de participer aux deux grandes expositions fondatrices du mouvement de la Nouvelle Figuration : Mythologies quotidiennes en 1964 et La Figuration narrative en 1965. Fortement influencé par le cinéma des États-Unis, Jacques Monory peint des scènes violentes dans un style photographique ; dans ses tableaux, il utilise toutes les nuances du bleu, évoquant ainsi le filtre d’une vitre, d’un écran de télévision ou encore le procédé de la « nuit américaine » employé par les réalisateurs. Il reconnaît volontiers que la peur de la mort est le premier moteur de sa peinture et que le prisme de la couleur bleue (emblématique de son travail) lui permet de représenter son angoisse tout en évoquant une sensation de protection. Le bleu est aussi symbolique du rêve éveillé, du cauchemar et de la nuit, c’està-dire de l’envers inversé, monstrueux et effrayant du jour et de la normalité. Jacques Monory peint essentiellement à partir de photographies (parfois prises par lui-même) ou d’images cinématographiques et télévisuelles. L’omniprésence des écrans et des images dans notre vie quotidienne, l’accès mondial à l’information, les catastrophes présentées au travers de la « lunette » médiatique, sont autant de sources d’inspiration pour l’artiste. Meurtre n°1 (1968) Meurtre n°1, première toile d’une série de vingt-cinq, représente Jacques Monory, contre le bord droit du tableau, en train de se faire tirer dessus par un tueur dont on ne voit que la main tenant un revolver dans le coin inférieur gauche. Dans toutes les toiles de cette série, Jacques Monory s’est peint blessé mortellement par des balles de revolver. Inspiré à cette époque par une douloureuse rupture sentimentale, Jacques Monory s’est représenté comme il se sentait alors, assassiné. Il a poursuivi ce travail sur sa rupture dans un court-métrage, Ex (1968). Dans Meurtre n°1, entre la main du tueur et sa victime, Monory a peint dans un style photographique une rue paisible de banlieue nord-américaine où des enfants jouent sur le trottoir. Mais le tracé de la balle a coupé cette image en deux. En montrant une balle de revolver traversant une vision apparemment idyllique de l’American Way of Life, Monory met en lumière la violence et le malaise latents dans une telle société. Ce paradoxe du monde occidental moderne, entre le confort d’une cité bien ordonnée et la fascination pour la mort violente, demeure aujourd’hui encore l’inspiration principale de l’œuvre de Monory. HENRY UGHETTO (1941 – 2011) Dans son enfance, Henry Ughetto trouve déjà un attrait particulier aux mannequins de couturière de sa mère et les choisit comme support de ses créations. Son œuvre est intimement liée à ses expériences et souvenirs personnels comme cette référence au trauma de sa mort clinique le 11 août 1963, qui a engendré son désir d’immuabilité et d’éternité. Cette angoisse de la mort qui est à l’origine de la création des mannequins imputrescibles, nommés dans un premier temps, mannequins allégoriques. A partir de 1970, Henry Ughetto compte les gouttes avec régularité et précision. Chaque mannequin imputrescible réalisé depuis les années 1980 est recouvert de 150.000 gouttes de sang et composé de 500 objets dont 300 œufs factices et 200 autres factices. Ces factices sont choisis pour leurs qualités formelle, chromatique et symbolique. L’artiste évoque, en effet, leur beauté, la vivacité de leurs couleurs, la « sexualisation » des fruits-légumes. Quant aux gouttes, elles « fleurissent en étoiles à partir de centres : bout d’un œuf, téton d’un sein, nombril d’un ventre », et de « plus en plus belles », elles prennent « des formes de spermatozoïdes ». Leur comptage répond à plusieurs nécessités : « 1°) pour m’encourager comme le facteur Cheval comptant les 200.000 cailloux de son palais. 2°) pour donner un rythme à l’acte de peindre. 3°) pour faire le vide autour de moi et de mon acte. 4°) pour me donner un but et des limites à dépasser. 5°) pour ne pas avoir le temps de penser à la vie, à la mort et au reste… ». Les œuvres d’Henry Ughetto questionnent les rapports entre le vrai et le faux, entre le vivant (éphémère) et le nonvivant (presque éternel). L’organisation mathématique et systématique de ses compositions confère à l’artiste une énergie créatrice et offre à la fois à l’ensemble un foisonnement visuel et une immuabilité rassurante tournés vers la question du corps, anticonformiste et surtout profondément baroque. Mannequin imputrescible 45 couvert par 150 000 gouttes de sang composé avec 500 objets : 300 œufs + 200 factices (1983) Un mannequin de couturière est recouvert d’œufs en plastique peint et d’objets en plastique (fruits, légumes, poissons, crustacés, charcuterie, étrons). Un couvercle de boîte de conserve porte une inscription de l’artiste : « 150 000 gouttes, Ughetto 1983 ». Ce mannequin s’inscrit dans la continuité de la série des mannequins imputrescibles d’Henry Ughetto, débutée dans les années 1970. Il se compose, comme les autres œuvres de la série, d’une accumulation d’objets en plastique et de gouttes de sang. Comme toujours, cet ensemble permet à l’artiste d’affirmer sa réflexion sur l’humanité : « Ce qui nous touche, c’est l’effet d’accumulation, et aussi la dimension de ces mannequins qui correspond à celle de nos propres corps. Ils offrent la possibilité d’une rencontre et d’une réflexion sur soimême. Le «trop », c’est la possibilité de se confronter à l’autre, et à soi-même, car il questionne nécessairement notre place dans la société, notre rapport au corps et à l’espace ». « Je dirais que mes mannequins sont des personnifications de la vie et de la mort. Ils sont des points de rencontres éphémères entre ces deux idées ». Halle d’entrée du Théâtre, Circulation & Hall d’entrée de la Galerie PIERRE JOSEPH d’idée, avec le vague souvenir d’être parti de l’un de mes travaux pour en produire un autre ». Dans cet esprit, Pierre Joseph a développé un projet de « catalogue perceptuel », plus exactement une base de données autour de son travail, qui a pour vocation de recueillir des commentaires, des critiques et des impressions, en vue de réaliser un catalogue « raisonné » de cette production. Né en 1965 à Caen. Vit à Montpellier. Little Democracy (1997) La démarche de Pierre Joseph se nourrit d’une multitude de références contemporaines, de la science-fiction à la Play-Station en passant par la culture techno. Son œuvre est conçue en lien avec l’espace et le temps et dans une superposition de la réalité et de la représentation. Jouant sur une interactivité ludique, l’artiste fait de l’exposition l’expression d’une dynamique, d’une confrontation, d’une expérience. En 1992, Pierre Joseph crée le principe du Personnage vivant à réactiver. Il s’agit d’abord d’une personne présentée en chair et en os durant le vernissage de l’exposition pour laquelle le personnage a été conçu. L’œuvre prend ensuite la forme d’une photographie à l’échelle et c’est alors qu’elle devient un Personnage à réactiver. La production artistique de Pierre Joseph se place en résonance à la célèbre déclaration de Marcel Duchamp, « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux », laquelle a connu une nouvelle postérité durant les années 90 avec une forme d’art cristallisée sous le terme d’« esthétique relationnelle » par Nicolas Bourriaud. Définie alors comme un « objet relationnel », l’œuvre d’art génère de nouveaux dialogues, entre l’artiste et le public, entre le public et l’œuvre, entre les différents acteurs de la société, à l’intérieur mais aussi en dehors des contextes de production artistique. Pierre Joseph prône une œuvre ouverte, propice par exemple à une relecture par d’autres. Ainsi en 2007, lors de la Biennale d’art contemporain de Lyon, dont il était l’un des « joueurs » commissaires invités, il a proposé à dix artistes « de produire au plus près, un remastering de l’une de ses pièces, au plus loin une idée d’idée Figures archétypales d’hier et d’aujourd’hui, appartenant au domaine de la fable, des « super héros » comme à celui de l’ordre social, elles provoquent chez le spectateur identification ou remémoration. Little Democracy réunit les 15 Personnages existants. Ceux-ci y acquièrent une nouvelle position par le fait d’être rassemblés et par les rapports qu’ils entretiennent entre eux : proximité, association ou contamination, sans parler du rapport organique qu’ils ont à l’exposition. Le spectateur fait l’expérience physique de ces œuvres, par la magie que contiennent les personnages. Ainsi, leur fonction d’icône, de l’ordre de la « pensée magique », trouverait son origine dans les rituels religieux de la Grèce Ancienne, où la puissance de l’image réside dans la présence et dans sa faculté d’incarnation et de sidération. Le « Personnage » est à prendre ici, non dans sa valeur de performance, mais plutôt dans le sens qu’il a avec la littérature et le théâtre : une image au statut flottant qui est plus de l’ordre de l’apparition que de la représentation. L’interactivité de l’œuvre intervient alors dans l’échange à caractère émotionnel qu’elle suscite avec le spectateur, en agissant sur son comportement et en produisant des rencontres insolites et paradoxales, « (…) Des œuvres comme autant de passages hors-temps » . Le lieu d’exposition, selon les termes de l’artiste, devient « une représentation dans laquelle on évolue », un « lieu d’impunité » propice à un jeu virtuel et à une « aventure » fantasmagorique. Galerie d’exposition espace 1 ROBERT COMBAS Né en 1957 à Lyon. Vit à Paris. Premier représentant et créateur du mouvement de la « Figuration libre » initié en 1981 par le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel à l’occasion de l’exposition Finir en beauté, Robert Combas s’inspire de cultures populaires comme la bande dessinée, la caricature, les illustrations de livres pour enfant ou les histoires drôles et privilégie la spontanéité créatrice et l’humour. Robert Combas peint sans plan préétabli et s’attaque à toutes sortes de sujets, classiques comme la nature morte, le nu, les scènes de bataille ou la mythologie, autobiographiques, érotiques ou des scènes tirées du monde contemporain qui dégénèrent sous les assauts d’une inventivité débordante. Son imagination bouillonnante et irrépressible lui fait aussi écrire en guise de sous-titres de petits textes poétiques, absurdes ou baignés d’humour noir, qui ressemblent à des poèmes en prose. Ce déchaînement de la pensée va de pair avec un remplissage « compulsif » de la toile, où rien n’est laissé en blanc : de fins traits noirs organisent les formes de couleurs pures et saturées, ensuite les espaces trop vides sont remplis d’écritures ou de signes, parfois d’une calligraphie personnelle inspirée des écritures arabes ou asiatiques, transcription d’un langage qui se voudrait universel. Un lecteur de b.d. lit une histoire de « Goma le petit monstre » il ne s’aperçoit pas (il est sourd dingue) qu’à droite c’est la bataille de « Trafalgar » revisitée par les gosses tarés de Tante à Josie. A gauche, un loup en tricot de corps « ouvrier » et en chaussettes de laine se fait lécher le cul par un petit « Dzob». (1984) Comme souvent chez Combas, il s’agit d’une toile de grandes dimensions recouverte de motifs bigarrés, évoquant tout à la fois la bande dessinée, la caricature et les dessins d’enfants. Dans une grande fresque saturée de dessins, le peintre nous offre à voir plusieurs scènes a priori sans rapport : à gauche, un loup vêtu d’un t-shirt, en mauvaise posture dans un décor vert, au milieu un lecteur de bande dessinée dont les cases débordent, et à droite sur la majeure partie de la toile, une scène de bataille entre plusieurs personnages monstrueux (en fait, des enfants déguisés). L’artiste signe doublement, d’un « Robert » en bas dans la partie gauche, servant de base au loup, et du plus classique « Combas » écrit verticalement de bas en haut, sur le bord droit. Combas choisit, une fois de plus, un titre qui pourrait davantage s’apparenter à une légende afin de décrypter la complexité de sa composition ; de révéler ce qu’il se passe dans chaque coin de l’œuvre. Cette dernière illustre plusieurs des obsessions du peintre : la bande dessinée, le monde qui l’entoure et la violence qui l’accompagne inévitablement, et bien sûr l’imagination parfaitement libre. ANGE LECCIA Né en 1952 à Minerviù. Vit à Paris. Ange Leccia a débuté sa carrière artistique en tant que peintre avant de se pencher sur la pratique de la photographie et de la vidéo. Ces deux médiums deviennent pour lui des outils d’analyse des comportements humains. Dans les années 1980, usant des références au cinéma, sa démarche le mène à la création d’ « arrangements » : des installations poétiques où les machines et les effets techniques sont « personnifiés » pour servir le vocabulaire de la métaphore. « Derrière le mot « arrangement », il y a la volonté de respecter les choses ; lorsque je dis arranger, il y a un côté pudique. J’arrange = je choisis. L’ « arrangement », c’est un peu comme si on faisait un point au milieu des étoiles pour trouver son chemin avec un sextant : la juste mesure qui donne la bonne direction. Arranger, c’est trouver la relation, le point juste. Une fois cet élément découvert, la rencontre des objets, des éléments, devient autre chose (l’œuvre d’art) ». Ange Leccia se consacre davantage à la vidéo et à des projets pour le cinéma dans les années 1990. Des motifs sont récurrents : la mer, les vagues, l’orage ou la fumée, comme autant d’éléments caractéristiques du monde méditerranéen. La lumière et le temps, l’espace et la mise en intrigue sont les outils fondamentaux de l’artiste tandis qu’apparition et disparition de l’image sont dans une dualité constante, fascinante, sans début ni fin. Le projecteur de cinéma est presque omniprésent dans les œuvres d’Ange Leccia. L’artiste le formule ainsi : « Je pense que l’on est dans un perpétuel état de projection sur les autres, sur les situations, les évènements. Le projecteur de cinéma reproduit ce mécanisme en dehors de ma subjectivité ». Le Baiser (1985) Sur le même principe que pour Conversation (1985), où l’artiste « fait dialoguer deux projecteurs posés sur deux fauteuils : face à face », Le Baiser unit la lumière de deux projecteurs de cinéma posés au sol, où « les rayons se croisent et évoquent une conversation, un rapport humain », en un contact pudique et évanescent qui fait allusion à la chaleur émouvante d’une rencontre amoureuse. A son propos, l’artiste dit : « le projecteur de cinéma est toujours en mouvement, toujours en éveil, l’espèce de rotation qui le meut me rappelle quelque chose de vivant. La palpitation du cœur… ». Ange Leccia adresse un clin d’œil au Baiser de Constantin Brancusi mais aussi au baiser générique du cinéma. L’étreinte des rayons lumineux est une métaphore du dispositif de l’illusion cinématographique qui fait naître le désir sur l’écran comme dans la salle obscure. Si Brancusi recherche l’ « essence cosmique de la matière », pour Ange Leccia, l’utilisation des objets manufacturés s’inscrit davantage dans une personnification de ces derniers et l’expression de la chaleur des échanges humains. AGNÈS VARDA Née en 1928 à Bruxelles. Vit à Paris. Agnès Varda est surtout connue pour son œuvre de cinéaste hors-norme, précurseur de la Nouvelle Vague, maintes fois récompensée. Mais elle est aussi une véritable « touche-à-tout » passionnée par la photographie, la vidéo et les possibilités de l’installation, dans un renouvellement permanent. Sa première passion, la photographie, l’amène à accompagner l’homme de théâtre Jean Vilar et le TNP-Théâtre National Populaire à Avignon dès 1948. En 1954, elle réalise son premier film, La Pointe Courte, signe avant-coureur de l’esthétique Nouvelle Vague réalisé avec très peu de moyens. Ce premier film est salué par la critique pour sa liberté, tandis que le succès public arrive avec Cléo de 5 à 7 en 1961. Agnès Varda filme la réalité sans détour, ne choisit pas entre la fiction et le documentaire, mêlant les deux genres, et emploie des constructions narratives très libres, ses films adoptant volontiers des passages « du coq à l’âne ». Elle se rend régulièrement aux Etats-Unis à partir de la fin des années 60. Elle réalise à Los Angeles une fiction hippie (Lions Love, 1968) et des documentaires, sur les fresques murales (Mur, Murs, 1980) ou sur les Black Panthers (Black Panthers, 1968). Agnès Varda signe des portraits de son époque, s’attaquant de front aux problèmes des sans-abris en 1985 (Sans toit ni loi, Lion d’or à la Biennale de Venise), documentant les luttes féministes (L’une chante, l’autre pas, 1976) ou les dérives de la société de consommation (Les glaneurs et la glaneuse, 1999). A partir des années 2000, Agnès Varda se consacre pleinement à sa pratique de l’art contemporain, dans laquelle on retrouve sa sensibilité photographique et cinématographique, rompant avec les habituelles distinctions hiérarchiques entre les disciplines. L’ensemble de son œuvre a été couronné par le prix René Clair de l’Académie Française en 2002. Festival d’Avignon, Vilar : public aux répétitions. Alors qu’elle a une vingtaine d’années, Agnès Varda devient la photographe du TNP-Théâtre National Populaire mené par Jean Vilar. Depuis 1947, la troupe s’installe l’été à Avignon et monte le célèbre festival de théâtre pendant « la semaine d’art ». Dès 1948, Agnès Varda est invitée à venir rejoindre la troupe, elle devient accessoiriste-régisseur à l’occasion, mais surtout photographe. Elle travaille avec un Rolleiflex à faible ouverture et les pellicules sont lentes, ce qui ne rend pas son travail facile. Mais elle va peu à peu saisir des instants mémorables, livrant un témoignage unique sur les débuts du festival à partir de 1949 : la vie de la troupe, les répétitions de Gérard Philipe ou de Maria Casarès dans la cour d’honneur de la Cité des Papes. Dans ce portrait des quelques spectateurs, enfants et curieux présents lors des répétitions de Vilar, on voit à l’œuvre l’œil de la photographe et réalisatrice, dans le choix particulier du cadrage et la capture des attitudes. Cet instant saisi est devenu l’évocation mythique de toute une ambiance, celle des premiers moments « bricolés » d’un festival devenu une institution internationale. LAURENT GRASSO Né en 1972 à Mulhouse. Vit à Paris. Les œuvres de Laurent Grasso peuvent suggérer la présence d’esprits fantomatiques, mettre en scène un monologue paranoïaque à propos d’une réalité menaçante ou évoquer la possibilité de contrôler l’esprit par des ondes électromagnétiques. D’autres jouent avec un effet directement rétinien et déstabilisant et l’artiste peut également transformer par la caméra une réalité connue ou identifiable en une image énigmatique qui brouille les repères du spectateur. Les dispositifs de Laurent Grasso permettent également de se projeter dans des réalités qui sont soit physiquement soit mentalement inaccessibles. Il a parfois recours aux techniques de projection de l’image comme à différents matériaux électriques et électroniques pour explorer les notions polysémiques de « projection » et de « vision ». L’artiste utilise l’image en mouvement pour sa matérialité, sa nature même. Le cinéma, et les phénomènes paranormaux notamment, interviennent comme des « moyens » en arrière-plan, comme certaines réalités produisant des fictions. De même, les phénomènes électromagnétiques et météorologiques, la physique quantique, la théorie des cordes, impliquant de nombreuses études et extrapolations, intéressent Laurent Grasso pour leur potentiel d’anticipation. L’artiste produit alors des installations qui, par un jeu ambivalent de captation et de mise à distance, font allusion aux dispositifs de contrôle et à leurs méthodes afin de provoquer des états de conscience. C’est l’image produite par le dispositif même et sa persistance dans le cerveau du spectateur qui intéressent Laurent Grasso. Echelon (2007) Laurent Grasso a réalisé une maquette de la base Echelon, qu’il présente dans une boîte noire, sorte d’objet « d’archéologie du futur », qui représente ce qui est inaccessible, que ce soit matériellement ou mentalement. Le Réseau Echelon a été créé en 1947 suite au traité UKUSA (Etats-Unis, RoyaumeUni, Canada, Australie, NouvelleZélande). Les stations du réseau Echelon situées à Menwith Hill (Royaume-Uni) représentent la plus grande base d’écoute hors des Etats-Unis, créées en 1956. Elles se constituent d’une trentaine d’antennes satellitaires dont plusieurs ont un diamètre supérieur à vingt mètres, dissimulées à l’intérieur de dômes géodésiques. Echelon est emblématique de la préoccupation essentielle de Laurent Grasso : ce que l’on voit, et ce que l’on perçoit, correspond-il vraiment à la réalité ? Où s’arrête la réalité et où commence la fiction ? Ainsi l’artiste s’intéresse à la réalité de phénomènes qui sont porteurs de fiction ; il les met en scène de manière à produire un effet sur le spectateur, et à susciter des projections mentales. Galerie d’exposition espace 2 ELISABETH BALLET Née en 1957 à Cherbourg. Vit à Paris. Le travail d’Elisabeth Ballet doit avant tout être envisagé comme celui d’un sculpteur, intervenant dans l’espace selon des objectifs simples : multiplier les lignes de fuites, les plans, faire s’interférer différents volumes au sein d’un même site. Considérant l’architecture intérieure comme un « plan de travail, large et ouvert », l’artiste installe ses dispositifs géométriques comme autant de modifications apportées à l’espace d’exposition, prolongeant l’expérience de la perspective – sa lecture par l’œil – en une quête physique : une aspiration vers ce que l’œuvre retire, ou ajoute, au site de sa présentation. Dans ce cadre, la présence du visiteur s’avère primordiale, et participe à l’idée fondamentale que l’artiste se fait de la sculpture : un objet autour duquel il s’agit de tourner, cheminer, et où le corps doit être intégré, au même titre que l’objet s’intègre préalablement à un champ matériel spécifique. La qualité des éléments constituant la sculpture se substitue alors à une mise sous tension du site, à son cloisonnement ou son expansion, en même temps que l’œuvre se soustrait à toute narration qui risquerait de l’éloigner de son dessein premier : « voler de l’espace au vide. » (Éric Troncy) Contrastant avec cette relative austérité, jusqu’alors souveraine, Elisabeth Ballet proposa lors de sa première exposition rétrospective au Carré d’Art de Nîmes, en 2002, une déambulation ayant pour fil conducteur les traces éparses de repères autobiographiques. Comme une soudaine perméabilité de l’œuvre à l’existence de son auteur, les pièces de l’exposition Vie privée se déclinaient en laissant apparaître un habile jeu d’opposition, entre espace public et intime, où le médium vidéo accompagnait les constructions de carton, bois et granit, pour laisser émerger l’ébauche d’un récit. Se suspendre au site (1991) Issues de la série Sept variétés de sites, conçue pour la galerie des Archives (Paris), cette sculpture est caractéristique des premières recherches d’Elisabeth Ballet : à partir d’une esthétique qu’on pourrait dire minimale, il s’agit de faire dialoguer l’œuvre exposée avec le cadre de sa présentation. Le titre de la pièce, Se suspendre au site, fait dès lors office d’une note d’intention, et permet d’identifier le projet d’intervention de l’artiste. Se suspendre au site est une structure verticale, dont les pans latéraux changent d’orientation tous les vingt centimètres. Recouverte d’une laque blanche polyuréthane où se réfléchit le site, l’œuvre, légèrement inclinée sur sa tranche supérieure, atténue la rupture entre l’objet et le cadre architectural qui l’entoure. DANIEL BUREN Né en 1938 à Boulogne-Billancourt. Vit et travaille in situ. Au début des années 60, Daniel Buren peint sur des draps de lit colorés ou sur des toiles de jute, après avoir réalisé de très nombreux collages et peintures sur papier et sur toile. Il adopte en 1965 un tissu rayé formé de bandes égales, alternativement blanches et colorées. En parallèle, il fonde le groupe BMPT, avec Olivier Mosset, Michel Parmentier et Niele Toroni. Le groupe va organiser quatre manifestations qui affirment leur position critique par rapport à la peinture, autrement dit une volonté de réduire la peinture à son « degré zéro » en travaillant sur la répétition formelle pour faire émerger l’importance du lieu où l’œuvre s’inscrit. Dès lors, Daniel Buren ne considère plus le cadre d’exposition comme un réceptacle neutre et une œuvre comme un objet, mais comme un agencement de propriétés. Il passe ainsi de la peinture comme fin à la peinture comme moyen, en adoptant définitivement un signe plastique, les bandes, qu’il nomme « outil visuel ». Celui-ci sera invariablement constitué de l’alternance chromatique de bandes blanches et de bandes colorées, et d’une largeur fixée en 1967 à 8,7 cm. L’artiste travaille sans atelier, puisqu’il exécute des travaux « in situ », c’est-à-dire dans les lieux mêmes auxquels ils sont destinés. L’outil visuel de Daniel Buren a pour rôle de révéler, par son placement, les caractéristiques des lieux qu’il investit. L’œuvre in situ tend aussi, par conséquent, à transformer le lieu où elle prend place. Il devient évident que l’œuvre d’art n’est pas autonome par rapport à son lieu d’accueil et qu’il faut souligner le rôle joué par le contexte. En 1980, Daniel Buren investit l’espace public, à travers la statuaire à Lyon avec le projet Ponctuations, statue/sculpture, mais c’est en 1986 qu’il réalisera sa première commande publique : Les Deux Plateaux, dans la cour d’honneur du Palais Royal à Paris. L’œuvre devient donc un lieu à l’intérieur duquel le spectateur peut déambuler et adopter divers points de vue sur l’espace environnant. Une pièce en deux. Travail situé. (1970-1971) Une pièce en deux. Travail situé est une œuvre constituée d’une toile libre sur le mur. Elle est caractéristique du travail de Daniel Buren par : le matériau (la toile de store imprimée de rayures), la bande blanche extérieure peinte à l’acrylique et parce qu’elle se présente comme une installation in situ, s’adaptant au mur quelle que soit sa hauteur. Une toile rectangulaire de bandes oranges et blanches est ici coupée en deux éléments: un grand rectangle touchant le sol, « amputé » d’une petite portion triangulaire, que l’on trouve placée contre le plafond. Ainsi participe-t-elle de la volonté de l’artiste de proposer son outil visuel, lui permettant de mesurer l’espace qui lui est imparti. L’artiste se réfère à son propre travail dont les principes fondateurs sont ici réduits à leur plus simple expression. FRANCK SCURTI Né en 1965 à Lyon. Vit à Paris. Franck Scurti réinterprète des formes et des objets du quotidien contemporain, domestique mais aussi public et urbain, ce qu’il appelle des « éléments déjà socialisés ». La réinterprétation consiste en des recompositions et en des décalages. Le spectateur plonge dans un monde connu, mais soumis aux déambulations de l’artiste, qu’il doit donc re-décoder. Scurti entraîne les visiteurs, manipulateurs ordinaires d’un quotidien surcodé, dans la distance à laquelle il soumet ce quotidien : « Dans la plupart de mes travaux, il y a l’agrandissement d’une forme que j’ajuste sur un objet à taille réelle et qui fonctionne comme gabarit. C’est la fusion de ces éléments qui donne à l’œuvre son unité… C’est la contrainte structurelle et non la clôture d’une forme aliénée à un thème. L’agrandissement d’une forme renvoie aussi au caractère public de sa réception. » Franck Scurti fait aussi usage de l’actualité, non pas pour produire un commentaire critique mais comme source d’une reconfiguration symbolique du réel : l’installation Café Erika (2000), du nom du pétrolier échoué sur les côtes bretonnes, comprend une vidéo réalisée à partir de détails filmés d’un dessin de Plantu. Cool Memories (1999), titre repris au titre du journal américain de Jean Baudrillard, présente le contour de la carte des Etats-Unis et la silhouette du Général de Gaulle découpés de part et d’autre de la braguette d’un blue-jean. La « francité » et son envers culturel, la mondialisation et l’uniformisation américaine après le plan Mashall, se rejoignent dans un tissu bon marché mais surtout devenu le quotidien du monde entier, au-delà même d’un partage Etats-Unis-Etats-Unis. « Je n’aimerais pas que l’on prenne mon travail uniquement en termes critiques liés à la consommation. Je préfère la notion de consummation. Avec un couvercle de boîte de sardine ou une page de journal qui n’est plus d’actualité, on est davantage dans le réinvestissement (…) ». Le Calendrier (1992) Le Calendrier est la face agrandie du premier semestre du calendrier des Postes de l’année 1968 illustrée par l’artiste de la photographie d’une manifestation du Mai de cette année-là et associée à un ensemble de onze pavés en argile déformés et peints en gris (référence au célèbre environnement post-minimaliste Diamond Mind (1976) de Bruce Nauman). Jouant sur la mémoire vernaculaire (le calendrier traditionnel distribué par le facteur et qui est resté longtemps un outil précieux des ménages français) et l’histoire de l’art contemporain (appariée de façon humoristique aux pavés de la lutte urbaine contre le pouvoir policier), l’œuvre renvoie à des représentations connues de l’histoire politique et artistique réorganisées par l’artiste par des glissements de sens de l’une envers l’autre. « J’essaie de réinvestir les choses en leur donnant une dimension « anthropologique » (…). Ce qui est tiré de la mémoire collective ou individuelle rend possible un retournement, un changement dans l’ordre des choses ou des lieux. Un passage à l’altérité… ». GÉRALDINE KOSIAK Née en 1969 à Lons-le-Saunier. Vit à Lyon. Géraldine Kosiak s’intéresse dans sa pratique artistique à l’expression de « ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance ». A travers une grande diversité de supports – livres, réalisations en volume, photographies, dessins, vidéos, accompagnés de textes – elle s’attache à l’exploration d’une mémoire individuelle et collective, opérant un jeu permanent de bascule entre l’autobiographie et une histoire commune, tramée de récits ordinaires. Ainsi J’ai peur, réalisée en 1994, se compose d’un ensemble de quatre-vingtdeux dessins à la plume illustrés d’une courte phrase dactylographiée et d’un livre. Proche du Je me souviens de Georges Pérec (1978), elle emprunte aussi à la poésie japonaise (celle du haïku) sa forme brève, minimale et immédiate. Litanie de peurs tour à tour minuscules, enfantines, légitimes ou profondes, J’ai peur finit, en creux, par dessiner un autoportrait drôle et lucide de la figure de l’artiste. Par de courtes phrases et un dessin faussement naïf, Géraldine Kosiak nomme et circonscrit le territoire de ses peurs, comme pour les affronter et les mettre à distance. Toujours dans l’idée du portrait, Portrait de Simon Kosiak, en 1995, résulte d’un travail mené autour de la figure de son grand-père maternel, émigré polonais, dont elle recueille les souvenirs pour en retracer l’itinéraire en France. Disposant de la parole comme premier matériau, elle choisit d’en extraire des bribes de récits, qu’elle transpose ensuite en images, à l’aide de sculptures en résine de format réduit. Par ce processus de transformation d’une réalité vécue en une sorte de fiction, elle désamorce le caractère confidentiel de l’histoire de son grand-père pour la faire accéder à une dimension plus universelle, et aboutir « à un certain degré de généralité au sens sociologique du terme1 ». Parallèlement à son œuvre plastique, Géraldine Kosiak développe depuis 1995 un travail d’illustrations, mêlant textes et dessins. Catalogués (2004) Catalogués réunit 32 planches de dessins, qui composent en partie le livre Catalogue 0,25 (2005), accompagnés de 32 notes de travail. Le stylo feutre de marque Rotring à pointe tubulaire de diamètre 0,25, que Géraldine Kosiak utilise toujours pour dessiner, a donné son nom à cet énorme carnet rassemblant des centaines de croquis. Le dessin est précis, jamais laborieux, en équilibre subtil entre la naïveté des illustrations pour enfants et le naturalisme de planches encyclopédiques. Les notes de Géraldine Kosiak accompagnent la création graphique en l’éclairant sur les différents sources d’inspiration ou de réflexion de l’artiste (dessins de David Hockney, textes de Jean Echenoz, souvenirs d’enfance…) et en révélant le travail de recherche propre au dessin : adéquation de la forme à la pensée, justesse du trait et de l’émotion restituée, point d’équilibre entre le trop et le trop peu. 1. Valérie Dupont, in Champ libre, catalogue d’exposition, FRAC Franche-Comté, Musée des Beaux-Arts de Dole, 1995, p. 16, 17. CHRISTIAN BOLTANSKI Né en 1944 à Paris. Vit à Malakoff. Christian Boltanski commence à peindre des tableaux de grands formats en 1958, sans avoir reçu aucune formation artistique traditionnelle. Il choisit de présenter des scènes historiques, des situations évoquant la mort ou des études de personnages. Toutes les expérimentations qui suivent dans le parcours plastique de Christian Boltanski semblent être l’approfondissement de cette première période. Dès 1967, il approfondit son étude d’autres médiums tels que la photographie, la photocopie ou l’écriture afin de rédiger des lettres et des dossiers qu’il adresse à des personnalités du monde de l’art. Ils sont composés de documents originaux ou de photographies tirés des albums de sa famille afin de faire entrer son œuvre dans le champ de la (auto)biographie. Il s’agit d’un travail sur sa propre identité qui débute dès les années 1960. L’artiste s’invente donc, à grand renfort de photographies et de textes. Il reconstruit des épisodes d’une vie qu’il n’a jamais vécue et s’approprie des objets qui ne lui ont pas appartenu. Pour Christian Boltanski, il s’agit aussi de convier le visiteur à repenser le sens que prend chaque vie lorsqu’elle est considérée de manière rétrospective. Il peut s’employer à recueillir et à exposer des objets ayant appartenu à une personne nouvellement décédée, comme pour les Inventaires, installations d’objets présentés et étiquetés dans un style ethnographique, réflexion sur l’objet de la conservation dont les musées sont investis. Tous les objets qu’il convoque dans ses dossiers, ses livres, ses collections, sont les reliques du souvenir d’une existence passée leur conférant un pouvoir émotionnel. Sous forme de vitrines, d’archives ou d’expositions, ces objets sont mis en scène dans l’espace et dans le temps afin d’évoquer l’Histoire ou une histoire personnelle réelle, fictive, dramatique, ironique. L’Album de la famille D. (1971) L’Album de la famille D. est issu de photos trouvées, triviales ou banales de l’album de famille d’un ami. Il en reconstitue le déroulement chronologique et, d’abord guidé par la découverte d’une lignée singulière, il finit par constater que cette série de photographies, pour témoigner effectivement de l’histoire d’une famille précise, n’apprend rien de spécifique sur la vie de ses membres et ressemble à n’importe quel album de famille. L’œuvre de Christian Boltanski traduit une fascination pour l’illusion que la photographie produit de pouvoir préserver la mémoire et tenir la mort à distance. Ses « accumulations » – documents et photographies – ne peuvent manquer d’évoquer les traces – séries d’objets amassés et conservés après les massacres ou séries de portraits photographiques des disparus. VALÉRIE JOUVE Née en 1964 à Saint-Etienne. Vit à Paris. Valérie Jouve est photographe et vidéaste. Elle a choisi comme thème de prédilection la ville, qui selon elle est « un espace insaisissable ». Cet espace urbain est abordé au travers des déplacements, des habitudes de ceux qui l’habitent. Ainsi, l’artiste photographie des personnes dans la ville. Ses œuvres sont sans titre, mais sont accompagnées de sous-titres créant des catégories telles que Les Situations, Les Personnages, Les Passants. Le sujet devient un personnage car Valérie Jouve s’intéresse bien plus au corps en situation qu’au portrait, induisant ainsi une histoire, un événement. La photographe s’attarde davantage sur la relation entre l’environnement et l’humain, et bien plus qu’à la recherche d’un traitement psychologique, elle travaille à retranscrire l’expérience phénoménologique. L’artiste s’interroge sur le regard qui permet de s’approprier un environnement, d’inventer son quotidien. Valérie Jouve cherche à restaurer une relation au spectateur. Elle ne cherche ni l’illusion, ni la parodie. Il est proposé au visiteur de faire progresser, circuler son regard dans l’espace de la photographie : des façades d’immeubles photographiées d’un point de vue spécifique (vues de New York), des rythmes offerts par les architectures et les corps. L’artiste emploie de plus les nouvelles technologies afin de recomposer, retoucher, ses photographies. Elle peut même faire appel à la technique du photomontage. Ces interventions dans l’image affirment le refus de l’illusion : le spectateur doit alors accommoder son regard à la liberté formelle présentée par l’artiste, voire adapter sa propre circulation, engendrer une marche dans l’espace d’exposition. Sans titre (Les Personnages avec Andréa Keen) (VJ0205) (20002001) En 1998, Valérie Jouve et Andréa Keen (photographe stéphanoise) ont présenté leurs œuvres respectives au Centre National de la Photographie. Les deux jeunes femmes ont souhaité confronter leurs images des « paysages en mouvement » qui nous entourent. Entre 2000 et 2001, Valérie Jouve travaille de nouveau avec Andréa Keen : « Mes photos ne sont pas prises sur le vif mais mises en scène (…). Je les prépare longtemps à l’avance, d’abord en notant et en dessinant les idées qui me viennent à l’esprit. Ce sont les individus que je croise ou que je connais qui m’inspirent. Mes idées naissent de coups de foudre que j’ai pour ces gens, que je considère comme des personnages au sens romanesque du terme, c’est-à-dire qu’ils portent quelque chose d’universel ». «Mes personnages expriment un point de vue. Mon problème, c’est comment aborder la réflexion sur la ville, comment concilier un regard analytique, un constat, et montrer comment les individus appréhendent l’espace de la ville.» MICHEL JOURNIAC (1935-1995) Après la rédaction de sa thèse sur le thème du corps sociologique, Michel Journiac peint, écrit des poèmes, avant de réaliser un ensemble d’actions, de manifestations et d’expositions qui mettent en scène son propre corps. Il devient alors l’un des plus illustres représentants de l’art corporel, aux côtés de Gina Pane, de Hervé Fisher et surtout du théoricien François Pluchart, qu’il rencontre grâce à Pierre Restany, et avec lequel il fonde la revue arTitudes de 1971 à 1979. Ce dernier précise dans le premier manifeste du mouvement rédigé le 20 décembre 1974, que le corps est « donné fondamental ». Dès 1969, Michel Journiac enchaîne les manifestations dont la plus célèbre, Messe pour un corps, où il reprend le rituel de transsubstantiation. Les spectateurs sont invités à communier avec l’artiste par l’ingestion de son sang sous la forme de boudin. Chez Michel Journiac, le corps (celui de l’artiste et celui du spectateur) se doit d’être interrogé, révélé, dénoncé par une observation de ses rapports avec la société. Le corps est le réceptacle de la souffrance, du désir, du plaisir, mais aussi de la mort. Il est chair, sang et acte dans une interaction avec son environnement : pour lui, le corps n’existe pas de façon absolue, mais en fonction d’un certain nombre de paramètres comme le contexte, les objets environnants ou encore, les vêtements. L’action artistique du corps permet de ne plus le présenter seulement comme un sujet, mais de l’affirmer comme un moyen de montrer ce qui est caché : le malaise provoqué par la société de consommation et ses conditions économiques. Les dernières années de sa vie ont ainsi été consacrées à des œuvres traitant de la mort et se présentant comme de nombreux hommages offerts à ses amis disparus. Hommage à Freud, Constat critique d’une mythologie travestie (1972-1984) En 1972, Michel Journiac crée Hommage à Freud, Constat critique d’une mythologie travestie, quatre photographies imprimées sur la même feuille qui ont pour vocation d’être envoyées par la poste au monde artistique. Chaque envoi postal devenait alors une œuvre d’art. Sur ces photographies, l’artiste présente les portraits de ses parents accompagnés de deux autoportraits pour lesquels il s’est travesti en Robert (son père) et en Renée (sa mère) Journiac. Dans les années 80, l’artiste accepte de retirer sur toile les quatre photographies qui peuvent ainsi être accrochées dans un espace d’exposition. Ainsi, par le biais du travestissement, Michel Journiac joue tous les rôles de sa famille : il est le père, la mère, le fils et la fille. Les accessoires accentuent les ressemblances et créent une confusion de prime abord. L’artiste nous montre l’image qui aurait pu être la sienne s’il avait perpétué le modèle paternel ou s’il avait été une femme. En s’emparant de l’identité maternelle et paternelle, Michel Journiac questionne sa propre identité. Il tend à s’affirmer comme une personne autre, non assujettie au code social en vigueur, dans une critique de la psychanalyse freudienne. HERVÉ DI ROSA Né en 1959 à Sète. Vit et travaille à Paris, à Mexico, et dans le monde entier. En 1981, Hervé di Rosa présente ses peintures dans le cadre de l’exposition Finir en beauté, organisée par le critique d’art Bernard Lamarche-Vadel. Le travail des artistes participant à cette exposition (Richard Di Rosa, Rémi Blanchard, François Boisrond, Robert Combas) est qualifié par l’artiste Ben Vautier de « Figuration libre », terme qui fonde alors un courant artistique. Ce courant repose sur l’idée de la spontanéité de la création, et sur une conception selon laquelle la pratique artistique peut être accessible à tout le monde. Sur papier, toile ou murs, en bois, céramique, câbles téléphoniques, les œuvres d’Hervé Di Rosa mettent en scène des personnages stéréotypés, des monstres, des bandits... Très colorées et illustratives, elles s’inspirent de la bande dessinée, de la publicité et de la musique rock et punk. L’artiste n’a de cesse de conjuguer sur le mode fantastique tout un univers de figures hautes en couleurs dans le contexte d’une esthétique très personnelle qu’il définit lui-même « d’art modeste » (terme qu’il a « volé » en 1999 à une petite fille qui souhaitait parler d’art moderne). L’artiste réalise de nombreux voyages dans le cadre de sa pratique artistique, qui le mènent dans des lieux toujours éloignés des grands centres de la production plastique contemporaine. En 1997, Hervé Di Rosa présente sa collection de figurines et de produits dérivés au Musée de l’Objet à Blois, préfigurant ainsi le futur Musée d’Art Modeste : le Miam (Musée International des Arts Modestes) ouvert à la fin de l’année 2000 à Sète. Le Patron du ranch El Toro (1983) ORLAN Le Patron du ranch El Toro est une illustration, réalisée aux Etats-Unis, de l’histoire du livre Les Raisins de la colère, de John Steinbeck. Du fait de cette référence, extérieure au vécu de l’artiste, le tableau occupe une place particulière parmi les travaux qu’il réalise à cette époque. Née en 1947 à Saint-Etienne. Vit et travaille entre New York, Los Angeles et Paris. Le losange central met en scène le patron du ranch El Toro chassant la famille Joad. Les angles inférieurs représentent des saynètes issues de l’histoire, les personnages y sont peints en monstres, en contraste avec la figure humaine du patron du ranch El Toro. Les angles supérieurs opposent la mort et le diable, ce qui constitue un rappel dénaturé des figures de la mort et de l’espoir omniprésentes dans le roman. Orlan réalise ses premières performances au milieu des années 1960 mais c’est surtout à partir des années 1970 que son œuvre se développe véritablement. Dès l’origine, son travail s’oriente vers les questions du genre, des dogmes culturels liés au corps, aux stéréotypes féminins, aux critères de beauté. La triade mère / sainte / putain est alors au cœur de sa réflexion artistique. Utilisant les symboles de la domesticité féminine, elle détourne violemment les codes de la société pour interroger sa structure. En 1977, Orlan réalise à Paris lors de la FIAC au Grand Palais la performance Le baiser de l’artiste, pour laquelle elle est postée derrière une reproduction de son buste nu transformé en distributeur automatique, afin de vendre ses baisers à qui introduit 5 francs dans la machine. Dans les années 1990, elle poursuit cet engagement corporel avec La Réincarnation de Sainte Orlan (1990-1993), qui consiste en neuf interventions de chirurgie esthétique qui remodèlent son visage en s’appuyant sur les représentations des femmes dans l’art occidental. Puis en novembre 1993, elle réalise Omniprésence, une performance / opération durant laquelle elle se fait poser deux implants au niveau des tempes. Filmée, l’intervention est diffusée simultanément à la galerie Sandra Gering de New York, au Centre Georges Pompidou de Paris, au Centre Mac Luhan de Toronto et au Centre multimédia de Banff. Orlan a toujours souhaité démarquer sa pratique de celles liées à l’art corporel et au Body art. Elle développe une réflexion autour de ce qu’elle nomme « l’Art Charnel » qu’elle décrit dans son manifeste comme « un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec des moyens technologiques qui sont ceux de son temps. Il oscille entre défiguration et refiguration. (...) Contrairement au « Body Art » (...) l’Art Charnel ne désire pas la douleur, ne la recherche pas comme source de purification, ne la conçoit pas comme Rédemption. (...) Il pointe sa négation du « corps-plaisir » et met à nu ses lieux d’effondrement face à la découverte scientifique. » Strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau (19741975) La pièce Strip-tease occasionnel à l’aide des draps du trousseau, est antérieure à la période des transformations chirurgicales et à celle du manifeste de l’Art Charnel, l’œuvre photographique est en effet tirée d’une performance non publique qu’Orlan réalise en 1974. La série montre différentes étapes d’un strip-tease dans lequel elle parodie, avec pour seul ustensile l’épais drap de son trousseau, quelques figures féminines caractéristiques de l’histoire de l’art (de la Madone à la Vénus). Adoptant ces postures, elle s’attaque aux représentations culturelles qui induisent l’attitude, l’espace et le rôle des femmes, au déterminisme de la construction familiale, tout en s’attachant à écorner l’iconographie judéo-chrétienne. L’image de la femme sublimée, désincarnée, iconique entre ici en collision avec le corps exhibé de l’artiste. Provocante et audacieuse, la série Strip-tease occasionnel... contient l’ensemble des éléments qui construiront l’œuvre d’Orlan, elle met en jeu la double identité de la sainte et de la putain, interroge la construction sociale et religieuse du corps et semble déjà portée par le désir vivace de transgresser les limites. Galerie d’exposition espace 3 ETIENNE BOSSUT Né en 1946 à Saint-Chamond. Vit à Dôle. Etienne Bossut s’est fait connaître pour son emploi du moulage en polyester teinté dans la masse, technique traditionnelle de fabrication d’objets de la vie courante, pour la réalisation de ses sculptures. Résine, plastique, fibre de verre, permettent à l’artiste d’interroger la production en série et les problématiques liées à l’art et à la sculpture telles que la matérialité, l’immatérialité et le rapport au réel. Etienne Bossut reproduit donc des objets du quotidien qu’il associe afin de créer de nouvelles figures et développer une réflexion à caractère métaphorique. La fascination de l’artiste pour le plastique provient de la grande malléabilité de celui-ci, qui lui offre ainsi la possibilité de produire des formes infinies. Au début de sa carrière, Etienne Bossut se concentre davantage sur les outils industriels ou les objets manufacturés. Les répliques de l’artiste s’inscrivent plus largement dans le mouvement de la société de consommation et le regard à porter sur notre civilisation. Ainsi, en conférant une nouvelle vie à ces formes industrielles, il leur offre un nouveau statut, les déplace dans le champ de l’Histoire. L’objet, dégagé de son usage habituel, apparaît alors comme une trace, une représentation synthétique de notre environnement. Au fil des années, l’artiste a forgé un vocabulaire. Dans cet ordre d’idée, il se tourne alors vers la conception d’œuvres constituant un tout singulier, unifiées en particulier par la monochromie, mais composées de plusieurs éléments. Etienne Bossut joue avec les codes de l’Histoire de l’art. Il s’attache autant aux grands mouvements de l’art contemporain (Art minimal, Pop art), qu’aux avantgardes ou à une iconographie plus traditionnelle. L’artiste se plaît à rejouer avec les matériaux et les formes de la modernité l’iconographie classique ou les concepts artistiques historiques. No Future (1983) Cette œuvre présente un tronc d’arbre (le matériau du sculpteur) et des haches (outils du sculpteur – en fait ces haches sont identiques, issues du même moulage). Présenté debout, cet arbre se dresse comme un totem, qui, criblé de haches, peut évoquer l’iconographie du martyre de Saint Sébastien. Le titre « No Future » établit un rapport visuel humoristique entre la sculpture hérissée de haches et la crête des Punks dont il est le slogan. PIERRE HUYGHE Né en 1962 à Antony. Vit à Paris. Toute l’œuvre de Pierre Huyghe est fondée sur la question de l’image et, dans cette perspective, sur les convergences entre la réalité et la fiction, entre la mémoire et l’histoire. Utilisant le cinéma, la vidéo, le son, l’animation, la sculpture et l’architecture, l’artiste intervient dans des structures narratives familières – de l’affiche publicitaire aux classiques du cinéma – pour explorer la construction des identités collectives et individuelles dans leur relation avec les diverses formes de la production culturelle : il propose dans un même mouvement des lectures et des réinterprétations subjectives des événements et des images qui façonnent nos réalités. Choisissant de faire voir plutôt que de faire croire, les « traductions » de Huyghe visent à donner au personnage de fiction comme au spectateur la capacité de reprendre le contrôle de leurs propres images et de leurs propres histoires. Avec Remake (1995), reprise avec des acteurs non professionnels de Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, l’artiste substitue à l’aura d’un film mythique, interprété par des acteurs qui ne le sont pas moins, la banalité de l’histoire et des acteurs et propose un rapprochement identificatoire pour le spectateur ordinaire. Les Grands ensembles (1994-2001), comparé à Rencontre du troisième type de Steven Spielberg, est une projection vidéo sur grand écran d’un « théâtre inanimé » : deux immeubles à l’architecture moderniste austère des années 1970 en France sont plongés dans le brouillard, les fenêtres illuminées étant les seuls points « vivants », dont on pourrait imaginer une forme de communication dans un langage irréel et crypté. Entre romantisme et sentiment d’abandon angoissant, le film met un coup de projecteur sur une architecture déshumanisante et insatisfaisante qui continue de constituer le réel de beaucoup d’habitants de banlieue. Sleeptalking (d’après Sleep, 1963, d’Andy Warhol, et avec la voix de John Giorno) (1998) Pour Sleeptalking, Pierre Huyghe « emprunte » deux minutes de Sleep d’Andy Warhol et retrouve John Giorno, l’« acteur » du film, pour le filmer de nouveau (pendant près de six heures) trente-cinq ans plus tard. Pierre Huyghe interviewe aussi Giorno, par ailleurs grand poète de poésie sonore, dans un enregistrement qui constitue une bande son séparée accompagnant le nouveau film. Giorno y évoque l’histoire du film Sleep et les difficultés de Warhol pour mener à bien son projet – tout à fait inédit. Il retrace son propre parcours dans ces années 1960 qui ont vu naître la « Beat Generation » à laquelle il a appartenu – avec William Burroughs, Brion Gysin, Allen Ginsberg… Il raconte l’effervescence créatrice de l’époque, dans une Amérique au plus haut de sa richesse, où le peuple s’émancipe grâce à l’instruction publique et où la drogue est une pratique initiatique… Il relate enfin l’énorme succès de Dial-A-Poem [littéralement: Compose un poème, c’est-à-dire: Compose un numéro pour écouter un poème], un système de diffusion téléphonique de poésie qu’il inventa en 1968. BERTRAND LAVIER Né en 1949 à Châtillon-sur-Seine. Vit à Aignay-le-Duc. Après des études d’horticulture à Versailles, Bertrand Lavier démarre son activité artistique au début des années 1970, avec notamment des diptyques rapprochant deux couleurs industrielles nettement dissemblables bien que partageant la même appellation. De sa formation, il dit avoir gardé le goût de l’hybridation et commence dès lors ses « chantiers » où il s’attache à brouiller les catégories traditionnelles de l’art, travaillant à rendre indiscernable la frontière entre peinture et sculpture ou bien déplaçant des objets issus de la culture populaire ou industrielle dans le champ institutionnel artistique. Dès 1981, il recouvre d’une épaisse couche de peinture des objets du quotidien tout en reproduisant leurs couleurs originelles et détails. Bertrand Lavier Lavier joue de l’ambiguïté entre œuvre et objet, la limite ténue entre art et non-art. Après les « objets peints », viendront les « objets superposés », comme avec Brandt/Haffner (1984) où il fait reposer un réfrigérateur sur un coffre-fort, et les « objets soclés » où il expose, selon les dispositifs de monstration muséaux, des objets comme un skateboard, une serrure ou de la statuaire africaine. Bertrand Lavier participe alors à des expositions majeures comme la Documenta (de 1982 et 1987) et devient l’une des figures les plus importantes de sa génération. Tel un archéologue de l’âge industriel, il expose aussi bien une voiture accidentée (Giulietta, 1993) qu’un fragment de pylône électrique. Souvent inscrit dans le prolongement critique de Marcel Duchamp et des Nouveaux Réalistes, son travail questionne, avec humour, les mécanismes d’attribution de valeur qui innervent le monde de l’art. 6/9 (1985) JEAN-CHARLES BLAIS 6/9 appartient à la série des « objets superposés », appelée parfois a/b. Bertrand Lavier y juxtapose un baril noir et une colonne cannelée blanche, organisant ce qu’il appelle un « court-circuit », soit la greffe contre-nature de deux éléments hétéroclites ne formant désormais qu’un seul tout. « Les formes deviennent forme », selon l’expression malicieuse de l’artiste. Né en 1956 à Nantes. Vit à Vence. Affirmant que la dimension symbolique des « objets superposés » était initialement absente de ses préoccupations, il souligne que les seuls soucis de cohérence esthétique et d’efficacité visuelle guident son choix, démarquant ainsi sa position de celle de Marcel Duchamp quant à l’utilisation des objets ready-made. Dans le cas présent, on peut aussi penser à la figure du sculpteur Brancusi, qui considérait que le socle pouvait faire œuvre. La valeur du baril et de la colonne ainsi superposés dépasse largement la valeur esthétique des deux objets pris isolément. Jean-Charles Blais participe en 1981 à l’exposition Finir en beauté chez le critique Bernard Lamarche-Vadel qui y a rassemblé les futures figures de proue du mouvement de la « Figuration libre ». Dès les années 80, Jean-Charles Blais affirme : « Je suis un artiste qui n’a pas d’idée, ni de sujet de tableau en tête ni de projet. Ma peinture est sans intention ». Il utilise pour cela des supports dégradés : divers objets trouvés (des cartons, des canettes, des bidons…), des affiches arrachées aux murs, des pages de journaux. A partir de 1983, Jean-Charles Blais peint des personnages aux corps énormes, à l’étroit dans leur support, qui, en proie au désespoir, au désir de meurtre ou à l’ivresse, se servent de leurs mains pour dissimuler leur visage. Les visages sont toujours cachés ou hors cadre. Ils sont parfois tout bonnement absents, ou bien minuscules, comme posés sur les cols gigantesques. Dans la deuxième moitié des années 1980, il abandonne ces figures qui ont fait sa célébrité pour se consacrer à des visages ou à des bustes dont les traits sont simplifiés à l’extrême. Il collabore aussi avec des couturiers, des metteurs en scène de théâtre, des chorégraphes et crée pour ces projets des silhouettes fantomatiques et émaciées. Aujourd’hui Jean-Charles Blais emploie principalement les technologies numériques afin de réaliser des projections suscitant des ombres et des lumières mouvantes; formes énigmatiques qui se superposent en une danse étrange. Sans titre (1984) ANNETTE MESSAGER Sans titre appartient à l’ensemble des toiles de Jean-Charles Blais qui mettent en scène des personnages imposants par leur taille et installés dans un univers tourmenté. Nombre de ces toiles multiplient les motifs de croix sans qu’on sache si on peut les interpréter dans un sens christique. Ici, la composition est régie par trois perpendiculaires : le corps du personnage par rapport à sa jambe droite, sa jambe gauche au regard d’un arbre et son bras gauche avec le bâton auquel il s’accroche. La torsion de ce corps, mise en relation avec un autre personnage tombé à terre et dont on ne voit que les pieds, suggère une avancée difficile dans un univers hostile, peut-être le désert puisque la toile se partage en une partie supérieure bleu roi et une partie inférieure jaune mêlée de rouge et de gris. Née en 1943 à Berck. Vit à Malakoff. Le dessin épouse les contours du support, une affiche arrachée, ce qui donne au spectateur l’impression de regarder un fragment d’une fresque plus grande. Le caractère enfantin de certains éléments comme l’arbre sans feuille ou le nuage vient contraster avec la complexité des couleurs qui évoque l’impressionnisme. Annette Messager élabore une œuvre dans laquelle se croisent avec ironie, humour ou gravité, les questions du corps, de la féminité, du rituel et du fantastique. Mettant en place des cycles qui sont autant de terrains d’investigation artistique (« Annette Messager artiste », « Annette Messager femme pratique », « Annette Messager truqueuse »…), elle fait de l’autobiographie et de la narration des éléments récurrents qu’elle traite avec plus ou moins de distance, et qui lui vaudront d’être assimilée à la mouvance dite des « mythologies individuelles ». Active depuis la fin des années 1960, Annette Messager est une artiste française majeure, elle a notamment montré son travail, dans le cadre d’expositions personnelles, sur une scène internationale, à la Städtische Galerie de Munich dès 1973 ou en 1997 au Museum of Contemporary Art de Miami. Lauréate du Lion d’Or de la 51ème Biennale de Venise en 2005, le Centre Georges Pompidou lui a également consacrée une exposition rétrospective en 2007. Le cycle « Annette Messager collectionneuse », débuté à la fin des années 1960, compte 56 albums comprenant chacun des images, coupures de presse (Les hommes que j’aime / j’aime pas...), photographies (Mes jalousies, Les enfants aux yeux rayés...), dictons (Ma collection de proverbes), signatures (Pour trouver ma meilleure signature), tâches d’encre évoquant le test de Rorschach (Petite pratique magique quotidienne), annonces matrimoniales (Le mariage de Melle Messager)… Les tortures volontaires. Album collection n°18. (1972) La pièce Les tortures volontaires fait partie de l’ensemble « Annette Messager collectionneuse ». Constituée de 86 photographies de clichés (majoritairement) noir et blanc de magazine, la série donne à voir différents artifices et techniques de beauté. Renvoyant à l’autorité du modèle défendu par les médias et la publicité, l’œuvre fait l’inventaire non-exhaustif des stratégies de recollement au canon de beauté mass médiatique. Ventre, mollet, jambe, menton, seins, yeux, sourcils, cheveux, buste, visage, fessier... chacune des images choisies par Annette Messager prend en charge une partie du corps de la femme. A chaque organe son rituel correcteur, à chaque parcelle d’épiderme son instrument. Bigoudis, masques de beauté, stimulateur électrique, développeur de poitrine, crème dépilatoire, fer à friser/ défriser, combinaison amincissante, aspirateur de cellulite... Les outils du remodelage du corps sont ici rassemblés et leur utilisation censément anodine est qualifiée par l’artiste de « tortures ». Ainsi, Annette Messager s’en prend aux clichés féminins, et tentant de les destituer, elle affirme la singularité de sa propre pratique artistique. Comme dans l’ensemble des albums du cycle « Annette Messager collectionneuse », c’est le simple déplacement d’éléments plus ou moins disparates ou confondus à un contenu plus vaste, qui crée le sens et devient force dialectique. Le vis-à-vis des images joue sur la sérialité et renvoie à la multitude des outils de « contrôle » du corps. S’il y a dans ce constat une forme d’ironie et de légèreté, l’exercice auquel s’astreint l’artiste dit à dessein la pression sociale qui pèse sur l’identité féminine et que chacune intègre avec plus ou moins de plaisir, parfois même à son corps défendant. BEN (BENJAMIN VAUTIER DIT) Né en 1935 à Naples. Vit à Nice. Ben a fondé toute son œuvre sur la notion d’appropriation et sur le parti pris, « obsessionnel », que « faire de l’art, c’est faire du nouveau ». Son premier travail artistique consiste à ouvrir à Nice, en 1958, le Laboratoire 32, à la fois magasin de disques, galerie d’exposition – très vite baptisée « Ben doute de tout » – et espace de rencontre. Parallèlement à ce projet, Ben défend le concept d’« Art Total » et, à la suite de sa rencontre avec George Maciunas en 1962, il participe activement au groupe Fluxus avec des actions de rue (performances) et la diffusion des idées et manifestations du groupe dans sa boutique-galerie. A partir des années 1980, Ben pratique la « signature de vérités », d’abord objectives, puis subjectives. L’écriture manuscrite est le médium le plus utilisé par l’artiste – en particulier, les écrits blancs sur panneaux noirs – et le plus connu : son écriture reconnaissable entre toutes agit elle-même comme une signature. L’artiste « rappelle » dans ses vérités toutes les contradictions dans lesquelles sont plongés le monde de l’art et ses acteurs : en témoignent des libellés tels que « L’art m’ennuie » ou « Qui a raison ? Duchamp ou Matisse ? » et tous les dessins et articles qu’il a compilés dans ses revues. Ben passe pour avoir été le créateur dans les années 1980 de l’expression « Figuration libre », un art d’attitude de type néo-dada et d’expression spontanée. Contre toute notion de savoir-faire, de beau, de valeur marchande ou de goût, Ben s’approprie donc et signe tout objet qui ne l’a pas encore été et qu’il a décidé d’élire pour ce faire. Son site Internet ouvert en 1997 « placard à classement » lui permettant d’engranger « tout ce que Ben contient » - est aujourd’hui un puissant outil de communication avec le monde sur toutes les questions auxquelles l’artiste s’intéresse. Geste : faire des grimaces (19621971) Geste : dormir (1966-1972) Geste : manger (1964-1971) Geste : cracher (1961-1973) Ces œuvres font partie de la série Mes gestes (1958-1972) et mettent en scène, pour faire œuvre d’art, les actes les plus ordinaires. Chaque œuvre de la série est issue d’une performance/action réalisée entre 1958 et 1972 - l’artiste y a noté son processus et sa date, puis fixé deux photographies en forme de témoignage de sa mise en œuvre. Les descriptions des actions inscrites sur les œuvres, à l’exception de Geste : manger fondé sur l’effet inverse de « l’ordinaire dans l’art », sont tout à fait explicites quant à cette volonté délibérée de choquer et de faire réagir autrui. Lors de la Documenta 5 (Kassel, 1972), Ben réalise une performance de la série Gestes dont la radicalité se traduit par l’automutilation : Ben cogne son visage contre une colonne de béton sur laquelle est inscrit « I shall bang my head against the wall ‘till it bleeds » [Je vais cogner ma tête contre le mur jusqu’à ce qu’elle saigne] jusqu’à ce que son front blessé saigne effectivement. Ad Libitum/Salon de Curiosités Ad Libitum/Salon de curiosités 29 rue de la République 07000 Privas http://www.ad-libitum-ardeche.fr/ Ouverture du mardi au samedi de 11h à 19h. VANESSA BEECROFT Née en 1969 à Gênes. Vit à Los Angeles. En 1993, Vanessa Beecroft montre son travail pour la première fois à la Galerie Luciano Inga-Pin de Milan. Elle expose alors The Book of Food, un livre de notes qu’elle rédige compulsivement depuis plusieurs années et qui rapporte de façon obsessionnelle la liste de tous les aliments qu’elle ingurgite repas après repas, ainsi que des commentaires relatifs aux sentiments destructeurs que cette nourriture suscite en elle. Accompagnant cette proposition, l’artiste réalise également une œuvre, VB01, dont le protocole préfigure la majeure partie de sa future production ; elle met en scène des « sculptures vivantes », groupe plus ou moins nombreux de femmes postées dans l’exposition. En janvier 1996, sa rencontre avec le galeriste Jeffrey Deitch, qui l’invite à réaliser une performance à Deitch Project New-York, propulse littéralement Vanessa Beecroft sur une scène internationale. S’inscrivant dans une lignée d’artistes (non corporels) ayant pris le corps comme lieu d’une revendication artistique (de Gilbert and George à Piero Manzoni, de Yves Klein à Marcel Duchamp...) Vanessa Beecroft développe un langage lié au rapport du vivant à l’espace et à l’objet. Mais dans son travail, le corps sert surtout la question de l’intime, du féminin et des normes. Controversée, tant elle use des signes appartenant jusqu’ici à l’autorité masculine (dans la publicité, l’industrie culturelle...) pour mieux les mettre en question, son œuvre s’imprègne d’une philosophie féministe offensive et revendicatrice. Jesse (VB29) (26 juin 1997) C’est le 26 juin 1997, que Vanessa Beecroft réalise VB29. Cette performance filmée se déroule alors à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne. Une jeune femme, uniquement vêtue d’un ensemble string / soutien-gorge à franges et de talons hauts argentés déambule devant un public qu’elle ignore et prend des poses. Le crépitement des flashes qui surviennent de temps à autre, qualifie la scène comme étant une séance de shooting de mode. VB29 se distingue de l’ensemble des autres performances de l’artiste par l’unique modèle qui s’y produit. Pas de groupe affirmant une présence massive, mais la seule Jesse, chétive jeune femme dont la chorégraphie codifiée et minimale inscrit une redoutable présence. L’imagerie sexuelle intense dont l’artiste se saisit ici devient intimidante et décourage finalement toute tentative d’érotisation de la scène. Elle met en espace l’ambivalence de notre rapport à l’exploitation du corps des femmes dans la société contemporaine. La Galerie d’exposition du Théâtre de Privas accueille depuis quarante ans des expositions d’art contemporain. Plus de 150 projets, des centaines d’œuvres et d’artistes ont inscrit leur présence dans ce lieu. Ce n’est pas peu de choses . Aujourd’hui, l’exposition 4 X 10 honore cet engagement téméraire, porté depuis longtemps par des personnes bénévoles, oeuvrant au sein de l’association CALAT fondatrice du projet. Le parcours conçu avec l’Institut d’art contemporain, tente de révéler les nouvelles voies empruntées par les artistes depuis 68. L’éclatement des conventions artistiques, nourri par les avant-gardes historiques, a contribué à produire des richesses inattendues, réjouissantes, et fulgurantes - troublantes parfois -, mais bien nécessaires car révélatrices d’un certain état de notre société française. Nous sommes heureux de participer à cette belle aventure et fiers que le Théâtre puisse, grâce aux énergies et aux convictions de toute l’équipe, approfondir sa mission de diffusion et de médiation culturelle. Nous remercions l’Institut d’art contemporain et nos divers partenaires de nous soutenir dans ces objectifs. Pour la Galerie d’exposition du Théâtre de Privas, Mireille Cluzet Cette exposition bénéficie de l’aide et du soutien du Conseil régional Rhône-Alpes, du Conseil général de l’Ardèche, de la Ville de Privas, du Rectorat de l’Académie de Grenoble, de l’Inspection Académique de l’Ardèche et du Centre de documentation pédagogique 07. Cet événement entend rendre hommage à tous les bénévoles du Calat qui au cours de ces quatre décennies se sont engagés sans compter pour la Galerie d’exposition. RENSEIGNEMENTS Galerie d’exposition du Théâtre de Privas Place André Malraux et rue de la Recluse 07000 Privas Tél. 04 75 64 62 00 www.theatredeprivas.com Ouverture du mercredi au samedi de 15h à 18h. Fermeture exceptionnelle le vendredi 11 novembre 2011 et du dimanche 18 décembre 2011 au mardi 3 janvier 2012. Accueil des groupes sur rendez-vous. Entrée libre pour tous. INSTITUT D’ART CONTEMPORAIN, VILLEURBANNE/RHÔNE-ALPES 11 rue Docteur Dolard 69100 Villeurbanne Tél. 04 78 03 47 00 www.i-ac.eu Contact : Chantal Poncet, chargée de diffusion en Rhône-Alpes. [email protected] L’Institut d’art contemporain bénéficie de l’aide du Ministère de la culture et de la communication (DRAC Rhône-Alpes), du Conseil régional Rhône-Alpes et de la Ville de Villeurbanne