Orphée et Eurydice
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Orphée et Eurydice
Orphée et Eurydice Tragédie (Drame-héroïque) en quatre actes Musique de Christoph Willibald Gluck (1714-1787) Version de Hector Berlioz (Orphée, 1859) Livret de Pierre-Louis Moline Créée à Vienne (version italienne, Orfeo ed Euridice), le 5 octobre 1762; puis à Paris (version française, Orphée et Euridice), le 2 août 1774. Première de Orphée: Paris, Théâtre-Lyrique, 18 novembre 1859. Chantée en français Fatigué des intrigues compliquées et de la virtuosité musicale creuse des opéras de son époque, Gluck voulait réformer l’art lyrique en y amenant une « noble simplicité », à la fois à la musique et au drame. Presque cent ans plus tard, Berlioz, convaincu d'y avoir découvert les racines de l’opéra moderne, remania les diverses partitions laissées par Gluck en une œuvre d’art totale aux frontières des genres lyrique, choral et chorégraphique. Les bergers et les nymphes entourent le tombeau où repose Euridice, l’épouse bien-aimée d’Orphée. L'Amour apparaît pour lui dire qu’il pourra chercher Euridice dans les Enfers et la ramener sur terre, à condition de ne pas la regarder avant qu’ils soient revenus chez les humains. L'espoir renaît dans l'âme du chanteur, mais saura-t-il maîtriser ses émotions? Les Jeunes au cœur du Grand Théâtre Programme pédagogique, Grand Théâtre de Genève avec le soutien de la fondation de bienfaisance de la Banque Pictet et de la République et canton de Genève Dossier pédagogique réalisé par Christopher Park décembre 2010 – janvier 2011 NB: Ce dossier pédagogique vient soutenir le travail des enseignants et des élèves pendant les six semaines de parcours pédagogique au Grand Théâtre. Il est compilé à partir d'éléments qui sont soit du ressort des connaissances générales, soit fournis par les artistes impliqués dans la production, soit du domaine public, soit dérivés de différents documents en copyleft ou du type GNU Free Documentation Licence. Il est libre de droits d'auteur. Sa diffusion et sa lecture à des fins didactiques ou de formation personnelle non lucratives sont encouragées, mais il n'est pas destiné à servir d'ouvrage de référence pour des travaux de nature académique. 1 Table des matières Introduction p. 3 Les rôles et la distribution de la production au Grand Théâtre p. 4 Le Mystère Orphée: trois personnages et leurs voix p. 5 Ce qui se passe dans l'opéra: synthèse musicale et dramatique p. 9 Qui est Christoph Willibald Gluck? p. 17 Qui est Mats Ek? p. 20 Qui est Orphée? p. 21 Orphée, deux mille ans d'histoire: galerie de portraits p. 26 CD d'accompagnement p. 31 Textes des extraits musicaux d'Orphée p. 32 Hors pagination Extraits de la partition pour l'Atelier formation Voix Questionnaires d'évaluation 2 Introduction Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours pédagogique proposé autour du programme de l’opéra Orphée et Eurydice, dans le cadre du programme « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ». Ce dossier, préparé à l’intention des enseignants du cycle d’orientation et du postobligatoire, contient suffisamment d’informations pour leur permettre d’assurer une bonne préparation des élèves au spectacle. En amont du parcours pédagogique et du spectacle, nous demandons aux enseignants d'utiliser ce dossier pour familiariser leur classe avec: l’argument les personnages et les voix les moments-clé musicaux et dramatiques en lien avec ces voix (♫) Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers du programme et venant au Grand Théâtre pour assister à la répétition générale de Orphée et Eurydice. En fonction du niveau des élèves ou du temps à disposition pour aborder la matière, on pourra choisir un ou plusieurs des éléments restants du dossier pour approfondir l'approche de la production du Grand Théâtre par les élèves. En annexe de ce dossier vous trouverez des questionnaires d’évaluation à votre intention ainsi qu’à celle de vos élèves. Merci de bien vouloir les photocopier et en remettre un exemplaire à chaque jeune ayant participé au parcours pédagogique, et de nous les renvoyer remplis accompagnés du vôtre. Cela nous permettra d’évaluer l’intérêt et la pertinence de nos propositions. Il sera également possible de nous déplacer dans les classes afin de renforcer le travail préparatoire, ou de répondre aux questions des élèves dans leur établissement, à l’issue du spectacle si l’enseignant le souhaite. Nous vous remercions pour votre collaboration et vous souhaitons, à vos classes et à vousmêmes, un parcours pédagogique inoubliable au cœur du Grand Théâtre. Les animateurs du programme pédagogique Kathereen Abhervé [email protected] 022 418 31 72 Christopher Park [email protected] 022 418 31 88 3 Les rôles et la distribution de la production du Grand Théâtre L'action se déroule à l'époque des mythes grecs anciens, au bord du Lac Averne, puis aux Enfers, puis à nouveau sur terre. Orphée Annette Seiltgen mezzo-soprano Euridice Svetlana Doneva soprano L'Amour Clémence Tilquin soprano Chœur de bergers, de nymphes et de bergères, d'esprits maléfiques et de Furies, d'ombres bienheureuses. Production de l'Opéra royal de Stockholm Orchestre de la Suisse Romande Direction: Jonathan Darlington Mise en scène: Mats Ek Décors et costumes: Marie-Louise Ekman Lumières: Erik Berglund Chœur du Grand Théâtre Direction: Ching-lien Wu Ballet du Grand Théâtre Direction: Philippe Cohen Répétition générale: lundi 7 mars 2011, à 19h30; durée approximative 2h (en deux parties avec un entracte) 4 Le mystère Orphée: trois personnages et leurs voix La descente d'Orphée aux Enfers est l'un des plus connus des anciens mythes grecs; à la base, juste une histoire d'amour et de mort. Le mythe d'Orphée représente la quête humaine d'une puissance plus forte que la mort. Une quête à partir de laquelle les Grecs anciens avaient développé une sorte de culte religieux, impliquant une initiation complexe, les mystères orphiques. Faire un opéra sur le thème d'Orphée, le « père des chants », semble être un travail de rêve pour un compositeur, même si la fin désolante de l'histoire est sûre de plomber l'ambiance. Dans la version traditionnelle du mythe, la faute d'Orphée est définitive et Eurydice est perdue à jamais. Mais l'opéra est né à une époque où l'art, la science et la philosophie ont boosté l'optimisme, et où l'on n'a que faire des croyances lugubres des Anciens. Dès 1608, avec L'Orfeo de Monteverdi, on invente un happy end à l'histoire et le tour est joué! Gluck ne sera pas en reste. Mais sa mathématique musicale ajoute un troisième élément important au couple d'Orphée et Euridice: L'Amour. Sans la volonté de L'Amour (et sa compassion finale), pas de fin heureuse pour les époux. On peut s'imaginer que cette triangulation homme-femme-force de la vie a beaucoup de résonances pour le siècle des Lumières et l'humanisme mystique de ce temps, dont les francs-maçons sont un élément-clef. Le triangle est l'un des signes les plus importants de la franc-maçonnerie. Il symbolise la force transcendante à l'œuvre dans l'Univers, créatrice de la vie et de la raison. Qui sont donc les trois pointes de ce triangle, les trois chiffres du code pour déchiffrer le mystère orphique du Chevalier Gluck? Gravure anglaise (1787) représentant un tablier, l'insigne du franc-maçon, au centre duquel se trouve le triangle équilatéral, le symbole de la perfection divine à l'œuvre dans la vie. 5 Orphée Le personnage La quatrième ode pythienne de Pindare (522-443 av. J.-C.) parle du « fils d'Apollon, Orphée, chantre divin, père de la poésie lyrique » mais d'autres sources disent qu'il fut le fils d'un roi de Thrace. Les Grecs le vénéraient comme le premier et le plus grand des poètes et des musiciens. Si Hermès inventa la lyre, Orphée en jouait comme nul autre: son chant et sa musique attiraient les oiseaux, les poissons et les animaux sauvages, même les arbres et les pierres bougeaient au son de sa lyre. Sa descente mystérieuse dans le Hadès, le séjour souterrain des morts, pour ramener son épouse Eurydice, fait partie des voyages dans l'au-delà communs aux mythes de toute l'humanité. Amant malheureux, musicien et poète audacieux, grand-prêtre d'un culte mystérieux: Orphée est la personnification de la volonté humaine de percer l'obscurité qui l'entoure par l'amour, la musique et la spéculation mystique. Le rôle, la chanteuse et sa voix Le rôle d'Orphée fut écrit à l'origine pour Gaetano Guadagni, un castrat (un homme ayant subi une castration pendant son enfance afin de conserver la voix claire et aigüe des jeunes garçons). La première version française de l'opéra, réalisée par Gluck pour une production à Paris, mit en scène un haute-contre (une voix masculine aussi très haute et légère, mais sans intervention chirurgicale). La coutume barbare de castrer les petits garçons pour cultiver leur voix est heureusement finie. Mais qui chantera alors tous ces rôles masculins d'opéra, écrits pour des castrats? La solution la plus fréquente est de demander à une mezzo-soprano (voix de femme entre l'aigu et le grave dont la voix et le ton coïncident à peu près avec ceux des castrats) de chanter ces rôles en travesti. Lorsque Hector Berlioz adapta l'opéra en 1856, il le fit à la demande d'une célèbre chanteuse de l'époque, Pauline Viardot qui participa activement au travail d'édition et qui fut la star de la résurrection de l'opéra de Gluck qu'on avait un peu oublié. Dans la production de l'Opéra royal de Stockholm reprise au Grand Théâtre, chorégraphiée et mise en scène par Mats Ek, Orphée est représenté comme un homme veuf déjà âgé, au crâne dégarni. On peut s'imaginer que la mort de son épouse n'est pas toute récente. Sa descente malgré lui au séjour des morts renverse littéralement ses vieux jours... C'est la mezzo-soprano allemande Annette Seiltgen qui chantera le rôle d'Orphée au Grand Théâtre. 6 Euridice Le personnage Eurydice (du grec Εὐρυδίκη, Eurydíkē, « vaste justice », probablement le titre d'une divinité ancienne de la vie après la mort) était, d'après les légendes, soit une nymphe des chênes, soit une fille d'Apollon, le dieu de la lumière. Épouse bien-aimée d'Orphée, elle fut poursuivie un jour par un satyre et, en s'enfuyant, mit le pied sur un nid de vipères qui la mordirent au talon et elle mourut sur-le-champ. Orphée, inconsolable, se mit à la pleurer sur sa lyre et son chant d'une infinie tristesse arriva aux oreilles des dieux qui l'autorisèrent à descendre aux Enfers pour la ramener, à la condition qu'il marche devant elle et ne la regarde pas tant qu'ils ne seraient pas de retour parmi les vivants. Vous connaissez la suite... La légende d'Orphée remontant des Enfers et ne pouvant pas s'empêcher de regarder Eurydice est relativement récente (on en trouve la première version dans les Géorgiques du poète latin Virgile). Mais elle a inspiré quantité de peintres, de sculpteurs, de poètes, de philosophes et de cinéastes... Le rôle, la chanteuse et sa voix L'orthographe correcte de son nom en français est « Eurydice », mais dans le livret de la version de Paris (1774), repris par Hector Berlioz en 1859, le rôle est orthographié à l'italienne « Euridice » et nous avons choisi de maintenir cette orthographe pour désigner le rôle de l'opéra de Gluck. Euridice ne chante pas beaucoup dans cet opéra. Elle a seulement deux airs en solo et le reste du temps, chante quelques duos avec Orphée. Cela a certainement motivé Hector Berlioz à intituler son édition de Gluck du seul nom de Orphée, puisque c'est lui le principal moteur du drame, et qu'Euridice y joue un rôle presque accessoire. Euridice est chantée par une soprano, la voix la plus aiguë des voix féminines, pour accentuer son caractère de jeune épouse, innocente et émotive. Dans la mise en scène de Mats Ek, son apparence est celle d'une femme sans âge, avec une longue chevelure blanche de vieille dame mais la grâce et la délicatesse d'une jeune fille. La soprano bulgare Svetlana Doneva chantera le rôle d'Euridice dans la production du Grand Théâtre. 7 L'Amour Le personnage Les Grecs anciens croyaient que le Chaos qui précéda l'univers tel que nous le connaissons fut éclaté et remis en ordre par l'Amour (Éros). L'Amour est donc la force créatrice de la matière, de la vie, de l'esprit; mais sa personnification en un jeune garçon (voire, pour son identité latine de Cupidon, en un petit enfant potelé et joufflu), portant des ailes, les yeux bandés (l'Amour est aveugle) et décochant des flèches, peut surprendre. Les mythes grecs et les légendes romaines abondent en histoires à son sujet: fils de Vénus, la déesse de la beauté, et de Mars, le dieu de la guerre, « le Dieu de Paphos et de Gnide » agite autant les cœurs qu'il les réjouit. Dans les versions traditionnelles de la légende d'Orphée, l'Amour n'intervient pas, en tout cas pas personnellement. Le philosophe grec Platon, dans le discours de Phèdre du Banquet, suggère même que le sentiment qui poussa Orphée à descendre aux Enfers n'était pas l'Amour, mais l'orgueil. Si l'Amour avait motivé Orphée, il se serait tout de suite donné la mort, pour retrouver son épouse. À cause de son orgueil, les dieux l'auraient puni en lui présentant, non pas Eurydice, mais une apparition de celle-ci, pour le décevoir. Le rôle, la chanteuse et sa voix Dans l'opéra de Gluck, L'Amour est un deus ex machina. Il apparaît au moment où Orphée décide de braver le trépas pour retrouver Euridice, lui révèle les conditions de sa périlleuse entreprise, puis il disparaît. Il ne reparaît qu'au moment où tout va mal et qu'Orphée, désespéré, veut mettre fin à ses jours. Et c'est l'Amour qui rendra Euridice, vivante, à son mari et les ramènera tous les deux sur terre, par enchantement. Pour le public de l'époque de Gluck, il va de soi que l'on ne peut représenter L'Amour autrement que sous les traits d'un jeune garçon. Mais la partition prévoit, pour L'Amour, des interventions qu'un jeune garçon ne pourrait pas chanter. Encore une fois, on a recours au travestissement: une soprano, de préférence avec une voix claire et légère, mettra les ailes et enfilera le bandeau de l'Amour... Ou comme Mats Ek l'imagine, L'Amour, chanté ici par la soprano française Clémence Tilquin, est plus que simplement aveugle, il est carrément immobilisé, emmailloté dans un cocon de bandelettes, percé par ses propres flèches, incapable de se déplacer seul. Est-ce une manière de dire que L'Amour est la force qui fait éclore un papillon alors que tout semble indiquer qu'il n'y a plus d'espoir? 8 Ce qui se passe dans l'opéra Synthèse musicale et dramatique L'histoire, presque tout le monde la connaît et tout le monde la comprend. Ici, ce qui se passe dans la musique est presque plus important que les détails de l'intrigue. Voyons donc ce que les quinze numéros de la partition nous racontent. Ouverture Lorsque Gluck atteindra sa maturité pour devenir un compositeur célèbre, il mettra un point d'honneur à écrire des ouvertures qui prépareront psychologiquement son public au genre de drame qui va se dérouler devant eux. Dans Iphigénie en Tauride, par exemple, le naufrage d'Oreste et Pylade sur les côtes sauvages de Tauride est brillamment évoqué, après quelques mesures d'une mélodie sereine et tranquille, par un fracassant déchaînement de percussions, de cordes affolées et d'un tintamarre de cuivres. Pour Orphée et Euridice, œuvre de jeunesse du compositeur, Gluck propose une amusante symphonie, joyeuse et sautillante, en do majeur, absolument sans rapport avec les scènes désolantes qui vont suivre. On pourrait s'imaginer qu'il n'a écrit l'ouverture, que Hector Berlioz appelait une « incroyable inanité », que pour couvrir le brouhaha du public qui s'installait en salle, les messieurs expulsant leur dernière prise de tabac et les dames finissant leurs derniers potins en réarrangeant leurs jupons. Ouverture: musique exclusivement instrumentale jouée avant le début d'un opéra, ou plus rarement une pièce de théâtre, une manifestation, etc Do majeur: tonalité d'une pièce de musique qui traduit un effet de joie simple et directe. Hector Berlioz: compositeur français du XIXe siècle, fasciné par la musique ancienne, qui édita et fit représenter en 1859 Orphée et Euridice de Gluck, alors que l'opéra était tombé dans l'oubli depuis près de cent ans. Acte premier No. 1 Chœur Ah! Dans ce bois lugubre et sombre (Orphée, Chœur) Un chœur de nymphes et de bergers nous plonge au cœur du drame. Euridice a été mordue par un serpent, elle est morte et elle est descendue aux Enfers. Les lamentations du chœur sont interrompus par la voix d'Orphée qui chante trois fois le nom de sa bien-aimée, d'une voix si douloureuse que Gluck lui-même disait qu'elle doit évoquer, « les cris qu'un chirurgien vous arrache quand il scie un os ». Mais Orphée se ressaisit et reste digne dans son chagrin. 9 No. 2 Pantomime et chœur Ah! Dans ce bois lugubre et sombre (Orphée, Chœur) La première de plusieurs pantomimes évoque un cortège d'esprits qui vient rendre un dernier hommage au tombeau d'Euridice. Le caractère languissant de la musique en mode mineur, remplie d'appoggiatures, nous laisse imaginer que ce sont les Amours, venus soupirer pour celle qui ne reviendra plus. La pantomime se termine sur le mode majeur, ce qui ne fait que rendre plus dramatique le retour du chœur (Ah! Dans ce bois lugubre et sombre) en mineur. Orphée reste silencieux, ce qui permet au chœur de développer seul une intervention dramatique. Pantomime: intermède narratif ou expressif dansé sur une musique instrumentale. Mineur: manière d'organiser la gamme pour donner à la musique un effet triste ou mélancolique. Appoggiature: notes très courtes accentuant la longueur de la note suivante. Majeur: la gamme naturelle (do-ré-mi...) est en mode majeur, celui de la musique à effet joyeux ou dynamique. No. 3 Romance et récitatif Objet de mon amour (Orphée, L'Amour) Orphée demande qu'on le laisse seul, pour répandre ses pleurs. Une ritournelle rend encore plus crédible le moment de douleur solitaire du chanteur: il brise son silence en appelant encore sa bien-aimée par son nom, d'abord par un récitatif, ensuite par une romance. L'orchestre dialogue avec Orphée: lorsqu'il termine ses phrases, l'orchestre répète ses dernières notes, créant un effet d'écho, convention typique des compositeurs baroques, que Gluck n'hésite pas à employer ici pour souligner la solitude de son personnage. Mais soudain, Orphée s'irrite contre les « divinités de l'Achéron... que n'attendrit point la beauté, la jeunesse ». Les cordes de l'orchestre soulignent sa colère par des trémolos, alors qu'Orphée jure de « pénétrer jusqu'au sombre rivage » pour ramener Euridice. 10 Ritournelle: court refrain instrumental pendant une pièce chantée, peut être répétée plusieurs fois. Récitatif: à l'opéra, manière de chanter qui suit le rythme de la déclamation parlée, avec un accompagnement instrumental très simple, souvent utilisé pour faire avancer l'action plus rapidement. Romance: chanson ou air d'opéra en plusieurs couplets, ici Objet de mon amour et Accablé de regrets, le récitatif tenant lieu de refrain. Trémolo: groupe de plusieurs notes rapprochées, chantées ou jouées rapidement pour produire un effet de « tremblement ». No. 4 Ariette Si les doux accords de ta lyre (L'Amour, Orphée) C'est alors qu'apparaît le dieu de l'Amour, qui apprend à Orphée que les dieux sont touchés par sa tristesse et qu'ils l'autorisent à descendre aux Enfers pour accomplir son vœu. L'Amour chante une ariette où il explique à Orphée qu'il devra compter sur la musique de sa lyre pour charmer les terribles gardiens de l'empire des ombres. Orphée, dans sa joie, interrompt l'Amour, mais celuici, a cappella (ce qui avertit le public qu'une information importante est en train d'être donnée!), prévient Orphée qu'il devra suivre des consignes très strictes. L'Amour reprend son ariette (soutenue à nouveau par de longs accords sur les cordes) pour expliquer la volonté des dieux: « Sur cette amante adorée, Garde toi de porter un regard curieux, Ou de toi pour jamais, tu la vois séparée. » Ariette: version plus courte d'un air, avec un accompagnement musical allégé. A cappella: chanté sans accompagnement instrumental. No. 5 Air Soumis au silence (L'Amour) Maintenant que la mission d'Orphée est clairement annoncée, l'Amour se permet de lui donner un bon conseil: « Contrains ton désir, Fais-toi violence... » sous la forme d'un air gracieux (♫ Piste 4, L'AMOUR Soumis au silence), avec les cordes en pizzicato, un hautbois et un basson, qui évoquent le retour aux plaisirs simples des bois et des champs qu'Orphée partageait autrefois avec Euridice et qui sont de nouveau à sa portée... ou pas. Pizzicato: manière de jouer les instruments à cordes (violons, altos, etc.) sans l'archet, en pinçant les cordes avec les doigts. No. 6 Récitatif et air Qu'entends-je? Qu'a-t-il dit? (Orphée) L'Amour disparaît et Orphée se résout, malgré son manque de confiance en soi et ses craintes, à accepter la loi des dieux. Sa décision est prise en mode récitatif, sur un tempo mesuré, décidé, sur un accompagnement aux harmonies plus intenses, annonçant un approfondissement des émotions. Orphée se lance alors dans un 11 air de bravoure (♫ Piste 1, ORPHÉE I, Amour, viens rendre à mon âme). Hector Berlioz, le puriste qui pestait à toute occasion contre les fioritures inutiles, a pourtant ajouté à cet air des vocalises triomphantes et les cadences vertigineuses pour la cantatrice Pauline Viardot. Grâce cet air, l'Orphée de Berlioz fit salle comble pendant 138 représentations consécutives; le public ne se lassant pas d'entendre la Viardot se lâcher! Air de bravoure: air destiné à la fois à mettre en valeur les talents vocaux et la technique de l'interprète, ainsi qu'à souligner des traits de caractère du personnage (ici, l'héroïsme d'Orphée). Vocalise: une ou plusieurs mesures de chant, chantées sur une seule voyelle, sans consonne (« Pour ce-e-e-e-lle qui m'enfl-a-a-a-a-mme ») Cadence: Entre l'avant-dernier accord et le dernier accord d'un air, partie chantée sans accompagnement, où l'interprète réalise un bref solo virtuose, souvent improvisé. Acte deuxième No. 7 Scène, chœur et air Quel est l'audacieux? (Chœur, Orphée) Calzabigi, le librettiste de la première version (1762, en italien) de l'opéra, avait demandé à Gluck une « orribile sinfonia » pour l'arrivée d'Orphée aux portes des Enfers. Gluck avait composé l'année précédente un ballet sur le thème de Don Juan et avait donc déjà en boutique tout ce qu'il fallait pour une scène infernale! Orphée se met à préluder sur sa lyre (une harpe et des cordes « sur le théâtre ») mais les Ombres maudites et les Furies qui gardent le lieu l'interrompent avec leurs aboiements sauvages (remarquer la prosodie anormale d'audacieux, en 4 syllabes au lieu de 3, ♫ Piste 5, CHŒUR, Quel est l'audacieux?). La deuxième pantomime (dite, des Furies) entoure Orphée d'une ronde effrayante et sert de prélude à une deuxième version, plus développée, de leur tirade. Orphée essaie une deuxième fois de convaincre les Esprits infernaux, mais ceux-ci répètent inlassablement leurs « Non! », placés 12 En italien: symphonie horrible À la fin de l'histoire de Don Juan, le séducteur est entraîné en Enfer pour ses crimes et son absence de repentir. Prosodie: la manière dont les mots sont prononcés (le nombre de syllabes, les voyelles ou les consonnes muettes, les liaisons, etc.), particulièrement en poésie mesurée. de manière très adroite par Gluck pour maximiser, par la surprise, l'effet dramatique de l'interruption. Le chœur et Orphée continuent à dialoguer; peu à peu les Esprits se calment et reprennent leur pantomime furieuse (♫ Piste 6, Danse des Furies 2), mais laissent Orphée entrer dans le séjour des morts. Acte troisième No. 8 Pantomime Nous sommes aux Champs-Elysées, le séjour des Ombres heureuses. Le ballet (♫ Piste 7, Ballet des esprits bienheureux), qui introduit le troisième acte est sans doute l'une des compositions les plus connues de Gluck, repris et décliné en maintes musiques de film, de télévision ou parfois... comme musique d'attente au téléphone (« Nous recherchons votre correspondant... »). Non seulement Gluck réussit à y exprimer la sérénité et l'apaisement après le vacarme des Furies, mais la mélodie gracieuse et chantante des flûtes, à nouveau remplie d'appoggiatures languissantes, ajoute une élégance mélancolique à la scène. No. 9 Air et Chœur Cet asile aimable et tranquille (Euridice, Chœur) Un petit air de danse introduit l'arrivée d'Euridice, qui chante en dialoguant avec le chœur des Ombres des héros et des héroïnes, célébrant les beautés de leur séjour (♫ Piste 3, EURIDICE & CHŒUR, Cet asile aimable et tranquille). L'ambiance qui se dégage de la musique de Gluck est si parfaitement heureuse qu'on peut se demander si Euridice a vraiment envie qu'on la sorte de là! No. 10 Récit et Chœur Quel nouveau ciel pare ces lieux? (Orphée, Chœur) Orphée entre en scène et la réponse à notre question est toute trouvée. Comment dire non à l'émouvante prière d'Orphée (« Toi seule peux calmer le trouble de mon âme. »)? L'orchestre interprète un véritable poème symphonique, entrecoupé des commentaires d'Orphée (♫ Piste 2, ORPHÉE II, Quel nouveau ciel pare ces lieux?), où Gluck explore une forme nouvelle de déclamation chantée qui flotte avec une noble simplicité sur un accompagnement instrumental riche et évocateur (les flûtes imitant à la perfection des chants d'oiseaux...) 13 Poème symphonique: pièce pour orchestre qui raconte une histoire, ou qui décrit un paysage ou une ambiance en musique (p. ex. Ein Alpensymphonie de Richard Strauss, ou la Symphonie fantastique de Hector Berlioz) Le chœur accueille Orphée et lui annonce la présence d'Euridice. Il s'ensuit une troisième pantomime pendant laquelle Orphée cherche Euridice parmi les ombres heureuses. La musique est, dans les deux cas, à trois temps (3/4), une mesure que cette partition semble associer au bonheur (sans doute une référence codée à la trilogie des personnages Orphée-L'Amour-Euridice). Orphée supplie le chœur de lui rendre la beauté qu'il adore, et celui-ci, presque impatiemment, lui apprend que le destin répond à ses voeux, avant de reprendre le chœur du début de la scène, promettant à Euridice qu'elle retrouvera les bonheurs de l'Elysée auprès d'un si tendre époux. On met alors la main d'Euridice dans celle d'Orphée qui se dirige vers le fond du théâtre en détournant la tête. Acte quatrième No. 11 Scène et récit Viens, viens, Euridice, suis-moi! (Orphée, Euridice) Un court prélude instrumental agité nous met en présence d'Orphée et d'Euridice, enfin seuls. Euridice est d'abord au comble de la joie, mais l'agitation d'Orphée qui lâche un instant sa main, sème un doute dans son cœur (souligné par un passage de mode majeur en mineur, avec un bref et expressif arpège au violon) et son refus de la regarder la trouble infiniment. À la fin de leur duo, Euridice est passée de l'anxiété à la colère: « Ah! Cruel époux, laisse-moi! » Arpège: un accord où les notes sont jouées en succession rapide (comme lorsqu'on le joue sur les cordes d'une harpe) au lieu d'être jouées en même temps. No 12 Duo et air Viens! Suis un époux qui t'adore (Orphée, Euridice) C'est une querelle d'amants en bonne et due forme que Gluck nous offre à présent. Orphée fait tout son possible pour se maîtriser (« Non, je ne parlerai pas, Non, je ne parlerai pas! »), tandis qu'Euridice, accablée par son indifférence, renonce à suivre son époux. Mais le chant des amants est harmonisé à la Tierce: intervalle de trois tons tierce, le chiffre trois servant à nouveau de entre deux notes (p. ex. do et code pour signifier leur attachement mi, si bémol et ré dièse) amoureux malgré tout. 14 No. 13 Air Fortune ennemie (Euridice) Euridice, écrasée par l'apparente indifférence d'Orphée, se révolte et adresse un dernier adieu à son époux. L'orchestre frémit avec elle, avec des rythmes cassés et des trilles frissonnants. Trille: alternance rapide et répétée entre la note de base et la note juste au-dessus, donnant un effet ressemblant à certains chants d'oiseaux. No. 14 Scène et Air Je goûtais les charmes (Euridice, Orphée) Les époux sont tous deux au comble du malheur et l'expriment dans un duo. Euridice regrette de n'avoir été arrachée à un heureux oubli que pour être rejetée et Orphée ne peut expliquer les contraintes qu'il doit respecter. La musique ralentit pour signaler le point culminant du drame: Orphée ne peut plus résister aux pleurs d'Euridice, il se retourne et Euridice meurt en un soupir étonnamment discret et grave. Le chagrin d'Orphée éclate, alors que les cordes de l'orchestre sont secouées par des sanglots presque hystériques. No. 15 Air J'ai perdu mon Euridice (Orphée, L'Amour, Euridice) L'air le plus célèbre de l'opéra « J'ai perdu mon Euridice » est un autre tube de l'histoire de l'opéra, repris d'innombrables fois sur scène, en récital, en film... et parfois même parodié sur un ton grivois (qu'est-ce qui rime avec Euridice?). Conscient qu'une mélodie si facile à retenir peut facilement tomber dans le ridicule, Gluck disait lui-même qu'il « s'en faut de très peu pour transformer cet air en une rengaine de théâtre de marionnettes: une note tenue trop longtemps, ou pas assez, une maladresse de tempo ou de volume, une appoggiature ratée... ». La chanteuse (ou le chanteur, ici un baryton dans un arrangement de la version italienne ♫ Piste 8, Orfeo, Che farò senza Euridice) qui incarne Orphée doit donc savoir exprimer l'émotion sans exagération. Difficile quand il faut chanter « rien n'égale mon malheur » et « je succombe à ma douleur »... Bouleversé d'avoir perdu Euridice une deuxième fois, Orphée décide de se tuer pour la rejoindre dans la mort. Ce bref moment de décision (« Oui, je te suis, tendre objet de ma foi ») est l'un des plus magiques de l'opéra, illuminé par une orchestration d'une infinie tendresse. L'Amour reparaît et empêche Orphée d'accomplir son geste fatal. Touché par la constance et la foi d'Orphée, il ranime Euridice et réunit les deux époux. Le code numérique du bonheur amoureux apparaît à nouveau: L'Amour, Euridice et Orphée chantent un trio de réjouissance. 15 No. 16 Chœur final Le Dieu de Paphos et de Gnide On conduit Orphée et Euridice dans un lieu splendide, où ils retrouvent les nymphes et les bergers qui chantent un hymne à l'Amour (♫ Piste 9, CHŒUR, Le Dieu de Paphos et de Gnide), qui est la « signature » que Berlioz posa à la fin de son travail d'édition. En effet, Berlioz n'aimait le chœur final prévu par Gluck (dans sa version italienne: ♫ Piste 10, ORFEO, EURIDICE, AMORE & CORO, Trionfi Amore), à cause de sa forme un peu trop populaire de vaudeville. Il y substitua un chœur tiré d'une autre œuvre de Gluck, Écho et Narcisse, toujours en l'honneur du « dieu charmant », mais sans doute plus gracieux et d'un style plus conventionnellement « français ». Parfois, comme le disait Berlioz, lorsqu'il s'agit de l'opéra, « le despotisme est nécessaire ». Vaudeville: ici, finale d'un opéra ou d'une opérette où chaque personnage principal chante un couplet sur une mélodie plus ou moins semblable, dont les derniers vers sont repris en chœur par l'ensemble des interprètes. Orphée entouré des Esprits bienheureux Photo de la production de l'Opéra royal de Stockholm, mise en scène et chorégraphie de Mats Ek 16 Qui est Christoph Willibald Gluck? Christoph Willibald Gluck (1714-1787) Il fut l'initiateur d'une profonde réforme de l'opéra. À la charnière de l'ère baroque et de l'ère classique, il composa autour de 1760 des œuvres comme Orphée et Euridice et Iphigénie en Tauride qui posèrent des jalons pour un nouveau style, dont l'influence fut perceptible jusqu'à la deuxième moitié du XIXème siècle. Allemand de naissance, actif principalement à la cour impériale des Habsbourg à Vienne, mais également à Rome, à Londres et à Paris, Gluck fut non seulement le père de l'opéra moderne, mais sans doute aussi le premier compositeur véritablement européen. La jeunesse Né à Erasbach, en Bavière, fils d'un garde forestier au service de l'aristocratie autrichienne, le jeune Christoph Willibald grandit dans les forêts de Bohême, dans ce qui est actuellement la République Tchèque. Il a une jolie voix, on lui apprend le violon, mais on aimerait qu'il suive le métier paternel. La légende veut que Gluck fut contraint, pour continuer à étudier la musique à l'insu de son père, de choisir un instrument plus discret que le violon: la guimbarde! À l'âge de 25 ans, le jeune Gluck s'émancipe et part pour la capitale de la Bohême, Prague, en chantant et en jouant de la guimbarde pour gagner sa vie. À Prague, il fera des études universitaires, qu'il abandonnera, mais il prend goût à la vie musicale intense de la capitale bohémienne. Milan En 1737, Gluck se rend à Milan où il reçoit l'enseignement d'un compositeur de musique sacrée et instrumentale, Giovanni Battista Sammartini. Milan est déjà une capitale mondiale de l'opéra, et quelques années plus tard, en 1742, Gluck se lance: il fait jouer son premier opéra, Artaserse, pour l'ouverture du Carnaval. Le public apprécie: Gluck recevra commande pour des opéras pendant les quatre saisons de Carnaval consécutives. Bien que l'occasion ait été la saison joyeuse du Carnaval, ces premiers opéras sont d'un genre « sérieux », ou en italien opera seria. Le compositeur est obligé d'utiliser des livrets du poète officiel des opéras de l'époque, Pietro Trapassi dit Métastase. Le style monotone et prévisible de ces textes, leurs intrigues compliquées et barbantes ont certainement joué un rôle dans l'évolution du style de Gluck vers une musique moins artificielle. Il ne devait pas porter ces œuvres de jeunesse, exercices de style pour se faire une réputation, dans son cœur, car il ne subsiste aujourd'hui d'elles que quelques fragments. Londres et les pays du Nord En 1745, Gluck accepte de devenir le compositeur en résidence du King's Theatre de Londres pour une année. Il n'y produira que peu de musique, mais la séjour à Londres sera marquant car Gluck y rencontrera le grand compositeur allemand, naturalisé britannique, Georg Friedrich 17 Haendel, dont le style l'influencera fortement. Haendel, pour sa part, ne sera pas impressionné par son jeune compatriote: le chroniqueur Charles Burney rapporte que Haendel aurait dit de Gluck que « mein Kuisinier Waltz en sait plus sur le contrepoint que ce gaillard. » Autre moment important du séjour londonien de Gluck: sa rencontre avec le comédien et dramaturge anglais David Garrick, qui avait introduit au théâtre un style expressif, détendu et naturel, laissant de côté le jeu maniéré et grandiloquent du théâtre classique. Gluck quitte Londres en 1747 pour partir en tournée. À Dresde, un divertissement composé pour un mariage princier est applaudi et lui vaut une commande pour l'anniversaire de l'impératrice d'Autriche Marie-Thérèse. Le livret de Semiramide riconosciuta est (encore...) de Métastase et le vieux poète, dans ses appartements de Vienne, n'est pas du tout content de ce que Gluck a composé pour ses vers: « musique d'archivandale », peste-t-il! Mais le public adore: 27 représentations consécutives... Gluck continue ses voyages: en 1749, il est à Copenhague. En 1750, il revient à Prague, où il épouse l'héritière d'un riche marchand viennois, Maria Anna Bergin, ce qui lui assure une certaine stabilité financière. En 1752, il compose La Clemenza di Tito (sur un autre livret de Métastase, pour lequel Mozart écrira aussi son dernier opéra en 1791) qui est représenté à Naples. Sa musique très innovatrice provoque une certaine controverse mais force le respect des compositeurs napolitains. Vienne et la réforme Gluck s'installe enfin à Vienne en 1754, où il devient le compositeur officiel de la cour (Kapellmeister). Des divertissements lyriques comme Le Cinesi et La Danza lui permettent de tourner peu à peu le dos à l'opera seria. Son dernier opéra dans ce style, Antigono, sera joué à Rome en 1756 et le pape Benoît XIV le fera Chevalier de l'ordre de l'Éperon d'or. Gluck sera désormais connu comme le Chevalier Gluck, en allemand, Ritter von Gluck. En 1761, Gluck compose un ballet sur le sujet de Don Juan pour le maître de ballet Gasparo Angiolini. Gluck et Angiolini font partie d'un cercle d'artistes qui en ont assez des formes conventionnelles de l'opera seria et de son pendant comique, l'opera buffa. Devenues des caricatures d'elles-mêmes, elles ne les font plus rire ou pleurer et musicalement, elles s'épuisent dans les prouesses techniques des chanteurs. Gluck voudrait que l'opéra retrouve un équilibre dramatique entre le texte et la musique et qu'on y sente la passion et l'émotion qu'il avait senties à Londres en regardant Garrick jouer Shakespeare. Dans ce cercle, on retrouve l'intendant du théâtre de la cour, le comte Durazzo, fervent admirateur de la tragédie lyrique française. Le poète Raineri de' Calzabigi, qui en a assez du monopole de Métastase sur la scène et le chanteur Gaetano Guadagni, un castrat formé à Londres, complètent le groupe. Leur efforts combinés donneront, en 1762, Orfeo ed Euridice: produit par Durazzo, musique de Gluck, paroles de Calzabigi, chorégraphies d'Angiolini et avec Guadagni dans le rôle-titre. Suivront Alceste (1767) et Paride ed Elena (1771). Parmi les réformes qu'il introduit, Gluck abandonne le récitatif « sec » pour accompagner le récitatif par l'orchestre entier, plutôt qu'un simple continuo. Mais plus que tout, c'est le style dramatique coulé et continu de ces œuvres qui marquera l'histoire de la musique jusqu'à Richard Wagner et au-delà. Paris, Vienne et la fin Pendant son temps à la cour de Vienne, Gluck a eu comme élève de clavecin la plus jeune fille de l'impératrice, l'archiduchesse Marie-Antoinette. En 1770, celle-ci épouse le futur roi de France Louis XVI et, grâce à son influence, Gluck va signer un contrat pour créer six œuvres pour l'opéra de Paris. La première, Iphigénie en Aulide (1774) va susciter une controverse immense entre les partisans français de l'opera seria italienne, représentée par le compositeur napolitain Niccolò Piccinni, et les partisans de Gluck. La même année, il présente Orphée et Euridice, la voix de mezzo-soprano/castrat originale transposée pour un ténor très aigu. Le public parisien aime et 18 cela encourage Gluck à adapter aussi Alceste (1776). Il achève son carnet de commandes avec Armide (1777), Iphigénie en Tauride (1779) et Écho et Narcisse la même année. Mais le public se lasse de lui, Écho et Narcisse est un échec et Gluck subit le premier d'une série d'accidents cérébrovasculaires qui le paralyseront peu à peu. Il prend sa retraite à Vienne, compose encore quelques œuvres mineures, et en 1787, une dernière attaque d'apoplexie l'achève. Il laisse à la postérité 35 opéras complets, plusieurs ballets et pièces instrumentales. L'influence de ses réformes est présente chez Mozart (Idomeneo) et chez les compositeurs français de l'époque révolutionnaire et napoléonienne (Grétry, Méhul, Cherubini et Spontini). Mais le plus grand admirateur de Gluck reste Hector Berlioz, dont la grande fresque épique Les Troyens est le couronnement de la tradition initiée par Gluck, et à laquelle Berlioz rendit hommage en éditant et adaptant Orphée et Euridice en Orphée (1859). Et bien que Gluck n'ait écrit aucun opéra dans sa langue maternelle, il eut une influence décisive sur l'opéra allemand romantique, surtout Carl Maria von Weber et Richard Wagner, dont les conceptions musicales doivent beaucoup aux idées pionnières du Chevalier Gluck. Portrait de David Garrick, entre la Tragédie et la Comédie Sir Joshua Reynolds, 1767 Ce portrait allégorique du grand acteur anglais en dit long sur les dilemmes qui ont poussé Gluck à s'éloigner des formes grandiloquentes de l'opera seria (que la figure raide et maniérée de la Tragédie incarne ici à merveille) et à créer un style permettant l'expression naturelle des émotions. 19 Qui est Mats Ek? Mats Ek (né le 18 avril 1945) à Malmö (Suède) est l'une des figures les plus marquantes de la danse contemporaine. Directeur de la compagnie suédoise du ballet Cullbergbaletten entre 1985 et 1993, il est particulièrement connu pour avoir uni le travail du metteur en scène dramatique (théâtre et opéra) à son métier de danseur et de chorégraphe. Fils du comédien Anders Ek et de la danseuse et chorégraphe Birgit Cullberg, fondatrice de la compagnie de ballet du même nom, il a baigné dans l'univers de la danse et de la scène depuis son enfance. Danseur au corps de ballet du Deutschen Oper am Rhein de Düsseldorf entre 1975 et 1981, il réalise sa première chorégraphie The Officer's Servant pour le Ballet Cullberg en 1976. En 1981, il collabore comme danseur et chorégraphe au Nederlands Dans Theater. En 1985, il hérite de sa mère la direction du Ballet Cullberg, qu'il assurera jusqu'en 1993. Sa technique chorégraphique combine des éléments de danse classique et moderne où le mouvement est avant tout un moyen individuel d'expression. Pour Mats Ek, les traditions esthétiques, la technique et le formalisme classique jouent un rôle secondaire. Au niveau dramatique, il s'intéresse aux dilemmes psychologiques de la société contemporaine, en les traitant avec un humour délicat qui met en exergue le besoin d'un engagement social. À la tête du Ballet Cullberg, Mats Ek a chorégraphié plusieurs grand ballets classiques, comme Giselle (1982), Le Lac des Cygnes (1987) et Carmen (1992). Il y a réalisé d'autres pièces originales: dans Soweto (1977), il crée un rôle dansant pour sa mère âgée de 71 ans; et en 1978, il réalise sa première chorégraphie sur une œuvre théâtrale The House of Bernarda, basée sur La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca. Comme chorégraphe et metteur en scène indépendant, il réalise une Belle au bois dormant pour le Hamburg Ballet en 1996, et travaille à nouveau avec le Nederlands Dans Theater (A Sort Of, 1997). Il est également invité à l'Opéra de Paris pour faire danser la danseuse étoile Sylvie Guillem en 1995 (Smoke), et ensuite en 2000, il propose une pièce originale pour l'Opéra de Paris, Apartment. Il réalise des mises en scène de théâtre pour le Théâtre dramatique royal de Stockholm: Don Giovanni (1999) et Andromaque (2001). En 2004, il réalise sa première mise en scène d'opéra pour l'Opéra royal de Stockholm: c'est la production de Orphée et Eurydice que présente actuellement le Grand Théâtre de Genève. 20 Qui est Orphée? La Mort d'Orphée Jean Delville (1867-1953) Entre la légende et l'histoire, la figure d'Orphée est présente dès les origines de la culture grecque ancienne; elle a marqué la civilisation européenne et résonne encore aujourd'hui dans les mythes d'une culture globalisée et virtuelle. Le nom et les origines Les Grecs anciens lui prêtaient une origine semi-divine, mais de nombreux textes soutiennent son existence historique comme fils d'un roi de Thrace, dans le nord de la Grèce (la Macédoine actuelle). La première mention écrite d'Orphée tient en deux mots, du poète lyrique Ibycos (VIème siècle av. J.-C.): « Orphée, dont le nom est célèbre ». À l'époque classique, les Grecs considéraient qu'Orphée était le « père des chants » et celui qui découvrit le pouvoir transformateur de la poésie et de la musique sur l'âme humaine. Ce pouvoir fut rapidement étendu aux animaux et aux objets inanimés et Orphée assuma les caractéristiques d'un magicien ou d'un chamane, avec des dons mystiques. Outre la musique et les chants, il aurait appris aux êtres humains la médecine, l'écriture, l'agriculture, l'art de prédire l'avenir en lisant dans les astres. On lui attribua également l'origine des cultes mystiques d'Apollon et de Dionysos permettant d'accéder à l'au-delà, dans des rituels initiatiques que des découvertes archéologiques récentes ont permis de mieux connaître. La signification du nom d'Orphée est mystérieuse. Certains linguistes y voient une racine indo-européenne *orbhao- « être privé de, être séparé » (ce qui a donné le mot orphelin). Dans cette racine, on distingue aussi un autre élément sémantique *goao- « se lamenter, entonner un chant funèbre, prononcer un enchantement ». La connexion avec la mort, la magie et le monde des esprits serait donc contenue dans le nom de notre héros. L'adjectif qui en dérive, orphique, désigne ce qui est mystique, fascinant, enchanteur, en rapport avec les oracles. Le géographe grec Strabon (64 av. J.-C. - 24 ap. J.-C.) relate qu'Orphée était un simple mortel qui vécut toute sa vie dans un village sur les pentes du Mont Olympe où il pratiquait la magie pour 21 gagner sa vie. Il se fit un grand nombre de disciples et devint un personnage puissant, mais sa cupidité et ses escroqueries se retournèrent contre lui et il fut assassiné par ses propres élèves. Orphée et la mythologie Dans le récit où Orphée est le fils d'Œagre, roi de Thrace, et de la muse Calliope, le dieu Apollon donne à Orphée enfant une petite lyre et lui apprend à en jouer, alors que sa mère, patronne de la poésie épique, lui apprend à composer des vers. Dans l'histoire de Jason et la quête de la Toison d'Or, relatée par le poème épique Les Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, Orphée fait partie de l'équipage de l'Argo et sauve le navire d'un horrible naufrage sur les rochers des Sirènes, qui attirent les marins sur leurs dangereux récifs par des chants maléfiques, en chantant mieux et plus fort qu'elles. Nous connaissons désormais la descente d'Orphée aux Enfers pour en ramener sa femme Eurydice, sans regarder derrière lui. Ce type de récit fait partie d'un fonds commun de légendes et de contes dans toutes les cultures du monde. Au Japon, le dieu créateur mâle Izanagi doit descendre au séjour des morts chercher la divinité créatrice femelle Izanami, morte en couches, sans se retourner pour s'assurer qu'elle le suit. Diverses nations amérindiennes (les Mik'maqs, les Nez-Percés, les Mayas, les Innus, entre autres) racontent aussi l'histoire du Coyote, esprit trompeur et malin, qui va chercher sa compagne chez les morts sans la dévisager. Dans la Bible, l'injonction de ne pas regarder derrière soi se trouve dans l'histoire de fuite de Lot et la destruction de Sodome, au livre de la Genèse. C'est la femme de Lot qui ne maîtrise pas sa curiosité (ou son regret de laisser derrière elle les plaisirs de la ville) et qui est transformée en pilier de sel. On trouve également cette injonction dans certains folklores européens, comme dans le conte des frères Grimm, Hänsel et Gretel. La mort d'Orphée Selon les Métamorphoses du poète latin Ovide, après la perte définitive d'Eurydice, Orphée aurait renoncé pour toujours à l'amour d'une femme, préférant les garçons comme amants. Un jour, son chemin croisa celui des Ménades, les prêtresses itinérantes de Dionysos. Outrées du refus qu'Orphée opposait à leurs avances, et chauffées par le vin de leur dieu, les Ménades saisirent Orphée et déchirèrent son corps en morceaux de leurs propres mains. Cette scène orne d'ailleurs le grand escalier d'apparat, côté jardin, du Grand Théâtre, comme allégorie de la musique orphique (entendre, la tragédie lyrique) entourée de la musique militaire et de la musique sacrée. Un portrait en médaillon de Gluck se trouve juste au-dessus, à droite, comme pour signaler l'immense popularité que le public de l'époque (1879) accordait à la reconstitution de Orphée par Hector Berlioz. La tête d'Orphée, fixée à sa lyre, flotta sur les eaux d'une rivière, l'Hèbre, sans jamais cesser de chanter avec tristesse, jusqu'à atteindre la mer. Elles échouèrent sur les rives de l'île de Lesbos, où les habitants lui firent une sépulture et un sanctuaire dans une grotte, qu'on visite encore de nos jours. Les dieux se saisirent de la lyre et la fixèrent dans le firmament: c'est la constellation de la Lyre, dont l'une des étoiles, Véga, est l'une des plus brillantes du ciel. Les rites et les poèmes orphiques On mentionne dans l'histoire de la littérature grecque ancienne un certain nombre de poèmes religieux se réclamant de la tradition orphique. Très peu de ces textes sont arrivés jusqu'à nous intacts mais ils donnent une image intéressante du culte religieux qui était lié à la figure d'Orphée. En plus de compléter ce qu'on peut lire dans Hésiode et Homère au niveau des récits mythologiques, les fragments orphiques concernent des rituels de purification et d'initiation 22 que les textes contemporains ne décrivent pas toujours favorablement. Platon, dans sa République, décrit le culte orphique comme pratiqué par un clergé itinérant et mendiant, à la recherche de riches dévots cherchant à être purifiés et prônant un végétarisme strict (pas d'œufs ou de fèves) et l'abstention de relations sexuelles. La découverte en 1962, à Derveni dans la province grecque de Macédoine, d'un papyrus datant d'environ 350 av. J.-C., où figurent des vers orphiques et un long commentaire nous permettent de mieux comprendre la place et la fonction du culte orphique dans la religion et la philosophie de la Grèce ancienne. Voici deux extraits du papyrus orphique de Derveni, le premier décrit un rituel de descente dans le monde des morts, simulant celui d'Orphée. Le deuxième est une vision poétique de la création de l'Univers sous la force de l'Amour. Εὑρήσεις δ' Ἀίδαο δόµων ἐπ' ἀριστερὰ κρήνην, παρ' δ' αὐτῇ λευκὴν ἑστηκυῖαν κυπάρισσον· ταύτης τῆς κρήνης µηδὲ σχεδὸν ἐµπελάσειας. Εὑρήσεις δ' ἑτέρας τῆς Μνηµοσύνης ἀπὸ λίµνης ψυχρὸν ὕδωρ προρέον· φύλακες δ' ἐπίπροσθεν ἔασιν. Εἰπεῖν· γῆς παῖς εἰµι καὶ οὐρανοῦ ἀστερόεντος, αὐτὰρ ἐµοὶ γένος οὐράνιον· τόδε δ΄ ἴστε καὶ αὐτοί· δίψῃ δ΄ εἰµ(ὶ) αὔη καὶ ἀπόλλυµαι· ἀλλὰ δότ΄ αἶψα ψυχρὸν ὕδωρ προρέον τῆς Μνηµοσύνης ἀπὸ λίµνης. καὐτοί σοι δώσουσι πιεῖν θείης ἀπὸ κρήνης καὶ τότ΄ ἔπειτ΄ ἄλλοισι µεθ΄ ἡρώεσσι ἀνάξεις. Θεὸς ἐγένου ἐξ ἀνθρώπου Et tu trouveras dans le palais de Hadès, à gauche une source, à côté de laquelle se dresse un cyprès blanc, mais ne t'approche pas de cette source. Tu en trouveras une autre, à côté du lac de Mémoire, dont coule une eau froide. Χάος ἦν καὶ Νὺξ Ἔρεβός τε µέλαν πρῶτον καὶ Τάρταρος εὐρύς͵ Γῆ δ΄ οὐδ΄ Ἀὴρ οὐδ΄ Οὐρανὸς ἦν· Le Chaos était, avec la Nuit et le noir Érèbe, au commencement et le vaste Tartare. Ni la Terre, ni l'Air, ni le Ciel n'existaient. Ἐρέβους δ΄ ἐν ἀπείροσι κόλποις τίκτει πρώτιστον ὑπηνέµιον Νὺξ ἡ µελανόπτερος ὠιόν͵ ἐξ οὖ περιτελλοµέναις ὥραις ἔβλαστεν Ἔρως ὁ ποθεινός στίλβων νῶτον πτερύγοιν χρυσαῖν͵ εἰκὼς ἀνεµώκεσι δίναις. Dire: « enfant de la terre je suis et du ciel rempli d'étoiles, cependant j'ai des origines célestes; mais cela vous le savez déjà; j'ai grand soif et suis près de mourir; mais donnez vite l'eau froide du lac de Mémoire. » Et ceux-ci te donneront à boire de la source divine et alors tu prendras place avec les autres héros. Et, d'être humain, tu es devenu un dieu. Et dans le sein sans limites de l'Érèbe, la Nuit aux ailes noires pondit d'abord un œuf sans germe, duquel émergea, après un long laps de temps, l'Amour tant aimé, aux ailes d'or brillantes dans le dos, étant comme les tourbillons des vents. οὗτος δὲ Χάει πτερόεντι µιγεὶς νυχίωι κατὰ Τάρταρον Et l'Amour s'accoupla avec les Chaos aux ailes sombres dans le vaste Tartare et il fit éclore εὐρύν ἐνεόττευσεν γένος ἡµέτερον καὶ πρῶτον ἀνήγαγεν εἰς φῶς. notre race et l'amena en premier à la lumière. πρότερον δ΄ οὐκ ἦν γένος ἀθανάτων͵ πρὶν Ἔρως La race des immortels n'existait pas en ξυνέµειξεν ἅπαντα· ξυµµειγνυµένων δ΄ ἑτέρων premier, avant que l'Amour ne brasse tout ἑτέροις γένετ΄ Οὐρανὸς Ὠκεανός τε καὶ Γῆ πάντων τε ensemble. En brassant le différent avec le θεῶν µακάρων γένος ἄφθιτον. différent naquirent le Ciel, l'Océan et la Terre, et la race immortelle des dieux bienheureux. Traduction: Christopher Park 23 La Mort d'Orphée, ou La Musique orphique Tableau de Léon Gaud (1879) dans le grand escalier (jardin) du Grand Théâtre de Genève. Photo: GTG, Anne Zendali 24 La mort d'Orphée, racontée par Ovide (Les Métamorphoses, livre XI, 1-53) Carmine dum tali silvas animosque ferarum Threicius vates et saxa sequentia ducit, ecce nurus Ciconum tectae lymphata ferinis pectora velleribus tumuli de vertice cernunt Orphea percussis sociantem carmina nervis. e quibus una leves iactato crine per auras, 'en,' ait 'en, hic est nostri contemptor!' et hastam vatis Apollinei vocalia misit in ora, quae foliis praesuta notam sine vulnere fecit; alterius telum lapis est, qui missus in ipso aere concentu victus vocisque lyraeque est ac veluti supplex pro tam furialibus ausis ante pedes iacuit. sed enim temeraria crescunt bella modusque abiit insanaque regnat Erinys; cunctaque tela forent cantu mollita, sed ingens clamor et infracto Berecyntia tibia cornu tympanaque et plausus et Bacchei ululatus obstrepuere sono citharae, tum denique saxa non exauditi rubuerunt sanguine vatis. ac primum attonitas etiamnum voce canentis innumeras volucres anguesque agmenque ferarum maenades Orphei titulum rapuere triumphi; inde cruentatis vertuntur in Orphea dextris (...) hae glaebas, illae direptos arbore ramos, pars torquent silices; neu desint tela furori, forte boves presso subigebant vomere terram, nec procul hinc multo fructum sudore parantes dura lacertosi fodiebant arva coloni, agmine qui viso fugiunt operisque relinquunt arma sui, vacuosque iacent dispersa per agros sarculaque rastrique graves longique ligones; quae postquam rapuere ferae cornuque minaces divulsere boves, ad vatis fata recurrunt tendentemque manus et in illo tempore primum inrita dicentem nec quicquam voce moventem sacrilegae perimunt, perque os, pro Iuppiter! illud auditum saxis intellectumque ferarum sensibus in ventos anima exhalata recessit. Te maestae volucres, Orpheu, te turba ferarum, te rigidi silices, te carmina saepe secutae fleverunt silvae, positis te frondibus arbor tonsa comas luxit; lacrimis quoque flumina dicunt increvisse suis, obstrusaque carbasa pullo naides et dryades passosque habuere capillos. membra iacent diversa locis, caput, Hebre, lyramque excipis: et (mirum!) medio dum labitur amne, flebile nescio quid queritur lyra, flebile lingua murmurat exanimis, respondent flebile ripae. Tandis que, par ses accents, le chantre de Thrace entraîne sur ses pas les forêts, les bêtes féroces et les rochers émus, voici que, du haut d’une colline, les bacchantes furieuses, au sein couvert de sanglantes dépouilles, aperçoivent Orphée qui marie ses chants aux accords de sa lyre. L'une d’elles, les cheveux épars et flottant dans les airs : « Le voilà, s’écrie-t-elle, le voilà, celui qui nous méprise » ; et elle frappe de son thyrse la bouche harmonieuse du prêtre d’Apollon. Le trait enveloppé de feuillage laisse sans blesser une empreinte légère. Une autre s’arme d’un caillou qui, lancé dans les airs, est vaincu par les accords de la lyre et des chants, et comme pour implorer le pardon d’une si criminelle audace, vient tomber suppliant aux pieds du poète. La fureur des Ménades s’en accroît : elles ne connaissent plus de bornes : l’aveugle Erinys les possède ; les chants divins auraient émoussé tous leurs traits ; mais une horrible clameur s’élève, la flûte de Phrygie, les timbales, le bruit des mains frappées,les hurlements des bacchantes étouffent de leurs sons discordants les sons harmonieux de la lyre : alors seulement les rochers se teignirent du sang du chantre dont ils n’entendaient plus la voix. Les innombrables oiseaux, les serpents, les bêtes féroces qu’avait attirés la lyre, et qui semblaient être encore sous le charme de la voix d’Orphée, la troupe furieuse des Ménades les disperse. Puis elles tournent contre le chantre leurs mains criminelles. (...) Celles-ci s’arment de glèbes ; celles-là, de branches arrachées : d’autres lancent d’énormes cailloux. Tout sert d’arme à leur fureur. Non loin de là des bœufs traçaient avec le soc des sillons dans la plaine, et de robustes laboureurs confiaient à la terre l’espoir de la moisson et le prix de leurs sueurs. A la vue de la troupe furieuse, ils s’enfuient, abandonnant les instruments de leur travail ; de tous côtés demeurent dispersés dans les champs et les sarcloirs, et les longs hoyaux, et les râteaux pesants. Les bacchantes s’en emparent, arrachent jusqu’aux cornes des bœufs, et retournent, en furie, achever les destins du chantre de la Thrace. Il leur tendait ses mains suppliantes, et sa voix, pour la première fois impuissante, leur adressait des prières inutiles. Leurs mains sacrilèges lui donnent la mort, et cette bouche, ô Jupiter ! cette bouche dont les accents s’étaient fait entendre des rochers, et avaient ému les monstres des forêts, laisse passer son âme qui s’exhale dans les airs. Les oiseaux attristés, Orphée, les bêtes féroces, les durs rochers, les forêts, si souvent entraînées par tes chants, te pleurèrent ; les arbres dépouillèrent leur feuillage, et on dit que les fleuves s’accrurent de leurs larmes. Les Naïades, les Dryades se couvrirent de voiles funèbres, et laissèrent flotter leurs cheveux en signe de douleur. Les membres d’Orphée sont dispersés en divers lieux. Hèbre glacé, tu reçois sa tête et sa lyre, et, ô prodige ! tandis que le fleuve les entraîne, sa lyre fait entendre des plaintes, sa langue inanimée en murmure, et les échos du rivage y répondent. Traduction: Puget, Guiard, Chevriau et Fouquer (1876) sur Wikisource 25 Orphée, deux mille ans d'histoire Galerie de portraits AD 250: Orphée aux catacombes Fresque représentant le Bon Pasteur en Orphée, catacombe des Saints-Pierre-et-Marcellin (Rome) Les premiers chrétiens de l'empire romain faisaient naturellement un parallèle entre la figure d'Orphée et celle du Christ. La parabole chrétienne du Bon Pasteur (« Je connais mes brebis et elles me connaissent », Jean 10, 4) reflète le mythe d'Orphée qui attirait les animaux sauvages par son chant. La descente du Christ aux Enfers après sa mort pour libérer les âmes des justes devait aussi sembler familière pour les adeptes des rituels orphiques. AD 1330: Sir Orfeo and Heurodis Le poème médiéval anglais Sir Orfeo fut écrit vers 1330. Il reprend l'histoire d'Orphée et Eurydice, en y ajouant des éléments de merveilleux typiques de la tradition celtique. Le Roi des Fées enlève Heurodis (Eurydice) et l'emmène dans son royaume enchanté. Après maintes aventures, Orfeo ramène sa dame dans le monde des humains. Ci-contre le texte du manuscrit Auchinleck de Sir Orfeo, conservé à la Bibliothèque nationale d'Écosse (la transcription est celle de la reproduction en regard). And when he hadde bihold this mervails alle He went in to the kinges halle; Than seise he ther a semly sicht, A tabernacle blisseful and bright, Therin her maister king sete And her quen fair and swete; Her crounes, her clothes schine so bright That unnethe bihold he hem might. When he hadde biholden al that thing, He kneled adoun bifor the king. «O lord,» he seyd, «if it thi wille were, Mi menstraci thou schust yhere.» The king answerd: «What man artow That art hider ycomen now? Ich, no non that is with me, No sent never after the. Seththen that ich here regni gan, Y no fond never so folehardi man That hider to ous durst wende Bot that ichim wald ofsende.» «Lord,» quath he, «trowe ful wel, Y nam bot a pover menstrel, And, sir, it is the maner of ous To seche mani a lordes hous; Thei we nought welcom no be, Thete we mot proferi forth our gle.» Et lorsqu'(Orfeo) eut contemplé ces merveilles Il entra dans la grande salle du Roi, Là il vit un spectacle magnifique, Un tabernacle brillant et merveilleux, Dans lequel siégeait le Roi son maître, Et sa Reine douce et belle; Sa couronne, ses vêtements brillaient si fort Qu'il pouvait à peine les regarder. Et lorsqu'il eut fini d'admirer tout cela, Il s'agenouilla devant le Roi: « Monseigneur, dit-il, si tel est votre plaisir, Je vous montrerai ici mon talent de musicien. » Le Roi répondit. « Quel homme es-tu, Pour être venu maintenant jusqu'ici? Ni moi, ni personne de mon entourage, Ne t'a fait venir auprès de nous. Depuis que je règne dans ce pays, Je n'ai jamais connu un homme si téméraire Qu'il vienne nous rejoindre ici, À moins que je ne l'ai appelé exprès. » « Monseigneur, répondit-il, sachez bien, Que je ne suis qu'un pauvre ménestrel Et, Sire, c'est notre coutume De nous rendre dans maintes maisons de nobles, Bien que nous n'y ayons pas été invités, Pour y faire preuve de notre talent de musicien. » Traduction: Christopher Park 26 AD 1607: La Favola d'Orfeo Crée en 1607 comme divertissement pour la cour ducale de Mantoue, en Italie, L'Orfeo de Claudio Monteverdi n'est peutêtre pas le premier opéra de l'histoire de la musique, mais c'est certainement la première œuvre lyrique à avoir été reconnue comme représentant un nouveau genre musical: une pièce dramatique chantée du début jusqu'à la fin, alternant chœurs, danses, déclamations chantées et passages expressifs (« lyriques »), accompagnée par un riche parterre d'instruments. Frontispice de la première partition imprimée de L'Orfeo de Monteverdi L'opéra commence par un prologue où la Musique se vante des prodiges dont elle est capable et propose au public d'entendre l'histoire d'Orphée « qui soumit l'Enfer à ses prières ». Peut-on imaginer un sujet mieux choisi pour inaugurer le genre musical de l'opéra? AD 1791: L'Âme du philosophe L'anima del filosofo, ossia Orfeo ed Euridice (L'Âme du philosophe, ou Orphée et Eurydice), Hob. 28/13, est un opéra en quatre actes, le dernier que composa Joseph Haydn (1735-1809) et qui ne fut jamais représenté de son vivant. Haydn, comme Gluck, fit un séjour à Londres qui s'avéra prolifique (il y composa plusieurs symphonies célèbres) et profitable. Il y reçut la commande pour un opéra destiné au King's Theatre, mais une dispute à son sujet entre le roi George III et le Prince de Galles donna lieu à des intrigues qui arrêtèrent la production. La première représentation de cet opéra, L'anima del filosofo, n'eut lieu qu'en 1956! Affiche d'une production australienne contemporaine de L'Anima del filosofo 27 AD 1858: « Une parodie grotesque et grossière » Orphée aux Enfers est une opérette, probablement la première œuvre dans ce genre, composée en 1858 par Jacques Offenbach . Déjà rompu à la composition de « bouffonneries » musicales, Orphée aux enfers fut la première occasion pour Offenbach d'utiliser la mythologie grecque comme canevas pour une de ses œuvres. Parodie impertinente de l'Orphée de Gluck (remise au goût du jour par Berlioz), l'opérette se moque du style démodé et pompeux de la ComédieFrançaise, des mœurs parisiennes décadentes sous le Second Empire et fait scandale en introduisant un « galop infernal » aux limites de la décence! Émile Zola, dans son roman Nana fait écho à l'opinion scandalisée en décrivant ainsi la première d'une opérette intitulée La blonde Vénus, qui ressemble très fortement à Orphée aux Enfers : « Ce carnaval des dieux, l'Olympe traîné dans la boue, toute une religion, toute une poésie bafouée, semblèrent un régal exquis. La fièvre de l'irrévérence gagnait le monde lettré des premières représentations; on piétinait sur la légende, on cassait les antiques images. [...] Depuis longtemps, au théâtre, le public ne s'était vautré dans de la bêtise plus irrespectueuse. Cela le reposait. » AD 1957: Orphée sur Broadway La Descente d'Orphée (Orpheus Descending) est une pièce de théâtre du dramaturge américain Tennessee Williams ( le célèbre auteur de Un tramway nommé Désir, Chatte sur un toit brûlant et La Ménagerie de verre), créée sur Broadway en 1957. La pièce ne tint l'affiche que peu de temps et ne connut qu'un succès modeste. Couverture d'Orpheus Descending (1957) Au sujet de sa pièce, Williams écrivit: « C'est l'histoire de Val, un garçon au caractère rebelle qui fait irruption dans une petite ville conservatrice du Sud des Étas-Unis et qui fait l'effet d'un renard dans un poulailler. Val représente Orphée, les forces de l'énergie érotique enfouies sous les compromis et le traintrain quotidien, qui ont le pouvoir tragique de renouveler la vie. » 28 AD 1959: Orphée dans les favelas Orfeu Negro ( « Orphée noir ») est un film tourné au Brésil en 1959 par le réalisateur français Marcel Camus, basé sur la pièce de théâtre brésilienne Orfeu da Conceição par Vinicius de Morães. C'est une adaptation de la légende d'Orphée et d'Eurydice au contexte d'un bidonville de Rio de Janeiro (Morro da Babilônia) pendant le Carnaval. Euridice (Marpessa Dawn) et Orfeu (Breno Mello) dans Orfeu Negro Le film est surtout connu pour avoir révélé dans sa bande-son deux compositeurs brésiliens: Antônio Carlos Jobim, dont la chanson A felicidade est le générique du film, et Luiz Bonfá, qui composa pour le film Manhã de Carnaval et Samba do Orfeu, devenus depuis des classiques de la bossa nova et du jazz. Orfeu Negro gagne la Palme d'Or au festival de Cannes en 1959 et l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 1960. AD 1975: Orphée en manga bishonen La Fenêtre d'Orphée (オルフェウスの窓 Orufeusu no mado) est un manga en 18 volumes par la bédéiste japonaise Riyoko Ikeda, publiée entre 1975 et 1981 par les éditions Shueisha. Dans la tradition du genre historicoromantique bishonen (« beaux jeunes hommes ») de la première époque des mangas contemporains, La Fenêtre d'Orphée fait usage de l'ambiguïté sexuelle et de l'homoérotisme pour pimenter son intrigue. L'histoire se passe en 1903 dans un conservatoire de musique à Ratisbonne, en Allemagne. Les pensionnaires du Conservatoire SaintSébastien, un institut de musique catholique privé, racontent qu'il existe dans une des tours de leur école une fenêtre, dite « la fenêtre d'Orphée ». Celui qui apercevra une jolie fille au travers de cette fenêtre en tombera immédiatement amoureux et cet amour sera destiné à une fin tragique, comme celui d'Orphée et Eurydice. Klaus et Isaac, deux étudiants du conservatoire, regardent par la fenêtre et aperçoivent Julius, un de leurs camarades. Ils en tombent amoureux, ce qui va causer une suite de péripéties romantiques compliquées, basées sur le fait que Julius est en réalité une fille qui a été élevée en habits d'homme afin de pouvoir entrer au conservatoire. 29 AD 1991: Orphée en anime science-fiction Saint Seiya (聖闘士星矢) est un manga de Masami Kurumada, en 28 volumes, publiés entre 1986 et 1991, dont les trois premiers chapitres ont été adaptés en anime par les studios Tōei Animation, et diffusés dans le monde francophone sous le titre Les Chevaliers du Zodiaque. Les guerriers mystiques, les « Saints » (ou « Chevaliers ») équipés d'armures sacrées (ou cloths), portant les emblèmes de leurs constellations, ont juré de défendre la réincarnation de la déesse Athéna qui défend la Terre contre la domination des autres dieux de l'Olympe. Orphée (琴座の オルフェ Raira no Orufe) est Chevalier d'argent de la Lyre. De par ses compétences au combat et sa maîtrise du cosmos, il est l'égal du grade supérieur des Chevaliers d'or. Son cloth porte l'emblème de la Lyre, à la fois symbole de son pouvoir et de la constellation qu'il représente. AD 2010: Orphée dans les décombres du 11 septembre Le film Remember Me (2010) du réalisateur étasunien Allen Coulter, avec Robert Pattinson, Emilie de Ravin et Pierce Brosnan, reprend plusieurs éléments du mythe d'Orphée sur un fond de drame romantique typiquement hollywoodien. Tyler (Robert Pattinson), 21 ans, n'accepte pas le suicide de son frère Michael et gaspille ses talents musicaux et littéraires en errant dans une sorte de désert personnel. Il joue de la guitare en dilettante, fréquente sans assiduité les cours de l'université, tombe amoureux d'une fille dont il devra se séparer et finit par connaître une mort violente et prématurée dans les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York. La seule trace qui restera de lui sera son journal intime qui s'effeuille dans les ruines du World Trade Center, comme la tête d'Orphée continue à chanter après avoir été arrachée par les Ménades. 30 CD d'accompagnement Orphée et Eurydice 1. Orphée I Gluck à l'ancienne: air de bravoure Amour viens rendre à mon âme 2. Orphée II Gluck innovateur: la « noble simplicité » Quel nouveau ciel pare ces lieux? 3. Euridice (& Chœur) Cet asile aimable et tranquille 4. L'Amour Soumis au silence 5. Chœur des Furies (Extrait proposé pour l'Atelier Formation Voix) Quel est l'audacieux? Ballet/Instrumental 6. Danse des Furies 7. Ballet des ombres heureuses Pour les gourmets 8 Orphée baryton Che farò senza Euridice Êtes vous plutôt Paris 1859 ou Vienne 1762? Choisissez votre final préféré, Orphée ou Orfeo ed Euridice 9. Chœur final Orphée 1859 Le dieu de Paphos et de Gnide 10. Choeur final Orfeo ed Euridice 1762 Trionfi Amore Les extraits musicaux en accompagnement de ce dossier pédagogique sont extraits de l'enregistrement EMI Classics de Orphée et Euridice, réalisé en 1989 sous la direction de Sir John Eliot Gardiner, avec le Monteverdi Choir et l'orchestre de l'Opéra de Lyon: Anne Sofie von Otter (Orphée), Barbara Hendricks (Eurydice), Brigitte Fournier (L'Amour) ainsi que de l'enregistrement Deutsche Grammophon de Orfeo ed Euridice, réalisé en 1967 sous la direction de Karl Richter, avec le Münchener Bach-Chor et le Münchener Bach-Orchester, avec Dietrich Fischer-Dieskau (Orphée). 31 Textes des extraits musicaux d'Orphée 1. Orphée I Amour, viens rendre à mon âme Sa plus ardente flamme. Pour celle qui m'enflamme, Je vais braver le trépas. L'enfer en vain nous sépare. Les monstres du Tartare Ne m'épouvantent pas, Je sens croître ma flamme, Je vais braver le trépas. 2. Orphée II Quel nouveau ciel pare ces lieux? Un jour plus doux s'offre à mes yeux. Quels sons harmonieux! J'entends retentir ce bocage Du ramage des oiseaux, Du murmure des ruisseaux Et des soupirs de Zéphire. On goûte en ce séjour un éternel repos. Mais le calme qu'on y respire Ne saurait adoucir mes maux. 3. Euridice & Choeur Cet asile Aimable et tranquille Par le bonheur est habité. C'est le riant séjour de la félicité. Nul objet ici n'enflamme L'âme; Une douce ivresse Laisse Un calme heureux dans tous les sens Et la sombre tristesse Cesse Dans ces lieux innocents. 4. L'Amour Soumis au silence, Contrains ton désir, Fais-toi violence, Bientôt à ce prix Tes tourments vont finir. Tu sais qu'un amant Discret et fidèle, Muet et tremblant Auprès de sa belle En est plus touchant. 32 5. Chœur des Furies Quel est l'audacieux Qui dans ces sombres lieux Ose porter ses pas Et devant le trépas Ne frémit pas? 8. Orphée baryton Che farò senza Euridice? Dove andrò senza il mio ben? Che farò? Dove andrò? Come farò senza il mio ben? Euridice! O Dio! Rispondi! Io son pure il tuo fedele! Euridice! Ah! Non m'avanza Più soccorso, più speranza nè dal mondo, nè dal ciel. Que ferai-je sans Eurydice? Où irai-je sans mon trésor? Que ferai-je? Où irai-je? Que ferai-je sans mon trésor? Eurydice! Ô Dieu! Réponds! Je suis pourtant ton époux fidèle! Eurydice! Ah! Je ne trouverai Plus de secours ou d'espoir, Ni dans ce monde, ni dans les cieux. Version française originale (livret de Pierre-Louis Moline) J'ai perdu mon Euridice, Rien n'égale mon malheur; Sort cruel! quelle rigueur! Rien n'égale mon malheur! Je succombe à ma douleur! Euridice, Euridice, Réponds, quel supplice! Réponds-moi! C'est ton époux fidèle; Entends ma voix qui t'appelle. Euridice, Mortel silence! Vaine espérance! Quelle souffrance! Quel tourment déchire mon cœur! 9. Chœur final Orphée (1859) Le dieu de Paphos et de Gnide Anime seul tout l'Univers. Au haut des airs, Il atteint l'oiseau rapide; Il embrase la Néréide Jusque dans le sein des mers. Il embellit la jeunesse, Il réunit la grâce à la beauté; C'est lui qui pare la sagesse Des attraits de la volupté. C'est encore lui qui nous console, Lorsque nous perdons ses faveurs; Ce Dieu charmant, lorsqu'il s'envole, Nous laisse l'amitié pour essuyer nos pleurs. 33 10. Chœur final Orfeo ed Euridice ORFEO Trionfi Amore E il mondo intero Serva all'impero Della beltà. Di sua catena Talvolta amara Mai fu più cara La libertà. ORPHÉE L'amour triomphe Et tout ce qui respire Sert l'empire De la beauté; Sa chaîne est Parfois amère, Mais toujours préférable À la liberté. CORO Trionfi Amore, e il mondo intero, Serva all'impero della beltà! CHŒUR L'amour triomphe, Et le monde entier Sert l'empire De la beauté! AMORE Talor dispera, Talvolta affanna D'una tiranna, La crudeltà. Ma poi la pena Oblia l'amante Nel dolce istante Della pietà. L'AMOUR Dans les peines, Dans les alarmes Je fais souvent Languir les cœurs; Mais l'amant Oublie tout, Dans le doux instant De l'amour retrouvé. CORO Trionfi Amore, ecc. CHŒUR L'amour triomphe, etc. EURIDICE La gelosia Strugge e divora; Ma poi ristora La fedeltà. E quel sospetto Che il cor tormenta, Alfin diventa Felicità. EURIDICE La jalousie Détruit et dévore, Mais elle cède un jour À la fidélité. Et les soupçons, Qui tourmentent les cœurs, Deviennent enfin Le vrai bonheur. CORO Trionfi Amore, ecc. CHŒUR L'amour triomphe, etc. Traductions: Christopher Park 34