Orphée et Eurydice

Transcription

Orphée et Eurydice
Orphée et Eurydice
Tragédie (Drame-héroïque) en quatre actes
Musique de Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Version de Hector Berlioz (Orphée, 1859)
Livret de Pierre-Louis Moline
Créée à Vienne (version italienne, Orfeo ed Euridice), le 5 octobre 1762; puis à Paris
(version française, Orphée et Euridice), le 2 août 1774.
Première de Orphée: Paris, Théâtre-Lyrique, 18 novembre 1859.
Chantée en français
Fatigué des intrigues compliquées et de la virtuosité musicale
creuse des opéras de son époque, Gluck voulait réformer l’art
lyrique en y amenant une « noble simplicité », à la fois à la
musique et au drame. Presque cent ans plus tard, Berlioz,
convaincu d'y avoir découvert les racines de l’opéra moderne,
remania les diverses partitions laissées par Gluck en une
œuvre d’art totale aux frontières des genres lyrique, choral et
chorégraphique.
Les bergers et les nymphes entourent le tombeau où repose
Euridice, l’épouse bien-aimée d’Orphée. L'Amour apparaît
pour lui dire qu’il pourra chercher Euridice dans les Enfers et
la ramener sur terre, à condition de ne pas la regarder avant
qu’ils soient revenus chez les humains. L'espoir renaît dans
l'âme du chanteur, mais saura-t-il maîtriser ses émotions?
Les Jeunes au cœur du Grand Théâtre
Programme pédagogique, Grand Théâtre de Genève
avec le soutien de la fondation de bienfaisance de la Banque Pictet
et de la République et canton de Genève
Dossier pédagogique réalisé par Christopher Park
décembre 2010 – janvier 2011
NB: Ce dossier pédagogique vient soutenir le travail des enseignants et des élèves pendant les six
semaines de parcours pédagogique au Grand Théâtre. Il est compilé à partir d'éléments qui sont
soit du ressort des connaissances générales, soit fournis par les artistes impliqués dans la
production, soit du domaine public, soit dérivés de différents documents en copyleft ou du type
GNU Free Documentation Licence. Il est libre de droits d'auteur. Sa diffusion et sa lecture à des
fins didactiques ou de formation personnelle non lucratives sont encouragées, mais il n'est pas
destiné à servir d'ouvrage de référence pour des travaux de nature académique.
1
Table des matières
Introduction
p. 3
Les rôles et la distribution de la production au Grand Théâtre
p. 4
Le Mystère Orphée: trois personnages et leurs voix
p. 5
Ce qui se passe dans l'opéra: synthèse musicale et dramatique
p. 9
Qui est Christoph Willibald Gluck?
p. 17
Qui est Mats Ek?
p. 20
Qui est Orphée?
p. 21
Orphée, deux mille ans d'histoire: galerie de portraits
p. 26
CD d'accompagnement
p. 31
Textes des extraits musicaux d'Orphée
p. 32
Hors pagination
Extraits de la partition pour l'Atelier formation Voix
Questionnaires d'évaluation
2
Introduction
Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours pédagogique
proposé autour du programme de l’opéra Orphée et Eurydice, dans le cadre du programme « Les
jeunes au cœur du Grand Théâtre ».
Ce dossier, préparé à l’intention des enseignants du cycle d’orientation et du postobligatoire,
contient suffisamment d’informations pour leur permettre d’assurer une bonne préparation des
élèves au spectacle.
En amont du parcours pédagogique et du spectacle, nous demandons aux enseignants d'utiliser
ce dossier pour familiariser leur classe avec:
l’argument
les personnages et les voix
les moments-clé musicaux et dramatiques en lien avec ces voix (♫)
Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de plaisir pour
les élèves prenant part aux ateliers du programme et venant au Grand Théâtre pour assister à la
répétition générale de Orphée et Eurydice.
En fonction du niveau des élèves ou du temps à disposition pour aborder la matière, on pourra
choisir un ou plusieurs des éléments restants du dossier pour approfondir l'approche de la
production du Grand Théâtre par les élèves.
En annexe de ce dossier vous trouverez des questionnaires d’évaluation à votre intention ainsi
qu’à celle de vos élèves. Merci de bien vouloir les photocopier et en remettre un exemplaire à
chaque jeune ayant participé au parcours pédagogique, et de nous les renvoyer remplis
accompagnés du vôtre. Cela nous permettra d’évaluer l’intérêt et la pertinence de nos
propositions. Il sera également possible de nous déplacer dans les classes afin de renforcer le
travail préparatoire, ou de répondre aux questions des élèves dans leur établissement, à l’issue
du spectacle si l’enseignant le souhaite.
Nous vous remercions pour votre collaboration et vous souhaitons, à vos classes et à vousmêmes, un parcours pédagogique inoubliable au cœur du Grand Théâtre.
Les animateurs du programme pédagogique
Kathereen Abhervé
[email protected]
022 418 31 72
Christopher Park
[email protected]
022 418 31 88
3
Les rôles et la distribution de la production du Grand Théâtre
L'action se déroule à l'époque des mythes grecs anciens, au bord du Lac Averne, puis aux Enfers, puis à
nouveau sur terre.
Orphée
Annette Seiltgen
mezzo-soprano
Euridice
Svetlana Doneva
soprano
L'Amour
Clémence Tilquin
soprano
Chœur de bergers, de nymphes et de bergères, d'esprits
maléfiques et de Furies, d'ombres bienheureuses.
Production de l'Opéra royal de Stockholm
Orchestre de la Suisse Romande
Direction: Jonathan Darlington
Mise en scène: Mats Ek
Décors et costumes: Marie-Louise Ekman
Lumières: Erik Berglund
Chœur du Grand Théâtre
Direction: Ching-lien Wu
Ballet du Grand Théâtre
Direction: Philippe Cohen
Répétition générale: lundi 7 mars 2011, à 19h30; durée approximative 2h (en deux parties avec
un entracte)
4
Le mystère Orphée: trois personnages et leurs voix
La descente d'Orphée aux Enfers est l'un des plus connus des anciens mythes grecs; à la
base, juste une histoire d'amour et de mort. Le mythe d'Orphée représente la quête
humaine d'une puissance plus forte que la mort. Une quête à partir de laquelle les Grecs
anciens avaient développé une sorte de culte religieux, impliquant une initiation
complexe, les mystères orphiques.
Faire un opéra sur le thème d'Orphée, le « père des chants », semble être un travail de
rêve pour un compositeur, même si la fin désolante de l'histoire est sûre de plomber
l'ambiance.
Dans la version traditionnelle du mythe, la faute d'Orphée est définitive et Eurydice est
perdue à jamais. Mais l'opéra est né à une époque où l'art, la science et la philosophie
ont boosté l'optimisme, et où l'on n'a que faire des croyances lugubres des Anciens. Dès
1608, avec L'Orfeo de Monteverdi, on invente un happy end à l'histoire et le tour est joué!
Gluck ne sera pas en reste. Mais sa mathématique musicale ajoute un troisième
élément important au couple d'Orphée et Euridice: L'Amour. Sans la volonté de
L'Amour (et sa compassion finale), pas de fin heureuse pour les époux. On peut
s'imaginer que cette triangulation homme-femme-force de la vie a beaucoup de
résonances pour le siècle des Lumières et l'humanisme mystique de ce temps, dont les
francs-maçons sont un élément-clef.
Le triangle est l'un des signes les plus importants de la franc-maçonnerie. Il symbolise
la force transcendante à l'œuvre dans l'Univers, créatrice de la vie et de la raison. Qui
sont donc les trois pointes de ce triangle, les trois chiffres du code pour déchiffrer le
mystère orphique du Chevalier Gluck?
Gravure anglaise (1787) représentant un tablier, l'insigne du franc-maçon, au centre duquel se trouve le
triangle équilatéral, le symbole de la perfection divine à l'œuvre dans la vie.
5
Orphée
Le personnage
La quatrième ode pythienne de Pindare (522-443 av. J.-C.) parle du « fils d'Apollon, Orphée,
chantre divin, père de la poésie lyrique » mais d'autres sources disent qu'il fut le fils d'un roi
de Thrace. Les Grecs le vénéraient comme le premier et le plus grand des poètes et des
musiciens. Si Hermès inventa la lyre, Orphée en jouait comme nul autre: son chant et sa
musique attiraient les oiseaux, les poissons et les animaux sauvages, même les arbres et les
pierres bougeaient au son de sa lyre. Sa descente mystérieuse dans le Hadès, le séjour
souterrain des morts, pour ramener son épouse Eurydice, fait partie des voyages dans l'au-delà
communs aux mythes de toute l'humanité.
Amant malheureux, musicien et poète audacieux, grand-prêtre d'un culte mystérieux: Orphée
est la personnification de la volonté humaine de percer l'obscurité qui l'entoure par l'amour, la
musique et la spéculation mystique.
Le rôle, la chanteuse et sa voix
Le rôle d'Orphée fut écrit à l'origine pour Gaetano Guadagni, un castrat (un homme ayant subi
une castration pendant son enfance afin de conserver la voix claire et aigüe des jeunes garçons).
La première version française de l'opéra, réalisée par Gluck pour une production à Paris, mit en
scène un haute-contre (une voix masculine aussi très haute et légère, mais sans intervention
chirurgicale).
La coutume barbare de castrer les petits garçons pour cultiver leur voix est heureusement finie.
Mais qui chantera alors tous ces rôles masculins d'opéra, écrits pour des castrats? La solution la
plus fréquente est de demander à une mezzo-soprano (voix de femme entre l'aigu et le grave
dont la voix et le ton coïncident à peu près avec ceux des castrats) de chanter ces rôles en
travesti.
Lorsque Hector Berlioz adapta l'opéra en 1856, il le fit à la demande d'une célèbre chanteuse de
l'époque, Pauline Viardot qui participa activement au travail d'édition et qui fut la star de la
résurrection de l'opéra de Gluck qu'on avait un peu oublié.
Dans la production de l'Opéra royal de Stockholm reprise au Grand Théâtre, chorégraphiée et
mise en scène par Mats Ek, Orphée est représenté comme un homme veuf déjà âgé, au crâne
dégarni. On peut s'imaginer que la mort de son épouse n'est pas toute récente. Sa descente
malgré lui au séjour des morts renverse littéralement ses vieux jours...
C'est la mezzo-soprano allemande Annette Seiltgen qui chantera le rôle d'Orphée au Grand
Théâtre.
6
Euridice
Le personnage
Eurydice (du grec Εὐρυδίκη, Eurydíkē, « vaste justice », probablement le titre d'une divinité
ancienne de la vie après la mort) était, d'après les légendes, soit une nymphe des chênes, soit
une fille d'Apollon, le dieu de la lumière. Épouse bien-aimée d'Orphée, elle fut poursuivie un
jour par un satyre et, en s'enfuyant, mit le pied sur un nid de vipères qui la mordirent au talon
et elle mourut sur-le-champ. Orphée, inconsolable, se mit à la pleurer sur sa lyre et son chant
d'une infinie tristesse arriva aux oreilles des dieux qui l'autorisèrent à descendre aux Enfers pour
la ramener, à la condition qu'il marche devant elle et ne la regarde pas tant qu'ils ne seraient pas
de retour parmi les vivants. Vous connaissez la suite...
La légende d'Orphée remontant des Enfers et ne pouvant pas s'empêcher de regarder Eurydice
est relativement récente (on en trouve la première version dans les Géorgiques du poète latin
Virgile). Mais elle a inspiré quantité de peintres, de sculpteurs, de poètes, de philosophes et de
cinéastes...
Le rôle, la chanteuse et sa voix
L'orthographe correcte de son nom en français est « Eurydice », mais dans le livret de la version
de Paris (1774), repris par Hector Berlioz en 1859, le rôle est orthographié à l'italienne
« Euridice » et nous avons choisi de maintenir cette orthographe pour désigner le rôle de l'opéra
de Gluck.
Euridice ne chante pas beaucoup dans cet opéra. Elle a seulement deux airs en solo et le reste du
temps, chante quelques duos avec Orphée. Cela a certainement motivé Hector Berlioz à intituler
son édition de Gluck du seul nom de Orphée, puisque c'est lui le principal moteur du drame, et
qu'Euridice y joue un rôle presque accessoire.
Euridice est chantée par une soprano, la voix la plus aiguë des voix féminines, pour accentuer
son caractère de jeune épouse, innocente et émotive. Dans la mise en scène de Mats Ek, son
apparence est celle d'une femme sans âge, avec une longue chevelure blanche de vieille dame
mais la grâce et la délicatesse d'une jeune fille.
La soprano bulgare Svetlana Doneva chantera le rôle d'Euridice dans la production du Grand
Théâtre.
7
L'Amour
Le personnage
Les Grecs anciens croyaient que le Chaos qui précéda l'univers tel que nous le connaissons fut
éclaté et remis en ordre par l'Amour (Éros). L'Amour est donc la force créatrice de la matière, de la
vie, de l'esprit; mais sa personnification en un jeune garçon (voire, pour son identité latine de
Cupidon, en un petit enfant potelé et joufflu), portant des ailes, les yeux bandés (l'Amour est
aveugle) et décochant des flèches, peut surprendre. Les mythes grecs et les légendes romaines
abondent en histoires à son sujet: fils de Vénus, la déesse de la beauté, et de Mars, le dieu de la
guerre, « le Dieu de Paphos et de Gnide » agite autant les cœurs qu'il les réjouit.
Dans les versions traditionnelles de la légende d'Orphée, l'Amour n'intervient pas, en tout cas
pas personnellement. Le philosophe grec Platon, dans le discours de Phèdre du Banquet, suggère
même que le sentiment qui poussa Orphée à descendre aux Enfers n'était pas l'Amour, mais
l'orgueil. Si l'Amour avait motivé Orphée, il se serait tout de suite donné la mort, pour retrouver
son épouse. À cause de son orgueil, les dieux l'auraient puni en lui présentant, non pas
Eurydice, mais une apparition de celle-ci, pour le décevoir.
Le rôle, la chanteuse et sa voix
Dans l'opéra de Gluck, L'Amour est un deus ex machina. Il apparaît au moment où Orphée décide
de braver le trépas pour retrouver Euridice, lui révèle les conditions de sa périlleuse entreprise,
puis il disparaît. Il ne reparaît qu'au moment où tout va mal et qu'Orphée, désespéré, veut
mettre fin à ses jours. Et c'est l'Amour qui rendra Euridice, vivante, à son mari et les ramènera
tous les deux sur terre, par enchantement.
Pour le public de l'époque de Gluck, il va de soi que l'on ne peut représenter L'Amour autrement
que sous les traits d'un jeune garçon. Mais la partition prévoit, pour L'Amour, des interventions
qu'un jeune garçon ne pourrait pas chanter. Encore une fois, on a recours au travestissement:
une soprano, de préférence avec une voix claire et légère, mettra les ailes et enfilera le bandeau
de l'Amour...
Ou comme Mats Ek l'imagine, L'Amour, chanté ici par la soprano française Clémence Tilquin,
est plus que simplement aveugle, il est carrément immobilisé, emmailloté dans un cocon de
bandelettes, percé par ses propres flèches, incapable de se déplacer seul. Est-ce une manière de
dire que L'Amour est la force qui fait éclore un papillon alors que tout semble indiquer qu'il n'y a
plus d'espoir?
8
Ce qui se passe dans l'opéra
Synthèse musicale et dramatique
L'histoire, presque tout le monde la connaît et tout le monde la comprend. Ici,
ce qui se passe dans la musique est presque plus important que les détails de
l'intrigue. Voyons donc ce que les quinze numéros de la partition nous
racontent.
Ouverture
Lorsque Gluck atteindra sa maturité pour
devenir un compositeur célèbre, il mettra un
point d'honneur à écrire des ouvertures qui
prépareront psychologiquement son public au
genre de drame qui va se dérouler devant eux.
Dans Iphigénie en Tauride, par exemple, le
naufrage d'Oreste et Pylade sur les côtes
sauvages de Tauride est brillamment évoqué,
après quelques mesures d'une mélodie sereine
et tranquille, par un fracassant déchaînement
de percussions, de cordes affolées et d'un
tintamarre de cuivres.
Pour Orphée et Euridice, œuvre de jeunesse du
compositeur, Gluck propose une amusante
symphonie, joyeuse et sautillante, en do
majeur, absolument sans rapport avec les
scènes désolantes qui vont suivre. On pourrait
s'imaginer qu'il n'a écrit l'ouverture, que
Hector Berlioz appelait une « incroyable
inanité », que pour couvrir le brouhaha du
public qui s'installait en salle, les messieurs
expulsant leur dernière prise de tabac et les
dames finissant leurs derniers potins en
réarrangeant leurs jupons.
Ouverture: musique
exclusivement instrumentale
jouée avant le début d'un opéra,
ou plus rarement une pièce de
théâtre, une manifestation, etc
Do majeur: tonalité d'une
pièce de musique qui traduit un
effet de joie simple et directe.
Hector Berlioz: compositeur
français du XIXe siècle, fasciné
par la musique ancienne, qui
édita et fit représenter en 1859
Orphée et Euridice de Gluck, alors
que l'opéra était tombé dans
l'oubli depuis près de cent ans.
Acte premier
No. 1 Chœur Ah! Dans ce bois lugubre et sombre (Orphée, Chœur)
Un chœur de nymphes et de bergers nous plonge au cœur du drame. Euridice
a été mordue par un serpent, elle est morte et elle est descendue aux Enfers. Les
lamentations du chœur sont interrompus par la voix d'Orphée qui chante trois
fois le nom de sa bien-aimée, d'une voix si douloureuse que Gluck lui-même
disait qu'elle doit évoquer, « les cris qu'un chirurgien vous arrache quand il scie
un os ». Mais Orphée se ressaisit et reste digne dans son chagrin.
9
No. 2 Pantomime et chœur Ah! Dans ce bois lugubre et sombre (Orphée, Chœur)
La première de plusieurs pantomimes évoque
un cortège d'esprits qui vient rendre un
dernier hommage au tombeau d'Euridice. Le
caractère languissant de la musique en mode
mineur, remplie d'appoggiatures, nous
laisse imaginer que ce sont les Amours, venus
soupirer pour celle qui ne reviendra plus. La
pantomime se termine sur le mode majeur,
ce qui ne fait que rendre plus dramatique le
retour du chœur (Ah! Dans ce bois lugubre et
sombre) en mineur. Orphée reste silencieux, ce
qui permet au chœur de développer seul une
intervention dramatique.
Pantomime: intermède
narratif ou expressif dansé sur
une musique instrumentale.
Mineur: manière d'organiser la
gamme pour donner à la
musique un effet triste ou
mélancolique.
Appoggiature: notes très
courtes accentuant la longueur
de la note suivante.
Majeur: la gamme naturelle
(do-ré-mi...) est en mode
majeur, celui de la musique à
effet joyeux ou dynamique.
No. 3 Romance et récitatif Objet de mon amour (Orphée, L'Amour)
Orphée demande qu'on le laisse seul, pour
répandre ses pleurs. Une ritournelle rend
encore plus crédible le moment de douleur
solitaire du chanteur: il brise son silence en
appelant encore sa bien-aimée par son nom,
d'abord par un récitatif, ensuite par une
romance. L'orchestre dialogue avec Orphée:
lorsqu'il termine ses phrases, l'orchestre
répète ses dernières notes, créant un effet
d'écho, convention typique des compositeurs
baroques, que Gluck n'hésite pas à employer
ici pour souligner la solitude de son
personnage.
Mais soudain, Orphée s'irrite contre les
« divinités de l'Achéron... que n'attendrit
point la beauté, la jeunesse ». Les cordes de
l'orchestre soulignent sa colère par des
trémolos, alors qu'Orphée jure de « pénétrer
jusqu'au sombre rivage » pour ramener
Euridice.
10
Ritournelle: court refrain
instrumental pendant une
pièce chantée, peut être répétée
plusieurs fois.
Récitatif: à l'opéra, manière de
chanter qui suit le rythme de la
déclamation parlée, avec un
accompagnement instrumental
très simple, souvent utilisé
pour faire avancer l'action plus
rapidement.
Romance: chanson ou air
d'opéra en plusieurs couplets,
ici Objet de mon amour et Accablé de
regrets, le récitatif tenant lieu de
refrain.
Trémolo: groupe de plusieurs
notes rapprochées, chantées ou
jouées rapidement pour
produire un effet de
« tremblement ».
No. 4 Ariette Si les doux accords de ta lyre (L'Amour, Orphée)
C'est alors qu'apparaît le dieu de l'Amour, qui
apprend à Orphée que les dieux sont touchés
par sa tristesse et qu'ils l'autorisent à
descendre aux Enfers pour accomplir son
vœu. L'Amour chante une ariette où il
explique à Orphée qu'il devra compter sur la
musique de sa lyre pour charmer les terribles
gardiens de l'empire des ombres. Orphée,
dans sa joie, interrompt l'Amour, mais celuici, a cappella (ce qui avertit le public qu'une
information importante est en train d'être
donnée!), prévient Orphée qu'il devra suivre
des consignes très strictes. L'Amour reprend
son ariette (soutenue à nouveau par de longs
accords sur les cordes) pour expliquer la
volonté des dieux: « Sur cette amante adorée,
Garde toi de porter un regard curieux, Ou de
toi pour jamais, tu la vois séparée. »
Ariette: version plus courte
d'un air, avec un
accompagnement musical
allégé.
A cappella: chanté sans
accompagnement
instrumental.
No. 5 Air Soumis au silence (L'Amour)
Maintenant que la mission d'Orphée est
clairement annoncée, l'Amour se permet de
lui donner un bon conseil: « Contrains ton
désir, Fais-toi violence... » sous la forme d'un
air gracieux (♫ Piste 4, L'AMOUR Soumis au
silence), avec les cordes en pizzicato, un
hautbois et un basson, qui évoquent le retour
aux plaisirs simples des bois et des champs
qu'Orphée partageait autrefois avec Euridice
et qui sont de nouveau à sa portée... ou pas.
Pizzicato: manière de jouer les
instruments à cordes (violons,
altos, etc.) sans l'archet, en
pinçant les cordes avec les
doigts.
No. 6 Récitatif et air Qu'entends-je? Qu'a-t-il dit? (Orphée)
L'Amour disparaît et Orphée se résout, malgré
son manque de confiance en soi et ses
craintes, à accepter la loi des dieux. Sa
décision est prise en mode récitatif, sur un
tempo mesuré, décidé, sur un
accompagnement aux harmonies plus
intenses, annonçant un approfondissement
des émotions. Orphée se lance alors dans un
11
air de bravoure (♫ Piste 1, ORPHÉE I,
Amour, viens rendre à mon âme). Hector Berlioz,
le puriste qui pestait à toute occasion contre
les fioritures inutiles, a pourtant ajouté à cet
air des vocalises triomphantes et les
cadences vertigineuses pour la cantatrice
Pauline Viardot. Grâce cet air, l'Orphée de
Berlioz fit salle comble pendant 138
représentations consécutives; le public ne se
lassant pas d'entendre la Viardot se lâcher!
Air de bravoure: air destiné à
la fois à mettre en valeur les
talents vocaux et la technique
de l'interprète, ainsi qu'à
souligner des traits de caractère
du personnage (ici, l'héroïsme
d'Orphée).
Vocalise: une ou plusieurs
mesures de chant, chantées sur
une seule voyelle, sans
consonne (« Pour ce-e-e-e-lle
qui m'enfl-a-a-a-a-mme »)
Cadence: Entre l'avant-dernier
accord et le dernier accord d'un
air, partie chantée sans
accompagnement, où
l'interprète réalise un bref solo
virtuose, souvent improvisé.
Acte deuxième
No. 7 Scène, chœur et air Quel est l'audacieux? (Chœur, Orphée)
Calzabigi, le librettiste de la première version
(1762, en italien) de l'opéra, avait demandé à
Gluck une « orribile sinfonia » pour l'arrivée
d'Orphée aux portes des Enfers. Gluck avait
composé l'année précédente un ballet sur le
thème de Don Juan et avait donc déjà en
boutique tout ce qu'il fallait pour une scène
infernale!
Orphée se met à préluder sur sa lyre (une
harpe et des cordes « sur le théâtre ») mais les
Ombres maudites et les Furies qui gardent le
lieu l'interrompent avec leurs aboiements
sauvages (remarquer la prosodie anormale
d'audacieux, en 4 syllabes au lieu de 3,
♫ Piste 5, CHŒUR, Quel est l'audacieux?). La
deuxième pantomime (dite, des Furies) entoure
Orphée d'une ronde effrayante et sert de
prélude à une deuxième version, plus
développée, de leur tirade.
Orphée essaie une deuxième fois de
convaincre les Esprits infernaux, mais ceux-ci
répètent inlassablement leurs « Non! », placés
12
En italien: symphonie horrible
À la fin de l'histoire de Don
Juan, le séducteur est entraîné
en Enfer pour ses crimes et son
absence de repentir.
Prosodie: la manière dont les
mots sont prononcés (le nombre
de syllabes, les voyelles ou les
consonnes muettes, les
liaisons, etc.),
particulièrement en poésie
mesurée.
de manière très adroite par Gluck pour
maximiser, par la surprise, l'effet dramatique
de l'interruption. Le chœur et Orphée
continuent à dialoguer; peu à peu les Esprits
se calment et reprennent leur pantomime
furieuse (♫ Piste 6, Danse des Furies 2),
mais laissent Orphée entrer dans le séjour des
morts.
Acte troisième
No. 8 Pantomime
Nous sommes aux Champs-Elysées, le séjour des Ombres heureuses. Le ballet
(♫ Piste 7, Ballet des esprits bienheureux), qui introduit le troisième acte est
sans doute l'une des compositions les plus connues de Gluck, repris et décliné en
maintes musiques de film, de télévision ou parfois... comme musique d'attente
au téléphone (« Nous recherchons votre correspondant... »). Non seulement
Gluck réussit à y exprimer la sérénité et l'apaisement après le vacarme des
Furies, mais la mélodie gracieuse et chantante des flûtes, à nouveau remplie
d'appoggiatures languissantes, ajoute une élégance mélancolique à la scène.
No. 9 Air et Chœur Cet asile aimable et tranquille (Euridice, Chœur)
Un petit air de danse introduit l'arrivée d'Euridice, qui chante en dialoguant
avec le chœur des Ombres des héros et des héroïnes, célébrant les beautés de
leur séjour (♫ Piste 3, EURIDICE & CHŒUR, Cet asile aimable et tranquille).
L'ambiance qui se dégage de la musique de Gluck est si parfaitement heureuse
qu'on peut se demander si Euridice a vraiment envie qu'on la sorte de là!
No. 10 Récit et Chœur Quel nouveau ciel pare ces lieux? (Orphée, Chœur)
Orphée entre en scène et la réponse à notre
question est toute trouvée. Comment dire non
à l'émouvante prière d'Orphée (« Toi seule
peux calmer le trouble de mon âme. »)?
L'orchestre interprète un véritable poème
symphonique, entrecoupé des commentaires
d'Orphée (♫ Piste 2, ORPHÉE II, Quel nouveau
ciel pare ces lieux?), où Gluck explore une forme
nouvelle de déclamation chantée qui flotte
avec une noble simplicité sur un
accompagnement instrumental riche et
évocateur (les flûtes imitant à la perfection
des chants d'oiseaux...)
13
Poème symphonique: pièce
pour orchestre qui raconte une
histoire, ou qui décrit un
paysage ou une ambiance en
musique (p. ex. Ein
Alpensymphonie de Richard
Strauss, ou la Symphonie
fantastique de Hector Berlioz)
Le chœur accueille Orphée et lui annonce la présence d'Euridice. Il s'ensuit une
troisième pantomime pendant laquelle Orphée cherche Euridice parmi les
ombres heureuses. La musique est, dans les deux cas, à trois temps (3/4), une
mesure que cette partition semble associer au bonheur (sans doute une
référence codée à la trilogie des personnages Orphée-L'Amour-Euridice).
Orphée supplie le chœur de lui rendre la beauté qu'il adore, et celui-ci, presque
impatiemment, lui apprend que le destin répond à ses voeux, avant de
reprendre le chœur du début de la scène, promettant à Euridice qu'elle
retrouvera les bonheurs de l'Elysée auprès d'un si tendre époux. On met alors la
main d'Euridice dans celle d'Orphée qui se dirige vers le fond du théâtre en
détournant la tête.
Acte quatrième
No. 11 Scène et récit Viens, viens, Euridice, suis-moi! (Orphée, Euridice)
Un court prélude instrumental agité nous met
en présence d'Orphée et d'Euridice, enfin
seuls. Euridice est d'abord au comble de la
joie, mais l'agitation d'Orphée qui lâche un
instant sa main, sème un doute dans son
cœur (souligné par un passage de mode
majeur en mineur, avec un bref et expressif
arpège au violon) et son refus de la regarder la
trouble infiniment. À la fin de leur duo,
Euridice est passée de l'anxiété à la colère:
« Ah! Cruel époux, laisse-moi! »
Arpège: un accord où les notes
sont jouées en succession
rapide (comme lorsqu'on le joue
sur les cordes d'une harpe) au
lieu d'être jouées en même
temps.
No 12 Duo et air Viens! Suis un époux qui t'adore (Orphée, Euridice)
C'est une querelle d'amants en bonne et due
forme que Gluck nous offre à présent. Orphée
fait tout son possible pour se maîtriser (« Non,
je ne parlerai pas, Non, je ne parlerai pas! »),
tandis qu'Euridice, accablée par son
indifférence, renonce à suivre son époux.
Mais le chant des amants est harmonisé à la
Tierce: intervalle de trois tons
tierce, le chiffre trois servant à nouveau de
entre deux notes (p. ex. do et
code pour signifier leur attachement
mi, si bémol et ré dièse)
amoureux malgré tout.
14
No. 13 Air Fortune ennemie (Euridice)
Euridice, écrasée par l'apparente indifférence
d'Orphée, se révolte et adresse un dernier
adieu à son époux. L'orchestre frémit avec
elle, avec des rythmes cassés et des trilles
frissonnants.
Trille: alternance rapide et
répétée entre la note de base et
la note juste au-dessus,
donnant un effet ressemblant à
certains chants d'oiseaux.
No. 14 Scène et Air Je goûtais les charmes (Euridice, Orphée)
Les époux sont tous deux au comble du malheur et l'expriment dans un duo.
Euridice regrette de n'avoir été arrachée à un heureux oubli que pour être rejetée
et Orphée ne peut expliquer les contraintes qu'il doit respecter. La musique
ralentit pour signaler le point culminant du drame: Orphée ne peut plus
résister aux pleurs d'Euridice, il se retourne et Euridice meurt en un soupir
étonnamment discret et grave. Le chagrin d'Orphée éclate, alors que les cordes
de l'orchestre sont secouées par des sanglots presque hystériques.
No. 15 Air J'ai perdu mon Euridice (Orphée, L'Amour, Euridice)
L'air le plus célèbre de l'opéra « J'ai perdu mon Euridice » est un autre tube de
l'histoire de l'opéra, repris d'innombrables fois sur scène, en récital, en film...
et parfois même parodié sur un ton grivois (qu'est-ce qui rime avec Euridice?).
Conscient qu'une mélodie si facile à retenir peut facilement tomber dans le
ridicule, Gluck disait lui-même qu'il « s'en faut de très peu pour transformer cet
air en une rengaine de théâtre de marionnettes: une note tenue trop
longtemps, ou pas assez, une maladresse de tempo ou de volume, une
appoggiature ratée... ». La chanteuse (ou le chanteur, ici un baryton dans un
arrangement de la version italienne ♫ Piste 8, Orfeo, Che farò senza Euridice) qui
incarne Orphée doit donc savoir exprimer l'émotion sans exagération. Difficile
quand il faut chanter « rien n'égale mon malheur » et « je succombe à ma
douleur »...
Bouleversé d'avoir perdu Euridice une deuxième fois, Orphée décide de se tuer
pour la rejoindre dans la mort. Ce bref moment de décision (« Oui, je te suis,
tendre objet de ma foi ») est l'un des plus magiques de l'opéra, illuminé par une
orchestration d'une infinie tendresse. L'Amour reparaît et empêche Orphée
d'accomplir son geste fatal. Touché par la constance et la foi d'Orphée, il ranime
Euridice et réunit les deux époux. Le code numérique du bonheur amoureux
apparaît à nouveau: L'Amour, Euridice et Orphée chantent un trio de
réjouissance.
15
No. 16 Chœur final Le Dieu de Paphos et de Gnide
On conduit Orphée et Euridice dans un lieu splendide, où ils retrouvent les
nymphes et les bergers qui chantent un hymne à l'Amour (♫ Piste 9, CHŒUR,
Le Dieu de Paphos et de Gnide), qui est la « signature » que Berlioz posa à la fin de
son travail d'édition.
En effet, Berlioz n'aimait le chœur final prévu
par Gluck (dans sa version italienne: ♫ Piste
10, ORFEO, EURIDICE, AMORE & CORO,
Trionfi Amore), à cause de sa forme un peu trop
populaire de vaudeville. Il y substitua un
chœur tiré d'une autre œuvre de Gluck, Écho et
Narcisse, toujours en l'honneur du « dieu
charmant », mais sans doute plus gracieux et
d'un style plus conventionnellement
« français ». Parfois, comme le disait Berlioz,
lorsqu'il s'agit de l'opéra, « le despotisme est
nécessaire ».
Vaudeville: ici, finale d'un
opéra ou d'une opérette où
chaque personnage principal
chante un couplet sur une
mélodie plus ou moins
semblable, dont les derniers
vers sont repris en chœur par
l'ensemble des interprètes.
Orphée entouré des Esprits bienheureux
Photo de la production de l'Opéra royal de Stockholm,
mise en scène et chorégraphie de Mats Ek
16
Qui est Christoph Willibald Gluck?
Christoph Willibald Gluck
(1714-1787)
Il fut l'initiateur d'une profonde réforme de l'opéra. À la charnière de l'ère baroque et de l'ère
classique, il composa autour de 1760 des œuvres comme Orphée et Euridice et Iphigénie en Tauride qui
posèrent des jalons pour un nouveau style, dont l'influence fut perceptible jusqu'à la deuxième
moitié du XIXème siècle. Allemand de naissance, actif principalement à la cour impériale des
Habsbourg à Vienne, mais également à Rome, à Londres et à Paris, Gluck fut non seulement le
père de l'opéra moderne, mais sans doute aussi le premier compositeur véritablement
européen.
La jeunesse
Né à Erasbach, en Bavière, fils d'un garde forestier au service de l'aristocratie autrichienne, le
jeune Christoph Willibald grandit dans les forêts de Bohême, dans ce qui est actuellement la
République Tchèque. Il a une jolie voix, on lui apprend le violon, mais on aimerait qu'il suive le
métier paternel. La légende veut que Gluck fut contraint, pour continuer à étudier la musique à
l'insu de son père, de choisir un instrument plus discret que le violon: la guimbarde! À l'âge de
25 ans, le jeune Gluck s'émancipe et part pour la capitale de la Bohême, Prague, en chantant et
en jouant de la guimbarde pour gagner sa vie. À Prague, il fera des études universitaires, qu'il
abandonnera, mais il prend goût à la vie musicale intense de la capitale bohémienne.
Milan
En 1737, Gluck se rend à Milan où il reçoit l'enseignement d'un compositeur de musique sacrée et
instrumentale, Giovanni Battista Sammartini. Milan est déjà une capitale mondiale de l'opéra,
et quelques années plus tard, en 1742, Gluck se lance: il fait jouer son premier opéra, Artaserse,
pour l'ouverture du Carnaval. Le public apprécie: Gluck recevra commande pour des opéras
pendant les quatre saisons de Carnaval consécutives. Bien que l'occasion ait été la saison joyeuse
du Carnaval, ces premiers opéras sont d'un genre « sérieux », ou en italien opera seria. Le
compositeur est obligé d'utiliser des livrets du poète officiel des opéras de l'époque, Pietro
Trapassi dit Métastase. Le style monotone et prévisible de ces textes, leurs intrigues
compliquées et barbantes ont certainement joué un rôle dans l'évolution du style de Gluck vers
une musique moins artificielle. Il ne devait pas porter ces œuvres de jeunesse, exercices de style
pour se faire une réputation, dans son cœur, car il ne subsiste aujourd'hui d'elles que quelques
fragments.
Londres et les pays du Nord
En 1745, Gluck accepte de devenir le compositeur en résidence du King's Theatre de Londres pour
une année. Il n'y produira que peu de musique, mais la séjour à Londres sera marquant car
Gluck y rencontrera le grand compositeur allemand, naturalisé britannique, Georg Friedrich
17
Haendel, dont le style l'influencera fortement. Haendel, pour sa part, ne sera pas impressionné
par son jeune compatriote: le chroniqueur Charles Burney rapporte que Haendel aurait dit de
Gluck que « mein Kuisinier Waltz en sait plus sur le contrepoint que ce gaillard. » Autre moment
important du séjour londonien de Gluck: sa rencontre avec le comédien et dramaturge anglais
David Garrick, qui avait introduit au théâtre un style expressif, détendu et naturel, laissant de
côté le jeu maniéré et grandiloquent du théâtre classique.
Gluck quitte Londres en 1747 pour partir en tournée. À Dresde, un divertissement composé pour
un mariage princier est applaudi et lui vaut une commande pour l'anniversaire de l'impératrice
d'Autriche Marie-Thérèse. Le livret de Semiramide riconosciuta est (encore...) de Métastase et le
vieux poète, dans ses appartements de Vienne, n'est pas du tout content de ce que Gluck a
composé pour ses vers: « musique d'archivandale », peste-t-il! Mais le public adore: 27
représentations consécutives...
Gluck continue ses voyages: en 1749, il est à Copenhague. En 1750, il revient à Prague, où il
épouse l'héritière d'un riche marchand viennois, Maria Anna Bergin, ce qui lui assure une
certaine stabilité financière. En 1752, il compose La Clemenza di Tito (sur un autre livret de
Métastase, pour lequel Mozart écrira aussi son dernier opéra en 1791) qui est représenté à Naples.
Sa musique très innovatrice provoque une certaine controverse mais force le respect des
compositeurs napolitains.
Vienne et la réforme
Gluck s'installe enfin à Vienne en 1754, où il devient le compositeur officiel de la cour
(Kapellmeister). Des divertissements lyriques comme Le Cinesi et La Danza lui permettent de tourner
peu à peu le dos à l'opera seria. Son dernier opéra dans ce style, Antigono, sera joué à Rome en 1756
et le pape Benoît XIV le fera Chevalier de l'ordre de l'Éperon d'or. Gluck sera désormais connu
comme le Chevalier Gluck, en allemand, Ritter von Gluck.
En 1761, Gluck compose un ballet sur le sujet de Don Juan pour le maître de ballet Gasparo
Angiolini. Gluck et Angiolini font partie d'un cercle d'artistes qui en ont assez des formes
conventionnelles de l'opera seria et de son pendant comique, l'opera buffa. Devenues des caricatures
d'elles-mêmes, elles ne les font plus rire ou pleurer et musicalement, elles s'épuisent dans les
prouesses techniques des chanteurs. Gluck voudrait que l'opéra retrouve un équilibre
dramatique entre le texte et la musique et qu'on y sente la passion et l'émotion qu'il avait
senties à Londres en regardant Garrick jouer Shakespeare. Dans ce cercle, on retrouve
l'intendant du théâtre de la cour, le comte Durazzo, fervent admirateur de la tragédie lyrique
française. Le poète Raineri de' Calzabigi, qui en a assez du monopole de Métastase sur la scène et
le chanteur Gaetano Guadagni, un castrat formé à Londres, complètent le groupe.
Leur efforts combinés donneront, en 1762, Orfeo ed Euridice: produit par Durazzo, musique de
Gluck, paroles de Calzabigi, chorégraphies d'Angiolini et avec Guadagni dans le rôle-titre.
Suivront Alceste (1767) et Paride ed Elena (1771). Parmi les réformes qu'il introduit, Gluck abandonne
le récitatif « sec » pour accompagner le récitatif par l'orchestre entier, plutôt qu'un simple
continuo. Mais plus que tout, c'est le style dramatique coulé et continu de ces œuvres qui
marquera l'histoire de la musique jusqu'à Richard Wagner et au-delà.
Paris, Vienne et la fin
Pendant son temps à la cour de Vienne, Gluck a eu comme élève de clavecin la plus jeune fille de
l'impératrice, l'archiduchesse Marie-Antoinette. En 1770, celle-ci épouse le futur roi de France
Louis XVI et, grâce à son influence, Gluck va signer un contrat pour créer six œuvres pour l'opéra
de Paris. La première, Iphigénie en Aulide (1774) va susciter une controverse immense entre les
partisans français de l'opera seria italienne, représentée par le compositeur napolitain Niccolò
Piccinni, et les partisans de Gluck. La même année, il présente Orphée et Euridice, la voix de
mezzo-soprano/castrat originale transposée pour un ténor très aigu. Le public parisien aime et
18
cela encourage Gluck à adapter aussi Alceste (1776). Il achève son carnet de commandes avec
Armide (1777), Iphigénie en Tauride (1779) et Écho et Narcisse la même année. Mais le public se lasse de
lui, Écho et Narcisse est un échec et Gluck subit le premier d'une série d'accidents cérébrovasculaires qui le paralyseront peu à peu. Il prend sa retraite à Vienne, compose encore quelques
œuvres mineures, et en 1787, une dernière attaque d'apoplexie l'achève.
Il laisse à la postérité 35 opéras complets, plusieurs ballets et pièces instrumentales. L'influence
de ses réformes est présente chez Mozart (Idomeneo) et chez les compositeurs français de l'époque
révolutionnaire et napoléonienne (Grétry, Méhul, Cherubini et Spontini). Mais le plus grand
admirateur de Gluck reste Hector Berlioz, dont la grande fresque épique Les Troyens est le
couronnement de la tradition initiée par Gluck, et à laquelle Berlioz rendit hommage en éditant
et adaptant Orphée et Euridice en Orphée (1859). Et bien que Gluck n'ait écrit aucun opéra dans sa
langue maternelle, il eut une influence décisive sur l'opéra allemand romantique, surtout Carl
Maria von Weber et Richard Wagner, dont les conceptions musicales doivent beaucoup aux idées
pionnières du Chevalier Gluck.
Portrait de David Garrick, entre la Tragédie et la Comédie
Sir Joshua Reynolds, 1767
Ce portrait allégorique du grand acteur anglais en dit long sur les dilemmes qui ont poussé Gluck à s'éloigner des
formes grandiloquentes de l'opera seria (que la figure raide et maniérée de la Tragédie incarne ici à merveille) et à créer
un style permettant l'expression naturelle des émotions.
19
Qui est Mats Ek?
Mats Ek (né le 18 avril 1945) à Malmö (Suède) est l'une des figures les plus marquantes de la danse
contemporaine. Directeur de la compagnie suédoise du ballet Cullbergbaletten entre 1985 et
1993, il est particulièrement connu pour avoir uni le travail du metteur en scène dramatique
(théâtre et opéra) à son métier de danseur et de chorégraphe.
Fils du comédien Anders Ek et de la danseuse et chorégraphe Birgit Cullberg, fondatrice de la
compagnie de ballet du même nom, il a baigné dans l'univers de la danse et de la scène depuis
son enfance.
Danseur au corps de ballet du Deutschen Oper am Rhein de Düsseldorf entre 1975 et 1981, il
réalise sa première chorégraphie The Officer's Servant pour le Ballet Cullberg en 1976. En 1981, il
collabore comme danseur et chorégraphe au Nederlands Dans Theater.
En 1985, il hérite de sa mère la direction du Ballet Cullberg, qu'il assurera jusqu'en 1993.
Sa technique chorégraphique combine des éléments de danse classique et moderne où le
mouvement est avant tout un moyen individuel d'expression. Pour Mats Ek, les traditions
esthétiques, la technique et le formalisme classique jouent un rôle secondaire. Au niveau
dramatique, il s'intéresse aux dilemmes psychologiques de la société contemporaine, en les
traitant avec un humour délicat qui met en exergue le besoin d'un engagement social.
À la tête du Ballet Cullberg, Mats Ek a chorégraphié plusieurs grand ballets classiques, comme
Giselle (1982), Le Lac des Cygnes (1987) et Carmen (1992). Il y a réalisé d'autres pièces originales: dans
Soweto (1977), il crée un rôle dansant pour sa mère âgée de 71 ans; et en 1978, il réalise sa première
chorégraphie sur une œuvre théâtrale The House of Bernarda, basée sur La Maison de Bernarda Alba de
Federico Garcia Lorca.
Comme chorégraphe et metteur en scène indépendant, il réalise une Belle au bois dormant pour le
Hamburg Ballet en 1996, et travaille à nouveau avec le Nederlands Dans Theater (A Sort Of, 1997).
Il est également invité à l'Opéra de Paris pour faire danser la danseuse étoile Sylvie Guillem en
1995 (Smoke), et ensuite en 2000, il propose une pièce originale pour l'Opéra de Paris, Apartment.
Il réalise des mises en scène de théâtre pour le Théâtre dramatique royal de Stockholm: Don
Giovanni (1999) et Andromaque (2001). En 2004, il réalise sa première mise en scène d'opéra pour
l'Opéra royal de Stockholm: c'est la production de Orphée et Eurydice que présente actuellement le
Grand Théâtre de Genève.
20
Qui est Orphée?
La Mort d'Orphée
Jean Delville (1867-1953)
Entre la légende et l'histoire, la figure d'Orphée est présente dès les origines de
la culture grecque ancienne; elle a marqué la civilisation européenne et résonne
encore aujourd'hui dans les mythes d'une culture globalisée et virtuelle.
Le nom et les origines
Les Grecs anciens lui prêtaient une origine semi-divine, mais de nombreux textes soutiennent
son existence historique comme fils d'un roi de Thrace, dans le nord de la Grèce (la Macédoine
actuelle). La première mention écrite d'Orphée tient en deux mots, du poète lyrique Ibycos (VIème
siècle av. J.-C.): « Orphée, dont le nom est célèbre ».
À l'époque classique, les Grecs considéraient qu'Orphée était le « père des chants » et celui qui
découvrit le pouvoir transformateur de la poésie et de la musique sur l'âme humaine. Ce pouvoir
fut rapidement étendu aux animaux et aux objets inanimés et Orphée assuma les
caractéristiques d'un magicien ou d'un chamane, avec des dons mystiques. Outre la musique et
les chants, il aurait appris aux êtres humains la médecine, l'écriture, l'agriculture, l'art de
prédire l'avenir en lisant dans les astres. On lui attribua également l'origine des cultes
mystiques d'Apollon et de Dionysos permettant d'accéder à l'au-delà, dans des rituels
initiatiques que des découvertes archéologiques récentes ont permis de mieux connaître.
La signification du nom d'Orphée est mystérieuse. Certains linguistes y voient une racine
indo-européenne *orbhao- « être privé de, être séparé » (ce qui a donné le mot orphelin). Dans cette
racine, on distingue aussi un autre élément sémantique *goao- « se lamenter, entonner un chant
funèbre, prononcer un enchantement ». La connexion avec la mort, la magie et le monde des
esprits serait donc contenue dans le nom de notre héros. L'adjectif qui en dérive, orphique,
désigne ce qui est mystique, fascinant, enchanteur, en rapport avec les oracles.
Le géographe grec Strabon (64 av. J.-C. - 24 ap. J.-C.) relate qu'Orphée était un simple mortel qui
vécut toute sa vie dans un village sur les pentes du Mont Olympe où il pratiquait la magie pour
21
gagner sa vie. Il se fit un grand nombre de disciples et devint un personnage puissant, mais sa
cupidité et ses escroqueries se retournèrent contre lui et il fut assassiné par ses propres élèves.
Orphée et la mythologie
Dans le récit où Orphée est le fils d'Œagre, roi de Thrace, et de la muse Calliope, le dieu Apollon
donne à Orphée enfant une petite lyre et lui apprend à en jouer, alors que sa mère, patronne de
la poésie épique, lui apprend à composer des vers.
Dans l'histoire de Jason et la quête de la Toison d'Or, relatée par le poème épique Les
Argonautiques d'Apollonios de Rhodes, Orphée fait partie de l'équipage de l'Argo et sauve le navire
d'un horrible naufrage sur les rochers des Sirènes, qui attirent les marins sur leurs dangereux
récifs par des chants maléfiques, en chantant mieux et plus fort qu'elles.
Nous connaissons désormais la descente d'Orphée aux Enfers pour en ramener sa femme
Eurydice, sans regarder derrière lui. Ce type de récit fait partie d'un fonds commun de
légendes et de contes dans toutes les cultures du monde.
Au Japon, le dieu créateur mâle Izanagi doit descendre au séjour des morts chercher la divinité
créatrice femelle Izanami, morte en couches, sans se retourner pour s'assurer qu'elle le suit.
Diverses nations amérindiennes (les Mik'maqs, les Nez-Percés, les Mayas, les Innus, entre
autres) racontent aussi l'histoire du Coyote, esprit trompeur et malin, qui va chercher sa
compagne chez les morts sans la dévisager.
Dans la Bible, l'injonction de ne pas regarder derrière soi se trouve dans l'histoire de fuite de Lot
et la destruction de Sodome, au livre de la Genèse. C'est la femme de Lot qui ne maîtrise pas sa
curiosité (ou son regret de laisser derrière elle les plaisirs de la ville) et qui est transformée en
pilier de sel. On trouve également cette injonction dans certains folklores européens, comme
dans le conte des frères Grimm, Hänsel et Gretel.
La mort d'Orphée
Selon les Métamorphoses du poète latin Ovide, après la perte définitive d'Eurydice, Orphée aurait
renoncé pour toujours à l'amour d'une femme, préférant les garçons comme amants. Un jour,
son chemin croisa celui des Ménades, les prêtresses itinérantes de Dionysos. Outrées du refus
qu'Orphée opposait à leurs avances, et chauffées par le vin de leur dieu, les Ménades saisirent
Orphée et déchirèrent son corps en morceaux de leurs propres mains.
Cette scène orne d'ailleurs le grand escalier d'apparat, côté jardin, du Grand Théâtre, comme
allégorie de la musique orphique (entendre, la tragédie lyrique) entourée de la musique
militaire et de la musique sacrée. Un portrait en médaillon de Gluck se trouve juste au-dessus, à
droite, comme pour signaler l'immense popularité que le public de l'époque (1879) accordait à la
reconstitution de Orphée par Hector Berlioz.
La tête d'Orphée, fixée à sa lyre, flotta sur les eaux d'une rivière, l'Hèbre, sans jamais cesser de
chanter avec tristesse, jusqu'à atteindre la mer. Elles échouèrent sur les rives de l'île de Lesbos,
où les habitants lui firent une sépulture et un sanctuaire dans une grotte, qu'on visite encore de
nos jours. Les dieux se saisirent de la lyre et la fixèrent dans le firmament: c'est la constellation
de la Lyre, dont l'une des étoiles, Véga, est l'une des plus brillantes du ciel.
Les rites et les poèmes orphiques
On mentionne dans l'histoire de la littérature grecque ancienne un certain nombre de poèmes
religieux se réclamant de la tradition orphique. Très peu de ces textes sont arrivés jusqu'à nous
intacts mais ils donnent une image intéressante du culte religieux qui était lié à la figure
d'Orphée. En plus de compléter ce qu'on peut lire dans Hésiode et Homère au niveau des récits
mythologiques, les fragments orphiques concernent des rituels de purification et d'initiation
22
que les textes contemporains ne décrivent pas toujours favorablement. Platon, dans sa
République, décrit le culte orphique comme pratiqué par un clergé itinérant et mendiant, à la
recherche de riches dévots cherchant à être purifiés et prônant un végétarisme strict (pas d'œufs
ou de fèves) et l'abstention de relations sexuelles.
La découverte en 1962, à Derveni dans la province grecque de Macédoine, d'un papyrus datant
d'environ 350 av. J.-C., où figurent des vers orphiques et un long commentaire nous permettent
de mieux comprendre la place et la fonction du culte orphique dans la religion et la philosophie
de la Grèce ancienne. Voici deux extraits du papyrus orphique de Derveni, le premier décrit un
rituel de descente dans le monde des morts, simulant celui d'Orphée. Le deuxième est une
vision poétique de la création de l'Univers sous la force de l'Amour.
Εὑρήσεις δ' Ἀίδαο δόµων ἐπ' ἀριστερὰ κρήνην,
παρ' δ' αὐτῇ λευκὴν ἑστηκυῖαν κυπάρισσον·
ταύτης τῆς κρήνης µηδὲ σχεδὸν ἐµπελάσειας.
Εὑρήσεις δ' ἑτέρας τῆς Μνηµοσύνης ἀπὸ λίµνης
ψυχρὸν ὕδωρ προρέον· φύλακες δ' ἐπίπροσθεν
ἔασιν.
Εἰπεῖν· γῆς παῖς εἰµι καὶ οὐρανοῦ ἀστερόεντος,
αὐτὰρ ἐµοὶ γένος οὐράνιον· τόδε δ΄ ἴστε καὶ αὐτοί·
δίψῃ δ΄ εἰµ(ὶ) αὔη καὶ ἀπόλλυµαι· ἀλλὰ δότ΄ αἶψα
ψυχρὸν ὕδωρ προρέον τῆς Μνηµοσύνης ἀπὸ λίµνης.
καὐτοί σοι δώσουσι πιεῖν θείης ἀπὸ κρήνης
καὶ τότ΄ ἔπειτ΄ ἄλλοισι µεθ΄ ἡρώεσσι ἀνάξεις.
Θεὸς ἐγένου ἐξ ἀνθρώπου
Et tu trouveras dans le palais de Hadès, à
gauche une source, à côté de laquelle se dresse
un cyprès blanc, mais ne t'approche pas de
cette source. Tu en trouveras une autre, à côté
du lac de Mémoire, dont coule une eau froide.
Χάος ἦν καὶ Νὺξ Ἔρεβός τε µέλαν πρῶτον καὶ
Τάρταρος εὐρύς͵ Γῆ δ΄ οὐδ΄ Ἀὴρ οὐδ΄ Οὐρανὸς ἦν·
Le Chaos était, avec la Nuit et le noir Érèbe, au
commencement et le vaste Tartare. Ni la Terre,
ni l'Air, ni le Ciel n'existaient.
Ἐρέβους δ΄ ἐν ἀπείροσι κόλποις τίκτει πρώτιστον
ὑπηνέµιον Νὺξ ἡ µελανόπτερος ὠιόν͵ ἐξ οὖ
περιτελλοµέναις ὥραις ἔβλαστεν Ἔρως ὁ ποθεινός
στίλβων νῶτον πτερύγοιν χρυσαῖν͵ εἰκὼς ἀνεµώκεσι
δίναις.
Dire: « enfant de la terre je suis et du ciel
rempli d'étoiles, cependant j'ai des origines
célestes; mais cela vous le savez déjà; j'ai
grand soif et suis près de mourir; mais donnez
vite l'eau froide du lac de Mémoire. » Et ceux-ci
te donneront à boire de la source divine et alors
tu prendras place avec les autres héros.
Et, d'être humain, tu es devenu un dieu.
Et dans le sein sans limites de l'Érèbe, la Nuit
aux ailes noires pondit d'abord un œuf sans
germe, duquel émergea, après un long laps de
temps, l'Amour tant aimé, aux ailes d'or
brillantes dans le dos, étant comme les
tourbillons des vents.
οὗτος δὲ Χάει πτερόεντι µιγεὶς νυχίωι κατὰ Τάρταρον Et l'Amour s'accoupla avec les Chaos aux ailes
sombres dans le vaste Tartare et il fit éclore
εὐρύν ἐνεόττευσεν γένος ἡµέτερον καὶ πρῶτον
ἀνήγαγεν εἰς φῶς.
notre race et l'amena en premier à la lumière.
πρότερον δ΄ οὐκ ἦν γένος ἀθανάτων͵ πρὶν Ἔρως
La race des immortels n'existait pas en
ξυνέµειξεν ἅπαντα· ξυµµειγνυµένων δ΄ ἑτέρων
premier, avant que l'Amour ne brasse tout
ἑτέροις γένετ΄ Οὐρανὸς Ὠκεανός τε καὶ Γῆ πάντων τε ensemble. En brassant le différent avec le
θεῶν µακάρων γένος ἄφθιτον.
différent naquirent le Ciel, l'Océan et la Terre,
et la race immortelle des dieux bienheureux.
Traduction: Christopher Park
23
La Mort d'Orphée, ou La Musique orphique
Tableau de Léon Gaud (1879) dans le grand escalier (jardin) du Grand Théâtre de Genève.
Photo: GTG, Anne Zendali
24
La mort d'Orphée, racontée par Ovide (Les Métamorphoses, livre XI, 1-53)
Carmine dum tali silvas animosque ferarum
Threicius vates et saxa sequentia ducit,
ecce nurus Ciconum tectae lymphata ferinis
pectora velleribus tumuli de vertice cernunt
Orphea percussis sociantem carmina nervis.
e quibus una leves iactato crine per auras,
'en,' ait 'en, hic est nostri contemptor!' et hastam
vatis Apollinei vocalia misit in ora,
quae foliis praesuta notam sine vulnere fecit;
alterius telum lapis est, qui missus in ipso
aere concentu victus vocisque lyraeque est
ac veluti supplex pro tam furialibus ausis
ante pedes iacuit. sed enim temeraria crescunt
bella modusque abiit insanaque regnat Erinys;
cunctaque tela forent cantu mollita, sed ingens
clamor et infracto Berecyntia tibia cornu
tympanaque et plausus et Bacchei ululatus
obstrepuere sono citharae, tum denique saxa
non exauditi rubuerunt sanguine vatis.
ac primum attonitas etiamnum voce canentis
innumeras volucres anguesque agmenque ferarum
maenades Orphei titulum rapuere triumphi;
inde cruentatis vertuntur in Orphea dextris
(...)
hae glaebas, illae direptos arbore ramos,
pars torquent silices; neu desint tela furori,
forte boves presso subigebant vomere terram,
nec procul hinc multo fructum sudore parantes
dura lacertosi fodiebant arva coloni,
agmine qui viso fugiunt operisque relinquunt
arma sui, vacuosque iacent dispersa per agros
sarculaque rastrique graves longique ligones;
quae postquam rapuere ferae cornuque minaces
divulsere boves, ad vatis fata recurrunt
tendentemque manus et in illo tempore primum
inrita dicentem nec quicquam voce moventem
sacrilegae perimunt, perque os, pro Iuppiter! illud
auditum saxis intellectumque ferarum
sensibus in ventos anima exhalata recessit.
Te maestae volucres, Orpheu, te turba ferarum,
te rigidi silices, te carmina saepe secutae
fleverunt silvae, positis te frondibus arbor
tonsa comas luxit; lacrimis quoque flumina dicunt
increvisse suis, obstrusaque carbasa pullo
naides et dryades passosque habuere capillos.
membra iacent diversa locis, caput, Hebre,
lyramque
excipis: et (mirum!) medio dum labitur amne,
flebile nescio quid queritur lyra, flebile lingua
murmurat exanimis, respondent flebile ripae.
Tandis que, par ses accents, le chantre de Thrace
entraîne sur ses pas les forêts, les bêtes féroces et
les rochers émus, voici que, du haut d’une colline,
les bacchantes furieuses, au sein couvert de
sanglantes dépouilles, aperçoivent Orphée qui
marie ses chants aux accords de sa lyre. L'une
d’elles, les cheveux épars et flottant dans les airs : «
Le voilà, s’écrie-t-elle, le voilà, celui qui nous
méprise » ; et elle frappe de son thyrse la bouche
harmonieuse du prêtre d’Apollon. Le trait
enveloppé de feuillage laisse sans blesser une
empreinte légère. Une autre s’arme d’un caillou
qui, lancé dans les airs, est vaincu par les accords
de la lyre et des chants, et comme pour implorer le
pardon d’une si criminelle audace, vient tomber
suppliant aux pieds du poète. La fureur des
Ménades s’en accroît : elles ne connaissent plus de
bornes : l’aveugle Erinys les possède ; les chants
divins auraient émoussé tous leurs traits ; mais une
horrible clameur s’élève, la flûte de Phrygie, les
timbales, le bruit des mains frappées,les
hurlements des bacchantes étouffent de leurs sons
discordants les sons harmonieux de la lyre : alors
seulement les rochers se teignirent du sang du
chantre dont ils n’entendaient plus la voix. Les
innombrables oiseaux, les serpents, les bêtes
féroces qu’avait attirés la lyre, et qui semblaient
être encore sous le charme de la voix d’Orphée, la
troupe furieuse des Ménades les disperse. Puis elles
tournent contre le chantre leurs mains criminelles.
(...) Celles-ci s’arment de glèbes ; celles-là, de
branches arrachées : d’autres lancent d’énormes
cailloux. Tout sert d’arme à leur fureur. Non loin de
là des bœufs traçaient avec le soc des sillons dans la
plaine, et de robustes laboureurs confiaient à la
terre l’espoir de la moisson et le prix de leurs
sueurs. A la vue de la troupe furieuse, ils
s’enfuient, abandonnant les instruments de leur
travail ; de tous côtés demeurent dispersés dans les
champs et les sarcloirs, et les longs hoyaux, et les
râteaux pesants. Les bacchantes s’en emparent,
arrachent jusqu’aux cornes des bœufs, et
retournent, en furie, achever les destins du chantre
de la Thrace. Il leur tendait ses mains suppliantes,
et sa voix, pour la première fois impuissante, leur
adressait des prières inutiles. Leurs mains
sacrilèges lui donnent la mort, et cette bouche, ô
Jupiter ! cette bouche dont les accents s’étaient fait
entendre des rochers, et avaient ému les monstres
des forêts, laisse passer son âme qui s’exhale dans
les airs.
Les oiseaux attristés, Orphée, les bêtes féroces, les
durs rochers, les forêts, si souvent entraînées par
tes chants, te pleurèrent ; les arbres dépouillèrent
leur feuillage, et on dit que les fleuves s’accrurent
de leurs larmes. Les Naïades, les Dryades se
couvrirent de voiles funèbres, et laissèrent flotter
leurs cheveux en signe de douleur.
Les membres d’Orphée sont dispersés en divers
lieux. Hèbre glacé, tu reçois sa tête et sa lyre, et, ô
prodige ! tandis que le fleuve les entraîne, sa lyre
fait entendre des plaintes, sa langue inanimée en
murmure, et les échos du rivage y répondent.
Traduction: Puget, Guiard, Chevriau et Fouquer (1876) sur
Wikisource
25
Orphée, deux mille ans d'histoire
Galerie de portraits
AD 250: Orphée aux catacombes
Fresque représentant le Bon Pasteur en Orphée, catacombe
des Saints-Pierre-et-Marcellin (Rome)
Les premiers chrétiens de l'empire
romain faisaient naturellement un
parallèle entre la figure d'Orphée et celle
du Christ. La parabole chrétienne du Bon
Pasteur (« Je connais mes brebis et elles
me connaissent », Jean 10, 4) reflète le
mythe d'Orphée qui attirait les animaux
sauvages par son chant. La descente du
Christ aux Enfers après sa mort pour
libérer les âmes des justes devait aussi
sembler familière pour les adeptes des
rituels orphiques.
AD 1330: Sir Orfeo and Heurodis
Le poème médiéval anglais Sir Orfeo fut
écrit vers 1330. Il reprend l'histoire
d'Orphée et Eurydice, en y ajouant des
éléments de merveilleux typiques de la
tradition celtique. Le Roi des Fées enlève
Heurodis (Eurydice) et l'emmène dans
son royaume enchanté. Après maintes
aventures, Orfeo ramène sa dame dans le
monde des humains.
Ci-contre le texte du manuscrit Auchinleck de Sir
Orfeo, conservé à la Bibliothèque nationale
d'Écosse (la transcription est celle de la
reproduction en regard).
And when he hadde bihold this mervails alle
He went in to the kinges halle;
Than seise he ther a semly sicht,
A tabernacle blisseful and bright,
Therin her maister king sete
And her quen fair and swete;
Her crounes, her clothes schine so bright
That unnethe bihold he hem might.
When he hadde biholden al that thing,
He kneled adoun bifor the king.
«O lord,» he seyd, «if it thi wille were,
Mi menstraci thou schust yhere.»
The king answerd: «What man artow
That art hider ycomen now?
Ich, no non that is with me,
No sent never after the.
Seththen that ich here regni gan,
Y no fond never so folehardi man
That hider to ous durst wende
Bot that ichim wald ofsende.»
«Lord,» quath he, «trowe ful wel,
Y nam bot a pover menstrel,
And, sir, it is the maner of ous
To seche mani a lordes hous;
Thei we nought welcom no be,
Thete we mot proferi forth our gle.»
Et lorsqu'(Orfeo) eut contemplé ces merveilles
Il entra dans la grande salle du Roi,
Là il vit un spectacle magnifique,
Un tabernacle brillant et merveilleux,
Dans lequel siégeait le Roi son maître,
Et sa Reine douce et belle;
Sa couronne, ses vêtements brillaient si fort
Qu'il pouvait à peine les regarder.
Et lorsqu'il eut fini d'admirer tout cela,
Il s'agenouilla devant le Roi:
« Monseigneur, dit-il, si tel est votre plaisir,
Je vous montrerai ici mon talent de musicien. »
Le Roi répondit. « Quel homme es-tu,
Pour être venu maintenant jusqu'ici?
Ni moi, ni personne de mon entourage,
Ne t'a fait venir auprès de nous.
Depuis que je règne dans ce pays,
Je n'ai jamais connu un homme si téméraire
Qu'il vienne nous rejoindre ici,
À moins que je ne l'ai appelé exprès. »
« Monseigneur, répondit-il, sachez bien,
Que je ne suis qu'un pauvre ménestrel
Et, Sire, c'est notre coutume
De nous rendre dans maintes maisons de nobles,
Bien que nous n'y ayons pas été invités,
Pour y faire preuve de notre talent de musicien. »
Traduction: Christopher Park
26
AD 1607: La Favola d'Orfeo
Crée en 1607 comme divertissement pour
la cour ducale de Mantoue, en Italie,
L'Orfeo de Claudio Monteverdi n'est peutêtre pas le premier opéra de l'histoire de
la musique, mais c'est certainement la
première œuvre lyrique à avoir été
reconnue comme représentant un
nouveau genre musical: une pièce
dramatique chantée du début jusqu'à la
fin, alternant chœurs, danses,
déclamations chantées et passages
expressifs (« lyriques »), accompagnée
par un riche parterre d'instruments.
Frontispice de la première partition imprimée de
L'Orfeo de Monteverdi
L'opéra commence par un prologue où la
Musique se vante des prodiges dont elle
est capable et propose au public
d'entendre l'histoire d'Orphée « qui
soumit l'Enfer à ses prières ». Peut-on
imaginer un sujet mieux choisi pour
inaugurer le genre musical de l'opéra?
AD 1791: L'Âme du philosophe
L'anima del filosofo, ossia Orfeo ed Euridice
(L'Âme du philosophe, ou Orphée et
Eurydice), Hob. 28/13, est un opéra en
quatre actes, le dernier que composa
Joseph Haydn (1735-1809) et qui ne fut
jamais représenté de son vivant.
Haydn, comme Gluck, fit un séjour à
Londres qui s'avéra prolifique (il y
composa plusieurs symphonies célèbres)
et profitable. Il y reçut la commande pour
un opéra destiné au King's Theatre, mais
une dispute à son sujet entre le roi
George III et le Prince de Galles donna
lieu à des intrigues qui arrêtèrent la
production. La première représentation
de cet opéra, L'anima del filosofo, n'eut lieu
qu'en 1956!
Affiche d'une production australienne
contemporaine de L'Anima del filosofo
27
AD 1858: « Une parodie grotesque et grossière »
Orphée aux Enfers est une opérette,
probablement la première œuvre dans ce
genre, composée en 1858 par Jacques
Offenbach . Déjà rompu à la composition
de « bouffonneries » musicales, Orphée aux
enfers fut la première occasion pour
Offenbach d'utiliser la mythologie
grecque comme canevas pour une de ses
œuvres. Parodie impertinente de l'Orphée
de Gluck (remise au goût du jour par
Berlioz), l'opérette se moque du style
démodé et pompeux de la ComédieFrançaise, des mœurs parisiennes
décadentes sous le Second Empire et fait
scandale en introduisant un « galop
infernal » aux limites de la décence!
Émile Zola, dans son roman Nana fait
écho à l'opinion scandalisée en décrivant
ainsi la première d'une opérette intitulée
La blonde Vénus, qui ressemble très
fortement à Orphée aux Enfers :
« Ce carnaval des dieux, l'Olympe traîné
dans la boue, toute une religion, toute
une poésie bafouée, semblèrent un régal
exquis. La fièvre de l'irrévérence gagnait
le monde lettré des premières
représentations; on piétinait sur la
légende, on cassait les antiques images.
[...] Depuis longtemps, au théâtre, le
public ne s'était vautré dans de la bêtise
plus irrespectueuse. Cela le reposait. »
AD 1957: Orphée sur Broadway
La Descente d'Orphée (Orpheus Descending) est
une pièce de théâtre du dramaturge
américain Tennessee Williams ( le
célèbre auteur de Un tramway nommé Désir,
Chatte sur un toit brûlant et La Ménagerie de
verre), créée sur Broadway en 1957. La
pièce ne tint l'affiche que peu de temps et
ne connut qu'un succès modeste.
Couverture d'Orpheus Descending (1957)
Au sujet de sa pièce, Williams écrivit:
« C'est l'histoire de Val, un garçon au
caractère rebelle qui fait irruption dans
une petite ville conservatrice du Sud des
Étas-Unis et qui fait l'effet d'un renard
dans un poulailler. Val représente
Orphée, les forces de l'énergie érotique
enfouies sous les compromis et le traintrain quotidien, qui ont le pouvoir
tragique de renouveler la vie. »
28
AD 1959: Orphée dans les favelas
Orfeu Negro ( « Orphée noir ») est un film
tourné au Brésil en 1959 par le réalisateur
français Marcel Camus, basé sur la pièce
de théâtre brésilienne Orfeu da Conceição
par Vinicius de Morães. C'est une
adaptation de la légende d'Orphée et
d'Eurydice au contexte d'un bidonville de
Rio de Janeiro (Morro da Babilônia)
pendant le Carnaval.
Euridice (Marpessa Dawn) et Orfeu (Breno Mello)
dans Orfeu Negro
Le film est surtout connu pour avoir
révélé dans sa bande-son deux
compositeurs brésiliens: Antônio Carlos
Jobim, dont la chanson A felicidade est le
générique du film, et Luiz Bonfá, qui
composa pour le film Manhã de Carnaval et
Samba do Orfeu, devenus depuis des
classiques de la bossa nova et du jazz.
Orfeu Negro gagne la Palme d'Or au festival
de Cannes en 1959 et l'Oscar du meilleur
film en langue étrangère en 1960.
AD 1975: Orphée en manga bishonen
La Fenêtre d'Orphée (オルフェウスの窓
Orufeusu no mado) est un manga en 18
volumes par la bédéiste japonaise Riyoko
Ikeda, publiée entre 1975 et 1981 par les
éditions Shueisha.
Dans la tradition du genre historicoromantique bishonen (« beaux jeunes
hommes ») de la première époque des mangas
contemporains, La Fenêtre d'Orphée fait usage de
l'ambiguïté sexuelle et de l'homoérotisme
pour pimenter son intrigue. L'histoire se
passe en 1903 dans un conservatoire de
musique à Ratisbonne, en Allemagne. Les
pensionnaires du Conservatoire SaintSébastien, un institut de musique catholique
privé, racontent qu'il existe dans une des
tours de leur école une fenêtre, dite « la
fenêtre d'Orphée ». Celui qui apercevra une
jolie fille au travers de cette fenêtre en
tombera immédiatement amoureux et cet
amour sera destiné à une fin tragique,
comme celui d'Orphée et Eurydice. Klaus et
Isaac, deux étudiants du conservatoire,
regardent par la fenêtre et aperçoivent Julius,
un de leurs camarades. Ils en tombent
amoureux, ce qui va causer une suite de
péripéties romantiques compliquées, basées
sur le fait que Julius est en réalité une fille qui
a été élevée en habits d'homme afin de
pouvoir entrer au conservatoire.
29
AD 1991: Orphée en anime science-fiction
Saint Seiya (聖闘士星矢) est un manga de
Masami Kurumada, en 28 volumes,
publiés entre 1986 et 1991, dont les trois
premiers chapitres ont été adaptés en
anime par les studios Tōei Animation, et
diffusés dans le monde francophone sous
le titre Les Chevaliers du Zodiaque.
Les guerriers mystiques, les « Saints » (ou
« Chevaliers ») équipés d'armures sacrées
(ou cloths), portant les emblèmes de leurs
constellations, ont juré de défendre la
réincarnation de la déesse Athéna qui
défend la Terre contre la domination des
autres dieux de l'Olympe. Orphée (琴座の
オルフェ Raira no Orufe) est Chevalier
d'argent de la Lyre. De par ses
compétences au combat et sa maîtrise du
cosmos, il est l'égal du grade supérieur
des Chevaliers d'or. Son cloth porte
l'emblème de la Lyre, à la fois symbole de
son pouvoir et de la constellation qu'il
représente.
AD 2010: Orphée dans les décombres du 11 septembre
Le film Remember Me (2010) du réalisateur
étasunien Allen Coulter, avec Robert
Pattinson, Emilie de Ravin et Pierce
Brosnan, reprend plusieurs éléments du
mythe d'Orphée sur un fond de drame
romantique typiquement hollywoodien.
Tyler (Robert Pattinson), 21 ans,
n'accepte pas le suicide de son frère
Michael et gaspille ses talents musicaux
et littéraires en errant dans une sorte de
désert personnel. Il joue de la guitare en
dilettante, fréquente sans assiduité les
cours de l'université, tombe amoureux
d'une fille dont il devra se séparer et finit
par connaître une mort violente et
prématurée dans les attentats terroristes
du 11 septembre 2001 à New York. La
seule trace qui restera de lui sera son
journal intime qui s'effeuille dans les
ruines du World Trade Center, comme la
tête d'Orphée continue à chanter après
avoir été arrachée par les Ménades.
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CD d'accompagnement Orphée et Eurydice
1. Orphée I
Gluck à l'ancienne: air de bravoure
Amour viens rendre à mon âme
2. Orphée II
Gluck innovateur: la « noble simplicité »
Quel nouveau ciel pare ces lieux?
3. Euridice (& Chœur)
Cet asile aimable et tranquille
4. L'Amour
Soumis au silence
5. Chœur des Furies (Extrait proposé pour l'Atelier Formation Voix)
Quel est l'audacieux?
Ballet/Instrumental
6. Danse des Furies
7. Ballet des ombres heureuses
Pour les gourmets
8 Orphée baryton
Che farò senza Euridice
Êtes vous plutôt Paris 1859 ou Vienne 1762?
Choisissez votre final préféré, Orphée ou Orfeo ed Euridice
9. Chœur final Orphée 1859
Le dieu de Paphos et de Gnide
10. Choeur final Orfeo ed Euridice 1762
Trionfi Amore
Les extraits musicaux en accompagnement de ce dossier pédagogique sont extraits de l'enregistrement
EMI Classics de Orphée et Euridice, réalisé en 1989 sous la direction de Sir John Eliot Gardiner, avec
le Monteverdi Choir et l'orchestre de l'Opéra de Lyon: Anne Sofie von Otter (Orphée), Barbara Hendricks
(Eurydice), Brigitte Fournier (L'Amour) ainsi que de l'enregistrement Deutsche Grammophon de Orfeo
ed Euridice, réalisé en 1967 sous la direction de Karl Richter, avec le Münchener Bach-Chor et le
Münchener Bach-Orchester, avec Dietrich Fischer-Dieskau (Orphée).
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Textes des extraits musicaux d'Orphée
1. Orphée I
Amour, viens rendre à mon âme
Sa plus ardente flamme.
Pour celle qui m'enflamme,
Je vais braver le trépas.
L'enfer en vain nous sépare.
Les monstres du Tartare
Ne m'épouvantent pas,
Je sens croître ma flamme,
Je vais braver le trépas.
2. Orphée II
Quel nouveau ciel pare ces lieux?
Un jour plus doux s'offre à mes yeux.
Quels sons harmonieux!
J'entends retentir ce bocage
Du ramage des oiseaux,
Du murmure des ruisseaux
Et des soupirs de Zéphire.
On goûte en ce séjour un éternel repos.
Mais le calme qu'on y respire
Ne saurait adoucir mes maux.
3. Euridice & Choeur
Cet asile
Aimable et tranquille
Par le bonheur est habité.
C'est le riant séjour de la félicité.
Nul objet ici n'enflamme
L'âme;
Une douce ivresse
Laisse
Un calme heureux dans tous les sens
Et la sombre tristesse
Cesse
Dans ces lieux innocents.
4. L'Amour
Soumis au silence,
Contrains ton désir,
Fais-toi violence,
Bientôt à ce prix
Tes tourments vont finir.
Tu sais qu'un amant
Discret et fidèle,
Muet et tremblant
Auprès de sa belle
En est plus touchant.
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5. Chœur des Furies
Quel est l'audacieux
Qui dans ces sombres lieux
Ose porter ses pas
Et devant le trépas
Ne frémit pas?
8. Orphée baryton
Che farò senza Euridice?
Dove andrò senza il mio ben?
Che farò? Dove andrò?
Come farò senza il mio ben?
Euridice!
O Dio!
Rispondi!
Io son pure il tuo fedele!
Euridice!
Ah! Non m'avanza
Più soccorso, più speranza
nè dal mondo, nè dal ciel.
Que ferai-je sans Eurydice?
Où irai-je sans mon trésor?
Que ferai-je? Où irai-je?
Que ferai-je sans mon trésor?
Eurydice!
Ô Dieu!
Réponds!
Je suis pourtant ton époux fidèle!
Eurydice!
Ah! Je ne trouverai
Plus de secours ou d'espoir,
Ni dans ce monde, ni dans les cieux.
Version française originale (livret de Pierre-Louis Moline)
J'ai perdu mon Euridice,
Rien n'égale mon malheur;
Sort cruel! quelle rigueur!
Rien n'égale mon malheur!
Je succombe à ma douleur!
Euridice, Euridice,
Réponds, quel supplice!
Réponds-moi!
C'est ton époux fidèle;
Entends ma voix qui t'appelle.
Euridice,
Mortel silence! Vaine espérance!
Quelle souffrance!
Quel tourment déchire mon cœur!
9. Chœur final Orphée (1859)
Le dieu de Paphos et de Gnide
Anime seul tout l'Univers.
Au haut des airs,
Il atteint l'oiseau rapide;
Il embrase la Néréide
Jusque dans le sein des mers.
Il embellit la jeunesse,
Il réunit la grâce à la beauté;
C'est lui qui pare la sagesse
Des attraits de la volupté.
C'est encore lui qui nous console,
Lorsque nous perdons ses faveurs;
Ce Dieu charmant, lorsqu'il s'envole,
Nous laisse l'amitié pour essuyer nos pleurs.
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10. Chœur final Orfeo ed Euridice
ORFEO
Trionfi Amore
E il mondo intero
Serva all'impero
Della beltà.
Di sua catena
Talvolta amara
Mai fu più cara
La libertà.
ORPHÉE
L'amour triomphe
Et tout ce qui respire
Sert l'empire
De la beauté;
Sa chaîne est
Parfois amère,
Mais toujours préférable
À la liberté.
CORO
Trionfi Amore,
e il mondo intero,
Serva all'impero
della beltà!
CHŒUR
L'amour triomphe,
Et le monde entier
Sert l'empire
De la beauté!
AMORE
Talor dispera,
Talvolta affanna
D'una tiranna,
La crudeltà.
Ma poi la pena
Oblia l'amante
Nel dolce istante
Della pietà.
L'AMOUR
Dans les peines,
Dans les alarmes
Je fais souvent
Languir les cœurs;
Mais l'amant
Oublie tout,
Dans le doux instant
De l'amour retrouvé.
CORO
Trionfi Amore, ecc.
CHŒUR
L'amour triomphe, etc.
EURIDICE
La gelosia
Strugge e divora;
Ma poi ristora
La fedeltà.
E quel sospetto
Che il cor tormenta,
Alfin diventa
Felicità.
EURIDICE
La jalousie
Détruit et dévore,
Mais elle cède un jour
À la fidélité.
Et les soupçons,
Qui tourmentent les cœurs,
Deviennent enfin
Le vrai bonheur.
CORO
Trionfi Amore, ecc.
CHŒUR
L'amour triomphe, etc.
Traductions: Christopher Park
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