chapitre 2
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chapitre 2
Les techniques astrophotographiques (2) par Alain Kohler 2. L'astrophoto argentique sur monture non entraînée C'est par là que doit commencer tout débutant. Il suffit de disposer d'un appareil réflex et d'un objectif lumineux comme discuté dans le précédent chapitre et d'un pied. On parle également de photographie sur pied fixe. La photographie sur monture non entraînée est de loin la technique la plus simple, celle qui demande le moins de moyens et qui donne, cela est peu connu, d'excellents résultats par rapport aux moyens financiers et temporels investis. 2.a Le pied photo Il faut choisir un pied assez robuste : l'appareil photo ne doit pas commencer à tanguer en cas de légère brise. Il doit disposer d'un système convivial pour orienter l'appareil dans tous les coins de l'espace en permettant un blocage conséquent même avec un appareil assez lourd : en fait, il n'est de loin pas indispensable d'avoir un système de blocage indépendant sur 2 axes, une manette gouvernant les 2 axes suffit. On exagère parfois sur la robustesse des pieds photos. Or, comme on le verra, la photographie sur pied fixe se fait avec des petits systèmes, habituellement des objectifs de courtes focales. Seuls les cas où l'on travaille avec de grands téléobjectifs méritent une attention particulière sur ce point. Il est par contre indispensable que le pied dispose d'une platine pivotable sur 90 degrés (ou un système équivalent), de sorte qu'on puisse orienter le plan photo pour cadrer correctement : certaines constellations par exemple se cadrent bien dans un format vertical. D'autre part, l'inclinaison de la constellation dans le ciel n'est pas toujours la même selon l'heure d'observation. Il est préférable de ne pas trop allonger le pied lors de l'installation car on perd en stabilité et on risque de shooter le pied par inadvertance dans la nuit. Pour les appareils qui disposent d'un système de visée perpendiculaire, l'équivalent d'un coudé à 90 degrés en astronomie, il ne faut pas hésiter à rendre minimal la hauteur du pied (par exemple 50 cm). 2.b Filé d'étoiles non désirable On entend par filé d'étoiles, l'allongement des étoiles sur la photo compte tenu de la rotation apparente de la voûte céleste consécutivement à un trop grand temps de pause. Il faut limiter le temps de pause de sorte que les étoiles nous apparaissent encore pratiquement rondes sur le cliché. Photo des constellations et de champs stellaires Il convient de prendre l'objectif le plus lumineux possible, si possible avec un rapport f/d égal ou inférieur à 2. Et choisir un film extrêmement sensible, au moins 800 ISO. Le but est évidemment de récolter le plus de lumière dans un laps de temps court. On travaillera donc avec l'objectif en pleine ouverture (c'est-à-dire sans diaphragmer) et tant pis pour les quelques défauts qui apparaîtront sur la photo (coma sur les bords de la photo et vignettage) : le but de l'opération n'étant pas de faire un cliché d'une qualité irréprochable mais bien de voir les étoiles formant la constellation. L'objectif travaillant à pleine ouverture sera particulièrement sensible au voilage consécutif d'une diffusion par l'air des sources de lumière (la "pollution" lumineuse). On choisira évidemment un coin le plus sombre possible en évitant par ailleurs de rester dans un entonnoir de lumière diffuse que consiste par exemple une plaine très habitée. La focalisation ne pose en général pas de problème : il suffit de régler votre objectif sur l'infini. Certains objectifs pourraient présenter une focalisation douteuse sur l'infini. On espère alors que la focalisation devienne meilleure en réglant vers 50 m ou 10 m, sinon cela ne sera pas possible de focaliser. Faire des tests puis noter la position donnant la meilleure mise au point. Mais ce genre de problème est peu fréquent et rarement critique. La grosse difficulté est de savoir combien de temps il faut pauser pour avoir des clichés acceptables. En fouillant dans la littérature, on trouve de tout : du "fada" de la perfection à "l'enfoutiste" total. Si bien que les temps de pause proposés peuvent varier d'un facteur dix ! Il faut tenir compte d'un juste milieu : d'une part l'extrême perfection demandée par le puriste n'est pas le but essentiellement recherché ici et d'autre part il convient de ne pas être trop gêné par un filé d'étoiles très apparent. J'ai réalisé une analyse sur des clichés faits à différents temps de pause sur la constellation d'Orion (déclinaison voisine de zéro) avec un objectif de 50 mm ouvert à f/d = 1,4 et un film dia de 1600 ISO. La qualité du ciel est bonne sans être excellente. La constellation était au sud-est et donc encore non culminante. L'analyse a été faite sur les dias projetées. Grandeur des images projetées : 80 x 120 cm (écran normal). Deux distances d'observation ont éré choisies : 2,5 m (confort du spectacle) et 0,25 m (punctum proximum). La première distance reviendrait par exemple à regarder une photo de 24 x 36 cm à 75 cm d'elle (bonne vue d'ensemble, plus près on perd la vue d'ensemble). La deuxième analyse est beaucoup plus précise et une borne minimale de qualité lorsqu'on analyse de près une photo d'un tel format. Pause 5s à 2,5 m "excellent" à 0,25 m "excellent" 10 s "excellent" début de mag 10 détectabilité "bon" 15 s "très bon" 20 s 25 s 30 s 1 min magnitude limite mag 8 bien détectable "juste suffisant" juste détectable pour très apparent pour mag 10,5 les étoiles faibles toutes les étoiles magnitude maximale "bon" "médiocre" bien détectable traits allongés "juste suffisant" "inacceptable" bien détectable "inacceptable" dès 30 s, on commence même pour les à distinguer la grosses étoiles nébuleuse la "Rosette", "médiocre" la boucle de Barnard, mais on perd en magnitude stellaire : voilage et bougé traits allongés "inacceptable" fort voilage, image trop "inacceptable" claire remarques pas de vignettage visible la constellation se détache très bien très peu de vignettage la constellation se détache bien le meilleur compromis léger vignettage vignettage très apparent la constellation se distingue moins bien image de mauvaise qualité On retrouve le même genre de critique pour les photos au 28 mm ouvert à f/d = 1,8 (avec un décalage d'un facteur 2 bien sûr avec le temps de pause). Tous ces clichés souffrent évidemment du même défaut optique hors axe (coma) du fait qu'on travaille en pleine ouverture et qui peut être plus ou moins important selon la qualité des objectifs utilisés. Cette analyse, un peu subjective, permet de se rendre compte quelle tolérance sur le bougé est acceptable ou non. Comme le travail est fait avec un objectif de 50 mm, il couvre un champ de 39° sur 26° dans le ciel. L'analyse a été faite à l'endroit le plus sévère, soit à l'équateur céleste (3 rois). En 1 jour, une étoile à l'équateur céleste balaie un grand cercle de 360° pour un observateur terrestre, soit 15° chaque heure, ou encore ¼ de degré chaque minute. En 5 secondes (parfait dans les 2 analyses), l'étoile parcourt 1/48ème de degré, soit 1870 fois moins que la longueur de la photo. Par exemple, si celle-ci mesure 1,2 m (dia projetée), le déplacement est 1870 fois plus petit, soit 0,64 mm. Sur une photo de 36 cm (sur 24 cm), ce déplacement est de 0,2 mm. Comparaison entre le cliché de 10 s (à gauche) et le cliché de 20 s (à droite). Il s'agit d'une sélection d'un champ de l'image donnée par l'objectif de 50 mm pour une analyse plus fine. L'image complète couvrirait la page de ce bulletin. Le filé n'est que peu constatable en 10 s de pause alors qu'il est clair en 20 s. Le gain en magnitude sur le cliché de droite est faible (de l'ordre de 0,5 mag). Concernant uniquement le filé d'étoiles, on considère ici (moyenne des 2 analyses) que 5 secondes donnent d'excellents résultats, 10 secondes de bons résultats et 20 secondes des résultats acceptables. Dans le cas présent d'une focale de 50 mm, la pause de 10 secondes est le meilleur compromis entre un filé pas trop important et un nombre d'étoiles suffisant. De plus, le vignettage n'est encore pas trop apparent. En fait, et c'est une bonne surprise, la magnitude limite en 10 secondes frôle la barre de 10 ! La magnitude limite est déjà d'ailleurs de 8 au bout de 5 secondes, soit un nombre d'étoiles nettement supérieur par rapport à une observation visuelle (magnitude limite autour de 6). Un accroissement du temps de pause n'apporte pas grand chose de plus. La formule générale du temps de pause optimal t en secondes en fonction de la distance focale f de l'objectif en mm est : t (s) = 500 f (mm) Pour le perfectionniste, ce temps est à diviser par 2. Et on peut le multiplier par 2 si on est plus "tolérant". Il faut aussi tenir compte que ce temps de pause correspond à la situation la plus défavorable de champs célestes au voisinage de l'équateur céleste (soit une déclinaison nulle). Pour une déclinaison de 45°, multiplier le temps par 1,5 et pour une déclinaison de 60°, multiplier le temps par 2. Cette formule met en évidence qu'il est illusoire de vouloir travailler avec des téléobjectifs d'une part parce que le temps de pause devient plus court et d'autre part parce qu'ils sont moins lumineux. Comparons un objectif de 50 mm ouvert à f/d = 1,4 et un téléobjectif de 300 mm ouvert à f/d = 5,6. Ce dernier est (5,6/1,4)2 soit 16 fois moins lumineux que l'objectif de 50 mm et on doit poser 6 fois moins longtemps (300/50) donc on aura environ 100 fois moins de lumière (16 x 6), ce qui correspond à une perte de 5 magnitudes ! Si l'on compare avec la situation précédente, cela veut dire tout au plus des étoiles de magnitude 5 avec en prime un champ nettement plus petit, si bien que les étoiles seront très peu nombreuses sur le cliché. En conclusion, la photographie des constellations sur pied fixe donne des résultats très satisfaisants (beaucoup plus satisfaisants que ce que l'on croit habituellement) si on respecte les quelques repères suivants : • • • • choisir un site sombre travailler avec un objectif très lumineux, de courte focale (< 80 mm) en pleine ouverture prendre un film très sensible d'au moins 800 ISO travailler autour du temps de pause optimum Photo de la Lune, du Soleil et de ses éclipses La Lune et a fortiori le Soleil sont très lumineux. Dès lors, un temps de pause inférieur à la seconde permet la réalisation de clichés, sauf dans le cas d'une éclipse totale de Lune où l'on peut dépasser la seconde. Pour voir des détails sur ces astres, il faut une longue focale de l'ordre de 300 mm et plus. Un chapitre particulier sera consacré à la photographie lunaire et solaire. Eclipse totale de Lune de septembre 1997 : 1 s de pause avec téléobjectif de 300 mm ouvert à f/d = 4 sur film de 400 ISO Eclipse partielle de Soleil de mai 1994 : 1/2000 s de pause avec téléobjectif de 300 mm ouvert à f/d = 22 sur film de 100 ISO 2.c Petit filé d'étoile acceptables L'idée ici est d'admettre dans certains cas un léger filé d'étoiles, car ces étoiles ne constituent qu'un arrière-fonds par rapport à l'objet principal devant. Photo d'étoiles filantes L'idée est exactement la même qu'avec les constellations, à savoir obtenir le maximum de lumière en ne regardant pas trop sur les défauts inhérents de la photo (vignettage et coma). Le filé est ici presque nécessaire : en effet, la technique usuelle consiste à faire beaucoup de photos dans une portion du ciel choisie en espérant qu'une étoile filante brillante passe dans le champ. Or, cette pêche est souvent fastidieuse car les poissons sont peu nombreux et ne mordent pas forcément (soit l'étoile filante n'est pas dans le champ, soit elle est trop faible). Il est alors nécessaire de faire de la photographie sur plusieurs heures pour avoir la chance d'en attraper à condition évidemment de choisir un essaim assez actif (Perséides, Aquarides, Léonides ces dernières années). Si l'on s'amuse à ne faire que 15 secondes de pause par photo, on comprend vite que le nombre de photos risque de devenir astronomique !! On travaille habituellement autour de 2 à 4 minutes par photo et comme l'objectif est très ouvert, il est nécessaire de travailler dans un site très sombre. Un objectif de 80 mm étant en moyenne moins lumineux qu'un 50 mm et de plus le champ étant plus petit, la probabilité de pêcher une étoile filante tombe considérablement : pour cette raison, on donnera la préférence aux objectifs lumineux de distance focale égale ou inférieure à 50 mm. Il est clair qu'il faut prendre un film le plus sensible possible mais s'il est trop sensible, le voilage apparaîtra ce qui diminue la chance de distinguer une étoile filante qui serait passée dans le champ. Par exemple, si l'on travaille à f/d = 1,4 dans un site de qualité moyenne, il est inutile de prendre un film de 1'600 ASA si l'on pause 2 minutes, le voilage sera bien trop important. Il est difficile de donner une règle très précise car le critère ici très important est la qualité du ciel : le mieux est de faire des tests quelques jours avant l'apparition de l'essaim. La portion du ciel à viser est de préférence à choisir assez haute (pour minimiser le voilage) et à environ 90 degrés du radian de l'essaim : cela donne des traits d'étoiles filantes de "bonne" longueur (on peut aussi faire dans la direction du radian mais les traits sont nettement plus petits, cette visée étant surtout intéressante lorsque l'amas est hyperactif, comme les Léonides chaque 33 ans, et qu'on a la chance d'avoir plusieurs étoiles filantes sur le même cliché). En conclusion, on a quelques chances (mais c'est vraiment difficile !) de photographier une étoile filante si l'on respecte les règles générales suivantes : • • • • • • • • cibler un essaim très actif choisir un site le plus sombre possible travailler avec un objectif très lumineux, de courte focale (< 55 mm) en pleine ouverture faire des pauses de 2 minutes ou 4 minutes faire des essais avec différents films quelques jours avant l'essaim analyser les résultats en espérant que la sensibilité du film adéquat soit de 400 ISO ou plus. faire les photos à une période bien centrée autour du pic d'activité de l'essaim. choisir un coin du ciel qui soit assez haut et de préférence à environ 90 degrés du radian de l'essaim Photo de comètes Disons tout de suite que les clichés sont possibles seulement si la comète est hyperbrillante comme le furent les 2 comètes de 1996 et 1997 (Hyakutake et Hale-Bopp). Pour fixer les idées, la comète devrait être facilement visible à l'œil nu. Là aussi un petit filé d'étoiles n'est pas trop gênant. La comète elle-même, qui se déplace un peu par rapport au fond stellaire, peut supporter un faible bougé car sa nature nébuleuse ne donne des contours pas très définis. Mais il ne faut toute de même pas exagérer et pauser 4 minutes car le signal de la comète risque une dilution trop importante. • choisir un site le plus sombre possible • travailler avec un objectif très lumineux, de focale assez courte (< 100 mm) en pleine ouverture. La focale doit être telle que toute la comète figure sur la photo. • faire une pause de l'ordre de la minute • la sensibilité du film doit être au moins de 800 ISO. Ci-joint, la comète Hyakutake prise avec un appareil photo sur pied fixe de 100 mm de focale ouvert à f/d = 3,5. Pause de 20 secondes sur film Tmax 3200 ISO. Jean-Marc Fasmeyer. Photo de satellites La plupart des satellites ont un éclat faible (magnitude supérieure à 3) et les résultats sont assez décevants. Le mieux est de travailler sur deus objets : a) La station spatiale internationale (ISS) : sa magnitude peut très bien être négative quand elle passe non loin du site d'observation. On peut ici faire une photo de l'ordre de la minute ou même moins (dépendant de la position de l'ISS par rapport à l'observateur) pour obtenir un grand trait dans une constellation traversée par l'ISS. b) Les flash Iridium. Ce sont des satellites qui reflètent avec un panneau la lumière en direction de l'observatoire. L'éclat est bref (pas plus de quelques secondes) mais très intense (jusqu'à mag – 8 !). Ils peuvent être prédits très précisément quelques jours à l'avance (date et endroit dans le ciel). Il faut pointer alors dans la direction souhaitée et commencer la photo environ 10 secondes avant l'événement. On peut arrêter la pause directement après le flash. Le ciel n'a pas besoin d'être très bon et on peut travailler avec de plus longues focales (jusqu'à 100 mm) pour autant qu'on soit sûr de l'endroit à viser. Le film peut être de sensibilité moyenne (200 à 400 ISO). 2.d Filé d'étoiles voulu, circumpolaire L'idée principale est ici de donner un effet dynamique lié à la rotation apparente de la voûte céleste. Le temps de pause dépasse habituellement la dizaine de minutes. Il est par ailleurs possible que certains films révèlent mieux la couleur des étoiles avec cette technique. Il faut toutefois mentionner qu'il est parfois difficile de deviner les constellations. Si on pointe en direction de l'étoile polaire, on obtient en plus un côté didactique : la voûte céleste semble tourner d'est en ouest autour d'un axe passant par le pôle nord céleste très près duquel se trouve l'étoile polaire (alpha de la Petite Ourse) : cette dernière est donc quasiment un point sur les photographies. Les clichés ciblés sur la polaire sont appelés circumpolaires. A la différence d'un ciblage quelconque pour lequel une pause supérieure de 30 minutes n'apporte que peu de choses du point de vue esthétique, un cliché circumpolaire peut être pausé jusqu'à plusieurs heures. Les traces circulaires seront de 15° par heure d'exposition (puisque la voûte céleste fait 360° en près de 24 h). On privilégiera la présence d'un paysage en avant plan. Comme le temps de pause est long, un film autour de 400 ISO suffit et il faut par ailleurs diaphragmer l'objectif pour éviter un voilage qui apparaîtrait nécessairement après une très longue pause. Ce choix de l'ouverture est délicat, il dépend évidemment du temps de pause, de la sensi-bilité du film et malheureusement d'un facteur très important pas toujours évident à quantifier : la noirceur du ciel. Les clichés circumpolaires pris dans des sites très sombres peuvent être spectaculaires. Les conseils : • • • • • • choisir un site le plus sombre possible (important !) film autour de 400 ISO pour un circumpolaire choisir une petite focale (< 35 mm) cadrage avec un avant plan choix du temps de pause selon le but recherché diaphragmer de manière judicieuse (essais souhaitables…) : pour donner une idée, diaphragmer à f/d = 5,6 pour un bon site et un temps de pause de l'ordre de 30 min. Un filé d'étoiles au-dessus du Breithorn et mise en évidence de la voie lactée Circumpolaire de 20 minutes au-dessus des sapins D'autres applications de la photographie sur pied fixe sont réalisables comme la photo de conjonctions, des aurores boréales, etc… Il appartient avant tout d'être imaginatif, de trouver des avants plans originaux : la création photographique est alors sans limite.