Cinéma du Réel Qui es-tu?
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Cinéma du Réel Qui es-tu?
Cinéma du Réel Qui es-tu? Clémence Baudouin Master professionnel « conduite de projets et connaissance des publics » Note de synthèse : « Production cinématographique et audiovisuelle » Université Paris X – Nanterre – 2006/2007 Sommaire Introduction 1) Offrir un espace de diffusion au documentaire de création − défendre le genre cinématographique du documentaire − ses relations avec la télévision − aider la diffusion du documentaire − toucher un maximum de public 2) Une programmation pérenne de cinéma d'auteur − la sélection des films − la compétition du Cinéma du réel − à la rencontre des maîtres du documentaire − reflet des tendances du documentaire Conclusion Le centre Pompidou, musée d'art contemporain, est né par la volonté de ce même président qui lui a donné son nom en 1977. Fidèle à sa vocation d'interdisciplinarité, il abrite une grande bibliothèque publique d'information (BPI) en plus de ses collections d'art contemporain et un cinéma. Sa mission principale est de « donner à connaître l'ensemble des productions de la création du XXe siècle et les prémisses de celle du XXIe ».1En 1978, la BPI donne le jour aux Rencontres du cinéma direct « axées sur une double préoccupation : d'une part des oeuvres de cinéma direct, ou du cinéma d'auteur, d'autre part des documents qui proposent un bon dossier sur un sujet donné. »2 Sous l'impulsion de Marie Christine de Navacelle, responsable du secteur audiovisuel de la BPI, ces Rencontres deviennent l'année suivante le premier festival de films ethnographiques et sociologiques. Il sera intitulé le Cinéma du réel, se dote de prix et d'un jury pour les décerner et cela fait 29 ans qu'il éclot à chaque printemps. « Le Cinéma du réel, c'est un titre de qualité : on peut y mettre tout ce que l'on veut. Mais c'est aussi contraignant qu'une auberge espagnole. Avec une pirouette, on pourrait le nommer le cinéma de l'irréel! »3 Ce n'est pas un hasard qu'il soit né dans ces locaux. En effet, la BPI dès son ouverture met en place pour la première fois la possibilité de consultation audiovisuelle pour son public, assortie d'une politique d'achat. De plus, la BPI hébergée par Pompidou était l'endroit idéal pour ouvrir cette fenêtre sur le monde. Dès le début du festival la programmation était internationale. Toutes les fées se sont penchées sur le berceau de ce nouvel événement pour le documentaire. Dès le départ Jean Rouch, l'instigateur avec Edouard Morin du cinéma-vérité l'a soutenu. Il a aussi bénéficié d'un parrain plus que prestigieux dans le documentaire : Joris Ivens, le réalisateur de « Terre d'Espagne » ou de « Misère au borinage » avec Henry Storck. Les grands noms se succéderont à ce que très vite on appellera communément, le Réel. D'ailleurs, c'est non sans malice qu'on lui a donné ce nom à ce nouveau né du genre. Dans toutes les têtes, le cinéma rime avec fiction, alors le qualifier de réel! Mais justement, selon Suzette Glenadel, secrétaire adjointe du festival de 1988 à 2005, « il s'agissait de rappeler que notre domaine de prédilection était bien le "réel", tout en affirmant une volonté et une exigence de cinéma. »4 Il ne lui restait plus alors qu'à se forger une identité et un caractère comme espace de diffusion du documentaire de création, doté d'une programmation pérenne de cinéma d'auteur. 1) Offrir un espace de diffusion au documentaire de création Le Cinéma du réel s'est voulu dès le départ comme un lieu de découvertes, d'échanges et de rencontres du documentaire en lui donnant les moyens d'amplifier son audience et de cette manière d'encourager sa production. Le genre apparaissait comme le parent pauvre du cinéma et de l'audiovisuel. Louis Malle disait lui-même: « les documentaires c'est l'enfer. D'abord on ne vous donne pas d'argent, ensuite, personne ne va les voir, et, enfin cela prend un temps considérable. J'en fais parce que cela me passionne, mais c'est vrai que c'est pas facile. »5 La télévision française à la fin des années 80 préfère au documentaire les reportages et autres enquêtes journalistiques. Le documentaire se développe plutôt dans des circuits parallèles associatifs à tendance militants. En 1985, des documentaristes s'alarment et créent sous la présidence de Joris Ivens, ultime représentant du genre, « La bande à Lumières ». Pour ne plus se perdre dans le flot d'images déversées sur le réel, ils affirment l'appellation « documentaire de création ». Ce groupe est composé de noms qui sont ou ne tarderont pas à devenir illustres pour le genre avec entre autre : Raymond Depardon, Yan Le Masson, Jean Rouch, Agnès Varda, Marcel Ophuls et Simone Vannier, auparavant directrice de « Documentaire sur grand écran ». La notion de documentaire de création insiste sur la place de l'auteur dans les films, loin de l'illustration et du reportage. Le documentaire de création a été défini 1 2 3 4 5 http://www.centrepompidou.fr/pompidou/Communication.nsf/0/88D31BDB4FE7AB60C1256D970053FA6F? OpenDocument&sessionM=9.1&L=1 De Navacelle Marie-Christine, propos recueillis par Marcorelle Louis, « Le documentaire aux premières loges », Le Monde, 10 mars 1984. Propos de Marie- Christine de Navacelle par Joëlle Matos, « Orgie de réel à Baubourg », Libération, 25 mars 1988. Humblot Catherine et Jacques Mandelbaum, « Les vingt ans d'exigence et de succès du Cinéma du Réel », Le Monde, 13 mars 1988. Entretien avec Louis Malle par Claire Devarrieux et Marie Christine de Navacelle, « Cinéma du réel », Editions Autrement, Paris, 1988. par la Commission Nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) par décision du 31 décembre 1987, comme celui qui, « se réfère au réel, le transforme par le regard original de son auteur et témoigne d’un esprit d’innovation dans sa conception, sa réalisation et son écriture [et qui] se caractérise par la maturation d’un sujet traité et par la réflexion approfondie, la forte empreinte de la personnalité d’un réalisateur et/ou d’un auteur. »6 Or, cette définition n’a plus cours juridiquement, elle a été jugée trop restrictive par le Conseil d’Etat le 16 novembre 1990. Néanmoins, elle rassemble tous les points qui qualifient le documentaire de création. C'est ce cinéma là que le Réel veut donner à voir au public. C'est la définition même des termes cinéma du réel : un point de vue d'auteur et une écriture cinématographique du documentaire. Cet objectif n'a pas changé aujourd'hui comme en témoigne le règlement de la compétition pour le 29ème festival, « Le comité de sélection recherche les films faisant preuve de qualité d'écriture cinématographique et d'engagement artistique, qui manifestent le point de vue de leur auteur dans la forme comme dans le contenu. »7 Depuis 1990, le documentaire de création appartient au genre classé par le Centre National Cinématographique (CNC) et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) d'oeuvres audiovisuelles, comme « émissions ne relevant pas d’un des genres suivants : œuvres cinématographiques de longue durée, journaux et émissions d’information, variétés, jeux, émissions, autres que fiction, majoritairement réalisées en plateau, retransmissions sportives, messages publicitaires, télé-achats, auto-promotion, services de télétextes. »8 La télévision est une source de financement indispensable pour le documentaire. Le CNC n'attribue ces aides dans la plupart des cas sous la condition d'avoir un accord de pré-achat ou de co-production avec un ou plusieurs diffuseurs français. La télévision a contribué à l’essor du documentaire en lui offrant un espace de diffusion. Ce sont les chaînes notamment publiques qui financent en grande majorité la production documentaire. En 2005, les chaînes publiques : France 2, France 3, France 4, France 5, Arte, ont apporté 96, 7M€9 à la production de documentaires soit 44,9%10 des financements de toutes les chaînes du paysage audiovisuel français réunies. Le Cinéma du réel a bien évidemment conscience de ce contexte dans lequel évolue le documentaire. Le festival est né pour permettre à ces films d'être vus par le plus grand nombre et le Réel peut être un coup de projecteur sur des oeuvres pouvant ensuite être achetées par des diffuseurs français ou étrangers. Bien que ce ne soit pas le but premier du festival, le nombre de films achetés par les diffuseurs après être passés au Réel est aujourd'hui conséquent, preuve de son institutionnalisation et de la reconnaissance médiatique. C'est surtout Arte qui achète ces documentaires, comme «Les Enracinés » de Damien Fritsch sélectionné dans la compétition française en 2005 du festival, diffusé sur la chaîne francoallemande. D'ailleurs, c'est La Sept, ancêtre de Arte, qui a participé à la relance de la production de documentaires par une politique d'achat dès sa création en 1987. Cette relation de la télévision et du Réel n'est pas récente. En 1985, Marie Christine de Navacelle annonçait déjà la vente de 40 films ayant été diffusés dans le cadre du festival parisien. Et pourtant en 1998, Suzanne Glenadel qui lui a succédée s'exprime sur le sujet en ces termes: « le festival joue actuellement plutôt le rôle d'un rempart culturel, en permettant à des oeuvres originales et hors normes d'êtres vues en dépit de la loi du marché et du formatage télévisuel. »11 Même si ce sont souvent les mêmes diffuseurs qui achètent des documentaires « labellisés »Réel, les acquisitions de droit sont là. Le festival se seraitil formaté ou est-ce la télévision qui propose une offre plus diversifiée et plus risquée pour elle? Bien sûr, il n'y a pas une réponse et Arte est une chaîne au contenu particulièrement élaboré et faisant une large place à la découverte et à la culture, de là à penser que toutes les chaînes se 6 Kessler, David, Rapport du directeur général du Centre National de Cinématographie, « l’œuvre audiovisuelle », 21 mars 2002. 7 cf. annexe Règlement du Cinéma du Réel. 8 Ibid. 9 http://www.cnc.fr/Site/Template/T3.aspx?SELECTID=1607&ID=964&t=2 10 http://www.cnc.fr/Site/Template/T3.aspx?SELECTID=1610&ID=967&t=2 11 Propos de Suzette Glénadel recueillis par Humblot Catherine et Mandelbaum Jacques, « Les 20 ans d'exigence et de succès du Cinéma du réel », Le Monde, 13 mars 1988. mettent à diffuser ce genre de programmes, nous en sommes encore loin. Le festival de la BPI a ce mérite d'être un pèlerinage pour tous les amateurs du documentaire de création peu représenté. Le Cinéma du réel se veut être un carrefour du documentaire. Il donne à voir chaque année des films la plupart du temps exclusifs en France issus de plus de 25 pays en moyenne. Certains ont été frappé par la censure pendant des années à l'exemple des documentaires iraniens projetés en 1999.12 Tous ces documentaires partent ensuite dans le catalogue de la BPI mis à la disposition du public de la bibliothèque. Les droits des films sont achetés par la Direction du livre et de la lecture pour être transmis aux autres bibliothèques publiques de France. Marie-Christine de Navacelle insiste sur l'importance de ce dispositif : « la partie cachée de l'iceberg, ce sont les 80 bibliothèques publiques. C'est obscur, mais c'est le seul moyen de sortir les films du ghetto. Le festival tient parce qu'il s'appuie sur ce réseau permanent. »13 De plus, la BPI poursuit cet objectif d'amener les documentaires en région à travers sa Mission de l'Audiovisuel dès 1982, « en recherchant des publics structurés (groupes de formation, enseignants, comités d'entreprises...) et l'amène à définir dans un premier temps une diffusion culturelle en région parisienne et en province. »14 Pour favoriser la diffusion des oeuvres, le Réel s'est aussi engagé dans le Réseau d'échange et d'expérimentation pour la diffusion du cinéma documentaire (RED) avec des responsables de cinéma (L'Alhambra de Marseille, Le Cinématographe de Nantes etc.), de festivals ( Festival del Popoli à Florence en Italie, le Festival international du documentaire de Marseille etc.), de structures associatives (Périphérie en Seine Saint Denis, Voir et Agir à Bobigny), de collectifs (l'association des cinéastes documentaristes l'ADDOC, l'association Ardèche Image Lussas etc.) et d'institutions (L'Association des cinémas recherche en Ile de France ACRIF, le GNCR Groupement national du cinéma de recherche etc.). Le Cinéma du réel défend une approche créative du documentaire et une meilleure diffusion des oeuvres à travers ce réseau d'échanges « pour que le documentaire prenne toute sa place dans la création cinématographique et son histoire. »15 De plus, depuis quelques années le Réel sort de des murs de Beaubourg avec une programmation « Hors les murs. » Les films présentés au festival sont montrés en avant première dans d'autres salles de cinéma par leur réalisateur. Ainsi, dans l'édition 2006, la réalisatrice Mercedes Alvarez, membre du jury international de 2006 et Grand Prix 2006 a été rencontrée le public du cinéma Le Trianon à Romainville, après la projection de son film « Le ciel tourne ». Le Réel va au devant du public afin d'apporter la bonne parole de la diversité des écritures et des sujets des documentaires. Le festival a aussi mis en place récemment l'édition de DVD, toujours pour faire mieux connaître le documentaire à tous les publics. « La Guerre de pacification en Amazonie » d’Yves Billon, sélectionné en 1977 au festival de Cannes dans la catégorie « un certain regard », a été ainsi édité en DVD en octobre 2006 par le Cinéma du réel associé à Zarafa Films.16 En 2005, le festival a aussi mis en place une politique de sous-titrage en français des films de la compétition internationale, de la rétrospective et des programmes non compétitifs et les met à la disposition de d'autres manifestations, toujours dans ce même but de faciliter la diffusion de ces films souvent rares à un public de plus en plus demandeur. Le public du Cinéma du réel a évolué comme ce festival depuis sa création, en 1978. Au début du Réel, les projections étaient gratuites et le contenu beaucoup plus ethnographiques, tandis que le côté sociologique était incarné dans des films militants. Il faut rappeler que le Cinéma du Réel s'était auto-désigné comme festival international de documentaires ethnographiques et sociologiques. Face à cette programmation, le public était constitué surtout de spécialistes. Ensuite, la programmation et le festival s'est élargi et c'est en 1983 qu'un public plus large a commencé à se fidéliser à ce rendez-vous printanier. Le bilan du film ethnographique créé en 1982, soit 3 ans après 12 13 14 Peigne-Giuly Annick, « Percée du docu perse », Libération, 6 mars 1999. Matos Joëlle, « Orgie de réel à Beaubourg », Libération, 25 mars 1986. « Des mini-festivals 'Cinéma du réel' », CNAC magazine, 1er mai 1982. 15 http://www.cinereel.org/rubrique26.html 16 http://www.cinereel.org/article930.html le réel, a pris la suite de cette programmation pour spécialistes au Palais de Chaillot à Paris par l'initiative du cinéaste et ethnographe Jean Rouch qui avait lui-même soutenu la création du Réel. Marie-Christine de Navacelle, secrétaire général du festival dès ses débuts jusqu'en 1987, confiait au Monde en 1984: « si notre sélection a des lacunes, nous sommes heureux que, grâce à Jean Rouch et au Musée de l'Homme, un certain nombre de films que nous n'avons pas retenus soient assurés d'une projection normale. [...] Les oeuvres montrées par Jean Rouch s'adressent davantage à des spécialistes, mais elles n'en sont pas moins importantes. »17 Les deux festivals, le Bilan et le Réel ne cherchent pas à se faire concurrence d'autant plus naturellement , le public du Réel est à la fois celui de la BPI, du centre Beaubourg et les amateurs du genre. Nous pouvons en déduire que c'est un public cultivé, cinéphile averti. Une festivalière fidèle depuis les débuts du Réel, témoigne dans les pages de Libération, Liliane, professeur d'anglais à la retraite : « La sélection, l'organisation et l'accueil de cette manifestation s'améliore d'année en année. »19 Le Cinéma du réel a mis aussi un dispositif en place montrant l'attention qu'il porte à son public, les ateliers-rencontres : « associant cinéastes et public autour des écritures du documentaire et de pratiques des auteurs. »20 Au sein du festival, des conférences sur les questions liées à l'avenir du genre, à son écriture, sont aussi organisées pour un public de professionnels. Par exemple en 2005, le Réel accueillait Eurodoc, une structure professionnelle pour aider les producteurs de documentaires à donner naissance à des oeuvres documentaires. Le public a aussi grandi avec le documentaire. Depuis quelques années le documentaire se donne beaucoup plus à voir ne serait-ce qu'en salle. Pour les seuls films en première exclusivité ils sont 57 en 2005 pour atteindre un record de 77 en 2004, 42 en 2003, 35 en 2002 et 26 en 2001 issus de toutes nationalités.21 Alors qu'en 2000, le public du documentaire ne représentait que 0,2% des entrées des films de première exclusivité, en 2004, l'année faste, ils étaient 3,6%.22 Or, en 2004 certains documentaires ont connu un véritable succès publique, notamment « Fahrenheit 9/11 » du cinéaste américain Michaël Moore ou dans un tout autre genre « La marche de l'empereur » du français Luc Jacquet. Le documentaire de création n'ayant pas de définition juridique en exercice, ces entrées sont comptabilisées par le CNC parmi tous les types de documentaires. Sans conteste, le public s'est tout de même élargi avec l'intérêt renouvelé des médias pour ce genre cinématographique, si bien que le Cinéma du réel accueillait 16 000 spectateurs en 2004 et 17 000 en 200523, venus voir, ce que la presse qualifie globalement, une programmation de qualité. 2) Sa programmation C'est de sa programmation que le festival tire une bonne part de ce qui fait son succès et sa renommée. L'ensemble de la presse salue la qualité de sa programmation, même si en 28 éditions elle ne peut-être qualifiée de linéaire. Ainsi, Positif, magazine de référence du cinéma juge l'édition 17 Propos de Marie-Christine Navacelle recueillis par Louis Marcorelles in « Le documentaire aux premières loges » Le Monde, 10 mars 1984. 18 Communiqué de presse avant-programme 2007, 29 ème édition du Cinéma du réel. http://www.cinereel.org/article1057.html 19 Matos Joëlle, « Orgie de réel à Beaubourg », Libération, 25 mars 1986. 20 Communiqué de presse avant-programme 2007, 29 ème édition du Cinéma du réel. http://www.cinereel.org/article1057.html 21 cf. annexe. Tableau CNC : « Résultats des nouveaux films selon les genres ». 22 Idem 23 Baudin Brigitte, « Et vogue le documentaire », Le Figaro, 13 mars 2006. de 1997 comme « un cru de qualité, sage et sérieux »24, le mot « qualité » revient souvent dans la presse quand elle s'exprime sur les films projetés au Réel. Le Cinéma du réel poursuit toujours les mêmes objectifs et les mêmes exigences vis à vis des documentaires qu'il sélectionne chaque année. Au départ du festival, l'équipe envoyait un formulaire d'inscription dans le monde entier pour avoir un panel le plus large possible afin de sélectionner la programmation. « La réputation du festival grandissant – notamment grâce au ministère des Affaires étrangères- [...] l'offre a considérablement augmenté. »25 Des membres de l'équipe sont en plus chargés de prospecter à l'étranger. Chaque année, le Réel reçoit en moyenne 600 films qui concourent à la sélection dans la programmation. Arriver à ce nombre, démontre une renommée grandissante de la manifestation cinématographique et une reconnaissance de sa pertinence dans le domaine. Dans sa sélection, le Réel ne prend en compte que les films exclusifs dans la sélection internationale : « ne peuvent concourir que les oeuvres inédites en France, c'est à dire n'ayant été ni diffusées ni distribuées commercialement, ni présentées lors de manifestations culturelles. »26 Dans la sélection française, « ne peuvent concourir que les oeuvres n’ayant pas été diffusées par une des chaînes de télévision hertzienne terrestre à couverture nationale, n’ayant pas été distribuées en salles et n’ayant pas été présentées à un festival français. »27 Le Cinéma du réel est alors assuré de faire l'évènement en programmant ces films en exclusivité. Il se démarque forcément des autres festivals consacrés au documentaire en ayant la primeur de la diffusion de ces films. De plus, il laisse une large possibilité aux réalisateurs de faire concourir leur film en acceptant tous les supports, que ce soit en DVD ou en VHS et ne prescrit pas de durée des oeuvres, sont acceptés à la sélection les documentaire de court, moyen ou long métrage. Une fois sélectionnés, la commission les classent dans les différentes catégories du festival. Le Cinéma du réel peut alors commencer à distribuer ces bonnes notes. En effet, au delà d'être une simple manifestation, le Cinéma du réel c'est un jury international, des prix, une compétition. A l'origine, les films étaient sélectionnés seulement pour la compétition internationale avec comme plus haute distinction « le grand prix » et hors compétition en section « information qui, elle, privilégiait le contenu. »28 Parallèlement, était organisé soit un hommage à un auteur comme à Henry Storck en 1986, soit une rétrospective autour d'un thème avec par exemple en 1986 « la télévision et les paysans » avec la participation de l'Institut National d'Audiovisuel (INA). Après le départ de Marie-Christine de Navacelle, remplacée par Suzette Glénadel en 1988, le dispositif du Réel évolue. La sélection internationale se poursuit mais se restreint au cadre compétitif et une rétrospective consacre la découverte plus complète des documentaires d'un pays ou d'une zone géographique, le choix s'est porté pour cette édition de 88 sur trois pays européens: l'Espagne, le Portugal et la Grèce. La section « information »est supprimée cette même année au profit d'un « Panorama français » non soumis à la compétition encore et qui le sera quelques années plus tard. Cette nouvelle sélection nationale a été permise par une renouveau dans le documentaire français. De nouvelles chaînes ont vu le jour qui favoriseront la diffusion du documentaire, c’est le début des créneaux réservés aux documentaires qui se multiplient. La production se dynamise à l'exemple de la société « Les films d'Ici » spécialisée dans la production de documentaires, depuis sa création en 1984, elle a permis à 450 films d'auteur d'exister.29 Aujourd'hui, le Cinéma du réel a donc deux compétitions. La sélection française représente : « une dizaine de films inédits, reflétant la diversité des propositions de cinéma dans la création française. »30 La compétition internationale 24 Appert Marie, « Cinéma du réel 96 », Positif, n°433, mars 1997. 25 Propos de Suzette Glénadel recueillis par Humblot Catherine et Mandelbaum Jacques, « Les 20 ans d'exigence et de succès du Cinéma du réel », Le Monde, 13 mars 1988. 26 Règlement de participation du Cinéma du Réel, édition 2007. 27 Règlement de participation du Cinéma du Réel, édition 2007. 28 Propos de Suzette Glénadel recueillis par Humblot Catherine et Mandelbaum Jacques, « Les 20 ans d'exigence et de succès du Cinéma du réel », Le Monde, 13 mars 1988. 29 http://www.lesfilmsdici.fr/jeuxlfdi.htm 30 Communiqué de presse avant-programme 2007, 29 ème édition du Cinéma du réel. http://www.cinereel.org/article1057.html plus importante, présente une trentaine de films inédits de la production de l'année antérieure, « en première française ou en première internationale. »31 Les prix du festival se sont étoffés en nombre et leur montant a aussi augmenté avec les nouveaux et différents partenaires soutenant le Réel. En 1983, le cinéma du Réel prend véritablement de l'ampleur, son public, le nombre de films se présentant à la sélection, sa couverture médiatique, augmentent. C'est aussi l'année où le festival bénéficie de l'aide du CNC en créant l'association des Amis du Cinéma du réel, sous la présidence d'honneur de Joris Ivens. L'association est aujourd'hui présidée par Sophie Goupil avec des membres prestigieux comme Chantal Akerman, Nagisa Oshima, Bob Conolly, Frederick Wiseman etc. L’association et donc le festival est soutenu aujourd'hui par la Drac Ile-de-France, toujours par le CNC, le Conseil Régional d’Île-de-France, la Mairie de Paris ( participation avec le Centre Pompidou au Prix des jeunes doté de 2 500 euros), la Commission Télévision de la Procirep en donnant chaque année 8000 euros au film remportant le Grand prix Cinéma du réel. Par le prix international portant son nom la Société de gestion collective des droit d'auteur dans le domaine du multimédia, la SCAM dote le festival de 4600 euros. Le ministère des Affaires étrangères (DGCID) apporte au Cinéma du réel sa contribution à travers le prix Louis Marcorelles par l'achat de droits, le sous-titrage anglais et espagnol, l'édition du film sur support DVD, la promotion de celui-ci et la prise en charge d'une mission à l'étranger pour un montant équivalent à 15 000 euros. Le ministère de la Culture et de la Communication participe aussi via la Direction du livre et de la lecture avec le prix des Bibliothèques doté de 6 000 euros, par la Direction de l’Architecture et du Patrimoine et la Mission Ethnologie à travers le prix du Patrimoine récompensant un film français portant sur les réalités française de 2 500 euros. Autant de partenaires prestigieux qui prouvent une fois de plus l'incarnation du Réel comme un festival incontournable cinématographique. Trois autres prix de 2500 euros sont décernés à l'occasion du festival : le prix du court-métrage, le prix Joris Ivens à la première oeuvre et la Bourse Pierre et Yolande Perrault. Au delà de la valeur monétaire, ces prix sont bien entendu un gage de qualité du documentaire et peuvent être un passeport pour qu'il soit diffusé sur une chaîne, dans un festival ou même pour sortir dans les salles de cinéma. Recevoir un prix au festival du Réel, c'est s'assurer une reconnaissance des paires et faire se poursuivre ou débuter la carrière d'un film et d'un cinéaste. En effet, le festival a choisi de décerner des prix afin d'encourager les jeunes réalisateurs et les premières oeuvres en cohérence avec son objectif de favoriser la création documentaire. Le Cinéma du réel s'est illustré à chacune de ces éditions par les films présentés. Dès sa création, c'est Raymond Depardon illustre photographe et cinéaste qui présentait en avant première « Numéro zéro », un film retraçant les débuts du Matin de Paris. Il est resté intimement lié au festival, Depardon a présenté en 1996 un autre de ces films majeurs : « Afriques, comment ça va avec la douleur? ».32 Beaucoup de cinéastes reconnus ont suivi le Réel et projetés leur film dans le cadre du festival. Jean Rouch qui avait encouragé sa création est venu présenter ses films : « Margaret Mead », sur la célèbre anthropologue en 1979 ou « Chroniques d'un été : été 1960 », une interrogation sur le bonheur avec en ligne de mire le cinéma-vérité, en 1980. Le festival a d'ailleurs rendu hommage à ce parrain en 2006 en projetant un de ses films « voyou » et « Jean Rouch et Germaine Dieterlen, l'avenir du souvenir », de Philippe Constantini. D'autres réalisateurs ont servi de fil conducteur aux éditions du Réel, ceux qui illustrent le mieux cet attachement sont sûrement Joris Ivens et Frédérick Wiseman. Cette amitié est réciproque, le Réel aime ce cinéaste américain et nous le montre en projettant ses films quasiment à chaque édition : «Canal zone » en 1979 ou « Domestic violence » en 2002, pour ne citer que ces deux là. Il a été aussi jury dans la commission de sélection. Le Cinéma du réel a aussi acquis une image d'intégrité, de sérieux dans sa programmation en montrant au public dans un panel très large ce que le monde comporte en documentaire de création. Le Réel a été la première manifestation à mettre en avant le documentaire 31 Communiqué de presse avant-programme 2007, 29 ème édition du Cinéma du réel. http://www.cinereel.org/article1057.html 32 Mandelbaum Jacques, « Raymond Depardon, l'Afrique et ses douleurs au Cinéma du réel », Le Monde, 7 mars 1996. japonais avec notamment le cinéaste Nagisa Oshima en 1998. Un large éventail de la création qui prouve que le festival est bien international avec une rétrospective sur Ruy Guerra, réalisateur mobanzicain filmant au Brésil en 1984, une rétrospective sur le documentaire iranien en 1999, la venue de Nelson Pereira Dos Santos, initiateur du Novo, qui « résume à lui seul 30 ans de cinéma brésilien »33 etc. Des films rares même très rares comme pour le film « Désigné pour mourir » de Eduardo Coutinho repris après 20 ans de censure au Brésil. Le Réel tape dans la fourmillière et frappe les esprits. « Route 181 , fragments d'un voyage en Palestine-Israël » d'Eyal Sivan et Michel Khleifi a été partiellement censuré par le directeur de la BPI, il aurait subi des pressions de personnalités, accusant le film d'antisémitisme en 2004. Suzette Glénadel s'insurge : « si je n'envisageais pas de partir l'année prochaine, j'aurais déjà démissionné! ».34 Le film ne sera projeté qu'une seule fois au lieu des deux fois prévues. Le Réel a toujours tenu à montrer tous les types de documents, une diversité qui fait sa richesse et qui a fini par institutionnaliser cet évènement. C'est son histoire : l'engagement. Depuis, le départ de cette manifestation cinématographique l'implication des réalisateurs est au coeur de la programmation. Pour Henry Storck, « un bon documentaire, c'est toujours un engagement ».35 Le Réel devenu le carrefour du documentaire de création est alors un véritable annonceur des tendances du genre. En 1996, c'est l'émergence du vécu qui devient une grande thématique, cette année là sera programmé notamment « Sylvie, ses mots pour le dire » du suisse Daniel Schweiser, montrant le corps à corps d'une jeune femme avec le sida. Des nouvelles formes de narration sont exploitées, une tendance à la fiction qu'on retrouve encore aujourd'hui dans bon nombre de documentaires. Ils traitent aussi de microcosmes qui peuvent en révéler davantage sur le sujet qu'une grande exploration, à l'image de « To sang Fotostudio » du talentueux Johan Van Der Keuken, dévoilant une rue, six boutiques et une quinzaine de personnages venus se faire prendre le portrait à la demande du cinéaste à Amsterdam, « ce film c'est un peu six façons de traverser la rue. »36 Une des suprises que peut réserver le Cinéma du Réel parmi tant d'autres dans sa programmation riche et variée, aprouvée par les plus grands réalisateurs, autour de films précieux ayant peu de chance d'être diffusés ailleurs. En débusquant année après année ce que le documentaire de création comptait sur la planète, le Cinéma du Réel est devenu un rendez-vous incontournable pour les amateurs et les professionnels. Il a participé à favoriser la reconnaissance du documentaire comme genre cinématographique à part entière en privilégiant un cinéma d'auteur avant tout. Ces objectifs claires sur ce qu'il voulait présenter, des oeuvres avec un point de vue original, une vraie identité à fini par forger la sienne. C'est l'engagement qui qualifie ce festival par sa programmation traitant de sujets investis par des cinéastes. Filmer le réel, mettre en place un miroir même déformant, ça heurte, ça bouscule et c'est ces sentiments que vient chercher le public chaque année au Cinéma du réel. Il est l'instigateur des tendances bonnes ou mauvaises pour le genre. Mais cet état de fait démontre à quel point il a su coller aux évolutions du documentaire de création, plongeant avec lui dans ses périodes de déboire par une programmation plus mitigée. Il n'en reste pas moins qu'à l'aube de sa 29ème édition, le Réel a conservé cette exigence et ne peut rougir des films qu'ils présentent tant par leur diversité que par leur qualité d'expression cinématographique. Preuve de cette constance, ces parrains cinéastes sont demeurés à ses côtés. Le meilleure manière de démontrer son institutionnalisation, résultat de cette idendité affirmée est encore de dire que même l'expression de cinéma du réel, est devenu un lieu commun pour désigner le documentaire. 33 Paranagua Paulo Antonio, « 7ème festival du cinéma du réel, Nelson Pereira Dos Santos, CNAC magazine, 1er mars 1985. 34 Peigne-Giuly Annick et Vanlerin Arnaud, « Le réel à l'épreuve », Libération, 10 mars 2004. 35 Matos Joëlle, « Orgie de réel à Beaubourg », Libération, 25 mars 1986. 36 Appert Marie, « Cinéma du réel 96 », Positif, n°433, mars 1997, p.15. Bibliographie Ouvrages: − Catalogues du Cinéma du Réel depuis sa création en 1978 par le Centre national de la recherche scientifique Paris Service d'étude, de réalisation et de diffusion de documents audiovisuels, édités par la BPI de 1978 à 2005. − Devarrieux Claire et de Navacelle Marie Christine, « Cinéma du réel », Editions Autrement, Paris, 1988. − Drouhaud Sarah et Miquet Emmanuelle, « Documentaire en salle : le genre tisse sa toile », Le film français, 14 janvier 2005. − Gauthier Guy,Le documentaire, un autre cinéma, Armand Colin, Paris, 2005. − Jeannot Yves, La production documentaire, Dixit, Paris, 1997. − Kessler, David, Rapport du directeur général du Centre National de Cinématographie, « l’œuvre audiovisuelle », 21 mars 2002. − Prédal René, Le documentaire français, Collection CinémAction, Le Cerf, Paris, 1987. Revue de presse sur le Cinéma du réel : − « Le cinéma du réel fait école », La Croix, 6 mai 1981. − « Des mini-festivals 'Cinéma du réel' », CNAC magazine, 1er mai 1982. − Andreu Anne, « Festival du réel à Beaubourg », L'Evènement du Jeudi, 3 mars 1988. − Appert Marie, « Cinéma du réel 96 », Positif, n°433, mars 1997. − Bassan Raphaël, « Paris cinéma du réel », La revue du cinéma, 1er mai 1983. − Baudin Brigitte, « Et vogue le documentaire », Le Figaro, 13 mars 2006. − Bouruet-Aubertot Véronique, « Cinéma du réel, la vérité si je mens pas », Beaux Arts, 1er mars 2001. − Breton Emile, « Sept ans de réflexion sur le réel », Révolution, 8 mars 1985. − Chaleil Frédéric, « La passion de la vérité », Sonovision, 1er mai 1988. − Codelli Lorenzi, « Cinéma du réel, 6ème festival », CNAC magazine, 1er mars 1984. − Durand Jean-Marie et Ostria Vincent, « Le réel en huis clos », Les inrockuptibles, 3 avril 2001. − Drouhaud Sarah et Miquet Emmanuelle, « Documentaire en salle : le genre tisse sa toile », Le film français, 14 janvier 2005. − Humblot Catherine, « Les grands du documentaire », Le Monde, 23 mars 1992. − Humblot Catherine et Jacques Mandelbaum, « Les vingt ans d'exigence et de succès du Cinéma du Réel », Le Monde, 13 mars 1988. − Joyard Olivier, « Les escapades impossibles du Cinéma du réel », Cahiers du cinéma, n°524, mai 1998, p.13. − Mandelbaum Jacques, « Raymond Depardon, l'Afrique et ses douleurs au Cinéma du réel », Le Monde, 7 mars 1996. − Marcorelles Louis, « Le documentaire aux premières loges », Le Monde, 10 mars 1984. − Marcorelles Louis, « Le troisième festival du réel », Le Monde, 15 avril 1981. − Marcorelles Louis, « Images du réel au centre Georges Pompidou, vies privées, vies publiques », Le Monde, 5 mars 1982. − Matos Joëlle, « Orgie de réel à Beaubourg », Libération, 25 mars 1986. − Paranagua Paulo Antonio, « 7ème festival du cinéma du réel, Nelson Pereira Dos Santos, CNAC magazine, 1er mars 1985. − Peigne-Giuly Annick, « Le nouveau docu incarne le réel », Libération, 10 mars 2000. − Peigne-Giuly Annick, « Percée du docu perse », Libération, 6 mars 1999. − Peigne-Giuly Annick et Vanlerin Arnaud, « Le réel à l'épreuve », Libération, 10 mars 2004. − Villetard Xavier, « Ruy Guerra fait son cinéma du réel », Libération le 19 mars 1984. Sites Internet: - archives du cinéma du réel mises en ligne par la BPI : http://www.bpi.fr/cinereel/welcome.jsf - Site du festival : www.cinereel.org - Site du Centre National de la Cinématographie : www.cnc.fr Annexes: − Communiqué de presse avant-programme de l'édition 2007 du Cinéma du réel. − Le règlement en cours du Cinéma du réel − Tableau CNC « Résultat des nouveaux films selon le genre » − Marcorelles Louis, « Le troisième festival du réel », Le Monde, 15 avril 1981. − Marcorelles Louis, « Le documentaire aux premières loges », Le Monde, 10 mars 1984. − Villetard Xavier, « Ruy Guerra fait son cinéma du réel », Libération le 19 mars 1984. − Matos Joëlle, « Orgie de réel à Beaubourg », Libération, 25 mars 1986. − Mandelbaum Jacques, « Raymond Depardon, l'Afrique et ses douleurs au Cinéma du réel », Le Monde, 7 mars 1996. − Joyard Olivier, « Les escapades impossibles du Cinéma du réel », Cahiers du cinéma, n°524, mai 1998, p.13. − Humblot Catherine et Jacques Mandelbaum, « Les vingt ans d'exigence et de succès du Cinéma du Réel », Le Monde, 13 mars 1988. − Peigne-Giuly Annick et Vanlerin Arnaud, « Le réel à l'épreuve », Libération, 10 mars 2004.