L`analyse d`une photographie - Poignée de main Kohl

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L`analyse d`une photographie - Poignée de main Kohl
L’analyse d’une photographie : Poignée de main Kohl - Mitterrand
En avril dernier je vous avais parlé d’images de poignées de mains
dans
la
rubrique
«
Un
air
de
déjà
vu
»
http://www.emagphoto.eu/poignees-de-mains.html. Aujourd’hui j’ai
opté pour faire un focus sur l’une des plus célèbres photographies de
poignée de main qui a eu lieu entre le Chancelier allemand et le
Président de la République française.
Le sujet :
La poignée de main de François Mitterrand et d’Helmut Kohl est l'un
des gestes parmi les plus symboliques de la réconciliation francoallemande, elle sera largement publiée dans la presse.
Cette poignée de main a lieu le 22 septembre 1984 en l’honneur d'une
commémoration des morts de la Première Guerre mondiale. L’image
suggère la pose d’une plaque commémorative, placée à l'entrée de
Poignée de main entre François Mitterrand et Helmut Kohl, Meuse 1984 © Picture Alliance-DPA
l'ossuaire de Douaumont, sur laquelle est gravée une inscription
reprenant une phrase célèbre de François Mitterrand : « Nous nous
sommes réconciliés, nous nous sommes compris, nous sommes
devenus des amis ».
Le photographe :
Cette photo a été prise par un journaliste de métier de Picture Alliance-DPA, journaliste dont je n’ai hélas pas trouvé le nom. De plus, nous
le verrons, il existe de nombreuses autres versions de ce moment, mais sur tous les clichés, le symbole commun d’une réunion marquée par
un geste fort de fraternité existe.
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L’analyse d’une photographie : Poignée de main Kohl - Mitterrand
Le contexte :
En 1984, les relations franco-allemandes sont marquées par les deux guerres mondiales, mais nous sommes également en pleine Guerre
Froide. Remise dans son contexte, cette scène s’est donc passée avant la chute du mur de Berlin. Ce rapprochement entre les dirigeants de
la France et de l'Allemagne, est indéniablement un signe fort, la preuve d'une volonté de réconciliation. D'autant que le lieu retenu, Verdun,
est marqué par les milliers de morts causés par la première Guerre Mondiale. Ce front fût l'un des plus sanglants de 14-18.
L’impression :
Le fait que le chancelier d'Allemagne assiste à la commémoration de
l'Armistice peut donc avoir plusieurs sens. Non seulement il rend
hommage aux militaires et aux victimes civiles, et à travers sa
personne, c'est l'Allemagne entière qui se recueille, mais en plus c'est
un geste de pardon. L'Allemagne montre qu'elle regrette la guerre,
tout comme la France oublie ses rancoeurs passées et met fin à la
haine qu'elle éprouve à l'égard de son voisin germanique. Plus qu'une
commémoration, il s'agit donc bien d'une réconciliation entre deux
ennemis d'hier qui marcheront désormais main dans la main. Se
serrer la main est un signe de fraternité bien sûr, mais c’est aussi un
geste spontané extrêmement courant. Je pense que la force de cette
image est due au fait qu’elle a été prise devant des vivants, plusieurs
centaines d’invités, dont des militaires français et allemands,
mélangés dans l’assistance, mais aussi en l’honneur de milliers de
morts. Le rôle de Kohl et de Mitterrand est donc symbolique, car par
Présence de militaires des deux camps
leur geste, ils instaurent une nouvelle vision des relations politiques entre les deux pays. Mais c’est aussi un rapprochement culturel entre
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les deux peuples. Toutefois, on peut également regarder cette photo hors du contexte de l'Armistice, comme une preuve du début des
fondations de l'Union Européenne, le traité de Maastricht ne sera signé qu’en 1992.
Format, angle et cadrage :
Le cadrage de la photo n'est pas anodin. Si Kohl et Mitterrand sont au
premier plan, ils ne sont pas pour autant au centre de l’image. En
effet, c'est leur poignée de main qui figure au milieu du cliché comme
le montre les diagonales qui se croisent en leur intersection sur les
mains. La foule à l’arrière plan est à peine visible, on la devine
seulement. Les deux dirigeants semblent avoir le regard fixe et
concentré sur l'instant présent. Leurs vêtements se ressemblent,
manteau et costume noir, chemise blanche et cravate rayée. Le
contraste de couleur avec le sol, plutôt clair, les fait ressortir avec
leurs habits foncés. En revanche, la blancheur de leurs chemises fait
ressortie leurs têtes et les expressions de leurs visages. Le centrage
de l'image sur la poignée de main insiste sur l’impression de
symétrie, comme si il y avait un miroir. Enfin, ce contact physique
Centrage du sujet
montre le lien qui unit les deux personnages, mais surtout le
message qu'ils veulent renvoyer.
Profondeur et lumière :
Il y avait de la bruine ce jour-là, et une ambiance lourde. L’image est triste et terne, la couleur dominante reste le noir renforcé par ce
cercueil légèrement excentré au premier plan, qui pose l’ambiance.
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Composition :
Cette image montre le chancelier allemand Helmunt Kohl et le
président français François Mitterrand, leur main serrée, regardant
droit devant-eux. La photo est prise de face, les deux dirigeants sont
au premier plan, et on peut voir en arrière plan le public présent.
L’analyse en trois bandes horizontales sépare bien trois sujets
distincts : L’hommage rendu aux morts avec le cercueil et les
couronnes, la réconciliation avec les deux hommes politiques main
dans la main, et le public, mélange de deux nations. Il s'agit d'une
photographie
de
presse,
publiée
dans
plusieurs
journaux,
à
destination du grand public et plus précisément des peuples français
et allemands.
Connotations éventuelles :
Horizontales
Pour l’Elysée, la photographie officielle retenue parmi toutes celles prises ce jour-là sera celle de Frédéric de la Mure, photographe au
Ministère des affaires étrangères depuis 1982. Nous étions en 1984, année marquée par le 40ème anniversaire du débarquement de
Normandie. L’Allemagne n’avait pas été invitée aux commémorations et l’organisation d’une cérémonie du souvenir ultérieure, purement
franco-allemande, avait été décidée. Verdun a été retenue pour accueillir cette cérémonie. Les journalistes et les photographes ont été
convoqués à l’Elysée, un ou deux jours avant la cérémonie, pour choisir les emplacements. En reportage, Frédéric arrive en retard à cette
réunion et le service de presse lui a attribué « la plus mauvaise place », c’est-à-dire devant les cercueils des soldats, enveloppés de
drapeaux français et allemands, en face des personnalités. Les autres photographes avaient choisi de se poster parmi les tombes, pour
pouvoir saisir l’image des deux chefs d’Etat marchant au milieu et donner une idée de l’ampleur du désastre qu’a été Verdun. Frédéric de la
Mure avouera plus tard : « Si j’avais eu le choix, j’aurais fait de même. » La célèbre photographie de la poignée de main, fruit du hasard, a
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donc bien failli ne jamais voir le jour ! Le photographe a été surpris par la
poignée de main et concédera ne pas avoir pu en faire l’analyse sur le coup. Il
a donc vécu le moment à travers le filtre de son appareil photo sans avoir
conscience de prendre une photographie historique. Cela dit, à la vue de sa
planche contact, Frédéric de la Mure comprend assez vite que sa photographie
deviendrait une image qui restera dans les mémoires. Il n’imaginait sûrement
pas pourtant que plus de 30 ans plus tard sa photographie paraîtrait encore
fréquemment dans les journaux, ou serait toujours choisie pour illustrer
l’union franco-allemande sur le web. Quand j’écris que c’est une photographie
qui reste dans les mémoires, je ne peux si bien dire ! Effectivement, en 1992,
une dame âgée, très émue, qui visitait une exposition du photographe s’est
approchée de lui qui était devant son cliché, et a déclaré : « Pour moi, cette
Poignée de main entre Mitterrand et Kohl, Meuse 1984 © Jacques Witt
photo, c’est la fin de la guerre ».
On trouve aussi cette autre version en couleur de Jacques Witt qui travaille
alors pour Sipa qui est très proche de celle de Frédéric de la Mure. On peut
d’ailleurs deviner en fonction de l’angle de prise de vue qu’il est situé
légèrement plus à droite de ce dernier. Pour être complet j’ai aussi récupéré
cette autre version en noir et blanc de Marcel Mochet épurée de
l’environnement et du public et prise en plan serré sur les deux acteurs
principaux et bien entendu, sur la poignée de main une nouvelle fois au centre
de l’image. Pour terminer, il semble important de souligner que par la suite, de
nombreuses photographies similaires seront prises, avec les différents
Poignée de main entre Mitterrand et Kohl, Meuse 1984 © Marcel Mochet
successeurs des dirigeants français et allemands.
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