SOUS LA PLAGE, LES PAVES… Dans son

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SOUS LA PLAGE, LES PAVES… Dans son
SOUS LA PLAGE, LES PAVES…
Dans son pamphlet contre le mariage gay, Bertrand Vergely entreprend de s’attaquer à la dictature
de la confusion. Noble et importantissime tâche s’il en est. Mais il n’y parvient que très relativement,
démontrant, ce faisant, la profondeur de l’abcès qui pourrit notre Monde. Je ne prétendrais pas faire
beaucoup mieux que lui, je suis conscient, non seulement, d’avoir des limites personnelles mais,
aussi, que nous en avons tous : c’est dans l’ordre des choses et ce qui fait la valeur du débat où
l’expression diversifiée des points de vue, soient-ils opposés, est une source d’enrichissement mutuel
et, partant, collectif. Il suffira, donc, que je m’exprime différemment, pour espérer apporter un petit
plus au travail de Bertrand.
Selon lui, le mariage relèverait de la Nature. C’est aller un peu vite en besogne. Le mariage,
institution sociale, est évidemment de l’ordre du culturel. Il serait plus exact de dire que c’est la
copulation qui relève de la Nature et qu’elle est, le plus souvent, hétérosexuelle. Divers mammifères
dits supérieurs connaissent des moments homosexuels mais seul une partie du genre Homo réputé
sapiens prétend s’en faire règle permanente de vie. On avancera donc que l’homosexualité exclusive
ne relève pas, non plus, de la Nature mais bien de la Culture, ou, plus précisément, des interactions
entre l’une et l’autre.
Le problème est, ainsi, autrement posé : les rapports de genre, la sexualité et, d’une manière plus
générale, les rapports d’attirance et de répulsion sont, chez l’Humain, relations entre Nature et
Culture. Quoi donc les déterminent, les régulent et comment ? Sans entrer, ici, dans des détails plus
ou moins savants, on peut avancer que ces déterminants régulateurs relèvent, d’abord et
essentiellement, de la survie : de l’espèce, en général, et, en particulier, des divers sous-groupes
sociaux qui permettent aux individus de subsister dans tel ou tel milieu de vie. La nécessité
reproductive et la cohésion du groupe, en adéquation la plus fluide possible à ses conditions
d’existence, apparaissent, ici, en données fondamentales.
Durant des millénaires, l’impératif de la reproduction a façonné les règles sociales de la copulation et
de ses conséquences. Une femme devait, en moyenne, mener à terme six embryons pour assurer un
effectif à peu près constant de population. En comptant les temps d’allaitement, elle consacrait
donc, par la force de la seule Nature, près de dix-sept ans à plus basique des fonctions sociales,
tandis que son homologue masculin pouvait se contenter de répartir plus ou moins aléatoirement sa
semence, sans aucune autre obligation de nature que la déposer en vagin. Cette inégalité manifeste
n’a eu que peu d’incidence dans les sociétés où la quête de nourriture était aisée et les couples s’y
sont généralement faits et défaits au seul gré des affinités et des circonstances.
Ailleurs, c’est-à-dire en la majeure partie du globe, il a fallu organiser cette quête et la cohésion des
groupes a nécessité d’autant plus strictes règles que l’organisation de la survie impliquait la
constitution de patrimoine et sa transmission de génération en génération. Sans prétendre que ces
considérations furent les seules racines culturelles du mariage, on dira, simplement, qu’elles en
constituent les plus probables, objectivement parlant. L’important est surtout de comprendre, ici,
qu’un pacte social s’est ainsi variablement construit entre les hommes et les femmes, dont la partie
la plus noble consacrait la responsabilité morale des premiers, compensant leur irresponsabilité
naturelle, dans la reproduction de l’espèce. Certes, on n’en finirait pas d’évoquer tous les
manquements et les contrefaçons à ce pacte qui auront tant pesé sur les épaules des femmes,
contraintes à naviguer entre résignation et séduction, avant d’oser leur émancipation, au siècle
dernier, à l’occasion de l’effondrement de l’impératif de reproduction, dans le mouvement général
d’affranchissement des contraintes naturelles entamé, deux siècles plus tôt, par la prométhéenne
aventure occidentale.
Dans les pays industrialisés et beaucoup de pays émergents, la plupart des femmes sont conscientes,
aujourd’hui, qu’il leur suffit de porter deux grossesses, soit moins de deux ans de leur vie, pour
remplir leur « devoir de nature » et un certain nombre considèrent, même, que c’est déjà trop, au vu
de l’explosion démographique mondiale. Beaucoup d’hommes partagent leur point de vue. Les Etats
les encouragent souvent, en ce sens ; les y contraignent même, parfois, à l’instar de la Chine : dans
ces régions, la copulation paraît, de moins en moins, nécessité reproductive. Dans le même temps, la
quête de la nourriture a cessé, elle aussi, de dépendre des conditions naturelles d’existence.
L’attachement au clan n’est pas plus nécessaire, alimentairement parlant, que l’accumulation et la
transmission d’un patrimoine : l’individu, quantité numérisée dans des échanges d’artifices, peut
s’estimer, tant qu’il y constitue une valeur marchande minimale, suffisant à lui-même. En ces
conditions, sur quelles assises tiennent donc, aujourd’hui, l’institution du mariage, les relations de
genre, voire la notion même de genre ?
Les acquis culturels ne s’étiolent pas en un jour, leur dilution, plus ou moins accélérée par les
manipulations de l’opinion et les mesures juridiques, s’étale sur plusieurs décennies. Mais, tandis que
les nécessités se dénaturent, les pulsions instinctives, l’appétit de jouissance, l’attrait du moindre
effort, variablement stimulés par la fluctuation de la capacité marchande de l’individu – son fameux
« pouvoir d’achat » – sont d’autant plus autorisés à formuler de nouveaux concepts culturels qu’ils
ouvrent de nouveaux marchés. C’est dire qu’ils sont largement soutenus par les forces d’argent qui
n’en oublient pas moins de développer toutes les dépendances susceptibles d’enchaîner de plus en
plus subtilement les esprits à leur exploitation.
Prolifération de libertés, donc, contre raréfaction de « la » Liberté. Et, ainsi que le souligne Bertrand,
cet étalement sur la surface du Réel – le recouvrant, ainsi, de représentation(s) spectaculaire(s) – est
minutieusement codifiée par de nouvelles règles juridiques, selon le principe, quantifié, de « la
liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Règles indéfiniment modifiables, au nom
de la sacro-sainte Evolution, comme le progrès de « la » Science, appelée à servir tout aussi
docilement la loi du marché. Chassé, c’est génétiquement modifié, cybernétisé, contrefait que le
naturel revient au galop.
Fondu dans la foule compacte, sans plus de nécessité de se reproduire ni d’attache alimentaire au
groupe, gavé de libertés, l’Homo métropolicus se découvre seul avec son numéro de sécurité sociale
– code-barre à treize chiffres, à l’instar de la moindre marchandise à l’étal de l’hypermarché. Où aller,
en ces rectilignes allées ? Dans quel sens ? Quelles perspectives ? Construire ? Se construire ? Être
connu ? Reconnu ? En quête d’un miroir vrai, dans un torrent d’images falsifiées, on convoque
l’amour mais qui est cet « on » incertain, fluctuant aux modes et « informations » ? Quel est son
Autre impensable ? Peut-être… le plus semblable ? Et, dans cette liquéfaction des limites, on en
vient, mollement, à fuir systématiquement le trop différent, le manifestement autre ; rechercher la
paire, plutôt que le couple…
Fatalité ? Que non pas ! On pressent, ici, au moins une pente inverse. Le choix, courageux, de donner
toujours valeur à ce que la Nature distingue. Y formuler sa responsabilité d’être unique, moins
individué que relié. La nuance est de taille. Si l’on entend bien que chacun puisse avoir des goûts et
des couleurs préférés, des convictions et des choix personnels, ce qui relie les uns aux autres,
l’individu au Tout, ne se modifie pas au gré des humeurs de chacun. Et certes : bien avant
qu’apparaisse le moindre signe de culture, avant même qu’on invoque religion ou philosophie, c’est
bien la Nature qui fait la vie, qui fonde tous nos liens, nous fait humain.
Sitôt que la loi sociale oublie ce fondement, elle devient tyrannique, ainsi que le soulignait déjà
Tchouang-Tseu, au IVème siècle avant l’ère chrétienne. Plus on s’écarte de la Nature, plus il apparaît
nécessaire de légiférer. Et inversement. Mais toujours en vain car, à défaut de contraindre tous, la
dénaturation ne cesse de susciter refoulements, déviances et perversions. Il faut, un jour, prendre le
temps de dénombrer les articles de lois, décrets, règlements et autres normes accumulés depuis la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, peser les contraintes générés par une science
obnubilée par le dépassement de la Nature, alors que, centrée sur l’adéquation accrue à celle-ci, elle
se serait révélée – se révèlera, si Dieu veut – sinon qui, quoi d’autre ? – pour peu qu’enfin, nous
revenions à plus juste mesure – source de jouissance affinée de la vie.
Quoiqu’il en soit, des humains, en nombre conséquent, sont, aujourd’hui, persuadés que leur
« nature » est d’être homosexuel. Si l’on peut s’interroger sur leur revendication à l’afficher
publiquement – de fait, la question relève celle, plus générale, de l’exhibition publique de l’intime :
une autre confusion, encore, et certes pas la moindre – c’est, une nouvelle fois, outrepasser sa
nature que de demander au corps social de légiférer sur leurs droits, tout particulièrement le droit
« à » l’enfant. Bertrand a bien énuméré les multiples problèmes que ne manquerait soulever ce
nouveau marché. Mais, à l’heure on l’on manipule le génome et que, ce faisant, on nous promet,
pour demain, des ailes d’aigle, des muscles d’acier, des longévités de chêne – du moins, pour les plus
riches d’entre nous – qui entrevoit, encore, les formidables perspectives d’humanité, tant
personnelles que collective, à entendre les états multiples de ce que l’on est, ses causes et
conséquences – de l’être biologique à l’être spirituel, nous ne manquons certes pas d’enveloppes… –
et à tous les assumer, enfin, sans porter tort à aucun ni à quiconque ?
Ian Mansour de Grange