Prise en charge de l`ostéoporose en pédiatrie

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Prise en charge de l`ostéoporose en pédiatrie
PRISE EN CHARGE DE L’OSTEOPOROSE EN PEDIATRIE
Pierre MOULIN.1, Isabelle GENNERO I. 2,3, Thomas EDOUARD, Maïté TAUBER M. 1,2, Jean Pierre SALLES. 1,2,3
1
Unité d’Endocrinologie, Maladies Osseuses, Génétique et Gynécologie Médicale, Hôpital des
Enfants, 2INSERM Unité 563, Hôpital Purpan, 3Laboratoire de Biochimie, Hôpital La Grave, CHU
de Toulouse
PLAN
Introduction
Biphosphonates chez l’enfant :
Protocoles d’utilisation chez l’enfant
Indications actuelles des biphosphonates chez l’enfant :
Traitement de l’ostéoporose en pédiatrie
Conclusion
Références
Introduction
L’ostéoporose, chez l’enfant, a des origines diverses. A côté des pathologies osseuses
constitutionnelles telles que l’ostéogenèse imparfaite, les pathologies générales, métaboliques,
endocriniennes, ont des répercussions sur le tissu osseux, sans oublier l’ostéoporose iatrogène
médicamenteuse. La prise en charge de l’ostéoporose et de la fragilité osseuse telle que dans l’ostéogénèse
imparfaite a fait un progrès considérable depuis l’introduction il y a moins de 10 ans du traitement par
biphosphonates.
De manière générale, un intérêt croissant est porté à l’ostéoporose et la fragilité osseuse de l’enfant.
A cela plusieurs raisons :
- l’apparition de méthodes de mesure précises de la minéralisation osseuse utilisables chez l’enfant,
particulièrement l’absorptiométrie biphotonique
- la progression dans la connaissance du métabolisme osseux et la mise à disposition de marqueurs
biologiques de ce métabolisme
- l’apparition, avec les biphosphonates, de molécules efficaces dans le traitement de l’ostéoporose
pédiatrique.
L’utilisation, avec une efficacité spectaculaire, des biphosphonates au cours de l’ostéogenèse
imparfaite sévère a ouvert la voie vers une utilisation plus large de ces drogues, jusqu’à il y a quelques
années réservées au traitement de l’hypercalcémie ou de la calcinose. De plus, l’absence d’effets secondaires
graves, notamment sur la croissance, en fait à l’heure actuelle un traitement de choix de l’ostéoporose
pédiatrique sévère avec fragilisation et fractures. Leur intérêt dans les formes moins sévères d’ostéoporose
ou d’ostéopénie, reste plus problématique. Des protocoles thérapeutiques sont encore à définir, notamment
avec les biphosphonates récents particulièrement efficaces.
Biphosphonates chez l’enfant :
Les biphosphonates sont des analogues synthétiques des pyrophosphates. Il s’agit de composés
naturellement présents dans le sang et dans les urines, capables de prévenir la calcification des tissus mous et
de réguler la minéralisation osseuse en se liant aux cristaux d’hydroxy-apatite nouvellement formés,
empêchant ainsi leur dissolution.
A l’état physiologique, la masse osseuse est maintenue grâce à un équilibre entre synthèse osseuse
(liée aux ostéoblastes) et résorption osseuse (liée aux ostéoclastes). Pendant la période pédiatrique, cet
équilibre est physiologiquement orienté en faveur de l’ostéogénèse permettant la croissance et l’accrétion
osseuse nette. Un excès d’activité ostéoclastique par rapport à l’activité ostéogénique sera responsable
d’ostéoporose.
Les biphosphonates inhibent la résorption osseuse par adsorption sélective au niveau des surfaces
minérales osseuses puis internalisation par les ostéoclastes. L’effet anti-ostéoclastique est la conséquence
d’une action sur le recrutement, la différenciation et l’activité de résorption de ces cellules. Après
internalisation, les biphosphonates perturbent le métabolisme cellulaire et induisent l’apoptose
ostéoclastique.
L’amélioration clinique spectaculaire de ce type de traitement dans certaines pathologies comme
l’ostéogenèse imparfaite, ne semble pas uniquement liée à une inhibition de la résorption osseuse, et un effet
positif in vivo sur l’ostéogenèse est probable. Cet effet pourrait aussi passer par le biais d’élévations de la
PTH à chaque cure de traitement, secondaire à l’hypocalcémie induite par la perfusion de biphosphonates.
Cette élévation transitoire et répétitive de la PTH pourrait être responsable d’une augmentation de la masse
osseuse comme cela a été démontré au cours de l’ostéoporose pos-ménopausique.
Protocoles d’utilisation chez l’enfant
L’utilisation des biphosphonates chez l’enfant est différente de l’utilisation chez l’adulte. Leur
absorption intestinale étant faible (< 10 %), la voie intraveineuse est préférée dans la plupart des études
pédiatriques.
Les premières utilisations chez l’enfant concernaient les hypercalcémies et la myosite ossifiante
progressive. Elles se sont élargies au cours des dix dernières années et l’ostéoporose avec fragilité osseuse
constitue à l’heure actuelle l’indication principale.
Le pamidronate est le biphosphonate le plus utilisé en pédiatrie selon le protocole proposé par F.
Glorieux : administration cyclique en perfusion trimestrielle sur trois jours à raison d’1 mg/kg/j. La durée
totale du traitement nécessaire est variable selon les individus, dépendant de la gravité initiale de la
pathologie et de la réponse thérapeutique. Plusieurs cycles sont nécessaires pour améliorer la densité
minérale osseuse qui, avec la réduction du taux de fractures, sont les deux critères majeurs d’efficacité
thérapeutique. Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus quant aux critères d’arrêt thérapeutique. La
normalisation de la densité minérale osseuse est un critère important et nécessite souvent trois à quatre
années de traitement minimum (soit neuf à douze cycle).
Des dosages plus faibles semblent également efficaces, comme cela a pu être démontré au cours de
l’ostéogenèse imparfaite mais aussi au cours d’autres ostéoporoses secondaires.
Une alternative à la voie intraveineuse paraît être l’administration hebdomadaire d’alendronate, les formes
quotidiennes paraissant peu efficaces chez l’enfant.
Les biphosphonates n’ont pas d’effet secondaire majeu chez l’enfant, la plupart sont réversibles à
l’arrêt du traitement. Toutefois les perfusions doivent être réalisées en milieu spécialisé sous surveillance
médicale. Une réaction fébrile est fréquemment observée avec les amino-biphosphonates, au cours du
premier cycle de perfusion, accompagnée parfois de douleurs osseuses, musculaires, parfois de
vomissements. Ces réactions sont contrôlées par l’utilisation d’antalgiques ou d’anti-inflammatoires
classiques.
Ont été également décrits des cas d’uvéite antérieure, épisclérite ou de troubles gastro-intestinaux lors
d’utilisation des biphosphonates per os. Des cas de néphrotoxicité (notamment par glomérulopathie
segmentaire et focale) ont pu être rapportés, exclusivement chez l’adulte.
Sur le plan biologique, une hypocalcémie transitoire est notée au cours de chaque cycle de perfusion,
le plus souvent sans traduction clinique, contrôlée par l’administration de calcium per os. Sur le plan
radiologique, on note, en plus de l’augmentation de la densité minérale et de l’épaississement cortical,
l’apparition de bandes claires métaphysaires à chaque cycle de perfusion. L’espacement entre chaque
nouvelle bande et la précédente dépend de l’âge, de la vitesse de croissance et de la localisation de la
métaphyse.
Indications actuelles des biphosphonates chez l’enfant :
Les indications majeures correspondent aux cas d’ostéoporose généralisée telles que dans les
pathologies constitutionnelles de l’os: (ostéogenèse imparfaite, ostéoporose juvénile, hyperphosphatasie,
dysplasie osseuse…). Dans les formes secondaires, l’ostéoporose cortisonée est au premier plan, mais des
protocoles sont proposées dans d’autres affections chroniques : en premier lieu mucoviscidose et
malabsorption intestinale mais aussi arthrite chronique juvénile ou neutropénie congénitale.
Les biphosphonates ont aussi leur indication chez l’enfant dans les cas réfractraires d’hypercalcémie:
hypercalcémie maligne, immobilisation, cytostéatonécrose…) ou dans les cas de calcinose (myosite
ossifiante progressive, dermatomyosite, sclérodermie, oxalose…)
Traitement de l’ostéoporose en pédiatrie
La période pédiatrique est cruciale pour l’acquisition de la masse osseuse et l’absence de gain
suffisant prédispose les sujets à une ostéoporose précoce.
La définition de l’ostéoporose pédiatrique fait souvent référence à l’évaluation de la densité osseuse
par absorptiométrie biphotonique,. Les résultats de densité de surface en g/cm² ne tiennent compte ni de la
taille de la pièce osseuse, qui dépend de la taille du patient, ni de la maturation somatique. La densité dite
volumétrique en g/cm3 calculée par un traitement mathématique serait préférable, mais elle n’est pas utilisée
couramment.
En présence d’une fragilité osseuse (2 à 3 fractures/an au cours des deux années précédentes,
fractures souvent « spontanées ») avec ostéoporose sévère objectivée par la densitométrie osseuse
l’utilisation de biphosphonates par voie intraveineuse doit être envisagée. La situation typique est celle de
l’ostéogénèse imparfaite
L’indication d’un traitement, pour des patients présentant une ostéoporose découverte à l’occasion de
la surveillance chez un enfant présentant une pathologie générale ou traité par corticoïdes est plus difficile.
L’utilisation de protocoles intraveineux moins lourds que dans les pathologies plus sévères ou de traitement
per os peut être une alternative intéressante.
La découverte de valeur basse de densité minérale osseuse sans fragilité ni douleur osseuse
n’entraîne pas systématiquement la prescription de ce type de médicament. Les études actuellement
disponibles sont insuffisantes pour conclure à l’heure actuelle sur l’efficacité thérapeutique en terme de
prévention des complications de l’ostéoporose à l’âge adulte.
Certaines règles sont à respecter lors de l’utilisation de ces drogues qui se fait habituellement sur de longues
périodes :
- préciser au mieux la pathologie initiale sur le plan osseux et métabolique
- suivre autant que possible des protocoles établis, ce qui est indispensable dans les indications
reconnues
- se donner les moyens d’une surveillance précise, en particulier par l’ostéodensitométrie
- discuter la durée du traitement en fonction des données de cette surveillance
L’engouement actuel vis à vis de médicaments efficaces dans le traitement de l’ostéoporose ne doit
pas faire oublier l’existence de mesures simples, à même d’optimiser la masse osseuse. Certaines
recommandations doivent être rappelées:
-
le statut vitaminique doit obligatoirement contrôlé et compensé si insuffisant avant tout
traitement par biphosphonates
- les apports calciques par l’alimentation doivent être suffisants, et supplémentés si nécessaire: 800 à
1200 mg/j pour les enfants et 1200 à 1500 mg/j pour les adolescents et les jeunes adultes et jusqu’à 2000
mg/j pour les athlètes.
- il faut prendre en compte une hypercalciurie éventuelle et les facteurs qui la favorisent, tels qu’une
alimentation riche en sodium, protéines, phytates ou caféine.
- il faut tenter de limiter les produits qui réduisent l’absorption du calcium : phytates, phosphore,
mais aussi boissons carbonatées ou tabac; l’alcool entraîne également une perturbation du
métabolisme phosphocalcique et de la vitamine D.
- il faut documenter et traiter des facteurs associés favorisant l’ostéomalacie tels une
hypophosphatémie chronique
- il est essentiel de prévenir toute immobilisation prolongée et d’assurer une activité physique
adaptée et régulière.
Ces mesures simples doivent être instamment recommandées aux enfants et aux familles en mettant
en avant l’importance de la période pédiatrique dans la constitution du capital osseux.
Conclusion
Les biphosphonates ont pris une place primordiale dans le traitement de l’ostéoporose en pédiatrie.
Leur efficacité remarquable a largement été démontrée dans le modèle de l’ostéogénèse imparfaite. On prend
par ailleurs de plus en plus conscience de la morbidité liée à l’ostéoporose secondaire lors des affections
chroniques de l’enfant. La période pédiatrique représente une phase majeure dans l’acquisition du capital
osseux qui va conditionner l’ostéoporose de l’adulte, primordiale en terme de santé publique Ceci justifie la
recherche et la mise place de thérapeutiques efficaces dans ces indications. Les biphosphonates peuvent y
être proposés, même si leur efficacité reste à démontrer de manière formelle. En outre, l’association de leur
effet antiostéoclastique à l’ostéogenèse induite par d’autres traitements tels que l’hormone de croissance
laisse espérer dans l’avenir une amélioration de l’efficacité sur l’ostéoporose dans de tels contextes. Il faut
néanmoins souligner l’absolue nécessité que les traitements soit conduits dans de tels cas avec une
surveillance étroite, selon des protocoles stricts et consensuels permettant d’évaluer clairement leur effet.
+ 2DS
1,4
DMO (g/cm2)
1,2
1
- 2DS
0,8
0,6
0,4
Evolution de la densité
minérale osseuse (DMO) du
corps entier après mise en
route du pamidronate chez 4
patients atteints d’
ostéogénèse imparfaite traités
par cures IV de pamidronate
(flèches) dans notre Unité
0,2
0
4
6
8
10
12
14
16
18
Age (années)
Références
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