Les « grandes personnes » devraient lire Marcel Aymé

Transcription

Les « grandes personnes » devraient lire Marcel Aymé
Mauvaise Nouvelle - Les « grandes personnes » devraient lire Marcel Aymé
Les « grandes personnes » devraient lire
Marcel Aymé
Par Amaury Watremez
Les grandes personnes ne lisent plus tellement Marcel
Aymé, elles le réservent bêtement aux enfants alors que
« les Contes bleus et rouges du Chat Perché »
sont destinés à tout le monde. Il faut dire qu'il n'a pas
l'aura scandaleuse, on ne peut pas prendre le genre
politiquement voyou avec lui, comme avec Céline, dont il
sera l'ami jusqu'au bout, et il n'était même pas
homosexuel, ce qui à notre époque est presque un
handicap lorsqu'on prétend être auteur ou âârtiste. De
plus, il passe son temps dans ses romans, ses nouvelles
et la plupart de ses contes à ridiculiser le bourgeois, ses
hypocrisies, sa sottise, son ignorance, son avidité, que
celui-ci soit positiviste et soucieux de son magot, ou qu'il
soit plutôt un pédagogue selon la définition qu'en
propose Erik Satie, le bourgeois « pédagogue »
rajoutant à ses prétentions matérielles et sociales celle
d'être éducateur du peuple :
« … Moi, je n'aime pas les pédagogues : je les connais t
embrouillent et ratatinent tout ce qu'ils touchent, par des p
comiques, mais empoisonnés… », dans « Écrits » réunis par O
152).
Les désirs des bourgeois, qui se prennent pour de
grandes personnes qui ne lisent pas de livres aussi peu
sérieux que des romans ou des contes et nouvelles, ont
hélas largement métastasé en notre vingt-et-unième
siècle commençant. La plupart des gens au fond rêvent
de vivre de leurs rentes, s'abstenant à tout prix, et très
méthodiquement d'épanouir quoi que ce soit d'élevé en
eux, à commencer par un supplément d'âme pourtant
nécessaire que l'on trouve en littérature, littérature qu'ils
ne conçoivent que par son rôle « social » : transmettre un messââge, mettre en valeur socialement celui qui s'en
prévaut voire à la rigueur, mais à l'extrême rigueur détendre, s'interdisant de hiérarchiser les goûts et les couleurs,
mettant Pascal ou Stendahl au même niveau qu'Anna Gavalda ou « Harry Potter ».
Marcel Aymé acquit l'amour des Lettres alors qu'il était malade, adolescent, et parce qu'il était un de ces enfants
qui sentent bien que les « grandes personnes » ne sont pas très raisonnables, et qu'elles ne s'appliquent jamais à
elles-mêmes le sérieux et le respect des normes et convenances qu'elles réclament aux petits. De par leurs
appétences bien étriquées, elles ont fait du quotidien un long tunnel sans joie menant vers une mort qu'elles
espèrent honorables. L'auteur des « Contes du Chat Perché » le réenchante, il n'est pas rare chez lui que l'on
croise un obscur gratte-papier passant à travers les murs, une fée en tailleur « chic » ayant naturellement des
serpents dans son sac à main, des animaux qui parlent aux enfants sans que personne ne s'en formalise etc…
Marcel Aymé se moque des bourgeois sans haine ni acrimonie ou misanthropie, au contraire de son copain
Louis-Ferdinand, il ne le fait pas non plus pour défendre une idéologie, il les montre tels qu'ils sont : ridicules et
vaniteux, et humains, donc faibles par essence de par leur nature. Il décrit leurs appétits étriqués, leurs préventions
morales grotesques et sans objet, se moquant à la fin de sa vie de leur libération des mœurs, rappelant qu'en tant
que petit paysan, enfant, voyant les animaux faire l'amour assez souvent autour de lui, dans les pâtures ou les
fermes, évoquant cette jubilation des corps humains et animaux, de la nature en général, dans « la Jument Verte »
ou dans « la Vouivre », des cours d'éducation sexuelle lui eûssent semblé parfaitement ridicules dès cet âge. Et
dans les « Maxibulles », où il se moque du grand cirque spectaculaire et matérialiste moderne, il rappelle que le fait
que les bourgeois aient apparemment envoyé aux orties leur hypocrisie morale ne change strictement rien à leur
profonde duplicité ou à leurs appétits.
À cause de cela, et son soutien sans failles à Brasillach à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, quand les français
se découvrirent tous gaullistes et résistants, de son antipathie pour de De Gaulle qui n'eût pas la
« Clémence d'Auguste » pour Bastien-Thiry, bien qu'il fut clairement opposé à « l'Algérie Française », il est
classé sous l'étiquette un peu fourre-tout des « anars de droite » , ce qu'il est certes, étiquette qui suscite la
méfiance des maîtres d'écoles et des professeurs, leur suspicion, car Aymé n'aime pas du tout les idéologies
censées procurer aux individus bonheur universel et prospérité, que celles-ci soient libérales, conservatrices ou
Mauvaise Nouvelle - Les « grandes personnes » devraient lire Marcel Aymé
révolutionnaires. Dans « Uranus » , il décrit certainement très précisément ce qu'a dû être l'Épuration, les
vengeances abjectes qu'elle a pu justifier, la veulerie et la lâcheté qu'elle a pu révéler y compris chez les bourgeois
« pédagogues ». Et à notre époque où tous se découvrent gaullistes, des plus révolutionnaires aux conservateurs
en passant par les libéraux, ses sentiments pour le « grand homme » que ne sut pas être « le Général » ont une
résonance intéressante.
Ce que beaucoup ne comprennent pas, c'est juste que Marcel Aymé met l'humain, et l'Humanité au-dessus de
tout, et ce malgré leurs failles immenses, et la Liberté, comme Bernanos ou parallèlement à eux Simone Weil et un
auteur très proche de lui par l'inspiration comme Vialatte. C'est d'ailleurs un fait avéré, on retrouve chez tous les
écrivains de talent, qu'ils soient classés à gauche ou à droite, les mêmes passions joyeuses pour un primate certes
souvent lamentable, passions parfois déçues qui teintent leur ironie ou leur écriture d'amertume tels Chardonne ou
Léautaud.
Les bourgeois sont bien connus dans les campagnes
françaises, ils sont devenus les nouveaux maîtres après
la Révolution française, des maîtres beaucoup plus
pénibles que les anciens, beaucoup plus stricts avec les
fermiers et métayers, beaucoup plus méprisants aussi.
Ce sont également eux qui obligèrent les plus petits à fuir
leurs provinces pour aller travailler en fabriques en ville.
Pour se donner bonne conscience, ils commettent
parfois de bonnes actions, qu'ils comptabilisent comme
l'huissier d'un de ses contes qui finit quand même par
entrer au Paradis, car lui, huissier, est mort en criant « à
bas les propriétaires » en protégeant une mère menacée
par un riche notable. Le bourgeois se soucie peu de
morale et surtout de sa renommée dans son quartier,
comme l'épouse du héros de « la Grâce » qui estime que
le Bon Dieu lui a fait une bien mauvaise surprise en
offrant à son mari une auréole trop lumineuse qui fait
jaser les commères, qu'il essaiera de perdre par devoir
conjugal en se forçant à pécher horriblement.
De par cette origine paysanne, toute sa vie il écrira sur son Jura natal, parfois on sépare à tort les récits de cet
auteur en deux inspirations : une rurale, une plutôt parisienne. Il n'idéalise ni les uns ni les autres, il décrit des
ruraux durs et souvent aussi humainement déplorables que leurs cousins des villes. Il exalte toujours l'enfance,
sans non plus l'idéaliser, ainsi que les « petites » gens, le « petit » peuple, et les « simples » , d'esprit ou de
porte-monnaie, il déplore toujours la cruauté des puissants et des forts, des sages et des arbitres des élégances
politiques, ou ceux qui s'en donnent indûment le titre, cruauté que l'on retrouve dans « Dermuche » , le criminel
miraculeusement redevenu enfant étant quand même guillotiné, l'assassin de « Maison Basse » laissant les
soupçons s'égarer sans scrupules sur un ancien « Hercule de foire » qui rappelle le Léopold de « Uranus ».
S'il décrit aussi bien ces « petites » gens c'est parce qu'il est un piéton de Paris, de la « Butte » Montmartre, qui
était il y encore quelques années, avant la bobolisation, certes un village, il est avec eux, ne s'embarasse pas de
grands et beaux discours qu'il sait inutile. Dans une de ses nouvelles par exemple, des personnages racontent
leurs petits malheurs sous l'Occupation, leur survie, seul l'un d'eux ne dit pas grand-chose, mais cela suffit :
« Moi, dit le juif, je suis juif ». La fin des « Bottes de Sept Lieues » m'émeut toujours par ce qu'elle dit sans
affèteries ni phrases ronflantes de la misère dans laquelles ces « grandes personnes » dont je parlais en début de
ce texte laissent vivre souvent des enfants. Pourtant Marcel Aymé sait bien que « lorsqu'il y a de l'homme, il y a de
l'hommerie », il n'espère rien, ne démontre rien, montrant simplement qu'être humain a en soi de la valeur.
Illustrations : dessin et photo de l'auteur