Les électroniques à tubes KTR-Lab

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Les électroniques à tubes KTR-Lab
AFDERS Confidences N°102 1
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Les électroniques à tubes KTR-Lab
Le 2 février, l'AFDERS a accueilli MM. André Cocheteux et Sylvain Phelippeaux de la
société KTR Lab, pour une séance particulièrement riche, ainsi que l'on pourra en juger à
la lecture du présent compte-rendu.
Il est toujours intéressant d'aborder la genèse d'une société, car l'on découvre à chaque
fois qu'elle est l'histoire de quelques hommes et de leurs passions. André Cocheteux doit
la sienne à son grand-père, constructeur de baromètres au début du XXème siècle. Un
passage dans les transmissions pendant la grande guerre lui avait donné l'idée, puisqu'il
avait tous les outils en main (le travail du verre et la maîtrise du vide), de fabriquer ses
propres tubes, réalisant ses première expérimentations… en recyclant des bouteilles de
vin! Il a transmis une partie de son expérience à son petit-fils, qui est ainsi devenu, au
milieu des années 50 un des plus jeunes radio amateurs.
Souhaitant conserver intacte sa passion, ce n'est pas dans l'électronique qu'il a développé
sa formation et sa carrière, mais dans la chimie où il a assumé des responsabilités dans le
domaine de la R et D, puis dans l'immobilier. Le virus de l'audiophilie devait cependant le
rattraper à nouveau au milieu des années 90 et, déçu par les résultats obtenus avec
certains matériels du commerce, pourtant prestigieux, il entreprit de développer ses
propres idées, pour lui-même d'abord et ensuite sous la forme de kits pour les passionnés
qui partageaient son approche. Pour gérer cette nouvelle activité, il fut amené dans un
premier temps à créer un département audio dans sa société, puis, quand le temps de
prendre une retraite méritée arriva, c'est-à-dire en juin 2007, la société KTR Lab avec de
plus jeunes partenaires, susceptibles de pérenniser ces activités.
Evidemment, la réalisation d'électroniques à tubes NOS (New Old Stock), c'est à dire
neufs provenant de stocks anciens, nécessite… de disposer de ces stocks et c'est là que
la continuité dans la passion rend des services incomparables, en particulier lorsque l'on
peut compter sur un stock de plus de 120 000 tubes dans environ 3000 références…
Certains de ces stocks proviennent de réalisations pour usage militaire, notamment dans
l'aviation, ce qui garantit robustesse et absence de comportement microphonique.
KTR ou le nom d'un circuit à tubes performant
Le premier objectif était de réaliser un amplificateur à tubes à
base de triodes 845, qui ont la réputation d'être les plus
linéaires. Les premiers tubes furent récupérés sur des chars
de l'armée américaine, ceux écoutés lors de la séance sont
d'origine chinoise. Toutefois, le circuit d'attaque de tels tubes
n'est pas simple: il est nécessaire d'attaquer sous haute
tension (environ 200V) et impédance faible. Le montage en
triode classique (figure 1) conduit à une distorsion
importante. Il convenait donc d'effectuer une recherche
bibliographique. C'est ainsi qu'un article rédigé en 1943 dans
la revue du MIT par M. Keibert attira l'attention de M.
Cocheteux. Il est à noter que ce montage (figure 2), établi
dans le contexte de la recherche d'une grande précision dans
les tirs de canons à longue portée, fut présenté avec de
nombreux autres cas de figure dans un article préparé par
son fils (Keibert Junior) et publié en langue française dans la
revue Toute la Radio en octobre 1955.
Figure 1
2
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Figure 2
Si cet article passa inaperçu, il conduisit toutefois la
société Philips à créer le montage SEPP sans
transformateur de sortie, ainsi que la lampe EL86
spécifiquement dédiée à ce circuit, qui débitait dans
des hauts parleurs d'impédance… 800 ohms. Les
résultats ne furent donc pas à la hauteur des espoirs
et conduisirent à l'abandon de ce montage, qui ne fut
ré-exhumé qu'en 1977 sous la forme du circuit SRPP,
dont la paternité fut attribuée à M. Anzaï, suite aux
articles de Jean Hiraga. Le circuit SRPP (Shunted
Regulated Push-Pull) marche bien à la condition de
ne pas trop le charger, ce qui le rend donc impropre à
l'usage pour lequel il avait été créé. L'idée proposée
fut donc de le charger en mettant en série deux
circuits, comme illustré figure 3, aboutissant à une
configuration dénommée Keiber Totem (KT). Afin
d'éviter de passer par le condensateur C, on le
supprime pour retenir une liaison directe. Il restait à
insérer une source de courant constant (SCC) à
l'endroit indiqué figure 3 pour aboutir au circuit Keiber
Totem Régulé (KTR).
SCC
Figure 3
On notera que ce circuit en pont est autorégulé et que le signal traverse
exclusivement des tubes. La polarisation
du montage est réglée au point
conduisant au minimum de distorsion et,
en l'absence de contre-réaction, le
montage ne génère que de l'harmonique
2, ainsi qu'en témoignent des résultats de
mesure où l'harmonique 3 est… celle du
générateur, fidèlement reproduite par le
Figure 4
circuit (Figure 4). Le gain est fonction des
tubes employés (il est égal à la moitié du gain du tube, soit à 20 dans le cas des tubes
5725).
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Les réalisations présentées dans le cadre de l'association ARTS, présidée par R. Bassi
reçurent un très bon accueil, et les recommandations exprimées incitèrent à développer
un préamplificateur sur la base du même circuit. Les tubes employés 5725 sont des
pentodes à pente variable et à support miniature 7 broches. Elles sont ici montées en
triode selon la configuration apportant les meilleurs résultats. Cette triode demeure à
pente légèrement variable, le gain étant d'environ 5% plus élevé au niveau des petits
signaux, dont la dynamique est ainsi un peu amplifiée. La tension de sortie est importante
et l'impédance faible permet d'utiliser de grandes longueurs de câbles.
En version stéréophonique, le
montage KTR requiert donc 8
tubes. Il a fait l'objet d'un brevet
couronné par l'ANVAR en 2007
et a dans un premier temps été
commercialisé en kit (1200
exemplaires
vendus
la
première année!), y compris
pour
des
utilisations
professionnelles en France et à
l'étranger. Il est cependant
rapidement apparu souhaitable
de proposer une réalisation
complète, ce qui conduisit au
préamplificateur Basic (Figure
5, à gauche). On notera que ce
dernier
comporte
une
Figure 5
alimentation située juste sous
le circuit KTR, ce qui témoigne
de l'insensibilité au rayonnement de ce dernier. Pour des raisons de limitations de coût, ce
préampli ne comporte qu'une entrée. En outre, le réglage de niveau étant situé à la sortie,
l'entrée accepte des niveaux limités à environ 2,4V avant distorsion. L'étape suivante a
donc consisté à prévoir un étage adaptateur avec réglage de niveau à l'entrée, rendant
cette dernière insaturable. Le modèle est alors dénommé "Basic Plus" et comporte 12
tubes au lieu de 8. KTR Lab prévoit de le compléter par un boîtier de commutation séparé.
Figure 6
Une
deuxième
gamme dénommée
"Evolution" fait appel
au même type de
démarche, mais au
sein d'un coffret plus
vaste,
directement
prévu pour recevoir
les
diverses
évolutions du circuit.
Le modèle "Evolution
originale" correspond
globalement
au
préampli Basic. Le
modèle
Evolution
(Figure 6, à droite de
l'amplificateur
845)
correspond
à
un
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Basic Plus qui comporterait un boîtier de commutation 6 entrées et une alimentation de
compétition. Enfin, le modèle Diva est prévu pour la bi-amplification et intègre un filtre actif
avec réglage possible de la pente et de la fréquence de coupure, suivi de modules KTR
supplémentaires pour le canal de grave ainsi créé. En cas d'utilisation en symétrique, tout
doit bien entendu être doublé.
D'autres électroniques sont par ailleurs à l'étude. La première est un préamplificateur pour
microphones employant deux circuits KTR en série du fait du gain limité à 20 de chaque
circuit. L'idée directrice était de se dispenser du transformateur adaptateur d'impédance
généralement employé du fait de l'impédance très basse des micros. Ce produit en cours
de finalisation sera présenté sous la forme d'un châssis 3U pour montage en rack, chaque
châssis traitant une voie.
La seconde est présentée figure 5, à droite. Il s'agit du prototype d'un amplificateur en
classe D de 2x100W faisant appel à une alimentation à découpage unique, en vue de
disposer d'une chaîne Basic complète et esthétiquement homogène. Enfin, il est prévu de
développer un lecteur CD à sortie KTR, ainsi que de modifier l'esthétique de l'amplificateur
en lui donnant la forme du préamplificateur dans un coffret de hauteur double, conduisant
à un ensemble CD/préampli et amplificateur de hauteur équivalente.
La distribution de ces produits s'est faite dans un premier temps sous la forme de vente
directe; un réseau est en cours de mise en place. Ces produits sont actuellement en
démonstration chez Elecson, à Paris. Des adaptations sont possibles à la demande du
client. Les amplificateurs seront proposés en versions 2x30W (version présentée ce jour),
2x60W (par doublage des tubes 845) et Push-Pull 2x100W.
Deux enceintes prototypes minimalistes
KTR Lab a souhaité présenter à
l'Afders
deux
enceintes
faisant
appel à de petits
haut-parleurs large
bande Fostex 103 E
réalisés sur cahier
des charges pour
KTR: la Soprano +
et la Soprano horn.
L'enceinte Soprano
est
une
petite
enceinte
comportant un HP Fostex
en
façade.
La
Soprano + ne s'en
distingue pas esthétiquement.
Elle
comporte toutefois
un
haut-parleur
supplémentaire poFigure 7
sitionné sur la face
inférieure de l'enceinte et rayonnant vers le sol. Cette enceinte comporte des pieds dont la
hauteur est calculée de manière précise afin d'étendre la bande passante jusqu'à environ
70 Hz. La Soprano horn comporte un HP en façade et un HP interne chargé par un
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pavillon arrière conduisant à une bande passante chutant à partir d'environ 80 Hz. Le
rendement est proche de 100dB/1W/1m. On peut voir ces deux enceintes figure 7, la
Soprano + étant juchée sur la Soprano horn.
M. Cocheteux a par ailleurs indiqué avoir développé une enceinte à pavillon couvrant la
plage 20Hz à 45kHz à 0dB, avec un rendement de 120dB/1W/1m. Une telle réalisation,
nécessairement "monstrueuse", ne pouvait évidemment pas être déplacée pour cette
séance technique, et il en ira de même lors du salon de mars, où un modèle un peu moins
élaboré, mais fondé sur le même principe, devrait toutefois être présenté.
Des mesures impressionnantes
Outre la distorsion réduite à l'harmonique 2 dont il
a déjà été parlé, on notera que le circuit KTR
passe le continu et que son temps de montée de
200ns autorise une bande passante atteignant le
MHz (2Hz à 300 kHz à 0dB sans rotation de
phase), ce que l'on peut constater figures 8 et 9
au niveau de la réponse à des signaux carrés de
respectivement 10Hz et 100kHz.
Les écoutes
Figure 8
Les écoutes mirent en jeu, outre les électroniques
et enceintes présentées ci-dessus, un lecteur de
CD au dessus de tout soupçon, le modèle DCS
P8i. Les premières auditions mirent en œuvre le
préamplificateur Basic et l'amplificateur en classe
D. Avec l'enceinte Soprano +, le piano de A.
Brendel est assez équilibré, un peu court dans le
bas, mais aussi dans le haut du spectre. C'est un
peu timide, mais sans coloration ni confusion. Les
attaques sont propres. La spatialisation reste un
Figure 9
peu étroite. Les enceintes Soprano horn
apportent immédiatement plus d'ampleur dans le
bas médium et le grave, avec toutefois quelques résonances "caverneuses",
manifestement dues à une vibration de la paroi du pavillon, qui sera corrigée sur les
modèles définitifs. C'est dynamique et "swinguant", mais les pointes de niveau sont
accompagnées de quelques duretés dans le haut-médium.
Pour en avoir le cœur net, nous passons au préamplificateur Evolution et à l'amplificateur
à tubes 845. Le piano est, dès les premières notes, plus libre et plus riche. Il y a
également moins de résonances ou du moins s'il y a des résonances, elles apparaissent
moins gênantes. C'est plus linéaire, plus musclé, plus ample. Les haut-parleurs semblent
également mieux tenus. L'amplificateur à tubes est manifestement mieux adapté à ces
enceintes que le modèle fonctionnant en classe D.
L'orgue est assez équilibré, avec une bonne réverbération, sans résonances gênantes. La
restitution est d'une grande propreté et comporte des détails auxquels les auditeurs ne
sont pas habitués. Le système se révèle très rapide, notamment sur les attaques. Un petit
manque d'assise est regretté et certains auditeurs situés au fond notent un peu de
traînage, vraisemblablement imputable à la salle. De l'avis général, le circuit KTR employé
dans le préamplificateur et dans l'étage d'attaque des tubes de puissance est
remarquable. Les tubes peuvent ne pas être "mous". Ici, c'est excellent, cela "bouge".
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La voix de Colette Avril est bien modulée, naturelle, sans surcaractérisation, même s'il y a
quelques traces de coloration et un équilibre des timbres un peu "haut". Plusieurs
auditeurs sont étonnés d'entendre certains détails rarement reproduits avec cette
intelligibilité.
On
entend
beaucoup de choses. Le
sextette de Stertzel est
précis, assez swinguant, avec
toujours ce petit manque de
"poids" et quelques petites
colorations. Le saxo est un
peu haut, la trompette bien en
place. Bonne répartition des
musiciens dans l'espace. Le
système n'est pas limité en
vitesse, sauf peut-être en ce
qui concerne les préamplis
micro employés à l'époque
lors de la prise de son…
Il doit être noté que le lecteur
CDS avait été employé avec
sa sortie 2V en vue d'être compatible avec le niveau d'entrée accepté par le préampli
Basic utilisé lors de la première écoute. Ici, le préamplificateur Evolution comportant un
étage d'entrée adaptateur, un nouvel essai est effectué avec la sortie 6V du lecteur, qui se
traduit par un niveau d'environ 0,35V appliqué à l'entrée du circuit KTR, plus proche de
son niveau optimal de fonctionnement. Une réécoute traduit un progrès significatif: c'est
plus clair, le saxo est mieux timbré, il y a davantage d'assise et de matière. Il y a encore
davantage de micro-détails et un meilleur détachement des différents instruments. Les
réverbérations à l'écoute de l'orgue sont également plus longues, il y a, là aussi, plus
d'assise. La restitution est moins agressive, malgré un niveau d'écoute plus élevé. De
même, le piano est dynamique, plus ample. Le préamplificateur travaille manifestement ici
dans sa plage optimale et l'assistance est surprise de ce qu'il est possible de "sortir" d'un
haut-parleur d'un diamètre de 10 cm…
L'écoute de O. Peterson est aérée et claire. C'est un peu court dans le bas, ce qui ne nuit
pas sur cet extrait. Les chuchotements des musiciens sont bien audibles, sans être
surcaractérisés dans l'aigu. Il y a beaucoup de micro-détails, une grande précision, un bon
"pincé" des cordes. La zone d'écoute est large et les instruments bien positionnés. C'est
réellement très naturel. Pour conclure cette partie consacrée aux écoutes, nous passons à
un enregistrement du Big Band du conservatoire. L'équilibre spectral est bon, même si un
peu plus de poids ne nuirait pas. C'est ici que l'on se rend compte que le pouvoir résolvant
du système de restitution, s'il permet d'apprécier la finesse et la précision de
l'enregistrement, met aussi cruellement en lumière les petites décalages de temps entre
instrumentistes, qui devront encore travailler un peu pour être vraiment en phase…
En conclusion,
Les tubes n'ont pas dit leur dernier mot en matière de performances et de rapidité à
l'écoute. Telle est la conclusion principale d'une séance particulièrement riche, dont il faut
remercier MM. André Cocheteux, Président et responsable du développement de la
société KTR, et Sylvain Phelippeaux, en charge du marketing et du commercial.
L'AFDERS ne peut que présenter ses meilleurs vœux de réussite à des réalisations de
cette qualité, qui présentent en outre l'intérêt de sortir des sentiers battus.
JM. Grandemange.