Critique Littérature Marina Tsvetaeva, une George Sand russe

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Critique Littérature Marina Tsvetaeva, une George Sand russe
Critique
Littérature
Marina Tsvetaeva, une George Sand russe
(1892- 1941)
Les grandes femmes russes semblent se regrouper par paire. Ainsi, Marina
Tsvetaeva, avec Anna Akhmatova, incarne la poésie russe du XXe siècle. Mais
qui est-elle, cette Marina, cette femme, que nous, occidentaux, nous ne
connaissons pas si bien ?
Marina Tsvetaeva naquit le 26 septembre 1892 à Moscou. Très tôt, elle
s’oppose avec fougue à la Révolution d’Octobre : elle brave les autorités moscovites par la lecture
de textes provocateurs, contre-révolutionnaires. Son premier recueil de poèmes est publié
lorsqu’elle n’a encore que 18 ans. Elle épouse un jeune officier de l’armée blanche, Sergueï Efron,
et connaît un exil de 17 ans, entre autre à Paris où les milieux d’émigrés la rejetèrent suite à ses
écrits en leur défaveur. Ensuite, après bien des péripéties, elle rentra en U.R.S.S. avec son fils afin
de rejoindre son mari - passé dans le camp stalinien, il était retourné dans sa patrie - et sa fille. Mais
son époux est fusillé, sa fille déportée. Désespérée et affamée dans une U.R.S.S. tyrannique, elle se
pend le 31 août 1941. Elle avait 49 ans.
Boris Pasternak, Rainer Maria Rilke ont entretenu avec elle une longue correspondance, loin des
heurts de la réalité. Voici comment le premier la décrit : «Tsvetaeva était une femme à l'âme virile,
active, décidée, conquérante, indomptable. Dans sa vie comme dans son oeuvre, elle s'élançait
impétueusement, avidement, vers le définitif et le déterminé; elle alla très loin dans cette voie, et y
dépassa tout le monde. Elle a écrit une grande quantité de choses inconnues chez nous, des oeuvres
immenses et pleines de fougues». ([1]) Un goût violent de la vie, du monde concret, des racines
nationales, un refus du conformisme, des plis et des routines, tels sont les thèmes tragiques qui
jalonnent son œuvre, reflet de sa vie. De même, un sens aigu de la réalité physique du mot et des
jeux de signification s’y retrouvent. Son destin fut extrême : assoiffée de rencontres et de
reconnaissances, poussée par la quête de l’absolu, elle a multiplié les relations extraconjugales et les
amitiés passionnées afin de combler cet insatiable besoin d’amour. Sa démesure l’a empêchée de
vivre. De blanche, elle s’est faite rouge, et, ainsi, a provoqué sa marginalité. Son caractère se révèle
dans sa poésie : instable, amer. Derrière le rythme syncopé de ses vers, on perçoit l’écorchée vive
qui écrit pour vivre, pour survivre, après chaque désastre, familial, sentimental ou matériel. D’elle,
on peut retenir cette parole qui résume sa finalité vitale: « Écoutez-moi ! Il faut m’aimer encore, du
fait que je mourrai ! »
Emportée par le chaos des événements politiques, elle représente le merveilleux et insignifiant
combat de l’artiste, obstinée, qui chante les grandes idées, les splendeurs de la nature et les
mystérieuses leçons de la mort, au beau milieu des cris d’un monde devenu fou.
Si vous désirez la « rencontrer », la découvrir, lisez :
-Henri TROYAT, Marina Tsvetaeva, l’éternelle insurgée. Paris : Librairie générale française, 2001 (Le
livre de Poche, 15578)
-Marina Tsvetaeva, Le ciel brûle. Paris : Gallimard, 1999 (Poésie)
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Critique
Littérature
Et pour vous donner un avant-goût de sa production, en voici un extrait :
Au travers des coeurs, au travers des rêts,
Mon bon plaisir perce son chemin
Moi - Vois-tu ces boucles déchaînées?
Je ne suis point faite de dépôts salins,
Me brisant sur vos genoux de granit,
A chaque vague je ressuscite.
Que vive l'écume, joyeuse écume,
La haute écume marine.
Tel est fait de pierre, tel est fait d'argile,
Mais moi, je m'argente et scintille
Je m'occupe de trahir, je m'appelle Marine,
Je suis la fragile écume marine
Tel est fait de pierre, tel est fait de chair.
Pour eux cercueils et pierres tumulaires;
Dans les fonds marins baptisée
Je suis, dans mon envol, constamment brisée!
Catherine Baudry
([1]) extrait de Anthologie de la poésie russe, Paris : nrf, Gallimard, 1993 (Poésie).
Tribune libre
Poésie
Etoile filante
Un soir de profond désespoir
De ses flèches, sans crier gare,
Il nous atteint, l’enfant perfide,
Et rit de nous, comble le vide.
Ainsi dévoré, sur-le-champ,
Par un brasier si palpitant,
Notre cœur lutte, courageux,
Contre Dame Raison. Heureux
Vainqueur, il prend son vol. Il part
Pour des paradis illusoires,
Et, confiant, érige des tours,
Vains châteaux en Espagne, hélas !
Mais, quand viendra l’hiver tenace,
Il aura goûté à l’Amour.
Cath la Classique !!!
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