Un héritage culturel à l`épreuve des droits

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Un héritage culturel à l`épreuve des droits
Un héritage culturel à l’épreuve des droits humains : La pratique du Trokosi
Par Dorine llanta
Cette contribution traite de la pratique culturelle du Trokosi présente principalement sur le
territoire Ghanéen. Bien que celle-ci soit ancestrale, les remontrances de l’Organisation des
Nations Unies en 2015 rappellent qu’elle est toujours d’actualité et, qu’au XXIème siècle, une
telle pratique de servitude rituelle et sexuelle ne peut perdurer. Le Trokosi est ici envisagé
sous deux angles : la confrontation de la liberté culturelle aux droits humains d’une part, et
la possible responsabilité des responsables de la pratique devant la Cour Pénale
Internationale d’autre part.
Rappel à l’ordre des Nations Unies… Au XXIème siècle, une pratique ancestrale telle que le
Trokosi n’a plus sa place. Le Ghana, principal concerné, est sommé par le Comité des droits
de l’enfant de mettre fin à cette coutume fortement attentatoire aux droits humains1. A l’heure
où l’individu est placé au centre du système international, une telle pratique soulève
l’indignation, tout comme les mutilations génitales ou mariages forcés. Il est toutefois
essentiel, afin de saisir le sens et la portée de telles pratiques, de s’éloigner de la dichotomie
simpliste entre le bien et le mal. Chaque communauté, chaque Etat, dispose d’une culture
propre influencée par des facteurs tels que l’Histoire, le droit en vigueur et son interprétation.
Cette culture, caractérisée par les « idées, coutumes et comportements sociaux de personnes
en particulier ou d’une société »2, est donc dynamique, susceptible d’évolution, à la fois
1
Comité des droits de l’enfant, Concluding observations on the combined third to fifth periodic reports of
Ghana, Doc n° CRC/C/GHA/CO/3-5, 9 juin 2015, aux paras 39-40
2
Dictionnaire Oxford, traduction « The ideas, customs, and social behaviour of a particular people or society »,
en ligne < http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/culture > (consulté le 18 octobre 2015)
objective et subjective, individuelle et collective3. Selon la Déclaration universelle sur la
diversité culturelle adoptée en 2001, la « diversité culturelle constitue le patrimoine commun
de l’humanité et droit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des
générations futures » 4. Par le biais des instruments internationaux, des droits dits culturels ont
ainsi été adoptés pour protéger ces héritages, tous tendant vers une « liberté culturelle »5. Si
cette diversité est une richesse, elle est également à limiter. Toute coutume, peu importe sa
nature, doit évoluer parallèlement à la reconnaissance des droits humains. Dans cette optique,
elle peut être mise en péril lorsqu’elle se fait le bouclier de pratiques en violation avec ces
mêmes droits supposés inhérents à la personne humaine.
Le Trokosi se pratique depuis plus de 300 ans6 parmi la communauté Ewe dans différents
pays d’Afrique de l’ouest, notamment le Bénin, le Togo, le Ghana et le Nigéria.
Littéralement, « tro » signifie « dieux » tandis que « kosi » signifie à la fois « épouse » et
« esclave »7. La pratique consiste donc à ce que les jeunes filles deviennent esclaves ou
épouses des dieux sous forme d’abus mental, physique et sexuel par les prêtres 8 . Sur
l’ensemble des nations, le nombre de jeunes filles concernées est estimé entre 29000 et
350009, sans compter les enfants naissant au sein des temples, lieux saints dédiés à cet effet
(ci-après « temples »). La pratique est basée sur une croyance profonde en l’existence de
dieux qui seraient à la fois auteurs et maîtres du code moral, dieux qui peuvent récompenser
ou sanctionner les actes des habitants via l’action de leurs intermédiaires, les prêtres
fétichistes (ci-après « prêtres »). Ces derniers, de par leur rôle central, sont considérés comme
les personnalités « les plus vénérées, les plus craintes et les plus puissantes pour de
nombreuses communautés rurales »10.
Aujourd’hui, la principale raison pour laquelle les familles envoient leurs jeunes filles en
servitude dans les temples, est la commission d’un crime ou d’un délit (vol, adultère, viol,
relations sexuelles avec une Trokosi ou encore meurtre11) par un membre d’une famille. La
famille ayant subi l’offense se rend chez le prêtre afin que celui-ci, avec l’aide des dieux,
3
DONDERS Yvonne, « Do cultural diversity and human rights make a good match ? », (2010), International
social science journal, Vol. 61, Issue 199, à la p1. Comme le souligne Yvonne Donders, la dimension objective
concerne se reflète dans la langue, les coutumes ou encore la religion tandis que la dimension subjective
s’attache aux pensées communes, aux attitudes propres au groupe et crées par ce groupe. Chaque individu du
groupe contribue à cette culture.
4
UNESCO, Déclaration universelle sur la diversité culturelle, Doc CLT-2002/WS/9, 2 novembre 2001, Article
1
5
Voir principalement Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU), Déclaration sur les droits des peuples
autochtones, résolution 61/295 UN Doc A/61/L.67, 13 Septembre 2007
6
GILLARD Linda M., TROKOSI Slave of the Gods, USA : Xulonpress, 2006, à la p13
7
M. MUSA Sainabou, « Modern day slavery in Ghana : Why application of United States asylum laws should
be extended to women victimized by the Trokisi belief system » (2011), Rutgers Race & Law Review, n°169, à
la p173
8
A. BASTINE Nicholas, « The relevance of national and international laws for the protection of the rights of
women and children in Ghana : A critical look at the Trokosi system in Ghana » (2010), OIDA International
Journal of Sustainable development, Vol. 1, N°10, à la p82
9
AIRD Sarah C., « Ghana's Slaves to the Gods » (1999), Human Rights Brief, Vol.7, N°1, à la p6
10
BROOKER Emma, « Slaves of the Fetish », Independent, 16 juin 1996, au para 15, en ligne
http://www.independent.co.uk/arts-entertainment/slaves-of-the-fetish-1337314.html (consulté le 7 novembre
2015)
11
A. BASTINE Nicholas, Supra note 8, à la p82
2 fasse peser sur la famille coupable (connue ou non), voire sur l’ensemble de la communauté,
une malédiction causant malchance, maladies et morts inexpliquées. Afin de conjurer le sort,
la famille coupable doit offrir une jeune fille pure et vierge, en guise de réparation, aux dieux.
A l’origine, les offrandes étaient sous forme de bétail, d’argent ou d’alcool12, mais offrir une
jeune fille constitue pour les familles un sacrifice financier moins important qu’une vache ou
de l’argent, et s’avère plus rentable pour les prêtres. La période de « captivité » des jeunes
filles dépend alors du crime commis. Cela peut aller de quelques années à une sentence à vie.
Les jeunes filles d’une même famille paient parfois le prix du crime commis par leurs
ascendants sur plusieurs générations et, dans certains cas, l’offense commise est tellement
lointaine dans le temps que personne ne se souvient de ce qu’elle était13. Les jeunes filles
restent alors au sein du temple car « la mémoire humaine peut faillir, mais les dieux eux,
n’oublient jamais »14.
En pratique, les jeunes filles arrivant dans le temple prennent part à une cérémonie
particulière dans laquelle les parents cèdent l’ensemble de leurs droits aux prêtres et, a
fortiori, aux dieux15. Au rythme de chants et danses, elles sont dénudées et déshumanisées.
Elles perdent leur nom, leurs vêtements et doivent reconnaître le pouvoir des prêtres. Elles
sont alors revêtues du traditionnel habit Trokosi afin que chacun puisse déterminer leur statut
prima facie16. Après la cérémonie, les prêtres détiennent un droit de propriété et de contrôle
complet sur l’enfant. Ce n’est qu’une fois les besoins des prêtres satisfaits que les Trokosi
peuvent de se nourrir elles-mêmes et/ou de nourrir leurs enfants - chaque enfant naissant dans
ce contexte étant considéré lui-même comme esclave17. En réalité, selon l’âge auquel les
jeunes filles entrent dans le temple, elles sont souvent incapables de subvenir à leurs propres
besoins et meurent. Les prêtres annoncent dès lors aux familles concernées qu’elles doivent
remplacer la défunte Trokosi, sans quoi les dieux feront courir à nouveau la malédiction sur
leur famille18. Après leurs premières menstruations, les Trokosi doivent offrir des faveurs
sexuelles aux prêtres et sont dès lors constamment violées. Il ne s’agit pas, selon les prêtres
eux-mêmes et les défenseurs de la pratique, d’un viol à proprement parler car lorsqu’ils
effectuent l’acte charnel, ce n’est qu’en application des règles divines, leur organe sexuel
12
SMALL BILYEU Amy, « TROKOSI – The practice of sexual slavery in Ghana : Religious and cultural
freedom VS. Human rights » (1999), n°9, Indiana international & Comparative law review, à la p457
13
United Nations Population Fund, « Ghana: Liberating Slaves and Changing Minds, Starting at the Grass
Roots », in « Programming to address violence against women », (2007), à la p87, en ligne
<http://213.55.79.31/adf/adfvi/documents/UNFPA-Programming.pdf> (Consulté le 18 octobre 2015)
14
Citation de Togbe Charmla, prêtre du temple de Forfor, dans BROOKER Emma, Supra note 10, au para 3,
“human memory may be frail but the gods do not forget”
15
WIKING Sofia, From Slave Wife of the Gods to "ke te pam tem eng" Trokosi Seen through the Eyes of the
Participants, Thèse en études religieuses, Université de Malmö Lärarutbildningen, 2009, à la p15
16
M. MUSA Sainabou. Supra note 7, à la p 178
17
BOTCHWAY Aziza Naa-Kaa, « Symposium : twelfth annual latcrit, Conference critical localities : Epistemic
communities, Rooted cosmopolitans, New hegemonies and knowledge processes : Abolished by LawMaintained in Practice: The Trokosi as Practice in Parts of the Republic of Ghana », (2008), FIU Law Review,
N°3, à la p 370
18
C. GOLTZMAN Jonathan, « Cultural Relativism or Cultural Intrusion? Female Ritual Slavery in Western
Africa & the International Covenant on Civil and Political Rights: Ghana as a Case Study », (1998), New
England international and comparative law annual, Vol. 4, à la p55
3 étant pleinement dédié aux dieux19. En pratique, « the younger, the better »20 (« plus elles
sont jeunes, mieux c’est »), car les filles doivent être le plus innocentes et pures possible.
Chaque tentative de rébellion – y compris de simples larmes21 – se solde par la violence, les
jeunes filles étant battues à plusieurs reprises pour leur désobéissance et résistance. Pour
celles qui arrivent à fuir et retourner dans leur famille, elles sont aussitôt renvoyées dans les
temples par peur de déclencher la colère des dieux22. Dans le cadre même d’une libération par
les prêtres, en bonne et due forme, beaucoup de communautés et familles continuent de les
rejeter23.
Au début des années 1990, alors que la pratique est progressivement rendue publique, de
nombreuses organisations se mobilisent et obtiennent un écho international. Depuis les
discussions de forum sur internet jusqu’aux reportages télé, la communauté internationale
commence à découvrir cette forme d’esclavage moderne24, et à la condamner. Grâce à l’action
de l’organisme International Needs Ghana, plusieurs milliers de Trokosi ont pu être libérées
et prises en charge en vue d’une réinsertion prochaine. Toute libération est négociée avec les
prêtres qui signent un contrat, en présence des dieux, afin que ceux-ci ne puissent revenir sur
leur parole et remplacer les jeunes filles partant25. Les libérées sont recueillis dans le centre
Adidome au sein duquel elles reçoivent de l’aide : éducation, santé, protection, rien n’est
laissé en marge. Selon l’organisme, l’éducation est la clé d’une éradication totale à la fois du
Trokosi et de toute autre pratique du même genre au Ghana26. Sans un tel suivi, il est arrivé
que certaines filles retournent volontairement dans les temples puisqu’il s’agissait du seul
endroit qu’elles connaissent, qu’elles y ont parfois laissé des enfants ou encore qu’elles ont de
nouveau été rejetées par leur famille27.
De telles actions ont permis d’attirer l’attention des médias – notamment des médias
ghanéens–, du Gouvernement et du Président sur la nécessité d’entreprendre des mesures
concrètes. Jusqu’alors, le manque de connaissance tant au niveau citoyen que gouvernemental
empêchait toute action28.
19
M. MUSA Sainabou. Supra note 7, à la p177
ADABIO Heymann et MAWUSINU Anita, Trokosi, Woryokwe, cultural and individual rights : a case study
of women’s empowerment and community rights in Ghana, Master en Art et développement international,
Université Saint Mary, Halifax, Nova Scotia, 2000, à la p20
21
GILLARD Linda M. Supra note 6 à la p 14
22
M. MUSA Sainabou. Supra note 7, à la p 177. Voir aussi GILLARD Linda M. Supra note 6, à la p 14
23
AMOAH Jewel, « The world on her shoulders : The rights of the girl-child in the context of culture &
identity », (2007), Essex Human Rights Review, Vol.4, N°2, à la p10
24
A. BASTINE Nicholas Supra note 8 à la p84
25
KWAME AMEH Robert, “Reconciling rights and traditional practices: The anti-trokosi campaign in Ghana”,
(2004), Canadian journal of law society, Vol.19, N°2, aux pages 51-72. Voir aussi GILLARD Linda M. Supra
note 6 à la p17
26
Interview de Monsieur Wisdom Mensah, coordinateur de projet chez International Needs, dans African
Recovery, Octobre 2000 – cité dans A. BASTINE Nicholas Supra note 8 à la p86
27
ADABIO Heymann Supra note 20 aux p22-25
28
A. BASTINE Nicholas Supra note 8 à la p89
20
4 I. TROKOSI :
LA LIBERTÉ CULTURELLE A L’ÉPREUVE DES DROITS
HUMAINS
A. LE CONTEXTE NATIONAL DE LUTTE CONTRE LA PRATIQUE
Au début des années 1990, le problème que posait la pratique a progressivement été soulevé
par la Commission Nationale lors de la célébration de la journée africaine de l’enfant de
l’Organisation de l’Union Africaine (OUA). Plusieurs commentaires avaient été faits au
Président de l’époque, Jerry John Rawlings, notamment que l’ « amour pour la race humaine
doit être la force qui nous guide vers l’abolition de la pratique »29 ou qu’« à l’orée du 21ème
siècle, il est intolérable et inhumain de laisser perpétrer une telle pratique au nom d’une
tradition qui fait la honte des peuples africains »30.
Le Président, lui-même originaire d’une région touchée par la pratique, a dès lors déclaré qu’il
n’hésiterait pas à changer les coutumes et traditions régressistes au vu de l’évolution des
droits humains et, ainsi, que certaines pratiques traditionnelles feraient bientôt parties des
« poubelles de l’Histoire »31. Ce fut chose faite, du moins en théorie, quelques jours plus tard
lorsque la pratique fut condamnée devant le Parlement. Il ne s’agissait alors que d’un premier
pas, significatif certes, mais nécessitant un travail en profondeur. C’est le 29 novembre 1995
que le premier projet de loi sera présenté, suite à quoi de nombreux organismes seront
entendus sur la légitimité de la pratique, à la fois pro et anti. Le 12 juin 1998, via l’acte
d’amendement 554, le code pénal est finalement modifié afin de condamner légalement les
pratiques coutumières de servitude32. La section 314A du Code Pénal33 prévoit dès lors que :
(1) Whoever(a) Sends to or receives at any place any person; or
(b) Participates in or is concerned with any ritual or customary activity with the
purpose of subjecting that person to any form of forced labour related to a customary
ritual commits an offence and shall be liable on conviction to imprisonment for a term
of not less than three years.
L’adoption d’une telle mesure a suscité l’espoir de nombreuses familles et de nombreux
défenseurs des droits humains. Le Comité d’experts de l’Organisation Internationale du
29
L. FLOOD Sarah, Ministre de la santé, des services sociaux, de la famille et des femmes aux Antilles, citée
dans
le
rapport
1998-1999
d’Equality
Now,
à
la
p3,
en
ligne
<http://www.equalitynow.org/sites/default/files/annualreport_98-99.pdf > (Consulté le 10 Octobre 2015)
30
Mariam Lamizana Ministère de l’Action Sociale et de la Famille Burkina Faso citée dans le rapport 1998-1999
d’Equality Now Ibid à la p3
31
Discours du Président alors qu’il s’adressait à Women’s wing du congrès national démocratique dans l’Upper
East region. Rapporté dans le Ghanaian Times du 27 Mai 1994. Cité dans ADABIO Heymann Supra note 20 à la
p21
32
Criminal Code (Amendment) Act (N°554), adopté le 19 août 1998, aussi appelé “Trokosi law”. Voir KWAME
Ameh Robert, AGBENYIGA Debrenna Lafa et NANA Araba APT, Children’s rights in Ghana, Reality or
rethoric?, UK: Lexington Books, 2011, à la p143
33
Code Pénal de la République du Ghana tel qu’amendé en 1998, Section 314A Prohibition of costumary
servitude
5 Travail a ainsi noté qu’entre 2001 et 2009, 305 enfants de moins de 18ans avaient été libérés
ou retirés officiellement des temples. Par ailleurs, ce dernier a pu noter, grâce au rapport du
26 novembre 2010 du Centre irlandais de documentation sur les réfugiés, qu’environ 3 500
filles ont pu être soustraites du système Trokosi et qu’une cinquantaine de temples ont arrêté
d’accepter les jeunes filles en guise de réparation34.
En revanche, si la loi a permis la libération de quelques centaines de jeunes filles, personne
n’a, à ce jour, été arrêté ou poursuivi pour ces faits. Comment expliquer une telle léthargie
judiciaire ? Tout d’abord, la corruption. Une étude menée par le Center for Democratic
Development Ghana et la Fondation Friedrich Naumann a mis en lumière que 73% de la
population considèrent que le pouvoir judiciaire est influencé par le pouvoir exécutif, malgré
l’article 127 de la Constitution prévoyant l’indépendance judiciaire 35 . Aussi, l’Attorney
General, qui engage les poursuites au nom de la République du Ghana, est également
Ministre d’Etat et principal conseiller judiciaire du Gouvernement36, ce qui remet en cause
son indépendance. Il s’agit là d’un obstacle majeur à l’accès à la justice et à la justice ellemême. Dans le cadre de la pratique du Trokosi, une autre question se pose : quid si l’Attorney
General croit lui-même en l’existence des dieux ? Les croyances étant très imprégnées au
Ghana, à tous les niveaux, la colère des dieux peut constituer une barrière à une justice juste
et efficace. Certains habitants affirment que moyennant des dessous de table, il est parfois
possible d’empêcher des poursuites ou de les faire disparaître d’un dossier37. Certains juges
eux-mêmes se laissent corrompre par l’argent, comme il a pu être révélé par le New
Crusading Guide en Septembre 2015 38 . Cela détourne dès lors les victimes ou autres
personnes souhaitant signaler une infraction à le faire. Pour y remédier, la police a mis en
place la DOVVSU - Unité d’assistance aux victimes de violences domestiques – chargée
d’accueillir les femmes et enfants victimes notamment de pratiques comme le Trokosi ou de
mutilations génitales féminines39. Par ailleurs, si les victimes ne font confiance aux agents de
l’Etat, il leur est possible de déposer plainte auprès de la Commission des droits de l’homme
et de la justice administrative, dont l’indépendance n’a jamais été remise en question40.
34
Comité d’experts pour l’application des conventions et recommandations (OIT), Individual Direct Request
concerning ILO Worst Forms of Child Labour Convention, doc n°092011GHA182, 1999, N°182, Genève, 2011,
au para15
35
AfriMAP, Open society initiative for West Africa et Institut for democratic governance, Ghana, le secteur de
la justice et l’Etat de droit, Dakar : Open society for west africa, 2007, à la p90
36
Constitution de la République du Ghana, adoptée le 8 mai 1992, Article 88
37
AfriMAP Supra note 35 à la p113, Entretien avec un échantillon du public au tribunal de Madina, près
d’Accra, 27 avril 2007.
38
22 juges ont été suspendus de leurs fonctions après avoir accepté d’alléger des peines en échange d’argent.
Faits relatés par de nombreux sites d’informations. Voir par exemple RFI « Ghana, suspension de plusieurs juges
accusés de corruption », 11 septembre 2015, en ligne <http://www.rfi.fr/afrique/20150911-ghana-suspensionplusieurs-juges-accuses-corruption> (consulté le 2 décembre 2015)
39
Conseil des droits de l’homme, Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement. Rapport de la rapporteuse spéciale sur
la violence contre les femmes et ses conséquences, Mme Yakin Ertürk, septième session, doc n°
A/HRC/7/6/Add.3, 21 Février 2008, au para 80
40
Comité des droits de l’enfant, Examen des rapports soumis par les Etats parties en application de l’article 44
de la Convention, Troisième à cinquième rapports périodiques des Etats parties attendus en 2011, Doc n°
CRC/C/GHA/3-5, 6 Août 2014, au para 110
6 Le deuxième facteur réside dans l’existence d’une justice traditionnelle parallèle. Bien que les
tribunaux traditionnels, issus de la colonisation, aient officiellement cessé d’exister avec
l’indépendance du pays, la justice traditionnelle conserve une part importante dans le
règlement des conflits au sein du territoire ghanéen41. Qu’il s’agisse des voies judiciaires ou
extrajudiciaires, l’influence, l’autorité et le respect des chefs sont considérables, notamment
au niveau local42. Les tribunaux étant difficiles d’accès en raison de leur concentration
géographique dans les zones plus riches et plus peuplées43, les habitants des zones reculées se
tournent vers les anciens de chefferie pour une justice plus rapide, plus adaptée (notamment
lorsqu’il est question de forces surnaturelles) et moins couteuse44. Le Conseil des Droits de
l’Homme des Nations Unies a eu l’occasion d’exprimer ses craintes quant à ce double
système dans son rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes du 21
Février 200845. Au-delà du fait que « la police, les tribunaux, les services sociaux et le secteur
de la santé ne sont pas suffisamment équipés ni formés pour protéger efficacement les
femmes des violences »46, elle note que « si les engagements internationaux contractés par le
Ghana en ce qui concerne l’égalité des sexes s’imposent aux autorités traditionnelles (…) le
droit coutumier, constitutionnellement reconnu comme une source de droit, établit une
discrimination à l’égard des femmes »47. Les coutumes locales sont toujours appliquées en
priorité en ce qu’elles sont plus proches du pays et de sa culture. Selon ce système de
chefferie, les chefs exercent une autorité conservatrice et, de ce fait, prônent le respect des
coutumes locales à l’instar de nouveaux droits comme l’égalité des genres48. Un tel système
peut entrainer l’impunité de certains criminels et la difficulté pour les populations
vulnérables, notamment les femmes et enfants, de se faire entendre et obtenir justice. En vue
d’éviter ces situations, l’article 272(c) de la Constitution prévoit que la Chambre Nationale
des Chefs (National House of Chiefs) comprenant des chefs de chaque région, pourra
« entreprendre une évaluation des usages et coutumes traditionnels dans l’optique d’éliminer
ces usages et coutumes qui sont désuets et socialement nuisibles »49. Jusqu’alors, il semble
que cette institution ait échoué dans sa volonté de conformiser le coutumier, statutaire et
constitutionnel50. L’article 26(2) agit comme un second garde-fou en prévoyant que « toutes
les pratiques coutumières qui déshumanisent ou sont injurieuses à l’égard du bien-être
physique et mental d’une personne sont interdites »51. Dans ce cadre, la communauté, à
travers ses chefs, est censée agir comme intermédiaire entre les libertés individuelles et les
contraintes sociales52. Or, en pratique, les chefs se retrouvent fortement influencés par les
acteurs mêmes des pratiques comme le Trokosi : les prêtres et autres leaders religieux. Ces
derniers jouent un rôle important dans la nomination des chefs mais surtout leur accordent une
41
AfriMAP Supra note 35 à la p170
AfriMAP Supra note 35 à la p171
43
AfriMAP Supra note 35 à la p30
44
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 au para 9
45
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39
46
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 (résumé)
47
Ibid
48
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 au para 8
49
Constitution Ghana Supra note 36, Article 272 (c)
50
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 au para 16
51
Constitution Ghana Supra note 36, Article 26 (2)
52
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p43
42
7 protection spirituelle contre tout ennemi potentiel53. Les pouvoirs sont alors partagés – les
chefs assurent un rôle administratif, politique et juridique quand les prêtres assurent la part
spirituelle 54 . Or, si les prêtres sont en mesure de protéger tout un village, toute une
communauté, ils le sont également, à l’inverse, de détruire cette même entité qui agirait en
contradiction avec les désirs des dieux. Un équilibre est de ce fait attendu entre eux afin de
conserver une harmonie au sein de la communauté.
Au delà de ces éléments, la peur est un facteur considérable de la pratique. La peur empêche
de défier les prêtres55, de les dénoncer56. Elle pousse les jeunes filles à se résigner quant à leur
sort d’esclaves, pousse leur famille à les ramener au temple si par malheur elles parviennent à
s’échapper. La peur est la matrice de la pratique.
En réponse à toutes ces difficultés, il semble que l’éducation soit la clé de voute d’une
quelconque évolution. « L’arme la plus efficace contre de telles croyances et pratiques n’est
pas la loi, mais l’éducation et le poids de l’opinion publique »57 a affirmé le Président en
réponse aux pressions reçues par son bureau afin d’adopter la loi contre la pratique. Cette
vision est celle qui a été retenue lors de la Première Conférence Nationale sur le Trokosi en
1995 (First National Workshop)58. L’ensemble des participants - représentant les organismes
comme la Commission des Droits de l’Homme du Ghana, la Law Reform Commission ou
International Needs – a reconnu qu’une approche purement légale ne pourrait résoudre le
problème. La plupart des habitants vivant dans les régions dans lesquelles la pratique perdure
n’ont pas nécessairement les capacités de comprendre le système légal ou tout simplement d’y
avoir accès. Il est donc essentiel de mettre en place des mesures de dialogue, d’information et
d’éducation à la fois des victimes et des acteurs de la pratique du Trokosi. En ce sens,
International Needs Ghana organise des séminaires et conférences dans les villages auxquels
sont généralement présents les prêtres, les leaders d’opinion ou encore d’autres acteurs liés à
la pratique59. Leur stratégie « […]consiste à éduquer les auteurs de la pratique pour qu’ils
l’abandonnent d’eux-mêmes. […] un changement qui émane de l’intérieur sera plus
permanent »60.
Finalement, l’existence de problématiques nationales plus pressantes comme la pauvreté61
vient faire obstacle à un traitement profond de la pratique. En 2007, encore 30% des
53
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p 38
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p 37
55
TRUTH FOR AFRICA LOVERS, “Truth about Trokosi & Shrine Slavery”, 2009, en ligne <
http://truthforafricalovers.com/truth_about_trokosi__shrine_slavery > (Consulté le 8 Décembre 2015)
56
HEALTH PARTNERS INTERNATIONAL OF CANADA, “Liberté et guérison aux esclaves des dieux”, 24
Novembre 2012, en ligne < http://www.hpicanada.ca/fr/2012/liberte-et-guerison-aux-esclaves-des-dieux/>
(Consulté le 29 Octobre 2015)
57
Bureau du President, Ghana, 20 August 1998 cité dans Rapport Equality Now Supra note 29 à la p3
58
Première Conférence Nationale sur le Trokosi, Accra, 6-7 Juillet 1995
59
Interview de Monsieur Walter Pimpong, Directeur executive d’International Needs et de Wisdom Mensah,
Agent de projet en charge du projet lié à la modernization du Trokosi en Juillet 2000, cite dans KWAME AMEH
Robert Supra note 32
60
PIMPONG Walter, Discussion sur le forum ghanéen Okyeame, 7 Decembre 1997, en ligne
<http://www.okyeame.net/okyeame> (Consulté le 28 Octobre 2015)
61
M. MUSA Sainabou. Supra note 7, à la p 196
54
8 Ghanéens vivaient en dessous du seuil de pauvreté62, 30% n‘avaient pas d’accès à l’eau et
68% n’avaient pas d’accès aux services sanitaires de base63. Le manque de moyens, de
logistique ou encore d’éducation poussait le pays et ses dirigeants à établir des priorités qui ne
comptent pas les pratiques traditionnelles des régions reculées. Ce choix a en quelques sortes
porté ses fruits, il convient de le souligner, puisque le Ghana a été reconnu en 2015 comme le
premier pays africain a remplie l’Objectif du Millénaire de diviser par deux la pauvreté64.
B.
DES SPÉCIFICITÉS
D’INTERPRÉTATION
CULTURELLES
AU
CŒUR
DE
CONFLITS
La liberté culturelle, bien qu’internationalement reconnue, est souvent fragilisée en vertu des
Droits de l’Homme. Selon les défenseurs de la pratique, ceci constitue une violation de leurs
droits65. Certains droits seraient-ils supérieurs ou plus effectifs que d’autres ? En pratique, il
semble que la séparation entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux
et culturels66 ait engendré une certaine hiérarchisation dans laquelle droits civils et politiques
seraient en tête, suivis par les droits économiques et sociaux et, en fin de liste, les droits
culturels67. En réalité, il ne s’agit pas d’exclure un droit ou d’en privilégier un autre mais bien
de les concilier pour obtenir un résultat acceptable tant légalement qu’humainement, et ce en
prenant en compte différents facteurs régionaux et nationaux.
1. La place de l’individu au sein de la communauté
Comme nous l’avons vu, les détracteurs de la pratique du Trokosi se fondent sur ce qu’ils
considèrent être une violation des droits humains. Or, ces « Droits de l’Homme » sont souvent
considérés comme une invention des occidentaux, parfois même comme un colonialisme
moral ou un impérialisme culturel 68 . En pratique, chaque région du monde réagit
différemment à l’adoption de tels principes et tente de les adapter aux particularités locales.
Par exemple, si l’individualisme a fait son entrée sur la scène internationale, c’est la notion de
groupe qui est privilégiée sur le continent africain.
La Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples (ci après « Charte africaine »),
adoptée en 1981, consacre une philosophie particulière des Droits de l’Homme dans laquelle
62
CIA, The world factbook, Library CIA, en ligne <https://www.cia.gov/library/publications/the-worldfactbook/geos/gh.html>. (Consulté le 12 Octobre 2015)
63
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 à la p5
64
Banque Africaine de Développement, l’OCDE, le PNUD et les Nations Unies, Perspectives économiques en
Afrique 2015, Développement territorial et inclusion spatiale, 25 mai 2015, à la p282
65
KWAME AMEH Robert Supra note 32 à la p2. Voir aussi DARTEY-KUMORDZIE Sammy, “Re-defining
Hu-Yehweh the Knowledge of Africa and the Various Organs for Development of Human Resources” The
Ghanaian Times, 1er Juillet 2001.
66
AGNU, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, résolution 2200 A(XXI), adopté le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le
23 mars 1976 à New York.
67
DONDERS Yvonne Supra note 3 à la p1
68
J. BRENNAN Katherine, “The Influence of Cultural Relativism on International Human Rights Law: Female
Circumcision as a Case Study”, (1989) Law and inequality journal of theory and practice, Vol. 7, à la p370
9 le développement personnel de l’individu ne peut s’effectuer qu’à travers le support de la
communauté69. Selon le juge Keba Mbaye,70 l’Afrique reconnait la place de l’individu en tant
que tel mais surtout son évolution au sein du groupe, principalement à travers la religion. Il
s’agit là du principe dit de « togetherness »71. Bien que l’individu soit une entité à part
entière, il ne peut se permettre d’agir qu’en son propre nom sous peine d’être considéré
comme égoïste et insouciant du sort d’autrui72. Ainsi, dans les régions reculées du Ghana, où
se pratique le Trokosi, l’individu ne jouit pas de droits qui lui sont propres, mais de droits
qu’il a acquis en tant que membre d’une famille, d’un clan ou d’une tribu73. Dès lors,
lorsqu’un crime est commis par l’un des membres, c’est l’ensemble de la communauté qui se
doit de réparer le préjudice subi. De même, ce n’est généralement pas la victime elle-même
qui reçoit réparation mais sa famille et, a fortiori, son clan74. En vertu de cela, ces droits sont
majoritairement couplés à des devoirs envers cette même communauté, et c’est à ce niveau
qu’intervient la pratique du Trokosi. En sacrifiant une jeune fille, la colère des dieux –
déclenchée par la commission du crime – sera apaisée et le village entier sera sauvé « d’une
possible destruction »75. Il s’agit là d’une version soutenue par les défenseurs de la pratique,
essentiellement la Mission Afrikania : les jeunes filles concernées devraient être honorées
d’avoir été choisies par les dieux afin de rétablir la paix et l’harmonie au sein de leur
communauté. Cela ne devrait pas être considéré comme une atteinte aux droits humains mais
au contraire comme une mise en œuvre de ces droits76.
L’importance du groupe se traduit par la présence, dans le chapitre II de la Charte africaine,
d’un ensemble de devoirs qui sont, semble-t-il, inhérents à une vie sociale harmonieuse. En
effet, « les devoirs ne sont-ils pas les conditions concrètes de la réalisation des droits ? Bien
plus, ne permettent-ils pas de comprendre les droits avec toute l’ampleur sociale et politique
requise ? »77. Cette vision, selon Paul-Gérard Pougoué78 peut toutefois s’avérer dangereuse.
Prenant pour exemple les articles 27(1), 27(2), 28 et 29(7) de la Charte africaine, il met en
avant que ces derniers conditionnent « la garantie des droits individuels au respect des droits
de la communauté ». Cette vision mène à des pratiques comme le Trokosi.
La différence de culture et d’interprétation des droits entre ceux qui la condamnent et ceux
qui la pratiquent discrédite parfois l’application d’un droit international stricto sensu79. Aussi,
69
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p34
MBAYE KEBA, cité dans MAUGENEST Denis et POUGOUE Paul-Gérard, Droits de l’homme en Afrique
centrale, Colloque de Yaoundé 9-11 novembre 1994, Collection Homme et société : sciences économiques et
politiques, Karthala, 1996, à la p37
71
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p2
72
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p57
73
KENYATTA Jomo, “Facing Mount Kenya: The Tribal Life of the Gikuyu”, dans STEINER Henry et
ALSTON Philip, International human rights in context, USA: Oxford University press, 2000, aux pp.184-185
74
ADABIO Heymann Supra note 20 à la p40
75
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p8
76
M. GILLARD Linda Supra note 6 au chapitre 6
77
MEYER-BISH Patrice et DURAND Jean-Paul, « Liminaire avertissement », dans MEYER-BISH Patrice, Les
devoirs de l’Homme. De la réciprocité dans les droits de l’Homme, Actes du 5ème colloque interdisciplinaire de
Fribourg, 1987, Fribourg : Editions Universitaires, 1989 à la p3
78
MEUGENEST Denis et POUGOUE Paul-Gérard Supra note 70 à la p36
79
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p65
70
10 les membres de la Mission Afrikania soulignent ainsi que la conception « imposée » des
Droits de l’Homme depuis leur création serait celle de l’Occident, vision qui serait retranscrite
dans l’ensemble des instruments internationaux relatifs aux droits humains. Dès lors, les
occidentaux tenteraient d’imposer leur conception au tiers monde dont la vision de la moralité
et de la communauté est différente 80 . En réalité, ceci soulève un grand débat issu de
l’émergence des Droits de l’Homme sur la scène internationale et du processus de
mondialisation et d’uniformisation, à savoir l’opposition entre universalisme et relativisme
culturel. Précisément, « comment faire exister des Droits de l’Homme universels dans un
monde aux multiples cultures ? Alors que la communauté internationale est de plus en plus
intégrée, comment respecter à la fois la diversité culturelle et l’intégrité de chacun ? »81.
2. Relativisme culturel et universalisme
En vertu de la théorie universaliste, les droits humains sont des droits inhérents à la qualité
d’être humain. Ils sont ainsi indépendants de tout autre élément comme le continent, le sexe,
la religion ou encore la culture et doivent être inaliénables et protéger l’ensemble des êtres
humains. Au-delà, les normes qui les consacrent doivent également être universellement
applicables telles quelles82. Or, comme nous l’avons vu, le droit coutumier et les « droits
traditionnels et ancestraux persistent encore en Afrique et bénéficient d’une très large
légitimité auprès des populations »83. Ces dernières prônent ainsi le relativisme culturel selon
lequel il n’y a pas de compréhension unique des droits humains mais de multiples
interprétations propres à chaque culture84. La Charte africaine est souvent prise en exemple
afin de schématiser cet important débat. La problématique majeure est la suivante : « y’a-t-il
un moyen pour la communauté internationale d’intervenir sans que cette intervention ne soit
perçue comme : (1) une attaque contre la culture ghanéenne et (2) une attaque impérialiste
contre la souveraineté d’une nation? »85.
Il semblerait qu’en pratique la dichotomie universalisme/relativisme ne soit pas aussi
tranchée. Comme le montre une étude en ce sens, de plus en plus d’anthropologues juridiques
et de chercheurs en droit comparé 86 prônent un juste milieu dans lequel « le global et le local
s’enchevêtrent (…) dans une spirale de rétroactions mutuelles »87. Cette affirmation met en
avant l’interdépendance entre l'adoption de la norme et son interprétation. En effet, les Droits
80
J. BRENNAN Katherine Supra note 68 aux p370- 371
AYTON-SHENKER Diana, « The Challenge of Human Rights and Cultural Diversity », New York :
Département de l’information des Nations Unies, 1995, Doc n°DPI/1627/HR, en ligne <
http://www.un.org/rights/dpi1627e.htm> (Consulté le 18 septembre 2015)
82
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p54
83
FALL Alioune Badara, « Universalité des droits de l’homme et pluralité juridique en Afrique. Analyse d’un
paradoxe », dans AUBY Jean-François et al., Mélanges Dmitri Georges Lavroff, Dalloz-Sirey, 2005, aux p.359380.
84
F. BAYEFSKY Anne, “Cultural Sovereignty, Relativism, and International Human Rights: New Excuses for
Old Strategies” (1996), Ratio Juris, Vol. 9, Issue 1, aux p42-43
85
M. MUSA Sainabou. Supra note 7 à la p 186
86
HOFFMANN Florian et RINGELHEIM Julie, « Par-delà l’universalisme et le relativisme : la Cour
européenne des droits de l’homme et les dilemmes de la diversité culturelle » (2004), Revue interdisciplinaire
d’études juridiques, n°52, à la p110
87
Ibid à la p5
81
11 de l’Homme (à la fois civils, politiques et culturels, économiques et sociaux) seraient un
signifiant vide88 n’ayant de signification que lorsqu’ils sont interprétés et appliqués par les
différentes cultures présentes sur le globe. En principe, la théorie serait donc universelle et
son application relative dans un souci d’équilibre89. Universalisme et relativisme ne sont en ce
sens pas des fins en soi mais des moyens, les Etats disposant d’une certaine marge de
manœuvre. Les défenseurs du Trokosi arguent ainsi que si certaines pratiques sont
inacceptables, alors c’est aux Africains eux-mêmes de s’en saisir puisqu’ils sont les premiers
concernés et les seuls à véritablement les comprendre90. Cette approche peut toutefois, en
pratique, poser des difficultés. S’il est admis qu’il faut laisser une certaine marge de
manœuvre aux Etats et aux communautés elles-mêmes, jusqu’où peut-on pousser cette
liberté ? Les pratiques dites coutumières ou culturelles ne peuvent ainsi se server du
relativisme culturel et de la tolérance comme d’un bouclier, d’une excuse servant à justifier
des actes nuisibles aux êtres humains.
C. LA NORME : GARDE FOU DES DROITS HUMAINS
Chaque droit ou liberté peut être restreint par la loi ou en raison du respect des droits d’autrui,
de l’ordre public et du bien-être général de la société91. Si chacun a le droit d’exercer ou de
prendre part à des pratiques coutumières, celles-ci peuvent être limitées par la loi
(amendement de 1998) en tant qu’elles portent atteinte au bien-être de la société. En revanche,
la limitation ne doit pas être en contradiction avec l’essence même du droit reconnu par telle
ou telle convention92. En vertu de cela, les droits culturels ne peuvent être reconnus contraires
aux Droits de l’Homme dans leur ensemble. Il n’est donc pas question de condamner les
pratiques coutumières/culturelles en tant que telles mais dès lors qu’elles ne sont plus
acceptables au regard des « principes des Nations Unies »93. Certaines sources africaines
elles-mêmes, comme la Charte africaine des Droits de l’Homme et des peuples, ont reconnu
l’importance de maintenir des traditions « bonnes et positives » afin de « compléter les efforts
internationaux visant à renforcer le respect des droits humains »94 et donc, a contrario, de
condamner celles qui ébranleraient les droits des africains.
L’individu, dans son acception générale est considéré comme ne faisant « pas le poids » face
au bien-être et la sécurité de la communauté. Dès lors, a fortiori, le sacrifice d’une jeune fille
ne représente qu’un très faible prix à payer95. En effet, étant à la fois de sexe féminin et
88
Ibid à la p112. Concept élaboré par LACLAU Ernesto et MOUFFE Chantal dans “Hegemony and Socialist
Strategy: Towards a Radical Democratic Politics”, London/NY: Verso, 1986
89
DONDERS Yvonne Supra note 3 à la p2
90
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p66
91
AGNU, Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, résolution 217 A (III), U.N. Doc. A/RES/217(III), 12
déc. 1948, Article 29(2)
92
Nations Unies, Limburg principles on the implementation of the international covenant on economic, social
and cultural rights, 1987, UN doc n°E/CN.4/1987/17, aux p 122-135
93
DUDH Supra note 91, Article 29(3)
94
Nom inconnu, « What’s Culture Got to Do with It? Excising the Harmful Tradition of Female Circumcision”
(1993), Harvard law review, Vol.116, N°8, aux pp1944-1961
95
W. FRENCH Howard, “The Ritual Slaves of Ghana: Young and Female”, New York times, 20 Janvier 1997,
au para5, en ligne < http://www.nytimes.com/1997/01/20/world/the-ritual-slaves-of-ghana-young-andfemale.html> (Consulté le 8 septembre 2015)
12 toujours dans l’enfance, les victimes du Trokosi ne disposent que d’une faible valeur face aux
garçons 96 . Or, il existe un nombre important de protections à la fois nationales et
internationales reconnues par le Ghana afin d’éviter que les droits des femmes et enfants
soient mis à mal.
Constitution du Ghana
Les principaux articles concernés sont les suivants : l’article 21(4)(e) qui limite les pratiques
religieuses si elles sont en contradiction avec d’autres droits de la Constitution, l’article 16
interdisant la servitude, l’article 26(2) selon lequel « toutes les pratiques coutumières qui
déshumanisent ou portent préjudice au bien-être physique ou mental d’une personne sont
interdites », l’article 37 qui permet au Gouvernement d’adopter des lois pour protéger les
droits et libertés particulièrement des personnes vulnérables comme les enfants ou encore
l’article 15(1) qui promeut l’inviolabilité de la dignité de chacun.
Code criminel de 1998
Le 12 juin 1998, via l’acte d’amendement 554, le code pénal est finalement modifié. Sa
section 314A prévoit désormais la criminalisation de toute pratique de servitude rituelle.
Quiconque participe ou se retrouve impliqué de quelque manière que ce soit dans une telle
pratique risque une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans97.
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes98
La pratique du Trokosi, sous tous ses aspects, apparait en contradiction avec l’ensemble de la
Convention. Concernant l’action de l’Etat, l’article 5(a) prévoit que :
Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour: a) Modifier les
schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue
de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre
type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre
sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.
En pratique et au vu de l’ensemble des éléments susmentionnés, le Ghana connaît des
difficultés à appliquer cet article en ce sens que la femme et la fille restent fortement
discriminées et inférieures aux hommes, tant dans la société en général que dans les pratiques
dont il est question ici. Particulièrement dans ces pratiques.
Convention relative aux droits de l’enfant99
Malgré le grand nombre de signatures obtenues sur la scène internationale, cette convention
n’est que peu appliquée. Selon certains cela découle du fait de l’absence de prise en
96
NEWELL Katherine et al., Discrimination Against the Girl-Child: Female Infanticide, Female Genital
Cutting and Honor Killing, Washington DC : Youth Advocate Program International, 2000, à la p1
97
Supra Code Pénal note 33
98
AGNU, Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, résolution
20/230, UN doc A/RES/60/230 adoptée le 18 Décembre 1979 et entrée en vigueur le 3 septembre 1981
99
AGNU, Convention internationale relative aux droits de l’enfant, résolution 44/25, UN doc n°A/RES/44/25,
adoptée le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990
13 considération des problématiques liées aux jeunes filles en tant que telles100. L’enfance
correspond à un statut trop large et ne permet ainsi pas une application stricte des droits et
protections aux situations particulières comme les pratiques coutumières contre les jeunes
filles.
Charte africaine sur les droits et le Bien-être de l'Enfant101
Cette Charte est importante pour deux raisons. Premièrement, elle a été adoptée par l’OUA et
montre ainsi une prise de conscience régionale de la problématique. Cela rejoint le débat
universalisme/relativisme culturel, et surtout la conclusion selon laquelle cette dichotomie ne
doit pas être extrême et tranchée. Deuxièmement, elle reconnaît l’impact de la culture sur la
jouissance de certains droits102. En effet, dans son article 1(3) elle met en avant que « toute
coutume, tradition, pratique culturelle ou religieuse incompatible avec les droits, devoirs et
obligations énoncés dans la présente Charte doit être découragée dans la mesure de cette
incompatibilité ». De même, son article 21 reconnaît la souffrance causée par certaines
pratiques culturelles et assure qu’elles doivent être éliminées. En revanche, malgré la volonté
notable qui transparaît d’égalité pour tous et de bien-être, il ne s’agit là que d’assurance, de
découragement, et non de normes concrètes.
Autres Conventions
PIDCP103, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Déclaration
universelle des Droits de l’Homme, Convention relative à la traite des esclaves et l’esclavage,
Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ou encore
Convention sur l’abolition du travail forcé ou encore la Charte africaine qui affirme dans son
article 18(3) que les Etats membres doivent assurer « la protection des droits de la femme et
de l'enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales » sans même
préciser la nécessité d’y être partie.
L’ensemble de ces conventions traite, de près ou de loin, la question de la violation des droits
des femmes, enfants, des droits de libertés, de vie, de non discrimination. Le problème ne
semble ainsi pas être l’existence de normes mais bien le renforcement de ces normes et la
volonté générale de les mettre en application104. De nombreux organes internationaux se
montrent préoccupés par la pratique du Trokosi et ses effets sur la femme et l’enfant105.
100
AMOAH Jewel Supra note 23 à la p 16
Organisation de l’Unité Africaine, Charte africaine sur les droits et le Bien-être de l'Enfant, Doc n°
CAB/LEG/24.9/49, adoptée le 11 juillet 1990 et entrée en vigueur le 29 novembre 1999
102
AMOAH Jewel Supra note 23 à la p17
103
Même si Ghana était présent lors de l’adoption, il n’a jamais signé ou ratifié.
104
M. MUSA Sainabou. Supra note 7, à la p 179
105
Groupe de travail sur l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme, Compilation établie
par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution
16/21 du Conseil des droits de l’homme. Ghana, quatorzième session, 13 aout 2012, aux paras 27,29,34. Voir
aussi Commission des droits de l’homme, Intégration des droits fondamentaux des femmes et de l’approche
sexosphérique. Violence contre les femmes. Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les
femmes, ses causes et ses conséquences, Mme Radhika Coomaraswamy, présenté en application de
la résolution 2001/49 de la Commission des droits de l’homme. Pratiques culturelles au sein de la famille qui
constituent des formes de violence contre les femmes, cinquante-huitième session, 31 janvier 2002, aux paras 3844.
101
14 Comme le soulignent toutefois certains auteurs, souvent, lorsque les jeunes filles ne sont pas
envoyées dans les temples, elles sont de toute façon tenues à l’écart des affaires internes de la
communauté ou de la société106 pour manque de productivité.
Malgré les difficultés, l’ensemble des conventions internationales ainsi que la
progressive prise de conscience des Africains eux-mêmes montre que la pratique du Trokosi
n’est plus acceptable en tant que telle107. Que l’individu ou la communauté soit au cœur des
préoccupations importe peu, puisque dans les deux cas la pratique est nuisible à l’humain –
dans son acception individuelle ou collective. En vertu de tous ces éléments, le Trokosi,
depuis deux décennies, tend vers une profonde modification selon laquelle les jeunes filles ne
paieraient plus pour des crimes qu’elles n’ont pas commis dans de telles souffrances.
Toutefois, les praticiens militent pour le maintien de cet esclavage rituel et, par ce biais,
perpétuent les nombreux crimes commis à l’encontre des femmes et enfants concernés. Dans
ce cadre, l’éducation – tant prônée par la plupart des acteurs et à juste titre – ne semble ÊTRE
suffisante. Que faire alors pour que les droits humains soient enfin respectés et ces futures
victimes épargnées ? Les prêtres prennent des vies, les prêtres réduisent en esclavage, les
prêtres en tirent des profits sexuels...
II. TROKOSI : ET SI LA JUSTICE INTERNATIONALE S’EN MELE ?
L’émergence de l’individu en tant que sujet -à part entière- de droit international a engendré
des conséquences en matière de responsabilité. Ainsi, les Etats ne sont plus les seuls à devoir
rendre compte de leurs actes sur la scène internationale, tout un chacun étant susceptible
d’être poursuivi devant les différentes institutions internationales qui ont vu le jour comme la
Cour Pénale Internationale (CPI) ou les Tribunaux ad hocs et spéciaux.
A. LE « VOL D’INNOCENCE », UN CRIME CONTRE L’HUMANITE
1. La Compétence de la Cour Pénale Internationale
L’article 17 du Statut de Rome, relatif à la recevabilité des affaires devant la CPI, énonce en
son paragraphe premier que :
Eu égard au dixième alinéa du préambule et à l’article premier, une affaire est jugée
irrecevable par la Cour lorsque : a) L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de
poursuites de la part d’un Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat
n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête
ou les poursuites ; b) L’affaire a fait l’objet d’une enquête de la part d’un Etat ayant
compétence en l’espèce et que cet Etat ait décidé de ne pas poursuivre la personne
concernée, à moins que cette décision ne soit l’effet du manque de volonté ou de
106
107
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p64
C. GOLTZMAN Jonathan Supra note 18 à la p70
15 l’incapacité de mener véritablement à bien les poursuites (…) d) L’affaire n’est pas
suffisamment grave pour que la Cour y donne suite.
(a) en vertu du principe de complémentarité
La CPI est compétente si l’Etat n’a pas la volonté ou la capacité de juger les intéressés
soupçonnés d’avoir commis des crimes contre l’humanité. Quid alors de l’Etat ghanéen et son
système judiciaire ?
Depuis la mise en lumière de la pratique du Trokosi dans les années 1990, un processus de
dénonciation et de criminalisation a progressivement été mis en œuvre. En ce sens, la loi de
1998108 pénalisant la pratique a été une avancée majeure, au demeurant témoin de la volonté
du Gouvernement de faire appliquer l’Etat de droit. Toutefois, loin d’avoir eu l’effet
escompté, de nombreux éléments montrent que, depuis, le processus s’est considérablement
ralenti. La situation a alors donné lieu à de nombreux rapports sur la scène internationale.
Parmi eux, le rapport de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes de 2006109, celui de l’Assemblée Générale des Nations
Unies (AGNU) de 2008110 ou encore plus récemment celui du Comité des droits de l’enfant
de 2015 111 . Tous, malgré une faible progression, restent fortement préoccupés par la
persistance de pratiques violentes et discriminantes à l’égard des femmes, persistance qui
semble due à une incapacité de l’Etat à les éradiquer. En effet, l’AGNU a pu souligner dans
son rapport de 2008 que « la police, les tribunaux, les services sociaux et le secteur de la santé
ne sont pas suffisamment équipés ni formés pour protéger efficacement les femmes des
violences »112. Cette incapacité n’est d’ailleurs pas propre à la pratique du Trokosi mais à
l’ensemble des formes de violence envers les femmes. C’est ainsi que les rapports des ONG
comme notamment ceux de l’Afrique pour les droits des femmes émettent les constats
suivants : « En dépit de l’adoption du Domestic Violence Act en 2007, les violences
conjugales restent largement répandues au Ghana », « le viol est considéré comme un crime
par le Code pénal mais les auteurs sont peu nombreux à faire l’objet de poursuites et de
condamnations » ou encore « le Ghana a été le premier pays africain à criminaliser les
mutilations génitales féminines mais la pratique persiste »113. Toute avancée s’accompagne
d’un « mais » qui souligne les faiblesses du système. En matière de servitude rituelle, aucune
arrestation n’a encore eu lieu en 2015114. A cela, certains opposent que pénalisation et
répression ne constituent pas une réponse adéquate, seule l’éducation le serait. Cette dernière
est, certes, un outil fondamental afin de changer une pratique ancienne et traditionnelle. Les
personnes concernées ont besoin de comprendre en quoi les actes qui leurs sont reprochés ne
108
TROKOSI LAW Supra note 32
Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, trente-sixième session, Observations
finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Ghana, Doc n° CEDAW/C/GHA/CO/5, 25 aout 2006
110
Rapport conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39
111
Rapport Comité des droits de l’enfant, 2015, Supra note 1
112
Rapport conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 (Résumé)
113
L’Afrique pour les droits des femmes, « Cahier d’exigences. Ghana » (2010), FIDH, à la p61
114
Rapport Comité des droits de l’enfant, 2015, Supra note 1
109
16 correspondent pas au droit national et international et quelles en sont les alternatives. C’est
une action en profondeur. La doctrine a pu mettre en avant cette nécessité :
Même si la Cour Pénale Internationale a compétence, ce ne sera pas susceptible d’être
efficace sans l’éducation des prêtres et animistes du système Trokosi qui violent les
Droits de l’Homme. Selon Betty Akuffo-Amoageng, secrétaire exécutive de la
Commission Nationale du Ghana sur les enfants, ‘en utiliser la force excessive pour
éliminer la tradition ne va conduire qu’à la clandestinité’, et dès lors ‘les parents iront
simplement emmener leurs enfants dans les pays voisins afin de les donner aux
prêtres.115
Toutefois, en pratique, une telle action doit s’accompagner de mesures d’effectivité
matérialisées par la répression, répression et éducation étant à ce jour complémentaires sur la
scène internationale. Ceci d’autant plus que la servitude rituelle a été mise sur le devant de la
scène depuis bientôt trente ans et qu’aucune mesure d’éducation ne semble avoir été
entreprise. En somme, l’Etat ghanéen ne semble pas être davantage capable à ce jour de
rendre effective la loi de 1998 visant à l’abolition de la servitude rituelle.
En outre, l’article 17-2 précise que :
Pour déterminer s’il y a manque de volonté de l’Etat dans un cas d’espèce, la Cour
considère l’existence (…) de l’une ou de plusieurs des circonstances suivantes : (…) c)
La procédure n’a pas été ou n’est pas menée de manière indépendante ou impartiale
mais d’une manière qui, dans les circonstances, est incompatible avec l’intention de
traduite en justice la personne concernée.
Le critère de l’indépendance du pouvoir judiciaire est un principe majeur dans de nombreuses
sociétés, y compris au Ghana. En effet, dans la Constitution de la République du Ghana de
1996, l’article 127 (2) énonce que :
Ni le Président, ni le Parlement ni toute autre personne agissant sous l’autorité du
Président ou du Parlement, ni toute autre personne quelle qu’elle soit ne devra
interagir avec les Juges ou les autorités judiciaires, ou toute autre personne exerçant
un pouvoir judiciaire, dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires ; et tous les
organes et agences d’État devront prêter aux tribunaux l’assistance dont ceux-ci
peuvent avoir raisonnablement besoin pour protéger leur indépendance, leur dignité
et leur efficacité, sous réserve de la présente Constitution.116
Malgré cela, le système ghanéen est souvent confronté à deux risques de dépendance : le
politique et le religieux. Pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « pour établir si un
tribunal peut passer pour ‘indépendant’, il faut prendre en compte, notamment, le mode de
désignation et la durée du mandat de ses membres, l'existence d'une protection contre les
pressions extérieures et le point de savoir s'il y a ou non apparence d'indépendance »117.
115
SMALL BILEYEU Amy Supra note 12 aux p493-494
Constitution Ghana Supra note 36, Article 127
117
Cour Européenne des droits de l’homme, Morris c/ Royaume Uni, N°38784/97, 26 Février 2002, au para 58
116
17 Concernant l’indépendance politique, la séparation constitutionnelle des pouvoirs, bien que
profondément garantie, est quelque peu réduite du fait que l’Attorney General soit à la fois à
la tête du parquet, ministre de la justice et conseiller juridique principal du Gouvernement.
Ceci met de toute évidence à mal le caractère indépendant de certaines décisions. Pour pallier
à cela, une loi118 a été adoptée afin de créer la Commission pour les Droits de l’Homme et la
justice administrative. Cette dernière, reconnue et respectée dans toute l’Afrique, s’est
octroyée le pouvoir d’enquêter sur des plaintes concernant les violations des droits et libertés
fondamentales commis par des fonctionnaires publics, des personnes privées ou même des
institutions. Toutefois, la Commission est incapable d’engager des poursuites au pénal en son
nom propre. Or, le pouvoir discrétionnaire accordé à l’Attorney General, dont l’indépendance
est fragilisée, de décider de lancer les poursuites ou non constitue un frein considérable à
l’action et l’effectivité de la Commission.
Concernant l’indépendance religieuse, le risque réside dans la pression exercée par les dieux.
En effet, dans un Etat où les dieux sont à la fois bons et mauvais, soigneurs et vengeurs, toute
personne est susceptible d’être influencée par la peur. Le pratique du Trokosi repose sur le
besoin d’apaiser la colère des dieux, la peur de recevoir un sort qui amènerait maladie et mort
dans les communautés et familles. Ainsi, le Ghana étant ouvert à la mobilité sociale et
professionnelle, les juges peuvent se retrouver influencés de près ou de loin par de tels
risques. Le Président lui même est issu d’une région principalement touchée par la pratique.
Par ailleurs, il subsiste un problème de dualité du droit, de combinaison parfois incompatible
du droit national et du droit coutumier. Sur ce point, le rapport de l’AGNU de 2012 « reste
préoccupé par l’incompatibilité du droit coutumier et des pratiques traditionnelles avec le
respect des droits et des libertés fondamentales »119.
Au regard de tous ces éléments et malgré des efforts notables fournis par l’Etat du Ghana ces
dernières années, il semble qu’à ce jour ce dernier n’ait ni la capacité, ni la volonté
d’entreprendre des poursuites réelles envers les auteurs de la pratique du Trokosi. Dans ce
cadre, la Cour Pénale Internationale serait compétente en vertu du principe de
complémentarité.
(b) en vertu du caractère suffisamment grave de l’affaire
L’article 17.1)d) du Statut de Rome met en avant qu’une affaire est jugée irrecevable devant
la CPI lorsque celle-ci « n’est pas suffisamment grave pour […] y donne suite »120. Dans
l’affaire Lubanga121, la CPI a d’abord estimé que deux éléments principaux devaient être pris
en considération, « le comportement visé par l’affaire doit soit être systématique, soit être
118
République du Ghana, Loi 456 sur la Commission pour les droits de l’homme et la justice administrative, 6
Juillet 1993
119
Rapport Conseil des droits de l’homme, 2012, Supra note 105 au para 26
120
Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, doc n° A/CONF.183/9, adopté le 17 juillet 1998 et entré en
vigueur le 1er juillet 2002, Article 17 §1)d)
121
CPI, Situation en République Démocratique du Congo, le Procureur c/ Thomas Lubanga Dyilo, N°ICC01/04-01/06-8-Corr-tFR, Décision relative à la décision de la Chambre préliminaire I du 10 Février 2006 et à
l’inclusion de documents dans le dossier de l’affaire concernant M. Thomas Lubanga Dyilo, Chambre
Préliminaire I, 24 Février 2006, au para 46
18 survenu à grande échelle [et] […] il faut dument tenir compte de l’indignation qu’un tel
comportement peut avoir déclenché au sein de la communauté internationale ». Dans la
décision relative à la situation en République du Kenya, la CPI va, concernant l’évaluation de
la gravité du crime, relever plusieurs facteurs à prendre en compte122, à savoir : l’ampleur du
dommage causé sur les victimes, le rôle des accusés en termes de moyens, de participation et
d’intention et enfin les circonstances individuelles telles que le lieu, la manière, l’âge ou
encore le niveau d’instruction de ces derniers. En guise de circonstances aggravantes, l’article
145-2-b du Règlement de procédure et de preuve 123 retient « […] ii) abus de pouvoir ou de
fonctions officielles ; iii) vulnérabilité particulière de la victime ; iv) cruauté particulière du
crime ou victimes nombreuses ; v) mobile ayant un aspect discriminatoire […] ».
Tenant compte de l’ensemble de ces éléments, il semble que la servitude rituelle pratiquée au
Ghana soit suffisamment grave pour entrainer la compétence de la CPI. L’ampleur de la
pratique se retrouve à la fois en termes de quantité et de durée. En effet, la majorité des zones
rurales sont touchées et ce depuis des centaines d’années. La Chambre extraordinaire de la
Cour du Cambodge a sur ce point eu l’occasion d’affirmer que « le nombre élevé de morts
pour lesquels l’accusé est tenu responsable accompagné de la longue période de temps durant
laquelle les crimes ont été commis placent sans aucun doute ce cas parmi les plus graves
devant les tribunaux pénaux internationaux »124. Par ailleurs, dans l’affaire Blaskic le Tribunal
Pénal International pour l’ex Yougoslavie (TPIY) retient comme circonstance aggravante « la
longueur du temps pendant lequel le crime continue »125 à être pratiqué. Aussi, le crime de
servitude rituelle était déjà suffisamment grave au regard de son existence ancienne mais l’est
d’autant plus car il a été dévoilé à la communauté internationale depuis plus de vingt ans et
qu’il continue de prospérer.
Le nombre important d’ONG luttant pour la libération des Trokosi ainsi que de rapports des
différentes commissions de l’ONU font état de l’intérêt que porte la communauté
internationale à la pratique. Cet intérêt découle principalement de la violation de nombreux
instruments internationaux relatifs aux droits des femmes, aux droits des enfants ou encore la
prévention de certains crimes.
Par ailleurs, la servitude rituelle, qui se caractérise principalement par le travail forcé et le
viol, cause de sérieuses souffrances physiques et mentales aux victimes126. L’effet est alors
d’autant plus important que la pratique est ciblée sur des enfants, des jeunes filles n’ayant pas
encore atteint la puberté et qui, en raison de leur âge et de leur fragilité devraient bénéficier
CPI, Situation en République du Kenya, N°ICC-01/09-19-Corr-tFRA, Décision relative à la demande
d’autorisation d’ouvrir une enquête dans le cadre de la situation en République du Kenya rendu en application de
l’article 15 du Statut de Rome, Chambre Préliminaire II, 31 Mars 2010 au para 62
123
CPI, Règlement de procédure et de preuve, Doc N° ICC-ASP/1/3, 9 Septembre 2002, Articles 145-1-C et
145-2-b
124
Chambres Extraordinaires des Tribunaux Cambodgiens, Le Procureur c/ Duch, Jugement, N°ECCC-001/1807-2007/ECCC/TC, 26 Juillet 2010, au para 596. « The high number of deaths for which the accused is
responsible, along with the extended period of time over which the crimes were committed [more than three
years], undoubtedly place this case among the gravest before international criminal tribunals »
125
TPIY, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Jugement, N°ICTY-95-14-A, 29 Juillet 2004, au para 686. Le crime
est aggravé par « the length of time during which the crime continues ».
126
TPIY, Le Procureur c/ Krstic, Jugement, N°ICTY-98-33-T, 2 Août 2001, au para 513
122
19 d’une attention et d’une protection spéciale. Or, les témoignages mettent en avant les
différentes formes d’abus sexuels, mentaux, émotionnels et physiques que subissent ces
« esclaves des dieux »127. Une discrimination incontestable est portée envers ces jeunes filles
vierges qui ne peuvent échapper à leur sort dès lors qu’elles ont été choisies par les dieux.
Concernant les auteurs de la pratique, il s’agit de prêtres, de chefs religieux ayant le pouvoir
d’être la matérialisation des dieux et de leur volonté. Ils ont de ce fait la propriété exclusive
sur les Trokosi mais également le pouvoir de jeter des sorts sur les familles dont l’un des
membres se serait rendu coupable d’infraction. Ils détiennent un pouvoir qui rend tout un
chacun vulnérable et dans l’incapacité de lutter au regard de la profondeur de leur croyance.
Les prêtres sont à la fois vénérés et craints. Les circonstances aggravantes d’abus de pouvoir
et de vulnérabilité des victimes retenues par le Règlement de Preuve et de Procédure sont dès
lors remplies.
2. Les éléments du crime contre l’humanité
(a) Les éléments objectifs
La pratique du Trokosi, comme certaines autres formes de violence envers les femmes, peut
être envisagée sous l’angle d’un crime international, le crime contre l’humanité. L’article 7 du
Statut de Rome définit ce dernier comme « l’un quelconque des actes ci-après commis dans le
cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en
connaissance de cette attaque ». Plusieurs éléments en découlent ; une attaque généralisée ou
systématique, une attaque commise envers une population civile et enfin une attaque commise
en connaissance de cette attaque, dans le cadre d’une politique ou d’un plan concerté.
Concernant l’attaque généralisée ou systématique, la chambre préliminaire de la CPI a
eu l’occasion de souligner, dans l’affaire Bemba 128 , que « les adjectifs ‘généralisé’ et
‘systématique’ figurant dans le chapeau de l’article 7 du Statut sont présentés sous la forme
d’une alternative ». Ainsi, il n’est pas nécessaire que l’attaque soit à la fois généralisée et
systématique pour être constitutive d’un crime contre l’humanité. En l’espèce, il semble
toutefois que la pratique du Trokosi tombe sous les deux caractéristiques.
Tout d’abord, pour être généralisée, une attaque doit avoir été « commise sur une grande
échelle : elle doit être massive, fréquente, menée collectivement, d’une gravité considérable et
dirigée contre un grand nombre de victimes. Il s’agit d’une attaque couvrant une zone
géographique étendue ou d’une attaque couvrant une zone géographique restreinte mais
dirigée contre un grand nombre de civils »129. Au Ghana, le Trokosi représente environ 5000
fillettes. Dans son rapport de 2008, l’AGNU a d’ailleurs fait état du fait que la « violence
127
M.GILLARD Linda, Supra note 6, à la p12
CPI, Le procureur c/ Jean Pierre Bemba Gombo, N° ICC-01/05-01/08, Décision rendue en application des
alinéas a) et b) de l’article 61 7 du Statut de Rome, relativement aux charges portées par le Procureur à
l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo, 15 Juin 2009, au para 82
129
Ibid au 83. Voir aussi CPI Situation en République du Kenya, 2010, Supra note 122 au para 95
128
20 exercée contre les femmes est généralisée »130. Or, comme l’a affirmé, en 1981, la souscommission des Nations Unies pour la prévention des discriminations et la protection des
minorités, « les abus – que ce soit par l’exploitation économique ou sexuelle ou par de la
brutalité physique – du pouvoir exercé sur les enfants (à l’intérieur ou à l’extérieur de la
famille) peuvent, à leur pire manifestation, équivaloir au caractère généralisé de
l’esclavage »131. Par conséquent, au regard des nombreux cas documentés, de la nature de la
servitude rituelle en elle-même, de sa commission multiple sur une grande échelle
géographique et temporelle et de son enracinement incontestable, les éléments de preuves
semblent suffisants pour qualifier la pratique comme une attaque généralisée au Ghana.
En termes de systématicité de l’attaque, la CPI a retenu qu’il s’agit du « caractère organisé
des actes de violence et l’improbabilité de leur caractère fortuit »132. Il doit y avoir un
« ‘scénario des crimes’ de telle sorte que ces derniers constituent une ‘répétition délibérée et
régulière de comportements criminels similaires’ »133. La servitude rituelle qui persiste au
Ghana a progressivement été reconnue comme pratique, or la pratique implique une
continuité, une similitude, une habitude. Cette pratique persistante connaît un rituel particulier
et identique d’une région à l’autre. Il s’agit d’une « répétition délibérée et régulière » de viols,
de réduction en esclavage de jeunes filles pour les punir de crimes qu’elles n’ont pas commis.
Ainsi, l’attaque est également systématique.
Concernant la nécessité d’une attaque commise à l’encontre d’une population civile, il
était au départ convenu qu’il s’agissait de toutes les personnes hors de combat. Or, depuis
l’extension des crimes contre l’humanité au delà du cadre des conflits armés, la population
civile se défini désormais comme « toutes les personnes, excepté celles qui ont l’obligation de
maintenir l’ordre et qui ont les moyens légitimes d’exercer la force »134 ou encore « doit être
interprété de façon large afin de promouvoir les principes qui sous-tendent l'interdiction des
crimes contre l'humanité à savoir protéger les valeurs humaines et protéger la dignité
humaine » 135 . En l’espèce, les victimes de la pratique sont des jeunes filles ayant
généralement entre six et quinze ans et qui, par conséquent, ne sont investies d’aucune
mission de maintien de l’ordre ou d’aucun pouvoir pouvant s’y apparenter.
130
Rapport conseil des droits de l’homme, 2008, Supra note 39 au para 90
Benjamin Whitaker, Rapporteur special de la Sous-commission sur la prevention de la discrimination et
protection des minorités, Updating of the Report on Slavery Submitted to the Sub-Commission in 1966, United
Nations publications : Bernan assoc, 1984, au para 20. Texte original « Abuses—whether by economic or sexual
exploitation or physical brutality—of the power exercised over children (inside or outside the family) can, in
their worst manifestation, amount to a widespread equivalent of slavery »
132
CPI, Situation en République démocratique du Congo, N°ICC-01/04-01/07, Le procureur c/ Germain
Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision relative à la confirmation des charges, Chambre préliminaire I, 30
septembre 2008, au para 394
133
Ibid au para 397. Voir aussi TPIY Blaškić (2004), Supra note 125 au para 101
134
CASSESE Antonio, International criminal law, Oxford: Oxford university press, 2003, à la p87
135
A. SCHABAS William, The International Criminal Court : A commentary of the Rome Statute, Oxford:
Oxford University press, 6 mai 2010, à la p154 sur la base de l’affaire Le procureur c/ Kupreskic, N°IT-95-16-T,
jugement, paras 547-549.
131
21 En vertu des éléments des crimes136, édités en complément du Statut de Rome,
l’attaque doit avoir été lancée
en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation
ayant pour but une telle attaque. (…) Il est entendu que pour qu’il y ait ‘politique
ayant pour but une telle attaque’, il faut que l’État ou l’organisation favorise ou
encourage activement une telle attaque contre une population civile.137
Cela correspond à la nécessité, au sens de l’article 7-1 du Statut de Rome, à ce que l’auteur
agisse en connaissance de l’attaque. Dans l’affaire Samoe Ruto, la CPI a mis en avant que
« une attaque qui est ‘plannifiée, dirigée ou organisée’, par opposition à un acte ‘isolé ou
spontané’, satisfait aux exigences de la loi »138. Or, le caractère systématique de la pratique
déjà prouvé requérait de telles caractéristiques. Par ailleurs, l’organisation ne devant pas
nécessairement être étatique, comme l’a relevé la Cour dans l’affaire Kenya139, elle peut être
caractérisée par les prêtres en eux mêmes et leurs temples présents sur plusieurs régions du
territoire. Quand bien même tous ne communiqueraient pas directement entre eux, ils
demeurent liés par la volonté des dieux qui est la même pour tous. Ils ont mis en place un
plan, une organisation suffisante pour en témoigner la volonté.
(b) Les éléments subjectifs/spécifiques
Les actes découlant de la pratique du Trokosi susceptibles de constituer un crime
contre l’humanité incluent140 :
- Réduction en esclavage141 : « Par réduction en esclavage, on entend le fait d’exercer sur une
personne l’un quelconque ou l’ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété (…) en
particulier des femmes et des enfants »142. Lorsque les jeunes filles deviennent Trokosi, elles
sont dépossédées de leur nom et deviennent la propriété des prêtres qui disposent de droits
importants sur elles, voire de droits vitaux. Etant livrées à elles-mêmes dès le plus jeune âge
pour se nourrir, s’entretenir ou encore se soigner, beaucoup succombent sans aucune aide des
prêtres ou des autres Trokosi qui ont l’interdiction d’intervenir.
136
CPI, Eléments des crimes, Doc N°PCNICC/2000/1/Add.2, New York, 3-10 septembre 2002, au para 1
(introduction générale) « Comme le prévoit l’article 9, les éléments des crimes ci-après aident la Cour à
interpréter et appliquer les articles 6, 7 et 8 conformément au Statut. Les dispositions du Statut, y compris
l’article 21 et les principes généraux énoncés au chapitre III, sont applicables aux éléments des crimes ».
137
Ibid, article 7&3
138
CPI Situation en République du Kenya, N°ICC-01/09-01/11, Prosecutor v. William Samoe Ruto, Henry
Kiprono Kosgey And Joshua Arap Sang, “Decision on the Confirmation of Charges Pursuant to Article 61(7)(a)
and (b) of the Rome Statute”, Chambre préliminaire II, 23 January 2012 au para. 210. Voir aussi CPI Katanga
Supra note 153 au para 396
139
CPI Situation en République du Kenya, 2010, Supra note 143 au para 92. « La Chambre considère que si les
auteurs du Statut avaient souhaité exclure du terme « organisation » les acteurs non étatiques, ils n’auraient pas
employé ce terme dans l’article 7 2 a du Statut. Elle estime donc que les organisations qui ne sont pas
rattachées à un État peuvent, aux fins du Statut, élaborer et mettre en œuvre une politique ayant pour but de
lancer une attaque contre une population civile »
140
SMALL BILYEU Amy Supra note 12 à la p493
141
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.c)
142
Statut de Rome supra note 120, article 7.2.c).
22 - Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des
dispositions fondamentales du droit international143 : il est caractérisé lorsque « l’auteur a
emprisonné une ou plusieurs personnes ou autrement soumis ladite ou lesdites personnes à
une privation grave de leur liberté physique »144. Tel est le cas au sein des Temples puisque
les Trokosi y purgent une « peine ».
- Torture145 : « Par torture on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des
souffrances aigües, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous
son contrôle »146. De nombreux auteurs ayant eu l’occasion de pénétrer le système Trokosien
ont souligné l’importance des abus commis à l’encontre des jeunes filles et autres femmes
présentes dans les temples. Ainsi, Linda M. Gillard, après avoir effectué une mission de
terrain au sein d’International Needs, affirme que ces dernières sont « horriblement,
sexuellement, mentalement, émotionnellement et physiquement abusées et servent
littéralement d’esclave aux prêtres »147.
- « Viol, esclavage sexuel (…) ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité
comparable »148 : le viol implique la pénétration de force149 et, l’esclavage sexuel, l’exercice
d’un droit de propriété sur la victime doublé d’actes de nature sexuelle. Tel est le cas au sein
des prêtres où les jeunes filles sont soumises à l’acte charnel dès leurs premières
menstruations.
- Persécution 150 : « Par persécution on entend le déni intentionnel et grave de droits
fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe
ou de la collectivité qui en fait l’objet »151. La persécution est le critère majeur, sur la scène
internationale, pour accorder le droit d’asile dans un pays d’accueil152. Elle doit alors être
fondée sur la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un
groupe social. Dans le cadre du Trokosi, la persécution a pu être retenue par les Etats Unies153
en vertu de l’appartenance à un groupe social, celui du « genre » féminin, afin de reconnaître
l’asile à une victime Ghanéenne du Trokosi.
- « Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes
souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou
mentale »154 : cela rejoint les différents crimes précédents155.
143
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.e)
Eléments des crimes Supra note 136 Article 7.1.e)&1)
145
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.f)
146
Statut de Rome supra note 120, article 7.C.e)
147
M. GUILLARD Linda. Supra note 6, à la p 12
148
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.g)
149
Eléments des crimes Supra note 136 Article 7.1.g)-1&1et2)
150
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.h)
151
Statut de Rome supra note 120, article 7.2.g)
152
AGNU, Convention relative au statut des réfugiés, résolution 429(V), U.N. Doc. A/CONF.2/108, adoptée le
28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954
153
Jonathan C. Goltzman Supra note 18 à la p70. Voir aussi Immigration and Refugee Board of Canada,
“Ghana: Availability of state protection for a woman over 20 years of age who does not want to be a fetish slave
(Trokosi)”, 18 January 2000, N°GHA33453.E, en ligne <http://www.refworld.org/docid/3ae6ad5a68.html>
(Consulté le 10 novembre 2015)
154
Statut de Rome supra note 120, article 7.1.k)
155
Elément des crimes Supra note 136 Article 71K &2)
144
23 B. UNE RESPONSABILITE COMPLEXE ET PARTAGEE
La responsabilité internationale était, jusqu’au milieu du XXème siècle, l’unique fait des Etats
ou autres entités morales. Les individus, jusqu’à l’apparition des tribunaux internationaux,
n’étaient ainsi pas confrontés à leurs actions sur la scène internationale. Ce sont
essentiellement les tribunaux ad hoc qui ont posé les bases d’une telle responsabilité, car
comme le précisait déjà le Tribunal Militaire International de Nuremberg, « ce sont des
hommes et non des entités abstraites qui commettent les crimes »156. Le Statut de Rome s’est
inspiré des statuts de ces derniers afin de retenir les articles 25 et 28 que sont, respectivement,
la responsabilité pénale individuelle et la responsabilité du supérieur.
1. La responsabilité pénale individuelle : les prêtres
La responsabilité pénale individuelle est consacrée par l’Article 25 du Statut de Rome. Les
sous-paragraphes a) à c) du paragraphe 3 représentent les principaux degrés de responsabilité
de l’individu dans le crime.
En l’espèce, les potentiels criminels sont les prêtres qui perpétuent la pratique en faisant peser
sur les familles des menaces de mort et/ou de maladie. Il s’agit donc bien d’individus au sens
du Statut.
1. Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement
responsable et peut être punie pour un crime relevant de la compétence
de la Cour si :
a) Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement,
conjointement avec une autre personne ou par l’intermédiaire
d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non
pénalement responsable ;
b) Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel
crime, dès lors qu’il y a commission ou tentative de
commission de ce crime ;
c)
En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte
son aide, son concours ou toute autre forme d’assistance à la
commission ou à la tentative de commission de ce crime, y
compris en fournissant les moyens de cette commission ;
(…)
Paragraphe 3(a) :
156
A. FINCH George, « Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, arrêt du
1er octobre 1946 » (1947), American journal of international law, vol.41 à la p221
24 Trois formes de commission de crime sont mentionnées au sein de ce sous-paragraphe à
savoir la commission directe et individuelle du crime, la commission conjointe et enfin la
commission indirecte, par le biais d’une autre personne sur laquelle le contrôle est exercé (que
celle-ci soit également responsable ou non)157.
Pour retenir la commission conjointe, chaque coparticipant doit avoir rempli « une
certaine tâche qui contribue à la commission du crime et sans laquelle cette commission
n’aurait pas été possible »158. La commission du crime doit alors répondre à un accord entre
eux, à un plan commun. La CPI a apporté des précisions, quant à ce dernier, dans l’affaire
Lubanga159. Ce plan peut être initialement légal ou illégal. S’il était initialement légal, alors
c’est de sa mise en application que résulte l’illégalité. Dans ce cadre, chaque participant est
responsable, de façon égalitaire et au même titre que les auteurs directs et indirects du crime.
La commission conjointe au sens de l’article 25(3)(a) requiert ainsi trois éléments d’actus
reus que sont une pluralité de personnes, l’existence d’un plan commun duquel résulte la
commission d’un crime puni par le droit international et enfin une contribution essentielle par
chacun à l’exécution de ce crime160. Deux éléments de mens rea sont également requis, à
savoir que chaque participant agisse avec intention et en connaissance de cause161 et savait
que « a) la mise en œuvre d’un schéma commun aurait ou pourrait avoir pour résultat la
commission de crimes ; et b) qu’ils seraient dans une position d’empêcher la commission de
ces crimes en ne remplissant pas le rôle qui leur était attribué»162.
Paragraphe 3(b) :
Cette forme de responsabilité se rapproche de celle de commission indirecte prévue par
l’article 25(3)(a). Toutefois, comme le souligne le Tribunal Pénal International pour le
Rwanda (TPIR) dans l’affaire Akayesu, « ordonner implique une relation supérieursubordonné » suivant laquelle « la personne en position d’autorité l’utilise pour convaincre
(ou forcer) l’autre à commettre une infraction »163. Dans ce cadre, la personne ayant donné
l’ordre avait pour intention la commission du crime ou, du moins, savait que celle-ci pouvait
se produire. Concernant le fait de « solliciter » ou d’ « encourager » la commission du crime,
l’exigence de mens rea est la même. Il s’agit dès lors, en pratique, davantage d’une incitation
à commettre le crime que d’un ordre à proprement parlé. Cette influence est généralement
psychologique mais peut être physique164.
Paragraphe 3(c) :
157
AMBOS Kai, « Individual Criminal Responsibility » dans TRIFFTERER Otto Commentary on the Rome
Statute of International Criminal Court : Observers ‘ notes, article by article, deuxième édition, Beck/Hart, 1er
Juin 2008. Voir aussi WERLE Gerhard, « Individual criminal responsibility in Article 25 ICC Statute » (2007),
Journal of international criminal law, Vol.5, aux p953-975
158
TRIFFTERER Otto Ibid à la p1073
159
CPI, Le Procureur c/Thomas Lubanga Dyilo, N° ICC-01/04-01/06, Decision on the Confirmation of Charges,
29 Janvier 2007 au paras 343-345
160
TPIY, Le Procureur c/ Tadic, N°IT-94-1-A, Judgment, Appeals Chamber, 15 July 1999
161
Statut de Rome supra note 120, Article 30
CPI Lubanga 2007 Supra note 159 aux paras 361-367
163
TPIY, Le Procureur c/ Jean Paul Akayesu, Jugement, N°ICTY-96-4-T, 2 Septembre 1998 au para 483
164
AMBOS Kai Supra note 157 à la p481
162
25 Au regard de l’article, il semble que ce dernier couvre les situations qui n’entrent pas sous la
qualification de commission conjointe prévue par l’article 25(3)(a)165, dû à une contribution
plus faible. Il s’agit ainsi de la forme la plus faible de complicité166 et la plus couramment
retenue par l’ensemble des institutions judiciaires internationales. Le TPIY est même allé
jusqu’à retenir qu’il n’était pas nécessaire que l’accusé soit présent sur les lieux, et que
« l’acte contribuant à la perpétration et l’acte constituant la perpétration proprement dite
peuvent être séparés géographiquement et temporellement »167. Le Statut de Rome retient
« toute forme d’assistance » et semble ainsi rejoindre le TPIY dans son interprétation. Seul
l’effet significatif sur la commission elle même est importante, peu importe sous quelle
forme.
En revanche, du point de vue de la mens rea, le Statut de Rome semble avoir ajouté une
exigence en précisant « en vue de faciliter la commission d’un tel crime ». Il n’est plus
question d’être seulement conscient de la possibilité que le crime ait lieu, mais que toute
l’aide apportée le soit expressément pour que ce crime ait lieu168.
La première forme de commission, la commission directe prévue par l’article 25(3)(a),
est la plus évidente en l’espèce. En effet, chaque prêtre, à la tête d’un temple ou à l’origine de
l’envoie de fillettes dans ce lieu commet personnellement les différents chefs de crime contre
l’humanité mentionnés dans le chapitre précédent. En étant eux-mêmes instigateurs de la
pratique/coutume, en charge de la « sélection » des fillettes et auteurs de la captivité dans le
système du Trokosi, ils sont responsables du crime que constitue la pratique en elle même et
de l’ensemble de ses conséquences.
Concernant la mens rea, l’analyse est plus délicate. En effet, les prêtres assurent avoir été
choisis par les dieux et être eux-mêmes soumis à des règles et ordres venant d’ « en-haut »
qu’il leur est impossible de refuser, sous peine de recevoir les mêmes châtiments que ceux qui
tentent de se substituer à la pratique. Dès lors, sont-ils réellement conscients du crime auquel
ils participent par leurs actions ? Ont-ils réellement une possibilité de s’y soustraire ? Certains
éléments semblent contredire cette théorie, comme lorsque l’un de ces prêtres a affirmé,
concernant l’évolution de la pratique du bétail vers les jeunes filles, qu’il n’est pas possible
d’avoir des relations sexuelles avec une vache169. Ceci montre une prise de conscience des
avantages à asservir des jeunes filles plutôt que des animaux et une volonté de maintenir cette
situation, quand bien même la pratique est devenue illégale en 1998. Bien que la pratique ne
soit présente que dans les régions rurales, souvent abandonnées à l’autorité de chefs locaux,
l’adoption d’une telle interdiction par le Gouvernement et l’action des organismes
internationaux et régionaux en vu de libérer les Trokosi témoignent d’une connaissance et/ou
d’une conscience évidente des prêtres quant aux infractions qu’ils commettent. Les prêtres
sont dès lors à la fois auteurs et acteurs de la pratique, donc directement responsables. De
plus, quand bien même l’ordre viendrait de ces dieux supérieurs, pourvoyeurs du bien et du
mal, l’article 33§2 du Statut de Rome prévoit que « l’ordre de commettre un génocide ou un
165
WERLE Gerhard Supra note 157 à la p18
AMBOS Kai Supra note 157 à la p481
167
TPIY Le procureur c/ Dusko Tadic, Jugement, N° IT-94-1-T, 7 Mai 1997, au para 687
168
AMBOS Kai Supra note 157 à la p483. Voir aussi WERLE Gerhard Supra note 157 à la p18
166
26 crime contre l’humanité est manifestement illégal ». Or, appliquer un ordre manifestement
illégal se traduit par l’absence de discernement de son auteur qui en devient coupable.
Quid d’une commission conjointe170 ? En effet, les prêtres, dans les divers temples
présents sur différents territoires et régions, agissent selon un protocole similaire, dans la
même optique en engendrant les mêmes conséquences. Ils sont, en vertu des critères
développés précédemment, une pluralité d’auteurs, ont un plan commun selon lequel des
crimes contre l’humanité sont commis et apportent tous une contribution substantielle à la
commission du crime. Sans eux, les jeunes filles ne seraient pas choisies pour être envoyées
dans les temples, et ainsi réduites en esclavage. Concernant le plan commun, l’interprétation
peut varier. Comme susmentionné, le plan initial peut être légal ou illégal171. Dans l’affaire
Lubanga, l’exemple suivant est ainsi développé : l’accusé avait pour plan de promouvoir les
efforts de guerre des rebelles en recrutant d’autres jeunes personnes au sein du groupe afin
que celles-ci participent activement à des opérations militaires et de maintien de l’ordre. Bien
que le plan ne vise pas directement les enfants de moins de 15ans, comme proscrit par le
Statut de Rome, les conditions de terrain et l’utilisation de « jeunes » amenaient à prévoir ce
risque172. En l’espèce, si les défenseurs de la pratique soutiennent parfois que les jeunes filles
sont envoyées dans ces temples pour parfaire leur éducation et leur apprendre à vivre en
société – ce qui n’est, en substance, pas condamnable en vertu du Statut de Rome – la mise en
application d’un tel plan en revanche engendre une violation du droit international. De plus, le
fait même d’effectuer une telle distinction, ne requérant que des jeunes filles vierges et
« pure », rendait prévisible le risque d’abus.
Par ailleurs, il est possible d’effectuer un rapprochement entre les conditions auxquelles sont
soumises les Trokosi au sein des temples à celle de certains camps de captivité et de
concentrations. Or, bien que la CPI ne soit pas liée par l’interprétation du TPIY173, on note
que dans les affaires Tadic ou Kvocka, concernant les mauvais traitements subis par les
prisonniers, le TPIY avait mis en avant que les auteurs devaient être conscients du caractère
criminel du système et des actes qu’ils commettaient en ce sens, engageant ainsi leur
responsabilité174. La logique pourrait ainsi être appliquée à la pratique du Trokosi. Les décès
de fillettes au sein des temples ne sont qu’une preuve parmi tant d’autres des mauvais
traitements qu’elles subissent et, a fortiori, du crime que les prêtres perpétuent.
Concernant la dernière forme de responsabilité prévue part l’article 25(3)(a) à savoir la
commission indirecte, par le biais d’un intermédiaire, elle est en l’espèce à coupler avec
l’article 25(3)(b) à savoir ordonner, solliciter ou encourager la commission du crime. Ces
différentes formes de responsabilité peuvent être retenues, à travers les actions des prêtres sur
les parents. En effet, ces derniers participent à la commission du crime en donnant les jeunes
filles demandées par ces chefs religieux. De fait, fortement ancrés dans la communauté et
169
GILLARD Linda M. Supra note 6, à la p 17
Statut de Rome supra note 120 Article 25(3)(a)
171
CPI Lubanga 2007 Supra note 159 aux paras 343-345
172
CPI Lubanga 2007 Supra note 159 au para 377
173
C’est essentiellement la forme étendue (3ème) de l’entreprise criminelle commune qui pose problème à la
lecture de l’article 25. Voir CASSESE Antonio Supra note 134 à la p25
174
WERLE Gerhard Supra note 157 aux p8-9
170
27 craints de tous, ils exercent sur les familles une supériorité spirituelle indéniable. Ils ont le
pouvoir de les contraindre en exerçant des pressions psychologiques et menaces de violences
physiques (morts et maladies). Que les prêtres et dieux soient, ou non, capables de telles
prouesses n’entre pas en jeu tant que les communautés et en particulier les familles
concernées le croient et qu’une pression peut être réellement exercée en ce sens. En pratique,
sans la « volonté » des familles, la pratique ne pourrait se perpétrer. Toutefois, l’influence des
prêtres est telle qu’il n’y a d’autres issues possibles.
2. La responsabilité pénale du supérieur : le Chef d’Etat
Bien que le texte de référence soit l’article 28 du Statut de Rome, la pratique montre que
certains supérieurs et commandants ont pu être poursuivis sur la base de l’article 25. Devant
les tribunaux internationaux également, certains ont été condamnés en vertu de la
responsabilité pénale individuelle (article 7§1 TPIY, article 6§1 TPIR). Dans ce cadre, la
qualité de supérieur de l’accusé est retenue comme facteur aggravant lors de l’examen de la
sentence175.
De fait, l’ « omission » d’agir efficacement du Chef d’Etat pourrait-elle être
constitutive d’une « commission » au sens de l’article 25 ? Bien que le Statut de Rome ait
finalement distingué entre responsabilité pénale individuelle et responsabilité du
commandant, les travaux préparatoires montraient une volonté de la communauté
internationale de reconnaître l’omission de façon générale. L’article 25 consistait alors en la
« responsabilité des (chefs militaires) (supérieurs hiérarchiques) concernant les actes (des
forces placées sous leur commandement) (de leurs subordonnés) » quand l’article 28
prévoyait « Actus reus (acte et/ou omission) »176. Par ailleurs, sur la scène internationale, un
nombre d’indices important fait état d’une reconnaissance générale de la responsabilité par
omission : les tribunaux internationaux ont développé une pratique de commission par
omission, le premier protocole additionnel aux Conventions de Genève prévoit les
« omissions contraires à un devoir d’agir »177 ou encore la majorité des systèmes juridiques
admettent une telle responsabilité (à l’exception de la France)178. Il semble donc que la
responsabilité pour omission soit reconnue comme principe de droit179.
Concernant donc le Chef d’Etat, en l’espèce, il avait en vertu de sa qualité un devoir
d’agir et la possibilité de le faire. Bien qu’il ait adopté une loi en 1998, celle-ci n’a jamais
vraiment été mise en œuvre ou renforcée puisqu’aucun prêtre n’a été arrêté depuis. Dans
175
TPIY Blaškic Supra note 125 aux paras 89, 91
Nations-Unies, Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies sur la Création d’une Cour
criminelle internationale, doc n°A/CONF.183/2/Add.1, Rome (Italie), 14 Avril 1998
177
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des
conflits armés internationaux (Protocole I), adopté le 8 juin 1977 et entré en vigueur le 7 décembre 1978, Article
86 (1)
178
DUTTWEILER Michael, “Liability for Omission in International Criminal Law” (2006), International
Criminal Law Review, Vol.6, aux p 30 et suivant
179
WERLE Gerhard Supra note 157 à la p966
176
28 l’affaire Akayesu180, le TPIR avait retenu la responsabilité individuelle de l’accusé qui était
maire de la ville de Taba, entre le 7 et le 18 avril 1994, lorsque des meurtres contre les Tutsis
ont eu lieu. La Chambre a considéré que sa qualité de maire lui offrait les capacités de
maintenir l’ordre et la loi sur sa commune. Lui-même reconnu qu’il « avait le pouvoir de
rassembler la population et de les faire obéir à ses instructions » 181. La responsabilité
d’Akayesu a ainsi été retenue via l’article 7§1 car, quand bien même il a essayé, durant cette
période, de s’opposer aux meurtres et tenter de les empêcher, son échec constitue un
« encouragement tacite » tel que mentionné dans l’article.
Dans le cadre de la pratique du Trokosi au Ghana, le Chef de l’Etat a la possibilité de
contrôler sa population et quand bien même il a tenté de criminaliser la pratique en adoptant
une loi, son échec quant à sa mise en application concrète pourrait constituer une forme de
soutien ou d’encouragement tacite à la commission du crime. Dès lors, il pourrait être reconnu
responsable en vertu de l’article 25 du Statut de Rome. Toutefois, dans ce cas, quid de la mens
rea ? En ne renforçant pas la loi et en prenant le temps de mettre en place des mesures
d’éducation, le Chef de l’Etat savait que les crimes résultant de la pratique du Trokosi allaient
continuer à se perpétrer, il savait que son action d’omission allait assister la commission de
crimes. Or, c’est en essence ce que prévoit l’article 30 du Statut de Rome. Toutefois, la
question reste délicate en tant que la pratique dure depuis des centaines d’années. La
compétence de la Cour étant valable qu’à compter de sa création, les différents Chefs d’Etat
s’étant succédés depuis sont-ils responsables ? Avaient-ils réellement les moyens d’éradiquer
une telle pratique ?
Concernant l’article 28, il distingue entre les supérieurs militaires et civils et prévoit :
a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction
de chef militaire est pénalement responsable des crimes
relevant de la compétence de la Cour commis par des forces
placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou
sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas,
lorsqu’il ou elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur
ces forces dans les cas où :
i) Ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des
circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou
allaient commettre ces crimes ; et
ii) Ce chef militaire ou cette personne n’a pas pris toutes les
mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir
pour en empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en
180
TPIY Akayesu 1998 Supra note 163
KIRK MCDONALD Gabrielle, Substantive and Procedural Aspects of international criminal law : the
experience of international and national Courts, Documents : 002, Editeur Kluwer Law International, 1er
Décembre 1999, au para 704
181
29 référer aux autorités compétentes aux fins d’enquête et de
poursuites ;
b) En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et
subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur
hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant
de la compétence de la Cour commis par des subordonnés
placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu’il ou
elle n’a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces
subordonnés dans les cas où :
i)
Le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés
commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a
délibérément négligé de tenir compte d’informations qui
l’indiquaient clairement ;
ii)
Ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa
responsabilité et de son contrôle effectifs ; et
iii) Le supérieur hiérarchique n’a pas pris toutes les mesures
nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en
empêcher ou en réprimer l’exécution ou pour en référer aux
autorités compétentes aux fins d’enquête et de poursuites.
Ce faisant, le Chef de l’Etat pourrait être poursuivi sur la base du premier paragraphe en tant
que personne faisant fonction de chef militaire (puisque le Chef de l’Etat est le chef de
l’armée, d’autant qu’à l’époque il s’agissait d’un régime militaire au Ghana) ou en tant que
supérieur civil au sens du deuxième paragraphe. Dans les deux cas, le Statut de Rome retient
trois exigences que sont l’existence d’une relation supérieur-subordonnés avec contrôle
effectif, la connaissance du crime commis ou en voie d’être commis par ces subordonnés et
l’échec quant à la prévention ou la punition des auteurs de ces crimes.
Concernant le critère de la connaissance, l’article 30 du Statut de Rome prévoit que la
connaissance est caractérisée « lorsqu’une personne est consciente qu’une circonstance existe
ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des évènements ». Or, le Chef de
l’Etat avait à sa disposition de nombreuses preuves de l’existence de la pratique et savait que
celle-ci existant depuis des années, une loi non renforcée n’aurait aucune réelle conséquence.
En revanche, l’article 28 établit différents seuils que sont la « connaissance implicite » pour
les supérieurs militaires et la « connaissance actuelle » pour les supérieurs civils.
Respectivement, ils « auraient du savoir » ou ont « délibérément négligé » les informations
concernant la commission des crimes par les subordonnés. Dans ce cadre, la connaissance ne
peut être présumée, des informations doivent clairement mettre en avant les risques de
commission de crimes par les subordonnés, doivent être disponibles pour le supérieur
30 concerné et celui-ci doit, en connaissance de cause, avoir refusé de s’y soumettre182. Le seuil
de connaissance requis est ainsi très élevé. En l’espèce, le Chef de l’Etat disposait de
nombreux documents lui permettant de connaître les conséquences éventuelles d’une léthargie
juridique. Il connaissait la gravité de la situation, de nombreux organismes internationaux lui
ayant fait parvenir des rapports attestant de ces risques. De plus, l’adoption d’une loi
criminalisant la pratique montre la conscience de l’appareil étatique quant aux effets de la
pratique.
Le deuxième élément à prendre est compte est celui de l’échec, l’échec dans le rôle du
supérieur d’agir afin de prévenir ou réprimer tout crime commis par ses subordonnés. C’est
principalement via cet élément que l’article 28 est considéré comme basé sur l’omission et sur
la négligence plutôt que sur l’intention. L’affaire Hirota183 confirme cette interprétation. Le
tribunal a conclu, en effet, que le ministre n’avait pas insisté comme il se doit auprès du
Conseil des Ministres pour mettre fins aux atrocités en train de se dérouler. Dès lors, son
inaction constituait une « négligence criminelle »184. Par ailleurs, le TPIY a précisé que, dans
ce cadre, la personne concernée n’est pas supposée accomplir l’acte par elle-même mais peut
déléguer aux autorités compétentes185. En l’espèce, le Chef de l’Etat est en mesure de faire en
sorte que les autorités compétentes agissent, à savoir que les forces de police arrêtent les
prêtres ou encore que les autorités locales assurent des mesures d’éducation et de prévention
dans les zones reculées (puisque l’accent est largement porté sur l’éducation). En
promulguant une loi sans la renforcer il n’a ainsi pas pris « toutes les mesures nécessaires et
raisonnables » tel que prévu par l’article 28.
Par ailleurs, l’échec de l’exercice du contrôle exercé sur les subordonnés implique une
relation de cause à effet entre l’omission du supérieur en lui-même et la commission des
crimes par les subordonnés186. Cette conception a été retenue par le code pénal Allemand187
selon lequel un simple risque d’augmentation des crimes dû à l’omission peut être suffisant
pour prouver l’échec du supérieur. L’affaire Hadzihasanovic188 va préciser que l’omission
d’un supérieur de punir un crime dont il a la connaissance peut être entendu par ses
subordonnés, sinon comme un encouragement, comme une acceptation d’un tel
comportement ayant l’effet d’accroître le risque de commission de nouveaux crimes. L’affaire
182
TRIFFTERER Otto et ARNOLD R, “article 28 Responsibility of commanders and other superiors” dans
TRIFFTERER Otto Supra note 157 à la p841
183
International military tribunal for the far east (“Tribunal de Tokyo), Hirota, Jugement du 4 novembre 1948,
verdict en ligne <http://www.trial-ch.org/trialwatch/tokyo/itagaki.pdf> à la p3 (Consulté le 8 septembre 2015)
184
R. John Pritchard et Sonia Magbanua Zaide, The Tokyo War Crimes Trial: The Complete Transcripts of the
Proceedings of the International Military Tribunal for the Far East, Vol. 20, Garland : New York et Londres,
1981, cité dans TPIY, Le procureur c/ Celebici, N°IT-96-21, Chambre d’appel, Arrêt, 20 février 2001, au
para791
185
TPIY Le Proscureur c/ Kvocka et al, Jugement, N°98-30/1-T, 2 Novembre 2001, au para 316
186
AMBOS Kai, « Superior responsibility », dans CASSESE Antonio et al, The Rome Statute of the
international criminal court, Vol I, OUP, Oxford 2002, à la p860. Voir aussi CASSESE Antonio “Modes of
international criminal liability” dans CASSESE Antonio, The Oxford Companion to International Criminal
justice, OUP, Oxford 2009, aux paras 82-93
187
Code pénal Allemand, Strafgesetzbuch, entré en vigueur le 1er janvier 1872, Article 41
188
TPIY Le procureur c/ Hadzihasanovic et al, N°IT-01-47-A), Jugement de la Champre d’appel, 22 Avril 2008,
au para. 31. Voir aussi AMBOS Kai Supra note 186 à la p860
31 Bemba189 devant la CPI soulèvera les mêmes points. En l’espèce, bien que le nombre de
Trokosi ait diminué après l’adoption de la loi, ce n’est certainement pas dû à cette initiative
mais à l’action des différents organismes internationaux qui se battent pour l’éradication de la
pratique. En réalité, l’absence de renforcement de la loi engendre la commission de nouveaux
crimes puisque laisse la pratique se perpétrer. Certes des mesures d’éducation ont été mises en
œuvre par le Gouvernement mais elle restent minimes et ne permettront pas un quelconque
changement rapide, ce qui se traduira par des centaines de nouvelles jeunes filles réduites en
esclavage durant ce temps.
Enfin, le dernier élément, et le plus délicat, est la relation de supériorité. En vertu de celleci, le supérieur, qu’il soit militaire ou civil, doit disposer d’un contrôle effectif sur ses
subordonnés. Selon Antonio Cassese, l’existence d’un lien de subordination de jure pourrait
ne pas être suffisant pour retenir la responsabilité du supérieur s’il n’y a aucune manifestation
concrète d’un pouvoir ou d’une autorité effective. En revanche, une présomption de contrôle
effectif est reconnue quand le supérieur semble avoir, prima facie, la possession d’un tel
pouvoir190. Selon l’affaire Bemba, « le suspect doit avoir un contrôle effectif, au moins
lorsque le crime était le point d’être commis »191. En l’espèce, le Chef de l’Etat semble avoir,
prima facie, le pouvoir d’user de ses forces de police ou de son armée pour procéder aux
arrestations des prêtres à l’origine de la pratique ou continuant à garder captives les jeunes
filles dans les temples. Toutefois, le contrôle est-il réellement effectif lorsqu’il s’effectue à
travers d’autres subordonnés? A savoir, le contrôle sur les prêtres peut-il être reconnu effectif
en tant qu’il y a un contrôle total des forces de police capables d’interférer dans la pratique en
arrêtant les responsables? Le TPIY a précisé qu’il n’était pas nécessaire que les acteurs des
crimes soient des subordonnés directs du supérieur, tant que celui-ci avait les moyens
d’exercer un contrôle effectif sur eux192. Dans ce cadre, l’interprétation du contrôle effectif
« indirect » peut être prise en compte et le Chef de l’Etat pourrait être considéré comme le
supérieur des prêtres au sens de l’article 28 du Statut de Rome.
Il est évident en pratique qu’une telle conclusion ne saurait être envisagée. Malgré la
mauvaise foi dont font parfois preuve les Chefs d’Etat confrontés à des pratiques coutumières
telles que le Trokosi, il serait difficile de les en tenir pour responsables. Néanmoins, l’Etat du
Ghana a le devoir de protéger sa population en vertu de la doctrine de la responsabilité de
protéger, reconnue officiellement par l’Assemblée Générale en 2005193. Ce concept cristallise
l’obligation et la nécessité d’agir contre la commission de crimes d’atrocités de masses194.
189
CPI Bemba Supra note 128 aux paras 425-4277
CASSESE Antonio et al, International criminal law: case and commentary, Oxford: Oxford university press,
26 mai 2011, à la p437
191
CPI Bemba Supra note 128 au para 418
192
TPIY Blaskic Supra note 125 aux paras300-301
193
AGNU, Sommet Mondial 2005, Résolution 60/1, UN doc n° A/RES/60/1, 16 Septembre 2005
194
ROSENBERG Sheri P, “Responsibility to protect: a framework for prevention”, Global responsibility to
protect 1, 9 juillet 2009, Martinus Nijhoff publishers, à la p. 448
190
32 L’ensemble de cette étude a permis de se rendre compte que, lorsqu’il est aisé de critiquer une
pratique coutumière – culturelle ou religieuse – et de la condamner, il est bien plus complexe
de la comprendre et, a fortiori, d’agir en profondeur, au cœur du problème. Une solution
simple n’existe pas, il est donc essentiel de ne pas brûler les étapes afin d’engendrer le moins
de dégâts. Il était certes question d’envisager la poursuite des auteurs du Trokosi. Toutefois, il
faut pousser la réflexion au delà de cette action. Des pratiques comme celle du Trokosi
existent dans de nombreux Etats, sous différentes formes et depuis plusieurs centaines
d’années. Poursuivre tout un chacun n’est probablement pas la solution. Dans ce cas, quelle
est-elle ? Personne ne semble avoir trouvé le juste milieu d’un débat /d’une problématique
véritablement complexe. Il s’agit d’une question très délicate, à ce jour, sur la scène
internationale. En effet, combattre des dirigeants qui s’attaquent ouvertement à leur
population, - au delà des considérations politiques – engendre un accord général puisque
chaque représentant, chaque institution est en mesure de comprendre que « c’est mal », et
pourquoi c’est mal. Dans les pratiques coutumières, il est difficile de jouer la carte du bien et
du mal car la dichotomie ne peut être aussi tranchée. La compréhension est alors mise défaut
et, à partir de là, une solution adaptée et équilibrée particulièrement complexe à envisager. Le
Comité des droits de l’enfant à souligner, dans son rapport de 2015, les différentes actions
ayant été menée en vu de mettre fin à la pratique : lois, politiques, sensibilisation,
plaidoyer195.
Toute la complexité de cela peut se résumer en une idée, soulevée par Bernard Williams : « la
difficulté avec la tolérance, vient de ce qu’elle paraît tout à la fois nécessaire et
impossible »196. Le défi de ce XXIème siècle est ainsi, comme chaque siècle qui a marqué son
histoire, de rendre possible l’impossible.
195
196
Comité des droits de l’enfant, 2015 Supra note 1 au para 115
Bernard Williams
33