Culture - Beau vers l`œil
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Culture - Beau vers l`œil
24 RÉGIS JAUFFRET. Ce sera l’un des événements de la rentrée littéraire de janvier, qui comprendra 480 romans (contre 510 cette année): après Sévère où il s’intéressait au meurtre d’Edouard Stern, Régis Jauffret, l’un des écrivains français contemporains les plus marquants, s’est penché sur l’affaire Fritzl. Claustria paraîtra aux Editions du Seuil, le 12 janvier. Culture La Gruyère / Jeudi 15 décembre 2011 / www.lagruyere.ch Daniel Darc, brut et fragile DISQUE. «Ange déçu» de la chanson française, Daniel Darc est revenu des drogues, de la prison, du délitement de son groupe Taxi Girl. Il vient de sortir La taille de mon âme, un 7e album fulgurant et fragile. Rencontre entre Lausanne et Paris. CHRISTOPHE DUTOIT J DANIEL DARC DISQUES de ses amours, de prison. Encyclopédie du rock, il reprend Heartbreak hotel au détour d’une réponse, à brûle-pourpoint, comme Elvis lors de son comeback en 1968. Instant de magie. Il raconte la genèse de son nouveau disque: «J’ai rencontré Laurent Marimbert chez Christophe, le chanteur. Près du juke-box, il y a un piano. On est tous les deux vachement timides, donc on n’arrivait pas à se parler. Je lui ai dit: “Metstoi au piano et on verra!” Il m’a joué un thème. Je l’ai trouvé beau. Je lui ai dit: “Si tu veux, je peux faire les paroles et demain je passe à ton studio…” Le lendemain, je suis passé à son studio, mais je n’avais rien fait. Et je n’ai toujours rien fait pour cette chanson…» Mais l’alchimie opère. En trois semaines, le duo compose et enregistre La taille de mon âme, le septième album solo de l’ancien chanteur de Taxi Girl (eh oui! il est bien l’auteur du tube Cherchez le garçon, en 1980, remis au goût du jour par le gagnant de la Star Academy; voila pour le côté people). Avec l’adrénaline due à l’urgence, Daniel Darc puise ses influences autant dans le jazz et la country américaine que du côté d’Arletty et sa fameuse réplique dans Les enfants du paradis: «Je ne suis pas belle, je suis vivante, c’est tout!» Une phrase qui correspond parfaitement à sa situation. «Je vais bien. Je crois en ce que je fais et le rock’n’roll m’a sauvé la vie. Il me l’a peut-être raccourcie, mais il me l’a sauvée.» Laurent Voulzy LYS & LOVE Sony Music NOTRE AVIS: ✔✔✔✔ De la gente pop Des cordes, une voix douce, des harmonies sucrées: pas de doute, on est chez Laurent Voulzy. Mais un Laurent Voulzy qui se lance dans un grand écart risqué, entre pop et musique médiévale. Le résultat? Une balade en terres mystérieuses, complexe et déconcertante, parfois enthousiasmante, parfois pénible. Passons sur Jeanne, futur tube signé Souchon / Voulzy, qui ressemble furieusement à tant d’anciens tubes signés Souchon / Voulzy. L’essentiel se trouve ailleurs, dans cet hypnotique Glastonbury, dans les quatorze minutes envoûtantes de La 9e croisade, dans ces histoires d’antan, chantées en anglais et en français. Dans ces effets, ces mille et un détails qui font de Lys & love un album à part. De la comptine V’là le bon vent à une plage de silence (Un ange passe), Voulzy ne se refuse rien. A 63 ans, il se montre totalement libre et continue de chercher, d’essayer, d’expérimenter. EB Approximative et envoûtante Devant le miroir déglingué que tend Daniel Darc, on vit par procuration – comme avec Mano Solo – le grand frisson de l’autodestruction. Fragile derrière son physique tatoué de taulard, l’homme revient tel un Adam nu, décharné de tout poison illicite. Artiste brut, il jongle avec les paradoxes. Sa voix est approximative, mais diablement envoûtante. Sa diction est hésitante, mais dès qu’il embouche son harmonica, sa musique devient limpide. Timide presque maladif en coulisses, il ose et s’expose sur scène le plus profond de son être. «J’ai l’impression d’être un funambule, entre le ridicule et l’intelligent. Le tout est de ne pas me casser la gueule.» Juif converti au protestantisme, Daniel Darc pose – pour la pochette – torse nu dans une église. Sur le disque, il chante «si tu avais commis tous les crimes / gravis du vice les cimes / une place à jamais Esther Verhoef PLAN SERRÉ Presses de la cité / 432 pages NOTRE AVIS: ✔✔✔✔ L’art de la tension Très vite, le lecteur devine ce qui devrait se passer. Esther Verhoef ne néglige pas les surprises, mais elle évite le suspense à l’américaine avec rebondissements toutes les trois pages. Le talent de la Néerlandaise se trouve ailleurs, dans son habileté à installer une tension croissante. Margot, la narratrice, peine à se remettre d’une rupture. En week-end à Londres, elle rencontre Léon, séduisant et célèbre photographe, qui lui redonne confiance en elle. Mais elle découvre qu’elle ressemble beaucoup à la précédente petite amie de Léon. Qui s’est suicidée. Ou peut-être pas... Plan serré fait partie de ce que les Anglo-Saxons appellent un page-turner: On tourne les pages sans s’en rendre compte. En intercalant les pensées et réflexions du tueur, Esther Verhoef donne envie de crier à cette brave Margot de se méfier, de s’enfuir... C’est dire si son thriller est réussi. EB te resterait» dans le très métaphysique Sois sanctifié. Ce rapport étrange au spirituel, il l’a partagé avec le public du Collège des Bernardins, à Paris. Dans cette ancienne école cistercienne érigée au XIIIe siècle, il a donné deux concerts d’exception la semaine passée. Avec un pianiste à fleur de peau et un violoncelliste électro-bidouilleur, Daniel Darc a revisité son répertoire récent dans des versions ascétiques et sublimes. Durant une heure et demi, il a tutoyé les étoiles, donnant la chair de poule à la salle comble avec des moments de beauté intemporelle comme Je me souviens, je me rappelle ou La pluie qui tombe. Pas toutes convaincantes sur le disque, les chansons de La taille de mon âme semblent tout à coup métamorphosées, quand bien même il n’a pas joué My baby left me, chef-d’œuvre imparable de l’album, sur ce ton parler/chanter BANDE DESSINÉE Le rock’n’roll m’a sauvé la “ vie. Il me l’a peut-être raccourcie, mais il me l’a sauvée. ” Comme lors de la Session Paradiso, enregistrée à Lausanne il y a quelques jours, Daniel Darc psalmodie ses chansons de sa voix approximative, mais diablement envoûtante. CHRISTOPHE DUTOIT LIVRES eudi en dix sur la scène du Studio 15 de la Radio Télévision Suisse, Daniel Darc marmonne «je suis né en mai / c’est moi le printemps», son dernier single faussement sautillant. Ce soir-là, il interprète quatre titres en direct dans l’émission Paradiso: en formation acoustique, l’exercice s’apparente à un numéro d’équilibriste, sur la corde raide et sans filet. Sans concession pour les oreilles des auditeurs, le gars psalmodie une version à même l’os de Vers l’infini, l’une des plus belles chansons françaises de l’année. Pas rancunier, il ose même une reprise épurée de Scenic railway, une obscure perle enregistrée par Gainsbourg en 1963. Deux heures auparavant, Daniel Darc débarque dans la cafétéria de La Sallaz avec une canette de verte à la main. On craint une seconde de voir aborder un bateau ivre, un être à la dérive, tel qu’une certaine légende tend à décrire l’ancien mauvais garçon perdu dans les drogues. A l’inverse, l’homme de 52 ans parle ouvertement de lui, de ses chansons, emprunté à Gainsbourg, encore lui. Daniel Darc le sait: ses chansons ont un pouvoir salvateur. «Oui, des gens m’ont écrit: “Je voulais me foutre en l’air, mais, grâce à toi, je suis resté.” C’est peut-être exagéré, mais si j’ai pu servir à une seule personne, ça me suffit.» Surtout, une chanson lui a sauvé sa propre vie. «En prison, un mec, un Black vraiment haineux contre les Blancs, m’a dit: “Toi, t’es chanteur, alors chante-moi quelque chose. A cappella, j’ai fais Redemption song de Bob Marley et il s’est mis à pleurer…» Une chanson sur la rédemption: le mot idoine pour dire aujourd’hui Daniel Darc. ■ Daniel Darc, La taille de mon âme, Sony. En concert à Genève, Festival Antigel, le 1er février 2012 NOTRE AVIS: ✔✔✔✔ Collectif DICTIONNAIRE DES LIEUX ET PAYS… Robert Laffont-Bouquins / 1344 pages NOTRE AVIS: ✔✔✔✔ Voyages de tête Quel est le point commun entre Roncevaux, Stonehenge, le Paradis, la Terre du Milieu, Brocéliande ou Compostelle? Tous ces endroits existent dans les têtes ou sur Terre, chargés du sens qu’on leur a donné, des espoirs qu’on leur a accolés. Le Dictionnaire des lieux et pays mythiques les réunit en un seul et massif volume. Quelque 170 chercheurs racontent ces lieux forgés par le mythe, la tradition, montrent comment certains auteurs en ont transformé la vision, comme Victor Hugo avec Notre-Dame de Paris. Chaque lieu est replacé dans son contexte, sa perception et sa période d’activité. Car, comme les dieux, ils n’ont de vie mythologique que tant qu’il y a des hommes pour y implanter leurs rêves ou leurs cauchemars. C’est bien la force de cet ouvrage de référence: mêler la rigueur scientifique aux voyages interminables de l’imaginaire. RM