La science désenchantée par la démocratie

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La science désenchantée par la démocratie
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23 septembre 2015
La science désenchantée par la démocratie
Publié par : Jacqueline Charpentier
Les climatologues sont fatigués de la gouvernance qui ne fait
jamais d’actions concrètes. Mais la démocratie ne doit pas
être négligée sur le combat contre le réchauffement
climatique.
Il y a de nombreuses menaces contre la démocratie dans l’ère moderne. La principale
concerne l’opinion publique qui pense que les politiciens ne les écoutent jamais. Et ce
désintéressement se traduit par la popularité de l’extrême-droite. Le mouvement du Tea
Party aux États-Unis, l’Independence Party en Angleterre, le Pegida (Les Européens
patriotiques contre l’islamisation de l’ouest) en Allemagne et le Front National en France. Et
si le citoyen lambda est de moins en moins intéressé, on voit la même impatience chez les
scientifiques et leurs politiciens. Les chercheurs estiment que personne ne les écoute
concernant les dangers du réchauffement climatique et de l’extinction de la race humaine
sur le long terme. Le réchauffement climatique fait partie d’un consensus climatique
majeur. Mais les gouvernements sont totalement sourds. Dans cet état de fait, la démocratie
est considérée comme un obstacle. Certains scientifiques plaident que les décisions
importantes ne doivent plus être prises par des citoyens et les politiques, mais par les
scientifiques eux-mêmes.
Et le plus grave est que ce désenchantement scientifique avec la démocratie est passé sous
le radar de la plupart des observateurs.. Et une attention urgente est nécessaire. La solution
contre le réchauffement climatique passe par un renforcement absolu de la démocratie et
non sa suppression.
Les voix de la discorde
Les nations démocratiques ont échoué dans l’arène climatique. Tous les sommets de la
dernière décennie que ce soit à Copenhagen, Cancún, Durban et Warsaw étaient juste de
grandes démonstrations politiques. Et on ne doit pas se voiler la face. Le sommet de Paris
de décembre est également voué à l’échec.
Les académiciens pointent que la démocratie est une raison de cet échec. James Hanser, un
chercheur dans le climat de la NASA, avait déclaré au Guardian en 2009
<http://www.theguardian.com/science/2009/mar/18/nasa-climate-change-james-hansen> :
Le processus démocratique ne fonctionne pas. Et dans une édition spéciale de la revue
Environmental Politics (Beeson 2010)
<http://actualite.housseniawriting.com/science/2015/09/23/la-science-desenchantee-par-la-d
emocratie/8819/#ITEM-8819-0> * <http://dx.doi.org/10.1080/09644010903576918> en
2010, le scientifique politique Mark Beeson a déclaré qu’une bonne forme
d’autoritarisme serait non seulement justifiée, mais essentielle pour la survie de
l’humanité. Et le site The Conversation, un magazine en ligne financé par les universités,
résume le problème en une phrase
<https://theconversation.com/hidden-crisis-of-liberal-democracy-creates-climate-change-par
alysis-39851> : La crise cachée de la démocratie libérale crée la paralysie sur le
réchauffement climatique.
Il y a plusieurs raisons sur le laisser-aller des démocraties modernes face au changement
climatique. On peut citer la tendance psychologique des humains, l’incapacité des gens à se
mobiliser pour ces causes et le manque intellectuel des citoyens à comprendre les
problèmes complexes. Mais au sommet de la liste, on a également l’illettrisme scientifique
de la totalité des politiciens et la tendance des gouvernements à se concentrer sur le court
terme en négligeant le long terme. Vous ajoutez aussi les intérêts financiers dans les
agendas politiques, l’addiction aux énergies fossiles et à l’impression que les voix des
climatologues ne sont jamais entendues par les politiciens.
Et ces raisons sont souvent citées par des climatologues célèbres. Hans Joachim
Schellnhuber, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research et président du
German Advisory Council on Global Change, s’est exprimé sur cette inaction dans une
interview à Der Spiegel en 2011 : Le confort et l’ignorance sont les plus gros défauts
de l’être humain. Et c’est un mélange qui peut être mortel.
Mais quelle est donc l’alternative ? La solution proposée est d’aller vers une technocratie
dans laquelle les décisions sont prises par des personnes ayant des connaissances
techniques. Et on voit déjà cette tendance quand des co-auteurs des rapports du panel
intergouvernemental sur le changement climatique donnent des directives claires plutôt que
de simples conseils (Hansen et al. 2013)
<http://actualite.housseniawriting.com/science/2015/09/23/la-science-desenchantee-par-la-d
emocratie/8819/#ITEM-8819-1> * <http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0081648> . Mais
nous devons faire attention aux souhaits que nous désirons. Les nations qui ont pratiqué un
autoritarisme moderne tel que la Russie ou la Chine n’ont pas réussi des accomplissements
majeurs pour l’environnement. Ces 3 dernières années, la Chine est devenue la leader
mondiale dans les énergies renouvelables puisque le pays représente 25 % des
investissements dans l’énergie renouvelable dans le monde. Mais dans le même temps, la
Chine a dû mal à atteindre ses objectifs environnementaux et elle est aussi la leader dans
les émissions de gaz à effet de serre. Mais étant donné que les Chinois deviennent plus
riches et plus éduqués, on peut penser qu’ils vont amener plus de démocratie dans la
politique environnementale.
Des problèmes environnementaux et des régulations en conséquence peuvent avoir leur
place dans l’argument démocratique qui est la valeur de la nature pour l’humanité. Les
démocraties apprennent de leurs erreurs, mais les régimes autoritaires manquent de
flexibilité et de facultés d’adaptation. Les nations démocratiques ont accouché, avec des
forceps, la plupart des traités internationaux tels que le protocole de Montréal qui concerne
les substances qui sont nocives pour l’ozone. Mais c’est uniquement valable si les nations
démocratiques actuelles sont vraiment des pays démocraties ou simplement qu’elles
exploitent simplement le marketing de la démocratie, mais avec des pratiques autoritaires.
Changement au niveau global
Les scientifiques impatients préfèrent les acteurs hégémoniques tels que les puissances
mondiales, les organisations internationales et les multinationales. Ces scientifiques
préfèrent les politiques globales de lutte plutôt que l’approche chaotique des changements
locaux. Pour eux, la connaissance globale triomphe sur le savoir-faire local. Mais les
tendances sociétales vont dans la direction opposée. Les grandes institutions n’arrivent plus
à imposer leur volonté aux citoyens et les citoyens préfèrent se mobiliser sur les efforts
locaux.
Le pessimisme sur la gouvernance démocratique, pour gérer des circonstances
exceptionnelles comme le réchauffement climatique, est directement associé avec
l’optimisme qu’on peut tout changer avec une politique globale. Dans la lutte du
réchauffement climatique, les aspects sociaux et économiques sont des obstacles mineurs
qu’on peut surmonter en suivant les conseils des experts. Mais l’humanité est très limitée
dans sa capacité de tout planifier. Le concept de planning social et économique global a
échoué.
L’argument d’une politique autoritaire concerne un seul effet : La réduction des émissions
de gaz à effet de serre. En se concentrant uniquement sur cet objectif, plutôt que les
conditions économiques et sociales, les politiques du climat sont réduits à de simples
problèmes techniques. Mais ce ne sont pas les seules considérations. Les problèmes
environnementaux sont intriqués avec les problèmes culturels, économiques et politiques.
Et dans cet aspect, la connaissance scientifique n’est ni performante, ni persuasive.
Améliorer l’engagement
Actuellement, la démocratie est le régime le moins pire que nous ayons à notre disposition.
Un système démocratique peut réunir tous les acteurs en gérant tous les conflits en même
temps et décidant sur la meilleure politique à adopter. Mais il ne suffira pas d’améliorer la
démocratie pour lutter contre le réchauffement climatique. Et il ne suffit pas d’inventer des
termes stupides tels que démocratie participative pour faire croire aux citoyens qu’ils sont
dans une démocratie. Et si la démocratie a échoué à lutter contre le changement climatique,
c’est parce qu’elle a échoué à lutter contre les facteurs qui ont créé le réchauffement
climatique à la base. Et le premier facteur est l’inégalité sociale. Et si on n’arrive pas
résoudre ce problème, alors la menace sur l’humanité ne concernera pas uniquement notre
environnement physique. L’érosion de la démocratie provient d’une suppression inutile des
droits sociaux en tentant de les simplifier au maximum.
Le philosophe Friedrich Hayek, qui a mené le débat contre le planning social et économique
global dans le milieu du 20e siècle, a noté un paradoxe qui est plus d’actualité que jamais. A
mesure que la science progresse, elle tend à renforcer l’idée que nous avons le
droit de contrôler toutes les activités humaines. Hayek avait ajouté : C’est pour cette
raison que ceux qui sont intoxiqués par l’avancée de la science deviennent des
ennemis de la liberté. Et nous devrions écouter cet avertissement. Il est dangereux de
croire que seuls la science et les scientifiques ont le droit de dire ce que nous devons faire.
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Références
Beeson, Mark. 2010. The coming of environmental authoritarianism. Environmental Politics.
Informa UK Limited, March. http://dx.doi.org/10.1080/09644010903576918.
Hansen, James, Pushker Kharecha, Makiko Sato, Valerie Masson-Delmotte, Frank
Ackerman, David J. Beerling, Paul J. Hearty, et al. 2013. Assessing “Dangerous Climate
Change” : Required Reduction of Carbon Emissions to Protect Young People, Future
Generations and Nature. Ed. Juan A. Añel.. PLoS ONE. Public Library of Science (PLoS),
December 3. http://dx.doi.org/10.1371/journal.pone.0081648.