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Comment concilier en enseignement la
perméabilité des applications Web 2.0 et
l'identification d’un espace institutionnel.
Pierre-André Caron*, Renata Varga**
* Laboratoire Trigone, CUEEP, Université des Sciences et Technologies de Lille1
[email protected]
** Laboratoire Geriico, Université de Lille3
[email protected]
RÉSUMÉ.
Les possibilités offertes par le Web 2.0 ouvrent des perspectives nouvelles en
enseignement. Il est par exemple possible d'imaginer un enseignement employant les outils,
génériques et hétéroclites, choisis et composés par les apprenants eux-mêmes. Dans un tel
milieu hétéroclite, le challenge pour un enseignant consiste à pouvoir accéder facilement aux
médias utilisés par chaque apprenant. Notre problématique aborde ce problème ainsi que
celui posé par l'identification des espaces privés et institutionnels dans un environnement
distribué. Nous proposons de réaliser une interface opportuniste, exploitant des agrégations
précaires de composants légers et consistant en un regroupement d'espaces concédés par
chaque apprenant au sein de son espace privé. L'expérimentation que nous relatons, aborde
la genèse de cet environnement.
ABSTRACT. The use of Web2.0 applications in the field of education brings about a change of
paradigm for E-Learning. It is now possible for teacher or learner to craft their own teaching
environment with generic and heteroclite Web 2.0 functionality. In such environment the
challenge for a teacher consists in being able to easily consult the media used by each
learner. The main goal of our paper is to study the possibility to identify private and
institutional spaces in a distributed environment. We propose to implement an opportunist,
software as a mashup of light components. This software is able to communicate with a
group of spaces conceded by each learner within its private space. Our research presents
genesis of this software and a first experimentation.
: Web2.0, eLearning, Blog, malléabilité, espace privé, agrégation, règles,
politique, netiquette.
MOTS-CLÉS
KEYWORDS:
Web2.0, eLearning, Blog, malleability, private space, policies, mashup.
Revue. Volume X – n° x/année, pages 1 à X
2
Revue. Volume X – n° x/année
1.
Introduction
Introduit par Tim O’Reily (O'Reilly, 2005), le terme Web 2.0 désigne pour
l’usage et l’ingénierie Web une rupture se caractérisant par différents concepts clef
parmi lesquels : l’importance donnée à la production personnelle et individuelle de
contenu, la prise en compte, par les nouvelles interfaces, de renseignements issus de
l’intelligence collective, et un modèle économique prônant l’importance du capital
social (Anderson, 2007). Ces caractéristiques du Web 2.0 ouvrent des perspectives
nouvelles en environnement informatique pour l'apprentissage humain (EIAH),
(Downes, 2005), (Caron, 2007b) ; des travaux portant sur l’usage des Blogs (Leclet,
Leprêtre et al., 2007), des Wikis (Caron, Le Pallec et al., 2006), des Forums
(George, 2005), des plateformes de formation modulaires open source (Warin,
Caron et al., 2007) tentent d’explorer l’usage de ces nouveaux outils en
enseignement.
A l'occasion d’une première expérimentation, relatée dans la partie 3, nous avons
exploré la malléabilité de ces outils et la place de l’enseignant, lors de la mise en
œuvre réelle de dispositifs pédagogiques permettant l’accompagnement de l’écriture
individuelle d’étudiants en stage de formation par alternance, (PCDAI, 2007).
Au cours de cette expérimentation, plateformes et outils de type Web 2.0 ont été
installés de façon temporaire au sein d’une enclave dans l’Université. Nous nous
interrogeons maintenant sur l’intérêt pour des enseignants d’exploiter plus largement
et de façon plus réaliste les potentialités du Web 2.0. L’utilisation opportuniste
d’outils disponibles directement sur le Web semble en effet permettre la mise en
œuvre d’une démarche relevant du bricolage pédagogique tel que spécifié dans
(Caron, 2007a). Il est d’ailleurs possible pour un enseignant de construire des
environnements ‘composites’ à partir des diverses solutions proposées par le Web
2.0 (Väljataga, Pata et al., 2007). Les ‘personal learning environment’ (PLE)
(Attwell, 2006) sont des exemples de tels environnements.
Les travaux que nous présentons dans cette communication cherchent à explorer
l’usage pédagogique d’un environnement ‘hétéroclite’. C'est-à-dire un
environnement où chaque apprenant pourrait définir singulièrement ses outils
préférés.
L’environnement d’apprentissage global serait alors constitué de différents types
de Blog, de Forum, ou de Wiki. Or un tel environnement, proche des cahiers des
charges établis par les étudiants, laisse peu de place pour un espace institutionnel
nécessaire à un usage enseignant. La problématique que nous abordons dans cette
communication concerne la définition d’un espace institutionnel destiné aux
enseignements au sein d’un assemblage d’espaces privés appartenant à l’espace
commun. Un tel espace doit alors être régi par une politique au sens des travaux de
(Waterhouse et Rogers, 2004). La conception d’une interface définissant cet espace
et cette politique résume l’apport actuel de nos travaux.
Web 2.0 et espace institutionnel 3
Dans la deuxième partie de cette contribution, nous abordons les approches
techniques et les expérimentations pratiques qui cadrent avec notre problématique.
Dans la troisième partie nous relatons une première expérience que nous avons
menée ainsi que le cahier des charges qui en a résulté. Notre proposition s’inspire de
ce cahier des charges, elle est présentée dans la quatrième partie. Enfin nous
décrivons l'expérimentation que nous menons actuellement. Notre conclusion résume
les acquis actuels de notre recherche et annonce les pistes que nous souhaitons
explorer.
2. Web 2.0 en enseignement : les techniques et les pratiques.
Différents travaux abordent la définition d’un espace personnel destiné aux
étudiants, ils se sont techniquement orientés vers deux directions.
La première concerne la définition de différents protocoles de communication
entre ePortfolios. Un ePortfolio regroupe diverses fonctionnalités au sein d’une
structure semi fixe. Ces fonctionnalités sont par exemple : le Dépôt de documents, le
Wiki, la présentation d’un CV, la fiche d’identité, le Blog etc. L’institut EIfEL
(European Institute for E-Learning) a établi un cadre de référence spécifiant les
principaux protocoles d’échanges et permettant de relier les différents ePortfolio
d'un même utilisateur. Sur le plan des usages, un ePortfolio est dans la majorité des
cas hébergé par l'institution, celle-ci mettant en œuvre un moteur de ePortfolio et
concédant ainsi au sein d’un espace institutionnel des espaces privés destinés aux
étudiants. Le Réseau Paris Descartes1 est un exemple d’une telle mise en œuvre.
Ce réseau, basé sur le logiciel libre de gestion et de création de Blogs, Elgg est
exploité par l’université Paris 5 depuis juin 2006. Il a été « pensé et conçu dans le
but de combiner les principes du Blog et de l'ePortfolio dans le cadre d'un réseau
d'apprentissage social : promouvoir l'apprentissage par le partage de savoirs, de
connaissances, d'expériences, par l'échange de ressources, par les publications de
réflexions, les conversations, le travail en communautés définies autour d'intérêts
similaires, le jeu dynamique des interactions entre les sites Web personnels »2. Les
étudiants et le personnel de l’université Paris 5 disposent d’un Blog inclus dans un
espace individuel, ce qui leur offre la possibilité de construire un réseau social en
leur laissant une marge d’initiative importante : ils peuvent créer des communautés et
décider du degré de partage de leurs données en choisissant parmi cinq types de
droits d’accès3. Ce dispositif qui privilégie l’informel au formel ne peut cependant
convenir à toutes les situations pédagogiques du fait que l’enseignant perd le
contrôle du système en se retrouvant au même niveau que ses étudiants. Cette
conception d’une plateforme institutionnelle exploitant les réseaux sociaux générés
1
http://tice.univ-paris5.fr/spip.php?rubrique18
http://wiki.univ-paris5.fr/wiki/Elgg
3
Privé / public / utilisateurs en ligne / communauté X / groupe X.
2
4
Revue. Volume X – n° x/année
par l’usage de Blogs est proche de notre proposition, elle s’en démarque cependant
par deux aspects :
−
Sur le plan architectural cette solution est essentiellement centralisée,
elle est donc assez lourde à mettre en place et à entretenir.
−
Sur le plan de la dialectique espace institutionnel / espace privé, elle
concède au sein de l’espace institutionnel, des espaces privés à la
temporalité assez éphémère. Situation paradoxale pour des espaces
privés destinés à enrichir des ePortfolio et donc destinés a être utilisés
pour un apprentissage tout au long de la vie.
La seconde direction vers laquelle s’engagent les travaux actuels concerne la
mise en œuvre d’interfaces permettant l’exploitation éducative des ‘Personnal
Learning Environment’ (PLE). Un PLE est un environnement d'apprentissage conçu
par l’apprenant à partir de l'usage de différentes applications Web 2.0. Pour pouvoir
être utilisés en enseignement, les PLE nécessitent de définir de nombreux protocoles
pour l’instant inexistants permettant non seulement de relier ensemble ces PLE mais
de relier chaque PLE à une plateforme de formation (van Harmelen, 2006). C’est sur
cette plateforme qu’ont lieu les évènements institutionnels permettant le déroulement
de la formation, définition de la promotion, dépôt des cours, rendu des devoirs, suivi,
agenda, diplômes. Ce verrou de communication est souvent résolu par le choix
unique, pour chaque fonctionnalité, d’un outil Web 2.0 par tous les apprenants et par
tous les enseignants. Des travaux pour l’instant non aboutis proposent une interface
unique4 (Plex) permettant une agrégation dans un but de lecture des différents PLE
(Wilson, 2005). Cette approche nous intéresse davantage que la précédente dans la
mesure où elle permet de concilier la légèreté d’une architecture distribué et, sur le
plan de la dialectique espace institutionnel / espace privé, elle offre la possibilité
pour les apprenants de rester propriétaires des contenus qu’ils produisent.
3. Les prémisses de notre projet et l’enseignement du projet PCDAI
3.1. Présentation de la problématique du projet PCDAI
Dans cette partie, nous proposons de relater rapidement l’expérimentation menée
dans le cadre du projet Pratiques Collectives Distribuées d’Apprentissage sur
Internet5, sous l’angle de coexistence et de gestion d’espaces privé et institutionnel.
Cet angle de vue s’est imposé à nous au fur et à mesure de l’avancement du projet et
il nous a conduits jusqu’à l’expérience actuelle. L’objectif du projet PCDAI était de
concevoir et de construire un environnement numérique malléable dans la
perspective de changer les modes d’accès au savoir des étudiants. L’activité
pédagogique visée consistait en la rédaction d’écrits longs lors de situations de stage
4
http://www.reload.ac.uk/plex/
Ce projet s’est déroulé entre 2004 et 2006, et a été mené conjointement par les laboratoires
Trigone (Université Lille 1) et Geriico (Université Lille 3).
5
Web 2.0 et espace institutionnel 5
avec l’objectif de favoriser l’apprentissage via le partage d’expériences et les
activités collectives. La création d’une communauté d’apprentissage et de pratiques
semblait être une condition préalable à la réussite de notre objectif pédagogique.
C’est pourquoi, outre les activités mises en place, l’émergence d’une dynamique
communautaire s’est trouvée au centre de nos investigations.
3.2. L'expérimentation menée
Pour favoriser l’apprentissage collaboratif, nous avons choisi de configurer une
plateforme Postnuke6 pour le suivi de stages de fin d’année d’étudiants de L3-M2 en
Infocom. Notre objectif pédagogique était de construire une mémoire collective, de
faciliter l’émergence d’une communauté et d’inciter les étudiants à réfléchir sur leur
stage en vue de la rédaction d’un rapport final. Nous avons privilégié la mise en
place d’outils d’information (Tableau d’affichage, Wiki, Utilisateurs en ligne),
d’outils de rédaction et d’archivage (Blog, Wiki, Dépôt de documents) et celle
d’outils de communication synchrone et asynchrone (Boite à crier, Forum, Message
privé). Dès l’étape de conception, nous avons été confrontés au problème de la
définition et de la gestion des droits des usagers : nous avons conçu trois types
d’usagers avec des statuts et droits différenciés concernant les outils de la plateforme
et les espaces attribués à ces outils : visiteurs, étudiants utilisateurs et enseignants
administrateurs (Varga, 2006a). La plateforme a été pensée comme un espace de
travail fermé, partagé entre l’enseignant et l’ensemble de ses étudiants tuteurés. Ces
derniers disposent d’un espace collectif pour le partage d’informations et la
communication ; des espaces personnels visibles pour l’ensemble du groupe avec des
propriétaires identifiés ; enfin des espaces privés accessibles uniquement pour leurs
propriétaires pendant le temps d’encadrement (période de stage). Pour chacune des
activités pédagogiques (information, communication, organisation, rédaction)
plusieurs outils sont disponibles qui intègrent un ou plusieurs des espaces cités. Les
usagers naviguent facilement entre les espaces et les outils et utilisent les outils de
façon complémentaire.
3.3. Enseignement du projet PCDAI
L’expérience menée entre 2005 et 2007 sur un groupe d’une 20aine d’étudiants
s’avère concluante du point de vue pédagogique : les étudiants apprécient
l’environnement numérique en tant qu’espace de travail personnel car il rend
possible la proximité avec l’enseignant, les échanges entre pairs et le partage
d’expériences, ces caractéristiques favorisant la prise de distance (Varga, 2006b).
Malgré son succès, la plate-forme Postnuke présente un certain nombre de limites
techniques qui constituent un frein important à son usage. Le système n’est pas
suffisamment stable, de ce fait, il nécessite la veille d’un ingénieur. La plateforme est
6
La plate-forme Postnuke est un C3MS disponible en open source, malléable, conçue pour
favoriser la construction de communautés.
6
Revue. Volume X – n° x/année
certes malléable, mais trop complexe, l’administration et la configuration requièrent
un apprentissage préalable. De ce fait, les étudiants n’ont pas la possibilité de
personnaliser leur environnement de travail. De plus, le système de droits et de
configuration étant peu souple, ils ne peuvent garder leurs contributions d’une année
sur l’autre. Les solutions apportées par les étudiants restent de l’ordre du bricolage.
Ainsi, à la fin de la session de stage, ils recopient toutes leurs pages personnelles
dans un traitement de texte, opération coûteuse en temps et en énergie.
3.4 Etude préalable: l'élaboration d'un cahier des charges
A la suite de chaque expérimentation, nous avons effectué une enquête par
questionnaire auprès de tous les utilisateurs ainsi que des entretiens individuels avec
quelques utilisateurs très assidus. Les résultats de ces investigations ont permis
d’expliciter les difficultés rencontrées et de comprendre les diverses représentations
concernant les outils et les activités proposées par la plateforme. En recoupant ces
entretiens avec les statistiques et traces d’usages collectées, nous avons élaboré un
cahier de charges pour un dispositif correspondant davantage aux besoins des
usagers.
Ainsi, les usages montrent que les étudiants préfèrent la simplicité d’un dispositif
procurant un nombre réduit d’outils multifonctionnels : la Boite à crier pour se
défouler et se socialiser, le Blog pour rédiger pour soi, pour les autres et pour
déposer des commentaires, enfin un espace pour archiver et partager ses documents
(Varga, 2007). Ainsi, lorsqu’ils verbalisent le dispositif idéal, ils l’imaginent avec
quelques outils liés aux activités pédagogiques et d’autres qui n’ont rien à voir avec
l’université : « Les trucs que je voudrais dans ma plateforme idéale c’est le journal
de bord, le côté Blog tout ça, le calendrier pour tout ce qui est agenda, rendez-vous
et après ça des fonctionnalités mais qui n’ont rien à voir avec le stage, genre avoir
un coin avec la météo, les trucs vraiment ludiques (…) Moi je construirais un truc
comme ça, avec mes trucs à moi ». Cette étudiante de M2 imagine donc de composer
son espace de travail comme un assemblage de fonctionnalités le Web 2.0. Un tel
assemblage est actuellement constructible en utilisant par exemple le portail
iGoogle7, Netvibes8 ou Portaneo9. Un tel environnement, personnalisable et
contrôlable par les usagers, induit une perméabilité entre l’espace institutionnel,
l’espace privé et l’espace public.
Le discours des étudiants est cependant traversé par un certain nombre de
contradictions. La tension entre le désir d’une autonomie et la crainte d’une trop
grande liberté. Le désir d’évoluer vers un système plus décentralisé et la possibilité
d’intervenir sur le dispositif, mais la crainte de perdre en qualité pédagogique si
l’enseignant se retire du dispositif en leur laissant la liberté d’agir. En définitive, les
étudiants souhaitent un dispositif technique plus souple, qui leur laisse des libertés de
7
http://www.google.fr/ig?hl=fr
http://www.netvibes.com/
9
http://www.portaneo.com/solutions/en/opensource.php
8
Web 2.0 et espace institutionnel 7
choix individuels, mais préfèrent un dispositif pédagogique classique où l’enseignant
reste maître et initiateur des activités. Ce système se situe sur le plan social à michemin entre notre plateforme Postnuke, consacré au suivi de stages, et le réseau
Paris Descartes, supporté par Elgg . Sur le plan architectural, par le caractère
distribué de l'application qu'il met en œuvre, il se situe à mi chemin entre un portail
tout intégré de type Postnuke et un portail d’assemblage, composé individuellement
par chaque utilisateur à partir de ‘Widget’, tels que iGoogle, netVibes ou Portaneo.
4 Notre proposition : une collection d’espaces privés, un espace institutionnel
concédé.
4.1 Un assemblage hétéroclite de Blogs
Pour répondre au cahier des charges précédemment décrit nous avons décidé de
mettre en œuvre un environnement composé d’un assemblage hétéroclite de Blogs.
Un tel environnement est novateur dans la mesure où il rend les étudiants réellement
propriétaires des écrits qu’ils produisent. L'expérience que nous menons
actuellement, inverse donc le paradigme habituel utilisé en eLearning. Il ne s’agit pas
de définir au sein d’un espace institutionnel (mise en œuvre par l’université) des
espaces privés réservés aux productions étudiantes. Il s’agit d’explorer la possibilité
pour des étudiants de concéder au sein de leur espace personnel, privé et fermé, un
espace qui aura vocation à devenir institutionnel. L’ensemble de ces espaces
concédés devenant l’espace institutionnel, mutualisé où l’enseignement a lieu.
Ce choix que nous faisons engendre deux verrous que nous avons identifiés et
que nous nous sommes attachés à explorer:
−
Comment doter un espace institutionnel, distribué au sein d’espaces
hétéroclites privés, de fonctionnalités propres à l’enseignement ?
− Quelles sont les relations qu’un tel espace peut entretenir avec le reste de
l’environnement ?
L’interface que nous avons réalisée, le ‘Personnal Teaching Environment’
(PTE), tente d’apporter une solution à ces deux verrous.
4.2 Le PTE : mise en oeuvre conceptuelle
Pour offrir un lieu institutionnel d’enseignement, nous avons souhaité définir une
interface reflétant les différents espaces propriétés des étudiants. Dans une approche
systémique des dispositifs, ce PTE constitue un ‘sur-système’. Il est à la fois le reflet
des contenus et des actions menées dans chaque Blog mais également plus que la
simple juxtaposition de ces parties dans la mesure où il offre un cadre institutionnel
transformant la portée des propos tenus dans chaque Blog.
La figure 1 résume notre proposition conceptuelle : ce schéma identifie deux
espaces que notre PTE relie, l’espace institutionnel où l’enseignement a lieu, et une
8
Revue. Volume X – n° x/année
collection d’espaces privés, propriétés de chaque étudiant et de chaque enseignant où
la production des contenus est initiée. Tous les contenus reflétés par l’espace
institutionnel sont hébergés dans l’espace privé. Cette solution présente l’avantage
de garantir pour un étudiant, et même un enseignant, la pérennité de ses productions.
Le reflet des espaces privés au sein de l’espace institutionnel est mis en scène par le
PTE, c’est lui qui construit cette hétérotopie, c'est-à-dire cet espace institutionnel
autre, reflet des espaces privés : « l'hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul
lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes
incompatibles. » « les hétérotopies sont souvent liées à des hétérochronies »
(Foucault, 1984). Le PTE regroupe au sein de l’espace institutionnel (en rendant
privé ce regroupement) une collection d’espaces privés pourtant disponibles au sein
de l’espace public. Le temps de l’espace institutionnel étant limité à l’action de
formation, le temps de l’espace privé relevant par essence du domaine privé et ne
pouvant pas être quantifié.
Le PTE (point n°2) dessine donc un espace institutionnel constitué du reflet
d’une zone (point 3) concédée par chaque étudiant au sein de son Blog (point n°5).
Chaque Blog est utilisé par l’étudiant ou l’enseignant comme agrégateur d’outils
Web 2.0 (point n°7). Au sein de son Blog, l’étudiant est ‘agrégateur’ de ressources,
il est également, via l’exploitation de sa liste de Blogs favoris, fédérateur et créateur
de réseaux sociaux (point 6). Au sein du PTE, l’étudiant est fédéré au sein d’un
réseau institué par l’enseignant, et la partie de son Blog qu’il concède est agrégée
aux autres ressources proposées par les apprenants.
1
Espace
institutionnel
2
3
4
Collection
d’espaces
privés
5
6
7
Cyber-espace
Web 2.0
Web 2.0 et espace institutionnel 9
Figure 1 schéma conceptuel du PTE
La caractéristique de notre environnement est de proposer des liens bi
directionnels (point n°4) pour relier ces différentes oppositions : institutionnel /
public, fédéré / fédérateur, agrégé, agrégateur. En particulier, ces liens permettent à
un étudiant de commenter directement la contribution d’un autre étudiant à partir de
l’interface du PTE10. Ce dernier n’étant pas un simple agrégateur de fils RSS mais
bien un ‘sur-système’ collectif institutionnel pouvant lire et écrire dans une
collection de ‘sous-systèmes’ privés.
Le PTE est également constitué de fonctionnalités propres (point n°1) telles que
‘Boite à crier’, ‘Qui est là’, ‘Agenda de groupe’, ‘Top 10’ etc. Le choix de ces
fonctionnalités découle de l’analyse que nous avons menée lors du projet PCDAI. Il
est apparu que certaines fonctionnalités étaient essentielles pour que l’interface
construite puisse supporter une communauté en ligne, ces fonctionnalités permettent
la mise en œuvre de critères énoncés par Jenny Preece (Preece, 2004) tels que
« Social presence, identity and relationships » ou « Empathy and trust ».
D’autres fonctionnalités invisibles sur le schéma sont également nécessaires, elles
permettent de définir et de refléter une politique institutionnelle. Au sein du cyberespace public, dans la collection d’espaces privés, le respect des règles, la
‘netiquette’ sont imposés collectivement par le groupe. Au sein de l’espace
institutionnel, la mise en œuvre des politiques institutionnelles est le fait du
professeur. Cet élément essentiel à tout environnement d’apprentissage (Waterhouse
et Rogers, 2004) est pris en compte par notre proposition. Ainsi, dans le PTE,
l’enseignant a, par exemple, la possibilité, si les règles qu’il a instituées ne sont pas
respectées, de bannir le fautif de l’espace institutionnel. Le contenu du Blog perdure
dans l’espace public mais il n’est plus reflété par l’espace institutionnel. Charge à
l’étudiant de rectifier alors le contenu incriminé ou de répercuter la sanction en
bannissant de son Blog le responsable du commentaire inconvenant.
La première phase exploratoire de notre recherche vient de se terminer et un premier
prototype est actuellement disponible11.
5 L'expérimentation en cours
Le PTE a été déployé dans le cadre de l’encadrement de stages de fin d’année de
L3-M2 à l’UFR Infocom à l’université Lille 3 et accueille une quinzaine d’étudiants
encadrés par nous-même entre mars et septembre 2008. Il n’est pas intégré au
10
Nous exploitons pour cela différentes API de Web services parmi lesquelles le ‘framework
Zend’de la ‘Blogger data api’ et plus particulièrement ‘Zend_GData’ une de ces
composantes. Ce framework est basé sur la technologie des flux ‘ATOM’ est notamment sur
l'APP (Atom Publishing Protocol). Ce protocole permet de publier mais aussi d'éditer
diverses ressources sur le Web (par exemple dans notre cas des articles de Blog).
11
L’ensemble de nos sources publiées selon une licence GPL est disponible.
10
Revue. Volume X – n° x/année
dispositif de formation, les étudiants sont libres de l’utiliser. S’ils ne disposent pas
encore de Blog personnel, ils doivent faire la démarche de créer un Blog et de
l’intégrer à l’interface du PTE.
Par cette expérience, nous souhaitons qu’en intégrant des espaces privés dont ils
sont réellement propriétaires, les étudiants prennent une part plus importante dans la
construction de leur apprentissage, notamment par la gestion des réseaux et des
systèmes de partage de données. Ce dispositif a aussi pour but de les encourager à
mieux maîtriser les outils de nouvelles technologies et les possibilités offertes par le
Web 2.0. Enfin, au niveau pédagogique, nous souhaitons privilégier les relations
horizontales aux relations verticales, tout en attribuant un rôle central à l’enseignant
dans le dispositif.
Nous faisons l'hypothèse que l’expérimentation en cours pourra mettre en évidence
différents points parmi lesquels l’évolution de la relation pédagogique à travers de
nouvelles pratiques de partage de données, et l’évolution des compétences par
l’usage des outils du Web 2.0. Nous cherchons également à montrer que ce dispositif
plus souple à mettre en œuvre qu’une plate-forme institutionnelle et sans doute, par
son caractère distribué, plus durable pour les usagers, peut influer, selon nos attentes,
sur la motivation des étudiants et avoir des conséquences positives sur
l’apprentissage.
A la fin de la première année d’expérimentation, nous évaluerons la pertinence du
dispositif en nous basant sur les pratiques visibles à travers les traces d’usages
laissées sur le dispositif. En septembre 2008 nous réaliserons aussi des entretiens
individuels avec quelques étudiants usagers pour mieux cerner leurs pratiques, leurs
difficultés et leur perception du dispositif.
Conclusion
Dans cette communication, nous avons exposé notre proposition d’un dispositif
numérique, le ‘Personal Teaching Environment’, fondé sur le concept de
perméabilité des espaces : privé, public et institutionnel. En réalisant un double
mouvement d’intégration des outils de type Web 2.0, dans un premier temps, dans
l’espace privé d’un Blog puis, dans un deuxième temps, dans l’espace institutionnel
mise en scène par notre dispositif, nous nous inscrivons dans la mise en mouvement
d’espaces privés au sein d’un espace institutionnel réaménagé tel que décrit par
(Flichy, 1991). Les avantages de notre démarche résident dans l’autonomie concédée
aux acteurs qu’ils soient étudiants ou enseignants. Nous conjecturons que cette
autonomie permettra une plus grande flexibilité de la démarche pédagogique et des
apprentissages associés.
Notre démarche s’inscrit dans une réflexion plus large tendant à pérenniser les
productions étudiantes dans le cadre d’un apprentissage tout au long de la vie. Nos
réflexions se tournent vers l’implémentation de portails de type iGoogle permettant
Web 2.0 et espace institutionnel 11
une plus grande perméabilité des environnements étudiants au travers des
assemblages précaires de fonctionnalités Web.
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