L`hétérogénéité des teneurs en plomb dans les monnaies de bronze
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L`hétérogénéité des teneurs en plomb dans les monnaies de bronze
AURÉLIE DERAISME, JEAN-NÖEL BARRANDON et FABIEN PILON L’hétérogénéité des teneurs en plomb dans les monnaies de bronze antiques Résumé L’étude de nombreux monnayages en bronze au plomb a montré que les teneurs en plomb pouvaient varier dans des proportions non négligeables pour des monnaies appartenant à un même ensemble (même type, même série). Ces variations peuvent avoir plusieurs origines : • • Evolution volontaire ou non de l’alliage Ségrégation du plomb lors de la coulée l’influence sur la composition des flans, ainsi de savoir s’il est possible de différencier les émissions en se basant sur les teneurs en plomb. En effet, la question est de déterminer si les teneurs obtenues sont dues à une évolution volontaire ou non de l’alliage, s’il y a ségrégation selon une loi gravitationnelle lors de la coulée ou bien si la variation dans les compositions est aléatoire et donc ne serait pas un témoin valable pour caractériser des émissions. 1. Les différentes découvertes de moule de coulée en calcaire Le moule de coulée de flans monétaires en pierre découvert sur le site gallo-romain de Châteaubleau (France), nous a conduit à étudier le problème de la ségrégation du plomb lors de la coulée des flans. A partir d’un fac similé, nous avons réalisé des coulées de chapelets à partir d’un alliage contenant 35 % de plomb. Sont présentés, ici, les premiers résultats de cette reconstitution de fabrication de flans monétaires antiques. Le bronze au plomb est un alliage couramment utilisé dans l’Antiquité. Des analyses, par activation aux neutrons rapides de cyclotron (ANRC), de monnaies de bronze provenant de Marseille (Barrandon et Picard, à paraître; Brenot et Barrandon, 1988) et du site gallo-romain de Châteaubleau (Seine-et-Marne), ont montré des teneurs en plomb atteignant 40 %. Dans le cas du monnayage de Marseille, pour des monnaies de même type et de même différent, les variations vont de 21% à 42%. La découverte d’un moule de coulée en pierre calcaire dans l’une des trois officines mises au jour à Châteaubleau, nous a permis de mettre en œuvre un processus de recréation de flans monétaires de doubles sesterces. Ces expériences ont pour but premier de voir s’il y a une ségrégation du plomb lors de la coulée et si oui d’en étudier Dans le bulletin de la société française de numismatique de décembre 1972, K. Nicolaou (Nicolaou, 1972, 310) nous fait part de la découverte d’un moule en calcaire de l’époque ptolémaïque à Paphos. Seuls des fragments ont été découverts, mais il semblerait que ces moules étaient de petites dimensions: 14 x 11 x 3,5 cm, et se composaient de deux parties. Il est constitué de chapelets, lesquels sont composés de cavités reliées entre elles par des canaux. Les alvéoles ont un diamètre variant de 1,5 cm à 3,5 cm et leur profondeur peut aller jusqu’à 2,5 mm. Une autre découverte de moules de ce type a été faite à Khirbet Rafi, en Israël. Ces moules ont été utilisés an Ier s. av. J.-C. et Ier s. ap. J.-C. Contrairement à celui découvert à Paphos, ceux –ci se composent de trois parties, ce qui avait comme avantage de doubler la production (Kloner, 1993, 59). Le site gallo-romain de Châteaubleau fait l’objet de fouilles depuis de nombreuses années. Les campagnes successives ont mises au jour quatre officines monétaires. Dans l’une d’elle, ont été découverts deux moules de coulée de flans monétaires servant à la frappe de double sesterces. Cette officine semble avoir fonctionné dans la période 260 ca- décennie 219 AURÉLIE DERAISME, JEAN-NÖEL BARRANDON et FABIEN PILON 280 (Pilon, 1993, 59). Des flans frappés à l’effigie de l’empereur gaulois Postume ont été trouvés à proximité. Le moule est en calcaire poreux, il mesure 33 x 28 cm et une goulotte permet d’alimenter des chapelets de cinq ou six flans (Pilon, à paraître) (fig.1). Ces flans ont un diamètre de 3 cm et une épaisseur de 6 mm. Le moule était recouvert d’une plaque calcaire sur laquelle le négatif de flans est encore visible. Nous pouvons constater que toutes les découvertes ont mises au jour le même type de moules. 2. Technique de recréation des flans monétaires de doubles sesterces Suite aux conseils d’Annie Blanc du LRMH, nous avons choisi une pierre provenant de la carrière de St Maximin dans l’Oise, pour recréer un moules aux propriétés similaires au moule archéologique (fig.2). Le moule recréé est composé de six chapelets liés entre eux par un canal de coulée. Chaque chapelet se compose de six alvéoles liées par des canaux. La présence d’une gouttelette de bronze sur le moule, nous a permis de déterminer l’angle d’inclinaison du moule lors de la coulée: 60°. Le moule est placé dans une étuve à 200°C afin d’éviter les chocs thermiques lors de la coulée du métal. Nous utilisons un four électrique permettant d’atteindre une température de 1200°C. Des morceaux de cuivre recouverts de charbon de bois afin de limiter au maximum l’oxydation de surface, sont placés dans un creuset. Lorsque le cuivre commence à ramollir, le plomb est ajouté, de cette manière le point de fusion de l’alliage est abaissé et la fonte se fait plus rapidement. L’étain est ajouté au dernier moment, afin d’éviter qu’il ne se volatilise. Durant toute l’expérience, l’alliage est remué à l’aide d’une branche d’arbre. Le moule est sorti du four et l’alliage est immédiatement coulé. Afin de remplir le moule il faut environ 3 kg de métal lorsque la teneur en plomb est maximale. Ainsi le poids total à manipulé est de 6 kg, ce qui pose problème pour la manipulation. L’alliage est coulé en plusieurs passages dans le moule. 3. Analyses par activation par des neutrons rapides de cyclotron (ANRC) Les flans sont ensuite analysés grâce à l’ANRC. L’analyse par activation est une méthode globale et non destructive. Depuis les années 1980, au Centre Ernest Babelon (Beauchesne, 1986), l’étude des monnaies en alliage cuivreux se fait au moyen de neutrons rapides de cyclotron. Les neutrons sont créés par l’accélérateur de particules du Centre d’Etudes et de Recherches par Irradiation (C.E.R.I.) du CNRS d’Orléans. Un faisceau de deutons interagit avec une cible de béryllium ce qui créé des neutrons rapides. Ces neutrons rapides réagissent avec les éléments constituant l’échantillon et forment ainsi des radio-isotopes. Ceux-ci émettent des rayonnements gamma détectés grâce à un spectromètre gamma. De là un programme de calcul nous permet de déterminer la composition des échantillons analysés (Deraisme et Barrandon, 2003). 4. Résultats et discussions Dans un premier temps, un alliage de 34 % de plomb, 2 % d’étain et 64 % de cuivre (tab.1) a été coulé selon le procédé indiqué ci dessus. Chaque flan a été coupé en deux et chaque moitié de flan a été analysée par ANRC. En moyennant sur les teneurs en plomb obtenues dans chaque flans, la valeur moyenne en plomb dans le moule est de 32,7 ± 2 %, ainsi il n’y a pas eu de perte lors de la coulée de l’alliage. Les teneurs en plomb s’étalent entre 29 % et 36 %. D’autre part, dans un même chapelet, les teneurs sont variables. Par exemple, dans le chapelet n° 3 (tab .1), les teneurs varient entre 29,8 % et 34 % sans que cette évolution obéisse à une loi gravitationnelle. Les teneurs oscillent autour de la valeur mise dans l’alliage initial (fig.1). En ce qui concerne l’étain, la valeur moyenne de l’étain est de 2,1 ± 0,1 % (tab.1), ainsi ces teneurs fluctuent peu (fig.2). Dans un second temps, nous avons voulu savoir si cette répartition aléatoire n’était pas due au mode de coulée. Ainsi, nous avons coulé un alliage ayant des proportions similaires: 35,03 % de plomb, 1,99 % d’étain et 62,98 % de cuivre en remplissant les chapelets dans l’ordre. Cette expérience présente quelques risques, en effet, le manipulateur est obligé d’être très prés du creuset et lors de la coulée il y a de nombreuses projections de métal en fusion. Cette technique semble peu vraisemblable pour l’époque et rendrait inutile la présence d’un canal de coulée. 220 L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TENEURS EN PLOMB DANS LES MONNAIES DE BRONZE ANTIQUES L’étude de chaque flan, montre que le plomb a une valeur moyenne de 34,5 ± 3,5 % sur la totalité du moule (tab.2). La composition en plomb des flans s’échelonne entre 29 % et 46 %. Dans un même chapelet nous faisons la même constatation que précédemment (fig.3). En revanche, dans le cas de l’étain, nous constatons une décroissance constante de la quantité d’étain dans les chapelets, cela s’explique par un mauvais mélange de l’étain dans le bain de fusion. En effet, les analyses par ANRC ont montré que le résidu d’alliage se trouvant dans le creuset à la fin de la coulée est composé de 1,7 % d’étain, 34 % de plomb et 63 % de cuivre. D’autre part les 10 premiers flans coulés ont une teneur moyenne de 3,8 % d’étain et ils représentent un quart de la masse du métal analysé, sachant que le reste de métal représente également un quart de la masse de métal analysé, on peut dire qu’ils se compensent. Lors de la coulée la présence de zinc est détectée. Cet élément serait introduit par le charbon de bois utilisé. En effet, des analyses sur des cendres ayant servies à la fabrication de verre ont mis que ces cendres contenaient du zinc. Les expériences ont montré qu’il n’y a pas de loi mettant en relation la position des flans et la concentration en plomb. Nous pouvons donc conclure que les fluctuations des teneurs en plomb observées dans des monnaies de même type et de même différent sont dues aux aléas de la coulée. D’autre part, les variations observées lors de notre étude sont du même ordre de grandeur que celles constatées sur certaines monnaies provenant de Marseille (Barrandon, à paraître) et de Thasos (Beauchesne, 1986). Les teneurs en plomb dans les monnaies de Thasos sont de l’ordre de 5,5 %, avec des monnaies contenant entre 1,5 % et 7,8 %. Ainsi ces différences peuvent être dues à la fabrication de l’alliage ou aux hasards de la coulée. Et enfin, il est à noter que quelque soit la technique de coulée observée : chapelets par chapelets ou des allers retours sur l’ensemble du moule, les variations dans les teneurs en plomb sont similaires. Ainsi la technique n’a pas d’influence sur la répartition des nodules de plomb dans les flans. Cependant, la difficulté de couler chapelet par chapelet nous permet d’éliminer cette méthode. 5. Bibliographie Brenot C. et Barrandon, J.-N., Les émissions de bronze à Marseille: apports des analyses I: les bronzes lourds, Revue Numismatique, tome XXX, 1988, pp. 91113. Barrandon J.-N. et Picard O., Les bronzes de Marseille, à paraître. Beauchesne F., Analyse non destructive du cuivre et de ses alliages par activation à l’aide de neutrons rapides de cyclotronApplications à la numismatique, Thèse de doctorat, Orléans, 1986, 244p. Deraisme A. et Barrandon J.-N., Analyse par activation neutronique avec des neutrons rapides de cyclotron, de monnaies en bronze à forte teneur en plomb: résolution du problème lié à l’auto absorption, Revue d’archéométrie, 27, 2003, pp. 165-170. Kloner A., Flan mould from Kh. Rafi, Atiqot, 11, 1976, pp. 112-113, pl. XXXII. Nicolaou K., Découvertes d’un Hôtel des monnaies de l’époque ptolémaïque à Paphos (Chypre), BSFN, 27, 10, 1972, pp.310-315. Pilon F., Un dépôt monétaire du IIIe siècle au sanctuaire de sources de Châteaubleau (Seine et Marne): nouvelles analyses physico-chimiques de bronzes de Postume, Trésors monétaires, XIII, 1993, pp. 59-72, pl. XVIII-XIX. Pilon F., Un fait unique en Gaule romaine: la découverte de moules à flans monétaires en pierre calcaire, La revue numismatique suisse, à paraître. 221 AURÉLIE DERAISME, JEAN-NÖEL BARRANDON et FABIEN PILON 1a 1b 2a 2b 2c 2d 2e 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4d 4e 4f 5a 5b 6a 6b 6c 6d 6e Moyenne Ecart type Sn 2,22% 2,09% 2,25% 2,02% 2,10% 2,24% 2,17% 1,95% 2,06% 1,99% 2,00% 2,06% 2,29% 1,80% 1,95% 2,04% 2,47% 2,11% 2,21% 1,93% 1,98% 2,04% 2,15% 1,99% 2,08% 2,04% 2,10% 0,10% Zn 0,27% 0,26% 0,24% 0,68% 0,69% 0,71% 0,67% 0,68% 0,80% 0,81% 0,82% 0,71% 0,66% 0,80% 0,68% 0,89% 0,68% 0,29% 0,60% 0,20% Sb 0,30% 0,30% 0,35% 0,33% 0,34% 0,33% 0,31% 0,29% 0,26% 0,04% 0,04% 0,04% 0,32% 0,04% 0,04% 0,04% 0,04% 0,33% 0,32% 0,34% 0,34% 0,33% 0,38% 0,37% 0,29% 0,32% 0,20% 0,10% Pb 36,43% 35,02% 33,63% 32,27% 33,03% 33,59% 35,02% 33,17% 33,62% 29,80% 29,87% 29,84% 34,03% 30,89% 29,79% 30,82% 35,55% 33,93% 35,40% 29,85% 31,97% 31,78% 30,82% 32,61% 33,15% 34,99% 32,70% 2% Cu 60,78% 62,32% 63,53% 64,69% 64,53% 63,14% 61,78% 63,93% 63,39% 67,37% 67,27% 67,24% 62,65% 66,61% 67,42% 66,43% 65,72% 62,95% 62,07% 67,87% 65,67% 65,85% 66,65% 65,02% 64,48% 62,36% 64,70% 2,10% Tableau 1: Récapitulatif des résultats obtenus par ANRC sur les flans fabriqués avec un alliage a 34 % de plomb, 2 % d’étain et 64 % de cuivre. 222 L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TENEURS EN PLOMB DANS LES MONNAIES DE BRONZE ANTIQUES Variations des teneurs en plomb 37% 35% 33% 31% 29% 27% 25% 1a 1b 2a 2b 2c 2d 2e 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4d 4e 4f 5a 5b 6a 6b 6c 6d 6e Echantillons Figure 1: Graphique mettant en évidence la variation du plomb dans les six chapelets. Variations des teneurs en étain 2,7% 2,5% 2,3% 2,1% 1,9% 1,7% 1,5% 1a 1b 2a 2b 2c 2d 2e 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4d 4e 4f 5a 5b 6a 6b 6c 6d 6e Echantillons Figure 2: Graphique mettant en évidence la variation d’étain dans les six chapelets. 223 AURÉLIE DERAISME, JEAN-NÖEL BARRANDON et FABIEN PILON Ni 1a 1b 1c 1d 2a 2b 2c 2d 2e 2f 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4e 4d 4f 5a 5d 5f 6a 6b 6c Moyenne Ecart type 0,002% 0,002% 0,002% Sn 3,80% 3,40% 3,60% 3,70% 4,10% 3,70% 4,50% 4,00% 3,70% 3,90% 2,60% 2,90% 2,80% 2,90% 3,00% 3,10% 2,00% 2,30% 2,30% 2,20% 1,90% 2,50% 2,30% 2,30% 2,10% 2,10% 2,40% 2,20% 2,90% 0,80% Zn 0,071% 0,088% 0,070% 0,069% 0,20% 0,000% 0,10% 0,30% 0,087% 0,068% 0,10% 0,099% 0,059% 0,22% 0,22% 0,095% 0,080% 0,18% 0,21% 0,10% 0,10% Sb 0,074% 0,099% 0,10% 0,098% 0,090% 0,092% 0,094% 0,092% 0,090% 0,091% 0,088% 0,090% 0,11% 0,10% 0,11% 0,090% 0,10% 0,11% 0,11% 0,12% 0,12% 0,11% 0,11% 0,10% 0,094% 0,11% 0,20% 0,12% 0,10% 0,00% Pb 30% 29% 29% 31% 34% 33% 36% 34% 35% 36% 35% 37% 32% 32% 35% 38% 32% 33% 36% 32% 33% 37% 39% 38% 36% 36% 46% 34% 34,50% 3,50% Cu 66% 68% 67% 66% 61% 63% 59% 62% 61% 60% 62% 60% 65% 65% 62% 59% 66% 65% 62% 65% 65% 61% 58% 59% 62% 62% 51% 64% 62,40% 3,50% Tableau 2: Récapitulatif des résultats obtenus par ANRC sur les flans fabriqués avec un alliage a 35 % de plomb, 1,992 % d’étain et 62,98 % de cuivre. 224 L’HÉTÉROGÉNÉITÉ DES TENEURS EN PLOMB DANS LES MONNAIES DE BRONZE ANTIQUES Variations du plomb 2,7% 2,5% 2,3% 2,1% 1,9% 1,7% 1,5% 1a 1b 2a 2b 2c 2d 2e 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4d 4e 4f 5a 5b 6a 6b 6c 6d 6e Echantillons Figure 3: Graphique mettant en évidence la variation du plomb dans les six chapelets Variation de l’étain 5,0% 4,0% 3,0% 2,0% 1,0% 0,0% 1a 1b 2a 2b 2c 2d 2e 3a 3b 3c 3d 3e 3f 4a 4b 4c 4d 4e 4f 5a 5b 6a 6b 6c 6d 6e Echantillons Figure 4: Graphique mettant en évidence la variation de l’étain dans les six chapelets 225 AURÉLIE DERAISME, JEAN-NÖEL BARRANDON et FABIEN PILON Figure 5: Moule archéologique, découvert à Châteaubleau (Seine-et-Marne), servant à la coulée de flan de doubles sesterces. Figure 6: Recréation du moule présenté figure 5. Figure 7: Chapelets coulés dans le moule présenté figure 6. 226