Les complications somatiques de la toxicomanie

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Les complications somatiques de la toxicomanie
Les complications somatiques de la toxicomanie
par Philippe CHOSSEGROS*
Les complications somatiques de la toxicomanie sont longtemps restées marginales. Le circuit de soin
installé par la loi de 1970 les ignorait totalement, laissant leur prise en charge au système de soin
général. La prise de conscience des épidémies virales a entraîné un changement radical dans les
mentalités. Cependant, en dehors des hépatites et du Sida, les complications propres à la toxicomanie
restent mal connues. Elles ne font pas l’objet d’un enseignement spécifique et les médecins sont
rarement confrontés à l’ensemble de leurs manifestations.
On peut opposer les complications épidémiques telles qu’hépatites et Sida qui posent un problème
évident de santé publique aux autres complications somatiques dont les implications restent
individuelles.
La constatation que les usagers de drogue étaient devenus un réservoir capable de transmettre des virus
à l’ensemble de la population n’a que très lentement débouché sur une réflexion concernant les
moyens nécessaires pour faire évoluer cette situation. Après la mise en vente libre des seringues
décidée en 1987, il a fallu attendre 1993 pour la création des réseaux ville-hôpital toxicomanie en 1993
et 1995 pour une large diffusion des traitements de substitution. On peut remarquer que ces mesures
visent à contenir les épidémies et à protéger la population générale. Les campagnes informant les
usagers de drogues des dangers encourus du fait de l’utilisation des différents produits sont restées
pratiquement inexistantes. Le refus de stigmatiser des groupes à risques, l’absence de groupes de
pression représentatifs des usagers de drogue ont joué un rôle dans ce retard. (1) (2).
Cette synthèse bibliographique essaie de fournir quelques pistes récentes permettant de comprendre les
problématiques actuelles dans deux domaines qui font l’objet d’innombrables publications. Une
impossible exhaustivité n’a donc pas été recherchée pour les hépatites. Pour le Sida, qui a fait l’objet
d’un précédent numéro (3), seuls sont traitées des données récentes qui modifient la conception globale
de la maladie et de ses traitements. Pour les notions plus classiques, les lecteurs sont renvoyés à un
ouvrage général (4). Les données de la littérature étant beaucoup moins abondantes pour les autres
complications somatiques, elles ont été traitées en cherchant à donner une vision d’ensemble utilisable
par un large public.
LES EPIDEMIES VIRALES
I - Déroulement des épidémies
L’interprétation de l’évolution des infections par les virus des hépatites et du Sida dépend, d’une part,
de la compréhension de l’évolution des maladies et, d’autre part, de la nature et de l’évolution des
comportements des usagers de drogue.
I-1MODELE DE L’EPIDEMIE
A sa phase initiale, la progression d’une épidémie virale dépend d’une part, du mode de transmission,
de la contagiosité des virus et de la durée d’évolution de l’infection, d’autre part, des comportements
des sujets infectés. Par la suite, le niveau de l’endémie et les modifications éventuelles des
comportements joueront un rôle prépondérant. Ainsi, pour une faible endémie et une contagiosité
modérée, toute réduction des risques aboutira à un contrôle de l’épidémie. Par contre, en cas de forte
endémie et de contagiosité importante, il faudra une disparition presque totale des pratiques à risque
pour contrôler l’évolution.
La « survie » des virus dans le milieu extérieur passe de quelques heures à quelques jours pour le VIH à
plusieurs mois pour le VHB. La résistance du VHC est encore inconnue. En cas de contage
professionnel, correspondant habituellement à des piqûres accidentelles par des seringues souillées, le
risque de séroconversion va de 0,3 % pour le VIH, à 3 % pour le VHC et à 30 % pour le VHB. Enfin, le
passage à la chronicité qui est vraisemblablement très proche de 100% pour le VIH, serait de 80 % pour
le VHC si on tient compte de la virémie et de 5 % pour des adultes infectés par le VHB. Une
contamination par partage de seringue a donc plus de chance d’aboutir à une infection chronique s’il
s’agit du VHC que s’il s’agit des VHB et VIH.
*
Médecin des Hôpitaux, Hôpital de l’Hôtel-Dieu, 1 place de l’Hôpital 69002 Lyon
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I-2 EVOLUTION DES COMPORTEMENTS
Les études concernant les comportements des toxicomanes et leurs relations avec l’incidence des
infections virales sont souvent fragmentaires. Les informations disponibles qu’elles soient originaires
de France ou d’un autre pays d’Europe, d’Amérique ou d’Asie sont convergentes. Elles indiquent, dans
la quasi-totalité des cas, une diminution des comportements à risque depuis la prise de conscience de la
sévérité de l’épidémie du Sida (5) (6) (7) (8) (9) 10). Cette diminution ne correspond cependant jamais à
une disparition complète des prises de risque (11). Certains groupes ou certains profils sont plus
particulièrement associés à la poursuite de ces comportements. Leur caractérisation est essentielle pour
permettre de développer des programmes de prévention et de prise en charge adaptés. Cette évolution
générale, indépendante des programmes de réduction des risques, amène à s’interroger sur l’efficacité
réelle de ces programmes en l’absence de comparaison avec des populations témoins.
I-3 EVOLUTION DE L’EPIDEMIE
Ces considérations expliquent les différences observées le plus souvent entre les prévalences des
différents virus dans les groupes d’usagers étudiés. Les taux de séropositivité pour le VIH sont
habituellement très inférieurs à ceux des hépatites B et C. En France, les chiffres de l’épidémie de Sida
concernant les toxicomanes révèlent une stabilisation du nombre annuel relatif des nouveaux cas de
Sida chez les usagers de drogue autour de 26 % depuis 1989. En 1994, le nombre de cas cumulés
atteignait 8522 sur 34287 malades (12). Les chiffres concernant les hépatites restent beaucoup plus
vagues. Une étude conduite dans un centre de soin du Nord trouvait une prévalence globale de 75 %
pour les anticorps VHC et de 33 % pour les marqueurs sérologiques du VHB. Après deux ans de
toxicomanie intraveineuse, la prévalence atteignait 90 % pour le VHC. Par comparaison la prévalence
du VIH était de 1 %. Une enquête conduite dans le même centre entre 1984 et 1988 avait trouvé une
prévalence identique pour le VHB, celle du VIH était, par contre de 10,7 % (13). En Moselle, on
observait une diminution de la prévalence des infections par le VIH chez les toxicomanes consultant
l’intersecteur des pharmacodépendances de 1990 à 1992 (15 à 8,2 %) alors que celles dues au VHC
augmentaient de 53,2 à 71,2 % de 1990 à 1991 (14). Dans une série personnelle portant sur 600
toxicomanes différents incarcérés dans les prisons de Lyon de 1988 à 1994, les prévalences respectives
des VHC, VHB et VIH étaient de 71, 56 et 17 %. Un changement majeur des comportements (échanges
de seringues et promiscuité sexuelle) depuis le début des années 1980 a abouti à une diminution de ces
prévalences qui étaient de 46, 31 et 0 % pour les usagers de moins de 3 ans en 1994. La diminution était
évidente pour le VIH et plus discutable pour les hépatites. Une même tendance vers la diminution est
rapportée par le GECSA d’Aquitaine qui voit l’incidence des cas d’infection par le VIH chez les
toxicomanes diminuer régulièrement de 73 % de 1985 à 1991 (15). Dans la région parisienne les
données sont moins précises. La diminution des infections par le VIH n’est pas évidente dans les
centres de soin qui rapportent une prévalence de près de 30 %. (16). Par contre, une étude de la mission
Sida conduite auprès des séropositifs nouvellement suivis dans des services parisiens faisait état d’une
diminution de l’incidence des prises en charge dans le seul groupe des toxicomanes.
Cette diminution du nombre des nouvelles infections par le VIH dans des régions à endémie moyenne
ou faible s’oppose à la persistance des cas d’hépatites. Cette observation suggère la présence d’une
forte endémie pour les virus B et C dans la population toxicomane. Cette situation est la conséquence
de plus de 10 ans de progression de ces infections en l’absence de toute réduction de risque dans la
population concernée. L’ancienneté de la présence de ces virus dans la population des usagers de
drogue dans toute l’Europe, est suggérée par la présence, dès 1974 en Ecosse, de marqueurs du VHD,
un virus qui n’a rien de britannique (17). Pour le VIH, au contraire, les changements de comportements
qui ont suivi la prise de conscience de l’épidémie de sida ont limité la diffusion du virus après une
durée d’évolution de l’épidémie de moins de 5 ans.
Dans la région où s’était déroulée notre étude, la toxicomanie apparaissait comme un facteur
indépendant de contamination pour le VIH, non pour le VHC. A comportement égal, le risque de
contamination était corrélé à l’incidence géographique des cas de Sida. Les situations locales ont donc
un rôle fondamental dans l’évolution des contaminations. A San Francisco, par exemple, la diminution
des comportements à risque s’est seulement traduite par une stabilisation de l’épidémie (18). La
dissociation observée dans les études françaises a été retrouvée à Amsterdam dans une cohorte étudiée
de 1985 à 1989 entre les prévalences relatives du VIH (32 %) et du VHC (74 %) (19). Il en était de
même dans le Suffolk et à Jérusalem (20)(21). On peut remarquer que la mise en place d’une politique
agressive de réduction des risques a plus rapidement réduit l’évolution de l’épidémie VIH dans les pays
où elle a été développée mais qu’elle a eu peu d’influence sur l’évolution des hépatites. Cette
constatation souligne la difficulté de contrôler une épidémie quand l’endémie est très élevée. Tout
programme de prévention devrait s’appuyer sur une évaluation précise de la situation locale pour
proposer les mesures les plus efficaces au meilleur coût.
La place de la sexualité dans les risques encourus par les toxicomanes est encore plus difficile à évaluer
que celle des seringues. Il semble que les présupposés concernant le partage du matériel qui
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commencent à être abandonnés devant l’évidence des changements de comportements, persiste dans ce
domaine. Pourtant « l’idéal » de rapports sexuels sans risque paraît utopique et n’est sans doute pas
souhaitable car il impliquerait un conditionnement social difficilement acceptable. L’absence de
groupes témoins, issus des mêmes milieux, n’utilisant pas de drogue fait cruellement défaut aux
publications qui nous sont proposées. L’étude de l’évolution des comportements, quand elle est faite,
souligne l’existence fréquente d’une augmentation de l’utilisation des préservatifs (22) (23) (24) (25)
(26). Dans notre expérience, la prévalence de marqueurs sérologiques de la syphilis, 1000 fois plus
élevée que celle de la population générale au début des années 1980, est devenu pratiquement nulle et
l’usage des préservatifs s’est banalisé. Le nombre de partenaires a aussi diminué (27). La croyance de
courir un risque plus important de contamination par les échanges de seringues que par les rapports
sexuels, habituellement rencontrée au cours des enquêtes, correspond pour l’instant à la réalité. On ne
peut nier que la plus forte endémie rencontrée au sein de cette population rend bien entendu les
rapports non protégés plus dangereux que ceux de la population générale. Ceci explique le lourd tribut
payé par les partenaires sexuels des usagers de drogue (12).
II - Les infections virales
Les virus B, C, D et le VIH sont, tous les quatre, responsables d’infections chroniques. Bien qu’ils
appartiennent à des groupes différents, ils se caractérisent par des réplications actives et un contrôle
limité de la qualité des copies produites. Il en résulte une évolution typiquement Darwinienne
responsable d’une adaptation constante au milieu environnant. La primo-infection s’accompagne d’une
très forte réplication que la réponse immunitaire de l’hôte va réduire et même, en cas d’évolution vers
la guérison, annuler. Parmi les millions ou milliards de copies produites tous les jours, des mutants vont
apparaître différents par quelques codons (28) (29) des souches d’origine ou souches sauvages. Ces
changements créent à l’intérieur de grandes familles caractérisées par leur génotype, des variétés
infinies, les quasi-espèces. Certaines mutations ne seront pas viables, d’autres permettront au mutant
d’échapper à la surveillance immunitaire ou de résister à l’action d’un antiviral. Ces mutants résistants
émergeront au cours de l’infection, remplaçant progressivement les souches sauvages en fonction de la
pression de sélection. Des particules défectives pourront aussi être produites paralysant les défenses
immunitaires en saturant leurs sites antigéniques. Ces évolutions ont une importance clinique
fondamentale. En effet, elles conditionnent la compréhension de l’évolution des infections, les
capacités diagnostiques, la conduite des traitements, enfin, le développement de vaccins efficaces (30).
La contamination par des souches résistantes est un phénomène nouveau qui risque de modifier
l’évolution de ces maladies (31). Sur un plan diagnostic, la biologie moléculaire détrônent
progressivement les sérologies en pratique clinique. Elle va rapidement devenir le principal outil
diagnostic. La recherche et la quantification des génomes viraux présents dans le sang périphérique et
les tissus sont devenus incontournables pour suivre les traitements antiviraux. L’amélioration continue
de ces tests ne va pas sans poser quelques problèmes. La détection de virus dans le sang ou certains
tissus de sujets asymptomatiques ou de malades guéris amène à s’interroger sur les limites du
pathologique et sur l’intérêt des traitements chez ces « malades ».
Les traitements dont nous disposons sont actuellement de deux types :
Les antiviraux purs. Ils ne détruisent pas les virus mais entrent en compétition avec certains
mécanismes de la réplication virale. Ils sont donc incapables d’entraîner une véritable guérison. Au
mieux, ils induisent une réduction de la réplication suffisante pour permettre aux défenses immunitaires
de l’hôte d’éliminer le virus en cause. Malheureusement cette action peut être insuffisante et transitoire
en raison de l’émergence de mutants résistants.
Les immunomodulateurs. Ils agissent en stimulant les défenses naturelles de l’hôte. L’interféron reste la
seule molécule largement utilisée. Il est capable d’entraîner des guérisons complètes de certaines
hépatites. Dans des modèles de souris syngéniques chez lesquelles le virus B a été intégré dans le
génome embryonnaire, la découverte que la clairance virale ne passe pas obligatoirement par la
destruction des cellules infectées ouvre des horizons nouveaux avec la possibilité d’utiliser une
combinaison de lymphokines (32).
Dans un avenir proche, les traitements vont s’orienter vers des associations d’immunomodulateurs et
d’antiviraux agissant à différents niveaux de la réplication virale, dont la synergie pourrait prévenir
l’émergence de mutants résistants viables. L’utilisation de ces combinaisons posera certainement des
problèmes de toxicité. Les progrès réalisés en 15 ans permettent d’envisager prochainement des
modifications radicales de l’évolution de ces infections.
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II-1 LES HEPATITES
II-1-1 INTRODUCTION
Le nombre des virus impliqués dans la survenue d’hépatites augmente régulièrement. La lettre G vient
d’être atteinte sans épuiser le sujet. Ces différents virus ne concernent pas au même titre les usagers de
drogue. On considère habituellement que les virus responsables d’épidémie par voie orale tels que le
VHA, le VHE et, vraisemblablement le VHF ont peu d’intérêt dans cette population. Cette situation
pourrait évoluer. L’amélioration des conditions d’hygiène amène un plus grand nombre de sujets non
immunisés contre le VHA à l’âge adulte. La banalisation des voyages internationaux pourrait faire
apparaître des cas d’hépatites aiguës A ou même E au retour de voyages en pays d’endémie. Ces cas de
figure sont sans doute actuellement exceptionnels. Rappelons que ces hépatites ne passent pas à la
chronicité mais peuvent être responsables de formes fulminantes dont la fréquence augmente avec l’âge
pour le VHA et avec la grossesse pour le VHE.
Ce sont actuellement les virus HB et HC qui posent un problème chez les usagers de drogue.
Manifestations cliniques : Les trois hépatites ont en commun leurs manifestations cliniques. Les
infections aiguës sont très souvent asymptomatiques. La fréquence des symptômes évocateurs d’une
hépatite aiguë diminue des co-infections B et D aux infections par le VHC. Chez les toxicomanes elle
est encore plus faible en raison de l’utilisation concomitante de drogue. En dehors des formes
franchement ictériques, les céphalées, myalgies, accès fébriles,. sont, soit masqués par les produits, soit
rapportés à leur arrêt. Les infections chroniques sont le plus souvent asymptomatiques. Il est difficile
avant un traitement d’épreuve de se prononcer sur la relation éventuelle entre asthénie et hépatite.
L’apparition des manifestations cliniques correspond, le plus souvent, à la progression de la maladie
vers la cirrhose. Les manifestations extrahépatiques restent exceptionnelles. Elles sont dues aux dépôts
de complexes antigènes-anticorps dans la paroi des vaisseaux. Certaines manifestations sont plus
fréquentes au cours des hépatites B comme les périartérites noueuses (33), d’autres sont plus fréquentes
au cours des infections par le VHC comme les glomérulonéphrites menbranoprolifératives (34) (35) ou
les cryoglobulines. D’autres, enfin, ne sont présentes qu’en cas d’infection par le VHC (lichen plan,
syndrome de Sjögren (36)).
Evolution de la maladie hépatique : Au niveau hépatique, il existe un gradient allant du foie normal à
une hépatite chronique active. Celle-ci correspond à des inflammations et à des nécroses cellulaires qui
élargissent progressivement les espaces portes, créent des septa interportaux ou porto-hépatiques et
aboutissent, avec l’apparition de nodules de régénération à l’apparition d’une cirrhose. Les
classification habituelle de ces différents stades font actuellement l’objet de nombreuses révisions (37).
La progression de la fibrose crée une hypertension dans le système porte qui développe des collatérales
notamment oesophagiennes. La rupture de ces varices peut être responsable du décès des malades.
L’hypertension portale augmente aussi le débit lymphatique hépatique qui va déborder dans le péritoine
en formant de l’ascite. La réduction des hépatocytes fonctionnels soit par leur destruction soit par leur
exclusion dans un tissu fibreux non fonctionnel est responsable de l’insuffisance hépatique qui peut se
traduire par un ictère. L’encéphalopathie hépatique apparaît quand elle s’associe au développement des
collatérales extrahépatiques. La progression vers le cancer primitif du foie est fréquente une fois atteint
le stade de cirrhose. Pour l’instant l’interféron alpha est la pierre angulaire du traitement de ces
hépatites
II-1-2 VHB
Le VHB fait parti du groupe des virus hépadna qu’il partage avec certains virus animaux. Ces virus à
ADN infectent préférentiellement le foie mais d’autres tissus comme les lymphomonocytes peuvent être
aussi touchés. Il a la particularité d’une réplication très élevée qui permet l’utilisation de la détection de
l’antigène porté par l’enveloppe ou AgHBs pour porter le diagnostic d’infection par le VHB. Il existe
cinq génotypes du VHB. Le génotype « a » correspondrait à une conformation du génome qui
préviendrait les mutations portant sur la région préc du génome. Cette particularité pourrait expliquer
des différences de réponses aux traitements antiviraux.
Physiopathologie et tests diagnostics
Le virus n’est pas directement cytopathogène. Il ne détruit pas les cellules qu’il infecte. C’est sa
reconnaissance par le système immunitaire de l’hôte et la réaction qu’il induit qui sont responsables des
lésions. Au moment de la primo-infection, il existe une vigoureuse réponse cellulaire et humorale
dirigée contre les différents antigènes du VHB. Si cette réaction est insuffisante, une tolérance apparaît
qui permet la persistance de l’infection. Cette tolérance est complète pour l’antigène de surface
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(AgHBs), elle est partielle pour l’antigène de la nucléocapside (AgHBc) et un antigène non particulaire
qui lui est associé, l’AgHBe (38) (39) (40).
Au cours des infections chroniques, une adaptation entre l’hôte et le virus se développe. La pression
immunitaire peut aboutir à une extinction progressive de la réplication et à une élimination du virus.
Dans d’autres cas, elle favorisera l’émergence de mutants capables de lui échapper ou, même, de
supprimer la réponse immunitaire normale contre les souches sauvages (41). La mutation la plus
fréquente est rencontrée sur la partie du génome qui code pour les protéines de la nucléocapside (42).
L’importance clinique d’autres mutations apparaît progressivement grâce à l’étude plus systématique
de l’ensemble des génomes.
Les marqueurs sériques recherchés sont les AgHBs et HBe et les anticorps antiHBs, HBe et HBc. En
dehors de la phase d’incubation des hépatites aiguës, les antiHBc sont toujours présents. Leur
recherche permet de dépister économiquement un contact préalable avec le VHB. La réplication se
mesure dans le sérum en quantifiant l’ADN circulant. La quantification des antiHBc de type IgM
pourrait différencier les infections aiguës aux titres les plus élevés, des infections chroniques actives
aux titres intermédiaires, des infections non évolutives aux titres nuls.
Clinique
Le VHB est présent dans le sang, le sperme, les sécrétions vaginales et la salive. Sa transmission se fait
habituellement par contamination par des produits sanguins ou par des rapports sexuels. En cas de
réplication active, une seule piqûre par une aiguille contaminée est infectante. Une transmission de la
mère à l’enfant est possible dans la période périnatale. Le niveau de réplication joue un rôle
fondamental dans l’efficacité de cette transmission.
La contamination est suivie par une infection qui est le plus souvent silencieuse. La durée d’incubation
est inversement proportionnelle à la dose contaminante. L’évolution vers la chronicité lui est, au
contraire, proportionnelle. Seules 10 % des hépatites B aiguës sont symptomatiques. Le diagnostic
d’une infection récente est porté sur la présence d’antiHBc de type IgM. La guérison est d’autant plus
fréquente que les manifestations cliniques et biologiques sont franches. Une évolution vers une
insuffisance hépatique grave ne s’observe que dans 1 % des cas. Un passage à la chronicité est observé
dans seulement 10 % des cas. Différentes évolutions sont alors possibles.
Le portage sain de l’AgHBs, qui représente 90 % des formes chroniques, correspond à la production
majoritaire de particules virales défectives porteuses de l’AgHBs. Dans le sérum, il existe des antiHBe
et antiHBc. La recherche d’une virémie en dot-blot est négative. Par contre la PCR, méthode beaucoup
plus sensible, est fréquemment positive, traduisant la persistance d’une réplication à minima. La
biologie et l’histologie hépatiques sont normales. Le pronostic est bon avec une séroconversion
Ag/antiHBs possible après des années d’évolution. La contagiosité est faible.
Il peut exister un portage asymptomatique dû à une tolérance immunitaire. Les AgHBs et HBe sont
présents. La réplication virale est très élevée. La biologie et l’histologie hépatiques sont encore
normales. En dehors de rares cas de contamination périnatale, il s’agit d’une phase transitoire précédent
une évolution vers le portage sain ou vers une hépatite chronique.
Les hépatites chroniques correspondent à la persistance d’une réplication active responsable d’une
réponse immunitaire responsable de la destruction des hépatocytes infectés. L’importance des lésions
hépatiques et la clairance virale éventuelle dépendront des niveaux respectifs de la réplication et de la
réponse immune. Dans le profil sérologique classique, les AgHBs et HBe sont présents. La durée de
l’infection et la présence d’une activité histologique sont responsables de l’apparition de mutations
dont la plus fréquente entraîne la disparition de l’AgHBe. Dans tous les cas, l’ADN viral est détectable
dans le sérum. La progression vers la cirrhose dépendra de la progression de la maladie et des capacités
d’élimination du virus. Une fois la cirrhose constituée, la progression vers le cancer primitif du foie est
presque constante (43) (44). Bien que le génome viral puisse être intégré, l’absence d’insertion
régulière suggère que son action oncogène a un autre mécanisme. La protéine X par son action de
transactivation est le candidat actuel le plus vraisemblable (45) (46).
Traitements :
Le traitement des hépatites chroniques B s’appuie sur 2 molécules. La vidarabine, la plus anciennement
utilisée, est soit injectée en intramusculaire soit perfusée en intraveineux. Sa toxicité neuromusculaire
limite son utilisation à des cures de 4 semaines. L’interféron alpha est injecté par voie sous-cutanée par
cures de 6 à 12 mois. En cas d’efficacité, la réplication chute pendant le traitement mais les résultats
définitifs ne sont observés que 6 mois à 1 an après la fin du traitement (47) (48) (49). Ces molécules
multiplient par deux la vitesse d’élimination spontanée du virus. Les bons répondeurs aux traitements
sont des femmes à transaminases élevées et réplication basse (50) qui ont été infectées récemment par
une souche sauvage. Si les mutants répondent au traitement, les réactivations sont la règle et des
traitements plus prolongés devraient être envisagés (51). De nouvelles molécules antivirales actives par
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voie orale seront prochainement disponibles. Elles devraient transformer les modalités de traitement
actuelles (52).
La greffe de foie est une alternative possible pour les formes très évoluées. Le mauvais pronostic des
réinfections du greffon en écarte pour l’instant les malades qui gardent une réplication importante (53).
La vaccination a fait la preuve de son efficacité dans les populations exposées et au cours de
campagnes de vaccination dans les pays d’endémie. Chez les toxicomanes la réponse est diminuée par
rapport à la population du même âge, ce qui a justifie un contrôle et l’utilisation d’injections
complémentaires. L’association d’une vaccination et d’injections de gammaglobulines spécifiques
permet de prévenir efficacement la transmission périnatale du VHB (54) (55).
II-1-3 VHD
Le virus Delta ou VHD est endémique dans certains pays du pourtour méditérranéen, en Afrique noire
et en Amérique centrale (56). Sa transmission semble essentiellement parentérale. En France il reste
cantonné aux usagers de drogue.
La nature du VHD est discutée. Son code génétique archaïque ne lui suffit pas pour se répliquer. Il a
besoin de la présence du VHB qui lui fournit son enveloppe. Les primo-infections ont deux évolutions
possibles. S’il s’agit d’une co-infection avec le VHB, la guérison est la règle en l’absence d’évolution
sous forme d’hépatite grave. La surinfection d’une hépatite chronique B évoluerait toujours vers la
chronicité. Les hépatites D se caractérisent par l’élévation de leurs transaminases qui sont le témoin
d’une nécrose hépatique importante qui prédomine dans les lobules. La progression vers la cirrhose est
accélérée en cas de réplication active du VHB (57). L’interféron alpha est le seul traitement utilisé. Il
ralentit l’évolution et permet quelques guérisons après séroconversion Ag/antiHBs (58). Comme pour
les B mutants, des traitements prolongés pourraient être envisagés. Les récidives absentes ou souvent
bénignes après transplantation, permettent d’envisager la greffe comme traitement de formes terminales
(53). La vaccination contre le VHB protège aussi contre le VHD.
II-1-4 VHC
Le VHC est apparenté aux flavivirus et aux pestivirus. Il s’agit d’un virus à ARN qu’on ne pense plus
directement cytopathogène. Il existe au moins 8 génotypes et 18 sous-types plus directement apparentés
(59). Ces génotypes permettent des études épidémiologiques. Chez les toxicomanes européens le type
3a serait plus fréquent que chez les autres modes de contamination (60). Les titres des virémies C sont
inférieurs de deux ou trois log à ceux du VHB.
Physiopathologie et tests diagnostics
Le VHC se caractérise par la rapidité de ses mutations particulièrement fréquentes dans la région
hypervariable. De telles mutations, observées très rapidement après une primo-infection, ont été
interprétées comme l’émergence de souches minoritaires capable de résister à la réponse immune de
l’hôte (28). Comme pour l’hépatite B, après une phase initiale de réponse active à la majorité des
antigènes du VHC, succède, en cas de passage à la chronicité, une tolérance partielle pour certains
d’entre eux.
Les tests de troisième génération sont devenus très fiables. Les Elisa de troisième génération permettent
le diagnostic de la quasi-totalité des infections par le VHC. Les RIBA, utilisés précédemment pour
confirmer les résultats des Elisa, en détectant la nature des différents anti VHC présents dans un sérum,
ont perdu beaucoup de leur intérêt. La recherche de la virémie en PCR reste le meilleur témoin d’une
infection évolutive.
Clinique
Le VHC est présent dans le sang qui reste la principale source de contamination. Sa présence dans
d’autres liquides biologiques reste controversée. Il a été inconstamment retrouvé dans la salive et un
cas de séroconversion après morsure a été rapporté. Le virus C n’a pas été mis en évidence dans le
sperme, les sécrétions vaginales, les urines ou les selles. Il n’a été trouvé qu’une fois dans le lait
maternel. Les autres modes de transmission restent hypothétiques. La transmission sexuelle, si elle
existe, est rare et pourrait surtout survenir en cas de lésions des muqueuses génitales. Cette hypothèse
s’appuie sur les acquis du VIH et sur les discordances rencontrées entre les études qui portent sur des
couples et celles qui se sont déroulées dans des dispensaires de maladies sexuellement transmissibles.
La contamination périnatale varie avec les études. Elle reste très faible en occident et paraît liée au
niveau de réplication viral. Les transmissions périnatales et sexuelles sont favorisées par une coinfection par le VIH (61) (62) (63).
Après une contamination par le VHC le passage à la chronicité sous forme d’hépatite chronique est
voisin de 50 % quelque soit le mode de contamination. En fait, une virémie peut persister après
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normalisation des transaminases. Les évolution chroniques pourraient alors dépasser 80 %. Les formes
fulminantes sont exceptionnelles. La progression de la maladie est lente et inconstante. Dans la
première étude de l’histoire naturelle des hépatites post-transfusionnelles, les premiers symptômes
apparaissaient au bout de 13,6 ans, les premières cirrhoses après 17,8 ans et les premiers cancers
primitifs du foie après 23,4 ans (64). Les formes sporadiques et peut-être les hépatites rencontrées chez
les toxicomanes pourraient être moins sévères que les hépatites transfusionnelles (65). Il existe une
corrélation entre le niveau des transaminases et l’activité hépatique mais individuellement des hépatites
chroniques actives sont présentes chez 20 % des sujets à transaminases normales (66). L’évolution vers
la cirrhose ne touche donc qu’un sous-groupe de malades qu’il reste difficile d’identifier (67).
Les génotypes ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans cette évolution en dehors des récidives
post-transplantation pour lesquelles le génotype 1b serait de mauvais pronostic. Des études
complémentaires sont nécessaires. Les toxicomanes semblent présenter des hépatites moins sévères.
Pour l’instant, il n’est pas possible de rapporter cette différence à une moindre durée d’évolution, à la
dose virale contaminante ou aux génotypes des virus. Le VHC est fréquemment associé au
développement de cancers primitifs du foie. Le mécanisme de son action dans cette évolution est
inconnu. En l’absence d’intégration, c’est l’association à la cirrhose qui reste le facteur favorisant le
plus évident (68).
Traitements
Pour l’instant, seul l’interféron alpha a reçu l’autorisation de mise sur le marché pour le traitement des
hépatites C. Dans le cadre habituel de son utilisation, soit des injections de trois MU, trois fois par
semaine pendant six mois, une normalisation des transaminases associée à une annulation de la virémie
six mois après la fin du traitement n’est obtenue que dans 15 à 25 % des cas. Des facteurs prédictifs de
réponse ont été reconnus. Il s’agit du génotype 2, de l’absence de cirrhose, de la charge virale, de
l’absence de cholestase, du jeune âge et du sexe féminin. La présence de populations virales
hétérogènes serait aussi de mauvais pronostic (69). Les résultats des traitements des hépatites aiguës
suggèrent que des doses élevées administrées plus longtemps pourraient être plus efficaces (70). Les
résultats semblent aussi corrélés à la dose et à la durée du traitement (71) (72) (73). On est donc devant
le dilemme de traiter soit des malades dont la maladie, peu évoluée restera bénigne dans la majorité des
cas mais qui répondront, soit des cas plus évolués qui résisteront dans la majorité des cas. Si l’objectif
d’une éradication virale est maintenu, il est indispensable de découvrir des marqueurs pronostics.
D’autres possibilités peuvent être envisagées. La découverte d’une stabilisation et même d’une
régression de la fibrose indépendante de l’effet antiviral de l’interféron laisse espérer la possibilité de
traitements palliatifs pour les formes évoluées. Des associations pourraient potentialiser les effets de
l’interféron. Si anti-inflammatoires non stéroïdiens et acide ursodésoxycholiques semblent avoir une
efficacité limitée, la ribavirine paraît modifier les données actuelles. Cette molécule dont l’action
antivirale est mal comprise réduit les taux de transaminases et, plus inconstamment, la charge virale. En
monothérapie un échappement suit habituellement l’arrêt du traitement (74). Associée à l’interféron,
elle double le nombre de répondeurs à six mois.
La greffe reste une possibilité pour les malades arrivés à un stade d’insuffisance hépatique terminale.
Les récidives, presque constantes, ne sont pas toujours évolutives et pourraient être contrôlées par
l’association interféron-ribavirine (75 (53). La fréquence des mutations donne peu d’espoir de disposer
d’un vaccin dans un avenir proche (76) (77).
II-2 LE SIDA
II -2-1 L’infection par le VIH
Les virus de l’immunodéficience humaine ou VIH appartiennent à la famille des rétrovirus qui
comprend les oncovirus dont il fait partie, les lentivirus et les spumavirus. Il existe 2 virus humains les
VIH 1 et 2 et un virus simien le SIV dont l’organisation génétique est similaire. Ces virus à ARN
infectent spécifiquement les cellules qui portent à leur surface un récepteur identifié comme la
molécule CD4. Il s’agit principalement des lymphocytes CD4, des monocytes et macrophages circulants,
des cellules dendritiques des ganglions et des cellules microgliales du cerveau. Après l’ entrée du virus
dans la cellule, de l’ADN proviral est fabriqué dans le cytoplasme ce qui permet l’intégration dans le
génome de l’hôte et la fabrication de nouveaux virions. Le VIH est cytopathogène.
De nombreux facteurs ont été évoqués pour expliquer l’évolution de l’infection vers la maladie en
l’absence de virémie significative jusqu’à la phase de Sida. Les études récentes de l’évolution de
l’infection dans les ganglions ont modifié ces hypothèses en soulignant l’importance primordiale du
virus. En effet dès la phase initiale de l’infection près de 109 virions seraient fabriqués quotidiennement
et détruits par autant de lymphocytes. La baisse du taux des lymphocytes circulants n’apparaîtrait
qu’une fois cette défense débordée (29) (78). Cette activation immunitaire a de nombreuses
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conséquences. Les lymphocytes T CD4+ ont un rôle charnière dans la régulation du système
immunitaire. Ils initient et amplifient ses diverses fonctions. Celles-ci interviennent en sécrétant de
nombreuses cytokines qui peuvent secondairement amplifier la réplication virale dans les lymphocytes
infectés. Le profil des lymphocytes C+ évolue avec la maladie passant avant le stade de sida d’une
majorité de TH1 à des TH2 aboutissant à une diminution des capacités d’élimination virales (79).
Parallèlement la stimulation antigénique continue amplifie le compartiment des lymphocytes CD8+
cytotoxiques dont l’activité fonctionnelle va diminuer. Une stimulation spécifique et non spécifique des
lymphocytes B est responsable d’une hypergammaglobulinémie présente dès le début de l’infection.
La numération des CD4 a été la pierre angulaire du suivi des malades infectés par le VIH. La
diversification des traitements devrait orienter vers des approches plus sophistiquées telles que la
recherche des mutations entraînant des résistances spécifiques aux antiviraux ou la quantification virale
(80).
II-2-2 Traitement
Dans cette optique, un traitement précoce et efficace de l’infection devient indispensable. La
problématique est clairement exposée par D.Ho dans un éditorial du New England Journal of Medecine
(81). Pour être durablement efficace un traitement précoce devrait être capable de réduire le niveau de
réplication de 3 log ou plus. Avec une efficacité moyenne, partagée par les autres inhibiteurs
nucléosidiques, de l’ordre de 0,7 log, la zidovudine, prescrite pendant six mois, a été capable de
retarder l’évolution de l’infection vers le sida sur une période de moins de trois ans (82). Le second
problème est celui de l’émergence des résistances qui touche plus de la moitié des cas après six mois de
traitement par la zidovudine ainsi que celui des résistances croisées. Ces considérations peuvent
expliquer les résultats décevants des études utilisant des molécules en monothérapie dont l’effet peut
s’épuiser rapidement en raison de l’émergence de mutants résistants. Le plus récent essai (ACTG019) de
traitement des malades présentant plus de 500 CD4/mm3 souligne ces limites. Le traitement précoce
freine la décroissance des CD4 mais ne modifie pas le passage au Sida (83). Ces résultats sont à mettre
en perspective avec ceux, décevants de l’essai concorde utilisant la zidovudine en monothérapie, et
avec ceux de l’ACTG175 qui démontre que des associations d’antiviraux permettent de réduire
l’évolution vers le sida et la mortalité par rapport à une monothérapie chez des malades dont les CD4
étaient compris entre 200 et 500/mm3. Les associations d’antiviraux actuellement disponibles ne
comportent que des inhibiteurs nucléosidiques qui peuvent déjà atteindre en association des activités de
1,7 log. Dans un proche avenir les triples associations incluant des antiviraux non nucléosidique
devraient améliorer significativement l’efficacité des traitements. Bien entendu, va se poser le
problème du coût de ces associations et surtout de leur toxicité. A un stade avancé de l’infection, pour
des CD4 inférieur à 100/ mm3, il reste à définir les avantages et les inconvénients de ces traitements
surtout s’ils ont été commencés tôt.
II-3 LES CO-INFECTIONS
Les quatre virus précédemment envisagés se transmettent tous par les partages de seringues. Les
prévalences respectives suggèrent qu’un usager contaminé par le VIH aurait de grande chance d’avoir
aussi rencontré le VHB et le VHC. L’histoire de ces infections chez les toxicomanes est donc différente
de celle qui serait observée chez des malades infectés par un seul virus. Les virus cohabitent dans le
foie et les cellules mononuclées circulantes qui peuvent moduler l’immunité. Ces interactions ont des
conséquences encore mal connues qui dépassent le cadre de cet exposé. Il faut cependant retenir qu’au
cours des doubles infections, un virus peut devenir dominant et réprimer l’expression du second ou
qu’une infection précédente peut favoriser la persistance ou l’élimination du virus. Des réplications
pourraient aussi persister en l’absence de marqueur sérologique d’évolutivité. La présence d’une coinfection par le VIH pourrait aggraver l’évolution naturelle des hépatites C et réduire l’efficacité des
traitements (84) (85) (86).
L’observation d’une progression moins rapide de l’infection VIH vers les infections opportunistes et la
mort chez les toxicomanes qui ont fréquemment partagé leur matériel par rapport à ceux qui ont peu
pratiqué les échanges pourrait s’expliquer, entre autre, par les multiples infections virales et leurs
interactions (87).
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LES AUTRES COMPLICATIONS SOMATIQUES
I Les complications liées aux injections
Les injections intraveineuses prédisposent à de nombreux accidents. Si, depuis quelques années, le
partage des seringues a significativement diminué, la réutilisation du matériel reste fréquente. Dans une
enquête récente de l’IREP, 30 % des usagers par voie intraveineuse utilisaient encore plus de trois fois
de suite leurs seringues (5). Les produits utilisés ne sont pas stériles. Ils contiennent presque
constamment des additifs dont certains comme le talc peuvent venir se fixer dans la lumière et la paroi
des vaisseaux. L'utilisation de cuillères, de cotons ou de filtres de cigarette plus ou moins propres,
d’eau parfois contaminée favorise les infections (88). Ces réalités conditionnent la nature et la sévérité
des complications.
I-1 COMPLICATIONS INFECTIEUSES
Les risques bactériens et mycotiques liés aux injections intraveineuses dépendent de 4 facteurs: stérilité
du matériel, nettoyage des points d’injection, qualité des produits utilisés, fréquence des injections.
L’utilisation de matériel neuf ou, à la rigueur, la réutilisation personnelle de matériel stérilisé, la
désinfection de la peau, le changement régulier des sites d’injection, l’abandon de la pratique de lécher
les aiguilles avant les injections font partie des informations qui doivent être intégrées dans une
démarche de réduction des risques. Ils concernent l’ensemble des usagers par voie intraveineuse. Le
type de produit utilisé influe, au contraire, sur les autres déterminants. Les utilisateurs de cocaïne ou
d’amphétamine répètent plus souvent les injections que les héroïnomanes. La mise en solution de
cachets ou de gélules a pu favoriser des contaminations par de l’eau souillée et entraîner des embolies.
Des candidoses ont pu être transmises par le jus d’agrumes utilisé pour dissoudre l’héroïne et par la
commercialisation d’héroïne asiatique transportée sous forme de pâte humide.
Les germes en cause varient selon l’origine des études. Par ordre décroissant, on retrouve les
staphylocoques, les streptocoques, les pseudomonas, les bacilles Gram négatifs et les levures (89).
L’émergence de staphylocoques dorés méthicilline résistants sélectionnés par des traitements antérieurs
par des céphalosporines a été rapportée dès le début des années 1980 aux Etats-Unis. Plus récemment,
la responsabilité de staphylocoques coagulase-négatifs dans des infections souvent torpides a été
soulignée (90) (91).
La peau et le tissu sous-cutané sont en première ligne. Les abcès y sont d’autant plus fréquents que
l’état veineux est détérioré. Ils sont souvent associés à des thrombophlébites qui peuvent se compliquer
de nécroses musculaires ischémiques.
Le passage des germes dans la circulation générale va pouvoir être transitoire, spontanément régressif.
Il s’agit de bactériémie. Dans d’autres cas, une localisation viscérale sera responsable de décharges
répétées, les septicémies. Ce sont les antécédents du malade et son état clinique qui amènent à choisir
entre un traitement antibiotique systématique et des prélèvements bactériologiques ambulatoires ou en
milieu hospitalier.
I-1-1 Les endocardites infectieuses
Il s’agit de greffes bactériennes sur des valves cardiaques préalablement remaniées. Plusieurs
hypothèses ont été avancées pour expliquer cette évolution chez les usagers de drogue qui ne présentent
qu’exceptionnellement des antécédents cardiaques : lésions provoquées par les particules de talc
présentes dans les produits injectés, réaction immunologique déclenchée par ces produits, greffe directe
de germes particulièrement virulents.
Si des cas d’endocardites fulminantes sont pratiquement limités aux toxicomanes et aux porteurs de
valves cardiaques, la majorité des endocardites infectieuses rencontrées ont une évolution subaiguë.
Les symptômes généraux sont constants (fièvre, frissons, myalgies, douleurs musculaires, nausées,...).
L’atteinte tricuspidienne est la plus fréquente. Initialement, elle est souvent silencieuse à l’auscultation.
Les complications sont fréquentes avec au premier rang l’insuffisance cardiaque congestive. Tous les
organes peuvent être touchés par des emboles septiques ou des immuns complexes. Les hémocultures
et l’échographie cardiaque sont essentielles au diagnostic. Contrairement aux autres endocardites ce
sont les staphylocoques qui sont le plus souvent en cause. Le traitement essaie de s’adapter aux
résultats des antibiogrammes (92).
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I-1-2 Les localisations pulmonaires
Elles correspondent à des embolies septiques qui ont pour origine soit l’injection elle-même, soit un
foyer déjà infecté. Elles se traduisent par une baisse de l’état général et un état subfébrile. L’image
pulmonaire correspond le plus souvent à un infiltrat pulmonaire. Des pneumopathies systématisées sont
aussi possibles ainsi que des images nodulaires à limites mal définies qui évoluent souvent vers une
cavitation. Des adénopathies médiastinales peuvent être présentes. Les pyopneumothorax après
infarctus septiques sont rares. Des anévrysmes mycotiques de l’artère pulmonaire ont été décrits mais
sont exceptionnels (93).
I-1-3 Les atteintes des autres organes
Les localisations infectieuses peuvent être isolées ou disséminées. Les cellulites et les abcès profonds
sont fréquents. Les atteintes ostéo-articulaires, habituellement, font suite à un abcès cutané ou une
endocardite. Elles prennent plus souvent la forme de spondylodiscites que d’arthrite septique ou
d’ostéomyélites. En cas d’atteintes articulaires, les genoux sont les plus touchés (94) (95). Les
localisations bactériennes sont la règle mais des candidoses et des localisations tuberculeuses ont été
décrites.
Au niveau rénal, les lésions les plus habituelles sont des glomérulonéphrites nécrosantes focales ou
prolifératives diffuses qui accompagnent les endocardites infectieuses et guérissent avec elles. Elles se
traduisent par une hématurie et une protéinurie qui peuvent évoluer vers l’insuffisance rénale. La
fréquence des observations d’amylose rénale augmenterait. Elles accompagnent des infections
bactériennes sous-cutanées et, plus rarement, des ulcérations cutanées non infectées. L’évolution des
syndromes néphrotiques est habituellement progressive et irréversible même en cas d’arrêt de
l’intoxication (96).
Des endophtalmies mycotiques ou bactériennes ont été décrites. Elles se présentent comme des
choriorétinites à foyers uniques ou multiples qui peuvent évoluer vers la nécrose rétinienne. Les
infections à candida sont les plus fréquentes, les aspergilloses viennent en seconde position. Des
infections du segment antérieur ont été observées après injection sous-conjonctivale de drogue (97)
(98). Dans tous ces cas un abord direct doit rechercher un diagnostic bactériologique précoce. Un
drainage du foyer infecté est souvent nécessaire.
Pour mémoire, le risque de tétanos a été évoqué aux Etats-Unis chez des sujets non vaccinés. Il
souligne l’intérêt de pratiquer les rappels nécessaires. Des méningites, des abcès cérébraux et épiduraux
sont rencontrés. La prise d’héroïne et surtout de cocaïne par voie nasale favorise les infections locales
et plus particulièrement les sinusites. Les affections parodontales sont aussi fréquentes: gingivite
parfois ulcérées au moment du sevrage, abcès parodontaux qui peuvent s’étendre et provoquer des
cellulites qui aboutissent à des fistules.
I-2 LES AUTRES COMPLICATIONS
L’utilisation de drogues déprimant le système nerveux central favorise la survenue de pneumopathies
d’inhalation.
Les pneumothorax sont rares. Ils peuvent faire suite à une ponction d’une sous clavière ou d’une
jugulaire ou à une quinte de toux déclenchée par l’inhalation de haschich ou de cocaïne. Les
complications liées aux impuretés présentes dans les produits utilisés sont fréquentes. Les particules les
plus souvent rencontrées sont le talc, l’amidon, la cellulose microcristalline, le stéarate de magnésium
et l’oxyde de silicium. Des brins de coton ont été retrouvés dans les poumons. Ces derniers sont les
plus souvent touchés car ils jouent un rôle de filtre dans la circulation générale. Des particules de talc
peuvent être retrouvées dans tous les tissus du fait de leur petite taille ou de l’ouverture de shunts
pulmonaires (93) (99).
Au niveau pulmonaire, ces corps étrangers sont responsables de la formation de granulomes à cellules
géantes qui s’organisent au sein de thromboses artériolaires. Quand ils entraînent une prolifération
intimale et une hypertrophie de la média, il en résulte une hypertension pulmonaire. Quand les
granulomes s’organisent dans le tissu interstitiel pulmonaire, ils sont responsables de fibrose
pulmonaire. Ces lésions peuvent être cliniquement silencieuses ou entraîner une dyspnée progressive.
Des infiltrats micronodulaires bilatéraux sont visibles dans les formes évoluées. Ils peuvent progresser
vers des images nodulaires prédominant aux sommet qui évoquent une silicose. Des stigmates
d’hypertension pulmonaire sont aussi présents. Les volumes respiratoires seuls touchés au début,
s’accompagnent ensuite de troubles de la perfusion et/ou de la diffusion. La présence de ces corps
étrangers dans le tissu entourant des bulles d’emphysème laisse supposer qu’ils en sont la cause. Ces
situations associent troubles ventilatoires obstructifs et troubles de la diffusion (93) (99).
Si les granulomes semblent spécifiques des poumons, les particules de talc sont responsables de lésions
oculaires qui peuvent orienter le diagnostic avant les résultats d’une biopsie ou d’une cytoponction
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pulmonaire. Elles s’accumulent dans la région postérieure de la rétine où elles sont visibles sous forme
de cristaux brillants jaunes. Les angiographies à la fluorescéine révèlent des zones hypovascularisées.
Les images de néovascularisation qui entourent ces zones sont comparables à celles rencontrées dans
les anémies falciformes. Dans les formes sévères, on rencontre des hémorragies du vitré et des
décollement de rétine (97). Elles peuvent aussi être à l’origine de nécroses et d’ulcères cutanés ainsi
(100) que de ramollissements cérébraux (101).
La cause la plus fréquente de rhabdomyolyse est un coma prolongé entraînant la compression
prolongée d’un membre. Plus rarement, elle peut être directement causée par la prise de cocaïne ou
d’amphétamines. L’atteinte musculaire peut être discrète ou cliniquement évidente avec douleur et
oedème. Un déficit neurologique peut lui être associé. Elle se traduit par une oligurie avec des urines
sombres et riches en protéines. Une leucocytose modérée est présente. La créatinine est beaucoup plus
élevée que ne le voudrait le taux d’urée et les enzymes musculaires sont très élevés. Il existe une
hyperkaliémie, une hyperphosphorémie, une hyperuricémie et une hypocalcémie. Les atteintes
hépatiques et les coagulations intravasculaires disséminées sont rares mais de mauvais pronostic. Le
retour à la normale est observé de trois jours à trois semaines. Une dialyse est souvent nécessaire.
Au niveau rénal, la possibilité de néphropathies à l’héroïne a été envisagée. Il s’agit, le plus souvent
d’un syndrome néphrotique parfois impur correspondant à des lésions de sclérose segmentaire focale
ou globale. En fait ce type de lésions a aussi été observé avec d’autres drogues. Si la réalité de leur
association avec la toxicomanie est retenue, leur origine serait soit un dépôt d’immun-complexes, une
activation de la voie alterne du complément ou une hyperfiltration glomérulaire (96).
II- Les complications liées à l’utilisation des produits
A côté des complications directement dues aux injections, des manifestations somatiques ont été
rapportées à l’utilisation de produits. Elles leur sont spécifiques. Certaines sont fréquentes et bien
comprises. Pour d’autres, au contraire, la physiopathologie est moins évidente et différents produits
peuvent être à la fois incriminés.
II-1 HEROINE ET OPIOIDES
Les opioïdes sont des molécules dont l’action est similaire à celle de la morphine. Elles existent sous
trois formes. Les agonistes, les antagonistes et les agonistes-antagonistes. L’héroïne reste la drogue la
plus largement utilisée par voie intraveineuse en France (102).
II-1-1 La complication la plus fréquemment rencontrée est l’overdose
Elle survient en cas de surdosage provoqué par un changement de fournisseur ou par la reprise d’une
intoxication sans changement de dose après une interruption prolongée. Des cas ont été décrits après
ingestion par voie nasale. L’association à des médicaments dépresseurs centraux est fréquemment
retrouvée. Les délais d’apparition du coma dépendront des produits utilisés. Ce sera quelques secondes
pour le fentanyl, moins de deux heures pour l’héroïne, plus de six heures pour la méthadone (93) (99).
Le coma est consécutif à une dépression respiratoire qui a une double origine, centrale par l’action sur
la medulla oblongata qui contrôle la ventilation, mais aussi périphérique par une diminution de la
sensibilité des chémorécepteurs à l’hypoxie et à l’hypercapnie. Le rythme respiratoire peut être
conservé et le myosis avoir disparu en raison de la prise concomitante de drogues qui contrecarrent
l’action des opiacés.
Ce coma peut se compliquer d’un oedème pulmonaire non cardiogénique dû à une augmentation de la
perméabilité capillaire. Le mécanisme de ce phénomène n’est pas certain. Une hypertension pulmonaire
précapillaire ou une hypertension intracrânienne induites par l’hypoxie, un phénomène allergique ou
une toxicité directe de l’héroïne sur la paroi des alvéoles ont été envisagées.
Le traitement comporte l’oxygénation et l’injection de naloxone qui réveille habituellement le malade
mais qui, dans quelques cas, aurait déclenché un oedème pulmonaire.
A côté de cette complication spectaculaire, l’héroïne a été rendue responsable de bronchospasmes
après injection aussi bien qu’après inhalation. Le délai d’apparition de quelques jours à un mois et la
présence d’éosinophiles dans le sang et les crachats suggèrent un mécanisme allergique.
II-1-2 D’autres complications sont possibles
Des dilatations des bronches ont été décrites chez des sujets ayant fait plusieurs overdoses. Les
complications infectieuses et surtout les pneumopathies de déglutition ont été incriminées car les
oedèmes guérissent sans séquelles.
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Les crises comitiales apparaissent après injection de fentanyl ou de sufentanil, consommation de fortes
doses de propoxyphène ou overdose à la pentazocine.
Le propoxyphène peut être responsable d’overdoses mais il peut aussi déclencher des états de mal
comitial et des blocs de branche. Ces derniers ne sont pas corrigés par la naltrexone car il seraient dus à
une action anesthésiante membranaire.
Les dérivés de synthèse artisanaux qui ont cours aux Etats-Unis sont rares en France. Le MPTP
(Méthyl-Phényl-Tétrahydropyridine) entraîne des syndromes parkinsoniens qui ont pour caractéristique
la présence d’un tremblement. Le dérivé du fentanyl appelé China White dont l’action est 3000 fois plus
puissante que celle de la morphine a entraîné des décès foudroyants par paralysie respiratoire.
II-2 COCAINE ET AMPHETAMINES
La cocaïne stimule le système nerveux central en libérant de la dopamine, en inhibant l’absorption des
catécholamines par les neurones, en empêchant la réabsorption de la sérotonine et en inhibant la pompe
à sodium des cellules nerveuses ce qui entraîne une anesthésie locale.
II-2-1 Les principales manifestations toxiques sont cardiovasculaires
Les poussées hypertensives rencontrées font suite à une augmentation du débit cardiaque et des
résistances périphériques. Elles peuvent entraîner des hémorragies cérébrales ou sous-durales ainsi que
des dissections aortiques ou des oedèmes aigus du poumon.
La stimulation sympathique au début de l’intoxication et la surcharge cardiaque chez les usagers de
longue durée sont responsables d’épisodes variés d’arythmie. Les plus fréquents sont des tachycardies
sinusales mais des fibrillations ventriculaires sont certainement la cause de morts subites.
La vasoconstriction intense et l’augmentation de l’aggrégabilité plaquettaire sont responsables de la
survenue d’infarctus dans différents organes tels que le coeur, les reins, le foie ou les intestins. Des
vasospasmes coronariens dont l’origine est inconnue ont aussi été observés pendant les périodes de
sevrage.
Des myocardites semblables à celles décrites au cours des phéochromocytomes ont aussi été
rencontrées.
Le mécanisme des états de choc est multiple. Une défaillance cardiaque est en général présente, mais
une vasodilatation centrale est possible (103) (104).
II-2-2 La cocaïne est aussi responsable d’atteintes neurologiques
Des céphalées sévères sont décrites par 60 % des consultants pour des problèmes liés à leur
consommation. Elles sont dues à des poussées hypertensives ou peuvent être le témoin d’hémorragies
cérébrales.
Les crises d’épilepsies généralisées rencontrées chez les cocaïnomanes sont dues aux effets
anesthésiques de la molécule. Habituellement, les crises surviennent rapidement après la prise du
produit mais elles sont parfois observées au bout de quelques heures.
Des vasospasmes sont sans doute responsables des déficits transitoires. Les déficits durables sont dus à
des ramollissement ou à des hémorragies cérébrales ou sous-durales. Une vascularite a aussi été
évaluée comme cause possible.
Des épisodes d’encéphalopathie et de coma ont été décrits après des épisodes d’intoxication durant
plusieurs jours, souvent accompagnés de crises comitiales. Dans ces cas le réveil se fait sans séquelle.
II-2-3 Autres
Les autres atteintes comprennent des oedèmes pulmonaires cardiogéniques ou non. Le poumon du
crack associe fièvre, hémoptysies, bronchospasme et infiltrat pulmonaire, des hyperthermies et des
rhabdomyolyses (105).
La nécrose et la perforation du septum nasal sont des complications bien connues chez les sujets qui
sniffent la cocaïne (106).
Déposée sur les dents, la cocaïne peut ulcérer leur émail.
II-3 AMPHETAMINES
La consommation des amphétamines a chuté après qu’elles aient été retirées du marché en 1970. Elle a
été remplacée par la cocaïne mais la méthamphétamine ou ice qui peut être fumée pourrait annoncer
leur retour. Par leurs effets vasoconstricteurs, elles sont responsables de complications comparables à
celles observées avec la prise de cocaïne. La fenfluramine et la dexfenfluramine ont été responsables de
rares cas d’hypertension artérielle pulmonaire (107) (108).
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II-4 HASCHISCH
Les complications rapportées à l’usage du haschisch sont avant tout pulmonaires. Le
tétrahydrocannabinol a une action bronchodilatatrice dose-dépendante. Il corrige les bronchospasmes
expérimentaux. Il existe cependant une tolérance partielle qui réduit l’intérêt de cette molécule dans le
traitement de l’asthme. A l’inverse, inhalé comme un aérosol, il agit comme un irritant dont l’action
favorise une hyperréactivité pulmonaire. Les fumeurs de haschisch présentent des anomalies
ventilatoires portant sur les grosses bronches qui les opposent aux atteintes plus périphériques du tabac.
Les lésions de l’épithélium bronchique apparaissent très tôt et s’associent à des réactions
inflammatoires alvéolaires. A consommations équivalentes, la plus grande sévérité de ces anomalies
chez les fumeurs de haschisch par rapport aux fumeurs de tabac pourrait être due à la plus grande
quantité de goudron inhalée à chaque inspiration. Ces anomalies se traduisent par une augmentation des
symptômes pulmonaires (toux, crachats, essoufflements, épisodes de bronchite aiguë) observés chez les
fumeurs de haschisch par rapport à la population générale. L’association au tabac aggrave leurs
évolutions qui devraient favoriser l’évolution vers la bronchite chronique (105) (109). Si des
carcinogènes potentiels sont présents dans la fumée de haschisch, aucune étude épidémiologique n’a pu
démontrer son rôle cancérigène. La démonstration d’effets immunosuppresseurs du haschisch n’est pas
plus convaincante. Les résultats des études in vitro et in vivo sont souvent contradictoires (110).
En cas d’intoxication aiguë, le haschisch entraîne une réduction de la pression intraoculaire qui
disparaîtrait chez les consommateurs chroniques (111).
A côté de ces effets directs, des infections aspergillaires, parfois sévères en cas d’immunodépression,
ont été rapportées chez des fumeurs de haschisch dont les barrettes étaient contaminées. La détection
d’anticorps anti-Aspergillus chez 50 % des fumeurs réguliers suggère que cette présence est fréquente.
La consommation de haschisch a été associée à des sensations de bouche sèche et à des nausées chez
des utilisateurs occasionnels. Son action habituelle étant plutôt antiémétique. Les effets
endocrinologiques sont plus évidents : gynécomastie et perturbations des fonctions de la reproduction
(diminution du volume testiculaire, de la prolactinémie et de la spermatogenèse).
La présence de neuropathies périphériques et, notamment, optiques a été décrite chez des fumeurs
chroniques. La relation de causalité avec la consommation de haschisch est loin d’être démontrée (112).
II-5 SOLVANTS ET SUBSTANCES VOLATILES
Les molécules impliquées sont nombreuses (hydrocarbones aliphatiques, éthers, corps cétoniques,
hydrocarbones aromatiques, halides ou nitrites alkylés). Leur capacité de mise en solution dans les
graisses leur permet de traverser facilement les poumons et de gagner les tissus les plus riches en
graisses où ils s’accumulent. Les mécanismes d’action de ces différentes molécules étant différents,
leurs toxicités s’additionnent en cas d’utilisation conjointe.
Au moment de leur inhalation, les substances volatiles agissent comme asphyxiant en faisant chuter la
pression partielle en oxygène. Les vapeurs irritantes peuvent entraîner des lésions bronchiques qui
aggravent l’hypoxie, aboutissant à un coma. Des inhalations de liquide gastrique peuvent aggraver ce
tableau (113) (114).
Suivant les additifs contenus on pourra assister à des crises d’asthme (diisocyanate) ou retrouver des
alvéolites hémorragiques riches en macrophages contenant des particules de silicium. Le butane des
briquets peut être à l’origine d’oedèmes aigus du poumon. Le toluène contenu dans les colles est
responsable de troubles de la diffusion et d’hypertension pulmonaire.
Au niveau cardiaque, ils sont responsables d’insuffisance cardiaque et d’arythmies. Ils potentialisent les
effets des cathécholamines. Ils peuvent ainsi entraîner des cardiomyopathies responsables de
décompensation cardiaque et d’oedèmes du poumon ou de morts subites favorisées par un exercice
physique en cours d’intoxication (115).
Les lésions cérébrales ou nerveuses périphériques sont fréquentes et peuvent être irréversibles. Elles se
traduisent par des syndromes confusionnels, des hallucinations, des troubles de l’équilibre, des
paresthésies ou des troubles visuels et des neuropathies sensitivo-motrices.
Des lésions des muqueuses sont possibles. Les atteintes digestives sont les plus fréquentes entraînant
nausées, vomissements, douleurs abdominales, diarrhées ou même hémorragies digestives modérées.
Le foie et le rein peuvent être touchés au cours des intoxications au toluène aboutissant, le plus
souvent, à une acidose tubulaire distale. Les halides alkylés ont des conséquences plus sérieuses. Ils
peuvent être responsables d’insuffisance hépatique et de glomérulonéphrites.
L’atteinte hématologique peut être périphérique aboutissant à une carboxyhémoglobinémie ou à une
méthémoglobinémie. L’exposition au benzène peut aboutir à une insuffisance médullaire.
Une anorexie et un amaigrissement parfois plus spécifiquement accompagnés par une dermatose de
contact peuvent être les seules manifestations d’une intoxication chronique.
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II-6 LES AUTRES PRODUITS
II-6-1 La phencyclidine
La phencyclidine ou PCP est un anesthésique qui a été retiré du marché en raison de l’apparition de
troubles du comportement au réveil. Les complications les plus fréquentes sont l’apparition d’un
nystagmus surtout marqué dans le regard vers le haut et d’une hypertension qui peut entraîner une
encéphalopathie. Des troubles du comportement peuvent déboucher sur un coma (116).
II-6-2 L’ecstasy
L’ecstasy, proche des amphétamines entraîne peu de complications majeures. Son utilisation au cours
des raves parties favorise les déshydratations qui ont pu être responsables de choc avec hyperthermie.
Des crises comitiales, des CIVD et des insuffisances rénales aiguës avec ou sans rhabdomyolyse
pourraient survenir indépendamment des doses consommées (108) (117)
II-6-3 Le LSD
En cas d’overdose, le LSD peut entraîner coma, arrêt respiratoire, hypertension, hyperthermie et
coagulopathies. Des cas d’hallucination persistantes disparaissant progressivement en quelques mois
ont été décrits. Des maculopathies provoquées par la fixation du soleil sont favorisées par la mydriase
induite par les hallucinogènes (118) (119).
II-6-4 Les adultérants
A côté des substances inertes évoquées plus haut une grande variété d’adultérants
pharmacologiquement actifs sont utilisés.
Les stimulants tels que l’éphédrine, la pseudoéphédrine et la phénylpropanolamine sont tous des
agonistes adrénergiques qui peuvent conduire, a minima, aux complications rencontrées avec les
amphétamines.
Les anesthésiques locaux, utilisés pour couper la cocaïne, ne posent de sérieux problèmes que s’ils sont
injectés. Dans ce cas, la procaïne et la benzocaïne sont les plus dangereux. Des décès ont été rapportés
à des troubles du rythme et à des arrêts cardiaques (120).
La quinine et la quinidine ont été largement utilisées pour couper l’héroïne. Des arrêts respiratoires et
des collapsus circulatoires ont été décrits après injection intraveineuse. Ils peuvent aussi être
responsables de troubles du rythme, d’anémies hémolytiques, d’atteintes rénales, de comas et
d’amblyopie. Le mécanisme principal serait la vasoconstriction mais une toxicité directe sur le nerf
optique et les cellules ganglionnaires rétiniennes (121).
La strychnine est couramment utilisée comme adultérant pour l’héroïne et la cocaïne. Elle peut
déclencher des vomissements, des contractions musculaires, des crises comitiales et des épisodes de
rhabdomyolyse.
Des cas d’intoxication au thallium ont entraîné hypertension, douleurs abdominales, paresthésies,
déficit musculaire et alopécie.
III - Les complications liées au mode de vie
La toxicomanie par le biais de l’exclusion, du moindre intérêt porté aux problèmes du corps et du
retentissement de l’usage des drogues sur le comportement alimentaire peut aboutir à entraîner des
complications qui ne lui sont pas spécifiques mais dont la fréquence peut dépasser celle rencontrée
dans la population générale.
Une recrudescence de la tuberculose a été observée en France et dans la plupart des pays occidentaux
depuis le milieu des années 1990 (122). Son incidence est passée de 14,9/100 000 à 17,2/100 000 de 1991 à
1993. Elle est majoritairement associée à la présence de co-infections par le VIH qui faciliterait les
réactivations. Cependant ces associations n’expliquent pas tous les cas. La toxicomanie ne semble pas
directement concernée en France contrairement à certaines régions des Etats-Unis telles que New-York
où marginalisation, usage de drogue et tuberculose sont associées (123). Les toxicomanes ne sont
concernés que par la forte prévalence d’infections par le VIH et l’origine géographique de certains
d’entre eux. L’incidence maximale touchant des sujets de 25 à 39 ans en provenance de pays
d’endémie (110/100 000) (124). La préoccupation majeure reste celle de la compliance thérapeutique qui
conditionne l’évolution d’une maladie fortement contagieuse par voie aérienne. L’apparition de
souches résistantes reste encore marginale mais impose la pratique d’antibiogrammes systématiques
(125). Ces problèmes ont réactivés, aux Etats-Unis, une politique de prise quotidienne des comprimés
sous contrôle médical (126). La meilleure connaissance des groupes à risque ainsi que la mise en place
de protocoles de dépistage et de suivi plus stricts a permis d’inverser la situation observée aux Etats-
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Unis de 1985 à 1992 (augmentation du nombre de cas de 20,5 %). De 1992 à 1994 les nouveaux cas
ont diminué de 8,7 %. Les souches multi-résistantes sont devenues moins nombreuses à New York.
Des carences alimentaires sont possibles en cas d’intoxication importante et prolongée. Elles peuvent
être aggravées par une intoxication alcoolique concomitante. souvent évoquées, leur fréquence réelle
n’a jamais été vraiment évaluée.
L’incidence des maladies sexuellement transmissible a diminué régulièrement depuis le milieu des
années 1970. Aux Etats-Unis, une recrudescence des cas de syphilis et de gonorrhées a été rapportée à
la toxicomanie à partir de 1987 (127) (128). Cette augmentation du nombre de cas était associée à la
consommation de crack responsable d’une prostitution développée pour subvenir aux besoins de
drogue. Cette recrudescence, bien évidemment était associée à des contaminations par le VIH (129)
(130) (131). Les problèmes dentaires sont fréquents. Ils font suite à une mauvaise hygiène buccale. Le
tiers des toxicomanes ne se laveraient pas les dents. Surtout les drogues modifient la salive qui perd son
rôle protecteur (prévention de la plaque dentaire et de la mise en solution de l’émail, neutralisation du
pH buccal, action antibactérienne). L’hyposialie induit une soif de sucre qui favorise le développement
de caries. Celles-ci ont un aspect spécifique. La plaque débute au collet de la face vestibulaire, noire et
large, se développe en surface et s'approfondit progressivement.
L’ACCES AUX SOINS
I - La prévention et les traitements
La toxicomanie, pour beaucoup d’usagers de drogues, n’est qu’une étape suivie d’un retour à une
« normalité ». Une démarche de prévention doit chercher à limiter la durée et les séquelles de cette
période. Les complications somatiques sont souvent responsables de handicaps quand elles ne
raccourcissent pas l’espérance de vie. Leur prise en compte est donc une priorité. Cependant cette
démarche ne doit pas faire oublier que les comportements qui accompagnent l’utilisation de drogue
sont directement responsables d’une forte mortalité (132) (133) (134).
I-1 LES INFORMATIONS
Si on se limite à la prévention des complications somatiques chez les toxicomanes, éliminant par
définition, la prévention de l’usage des drogues, l’histoire récente apporte 2 notions importantes :
. Les toxicomanes sont sensibles aux messages de prévention. Ils répondent par des modifications de
leurs comportements.
. Ils connaissent très mal les produits qu’ils utilisent et n’ont que des notions d’asepsie assez vagues.
La constatation d’une sensibilité aux messages de prévention jusque là niée par la majorité des
spécialistes justifie le développement de campagnes spécifiques. Leur rôle peut être déterminant pour
diffuser une information précoce nécessaire dès le début de l’usage des produits. Les journaux édités
par les associations d’usagers ou les groupes d’auto-support ont un rôle important à jouer. Les adultesrelais ont été peu utilisés dans un domaine où il peut être difficile de différencier information et
prosélytisme. Pour un ancien utilisateur il peut être difficile de retrouver des toxicomanes actifs dans ce
cadre.
Le message concernant le risque associé au partage des seringues a été bien reçu. Sa crédibilité et son
efficacité dépendent de la possibilité réelle d’accéder à toute moment à des seringues neuves ou, en cas
de réutilisation de son propre matériel, à des seringues nettoyées par la Javel.
I-1-1 Les programmes d’échange
Ils ne peuvent répondre totalement à ce besoin. Ils ne sont pas constamment ouverts et ne peuvent
couvrir l’ensemble des agglomérations. Leur efficacité dépend de leur capacité à assurer un
renouvellement rapide des seringues. Ils doivent donc être suffisamment nombreux pour jouer ce rôle
ce qui est rarement le cas (135) (136) (137). La diminution des échanges chez les usagers restant dans les
programmes paraît logique. On est cependant confronté à un faible maintien dans le programme (17 %
après 10 consultations) (138) On est même surpris de la faible diminution des partages rapportés. En
Ecosse et à Londres les emprunts de seringues étaient passés respectivement de 17 à 11 % et de 8 à 6 %
(139). En France, la mise en place de ces programmes a rencontré quelques difficultés (140). Certains
toxicomanes ne souhaitent pas ou ne peuvent pas entrer en contact avec ces programmes.
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I-1-2 L’utilisation de l’eau de Javel
Elle représente une proposition séduisante qui pose cependant quelques problèmes (5). Son efficacité
pour réduire l’incidence des infections par le VIH n’a jamais été clairement démontrée. Les modalités
d’utilisation nécessaires à une destruction des virus des hépatites au sein des caillots restant dans les
seringues et les aiguilles sont inconnues. Enfin, les conditions très strictes d’utilisation qui sont
indispensables pour obtenir une stérilisation ne seront certainement pas constamment remplies par les
usagers. En effet, des petites épidémies d’hépatites B sont survenues récemment dont la porte d’entrée
était un cardiomyotome insuffisamment décontaminé par les techniques habituelles. Une enquête
récente a démontré la possibilité de transmettre le VHC par des biopsies per-endoscopiques (141). Si les
procédures de décontamination, ritualisées en milieu médical, sont insuffisantes pour supprimer les
risques de contamination, peut-on promouvoir les désinfections sauvages dans des conditions
inconfortables? Elles doivent rester un pis-aller en cas de réutilisation personnelle. Il est aussi évident
que cette proposition ne doit pas servir d’alibi pour éviter le débat que doit soulever l’usage de la
drogue en prison qui renvoie, une fois encore, à la situation de l’usager comme délinquant (142).
I-1-3 Les distributeurs récupérateurs (automates)
Ils sont la seule réponse adaptée. Leur installation doit être assez large pour répondre aux besoins de
proximité. Ils permettent alors, dès le début de l’intoxication, un conditionnement à l’utilisation
régulière de matériel stérile. Les boîtes peuvent aussi contenir messages de prévention et adresses du
réseau de soin. Enfin, ils donnent aux messages de prévention une cohérence qui démontre aux usagers
de drogue que le groupe social est réellement concerné par leurs prises de risque. Cette mise en place
crédibilise le système de soin. La réalisation des objectifs de leur installation devrait lever les
réticences portant sur le caractère impersonnel de ces appareils dont l’installation devrait faire partie de
tout projet global de prise en charge de la toxicomanie.
I-1-4 Le débat sur l’accès aux seringues n’est pas suffisant
Il faut maintenant insister sur le problème des cuillères, des filtres du back et du front-loading (143)
(144). Le partage au sein des couples est encore très fréquent et représente dans notre expérience le
premier risque de contamination à égalité avec les rechutes intempestives.
I-1-5 Les risques inhérents à l’utilisation des différents produits
Ils devraient faire l’objet d’explications portant sur leurs effets et leur toxicité. Il faut insister sur la
rareté des produits purs et sur la nécessité de connaître les complications liées aux adultérants, aux
fluctuations de la consommation et aux mélanges. L’augmentation des décès par overdose observée
depuis plusieurs années ne correspond pas obligatoirement à une augmentation du nombre des
consommateurs mais pourrait traduire une augmentation de l’incidence des accidents faisant suite à de
plus grandes variations dans la qualité des produits et dans leur utilisation (145).
Ces différentes informations viennent s’ajouter aux messages de prévention sexuelle qui s’adressent à
la population générale. Elles doivent être répétées et entendues pour être efficaces. L’analphabétisme,
la marginalisation, le désespoir sont tous des facteurs qui annulent leurs effets.
I-2 DE L’AMELIORATION
COMPORTEMENTS
DES
CONNAISSANCES
AUX
CHANGEMENTS
DE
D’innombrables études ont démontré qu’il n’existait pas de relation suffisante entre amélioration du
niveau des connaissances et modification des comportements. Dans certaines situations on a pu même
observer des évolutions paradoxales.
L’efficacité d’un programme de prévention dépend de la réceptivité de la population ciblée. Pour être
efficace, il ne doit pas être généraliste mais doit, au contraire, s’adapter à une situation précise et
s’inscrire dans la durée.
L’intériorisation et l’application d’un message de prévention dépendent de nombreux facteurs culturels
et sociaux. Le modèle de confiance dans la prise en charge médicale (health belief model) fait
intervenir la perception individuelle de la maladie (risque personnel et sévérité), le facteur déclenchant
personnel ou induit par une campagne extérieure et le rapport qualité/prix d’une démarche de soin
(146). Elaboré pour des démarches de soin, il pourrait tout aussi bien s’appliquer à la capacité de suivre
des messages de prévention. Il en est de même des variables associées à la non compliance
thérapeutique que sont marginalité et psychopathologie (147).
Les modifications des comportements, l’absence de prise de risques sont donc directement liées aux
capacités de compréhension du message et à la justesse de l’analyse personnelle des risques encourus.
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Dans le cas particulier des épidémies, des notions de protection du groupe social interviennent aussi.
Elles sont particulièrement importantes si le sujet est déjà infecté.
La cohérence des messages apparaît indispensable à leur efficacité. Comment prôner une réduction des
risques quand des seringues ne sont pas partout disponibles et quand la possession d’une d’entre elles
est une présomption incriminante pour la police. Peut-on s’attarder à des messages concernant les
risques viraux quand les informations concernant les dangers des injections ou des produits ne sont pas
disponibles? L’augmentation régulière de l’utilisation de drogue dans les prisons françaises, à côté des
risques de contamination virale, pose le problème de la discordance entre la loi et son application dans
le lieu même où elle devrait être respectée. Dans ce contexte la loi de 1970 pose problème. La position
de l’usager de drogue comme délinquant se justifie-t-elle une fois constaté l’échec des présupposés qui
la justifiaient (148). Deux commissions récentes (Commission Henrion, comité national d’éthique) ont
d’ailleurs suggéré la nécessité de sa modification. La dérive progressive entre son texte et son
application renforce le sentiment d’une société qui s’attache plus aux apparences qu’aux réalités.
L’éducation, l’insertion sociale affective ou professionnelle jouent un rôle fondamental dans
l’émergence du sentiment d’appartenance à un groupe social. L’efficacité des messages de prévention
se heurte donc à la croissance de la population marginale dans les sociétés développées (149) (150).
Pour être efficace les messages de prévention doivent s’inscrire dans une vision plus globale,
envisageant la toxicomanie comme la partie la plus visible de la population des exclus. En l’absence
d’une telle approche, les solutions proposées seront toujours trop tardives et se révéleront
économiquement trop coûteuses.
II - La substitution
Si la méthadone a été initialement proposée comme le traitement d’une anomalie acquise des récepteurs
cérébraux après une consommation prolongée d’héroïne, son utilisation a dès le début été tournée vers
une réduction du coût social de la toxicomanie. L’entrée dans les programmes a été proposée
prioritairement à des usagers anciens aux antécédents d’incarcération A partir du milieu des années 80,
l’extension du nombre des programmes et l’augmentation de la quantité de méthadone distribuée ont
suivi la progression des cas de sida en Europe. Cette extension entre dans un projet de réduction des
risques visant à limiter les échanges de seringues.
II-1 LES EFFETS DES PROGRAMMES DE SUBSTITUTION
Les relations entre traitement par la méthadone et réduction des risques ont fait l’objet de nombreuses
évaluations. La plus large étude évaluant les effets de la méthadone chez 633 usagers dont 506 ont été
réinterrogés un an plus tard. Les sujets concernés avaient une durée de toxicomanie moyenne de 11,5
ans et de nombreux antécédents d’incarcération. Chez les toxicomanes restant dans les programmes, les
injections s’étaient arrêtées ou leur nombre avait significativement diminué. En cas d’échappement au
traitement, les rechutes atteignaient 86 % après dix mois. L’évolution de la criminalité était
superposable (151). La séroprévalence du VIH était inversement proportionnelle à l’ancienneté dans les
programmes méthadone (152). Dans une étude suédoise, la séroprévalence VIH est restée nulle chez les
usagers maintenus dans les programmes depuis 1983 contrairement à une progression atteignant 57 %
chez les toxicomanes inclus en 1987. L’allocation des places en fonction des disponibilités suggère que
les groupes étaient initialement comparables (153).
II-2 LES LIMITES DES PROGRAMMES DE SUBSTITUTION
L’entrée dans un programme de substitution réduit indiscutablement le nombre des injections de
drogue. Cependant plusieurs éléments témoignent des limites de leur efficacité.
Tout d’abord, un nombre élevé de contaminations survient dès les premiers mois (13) correspondant,
dans notre expérience, au niveau le plus élevé de partage régulier. Les traitements de substitution n’ont
aucune place dans cette période de « lune de miel » avec la drogue.
Des rechutes sont observées plus ou moins fréquemment chez les usagers inclus dans les programmes
(154) (155). La constatation d’une relation entre la désocialisation et ces pratiques à risque confirme les
difficultés rencontrées par les sujets les plus marginalisés à intérioriser puis à appliquer des conseils de
prévention (156).
Il est indiscutable que les programmes de substitution ont une place dans le dispositif de réduction des
risques. Leur intérêt ne doit pas être évalué uniquement sur des effets limités de réduction des partages
de seringues insuffisants pour contrôler, à eux seuls l’épidémie virale, mais bien plus sur leur capacité
d’aboutir à une réinsertion sociale, seule garantie d’un succès durable. Dans cette optique, ils
apparaissent comme un complément indispensable des autres éléments du dispositif allant des
automates aux consultations de psychothérapie.
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III - Les traitements
Nous avons souligné qu’un diagnostic n’équivalait pas obligatoirement à la mise en route d’un
traitement. Cette considération générale est particulièrement vraie chez les toxicomanes. Leur
compliance a fait l’objet de nombreux débats.
Il faut rappeler que dans une clientèle « normale » présentant une maladie chronique, près de la moitié
des malades abandonneront le suivi médical pendant la première année et que, au sein du groupe
restant, 65 % ne consommeront pas suffisamment de médicaments pour recevoir un traitement efficace
(157). Les prises en charges régulières ne sont pas la règle.
Toute démarche privilégiant l’accès aux soins doit tenir compte de différents éléments. La sévérité de
la maladie, l’efficacité de ses traitements ainsi que les possibilités physiques, psychologiques et
financières de les suivre doivent être pris en compte. Ainsi, en l’absence d’une prise en charge sociale
un traitement coûteux ne sera jamais suivi. La poursuite d’une toxicomanie active à un stade de
dépendance permet rarement une compliance satisfaisante. Par contre, une fois la toxicomanie
interrompue, le suivi des traitements par les usagers de drogue n’est pas différent de celui de la
population générale (158).
La compliance, dans l’essai américain ACTG019, était caractérisée par le faible éloignement du centre
hospitalier, le fait de ne pas vivre seul, le soutien d’un proche, les relations chaleureuses avec le
personnel paramédical et l’absence de préoccupation concernant la confidentialité (159).
La non-compliance, par contre, est associée à la présence d’une psychopathologie, à l’isolement social,
à la réalité ou à l’imaginaire des effets secondaires et à la nécessité de modifier ses habitudes pour
suivre le traitement (160).
Comme pour tout malade la proposition de débuter un traitement doit s’accompagner d’une
information objective et compréhensible de l’évolution de la maladie ainsi que de l’efficacité et des
effets secondaires des médicaments. La liberté de choix doit toujours être privilégiée. La situation
sociale et psychique doit être analysée avec soin en tenant compte de la couverture sociale, des revenus,
du logement et des antécédents psychiatriques. Un projet peut alors être construit conjointement auquel
seront, si nécessaire, associés des partenaires extérieurs. Bien entendu, l’usage des drogues est un
élément central de ce projet. Si la poursuite d’une intoxication régulière est habituellement un obstacle
à un suivi régulier, cette situation ne doit pas être un obstacle systématique mais doit au contraire être
intégrée dans une dynamique ou sevrage et substitution seront des alternatives possibles en cas d’échec.
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CONCLUSIONS
Au terme de cette énumération fastidieuse, il peut paraître surprenant que des usagers de drogue
puissent sortir indemne de leur cohabitation avec les produits. En réalité, si les drogues utilisées ne sont
pas anodines, leur toxicité n’est souvent pas plus grande que celle d’autres produits largement
commercialisés comme tabac et alcool pour ne pas parler des psychotropes.
L’épidémie de sida, en confèrant aux usagers de drogue le statut de réservoir viral, épouvantail,
potentiel vecteur d’une contamination générale, a permis une remise en question de leur statut. La
demande de se protéger pour protéger leurs pairs a progressivement fait réaliser qu’ une réciprocité
était nécessaire pour rendre ce message cohérent et efficace.
Les objectifs de la vente libre des seringues puis de l’extension des traitements de substitutions étaient
initialement limités à la réduction des risques. Le débat qui a permis ces décisions a aussi fait réaliser
qu’une démarche de réduction des risques ne pouvait qu’être le fait d’un citoyen conscient de ses
responsabilités participant à la conception et à la diffusion des messages de prévention et des projets
thérapeutiques. Ce changement d’attitude permet d’envisager la mise en place de messages adaptés,
d’une utilisation des nouveaux traitements dans une optique plus large de prise en charge des
toxicomanies et une remise en question de la loi de 1970.
Si cette évolution est réussie la fréquence des complications somatiques devrait diminuer chez les
usagers de drogue et, quand elles existent, leurs prises en charge devraient être améliorées. Une
prévention bien comprise devrait permettre, en réduisant les situations d’exclusion, de réduire par
contrecoup le nombre des usagers de drogue plus sûrement que les politiques de répression auxquelles
nous avons été habitués.
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