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Groupement n°2 : La littérature et la vulgarité : Depuis les fabliaux en passant par certaines comédies de Molière jusqu’à Ubu roi, le comique de farce amuse avec des recettes simples, parfois cruelles : coups de bâton, grosses ruses, langage grossier, voire vulgaire … Pour susciter le rire, en effet, qui est « le propre de l’homme », il ne faut rien s’interdire et surtout pas le « sale ». Le défoulement scatologique est aussi présent dans La Vie devant Soi : à vous d’en retrouver un passage qui l’illustre. A propos de votre corpus ainsi constitué, vous montrerez que la vulgarité ne suscite pas que le rire : elle amène aussi le lecteur à une réflexion. Extrait n°1 : François RABELAIS, Gargantua, chapitre 13, 1534 : Rabelais est un auteur du 16ème siècle dont l’œuvre a marqué la littérature française et, en particulier, Romain Gary. Vous allez découvrir dans cet extrait que l’auteur de La Vie devant soi n’a pas été le premier à exploiter la truculence de la langue et la scatologie pour rendre compte, de façon burlesque, choquante et résolument libre de la vie dans toute sa splendeur : Comment Grandgousier reconnut à l'invention d'un torche-cul la merveilleuse intelligence de Gargantua : Sur la fin de la cinquième année, Grandgousier, retour de la défaite des Canarriens, vint voir son fils Gargantua. Alors il fut saisi de toute la joie concevable chez un tel père voyant qu'il avait un tel fils et, tout en l'embrassant et en l'étreignant, il lui posait toutes sortes de petites questions puériles. Et il but à qui mieux mieux avec lui et avec ses gouvernantes auxquelles il demandait avec grand intérêt si, entre autres choses, elles l'avaient tenu propre et net. Ce à quoi Gargantua répondit qu'il s'y était pris de telle façon qu'il n'y avait pas dans tout le pays un garçon qui fût plus propre que lui. "Comment cela ? dit Grandgousier. - J'ai découvert, répondit Gargantua, à la suite de longues et minutieuses recherches, un moyen de me torcher le cul. C'est le plus seigneurial, le plus excellent et le plus efficace qu'on ait jamais vu. - Quel est-il ? dit Grandgousier. - C'est ce que je vais vous raconter à présent, dit Gargantua. Une fois, je me suis torché avec le cache-nez de velours d'une demoiselle, ce que je trouvai bon, vu que sa douceur soyeuse me procura une bien grande volupté au fondement ; une autre fois avec un chaperon de la même et le résultat fut identique ; une autre fois avec un cachecol ; une autre fois avec des cache-oreilles de satin de couleur vive, mais les dorures d'un tas de saloperies de perlettes qui l'ornaient m'écorchèrent tout le derrière. Que le feu Saint-Antoine brûle le trou du cul à l'orfèvre qui les a faites et à la demoiselle qui les portait. Ce mal me passa lorsque je me torchai avec un bonnet de page, bien emplumé à la Suisse. Puis, alors que je fientais derrière un buisson, je trouvai un chat de mars et m'en torchai, mais ses griffes m'ulcérèrent tout le périnée […] - C'est bien, dit Grandgousier, mais quel torche-cul trouvas-tu le meilleur ? - J'y arrivais, dit Gargantua ; vous en saurez bientôt le fin mot. Je me torchai avec du foin, de la paille, de la bauduffe, de la bourre, de la laine, du papier. Mais : Toujours laisse aux couilles une amorce / Qui son cul sale de papier torche. - Quoi ! dit Grandgousier, mon petit couillon, t'attaches-tu au pot, vu que tu fais déjà des vers ? - Oui-da, mon roi, répondit Gargantua, je rime tant et plus et en rimant souvent je m'enrhume. Ecoutez ce que disent aux fienteurs les murs de nos cabinets : Chieur, Foireux Péteur, Breneux Ton lard fécal En cavale S'étale Sur nous. Répugnant, Emmerdant, Dégouttant, Le feu saint Antoine puisse te rôtir Si tous Tes trous Béants Tu ne torches avant ton départ. […] - Il n'est, dit Gargantua, pas besoin de se torcher le cul s'il n'y a pas de saletés. De saletés, il ne peut y en avoir si l'on n'a pas chié. Il nous faut donc chier avant que de nous torcher le cul ! - Oh ! dit Grandgousier, que tu es plein de bon sens, mon petit bonhomme ; un de ces jours prochains, je te ferai passer docteur en gai savoir, pardieu ! Car tu as de la raison plus que tu n'as d'années. Allez, je t'en prie, poursuis ce propos torcheculatif. Et par ma barbe, au lieu d'une barrique, c'est cinquante feuillettes que tu auras, je veux dire des feuillettes de ce bon vin breton qui ne vient d'ailleurs pas en Bretagne, mais dans ce bon pays de Véron. » Extrait n°2 : Alfred Jarry, Ubu Roi, 1896 : L’extrait qui vous est proposé est la scène d’exposition de la pièce où les personnages principaux, le père Ubu et sa femme, projettent de tuer le roi Venceslas de Pologne : PÈRE UBU Merdre! MÈRE UBU Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou. PÈRE UBU Que ne vous assom'je, Mère Ubu! MÈRE UBU Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner. PÈRE UBU De par ma chandelle verte, je ne comprends pas. MÈRE UBU Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ? PÈRE UBU De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ? MÈRE UBU Comment ! après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon ? PÈRE UBU Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis. MÈRE UBU Tu es si bête ! PÈRE UBU De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu'il meure, n'a-t-il pas des légions d'enfants ? MÈRE UBU Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ? PÈRE UBU Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l'heure par la casserole. MÈRE UBU Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ? PÈRE UBU Eh vraiment ! et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les autres ? MÈRE UBU À ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues. PÈRE UBU Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que ces gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée. MÈRE UBU Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons. PÈRE UBU Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d'un bois, il passera un mauvais quart d'heure. MÈRE UBU Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme. PÈRE UBU Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir ! MÈRE UBU, à part. Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu. PÈRE UBU Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat. MÈRE UBU Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ? PÈRE UBU Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s'en va en claquant la porte.) MÈRE UBU, seule. Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moimême, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.