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ENTREVUE | TABLE RONDE | Patrick Rich et Gaston Ouellet examinent une pièce en aluminium d'un vélo haut de gamme sous l'œil attentif de Bertrand Tremblay. D'ANCIENS DIRIGEANTS D'ALCAN RACONTENT... UN AVENIR PROMETTEUR PECHINEY ET ALUSUISSE ÉLÈVENT RTA JUSQU'AU SOMMET PAR BERTRAND TREMBLAY D'anciens cadres d'Alcan se donnent périodiquement rendez-vous à La Rapière, un chic restaurant du centre-ville de Montréal, pour fraterniser, se rappeler les grandes étapes de leur carrière et échanger leur perception des difficultés que traverse l'industrie mondiale de l'aluminium malgré la demande accrue du métal gris. Comme l'Institut pour l'histoire de l'aluminium − Amérique du Nord (IHA-ADN) présente, jusqu'en septembre, sept rencontres thématiques à la Pulperie de Chicoutimi, Al13 a considéré l'occasion propice à une rétrospective d'Alcan, et ce, à travers les témoignages d'anciens dirigeants. Des membres du groupe de La Rapière et d'autres anciens hauts gradés de la multinationale, intégrée à Rio Tinto depuis le 28 septembre 2007, se sont prêtés à l'exercice le jour même où l'ancien premier ministre Bernard Landry participait à une table ronde sur les relations qu'entretenaient Alcan, Pechiney et les différents paliers de gouvernement. L'ancien PM Bernard Landry souhaite l'intervention de l'État. Tout comme François Legault, le chef de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui autoriserait la Caisse de dépôt et placement du Québec à former un partenariat avec un opérateur pour racheter la division Alcan de Rio Tinto, monsieur Landry favoriserait l'intervention de l'État à un « réajustement pour que les Québécois soient impliqués [...] ». En passant, il fait observer que, lors de la grande transaction, le gouvernement de la Norvège était le principal actionnaire. L'ancien PM signale avoir rencontré plusieurs hommes d'affaires désireux de participer à une éventuelle transaction; à la condition, toutefois, que la conjoncture soit favorable. Quand on lui demande s'il poussera son consentement jusqu'à exercer des pressions, il s'empresse de préciser qu'il n'est pas un lobbyiste. « J'agirai comme simple citoyen... » Toutes ces spéculations découlent de la révélation faite en décembre 2013 par Sam Walsh, le nouveau grand patron de Rio Tinto, selon laquelle le conseil Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 55 « J'ai eu beaucoup de chance, tant en affaires qu'en amour », avait reconnu Jacques Bougie en recevant l'Ordre du mérite, le 5 juin 2000. Il avait profité de la circonstance pour remercier son épouse Anne-Marie. Il devait quitter la présidence d'Alcan et prendre sa retraite six mois plus tard avec la satisfaction du devoir accompli. d'administration avait sérieusement songé à se départir d'Alcan, dont le coût d'acquisition de 38 milliards $, versé en 2007, a fondu de 79 % sous l'effet de la chute du prix de l'aluminium au London Metal Exchange. Pour mieux soutenir la concurrence de la Chine et du MoyenOrient, le gouvernement du Québec a renouvelé, pour une durée de 15 ans, le contrat d'approvisionnement d'énergie avec Alcoa-Québec après avoir réduit le tarif L. Comme Alcan possède son propre réseau hydroélectrique au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la situation est bien différente. La prochaine entente devra inclure une modification du tarif L pour l'énergie supplémentaire que nécessitera la mise en exploitation des deuxième et troisième phases du Centre technologique AP60 Arvida. Les carnets de commandes sont élevés, mais les bénéfices insuffisants. 56 Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 Comment se comporte Alcan dans ce contexte? Étienne Jacques, le chef des opérations, Métal primaire – Amérique du Nord, résume ainsi la situation dans l'édition de février 2014 du « Lingot », une publication de la compagnie : « Tout au cours de 2013, le prix de l'aluminium au LME s'est souvent maintenu sous les 1 800 $ la tonne. Les inventaires sont toujours à des niveaux record au-dessus de 5 millions de tonnes. Les primes régionales, de produits et d'alliages, que nous obtenons pour nos produits à valeur ajoutée, sont demeurées relativement hautes, ce qui nous a aidés. Par ailleurs, nos carnets de commandes se sont tenus à des niveaux élevés et les usines ont livré le métal ». Rio Tinto Alcan a réalisé des bénéfices de 557 millions $ au cours de la dernière année financière, « ce qui constitue un retour sur l'investissement de seulement 2,9 pour cent. C'est insuffisant pour financer des milliards d'investissements ». Alcan souffrait d'une alumine trop chère et d'une technologie dépassée. Pour réfléchir sur les grands moments d'Alcan, Al13 a donc réuni, dans une vidéoconférence, trois anciens hauts gradés de l'ancienne multinationale : Jacques Bougie, le premier francophone à accéder au poste de pdg (1989-1993); Patrick Rich, le vice-président exécutif et administrateur à la direction générale dans les années 1980; et Gaston Ouellet, propulsé à la direction générale d'Alcan, en France, durant la 1re décennie des années 2000. Notre premier invité prenait du soleil en Floride durant ce dernier hiver interminable. Par la magie d'Internet, il se retrouvait parmi nous. Nous voulions connaître leur perception des événements déterminants pour l'entreprise à l'époque où ils occupaient des postes de direction. La première question fut dirigée vers Jacques Bougie. Votre principale préoccupation de pdg fut d'agrandir le réseau d'Alcan en vous tournant vers l'Europe pour lancer des offres d'acquisition à Pechiney, la perle de la technologie, et à Alusuisse, qui avait beaucoup de ramifications dans la transformation de l'aluminium. Pourquoi avoir choisi cet objectif? Parce que nous avions décelé deux faiblesses importantes dans notre chaîne de production, soit le coût excessif de l'alumine et une technologie dépassée. Au moment où l'entreprise procédait au remplacement d'alumineries vieillissantes, elle ne disposait pas de la technologie appropriée. Elle devenait dépendante de deux concurrentes, Alcoa et Pechiney, qui lui ont vendu leur modèle pour la construction des usines Grande-Baie, Laterrière et Alma. À travers les analyses de vos spécialistes, vous aviez donc repéré, en Europe, la solution à vos problèmes de production et de croissance? Alusuisse, la première de nos deux cibles naturelles, exploitait à très bas coût une raffinerie d'alumine. Et elle offrait, en outre, une oppor- tunité intéressante dans la transformation avec des usines fabriquant des pièces pour l'industrie automobile européenne et aussi pour les constructeurs américains. Son expertise dans ce domaine représentait une grande valeur. Quant à Pechiney, elle possédait deux alumineries et des usines d'alumine de classe mondiale. La multinationale française apportait surtout une technologie de pointe à l'égalité de celle développée par Alcoa. Finalement, le regroupement s'est avéré fort avantageux, puisqu'il renforçait les points faibles d'Alcan. Notamment le secteur d'emballage qui était relativement modeste, alors que les compagnies Alusuisse et Pechiney alimentaient, avec leurs produits d'emballage sophistiqués, d'importants distributeurs de produits médicaux et de beauté. Tous ces éléments ajoutés à ceux d'Alcan plaçaient notre société dans une classe supérieure. Voilà pourquoi nous n'avons ménagé aucun effort pour compléter la transaction. Ce ne fut toutefois pas une opération facile. La Commission européenne redoutait des conséquences éco- nomiques néfastes. Vous avez finalement réussi. Alusuisse et Pechiney appartiennent maintenant à Rio Tinto Alcan. Sous la pression de gouvernements européens, la Commission voulait nous obliger à retirer certains de nos actifs dans l'économie européenne. Une condition inacceptable. Nous n'avons pas attendu le verdict. Nous avons tout simplement retiré le dossier de Pechiney en attendant une période plus favorable. La transaction s'est finalement conclue quelques années plus tard. L'industrie automobile fait de plus en plus confiance à l'aluminium. Vous avez eu le mérite, Monsieur Bougie, de promouvoir avec insistance l'utilisation de l'aluminium auprès de l'industrie de l'automobile. Vous rouliez dans une voiture entièrement fabriquée en aluminium. On a appris au dernier Salon de l'automobile, en janvier dernier à Le chercheur émérite Mohammad Zaidi qui fut viceprésident exécutif et directeur de la RD chez Alcoa a fortement contribué à l'utilisation de l'aluminium par l'industrie automobile. Il explique ici les innovations appliquées par son équipe lors d'une entrevue accordée à Al13 en 2006. Le Dr Zaidi a pris sa retraite en 2011. Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 57 Bertrand Tremblay, Luc Boudreault, directeur général adjoint et secrétaire général du CQRDA, ainsi que Gaston Ouellet échangent sur le contenu d'Al13. Détroit, que Ford fabriquait maintenant la carrosserie de la camionnette F-150 en alliage d'aluminium, allégeant ainsi le véhicule d'un poids supplémentaire de 661 livres. GM s'apprête à imiter son concurrent. Réalisez-vous les changements majeurs que peut entraîner l'exemple d'un pdg? Le mérite de cette préférence accrue pour l'aluminium revient plutôt aux équipes de professionnels. Ils ont su convaincre les spécialistes de Ford, de GM et d’autres fabricants d'insérer progressivement plusieurs pièces d'aluminium dans les voitures. À l'époque, en effet, je conduisais une Ford Taurus. Elle paraissait encore toute neuve lorsque, plus tard, Alcan l'a remise à Ford. Ma contribution personnelle la plus efficace fut sans doute quand j'ai rencontré les dirigeants de Ford et de GM pour qu'ils acceptent que nos équipes de chercheurs travaillent ensemble à la concep- 58 Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 tion de meilleures voitures grâce à l'aluminium. Nous avons signé une entente stratégique avec GM en qualité de fournisseur privilégié pendant une dizaine d'années. Aujourd'hui, Novelis et Alcoa, qui sont les deux lamineurs de produits destinés à l'industrie de l'automobile, signent des contrats à long terme avec ces fabricants. Entre-temps, des développements importants se sont produits chez Jaguar, qui était la propriété de Ford. Certains véhicules de cette compagnie, comme ceux d'Audit, sont presque entièrement faits d'aluminium… Comment percevez-vous la situation actuelle de l'industrie mondiale de l'aluminium qui doit composer avec le faible prix du métal malgré une demande accrue? J'ai tourné la page il y a maintenant 13 ans. Je n'ai plus à regarder chaque matin le cours de l'aluminium et à me préoccuper de l'avenir du métal. Je dis ça avec un sourire, puisque j'ai développé, avec mon épouse, une panoplie d'autres activités. L'augmentation de la consommation de l'aluminium à l'échelle planétaire est essentiellement attribuable à l'essor des économies asiatiques. L'industrialisation et l'urbanisation de la Chine, particulièrement, exercent une pression énorme sur la demande d'une multitude de produits. Dans la pièce où vous vous trouvez, je pourrais facilement désigner une vingtaine d'objets faits en aluminium. Imaginez les achats de tous les articles courants d'une population de quelque 1, 3 milliard d'habitants, dont le revenu s'améliore constamment! Vous devinez comme moi les complications engendrées par une telle pression sur l'économie. Je demanderais maintenant à deux anciens collègues de ressasser à leur tour des souvenirs de leur carrière à l'Alcan. Monsieur Patrick Rich d'abord qui occupa, rappelons-le, Jacques Bougie participe activement à la table ronde comme s'il se trouvait sur place. entre 1959 et 1986, des postes de direction au Canada, évidemment, mais aussi dans six pays d'Europe et d'Amérique latine. Vous êtes venu au Saguenay au milieu de la décennie 1970 afin de préparer le renouvellement du parc industriel d'Alcan si ma mémoire est fidèle... Quand l'aluminerie Grande-Baie, la première de l'ère moderne, fut mise en exploitation en 1980, le programme de décentralisation n'était pas encore planifié. Outre Grande-Baie, il prévoyait l'étalement, sur près de 30 ans, d'usines à la fine pointe de la technologie à Laterrière, à Alma et finalement à Arvida. Grande-Baie a donc servi de banc d'essai avec la technologie P155 d'Alcoa. Et c'est, durant l'année de son inauguration, que j'ai officiellement présenté le projet global dans un discours à la Chambre de commerce de Chicoutimi. L'aluminerie Laterrière, qui reproduit le modèle Alcoa de Grande-Baie, entra en exploitation en 1989. Dotée de la Patrick Rich et Gaston Ouellet ressassent des souvenirs avec Jacques Bougie. technologie Pechiney AP30, Alma a livré ses premiers lingots en l'an 2000, soit une quinzaine d'années après mon départ, et c'est encore la technologie Pechiney qui fait tourner l'usine pilote AP65 inaugurée tout récemment. Le CRDA est devenu un véritable catalyseur pour les PME. Comment avez-vous vécu, à la même période, l'émoi causé par l'annonce de la fermeture du Centre de recherche et de développement Arvida (CRDA)? J'étais bien conscient du malaise... Bernard Landry, qui était alors ministre d'État dans le gouvernement de René Lévesque, me le fit bien sentir. L'idée de déménager les activités de recherche d'Arvida à Kingston provenait de gens du secteur. La direction n'en a pas perçu toutes les conséquences quand cette idée lui fut présentée. Comme je l'ai fait entendre à la présidence, les problèmes sont suffisamment nombreux dans le réseau mondial de l'entreprise pour en susciter un nouveau par un changement qui n'était pas strictement indispensable. En revenant sur sa décision, Alcan a transformé le CRDA en véritable catalyseur pour les PME. La recherche sur l'aluminium s'est développée à l'UQAC comme dans d'autres universités québécoises et le gouvernement fédéral a implanté, à Chicoutimi, son Centre des technologies de l'aluminium (CTA). Il s'est ainsi produit un rayonnement que personne dans l'entreprise n'avait prévu. Avant de passer la parole à Gaston Ouellet, j'aimerais entendre votre interprétation de l'empreinte carbone ou la production de gaz à effet de serre (GES) par une activité économique. Au Québec, on vante les Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 59 L'impressionnant hall d'entrée de la Maison Alcan avait des allures de Nations Unies. bienfaits écologiques de l'hydroélectricité, mais on cherche encore les avantages économiques... J'ai pris pleinement conscience de ce phénomène durant les 12 années de ma carrière consacrées à un groupe industriel qui distribuait des centaines de bouteilles de gaz spécialisées aux utilisations multiples. Nous avions vendu au réseau britannique Mark & Spencer, qui comptait quelque 455 magasins, un système logistique informatique très avancé qui réduisait considérablement le transport et, par conséquent, les frais de distribution et les GES. Il est vrai que les alumineries québécoises fonctionnent à l'hydroélectricité, une énergie verte. Mais le transport de la bauxite et de l'alumine de même que la livraison à des marchés lointains produisent beaucoup de pollution. L'équation demeure cependant favorable à RTA. Terminons notre table ronde avec Gaston Ouellet, qui a eu l'amabi- 60 Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 lité de faire le lien entre d'anciens cadres d'Alcan et Al13 pour cette rétrospective du mémorable épisode Alcan, qui se détache comme une épopée dans l'histoire de l'industrie mondiale de l'aluminium. Vous êtes membre, M. Ouellet, tout comme M. Rich de La Rapière, nom qui désigne une grande épée à lame effilée. Faites-vous de l'escrime? au Québec. Nos successeurs sollicitent parfois notre opinion, mais toujours dans le cadre de conversations amicales. Non, non, ne vous méprenez pas; nous ne sommes pas en train de changer le monde. La Rapière, c'est plutôt le nom d'un restaurant du centre-ville de Montréal. Nous en faisons notre rendez-vous périodique pour commémorer de bons souvenirs. Tous les membres s’y sont inscrits à titre personnel. Évidemment, nous surveillons l'évolution de RTA. Il nous arrive même d'inviter des dirigeants actuels à notre table. Je me trouvais en Europe lorsque la Maison Alcan a pris forme. Le projet comprenait l'insertion de trois vieilles maisons et un ancien hôtel dans un complexe revêtu d'aluminium et fort joliment intégré dans le patrimoine architectural montréalais. Le résultat mérita même, en 1984, le prix d'excellence attribué par la Corporation des architectes du Québec. La pdg Jacynthe Côté nous a déjà fait l'honneur de sa présence à l'une de nos réunions. Nous cherchons à connaître l'orientation que prend la production de l'aluminium Vous arrive-t-il de jeter un regard nostalgique sur la Maison Alcan, que le Cirque du Soleil a acquise en octobre 2013 au coût de 50 millions $ pour en faire son siège social? Et vous, M. Bougie, quel souvenir en conservez-vous? David Culver voulait que la Maison Alcan soit le centre névralgique des opérations internationales. La gérance des activités internatio- nales et canadiennes s'effectuait alors à Place Ville-Marie. La direction voulait dissocier les deux groupes pour éviter de semer dans les autres régions la perception que les administrateurs canadiens avaient une meilleure écoute auprès de la direction générale. assumé la vice-présidence des Ressources humaines de SECAL, la société qui regroupait les alumineries d'Amérique du Nord. La direction a ajouté à vos responsabilités, en février 2005, la présidence d’Alcan France. Un mandat plutôt difficile, je crois. Précisez-nous les difficultés que vous avez affrontées. Nous avons d'abord jugé préférable de confier le travail de réorganisation à l'équipe de Pechiney. Le changement était draconien, douloureux même, pour tous les employés qui voyaient le siège social de Pechiney disparaître progressivement à la suite de cette transaction. Le choc économique des années 1980-1983 a incité le conseil d'administration à modifier le projet initial. Très rapidement, il a décidé d'unir sous le même toit tous les services économiques localisés à Place Ville-Marie. Le plan avait été conçu, au départ, pour accueillir 250 personnes; cependant, il fallait trouver l'espace pour en loger 650 par la suite. Les architectes, Peter Rose et Peter Lenken, ont fait le nécessaire évidemment pour respecter la volonté du président Culver de bien ancrer à Montréal tous les attributs du siège social. Après la grande fusion, on vous a confié une mission qui a mis à l'épreuve vos talents de diplomate. Vous étiez bien préparé, puisque vous détenez une maîtrise en relations industrielles et que vous avez Le somptueux Manoir du Saguenay demeure le symbole international d'Arvida à saveur française. Patrick Rich et Gaston Ouellet commentent la page couverture d'une récente édition d'Al13. Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 61 Les panélistes analysent les conséquences de l’acquisition de Pechiney et d’Alusuisse. 62 La perte de Pechiney rappelle aux Français... la retraite de Napoléon. françaises. Je me devais de définir les objectifs de la RD et de rassurer les syndicats qui reprochaient au gouvernement français son silence et, surtout, le fait d'avoir accepté de céder Pechiney à ces cowboys d'Amérique du Nord. La première étape qui se prolongea durant sept mois fut dramatique. Je faisais continuellement la navette entre Montréal et Paris pour adoucir les angles, recoller les pots cassés... La direction a constaté que l'intégration s'effectuerait plus harmonieusement si je m'installais à Paris. Ne vous méprenez pas, je n'avais aucune autorité sur l'exploitation du réseau de Pechiney. Je n'étais que l'intégrateur. L'essentiel de mon temps servait à expliquer le programme, sa nouvelle orientation aux gens de Pechiney, aux représentants du gouvernement français, à l'ambassade du Canada, à la délégation du Québec, à la Chambre de commerce de Paris, bref aux communautés économique et politique Un journaliste du « Monde » a même comparé la vente de Pechiney à Alcan au drame de la Bérézina, cette rivière qui a marqué la fin de la désastreuse retraite de Russie par la Grande Armée de Napoléon en 1812. Bérézina sert toujours dans l'actualité française à désigner un désastre national. Je m'efforçais toujours de leur exposer les conséquences positives de la transaction avec la fusion de deux forces universelles : l'hydroélectricité québécoise et la technologie française. Tout le monde en profiterait des deux côtés de l'Atlantique. Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 En terminant, je demanderais à chacun de vous de nous révéler un bon souvenir que vous conservez de votre carrière à l'Alcan. Le « Monde », le grand quotidien parisien, a qualifié de Bérézina la vente de Pechiney à Alcan. Bérézina symbolise la retraite de Napoléon. Jacques Bougie : Mon meilleur souvenir, c'est lorsque je suis entré à l'Alcan en 1979. Et j'espère un jour être au volant d'une Ford F-150 tout aluminium. Patrick Rich : Comme j'ai quitté Alcan en 1986 pour prendre la direction d'une société européenne, je parodierai l'auteur de ce dicton : « On ne pleure pas une première épouse quand on vit avec une autre ». Et comme mon beau-père pêchait avec une chaloupe en aluminium, je voudrais bien conduire un jour, pas une Ford comme mon ami Bougie, mais une Audit faite également en aluminium évidemment. Gaston Ouellet : Ma plus grande satisfaction, c'est de réaliser que le Saguenay, ma région natale, est la première à bénéficier de l'AP65, l'innovation française et la technologie de l'heure dans l'industrie de l'aluminium. C'est un tournant décisif… Et je suis fier de proclamer que mon père et moi totalisons 88 ans de fidélité à Alcan. Trois dirigeants honorés par l'UQAC. Nous complétons cette table ronde en rappelant le parcours de deux autres anciens cadres d'Alcan, François-Sénécal Tremblay et Carroll L'Italien, qui, comme Jacynthe Côté, la pdg actuelle de RTA, détiennent un doctorat honorifique de l'Université du Québec à Chicoutimi. François Sénécal-Tremblay a fait le tour du jardin d'Alcan avant de s'installer, en 1986, à la direction générale de la Société d'électrolyse et de chimie Alcan (SECAL). Il est retourné prendre sa retraite à Montréal, sa ville natale, trois ans plus tard. « Le Saguenay− Lac-Saint-Jean, où j'ai œuvré pendant 12 ans, demeure ma seconde patrie. » Mais il garde aussi un souvenir ému des trois ans à Aughinish, une pointe isolée de l'Irlande, où il fut le pdg de l'usine d'alumine. « J'y ai connu des gens vraiment attachants », me confiait-il dans une conversation téléphonique. À ses débuts comme assistant ingénieur, en 1956, il s'imposa par sa force de caractère et son attachement à ses racines en s'adressant aux contremaîtres généraux en français. Or, à l'époque, la majorité des cadres étaient unilingues anglophones et ne s'exprimaient que dans la langue de Shakespeare. Il accélérera par son attitude l'application du français, langue de travail, que la compagnie complétera en 1975. Chevalier, Gaston Ouellet, Jean Minville, Claude Chamberland, François Ameye et Robert Salette. Alcan verse 100 000 $ à la Fondation. La Vallée de l'aluminium voue une reconnaissance impérissable à François Sénécal-Tremblay depuis qu'il a donné le premier grand élan à la mission de développement de l'Université du Québec à Chicoutimi en convainquant Alcan de verser 100 000 $ Il s'estime privilégié d'avoir travaillé avec des hommes de grande valeur comme Yvon D'Anjou, Gilles Carroll L'Italien reçoit un doctorat d'honneur de l'UQAC le 25 mai 2001. Pierre Lucier, le président de l'Université du Québec à l'époque, et Bernard Angers, qui assumait les responsabilités de recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi. Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014 63 à sa Fondation. « Il faut le dire encore et souvent, le Saguenay− Lac-Saint-Jean, a-t-il insisté en recevant son doctorat honorifique le 31 octobre 1989, mieux servi par cette université, commence à se distancer des multinationales et fait place de plus en plus aux entrepreneurs qui trouvent ici et, de plus en plus, ailleurs des débouchés pour leurs produits et services. » « L'approche raisonnée » conduit à une paix durable sous Lévis Desgagné. Quant à Carroll L'Italien, il a reçu un doctorat honorifique le 25 mai 2001 de l'UQAC. L'institution reconnaissait ainsi ses efforts pour ramener l'harmonie dans les relations de travail. Avec la collaboration de Lévis Desgagné, qui présidait alors le Syndicat des employés de l'aluminium, M. L’Italien propose que l'approche raisonnée dans les négociations, où l'inventaire des intérêts de chaque partie remplace les griefs de la confrontation. Si une paix durable s'est installée, Carroll L'Italien n'hésite pas à en attribuer une grande part de mérite à « ce syndicaliste sincère, ardent, intègre, de bonne foi et respectueux de sa parole ». En lui décernant un doctoral d'honneur, l'UQAC voulait aussi remercier monsieur L'Italien avec éclat pour le succès de la campagne majeure de financement lancée par l'Université du Québec à Chicoutimi, au montant de huit millions $, afin de soutenir l'apprentissage des étudiants. Cette grande opération fut menée avec succès sous le règne de l'ancien recteur Bernard Angers. Dans son message d'appréciation, monsieur L'Italien a fortement conseillé aux étudiants de bien « posséder notre merveilleuse langue française, de la protéger et de la respecter en s'exprimant clairement et en l'écrivant correctement... Mais, en même temps, il faut, dans ce monde sans frontières, s'enrichir avec d’autres langues ». « Notre collaboration et notre soutien remontent à la première heure et, ensemble, nous avons assisté à son éclatant développement », se réjouissait François Sénécal-Tremblay en recevant un doctorat honorifique de l'Université du Québec à Chicoutimi le 31 octobre 1989. Avant de se quitter, les trois anciens dirigeants d'Alcan se donnent rendez-vous à « La Rapière » quelque part l'été prochain. 64 Le magazine de l’aluminium | JUIN 2014