Les écoles de devoirs, un moyen pour réduire les inégalités scolaires
Transcription
Les écoles de devoirs, un moyen pour réduire les inégalités scolaires
Sup au plém e R Jui egar nt nds 20 N 06 °58 Dossier réalisé par : Françoise Janssen Jean-Paul Lebas Philippe Taquet ossier Les écoles de devoirs, un moyen pour réduire les inégalités scolaires Les écoles de devoirs sont nées il y a plus de trente ans, dans la mouvance de mai 68, pour rendre l'école plus accessible au monde populaire. Dès le départ, elles ont eu pour objectif de réduire les inégalités scolaires que tendent à reproduire le système éducatif. A la base d'initiatives citoyennes, les écoles de devoirs (EDD) se sont développées dans les années septante dans les villes et communes de Wallonie et de la région bruxelloise. Aujourd'hui, on compte en Communauté française environ 400 EDD qui aident plus de 10.000 enfants dans leur parcours scolaire. Elles se regroupent, depuis le milieu des années quatre-vingt, au sein de la Fédération francophone des Ecoles de devoirs (FFEDD). Comme le souligne la plate-forme de cette dernière, l'objectif principal des EDD reste la réduction des inégalités scolaires: "Les écoles de devoirs, initiatives volontaires extrascolaires, luttent pour l'insertion, la promotion sociale et culturelle des enfants et des jeunes issus prioritairement du milieu populaire. Ayant identifié l'Ecole comme un des lieux-clés du processus d'insertion et constatant, d'autre part, l'effet reproducteur des inégalités sociales que l'appareil scolaire entraîne, les EDD centrent leur action, via le soutien scolaire, sur la réussite et l'égalité des chances pour tous." Bien que le secteur soit très diversifié, toutes les écoles de devoirs réunies au sein de la FFEDD poursuivent les mêmes objectifs: "L'école de devoirs doit permettre à chaque enfant de développer ses potentialités, sa capacité à appréhender son environnement, à l'analyser et stimuler sa participation dans son milieu de vie. Elle vise à développer des actions éducatives, pédagogiques, sociales et culturelles qui doivent permettre d'apporter des réponses réelles aux causes de l'échec scolaire et au phénomène d'exclusion en général". A qui s'adressent les EDD? Les EDD s'adressent aux jeunes à partir du niveau scolaire fondamental jusqu'au niveau secondaire (3 à 18 ans). Pour autant, dans la majorité des cas, les EDD s'occupent des enfants qui fréquentent l'enseignement primaire. Des enfants issus principalement de milieux défavorisés qui ont des difficultés à suivre les cours et à s'adapter au rythme de l'école. "Ces enfants vivent une problématique d'acculturation et possèdent des références culturelles dont la société ne tient pas compte. Ce sont des enfants qui vivent des situations de non motivation, d'incompréhension et de retard face aux apprentissages, débouchant sur l'échec et l'exclusion scolaire. Ils recherchent un lieu et un encadrement qui favorisent leurs apprentissages et/ou leur intégration sociale et culturelle (…) Des enfants qui sont accueillis à l'EDD sans distinction idéologique, philosophique, religieuse ou raciale", renseigne la plate-forme de la FFEDD. Une majorité des enfants fréquentant les EDD sont issus de l'immigration, principalement hors Union Européenne. Des jeunes qui ne maîtrisent pas toujours bien la langue française, pas plus que leurs parents d'ailleurs, et pour qui comprendre et assimiler une matière du "premier coup" est loin d'être évident. Grâce aux EDD, une aide concrète leur est fournie pour faire leurs devoirs, apprendre une leçon ou encore préparer une interrogation. Les EDD offrent, bien souvent, aux enfants un cadre propice à l'étude qu'ils n'ont pas toujours chez eux. Certains élèves éprouvent des difficultés à travailler à leur domicile avec les petits frères et sœurs qui jouent dans la même pièce, la TV qui fonctionne, le manque de place pour étaler les cahiers et les livres. Les enfants du primaire qui se rendent à une EDD sont le plus souvent des habitants du quartier. Il y a un fait évident de proximité géographique mais aussi sociale. Les personnes qui souffrent des mêmes difficultés économiques, culturelles ou sociales s'entraident et s'informent mutuellement des solutions pour s'en sortir. La solidarité n'est pas un vain mot dans ces cas. Les parents se rendent à l'EDD pour y inscrire leurs enfants, parce que "le bouche à oreille" a fonctionné entre eux. ● Des moyens toujours insuffisants Depuis 2004 un décret reconnaît enfin les des écoles de devoirs, mais le secteur manque toujours cruellement de moyens financiers. voquant un afflux de demandes de reconnaissance impliquant une demande de subsides trop élevés face aux moyens budgétaires limités de la Communauté Française. La reconnaissance de nouvelles EDD est, à l'heure actuelle bloquée faute de moyens budgétaires à la mesure des besoins révélés par le décret. Environ 270 EDD ont été reconnues à ce jour. ossier Un sous-secteur du non-marchand Page 2 - Juin 2006 C'est à l'initiative du ministre de l'enseignement fondamental de la précédente législature, Jean-Marc Nollet, que le nouveau décret reconnaissant et subventionnant les écoles de devoirs a été voté au parlement de la Communauté française le 28 avril 2004. Celui-ci est d'application depuis le 1er septembre 2004. Ce décret établit toute une série de critères que les écoles de devoirs doivent remplir pour être reconnues et subventionnées: critères pédagogiques, administratifs, relatifs au public accueilli, relatifs à l'encadrement. En résumé, le décret reconnaît les EDD qui ont pris la forme juridique d'ASBL et qui remplissent, entre autres, les conditions suivantes : • Accueil pendant les périodes scolaires des enfants et/ou des étudiants en âge de scolarité obligatoire qui fréquentent des écoles primaires ou secondaires; • Accueil d'au minimum 10 enfants de 6 à 15 ans. L'âge a de l'importance car c'est une des raisons pour laquelle les EDD accueillent essentiellement des enfants du primaire, les plus grands n'étant pas subventionnés. • Provenance des jeunes d'au moins trois écoles différentes: condition qui assure le pluralisme de fait de l'EDD; • Rassemblement de tous les enfants qui sont volontaires pour suivre les activités: un contrat est signé par le jeune qui s'engage à fréquenter régulièrement l'EDD; • Gratuité des activités d'assistance scolaire ce qui est compréhensible vu les revenus des parents. Une participation financière peut être demandée pour des activités extrascolaires : par exemple, payer un ticket de bus pour aller visiter un musée. Ce décret a encouragé de nouvelles initiatives, des EDD déjà existantes se sont fait connaître et ont demandé leur reconnaissance officielle et de nouvelles EDD ont vu le jour. En conséquence, le décret a été victime de son succès, pro- Si le décret a eu le mérite de reconnaître officiellement les écoles de devoirs et par la même occasion le travail d'intégration sociale réalisé depuis des années par tous les animateurs et bénévoles des EDD, elles restent encore un soussecteur du non-marchand en regard des moyens financiers qu'elles reçoivent pour leur fonctionnement. Le budget de la Communauté Française alloué aux EDD s'élevait pour 2005 à 838.000 euros, soit en moyenne 3.000 à 4.000 euros par école, à peine de quoi payer le loyer ! A titre d'exemple, Graines de Génie, l'école de devoirs soutenue par la fédération liégeoise du MOC Liège-HuyWaremme (lire plus loin), reçoit 3.732,95 euros par an pour fonctionner ce qui est évidemment insuffisant. La débrouille, la bonne volonté et le travail des bénévoles sont, dès lors, indispensables pour faire vivre une école de devoirs. De plus, comme c'est souvent le cas dans le non-marchand, le secteur des écoles de devoirs dépend de budgets et de subsides provenant de différents niveaux de pouvoir, essentiellement de la Communauté Française qui est le pouvoir de tutelle, mais aussi de la Région Wallonne à travers le Ministère de l'Intégration Sociale. Le problème est que chaque niveau de pouvoir renvoie les questions de subsides aux autres échelons du pouvoir. Dernier exemple en date, la décision de la Ministre Vienne, en charge de l'Action sociale et de l'Intégration au Gouvernement Wallon, de diminuer ou de supprimer les subsides de dizaines d'associations actives dans l'intégration sociale dont 43 EDD qui ont perdu tout ou partie de leur subside (lire à ce sujet la carte blanche de la FFEDD: http://www.ffedd.be/sub/cb.htm). Les conséquences sont évidemment dramatiques pour ces écoles de devoirs, dont certaines vont devoir fermer. Pour la Ministre Vienne, si les EDD ont des problèmes de financement structurel, c'est à la Communauté Française qu'elles doivent s'adresser. On le voit, les EDD disposent de peu de moyens pour réaliser leur travail dont on reconnaît pourtant l'importance. En majorité les encadrants sont des chômeurs occupés par des ASBL avec financement dans le cadre des multiples programmes d'activation des chômeurs mis en place depuis des années tels que les APE (Aides à la Promotion de l'Emploi) ou le FIPI (Fonds d'Intégration des Personnes Immigrées). Par définition, ces statuts de création d'emploi sont instables car ils varient avec chaque législature en fonction des plans de lutte contre le chômage. Conséquence, ils entraînent une rotation constante des personnes employées et l'impossibilité, pour le secteur en général et pour chaque EDD en particulier, d'élaborer des projets de développement à long terme ● l'AEDL oriente, informe et soutient... Quel est le rôle de votre association ? Nous développons des activités qui soutiennent les EDD de la province de Liège : • orientation de personnes : bénévoles, parents, enfants vers les EDD concernées par les demandes de ces personnes. • informations vers les EDD (Communauté Française, appel à subsides, formations, nouvel outil pédagogique,…) • parution d'un journal bimensuel regroupant les informations :« Les dernières nouvelles des EDD » • soutien des EDD et aide à la création Toutes les EDD font-elles le même travail ou peut-on observer des différences entre elles ? Il y a 3 sortes d'EDD: celles qui travaillent avec les enfants, celles qui travaillent avec les adolescents et celles qui travaillent avec les deux. Chaque EDD travaille différemment, mais on peut les regrouper en 4 grandes catégories : • celles qui ne font que du soutien scolaire, de l'aide aux devoirs • celles qui font de la remédiation individuelle • celles qui font du soutien scolaire et de l'animation socioéducative (le plus souvent, le mercredi et/ou le vendredi) • celles qui se détachent du soutien scolaire pour ne faire que du socio-éducatif mais c'est difficile, car il y a une pression des parents pour que les devoirs s'y fassent. A quoi peut-on juger de l'efficacité du travail des EDD ? C'est un point très subjectif. On peut mesurer les progrès de l'enfant du point de vue scolaire, ainsi que par rapport à son approche de l'école. On peut également noter une amélioration dans sa confiance en lui. La satisfaction des enfants, parents et enseignants est également un critère d'efficacité. L'interpellation d'autres services existants (PMS, Service d'Aide à la Jeunesse, Centre de Guidance,…) pour que les EDD soient un partenaire à part entière dans l'aide à l'enfant est un autre critère. Quels rapports entretiennent les EDD et les écoles? Quels rapports devraient-elles entretenir ? Avant le décret de 2004, les rapports étaient inexistants, les EDD n'étaient pas reconnues par l'enseignement. Depuis cette date, on assiste à une ouverture timide : les écoles envoient des enfants en difficultés aux EDD et les PMS contactent les EDD pour aider au maximum les enfants. Les écoles de futurs enseignants commencent à envoyer leurs étudiants à la découverte des EDD (4 heures sur leur cursus). Le travail des EDD est reconnu, mais il n'y a pas encore de complémentarité. Pour cela, il faut clarifier le rôle de chacun et créer des espaces de rencontre, ainsi, on pourra avoir une vraie collaboration. Quelle est la situation du secteur EDD dans la province de Liège ? Il y 102 EDD affiliées à l'AEDL. Les anciennes écoles de devoirs se stabilisent tant au point de vue financier, qu'au point de vue du nombre de personne y travaillant. Les EDD plus récentes (5 ans) ont plus de difficultés. Les portes sont actuellement fermées pour les aides à l'embauche (APE) et il y a une diminution des subsides. Quant aux EDD qui se créent, ce sont soit de grosses structures (CPAS, …) qui ajoutent une activité, soit d'initiatives de bénévoles. A quels principaux problèmes, les écoles de devoirs sont-elles confrontées ? De nombreuses questions sont encore à résoudre : • Qui accueille les primo arrivants ? Comment les orienter et les aider ? • Chez les adolescents, comment résoudre le problème du français langue étrangère ? • Comment travailler de façon optimale dans les trois axes des EDD: pédagogie, culture et social ? C'est complexe et cela demande beaucoup de polyvalence. • Comment résoudre le manque de personnel et le manque de moyens financiers ? Quelles sont les revendications actuelles du secteur écoles de devoirs ? Actuellement, les EDD revendiquent essentiellement : • une ouverture de l'enveloppe budgétaire de la Communauté Française pour avoir au minimum 2 mitemps par EDD. Pour ce faire, l'enveloppe de 838.000 € devrait passer à 15.000.000 € ! • Le secteur veut faire du travail de qualité, mais avec des moyens suffisants et donc ne veut pas réduire les normes du décret, comme le suggère la Communauté Française, mais augmenter les moyens financiers. • Le secteur demande également une concertation entre la Communauté Française et la Région Wallonne pour savoir qui va reprendre le manque de subsides des EDD venant de l'intégration sociale. A plus long terme, les EDD aimeraient avoir un plus grand lien avec les communes pour un meilleur soutien. C'est un travail colossal et donc impossible pour l'instant car chaque commune est différente● FFED Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs Coordinatrice: Sandrine Meunier Rue des Rélis Namurwès 1 5000 Namur Tél. / Fax : 081/74.72.50 [email protected] www.ffedd.be AEDL - Association des écoles de devoirs en province de Liège Coordinateur : Christian Dengis Rue Stéphany 7 4000 Liège Tél. / Fax. : 04 / 223.69.07 edd.liege @ win.be http://users.win.be/eddliege/ ossier Christian Dengis , coordinateur de l'AEDL (Association des Ecoles de Devoirs en province de Liège) répond à nos questions. Page 3 - Juin 2006 Une école de devoirs à Seraing Le MOC Liège-Huy-Waremme soutient depuis sa création cette école de devoirs située à Seraing. C'est en septembre 1997 qu'est née l'école de devoirs "Graines de Génie". Elle est située au Pairay (centre de Seraing) et accueille chaque jour une trentaine d'enfants de 5 à 13 ans. Ces enfants viennent de 10 écoles différentes du territoire serésien (écoles libres, communales, de la Communauté française, enseignement spécial, enseignement ordinaire). La diversité culturelle est également une richesse de notre école de devoirs. Actuellement, 11 nationalités différentes se côtoient (belge, italienne, marocaine, albanaise, algérienne, syrienne, géorgienne, turque, congolaise, pakistanaise et kurde). tion de l'animation jeunesse et enfance), la Bibi (St Léonard), Le Courant d'air (Bressoux) et les Marmites du diable (St Laurent). Ce spectacle aura lieu le samedi 15 juillet à 22h au château de Wégimont. Un autre projet est également en préparation pour les grandes vacances : du 3 au 14 juillet, 20 enfants de Graines de Génie et 15 enfants des Marmites du diable se retrouveront à Seraing pour partager des activités et pour apprendre les techniques de la vidéo (prise d'images, de son, montage de décors, interviews d'habitants,…). Le film sur le quartier sera également présenté à Wégimont. Développer le goût d'apprendre Une école de devoirs, ce n'est pas que les devoirs ! ossier Graines de Génie propose de nombreuses autres activités (mercredi et vacances scolaires) pour permettre à l'enfant de se développer, d'être autonome, d'être un futur citoyen responsable : découverte nature, bibliothèque, piscine, grands jeux, activités intergénérationnelles (visite d'un home pour personnes du 3ème âge), rencontres d'artistes, création tridimensionnelle, création d'un petit spectacle pour le marché du monde au centre culturel de Seraing, rencontres avec les enfants des autres écoles de devoirs … Actuellement, les enfants de Graines de Génie travaillent un projet sur le thème de «l'Eau». Plusieurs activités ont été organisées tout au long de l'année: visites d'un bois et de son ruisseau avec des guides natures, d'une station de pompage. Grâce à un grand jeu, sensibilisation à l'importance de l'eau. Ateliers d'écriture. Graines de Génie prépare aussi un spectacle, toujours sur le thème de l'eau, en collaboration avec quatre autres associations: C-Paje (collectif pour la promo- Evidemment, tout n'est pas facile à Graines de Génie. Les difficultés des enfants sont nombreuses et l'équipe en place essaye d'y faire face le mieux possible. C'est ainsi que Graines de Génie collabore depuis plusieurs années avec différents organismes : • les écoles du territoire serésien pour aider au mieux les enfants dans leur travail scolaire. • les PMS (centres psycho-médico-sociaux) pour que le suivi des enfants soit optimal. • d'autres associations d'informations et d'aides aux jeunes pour offrir non seulement un soutien aux enfants mais également aux parents. Graines de Génie est une école de devoirs qui bouge et qui a encore plein de projets dans ses tiroirs.Tout cela ne se fait pas sans effort, en effet, Graines de Génie fonctionne avec une coordinatrice salariée et une dizaine d'animateurs bénévoles. Ces animateurs (pensionnés, travailleurs, étudiants ou demandeurs d'emploi) viennent quelques heures par semaine. Sans eux, rien ne serait possible, d'où la recherche perpétuelle pour que cette équipe soit assez étoffée afin de continuer à apporter un maximum d'aide aux enfants ● Si vous voulez en savoir plus sur l'école de devoirs "Graines de génie", n'hésitez pas à contacter Janssen Françoise 0498/17.18.53 [email protected] L'école de devoirs est avant tout un lieu de vie, d'accueil et d'écoute des enfants. Page 4 - Juin 2006 Chaque jour, en plus de l'aide aux devoirs, les animateurs et bénévoles de l'école de devoirs essayent de (re)donner aux enfants confiance en leurs possibilités et de développer le goût d'apprendre. Il y a aussi un travail d'accompagnement des parents dans la scolarité de leurs enfants. L'école de devoirs est avant tout un lieu de vie, d'accueil et d'écoute des enfants.