CENTRE DE PROSPECTIVE DE LA GENDARMERIE NATIONALE
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CENTRE DE PROSPECTIVE DE LA GENDARMERIE NATIONALE NOTE DE SYNTHESE GROUPE DE TRAVAIL « GENDARMERIE ET RENSEIGNEMENT » LA FONCTION RENSEIGNEMENT : ETUDE COMPAREE DE POLITIQUES PUBLIQUES Jean-Paul HANON 2007 1 INTRODUCTION Définition du mandat En septembre 2006, la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale a décidé de créer un groupe de travail réduit qui aurait pour tâche de travailler sur la thématique « Gendarmerie et Renseignement ». Ce groupe de travail, présidé par M. Jean-Paul HANON, réunissait le Général FOURNAISE Inspecteur Général, le Colonel LAPPRAND, Secrétaire Général du CPGN, ainsi que le Lieutenant Colonel VIDAL, Chargé d’études au Centre de Prospective. Le mandat du groupe de travail était libellé de la manière suivante : « Le groupe de travail Gendarmerie et Renseignement a pour mission de procéder à tout éclairage utile à la compréhension de la fonction Renseignement entendue comme la production d’un service rendu à l’extérieur au profit des autorités et, par ailleurs, comme une ressource interne pour conduire les différentes activités de service, quelle qu’en soit la finalité en vue de l’établissement d’un niveau satisfaisant de sécurité ». En filigrane de ce libellé, le mandat du groupe de travail s’inscrivait de fait dans une triple préoccupation. Il était d’abord le prolongement d’une étude effectuée en 20051 et qui s’intitulait : « Gendarmerie et technologies de sécurité : L’impact de la haute technologie sur la sécurité – Analyse comparée » et qui avait pour objet d’évaluer les principales transformations et tendances en matière de technologies de sécurité et d’analyser leur impact sur les conceptions et les pratiques du travail de police. De manière concomitante, le travail du groupe s’est effectué en parallèle d’une autre étude intitulée : « Les NTIC dans le traitement du renseignement »2 dont l’objectif était d’établir l’état des lieux de la fonction renseignement en Gendarmerie et des NTIC en œuvre ou en projet à court terme. Ce faisant, cette étude abordait également l’utilisation des technologies de l’information et de la communication par la délinquance, le concept « d’Intelligence Led Policing » et de son éventuel impact en Gendarmerie. Compte tenu des éléments de connaissances et des propositions faites dans le cadre de ces deux études, le mandat du groupe de travail se situait dans une perspective plus large : « La compréhension de la fonction renseignement » qui supposait dès lors une analyse plus globale de l’architecture de renseignement en place dans la Gendarmerie », un jugement sur son efficacité, une mise en perspective avec d’autres architectures existantes à l’étranger, et la mise au point de pistes de réflexion et de propositions destinées à renouveler l’approche du renseignement en Gendarmerie. 1 Voir Rapport final « Etude Gendarmerie et technologies de sécurité » sous la direction d’Ayse Ceyhan par Ayse Ceyhan, Jean-Paul Hanon et Sylvia Preuss-Laussinotte, Etude CPGN 2005. 2 Cf. « Les NTIC dans le traitement du renseignement », Rapport final, Eurocrise, Général Jean-Pierre Meyer, Avril 2007. 2 Enfin, si l’objectif de ce mandat était bien une approche renouvelée de l’architecture de renseignement de la Gendarmerie, il posait du point de vue théorique deux types de problème à résoudre. Le premier était de savoir si, compte tenu de la fluidité des échanges mais aussi des menaces qui caractérisent nos sociétés, de l’internationalisation des échanges de données, du progrès technologique en matière de NTIC, du respect des libertés fondamentales, la Gendarmerie française devait passer d’une force de police reconnue en terme d’analyse criminelle tactique, de capacité de réaction, de généralisation empirique des pratiques et en terme de savoir policier à un modèle fondé sur l’analyse stratégique du renseignement 3 permettant d’organiser différemment le travail de police, d’anticiper les actes de violence, et d’en mieux comprendre la cause. Le second touche au fondement du travail de gendarme. Si la Gendarmerie française, son mode d’organisation et ses pratiques, participent non seulement au maintien mais encore à l’entretien de la cohésion sociale, il reste à comprendre comment conjuguer large emploi des technologies de sécurité, analyse stratégique du renseignement, qui supposent une certaine mise à distance du citoyen ou du groupe auquel il appartient et proximité : proximité signifiant d’abord capacité à « rassurer et protéger » et respect des libertés fondamentales. Méthodologie Sur le plan méthodologique, la démarche adoptée a été la suivante : constat de l’existant, analyse et premières implications ; analyse comparative par examen des systèmes de renseignement anglais et bavarois ; implications pour la Gendarmerie, axes de réflexion et propositions. Les deux pays choisis l’ont été pour des raisons précises : l’Angleterre, parce qu’elle est le lieu d’un emploi massif des technologies de sécurité organisé autour du concept d’Intelligence Led Policing, concept lui-même démarqué par EUROPOL ; la Bavière, parce qu’elle a développé des applications performantes mettant en œuvre les NTIC, mis l’accent sur le travail des analystes et l’anticipation des situations violentes, tout en restant consciente du lien à maintenir avec sa population. L’analyse empirique s’est nourrie de toute une série d’entretiens au sein de la Gendarmerie Nationale recouvrant tout le spectre de la hiérarchie et celui des compétences que nous avons jugées essentielles. Pour ce qui concerne les deux pays étrangers, lieux d’enquête, nous nous sommes attachés à rencontrer les responsables les plus pertinents pour le sujet de notre étude. Par ailleurs, nous avons fait un large usage de la documentation disponible de façon à argumenter nos constats. 3 ou selon le vocable anglais « Intelligence Led Policing ». 3 1. CADRE DE LA REFLEXION 1.1. RENSEIGNEMENT, SURVEILLANCE ET TECHNOLOGIES DE SECURITE 1.1.1. Définitions et implications On proposera la définition suivante du renseignement : la production d’une information pertinente, selon un cycle organisationnel pour la formation d’une politique, et l’on ajoutera, dont la résultante est l’usager. La notion de surveillance pourrait être définie comme : « toute activité qui, opérée au moyen d’instruments et de techniques, consiste en l’observation, la collecte, l’enregistrement et le traitement non occasionnel de données à caractère personnel d’une ou de plusieurs personnes relatives à des comportements, des mouvements, des communications et à l’utilisation d’appareils électroniques et informatiques »4. « Etre sous surveillance signifie que les données relatives à nos déplacements et activités personnels sont enregistrées par des technologies pour le compte des organisations et des gouvernements qui structurent notre société. Ces informations sont ensuite triées, passées au crible et classées pour servir de base à des décisions qui affectent nos chances de vie »5. Ce qu’il importe de comprendre, c’est que la surveillance se développe actuellement dans le contexte de la modernité, c’est-à-dire au carrefour de l’informatisation, du développement des NTIC, de l’accélération des flux et des législations qui les réglementent. Elle est fondamentalement le produit de la nouvelle fluidité qui caractérise nos sociétés et de l’inquiétude qu’elle suscite. Comprendre la surveillance comme un effet de la modernité permet de prendre conscience qu’elle est un phénomène ambivalent : elle peut être utile dans la mesure où l’accélération du mouvement est aussi accélération de l’information et du progrès. L’usager et le citoyen qui y recourent massivement à titre individuel sont aussi les acteurs qui la légitiment quotidiennement. Dans le même temps, la surveillance contemporaine recourt puissamment au système de surveillance de masse caractérisé par la collecte, le stockage et la maintenance d’informations concernant les clientèles de masse. En ce sens, elle est porteuse de risques 6 engendrés par la corruption des pouvoirs, les détournements d’usage, la suspicion. Elle est endémique d’une sociologie du contrôle social, c’est-à-dire d’une sociologie de la sanction des écarts vis-à-vis des normes ou de systèmes de valeurs ; et donc, comme vient le rappeler le Rapport sur la Société de Surveillance, « elle est inséparable du tri social, qui pousse à organiser nos sociétés de manière subtile et parfois involontaire, sans véritable débat démocratique ». En conséquence, penser la fonction renseignement dans sa modernité, c’est penser une société de surveillance aux prises avec les systèmes de surveillance de masse, ce qui implique pour les acteurs qui l’animent et donc la Gendarmerie : 4 « La protection des données en relation avec la surveillance », Rapport Butarelli, Conseil de l’Europe, 2000. Rapport sur la société de la surveillance préparé à l’intention du Commissaire à l’Information, rapport de synthèse, Kirstie Ball et David Murakami Wood, Sept. 2006. 6 Ibid note 5. 5 4 Une connaissance approfondie des technologies de sécurité dispensée jusqu’au niveau opérationnel. Une réflexion sur les droits de l’Homme et la vie privée, car « il est anormal d’attendre du citoyen ordinaire qui fait l’objet d’une surveillance, quel que soit son niveau de connaissance, qu’il puisse se protéger lui-même7 ». Une réflexion sur la transparence et la responsabilité : transparence quant à l’utilisation des données personnelles collectées et leur mise à jour ou leur suppression ; responsabilité, car les institutions responsables d’actions de surveillance de masse doivent assumer la manipulation des données, le travail réglementaire inhérent à celle-ci et l’obligation d’information. Une réflexion sur la finalité de toute démarche préventive inhérente à la surveillance et l’obligation d’ajuster le niveau de surveillance à la proportionnalité de la menace et des risques. 1.1.2. Fonction renseignement et nouvelles contraintes Ces contraintes sont de trois ordres. Elles tiennent au fait que : les techniques d’information et de communication deviennent partie intégrante des politiques de sécurité en Europe et influent sur l’activité juridique et judiciaire ; se développent la coopération internationale en matière d’échanges de données, et celle entre polices européennes ; les spécificités du métier et de l’activité de gendarme restent incontournables. 1.1.2.1. Renseignement, NTIC et droit européen Le développement phénoménal des NTIC ces dix dernières années et l’accélération que celuici a subi depuis septembre 2001 au nom des politiques antiterroristes font que les technologies d’information et de communication sont devenues partie intégrante des politiques de sécurité en Europe. Cette accélération, historiquement, s’est produite dans le cadre du contrôle des frontières de l’Union Européenne, puis, presque simultanément, de la lutte contre le crime organisé, et enfin, des politiques antiterroristes. Les techniques d’information et de communication, utilisées à l’échelon européen pour le contrôle des déplacements des personnes, de la circulation d’informations de toute nature issues de la dématérialisation des procédures ainsi que des communications, conduisent à la constitution de larges bases de données et à une mise en relation des informations. Ces dernières permettent, d’une manière jusqu’ici inégalée, de révéler l’intimité des personnes, de cartographier leurs activités et d’identifier les réseaux de relations tissés entre elles. En conséquence, les politiques publiques de sécurité européennes fondées sur les NTIC donnent progressivement lieu à l’établissement de standards techniques irréversibles, de codes de déontologie et de conduite, à des schémas de structuration économique de long terme, à des modes de comportement sociaux qui s’organisent en fonction de la surveillance exercée, et plus globalement, à la remise en cause d’aspects fondamentaux de l’état de droit. Il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’utilisation des NTIC ayant pour objectif une meilleure connaissance des phénomènes criminels et violents en général, de la criminalité 7 Ibid note 5. 5 organisée en particulier, et de l’action terroriste. Il serait naïf de croire que la nouvelle fluidité des flux, des biens, des personnes et des transactions ne s’accompagnerait d’aucune modification en terme de menaces, de structuration des réseaux criminels, de mise à profit de la technologie disponible, de vulgarisation des savoirs et d’utilisation de ces mêmes NTIC à des fins violentes. Il ne s’agit pas non plus de nier les avantages que l’on peut tirer de la coopération policière européenne face à la fluidité des échanges criminels et donc de l’impératif qu’elle constitue. En outre, si la surveillance contemporaine est bien un produit de la modernité, le choix n’est plus de savoir s’il y aura diffusion des technologies de sécurité mais bien de comprendre les causes, les modes et les conséquences de cette diffusion. L’intrusion des activités de surveillance, et plus généralement celles de renseignement, dans la sphère intime des citoyens de l’UE a engendré une prise de conscience croissante des individus, associations, corps politiques et structures dédiées à la protection des libertés en faveur d’une meilleure transparence des échanges de données, de leur accessibilité et d’un plus grand contrôle des structures qui font du renseignement policier leur activité première. On observe à cet égard une recomposition dans les organisations et les pratiques des professionnels du droit dont l’horizon d’activité est de moins en moins national et de plus en plus international : ce contexte d’internationalisation a pour effet de modifier le statut du droit et de la justice par rapport à l’Etat et aux politiques nationales. Implications pour la gendarmerie En conséquence, toute réforme de la fonction renseignement en Gendarmerie suppose qu’elle aille au-delà du prima donné actuellement à l’usage intensifié des NTIC pour des politiques de surveillance nationale et européenne. Se pose déjà et se posera avec toujours plus d’acuité la question de la prééminence d’un droit européen en matière de respects des droits humains, c'est-à-dire de droit à la vie privée et de protection des données personnelles ; d’une vulgarisation de ces droits et d’une plus grande résistance des populations à ce qu’elles considéreront comme une source durable d’inégalité dans leur vie quotidienne ; de la suspicion de ces mêmes usagers à l’égard des services publics qui donneront aux services de police accès à leurs données personnelles ; de la recherche d’un arbitrage qui s’imposera de plus en plus à l’échelon européen. La Gendarmerie, qui reste fondamentalement une institution de la proximité, n’a rien à attendre d’un endormissement collectif de la société française sur les libertés, ce qui suppose qu’avant toute mise en place d’un système de collecte, d’analyse et de diffusion de l’information, elle réfléchisse de sa propre initiative aux réponses à apporter à la grille d’analyse suivante : Quelles sont les raisons légitimes et légales de la collecte d’informations ? L’objectif visé est-il proportionnel à la menace envisagée ? Quels sont les mécanismes de la collecte ? Quelles sont les modalités de stockage ? Les données sont-elles sécurisées et par qui ? L’utilisation des données est-elle compatible avec les raisons pour lesquelles elles ont été collectées ? Les données sont-elles disponibles pour d’autres autorités ou agences ? Selon quelles règles ? 6 Existe-t-il un mécanisme par lequel l’individu est informé qu’une donnée qui le concerne a été collectée, stockée et utilisée ? Existe-t-il un mécanisme de correction ou de retrait de ces données ? Quels sont les recours pour un individu dont les données ont été collectées et/ou utilisées incorrectement et qui en a subi le préjudice ? Ce faisant, elle sera conduite nécessairement : 1- A prendre en compte la dynamique de l’élaboration des normes et de la jurisprudence européenne en matière de protection de la vie privée et de protection des données individuelles, aspect désormais central de toute fonction renseignement et de la coopération policière ; ce qui suppose un suivi extrêmement attentif de ses questions au niveau européen. 2- A concevoir ses systèmes de collecte, de traitement, d’analyse et de diffusion des données sous l’angle non seulement technique mais aussi juridique, ce qui suppose qu’elle dispose de sa propre expertise. 3- A une réflexion plus exigeante sur l’équilibre à respecter entre capacités d’intrusion et proximité. 1.1.2.2. Coopération policière européenne S’agissant du programme de La Haye. Les tentatives pour améliorer la coopération policière au sein de l’Union Européenne se sont faites de manière relativement lente jusqu’en 1999. Le traité de Maastricht, l’incorporation des acquis Schengen dans le droit de l’Union et la ratification de la Convention EUROPOL 1999 constituent les premières étapes de cette coopération. Celle-ci n’a guère donné satisfaction : le niveau d’échange d’informations entre services de police s’est révélé décevant pour des motifs classiques qui tiennent autant aux réticences à partager les informations, au manque de confiance entre les Etats membres qu’à l’absence de clarté du cadre dans lequel devrait s’effectuer cet échange d’informations. Les objections formulées par les Etats membres, l’élargissement de l’Union Européenne et l’accent mis sur les politiques antiterroristes ont conduit à renouveler les fondements de la coopération policière dans l’UE avec la mise en œuvre du Programme de La Haye et de son Plan d’Action. Les mesures contenues dans le programme visent à dynamiser la coopération opérationnelle entre les services de police, à améliorer les échanges de données personnelles et d’informations stratégiques entre ces services et leurs équivalents européens et à développer les bases de données de l’Union Européenne.8 S’agissant du principe de disponibilité des informations9, celui-ci est un palliatif à l’échec que constitue la création d’un espace fédéral où aurait pu se faire la mise en commun des données grâce à la collaboration policière européenne. Dès lors, le partage des données recueillies par les différents services de police s’est imposé comme le mode le moins conflictuel de la coopération policière dans l’UE. En effet, l’échange des données sous forme d’interopérabilité des systèmes n’implique pas forcément une mise en commun de l’ensemble des données et encore moins des catégories uniformes de recueil. Il n’implique plus 8 A cet égard, on lira avec grande attention : « La coopération policière : Les principaux obstacles à la coopération policière au sein de l’UE », Mitsilegas Valsamis, communication présentée au CEPS le 6 mars 2007. 9 Cf. « Principe de disponibilité des informations », note rédigée par Didier Bigo, Willy Bruggeman, Peter Burgess et Valsamis Mitsilegas dont est tiré l’esssentiel de ce paragraphe, consultable sur http://www.libertysecurity.org/article1377.html 7 d’obligation de réponse et l’échange de données suppose simplement l’acceptation dans certains domaines ou sur certains sujets d’une collaboration de principe. Le principe de disponibilité appelle les commentaires suivants10 : « Le principe de disponibilité empêche une autorité requise d’ignorer purement et simplement une demande d’une autorité étrangère, si celle-ci est disponible pour une autorité nationale aux compétences équivalentes. L’information ne dépend donc plus de la bonne volonté de l’autorité répressive de l’Etat requis. Le principe de disponibilité s’inscrit dans le cadre du développement d’un espace de liberté sécurité et justice à l’échelle européenne et il est dans la droite ligne des dispositions du traité de l’Union Européenne (Article 29) qui met l’accent sur un régime d’échange des informations qui soit sans obstacles frontaliers. Le programme de La Haye et son programme d’application, adopté le 4 novembre 2004, a fait d’un meilleur échange d’informations entre les pays européens la condition même du succès de l’espace de liberté, sécurité et justice. Il est impossible, dans un contexte où les gouvernements insistent sur la nécessité de collaboration internationale, de refuser des moyens de faciliter les échanges en matière de données. La cohérence entre les discours en faveur de la coopération et sa mise en pratique pour des résultats concrets passe nécessairement par un échange rapide d’informations, limitant le nombre d’interlocuteurs et standardisant les procédures. En remettant en cause les pratiques « propriétaires » des agences de police à l’égard des informations disponibles, le principe de disponibilité s’attaque à un des problèmes centraux de la rétention d’informations par une partie requise et au refus de la collaboration. Le concept de disponibilité est donc crucial parce qu’il touche, via les échanges transnationaux de données, à la relation qu’entretiennent les autorités répressives, y compris à l’intérieur d’un même pays, à la relation entre ces autorités et leurs autorités politiques, ainsi qu’à ce que chaque pays définit comme autorité répressive. Le principe de disponibilité permet donc d’échanger au niveau européen des informations de manière cohérente et homogène dans tout l’espace de l’Union Européenne (contrairement au traité PRÜM), de manière plus directe (contrairement au système qui passe par l’intervention d’autorités hiérarchiques différentes ou de points de contact centraux nationaux), plus rapide (via l’accès direct et via des procédures simplifiées de demandes, une fois connu le dépositaire d’informations). » Le principe de disponibilité structure quatre types de débat distincts : 10 Il pose la question de l’architecture à mettre en place, de la gestion des entrées et des données dans le système et du temps passé à traiter les demandes des autres autorités. Il suppose de trancher la question de savoir qui aura accès au système et qui sera obligé de répondre. S’agira-t-il de tous les services de police compétents de toute l’UE Ibid note précédente. 8 ou s’agira-t-il de créer des filtres, points de contact ou bureaux centraux nationaux, au risque d’entamer les critères de rapidité et de disponibilité. Mais la critique la plus importante est d’un autre ordre. La disponibilité des informations va à l’encontre du principe selon lequel une information confère un certain pouvoir, qu’elle a une certaine valeur et qu’elle est monnayable en terme de réciprocité. Elle n’est plus la propriété d’un service spécifique. Il s’agit là sans doute du côté le plus novateur du concept. Par ailleurs, la norme implicite de la « propriété » des informations, caractéristique des habitudes policières, ne doit pas faire oublier le point essentiel, à savoir que les informations sur une personne lui appartiennent en propre (Article 8 de la Convention des Droits de l’Homme). Enfin, un des principaux bénéficiaires du principe de disponibilité sera sans doute EUROPOL, car celui-ci ne dépendra plus du bon vouloir (tout à fait relatif jusqu’à présent) des autorités répressives nationales. Les pays ou les institutions policières nationales qui craignent l’émergence d’une police fédérale ont bien compris cette relation entre principe de disponibilité et pouvoir d’EUROPOL dans le futur, d’autant que sur le plan technique, c’est sans doute le système d’information européen d’EUROPOL qui servirait de point d’application au principe de disponibilité. Implications pour la gendarmerie Il y aurait erreur à la fois stratégique et opérationnelle pour la Gendarmerie à sous estimer les modes et concepts de la coopération policière tels qu’ils apparaissent actuellement. Stratégique, parce qu’une vision d’ensemble de tous les instruments de la coopération policière en Europe démontre que l’on s’achemine vers une centralisation des systèmes de collecte de données, une augmentation des capacités d’analyse, la mise au point négociée de normes de partage du renseignement et une plus grande interopérabilité des plateformes techniques. Le cas d’EUROPOL est emblématique de cette évolution avec la remarque notable que ce sont l’Allemagne et le Royaume-Uni qui proposent actuellement les standards qui s’imposeront sous une forme ou une autre à l’ensemble des pays qui ont adhéré à la Convention : l’Allemagne, en matière de centralisation du renseignement, l’Angleterre, pour la diffusion de son concept d’intelligence-led policing. Opérationnelle, parce qu’une fois de plus, notre relatif désintérêt pour les questions de la coopération policière européenne (et judiciaire) font que la réflexion, les normes, les standards et les plateformes techniques nous sont imposés. Les services de police nationaux n’étant pas présents en amont de la réflexion, la seule attitude possible ne peut être que réactive à des processus déjà largement élaborés. Par ailleurs, la mise en place du principe de disponibilité des informations et les implications ou les débats qu’il implique font apparaître un changement de nature dans le mode de partage du renseignement qui entraîne à son tour un changement de nature quant au concept même de données ou d’informations. Les questions de confiance, de crédibilité, de sens à assigner à l’information, de fiabilité, de propriété de cette information, ouvrent des débats dans lesquels il importera d’être présents. 9 1.1.2.3. Spécificités du métier et de l’activité de gendarme Périurbanisation On assiste, au travers de ce phénomène massif de périurbanisation des campagnes, à une homogénéisation croissante des comportements et donc des attentes et des sollicitations de la part de publics de plus en plus typés : personnes âgées, femmes, jeunes individus. Cette périurbanisation va de paire avec une densification des sollicitations auxquelles sont soumis les gendarmes au moment même où les communautés de brigades voient leurs aires de surveillance et d’investigation s’accroître et où la connaissance intime que le gendarme avait de son environnement vient du même coup à se restreindre. Un métier en « fortes secousses » Le métier de gendarme est désormais en tension permanente entre polyvalence et spécialisation et, dans ce cadre, le rôle de la brigade ou de la communauté de brigades est central. En effet, il ne s’agit pas de distinguer, comme on l’a fait jusqu’à présent, entre une gendarmerie polyvalente chargée de la surveillance générale d’un territoire et une gendarmerie aux métiers spécialisés (brigades de recherche, brigades de prévention de la délinquance juvénile…), mais bien de comprendre que la polyvalence est au fondement du métier de gendarme et de la proximité qu’il entretient avec la population : elle participe au maintien de la cohésion sociale. La polyvalence en effet n’est pas à mesurer en terme de déspécialisation ou de professionnalisme insuffisant. Elle est bien au contraire capacité d’autonomie et donc de réactivité, gestion de l’évènementiel, c’est-à-dire de l’accroissement de la sollicitation signalée plus haut, prise de risque et donc valorisation de la personne. Surtout, elle permet aux gendarmes d’agir sur la totalité du spectre de l’investigation. C’est au nom de la polyvalence que le gendarme est capteur d’informations et donc fabriquant de réseaux, gestionnaire et analyste de l’information, enquêteur et homme de loi. Elle sous-tend la disponibilité. Il n’y donc pas à opposer polyvalence et spécialisation, les structures spécialisées ne venant qu’à l’appui de la polyvalence. En revanche, il s’agit bien de mieux professionnaliser la polyvalence au travers de l’ergonomie des outils qui sont mis en place, de la compréhension des procédures, de leur allègement, d’une autre organisation des tâches et du temps de travail et, finalement, de la formation en écoles ou continue. Cette compréhension imparfaite de ce que recouvre le terme polyvalence en gendarmerie est la source majeure des tensions hiérarchiques, peu exprimées mais réelles, qui proviennent de cette demande insatisfaite de professionnalisation pour cause d’urgence, de clientèles à satisfaire à plus haut niveau hiérarchique, d’effectifs insuffisants et de lenteur dans la mise en place des moyens. Gendarmes et policiers Pour la majorité des gendarmes interrogés, partager le renseignement avec la Police, c’est se voir dépouiller de sa propriété, c’est constater que l’utilisation de celui-ci se fait au seul bénéfice de la Police, mieux représentée qu’eux au niveau institutionnel, c’est observer dans la plupart des cas le principe de non réciprocité. Ce constat est d’autant plus préoccupant que gendarmes et policiers seront appelés à coopérer plus étroitement et à partager les plateformes techniques de recueil, d’analyse et de diffusion du renseignement. 10 Implications pour la Gendarmerie Dans ce contexte, il appartiendrait à la Gendarmerie : 1- D’évaluer les conséquences à court et à moyen terme de la périurbanisation des zones gendarmerie et de l’extension des territoires d’investigation attribués aux communautés de brigades, en terme de charges de travail, de gestion des temps libres, d’écoute et de réponses aux sollicitations ; 2- De considérer, compte tenu des deux facteurs précédents, la communauté de brigades comme l’échelon opérationnel essentiel qui doit disposer d’un renforcement de ses outils de collecte et d’analyse du renseignement étant donné la complexité croissante de l’environnement dans lequel elle évolue ; 3- De préserver le critère de polyvalence d’autant que, plus les systèmes de renseignement croissent en taille, moins ils sont humains, vu la quantité des informations recueillies et les logiques techniques, et plus ces informations perdent de leur sens ; 4- De valoriser le renseignement recueilli par les gendarmes aux différents niveaux hiérarchiques, quelles que soient les clientèles, de façon à restaurer le niveau de confiance indispensable permettant l’échange d’informations avec la Police. 11 2. LA FONCTION RENSEIGNEMENT DE LA GENDARMERIE : CONSTAT ET ANALYSE 2.1. CONDITIONS DE L’ENQUETE Ont fait l’objet d’une enquête : la Région de Gendarmerie de Bretagne ; le Groupement de Gendarmerie de Rennes ; la Compagnie de Montfort-sur-Meu ; la Région de Gendarmerie d’Aquitaine ; le Groupement de Gendarmerie de Bordeaux ; la DGGN : Sous direction des Télécommunications et de l’Informatique (Bureau SIS) ; Sous direction de la Police Judiciaire ; Sous direction de la Coopération Internationale ; Sous direction de la Défense et de l’Ordre Public. Le questionnement s’est effectué selon la grille générale suivante : Le niveau de satisfaction engendré par l’organisation actuelle du renseignement ; Les modes de transmission, de partage et de retour du renseignement tant au niveau interne que national ; Les échanges de données et la coopération policière au niveau européen ; La mise en place des nouvelles plateformes NTIC ; La formation ; L’armement des cellules renseignement et la gestion des temps de travail. 2.2. CONSTAT APRES ENQUETE 2.2.1. La fonction renseignement de la Gendarmerie n’est pas structurée, et d’abord au niveau de la réflexion : Elle n’est pas inscrite dans le processus de la coopération internationale, que celle-ci soit policière, judiciaire ou législative d’une manière ordinaire et routinière. Cette absence, en amont de la réflexion européenne et des instances de préparation à la décision, fait qu’à l’avenir, les stratégies, normes législatives, standards techniques, procédures, plateformes NTIC tendront à lui être imposés, alors que la Gendarmerie, force de police considérable à l’échelon européen, dispose d’atouts très réels en matière d’analyse criminelle, de transmission de données, et plus généralement, d’aptitude à la proximité. C’est dans ces trois champs que la Gendarmerie devrait d’abord se poser comme acteur déterminant de la réflexion policière en Europe. 12 Elle ne repose pas sur une stratégie clairement identifiée car elle ne dispose pas d’un outil central de l’évaluation de la menace qui lui permettrait, non seulement de mieux orienter la recherche mais surtout d’anticiper sur les phénomènes violents et d’en mieux comprendre leur cause. Elle ne dispose pas non plus d’un mode de planification opérationnelle commun à tous, en dehors du PPR dont nous avons souligné le caractère évasif. L’absence de capacité d’analyse et de synthèse est la conséquence logique de cet état de fait. En gendarmerie, c’est la procédure qui déclenche le renseignement et celui-ci est fondamentalement de nature réactive. Cette absence de capacité d’analyse et de synthèse n’engendre ni l’anticipation des phénomènes violents, ni corollairement l’anticipation budgétaire, l’effort de recrutement et la définition réaliste des plans de charge des unités. Elle ne dispose donc pas d’un référentiel commun en matière de renseignement qu’elle pourrait faire partager. Il n’y a pas, en ce sens, de culture du renseignement ; il existe des modes opératoires, des habitudes, de l’initiative, des logiciels adaptés aux situations locales, réglementaires ou pas, une vraie motivation aussi et donc une très réelle demande pour une fonction renseignement dynamisée. Elle n’a pas anticipé sur les nouveaux processus de collaboration qui se mettent en place au niveau national entre les différentes polices. Nous formulerons ici les deux hypothèses suivantes : en premier lieu, ce défaut d’anticipation n’est pas tant dû à des phénomènes de culture mais plutôt à la structure même de l’échange d’information au sein de la Gendarmerie. Ensuite, parce que les questions corporatistes semblent prendre, avec la réforme de la Police et la nouvelle unicité de commandement décidée par le politique, une importance accrue. L’autre, « le policier » est considéré comme celui bénéficiant d’un avantage non mérité, alors qu’il serait moins disponible, moins bien formé, moins efficace, toute chose que le désaveu public confirmerait. C’est cette conviction, avérée ou pas, qu’il faut désamorcer. Elle a été victime de l’approche comptable qui s’est imposée lorsqu’il s’est agi d’appliquer la LOPSI de 2002 ; approche qui partait du principe qu’il n’y avait aucun gain réel à attendre de la loi, s’agissant de l’accroissement du budget et en personnel : cet accroissement ne faisait que combler des vides ou manques préexistants ou suscités par la nouvelle organisation police-gendarmerie. En d’autres termes, cette approche de la LOPSI a fait l’impasse sur la mutualisation des ressources, les compétences communes et les progrès organisationnels à dériver du changement d’échelle que constitue l’arrivée des nouvelles plateformes NTIC11. Elle ne prend pas en compte l’artificialité toujours plus grande de la distinction entre renseignement d’ordre public et judiciaire, de moins en moins pratiquée au plan opérationnel12, autre moment fort du différend culturel entre réflexions de la 11 Vient ici valider la justesse du point de vue émis par la SDTI : cf. note 66 et 71.l’environnement général de la fonction renseignement 12 Il existe à ce sujet des avis catégoriques exprimés par certains responsables de la Gendarmerie, et pas des moindres. 13 CNIL et pratique de l’enquête policière, que nous avions déjà eu l’occasion de mentionner. 2.2.2. Elle ne l’est pas pour des raisons d’organisation et d’articulation de ses propres structures de renseignement Outre l’absence de structures ordinaires d’analyse et de synthèse déjà observée, l’environnement contemporain de la fonction renseignement décrit en première partie, et tout particulièrement sa complexification, conduit à « reclassifier » le triptyque des niveaux stratégique, opérationnel et tactique pour un nouveau glissement fonctionnel. Désormais, l’élaboration stratégique du renseignement n’est pas seulement du ressort du Comité interministériel du renseignement ou du Conseil de la sécurité intérieure, ou de toute autre instance. Il doit également être le fait de la DGGN et des Régions de gendarmerie car c’est à ce niveau qu’il s’agit de définir une politique nationale ou adaptée aux réalités régionales, les deux strates étant intimement liées. Ce niveau est par excellence celui de la Synthèse et donc de l’orientation, c'est-à-dire celui de la détermination des politiques à conduire. Le véritable niveau opérationnel, celui de l’emploi des forces, de l’analyse et éventuellement du premier niveau de synthèse est désormais celui du Groupement13 : c’est ce niveau qui doit disposer de la panoplie la plus complète des moyens, services spécialisés et soutiens. C’est donc au niveau brigade, communauté de brigades et compagnies que se conçoit la « tacticalisation »14 du renseignement, c’est à dire son recueil, sa mise en forme qualitative, le mode et la vitesse de sa transmission, son exploitation de terrain et la prise en compte citoyenne des implications de cette exploitation, si l’on veut véritablement disposer de la ressource pour anticiper et comprendre les phénomènes violents et donc, à l’échelon hiérarchique supérieur, déterminer une politique. La fonction renseignement, dans sa modernité, implique ce glissement du stratégique vers le tactique, cette dynamisation et autonomie rendue « aux unités de terrain »15, que par ailleurs la technologie rend possible. La conception et la mise en place d’une nouvelle génération de plateformes NTIC, objet d’un effort considérable, s’est faite selon un schéma directeur inspiré de la LOPSI et en l’absence d’une réflexion fonctionnelle, nous l’avions déjà énoncé. Plus grave à notre sens, il n’y a pas eu de réflexion poussée sur ce que devrait être à l’avenir le rapport entre, d’une part, ce qui constitue toujours le cœur du métier de gendarme : la relation à l’usager, à l’autre, la proximité sociale, et d’autre part, l’introduction massive de NTIC orientées vers le renseignement. En quelque sorte, on n’a pas délibérément tourné les unités opérationnelles vers le citoyen en considérant que la technologie avait pour première fonction de créer ou de recréer du lien social. Cette réflexion est indispensable. C’est à l’aune de ce critère que l’on pourra déterminer si les systèmes et matériels qui seront mis en dotation sont bien adaptés aux besoins réels ou locaux, et donc au personnel de la gendarmerie, ou si l’on a simplement estimé qu’il appartenait aux gendarmes de s’adapter à la technologie mise à leur disposition. 13 Celui dont nous avions dit qu’il est au « carrefour des contraintes » On nous pardonnera ce néologisme. 15 L’analogie avec l’emploi moderne des forces terrestres mérite d’être relevée ici, même si là n’est pas notre propos. 14 14 2.2.3. La faiblesse de cette réflexion engendre des répercussions majeures sur les unités Il existe un sous effectif chronique des bureaux ou cellules de renseignement quel que soit le niveau hiérarchique considéré. Il faut attendre le niveau du Groupement et donc du Département pour trouver une cellule armée de 4 gendarmes dont la permanence dans la fonction est mal assurée pour des questions de double compétence, d’indisponibilité due au métier, voire de formation spécialisée insuffisante. Le niveau Région n’est guère mieux doté. Si l’on considère la Région Aquitaine, qui a fait l’objet en la matière d’une réorganisation complète et pragmatique, les effectifs ne dépassent pas 11 militaires dont l’Adjoint Opérations de l’Etat-major et un Lieutenant. Le TEA de cette Région ne prévoit que 4 militaires pour la section « Analyse Renseignement Ordre Public ». Ces effectifs, qui sont de 4 à 6 fois inférieurs aux entités territoriales similaires objet d’enquête en Angleterre et en Allemagne, ne prennent en compte ni la complexité de la fonction renseignement, ni son développement futur avec la mise en œuvre massive de NTIC à l’horizon 2008-2010, ni la spécificité des aires territoriales de responsabilité (zone frontalière, infrastructure critique, lutte antiterroriste, zone périurbaine…). L’analyse de la fonction renseignement à l’échelon de la DGGN démontre que cette dernière est éclatée entre services et bureaux. Le manque de personnel déjà mentionné reste palpable : 14 militaires dont 4 officiers et 2 officiers supérieurs, dont l’un est le Chef du Bureau Renseignement et Opérations, pour traiter l’ensemble du renseignement de Défense et d’Ordre Public à l’échelon national. En outre, il n’existe aucune réelle structure en matière de centralisation de l’information, opérationnelle et ouverte, d’analyse et surtout de synthèse. A cet égard, il est révélateur que la section Etudes et Renseignement de la Sous Direction de la Défense et de l’Ordre Public ne comprenne que 3 militaires dont un seul Officier16. Si la Sous Direction de la Police judiciaire et les trois offices centraux apparaissent de prime abord mieux armés, il est pour le moins surprenant de constater que le terme renseignement ne figure nulle part dans les différents organigrammes. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que le défaut de formation au renseignement soit tout aussi criant. Sans revenir sur les constats faits sur « la formation au renseignement au sein de la Gendarmerie Nationale »17, quelques indications chiffrées apparaissent indispensables : 20 heures sont consacrées au renseignement en Ecole de formation pour les Sous-officiers ; 34 heures sur 2 ans sur un total de 3400 heures pour les Officiers en Ecole ; 33 heures pour le cycle « spécialisation » renseignement destinées à former le personnel armant les cellules renseignement des Groupements et Régions. Sur 16 Les mêmes effectifs et les mêmes grades que la section Sport du Bureau de la Formation. Cf. Hélène Bitsindou : « La formation au renseignement au sein de la Gendarmerie Nationale », en particulier les chapitres « Situation actuelle », « La formation au renseignement », « Les savoirs en jeu ». 17 15 ces 33 heures, nous avons noté que seules 19 heures étaient spécifiques à la matière. Les interviews que nous avons menées dans les Groupements des Régions Aquitaine et Bretagne font apparaître que : la demande pour ce type de formation spécialisée est extrêmement forte ; la formation actuelle confond information et formation au renseignement : elle est insuffisamment professionnelle et pauvre en contenu ; les formations analystes et experts n’existent pas. Au total, « le personnel de la Gendarmerie affecté à la mission de renseignement ne possède pas les compétences et les capacités nécessaires pour répondre à la mise en place, à partir de 2007, des nouvelles plateformes NTIC »18 ; il n’existe pas de lien entre formation au renseignement et métier du renseignement (analyse, synthèse, système expert, gestion des banques de données, respect des législations, coopération internationale, exploitation de l’information ouverte, qualité de l’information, veille sur l’Internet, langues étrangères19….). En conséquence les plans de charge des unités et des organismes spécialisés dans le renseignement ne parviennent pas à couvrir la complexité et la sophistication de l’activité de renseignement. Ils ne gèrent bien souvent que les absences dues aux permissions et ne prennent que sporadiquement en compte les récupérations, les périodes de formation, les renforts ponctuels mais nombreux, les doubles compétences : opérations et renseignement. Ce défaut de planification, joint à la faiblesse des effectifs, conduit à ne traiter que les aspects urgents et événementiels de l’activité de police, à mettre de côté délibérément et par nécessité des pans essentiels de la fonction renseignement : la recherche ouverte, la formation approfondie, la collaboration avec les voisins, l’analyse et l’expertise des questions sociales locales…. Il influe également sur le compte rendu et l’information de la hiérarchie, militaire et civile, qui ont surtout pour objet la dédramatisation de l’événementiel, c'est-à-dire de l’urgent ; information dont on peut douter de la qualité en raison de son mode de transmission, ressenti comme fastidieux, d’indicateurs chiffrés peu fiables et manquant de substance20. Ce qui est au fondement de l’interrogation posée par cette étude, c’est la mise en évidence d’un lien réel entre une approche moins réactive de l’activité de renseignement : plus globale, plus stratégique, plus experte, et le maintien d’un degré élevé mais énergique de proximité avec l’usager. L’étude des modèles anglais et bavarois constitue une première réponse à cette interrogation. 18 Ibid note précédente. Ce domaine mériterait une analyse fouillée. 20 On pourra relire à ce su jet, et avec très grand intérêt, la somme que constitue le rapport « FOURNAISE » sur le FAR, l’audit d’ACCENTURE et le document de réflexion qui a constitué le préalable à la réorganisation du système renseignement de la Région aquitaine . 19 16 3. LA FONCTION RENSEIGNEMENT DANS LA POLICE ANGLAISE ET BAVAROISE 3.1. LE MODELE ANGLAIS 3.1.1. Enquête dans les forces : constat et implications 3.1.1.1. S’agissant du recueil du renseignement : Le terme information signifie la consignation d’observations journalières au fil du service, sans qu’elles aient un lien avec une procédure, consignation qui sera ensuite informatisée jusqu’au niveau national selon une procédure formalisée, en l’occurrence par un document de notification. Les officiers de police britannique sont ainsi conduits à distinguer entre enquêtes proactives et réactives à une procédure. Avec l’enregistrement électronique systématique de l’information, le nombre de crimes ou délits déclarés a considérablement augmenté, ce qui a permis d’améliorer la prise en compte des actes délictueux , de mettre en évidence les preuves et de mieux orienter l’emploi des forces. La confidentialité des sources est impérative pour des raisons évidentes de protection de la source et de la force policière, mais aussi parce que cette protection est réglée par un texte de loi qui régit les enquêtes criminelles. La cotation du renseignement suivant les critères de source, de qualité, d’utilisation21, est un processus plus délicat qu’il n’y paraît car il a des conséquences sur la dissémination du renseignement. L’évaluation de cette information suppose à tous les niveaux des officiers de police accrédités. Si l’information doit être classifiée, elle est nécessairement enregistrée dans une banque de données spécifique. Le NIM (National Intelligence Model), qui est une tentative de rationalisation de la fonction renseignement au niveau national, a impliqué la création d’un système électronique de centralisation de l’information qui actuellement évolue vers une base de données nationale de l’information policière. En effet, la confusion engendrée par 43 systèmes différents était devenue difficilement gérable. Cette base de données appelée « IMPACT22 » a pour but le partage de l’information et non pas la mise en relation des forces. IMPACT est désormais politiquement accepté mais est contraint financièrement par les budgets consacrés à la lutte antiterroriste. IMPACT génère un index de noms qui regroupe les citoyens britanniques ayant été condamnés mais aussi ceux qui, à un moment ou à un autre et pour des motifs très variés, ont fait l’objet d’une « suspicion ». En 2007, cet index contenait 43 millions de noms23, sachant que chaque information 21 d’où l’utilisation de « handling codes ». IMPACT : « Information Management Police Analysis Coordination and Tasking » 23 Ce qui influe sur le contrôle d’identité des personnes. En effet, s’il n’y a pas délit, il n’y a pas lieu de demander des papiers d’identité ; et s’il y a délit, le nom se trouve forcément dans la base. 22 17 supplémentaire est automatiquement connectée aux précédentes. La base de données est automatiquement alimentée par des données extraites des bases de données des différentes forces de police. Actuellement, l’index est simplement nominal : il faut contacter la force de police concernée pour obtenir les comptesrendus correspondants à la personne recherchée. A l’avenir cependant, des liens hypertexte permettront d’accéder directement aux comptes-rendus et rapports. De même, l’alimentation se fait mensuellement pour l’instant. Elle se fera en temps réel dans le futur. Les compagnies de chemin de fer sont connectées au système par le biais de la BTP24 et on pense ajouter une fonction « profil de criminels » à la base de données nationale. Il n’existe pas de limite à la capacité d’enregistrement de l’information dans IMPACT. Les forces de police peuvent demander que les services sociaux, médicaux, les compagnies de chemin de fer, l’Education Nationale leur fournissent les informations dont ils ont besoin au motif que cette information est au bénéfice de tous (benefit for all), qu’elle confère au service qui la donne une immunité (public interest immunity) et qu’elle est donc librement consentie (mutual consent). La distinction entre renseignement de sécurité publique et judiciaire n’a dans les faits pas de réalité. 3.1.1.2. S’agissant du travail d’analyse : 24 25 Le travail d’analyse a une triple fonction : cerner l’environnement des actes violents, donner aux enquêteurs des outils opérationnels d’aide à l’enquête sous forme d’analyses criminelles, de représentations cartographiques, d’établissement de profils et de caractérisation de cibles. Plus généralement, il a pour but de mieux comprendre les situations criminelles et de les anticiper et donc, de manière ultime, de mieux comprendre les causes de la violence. Enfin, il influe sur l’orientation des forces de police et leur emploi, indirectement sur les budgets et les types de recrutement. Le travail d’analyse est confié à des spécialistes qui, pour la plupart, proviennent des milieux universitaires et en particulier des instituts de criminologie. La police anglaise entretient un partenariat étroit avec les départements de criminologie des différentes universités25. Certains analystes sont également formés au sein des forces de police. La formation de spécialisation dure trois semaines et est orientée vers l’analyse générale ; puis chaque analyste se spécialise dans un domaine particulier : économie, crime organisé, trafic, terrorisme. La formation est délivrée par une société privée dirigée par d’anciens analystes de la Police accrédités au niveau national. L’accréditation des analystes est remise en question chaque année ou tous les deux ou trois ans, selon des critères standardisés et le type de spécialisation. British Transport Police. Par exemple, « The Institute of Crime Science » à Londres. 18 3.2. Chaque force comprend dix analystes26 et il existe un groupe de trois à cinq analystes dans les BCU27 les plus importantes. Ils effectuent une quadruple tâche : ils rédigent des études et des synthèses dans leur domaine de spécialisation à destination des forces et du commandement de ces forces ; ils participent à la rédaction de l’évaluation stratégique (Force Strategic Assessment / Tactical Assessment) au niveau force et BCU ; ils participent au briefing journalier des BCU, en particulier lors des changements d’équipe, à la réunion des analystes qui se tient tous les quinze jours au niveau de la force, à la réunion préparatoire à celle de l’ « Intelligence Coordination Group »28 ; ils informent les autorités et rédigent les « problem profiles » et les « target profiles ». LE MODELE BAVAROIS Commentaires des enquêtes menées L’approche de la fonction renseignement, telle que la comprennent les responsables de la police bavaroise, est un compromis assez heureux qui combine une vision du renseignement débordant largement le Land de Bavière pour s’inscrire dans le système fédéral et international, avec la sophistication des moyens technologiques et leur réelle adaptation aux besoins exprimés par les forces de police, ainsi que la proximité avec l’usager, dans la mesure où le policier, informé, reste libre de ses choix et de sa pratique. Les responsables allemands insistent sur le fait que, outre l’amélioration de la qualité du travail de police, le système permet finalement des économies de temps et donc d’argent et de personnel : « il y a plus de policiers dans la rue, ce pourquoi les bavarois payent en définitive »29. De fait, on peut lier technologie, rentabilité des investissements et police de proximité à la condition que l’investissement financier, humain et matériel de départ s’organise autour d’un projet global et de long terme qui ait le soutien des usagers. L’un des points centraux sur lequel la totalité des responsables allemands a insisté touche à l’ergonomie des systèmes car c’est elle qui améliore la qualité de l’entrée des données. Cette qualité est jugée par eux comme essentielle. Ils recommandent également d’élaborer les plateformes technologiques non pas comme des instruments de centralisation de l’information mais comme un outil global de gestion et d’analyse de l’information. Pour eux, une plateforme n’a de valeur que par sa capacité à donner du sens à l’information. A cet égard, l’analyse est pour eux un processus fondamental et explique le nombre d’analystes dont les forces de police de Bavière disposent : quelque 70 pour les seules structures, objet de notre enquête. A la question de savoir comment les responsables de la police bavaroise pouvaient améliorer leur compréhension de la cause des phénomènes violents, ces derniers ont volontiers reconnu, que si ce processus est essentiel, il est également le plus compliqué à mettre en œuvre. Leur réponse est qu’il faut partir de l’analyse et plus particulièrement de l’analyse de cas ou de scenarii et tenter de d’obtenir une vue synthétique de l’évolution du crime. Le reste est une 26 Ce nombre peut varier : il est de 18 pour la Thames Valley Police. Basic Unit Command (l’équivalent d’un Commissariat). 28 Au niveau national, cette réunion préparatoire rassemble un groupe de 40 analystes. 29 Déclaration du Directeur du SIZ. 27 19 question de recherche et aussi de mise en perspective des expériences nationales. La composante recherche est jugée indispensable à la fonction renseignement. C’est elle qui permet aussi d’anticiper la menace, de mieux comprendre les phénomènes de violence, de s’adapter à l’évolution du crime et de développer de nouveaux outils. 20 4. CONCLUSION GENERALE ET RECOMMANDATIONS 4.1. CONCLUSION GENERALE On ne réitèrera pas ici les enseignements propres à la Gendarmerie et énoncés à la fin de la deuxième partie de cette note et qui souligne un sous dimensionnement chronique et structurel de la fonction renseignement dans l’institution. On constatera simplement que les deux pays d’étude, à la fin des années 90, ont eux aussi fait le constat que leur fonction renseignement ne s’inscrivait plus dans la modernité et ne prenait pas en compte la fluidité des contextes et des acteurs. De manière assez intéressante également, ces deux pays, qui ont fait le choix d’une organisation régionale à divers degrés, ont tenté de concilier la proximité qu’une police régionale est plus à même d’établir avec ses concitoyens et une rationalisation de leur outil de renseignement qui passe par une meilleure qualité et gestion de l’information et par son analyse approfondie. On notera encore que le Royaume-Uni dimensionne son modèle de renseignement de façon à ce qu’il puisse constituer une option valable pour la future organisation du renseignement de l’UE. Ce qui paraît plus étonnant, c’est qu’une région comme la Bavière conçoit également sa fonction renseignement dans le cadre européen et même international. Cela tend à prouver que la notion de « stratégique » n’est pas tant la question du niveau politique et administratif auquel elle est formulée que celle de son contenu, c’est-à-dire une meilleure anticipation et compréhension des phénomènes violents, dans l’intérêt immédiat de l’usager, mais aussi des forces de police. On ajoutera enfin que si l’Angleterre propose son modèle à l’UE, et en particulier à EUROPOL, l’Allemagne, et d’une certaine manière la Bavière puisqu’elle est à l’avant garde dans ce domaine, proposent elles aussi une plateforme globale « gestion de l’information et analyse » qui se révèle séduisante. 4.1.1. Points de convergence 4.1.1.1. S’agissant de la collecte du renseignement Dans les deux cas d’étude, il est mis l’accent sur : Une rationalisation de la collecte du renseignement faite sous sa forme pure et qui ne distingue pas entre renseignement d’ordre public et renseignement judiciaire ; ceci vient conforter les déclarations des responsables de la Gendarmerie lors des interviews menées ; Le processus qualitatif mis en place pour l’entrée des données dans le système informatique. Celui-ci est jugé essentiel ; L’ergonomie des plateformes ; L’accent mis sur la géocodification et la cartographie. Les forces de police doivent pouvoir visualiser, les analystes doivent pouvoir étudier et anticiper. Des normes communes pour la gestion de l’information et la mesure des performances obtenues. 4.1.1.2. S’agissant de l’analyse 21 Un très gros effort est consenti par les deux pays. Pour reprendre une déclaration déjà citée : « Une plateforme de collecte et de gestion de l’information ne vaut que par le sens qui peut être attribué à cette information ». En conséquence : Il est fait un recours massif à des analystes spécialisés dans des types de question ou des aires géographiques. Ces analystes se situent dès après le niveau opérationnel de base et irriguent toute la fonction renseignement jusqu’au niveau supérieur ; Le travail d’analyste vise principalement à orienter la recherche, à dégager les contextes, environnements et tendances, à établir des profils ou des objectifs type, à élaborer de nouveaux scenarii contre une criminalité et une délinquance en constante évolution, à suivre cette évolution, à réfléchir sur la mise en place des nouvelles technologies disponibles ; Le travail d’analyste constitue également le lien entre l’activité ordinaire de police, qu’il contribue à valoriser, ses aspects législatifs et le progrès technologique ; Les analystes sont en majorité issus du monde universitaire et plus particulièrement des départements de criminologie et de droit. 4.1.1.3. S’agissant de la synthèse Il n’existe pas pour le moment un véritable niveau de synthèse clairement identifiable dans ces deux fonctions du renseignement. Dans les deux cas, cependant, les responsables interrogés sont d’accord pour constater que la synthèse, comprise comme indicatrice des tendances lourdes de la criminalité au sens large et donc de sa compréhension, est essentiellement une affaire de recherche. La Bavière a franchi le pas en créant son Centre d’Innovation Stratégique ; le Royaume-Uni a débuté une réflexion qui aurait pour objet une vaste enquête qui concernerait la population carcérale et les victimes pour mieux comprendre les causes du crime. Notons, par ailleurs, que le BKA dispose à l’échelon fédéral d’un département recherche. 4.1.1.4. S’agissant de l’enquête Les avantages pour la force de police s’énoncent comme suit : Le policier est orienté : il connaît à la prise de son service et durant ce service les tâches précises qu’il aura à accomplir. Ceci est particulièrement vrai au Royaume-Uni ; Il dispose d’outils d’information qu’il peut consulter pour documenter son enquête. Ceci est plus particulièrement le cas en Bavière ; Sa rapidité de réaction est meilleure, son écoute de l’usager aussi ; Ses besoins en information et l’ergonomie des systèmes sont adaptés à ses souhaits ou remarques. 4.1.1.5. S’agissant de la formation des policiers La formation de base est longue et le niveau de recrutement élevé. La formation est de trois ans pour un policier allemand et de deux ans pour un policier anglais ; 22 La connaissance des plateformes informatiques et les aspects législatifs de l’activité de police font l’objet d’un effort particulier ; Dans les deux pays, il est mis en place des programmes de formation continue qui fonctionnent grâce à « l’e-learning », et/ou par la constitution d’équipes permanentes de formation. 4.1.1.6. S’agissant de la gestion des ressources humaines et des budgets Les fonctions renseignement telles qu’elles sont conçues dans ces deux pays ont conduit à une augmentation du recrutement et de sa qualité et à l’évaluation systématique des performances réalisées. Surtout, elle a permis un meilleur emploi des forces (il y aurait plus de policiers dans la rue)30 et autorise une anticipation du recrutement, de son affectation, de sa formation et de sa spécialisation. En matière de ressources financières, et comme nous le confiait Madame la Chief Constable d’Oxford, la fonction renseignement joue dans deux dimensions : d’une part, elle implique une augmentation des budgets, mais d’autre part, c’est parce que les résultats obtenus par cette rénovation de la fonction renseignement sont probants que l’on peut valablement demander les ressources financières nécessaires. En d’autres termes, la valorisation auprès du politique du système RENS déployé, est une tâche qui incombe aux responsables de police de haut niveau. 4.1.2. Questions en débat Elles sont au nombre de quatre : Se pose la question de l’efficacité pratique, sur le terrain, de la fonction renseignement telle qu’elle est désormais élaborée au Royaume uni et en Bavière. En l’absence d’une étude précise qui s’imposerait, et sans revenir sur les observations que nous faisions au paragraphe 3.1.3.31, le rapport émis par l’inspection de la police anglaise en 200632 distingue trois domaines susceptibles d’améliorations : La qualité encore insuffisante de l’information enregistrée dans les plateformes; La faiblesse des indicateurs qui continuent de privilégier une approche quantitative des crimes et délits et non pas le degré de protection du public ; La taille critique de la force à concevoir pour que la fonction renseignement puisse donner sa pleine mesure, taille qui selon l’Inspection doit atteindre entre 4000 et 6000 officiers de police : « suffisamment large pour produire et mettre en oeuvre la totalité des services et moyens, et suffisamment restreinte pour préserver le lien avec la communauté33 ». Le taux d’élucidation des crimes et délit, reste faible en Angleterre et l’actualité démontre que le crime organisé, la criminalité chez les adolescents et la circulation des armes à feu s’installent à des niveaux préoccupants. A cet égard, il nous a semblé que le système anglais s’avérait très dirigiste parce qu’il répond d’abord à une contrainte 30 Ce constat nécessiterait une enquête particulière. 3.1.3. : « enquêtes dans les forces et implications » 32 Cf. « Closing the Gap, a Review of the Fitness for Purpose of the Current Structure of Policing in England and Wales”, HM Inspector of Constabulary, août 2006. 33 Cf. note ci-dessus : traduction de l’auteur. 31 23 comptable en terme d’indicateurs à respecter et parce que le travail de l’officier de police anglais est « surdirigé », ce qui pénalise l’initiative. Cet inconvénient nous est apparu nettement moins marqué en Bavière où l’approche est de fournir le renseignement et les outils les plus adaptés à l’activité de police ; il revient aux officiers de police de les utiliser au mieux de leur travail habituel ou de l’enquête. La notion de stratégique, dans les deux cas, est éminemment liée à celle de taille critique et d’impact de l’activité policière et non pas tant à celle de subordination à la sphère politique, ce qui, il est vrai, est plus facile au sein de structures régionales ou décentralisées. Est stratégique, ce qui a un impact effectif sur l’usager et la compréhension de tout l’environnement qui va déterminer cet impact : on comprendra mieux l’accent mis sur une fonction renseignement intégrée, l’importance de l’analyse, la référence constante à l’international. Le cas de la Bavière est à cet égard exemplaire. Le corollaire de ce constat pourrait être la double interrogation suivante : comment intégrer dans la structure globale de renseignement les capacités des partenaires potentiels et quelles sont les limites de ce partenariat ? Cette approche de la fonction renseignement à des conséquences majeures en terme de procédures judiciaires, de pénalisation et d’incarcération qui doivent être étudiées en parallèle du modèle renseignement que l’on veut construire. On ajoutera que les deux fonctions renseignement étudiées demeurent encore des structures intermédiaires, et ce, pour de très bonnes raisons : tout d’abord, ces deux architectures sont récentes et nous ne sommes qu’au début de leur évaluation. Ces évaluations conduiront nécessairement à des modifications ou adaptations de fond, surtout si l’on considère que la fonction renseignement sera de plus en plus perturbée par la lutte antiterroriste ; ensuite elles génèrent, par essence, une dynamique de l’intégration qui impose au niveau européen une cohérence des normes, des procédures et même des outils. Enfin, elles supposent un changement culturel profond, le passage d’une culture où le « droit de propriété du renseignement » reste prégnant à une gestion collective du renseignement et à sa dématérialisation. 24