Dans le champ de tensions entre profession, politique
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Dans le champ de tensions entre profession, politique
Travail social en mutation Dans le champ de tensions entre profession, politique et économie Conférence I Eléments qui conduisent à une identité forte des travailleurs sociaux Par Bertrand Martinelli, directeur du Home-chez-Nous, institution accueillant des jeunes hommes au Mont-sur-Lausanne (Vaud) Introduction Le titre de cet atelier pose déjà une hypothèse qui peut être questionnée, à savoir qu’il y aurait des travailleurs sociaux ayant une identité forte et d’autres non, ou moins forte. Comment doit-on comprendre le terme d’identité ici? Comme identité nationale, comme un réflexe de défense, de protection? Et si oui, face à qui? Je vous propose de réfléchir à la question des processus qui conduisent à former cette identité. Ce qui frappe souvent, c’est d’abord le besoin pour les travailleurs sociaux, dont je fais partie, à vouloir être reconnus, comme s’il y avait une chance qu’ils disparaissent. Et s’il disparaissaient? Cela changerait-il quelque chose? On aurait pu mettre en sous-titre de l’atelier, « ou pourquoi les travailleurs sociaux veulent qu’on leur dise qu’on les aime ». Cette affirmation peut paraître provocatrice, mais elle pose une question de base sur l’identité. Le travailleur social existe-t-il avant d’être un professionnel? Pour cela deux dimensions peuvent être parcourues dans le but de tenter d’éclairer le débat: le bénévolat et la définition du social. Bénévolat L’activité bénévole, en particulier quand elle se déroule en articulation avec une activité salariée, renvoie souvent à délimiter les champs d’action entre les bénévoles et les professionnels. Vu de l’extérieur, il est souvent difficile de faire la différence dans les actes entre un bénévole et un professionnel. Ce sont souvent ces derniers qui demandent à leur hiérarchie de clarifier les différences et de fixer les limites. On peut aussi penser, voire assumer, que la seule différence c’est le salaire, mais nous pourrons y revenir ultérieurement lors des échanges qui vont suivre. On peut faire l’hypothèse que la notion de bénévolat vient réinterroger le sens, l’engagement des travailleurs sociaux. A partir de quoi s’ancre mon action, surtout si d’autres veulent faire la même chose sans être payés? La question de ce qui constitue la reconnaissance de l’activité revient alors d’une manière centrale, sachant que la reconnaissance est un élément constitutif de la notion d’identité. Il ne faudrait pas trop vite passer sur ce que révèle le bénévolat aux travailleurs sociaux. Cela pousse lesdits travailleurs sociaux à s’exprimer sur ce qu’ils font, à rendre compte. Comprenez ici, à rendre visible leur pratique et cela je pense, ne peut qu’être une bonne chose. Reste à voir comment ils le font et pourquoi? En effet, lorsque la question de l’identité professionnelle devient la seule question, nous sommes alors bien en présence d’une identité défensive et corporatiste qui devient le centre de la question. Dans ce cas les usagers sont relégués au second rang, voire instrumentalisés. C’est dans ces situations que généralement les travailleurs sociaux « savent ce qui est bon » pour l’autre dont « ils s’occupent ». Dans un ouvrage relatif au travail social1, Saül Karsz, philosophe Français, interroge la différence entre prise en charge et prise en compte. Il pourrait être éclairant de reprendre cette approche quand des positions de type « bon pour les usagers », sont mises en avant. On passe trop vite à mon avis sur 1 Karsz S., Pourquoi le travail social? Définition, figures, clinique, Dunod, Paris, 2004 AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 le fait que ce qui « est bon pour l’usager », ne l’est pas forcément « pour le travailleur social ». Le praticien qui vise la prise en compte, va tenter de prendre du recul avec lui-même en tant que « sujet qu’il est » – avec toutes les dimensions que cela comprend – et donc aussi avec ses représentations de l’autre en tant que sujet aussi. Mais pour revenir à la question de départ, il est aussi possible de se poser la question de la place que veulent se donner, voir plus subjectivement, se donnent les travailleurs sociaux dans la société. Place sociétale et travailleurs sociaux Il s’agirait ici de prendre du temps pour analyser le concept de société, mais le manque de temps m’oblige à revenir sur la place que se donnent – subjectivement – les travailleurs sociaux. Dans cette perspective, c’est bien la notion de ce qui fait le social qui doit être déconstruite. Je reste toujours frappé quand un collègue se présente comme étant entre l’usager et la société. Il y a là derrière une affirmation qui pourrait laisser entendre qu’il maîtrise le social et par là-même reflète un manque de distance avec l’objet social pour le moins subjectif. Certains discours sur l’expertise des travailleurs sociaux se situent sur ce plan. Il me semble important de revenir à un peu d’humilité en rappelant par exemple qu’il est toujours paradoxal de parler d’exclusion pour les jeunes dont s’occupent les travailleurs sociaux, car exclusion de quoi, de la société? Peut-on vraiment être exclu de la société? Exclu de certaines modalités comme la consommation, peutêtre, mais exclu dans le sens de sortie d’un système, cela ne me semble pas possible, tout au plus peut-on réfléchir en termes d’inclusion, d’intersection, de tangente du sujet par rapport au champ social. Quels avantages aurions-nous à dire que nous accompagnons des exclus, et si avantages pour qui? Eux ou nous? Pour les travailleurs sociaux, cela peut laisser penser qu’ils sont donc indispensables au retour desdits exclus dans la société… On retrouve ici ce que je questionnais tout à l’heure avec le bénévolat, le sens de mon action? Pour poursuivre… Pour en revenir à la question posée dans cet atelier, à savoir quels sont les éléments qui conduisent à une forte identité des travailleurs sociaux, je pense qu’il ne faut pas perdre de vue que le travailleur social, avant d’être un professionnel du social, a lui même une existence sociale – en terme de sujet – et cela implique qu’avant d’être travailleur social, il est une personne qui se situe par rapport au champ social qui l’entoure. A ce titre nous sommes porteurs de valeurs, d’habitus pour citer Bourdieu, de traditions, qu’on le veuille ou non. Et les mécanismes conscients, mais surtout inconscients font que dans l’intervention de tous les jours le travailleur social a dans son identité ce bagage. Je dirais qu’il faut peut-être questionner d’abord la notion d’identité du point de vue des valeurs. Car cette notion peut être porteuse de pratiques, mais aussi, un réflexe de défense contre quelque chose d’autre, souvent insaisissable. Partant de là, l’idée d’une identité forte est peut-être une approche trop défensive qui pourrait plutôt être perçue comme une pratique à assumer dans le social. Cela passe par le fait de prendre un peu de recul sur soi, sur son statut social, avant d’aller vouloir s’occuper de celle des autres, en particulier de celle des usagers. Cela implique aussi que ce qui peut rassembler n’est pas une identité professionnelle, mais une identité en terme de valeurs, ce qui change largement le regard à la question posée dans cet atelier. Car cela pourrait alors laisser penser que je partage des valeurs avec certains usagers, plus qu’avec certain collègue… ce qui est à mon avis une vision positive de la notion de sujet. En conclusion, il me semble prioritaire de soutenir, non pas une définition de l’identité professionnelle mais un principe de questionnement, de déconstruction de cette identité et cela de manière permanente et toujours en tension. A mon sens, il y aurait danger à finaliser la notion d’identité professionnelle, au regard des risques comme celui de s’orienter vers une forme de pensée unique du travail social, avec tout ce que cela implique. AvenirSocial/Colloques/travailsocialenmutation/21.11.2008 2